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Innova TOURS MAGAZINE ANNEE SPECIALE ET LICENCE EN JOURNALISME - IUT DE TOURS ISSN 0291-4506 Citoyen, Dossier • Prisons et centres de rétention, zones de non droits • Steenvoorde, un village à l’heure des clandestins HORS SÉRIE SÉSAME - MAI 2009 - N°16 - 2 EUROS Portfolio Portraits de Français venus d’ailleurs Tours Histoires de quartier, le Sanitas L’Europe en chantiers Une identité à construire mine de rien Monde Rêve d’une autre planète

Innova n°16 : Citoyen mine de rien

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Magazine réalisé par les étudiants d'Année spéciale et de licence de l'Année spéciale de l'Ecole publique de journalisme de Tours en mars et avril 2009

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MAGAZINE ANNEE SPECIALE ET LICENCE EN JOURNALISME - IUT DE TOURSIS

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Citoyen,Dossier• Prisons et centres de rétention, zones de non droits• Steenvoorde, un village à l’heure des clandestins

HORS SÉRIE SÉSAME - MAI 2009 - N°16 - 2 EUROS

PortfolioPortraits deFrançais venusd’ailleurs

ToursHistoires de quartier,le Sanitas

L’Europe en chantiersUne identité à construire

mine de rien

MondeRêve d’une autreplanète

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INNOVA Tours n°16 Hors série Sésame, mai 2009, Année spéciale et Licence de journalisme, Institut universitaire de technologie de Tours, 29,rue du Pont-volant, 37002 Tours Cedex, Tél. 02 47 36 75 63 ISSN n°0291-4506

Directrice de la publication Claudine Ducol. Coordination Laure Colmant, David Darrault, Hélène Lafarie. Rédaction Pauline André, Paulin Aubard, Paul Basse, Timothée Blit, Cécile Carton,Béatrice Catanese, Cécilie Cordier, Jonas Cuénin, Julien Desfrene, Marion Deslandes,Léa Froment, Aurore Gayod, Margaux Girard, Myriam Goulette, Julien Le Blévec, RomainLecompte, Nicolas Loisel, Mathilde Macé, Sarah Masson, Makiko Morel, CélineMounié, Sacha Nokovitch, Lucile Torregrossa. Secrétaire générale de la rédactionCécilie Cordier. Secrétariat de rédaction Béatrice Catanese, Léa Froment, AuroreGayod, Myriam Goulette, Julien Le Blévec, Sarah Masson, Lucile Torregrossa.

Maquette Pauline André, Julien Desfrene, Marion Deslandes, Nicolas Loisel, SachaNokovitch. Photos Timothée Blit, Cécilie Cordier, Jonas Cuénin, Aurore Gayod, MyriamGoulette, Romain Lecompte, Mathilde Macé, Sarah Masson, Céline Mounié. Photocouverture Laure Colmant. Illustrations Cécile Carton, Marion Deslandes PublicitéJulien Desfrene, Julien Le Blévec, Mathilde Macé. Imprimeur Alinea 36, Châteauroux.Remerciements Michel Blanchet, Le Collectif des désobéissants, Damien Defrance,Bertrand Desprez, Frédéric Gircour, Didier Gosselin, Laurent Jacqua, François Lafite, LaNouvelle République, Xavier Merckx, Isabelle Mire, Plantu, Olivier Sanmartin, KlavdijSluban, Alan Soon, Olivier Sulmon.

Inventée en Grèce antique…La citoyenneté ne cessejamais d’évoluer. Entretienavec l’historien MauriceSartre. Pages 4 et 5

…elle se cherche en Europe…A l’heure d’une nouvelle élection, où en estl’identité européenne ? Pages 6 à 10

…et se rêve sur toute la planète.

Ils sont des millions à se vouloir citoyens dumonde. Pour les Palestiniens, les Sahraouis etles Kurdes, c’est d’abord l’espérance d’avoir unpays. Pages 11 à 15La citoyenneté se fabrique…

La vie quotidienne au Sanitas, quartierpopulaire du centre de Tours : un réseausolidaire intra-muros. Pages 16 à 19

…par-delà les idéaux gravés dans le marbre.Entre les deux déclarations des Droits del’homme, de 1789 à 1948, un long combat pourl’égalité et la liberté. Page 20

Si certains en ont changé…Italienne, Chilien ou Afghan…ils sont aujourd’hui français.Pages 21 à 24

…d’autres s’efforcent de lui donner sens.Droits refusés en prison, déniés enGuadeloupe, sans-papiers pourchas-sés… Comme à Steenvoorde (Nord),des citoyens agissent pour le respectde la dignité humaine bafouée. Pages 25 à 36

Né à Tours, l’Observatoire des inégalités est devenu uneréférence. Zoom sur une initiative d’utilité publique. Page 37

suivez le guide…Sélection de livres, initiativesinsolites, agenda... Pages 39 à 41

…et votre intuition.

… aux “people” encartés…Quand politiques et célébrités font bon ménage. Page 38

Des citoyens ordinaires …

Cap ou pas cap ?Page 42

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L.Lecat /Assemblée nationale

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Comment est née la citoyenneté ? A-t-elle évoluédans le temps ? Que signifie-t-elle aujourd’hui ?Réponse de l’historien Maurice Sartre .

“Un héritage de la civilisationgrecque”

Innova. Il est communémentadmis que la citoyenneté vient dela Grèce antique. Est-ce un mytheou une réalité ?Maurice Sartre. L’opinion com-mune est exacte. La notion decitoyen est un héritage de la civili-sation et de la cité grecques. LesGrecs sont les premiers à avoir éla-boré une théorie politique. Les his-toriens ont du mal à dater précisé-ment l’avènement de la cité etdonc de la citoyenneté car il s’agitd’un long processus qui s’étend duIXe au VIe siècle avant JC.

Innova. Le citoyen de l’époqueest-il comparable avec celui d’au-jourd’hui ?M. S. Deux mille cinq cents ansnous séparent, il faut prendre lamesure du temps qui passe. Il estinutile de faire des rapproche-ments à tout prix. Être citoyendans les cités grecques, comme leconçoit Périclès1, c’est participer àl’exercice de la justice et au pouvoirde décision : « Nous ne jugeonspas qu’un citoyen qui ne s’occupepas de politique est un citoyentranquille mais un citoyen inu-tile. » Aujourd’hui, les choses sontdifférentes, on peut être citoyensans s’impliquer.

Innova. Comment s’expliquecette évolution ?M. S. C’est une question d’échelle.Les cités grecques étaient de peti-tes unités, de la taille d’un cantonfrançais, souvent de moins demille citoyens, des hommes libres

et majeurs qui s’exprimaient lorsdes assemblées populaires. ÀAthènes, l’assemblée se réunissaitquarante fois par an. L’hommepolitique devait donc convaincreses concitoyens en permanence etnon tous les cinq ans, commeaujourd’hui. Maintenant, l’Etat estplus vaste et le corps civique pluslarge. La proximité entre gouver-nants et gouvernés s’est distenduedans notre système de démocratiereprésentative. Chaque citoyengrec devenait un jour ou l’autremagistrat2 . Quand il avait été tiréau sort, il ne pouvait plus refuser.Mais si sa loi ou son décret serévélait injuste pour l’ensemble dela cité, il pouvait alors être pour-suivi en justice.

Innova. Sur 300 000 habitants,Athènes ne dénombra i t que40 000 citoyens. Cette proportionreste relativement faible.M. S. C’était un privilège qui n’étaitaccordé ni aux femmes, ni auxesclaves, ni aux métèques (étran-gers résidents). A partir de la loi de451 avant JC, le système exclusifs’est renforcé. Il fallait alors être filsde père et de mère athéniens.

Innova. Concurrencé par lacitoyenneté romaine, le modèlegrec a été mis entre parenthèsespendant près de treize siècles.Comment pouvez-vous expliquerqu’il ait été abandonné pendant silongtemps ?M. S. Rome a progressivementdonné la citoyenneté à l’ensembledes habitants libres de son em-pire. Plus la citoyenneté s’éten-

Historien français, Maurice Sartreest spécialiste de l’histoire des

mondes grec et romain. Il œuvre pluslargement à la diffusion de la culture

historique universitaire auprès dugrand public. Il a activement participé

à la création des Rendez-vous del’Histoire de Blois en tant que premier

président du conseil scientifique. Il est aussi membre du comité de

rédaction du magazine L’Histoire etcollaborateur régulier du supplément

livres du Monde. Il exerce par ailleurs la fonction de président de

l’Institut européen d’histoire et des cultures de l’alimentation (IEHCA),

dont le siège est à Tours. Parmi ses ouvrages : L’Anatolie

hellénistique de l’Égée au Caucase(334-31 av. JC), éd. Armand

Colin, Paris ; 2e éd., 2004 ; TheMiddle East Under Rome, éd. HarvardUniversity Press, Cambridge (Mass.),

2005 (édition américaine de L’OrientRomain…) ou encore Histoires

grecques, éd. Le Seuil, Paris, 2006.

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dait, plus elle se vidait de soncontenu politique. Petit à petit, lescitoyens sont devenus des sujets.Il fallut attendre la Renaissance etsurtout le XVIIIe siècle pour voirréapparaître la notion de citoyen-neté. Montesquieu, Rousseau ouencore Voltaire sont repartis desidées de Platon, d’Aristote ou dePlutarque, c’est-à-dire de philoso-phes qui critiquaient vivement lemodèle démocratique athénien.Cela explique que les hommes desLumières , en quelque sorte la

frange intellectuelle du Tiers-Etat, lui aient préféré le modèle oligarchique de Sparte ou de laRépublique romaine.

Innova. La démocratie est-elleune réalité ou un système enconstruction ?M. S. Les deux. Il n’y aura jamais deforme parfaite de démocratie. Descitoyens lui tourneront toujours ledos. Sa défense est un combat detous les jours. Les sociétés changentet le système politique doit s’adap-ter. C’est par conséquent un sys-tème en construction permanente.

Innova. Quelles améliorationsle citoyen a pu ou peut-il encoreapporter à ce modèle ?

M. S. Elles passent par le combatpolitique. Tout ne vient pas d’enhaut et c’est aux citoyens de s’orga-niser. Les syndicats, la presse librepar exemple, ont eu un rôle fon-damental en créant des contre-pouvoirs. L’expression politiquene passe pas que par les urnes. Onle voit bien aujourd’hui où lescitoyens s’expriment en battant lepavé. Défendre la démocratie, c’est

empêcher les retours en arrière, lesrestrictions aux libertés. La dési-gnation du président de FranceTélévision par Nicolas Sarkozy enest un exemple. En déclarant quepuisque l’Etat paie, il est normalque le président nomme, il seconduit comme Louis XIV décla-rant « l’Etat c’est moi ». Il est gravep o u r l a d é m o c r a t i e q u e l e sFrançais ne voient pas la différenceentre l’Etat et ceux qui en ont lacharge temporaire.

Innova. Quel est alors le princi-pal ennemi de la démocratie ?

M. S . Au-delà du dé s intérê tet de l’égoïsme, son pire ennemiest l’ignorance. Elle empêche de comprendre ce qu’elle est, sesrouages et ses enjeux.

Innova. Comment combattrecette ignorance ?M. S. Le seul moyen est de privi-légier le niveau d’instruction de lapopulation. Seule l’éducation est àmême de développer l’esprit criti-que qui évite de tomber dans lepiège des discours. L’instructionest une condition à la démocratie.Bien sûr, elle coûte cher, mais ellene doit pas être négligée, surtouten temps de crise. L’éducationn’est pas une marchandise renta-ble, elle est une nécessité vitale.

Innova. A quelques mois desélections européennes, peut-onparler de citoyens dans des struc-tures de plus en plus grandestelle que l’Europe ?M. S. Une démocratie euro-péenne reste encore à inventer.Dans la crise violente qu’on subit,sans l’Union européenne, onserait dans une situation bien pireencore. Il faut trouver le moyend’impliquer les gens qui ont desintérêts divergents. Des progrèsont déjà été faits : l’élection duparlement européen au suffrageuniversel par exemple. Quoi qu’ilarrive, il faudra de l’imagination etdu temps.

Propos recueillis par Julien Desfrene,Mathilde Macé et Sacha Nokovitch

(1) Homme d’Etat et stratège athénien qui aimposé des réformes et développé la démocratie(495 – 429 avant JC).(2) Les magistrats, représentants du peuple,détiennent pour un an une parcelle d’autoritédéléguée par l’ensemble des citoyens. Ils sontélus ou tirés au sort.

“Etre citoyen dans les cités grecques […]c’est participer à l’exercice de la justiceet au pouvoir de décision. Aujourd’hui […]on peut être citoyen sans s’impliquer.”

