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INSTITUT DE FORMATION EN SOINS INFIRMIERS Groupement d’Intérêt Public 1 Rue Etienne Gourmelen BP 1705 29107 QUIMPER CEDEX Infirmier-Patient : Se comprendre dans le soin UE 3.4 : « Initiation à la démarche de recherche » UE 5.6 : « Analyse de la qualité et traitement des données scientifiques et professionnelles » UE 6.2 : « Anglais » Katell LE MOIGNE Promotion 2013/2016 Formation en Soins Infirmiers Formateur guidant : Mme LE SIGNOR Véronique

Infirmier-Patient : Se comprendre dans le soin · positionnement professionnel en tant que futur(e) infirmier(e). Pour ce faire, il m’a fallu une situation de départ. C’est au

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    INSTITUT DE FORMATION EN SOINS

    INFIRMIERS

    Groupement d’Intérêt Public

    1 Rue Etienne Gourmelen – BP 1705

    29107 QUIMPER CEDEX

    Infirmier-Patient :

    Se comprendre dans le soin

    UE 3.4 : « Initiation à la démarche de recherche »

    UE 5.6 : « Analyse de la qualité et traitement des données scientifiques et professionnelles »

    UE 6.2 : « Anglais »

    Katell LE MOIGNE

    Promotion 2013/2016

    Formation en Soins Infirmiers

    Formateur guidant : Mme LE SIGNOR Véronique

  • 2

    INSTITUT DE FORMATION EN SOINS

    INFIRMIERS

    Groupement d’Intérêt Public

    1 Rue Etienne Gourmelen – BP 1705

    29107 QUIMPER CEDEX

    Infirmier-Patient :

    Se comprendre dans le soin

    UE 3.4 : « Initiation à la démarche de recherche »

    UE 5.6 : « Analyse de la qualité et traitement des données scientifiques et professionnelles »

    UE 6.2 : « Anglais »

    Katell LE MOIGNE

    Promotion 2013/2016

    Formation en Soins Infirmiers

    Formateur guidant : Mme LE SIGNOR Véronique

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    Je déclare sur l’honneur que ce mémoire est le fruit d’un travail personnel, que je n’ai ni

    contrefait, ni falsifié, ni copié tout ou partie de l’œuvre d’autrui afin de la faire passer

    pour mienne.

    Toutes les sources d’information utilisées et les citations d’auteur ont été mentionnées

    conformément aux usages en vigueur.

    Je suis consciente que le fait de ne pas citer une source ou de ne pas la citer clairement et

    complètement est constitutif de plagiat, que le plagiat est considéré comme une faute

    grave au sein de l’IFSI, pouvant être sévèrement sanctionnée.

  • 4

    Note au lecteur

    « Il s’agit d’un travail personnel et il ne peut faire l’objet d’une publication en tout ou

    partie sans l’accord de son auteur »

  • 5

    Sommaire

    Pages

    Note au lecteur 4

    Introduction 8

    La situation d’appel 9

    1. Description de la situation 9

    2. Analyse 10

    3. Problématique 11

    Cadre conceptuel 13

    1. La communication 13

    1.1 Définition 13

    1.2 La communication vue par Shannon 13

    1.3 La communication verbale 14

    1.4 La communication non verbale 15

    1.5 La distance dans la communication 16

    2. La bienveillance 17

    2.1 Définition 17

    2.2 La bienveillance dans le soin 17

    2.3 La charte de bienveillance 19

    3. La vulnérabilité 22

    3.1 Définition 22

    3.2 L’être vulnérable 22

    3.3 La posture soignante 23

    Enquête de terrain 27

    1. Présentation du dispositif et des modalités d’enquête 27

    1.1 Choix et construction de l’outil d’enquête 27

    1.2 Choix des lieux et des populations 27

    1.3 Modalités de réalisation 27

    1.4 Traitements des données recueillies 28

    2. Analyse des données recueillies 28

    2.1 Profil des infirmières 28

    2.2 La communication 29

  • 6

    2.3 La bienveillance 30

    2.4 La vulnérabilité 32

    2.5 Pour conclure 33

    3. Synthèse de l’analyse 34

    Conclusion 35

    Bibliographie 36

    Annexes I

    Sommaire des annexes I

  • 7

    « Si je peux écouter les choses que l’autre me dit,

    Si je peux comprendre comment elles lui apparaissent,

    Si je peux comprendre les significations personnelles qu’elles ont pour lui,

    Si je peux sentir l’exacte nuance d’émotion qui les accompagne,

    Alors je libérerai de puissantes forces de changements. »

    Carl ROGERS

  • 8

    Introduction

    Afin de clore ces trois années menant au diplôme d’état infirmier, il nous est demandé de

    rendre un travail de fin d’études. Ce dernier est nommé depuis peu MIRSI : mémoire

    d’initiation à la recherche en soins infirmiers. Par le biais d’une méthode alliant rigueur et

    réflexion, cette initiation à la recherche nous permet, in fine, de converger vers un

    positionnement professionnel en tant que futur(e) infirmier(e).

    Pour ce faire, il m’a fallu une situation de départ. C’est au cours de mes différents stages que

    l’une d’entre elles m’a particulièrement interpellée. Elle s’est déroulée lors de mon second stage

    en première année. C’est une scène qui m’a marquée puisqu’elle m’a amenée vers une remise en

    question quant à mon attitude dans la relation soignant/soigné. C’est lors de cette situation que

    j’ai pris conscience de ma posture en tant que future professionnelle. Durant les stages qui ont

    suivi, à de nombreuses reprises je me suis questionnée et repositionnée. Mais ce stage du

    semestre 2, a vraiment été le point de départ du sens moral que je donne à ce métier. S’ajoutait à

    cela, l’importante prise de conscience dans la notion de mansuétude lors d’une prise en charge

    d’un individu. C’est pourquoi, j’ai décidé d’orienter le travail qui va suivre sur le thème de la

    communication, et plus particulièrement sur la difficulté de compréhension qui peut s’immiscer

    entre le soignant et le soigné.

    Pour l’élaboration de ce travail j’ai, en premier lieu, détaillé la situation vécue qui m’a permise

    d’apporter des questionnements et de poser ma problématique. C’est à partir de cette dernière

    que j’ai ensuite établi un cadre conceptuel où j’ai développé, par des recherches théoriques, trois

    principaux items en lien avec mon sujet. Afin de confronter ces recherches, j’ai procédé dans un

    troisième temps à une enquête de terrain. Le principe, dans ce cas, étant d’analyser trois

    entretiens effectués auprès de professionnelles, avec mes données du cadre théorique. Enfin, et

    avant de conclure ce mémoire, je terminerai par une synthèse de l’analyse de ces dialogues, et

    l’évolution de mon questionnement.

  • 9

    La situation d’appel

    1. Description de la situation

    La situation se déroule en EHPAD. Je suis dans ma quatrième semaine de stage S2 dans

    un service qui compte vingt résidents, dont trois que j’ai pris en charge. Il est 12h35, l’équipe de

    l’après-midi commence à arriver en vue des transmissions qui auront lieu d’ici dix minutes. Je

    me trouve dans le poste de soins avec l’équipe du matin : quatre aides-soignantes, une étudiante

    infirmière en fin de 3e année et une infirmière. Sur le tableau des chambres, le numéro 2 sonne,

    il s’agit de Mr L. Quasiment toute l’équipe est assise, mis à part moi et une aide-soignante, par

    manque de chaises. Etant debout, et voyant mes collègues finir leurs transmissions écrites pour

    certaines, je me dis pouvoir y aller, puisque je suis là à ne rien faire. Je préviens donc que je m’y

    rends.

    Je connais peu cet homme puisque au quotidien je m’implique davantage dans la prise en charge

    de trois résidents dont il ne fait pas parti. Mr L., âgé de 79 ans, est dans la structure depuis trois

    semaines, en chambre seul, il ne peut s’alimenter seul, nécessite une aide totale à la toilette.

    Quand il est levé, il est assis dans un fauteuil roulant, et sa capacité de jugement est diminuée

    avec une désorientation temporo-spatiale. Lorsque j’arrive dans sa chambre, la porte est fermée,

    il est installé dans son fauteuil, et il demande à être couché pensant qu’il est plus de 16h00. Il

    n’a été levé qu’à 11h30 pour le déjeuner. Je lui explique donc qu’il est encore tôt en lui

    précisant que les aides-soignantes viendront le coucher d’ici une heure environ. Il ne me répond

    pas, mais me regarde fixement. Son regard me trouble, car je ne sais que penser : a-t-il vraiment

    compris ce que je viens de lui expliquer ? Ou se dit il que c’est moi qui n’ait pas compris sa

    demande et se désole que je n’y réponde pas car il se sent vraiment fatigué ? Ou bien encore, un

    regard qui traduit la fatalité de se dire « Je ne suis plus chez moi, je ne peux plus faire ce que je

    veux quand je veux, ici « on » décide à ma place ». Malgré ses yeux qui ne me lâchent pas, je

    tourne les talons et sors de la chambre.

    A peine suis-je de retour dans le poste de soins qu’il sonne à nouveau. Les transmissions sont

    sur le point de démarrer et j’ai envie d’y participer avec l’équipe pour être tenue informée

    d’éventuels problèmes, pour m’exprimer sur les résidents que j’ai en charge et aussi pour

    m’entraîner à cet exercice verbal qui, en première année, n’est pas évident à acquérir. Mais je

    comprends alors que toutes mes collègues sont prêtes à s’exprimer entre elles et me laissent le

    soin de répondre encore à Mr L.. A mon arrivée dans sa chambre, ce dernier réitère sa demande,

    ce à quoi je lui réponds comme précédemment, en ajoutant que l’équipe de l’après-midi est

    arrivée mais qu’il faudra attendre un peu avant qu’elle ne vienne le coucher. Je lui pose à

    nouveau des repères temporels. Il ne s’exprime pas beaucoup plus, si ce n’est que cette fois il

    me demande de ne pas fermer sa porte lorsque je quitte sa chambre. Une fois de plus, et peut

    être encore un peu plus vite que la fois d’avant, je quitte la pièce pour assister aux

    transmissions. Tout ceci en me disant que de toute façon il devra attendre un peu, puisque seule

    je ne peux pas le coucher, et que les aides-soignantes ne feront leur tour qu’après les

    transmissions. L’une d’entre elles me demande cependant ce que veux Mr L. A ma réponse, elle

    prend note de passer le voir au début de leur tour.

