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Edité par le CHUV www.invivomagazine.com Penser la santé N° 8 – MARS 2016 ALLERGIES Attention à l’hygiène excessive «SERIOUS GAMING» Se soigner par le jeu REPORTAGE Une greffe de cornée au bloc opératoire / ACTIVITÉ PHYSIQUE / CHIRURGIE INTELLIGENTE / T-SHIRTS HIGH-TECH IN EXTENSO LES BIENFAITS DES VITAMINES COMPRENDRE LE DOS POUR NE PLUS EN SOUFFRIR

In Vivo #8 FRA

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Comprendre le dos pour ne plus en souffrir

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Page 1: In Vivo #8 FRA

Edité par le CHUVwww.invivomagazine.com

Penser la santéN° 8 – MARS 2016

ALLERGIES Attention à l’hygiène excessive

«SERIOUS GAMING» Se soigner par le jeu

REPORTAGE Une greffe de cornée au bloc opératoire

/ACTIVITÉ PHYSIQUE / CHIRURGIE INTELLIGENTE / T-SHIRTS HIGH-TECH

IN EXTENSO LES BIENFAITS DES VITAMINES

COMPRENDRE

LE DOSPOUR NE PLUS EN SOUFFRIR

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Page 2: In Vivo #8 FRA

«Un magazine fantastique, dont les posters habillent toujours nos murs.» Swissnex, Brésil

«Vos infographies sont géniales, faciles à comprendre et adaptées au public auquel j'enseigne.» Isabelle G., Lausanne

«Chaque article est pertinent!» Béa B., Danemark

«Fort intéressant!» Hélène O., Lausanne

«Super mise en page!» Laure A., Lausanne

«Les infographies sont rigoureuses, ingénieuses et plaisantes à regarder.» Dominique G., Vufflens-la-Ville

«Félicitations pour votre magazine, qui est très intéressant et fort apprécié des professionnels de mon institution.» Johanna M., Carouge

Recevez les 6 prochains numéros à votre domicile en vous inscrivant

sur www.invivomagazine.com

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Le magazine est gratuit. Seule une participation aux frais d’envoi est demandée (20 francs).

ABONNEZ-VOUS À IN VIVO

Page 3: In Vivo #8 FRA

FOCUS

19 / SOINS

Stop au mal de dosComment réduire les douleurs et les coûts liés à ce symptôme. PAR MELINDA MARCHESE

MENS SANA

28 / INTERVIEW

Patrick Woo: «Je chasse les virus à travers le monde»PAR JULIE ZAUGG

32 / TENDANCE

Les pilules qui rendent intelligentPAR CATHERINE COCHARD

35 / INNOVATION

Jouer pour se soignerPAR SÉVERINE GÉROUDET

40 / DÉCRYPTAGE

Les super-bactéries gagnent du terrainPAR JULIE ZAUGG

IN VIVO / N° 8 / MARS 2016

SOMMAIRE

Le «text-neck» est le nom donné au syndrome qui risque d’affecter les utilisateurs excessifs de téléphones portables. La tête penchée en avant, ils augmentent la pression sur leurs cervicales, ce qui peut provoquer une douleur au niveau de la nuque (p. 27). L’ensemble de la colonne vertébrale souffre si des positions inadaptées sont mainte-nues trop longtemps. D

R

Page 4: In Vivo #8 FRA

CORPORE SANO

44 / INNOVATION

Souriez, vous allez être intubéPAR PAULE GOUMAZ

46 / DÉCRYPTAGE

Tous allergiques!PAR JULIE ZAUGG

49 / PROSPECTION

Réparer un cœur abîméPAR RACHEL PERRET

52 / APERÇU

L’énigmatique cancer du pancréasPAR YANN BERNARDINELLI

55 / TENDANCE

Méfiez-vous des décibelsPAR WILLIAM TÜRLER

58 / EN IMAGES

Greffe micrométriquePAR MELINDA MARCHESE

IN SITU

09 / HEALTH VALLEY

La 3D dans les hôpitaux

15 / AUTOUR DU GLOBE

Une résine qui tue les bactéries

CURSUS

71 / CHRONIQUE

De l’argent, des questions

72 / PORTRAIT

Andrea Serena, infirmier clinicien spécialisé

74 / TANDEM

Un duo qui lutte contre les troubles alimentaires

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SUIVEZ-NOUS SUR: TWITTER: INVIVO_CHUVFACEBOOK: MAGAZINE.INVIVO

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SOMMAIRE

Page 5: In Vivo #8 FRA

3

Il y a quelques millions d’années, l’homme a décidé de se mettre debout. On ne connaîtra probablement jamais la raison qui l’a poussé à le faire, mais notre dos est l’héritage direct des milliers d’années de «bipé-die» qui ont suivi ce choix. Cet organe, d’une incroyable complexité et à la biomécanique délicate, nous a permis de nous arracher à la gra-vité. Tel un mât maintenu par des dizaines de haubans musculaires, il associe résistance et mobilité. Toutefois, derrière cette magnifique réussite de l’évolution, se cache une fragilité qui ne cesse de fasciner l’orthopédiste que je suis.

Cette fragilité expose notre rachis à toute une série de trauma-tismes, de pathologies et de dégénérescences contre lesquels la recherche lutte jour après jour, produisant chaque année un nombre impressionnant de publications. Et les résultats sont là: il y a 50 ans, opérer une hernie discale s’apparentait à une véritable aventure chirurgicale, avec des semaines d’hospitalisation pour des résultats aléatoires. Aujourd’hui, la même intervention peut, dans certaines conditions, être pratiquée de manière ambulatoire!

Et il ne s’agit là que de la pointe de l’iceberg. Force est de constater que le nombre de patients qui souffrent de leur dos augmente même en l’absence de désordres anatomiques avérés. C’est aussi parce que cet organe peut être le reflet de troubles psychosociaux plus difficiles à discerner. Pour les décortiquer, il faut aujourd’hui élargir notre champ de vision et nous focaliser non seulement sur les radiographies ou l’IRM mais également nous intéresser à des désordres qui tiennent à notre mode de vie, comme les positions au travail ou le sport que l’on fait (ou que l’on ne fait pas!) ou encore à des difficultés d’ordre psychologique.

Très vite, l’hôpital a compris que le médecin ne suffisait plus. Il faut faire appel aujourd’hui à une armada de professionnels pour trai-ter correctement ceux qui en ont «plein le dos»: physiothérapeutes, ergothérapeutes, psychothérapeutes, ergonomes, radiologues, etc. Aujourd’hui, tous ces spécialistes sont réunis dans des centres pluridis-ciplinaires à l’image du nouveau Centre de chirurgie spinale du CHUV. Une richesse reflétée par la multitude d’intervenants du dossier du magazine que vous tenez entre vos mains.

En décidant de se mettre debout, notre ancêtre préhistorique ne se doutait probablement pas de l’aventure dans laquelle il venait de nous embarquer. Mais au vu des fantastiques progrès que la médecine a effectués pour mieux comprendre notre rachis, peut-on vraiment lui en vouloir? ⁄

Editorial

LE RACHIS: ORGANE COMPLEXE ET FRAGILE

PHIL

IPPE

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PIERRE-FRANÇOIS LEYVRAZDirecteur général du CHUV

Page 6: In Vivo #8 FRA

4

IV n° 2 p. 19

POST-SCRIPTUM

IL EST POSSIBLE DE S’ABONNEROU D’ACQUÉRIR LES ANCIENS

NUMÉROS SUR LE SITE WWW.INVIVOMAGAZINE.COM

LA SUITE DES ARTICLES DE «IN VIVO»

COMA

Prédire l’éveilUne équipe de chercheurs de l’Inserm (France) a découvert

une nouvelle manière de prédire l’éveil d’un patient qui

se trouve dans le coma. En utilisant l’imagerie à résonance

magnétique (IRM) fonction-nelle, il serait possible de mesu-

rer l’activité électrique du cerveau de la victime et son

état de conscience, permettant ainsi d’évaluer le temps

nécessaire à sa récupération. La communication entre le cor-tex postéro-médian et le cortex frontal médian serait particu-

lièrement révélatrice. /

BIG DATA

Une app pour le stressDes chercheurs du MIT de

Boston ont développé Koko, une application qui vise à aider

les personnes anxieuses, stressées ou dépressives. Koko se présente comme un réseau social, où l’utilisateur décrit,

en quelques lignes, ce qui l’angoisse. Il reçoit ensuite des

conseils d’autres personnes utilisant la plateforme qui ont

sélectionné son message et pensent pouvoir y apporter une interprétation réconfortante. /

GÉOMÉDECINE

L’environnement urbain pèse sur la santé

Plus de 6’000 citadins volontaires vivant à Lausanne, dans les quartiers populaires

ou plus bourgeois de la capitale vaudoise ont participé à

la recherche CoLaus, menée par des épidémiologistes et géographes du CHUV,

de l’EPFL et des HUG. Les scientifiques ont pu ainsi

dresser une carte de l’indice de masse corporelle (IMC)

des Lausannois et ont observé que, même en ajustant leurs mesures prenant en compte

des facteurs comme le revenu, le niveau d’éducation ou

encore l’âge des individus, les personnes avec un IMC plus élevé que la moyenne

se trouvaient toujours dans les quartiers populaires de Lausanne. Selon les cher-cheurs, l’explication de ce

résultat réside peut-être alors dans les caractéristiques de

leur environnement urbain, qui renferme moins d’espaces verts et plus de fast-foods que dans les zones démontrant un IMC

plus bas que la moyenne. /

LESS IS MORE

Mieux cibler les soinsLors de la troisième conférence nationale Santé2020, qui s’est tenue à Berne en février 2016, les autorités helvétiques ont manifesté leur soutien aux

initiatives «Choosing wisely» et «Smarter medicine».

Ces mouvements encouragent le corps médical à limiter les

traitements et les interventions superflus, voire contre-produc-

tifs pour les patients. /

IV n° 1 p. 46 IV n° 4 p. 40 IV n° 6 p. 19

PRÉCISION Une erreur s’est glissée dans le précédent numéro de In Vivo.

En page 14, il est écrit, dans un texte sur la prise en charge

de la cataracte, qu’«un traitement avec un collyre de lanédol a montré de très bons

résultats lors des phases d’expérimentations animales». Il s’agit en réalité d’un collyre de lanostérol, une molécule

cousine du cholestérol. Toutes nos excuses pour cette erreur. /

Page 7: In Vivo #8 FRA

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POST-SCRIPTUM

GÉNÉTIQUE

Des embryons humains modifiés Des chercheurs britanniques ont reçu en février 2016

l’autorisation d’éditer le génome d’embryons humains. C’est la première autorisation de ce genre octroyée par une

autorité de régulation nationale. Cela marque une étape dans l’application de la technologie «CRISPR» à la recherche

sur des embryons humains. Ces derniers ne seront pas implantés dans un utérus, ils serviront uniquement

à la recherche fondamentale pour étudier le développement des embryons humains. /

CERVEAU

Comprendre les maladies mentales

Le psychiatre et neuroscienti-fique Thomas R. Insel donne une conférence le jeudi 7 avril 2016 à l’Uni Dufour (Genève), présen-tant les dernières avancées dans le domaine de la santé mentale. Cette soirée a lieu dans le cadre

d’un colloque organisé par Synapsy, un projet suisse, financé à hauteur de plus de 47 millions de francs par le Fond national

suisse. Il regroupe, depuis 2010, une centaine de chercheurs et

psychiatres, qui tentent de mieux comprendre les mécanismes des troubles psychiques et cognitifs.

www.nccr-synapsy.ch /

TRANSGENRES

Vers toujours plus de reconnaissance

Le Brighton College, une école réputée parmi les meilleures

d’Angleterre, change ses règles concernant l’uniforme: elle

autorise désormais les garçons à porter des jupes et les filles

à mettre des pantalons. Le directeur Richard Cairns a déclaré que les écoliers pour-

raient choisir quel uniforme ils souhaitent porter afin de «les

respecter pour ce qu’ils sont». /

IE n° 7

IV n° 7 p. 62

IE n° 6

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Page 8: In Vivo #8 FRA

Grâce à ses hôpitaux universitaires, ses centres de recherche et ses nombreuses start-up qui se spécialisent dans le domaine de la santé, la Suisse romande excelle en matière d’innovation médicale. Ce savoir-faire unique lui vaut aujourd’hui le surnom de «Health Valley». Dans chaque numéro

de «In Vivo», cette rubrique s’ouvre par une représentation de la région. Cette carte a été réalisée par l’illustrateur espagnol Iván Bravo.

IVÁN

BRA

VO

6

GENÈVE P. 08

OncoTheis a reconstruit un morceau de tissu pulmonaire «in vitro» pour étudier le comporte-ment des tumeurs.

LAUSANNE P. 08

Le pansement intelli-gent de Theran Optics permet de diagnostiquer et surveiller les plaies chroniques.

IN SITU

HEALTH VALLEYActualité de l’innovation médicale

en Suisse romande.

PLAN-LES-OUATES P. 08

Un nouveau traitement contre l’endométriose est développé par la société ObsEva.

Page 9: In Vivo #8 FRA

7

MARTIGNY P. 08

Le logiciel de la start-up Eyeware permet de contrôler un ordinateur uniquement à l’aide des yeux.

FRIBOURG P. 10

Une nouvelle technique incite le système immu-nitaire à lutter contre les cellules cancéreuses.

Page 10: In Vivo #8 FRA

START-UP

CONTRACEPTIONBasée à l’EPFL, Gene Predictis a validé un nouveau test qui estime

le danger de thrombose sous pilule contraceptive. Aujourd’hui, 400 des 350’000 Suissesses sous

contraception subissent une thrombose. Le test permettrait

d’identifier huit fois plus de femmes à risque que les analyses

traditionnelles. Il s’appuie sur l’examen de gènes impliqués dans

la formation de caillots.

STÉRILISATIONStériliser du matériel chirurgical

partout et à moindres frais: c’est le défi relevé par la StériBox, système autonome basé sur l’irradiation aux

UV, développé par Stérilux. Une invention née d’une collaboration entre étudiants de l’EPFL (tech-

nique) et de l’ECAL (art et design).

OCULOMÉTRIEContrôler un ordinateur avec le

mouvement des yeux et de la tête: c’est l’objectif que la jeune startup

Eyeware s’est fixé l’été dernier. Pour permettre aux personnes ayant

perdu l’usage de leurs bras d’utiliser les moyens informatiques,

la société basée à Martigny développe un logiciel qui reconnaît

les mouvements du visage. Elle compte commercialiser son

invention en 2016.

IN VITROComment tester de nouveaux

traitements contre le cancer du poumon en limitant les essais

«in vivo»? L’entreprise genevoise OncoTheis répond en proposant

des modèles de cultures cellulaires en trois dimensions

qui imitent les tissus pulmonaires sains ou pathologiques.

Une démarche récompensée par le Lush Prize 2015,

catégorie Science.

8

IN SITU HEALTH VALLEY

«Il faut inculquer l’esprit d’entreprise

dans les écoles»PHILIPPE LEUBA

PHILIPPE LEUBA, CHEF DU DÉPARTEMENT DE L’ÉCONOMIE ET DU SPORT VAUDOIS, DANS LE CADRE

DES FESTIVITÉS DES 20 ANS DE LA FONDATION POUR L’INNOVATION TECHNOLOGIQUE (FIT). DEPUIS

SA CRÉATION, LA FIT A OCTROYÉ 21 MILLIONS DE FRANCS, SOUS FORME DE PRÊTS OU DE BOURSES,

AUX START-UP DE SUISSE ROMANDE.

Un remède contre le cancer du cerveauNEUROLOGIE Des produits déjà disponibles sur le marché des médicaments s’avèrent être efficaces contre le gliome, la forme de cancer cérébral la plus répandue. On doit cette constatation au laboratoire du Prof. Douglas Hanahan, de l’Institut suisse de recherche expérimentale sur le cancer de l’EPFL. Sachant que l’autophagie, un mécanisme d’autodestruction cellulaire, était une piste pour lutter contre la propagation des tumeurs cérébrales, les scientifiques ont ciblé les préparations existantes, à la recherche de propriétés autophagiques. Ils ont retenu un antidépresseur et un anticoagulant. Leur association freine la progression des métastases et la croissance des gliomes. Cette découverte constitue un réel espoir de voir aboutir un traitement rapidement, puisque les produits sont déjà répertoriés.

En francs suisses, le montant investi pour financer un nouveau traitement contre l’endométriose développé par la société ObsEva, basée à Plan-les-Ouates. L’endométriose, une maladie gynécologique, concerne 176 millions de femmes à travers le monde.

L’OBJET

PANSEMENT DU FUTUR

Theran Optics a décroché le prix Axa Innovation.

La société, lancée par deux ingénieurs issus de l’EPFL,

a développé un pansement intelligent futuriste, qui permet

de diagnostiquer et de surveiller les plaies chroniques.

60’000’000

Page 11: In Vivo #8 FRA

9

IN SITU HEALTH VALLEY

INNOVATION En décembre dernier, les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) ont réalisé une première suisse: la pose d’une prothèse de la cheville grâce à l’impression 3D. Concrètement, l’impression 3D a servi à fabriquer des guides de positionnement et de coupe, qui ont ensuite été placés directe-ment sur le tibia et le talus du patient durant l’opération. Les avantages? Plus de précision et de personnalisation, mais aussi une réduc-tion du temps d’intervention.

«Avec les méthodes traditionnelles, la pose d’une prothèse de cheville dure 1h30, explique Nicolas de Saussure, porte-parole de l’hôpital. Grâce à l’impression 3D, le temps nécessaire passe à 45 minutes, ce qui réduit considéra-blement le stress pour le patient.» Victor Dubois-Ferrière, responsable de l’équipe de chirurgie du pied et de la cheville, a rapporté la technique, encore peu répandue en Europe, d’un stage de formation au Canada. Aux HUG, des guides de coupe imprimés en 3D seront désormais employés dans la majorité des cas de prothèses de cheville. Le nouveau procédé pourrait concerner à l’avenir la pose de pro-thèses d’épaule, de hanche et de genou.

Une orbite pour 550 francsLa nouvelle témoigne de la place croissante

que prend l’impression 3D dans les hôpitaux suisses. Les HUG l’utilisent également pour la préparation de certaines interventions chirurgicales en orthopédie, en chirurgie maxillo-faciale et en chirurgie plastique. «L’impression 3D n’est plus perçue comme futuriste. Elle est devenue une réalité», ob-serve Marc Thurner, directeur de l’entreprise fribourgeoise RegenHU, qui développe des imprimantes 3D pour le domaine biomédical et qui collabore en Suisse avec les hôpitaux universitaires de Genève, de Berne et de Zurich.

Le CHUV dispose de sa propre impri-mante 3D depuis novembre 2013. Appelée «Projet 3500 SD», la machine a coûté 70’000 francs et sert principalement à fabriquer des

modèles d’organes pour la préparation des opérations. Ces reproductions en plastique polymère, ultra-précises et en taille réelle, sont élaborées en se basant sur l’imagerie médicale du patient. Elles permettent au chirurgien de planifier l’intervention, de préparer une pièce à implanter ou de s’entraîner. «L’objet peut être manipulé, découpé ou perforé, précise José Pahud, responsable de la Centrale d’im-pression et de reprographie (CIR) du CHUV. Cela évite notamment de soumettre le patient à de nombreuses séances de radiographie. En revanche, les impressions ne sont hélas pas biocompatibles et ne permettent donc pas de réaliser des implants ou des guides de coupe.»

Près de 70 pièces ont été imprimées au CHUV ces deux dernières années et plusieurs projets sont en cours. La réalisation d’un modèle d’orbite (la pièce la plus demandée) nécessite 1,5 heure pour la création du fichier, 19 heures d’impression et de finition, pour un coût de 550 francs. «Auparavant, les pièces étaient commandées à l’extérieur, ce qui était plus long et plus onéreux», précise José Pahud. La machine est surtout sollicitée par les chirurgiens orthopédistes et maxillo-faciaux, mais l’intérêt gagne d’autres disci-plines, comme la radio-oncologie. Le CIR a également reproduit des racines aortiques pour le Service de chirurgie cardio-vasculaire et travaille sur la modélisation d’un cœur.

Lente évolutionLa tendance est là, certes. Mais les spé-

cialistes relèvent qu’elle reste plutôt timide en Suisse. «L’acceptation de cette techno-logie émergente demeure relativement lente, analyse Marc Thurner de RegenHU. Elle concerne surtout les hôpitaux universitaires, qui peuvent davantage se permettre de dé-gager des fonds pour tester des outils inno-vants. Ces nouvelles techniques demandent de former du personnel, et induisent des coûts qui ne sont en partie pas pris en charge par les assurances.» ⁄

Les hôpitaux romands misent sur l’impression 3D Le procédé s’impose dans les établissements hospitaliers de Suisse. Il est principale-ment utilisé dans la préparation des interventions chirurgicales.

CI-DESSUS: JOSÉ PAHUD,

DE LA CENTRALE D’IMPRESSION ET

DE REPROGRAPHIE DU CHUV, UN MODÈLE

D’ORBITE ET UN SEGMENT DE TRACHÉE

IMPRIMÉS.

TEXTESOPHIE GAITZSCH

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Page 12: In Vivo #8 FRA

10

IN SITU HEALTH VALLEY

CAROLE BOURQUIN SON ÉQUIPE A DÉCOUVERT UNE NOUVELLE TECHNIQUE

POUR INCITER LE SYSTÈME IMMUNITAIRE À LUTTER CONTRE LES CELLULES CANCÉREUSES.

3 QUESTIONS À

Professeure de pharmacologie au Département de médecine de l’Université de Fribourg et responsable de l’Unité de

pharmacologie clinique à l’Hôpital fribourgeois

EN QUOI CONSISTE VOTRE DÉCOUVERTE?Ces dernières années, plusieurs médicaments

qui activent le système immunitaire contre les cellules cancéreuses sont arrivés sur le marché. Mais le cancer sait se défendre: il s’entoure de cellules T régulatrices qui le protègent en fonctionnant comme un bouclier. Ce mécanisme peut diminuer l’efficacité des traite-ments visant à activer nos défenses. Nous avons étudié le fonctionnement de certains médicaments actuelle-ment en phase de tests, et nous avons découvert qu’ils peuvent faire disparaître ce bouclier de cellules.