Devant la stèle L’Exaltation de la fleur, découverte entre 470 et 460 avant JC,Maurice Sartre rappelle que les femmes, en Grèce, étaient exclues de la citoyenneté.

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Pétition au Parlement européenGénération Précaire a dénoncé le statut des stagiaires.

Le réseau européen Génération Précaire a adressé en septembre 2008 une pétition auParlement pour réclamer une réglementation européenne sur le statut des stagiaires.Lancée en France, la pétition a recueilli environ vingt mille signatures à travers l’Europe.Le Parlement a répondu qu'il n'était pas compétent en la matière. D’autres pétitions ont,elles, abouti. En 2006, des citoyens espagnols ont obtenu gain de cause dans leur luttecontre l’urbanisation excessive des côtes méditerranéennes.

EmploiPierre-Edouard,Français, travaille auLuxembourg.

Diplômé d’une école d’ingénieur à Angers, Pierre-EdouardBodereau est consultant informatique au Luxembourg depuis huitmois. Il s’épanouit dans ce pays où de multiples nationalitéscohabitent. Confronté à toutes ces différentes cultures, il dit avoirdécouvert la richesse du continent. L’Europe, il y a pris goût : « Jeveux continuer à vivre et à voyager dans d'autres pays. »

L’Europe en chantiersT ous les cinq ans, c’est le

même scénario. Aumoment des élections

européennes, les bureaux devote restent déserts. Pourbeaucoup de ses citoyens,l’Europe se résume à des bâti-ments froids, des piles dedossiers et des bureaucratessuffisants. Pas concernés, lesEuropéens ? L’Union leur apourtant donné quelquesdroits en 1992. La citoyen-neté européenne venait offi-ciellement de naître. Quinzeans plus tard, elle reste large-ment ignorée des cinq centsmillions d’habitants. La fauteà qui ? A des sentiments na-tionaux tenaces ? A l’histoired’une Europe avant tout éco-nomique ? A des institutions

peu démocratiques et lointai-nes ? (voir page 8). Domma-ge, les droits des citoyenseuropéens peuvent être utilesdans la vie de tous les jours.Voyager librement, trouverun emploi dans un autre Etatmembre, s’y installer et yvoter, rien de plus simple.Faire appel à la Cour euro-p é e n n e d e s d r o i t s d el’homme, au médiateur oulancer une pétition auprès duParlement, etc., c’est certesun peu plus compliqué, maiscela reste à la portée de tous(voir ci-contre). Construireune Europe proche des gens,un défi à relever à vingt-sept.Un espoir aussi pour les der-niers entrants, la Roumanieet la Bulgarie (voir page 10).

DOSSIER REALISE PAR BEATRICE CATANESE, CECILIE CORDIER, AURORE GAYOD,MYRIAM GOULETTE ET LUCILE TORREGROSSA

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Libre circulationClaude apprécie de voyager en Europe sans avoir besoin de visa.

Pour Claude Hortion, 74 ans, circuler en Europe avec une simple carte d’identité,cela change tout. Il avait 12 ans, en 1947, quand il a voyagé pour la première fois enNorvège. A 20 ans, il a remis ça : Allemagne, Autriche, Espagne… A cette époque,il devait demander son visa six mois à l’avance. « La libre circulation, c’est unerévolution. » Aujourd’hui, membre de l’association France-Bulgarie, il a une petitepensée pour les Européens de l’Est qui peuvent enfin se déplacer librement.

Cour européenne des droits de l’hommeAnne-Marie a obtenu gain de cause après sept ans de procédure.

« On ira peut-être à Strasbourg avec une canne, mais on ira ! » Anne-MarieBoutiflat, Orléanaise de 58 ans, l’a fait : elle est allée jusqu’à la Cour européennedes droits de l’homme, avec vingt-cinq autres de ses collègues, tous éducateursspécialisés dans un internat pour jeunes en difficulté. Ils ont eu gain de cause le9 janvier 2007. Depuis 2000, ils demandaient le juste paiement de leurs heuresde nuit. Aucun tribunal français ne leur avait donné raison.

Plainte auprès du médiateur européen Une association polonaise pointe une discrimination linguistique.

En 2007, l'Association des anciens élèves du service civil polonais (Saksap) aporté plainte auprès du médiateur. Elle accusait l’Office européen de sélection dupersonnel de discrimination linguistique dans les épreuves de recrutement.L’Office a officiellement été blâmé pour avoir privilégié l'anglais, le français etl’allemand aux examens d'entrée entre 2004 et 2006.

ElectionMark, Anglais, est membre du conseilmunicipal d’Epeigné-les-bois.

Entre Londres, une des plus grandes villeseuropéennes, et un petit village d’Indre-et-Loire de quatre cents habitants, il y a un gouffre. Et pourtant, Mark Robertson afranchi le pas. Voilà sept ans, il s’est installé à Epeigné-les-Bois. Il a été élu auconseil municipal aux dernières élections. Dans cette commune, c’est la premièrefois qu’un citoyen étranger accède à cette fonction.

VoteJean-Louis, Français, vote en Allemagne.

Jean-Louis Boscher s’est installé en Allemagne aprèsavoir rencontré Maria, il y a bientôt quarante ans. Depuis,ils vivent dans une petite commune du sud-ouest du pays,Wiesenbach, où Jean-Louis vote aux municipales. Il asouhaité garder sa nationalité. A chaque présidentielle, il se rend au consulatfrançais. Il est breton, français, allemand, mais se définit avant tout commeeuropéen. L’Europe, il l’a vue se construire et elle l’enthousiasme toujours autant.

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Europe

Malgré une Europede plus en plus pré-sente dans leur vie,l e s h a b i t a n t s d uVieux Continent res-tent peu intéresséspar les scrutins euro-p é e n s . Ju g e a n t l efonctionnement del’Union trop bureau-cratique, les citoyenspréfèrent s’investirdans des initiativesponctuelles pour sefaire entendre.

Les Européensen quête d’eux-mêmesP

rintemps 2009, périoded’élections européennes.Trois cent soixante-quinzemillions de personnes éli-

sent sept cent trente-six députéspour cinq ans. Pourtant, depuisque ceux-ci sont élus au suffrageuniversel direct (à partir de 1979),leur campagne électorale n’a pascoutume d’intéresser l’ensembledes votants.

Les électeurs européens, quiont eu la possibilité de s’exprimerpar référendum, ont d’ailleursmajoritairement refusé de ratifierle projet de Constitutionproposé par leurs diri-geants, celui-ci étantc o n s i d é r é c o m m etrop libéral. Le texte acependant été réécritpresque à l’identique sous le nomde traité de Lisbonne et a été signéle 13 décembre 2007, par les chefsde gouvernement.

Des habitudes nationalesEn France, le texte a été rejeté

par le référendum du 29 mai 2005.S’il a suscité des débats, notam-ment sur Internet avec des blogscomme celui d’Etienne Chouard1,le scrutin a surtout révélé des habi-tudes de vote très nationales. Unsondage de sortie des urnes réalisépar Ipsos2, indique que parmi lesvotants qui ont choisi le « non », lamoitié l’a fait pour manifester sonmécontentement face à la situationéconomique et sociale françaisetandis qu’un quart y voyait l’occa-sion de s’opposer au gouverne-ment de Jean-Pierre Raffarin.

Selon un sondage réalisé parLH23 en février 2009, plus de 50 %des personnes inscrites sur les lis-tes électorales avouent qu’ils choi-siront leur député européen en sefiant aux enjeux nationaux et 69 %estiment que cette élection nechangera rien à la situation de laFrance. Du coup, il est peu éton-nant que les européennes ne pro-voquent pas l’enthousiasme.

Mais peut-on vraiment blâmerles gens de ce désintérêt ? Dès le

début, après la Seconde Guerremondiale les constructeurs del’Europe n’avaient en tête qu’unevision économique et noncitoyenne. L’Europe politique… onpourrait dire qu’elle date d’hier.

Retour en 1950 : le premier ava-tar européen est purement écono-mique et s’appelle Communautéeuropéenne du charbon et de l’acier.D’autres suivront qui auront pournoms Marché commun (1957),Communauté économique euro-péenne (1993), Marché unique. Cedernier, lancé en 1986 par la signa-ture de l’Acte unique et achevé en1993, définit quatre libertés : cellesde la libre circulation des biens, desservices, des personnes et des capi-taux. Il faut attendre 1992 et le traitéde Maastricht pour voir apparaître,pour la première fois, une ébauche

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Il faut attendre la signature du traité deMaastricht, en 1992, pour voir apparaîtreune ébauche de citoyenneté européenne

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l’environnement, le mode déci-sionnel le plus courant est la co-décision (pour laquelle le Parle-ment partage le pouvoir législatifavec le Conseil, sur une base destricte égalité). « Cela explique queles politiques sont assez avan-cées dans ce domaine, préciseMarie-Hélène Aubert, députéeeuropéenne Verts , membre del ’Al l iance l ibre européenne 4.Quand il y a co-décision, trouverun compromis avec le conseil desministres est une obligation. » Letraité de Lisbonne prévoit d’éten-

de citoyenneté européenne. Encorequ’il ne s’agisse là, selon AlainLamassoure, député européen, qued’un « concept juridique avec,notamment, le droit pour chaqueEuropéen de voter aux électionslocales et européennes, quel quesoit l’Etat membre dans lequel ilréside ».

L’Europe et son catalogue detraités reste donc une entité vaguepour ses habitants. D’autant qu’elles’est dotée d’un fonctionnementqui semble bureaucratique à beau-coup d’entre eux. Ils ont l’impres-sion que les décisions viennent« d’en haut » et ne comprennentpas toujours le rôle des élus. Ilspeuvent ainsi observer que, sur lesproblèmes agricoles par exemple,les parlementaires n’ont aucunelatitude. Ils donnent un avis maisrien n’oblige le Conseil des minis-tres à en tenir compte.

Dans certaines commissions,notamment celles qui sont liées à

« Nous devons définir la citoyennetéeuropéenne de la vie quotidienne »

Innova. Parmi vos propositions, certaines portent sur la création d’un vingt-huitième régime,notamment pour les droits sociaux. Il primerait sur les régimes des vingt-sept pays membres. Prônez-vous une Europe fédérale ?

Alain Lamassoure. Un système fédéral n’est pas indispensable, si on ne le veut pas. Il s’agit seulementde savoir quel droit s’applique à chaque Européen, où qu’il soit. Par exemple, si un Français vit ettravaille en Allemagne, quelle est sa protection sociale ? Au niveau de l’Europe, la question n’est pastranchée, tout est au cas par cas. Nous devons tous nous mettre autour d’une table pour définir cettecitoyenneté européenne de la vie quotidienne. C’est une étape essentielle pour que les Européens sesentent citoyens de l’Union. Je propose, entre autres, un contrat de travail européen, qui ne serait signéque par les salariés volontaires qui savent qu’ils seront mobiles.

Innova. Comment le contenu de ce contrat de travail européen serait-il établi, compte tenu desdifférences qui existent entre la France et les derniers adhérents, par exemple ?

A. L. Il ne porterait pas sur la rémunération de l’employé, qui serait fixée par l’entreprise. Un contrateuropéen établirait des règles unifiées relatives aux droits des salariés et permettrait de faciliter la vie deceux des entreprises implantées dans plusieurs Etats de l’Union européenne. Notamment quand ils sontmutés dans un autre pays. En fait, beaucoup de choses restent à définir.

Innova. Votre rapport a précédé la présidence européenne de Nicolas Sarkozy, au deuxième semestre2008. A-t-il été pris en compte par ce dernier ?

A. L. Durant cette présidence française, mon rapport n’a pas eu de suites. À cause de la crisefinancière mondiale, les priorités étaient logiquement ailleurs. Mais la Suède, qui prendra la présidencede l’Union européenne de juillet prochain, semble intéressée par ce document. Elle pourrait alors s’enservir pour ouvrir le débat et proposer des avancées. Nous verrons bien.

Propos recueillis par C. C.

Alain Lamassoure, 65 ans, membre du Parti populaireeuropéen (PPE) et de l’UMP, est député européen depuis1989. En juin 2008, il a remis à Nicolas Sarkozy un rapportcontenant soixante et une propositions qui portent sur lavie quotidienne des Européens.

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dre cette procédure à toutes lescommissions, c’est-à-dire de don-ner plus de poids au parlement.« Une réforme institutionnelle estindispensable pour un fonctionne-ment plus simple et plus démocra-tique », ajoute la députée.

Autre évolution nécessaire pré-vue par le traité : celle de donner àl’Union européenne un présidentpour deux ans et demi. De Buca-rest à Paris, en passant par Hel-sinki et Athènes, les citoyens ontbesoin de mettre un visage com-mun sur l’Europe.