    Transmissions…Transmissions… A ce moment, je n’ai que cet objectif en tête et je ne prends

    même pas conscience du voile que je pose d’une manière abstraite sur la demande, l’appel

    qu’est en train de faire un individu en position de vulnérabilité par rapport à moi. Si cette

  • 10

    personne avait eu les moyens d’exprimer son mécontentement d’une façon plus forte,

    verbalement ou physiquement, l’aurais je laissé dans son fauteuil sans rien dire à personne après

    deux passages assez rapide à ses côtés ?

    A nouveau, pour la troisième fois, Mr L. sonne immédiatement. A cet instant je ressens de

    l’agacement car je ne cesse de faire des va et vient qui m’empêchent d’être participative auprès

    de mes collègues. En éteignant la sonnette dans sa chambre je croise à nouveau son regard…ce

    regard qui m’a troublé un instant auparavant et qui cette fois m’accroche davantage, me

    perturbe. Par ce fait, je décide de m’attarder auprès de lui, lui demande s’il se sent bien, s’il a

    besoin de quelque chose. Son visage est triste, il ne me répond pas, il me fixe toujours et dans

    ses yeux des larmes apparaissent. Cette scène m’affecte et me peine. Je ferme alors la porte,

    m’assois face à lui et débute alors un échange verbal d’environ dix-quinze minutes. Je

    l’interroge sur le pourquoi de ces pleurs, il me répond qu’il veut rentrer chez lui, que sa place

    n’est pas ici. Malgré la présence du personnel, ainsi que le passage quotidien de son épouse, il

    regrette son domicile, et se dit « seul ». Il a conscience de ne plus avoir toutes ses capacités

    physiques qui le rendent dépendant d’autrui, et je comprends que cela le blesse dans sa fierté.

    Quand bien même il ne bougeait pas plus chez lui, il était au moins dans ses affaires, me

    rapporte t’il. Nous parlons alors des diverses difficultés qu’il rencontre dans sa mobilité, que sa

    femme est aussi âgée que lui et, par ce fait, elle ne pouvait plus tout « supporter » seule. Mais, la

    présence de son épouse reste forte, aimante et il en a conscience. Puis, au fil de notre

    conversation, je lui pose alors des questions sur sa vie active, son lieu d’habitation, ses

    habitudes de vie, ses enfants et petits enfants… Il a parfois des difficultés à me répondre,

    cependant devant l’effort à fournir face à mes questions, et les minutes qui s’égrainent mine de

    rien, il en oublie ce pourquoi il éprouvait de la tristesse quelques minutes auparavant. Mr L., au-

    delà de la sensation de fatigue qu’il devait éprouver, se sentait isolé et abandonné dans sa

    chambre. Le fait de laisser la porte ouverte afin qu’il puisse se divertir du passage dans le

    couloir n’est en rien une alternative au sentiment de solitude et d’abandon très présent chez Mr

    L..

    Pour la troisième fois, je quitte cette chambre n°2. La chambre de Mr L., au visage apaisé, qui

    m’adresse un sourire avant que je ne lui tourne le dos et qui n’aura pas actionné sa sonnette une

    seule fois avant la fin de ma journée, trente minutes plus tard.

    Les transmissions… ? Je n’y aurais finalement pas assisté, et je ne m’en veux pas. Mon état

    d’esprit est différent. Cet homme a réussi en l’espace de quelques instants à changer ma vision

    de la relation que j’avais avec lui, pour lui, et pour les autres à venir.

    2. Analyse

    Cette situation a eu lieu durant ma première année de formation. Nonobstant, il s’agit

    bien là d’une scène qui m’a le plus interpellée parmi les stages que j’ai effectué depuis. Et ce,

    pour plusieurs raisons.

    Tout d’abord, en première année, nous manquons d’expérience. Avec un seul stage de cinq

    semaines à mon actif lors du premier semestre, j’étais encore loin de me sentir très à l’aise dans

    le soin d’une manière générale. Je découvre les différentes pathologies au fur et à mesure des

    semaines, ainsi que leurs répercussions sur le quotidien des personnes qui en sont atteintes. Ceci

    a donc pour effet de provoquer en moi certains étonnements, induisant un temps d’adaptation et

    de compréhension à chaque nouvelle situation. Dans le cas présent, je suis restée étonnée un

    certain moment sur le fait que Mr L. sonne de manière intempestive pour la même raison.

  • 11

    Pourtant, je lui expliquais bien qu’il devait patienter, mais il n’avait pas l’air de comprendre et

    je me heurtais à son impatience.

    Cela a eu pour effets de provoquer en moi un certain ressenti qui, au fil de la situation s’est

    traduit par différentes émotions. Je ne cache pas que les coups de sonnettes répétées m’ont

    agacée au départ, et ce, surtout parce qu’ils m’empêchaient de participer aux transmissions.

    Mais aussi parce que Mr L. s’entêtait dans sa demande, alors que ce n’était pas le moment. Je

    voulais m’en tenir aux horaires réglés et habituels. Cependant, cette irritation première, s’est

    muée en empathie vis-à-vis de cet homme lorsqu’il a laissé apparaître sa tristesse sous forme de

    chagrin. C’est à ce moment que j’ai vu sa peine et que j’ai cherché à comprendre pourquoi. Et,

    c’est au détour de la conversation qui s’en est suivie, que j’ai ressenti de la tristesse face à cet

    individu qui m’exprimait oralement son sentiment d’abandon et d’isolement. Mais, il a en effet

    été nécessaire que je sois confrontée à cette détresse visuelle pour enfin prendre conscience du

    mal-être de ce résident.

    Alors j’ai admis qu’un lieu de vie n’est pas un « chez soi ». Quand bien même, lorsque nous

    sommes en vacances, ne nous tarde t’il pas parfois de rentrer à domicile ? Lieu et espace de vie

    intime, propre à chacun, emplis d’affaires et d’habitudes personnelles. Un environnement que

    l’on conçoit, est un environnement qui nous ressemble et qui contribue à l’image subjective

    dont on se fait du bien-être. De plus, au terme de cette scène, j’ai constaté mon manque de

    maturité professionnelle vis-à-vis de la demande de ce résident. Je n’ai pas su et/ou voulu

    répondre à la demande de Mr L. dans un premier temps. Mais pourquoi ? Et était-ce seulement

    un manque d’expérience ?

    3. Problématique

    Cette analyse m’a d’abord amenée à m’interroger sur plusieurs points :

    - L’organisation des soins doit elle imposer un rythme de coucher ? - Un soignant peut-il ne pas s’apercevoir du mal-être d’un patient alors qu’il en ressort de

    son rôle propre ?

    - Pourquoi est-ce parfois difficile pour un soignant de décoder la demande d’un patient ? - Si cette personne avait été moins vulnérable, aurais-je réagi de la même façon ? - Apporter une réponse soignante en corrélation avec la demande du patient comble-t-elle

    le sentiment de quiétude professionnelle, alors qu’en première intention la priorité du

    soignant en était éloignée ?

    De ces questionnements, en sont ressorties des hypothèses :

    - En tant que future professionnelle de santé, je n’ai pas été en capacité de décoder la demande du résident, car, à cet instant mon esprit a dû être accaparé par un objectif

    découlant du contexte : la contrainte des transmissions qui se déroulent à heure fixe.

    - L’organisation institutionnelle pourrait induire que le fait de réaliser des tâches à horaires fixes ait un impact sur la prise en soins du patient.

    - Le manque d’expérience en communication et/ou le manque d’apports théorique à ce sujet, pourraient représenter un frein à la compréhension d’une situation donnée.

    - Il y aurait la manifestation d’un décalage entre la demande telle qu’elle est exprimée par le patient, et ce que peut en comprendre le soignant.

  • 12

    Et, c’est donc à ce stade que j’ai posé la problématique suivante, afin d’élaborer le

    travail qui va en découler :

    En quoi est-ce une source de difficulté pour le soignant de décoder la demande du patient

    dans le soin ?

  • 13

    Cadre conceptuel

    Suite à la situation d’appel et à mes questionnements, trois concepts m’ont paru important d’être

    traités. Différentes recherches m’ont permise d’étayer la base théorique qui va suivre. Dans un

    premier temps, j’aborderai la notion de communication, qui pour moi représente un acte de soin

    à part entière. Ensuite, je m’attarderai sur la bienveillance. Enfin, le thème de la vulnérabilité

    viendra clore ce cadre conceptuel.

    1. La communication

    1.1 Définition

    La communication se définit comme telle : « Émission et transmission d'un message par une personne ou un groupe et sa réception par autrui avec des erreurs possibles, liées surtout au codage de

    la langue parlée ou écrite, du langage mimogestuel, par l'émetteur, puis au décodage par le récepteur.

    Processus fragile d'action et de rétroaction, qui permet interaction et synchronisation entre les

    communiquants. » 1. Le fait de vouloir se faire comprendre de l’autre ne se résume pas seulement

    à émettre des paroles pour s’exprimer. En effet, comme le souligne justement Evelyne

    Terrat : « Le langage est spécifique de l’être humain, mais seulement 10% de l’information passe par le

    canal de la parole. »2. Alors qu’en est-il du reste ? Comment l’individu parvient il à

    communiquer, sans pour autant toujours parvenir à se faire comprendre. Quels sont ces modes

    de communication et comment fonctionnent ils ?