COMMENT VOUS Y ÊTES-VOUS PRIS?Cette étude est le résultat d’une collabora-

tion entre mon groupe de l’Université de Fribourg et des chercheurs de l’Université Ludwig-Maximilian de Munich. Des doctorants dans mon groupe ont observé la disparition des cellules boucliers dans les tumeurs traitées. Nous avons ensuite cherché ensemble à com-prendre la cause de cette disparition. Nous avons découvert que certains médicaments empêchent les cellules cancéreuses de recruter les cellules boucliers en bloquant la production d’une protéine, la chémo-kine. Cette protéine permet à la tumeur d’attirer vers elle les cellules qui pourront la protéger.

QUELLES SONT LES PERSPECTIVES THÉRAPEUTIQUES?

J’espère que notre découverte pourra aider à sélec-tionner les patients qui bénéficieront le plus de ce type de traitement: il est probable que les patients dont les tumeurs contiennent de grandes quantités de cette chémokine et beaucoup de cellules boucliers répondent mieux à ces médicaments. /

1

2

3

21En millions de francs, la

somme qui vient d’être levée

par l’entreprise lausannoise

AB2 Bio, spécialisée dans

le développement des thérapies

destinées au traitement de maladies

inflammatoires systémiques graves.

Ce nouveau tour de financement

va permettre à la spin-off de l’EPFL

de boucler les essais cliniques de ses différents traitements, et

notamment celui consacré à la

maladie de Still de l’adulte, une forme

rare d’arthrite.

Le jeu de l’entreprenariat RÉCOMPENSE La troisième édition de StartInnov, une journée de simulation de création d’entreprises organisée à Lausanne, a récompensé le travail d’une équipe du laboratoire communautaire Hackuarium de Renens. Il s’agit d’un système de purification de protéine nommé APPS (automatic protein purification system), qui a pour objectif de réduire les coûts et d’accélérer les procédés classiques grâce à l’automatisation des étapes chronophages. Les lauréats ont présenté un convaincant prototype en briques Lego. www.startinnov.ch

Des automates pour les chimiothérapiesONCOLOGIE Les Hôpitaux universitaires genevois (HUG) ont mis en place un service automatisé pour le mélange des substances destinées aux chimiothérapies. En quinze ans, le nombre de préparations a presque doublé. Pour y faire face, tout en gardant la main-d’œuvre disponible, les HUG se lancent dans la robotisation. Cette technologie (robot PharmaHelp de la société Fresenius Kabi) peut produire dix poches par heure de façon aseptique tout en protégeant le personnel de la haute toxicité des composés. Avec cette première utilisation en Suisse, les HUG comptent contribuer au développement des robots, dans le but de les pérenniser en milieux hospitaliers.

Page 13: In Vivo #8 FRA

IN SITU HEALTH VALLEY

11

EPFL

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MAN

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LLET

Comment le sucre alimente le cerveauNEUROSCIENCES Grâce à un outil d’imagerie utilisé par les géologues, des chercheurs de l’EPFL, du Nestlé Health Institute et de l’Université de Lausanne ont réussi à obtenir des images en haute résolution de l’intégration du glucose dans le cer-veau. Cette avancée offre de nouvelles connaissances sur le parcours du glucose dans les méandres neuronaux. A l’avenir, cela pourrait contribuer au développement de nouvelles méthodes permettant de diagnostiquer et de traiter les maladies neurologiques.

LE DIABÈTE

Le diabète touche un demi-million de

personnes en Suisse. Pour faire face à ce

trouble du métabolisme, de nouvelles pistes de soins, mais aussi des dispositifs pour faciliter le quotidien

des patients, émergent.

centre spécialiséL’Université de Genève

(UNIGE) a créé fin 2015 un centre qui aura pour tâche de rassembler l’expertise de tous les spécialistes

genevois travaillant sur les troubles métaboliques.

Diverses disciplines sont effectivement impliquées

dans ce type de prise en charge, comme la

génétique, l’endocrinologie, l’immunologie, ou encore

la chirurgie.

pancréas artificielLa société lausannoise

Debiotech et l’Université de Berne développent un pancréas artificiel. Celui des diabétiques

est défectueux: il ne produit plus l’insuline capitale pour réguler la quantité de sucre

sanguin (glycémie). Mesurer le taux de glycémie et injecter

l’insuline nécessaire de façon automatique et continue est

la fonction d’un pancréas synthétique. L’objectif de cette

collaboration est de créer un logiciel capable d’estimer

le besoin en hormones en prenant en compte des variables personnelles du

patient (nourriture, exercice). Un algorithme intelligent sera relié par wi-fi à une

micropompe électromécanique placée sur la peau, comme

un patch.

application pour les enfants Les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) publient «Webdia HUG», une application pour smartphones et

tablettes qui aide les enfants à gérer leur diabète. Webdia HUG permet l’évaluation des quantités d’aliments à l’aide

de photos de plats, calcule les doses d’insuline à s’injecter et stocke sur un serveur les relevés de glycémie de

l’enfant, disponibles en tout temps et tout lieu, tant pour l’enfant que pour son entourage familial et médical. L’app

est disponible sur l’AppStore et sur Google Play.

Page 14: In Vivo #8 FRA

IN SITU HEALTH VALLEY

ÉTAPE N° 8GENÈVE

FORIMTECH

SUR LA ROUTEDans chaque

numéro, «In Vivo» part à la rencontre

des acteurs de la Health Valley.

Genève est la destination

de cette édition.

Fondée en 2004 par Eugene Grigoriev, un chercheur du CERN disposant d’une longue expérience en physique des particules et en microélectronique, la société genevoise Forimtech collabore avec le corps médical pour développer des dispositifs thérapeutiques. Elle travaille notamment avec des experts du CHUV en médecine nucléaire (qui comprend l’ensemble des applications médicales de la radioactivité), en imagerie moléculaire et en chirurgie oncologique.

«Nos produits aident les chirurgiens à localiser et retirer les tumeurs, les métastases et les ganglions sentinelles avec une plus grande précision, ce qui permet de réduire la probabilité de récidives et de limiter les dommages aux tissus sains», indique Eugene Grigoriev. Pour ce faire, la société, qui dispose de différents brevets, utilise notamment une approche basée sur le comptage de particules grâce à des détecteurs miniatures. Etablie à Genève, l’entreprise dispose aussi d’un centre de production et d’un laboratoire à Meyrin. Elle emploie neuf personnes.

Le partenariat avec le CHUV a démarré dès 2005 à travers plusieurs projets dans le domaine de l’oncologie. Les produits de l’entreprise ont été développés et testés en étroite collaboration avec John Prior, qui dirige le Service de médecine nucléaire et imagerie moléculaire, et Maurice Matter, médecin-chef au Service de chirurgie viscérale. Parmi ces innovations, RadPointer, une sonde qui permet de pratiquer une chirurgie dite «radioguidée». Depuis 2014, la société effectue divers essais cliniques avec différents départements de l’hôpital.

Dans les années à venir, Forimtech souhaite poursuivre son développement en Suisse et à l’international. «En 2016, nous visons une production de masse de nos sondes en ciblant en premier lieu les grands hôpitaux suisses, puis étrangers, relève Eugene Grigoriev. Plusieurs distributeurs internationaux s’intéressent à nos produits et ont déjà signé des accords. Nous pensons que la compétiti-vité d’un produit ne peut être maintenue qu’à travers des efforts permanents en recherche et développement.» /

TEXTE: WILLIAM TÜRLER

12

Les particules au service de l’oncologie

Les produits de la société genevoise Forimtech visent à mieux localiser et retirer les tumeurs.

Page 15: In Vivo #8 FRA

IN SITU HEALTH VALLEY

L’homme a une formidable propension à rêver, à générer des

idées. Combien se transformeront réellement en innovations

et profiteront à notre quotidien? Trop peu! Comment changer cet état

de fait? L’activité entrepreneuriale d’une région se mesure au nombre

d’opportunités. Mais ce seul fait ne suffit pas. Encore faut-il les percevoir…

et même si on les perçoit, encore faut-il les transformer, ce qui passe par l’enthousiasme et le savoir-faire.

Les Challenges Inartis sont précisément destinés à percevoir et stimuler

l’émergence de nouvelles idées au contraire des prix qui, eux, récompensent

des solutions existantes, alors que le MassChallenge devra les transformer en

insufflant enthousiasme et savoir-faire.

Les ChallengesLes Challenges sont un moyen de dénicher de

nouvelles solutions et de libérer le potentiel créatif de la société civile… en redonnant du

sens aux idées de chacun. Ils sont là pour accompagner l’intelligence collective. Dans

un monde où l’interdisciplinarité devient une nécessité autant qu’une réalité, la

coopération intellectuelle entre humains dans un environnement technique extraordinaire est une solution pour faire émerger des idées de rupture,

réellement révolutionnaires. Et tout cela sera la clé de voûte pour construire «ensemble» notre

futur. C’est dans cet état d’esprit et avec le désir de soutenir concrètement les personnes

hospitalisées que le Challenge Debiopharm Inartis doté de 50’000 francs a été lancé sur la

thématique de «La qualité de vie du patient en cours de traitement».

Cette initiative, portée par la Fondation Inartis, est le premier de trois challenges coorganisés avec des acteurs industriels romands. Mieux qu’un prix qui honore une contribution passée, les challenges s’ancrent dans une réflexion actuelle profonde, devant permettre l’amorce des solutions de demain.

Le MassChallengeContrairement à l’émergence d’idées auprès d’esprits entraînés qui ont développé un solide sens de l’observation, le chemin qui guide de l’idée à l’innovation, cette phase de «translation» n’est que très rarement spontanée et naturelle. Le MassChallenge qui s’implante cette année en Suisse a pour vocation d’accompagner la révolution des start-up de demain, de soutenir l’émergence de nouveaux projets en s’appuyant sur toutes les énergies existantes. Ne demande-t-on pas aux innovateurs d’être tout à la fois visionnaires et gestionnaires, utopistes et pragmatiques, passionnés et patients. Le MassChallenge, le plus gros accélérateur international de start-up, qui a la force d’agir de manière totalement indépendante et ne prend aucune participation, propose un programme d’accélération de quatre mois pour les innovateurs les plus ambitieux.

Les start-up dessinent notre futur grâce aux forces présentes. Ces compétences et ces énergies, ce sont les vôtres et celles de votre réseau. Cette manne, nous en aurons besoin pour performer et faire de ces initiatives des tremplins de projets innovants d’Europe. De spectateurs, devenez acteurs de la dynamique en place. Rejoignez-nous, rejoignez-les: www.inartis.ch ⁄

DR

13

BENOÎT DUBUISIngénieur, entrepreneur, président de BioAlps et directeur du site Campus Biotech

Les Challenges Inartis et le MassChallenge sont deux nouvelles initiatives qui partagent le même but:

soutenir les innovateurs.

EN SAVOIR PLUSwww.bioalps.org la plateforme des sciences de la vie de Suisse occidentale

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IN SITU GLOBE

IN SITU

AUTOUR DU GLOBEParce que la recherche ne s’arrête pas aux frontières, In Vivo présente les dernières innovations médicales

à travers le monde.

 L’APPLICATION 

TINNITRACKS La start-up allemande Sonormed, basée à

Hambourg, a mis au point une application pour soigner les acouphènes appelée «Tinnitracks». Son fonctionnement? Elle adapte les morceaux préférés des utilisateurs à la fréquence de leur acouphène.

L’écoute de musique ainsi modifiée pendant quatre mois, à raison de 90 minutes quotidiennes, apaise l’hyperactivité anormale des cellules nerveuses du cortex auditif à l’origine des bourdonnements ou sifflements. Ce mécanisme a été mis en lumière dans plusieurs études des universités allemandes

de Münster et de Constance.

En milliards, le nombre de personnes de moins de 50 ans infectées par l’herpès de type 1,

soit deux tiers de la population mondiale, selon les estimations de l’OMS. En Afrique, la proportion

atteint 87%. Le virus est à l’origine du bouton de fièvre et parfois de l’herpès génital.

3,7

TU YOUYOULE MÉDECIN CHINOIS DE 84 ANS A REÇU LE PRIX NOBEL DE

MÉDECINE 2015. LA PRESTIGIEUSE DISTINCTION LUI A ÉTÉ ATTRIBUÉE POUR SA DÉCOUVERTE DE L’ARTÉMISININE (LA SUBSTANCE ACTIVE

À LA BASE DES TRAITEMENTS ANTI-MALARIA), POUR LAQUELLE ELLE A PUISÉ DANS LES RECETTES ANCESTRALES DE SON PAYS.

«Ce prix reflète le haut degré d’attention de la communauté

scientifique internationale pour la médecine

traditionnelle chinoise.»

FINANCEMENT La Commission européenne vient d’attribuer plus de 22 millions d’euros à l’Alliance européenne pour un vaccin contre le VIH (EHVA). Cette somme vise à développer une plateforme pluridisciplinaire destinée à évaluer de nouveaux vaccins préventifs et thérapeutiques. A ce finance-ment s’ajoutent 6 millions d’euros supplé-mentaires de la part du gouvernement suisse pour les partenaires helvétiques du projet. L’EHVA a été créé par le Prof. Yves Lévy, PDG de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), et par le Prof. Giuseppe Pantaleo, directeur de l’Institut suisse pour la recherche de vaccins à l’Hôpital universitaire de Lausanne (CHUV).

Une plateforme européenne contre le sida

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IN SITU HEALTH VALLEY

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IN SITU GLOBE

UNE RÉSINE DENTAIRE QUI TUE LES BACTÉRIES INNOVATION Une fausse dent qui élimine 99% des bactéries entrant en contact avec elle: c’est ce que permet un nouveau matériau conçu par des chercheurs de l’Université de Groningue, aux Pays-Bas. Cette découverte a été présentée en octobre 2015 dans la revue américaine «Advanced Functional Materials». La résine, destinée à l’impression 3D, contient des ammoniums quaternaires dont la charge électrique entraîne la désintégration des microbes. Des tests supplémentaires, notamment de compatibilité avec les dentifrices, doivent encore être effectués avant que le nouveau produit puisse être lancé sur le marché.

HERM

ANN,

REN

ET

AL.

Vous êtes fou d’avaler ça!

CHRISTOPHE BRUSSET FLAMMARION, 2015

Christophe Brusset a travaillé durant vingt ans comme ingénieur, acheteur et trader dans l’industrie agroalimentaire. Son ouvrage dénonce les dérives dont il a été témoin, des matières premières avariées aux marchandises trafiquées, en passant par les contrôles d’hygiène contournés. Le lecteur y rencontre, par exemple, du thé vert chinois au pesticide, de la confiture de fraises sans fraises ou encore du piment indien rempli de crottes de souris…

La mémoire et la folie: La découverte des prions

STANLEY B. PRUSINER ODILE JACOB, 2015

Le neurobiologiste amé-ricain Stanely B. Prusiner a obtenu le prix Nobel de médecine pour sa décou-verte des prions en 1997. Une reconnaissance mon-diale initialement loin d’être acquise: dans la course pour trouver une explication à la maladie de la vache folle, le scientifique poursuit avec ténacité la piste d’une «pro-téine infectieuse». L’idée est alors très mal accueille par la communauté des biologistes et donne lieu à de virulentes controverses, avant de s’imposer. Dans La mémoire et la folie, il revient sur cette aventure palpitante.

Being MortalDOCUMENTAIRE

PBS, 2015

La chaîne de télévision publique américaine PBS suit le célèbre chirurgien Atul Gawande dans son exploration des relations entre médecins et patients en fin de vie. Le documen-taire se penche sur les soins aux mourants et montre comment les praticiens sont souvent peu préparés et mal à l’aise lorsqu’ils doivent parler de maladies chroniques ou de la mort avec leurs patients. Le film fait suite au best-seller d’Atul Gawande, également intitulé Being Mortal, qui porte sur le même sujet.

The man who couldn’t stop

DAVID ADAM PICADOR, 2015

Le Britannique David Adam, journaliste scienti-fique pour la prestigieuse revue Nature, a souffert de troubles obsessionnels compulsifs durant 20 ans. Vingt années marquées par une peur irrationnelle d’attraper le sida et la traque de gouttes de sang suspectes dans son environ-nement. Dans son livre qui mêle histoire, explications scientifiques et souvenirs personnels, l’auteur explore non sans humour les pen-sées étranges qui existent dans tous les esprits.

LA SÉLE

CTION

IN VIVO

LES LIENS VERS LES CHRONIQUES ET LES VIDÉOS SUR

WWW.INVIVOMAGAZINE.COM

IMAGERIE Des chercheurs français ont développé une nouvelle méthode d’imagerie du cerveau par IRM qui donne les mêmes indications qu’une palpation physique. Pour arriver à ce résultat, publié dans la revue américaine PNAS en octobre 2015, l’équipe de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) s’est inspirée de la sismologie. La technique permet de mesu-rer les variations d’élasticité dans le cerveau et de localiser les zones plus ou moins dures. Elle pourrait servir au diagnostic précoce des tumeurs cérébrales et de maladies neurodé-génératives comme Alzheimer.

Palper virtuellement le cerveau

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IN SITU GLOBE

VAINCRE ZIKALes autorités brésiliennes ont fait appel aux services de l’entreprise britannique Oxitec dans l’espoir de restreindre la propagation du virus Zika. Dans ses laboratoires, elle modifie génétiquement des «Aedes aegypti», les moustiques vecteurs du virus. Chaque semaine, 800’000 d’entre eux, des mâles uniquement, sont lâchés dans la nature depuis Piracicaba, une ville de l’Etat de São Paulo. Objectif: favoriser les rencontres entre les moustiques femelles «sauvages» et les bêtes d’élevage. «Les mâles ne piquent pas et n’inoculent donc aucune maladie, précise Karla Tepedino, responsable de la production. Par contre, ils transmettent à leur progéniture leur «défaut génétique». Celui-ci empêche la nouvelle génération d’atteindre l’âge adulte.» La population locale d’«Aedes aegypti» devrait ainsi diminuer.

SEBASTIÃO MOREIRA / KEYSTONE

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IN SITU GLOBE

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L’INFORMATION EN CONTINUTout savoir sur les Sciences de la vie et l’innovation. Des rubriques pour vous: Agenda, Innovation, People, Science, etc. L’actualité de nos entreprises, de nos hautes-écoles, de nos organismes de soutien à l’innovation sur un seul site.

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REPUBLIC OFINNOVATION

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“Republic of Innovation, un site instructif, intelligent, ouvert et très facile à lire. C’est un vrai plaisir, en plus d’être une véritable aide.”ThIERRy MAUvERNAy Delegate of the Board Debiopharm Group

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FOCUS

SOINS

STOP AU MAL DE DOS

/Les traitements sont plus

simples qu’on ne l’imagine pour mettre fin à ces

souffrances qui touchent 80% de la population

et font exploser les coûts de la santé. Dossier.

PAR MELINDA MARCHESE

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FOCUS DOS

P armi les nombreuses condamnations infligées aux héros de la mythologie grecque, celle impo­sée au géant Atlas fait certainement partie des

plus contraignantes: pour le punir de l’avoir affronté, Zeus l’oblige à porter, pour l’éternité, la Terre sur son dos. Maigre consolation pour le malheureux Titan: son histoire a inspiré les pères de l’anatomie, qui décident de baptiser «atlas» la première vertèbre cervicale, celle qui supporte le poids – et permet les mouvements – de la tête.

Ce petit os repose au sommet d’un empilement de 24 vertèbres, arti­culées les unes aux autres. Toutes forment la colonne vertébrale, une pièce capitale du squelette: cette structure, d’une extrême sophis­tication, sert de «mât central» à chaque corps humain. C’est sur elle que s’attachent tous les muscles dorsaux, permettant ainsi au tronc de se mouvoir et à l’ensemble du corps de se dresser.

«Le mécanisme de la colonne ver­tébrale et des structures qui l’en­tourent est aujourd’ hui bien compris, explique Viktor Barta­nusz, responsable de la nouvelle Unité de chirurgie spinale du CHUV. En revanche, de nombreux mystères persistent quant aux souf­frances qu’elle provoque. Certaines anomalies de la colonne vertébrale provoquent de violentes douleurs chez certaines personnes, mais se­ront totalement asymptomatiques chez d’autres. En­core plus énigmatique: des patients se plaignent de mal de dos pendant des années, mais ne présentent aucune lésion organique. Cela vient­il des os? Des muscles? Des disques? Des ligaments? Diverses pistes

sont étudiées pour soulager ces douleurs dites «non spécifiques», telles que la prédisposition génétique ou l’exposition aux vibrations sur le lieu de travail.»

Dans les pays industrialisés, 80% de la population consulte un médecin au moins une fois dans sa vie pour une douleur affectant le bas du dos (lombalgie), le centre du dos (dorsalgie) ou la nuque (cervicalgie).

85% de ces douleurs ne sont pas liées à une lésion spécifique ou à une maladie, selon la Ligue suisse contre le rhumatisme.

Les coûts engendrés reflètent l’am­pleur du phénomène: en Suisse, selon l’Office fédéral de la statis­tique, les lombalgies seules repré­sentent entre 1,6 et 2,3% du PIB helvétique, ce qui équivaut à 10 mil­liards de francs suisses environ pour l’année 2005. Cette somme inclut les coûts directs engendrés par les soins, et les coûts indirects, dus aux arrêts de travail. «Ce sont les der­niers chiffres officiels, précise Iohn Norberg, du Service de rhumatolo­gie du CHUV. Mais le pourcentage reste le même aujourd’hui, on se rapproche donc des 14 milliards.» Les mesures se multiplient pour faire baisser ces chiffres. «Il nous faut aujourd’hui mettre en place des solutions, pour des raisons écono­miques bien sûr, mais aussi pour permettre à de nombreuses per­sonnes de retrouver une vie active,

sociale et professionnelle, estime le rhumatologue. Pour y parvenir, les patients doivent prendre soin de leur dos (voir point 1 ci­dessous) et les professionnels de la santé doivent adapter leur pratique en ne prodiguant que les soins réellement utiles et bénéfiques sur le long terme.»

BOUGER SOIGNEL’IMPORTANCE D’UN DOS TONIQUE

epuis quelques années, un changement majeur a révolutionné la prise en charge des personnes souffrant de mal de dos chronique, sans lésion. Fini le repos for­cé, l’activité physique est fortement

conseillée. «Toutes les personnes ne manifestant pas de traumatisme évident, comme une fracture ou une

tumeur, doivent absolument bouger et utiliser leur dos, insiste Iohn Norberg. En cas de douleur aiguë, l’immo­bilité ne doit pas excéder trois semaines.»