(1) http://etienne.chouard.free.fr/.(2) Sondage réalisé le 29 mai 2005 sur un échan-tillon de 3 555 personnes âgées d’au moins18 ans et inscrites sur les listes électorales, selonla méthode des quotas.(3) Sondage réalisé les 27 et 28 février 2009, surun échantillon de 997 personnes âgées d’aumoins 18 ans et inscrites sur les listes électorales,selon la méthode des quotas.(4) Alliance de partis politiques régionalistes etminoritaires en Europe, fondée en 1981, tradi-tionnellement alliée au parti Vert européen ausein du Parlement.

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Innova. Après une demande d’adhésion en 1995 et une période probatoire de dix ans, laRoumanie est entrée dans l’Union européenne le 1er janvier 2007. Quelles avancées cela a-t-il apporté au pays ?

Corina Cretu. Les Roumains ont maintenant la possibilité de voyager dans tous les Etats membressans avoir besoin de passeport ni de visa. Ils peuvent aussi y travailler . Malheureusement, dans certainspays comme l’Allemagne, la Grande-Bretagne, l’Irlande et la France, le marché de l’emploi impose encoredes restrictions aux Roumains.

Innova. Seuls 29,5 % des Roumains ont participé aux premières élections européennes en2007. Pourquoi ?

C. C. Bruxelles est trop loin pour que la politique européenne intéresse la majorité des gens. Dans cedomaine, la Roumanie connaît exactement le même problème que les autres Etats membres.

Innova.Vous étiez étudiante de 1985 à 1989 à Bucarest, avant la chute du bloc communiste.Vous sentiez-vous déjà citoyenne européenne à ce moment-là ?

C. C. Je me suis sentie européenne quand Ceaucescu a été renversé. La vague de solidarité à traversl’Europe pendant les événements de décembre 1989 était, pour nous, un signe qu’on ne nous avait pasoubliés, malgré les années d’isolement derrière le Rideau de fer.

Innova. Dans un contexte de crise économique, qu’attendez-vous de l’Europe dans lesannées à venir ?

C. C. La crise sera, sans aucun doute, le problème le plus sérieux que nous devrons traiter et il nepourra pas être résolu si nos pays choisissent d’y faire face individuellement. Il y a un risqued’accroissement des inégalités sociales et d’un fossé de plus en plus important entre les anciens et lesnouveaux Etats membres. Nous devons donc agir collectivement.

Propos recueillis par B. C., A. G. et L. T.

une interlocutrice crédible. Elle aensuite animé les débats au sein de sa commission pour aboutir àun texte qui convient à tous sesmembres. « Quand j’étais élue àl’Assemblée nationale, je n’aijamais effectué ce type de travail »,regrette-t-elle décidément épa-nouie dans sa fonction.

Les péripéties de la construc-tion européenne ne tarissent pas ledésir d’Europe, qui s’est forgé auXIXe siècle. En 1848, des révolu-tions populaires éclatent au mêmemoment dans plusieurs pays, révé-lant des aspirations démocratiquessimultanées. « Dès le Congrès deParis, en 1856, le continent euro-péen adopte le multilatéralisme,qu’il appelle le concert européen »,explique Georges-Henri Soutou,professeur d’histoire contempo-raine à la Sorbonne, dans l’émis-sion « Un Jour dans l’histoire »(Canal académie). Le but : favori-ser la coopération économique etpolitique entre les Etats.

Une meilleure organisationDans l’Europe d’aujourd’hui, ce

sont les individus qui s’organisentpour se faire entendre. En témoi-gnent les manifestations syndica-les coordonnées simultanémentsur tout le continent. Le 16 décem-bre 2008, par exemple, la Confédé-ration européenne des syndicats aorganisé un rassemblement contreune révision de la directive limi-tant le temps de travail hebdoma-daire dans l’UE. Le lendemain, leParlement rejetait la propositiondu Conseil. « Les citoyens ont unemeilleure capacité d’organisation.Des réseaux se sont formés, autourde personnes responsables du lob-bying européen – dans le bon sensdu terme, estime Marie-HélèneAubert. Ils sont au courant destextes qui passent dans les tuyauxet arrivent au bon moment pourvoir le bon rapporteur. » C’est plu-tôt bon signe pour l’Europe.

C. C. et M. G.

Corina Cretu, 42 ans, membre du Parti socialdémocrate, est l’un des trente-cinq récents élusroumains au Parlement. Après des études enéconomie et une carrière de journaliste, elle s’estlancée en politique en 1992. Pour elle, l’Europe c’estd’abord la solidarité.

« Je me suis sentie européenne quandCeaucescu a été renversé »

Même si les institutions ontbesoin de nouvelles règles, der-rière les murs du Parlement ladémocratie fonctionne. Chaqueparlementaire a un rôle complet.Marie-Hélène Aubert, par exem-ple, était rapporteuse pour le nou-veau règlement européen de l’agri-culture biologique. Elle a dû sespécialiser sur la question. Pourcela, elle a parcouru sa région à larencontre des professionnels de lafilière, profité des heures de trainjusqu’à Bruxelles pour lire des rap-ports, bref tout faire pour devenir

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À Strasbourg, en décembre 2008, les syndicats sesont rassemblés contre une directive de l’UE.

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Cent trente-cinq millepersonnes venues descinq continents, tou-tes réunies pour rêverd’u n autre monde. La Tourangelle MarieTeinturier est reve-nue enthousiaste duForum social mondialq u i s ’e s t t e n u , f i n janvier, à Bélem au Brési l . Ré cit d’uneexpérience.

L’Amazon star n’avait pro-bablement jamais vuautant de nationalités dif-férentes fouler ses ponts.

Ce traditionnel bateau-hamac qui,d’ordinaire, remonte le fleuveAmazone, est resté à quai à Belém(Brésil), du 27 janvier au 1er févrierderniers. Lui qui peut contenirjusqu’à six cents hamacs a servi dedortoir à des participants à ce hui-tième Forum social mondial. Pourl’occasion, les hamacs ont laissé

place à des lits en bois. « Leconfort restait très sommaire »,témoigne Marie Teinturier. Mèrede quatre enfants, cette énergiquequinquagénaire est bénévole auComité catholique contre la faimet pour le développement(CCFD). Habitante de Saint-Pierre-des-Corps (Indre-et-Loire),elle participait à cet événementpour la première fois, au sein de ladélégation du Centre de rechercheet d'informations pour le dévelop-pement (Crid). Elle est allée rêverd’un autre monde au milieu de

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cent trente-cinq mille personnes,originaires des cinq continents.

Le plus jeune locataire dubateau avait 19 ans. Le plus vieux,un Indien engagé aux côtés despaysans sans terre, comptait déjà83 pr intemps . Di x Guyanaisétaient également présents pourdénoncer les « liens colonialistes »entretenus par la métropole fran-çaise. Le soir, dans le dortoir dedeux cents lits, chacun racontait sajournée à ses voisins. Un momentindispensable, car il était impossi-ble de tout voir. La barrière de lalangue et surtout le nombre d’ate-liers empêchaient de participer àtout : « La première fois, le Forumsocial déconcerte par tout ce qu’ilpropose en si peu de temps. »

Moyennant une inscription aumontant variable (15 euros pourles ressortissants des pays pauvres,le double pour ceux des paysriches), les participants ont euaccès à deux mille débats. Pendantque les puissants de l’économiemondiale se réunissaient à Davos(Suisse) pour parler finances, lesinscrits à Belém refaisaient lemonde. Dans cette ville pauvred’un million et demi d’habitants,l’université a vu « des tentes pous-ser partout », raconte Marie. A l’in-térieur, des débats sur « la libéra-tion du monde de la domination ducapital », de « la défense de la natu-re » ou encore de « la construction

d’un ordre mondial basé sur la sou-veraineté ». Le tout, « en autoges-tion et sans personne, pour pren-dre la parole au nom de tous ». Unfonctionnement qui place chacun à égalité et dont le symbole aura été l’impessionnante manifestationd’ouverture. « Nous étions quatre-vingt mille à défiler dans les rues deBelém, un ballon géant au-dessusde nos têtes. »

En tête de cortège, deux millereprésentants des peuples d’Ama-zonie. Habillés et maquillés defaçon traditionnelle, ils n’étaientpas là pour amener « du folklore »mais bien pour discuter de la défo-restation du « poumon de la pla-nète », des biocarburants, ducommerce équitable ou encore durespect des traditions. « Un exem-ple simple : l’Union européennes’est fixé pour objectif d’atteindreles 10 % de biocarburants d’ici2020. Mais jamais l’Europe ne seracapable d’en produire autant,affirme Marie Teinturier. Elledevra aller les chercher enAmérique latine et contribueradonc à cette catastrophe écologi-que. » Loin de s’opposer à la mon-dialisation, qu’elle considèrecomme « faisant partie de l’évolu-

tion de l’humanité », Marie aime-rait qu’elle se construise autre-ment et demeure convaincue quec’est possible. Car si la faiblesse duForum social est de refuser de s’as-socier aux détenteurs du pouvoir,sa force est de réunir des person-nes qui entendent peser sur lesdécisions des dirigeants. « Il n’y apas un droit de vote mondial, maisnous pouvons faire pression ennous unissant », explique-t-elle.

Femmes entreprenantesConfronter les idées pour

construire, c’est toute l’ambitiondu Forum social. « Je suis allée surl’île de Cotijuba, à une heure etdemie de bateau sur l’Amazone,rapporte Marie Teinturier. J’y aivisité une coopérative fondée parun mouvement de femmes. Ellesfabriquent des biobijoux et culti-vent des plantes pour les cosméti-ques. » Ces femmes des îles deBelém travaillent en autogestion.Pas de grands champs, mais unecueillette au fil des promenadesdans la végétation luxuriante. Ellesen tirent des « revenus bas, maissuffisants pour vivre. Je les ai sen-ties épanouies par leur activité quirespecte parfaitement la nature et

“Il n’y a pas un droit de vote mondial, mais nous pouvons faire

pression en nous unissant”

Deux mille représentants des peuples d’Amazonie étaient présents

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Résidents de nulle partLutter pour exister, c’est le quotidien descitoyens sans pays,comme les Kurdes, lesSahraouis et les Trans-nistriens. Les Palesti-niens, eux aussi, for-gent leur identité dansun Etat fantôme.

Je suis kurde et je le reste-rai. » Une évidence pourHasan Yildiz. Pourtant,cet enseignant français

de 43 ans a possédé pendanttrente ans la nationalité turque.Si vous cherchez le Kurdistansur une carte, vous ne le trouve-rez pas. Ce pays n’existe pas, saufdans l’esprit et le cœur de la plupart de ses habitants. Le Kur-distan est une région par-tagée entre quatre Etats : laTurquie, l’Iran, la Syrie et l’Irak.La discrimination, Hasan s’ensouvient : « Quand j’étais petit, à l’école, les enseignants dési-gnaient des enfants pour espion-

ner les autres chez eux. Ceux quiparlaient kurde étaient punis. »

Au Liban, quatre cent millePalestiniens vivent dans descamps gérés par l’Office desnations unies pour les réfugiéspalestiniens (Unrwa). Ils ne pos-sèdent que des documents devoyage qui restreignent leurliberté de mouvement. Ils sontvictimes de discrimination pouraccéder à l’éducation, aux soinsmédicaux et au travail. Parmieux, trois mille à cinq mille nesont même pas enregistrés auprèsde l’Unrwa. Ils vivent dans descamps non officiels et n’ont pasaccès aux services dispensés parles Nations unies. Leur avenir se

leurs traditions ». En dix ans, cemouvement a permis l’émergenced’une politique sociale qui orga-nise le travail dans des conditionssereines. Une petite bibliothèque amême été ouverte.