    1.2 La communication vue par Shannon

    Intéressons nous au schéma élaboré par Claude Shannon. Cet ingénieur mathématicien a

    été l’un des précurseurs dans le fondement des théories de la communication. C’est au cours des

    années 40 qu’il pose un schéma général basé sur des étapes bien distinctes reliant un émetteur et

    un destinataire. Ses travaux se sont vus, par la suite, étoffés de différents apports. Wiener,

    mathématicien et théoricien, vient appuyer sur l’importance de l’existence d’une certaine

    interaction entre l’émetteur et le récepteur. Weaver, philosophe de son état, complète quant à

    lui, ce schéma par l’introduction de la possible présence de facteurs parasites qui sont

    susceptibles de fausser la transmission du message. In fine, la représentation de la

    communication se déroule comme suit 3 :

    - L’émetteur : est celui qui diffuse le message, il peut être seul où former un groupe - Le récepteur : est celui qui va recevoir ce message - Le message : il s’agit des données qui sont transmises volontairement - Le canal de communication : c’est la voie de circulation du message envoyé, il peut être

    d’ordre visuel, sonore où encore sensoriel

    1 PSYCHOLOGIES. http://www.psychologies.com

    2 TERRAT, Evelyne. Communiquer, un apprentissage. L’aide-soignante, p.12

    3 Cf. annexe I

  • 14

    - Le code : est un ensemble de signes permettant de constituer le message pour l’émetteur et de le comprendre par le récepteur

    - Le feed-back : c’est la capacité du récepteur à pouvoir ré-exprimer le message transmis par l’émetteur, prouvant ainsi la bonne compréhension des données

    - Les bruits et interférences : concerne tout ce qui peut entraver la bonne transmission et réception du message émis, ils peuvent être là aussi d’ordre sonore ou visuel

    - Les filtres : c’est le fait que la possibilité d'expression peut être conditionnée par des facteurs extérieurs à la personne

    Tous ces éléments peuvent maintenant être apposés à ma situation de départ. Effectivement,

    bien que mes passages fussent répétés dans la chambre de Mr L., il m’a fallu un certain temps

    avant de décoder sa demande. Dans un premier temps, j’ai analysé rapidement son message : il

    voulait être couché, mais ce n’était pas l’heure. J’ai donc répondu défavorablement à sa

    demande. Je ne me suis basée que sur son expression verbale, car, inconsciemment une

    interférence contrecarrait la bonne réception de son message : les transmissions auxquelles je

    tenais absolument participer, inhibant par là même mes capacités à comprendre la demande

    première de cet homme. Soulignons également la présence de filtre du côté de Mr L., en prenant

    en considération le fait que ce dernier se trouve en structure, où des horaires et des règles sont

    mis en place afin de générer une organisation collective efficace. Ensuite, Mr L. a poursuivi ses

    efforts de communication en relançant sa demande d’une part, et en insistant sur le code d’autre

    part. Puisque, au final, c’est à partir de son regard que ma compréhension s’est modifiée,

    permettant ainsi à la communication de devenir bidirectionnelle. Mes sens se sont élargis en

    reconnaissant l’existence de différents canaux de communication.

    Reprenons la devise de l’Ecole de Palo Alto, (courant de pensée et de recherche ayant pris le

    nom de la ville de Palo Alto en Californie, à partir du début des années 1950) qui dit ceci : «Il

    est impossible de ne pas communiquer ». Alors comment communique l’être humain et quelles

    en sont les formes ?

    1.3 La communication verbale

    La forme verbale est constituée de mots d’un langage donné. Ce dernier doit être bien

    connu entre deux interlocuteurs, au minimum, afin que la communication se fasse de la manière

    la plus efficiente possible. La communication verbale est une façon structurée et codifiée

    d’exprimer une idée, un besoin, un désir. C’est une manière directe et spontanée de s’adresser à

    l’autre. Cependant, il apparaît que le simple fait d’ouvrir la bouche n’aboutit pas forcément à un

    échange efficace !

    Gilbert Gasparutto, Directeur des ressources humaines d’un hôpital parisien, a écrit différents

    ouvrages professionnels sur le monde infirmier. Dans l’une de ses publications, il souligne que :

    « La bonne transmission d’un message est assujetti à un autre phénomène : l’existence de « filtres ». Même dans une conversation soutenue, le cerveau effectue des choix à notre insu, et oublie pour des

    raisons complexes, de mémoriser telle ou telle donnée. »4. En effet, au regard de la situation, quand

    bien même, moi et Mr L. étions dans un rapport de langage identique et compréhensible, sur

    l’instant il m’a été impossible de traduire sa demande. Inconsciemment, mon esprit restait figé

    sur la tenue imminente des transmissions que je ne voulais absolument pas manquer. Ainsi, dans

    l’empressement et également guidée par le maintien de certains horaires de tâches en structure,

    je n’ai pas dans un premier temps cherché à satisfaire les besoins de Mr L. au-delà de ce que j’ai

    voulu entendre par rapport à ce qu’il voulait me faire comprendre. C’est pourquoi, Gilbert

    4 GASPARUTTO, Gilbert. L’infirmière et la communication, p.31

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Palo_Altohttps://fr.wikipedia.org/wiki/Californiehttps://fr.wikipedia.org/wiki/1950

  • 15

    Gasparutto ajoute : « Ecouter suppose […] une démarche active, sous le contrôle de la volonté, et qui met en jeu l’ensemble de nos sens et de nos activités de perception. Par exemple, c’est écouter un

    individu silencieux que de le découvrir d’abord avec les yeux. »5. Mr L. verbalisait son désir d’un

    côté, et du mien je ne priorisait pas sa volonté, mais la mienne. Pour entrer dans une

    communication bidirectionnelle avec un individu, il faut avant tout être attentif à ses dires. La

    différence est nettement perceptible entre un récepteur qui n’est que dans la démarche

    « d’entendre », et celui qui est là pour « écouter ». L’écoute active est une forme de

    communication essentielle en relation d’aidant. Le décodage du message émis sera d’autant plus

    correct dans le second cas, puisque le récepteur sera consciemment axé sur les réponses à

    apporter en fonction des demandes exprimées. Et ce, par une observation d’ordre général de la

    situation avec nos « sens » justement : la vue, l’odorat, le toucher. C’est bien dans cette idée, à

    nouveau, que Gilbert Gasparutto relève : « Le divorce entre discours exprimé et discours silencieux

    est parfois trop flagrant. »6. En effet, dans certains contextes, nous avons tendance à nous tenir

    uniquement au décryptage de ce que l’autre nous dit en paroles. Cependant, derrière ces

    « mots » articulés, peuvent se cacher des « maux » tus, qu’il faut parvenir à deviner par d’autres

    signes environnants. Et, cette perception ne pourra se faire que s’il y a une concentration

    certaine de la part du récepteur. Ceci nous mène à l’autre forme de communication, la forme

    non verbale.

    1.4 La communication non verbale

    La communication non verbale correspond à l’expression du visage et aux postures du

    corps que l’on adopte : c’est le langage du corps. Le langage non verbal et la communication

    vocale ne sont pas toujours en accord avec le langage verbal. On peut signifier silencieusement,

    ou dans le ton utilisé, par exemple, le contraire de ce que l’on dit à haute voix.

    Guy Barrier, expert en analyse gestuelle et docteur en sciences de l'information-communication,

    note ceci : « Le non verbal peut être source de malentendus, de préjugés, de stéréotypes. »7. En effet, si

    l’on prend en considération le fait d’exprimer une requête par des mots tels que : « Je veux être

    couché, car je suis fatigué. » et qu’en parallèle, le regard est vif et la gestuel dynamique, il est

    clair que l’adéquation entre le verbal et le non verbal est faussée. Dans ce cas, l’esprit devra

    faire un choix entre ces deux messages contradictoires. Soit la personne sera couchée alors que

    le besoin n’était pas réel, soit elle ne le sera pas car son corps ne s’exprime pas dans ce sens.

    C’est bien là, toute la subtilité de la perception des choses par rapport à l’environnement. Car,

    nous pouvons tout aussi bien penser que cette personne est très expressive dans sa gestuelle, non

    pas parce qu’elle n’est pas réellement éreintée, mais car elle s’agace de devoir attendre pour se

    reposer. C’est le savoir comprendre au-delà des mots, afin d’amoindrir, voire de supprimer un

    décalage entre la demande telle qu’elle est exprimée par le patient, et ce que comprend le

    soignant. Un sens de l’observation affuté permet d’appréhender des messages qui nous

    parviennent de façon paradoxale. Dans la situation présente, Mr L. demande à être mis au lit,

    mais il reste prostré dans son fauteuil. Je pouvais donc comprendre de part son attitude qu’il

    pouvait, en effet, être fatigué. Mais, je me suis raccrochée aux horaires de passages du

    personnel soignant, et au fait qu’il avait été levé depuis peu. De cette manière, j’ai effectivement

    répondu défavorablement à son souhait. Cependant, et après coup, j’ai pris conscience d’un

    autre élément qui m’avais échappé de prime abord : son regard. « Le regard est à la fois un canal

    de communication, au-delà des mots, un indice affectif et un signal conversationnel »8. Et, c’est tout à

    5 GASPARUTTO, Gilbert. L’infirmière et la communication, p.63

    6 Ibid.p.64

    7 BARRIER, Guy. Communication non-verbale, p.141

    8 Ibid. p.70

  • 16

    fait ce qui s’est déroulé par la suite. Je note bien que son regard « m’avait troublé » lors de mon

    second passage, et qu’au troisième il « m’accroche ». Au fil de mes venues dans sa chambre,

    mon attention s’est modifiée et j’ai accédé inconsciemment à l’analyse du non verbal. J’ai

    finalement lu de la tristesse dans ces yeux, et c’est ainsi que je me suis posée à ses côtés pour

    entreprendre une conversation. A ce titre, comment me suis-je positionnée lors de ce face à

    face ?