Pendant longtemps, les médecins ont fortement re­commandé de ne pas faire de sport et de ne pas porter de charge. Conséquence de l’inactivité: les muscles se

REPÈRES

80%Le pourcentage de la population suisse qui souffre entre une fois

par an et plusieurs fois par semaine de douleurs du dos.

/

1,4 En million, le nombre de Suisses incapables de travailler pendant

plusieurs jours ou semaines, à cause de douleurs lombaires,

sur une année.

/

10 En millions, le nombre de jours

d’incapacité de travail, sur un an, dus aux douleurs dorsales, parmi

la population suisse.

Source: Rapport Le dos en Suisse 2011 de la Ligue suisse contre le rhumatisme

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FOCUS DOS

endant vingt ans, la spécialiste a suivi des patients souffrant de douleurs lombaires chroniques.

iv Quelles sont les causes du mal de dos?lb Outre l’usure des structures anato-miques due à l’âge ou à l’apparition d’une lésion à la suite d’un accident par exemple, plusieurs facteurs peuvent créer des douleurs. Une mauvaise position maintenue trop longtemps ou un faux mouvement peut créer l’inflammation d’un muscle, qui devient douloureux. On parle alors de «douleur aiguë» qui, avec un peu de repos et des anti-inflam matoires, se résorbe en quelques jours. Il faut surtout éviter que celle-ci ne se transforme en douleur chronique.

iv Comment cela peut-il donc se produire?lb Toutes les douleurs affectent le fonctionnement physique et mental; elles peuvent y laisser des traces, certaines plus

profondément que d’autres. Lorsqu’un patient se trouve dans une situation familiale compliquée, il peut se laisser envahir par cette douleur et lui accorder progressive-ment une place importante dans ses pensées. S’il en perd le contrôle, il risque de modifier sa perception et de rendre celle-ci chronique. Il y a beaucoup de fausses croyances autour du mal de dos, notamment le fait que toute

douleur correspond à une lésion et que la douleur est proportionnelle à celle-ci. Et aussi, qu’une douleur persis-tante signale quelque chose de grave.

iv S’agit-il donc de «douleurs imaginaires»?lb Non, les souf-frances sont bien pré-sentes. Le traitement ne doit simplement pas se limiter à la lésion organique que l’on soigne à l’aide de médicaments ou d’une chirurgie. Aujourd’hui, on prône une approche «bio-psycho-sociale», c’est-à-dire que l’on considère aussi le psychique ainsi que le contexte social dans lequel vit le patient. Une personne qui souffre depuis des années se sent très souvent déprimée, dort mal... Son état de santé en pâtit,

ce qui peut finir par l’isoler tant socialement que professionnelle-ment. Avant même la prescription d’une radiologie, il est important de questionner un patient sur sa vie familiale et sociale. D’où la nécessité d’une prise en charge multidiscipli-naire pour optimiser les résultats face à une douleur si complexe. ⁄

MÉDECIN AU SEIN DU SERVICE DE RHUMATOLOGIE DU CHUV DEPUIS 1998, LILIANA BELGRAND A PRIS SA RETRAITE FIN 2015.

P PROPOS RECUEILLIS PAR MELINDA MARCHESE

«IL Y A BEAUCOUP DE FAUSSES CROYANCES»

Liliana Belgrand insiste sur l’importance d’une approche

bio-psycho-sociale.

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FOCUS DOS

«J’AI FAIT LA PAIX AVEC MON DOS»Chloé Buchmann Sanroma a décidé de se remettre au sport: pendant 25 ans, elle ne s’était autorisée qu’un peu de danse, pensant ainsi épargner son dos, atteint d’une scoliose depuis l’adolescence.

Le quotidien de Chloé Buchmann Sanroma a drastiquement changé ces derniers temps: «Je me suis mise à la course à pied, au fitness et j’ai même repris le ski, raconte cette mère de famille de presque 40 ans. Jamais je n’aurais pensé pouvoir en faire autant.» A l’adolescence, les médecins sont formels: la jeune femme, atteinte d’une scoliose (malformation de la colonne vertébrale), doit éviter toute activité physique intense. «J’ai porté un corset pendant deux ans, ce qui a permis à ma scoliose de ne pas s’aggraver, se souvient­elle. Malgré tout, seule la natation m’était recommandée… Tout au long de mes études secondaires supérieures, un certificat médical m’interdisait d’assister au cours de gym avec mes camarades.» Pendant plus d’une

vingtaine d’années, la jeune femme vit ainsi, accordant une place importante à son mal de dos dans son quotidien. «J’ai pris cela comme une fatalité avec laquelle je devais vivre. Il n’y a pas un jour où je ne me répétais pas que j’avais mal au dos. Comme une sorte de routine, que j’avais inscrite dans mon esprit.»

Chloé Buchmann Sanroma tente plusieurs méthodes pour soulager sa lombalgie chronique. «J’ai suivi les conseils d’un grand nombre d’écoles du dos, multiplié les exercices de physiothérapie, entraîné les bonnes postures d’ergothérapie et enchaîné les séances d’ostéopathie. Je n’ai jamais arrêté de consulter mon médecin orthopédiste, qui me prescrivait chaque année des anti­inflammatoires. Rien n’a vraiment changé.»

Jusqu’en 2013. «J’en avais marre! Je ne me voyais pas vivre avec cette dou­leur toute ma vie! J’ai dit à mon nouveau médecin que je souhaitais être opérée. C’est à ce moment­là que j’ai découvert un tout nouveau

discours, qui remettait en question les certitudes avec lesquelles j’avais vécu pendant des années: je devais réactiver mes muscles, arrêter d’épargner mon dos et ne plus craindre d’avoir mal.»

C’est ainsi qu’en 2015, elle suit trois semaines de rééducation au sein de l’Unité de réhabilitation du rachis au CHUV. «La prise en charge est très intense, explique Chloé Buchmann Sanroma. A hauteur de 35 heures hebdomadaires, j’ai fait du renforcement, de l’aqua gym, du cardio­vasculaire et de la muscula­tion à un rythme soutenu! Ce fut une révélation, un véritable électrochoc: j’étais absolument capable de faire tout cela!» Sa douleur a­t­elle totalement disparu? «Je l’appré­hende de manière complètement différente, explique­t­elle. Au­jourd’hui dès que je souffre, j’enfile ma tenue de sport et je vais courir! Cela chauffe mes muscles, et je ressens moins d’inconfort. Je suis extrêmement motivée à poursuivre ces efforts et ravie d’avoir finalement réussi à faire la paix avec mon dos.» ⁄

PROPOS RECUEILLIS PAR MELINDA MARCHESE

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FOCUS DOS

déconditionnent, s’affaiblissent. «De multiples études ont démontré l’efficacité de l’activité physique, poursuit le spécialiste. En renforçant les muscles dorsaux, la colonne vertébrale est beaucoup mieux soutenue.»

L’exercice est donc un excellent moyen de soulager une douleur dorsale, mais aussi de la prévenir, assure une étude publiée en janvier 2016 dans le Journal of The American Medical Association (JAMA). Quel sport choisir? «Chaque personne doit choisir l’activité qui lui plaît et lui convient, conseille Iohn Norberg. Avec Stéphane Genevay, un confrère rhumatologue des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), nous avons participé au développement du site www.mon­sport.ch. En quelques clics, l’internaute découvre plu­sieurs propositions adaptées à ses envies et capacités.»

Les ennemis du dosDès l’adolescence, les structures de la colonne

vertébrale commencent progressive-ment à s’user. On parle de «dégénéres-cence discale» lorsque les disques intervertébraux manifestent des signes d’usure évidents. Ces fines structures cartilagineuses jouent un rôle capital: elles permettent l’amortissement des chocs. Avec le temps, les disques se déshydratent, perdent leur élasticité et leur résistance à la pression. Ils deviennent naturellement moins souples et plus cassants. En cas de rupture, un disque peut compresser une racine nerveuse. Il s’agit alors d’une hernie discale, qui, si elle s’enflamme, peut devenir douloureuse.

Une étude de l’Institut de sécurité et santé au travail

(IRSST) au Canada établit un lien direct entre mal de dos et stress professionnel. Sous pression constante, les muscles, notamment ceux des épaules et de la nuque, ne parviennent pas à se décontracter, accumulent les toxines et deviennent douloureux. D’autres émotions négatives, telles que l’anxiété et la tension nerveuse, sont aussi responsables de la chronicisation d’une douleur. L’expression française «En avoir plein le dos», qui remonte au début du XIXe siècle, fait allusion au grand nombre de responsabilités ou de tâches qui repose sur le dos d’une personne et qui s’exclame donc «en avoir marre».

Le temps

Le stress

UNE VRAIE PHOBIEMais il ne s’agit pas que d’une histoire de muscles. Guillaume Finti, physiothérapeute­répondant au sein de l’Unité de réhabilitation du rachis du CHUV, reçoit quotidiennement des patients atteints de «kinésiopho­bie» (la peur du mouvement). «Certaines personnes s’empêchent de bouger trop longtemps à la suite d’une douleur aiguë. Elles finissent même par avoir peur de bouger. C’est malheureusement ainsi qu’une douleur aiguë risque de devenir chronique. Notre mission au­jourd’hui est d’aider toutes ces personnes à dépasser leur crainte.»

Au sein d’une équipe composée d’ergothérapeutes, de psychologues et de rhumatologues, le physiothéra­peute aide les «kinésiophobes» à surmonter leur peur. «Nous proposons une prise en charge sur trois se­maines, explique­t­il. Pendant 35 heures hebdoma­daires, les patients font des activités physiques en groupe et individuellement; ils reçoivent soins et conseils des spécialistes qui les entourent. Dans la grande majorité des cas, nous parvenons à leur redon­ner confiance en leurs capacités, ce qui leur permettra progressivement de bouger à nouveau, de ressentir la douleur différemment, et de reprendre une activité professionnelle.»

«Ce type de prise en charge est proposé depuis plusieurs années, précise Iohn Norberg. Il faudrait à présent que le modèle se généralise et que tous les médecins, aussi bien dans le public que le privé, encouragent les patients à bouger dans leur quotidien. C’est certes bien moins rentable que des infiltrations ou autres soins à répéti­tion, mais l’activité physique reste sans aucun doute le meilleur remède sur le long terme.»

LES PROGRÈS DE LA CHIRURGIE

MOINS, MAIS MIEUX

n nouvel état d’esprit émerge également vis­à­vis de la chirurgie du dos: il faut opérer uniquement si la cause anato­mique de la douleur est précisément identifiée et curable par un acte chirur­

gical. La Société suisse de médecine interne conseille d’ailleurs, dans sa campagne «Smarter medicine» lan­cée en 2014 et qui vise à limiter les interventions inu­tiles, de ne plus effectuer de bilan radiologique chez les patients souffrant de douleurs lombaires depuis moins de six semaines, en l’absence d’autres signes

U❷

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FOCUS DOS

alarmants (lire notre dossier sur le mouvement «Less is more» sur www.invivomagazine.com). «Toute ima­gerie d’une structure si complexe peut mettre en évi­dence une petite anomalie bénigne, constate Iohn Norberg. Est­elle la cause de la douleur? Souvent, on n’en sait rien! Le patient risque de se focaliser sur celle­ci, alors qu’avec un peu de patience et d’activité physique, la douleur partira d’elle­même.»

«Des gens souffrent tellement qu’ils nous demandent de les opérer, même s’ils ne présentent aucune patho­logie sérieuse, ajoute le neurochirurgien Viktor Bar­tanusz. En tant que spécialistes, il nous faut juger, en évaluant les examens préalablement effectués, si

l’opération sera bénéfique ou pas. Si l’intervention chirurgicale n’ap­porte rien, ou risque d’amplifier la douleur, nous devons être capables de dire non. Parmi les personnes souffrant de douleurs dorsales, seules 10% ont réellement besoin d’être opérées.»

Cette approche n’est toutefois pas encore systématiquement appliquée sur le terrain par les professionnels, ni suffisamment considérée par les chercheurs. Viktor Bartanusz cite une étude réalisée par le Départe­ment de neurochirurgie de l’Univer­sité du Texas, publiée en 2013 dans The Spine Journal, une revue amé­ricaine consacrée à la colonne verté­brale. «Elle démontre que, entre 1993 et 2012, le nombre de re­cherches portant sur le choix du matériel chirurgical est beaucoup plus élevé que le nombre d’études questionnant la justesse de l’indica­tion opératoire pour le mal de dos», regrette le spécialiste.

PLUS FINE, PLUS FIABLEFace à certaines lésions organiques évidentes, telles qu’une tumeur ou une fracture, une intervention chirurgicale a toutefois de fortes chances d’améliorer l’état de santé du patient. «Les progrès tech­niques réalisés ces dernières an­nées sont énormes, se réjouit Viktor Bartanusz. Grâce à la mi­niaturisation des instruments et à l’évolution de l’imagerie, toujours

VRAI / FAUX«Pour prévenir ou soulager le mal de dos, il faut dormir

sur un matelas dur.»

FAUX Un matelas trop ferme peut être traumatisant pour les

vertèbres. A contrario, un support trop mou risque de ne pas

maintenir suffisamment le corps. Si les épaules et le bassin s’y

enfoncent, la colonne se voûte. L’idéal est d’opter pour un matelas ni trop dur ni trop mou, capable de soutenir et

de détendre le dos.

«Une douleur dorsale signifie forcément la présence d’une maladie grave.»

FAUX 85% des douleurs sont dites «a­spécifiques» ou

«non­spécifiques», c’est­à­dire qu’elles ne sont pas liées à une lésion organique particulière,

telle qu’une fracture, une tumeur ou une inflammation. L’absence de lésion est donc

une bonne nouvelle.

«Les médicaments permettent de soulager rapidement.»

VRAI/FAUX En cas de douleur aiguë, la prise d’anti­inflamma­

toires peut effectivement apaiser en quelques heures. Il ne faut

pas se reposer sur la médication pour autant: il ne s’agit que

d’un remède temporaire. En cas de sédentarité prolongée et

d’absence d’exercice physique, l’inconfort risque fortement de

réapparaître. Dès l’atténuation de la douleur, il reste indispensable

de prendre soin de son dos en s’activant autant que possible.

Plusieurs études démontrent que l’excès de poids

accélère la dégénérescence des disques intervertébraux; cela surcharge aussi les articulations des vertèbres, et favorise les souffrances ligamentaires et le relâchement musculaire. Les personnes en surpoids souffrent donc souvent de douleurs dorsales. Une autre catégorie de la population semble de plus en plus concernée: les enfants. Selon une étude publiée dans le «Journal of the American Academy of Orthopedic Surgeons» en janvier 2016, un adolescent sur trois souffre de mal de dos. L’obésité infantile et le port de sacs à dos trop lourds seraient à l’origine de douleurs et de déformations de la colonne vertébrale.

Toute étude analysant

les causes du mal de dos pointe du doigt la sédentarité. L’immobilité fragilise les muscles du dos, reportant les fonctions de soutien sur la colonne vertébrale, la rendant plus vulnérable aux traumatismes. Toutes les catégories de la population sont concernées, des seniors aux enfants, en passant par les actifs, notamment les employés assis de longues heures devant un écran. Une étude du Swiss Federal Institute of Technology de Zurich montre que la station debout prolongée mène aussi à l’accumula-tion de fatigue musculaire. Au fil des jours, elle peut engendrer des troubles musculo-squelettiques et des maux de dos.

La sédentarité

Le surpoids

24

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FOCUS DOS

MOTS DE DOS

Atlas et axisLes deux vertèbres au sommet de la colonne vertébrale. L’atlas supporte la boîte crânienne et l’axis lui permet de pivoter.

Disques intervertébrauxDes structures cartilagineuses et fibreuses situées entre les vertèbres. Elles contribuent à l’amortissement des chocs.

Courbes vertébralesUne colonne vertébrale en bonne santé d’un adulte comporte, de profil, quatre courbes: deux lordoses (vers l’intérieur) au niveau des cervicales et des lombaires, et deux cyphoses (vers l’extérieur) au niveau du thorax et du sacrum. Cette sinuosité permet la stabilité du squelette et aide à l’absorption des chocs.

CoccyxIl s’agit de l’os situé à l’extrémité de la colonne vertébrale. Il serait un vestige de la queue qu’avaient les ancêtres de l’être humain.

SacrumEn forme de pyramide inversée, cet os, au niveau du bassin, est formé par la soudure de cinq vertèbres.

Canal rachidienConstitué par l’empilement des vertèbres, toutes «trouées» en leur centre, ce conduit renferme et protège la moelle épinière, le cœur du système nerveux.

ERAX

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FOCUS DOS

SE MUSCLERLes exercices de muscula­

tion du dos sont très nombreux. Parmi eux, le gainage cible les muscles profonds et, lorsqu’il est

pratiqué régulièrement et correctement, garantit de bons résultats. La version

classique consiste à se positionner face au sol, en appui sur les pointes des pieds et les avants­bras, coudes à l’aplomb des

épaules. Plus on tient la position, plus on se muscle.

S’ÉCHAUFFERAvant de commencer une

activité qui va solliciter le dos, qu’il s’agisse de

jardinage, repassage ou bien sûr de renforcement

musculaire, il est utile d’échauffer les muscles

dorsaux. A quatre pattes, les bras en appui au sol, il

suffit par exemple de passer, une trentaine de fois, d’un dos rond à un dos creux. La tête doit être alignée

avec la colonne vertébrale afin qu’elle puisse suivre

son mouvement.

plus précise, nous pouvons pratiquer une chirurgie beaucoup plus fine et optimale. Statistiquement parlant, il est actuellement bien plus fiable de se faire opérer d’une hernie discale que de conduire sur l’autoroute.»

D’ici à une dizaine d’années, Viktor Bartanusz prévoit une nouvelle évolution: «Les chirurgiens orthopé­diques travailleront conjointement avec les neurochi­rurgiens sur les pathologies de la colonne vertébrale. A l’avenir, ces deux spécialités fusionneront. Cela per­mettra certainement d’améliorer encore la qualité de nos interventions.»

L’ARRIVÉE DE LA ROBOTIQUELes chirurgiens du dos bénéficieront à l’avenir de plus en plus de l’aide de robots. En décembre 2015, au Centre universitaire d’Amiens­Picardie (France), une hernie discale a été opérée pour la première fois en utilisant une plateforme technologique développée par l’entre­prise française Medtech. Baptisée «Rosa Spine», la machine, équipée d’un bras articulé, vise à sécuriser et stabiliser l’acte du chirurgien.

L’entreprise lausannoise KB Medical prépare aussi la commercialisation de son robot AQrate, spécialisé dans la chirurgie du rachis. «Nous négocions actuellement avec de grands groupes de distribution, notamment en Allemagne et aux Etats­Unis, explique Jean­Marc Wis­mer, le CEO. La chirurgie mini­invasive réalisée grâce à un système robotisé permet d’effectuer des incisions plus petites et plus précises. Elle offre ainsi au patient une convalescence plus rapide. Globalement, les risques pouvant apparaître durant la chirurgie sont réduits.»

DES INNOVATIONS HIGH-TECH

T-SHIRTS INTELLIGENTS ET PACEMAKERS DORSAUX

e «marché du mal de dos», dont les poten­tiels clients sont donc nombreux, éveille aussi l’innovation du côté des start­up, qui se lancent dans le développement de dispo­sitifs qui promettent de soulager les souf­

frances. Parmi elles, Percko, basée à Paris, a beaucoup fait parler d’elle en développant un t­shirt composé de capteurs qui corrige les mauvaises positions. Telle une seconde peau en fibres légères, le vêtement sti­mule son porteur lorsqu’il se tient mal et l’invite à corriger sa posture grâce à un système de tenseurs

SE DÉTENDRELes muscles du dos

doivent être régulièrement détendus. Pour décontracter

la région lombaire par exemple, il faut s’allonger et reposer ses jambes sur un support plus élevé, tel qu’un tabouret. Les bras doivent être étendus, la

paume orientée vers le sol. Le bienfait de cette position

réside dans l’absence de pression totale pour le dos.

L’inclinaison du bassin étire les lombaires et leur

ôte toute tension.

MIEUX S’ASSEOIRRester assis plusieurs heures face à un écran

risque de provoquer des contractions musculaires.

Idéalement, les talons doivent être sous les genoux

(les jambes ne sont donc pas croisées), les lombaires

sont plaquées contre le siège et le poids du corps repose sur les ischions,

les os inférieurs du bassin. Le milieu du dos est

naturellement légèrement en avant. Les épaules sont relâchées, les coudes sont libres. Se lever et bouger régulièrement est aussi

fortement recommandé.

Prendre soin de son dos

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27

FOCUS DOS

Près de deux heures et 30 minutes

par jour: c’est le temps que passe en moyenne chaque individu

sur son smartphone, selon la société d’études américaine Millward Brown. Si, pendant ce laps de temps, l’usager prend du plaisir à écrire des SMS ou à surfer sur son blog préféré, la nuque, elle, souffre en silence. Une étude récemment publiée dans la revue spécialisée «Surgical Technology International» explique en effet que lorsqu’un individu penche la tête en avant – la position habituelle pour consulter un téléphone portable – la pression exercée sur ses cervicales augmente. L’auteur de l’étude, le chirurgien du dos américain Kenneth Hansraj précise que plus l’inclinaison est importante, plus la charge est lourde.

«La tête d’un adulte pèse en moyenne 4,5 à 5,5 kg, écrit-il. En position droite, ce poids est naturellement réparti et supporté par la colonne vertébrale. Mais une légère inclinaison de la tête de 15° vers l’avant suffit à faire plus que doubler la masse qui pèse sur les cervicales, soit plus de 12 kg. Penchée à 30°, la tête pèsera l’équivalent de 18 kg; à 45°, elle pèsera 22 kg et à 60°, près de 30 kg sont atteints...» A cause de cette surcharge, de nombreux accros du smartphone se plaignent de douleurs dans la nuque. Ce phéno-mène, qui prend de l’ampleur, a été baptisé «le syndrome du text-neck». Les médecins sont formels: il faut éviter d’incliner la tête pendant de longues minutes, et faire en sorte d’avoir les oreilles alignées avec les épaules, lorsque l’on utilise un smartphone.

Le syndrome

des accros du SMS

15°

12 k

g

0°5

kg

30°

18 kg

45°

22 kg

60°

30 kg

intégrés dans le tissu, le long de la colonne vertébrale, au niveau des épaules et du thorax. «Nous souhaitons écouler 10’000 pièces en 2016 pour un chiffre d’af­faires d’environ 1 million d’euros», détaillent Quentin Perraudeau et Alexis Ucko, les deux jeunes ingénieurs à l’origine du projet.