L’engagement de ces femmes asurpris Marie. Tout comme la pré-sence en nombre de celles quiinvestissent dans une activité grâceaux microcrédits. Au point dechanger son regard sur la Journéeinternationale des femmes, célé-brée chaque 8 mars. « Avant, je nela supportais pas. J’estimais quenous n’étions pas un bien communqu’il faut fêter une fois par an.Maintenant, je vois cette journéecomme une manière de lutter pourles droits de toutes les femmes. »

Et lorsqu’on lui demande si lacaricature de l’altermondialistefantaisiste a croisé son chemin,Marie Teinturier assure : « Lesgens qui vont là-bas connaissentbien la cause qu’ils défendent, certains sont formés à l’économieou aux sciences politiques. Ce nesont pas des rigolos. » Elle confiecependant avoir souri à deuxreprises. « Des défenseurs de ladécroissance avaient installé unesorte d’enclos dans lequel ils interdisaient, pêle-mêle, l’alcool, lesexe, les produits industriels. » Laseconde fois, c’était à l’occasiond’un débat « au sujet des droits des citoyens qui n’ont pas de pays.Au milieu des Palestiniens et desTib éta ins , se trouv a ient desBretons et des Corses… Les pro-blématiques ne sont tout de mêmepas identiques ». De telles incohé-rences sont inévitables, selonMarie. Si elle cultive l’optimisme,notre militante catholique serefuse à la candeur : « La Citéidéale n’existera pas . Nous nepourrons que tendre vers unemeilleure citoyenneté mondiale. Jene crois pas en une solution uni-que à tous les problèmes, mais enl’action quotidienne de chacun. »

Cécilie Cordier

Transnistrie, le trou noir « Depuis seize ans, je dois passer au poste de contrôle entre la Moldavie et la Transnistrie plusieurs fois

par jour », témoigne Wladimir Ponomarjow, chauffeur de taxi*. De Tiraspol, capitale de la Transnistrie, oùil travaille, à la Moldavie, il n’y a qu’un fleuve à traverser. Et si cet Etat autoproclamé n’est pas reconnu parla communauté internationale, sa frontière moldave est pourtant bien gardée par des soldats russes. Il a faitsécession de la Moldavie en 1991, déclenchant une guerre de plusieurs mois. Depuis dix-huit ans, lamajorité des Transnistriens, russophones, attendent leur rattachement à la Russie. Ce qu’elle refuse car laTransnistrie est une zone grise bien trop profitable : la contrebande (armes, voitures, essence…)rapporterait presque 1 milliard d’euros par an.

Dans ce pays de nulle part, surnommé « le trou noir », tout semble factice. Wladimir possède bien unpasseport transnistrien. Mais il ne permet pas de voyager. Il possède bien des roubles transnistriens. Maisils ne sont échangeables avec aucune autre devise. Ceux qui sont parvenus, après de longs mois d’attente,à obtenir un passeport russe s’expatrient alors en Russie ou en Ukraine. Béatrice Catanese

(*) Témoignage tiré du reportage Transnistrien de la chaîne allemande ZDF, novembre 2007.

Les réfugiés palestiniens représentent presque10 % de la population du Liban.

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cantonne aux limites de leurcamp. Madji vit dans celui deShatila, au sud de Beyrouth : « J’ail’impression que je n’existe pas. »Son fils de 14 ans a hérité de sonstatut d’apatride. Faute d’êtreautorisé à passer les examens, ildevra quitter l’école l’an prochain.

Les camps de réfugiés, leshabitants du Sahara occidental lesconnaissent aussi. Cette ancienne

colonie espagnole a été cédée en1975 au Maroc et à la Mauritaniequi se partagent le territoiresans consulter les Sahraouis, lepeuple autochtone. En 1976, leFront polisario, mouvement indé-pendantiste, proclame la Républi-que arabe sahraouie démocrati-que (Rasd). Il s’engage alors dansun conflit armé avec le Maroc.Pour échapper aux combats, desdizaines de milliers de Sahraouisfuient vers les camps de réfugiésde Tindouf, en Algérie. Le Saharaoccidental, considéré comme ter-ritoire non autonome par l’ONU,est toujours occupé par le Maroc.Ce dernier a érigé un mur long de2 000 kilomètres pour se protégerdes incursions armées du Frontpolisario. Pour les Sahraouis, letemps de l’autodéterminationn’est pas encore venu.

Avec le temps la situation desKurdes évolue. En Turquie, leurassimilation se fait progressive-m e n t . L e r ê v e d ’u n g r a n dKurdistan s’éloigne pour Hasan :« Est-ce qu’un jour on pourravivre tous ensemble ? J’en doute. »Les questions de la Palestine et duSahara occidental, elles, semblentdans l’impasse. Reste ce déchire-ment d’être de nulle part. « Si unjour je dois quitter la France,explique Hasan, je ne sais pas oùj’irai, je n’ai pas de pays. »

Lucile Torregrossa

La Résistance en guise d’identité Hind Khoury, déléguée générale de Palestine en FranceInnova. Vous venez de participer à la deuxième Conférence

internationale sur le droit au retour des réfugiés. Quelle conclusiontirez-vous de cette rencontre ?

Cette conférence est importante car des représentants de tous lescamps de réfugiés, habituellement isolés les uns des autres, ont puvenir débattre ensemble de la question palestinienne. Le droitindividuel au retour doit donner aux réfugiés le choix de revenir enPalestine ou de vivre dans les pays d’accueil. Mais jusqu’à aujourd’hui,Israël refuse d’aborder le problème. En France et dans d’autres pays,des mouvements civils soutiennent le droit au retour. A ce jour,soixante-sept villes françaises sont jumelées avec des camps. Elles apportent un soutien politique, culturel etéconomique, mais aussi humain. Cela offre des perspectives aux réfugiés, qui souffrent de l’enfermement. Avoirdes contacts avec une communauté qui mène une vie normale leur procure une certaine liberté.

Innova. Comment les jeunes générations parviennent-elles à construire leur identité face à un conflit qui dure depuis la création d’Israël, en 1948 ?

Toutes les générations palestiniennes depuis soixante ans ont vécu l’occupation, l’expulsion, ladépossession. L’identité palestinienne précède pourtant la création d’Israël. Nous avions une véritablecivilisation, une vie culturelle importante (journaux, littérature, cinéma). Aujourd’hui, notre identité est très forte,mais elle se construit en résistance à une politique qui cherche à nous détruire. J’aurais préféré qu’elle sedéveloppe de façon naturelle, par la culture, le savoir-faire. La majorité des Palestiniens garde par miracle sesvaleurs car c’est un peuple très enraciné dans sa terre, sa civilisation.

Propos recueillis par Béatrice Catanese et Lucile Torregrossa

Israélien et Palestinien à la foisDaniel Barenboim, fondateur d’un orchestre transnational

Pianiste et chef d’orchestre de réputation internationale,Daniel Barenboim est le fondateur, avec Edward Saïd,intellectuel américain d’origine palestinienne, du West-Eastern Divan Orchestra. Composée de musiciens venus detous les pays du Moyen-Orient – notamment israéliens etpalestiniens – cette formation promeut la musique commelien universel. Quand on demande à Daniel Barenboim s’ilanime un « orchestre pour la paix », il répond : « Non, pasdu tout ! Cela voudrait dire que nous nous réunissons pouroublier nos différences. Or, au contraire, nous essayons de

vivre avec nos dissemblances, en acceptant la légitimité du point de vue de l’autre1. » Il précise : « Si le West-Eastern Divan Orchestra est évidemment incapable d’apporter la paix, il peut cependant créer les conditionsd’une compréhension sans laquelle il est impossible de parler de paix. »

Le musicien possède lui-même quatre passeports : argentin, espagnol, israélien et, depuis peu, palestinien2.Il est le seul au monde à avoir la double citoyenneté israélienne et palestinienne. « Certains s’en sontouvertement réjoui. D’autres ont pensé que j’avais vendu mon âme à l’ennemi. Pourtant, je ne suis pas untraître : j’ai accepté pour montrer l’exemple », précise le chef d’orchestre. Une initiative engagée pour celui quiconsidère que « la musique peut être beaucoup plus qu’un agréable élément ornemental ».

Cécile Carton

(1) La musique éveille le temps, Daniel Barenboim, éd. Fayard.(2) Les passeports palestiniens ont une valeur symbolique. Comme l’Autorité palestinienne, qui lesdistribue, n’est pas un Etat reconnu, ils ne permettent pas de voyager. Aux frontières, les Palestiniensdoivent être munis des documents délivrés par l’Unrwa. Et pour ceux qui en disposent, du passeportdu pays dans lequel ils vivent (la Jordanie leur en fournit un, mais pas la Syrie ni l’Egypte).

Pour les Sahraouis, toujoursdes camps de réfugiés

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Pour aller au Sanitas, il fauttraverser une frontière,celle des voies ferrées. Unepasserelle blanche permet

de passer de la zone résidentielle deVelpeau à ce quartier populaireenclavé au milieu de Tours (Indre-et-Loire). C’est l’une des rares por-tes d’entrée à l’est de cette zoneurbaine sensible (ZUS) qui abritedix mille personnes. D’un côté, despavillons aux jardins coquets ; del’autre, une masse grise, du béton,quelques arbres et du linge auxfenêtres. En bas des marches, unjardinet de forme triangulaire etquatre bacs en bois, à l’ombre desimmeubles. Quelques enfants, arro-soir à la main, s’occupent de leursemis de radis. Installée sur l’uniquebanc, l’une des mamans confie :« Quand ils ont su qu’on venait au

Quartier populaire aucœur de Tours, le Sani-tas a mauvaise réputa-tion. Qu’importe, sesd i x m i l l e h a b i t a n t sinventent, au quotidien,une manière de vivreensemble. Les initiati-ves se multiplient, maissouvent en marge desinstitutions et du restede la ville.

Le Sanitas à cœur

battantjardin, ils ont sauté de joie. »L’Office public d’aménagement etde construction (Opac) prête celopin de terre à deux associationsqui s’occupent de le cultiver, Karmaet Au’Tours de la famille. Le but ?S’approprier son quartier et favori-ser les rencontres. « Nous en avionsassez que les gens restent devantleur télé », affirment Marie-Agnèset Pasca-line, habitantes du quartierdepuis vingt ans et membres deAu’Tours de la famille. Chaquemercredi après-midi ensoleillé,parents et enfants ont rendez-vouspour un atelier jardinage. Ici, larécolte n’est pas une fin en soi :« Nous n’avons mangé que deuxfraises et personne n’a vu la cou-leur des citrouilles ! » témoigne Syl-vie, la jardinière professionnelle quiencadre l’activité. Le terrain n’étantpas clôturé, des chapardeurs en ontprofité pour remplir leur panier delégumes.

Juste en face, de l’autre côté duboulevard de-Lattre-de-Tassigny,est implanté le Centre municipaldes sports. La gigantesque car-casse grise, construite dans lesannées soixante, a été récemmentrelookée. S’y tiennent toutes lesrencontres sportives importantesde la ville. A l’origine, l’objectifétait de permettre aux gens venusde quartiers différents de s’y

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côtoyer. Malgré les bonnes inten-tions, c’est loin d’être le cas. Lessoirs de matchs de volley ou dehockey, les voitures prennent d’as-saut les trottoirs. Deux heures plustard, les rues se vident. Les habi-tants du Sanitas ne vont pas à cetype de compétitions. « Questionde culture », affirme BelkacemMeziani, responsable des infra-structures de la municipalité.Selon lui, il y a dix fois plus de jeu-nes du quartier pour la « Nuit destitans », une rencontre de kickboxing, que pour un match duTours Volley-Ball, qui évoluepourtant en première division.

Des difficultés à s’ouvrirAu Sanitas, on préfère pratiquer

les sports dans les structures dequartier, entre voisins. Coincéentre quatre barres d’immeubles,le City stade ne désemplit pas. Surce petit terrain ouvert à tous, unequinzaine de gamins improvisentune partie de football. « Les adospréfèrent jouer entre eux plutôtque d’adhérer à un club », remar-que Belkacem Meziani. Les clubsessaient parfois de recruter lesmeilleurs, mais ces derniers ont dumal à quitter le quartier.

Autre moyen de mêler les popu-lations et de désenclaver le Sanitas,le Centre de vie de Tours, qui y estimplanté. Relais entre la mairie et la

population tourangelle, la structurepropose plusieurs salles à louer et des permanences régulières :« C’est une plate-forme de servicespour tous les habitants. On ytrouve le Planning familial, un ser-vice juridique, un centre d’informa-tion sur les droits des femmes etdes familles… détaille Anne Boun-daoui, coordinatrice de l’accueil.Nous ne recevons pas plus d’habi-tants du Sanitas que des autresquartiers. »

Le choix de cette localisationn’était pas anodin. Un taux de chô-mage de 32 %, près d’un tiers de

« Nous proposons des fonds d’ini-tiatives citoyennes pour financerdes projets. Nous en distribuonsessentiellement au Sanitas, maisencore trop peu de structures nousen font la demande », préciseMohamed Moulay.

Le même schéma se répète chezles habitants. Les associations, eneffet, pointent du doigt le manquede bénévoles. Si une poignée devolontaires s’investit fortement, lereste de la population ne se sentpas concerné. Selon Fabrice Tardy,directeur de l’association Sam’ira,qui gère le Centre social du Sani-tas, « les habitants ne s’impliquentpas assez et parlent peu de leursattentes ». Anthony Cosnard,membre de Diversité 37 qui orga-nise des actions de sensibilisationsau vote, renchérit : « Ici, les gens

qui concentre le plus de difficultés,mais aussi le plus de liens entrehabitants », affirme MohamedMoulay, référent de la politique dela ville au Sanitas. Le tissu associa-tif y est donc plus dense ici qu’ai-leurs. Pourtant, les obstacles nemanquent pas. La mairie ne prêtedes locaux qu’à huit associations.Et si certaines parviennent à payerun loyer, la plupart occupe à tourde rôle les salles du centre social.