    1.5 La distance dans la communication

    Au quotidien, nous sommes tous confrontés à l’interaction avec autrui. Selon notre statut,

    la personne avec qui nous communiquons, et le sujet de l’échange, notre occupation de l’espace

    sera différente en fonction de l’image que l’on se fait de l’autre. Cette notion de distance

    sociale, est aussi appelée « proxémie ». Edward T. Hall, anthropologue américain, est connu

    pour ses recherches sur la perception culturelle de l’espace, ainsi que le développement du

    concept de proxémie qu’il définit comme suit : « Ensemble des observations et théories concernant

    l’usage que fait l’homme de l’espace.»9. Grâce à ses nombreuses observations, Hall met en

    évidence quatre catégories principales de distances interindividuelles en fonction de la distance

    qui sépare les êtres :

    - 1/ La distance publique (entre 3 et 4 m) : une zone dite de « confort » qui est utilisée pour s’adresser à un groupe

    - 2/ La distance sociale (entre 1,50 et 3m) : lorsque deux personnes qui ne se connaissent pas communiquent

    - 3/ La distance personnelle (entre 0,50 et 1,50 m) : évocation de convivialité au niveau de l’échange entre deux individus

    - 4/ La distance intime (entre 15 et 50 cm) : zone où l’implication physique et l’échange sensoriel sont élevés, où ne sont acceptées que les personnes les plus proches (parents,

    amis chers, amant)

    En tant que soignant, c’est d’une façon journalière que nous entrons dans la sphère intime du

    soigné. Et ce, parce que notre métier nous l’incombe, avec l’accord de l’intéressé : « L’infirmier

    ou l’infirmière agit en toute circonstance dans l’intérêt du patient. »10. La distance sera adaptée en

    fonction du soin apporté, nous pouvons alors parler de distance professionnelle. Aider une

    personne lors de sa toilette, ou encore effectuer la détersion d’une plaie, nous amènera à toucher

    le patient. Différemment, une cotation de la douleur pourra s’établir dans un espace social.

    Enfin, un entretien d’ordre privé fera appel à une distance personnelle. Cette dernière tient

    souvent lieu lorsque l’empathie s’élève suite au réveil de nos sens, sources de notre

    compréhension. D'après J. Decety, les deux composantes de l'empathie sont : « Une réponse affective envers autrui qui implique un partage de son état émotionnel et la capacité cognitive de prendre

    la perspective subjective de l'autre personne »11. Cette citation explicite bien l’attitude qui fût

    mienne dans la situation avec Mr L.. Effectivement, lors de mes premiers passages je ne me suis

    pas attardée dans la chambre de Mr L., tout en restant à une distance sociale pour lui répéter que

    l’équipe d’après-midi repasserait le coucher. Comme dit précédemment, tout est parti de son

    regard. A ce moment, j’ai ressenti de la tristesse. J’ai vu un homme dépendant d’autrui,

    fortement affecté par la solitude. Un homme dont les yeux, si l’on voulait bien s’y attarder,

    exprimaient tout ce qu’il ne pouvait émettre en paroles. L’agacement initial face aux répétitions

    9 UNIVERSITAT GIESSEN. https://www.uni-giessen.de

    10 MINISTERE DES AFFAIRES SOCIALES ET DE LA SANTE. Profession Infirmier, Berger-Levrault,

    article 4312-26. p.218 11

    MANOUKIAN, Alexandre, MASSEBOEUF, Anne. La relation soignant-soigné, p.60.

  • 17

    de sonnette, avait laissé place à un discernement tout autre. De sa tristesse, émane finalement

    des larmes qui me touchent, qui me peinent, qui m’interpellent enfin sur la véritable sollicitation

    de Mr L.. Mon approche devient dès lors différente. Affectée par la scène, je m’en veux de

    l’avoir laissé auparavant. Souhaitant le soutenir dans ce désarroi, j’entre dans une distance

    personnelle en m’asseyant près de lui, face à face. Ceci dans un but : instaurer un climat de

    confiance, propice à l’échange sur son mal être présent. S’approcher physiquement et rester aux

    côtés d’une personne, c’est faire preuve de disponibilité et d’attention. Je me suis positionnée de

    deux manières. Humainement tout d’abord, de par ma sensibilité, en compatissant à ses

    troubles. Puis, en tant que soignant, dans un état d’esprit corroborant avec l’envie d’apporter du

    bien être à cet homme, ne serait ce qu’en l’écoutant. Pourtant, n’y a t’il pas eu un manque de

    bienveillance dès le début de cette situation ? C’est à partir de cette interrogation que je vais

    aborder le concept de la bienveillance.

    2. La bienveillance

    2.1 Définition

    Lors de l’émergence des concepts en rapport avec ma situation de départ, les notions de

    bienveillance et de bientraitance en sont naturellement ressorties. Il m’a fallu faire un choix,

    pensant que ces deux principes se rejoignaient de trop. Suite à mes recherches, en peu de temps

    j’optais pour la bienveillance. Certains noteront que la bientraitance est plus à même d’être

    soulignée dans notre profession, puisqu’elle relève davantage du domaine de l’éthique. Malgré

    cela, j’ai décidé de traiter le terme de bienveillance, car je suis d’avis qu’il est à la base du soin.

    Le mot « bienveillant » vient du latin « bene volens » : qui veut du bien.

    En effet, pour le Larousse, il s’agit d’une : « Disposition d’esprit inclinant à la compréhension, à

    l’indulgence envers autrui. »12. A ce titre je reprendrai le mot « compréhension ». C’est bien cela

    qui m’a fait défaut dès les premières interactions avec Mr L.. Ce manque de clairvoyance dans

    sa demande a influé sur mon comportement, mais pas seulement. « La bienveillance réfère aux attitudes des personnes qui démontrent de l’empathie, de la compassion et le souci du bien être des

    autres »13. Etre bienveillant, ne se résume pas uniquement à être attentif aux besoins des autres.

    C’est aussi, et surtout, aller au-delà de ses propres valeurs et intérêts personnels dans le but de

    prioriser l’intérêt de l’autre. L’erreur était mienne, lorsque j’ai mis en avant le fait de vouloir

    absolument participer aux transmissions. Volontairement, j’ai biaisé son désir d’être couché en

    me « cachant » derrière mon envie d’être présente aux transmissions à un horaire fixe d’une

    part, et car le passage des aides-soignantes était prévu d’autre part. Je me suis donc interrogée

    sur la place que prenait la bienveillance au quotidien dans l’ensemble des soins, et de

    l’importance de l’engagement dans cette valeur.

    2.2 La bienveillance dans le soin

    Il est fort intéressant de se pencher sur ce concept de plus près, en commençant par le

    scinder en deux mots, afin d’en apprécier davantage tout ce qu’il a de porteur. Ce neuro-pédiatre

    et docteur en philosophie, Alain De Broca a rédigé différents articles et ouvrages, dont

    beaucoup traitent du prendre soin de « l’Homme ». Dans l’une de ses nombreuses publications,

    12

    LAROUSSE. http ://www.larousse.fr 13

    L’HÔPITAL LOUIS-H. LAFONTAINE. http://.iusmm.ca. (p.9)

    http://.iusmm.ca/

  • 18

    il écrit ceci : « Veiller et bien veiller est le propre de celui qui se sent responsable d’autrui »14 . Voila

    donc ici mis en lumière la valeur de ce mot. Etre bienveillant, c’est être conditionné à apporter

    une certaine sollicitude, doublée d’une concentration certaine. Cependant, il est important de

    souligner, qu’il faut être pleinement convaincu et investigateur de cette démarche. Car, dans le

    cas contraire, cette dernière devient inexistante et peut mener à ne voir l’Homme uniquement

    comme un simple patient recevant un simple geste technique, ou encore devant se plier aux

    règles de vie dictées par une hiérarchie de laquelle il n’aspire que du bien-être. C’est le cas de

    Mr L., qui sollicitait une aide…aide à contrer sa solitude et son ennui qui le rendaient las. Son

    épouse, âgée elle aussi, avait préféré son placement en structure. Cette femme, devenue trop

    faible physiquement, n’avait plus la force justement de veiller quotidiennement sur son mari. Et

    c’est en nous qu’elle avait placé sa confiance pour s’occuper au mieux de son mari. Elle a fait ce

    choix, car elle se sentait responsable de lui, et que s’il lui était arrivé quelque chose de fâcheux à

    domicile, elle s’en serait probablement sentie coupable. En tant que future professionnelle de

    santé lors de mon stage, j’étais responsable de Mr L.. Je me suis rendue compte, que je n’ai pas

    veillé à son bien être lorsque j’ai différé le moment de son coucher, malgré son air fatigué, sous

    prétexte qu’il y avait des horaires prévus pour cela. Cependant, j’ai participé à son apaisement

    moral lorsque j’ai pris le temps de converser avec lui pour tenter de minimiser le sentiment

    d’abandon qui l’envahissait, mandatée par un esprit de bienveillance à son égard.

    « La bienveillance n’est certes pas le propre du soignant, mais c’est le cœur de son métier tout comme

    une mère ou un parent se sent convoqué par l’enfant qui le regarde avec sa nudité et sa fragilité. »15

    . Cela sonne juste. En tant que soignant nous sommes responsables de nos actes vis-à-vis de

    chaque individu. La base même de notre métier n’est t’elle pas celle de porter des soins les plus

    attentifs qu’ils soient ? Cette attention qui doit être la plus optimale possible envers quelqu’un,

    et ce dans l’unique but, celui de le protéger. Annihilé de cet appui aux gestes techniques

    quotidiens, il nous deviendrait impossible d’être pleinement opérationnel. La bienveillance nous

    aide dans la prise en charge de chaque patient. Elle nous permet de ne pas oublier que derrière

    toute action engagée, spécifique ou non, il y a un Homme. Lorsque Alain De Broca utilise le

    mot « convoqué », on comprend là « une attente » du sujet dans sa demande. Que cette dernière

    soit bien explicitée, ou au contraire difficilement interprétable, il faut y répondre. Un jeune

    enfant, qui n’a encore que le babillage, ses yeux et ses membres pour s’exprimer parvient en

    règle générale à se faire décoder par ses parents. Pourquoi ? Parce que en tant que père, mère,

    ou encore grands-parents, une attention toute particulière est projetée sur ce petit être. Dans ce

    cas, peu importe le temps passé avant de comprendre pourquoi il pleure, ce qui le fait rire, où

    encore ce qu’il aime où non au moment du repas. La finalité est de satisfaire pleinement la

    réclamation de l’enfant, pour qu’il s’apaise et que ses parents le sentent heureux. Et, à leur tour,

    père et mère se sentiront également satisfaits de leur acte, par la jouissance de « l’avoir bien

    fait ».