L’objectif semble réalisable tant l’intérêt pour le t­shirt de Percko, vendu 129 euros pièce sur internet et divers points de vente, a été immédiat: fin 2015, la start­up a levé plus de 385’000 euros sur la plate­forme de crowdfunding Kickstarter auprès de 3’325 contributeurs. Parmi eux se trouvent une dizaine d’entreprises qui voient le produit comme un acces­soire utile au bien­être de leurs salariés.

La posture des employés, immobiles pendant de lon­gues heures face à un écran, est souvent désignée comme l’une des causes principales des maux de dos. «En position assise, la tension augmente dans les muscles profonds de la colonne vertébrale et charge notamment les disques intervertébraux», confirme le posturologue Olivier Girard, chef du pôle des services et ergonome à l’Institut universitaire romand de san­té au travail (IST), à Epalinges. Pour le spécialiste, adopter une position confortable et ergonomique (voir page 26) est donc primordial. «Ce n’est pas suf­fisant pour protéger son dos, ajoute­t­il. Après 30 à 40 minutes, il est nécessaire de changer de posture. Cela n’exige pas de s’arrêter de travailler: pensez à téléphoner debout, à imprimer un document sur une machine située à quelques mètres de votre bureau, ou allez voir vos collègues proches plutôt que de leur écrire un e­mail ou de leur téléphoner.»

Un autre dispositif, développé par la société cotée irlandaise Mainstay Medical, est aussi supposé pou­voir soulager les douleurs. Il s’appelle ReActiv8 et fonctionne comme une sorte de pacemaker: deux électrodes sont posées de chaque côté de la colonne vertébrale d’une personne souffrant de lombalgie chronique, et sont reliées à un implant qui génère de petites impulsions électriques pour stimuler les nerfs responsables de la contraction des principaux muscles stabilisateurs du bas du dos. En février 2016, l’entreprise a annoncé des résultats positifs de ses essais cliniques et prévoit d’initier prochainement la phase de commercialisation.

«Si ces innovations soulagent les patients, tant mieux, note le rhumatologe Iohn Norberg. Mais il ne faut pas se reposer sur ces dispositifs et oublier le conseil de prévention et de guérison le plus naturel et le plus efficace: bougez!» ⁄

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28

«Depuis 2003, près de 30 coronavirus ont été découverts. Cela ne représente

encore qu’une infime portion. Il y en a encore énormément à recenser.»

PATRICK WOO

MENS SANAC

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MENS SANA INTERVIEW

PATRICK WOO Le chercheur chinois est l’un des premiers à s’être lancé dans la découverte de nouvelles souches virales. Pour In Vivo, il décrypte les enjeux de son travail.

Professeur au sein du Département de microbiologie de l’Uni-versité de Hong Kong, Patrick Woo s’est donné pour mission de découvrir de nouveaux virus capables de passer de l’ani-mal à l’homme. Il a fait partie de l’équipe qui a découvert le virus du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) à l’ori-gine d’une épidémie en 2003. Il raconte sa quête, alors que le H5N6, un nouveau virus mortel de la grippe, fait ses premières victimes en Chine.

IV Comment cherchez-vous de nouveaux virus? PATRICK

WOO Je parcours Hong Kong, la Chine et d’autres pays à la recherche d’échantillons animaliers et humains à analyser en laboratoire. Je me focalise sur les corona-virus, (une famille comptant un grand nombre de virus qui peuvent provoquer des maladies très di-verses chez l’homme, ndlr), ce qui me pousse à pri-vilégier les espèces porteuses de ce genre de virus, comme les chauves-souris. Je concentre en outre mes efforts sur les animaux qui sont le plus en contact avec les humains. Il arrive aussi qu’un hôpital m’avertisse lorsqu’il a un patient avec une pneumonie dont la cause virale n’a pas pu être identifiée par les examens de laboratoire, car elle ne ressemblait à aucun virus connu. On va alors prélever un échantillon sur ce malade pour l’analyser.

IV Comment analyse-t-on ces échantil-lons? PW Il y a deux façons de les étudier. La

première consiste à utiliser une technologie moléculaire traditionnelle. On va se servir

d’une séquence d’ADN hautement conservée pour amplifier certains fragments du génome

du virus. Cela permettra de séquencer ces mor-ceaux d’ADN. Une autre approche plus récente, la métagénomique, a pour but de séquencer l’en-

semble du matériel génétique contenu dans l’échantillon qui nous intéresse. Dans les deux cas,

on va ensuite confier ces séquences d’ADN à un or-dinateur pour qu’il les analyse et examine si on a af-

faire à un nouveau virus ou pas.

IV Comment procède-t-il pour repérer un nouveau virus? PW L’ordinateur va comparer l’ADN contenu

dans nos échantillons aux génomes de tous les virus connus. Ceux-ci sont répertoriés dans une base de don-nées américaine appelée Gene Bank, ouverte à tous les

chercheurs qui souhaitent y introduire une nouvelle sé-quence d’ADN. Cette analyse livrera une liste de virus

dont le génome est semblable à celui de nos échantillons, ainsi que le pourcentage de similitude. A nous de détermi-

ner si celui-ci est suffisamment bas pour affirmer qu’on se trouve bien en présence d’un nouveau virus.

«Je chasse les virus à travers le monde»

INTERVIEW: JULIE ZAUGG

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MENS SANA INTERVIEW

IV Pouvez-vous nous donner un exemple de découverte ré-cente? PW Suite à l’émergence du coronavirus lié au syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS), j’ai décidé de me rendre à Dubaï pour récolter des échantillons sur les cha-meaux, l’animal à l’origine de la transmission à l’homme de ce nouveau virus. Leur analyse nous a permis de découvrir toute une série de nouveaux virus chez les chameaux. L’un d’entre eux provoque une forme d’hépatite E. Peu de temps après, un cas de cette maladie a été rapporté à Singapour auprès d’une personne qui avait subi une transplantation du foie. Or, ce patient consommait régulièrement du lait et de la viande de chameau. Il est impossible d’affirmer, à ce stade, s’il existe une corrélation entre ce comportement et l’hépatite qu’il a développée, mais nous le soupçonnons.

IV Vous avez contribué à la découverte du virus du SRAS. Racontez-nous comment vous avez procédé. PW Lorsque l’épidémie est apparue il y a 12 ans, nous n’en connaissions pas la cause. Nous nous sommes alors mis à travailler sur des échantillons récoltés sur plusieurs patients affectés par cette maladie, notamment sur un homme qui s’était rendu à Hong Kong après avoir l’avoir contractée en Chine. Nous avons cultivé le virus contenu dans son échantillon sous forme de lignée de cellules. Cela nous a permis d’établir qu’il s’agissait d’un nouveau coronavirus, puis de détermi-ner sa structure génétique.

IV Quelles ont été les conséquences de cette avancée? PW Au moment de l’émer-gence du SRAS, peu de chercheurs travail-laient sur la découverte de nouveaux virus. La culture du pathogène en laboratoire était la seule méthode à disposition à cette époque. Or celle-ci est lente et peu efficace. Certains virus sont très difficiles à cultiver sous forme de lignée de cellules, car ils ont besoin d’un organisme pour se reproduire. Mais suite à cette épidémie, les scientifiques se sont rendu compte qu’il y avait encore énormément de virus dont on ignorait l’existence et ont développé des outils molé-culaires et métagénétiques, plus perfor-mants, pour les répertorier. Le nombre de nouveaux virus découverts a alors explosé. Avant 2003, on ne connaissait que deux

coronavirus humains, découverts dans les années 60. Mais rien qu’en 2004 et 2005, on en a trouvé deux autres, dont un à l’Uni-versité de Hong Kong.

IV Où se trouvent les principales lacunes dans notre connaissance? PW Du côté des coronavirus. Avant le SRAS, on n’avait sé-quencé le génome que d’une dizaine de ces pathogènes. Entre 2003 et aujourd’hui, on en a découvert 20 à 30 autres. Mais on n’en connaît encore qu’une infime portion...

IV Sait-on comment les virus font pour passer de l’animal à l’homme? PW Oui. Le matériel génétique

d’un virus évolue constamment, par muta-tions ou par recombinaisons. Parfois, ces transformations débouchent sur la modifi-cation des protéines contenues en son sein: elles développent la capacité de s’arrimer aux récepteurs d’une cellule humaine et la transmission de l’animal à l’homme devient possible. Il arrive aussi que ce saut entre les espèces passe inaperçu. On a l’impression d’avoir affaire à un nouveau virus, alors qu’il se transmet à l’homme depuis belle lurette. C’est le cas des deux nouveaux coronavirus humains découverts en 2004 ou 2005.

IV Comment fait-on pour passer à côté d’un élément d’une telle importance? PW

On ne sait de loin pas tout ce qui se passe dans nos hôpitaux et encore moins dans la population. Le virus à l’origine d’une pneu-monie est identifié dans moins de la moitié des cas. Dans les autres, on ignore ce qui a

BIOGRAPHIEEn 1997, Patrick Woo rejoint le Département de microbiologie de l’Université de Hong Kong. Huit ans plus tard, il identifie le rhinolophe, une espèce de chauve-souris présente en Chine, comme la source de l’épi-démie de SRAS, et découvre le HKU1, un coro-navirus humain qui provoque des pneumonies. En 2013, il se rend à Dubaï pour prélever des échantillons sur des chameaux, ce qui lui permettra d’identifier cinq nouveaux virus. Il répertorie une autre sorte de coronavirus en 2014, découverte chez le dauphin.

«LE MATÉRIEL GÉNÉTIQUE D’UN VIRUS ÉVOLUE CONSTAMMENT.»

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MENS SANA INTERVIEW

causé la maladie. Comme le patient s’en re-met en général, on n’investigue pas plus loin. Or, la plupart de ces pneumonies mystères sont sans doute causées par des virus qui n’ont pas encore été répertoriés.

IV Et une fois un nouveau virus découvert, que peut-on faire? PW Cela dépend du virus. S’il se contente d’infecter les animaux, sans doute rien. En revanche, si on a affaire à un virus très pathogène pour l’homme, on va l’étu-dier pour comprendre comment il se transmet, comment il suscite la maladie et quels types de symptômes il provoque. A terme, cela devrait nous permettre de développer un traitement et des outils diagnostiques ou de prévention.

IV Avez-vous un exemple? PW Il y a dix ans, nous avons découvert un nouveau coronavirus humain à l’Université de Hong Kong, intitulé HKU1, qui était très proche du virus de l’hépatite chez la sou-ris. Des chercheurs d’autres pays ont alors commen-cé à le chercher dans leurs populations. On l’a trou-vé notamment aux Etats-Unis, en Australie et en France. Cette large distribution géographique a mo-tivé la recherche d’un traitement et d’un diagnostic pour ce virus.

IV Comment prévenir la diffusion d’un nouveau vi-rus? PW Lorsqu’il n’existe pas de vaccin ou de traite-ment prophylactique, la seule manière de s’en prémunir est de limiter l’exposition aux vecteurs de la maladie. Par exemple, si on sait qu’un virus est transmis par un moustique, on va encourager la population à s’en proté-ger. De même, lors de l’épidémie de SRAS, les autorités ont initié une campagne pour convaincre les gens de ne plus manger certains animaux sauvages, comme les ci-vettes, à l’origine de nombreuses infections. Et lors de l’épidémie de H5N1 en 1997, le gouvernement hongkon-gais a fait abattre tous les poulets de la ville.

IV Que sait-on du nouveau virus de la grippe H5N6? PW

On en sait encore très peu, car les premiers cas ont tout juste commencé à apparaître. Il est encore trop tôt pour détermi-ner comment il évolue chez l’humain et avec quelle rapidité. On ignore aussi quel est son réservoir animal.

IV Comment ce nouveau virus de la grippe est-il né? PW Le génome du virus de la grippe est segmenté, c’est-à-dire qu’il se compose de huit morceaux d’ADN différents, contraire-ment à celui des coronavirus qui est d’une seule pièce. Il arrive donc fréquemment que deux virus de la grippe s’échangent des bouts de matériel génétique lorsqu’ils infectent la même cellule. Par exemple, si le virus H1N1 rencontre le virus H2N3, ils pourraient s’échanger de l’ADN et former un virus H1N3, qui serait alors un nou-veau virus. Ce phénomène de recombinaison génétique se passe fréquemment chez les oiseaux, qui sont le réser-voir naturel de la grippe. Et parfois, le nouveau virus qui naît de ces échanges peut se transmettre à l’homme, comme H5N6.

IV Tant le H5N6 que le SRAS et le H5N1 sont appa-rus dans le sud de la Chine. Y a-t-il une raison pour cela? PW On n’a pas de certitudes, seulement des hy-pothèses. L’une d’entre elles a trait aux habitudes alimentaires de la population dans le sud de la Chine. Elle mange beaucoup de viande, mais privi-légie les aliments frais. Cela signifie que les mar-chés dans cette partie du monde abritent énormé-ment d’animaux vivants, ce qui multiplie les risques de contacts entre l’homme et le règne ani-mal et donc les possibilités de transmission d’un virus entre les espèces.

IV Qu’est-ce qui vous a poussé à vous intéresser à la découverte de nouveaux virus? PW Lorsque j’ai rejoint le Département de microbiologie de l’Université de Hong Kong, il y a 20 ans de cela, je me suis consacré à l’étude des infections sur les patients ayant subi une transplantation de la moelle osseuse. Un jour, je suis tombé sur une bactérie que nous ne parvenions pas à identifier. J’ai donc décidé d’utiliser une méthode molécu-laire pour la répertorier. Cela m’a donné envie de partir à la recherche d’autres bactéries nou-velles. Je me suis servi pour cela des multiples échantillons entreposés à l’hôpital, récoltés sur des patients infectés par un pathogène inconnu. Ces «archives» m’ont permis de découvrir 10 à 20 nouvelles bactéries. Et lorsque l’épidémie de SRAS a frappé en 2003, j’ai troqué les bactéries pour les virus.

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ans le film Lucy de Luc Besson, Scarlett Johansson absorbe malencontreusement un produit de synthèse qui décuple ses capacités cognitives, la rendant capable de lire le contenu d’une bibliothèque en quelques secondes. Il lui donnera même la capacité de disparaître face à de méchants mafieux… Cela n’est certes que fiction. Mais pas complètement: certaines drogues et médicaments peuvent effectivement accroître considérablement la concentra-tion et les facultés intellectuelles. «La ritaline est la substance la plus utilisée pour augmenter ses performances, explique la directrice de l’Institut romand de la santé au travail, Brigitta Danuser. J’en ai moi-même pris une fois pour me rendre compte de ce que cela produisait et j’ai travaillé pendant six heures sans pause, sans me sentir fatiguée. Jamais je n’aurais pensé que ce produit pouvait avoir un tel effet.»

En Suisse, l’usage de substances permet-tant de booster les capacités cognitives concernerait près de 20’000 personnes aujourd’hui. Ce chiffre provient d’une enquête commanditée par la caisse nationale d’assurance SUVA, effectuée en 2013 par l’Institut de recherche sur la santé publique et les addictions à Zurich. Ces substances, que l’on appelle «smart drugs» ou «nootropiques» (de «noos» esprit et «tropos», courber, en grec), vont du cocktail de vitamines à la cocaïne, en passant par la caféine ou les amphéta-mines. Les consommateurs de ces dopants ont hérité du surnom de «nootnaut».

Pour ce sondage, un questionnaire a été soumis à plus de 10’000 personnes, actives ou en formation, âgées de 15 à 74 ans et domiciliées en Suisse. L’étude révèle que 4% des sondés ont eu recours au moins une fois à des drogues ou médicaments soumis à ordonnance, sans motif théra-peutique, pour se remonter le moral ou améliorer leurs capacités cognitives. Le dopage à l’aide de ces substances touche en majorité les jeunes âgés de 15 à 24 ans

MENS SANA TENDANCE

LES PILULES QUI RENDENT INTELLIGENT Les «smart drugs», des substances qui augmentent les facultés cognitives, sont très en vogue autant chez les étudiants que chez certains professionnels. Une forme de dopage qui peut virer à l’addiction.

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LES AMÉRIN-DIENS AUSSIL’usage de subs-tances dopantes n’est pas un phé-nomène propre à nos sociétés. En Amérique latine, la consommation de feuilles de coca pour aug-menter ses capa-cités physiques et cognitives remonterait à près de 5’000 ans. Sa consom-mation est aussi mentionnée dans des écrits de conquérants espagnols au XVIe siècle, qui d’abord condam-nèrent la plante, la qualifiant de «satanique», pour ensuite l’encourager, constatant son ef-ficacité en termes de rentabilité sur les travailleurs.

D

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MENS SANA TENDANCE

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MENS SANA TENDANCE

(24%). Hormis les produits vendus légalement en pharmacie (vitamines, caféine) ou les substances illégales achetées sous le manteau, les personnes interrogées se sont fournies en médicaments contre les troubles de l’attention majoritairement auprès de leurs amis (53,8%).

CHEWING-GUMS DOPANTSLa consommation des smart drugs n’est pas un phénomène helvétique. Aux Etats-Unis et en Angleterre, des sociétés se sont spécia-lisées dans la revente de pilules «boos-tantes». «Chez Nootrobox, nous dévelop-pons des nootropiques naturels à base de substances qui ont passé l’évaluation de la Food and Drug Administration, explique Gavin Banks, responsable branding et marketing de cette start-up basée en Californie. Proposés sous forme de pilules ou de gommes à mâcher, ils sont vendus dans six pays (Allemagne, Angleterre, Canada, Mexique, Espagne, Etats-Unis), où la législation en vigueur rend leur commercialisation compatible.»

Faut-il s’inquiéter du succès de ces substances? Les risques surviennent lorsqu’un consommateur devient dépen-dant de certaines d’entre elles – les vitamines ne sont par exemple pas néfastes, alors que des produits comme les amphéta-mines ou la cocaïne peuvent le devenir. «Pour évaluer un problème d’addiction, il faut s’intéresser au type de substance prise, à l’usage qui en est fait, à la personnalité des consommateurs et au contexte de cette consommation», détaille Jacques Besson, chef du Service de psychiatrie communautaire du CHUV. Si une personne prend des stimulants pendant une courte durée pour réussir des examens, qu’elle n’est pas déprimée et que sa vie se déroule normalement, il ne s’agit alors que d’un usage récréatif et épisodique, sans addiction. «Mais il est clair que si une personne prend

des substances sur la durée pour soigner ses problèmes, cette personne abuse alors du produit et sa consommation va poser des problèmes sur son état de santé physique, psychique, sociale et mentale.»

DETTE MÉTABOLIQUEIl existe trois grandes familles de produits addictifs. Les substances sédatives (alcool, tranquillisants, héroïne) utilisées par des individus pour se retirer et calmer leurs angoisses. Le deuxième groupe – c’est là que l’on retrouve les smart drugs – sont les stimulants. «Les amphétamines provoquent une augmentation de la dopamine et de la noradrénaline», poursuit Jacques Besson. Les gens qui en prennent régulièrement détruisent moins vite ces deux substances dans leur cerveau, les accumulent et en ont plus à disposition. «Les consommateurs sont artificiellement boostés au niveau dopamine, ce qui leur donne une forme de plaisir, de sentiment agréable alors que la noradrénaline augmente leur énergie. Mais ils contractent aussi une sorte de dette métabolique.» Après une période soutenue de prise d’amphétamines, les consomma-teurs aboutissent à des états d’épuisement.

«En addictologie, nous nous intéressons aux personnalités qui se stimulent pour passer un examen ou tenir le coup au travail, continue Jacques Besson. Nous nous penchons sur leurs antécédents traumatiques, leurs troubles anxieux ou encore dépressifs. Quand on cherche les causes d’une addiction, on trouve souvent des antécédents de traumas. Ceux-ci perturbent la personnalité et l’organisation des relations. Les substances viennent alors réguler les émotions.» Pour le psychiatre, lorsque des personnes consomment ces substances pour soigner leurs angoisses, une prise en charge est nécessaire. «Il faut en parler à son médecin généraliste, qui saura conseiller et rediriger si besoin.» ⁄

L’effet des «smart drugs»

Ces substances affectent des molécules présentes dans le cerveau:

LA DOPAMINEIl s’agit d’un neu-rotransmetteur – un composé chimique libéré par les neurones – de première importance. La dopamine est libérée par le cerveau lors d’expériences que celui-ci associe au plaisir comme les rela-tions sexuelles ou la consommation de drogues.

LA NORADRÉ-NALINECette substance fait partie des neuromédiateurs, son rôle est de transmettre des messages via les nerfs à différents composants de l’organisme lors de nombreux processus physiologiques. Elle joue un rôle d’amplificateur des perceptions et des stimulis externes.

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MENS SANA INNOVATION

Les «serious games» commencent à s’imposer auprès des patients et des soignants.

L’offre s’étoffe en Suisse, portée par des hôpitaux

et hautes écoles.

BASÉE SUR UNE HISTOIRE VRAIE, LE JEU «THAT DRAGON CANCER» EXPLORE LE QUOTIDIEN DE LA FAMILLE GREEN, DONT LE JEUNE FILS

JOEL EST ATTEINT D’UN CANCER.

TEXTE: SÉVERINE GÉROUDET

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MENS SANA INNOVATION

Dans une ville fictive, Alex Londres mène l’enquête. Il doit retrouver le professeur Birman, un scientifique qui a été kidnap-pé. Les énigmes se succèdent, et le héros, diabétique, doit surveiller sa glycémie tout au long de son aventure. Disponible sur la plateforme en ligne Gluciweb, ce jeu vidéo, baptisé «L’affaire Birman», est un support d’éducation thérapeu-tique pour l’insulinothérapie. Le joueur dispose d’un stylo à insuline, d’un glucomètre – appareil permettant de mesurer le taux de glucose dans le sang –, d’une réserve de sucre et de diverses collations. Tout en gérant la glycémie de son personnage au fil de l’intrigue, le patient diabétique se familiarise avec son propre traitement.