A l’école, les limites de la mixitéA l’ombre des tours, à quelques dizaines de mètres de la voie ferrée, Louis-Pasteur est un collège

Ambition réussite, nouvelle appellation des Zones d’éducation prioritaire (ZEP). Ce petit établissement estl’un des deux, avec Michelet, à accueillir les adolescents du quartier du Sanitas. La totalité de ses centsoixante-quinze élèves vit dans les barres d’immeubles. Leur lycée de référence est Descartes, institutiond’excellence située en plein centre-ville, mais la plupart préfèrent aller ailleurs. Sur les trois cents élèvesde seconde, seuls cinq sont des anciens de Pasteur. « Il y a une crainte de nos collégiens, admet MichelleRousset, la principale. Ils ont des préjugés et ne se donnent pas le droit d’aller là-bas. Ils s’autolimitent. »

Un peu plus au nord, le collège Michelet accueille, lui, quatre cent vingt élèves. A la différence dePasteur, seulement 40 % d’entre eux viennent du Sanitas, les autres sont issus de quartiers aisés de laville (Velpeau et Les Prébendes). « La cohabitation se fait relativement bien, même si les modes de viesont différents », confie Annie de Assençao, la principale. L’année dernière, 55 % des élèves sont partis àDescartes. La principale estime qu’une vingtaine d’entre eux venaient du Sanitas. «La mixité sociale, c’estune chance pour nous », admet-elle. Mais à Pasteur, Michelle Rousset, se référant à ses expériencespassées, ne considère pas que cela soit « une solution miracle ».

On préfère pratiquer les sports dansles structures de quartier, entre voisins

familles monoparentales, 82 % delocataires HLM, un revenu men-suel moyen de 620 euros : des chif-fres deux fois plus élevés que dansle reste de la ville. « C’est la zone

Au jardin partagé près de la ligne de chemin de fer (à dr.), les enfants récoltent leursépinards. Un moment de convivialité comme il y en a aussi devant le centre social (à g.)

Nicolas Loisel

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n’ont plus l’impression d’avoir desdroits, ils manifestent rarement. Ilsont d’autres soucis, la démarchecitoyenne passe après. »

Place Anne-de-Bretagne, unappartement anonyme au rez-de-chaussée d’un HLM, abrite Mobi-lité 37. Depuis dix ans, cette« auto-école sociale » offre à ceuxqui en ont besoin – demandeursd’emplois, étrangers en difficultéou jeunes sortis du système sco-laire – de se rapprocher un peu dumonde du travail. Le permis deconduire sert de marche-pied,mais ce n’est qu’un prétexte, une

quelques altercations verbales. Lamoyenne d’âge est de 35 ans, avecune majorité de femmes et beau-coup d’étrangers – ces derniersreprésentent 12 % de la populationdu quartier, contre 4,4 % sur l’en-semble de la ville. « Avant de venirici, j’avais la tête vide et je ne faisaisrien. J’étais seule, c’était difficilepour apprendre la langue », témoi-gne, dictionnaire sous le bras,Aché, originaire du Togo.L’obtention du permis prend géné-ralement un an. Comme beaucoupd’associations de réinsertion, Mo-bilité 37 aimerait pouvoir suivre

quartier », affirme Jackie Barrault,la présidente. Chalak, réfugié ira-kien qui a perdu son emploi dechef cuisinier après un accident,fait la tournée des encombrants auvolant de son camion-benne cou-vert de tags. Départ à 8 h 30. Sonpremier rendez-vous est au quin-zième étage d’une tour HLM :venu chercher un vieux vélo, ilrepart avec un matelas. « Le travailest pénible, et les habitants ne sont pas très reconnaissants »,constate-t-il. Entre deux squats àvider, les salariés de Régie Plus s’ar-rêtent pour discuter avec des pas-

transition après une longuepériode d’inactivité. « Arriver àl’heure, être poli et bien habillé,c’est déjà beaucoup pour ceux quiont perdu l’habitude du contact »,explique le moniteur, Pierre-YvesRuiz, ancien policier responsabledu quartier, aujourd’hui reconvertidans le social. Les élèves doivent

s’organiser pour la garde desenfants, le déjeuner, justifier lesabsences, comme s’ils se trou-vaient en situation d’embauche.

Code le matin, conduite l’après-midi et une intervenante qui dis-pense des cours de français.L’ambiance est bon enfant malgré

ses élèves après la formation. Maisbien souvent, les gens vont d’uncontrat de réinsertion à l’autre.

Un problème récurrent qui nefacilite pas l’insertion. « Il y a despersonnes qui sont passées cheznous il y a dix ans, qui reviennentaujourd’hui et que je retrouveraisans doute dans dix ans », déploreYvon Alban, un des responsablesde Régie Plus. Devant le hangar de son association, une quaran-taine de travailleurs se rassem-ble chaque matin autour d’un« café-clope ». Ils trouvent ici descontrats de courte durée, danstrois secteurs : entretien des espa-ces verts, réhabilitation de loge-ments sociaux ou aménagementdu cadre de vie. « Ainsi, ce sontdes gens du Sanitas qui contri-buent à l’amélioration de la vie du

sants : « Vous pouvez passerdemain ? J’ai un vieux canapé, fau-drait m’en débarrasser. »

La tournée continue et l’équipeemprunte l’allée des Granges-Saint-Martin. Une cinquantaine depersonnes s’est réunie au milieu duparking pour jouer à la pétanque.Dès que le soleil fait son appari-tion, pas d’heure de rendez-vous,« on vient et on joue », confieHamed, chaussures vernies et che-mise impeccable. Il a quitté lequartier, mais revient réguliè-rement retrouver les copains.Comme lui, la plupart des boulis-tes n’habitent pas au Sanitas, maisn’hésitent pas à prendre leur voi-ture pour rejoindre « le meilleurterrain de la ville ».

Le camion-benne reprend saroute. Au détour d’une rue, un gar-

“Ce sont des gens d’ici qui contribuentà l’amélioration de la vie du quartier”

Le Sanitas, ce n’est pas que des immeubles. C’est aussi un endroit animé avec ses lieux de vie, comme le marché Saint-Paul (à g,), et de nombreuses initiatives des jeunes. Leur exposition Divers-Cités (à dr.) donne une autre image du quartier.C

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une exposition sur l’Union euro-péenne a été présentée lors de lafête du quartier, le 18 avril.

Au sein du quartier, des initiati-ves fourmillent, mais les passerel-les vers l’extérieur sont rares. Le21 mars dernier, des familles duquartier avaient rendez-vous encentre-ville, aux celliers Saint-Julien. Dans ce haut lieu de l’art àTours, est inaugurée une exposi-

« Professeur » de citoyenneté françaiseUn courrier incompris, des factures à payer, des demandes d’allocation à remplir… Dans son bureau emcombré

de livres, de plantes vertes, et tapissé de posters, Abderrahmane Marzouki, écrivain public de 55 ans, voit défiler despersonnes tourmentées. Ses usagers l’appellent Abdou. Son rôle est de « régler leur problème », il en va parfois deleur avenir. L’écrivain accompagne actuellement plusieurs étrangers dans leur démarche de naturalisation. Parmi lesnombreuses pièces exigées, une lettre de motivation qui peut être déterminante. « Nous en discutons beaucoup carils font des erreurs. Ils évoquent trop leurs racines, le passé, et pas assez leur volonté, leurs projets, raconteAbderrahmane. Je leur parle également de la laïcité, de l’égalité homme-femme ou même de la liberté d’expressiondans notre pays. Ce sont des notions qu’ils ne connaissent pas toujours. » Lors de leur futur entretien, en préfectureou dans un commissariat, ils devront montrer qu’ils maîtrisent et respectent ces principes. Margaux Girard

les voûtes moyenâgeuses de la salled’exposition. Un garçon distribueaux curieux les cartes de visite del’association Karma. Une fille sedésole, le son ne marche pas .Kaoutar, 16 ans , questionne :« C’est vrai, vous avez aimé ? » Ellea l’air d’en douter.

Marion Deslandes, Margaux Girard,Myriam Goulette, Julien Le Blevec,

Nicolas Loisel et Céline Mounié

pales de 2008 a été d’environ 46,5 %dans les bureaux de vote du Sanitascontre 56 % pour l’ensemble de laville. De même, lors de la présiden-tielle de 2007, l’abstention a été plusélevée (23 %) que la moyenne natio-nale (16,1 %). Pour mobiliser lesélecteurs, l’association Diversité 37organise une campagne de sensibi-lisation à l’approche de chaquescrutin. En vue des élections euro-péennes du 4 au 7 juin prochains,

dien d’immeuble moustachu faitsigne au chauffeur : « Il y a deschariots qui encombrent les sous-sols. Je sais que ce n’est pas le jourmais est-ce que vous pouvezvenir ? » Trois caves plus loin,Chalak repart avec quinze chariotsqu’il ramène au supermarché.

A la fin de la tournée, le groupetraverse l’avenue pour aller boireun café au bar associatif du centresocial. La vocation de ce lieu est defaciliter les rencontres, mais il estassez peu fréquenté, à peine centvingt personnes par semaine, selonFabrice Tardy, son directeur.Pourtant, les activités ne manquentpas. On y trouve une demi-dou-zaine d’ordinateurs reliés àInternet ; un écrivain publicapporte son aide pour les démar-ches administratives (voir enca-dré) ; et des salles sont à dispositionpour des activités diverses. Ainsi,tous les lundis, l’association MaliDeni y donne des cours de danseafricaine. Paradoxalement, « aucundes participants ne réside dans le

quartier », indique le percussion-niste. Une fois de plus, les habitantsdu Sanitas préfèrent les rencontresinformelles plutôt que de se réunirdans les structures officielles.

En témoigne le semi-échec desconseils consultatifs de quartier.Au lieu du dialogue espéré entrepopulation et institutions, onassiste plutôt à des discours d’in-formation. Au milieu des prési-dents d’association, de rares habi-tants, tous retraités. Lors de la der-nière réunion en février, un seul apris la parole pour réclamer desdoubles vitrages, car son logementjouxte la voie ferrée.

Dans ce quartier à part, force estaussi de constater que les électionsn’ont guère de succès : le taux departicipation aux élections munici-

tion de photographies. Elles sonttoutes accompagnées d’enregistre-ments sonores et ont été réaliséespar des jeunes du Sanitas au prin-temps 2008. Ces derniers ontvoulu montrer au reste de la villeune autre image de leur quartier,de ses barres d’immeuble, de sesjardins, de ses rues et de ses habi-tants. Les adolescents tourbillon-nent au milieu de la foule. Les visi-teurs, enthousiastes, se presse sous

Il subsiste malgré tout un fossé entrela population et les institutions

L’équipe de l’association Régie Plus récupère les encombrants dans le quartier.

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Histoire

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Le combat citoyenEn décembre dernier était célébré le soixantième anniversaire de laDéclaration universelle des droits de l’homme. Inspirée de celle de 1789, ellea été nourrie par cent cinquante ans de luttes.

26 août 1789. Il aura fallusix jours et six proposi-tions pour aboutir à la

Déclaration des droits de l’hommeet du citoyen, issue du mouvementdes Lumières. Cette premièrepierre du droit constitutionnelmoderne est également inspirée dela Déclaration américaine de 1776.Le général La Fayette, héros de laguerre d’indépendance des Etats-Unis, a d’ailleurs participé à l’éla-boration du projet définitif fran-çais. Celui-ci est basé essentielle-ment sur les libertés que l’hommedoit pouvoir faire valoir comme lasûreté, la propriété et l’égalité.« Les hommes naissent libres etégaux en droit… », « naissent » etnon pas « sont ». Un droit naturelqui, pour la première fois, est posé

et reconnu. Il va être un socle ina-liénable pour la reconnaissancedes droits du citoyen.

1848. C’est sous la pression dupeuple que la IIe République estproclamée. La Ire République, mar-quée par la Terreur, n’avait pas par-ticulièrement mis en valeur lesdroits du citoyen. L’Empire et laRestauration n’en feront pas da-vantage. Cependant, la révolutionde 1848 est l’occasion d’inscriredans les faits ce que la Déclarationénonce dans les textes depuis prèsde soixante ans. Tout va alors trèsvite : le droit au travail est déclaré,l’esclavage dans les colonies est aboli et, pour la première fois, lesuffrage universel est adopté.Malgré cela, il faudra attendre1944 pour que les femmes puissentvoter. Un droit obtenu, en partie,grâce à leur rôle dans la Résistance.

1881. C’est à cette époque char-nière que naissent les lois sur laliberté de la presse. Un texte des-tiné à perdurer puisqu’il reste à labase de la législation actuelle.