    Dès lors où je me suis assise près de Mr L., parce que j’avais lu dans son regard une tristesse

    certaine, j’ai espéré pouvoir le soulager. Ses yeux m’ont appelé plus que ses paroles. Porter

    attention à ses proches est une chose, le faire envers autrui dans un cadre professionnel en est

    une autre. Cependant, ne pas avoir cette valeur de s’inquiéter de l’autre quel qu’il soit, nous

    mène forcément dans un registre différent de celui du prendre soin. J’ai choisi d’être infirmière

    car cela représente pour moi une façon d’être humaine par l’autre, et avec lui. J’ai quitté la

    chambre de Mr L. plus sereine qu’à mon entrée, laissant un homme détendu et souriant, aux

    antipodes de son expression initiale. Le contentement était perceptible de son côté, comme du

    mien. A. De Broca insiste sur ce fait en reprenant : « La bienveillance n’est pour nous, ni une mode, ni une pensée désuète, mais constitue bien le cœur d’un métier qui ne se satisfait pas de simples gestes

    14

    DE BROCA, Alain. La bienveillance, cœur de tout soin. Ethique et santé, p.171 15

    Ibid. p.171

  • 19

    techniques, ni à une gestion financière stricte, mais se fonde d’abord sur une relation entre deux

    êtres. »16

    . Pour illustrer ces dires, prenons par exemple les services qui accueillent des patients

    dont les hospitalisations sont plus longues (soins de suite et de réadaptation, psychiatrie, moyens

    séjours), ainsi que les prises en charge de personnes âgées dépendantes sur du long terme

    également, en EHPAD. Alors, nous pouvons constater que le risque est plus grand d’instaurer

    une routine des soins, et par là même, de perdre de vue le sens des actes que nous sommes

    amenés à réaliser au quotidien. C’est pourquoi, parallèlement à la technique, il est primordial de

    continuer à solliciter tous nos sens (dont le premier reste l’observation), de conserver une

    certaine patience, et de respecter le rythme de chacun afin de créer une relation singulière auprès

    de chaque patient. Mon observation de Mr L. m’a guidée vers une prise de conscience du mode

    relationnel. Déjà conditionnée par des horaires à respecter en fonction des tâches à effectuer

    depuis le début de mon stage dans cet EHPAD, j’en étais arrivée à négliger la place centrale du

    résident. Mais, j’ai réussi à recréer un lien avec lui, me permettant de faciliter l’échange et la

    communication, et reconnaître cet homme pour ce qu’il est, ce qu’il représente : un être à part

    entière.

    C’est à juste titre, que cette aptitude de bienveillance, fait très souvent l’objet d’une charte dans

    différents établissements. Voyons ce qu’il ressort des points évoqués dans cette dernière.

    2.3 La charte de bienveillance

    Une charte est « un texte juridictionnel ou une règle fondamentale, censée s’appliquer à tous,

    ayant pour but de garantir des libertés, des droits ou des devoirs. »17

    . La plus répandue, et affichée

    dans de nombreux établissements de santé, est celle du patient hospitalisé classée en onze

    points. Cette charte de la personne hospitalisée, a pour but d’informer les patients sur leurs

    droits tels qu’ils sont appuyés par des lois, comme celle du 4 mars 2002 relative aux droits des

    malades et à la qualité du système de santé. La « qualité » justement, doit aussi se retrouver

    dans la prise en charge quotidienne de l’individu, et non pas uniquement lors de son accueil. Le

    patient, ou le résident doit rester l’objectif principal. C’est de cette capacité d’humanisation et

    du prendre soin de l’autre dans des conditions optimales, qui ont fait parallèlement émerger une

    charte de bienveillance. Cette dernière renforce les obligations des soignants tout en guidant

    leur conscience morale.

    Le plus souvent, cette charte est rédigée en concertation lors de réunions interprofessionnelles.

    Les points peuvent donc parfois différer d’une charte ou d’une structure à l’autre. Cependant, la

    cible reste quant à elle identique : promouvoir la corrélation du « mieux être » avec le « mieux

    faire » dans une attitude positive. Voyons l’exemple d’une de ces chartes établie en cinq points.

    « Respect des règles générales d’intimité et de courtoisie » 18

    Lorsqu’un patient est pris en charge à domicile, il y a naturellement cette prise de

    conscience d’entrer dans la sphère privée de ce dernier. De ce fait, avant d’entrer dans son lieu

    d’habitation, on sonne à la porte et une fois à l’intérieur on respecte ses habitudes, ses affaires

    personnelles…tout comme on le fait dès que nous ne sommes pas chez soi. C’est pourquoi, il

    16

    DE BROCA, Alain. La bienveillance, cœur de tout soin. Ethique et santé, p.172 17

    LA TOUPIE. http://www.toupie.org 18

    TOURNEBISE, Thierry. Bientraitance envers les patients et les personnes âgées.

    http://www.maieusthesie.com

  • 20

    est important de ne pas perdre de vue, même lors d’une hospitalisation ou d’un placement en

    structure, que l’individu doit bénéficier d’une égale considération vis-à-vis de son domaine

    privé. Les premiers temps, l’attention doit être d’autant plus forte envers les habitudes de vies,

    qui déplacées et modifiées, sont susceptibles de porter atteinte à l’intégrité physique et

    émotionnelle de l’individu. Par exemple, le fait d’être dénudé sur un lit devant deux soignants

    alors qu’auparavant, il ou elle faisait sa toilette seul(e) dans sa propre salle de bain, peut

    s’avérer très douloureux psychologiquement. Respecter ces règles élémentaires au quotidien

    permettent au soigné d’être tel qu’il est reconnu à l’extérieur en tant qu’Homme.

    Mes entrées dans la chambre de Mr L. se sont faites successivement et la porte était à chaque

    fois ouverte. Cependant, je prenais bien le temps de frapper avant de pénétrer dans son lieu de

    vie afin de lui montrer mon égard par rapport à son existence et pour lui notifier ma présence. Et

    ce bien qu’il est sonné au préalable, et donc qu’il guettait la venue d’un membre du personnel.

    « Respect individualisé »19

    N’oublions pas que chaque être est unique. Ce qu’il faut retenir ici, avant tout, c’est l’

    « adaptation ». Non seulement ne pas oublier que cette personne doit s’acclimater à son nouvel

    environnement, mais aussi, que le rôle du soignant est de ne pas le conditionner aux règles

    strictes de l’établissement. Il est primordial, afin justement de faciliter cette adaptation,

    d’exécuter les soins en adéquation avec son rythme, tout en conservant bien entendu une

    organisation de travail. Cela peut représenter parfois quelques difficultés au niveau du maintien

    à long terme des habitudes de vie. Mais le fait d’y prêter attention dès le départ, permet

    d’amener petit à petit la personne concernée vers de nouveaux arrangements avec son accord.

    Et, puisque chaque Homme est un individu à part entière, ses besoins, ses envies, ses émotions

    et sa douleur seront différents. C’est donc à nous soignants, qu’incombe la responsabilité

    d’accompagner le soigné dans des conditions qui lui seront propres en évaluant régulièrement

    ses besoins et ses attentes.

    Dans ma situation, Mr L. demandait à être couché. Dans un premier temps, je lui ai expliqué

    qu’il fallait attendre le tour de l’équipe de l’après-midi. Si il était vraiment fatigué, et que chez

    lui il avait pour habitude de s’allonger après le repas, ou que ce jour là il se sentait plus affaibli,

    pourquoi devait il attendre une heure de plus ? Son rythme n’était pas respecté, subordonné aux

    horaires de passage du personnel soignant. Ceci n’a pu qu’induire un sentiment d’abandon plus

    prononcé.

    « Reconnaissance de ce qui est exprimé »20

    Dans le terme « exprimé », nous retrouvons le fait de pouvoir extérioriser sa pensée, ses

    besoins par le langage oral et /ou corporel. Cet item, nous renvoie donc à la communication. Il

    faut être capable de prendre en considération les demandes et les attentes du soigné, ainsi que

    celles de son entourage. En effet, les proches sont des personnes ressources lors d’une

    hospitalisation ou d’un placement. Et, l’impact qu’ils peuvent avoir sur le vécu du soigné lors de

    sa prise en charge est loin d’être négligeable. Il faut savoir entendre et comprendre les requêtes

    19

    TOURNEBISE, Thierry. Bientraitance envers les patients et les personnes âgées.

    http://www.maieusthesie.com 20

    Ibid. http://www.maieusthesie.com

  • 21

    de chaque partie. En cela, ils nous apportent également une aide pour connaître les assuétudes et

    l’environnement dans lesquels le patient évolue. Ce qu’il nous est alors donné d’apprendre ne

    peut qu’être favorable pour optimiser les soins globaux, d’une manière générale, que nous

    serons en mesure d’apporter à un individu.

    Dans un premier temps, malgré son regard insistant, je n’ai pas su voir, ni comprendre la

    douleur psychologique de Mr L.. C’est un homme que je connaissais peu. Je savais juste qu’il

    nous avait rejoints depuis seulement trois semaines, et que son épouse était présente à ses côtés

    tous les après-midi. Je n’ai su qu’après notre discussion pourquoi la tristesse l’animait. Si

    j’avais eu davantage de renseignements le concernant, il m’aurait sans doute été plus aisé de

    cerner le problème dès le départ. Je n’aurais peut être pas attendu ma troisième venue pour enfin

    prendre le temps d’échanger avec lui sur son sentiment de malaise général. J’aurais porté plus

    attention à cette personne qui était encore en « acclimatation », et aurait vu plus rapidement

    dans ses yeux que quelque chose le perturbait, et ici, en l’occurrence lorsqu’il me dit

    vouloir : « […] rentrer chez lui, que sa place n’est pas ici.».

    « Qualité de la vie sociale »21

    Ce n’est pas parce qu’une personne a laissé derrière elle une adresse fixe, lieu de ses biens

    matériels et de ses repères, qu’il faut l’obliger à tout renoncer. Le nouvel endroit de vie proposé,

    et là il s’agit surtout des lieux de résidences où les séjours sont plus longs, pourront

    progressivement être agrémentés d’objets personnels. Dans ce cas, les personnes sont le plus

    souvent en chambre seule. Cette dernière, au mobilier adapté en fonction du degré de

    dépendance de chacun, deviendra plus accueillante et chaleureuse avec des effets qui sont

    propres à chaque individu. L’objectif est ainsi de développer chez le résident l’appropriation

    d’un autre « chez soi ». Le fait est avéré que, si l’on se sent bien dans de nouveaux murs, le

    désir de recevoir des proches dans son espace de vie et entretenir par là même une sphère privée

    est quand à lui conforté. La création de liens avec d’autres personnes de l’établissement est un

    bon allié pour l’adaptation. Mais, conserver les liens existants avec l’extérieur, c’est conserver

    une partie importante de sa vie d’avant, qu’il s’agisse d’objets ou de relations. Les plaisirs qu’ils

    ont de la vie ne doivent pas s’arrêter au pas de la porte d’entrée.