«L’affaire Birman» est un serious game. Le terme désigne un programme qui utilise le principe du jeu pour atteindre un objectif sérieux, comme éduquer ou informer. «Les serious games existent depuis de nombreuses années, notamment dans le domaine du management, mais ce n’est que récemment qu’ils ont fait leur entrée dans la sphère médicale, relève Dominique Jaccard, directeur de l’équipe de recherche d’Albasim, un laboratoire de la Haute école d’ingénierie et de gestion du canton de Vaud (HEIG-VD) qui développe des serious games dans divers domaines. L’intérêt d’une approche ludique a mis du temps à intégrer le domaine de la santé, à cause de nombreux a priori

1LES ADVERGAMES

objectif: prévenir et sensibiliser.

exemple: «Ce soir il conclut», destiné aux jeunes de 18 à 25 ans,

présente les risques liés à la consommation excessive d’alcool.

www.cesoirilconclut.com

2LES EXERGAMESobjectif: entraîner

et rééduquer.exemple: «Voracy fish»,

programme ludique de rééducation post-AVC. Le joueur incarne un

petit poisson qu’il dirige avec son bras.

www.voracy.com

3LES IMMERSIVEGAMES

objectif: immerger le joueur dans un contextevirtuel pour le confronter à une situation concrète.

exemple: Dans «Ludo-medic», le patient est

plongé dans le monde de l’hôpital pour se fami-liariser avec cet univers.

www.ludomedic.com

4LES HEALTHCARE

GAMESobjectif: éduquer

et former.exemple: «Théo et les pso-rianautes» a pour objectif d’aider les enfants atteints de psoriasis à bien vivre

avec cette maladie. www.theoetlespsoria-

nautes.fr

3

1 2

4

À CHAQUE JEU SON «INTENTION SÉRIEUSE»

Le domaine de la santé utilise différentes formes de «serious games»:

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MENS SANA INNOVATION

sur le côté jeu, qui pour beaucoup ne pouvait pas s’allier à un propos sérieux.»

DAVANTAGE DE MOTIVATIONCes supports séduisent de plus en plus la formation médicale. «Nous essayons de mêler enseignement traditionnel et serious game, indique Dominique Truchot-Cardot, médecin et professeure ordinaire HES à la Haute école de santé La Source, à Lausanne. Nos étudiants font partie de la génération des digital natives et sont friands de ce genre de programmes qui les mobilisent et les mo-tivent.» Ces logiciels permettent notamment aux étudiants de se confronter de manière virtuelle à des situations réelles du métier. Référence en la matière, le jeu américain «Pulse!» est l’un des premiers serious game conçu pour le domaine médical. Les futurs médecins doivent y prendre les bonnes décisions pour sauver la vie d’un patient virtuel.

L’école La Source utilise actuellement un serious game développé en collaboration avec le laboratoire Albasim. Il s’agit d’un jeu sur l’évaluation clinique cardiaque. Une simulation virtuelle confronte le joueur à un patient qui arrive aux urgences avec une douleur dans la poitrine. «Le programme a pour objectif de développer la capacité à prendre en charge le patient de manière globale, explique Dominique Jaccard, directeur du laboratoire. Le

joueur peut poser des questions à son patient et lui faire passer des tests. Il doit ensuite interpréter les résultats pour déterminer les actions à effectuer.»

Cette approche ludique s’avère également fructueuse auprès des patients. Elle permet aux malades de s’impliquer davan-tage dans leur traitement et booste leur motivation et leur observance. «On assiste actuelle-ment à un changement de paradigme, relève Dominique Truchot-Cardot. Les patients souhaitent devenir acteurs de leur santé et gagner en autono-mie. Les soignants doivent aujourd’hui s’adapter à cette demande et l’intégrer dans leurs pratiques.»

Beaucoup de ces jeux vidéo «sérieux» ciblent les jeunes patients souffrant d’une maladie chronique, comme le diabète ou le psoriasis, pour leur permettre d’apprivoiser leur traitement ou de mieux vivre leur maladie au quotidien. Souvent disponibles

en ligne ou téléchargeables, ils constituent un bon support pour le traitement à domicile. Le plus souvent, ils proposent une synthèse du comportement thérapeutique du joueur, exportable vers le médecin référent. Les enfants ne sont pas les seuls concernés, les serious games s’adressent également aux adultes ou aux personnes âgées. De nombreux programmes sont notamment développés pour prévenir les chutes des aînés. D’autres permettent aux proches de mieux appréhender la maladie de l’être aimé, comme le jeu «That Dragon Cancer» (voir encadré).

DÉMOCRATISATION Certains jeux, initialement conçus sans «intention sérieuse», sont également détournés pour poursuivre un but thérapeutique. On parle alors de «serious modding» ou «serious diver-ting». La «Wii Fit Board», un accessoire de la console Wii de Nintendo, s’est par exemple révélée être un outil intéressant

LA LUTTE CONTRE LE CANCER À TRAVERS UN JEU

«That dragon cancer» est un jeu développé par Ryan Green autour du combat de son jeune fils

Joel contre le cancer. Ce «serious game» explore le quotidien de l’enfant face à la maladie et les

épreuves que sa famille affronte avec lui. Le joueur interagit avec les soignants et les membres

de la famille dans le but de l’aider pendant son traitement. Le projet a été développé autour d’un texte de la maman de Joel, écrit pour expliquer la maladie de son fils à ses quatre jeunes garçons. La famille Green a non seulement voulu partager son vécu, mais aussi permettre aux malades et à leurs proches traversant la même épreuve de

mieux appréhender la maladie.VOIR TÉMOIGNAGE SUR WWW.INVIVOMAGAZINE.COM

Page 40: In Vivo #8 FRA

38

MENS SANA INNOVATION

DAVI

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pour la rééducation motrice. La physiothérapeute et chercheuse à la Haute école de santé de Genève, Lara Allet, a mené une étude sur l’apport de ce support dans la guérison des entorses de cheville et la prévention des récidives. «La Wii Fit Board contient plusieurs jeux efficaces pour la rééducation, explique-t-elle. Elle permet de varier les exercices et de motiver davantage certains patients. Cependant, il ne s’agit que d’un complément. Il nécessite un suivi médical et ne peut pas se substituer au traitement.»

Actuellement l’offre en matière de serious game provient surtout de l’étranger. Un problème dans certains cas, notamment lorsque les règles et protocoles de soins diffèrent d’un pays à l’autre. Certains supports ne peuvent donc pas être utilisés en Suisse. Mais l’offre helvète se développe de plus en plus. «Les technolo-gies évoluent et le coût de développement diminue. Il a été divisé par cinq en dix ans, relève Dominique Jaccard. La conception de serious game va s’accroître.» Développés jusqu’à aujourd’hui en grande partie par des laboratoires pharmaceu-tiques, les jeux disponibles sur le marché sont encore coûteux et protégés par des licences, «mais cela est en train de se démocrati-ser, indique Dominique Truchot-Cardot. Les hautes écoles et les hôpitaux se mettent à développer leurs propres serious games pour améliorer la formation ou le traitement et la prise en charge des patients.» ⁄

«UN EXERCICE FASTIDIEUX DANS LE MONDE RÉEL DEVIENT CAPTIVANT DANS UN MONDE VIRTUEL»

Pour Rolf Frischknecht, l’approche ludique encourage le patient à s’investir dans sa thérapie.

En partenariat avec les hautes écoles de Genève, Lausanne, Yverdon et Neuchâtel, le CHUV développe un projet qui associe la technologie du robot Lambda Health System à l’utilisation de «serious games». Ce dispositif est destiné avant tout à la réhabilitation de la motricité après une lésion du système nerveux.

IV Vous êtes le porteur du projet Lambda Health System (LHS) depuis les années 2000, quelle est la fonction de ce robot?RF Le LHS vise à maintenir et restaurer les fonctions motrices des membres inférieurs après une lésion du système nerveux. Son interface personnalisable permet de programmer des exercices thérapeutiques sur mesure. Sa force est de pouvoir reproduire un nombre infini de mouvements identiques, ce qui convient parfaitement pour le réapprentissage moteur.

IV Pourquoi avoir voulu allier la technologie de ce robot avec des «serious game»?RF Il est important que le patient participe aux thérapies de manière effective, mais les exercices de réapprentis-sage moteur sont répétitifs et lassants. La motivation et la concentration des patients en souffrent. Les «serious games» permettent de transformer un exercice fastidieux dans le monde réel en une activité captivante et motivante dans un monde virtuel. Grâce à un casque qui les plonge dans une autre réalité, les mouvements du patient (accompagnés par le robot) prennent sens. De plus, l’utilisation de la réalité virtuelle permet de travailler des fonctions cognitives en même temps.

IV Quels sont les prochains buts du projet?RF Nous voulons développer pour le LHS un exercice de marche couchée, mais qui, grâce à la réalité virtuelle, per-mettra au patient de se projeter debout. Non pratiquée, la marche peut s’oublier très vite, notamment suite à une lésion cérébrale. Il faut donc pourvoir à son maintien très précocement. Nous cherchons également à créer des «serious games» qui induisent une activation optimale des neurones miroirs afin de renforcer l’apprentissage moteur autant par l’observation que par l’action.

ROLF FRISCHKNECHT EST MÉDECIN AGRÉÉ AU SERVICE DE NEUROPSYCHOLOGIE ET DE NEURORÉHABILITATION DU CHUV.

Page 41: In Vivo #8 FRA

MENS SANA CHRONIQUE

«Piment de la vie ou baiser de la mort». Le sous-titre du premier grand

rapport sur le stress au travail publié en 1999 par la Commission européenne

posait bien le problème. Le stress, étudié scientifiquement depuis plus

de 80 ans, est la réaction naturelle que nous déclenchons chaque fois que nous nous trouvons dans une situation difficile, contraignante ou menaçante.

Cette réaction est complexe, associant des modifications de nos hormones et de notre corps, une exacerbation de nos émotions et

des changements de nos comportements. Elle a, à la base, une seule finalité, celle de

nous adapter à cette situation, d’y faire face efficacement. Mais à partir d’un certain seuil, quand cette réaction de stress est trop intense ou trop chronique, elle perd de son utilité ini-tiale pour devenir un risque pour notre santé.

On estime qu’entre 20 et 25% des salariés souffrent aujourd’hui du stress au travail. Tous les secteurs d’activité sont concernés, de même

que toutes les populations, des employés et ouvriers aux cadres et dirigeants. Or l’«hyper-stress» est responsable du développement de nombreuses pathologies tant psychologiques

(dépression, burn-out, suicide) que physiques (maladies cardio-vasculaires).

Le stress au travail n’a plus les mêmes causes qu’hier. Il trouve aujourd’hui ses racines dans les nouvelles contraintes dites «psychosociales» apparues dans les environnements professionnels: culte de la performance et de la productivité, perte de l’autonomie et du sens des tâches à accomplir, connexions permanentes, pratiques managériales défaillantes, rela-tions humaines détériorées pour n’en citer que quelques-unes. Il devient urgent pour les entreprises de se mobiliser pour réduire le stress au travail. Car, au-delà des souffrances humaines, il s’agit aussi d’un immense gâchis économique par les coûts élevés qu’il induit aux entreprises et aux collectivités nationales. Les interventions de prévention du stress peuvent être primaires (réduire les sources de stress), secondaires (aider les individus à développer des capacités à gérer le stress) et tertiaires (prendre en charge les individus affectés par le stress), comme le souligne le Bureau international du travail.

Le monde du travail devient de plus en plus complexe, incertain et souvent éprouvant pour les individus. En même temps, nos aspirations au bien-être sont plus fortes, alors que notre tolérance à l’adversité est aujourd’hui plus faible. S’agirait-il alors d’une marque de faiblesse de nos contemporains? Il est bien difficile de répondre. Ces exigences ne traduiraient-elles pas surtout un progrès de notre civilisation? De toute façon, les entreprises qui auront le plus de chances de réussir seront celles qui aideront les individus à faire face au stress et qui sauront organiser le milieu du travail afin qu’il soit mieux adapté aux aptitudes et aux aspirations humaines. ⁄

PATRICK LÉGERONPsychiatre au Centre hospitalier Sainte-Anne et fondateur du Cabinet Stimulus (Paris)

Les entreprises doivent impérativement se mobiliser pour réduire le stress au travail.

PROFILPsychiatre au sein du Service

hospitalo-universitaire du Centre hospitalier Sainte-

Anne de Paris, Patrick Légeron a fondé Stimulus,

un cabinet de conseil aux entreprises pour favoriser

le bien-être au travail. Il est l’auteur de plusieurs livres

dont La peur des autres, Le stress au travail ou encore

La gestion du stress.

À LIRE«Le stress au travail: un enjeu de santé»,

Editions Odile Jacob (2015).

LEG

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39

Page 42: In Vivo #8 FRA

40

Pour combattre les germes multirésistants, les nouvelles molécules ne suffiront pas.

Une meilleure prescription des antibiotiques est aussi nécessaire.

Les super-bactéries gagnent du terrain

MENS SANA DÉCRYPTAGE

ai vu des patients décéder d’une infection, notamment dans le service des grands brûlés, car plus aucun antibiotique ne marchait sur eux, raconte Yok-Ai Que, maître d’enseignement et de recherche au Département de microbiologie de l’Univer-sité de Lausanne. Il arrive qu’on doive relier un patient à une intraveineuse pour soigner une simple cystite (inflammation de la vessie).» La raison de ces cas tragiques? La multiplication dans les hôpitaux suisses de bactéries résistantes aux antibiotiques.

E. coli, une bactérie intestinale commune qui peut provoquer des gastro-entérites et

des infections urinaires, ne réagit plus à la fluoroquinolone, l’antibiotique habituelle-ment utilisé contre ce microbe, dans 20,5% des cas, selon les chiffres du Centre suisse pour le contrôle de l’antibiorésistance (Anresis). En 2004, cette part n’atteignait que 10,3%. De même, K. pneumoniae, une bactérie qui provoque notamment des maladies respiratoires, est devenue insensible aux céphalosporines de troisième génération, un antibiotique plus récent, dans 11,2% des cas, contre 1,3% en 2004.

«Lorsqu’on attaque une bactérie à l’aide d’un antibiotique, elle va presque invariablement développer une résistance à ce dernier, c’est un mécanisme de survie, détaille Didier Pittet, responsable du Service de maladies infectieuses aux HUG. Les premières résistances à la pénicilline sont apparues neuf mois à peine après sa découverte en 1947.» Ce phénomène est favorisé par la surconsommation des antibiotiques. Dans les hôpitaux suisses, le nombre de doses journalières adminis-

TEXTE JULIE ZAUGG

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Page 43: In Vivo #8 FRA

trées a crû de 36% entre 2004 et 2013. «Ils sont souvent utilisés à mauvais escient contre des maladies causées par un virus et non par une bactérie, comme le rhume», estime-t-il.

Au-delà des frontières helvétiques, les indicateurs ne sont pas davantage rassurants. Au contraire. La Turquie, la Grèce, la France et les Etats-Unis sont des champions de la consommation d’antibiotiques, selon les données du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies. «Dans les pays caractérisés par un manque d’hygiène généralisé (Inde) ou dans les hôpitaux (Italie, Grèce), les patients en reçoivent souvent de façon préventive», relève Patrice Nordmann, professeur au Département de microbiologie de l’Université de Fribourg. Aux Etats-Unis, où les médecins craignent les procès intentés par les malades, il n’est pas rare de se faire prescrire cinq ou six antibio-tiques simultanément.

L’utilisation d’antibiotiques dans les élevages de volaille, de porcs et de poissons, pour éviter la propagation d’infections lorsque les conditions de

41

MENS SANA DÉCRYPTAGE

LES BACTÉRIES LES PLUS

DANGEREUSES

LES BLSE Les bêtalactamases à spectre

élargi (BLSE) sont des enzymes produites par certaines bactéries

présentes dans le système digestif comme E. coli et K.

pneumoniae. Découvertes pour la première fois en France et en Allemagne au milieu des

années 1980, elles engendrent une résistance aux antibiotiques de la classe des bêta-lactamines,

qui sont les plus utilisés. Elles sont arrivées en Suisse au début des années 2000. En 2010, 4,8% des patients arrivant aux Hôpi-

taux universitaires de Genève et 5,8% de ceux arrivant à l’Hôpital

de Zurich en étaient porteurs.

Les bêtalactamases à spectre élargi, ici recouvertes de «pili» (poils) et de flagelles, sont des enzymes qui engendrent des résistances à certains antibiotiques.

Page 44: In Vivo #8 FRA

42

MENS SANA DÉCRYPTAGE

détention sont trop exiguës, favorise aussi l’émergence de résistances. Tout comme la globalisation et le développement du tourisme médical, qui ont accru les transferts de patients entre pays et donc la circulation de germes. «On pense que les premières bétalactamases, à spectre élargi, (une enzyme qui provoque des résistances aux antibiotiques, ndlr), sont arrivées en Suisse romande lorsque des victimes des attentats de Bali, en 2002, ont été transfé-rées au CHUV», explique Didier Pittet.

«Les voyageurs qui séjournent dans des pays comme l’Inde ramènent souvent dans leur flore intestinale des germes résistants», indique Thierry Calandra, chef du Service des maladies infectieuses du CHUV. Ces porteurs sains sont dépourvus de symptômes, mais ils peuvent les transmettre à des personnes dont le système immunitaire est affaibli.

Il existe quelques solutions pour lutter contre ces super-bactéries. Des mesures simples, comme améliorer l’hygiène des mains ou vacciner les patients à risque, permettraient d’éviter 30% des infections contractées dans un hôpital suisse, qui s’élèvent aujourd’hui à 70’000 par année. Il faut aussi réduire la consommation d’antibiotiques. «En Suisse, il est déjà interdit d’en acheter sans prescription, note Karin Wäfler, responsable de ce thème à l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). Mais il manque des directives contrai-gnantes qui définissent quand prescrire un antibiotique et lequel est le plus approprié.»

NOUVELLE STRATÉGIE NATIONALELa lutte contre les résistances passe en outre

par une meilleure connaissance de leur ampleur et de leur distribution. Le Centre Anresis collecte certes depuis 2004 des informations sur les bactéries résistantes et les antibiotiques prescrits en milieu hospitalier, mais pas en médecine ambula-toire. Chez les animaux de rente (porcs, poulets, veaux), les résistances sont répertoriées depuis 2006 mais pas les quantités d’antibiotiques administrées. La stratégie nationale contre la résistance aux antibiotiques (StaR), lancée par le Conseil fédéral début 2016, «va toutefois combler ces lacunes en recensant ces deux valeurs de façon systématique», relève Karin Wäfler.

Cela ne suffira pas à stopper la propaga-tion de ces super-bactéries. «Pour cela, il faut identifier le plus rapidement possible la présence d’un germe résistant dans un hôpital, par exemple en procédant à un dépistage systématique de tous les patients en provenance de l’étranger, et isoler les porteurs», souligne Thierry Calandra.

Dans cette optique, Patrice Nordmann et son collègue Laurent Poirel ont développé un test diagnostique qui permet de repérer en moins de deux heures les souches résistantes de la bactérie Acineto-bacter baumannii, contre deux jours auparavant. Une équipe genevoise a pour sa part élaboré un outil pour détecter la tuberculose résistante à l’antibiotique rifampicine en deux heures au lieu de

deux à huit semaines.

Mais pour vraiment donner le coup de grâce à ces super-bactéries, il faut de nouveaux antibiotiques. Malheu-reusement, l’industrie pharmaceutique semble avoir d’autres priorités en vue: «Les industriels

LE STAPHYLOCOQUE DORÉ

Présent sur la peau de 30% des gens, le staphylocoque doré

peut provoquer des infections sanguines, des tissus ou des

articulations. Il a développé une résistance à la méthicilline, un

antibiotique de premier recours, ce qui en fait l’une des princi-

pales causes d’infections noso-comiales dans les hôpitaux. Son incidence a toutefois commencé à diminuer depuis une dizaine d’années. La part de souches

résistantes est passée de 12,7% en 2004 à 5% en 2013. Il est

plus présent en Suisse romande qu’en Suisse alémanique.

Page 45: In Vivo #8 FRA

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MENS SANA DÉCRYPTAGE

iv Qu’est-ce que la phagothérapie?yaq Il s’agit d’une thérapie développée en 1915, qui consiste à utiliser certains virus – les phages – pour s’attaquer aux bactéries. Elle a été découverte en observant des guérisons spontanées survenues en Inde suite à une épidémie de choléra dans les eaux du Gange. Des phages s’étaient développés en parallèle aux bactéries de choléra et les avaient désactivées. Cette thérapie a été utilisée tout au long des années 1930 et 1940, mais elle est tombée en désuétude avec la découverte de la pénicilline en 1947. iv Comment est-ce que cela marche concrètement?

yaq Il y a deux méca-nismes. Les phages peuvent soit s’implanter dans les chromosomes de la bactérie, soit parasiter la machinerie utilisée par cette dernière pour se répliquer. Lorsqu’ils cherchent à se reproduire, ils font éclater la bactérie.

iv La phagothérapie peut-elle encore servir aujourd’hui?yaq Nous menons des essais au CHUV, dans l’espoir qu’elle permette de soigner les patients affectés par les bactéries qui ne réagissent plus à aucun antibiotique. Une étude clinique est en cours dans le service des grands brûlés. ⁄

YOK-AI QUE EST MAÎTRE D’ENSEIGNEMENT ET DE RECHERCHE AU DÉPARTEMENT DE MICROBIOLO-GIE DE L’UNIVERSITÉ DE LAUSANNE

INTERVIEW Pour Yok-Ai Que, la phagothérapie pourrait aider à vaincre les germes résistants à tout antibiotique.

DES VIRUS POUR ATTAQUER LES BACTÉRIES

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n’ont plus créé de nouveaux produits depuis des années, car, d’un point de vue financier, cela ne rapporte pas suffisamment, relève Didier Pittet. Il est bien plus rentable de développer des médicaments contre Alzheimer ou le diabète que les patients devront prendre toute leur vie.»

Le groupe bâlois Roche a ainsi récemment laissé tomber son partenaire Polyphor, qu’il s’était engagé à financer à hauteur de 500 millions de francs, l’une des rares firmes à effectuer de la recherche dans ce domaine.

Didier Pittet pense qu’à terme il faudra de nouveaux modèles de financement. «On pourrait inscrire les antibiotiques au patrimoine mondial de l’Unesco, ce qui ouvrirait la voie à des subsides de la part de la Banque mondiale ou de l’Union européenne», dit-il. D’autres évoquent la création d’un fonds mondial pour financer la recherche sur les antibiotiques.