C’est cette même année quel’instruction publique laïque etobligatoire est défendue par JulesFerry. Ses idées entraînent unimportant mouvement de scolari-sation dans les campagnes. Les fil-les sont pour la première foisconcernées. Les parents sont obli-gés d’envoyer leurs enfants à l'écolealors qu'ils préfèreraient les voirparticiper aux tâches ménagèresou aux travaux des champs.

Dans la foulée sont adoptées leslois sur les syndicats de 1884 et sur

les associations de 1901 qui ontpermis de renforcer les droits ducitoyen. Vingt ans de lutte achar-née pour pouvoir se réunir et re-vendiquer. Pourtant, le 1er mai1891, rien ne semble vraimentacquis. Les différentes composan-tes syndicales s’unissent pour lapremière fois et réclament la jour-née de huit heures. Une fête gran-diose qui vire au tragique puisque,à Fourmies, les gendarmes char-gent les ouvriers. Neuf morts sontà déplorer, dont deux enfants.

1948. Cent cinquante ans ontpassé depuis 1789, le monde achangé et la Déclaration doit évo-luer. Le 10 décembre, la premièreDéclaration universelle des droitsde l’homme est adoptée parl’Assemblée générale des Nationsunies à Paris. Sur les cinquante-huit Etats, aucun ne se prononcecontre. Huit s’abstiennent dontl'Afrique du Sud de l’apartheid, quirefuse le droit à l'égalité sans dis-tinction de naissance ou de race, etl’Arabie Saoudite, qui contestel’égalité entre les hommes et lesfemmes. Le Yémen et le Hondurasn’ont, quant à eux, pas voté.

Depuis 1992, le traité deMaastricht introduit la notion decitoyen de l’Union européenne.Plus que des droits et des devoirs, ilest aujourd’hui nécessaire de seconstruire ensemble une identitécommune. Toutes ces années delutte sont le signe que la citoyen-neté ne peut évoluer que dans unesociété en perpétuelle recherchedémocratique. Julien Desfrene,

Mathilde Macé et Sacha Nokovitch

Les citoyens s’affichent et se reconnaissent grâceà leurs vêtements, la cocarde et le pantalon rayé.Dans cette gouache de Lesueur, ils chantentl’hymne des Marseillais.

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Français venus d’ailleurs

Lucie Moulu, 77 ans.Italienne, venue pour la première fois en France en 1949.Naturalisée en 1956.

« J’ai commencé à faire lessaisons dans les champs, enFrance, à 17 ans. » Quand, six ansplus tard, la jeune Italiennerencontre Michel, elle s’appelleencore Fiorinda. Elle rentre enItalie, ils s’envoient des lettres.Elle ne sait ni lire ni écrire : « Jeles dictais à un copain », sourit-elle. Au bout de quelques mois,l’amoureux n’y tient plus et file àmoto en Italie. Là-bas, il affronte lajalousie de l’ancien petit ami deFiorinda, ils en viennent auxmains… et au couteau. Après lasaison aux champs de 1956, lecouple se marie. Fiorinda franciseson deuxième prénom, Lucia,pour mieux s’intégrer. Elle devientLucie. Discrète sur cette partie desa vie, elle se souvient : « Parceque j’étais étrangère, on refusaitparfois de me vendre du lait,même si je payais. » Mireille,l’aînée des huit enfants du couple,se rappelle surtout une mère quise privait de manger pour nourrirla fratrie. Depuis, la xénophobie achangé de cible. La petite-fille deLucie, Capucine, 22 ans, ne sesouvient pas d’avoir jamais été« traitée de sale Ritale ». Maisassume avoir hérité du forttempérament des Italiennes. C. C.

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Portfolio

22 Innova 2009

Nés ailleurs, deux millions de Français le sont

par naturalisation. Terre d’asile, terre d’accueil

historique, la France accorde ainsi chaque

année la nationalité à cent cinquante mille

immigrés, arrivés pour la plupart de l’Union

européenne ou de l’Afrique. A l’origine de leur

exil, l’amour, le regroupement familial, le tra-

vail ou la fuite, qu’elle soit économique ou

politique. Mais ce qui les différencie des trois

millions d’étrangers qui vivent ici, c’est qu’ils

ont décidé d’officialiser leur « adoption ».

Pour échapper aux échéances des cartes de

séjour, à la pénibilité des démarches adminis-

tratives et à la peur de l’expulsion ? Pour avoir

les mêmes droits, à l’emploi comme à la sécu-

rité sociale ? Quoi qu’il en soit, tous ont été

attirés par la promesse d’une vie plus confor-

table, moins incertaine, par le besoin de se

sentir chez soi quelque part.

Lucie, Bernardo, Stavros, Chantal, Najib. Cinq

points de départs, cinq histoires. Un seul point

commun : celui d’être devenu français.

Stavros Hadjiyianni, 50 ans.Chypriote arrivé en France en 1981.Naturalisé en 1985.

« La combinaison de mes deux nationalités m’aaidé à avancer ; ça a été ma chance. » L’histoire deStavros commence pourtant par la fuite, lorsque laTurquie envahit le nord de Chypre en 1974.Heureusement, l’insouciance de ses 15 ans le sauverade la douleur de l’exil, lorsque les jeunes sontévacués de Chypre vers la Grèce : « J’ai vécu celacomme une aventure. Imaginez-vous partir sur unbateau avec deux mille jeunes de votre âge… » Unseul mauvais souvenir dû à ses origines : lors de sademande de naturalisation, quatre ans après sonarrivée, le policier conclut qu’il ne parle pascorrectement français, alors que le jeune homme estdéjà en DEA. Aujourd’hui professeur de droit, Stavrosn’a pas gardé beaucoup de traces de sa cultured’origine : « J’aurais sans doute complètement oubliéce pays si le nord de Chypre n’était pas toujoursoccupé. Mais ce qui s’y passe m’oblige à me sentirsolidaire. » C. M.

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PortfolioBernardo Mella-Duran, 55 ans.Chilien, arrivé en France en 1973.Naturalisé en 1988.

« Je ne changerai jamais mon nom ni ne seraipropriétaire. J’ai même du mal à percer des trousdans mes murs. » Quand Pinochet a pris le pouvoir,en 1973, Bernardo était prêt à se battre, mais il a fallupartir. L’exil en Europe ne devait être que provisoire.Pourtant, le répit s’est éternisé. Il a eu deux enfants.« Quand des liens commencent à se nouer, il est troptard. Mais je ne veux pas m’enraciner. » Etudiant ensociologie au Chili, il choisit de devenir intérimaire àson arrivée en France. Soudeur, mécanicien,peintre… Le plus important est de ne rien entamer.Bernardo ne se sent ni vraiment Chilien ni vraimentFrançais, mais Mapuche. Comme tous les membresde cette ethnie amérindienne opprimée, il ne se ditpas encore vaincu, car « personne ne l’a jamais mis àgenoux ». Toujours dans l’attente de rentrer, Bernardoest encore là. « Il y a trop de traces de la dictature auChili. » Et d’icônes d’Amérique latine sur les murs deson appartement. M. M.

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Najib Ablizadah, 18 ans.Afghan arrivé en France en 2005.Naturalisé en 2009.

« Elle m’a dit : “Si tu m’aimes, tu doispartir”. » Aujourd’hui encore, Najib rend grâce àsa mère. Ils avaient déjà fui les talibans et leurpetite ville de Wardak pour se réfugier dans lacapitale. Ils pensaient qu’à Kaboul, tout iraitmieux. Un soir, son jeune frère n’est pas rentré del’école, sûrement emmené de force dans uneécole coranique intégriste. Pour Najib, ce sera undéchirant voyage d’un mois avec des passeurs, àtravers l’Iran, la Turquie et l’Europe. A son arrivéeà Paris, il n’a que 15 ans. Il est recueilli par l’Aidesociale à l’enfance (ASE) et placé dans un foyerdu 17e arrondissement. Aujourd’hui, il prépareson bac pro comptabilité au lycée Erik-Satie(Paris, 14e). Il essaie de « bien refaire sa vie »,aime-t-il à dire. Mais il n’a plus jamais eu denouvelles de sa mère. J. C.

Chantal Polunyo, 39 ans.Congolaise arrivée en France en 2003.Naturalisée en 2008.« C’est difficile de se justifier, il faut prouver que tues menacé et on ne te croit pas. » Originaires duCongo, les Polunyo mettront trois ans pour êtrereconnus comme réfugiés politiques. Parce qu’ilsappartiennent à deux ethnies devenues ennemies– Chantal est hema et Pierre lendu – leur coupleest persécuté. Avec leurs enfants, ils fuient leurpays en 2003. Ils rejoignent Paris, puis Tours, oùun passeur leur a promis un hébergement. Maispersonne ne les attend. Démunis, désemparés, ilssont recueillis par la Croix-Rouge. Aujourd’hui,Pierre est chauffeur de poids lourds, Chantal auxi-liaire de vie dans une maison de retraite. Elle ne serésout pas à se détacher de son pays d’origine. « Jeveux y emmener mes enfants, pour qu’ils puissentvoir d’où ils viennent. » A. G.

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Textes

et photos:

Cécilie Cordier,

Jonas Cuénin,

Aurore Gayod,

Mathilde Macé,

Céline Mounié

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J ’allume la machine à laver et j’étends le linge.On va me mettre en prison pour ça ? »

Céline s’étonne. Cette factrice risque cinqans de prison. Un délit d’humanité : comme

deux cents habitants de Steenvoorde, une bourgadedu Nord, elle participe à l’accueil de clandestins en transit pour l’Angleterre. Que des hommes et

des femmes puissent vivre terrés comme des bêtes sauvages lui est tout simplement devenu

insupportable. Transgresser la loi au nom d’unemorale personnelle, les « désobéissants », qu’ils

soient profs, faucheurs d’OGM ou antinucléaires,enfont un art de vivre. Par des actions non violentes

et spectaculaires, ils contestent les lois qu’ils jugentinjustes. Des lieux d’indignité, où les droits les

plus élémentaires de la personne humaine sontbafoués, la France en recèle. En 2008, la Cour

européenne des droits de l’homme l’a condamnéepour « traitements inhumains et dégradants » dans

ses prisons. Derrière les hauts murs des maisonsd’arrêt, « tous les besoins essentiels sont niés »,

témoigne Hélène Castel qui a connu les régimespénitentiaires français et mexicain. La France s’est

longtemps enorgueillie de « sa » révolution quiexporta les Droits de l’homme et du citoyen et

fit d’elle une terre d’asile. Aujourd’hui, des sanspapiers sont retenus derrière des barbelés, privés

de liberté. Et en Guadeloupe, département français,cinq semaines de révolte ont été nécessaires pour

faire appliquer… le droit français !

La République des mal-aimés

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Le dos voûté, Ibrahim mar-che le long de la route quiserpente à travers la Flan-dre. Cet Erythréen sans-

papiers a passé la nuit à tenter de se glisser dans un camion pour tra-verser la Manche. En vain. Ilretourne à pied à Steenvoorde (59).L’abattement se lit sur son visage. Ilcroise Olivier qui rentre d’Haze-brouck. « Courage, ce sera pour laprochaine fois », lui dit-il en le faisant monter dans sa voiture.Comme Ibrahim, des milliers de

migrants afghans, irakiens, éry-thréens tentent chaque soir degagner leur Eldorado : l’Angleterre.Le Royaume-Uni leur offre des

aides financières et ils y trouventrapidement du travail. Loin destroubles politiques de leur pays.Ibrahim, lui, dormira toute la jour-née au camp de Steenvoorde.

Deux grandes tentes où s’entas-sent matelas et couvertures. Unetroisième fait office de cuisine.L’endroit, à l’écart du village, estentouré d’une toile qui protège desregards indiscrets. A l’extérieursiègent un robinet, un baby-footen plastique et quelques chaises.

Depuis la fermeture, en 2002, ducentre de Sangatte, le camp de

Steenvoorde fait partie desrares refuges décents duNord. Des îlots de solidaritéoù de simples citoyens, pouroffrir le minimum vital, bra-

vent la loi. Et particulièrement l’ar-ticle L622-1 qui sanctionne l’« aideau séjour à personne en situationirrégulière » de cinq ans de prisonet de 30 000 euros d’amende. Ce

Dossier

Mon village à l’heure des clandestins

Ils lavent du linge, prodiguent des soins… Céline,Lucienne, Olivier et deux-cents autres habitants deSteenvoorde, dans le nord de la France, accueillentvingt-cinq clandestins en transit pour l’Angleterre.