    Je me rappelle que Mr L. n’avait pour objet personnel (mis à part ses vêtements) qu’un poste de

    radio. Je ne dis « qu’un », mais peut être était ce qu’il appréciait le plus ? Cependant il n’était

    pas allumé quand je vins le voir. Avait il pour habitude d’écouter une station qui passait de la

    musique, ou était il au contraire féru d’informations ? Une fois encore, ne le connaissant pas

    suffisamment, je ne savais pas. Le fait de lui laisser un fond sonore aurait il cassé cette

    impression de solitude qu’il ressentait ? Toujours est-il, je l’avoue, n’avoir pas pensé lui

    demander s’il désirait que je l’allume afin qu’il puisse en profiter. Pourtant j’avais vu cette

    radio. En tout état de cause, je n’ai pas voulu prendre le temps de le faire, sans doute dû à mon

    empressement.

    « Autonomie »22

    21

    TOURNEBISE, Thierry. Bientraitance envers les patients et les personnes âgées.

    http://www.maieusthesie.com 22

    Ibid. http://www.maieusthesie.com

  • 22

    L’autonomie c’est : «La capacité à se gouverner soi-même ; elle présuppose la capacité de jugement, c'est-à-dire prévoir et choisir, liberté d’agir, d’accepter ou de refuser en fonction du

    jugement. »23

    . C’est là une des clés qui permet le maintien envers l’individu, du respect à sa

    dignité. C’est le conforté dans son ressenti de continuer à exister en tant qu’Homme et d’être

    non seulement reconnu comme tel, mais aussi d’être accepté avec ses handicaps tout autant

    qu’avec ses capacités et ses valeurs. Dans un accompagnement journalier, c’est veiller à ce qu’il

    reste maître le plus longtemps possible de ses facultés physiques et intellectuelles, en stimulants

    ses dernières au lieu de les exécuter à sa place. En ce sens, c’est entretenir une auto-confiance

    que la personne doit conserver au maximum.

    En réfutant la demande de Mr L., à deux reprises, lorsqu’il désirait se coucher, j’ai totalement

    occulté le respect de sa liberté de penser et de choisir. J’ai décidé à sa place qu’il n’était pas

    l’heure. J’ai pensé à sa place qu’étant donné son lever tardif, il pouvait patienter encore un peu.

    Je me suis également rappelé qu’une station trop prolongée au lit pouvait porter atteinte à

    l’intégrité cutanée. Néanmoins, répondre favorablement à sa demande sans autre explication

    qu’un : « […] il est encore tôt en lui précisant que les aides-soignantes viendront le coucher

    d’ici une heure environ. », peut porter atteinte à l’intégrité émotionnelle. Dans ma démarche, je

    n’ai fait qu’intensifier sa douleur. Aurais-je eu la même attitude face à une personne plus

    affirmée sur ses désirs ? En quoi mon comportement a-t-il été guidé face à une personne dite

    « vulnérable » ? Cette réflexion m’a porté vers un autre concept, celui de la vulnérabilité.

    3. La vulnérabilité

    3.1 Définition

    La plupart du temps, qualifier une personne de vulnérable revient à lui apposer une image

    péjorative vis-à-vis de la société dans laquelle elle évolue. En effet, on relève que : « La vulnérabilité traduit ainsi dans le langage commun, une faiblesse, une déficience, un manque, une grande

    sensibilité spécifique à partir desquels l’intégrité d’un être, d’un lieu, se trouve menacée d’être détruite,

    diminuée, altérée. »24

    . Dans un monde où tout va de plus en plus vite, invitant chacun d’entre nous

    à plus d’individualisme par manque de temps, il est courant de ne voir en la vulnérabilité qu’une

    façon de cataloguer des gens qui osent montrer leurs émotions, leurs sentiments et leurs failles

    qui sont interprétés comme des défauts. Ceci va donc à l’encontre d’une vitrine sociétale, où la

    prépondérance d’un caractère endurant et autoritaire force en général l’admiration. On considère

    communément « le vulnérable » comme démissionnaire de ses capacités à exister en tant que

    personnage unique, et de ce fait, à se laisser facilement gouverner par autrui.

    Voyons comment s’expose la vulnérabilité au quotidien, et dans ce cas, quelle est la posture

    professionnelle vis-à-vis, justement, de la position du soigné ? Enfin, du point de vue juridique,

    existe-t-il une protection pour ces personnes ?

    3.2 L’être vulnérable

    Serge Boarini, membre du Haut conseil de la santé publique, écrivait ceci : « Le vulnérable est celui qui ne parvient pas à maintenir ou à imposer ses normes à un milieu, alors qu’il le devrait. »

    25.

    Ici, l’accent est bien mis sur un déficit d’intention. Cela va donc se traduire par une déperdition

    23

    Dr KHELIFA, Ahmed. L’autonomie et la dépendance. http://wwwgeriatrie.webs.com 24

    Dictionnaire humaniste infirmier, p. 286 25

    BOARINI, Serge. La vulnérabilité. L’humanité, au risque de la vulnérabilité. p.43

  • 23

    des capacités de l’individu à afficher clairement ses besoins et ses désirs. Le vulnérable va, de

    ce fait, finir par se fondre dans le milieu où il vit, n’attirant plus guère beaucoup d’attention. A

    contrario, s’il avançait ses habitudes de vies, ainsi que ses idées et avis personnels avec

    davantage d’aplomb, il n’en serait que plus reconnu. En appui, ce même auteur dit : « Le vulnérable est alors l’impuissance, l’empêchement de forces existantes pour maintenir tel quel un être

    dans son identité, ou la privation momentanée de ces mêmes forces pour lutter.»26

    . En effet, force est de

    constater qu’une personne vulnérable ne rayonne plus dans la société au travers de ses atouts

    identitaires. Ces derniers sont étouffés, masqués par des règles ajustables à diverses situations,

    dont l’Homme vulnérable viendra à s’y soumettre. La personne en arrive à ne plus exister pour

    ses propres valeurs, mais simplement vivre sous la houlette de ce qui lui est imposé, sans

    contestation de sa part. Puisque le terme de soumission a été levé, notons alors que la

    vulnérabilité est forcément le résultat d’une confrontation avec autrui. « Alors que la fragilité est

    constitutive de ce à quoi elle est rapportée, la vulnérabilité surgit dans une relation. »27. La fragilité est

    une faiblesse dont chacun est porteur à différents degrés. On devient plus ou moins fragile au

    rythme des expériences de la vie et de notre potentiel à les supporter. Mais, cette fragilité reste

    le plus souvent intérieure. Différemment, la vulnérabilité va s’exprimer à partir du moment où

    une dualité va s’instaurer, amenant ainsi la supériorité d’une personne par rapport à une autre.

    Une personne sera mise en positon de vulnérabilité, parce que celle avec qui se font les

    interactions, en arrive inconsciemment à créer un contexte d’évaluation. C’est à partir de cette

    appréciation que l’autre sera déterminé en tant que faible. De la sorte, son vécu et son identité

    s’en trouveront profondément modifiés. « Ainsi la vieillesse et le très grand âge exposent l’individu à

    n’être plus lui-même »28

    . Au fil des années qui s’écoulent, les forces sont moindres. Les capacités

    physiques et intellectuelles sont ralenties, distillant un manque d’envie de se battre pour

    accréditer le fait d’être encore en vie. Alors, ces personnes deviennent vulnérables, et se laissent

    alors guider dans une existence qui ne leur permet plus de s’accomplir pleinement.

    Si nous reprenons la situation d’appel, nous retrouvons Mr L., qui « a conscience de ne plus

    avoir toutes ses capacités physiques qui le rendent dépendant d’autrui ». Cette dépendance qui

    fait qu’il ne peut plus entreprendre quelque chose sans une aide extérieure. Il se retrouve soumis

    au bon vouloir et aux disponibilités du personnel soignant, puisque de plus il n’est pas chez lui.

    En effet, il ne parvient pas à me convaincre de le coucher, pourtant c’est de son droit, justifié

    par sa fatigue. Etant donné qu’il ne s’agace, ni ne s’énerve, je lui impose d’être couché plus

    tard. Je le soumets à ce que je décide, pour lui et contre lui. Il y a distinctement, dans cette

    scène, une domination sur un sujet en position de faiblesse avérée. Vieillir est souvent

    synonyme de s’affaiblir. Cependant, il n’est pas nécessaire d’être très avancé dans l’âge pour

    accéder au régime de la vulnérabilité, d’une manière temporaire ou définitive. En tant que

    soignant, y a-t-il une conduite spécifique à tenir face aux patients plus vulnérables que

    d’autres ? Avons-nous la même attitude quelque soit la situation ?