La Confédération a annoncé en juin 2015 le lancement d’un nouveau Programme national de la recherche (PNR 72) doté de 20 millions de francs. «Il a notamment pour but la découverte de nouveaux traitements contre les bactéries résistantes», assure Karin Wäfler. L’OFSP

précise que l’organisation du projet sera clarifiée d’ici au milieu de l’année 2016 et que le public sera régulière-ment informé de son avance-ment. La bataille contre les super-bacté-ries est donc bel et bien engagée, reste à la gagner. ⁄

LES CARBAPÉNÉMASES Les carbapénémases sont

des enzymes produites par cer-tains germes de l’intestin. Elles désactivent les carbapénèmes,

la toute dernière génération d’antibiotiques. Les malades

infectés par ce genre de super-bactérie n’ont plus qu’une

seule option: la colistine, un médicament découvert en 1949 mais peu utilisé en raison de sa

toxicité. Pour l’heure, tous les cas de carbapénémases répertoriés

en Suisse ont été importés de l’étranger, depuis les pays

méditerranéens et le sous-conti-nent indien. Mais le nombre de souches présentes sur sol

helvétique a crû spectaculaire-ment, passant de moins de 15 en 2009 à plus de 400 aujourd’hui.

Plus inquiétant encore, des chercheurs chinois ont annoncé fin novembre avoir observé pour

la première fois des bactéries résistantes à la colistine.

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L’La reconnaissance faciale permet

de réduire les risques lors d’une anesthésie générale. Une technologie qui peut

s’appliquer à d’autres spécialités médicales.

SOURIEZ,VOUS ALLEZ ÊTRE INTUBÉ

examen ne dure que quatre minutes. Installé dans une sorte de photomaton, le patient ouvre la bouche, tire la langue, tourne la tête, prononce une série de voyelles. A chaque étape, ses mouvements sont photographiés et filmés par deux webcams et une caméra Kinect, capable de mesurer la profondeur de la bouche. Les images sont ensuite envoyées

à un logiciel qui analyse 177 points spécifiques du visage. «Cet appareil dresse un portrait-robot du patient qui nous indique s’il connaîtra une intubation facile, difficile ou intermédiaire, lors d’une anesthésie générale», précise Patrick Schoettker, médecin anesthésiste au CHUV.

L’intubation reste un geste délicat: à l’aide d’un tube inséré dans la trachée, il permet d’assurer la ventilation artificielle du patient lors d’une chirurgie. Obésité, mobilité de la tête ou encore retrait du menton, plusieurs caractéristiques physiques sont reconnues comme autant de facteurs de risque. «Lors de la visite pré-anesthésique, le patient est examiné selon ces critères, explique Patrick Schoettker. Mais ceux-ci ne suffisent pas, et le médecin peut rencontrer un cas imprévu d’intubation difficile. Il ne dispose alors que de 4 minutes pour y remédier, puisque le patient ne respire plus.»

DÉTECTER AUTOMATIQUEMENT LES PATIENTS À RISQUE«L’idée de reprendre les technologies de reconnaissance faciale m’est venue en 2011, en atterrissant pour la troisième fois aux Etats-Unis. Le douanier m’a immédiatement reconnu après avoir scanné mes yeux au moyen d’une caméra. J’ai pensé adapter la même démarche, c’est-à-dire la détection automa-tique de traits particuliers du visage pour les analyser d’après leur morphologie.»

TEXTE:PAULE GOUMAZ

IN CORPORE SANO

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CORPORE SANO INNOVATION

De retour en Suisse, il teste son hypothèse avec Christophe Perrouchoud, anesthésiste à l’Hôpital de Morges, Jean-Philippe Thiran, responsable du Labora-toire des signaux de l’EPFL et la start-up nViso, spécialisée dans la reconnaissance des émotions. Soutenus à hauteur de 700’000 francs par la Confédération, ils engagent deux ingénieurs pour développer un logiciel. «Grâce à sa puissance de calculs, accou-plée à des caméras dont la précision est 1’000 fois supé-rieure à l’œil humain, nous voulions qu’il prédise les cas d’intubation difficile inattendus», s’enthousiasme l’anesthésiste.»

80 MILLIONS D’ANESTHÉSIES GÉNÉRALESDans un article publié en juillet 2015, l’équipe démontre que sur 970 patients, la machine obtient un score prédictif comparable à l’évaluation faite par un médecin très expérimenté. S’agissant d’un protocole de recherche, seuls les patients avec des complications potentielles en bénéficient actuellement. «On améliore non seulement la sécurité de la prise en charge, mais également son efficacité. En quelques minutes, on peut convenir d’une technique d’intubation adaptée à la situation du patient, avec le matériel et le personnel adéquats. Cela représente un gain en coûts énorme, car on compte chaque année 80 millions d’anesthésies générales dans le monde.»

Un brevet a été déposé pour la commercialisation du photoma-

ton. En parallèle, de nouvelles images alimentent ce qui est devenu la plus grande base de

données de ce type, avec les entrées de plus de 4’000 patients. L’équipe travaille aussi sur une version légère de la machine, adaptée à la caméra des télé-phones mobiles. «Notre projet est de la distribuer dans les autres hôpitaux, suisses et étrangers, explique Patrick Schoettker. Car plus nous aurons d’images, plus nous pourrons affiner les prédic-tions du logiciel, qui intégrera non seulement les caractéristiques de la population lausannoise, mais aussi mondiale.»

Plusieurs pathologies liées à la morphologie du visage peuvent être détectées par la reconnais-sance faciale. Une étude porte actuellement sur 200 patients atteints du syndrome d’apnée du sommeil, dont certains signes prédictifs présentent des similitudes avec ceux de l’intubation difficile. Elle vise à vérifier si le logiciel, moyennant certaines adaptations, pourrait identifier les patients à risque. Mais la recherche va plus loin. Les ingénieurs se penchent aussi sur la détection automatique de structures au fond de la gorge – luette, glotte, cordes vocales –, pour prédire les chances d’une opération en ORL. Les applications du logiciel semblent illimitées. ⁄

Un nouveau logiciel permet de mesurer une centaine de milliers de points du visage en 3D.

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Page 48: In Vivo #8 FRA

46

es allergies touchent aujourd’hui entre 25 et 30% de la population. Leur nombre a connu une spectaculaire ascension durant la seconde moitié du XXe siècle, avec une accélération à partir des années 1980. «Il y a 100 ans, moins de 1% de la population était affectée», relève Georg Schäppi, directeur du Centre d’allergie suisse «aha!». L’Organisation mondiale de la santé prévoit même qu’en 2050, 1 personne sur 2 sera allergique dans le monde. Cette évolution s’est surtout fait sentir dans les pays occidentaux, mais, depuis peu, elle a gagné les pays en voie de développement, comme la Chine

ou l’Inde. Il y a toutefois quelques particularismes régionaux. «En Suisse, on trouve par exemple beaucoup de gens allergiques au céleri», note-t-il.

Mais il est rare qu’une personne ne souffre que d’une seule intolérance. «On voit de nombreuses allergies croisées: un patient sensibilisé au pollen de bouleau va par exemple fréquemment développer une intolérance également aux noix et fruits à pépins, car la structure de leurs protéines se ressemble», relève François Spertini, médecin-chef du Service d’immunologie et des allergies du CHUV.

TEXTE JULIE ZAUGG

Près d’un tiers de la population souffre d’une

intolérance au pollen, à certains aliments ou aux acariens. Une explosion

provoquée principalement par notre obsession

de l’hygiène.

CORPORE SANO DÉCRYPTAGE

allerg iques!

Les acariensCes petits insectes se reproduisent dans les matelas, coussins, duvets et autres espaces

chauds et humides, avant de se répartir dans la poussière domestique. Leurs excréments provoquent des allergies

caractérisées par des éternuements, un écoulement nasal, des yeux rougis et,

parfois, de l’asthme. En Suisse, 5 à 8% de la population souffre d’une allergie

aux acariens.

Les allergènes les plus répandus

Page 49: In Vivo #8 FRA

CORPORE SANO DÉCRYPTAGE

Selon les spécialistes, la principale cause de cette épidémie est le mode de vie hygiéniste en vogue aujourd’hui, qui pousse la population à désinfecter ses maisons de fond en comble et à stériliser systématiquement les biberons des bébés. «Nous sommes moins en contact avec des micro-organismes, comme les bactéries et les virus, explique François Spertini. Notre système immunitaire, qui n’a plus l’habitude de se défendre contre ce genre d’agression, va donc surréagir au contact d’un allergène et produire une inflammation.»

La hausse de la consommation d’antibiotiques, qui fragilisent notre faune bactérienne, et la multiplication des césariennes électives, qui ne permettent pas à la mère de transmettre au bébé son microbiome, ont également eu un impact sur les allergies. Tout comme la présence toujours plus importante de particules fines dans l’atmosphère, produites par les chauf-fages et les pots d’échappement des voitures. «Cela fonctionne comme un facteur irritant sur les poumons des personnes déjà allergiques», souligne François Spertini.

allerg iques!

47

Les animauxChats, chiens, chevaux et rongeurs peuvent

provoquer des symptômes de rhume, une inflammation de l’œil et de l’asthme.

L’allergène se trouve dans leur salive. Les piqûres d’abeille ou de guêpe peuvent également créer une réaction allergique

caractérisée par une peau enflée, des vomissements, une crise d’étouffement

ou même un choc anaphylactique. Entre 3 et 4 personnes en décèdent

chaque année en Suisse.

Le pollenLe pollen de bouleau, de noisetier et de graminées provoquent la majorité des

allergies. Les personnes affectées ont le nez qui coule, les yeux irrités et, dans 30% des

cas, de l’asthme. Cela concerne 15 à 20% de la population en Suisse. A cause du

réchauffement climatique, la période critique pour le rhume des foins commence deux à trois semaines plus tôt et dure plus

longtemps. Depuis quelques années, la Suisse romande et certaines régions du Tessin ont vu arriver l’ambroisie, une espèce invasive d’Amérique du Nord.

Environ 8% de la population est désormais allergique à cette plante au pollen

extrêmement agressif.

Tous

Page 50: In Vivo #8 FRA

CORPORE SANO DÉCRYPTAGE

FACTEURS GÉNÉTIQUESLa globalisation de nos habitudes culinaires favorise de son côté la survenue d’allergies alimentaires. «Il y a 50 ans, personne ne mangeait de kiwis chez nous, et donc personne ne développait d’intolérance à ce fruit, relève Philippe Eigenmann, responsable de l’Unité d’allergologie pédiatrique aux Hôpitaux universitaires de Genève. De même, les Asiatiques ont pris l’habitude de manger plus de céréales, et développent donc plus souvent des allergies à leur encontre.»

Le médecin rappelle toutefois le rôle central joué par la génétique. «Si les parents sont aller-giques, l’enfant a de fortes chances de le devenir aussi», dit-il. Ce n’est pas l’œuvre d’un seul gène. «Il y en a plus de 100 qui déterminent le risque de développer une allergie.»

Que faire pour soigner une allergie? «On peut traiter les symptômes respiratoires au moyen d’un médicament contre l’asthme ou d’un antihistaminique, note

François Spertini. Il faut aussi éviter d’ouvrir la fenêtre lorsqu’il y a beaucoup de pollen ou recouvrir les matelas de housses pour les protéger des acariens.» La désensibilisation, une thérapie qui consiste à habituer le système immuni-taire à l’allergène en l’exposant à de minuscules quantités de ce dernier sur une période de deux ou trois ans, est une autre solution. «Cela fonctionne dans

90% des cas», glisse Georg Schäppi.

Pour les allergies alimen-taires en revanche, l’unique solution reste d’éviter les produits provoquant une réaction. «Et, si l’on souffre d’allergie sévère, il faut toujours avoir sur soi une seringue remplie d’adréna-line en cas d’urgence», ajoute le directeur de la fondation «aha!».Il est aussi possible d’agir en amont pour tenter de prévenir l’apparition d’allergies. «L’allaitement est recommandé pour

renforcer le système immunitaire du bébé», note Philippe Eigenmann. Faire manger de tout aux enfants, le plus tôt possible, et les encourager à jouer dehors et à interagir avec des animaux pour stimuler leurs défenses naturelles, font aussi partie des recommandations. ⁄

«Notre système immunitaire n’a plus l’habitude de se défendre contre certaines agressions.» – François Spertini.

WIL

LY B

LANC

HARD

le latexLe latex est à l’origine de ce qu’on

appelle une allergie de contact, caractérisée par une réaction

cutanée mais aussi parfois par des difficultés respiratoires.

Il génère souvent une allergie croisée avec l’ananas, l’avocat, la banane, la châtaigne, la figue, la mangue ou les tomates. Environ 2% de la population est touchée. Cette part atteint 10 à 17% parmi les professions médicales, souvent

en contact avec le latex.

Les alimentsLe lait, les œufs, le soja ou les cacahuètes

chez les enfants et les kiwis, le céleri, les noisettes, les fruits de mer, le sésame, les pommes et les noix chez les adultes

sont les aliments les plus souvent associés à une allergie. Celle-ci se manifeste par de

l’urticaire, une sensation de picotement dans la bouche, un gonflement des muqueuses, des vomissements, des

crampes à l’estomac et, dans certains cas graves, un choc anaphylactique. L’allergie ne doit pas être confondue

avec l’intolérance alimentaire – au gluten, au lactose ou au fructose par exemple –

qui empêche le corps de synthétiser certaines substances. En Suisse, 10%

des adultes et 4% des enfants souffrent d’une allergie alimentaire.

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ontrairement à ce que l’on a longtemps pensé, les cel-lules du cœur peuvent se régénérer. Du moins, jusqu’à

un certain âge. «Les cellules cardiaques prolifèrent chez les enfants et jusqu’à l’âge de 20 ans, avant de perdre progressive-ment cette capacité», explique Marie-Noëlle Giraud, biologiste et chercheuse en cardiologie à l’Université de Fribourg. Dès lors, est-il possible de réactiver ce processus? Les chercheurs se sont lancés dans cette quête depuis une quinzaine d’années, explorant de nombreuses pistes.

Les enjeux sont énormes. L’insuf-fisance cardiaque toucherait aujourd’hui quelque 26 millions de personnes dans le monde. «Cette pathologie est presque aussi fréquente que les maladies

oncologiques, compare Roger Hullin, cardiologue au CHUV. Elle est aussi extrêmement sévère, avec une mortalité de près de 50% dans les cinq années qui suivent le diagnostic.»

On parle d’insuffisance car-diaque lorsque le cœur ne parvient plus à envoyer suffisam-ment de sang dans le système circulatoire. Cette affection est souvent la conséquence d’un infarctus: privées d’oxygène, les cellules du muscle cardiaque meurent, laissant derrière elles du tissu cicatriciel. La fonc-tion contractile du cœur est diminuée, il ne parvient plus à jouer correctement son rôle de pompe. Aujourd’hui, grâce au travail des médecins interven-tionnistes, il y a un fort taux de survie après un infarctus. Mais cette bonne nouvelle a son corollaire: l’augmentation du nombre de patients souffrant d’insuffisance cardiaque.

GREFFES ET CŒURS ARTIFICIELS Si les médicaments peuvent ralentir le processus de détérioration de la fonction cardiaque, le seul traitement qui existe aujourd’hui pour les cas d’insuffisance sévère est la greffe. Mais cette solution n’en est pas vraiment une, au vu de la disproportion entre le nombre de greffons dis-ponibles et celui des patients inscrits sur liste d’attente. Les cœurs artificiels représentent une option plus intéressante. De récentes innovations pro-mettent ainsi d’améliorer le sort des patients dont le cœur est sévèrement ralenti. Le CHUV vient par exemple d’implanter un nouveau dispositif basé sur la force centrifuge, qui devrait réduire les risques d’infections ou la formation de caillots. Mais depuis que l’on sait que le cœur a, inscrit quelque part dans ses cellules, un programme dormant de régénération, les

RÉPARER UN CŒUR ABÎMÉ

C

TEXTE: RACHEL PERRET

CHERCHEURS ET MÉDECINS FANTASMENT À L’IDÉE DE POUVOIR RÉGÉNÉRER LES CELLULES CARDIAQUES.

DES PISTES AVANT-GARDISTES PASSENT PAR LA SUISSE.

CORPORE SANO PROSPECTION

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chercheurs délaissent de plus en plus la piste mécanique pour celle des thérapies cellulaires.

PROGRAMMER «IN VITRO»

DES CELLULES SOUCHES

L’utilisation de cellules souches pour renforcer les cœurs endommagés a fait l’objet de nombreuses études cliniques. Prélevées dans la moelle osseuse des patients, les cellules souches sont ensuite programmées «in vitro» pour devenir des cellules de lignée cardiaque. Les cher-cheurs parviennent à reproduire les signaux protéiniques qui, dans l’embryon, permettent aux cellules de se différencier en cellules cardiaques. Ces der-nières sont ensuite transférées dans le myocarde au moyen d’un cathéter.

Des expériences similaires ont été menées avec des cellules souches embryonnaires: la méthode est plus complexe, car il s’agit de maîtriser la ques-tion du rejet, qui ne se pose pas avec des cellules souches adultes provenant du patient. Des essais ont aussi misé sur les cellules souches sanguines, avec pour ambition de favoriser la revascularisation des vaisseaux.

Ces approches ont, pour l’instant, des résultats mitigés: aucune ne parvient à recoloni-ser la zone nécrosée du cœur.

Les cellules souches implantées ne survivent pas. Il semble en revanche qu’elles libèrent un cocktail de facteurs qui agissent positivement sur leur voisinage et notamment les propres cellules souches du cœur. C’est ce qu’on appelle, en biologie cellulaire, un effet paracrine, une sorte de mode de commu-nication intercellulaire.

CRÉER

UN PANSEMENT BIOLOGIQUE

C’est sur cet effet paracrine que travaillent Marie-Noëlle Giraud et son équipe à Fribourg: «Notre idée est de créer un environne-ment favorable à la survie des cellules souches réimplantées dans les zones abîmées du cœur. Nous voulons d’abord identifier puis renforcer les facteurs qui agissent sur les cellules souches cardiaques – ou sur tout autre mécanisme de régénération que nous pourrions mettre en évidence. Nous fabriquons une matrice 3D en polymères, qui fonctionne comme un panse-ment biologique.»

La tendance est donc d’associer des cellules souches program-mées «in vitro» à une matrice, puis d’appliquer ce patch sur la zone cicatricielle du cœur. «Nous ne maîtrisons pas tous les paramètres, reconnaît cependant Marie-Noëlle Giraud, car notre compréhension des mécanismes en œuvre est limitée. Nous ne

connaissons pas encore le bon cocktail», résume-t-elle. Quelles cellules souches choisir, quand les injecter, sur quel type de patients? Toutes ces questions restent ouvertes.

REPROGRAMMER LES CELLULES CARDIAQUES

«IN SITU»

Thierry Pedrazzini, directeur de l’Unité de cardiologie expérimentale du CHUV, suit une piste très différente. Son ambition est de contrôler la reprogrammation et la différen-ciation des cellules cardiaques directement dans le cœur. Comment? Grâce à une découverte fondamentale qui concerne le rôle joué par les longs ARN non codants, des molécules d’ARN produites par 98% du génome de la cellule, mais dont les fonctions restent encore largement inexplo-rées. «Nous avons pu montrer, schématise Thierry Pedrazzini, que ces longs ARN non codants gèrent le comportement des cellules cardiaques et notam-ment leur capacité de gestion du stress. Ils fonctionnent comme des interrupteurs moléculaires qui activent ou non certaines réponses physiologiques très spécifiques. Ces molécules permettent aux cellules d’enclen-cher des programmes cellulaires d’adaptation aux conditions environnementales. Par exemple, pour les cellules cardiaques, les

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changements hémodynamiques survenant à la suite d’un infarctus du myocarde.»

Son équipe a ainsi pu caracté-riser 1’500 gènes non codants qui contrôlent la réponse à l’infarctus chez la souris. «Ces gènes ont des homologues chez l’homme. On peut donc imaginer protéger le cœur

après un infarctus en améliorant sa résistance, mais aussi lui don-ner la capacité de se régénérer lorsque la cicatrice est en train de se former, en forçant les cellules à se différencier en cellules du muscle cardiaque ou en poussant les cellules musculaires à proliférer. Nous avons les moyens techniques permettant de cibler ces longs

ARN non codants directement dans le cœur et d’allumer ou éteindre, des programmes moléculaires contrôlant le devenir des cellules.» Thierry Pedrazzini et son équipe sont en attente d’une réponse du Fonds national suisse pour démarrer des essais cliniques. Et qui sait, trouver enfin le moyen de répa-rer les cœurs abîmés… ⁄

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Ce cœur de souris a subi un arrêt cardiaque artificiel

à des fins de recherche. Une partie du tissu est morte (en rouge) suite à l’interrup-

tion de la circulation sanguine. Les chercheurs

tentent aujourd’hui, par divers moyens, de redonner vie à ces cellules mortes afin d’améliorer la qualité de vie des personnes qui

survivent à un infarctus, mais qui souffrent d’insuffi-

sance cardiaque.

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L’ énoncé de son nom suscite l’effroi. A juste titre: le diagnostic du cancer

du pancréas est le plus souvent réalisé à un stade avancé de la maladie et la survie à 5 ans n’est que de 5% en moyenne pour sa forme la plus répandue (l’adénocarcinome pancréa-tique), selon la Ligue suisse contre le cancer. Il est pratique-ment indétectable et résiste aux traitements traditionnels. Il n’est pas le cancer le plus répandu, mais le nombre de cas est en constante augmentation en Suisse, en Europe et aux Etats-Unis. Selon Anna Wagner, responsable des consultations au Département d’oncologie UNIL-CHUV, l’augmentation de l’âge de la population mais aussi l’obésité, le diabète de type II et le tabac en sont les causes principales.

DES TUMEURS IMPRÉVISIBLESPour réduire la progression et la taille des tumeurs, les stratégies oncologiques

classiques sont la chimiothérapie et la radiothérapie. Elles sont d’effica-cité limitée contre l’adénocarcinome pancréatique. «Les tumeurs forment rapidement une charpente très dense faite de vaisseaux sanguins et de tissus conjonctifs (le stroma), une véritable protection contre les traitements», indique George Coukos, chef du Département d’oncologie UNIL-CHUV et directeur du Ludwig Institute for Cancer Research de Lausanne.

D e plus, les cellules pancréatiques tumorales ont une capacité rapide à

croître et à former des métas-tases: «Elles changent constam-ment leur carte d’identité et mutent en cours de traitement, ajoute Nicolas Demartines, chef du Service de chirurgie viscérale du CHUV. Elles sont imprévi-sibles!» Anna Wagner rappelle

que des progrès importants ont été réalisés ces dernières années, notamment avec l’introduction de combinaisons de chimiothérapies comme le protocole «Folfirinox» qui a permis de doubler la survie des patients métastatiques. Toutefois, «les chances de guérison ne sont pas amélio-rées», nuance George Coukos.