“Un jour, j’ai trouvé un gamin de10 ans sous un duvet raidi par le gel”

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même article a valu, fin février, àMonique Pouille, bénévole de l’an-tenne de Terre d’errance à Norrent-Fontes (62), huit heures de garde-à-vue pour avoir rechargé les télépho-nes mobiles de sans-papiers. Lesassociations craignent que ce genrede situation se multiplie. Le 31mars, Eric Besson, ministre del’Immigration et de l’Identité natio-nale, a reçu une lettre de mission duprésident Nicolas Sarkozy et duPremier ministre François Fillon luifixant un objectif de cinq mille per-sonnes à interpeller dans ce cadrepour l’année 2009.

A Steenvoorde aussi, on aide lesmigrants à recharger leurs porta-bles. « Nous n’avons jamais penséfaire quelque chose d’illégal »,confie Myriam, aide-soignante etresponsable du service alimentaire.« J’allume la machine à laver etj’étends le linge. On va me mettreen prison pour ça ? » raille Céline,la factrice. « Je n’ai pas peur de lajustice, tranche Olivier. Ce quenous faisons n’est pas légal, maisc’est légitime. Un jour, je suis allédans un de leurs camps et j’aitrouvé un gamin de 10 ans sous unduvet raidi par le gel. Quand tu voisça, il peut y en avoir deux cents, tules accueilles sans problème. »

Une solidarité spontanéeDans cette commune de quatre

mille habitants, ils sont deux cents,tous bénévoles de Terre d’errance à se mobiliser depuis décembrepour accueillir vingt-cinq Ery-thréens. « Steenvoorde, c’est unpeu le quatre étoiles des campsd’accueil », s’amuse Olivier. « Lesgens sont très gentils », reconnaîtSauel, 27 ans. « Ils font preuve debeaucoup d’humanité », ajouteHaile qui aimerait rejoindre sonfrère et sa sœur à Londres. Ils sontétudiants pour la plupart, et déter-minés. Eseyas, 27 ans, ancien infir-mier dans l’armée érythréenne, enest à sa vingt-cinquième tentativede traversée de la Manche.

Lucienne (page de gau-che) administre à unclandestin une lotionpour les yeux. « Jeviens tous les jours,explique cette infir-mière à la retraite, carils ne prennent pasleurs médicamentsspontanément. » Deux fois par semaine,Eliane (ci-dessus) et

Olivier (ci-dessous)proposent, eux, descours de français. Desnotions de base : lesjours de la semaine, leschiffres, les motsusuels.L’une des tentes estconsacrée à la cuisine.Salam (ci-contre) pré-pare ici un plat tradi-tionnel érythréen.

tations, se souvient Damien,retraité et président de l’antennede Terre d’errance de Steenvoorde.Le lendemain, nous avons décou-vert que soixante-trois Erythréensvivaient dans cette jungle. » Puisvient l’hiver. Olivier, steward à laBritish Airways s’inquiète pour ceshôtes discrets. Il leur ouvre sa mai-son occasionnellement, pour qu’ilsmangent ou dorment à l’abri.

C’est en suivant l’autoroute A25que des migrants ont commencé à affluer. Près du parking où sta-tionnent les camions, le bosquetoù ils se cachaient s’est transforméen repaire, en « jungle ». Un cam-pement de fortune parsemé dedétritus où trois planches font uncercle autour d’un foyer mainte-nant éteint. « En juillet dernier, lagendarmerie a procédé à des arres-

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Spontanément, d’autres habitantsse préoccupent de leur sort. Uneréunion publique est organisée le14 novembre. Une centaine depersonnes y participe. L’associa-tion est créée et le conseil muni-cipal octroie un terrain pourconstruire un camp.

L’accueil des Erythréens estréglé comme une horloge. Dans lamaison paroissiale, une premièrepièce est consacrée au stockage de la nourriture. Les denrées vien-nent de dons de particul iers ,d’achats à la Banque alimentaire.Le boulanger de Boeschepe fournitdu pain et un fermier offre le sur-plus de sa production, 15 litres delait par jour. Deux autres sallessont consacrées au tri et au lavagedes vêtements. Deux fois parsemaine, les migrants peuventprendre une douche dans les ves-tiaires du club de foot. Uneancienne infirmière, deux méde-cins et un dentiste leur dispensentdes soins médicaux. Eliane, elle,assure des cours de français,« pour leur rendre leur dignitéintellectuelle », explique cetteenseignante à la retraite.

« Le Nord est connu pour sonaction catholique, souligne Ber-trand, le curé de la paroisse. Ladoctrine sociale de l’Eglise est ento i l e de fond . » Né anmoins ,« notre association n’est ni confes-sionnelle ni politique », préciseDamien. Un principe fondateurpartagé par Jean-Pierre Bataille,maire de Steenvoorde : « Le faitque je sois membre de l’UMP n’en-tre pas en ligne de compte, balaie-t-il. Devant n’importe quel cas dedétresse humaine, je ne vais pasappeler mon parti d’abord poursavoir quoi faire ! »

Depuis l’installation des tentesau mois de décembre, les bénévo-les de Terre d’errance ont large-ment franchi la ligne rouge fixéepar l’article L622-1. La gendarme-rie passe plusieurs fois par jour àproximité du camp. « Nous noussommes entendus avec eux pourles accueillir, explique Damien.Finalement, je crois que les forcesde l’ordre sont soulagées par notreaction : elles n’ont plus à leur cou-rir après. »

Faire mieux que l’EtatUn arrangement défendu par

Jean-Pierre Bataille : « Nous met-tons l’Etat face à ses contradic-tions, explique-t-il. Si demain lepréfet me demande de fermer lecamp, je m’exécuterai. Mais est-ceque les autorités peuvent fairemieux que nous ? » s’interrogel’élu, avant de confier qu’« il sesusurre déjà qu’il (Eric Besson,NDLR) pourrait régulariser l’ac-tion d’associations comme Terred’errance ».

Globalement, l’accueil réservéaux migrants par l’association estbien perçu par les habitants. « Cesgens ont droit au minimum vital,lance Stéphane, adossé au comp-toir de la brasserie A l’épi de blé.Mais j’ai tout de même un peupeur que cela incite d’autresmigrants à venir, ajoute le retraité.je regrette que l’Etat n’ait pas undiscours clair. » Rémi, étudiant,renchérit : « Des associations, il yen aura toujours, mais il faut unesolution au-dessus. »

Combien de clandestins ont-ilsbénéficié de l’accueil de cescitoyens ordinaires avant degagner l’Angleterre ? Impossible dele savoir. Olivier reçoit parfois unappel au milieu de la nuit. Ils sontarrivés. D’autres n’essaient plus.Un migrant va demander l’asile enFrance : il est tombé amoureux,d’une habitante de Steenvoorde.

Timothée Blit et Romain Lecompte(texte et photos)

Depuis novembre, Olivier rendrégulièrement visite aux migrantsdans leur « jungle » (ci-dessus). Lecamp a été installé par les bénévo-les de Terre d’errance près des jar-dins ouvriers (ci-dessous).

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“Finalement, je crois que les forces del’ordre sont soulagées par notre action :

elles n’ont plus à leur courir après.”

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En conscience, nous refu-sons d'obéir. » Le 27 janvierdernier, plus de cent cin-quante professeurs des éco-

les adressaient une lettre au minis-tre de l’Education nationale, XavierDarcos. Ils sont aujourd’hui plus dedeux mille six cents « résistantspédagogiques » à refuser d’appli-quer les nouveaux programmes, lesdeux heures d’aide personnaliséeaux élèves en difficulté, et à ne pasaccepter la suppression annoncéedes Rased (réseaux d’aides spéciali-sées aux élèves en difficulté). Poureux, manifestations, grèves et péti-tions ne suffisent plus. La désobéis-sance civile paraît plus efficace.

Légitimité contre légalitéCes nouvelles façons de protes-

ter séduisent de plus en plus decitoyens : les faucheurs volontairesdétruisent des champs de maïsOGM, les collectifs antipub gri-bouillent des panneaux de récla-me, le DAL (Droit au logement)investit illégalement des apparte-ments inhabités… « Ils considè-rent que les autorités sont moins àl’écoute des formes de revendica-tions classiques et légales », indi-que François Roux, avocat des fau-cheurs volontaires.

Transgresser une loi que l’on jugeinjuste permet de rester en accordavec ses principes. Guy Groux,professeur de lettres et scienceshumaines à Sciences Po Paris, spé-cialisé dans les mouvementssociaux et syndicaux, rappelle quela désobéissance à une loi illégitime

est même « un devoir ». Pour lestenants de cette école, cela découledu droit de résistance à l’oppres-sion proclamé par l’article 2 de laDéclaration des droits de l’hommeet du citoyen de 1789. Jean-MarieMuller, écrivain, philosophe spé-cialiste de la non-violence, ajoutequ’un « individu qui obéit à une loiinjuste ruine la démocratie ». L’acteest donc purement citoyen. Maisqui peut décider de la légitimitéd’une loi ? « On se réfère à notreconscience personnelle », répon-dent les désobéissants.

Anna Massina est faucheusevolontaire. « Dans l’action non-violente il est nécessaire d’évaluerles risques et de les accepter. L’en-thousiasme et la conviction d’êtredans le “juste” se mêlent à la peurde la répression. Mais il faut faireavec. » Certains actes de désobéis-sance, dont celui pratiqué parAnna, sont plus exposés que d’au-tres aux sanctions. Maître Rouxprécise que « pour les OGM, lesintérêts sont considérables et lespressions des industriels très fortes(…) Les faucheurs cherchentaujourd’hui à se reconvertir dansd’autres formes d’actions commeles semeurs volontaires ». L’objectif

est d’encourager les échanges desemences non brevetées (par lesgrandes firmes agroalimentaires)et donc non autorisées. Unedémarche qui pourrait garantir unallègement des sanctions pénales. Sylvie Espagnolle, syndicalisteCGT du Pôle emploi de Midi-Pyrénées, refuse, elle, de se plieraux dernières directives qui luidemandent de signaler aux autori-tés les chômeurs dont les papiersne sont pas en règle. Elle est suiviepar tous ses collègues, qu’ils soientsyndiqués ou non. « Désobéir col-lectivement et de façon visible dis-suade un peu plus la direction denous sanctionner. »

La persévérance paie parfois.Dans le Lot, la SNCF a dû rétablirsept des quinze arrêts de la ligneParis-Toulouse qu’elle avait sup-primés à l’automne 2007. Depuisun an et demi, des habitants et desélus de Souillac et Gourdon des-cendaient sur les voies pour stop-per les trains pendant deux minu-tes. Poursuivis en justice pour« entrave à la circulation », sixhabitants et trois élus encouraientthéoriquement six mois de prisonet 3 750 euros d'amende. Mais le20 mars dernier, les sommes requi-ses à leur encontre n’étaient que de400 à 500 euros. Le conflit conti-nue pour rétablir les autres arrêts.Dans la logique de la désobéis-sance, il faut aller jusqu’au bout,résume Jean-Marie Muller : « Lasagesse commence lorsque la peurdes gendarmes disparaît. »

Marion Deslandes et Margaux Girard

Faucheurs d’OGM, bar-b oui l leur s de pub s ,anti-nucléaires… Defaçon non-violente, ilss’opposent à une loiqu’ils trouvent injuste.

Les désobéissants se rebiffent

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L a réalité de la prison, je nela supporte plus. Le seulmoyen qu’il me reste, c’estla grève de la faim. Je sais

qu’ils me laisseront crever, mais jem’en fiche totalement. » Incarcéréà la centrale de Lannemezan(Hautes-Pyrénées), Franck Astierentame cette action parce qu’onlui interdit de téléphoner à sacompagne au prétexte qu’ils nesont pas mariés. Décisions arbi-traires, humiliations, privations…

Le Conseil de l’Europe (COE) et leComité européen pour la préven-tion de la torture (CPT) ont épin-glé à plusieurs reprises la Francepour ses conditions de détention.Le 15 octobre 2008, celle-ci étaitcondamnée par la Cour euro-péenne des droits de l’hommepour le « traitement inhumain etdégradant » de ses détenus.

Vendredi 13 mars 2009, selon lejournal Libération, sept détenus dela maison d’arrêt de Valenciennes(Nord) déposaient une plainte pour« mauvais traitements et violen-

ces » infligés par des surveillants.Les prisonniers auraient été battus,puis laissés nus au mitard, cette cel-lule du quartier disciplinaire, sansfenêtre, avec un lit en béton. Ceuxqui y sont enfermés n’ont droit qu’àune heure de sortie quotidienne. Ilspeuvent y rester jusqu’à quarante-cinq jours, durée qui sera peut-êtreramenée à trente jours avec le pro-jet de loi pénitentiaire. Elle est enmoyenne de quinze jours dans lereste de l’Europe.