    3.3 La posture soignante

    L’Espace Ethique Rhône-Alpes (EERA) s’est penché sur le terme de vulnérabilité et a

    créé un groupe de réflexion, afin de s’interroger sur l’approche du soigné en tant que

    professionnel. En lisant leurs écrits, une des premières choses que j’ai relevée est la suivante : « Réfléchir à la vulnérabilité du patient, nous permet de le faire exister et de le considérer en tant

    26

    BOARINI, Serge. La vulnérabilité. L’humanité, au risque de la vulnérabilité. p.44 27

    Ibid. P.44 28

    Ibid. P.44

  • 24

    qu’homme et non pas seulement en tant que malade. »29

    . Quand bien même, la maladie est source de

    fragilisation, ne voir et considérer la personne uniquement que comme un objet de soins, c’est

    ipso facto aller à l’encontre de nos valeurs du prendre soin. Malade où non, tout à chacun que

    nous sommes, avons des besoins fondamentaux. Abraham Maslow, psychologue humaniste

    américain, les a classés en cinq catégories 30

    :

    1. Besoins vitaux ou physiologiques (manger, boire, dormir, respirer) 2. Besoins de sécurité et protection (du corps, de la santé, de l’emploi, de la propriété) 3. Besoin d’amour et d’appartenance (amour, amitié, intimité, famille) 4. Besoin d’estime de soi (confiance, respect des autres et par les autres, s’estimer) 5. Besoin de se réaliser (morale, créativité, résolutions de problèmes)

    A. Maslow représente ces besoins sous la forme d’une pyramide, à cinq niveaux, permettant de

    bien laisser entrevoir l’importance de la base de cette dernière. En effet, le socle de cet édifice

    n’est autre que les besoins vitaux. Associés à ceux de la sécurité, ils représentent la partie la plus

    conséquente de l’ensemble, qui non contentée, ne pourra permettre la progression vers un

    épanouissement personnel. Cette image est, de mon avis, très forte et explicite on ne peut mieux

    l’importance des bases. En effet, peu importe la structure, qu’elle soit petite ou grande, si les

    fondations ne sont pas solides, elle finira par s’écrouler. « […] dans toute trajectoire de vie, est inscrit la vulnérabilité […], car s’éprouver malade, c’est être affecté dans ses capacités, dans l’image de

    soi, et dans l’estime de soi. »31

    . Il est donc primordial, en tant que soignant, d’être en capacité de

    satisfaire les besoins généraux de l’Homme, avant même de lui porter les soins médicaux en

    rapport avec sa pathologie. Car, le fait de le savoir affaibli par sa maladie, ou son statut, ne doit

    en aucun cas nous amener à diligenter un acte pur, sans empathie. Compréhension et

    accompagnement sont les alliés du soignant dans la prise en charge de tout patient, et ce, afin de

    pérenniser son bien être, pourvoyeur d’une préservation de l’estime de soi.

    Ici, les besoins fondamentaux de Mr L. s’en sont trouvés perturbés, provoquant des fissures

    dans son for intérieur. Un de ses besoins physiologiques n’a pas été respecté : il n’a pas eu accès

    au sommeil, ou du moins au repos. De plus, son besoin d’amour n’a pas été reconnu, puisqu’il

    ne ressentait que de la solitude. Les besoins non honorés à cet instant, ont eu pour conséquences

    l’apparition d’une tristesse et le recul de son épanouissement personnel au sein de la structure.

    Nous retrouvons bien ici, selon A. Maslow, des manquements qui servent de base pour atteindre

    une quiétude individuelle.

    D’autre part : « Le rapport qui unit un patient et un soignant est asymétrique dans la mesure où le soignant est dans la position de celui qui sait, maîtrisant la technicité, alors que le patient est en situation

    d’ignorance. »32

    . Ce qui nous amène à notifier que cette asymétrie entre le soignant et le soigné

    est aussi génératrice d’une situation de vulnérabilité. Le savoir est une richesse facilement

    partageable, mais il peut également représenter une puissance face à une méconnaissance. Le

    patient viendra alors se mettre automatiquement, comme si cela était de convenance, se mettre

    en position d’infériorité face à celui ou celle qui vient lui administrer des soins. Il y a des

    malades qui oseront cependant poser des questions afin de mieux comprendre l’intérêt de la

    démarche. D’autres, quant à eux, laisseront faire en toute confiance pensant que de toute façon

    ils n’ont pas le choix et que c’est pour leur bien. Là encore, notre attitude n’est pas sans

    29

    Groupe de réflexion éthique de l’EERA. Relation soigné soignant : réflexion sur la vulnérabilité et

    l’autonomie. P.85 30

    UDAMP. Les besoins fondamentaux. http://udamp.wifeo.com 31

    Groupe de réflexion éthique de l’EERA. Relation soigné soignant : réflexion sur la vulnérabilité et

    l’autonomie. P.86 32

    Ibid. p.88

  • 25

    conséquence. Il est important de ne pas infantiliser l’individu dans ses soins. Il est souhaitable

    de ne pas limiter les réponses, tout en rendant leur contenu accessible et en évitant un jargon

    médical incompréhensible. Dans le cas contraire, le patient peut interpréter ce comportement

    comme une fuite, voir un mépris envers lui. Il ne faut pas non plus infantiliser l’individu. A

    l’inverse, valoriser ses interrogations autant que sa personne, permet de rendre le soigné acteur

    de son parcours de soins. Même si les moyens multimédias, représentent aujourd’hui, une mine

    d’informations, ils ne peuvent en aucun cas suppléer l’échange humain avec un professionnel de

    santé. D’autant plus que ce moyen d’investigation apporte souvent son lot d’erreurs et de

    confusions. Nous sommes donc dépendant du savoir d’autrui, mais pas que…« Du sein maternel à l’accompagnement de la fin de vie, le besoin de l’autre apparaît de façon évidente, témoin de cette

    vulnérabilité constitutive. »33

    . L’être humain serait alors, d’une manière naturelle, sujet à la

    dépendance, et ce, au cours des différentes phases de sa vie. Et, la dépendance engendrerait

    donc le fait de devenir vulnérable, puisque assujetti aux dispositions que l’autre veut bien nous

    distiller.

    Effectivement Mr L., du fait des aides qui lui sont nécessaires pour les actes du quotidien, est

    dépendant du personnel dans l’établissement. Il est en position de vulnérabilité de par son statut,

    d’une part : il est résident et doit donc se plier à certaines règles, et de par sa pathologie :

    capacités motrices diminuées et désorientation spatio-temporelle. A mon refus de le coucher, je

    me positionne dans la « toute puissance du savoir » de ce qui lui est plus bénéfique, et m’assois

    sur cette certitude avec des explications rapides face à un homme fataliste. Mais de quel droit ?

    3.4 L’aspect juridique

    Cette réflexion en arrive à nous porter sur le plan juridique. Au cours de mes recherches,

    j’ai pu constater qu’en droit, le terme de vulnérabilité n’est pas défini. La loi est plutôt établie de

    manière à protéger les personnes qui, par leur pathologie, sont vulnérables : « Le droit pénal a intégré la personne vulnérable et plus généralement la victime dans la qualification des faits en faisant de

    l’âge, de la situation économique, de l’état physique ou mental de celle ci une circonstance aggravante

    ou des éléments caractérisant l’infraction. »34

    . Il apparaît donc, qu’on parle de victime avant même

    d’évoquer la personne devenue vulnérable. Voilà donc un terme qui vient s’ajouter à celui

    précédemment étudié. Un individu vulnérable expose ses faiblesses, qui, si elles sont utilisées

    par autrui et à son encontre, font alors de lui une victime de la société. Et, cette orientation

    nocive exercée par un tiers sur la personne fragilisée est bien punie par la loi : « Aux termes de l’article 313-4 du Code pénal, l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse soit

    d’un mineur, soit d’une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une

    infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de

    son auteur, pour obliger ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont

    gravement préjudiciables, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 40 000 euros d’amende. Cet

    article s’applique notamment aux personnes âgées. »35

    . Notons ici, le fait que la loi souligne

    volontairement l’attention qui est portée envers les personnes âgées. Il est vrai qu’elles ont été à

    l’origine de plusieurs poursuites dans des affaires de maltraitance et de divers abus, au cours de

    ces dernières années. Et ce, aussi bien en établissement spécialisé qu’à leur propre domicile. Les

    personnes âgées font souvent l’objet d’une cible parfaite pour des personnes peu scrupuleuses,

    33

    Groupe de réflexion éthique de l’EERA. Relation soigné soignant : réflexion sur la vulnérabilité et

    l’autonomie. P.88 34

    ADSP. La loi et les personnes vulnérables. http://www.hcsp.fr. p.24 35

    Ibid. ADSP. p.25

    http://www.hcsp.fr/

  • 26

    avides de biens ou de perversion. Ces individus âgés deviennent alors des victimes, abusées de

    leur(s) faiblesse(s).

    D’autre part, et d’une manière plus générale, qu’il s’agisse de patients jeunes ou moins jeunes,

    une loi existe visant à poser un cadre juridique pour les malades en fin de vie, qui sont par ce

    fait, relativement vulnérables. Il s’agit de la loi Léonetti : « Loi n°2005-370 du 22 avril 2005

    relative aux droits des malades et à la fin de vie »36

    . Cette loi s’est vue être complétée par les décrets

    du 6 février 2006, et ce afin d’aboutir à trois points importants permettant de respecter les

    volontés du soigné, ainsi que de facilité les relations dans la prise en charge lors des soins qui

    lui sont apportés. Nous retenons de cette loi 37

    :

    - l’interdiction de toute obstination déraisonnable

    - les droits du patient renforcés

    - le processus décisionnel en cas de patient inconscient ou arrêt des traitements reposant sur deux

    mots clés : Collégialité et transparence de la décision

    Encore une fois, nous sommes bien face à un cadre légal qui pose des bases protectrices envers

    des individus fortement susceptibles de faire l’objet d’un manque de considération au vue de

    leur état pathologique. Ceci met bien en avant le fait qu’un homme mérite autant d’estime et

    d’égard qu’un autre, et ce, quelque soit ses capacités physiques, et/ou intellectuelles, jusqu’à son

    dernier souffle de vie. La vulnérabilité ne doit, en aucun cas, représenter une porte ouverte aux

    abus et, surtout, à un manque de professionnalisme dans le sens éthique du terme. Reconnaître

    et poursuivre la pérennité des valeurs pour lesquelles nous exerçons le métier de soignant, c’est

    donc aussi savoir exercer sous des responsabilités constitutionnelles.

    Enfin, je terminerai en citant à nouveau un extrait de l’article du groupe de réflexion éthique de

    l’EERA : « Le sujet vulnérable, par sa présence, par la puissance de son regard et de son visage, fait éclore l’obligation morale du « soin »chez tout professionnel de santé, car l’homme est par essence

    vulnérable. »38. Car, cette citation fait écho à ce qu’il s’est justement déroulé dans cette chambre

    avec Mr L.. Bien au-delà de ses paroles, c’est bien la force du regard de cet être qui m’a poussée

    à mesurer la portée de ma prise en charge à cet instant. Consciemment, je me suis attachée à

    réévaluer la situation en fonction de ce qu’il s’était passé juste avant. Je n’avais, alors, pas en

    tête de loi à proprement dite, mais plutôt un devoir moral, doublé d’une éthique professionnelle

    qui me servaient de guide. En cela, je tenais à souligner qu’il est important de donner du crédit

    au cadre juridique existant pour les personnes vulnérables. Mais, que la valeur morale est à

    porter avec tout autant d’intérêt. Et, que c’est souvent parce que nous en arrivons à négliger

    cette dernière, qu’il faut alors faire appel (ou rappel) au cadre réglementaire. Bien qu’il

    semblerait que nous soyons tous, être par nature, des âmes vulnérables.