LA CHIRURGIE PROGRESSEIl est possible de vivre sans pancréas puisque ses fonctions peuvent être suppléées artificiellement, par prise orale des enzymes pancréatiques nécessaires à la digestion et par injection de l’insuline indispen-sable à la régulation du taux de glycémie. Alors, pour quelles

PANCRÉASIl s’agit d’un organe digestif caché derrière l’estomac, en haut de l’abdomen. De couleur jaune et de forme longiligne, il se faufile entre les organes, de la rate au duodénum. Il participe à la digestion des aliments et à la régulation du taux de sucre sanguin grâce à deux types de cellules indépendantes. Les cellules glan-dulaires endocrines produisent insuline et glucagon essentiels pour réguler le taux de glycémie (à l’origine du diabète), et les cellules glandulaires exocrines (à l’origine de l’adénocarcinome) sécrètent les sucs néces-saires à la digestion.

L’ÉNIGMATIQUE CANCER DU PANCRÉAS

TEXTE: YANN BERNARDINELLI

Les tumeurs pancréatiques résistent souvent aux traitements oncologiques traditionnels. Chercheurs et médecins se mobilisent pour trouver de nouvelles stratégies.

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CANCER DU PANCRÉAS

CHIMIOTHÉRAPIELe but de ce traitement médicamenteux systémique est d’éradiquer les cellules cancéreuses en division dans l’ensemble de l’organisme. Les différentes gammes de produits agissent soit sur l’ADN, soit sur la division cellulaire. Pour le cancer du pancréas, une combinaison de trois composés de chimiothérapies et d’une vitamine, nommée «Folfiri-nox» a amélioré la survie et la qualité de vie des patients, par rapport à un traitement par gemcitabine seule (traitement de référence depuis 2001). Malheureusement, le proto-cole est associé à des effets secondaires importants, et son efficacité reste limitée.

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raisons la chirurgie n’arrive-t-elle pas à bout des tumeurs pancréatiques? Selon Nicolas Demartines, c’est d’abord parce que le pancréas est richement vascularisé. De plus, les nombreux organes, veines et

artères qui l’entourent ne facilitent pas le geste du chirurgien. «La chirurgie du pancréas est très lourde et inclut en partie l’ablation d’autres organes. La moitié des interven-tions souffre de complications

ANNA WAGNER

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postopératoires, même si la plupart sont maîtri-sées», précise-t-il. Selon l’Institut de recherche sur le cancer (CRI), basé à New York, près de 80% des tumeurs du pancréas sont inopérables. Les raisons: leur diagnostic trop tardif dû à l’absence de symptôme spécifique au stade précoce de la maladie.

N icolas Demar-tines se veut pourtant optimiste: «La

médecine a progressé dans le dépistage. Certaines lésions du pancréas pouvant donner lieu à de futurs cancers sont mieux repérées grâce à l’imagerie. Elles sont retirées par chirurgie avant même l’apparition d’une tumeur, la survie est alors excellente.» Les techniques chirurgicales sont également en progression: l’électroporation, par exemple, permet de tuer les cellules cancéreuses en préservant les vaisseaux sanguins. «La survie à cinq ans atteint 15 à 35% pour les cas opérés et des survies à long terme

existent aujourd’hui», se réjouit-il.

LA PISTE DE L’IMMUNO-THÉRAPIELes progrès actuels de la médecine sont donc à même de prolonger la vie des malades. Doit-on toutefois se résigner à ne

jamais guérir du cancer du pancréas? A travers le monde, plusieurs initiatives se mettent en place pour comprendre davantage son mécanisme et développer de nouvelles voies de traitements. Parmi elles figure l’immunothérapie, qui s’est déjà révélée efficace pour d’autres cancers. Cette approche propose d’utiliser le système immunitaire pour vaincre les tumeurs. Il y aurait près de 40 études cliniques internationales en cours, selon le CRI. L’entreprise NewLink Genetics développe par exemple un vaccin qui, combiné à une chimiothérapie,

semble prometteur puisqu’il vient d’entrer en troisième phase clinique.

A Lausanne, «des protocoles d’immu-nothérapie pour les patients résistant

à la chimiothérapie seront ouverts dès 2016 et des vaccins personnalisés seront disponibles», précise George Coukos. Le spécialiste indique que «des recherches supplé-mentaires sont encore néces-saires pour améliorer l’efficacité de l’immunothérapie face au cancer du pancréas». La recherche progresse à petits pas prudents dans tous les secteurs, donc, laissant déjà entrevoir des avancées non négligeables. ⁄

ÉLECTROPORATION IRRÉVERSIBLECette thérapie mini-invasive recourt à des impulsions électriques intenses et rapides (de l’ordre de la microse-conde) pour supprimer les cellules cancéreuses, sans léser les tissus voisins. Encore en phase d’amélioration, l’élec-troporation a jusqu’à présent démontré de bons résultats chez les patients atteints de tumeurs pancréatiques inopérables, dont les cellules ne s’étaient pas encore répandues.

ESSAIS CLINIQUESUn traitement potentiel entre généralement en essai clinique après sa phase d’élaboration en laboratoire et sa vérification sur au moins deux espèces animales. Les essais cliniques durent environ dix ans et sont divisés en trois phases. La phase 1 tente d’établir les effets secondaires sur des patients volontaires et sains. La phase 2 évalue la dose nécessaire sur un petit groupe de malades. La phase 3 est une étude à large échelle comparée à un placebo ou a un traitement avéré.

EN CHIFFRES (PAR ANNÉE, EN SUISSE)

1’250Le nombre de personnes atteintes d’un cancer du pancréas.

1’115Le nombre de personnes qui décèdent d’un cancer du pancréas.

6,9En pourcent, la proportion de décès par rapport à tous les nouveaux cas de cancer.

SOURCE: INSTITUT NATIONAL POUR L’ÉPIDÉMIOLOGIE ET L’ENREGISTREMENT DU CANCER NICER, MOYENNES ANNUELLES ÉTABLIES SUR LES ANNÉES 2008-2012.

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TEXTE WILLIAM TÜRLER

MÉFIEZ-VOUS DES DÉCIBELS

S’exposer longuement à des sonorités intenses peut endommager irréversiblement le nerf auditif. Les spécialistes invitent à la prudence.

Caricature de Rossini par Hippolyte Mailly, publiée dans Le Hanneton en 1867.

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Svivement de rester attentif à sa consomma-tion sonore. «Si l’on souhaite écouter de la musique avec une plus grande fréquence, il faut dès lors impérativement baisser le volume. A 85 décibels par exemple, on pourrait théoriquement écouter de la musique à longueur de journée sans risques. A 90 décibels, on devrait limiter à 20 heures d’écoute par semaine et à 95 décibels à 6 heures par semaine. Dès 103 décibels, il ne faudrait pas dépasser une heure maximum par semaine.»

Le volume sonore émis par les appa-reils aujourd’hui sur le marché dépasse souvent les 85 décibels. «La loi oblige les constructeurs de sources sonores comme les smartphones et les lecteurs MP3 à bloquer l’intensité à environ 100 décibels au maximum, note Raphaël Maire. Cette intensité est forte et ne peut être tolérée que deux heures par semaine, sans risque de dégâts auditifs. L’un des problèmes est que les marques tendent à se livrer une certaine concurrence dans ce domaine et certains produits peuvent atteindre jusqu’à 105 décibels.»

Une personne qui ne suit pas ces recom-mandations risque d’endommager son audition. Selon la Fondation romande des malentendants, les dommages peuvent être temporaires (bourdonnements, sifflements…) ou persistants et irréver-sibles (acouphènes, baisse sensible de l’audition, hypersensibilité au bruit…). «Très souvent le patient ne ressent aucun signe particulier, détaille la rubrique «prévention» du site de la Fondation. Néanmoins, on peut dire à coup sûr que quelques cellules ciliées (les cellules sensorielles qui tapissent l’oreille interne, ndlr) ont été abîmées. C’est l’accumulation de ces microtraumatismes qui provoque la dégradation prématurée de l’oreille et, par conséquence, les surdités précoces.»

e dirige-t-on, à terme, vers une génération de nouveaux sourds? La question était au cœur des discussions de la dernière édition de la Semaine du son, qui s’est tenue dans plusieurs villes de France, de Belgique et de Suisse en janvier dernier. Des chiffres récents inquiètent les spécialistes: de plus en plus de jeunes écoutent fréquemment de la musique, dont l’intensité est amplifiée par les casques ou écouteurs.

Une enquête française effectuée en 2014 auprès d’environ 5’000 personnes, publiée dans le «Bulletin épidémiologique heb-domadaire» de l’Institut de veille sanitaire (inVS), montre que depuis 2007 le nombre de personnes concernées à triplé chez les 18 à 35 ans, passant de 4 à 13%. Cette proportion atteint même 25% pour les 15-19 ans. Par ailleurs, selon des données récentes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), environ 50% des jeunes de 12 à 35 ans en provenance de pays à haut et moyen revenus sont exposés à des niveaux sonores trop élevés.

Cette tendance n’est pas sans risque. «Plus l’intensité sonore est forte, moins on peut se permettre d’y rester exposé long-temps sans danger», explique Raphaël Maire, responsable de la consultation d’audiologie et otoneurologie du CHUV. Pour l’heure, le spécialiste n’enregistre aucune consultation pour des problèmes liés à l’écoute de musique par le biais de casques audio. Il recommande cependant

DES APP POUR MESURER LE SON

DeciBel 10thDeciBel 10th per-met une lecture simple et précise du niveau sonore. L’utilisateur peut exporter les don-nées récoltées, les envoyer par e-mail et prendre une photo du lieu, qui affiche le niveau sonore. SPL MeterSimple d’utilisa-tion, la mesure de décibels est précise. Il est possible d’atté-nuer les basses ou les hautes fréquences. La mesure effectuée ne peut être sauvegardée.

NoiseTubeConçue pour la prise de son en extérieur, Noise-Tube mesure la pollution sonore d’un quartier d’habitation. Elle permet de se géolocaliser et de créer une carte avec les différents degrés de bruit rencontrés.

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Les symptômes peuvent se manifester après plusieurs années.

Pascal Senn, médecin agrégé au Service d’oto-rhino-laryngologie (ORL) des HUG, se veut rassurant concernant les risques des casques audio. «La législation suisse en matière de bruit, notamment en ce qui concerne les appareils sonores, s’est pas-sablement améliorée au fil des ans. Elle est aujourd’hui beaucoup plus restrictive qu’il y a encore une dizaine d’années.» Il relève que le type de casque (oreillettes ou casque couvrant) est totalement négli-geable en comparaison avec l’intensité d’écoute et la durée d’exposition. «On trouve sur le marché de plus en plus d’appareils équipés de réducteurs auto-matiques du son, ajoute-t-il. En filtrant mieux les bruits de fond, ils permettent d’écouter de la musique plus doucement.»

CONCERT, KLAXON ET EXPLOSIONCertains bruits environnants (voir représen-tation ci-contre) dépassent amplement les 85 décibels tolérés par l’oreille sur le long terme. Devrions-nous protéger nos oreilles en permanence? Deux mécanismes natu-rels s’en chargent, explique Raphaël Maire. Le premier est d’ordre musculaire (réflexe stapédien) et permet de diminuer l’énergie vibratoire dans l’oreille interne. Il intervient dès 85 décibels et atténue le bruit de 7 à 10 décibels. «Le problème réside dans le temps de latence de ce mécanisme qui est compris entre 50 et 100 millisecondes. Il n’est par conséquent d’aucune utilité dans le cas d’un coup de feu, d’un klaxon ou de l’explosion d’un pétard par exemple.» Le second relève de processus neurochi-miques qui diminuent l’excitabilité des cel-lules auditives de l’oreille et des neurones du nerf auditif.

Un autre risque potentiel peut provenir de la fréquentation de concerts. A plus forte

raison lorsque l’auditeur demeure de ma-nière prolongée à proximité immédiate des enceintes. Chacun doit surveiller son contact avec le son. Raphaël Maire pointe deux tests, faciles à réaliser, qui devraient alerter toute personne exposée à un bruit potentiellement dangereux pour l’ouïe: la douleur physique et le fait de ne plus pouvoir parler à son voisin, même en hurlant. Il ajoute que diverses applications de sonomètres permettent de se faire une idée de l’intensité sonore dans tout type de lieu (voir ci-contre).

Aujourd’hui considérée comme un enjeu de santé publique, l’exposition à des charges auditives importantes incite orga-nisations et autorités à prendre des me-sures. En Belgique par exemple, le «Label 90 dB Concert» vient d’être lancé pour améliorer l’environnement sonore des salles de spectacles musicaux. En France, des pièces de théâtre sont jouées dans les écoles pour sensibiliser les jeunes aux dangers des casques audio. En Suisse, la chasse aux décibels trop élevés se poursuit dans les lieux de concerts, mais aussi sur les routes. Dès juillet 2016, une nouvelle ordonnance antibruit entrera en vigueur: elle interdira l’ouverture manuelle des clapets d’échappement de certaines voitures, qui modifie et augmente le son à la sortie du gaz.

Pascal Senn, des HUG, estime que la mise en place de ces mesures doit rassurer la population. «Le temps des «grands traumas auditifs liés à la guerre et à l’industrialisation, où les limites sonores ont été largement dépassées durant des années sont derrière nous, assure-t-il. En fait, je dirais qu’écouter de la musique à un niveau élevé c’est comme avec le ski: plus on va vite, plus c’est amusant. Il faut simplement trouver le juste milieu pour ne pas courir trop de risques.» ⁄

L’ÉCHELLE DU SON

120 db Douloureux

100 db Pénible

80 db Fatigant

60 db Confortable

40 db Calme

20 db Inaudible

Concert de rock – 110 db

Tondeuse à gazon – 90 db

Grand magasin – 70 db

Conversation à voix normale – 50 db

Chuchotement – 30 db

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GREFFE MICROMÉTRIQUE

Innovation Une nouvelle technique de greffe de cornée garantit de meilleurs résultats et moins de complications post-opératoires. Reportage au bloc.

TEXTE: MELINDA MARCHESEREPORTAGE PHOTO: PHILIPPE GÉTAZ

La cornée, la partie antérieure du globe oculaire, peut s’endommager à la suite d’une maladie ou d’une chirurgie de l’œil, affectant la vue du patient. Une nouvelle technique de greffe, baptisée DMEK, garantit une récupération visuelle très élevée et rapide. «Grâce à cette méthode, nous ne greffons plus la totalité de la cornée, elle-même composée de cinq couches, détaille Muriel Catanese, ophtalmologue et chirurgienne à l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin, qui propose la DMEK depuis janvier 2016. Nous prélevons et ne transplantons que l’endothélium, la couche la plus profonde.» Les avantages sont multiples: «Cette méthode permet une reconstruction anatomique très précise de l’œil, ce qui réduit les risques de rejet et assure d’excellents résultats.»

CORPORE SANO EN IMAGES

Les cornées sont stockées au sein de la Banque des yeux de l’Hôpital

ophtalmique Jules-Gonin. «Notre mission est de prélever, stocker,

évaluer la qualité et assurer la distribution des tissus, explique

Michaël Nicholas, biologiste et responsable scientifique du

laboratoire. Chaque année, nous réalisons environ 120 greffes grâce

aux dons. Mais ceux-ci ne sont malheureusement pas encore

suffisants. Quelque 140 personnes sont sur liste d’attente.» Contrairement

aux autres organes, qui doivent être transplantés dans les heures qui

suivent le prélèvement sur le donneur, les cornées peuvent être conservées

30 jours dans un milieu nutritif.

LA BANQUE DES YEUX/1

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2/ LE PRÉLÈVEMENT DE L’ENDOTHÉLIUM

Au bloc opératoire, la chirurgienne Muriel Catanese prélève le greffon. «L’endothélium est un tissu très souple et élastique, détaille-t-elle. Il a donc tendance à s’enrouler sur lui-même. Aujourd’hui, grâce à des instruments très fins et précis, nous parvenons à le manipuler, sans l’endommager.» Le tissu, qui ne mesure qu’une dizaine de microns, est placé dans une cartouche en verre avant d’être transplanté.

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CORPORE SANO EN IMAGES

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Trois incisions de 2 mm suffisent pour retirer l’endothélium

pathologique chez la patiente, sous narcose complète, pour ensuite lui greffer le tissu sain. Pendant

près d’une heure, la chirurgienne, assistée par une instrumentiste,

va délicatement positionner l’endothélium. «Finalement, nous

injectons de l’air afin d’aider le tissu à se plaquer sur le stroma, une

autre couche de la cornée. D’ici à quelques jours, la «nouvelle cornée»

redeviendra transparente, ce qui permettra à la patiente de retrouver

une vision de très bonne qualité.»

LA GREFFE/3

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ZOOM

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Pouvoir lutter contre l’inflam-mation tout en préservant l’estomac des patients: une quête qui a mobilisé des milliers de chercheurs depuis le XVIIIe siècle et qui se poursuit encore. A l’époque, les préparations à base d’écorce de saule étaient le principal remède connu, avant l’apparition de l’aspirine (voir «In Vivo» no 6) puis de la phénylbutazone en 1950.

Si cette dernière molécule était également mal tolérée par l’estomac, elle marquait le début d’une époque dorée pour l’industrie pharmaceu-tique, de l’après-guerre aux années 1970. Grâce aux pro-grès de la biologie, les mys-tères du corps, tels que les mécanismes de l’inflamma-tion, sont peu à peu levés. On développe rapidement de nouvelles molécules comme l’ibuprofène ou l’acide méfé-namique (Ponstan). «C’était le début des découvertes

faites d’une autre manière que par le hasard, raconte Thierry Buclin, chef de la Division de pharmacologie du CHUV. On avait isolé l’action que réalisaient les anti-inflammatoires, à savoir l’inhibition d’une enzyme appelée cyclo-oxygénase. Et c’est en cherchant à optimiser cet effet que Ciba-Geigy (devenue Novartis après sa fusion avec le groupe Sandoz, ndlr) a développé le diclofé-nac, commercialisé sous le nom de Voltaren en 1973.» Mais si les problèmes gas-triques ne sont toujours pas entièrement résolus, l’heure est à l’optimisme: la cote de popularité de l’industrie phar-maceutique est énorme, et la confiance du public totale. Ce ne devrait être qu’une

question de temps avant que l’on ne trouve le médicament parfait... Malheureusement, le réveil sera brutal.

Au début des années 2000, le groupe Merck commercialise le Vioxx (nom de marque du rofécoxib), un nouveau produit censé résoudre définitivement les problèmes gastriques inhérents à l’usage des anti-inflammatoires. «Des milliards de dollars étaient en jeu, se souvient Thierry Buclin. Et lorsque les premiers constats de thrombose et d’infarctus arrivent quelques mois plus tard, Merck s’efforce de faire taire les rumeurs, ce qui occasionnera des dizaines de milliers de morts sup-plémentaires.» Un scandale mondial éclate enfin en 2004,

qui laissera une trace durable dans la conscience collective: les «pharmas» apparaissent soudain aux yeux de tous comme des entreprises avant tout intéressées par le profit, au détriment de la santé du public.

«En revanche, le diclofénac a su garder sa popularité, ses précautions d’emploi étant probablement mieux connues au fil des années. Le succès du Voltaren évoque une certaine nostalgie de la Suisse des années 1970, le pays le plus riche du monde au temps des ’Trente Glorieuses’, conclut Thierry Buclin. Sous sa forme originale ou générique, en comprimés, en gouttes ou en pommade, il est toujours présent dans toutes les phar-macies occidentales. Même si en ce qui concerne la pommade, un bon massage avec une simple crème grasse peut s’avérer tout aussi efficace!» ⁄

Fierté de l’industrie suisse, le diclofénac soigne les

bobos de la planète depuis les années 1970.

C14H11Cl2NO2UNE MOLÉCULE,

UNE HISTOIRETEXTE: BERTRAND TAPPY

DiclofénacC14H11Cl

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CORPORE SANO CHRONIQUE

Avoir bon dos, se mettre quelqu’un à dos, en avoir plein le dos, être dos au mur… Que d’expressions

négatives pour qualifier cette partie de notre anatomie! Bien

davantage qu’une simple colonne de 24 vertèbres, notre dos est

pourtant un organe noble. Dès l’enfance, nous le chargeons de

notre fameux «rucksack» national et partons voir du pays avec tout le matériel nécessaire. C’est sur lui que nous comptons à chaque instant de

notre vie pour réaliser les petits et grands voyages au quotidien.

Mais comme pour l’ensemble de nos organes, nous n’y prenons réellement

garde que lorsqu’il dysfonctionne, lorsqu’il est douloureux. Et cette issue est

une réalité pour beaucoup: les maladies de l’appareil musculo-squelettique sont la première cause d’hospitalisation dans

notre pays en 2014 et le quart de ces hospitalisations sont relatives à des

maladies du dos.

Pour nous tous, l’enjeu est donc de conserver un dos sain. Cela passe par l’hygiène posturale, le sport, l’ali-mentation, donc par une prévention consciente. Par consciente, j’entends que le savoir est présent: «Je sais quelle position adopter pour déplacer telle charge, je sais quelle position adopter pour travailler à mon bureau, je sais quelle position adopter pour me lever de mon lit, etc.» Et comme tout savoir, c’est dans l’enfance que son ancrage est le plus bénéfique. Mais notre société en fait-elle vraiment assez à ce niveau? A-t-on décidé d’investir dans ce savoir qui conduit à adopter des comportements préventifs ou ne serions-nous pas plutôt centrés sur l’approche curative?

En cela, la prise de conscience dans le monde du travail devient un véritable enjeu non seulement de santé publique mais également de productivité. Preuve en est le développement de robots se substituant à l’humain pour certaines activités dites de force, plus précisément d’exosquelettes robotisés qui permettent à l’Humain d’être soutenu et sou-lagé dans certaines activités physiques. Et si les premières applications ont été développées dans le domaine de la construction et du génie civil, c’est maintenant dans le domaine des soins aux patients et la mobilisation de ces derniers qu’elles émergent. Nous verrons donc dans les années à venir l’intervention de machines couplées à l’humain dans de nombreuses activités, y compris à l’hôpital, afin de préserver notre dos. ⁄

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DANIEL JOYEDirecteur des soins pour les départements de l’appareil locomoteur

et des neurosciences cliniques du CHUV

Afin de préserver le dos de nos employés, investissons dans la prévention consciente.