    36

    Ministère de la santé et des sports. Journal Officiel n°95 37

    LELIEVRE, Nathalie. Droits des patients en fin de vie : La loi Léonetti, faisons le point.

    http://www.infirmiers.com 38

    Groupe de réflexion éthique de l’EERA. Relation soigné soignant : réflexion sur la vulnérabilité et

    l’autonomie. p.90

  • 27

    Enquête de terrain

    1. Présentation du dispositif et des modalités d’enquête

    1.1 Choix et construction de l’outil d’enquête

    Afin de compléter mes recherches théoriques effectuées en amont, il m’a fallu réaliser

    une étude auprès de plusieurs professionnels de santé. Pour ce faire, j’ai élaboré un guide

    d’entretien39

    me permettant de les questionner, individuellement, en fonction des concepts que

    j’avais choisi. Cet entretien est construit de manière semi-directive. En effet, les questions sont

    structurées de manière à ce que la personne interrogée soit principalement guidée vers un thème

    bien précis, et non sur la réponse, laissant ainsi libre cours à l’expression de ses pensées sur le

    sujet. Cependant, à chaque question, j’ai pris soin de fixer un objectif en vue de garder à l’esprit

    le but de ma question lors des entretiens. Ceci me permet de réorienter l’interviewé au cas où ce

    dernier viendrait à dévier du sujet premier.

    1.2 Choix des lieux et des populations

    Pour la réalisation de ces entretiens, j’ai plébiscité trois infirmières exerçant dans trois

    services différents. La première d’entre elles travaille dans un EHPAD, la seconde dans une

    USC (Unité de Soins Continus) et la dernière dans un service des urgences. J’ai choisi

    volontairement d’interroger ces trois professionnelles, car leur champ d’activité est différent au

    quotidien. Effectivement, il m’a semblé intéressant de pouvoir étudier les éventuelles

    dissemblances dans l’accompagnement de l’individu en fonction du lieu, et de ce fait, sur la

    prise en charge dans la durée. En effet, suite à deux de mes stages effectués, l’un aux urgences

    et l’autre en EHPAD, je me suis aperçue que, si la base du soin restait identique, la manière de

    la mettre en pratique pouvait être quant à elle modifiée. Je souhaitais donc, par le biais de cette

    étude, approfondir mes questionnements en comparant les réponses de ces trois professionnelles

    aux parcours différents.

    1.3 Modalités de réalisation

    Concernant les deux premières infirmières, j’ai contacté directement par téléphone les

    structures concernées afin de présenter mon projet aux responsables hiérarchiques. Par la suite,

    cela m’a permis de rentrer en contact avec les infirmières intéressées, et disponibles, pour être

    interrogées. Le premier entretien s’est finalement déroulé avec la participation de la cadre. Etant

    donné que l’infirmière avec qui je devais m’entretenir était malade, et ne voulant pas que

    « perde » à nouveau du temps à revenir, la cadre s’est proposée de la remplacer au pied levé.

    L’entretien s’est déroulé un après-midi, au sein même de l’établissement. Cette dernière a

    exercé dans cet EHPAD en tant qu’IDE de nombreuses années avant d’accéder au poste de

    cadre, elle connaissait donc très bien les tâches du poste.

    Pour le second entretien, l’IDE était intéressée car elle n’avait jamais participé à un travail de

    fin d’étude. Elle trouvait cette expérience intéressante, tout comme le sujet. Un peu inquiète au

    départ de ne pas savoir répondre aux questions, elle s’est rapidement trouvée à l’aise.

    39

    Cf. annexe V

  • 28

    L’entrevue s’est déroulée le soir, après sa journée de travail, dans une chambre de

    l’établissement.

    Enfin, le dernier entretien a eu lieu dans une salle de cours à l’IFSI de Quimper. Pour des

    raisons pratiques, la troisième infirmière a préféré se déplacer et par là même, revoir l’endroit

    où elle avait effectué ses études quelques années auparavant.

    Tous ces entretiens ont été enregistrés à l’aide de mon téléphone portable. Pour des raisons

    d’anonymat, lors de leur retranscription40

    , j’ai modifié le prénom de chaque interlocutrice.

    Ayant effacé par maladresse le premier entretien, l’enregistrement a du être réitéré dans la

    foulée. L’IDE connaissant, par le fait, les questions, ceci explique sans doute la durée

    relativement courte de l’échange. Je tiens aussi à souligner la difficulté de se positionner en tant

    qu’intervieweur. Je me suis sentie plus à l’aise dans les entrevues suivantes, notamment pour

    relancer une question, ou encore chercher plus de précisions dans certaines réponses.

    1.4 Traitements des données recueillies

    J’ai tout d’abord mis les trois entretiens sous forme linéaire. Ensuite, en fonction des

    thèmes abordés et des réponses obtenues, j’ai classé les interactions les plus importantes à mon

    sens, de chacune des infirmières sous forme de tableau41

    . Cela m’a permis d’extraire d’une

    manière plus claire, et plus concise, les éléments principaux de ces entrevues. C’est à partir de

    ce tableau que j’ai ensuite réalisé une analyse linéaire des divers éléments apportés par ces

    professionnelles. Les données recueillies dans chaque item ont alors été mises en corrélation

    avec les apports de mon cadre conceptuel. Enfin, j’ai complété cette analyse par une synthèse de

    cette enquête de terrain.

    2. Analyse des données recueillies

    Afin d’analyser de manière linéaire les données obtenues au cours de la réalisation des trois

    entretiens, je vais procéder comme suit : reprendre les réponses des infirmières interrogées pour

    les mettre en rapport avec les recherches théoriques effectuées dans le cadre conceptuel.

    2.1 Profil des infirmières

    La première, surnommée Alice, est celle qui possède le plus grand nombre d’années

    d’expérience. Diplômée il y a trente-deux ans, elle a fait ses débuts de nuit, en service de

    chirurgie à l’hôpital puis en EHPAD. Mais, l’essentiel de sa carrière s’est déroulé en EHPAD

    puisqu’elle y est présente depuis vingt-cinq ans. Et, à ce jour elle y travaille en tant que cadre de

    santé.

    Le second entretien s’est fait avec une infirmière que j’appellerai Sophie. Avec ses vingt-cinq

    années d’exercice, elle est également richement expérimentée. Fraichement diplômée, elle a tout

    d’abord profité de sa jeunesse, avec ses amies, pour exercer dans divers établissements plus ou

    moins loin de la métropole. Après ces trois années capitalisées par de nombreux changements,

    elle s’est définitivement posée en Finistère. Si elle a travaillée un peu en médecine, elle s’est

    40

    Cf. annexes VI, VII et VIII 41

    Cf. annexe IX

  • 29

    vite rendue compte que ce n’était pas ce qui lui plaisait le plus. C’est pourquoi, depuis toutes ces

    années, c’est bien dans les services de chirurgie qu’elle s’épanouie le plus. Ainsi, et depuis

    vingt-deux ans, elle travaille en clinique, sur Quimper, dans son domaine de prédilection.

    Aujourd’hui elle est en USC (Unité de Soins Continus) où est essentiellement traitée de la

    chirurgie vasculaire, digestive, thoracique, pulmonaire et ORL.

    Enfin, j’ai rencontré une dernière professionnelle que je nommerai Charlotte. Diplômée depuis

    moins de deux ans, c’est la cadette des trois. Après un passage très rapide en MPU (Médecine

    Post-Urgences), elle a travaillé deux mois en médecine II (diabétologie, oncologie et maladies

    infectieuses) à l’hôpital de Douarnenez. Et, depuis dix-huit mois maintenant elle est au service

    des urgences, toujours dans la même structure.

    Si ces trois professionnelles de santé sont toutes habitées par la même envie d’effectuer leur

    travaille de la manière la plus juste qui soit, elles n’ont pas, à la base, les mêmes conditions dans

    prise en charge du patient. C’est justement ce point là que j’ai trouvé intéressant lors de mon

    choix pour interroger ces différentes personnes. Chaque entretien m’a permis de confronter

    leurs réponses en fonction du lieu où elles travaillaient, par rapport aux questions rédigées en

    corrélation avec les concepts que j’avais choisis.

    2.2 La communication

    Alice qui travaille en EHPAD, et qui a été infirmière durant de nombreuses années avant

    d’être cadre de santé, affirme bien avoir été confrontée à des difficultés de communication avec

    un patient et/ou un résident. Elle dit que ces cas se présentent quand il y a un défaut de

    compréhension dans le soin de la part du soigné. De ce fait, émerge des situations de refus de

    soins. Elle confirme également que les différentes expériences qu’elle a pu avoir au préalable

    ont modifié sa manière de communiquer durant les prises en charge. Elle insiste sur

    l’importance d’allier le geste à la parole : « la communication verbale, mais aussi la

    communication non verbale », dans le but d’apporter un apaisement dans le soin. Elle note bien

    que l’explication, pour le soigné tout autant que pour le soignant, est rassurante dans un

    contexte qui peut engendrer de la violence. Et y ajoute « le fait de se protéger et de protéger le

    résident ».

    Pareillement, Sophie connaît parfois des difficultés pour communiquer avec un patient. Elle qui

    travaille en chirurgie, parle de ce type de problèmes lorsque les « gens sont pas dans leur état

    normal […] quand ils sont en délires, ou hallucinés ». En effet, quand des patients reviennent

    du bloc, les effets secondaires à l’anesthésie, ou de fortes douleurs, peuvent entraîner ce genre

    de situations. Il devient alors compliqué de se faire comprendre d’une part, et d’apprécier la

    demande du patient d’autre part. D’où l’apparition d’obstacle dans