Page 68: In Vivo #8 FRA

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CURSUS CHRONIQUE

millions. Voilà le propergol que le Conseil fédéral va mettre dans le moteur de la formation en Suisse, afin de passer de 800 à 1’300 nouveaux diplômés en médecine par an. Il l’a réaffirmé le 3 février. Et comme déjà évoqué en décembre dans In Vivo, le risque avec une telle manne financière, c’est la course en avant. Car la réponse sonnante et trébuchante de Berne à la pénurie de médecins ne doit pas servir à éluder les questions.

Au contraire, ces 100 millions doivent être un électrochoc, l’occasion de s’interro-ger enfin sur le fonctionnement de notre système de santé. En considérant aussi le facteur temps. Car de la première année de médecine jusqu’au titre de spécialiste ISFM, c’est un long pèlerinage qui attend ces jeunes femmes et ces jeunes hommes: jeune étudiant, jeune médecin, jeune chef de clinique, jeune plus très jeune en arrivant sur le marché. C’est donc une affaire de longue haleine, aussi bien pour les médecins en devenir que pour l’institution qui les

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forme. Une temporalité à mettre en regard du soutien ponctuel, de 2017 à 2020, de Berne.

Ces 100 millions sont aussi un révélateur: la formation se situe au cœur de nombreuses stratégies, de nom-breux intérêts, parfois convergents, parfois divergents, ceux des Universités, des EPF, des hôpitaux, des autorités fédérales et cantonales. Cette multiplicité de partenaires est souvent un atout, par les collaborations, les synergies qu’elle permet; mais elle peut aussi devenir un poids, par la force de poussée nécessaire à mobiliser les acteurs sur un objectif particulier. Augmenter le nombre de médecins: l’objectif est simple, du moins simplement énoncé. Mais la fractale, ce chaos organisé dans lequel les acteurs s’inscrivent, est en revanche difficile à appréhender. Profitons donc de cette opportunité pour démêler la pelote et mener une réflexion approfondie sur la formation médicale.

Sans perdre de vue les fondamentaux. Au carrefour du libéralisme (contrôlé par les assureurs) et du dirigisme éclairé (contrôlé par les autorités), la médecine doit être au service des personnes malades, de la société souffrante, en évitant de créer de nouveaux besoins, de fabriquer les Dr Knock modernes. Face aux objectifs fixés par le politique, notre objectif en tant que médecins reste de guérir ou soulager la souffrance. Prendre soin des malades, et cela sans que la prise en charge soit limitée ou modifiée par leurs ressources financières. ⁄

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Isabelle DécosterdVice-doyenne pour l’enseigne-

ment et la formation

Jean-Daniel TissotDoyen de la Faculté de

biologie et de médecine de l’Université de Lausanne

100De l’argent, des questions

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Les étudiants en médecine effec-

tuent depuis cinq ans une journée d’observation dans les centres médico-sociaux (CMS) du canton. Les explications de Jean-Bernard Daeppen, chef du Service d’alcoologie et responsable du programme d’enseignement de médecine communautaire.

En quoi consiste cette journée d’observation?Lors de leur deuxième année d’étude, tous les étudiants en médecine sont envoyés dans un CMS pour une journée. Ils suivent une infirmière au domicile des patients, puis participent à un colloque.

Quels sont les objectifs de la démarche? Au cours de leur parcours uni-versitaire, les étudiants dé-couvrent avant tout la médecine dans une perspective hospita-lière. Mais une majorité d’entre eux se retrouveront plus tard dans une pratique plus centrée sur le patient dans son milieu et ses habitudes de vie. Cette jour-

FORMATION née leur permet de comprendre que la médecine s’exerce avant tout à l’extérieur de l’hôpital et leur apporte une vision plus large de l’organisation du sys-tème de santé. Elle s’inscrit par ailleurs dans une évolution de fond: face aux défis du vieillisse-ment de la population, le canton de Vaud mise sur le maintien à domicile, une approche qui va encore prendre de l’ampleur ces prochaines années.

Après cinq ans, quel bilan tirez-vous de ce programme?Il est très positif. Les étudiants apprécient cette immersion dans la communauté. Alors qu’ils ont encore peu d’expé-rience, ils sont sensibles à l’approche des CMS, centrée sur la personne, et à la rencontre avec les patients. De leur côté, les CMS sont satisfaits de pouvoir faire connaître leur travail et de susciter l’intérêt des futurs médecins. Dans certains cas, cette journée a même débouché sur des collaborations: plusieurs étudiants ont trouvé des jobs d’été comme aides-soignants dans un CMS. SG

CURSUS ACTUALITÉ

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En immersion chez les patients

Rendre au cer-veau toutes ses

fonctionnalités après un accident vasculaire cérébral (AVC): la neu-rochirurgienne Jocelyne Bloch y travaille depuis plusieurs années, en collaboration avec le biologiste Jean-François Brunet, tous deux du CHUV. Elle a pu donner un aperçu de leur découverte lors d’une conférence TED à Genève en décembre dernier: les cellules de notre cortex peuvent être cultivées et reprogrammées pour soigner les cellules nerveuses endommagées par un AVC et permettre ainsi au cerveau de s’auto-réparer. CB

Vidéo sur www.invivomagazine.com

Le CHUV aux TED

NEUROSCIENCES

DR

Page 70: In Vivo #8 FRA

Favoriser l’intégration du savoir scientifique dans le domaine clinique. Voilà

l’une des fonctions centrales des infirmiers spécialisés. Etonnam-ment, ce métier n’existe en Suisse que depuis une dizaine d’années, au contraire des pays anglo-saxons et scandinaves où cette formation est ancrée dans les cursus académiques depuis bien plus longtemps. «Ce que j’apprécie particulièrement dans ce métier, c’est de pouvoir accompagner le patient à travers toutes les étapes du traitement», souligne Andrea Serena, infirmier clinicien spécialisé au Centre des tumeurs thoraciques du CHUV.

Agé de 32 ans, Andrea Serena a obtenu son Master en sciences infirmières à l’Institut universitaire de formation et de recherche en soins de Lausanne en 2007. Depuis lors, il travaille au CHUV comme infirmier clinicien spécialisé au sein du Centre des

tumeurs thoraciques. Il termine actuellement un doctorat dans le domaine des soins de support aux patients atteints d’un cancer du poumon et travaille depuis quelques années à mi-temps au CHUV. Il est aussi assistant de recherche à la Haute école de santé de Fribourg. Deux occupations entre clinique et académie, «qui se nourrissent mutuellement», dit-il.

Au sein du Centre des tumeurs thoraciques, en collaboration avec les équipes médicales et infirmières, son travail consiste à soutenir le patient, mais aussi les familles. Une tâche qui revêt un aspect psychologique important et qui comprend également la gestion des symptômes de la maladie ou du traitement. Il s’agit d’aider les personnes atteintes d’un cancer à vivre au quotidien avec leur maladie, ce qui implique diverses rencontres en face-à-face avec elles ou des contacts par téléphone.

Pour l’heure, le centre se trouve dans sa phase finale de projet. Avec sa collègue Claire Zurkinden, Andrea Serena intervient essentiellement sur le traitement oncologique et encore peu dans le domaine chirurgical. Il est également en contact quasi permanent avec une large équipe pluridis-ciplinaire composée d’infir-miers, d’oncologues et de pneumologues notamment. Parmi cette nébuleuse d’acteurs des soins, le rôle de l’infirmier spécialisé se révèle particulière-ment important: il occupe, en quelque sorte, la fonction de pivot entre le patient et les différents soignants et spécialistes.

Après neuf ans d’activité, son métier fascine toujours autant le Tessinois. Le seul petit bémol est lié à la charge administrative qui tend à prendre toujours plus de place dans ses journées de travail (facturation, monito-ring de statistiques, etc.). Mais ce n’est pas ce petit détail qui l’empêchera de continuer dans cette voie pendant les années à venir, en conservant toujours un pied dans le monde clinique et l’autre dans celui de la recherche. ⁄

Infirmier clinicien spécialisé, Andrea Serena apporte ses connaissances cliniques approfondies aux patients atteints d’un cancer.TEXTE: WILLIAM TÜRLER, PHOTOS: ERIC DÉROZE

PORTRAIT

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CURSUS UNE CARRIÈRE AU CHUV

Page 71: In Vivo #8 FRA

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Andrea Serena apporte son expertise et son soutien aux patients ainsi qu’à leur famille.

En contact permanent avec les différents spécialistes, l’infirmier joue un rôle clé d’intermédiaire entre les professionnels et les malades.

CURSUS UNE CARRIÈRE AU CHUV

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Page 73: In Vivo #8 FRA

CURSUS

«En cas d’ano-

rexie, il est primordial d’intervenir le plus rapidement possible, souligne Laurent Holzer, médecin-chef responsable du volet pédopsychiatrie au Centre vaudois anorexie boulimie (abC) du CHUV. Il faut mobiliser les familles afin qu’elles soient intégrées au processus de soin et qu’elles prennent en main la reprise pondérale des patients. Pour maximiser les chances de guérison, il faut une reprise de poids dès le premier mois.» Spécialisé dans la prise en charge des troubles alimentaires, l’abC s’adresse aussi bien aux adolescents qu’aux adultes. Dans le cadre de leur fonction de supervision et d’encadrement des médecins, des psychologues et des soignants, Laurent Holzer et Yves Dorogi, infirmier spécialiste clinique au sein du Service de psychiatrie de liaison et responsable des soins de l’abC, colla-borent étroitement. Cette filière de soins étant fondamentalement pluridisciplinaire et nécessitant une longue prise en charge des patients, un tel travail d’équipe se révèle indispensable, d’où des réunions régulières entre les deux spécialistes. «Nous cherchons notamment à identifier ce qui se révèle spécifique aux adultes ou aux adolescents et ce qui peut être mis en commun, relève Laurent Holzer. Par exemple, le fait de mélanger les patientes peut permettre aux plus jeunes de se mobiliser pour ne pas suivre la même voie que leurs aînées.» A noter que 9 patients sur 10 souffrant de troubles

alimentaires sont des femmes.

Ces échanges fréquents permettent également d’harmoni-ser les prises en

charge et les liens avec les différentes structures partenaires, mais aussi d’établir un suivi du corps soignant. Ces professionnels, qui se trouvent en première ligne, peuvent être particulièrement éprouvés durant le suivi des patientes. «Notre fonc-tion consiste à gérer au mieux différents enjeux de transition, souligne Yves Dorogi. Il s’agit notam-ment d’accompagner les patientes entre l’adoles-cence et l’âge adulte et les aider à devenir autonomes. Nous devons également assurer les transitions entre les différents niveaux de soins, notamment entre l’hôpital et le centre de jour.»

Dans ce cadre, chaque membre de l’équipe soignante, infirmières, assistantes sociales, physiothérapeutes, diététiciennes, médecins, psychologues et nutritionnistes doit ajuster son travail afin d’assurer une cohérence dans le suivi des patientes. «C’est uniquement lorsque ces dernières ont repris du poids que l’on peut travailler plus en profondeur sur les causes du problème, notamment sur le rapport des patientes à leur corps, à leurs idéaux et à leurs obsessions rigides autour de la minceur et de la nourriture», poursuit Laurent Holzer. Dans cette optique, il peut être intéressant de faire évoluer les pratiques, par exemple à travers une prise en charge souple et inventive. «Et c’est notamment là que le point de vue des soignants se révèle particulièrement important», conclut Yves Dorogi. ⁄

Laurent Holzer et Yves Dorogi collaborent pour aider les patients souffrant de troubles alimentaires.TEXTE: WILLIAM TÜRLER, PHOTOS: GILLES WEBER

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CURSUS UNE CARRIÈRE AU CHUV

Page 74: In Vivo #8 FRA

CURSUS ACTUALITÉ

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Le Département de psychiatrie

du CHUV a remporté le prix Salling 2015. La récompense distingue Stéphane Kolly et Ueli Kramer pour leurs travaux dans le domaine de la psychothérapie des troubles de la personnalité. Les deux chercheurs et clini-ciens ont développé une offre spécifique mêlant traitements psychiatriques brefs, traitements de groupe focalisés sur la gestion des émotions et psychothérapies de longue durée. SG

Prix Salling pour le CHUVORGANISATION

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NOM VOGT PRÉNOM PIERRE FONCTION Chef du Département «cœur-vaisseaux»

Pour développer son domaine cardiovasculaire, le CHUV a décidé de réunir la cardio-logie, la chirurgie cardiaque, la chirurgie vasculaire, l’angiologie et l’Unité de cardio-logie expérimentale au sein d’une même entité, appelée Département «cœur-vaisseaux». Pierre Vogt, professeur ordinaire à la Faculté de biologie et médecine de l’UNIL, a pour mission de mettre en place tous les aspects du nouveau département d’ici au 1er janvier 2017. Il sera épaulé par un chef de projet, un état-major et les chefs des services concernés.

NOM GRABHERR PRÉNOM SILKE FONCTION Cheffe du Centre universitaire romand de médecine légale

Silke Grabherr constitue la référence mondiale de l’angiographie post-mor-tem, grâce à un système permettant de visualiser la circulation sanguine à l’aide d’une machine à perfusion. Elle a aussi créé une base de données pour mieux identifier un cadavre très altéré, ainsi qu’une application pour détecter des substances, comme la cocaïne, dans les liquides. L’interview de son prédécesseur, Patrice Mangin, sur www.invivomagazine.com»

NOM PACCAUDPRÉNOM FRED FONCTION Chef du Départe-ment universitaire de méde-cine et santé communautaires

Professeur d’épidémiologie et de santé publique à l’UNIL, Fred Paccaud dirige l’Institut universitaire de médecine sociale et préventive depuis vingt-huit ans, mais aussi l’Ecole romande de santé publique et le pôle romand de la Swiss School of Public Health. Il est fré-quemment sollicité par les autorités pour la mise en place de stratégies visant à améliorer la santé de la population.

NOMINATIONS

Coordination des biobanques

Une plateforme natio-nale visant à coordonner

les différentes biobanques de Suisse a vu le jour au CHUV. Appelée «Swiss Biobanking Plat-form» (SBP), cette nouvelle entité a pour objectif de faciliter l’accès aux données et échantillons, et leur utilisation. La direction de la SBP, dont la mise en place s’achèvera en 2018, est assurée par Christine Currat, l’actuelle directrice de la Biobanque Insti-tutionnelle de Lausanne. SG

BIG DATA

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Pourriez-vous nous parler de votre parcours?Je suis né aux Philippines, dans une famille de professionnels des soins médicaux. Dès ma plus tendre enfance, les notions de bénévolat et de don de soi étaient chères à mon cœur. Quand ma famille a immigré au Royaume-Uni, j’ai pu pour-suivre mes aspirations en m’inscrivant à l’Université de Bristol en sciences biomédicales. Pendant mes études, j’ai eu le privilège de découvrir la Suisse en étudiant une année à l’Institut de recherche Sandoz à Berne. C’est donc en Suisse que mon intérêt pour les neurosciences s’est concrétisé. C’est à l’Hôpital universitaire de Zurich que j’ai obtenu mon premier poste de recherche sous la tutelle du Prof. Volker Henn. J’ai reçu une bourse de la Fondation David et Betty Koetser pendant mon doctorat et je pense que leur investissement n’a pas été vain puisque j’ai terminé ma thèse avec la publication de trois articles.

Qu’est-ce qui vous a poussé à étudier la schizophrénie à Lausanne?J’ai décidé d’opter pour les neurosciences psychia-triques à Lausanne en raison de la réputation des chercheurs principaux. Le laboratoire de la Prof. Kim Do Cuénod est unique dans le monde, car il a développé un programme translationnel, qui implique une interaction constante entre la recherche clinique et la recherche fondamentale. Cette approche, bien que courante en médecine somatique, se voit rarement en psychiatrie.

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Pouvez-vous nous parler de votre recherche et de vos découvertes?Notre travail nous a permis de démontrer que des souris exposées à un stress précoce présentent des lésions cérébrales irréversibles des interneurones à parvalbumine, alors qu’une exposition plus tardive est sans effet. Les premières peuvent être prévenues par l’administration d’agents antioxydants. On peut donc émettre l’hypothèse que l’exposition à un traumatisme ou à un événement stressant chez les jeunes enfants à risque peut conduire, à l’âge adulte, à l’endommagement des circuits cérébraux. La schizophrénie pourrait donc être liée à une perturba-tion durant une période critique du développement du cerveau qui entraînerait une insuffisance de la plasticité synaptique. La prévention du stress oxydatif chez les sujets à risque grâce aux antioxydants permettrait d’y remédier en restaurant la fonction normale du cortex cérébral. ⁄ CR

Jan Harry Cabungcal s’est installé à Lausanne pour mener des recherches sur la schizophrénie.

NOM Cabungcal

PRÉNOM Jan Harry

AU CHUV DEPUIS 2007

TITRE Chargé de recherche à l’Unité de recherche sur la schizophrénie, Département de psychiatrie

73

CURSUS UNE CARRIÈRE AU CHUV

Page 76: In Vivo #8 FRA

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BACKSTAGE

EN IMAGESLa journaliste Melinda

Marchese et le photographe Philippe Gétaz ont assisté à

la première greffe de cornée DMEK à Lausanne (p. 58).

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«SMART DRUGS»L’artiste polonais

Paweł Jońca a réalisé pour «In Vivo» l’illustration de l’article sur les pilules qui

rendent intelligent (p. 33).

Page 77: In Vivo #8 FRA

YANN BERNARDINELLI Ancien chercheur en neurosciences, Yann Bernardinelli met sa

connaissance des milieux scientifiques et médicaux

au service des médias. Aujourd’hui rédacteur

indépendant, il a enquêté sur le cancer du pancréas

(p. 52) et a participé à la rédaction des pages

Health Valley (p. 8) de ce numéro de «In Vivo».

SÉVERINE GÉROUDETJournaliste chez

LargeNetwork, Séverine Géroudet écrit régulièrement des articles sur les grandes

tendances qui traversent nos sociétés, qu’elles soient culturelles, sociétales ou

technologiques. Pour «In Vivo», elle s’est penchée

sur l’essor des «serious games» dans le milieu

médical (p. 35).

WILLIAM TÜRLERWilliam Türler est journaliste depuis 2005. Responsable

de plusieurs projets éditoriaux, il a notamment

rédigé pour ce numéro de «In Vivo» l’article sur les risques auditifs liés à une exposition intensive

aux casques et aux écouteurs (p. 55).

75

CONTRIBUTEURS

THIE

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PARE

L, D

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La journaliste Melinda Marchese, responsable de In Vivo chez

LargeNetwork, a reçu le prix Suva des Médias, catégorie presse,

pour son article «L’intestin, un autre cerveau», paru dans le

magazine en mars 2015. Le jury a qualifié ce travail de «stupéfiant, pointu et accessible à tous, soutenu

par une superbe iconographie». Ce prix a pour but de promouvoir les travaux journalistiques en langue française se rapportant à la prévention des accidents dans les activités professionnelles et privées ainsi qu’à celle des troubles de la santé d’une manière générale. /

«IN VIVO» REMPORTE LE PRIX SUVA DES MÉDIAS

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Page 78: In Vivo #8 FRA

ÉDITIONCHUV, rue du Bugnon 46

1011 Lausanne, Suisse T. + 41 21 314 11 11, www.chuv.ch

[email protected]

ÉDITEURS RESPONSABLESBéatrice Schaad et Pierre-François Leyvraz

DIRECTION DE PROJET ET ÉDITION ONLINEBertrand Tappy

REMERCIEMENTSFiona Amitrano, Alexandre Armand, Anne-Marie Barres,

Francine Billote, Valérie Blanc, Gilles Bovay, Virginie Bovet, Mirela Caci, Stéphane Coendoz, Muriel

Cuendet Teurbane, Stéphanie Dartevelle, Diane De Saab, Frédérique Decaillet, Muriel Faienza, Marisa

Figueiredo, Pierre Fournier, Serge Gallant, Christine Geldhof, Nicole Gerber, Katarzyna Gornik-Verselle, Déborah Hauzaree, Aline Hiroz, Pauline Horquin, Joëlle Isler, Nathalie Jacquemont, Nicolas Jayet, Emilie Jendly, Anne-Renée Leyvraz, Cannelle

Keller, Elise Méan, Laurent Meier, Brigitte Morel, Thuy Oettli, Denis Orsat, Manuela

Palma De Figueiredo, Odile Pelletier, Fabienne Pini-Schorderet, Isabel Prata,

Sonia Ratel, Massimo Sandri, Dominique Savoia Diss, Jeanne-Pascale Simon,

Christian Sinobas, Elena Teneriello, Laure Treccani, Céline Vicario et le

Service de communication du CHUV.

PARTENAIRE DE DISTRIBUTIONBioAlps

RÉALISATION ÉDITORIALE ET GRAPHIQUELargeNetwork, rue Abraham-Gevray 6

1201 Genève, Suisse T. + 41 22 919 19 19, www.LargeNetwork.com

RESPONSABLES DE LA PUBLICATIONGabriel Sigrist et Pierre Grosjean

DIRECTION DE PROJETMelinda Marchese

DIRECTION GRAPHIQUEDiana Bogsch et Sandro Bacco

RÉDACTIONLargeNetwork (Yann Bernardinelli, Céline Bilardo, Catherine Cochard, Sophie Gaitzsch,

Séverine Géroudet, Melinda Marchese, William Türler, Julie Zaugg), Paule Goumaz, Rachel Perret, Chloé Ruch, Bertrand Tappy.

RECHERCHE ICONOGRAPHIQUEBogsch & Bacco, Sabrine Elias Ducret

COUVERTURE«Peeled back», © Danny Quirk, aquarelle, 2009

IMAGESCEMCAV (Willy Blanchard, Eric Déroze, Heidi Diaz, Philippe Gétaz, Johann Pelichet, Christophe Voisin,

Gilles Weber), Iván Bravo, Clément Bürge, Paweł Jońca, Thierry Parel, Benjamin Schulte

MISE EN PAGEBogsch & Bacco pour LargeNetwork

TRADUCTIONTechnicis

IMPRESSION PCL Presses Centrales SA

TIRAGE18’000 exemplaires en français

2’000 exemplaires en anglais

Les propos tenus par les intervenants dans «In Vivo» et «In Extenso» n’engagent que les intéressés et en aucune manière l’éditeur.

IN VIVOUne publication éditée par le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV)

et l’agence de presse LargeNetwork

www.invivomagazine.com

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IN EXTENSO Les bienfaits des vitamines

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