Derrière les barreaux, la com-munication avec l’extérieur est

Promiscuité, sur-population, traite-ments dégradants…l’état des prisonsfrançaises est alar-mant. Des condi-tions de vie contrelesquelles s’élèventanciens détenus etassociations. Pourque le droit ne s’ar-rête pas aux portesdes cellules.

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PHOTOS KLAVIDJ SLUBAN ET BERTRAND DESPREZ

Prisons françaises, zones de non droits

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extrêmement réglementée. Lors-qu’on leur permet d’utiliser le télé-phone, les détenus sont sur écouteet disposent d’une liste de numérosautorisés. Les portables sont inter-dits. Seules sept des deux cents pri-sons françaises disposent de par-loirs intimes destinés aux visitesdes familles. Pour en bénéficier, ilfaut souvent attendre trois mois.

Depuis 1994, être condamné nesignifie plus perdre ses droits civi-ques. Les détenus peuvent voterpar procuration, mais les démar-ches sont complexes. Mal infor-

més, ils sont moins de 10 % à jouirde cette possibilité. Etre citoyen,c’est aussi pouvoir protester. Enprison, pas de syndicat, pas depétition, pas d’association. Seulescontestations possibles : refuserd’entrer dans sa cellule ou de parti-ciper aux activités sportives. Maisle risque est grand : mitard, isole-ment, retrait de remise de peine.« Etre citoyen est répréhensible,tout le pouvoir réside dans lesmains des surveillants », confieYaz id Kherf i , ancien détenu,aujourd’hui consultant en préven-tion urbaine. Certains surveillantsdéplorent un manque de moyens.« Il est impossible de travailler cor-rectement avec un seul gardienpour cent prisonniers, déplore l’und’eux, employé à Fleury-Mérogis

(Essonne). Comment les aideravec seulement trois jours decours de psychologie sur six moisde formation ? »

Une perte d’identitéDerrière les murs, c’est la passi-

vité qui prime. Pourtant, de nom-breux détenus souhaitent travail-ler. Certes, le projet de loi péniten-tiaire prévoit l’obligation d’activi-tés pour l’ensemble des détenusmais il y a pénurie d’offres et demoyens. Du coup, ils ne sont que30 % à en bénéficier. Les quelqueschanceux gagnent un tiers duSmic. Sans contrat de travail.Autrement dit, à leur sortie, pas deprotection sociale, pas d’Assedicni de droit à la formation.

En entrant en détention, onperd son identité pour devenir un

numéro. Lors d’une conférence enjuillet 2007, Betty Brahmy, psy-chiatre en milieu pénitentiaire,raconte la vie en prison : la per-sonne incarcérée devient ano-nyme, elle est presque systémati-quement tutoyée par le personnel.Dans une lettre adressée en 2001 àla ministre de la Justice, MaryliseLebranchu, les femmes de la mai-son d’arrêt de Fresnes (Val-de-Marne) donnent un aperçu decette atteinte à la dignité. « Pour-quoi tant de provocations, deméchanceté gratuite, de sadismeet de vexations ? Pourquoi tantd’attentes, de fouilles et de palpa-tions dégradantes ? Pourquoi nepas remplacer le classique “Fer-mez-la !”, trop souvent utilisé, par“Taisez-vous s’il vous plaît” ? »

Betty Brahmy déplore égale-ment l’inhumanité en matière desanté. Près de 30 % des détenussont atteints de troubles patholo-giques, vingt fois plus que dans le

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Neuf mètres carrés pour troisdétenus, c’est la moyenne dans les maisons d’arrêt françaises

non droits

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reste de la population. Le manquerécurrent de personnel contraintles malades à attendre plusieursjours, voire plusieurs semainesavant d’être soignés.

Neuf mètres carrés pour troisdétenus, c’est la moyenne dans lesmaisons d’arrêt, dont le taux d’occu-pation avoisine les 200 %. Elles ras-semblent les prévenus et lescondamnés à de courtes peines. Encellule, les sanitaires ne sont séparéspar aucune cloison, il n’y a pas dedouche, juste un lavabo. « Ils viventun calvaire, raconte Georges, visi-teur de prison à la maison d’arrêt de

Tours. Leur quotidien, c’est la vio-lence, les bruits incessants, la puan-teur. » Entassés comme du bétail, ilssont 62 252 détenus pour 50 600places1. Un maigre kit d’hygiène estdistribué chaque mois : trois rou-leaux de papier toilette, une brosseà dents, un tube de dentifrice et unflacon de gel douche. Pour amélio-rer l’ordinaire, ils cantinent (achè-tent) des produits sur une liste four-nie par l’administration. Tous ne lepeuvent pas car la vie est chère :les pâtes et les sauces tomates sont deux fois plus coûteuses qu’au supermarché. Or, près d’untiers des détenus sont indigents etvivent avec moins de 45 euros parmois. Un sur quatre se réfugie dansles médicaments, « les fioles ». Cer-tains les revendent aux suicidairesou aux accros car tout se monnaie.

Le 13 mars, un mineur de17 ans s’étranglait avec sa ceintureà la maison d’arrêt de Moulins-Yzeure (Allier). Déjà vingt-huitdétenus se sont donnés la mort, enFrance, depuis le début de l’année,selon l’Obser-vatoire internationaldes prisons (OIP)2. Le 2 avril, unrapport controversé sur les suici-

Son nom est la seule chose qu’il ait gardé deses origines aristocratiques. Jacques Lesage deLa Haye a 70 ans, les cheveux blancs, maistoujours une veste en cuir et du bagou. Il parlecrûment dès qu’il s’agit de la « taule », mais avecla maîtrise du psychologue, son métier. Chaquesemaine, il redonne la parole aux détenus dans« Ras les murs » sur Radio libertaire. Cetteannée, l’émission fête ses 30 ans, un véritablemythe derrière les barreaux.

Un lieu qu’il connaît bien pour y avoir passéonze ans. Cambriolages. Il est incarcéré avec sonfrère à la maison centrale de Caen. « LorsqueJean-Paul a commencé à se prendre pourl’Antéchrist, j’ai décidé de consacrer ma vie àaider les gens qui deviennent fous. En prison,c’est trop souvent le cas. »

Dès lors, montrer ce que la société refuse devoir devient son cheval de bataille. A sa sortie, il

écrit notamment La Guillotine du sexe1, quidénonce les folies de la sexualité en prison. Ildevient aussi président extérieur du premiersyndicat national de prisonniers à Fleury2.Pendant dix ans, il enchaîne les actions. Il vajusqu’à accueillir chez lui, avec sa femme et sonfils, d’anciens détenus et des malades mentaux.Sur les soixante-dix qu’il a reçus, seuls sept ontrécidivé. « J’ai mis dix-huit ans à me sentirvraiment sorti de prison. Mais moi, j’ai eu lachance de l’instruction et de la psychanalyse. »Chercher des alternatives à ce qu’il appelle « lescamps de concentration carcéraux », voilà saconviction. Le combat d’une vie.

Makiko Morel

(1) Ed. de L’atelier, 3e éd., 1998, Paris. (2) Le syndicat est dissous après un and’existence en 1985. Les quelque mille cinqcent détenus syndiqués ont été transférésou mis à l’isolement.

Parcours d’un aristaulard

des en prison a été remis à laministre de la Justice. En 2008, il yen a eu cent quinze contre quatre-vingt en 2007.

« On est des sous-citoyens, àpeine des hommes, conclut unancien détenu de Fleury. On nousdésapprend la vie. La mission de laprison est aussi de réinsérer. Maisc’est tout le contraire qu’elle fait. »Yazid Kherfi souligne : « Depuis lamise en place d’une politiquesécuritaire en 2002, l’Etat privilé-gie la logique carcérale plutôt queles mesures sociales. » Le nombrede détenus a en effet augmenté de25 % depuis 2002, avec plus de85 000 incarcérés par an. Parmieux, de plus en plus de pauvres,d’étrangers et de jeunes. Faut-ilconstruire plus de prisons ? C’estce que prévoit le projet de loipénitentiaire. Yazid Kherfi n’estpourtant pas le seul à penser qu’ilfaudrait miser plus sur la préven-tion. Afin que la prison reste l’ul-time recours.

Pauline André, Sarah Masson et Makiko Morel

(1) Au 1er janvier, selon le ministère de la Justice.(2) www.oip.org

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Habillée simplement, fou-lard coloré et longuesboucles d’oreilles, HélèneCastel sirote un café.

Rayonnante et chaleureuse, ellereste cependant en retrait quand ils’agit de parler de son histoire. Ellea passé plus d’un an en prison, àMexico et à Fleury-Mérogis. A 20ans, elle appartient à cette généra-tion post soixante-huitarde, révol-tée par la société des années qua-tre-vingt. Elle se marginalise et le30 mars 1980, elle participe au bra-quage raté de la BNP, rue Lafayetteà Paris. Elle s’enfuit au Mexique oùelle refait sa vie et devient psycho-thérapeute. Le 12 mai 2004, quatrejours avant la prescription, elle estarrêtée, puis extradée vers laFrance. Elle est libérée en juillet2005. Elle vient de publier Retourd’exil d’une femme recherchée, unlivre dans lequel elle raconte sonexpérience carcérale.

Innova. Vous avez été incarcé-rée trois mois au Mexique – deuxmois en maison d’arrêt et un moisen prison centrale – avant d’êtreextradée. Comment avez-vousvécu ces moments ?Hélène Castel. Au Mexique plusqu’en France, les maisons d’arrêtsont surpeuplées. En préventive,nous étions près de deux centsdétenues pour une quarantaine deplaces. Les locaux de la maisond’arrêt sont vétustes et la promis-cuité est difficile à supporter. Danschaque cellule, une dizaine defemmes se partagent trois couches

en béton. Chaque pièce disposed’une douche, mais l’eau est rare ettoujours froide. De 7 heures à21 h 30, les grilles des cellules sontouvertes. Nous préparons lesrepas, lavons le linge et faisons lavaisselle toutes ensemble. C’est lavie en collectivité avec ses arna-ques, ses abus de pouvoir, sesmoments de détente : un cocktailépicé. Les visites ont lieu trois foispar semaine dans le parloir collec-tif, où l’effervescence règne. Desfamilles pique-niquent, des amou-reux échangent des baisers… Bienque les conditions matériellessoient rudes, le système mexicainapparaît plus humain qu’enFrance. Les détenues doivent fairedes efforts pour se côtoyer, c’estune humanité sauvage, dure, maisc’est de l’humanité. La solidarités’établit en même temps que lespetits trafics. Les rapports de forcesont fréquents, mais les filles s’or-ganisent pour vivre ensemble.

Innova. En quoi le système est-il plus rigoureux en France ? H. C. Ici, au nom de la sécurité,tous nos besoins essentiels sontniés. L’absence de contact avecl’extérieur, la lecture des lettres, lafouille à nu systématique… Lequotidien est inhumain. Après16 h 30, on ne sort plus de sa cel-lule. Ce qui est insupportable, c’estque la détention soit un tempsd’attente sans aucun sens. Il fautavoir la capacité de se construireun monde, de trouver une direc-tion sinon on devient fou. J’ai suivides études de psychologie par cor-respondance. J’ai préparé madéfense, écrit beaucoup de let-tres… Le contact avec les autres

est systématiquement banni etmême considéré comme un délit,sauf dans un espace très circons-crit [le parloir, NDLR]. AuMexique, il serait impensabled’isoler les personnes de leurs pro-ches. Dans la prison centrale, lorsdes visites, les familles peuventpasser une journée entière avec lesdétenues. Une fois par semaine,elles peuvent se retrouver pendantvingt-quatre heures dans des cellu-les aménagées à l’extérieur de laprison. La vie, tout simplement...

Innova. Vous avez repris votremétier de psychothérapeute àParis. Aujourd’hui, quels sont vosprojets ?H. C. Parallèlement à mon activité,je souhaite travailler avec des asso-ciations pour permettre aux déte-nus de mieux préparer leurdéfense. On ne se rend pas compteà quel point un procès est inégali-taire. Il faut que le détenu ait unespace pour raconter son histoireet réfléchir à son parcours.Construire un fil rouge, trouver lesmots pour parler de soi.

Propos recueillis par Léa Froment et Sarah Masson

“Au nom de la sécurité,nos besoins essentiels sont niés”

Hélène Castel, un an en prison au Mexique et en France

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“Bien que les conditions matériellessoient rudes, le système mexicainapparaît plus humain qu’en France”

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Derrière

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On ne voit d’abord que laprison, immense. En s’ap-prochant, un autre bâti-ment, un peu à l’écart, se

dessine. Flambant neuf. De hautsmurs, des barbelés qui en dépas-sent et des miradors aux quatrecoins de l’enceinte : rien ne le dis-tingue du centre pénitentiaire.Pourtant, ceux qui y sont enfer-més ne sont pas des prisonnierscomme les autres.

Ouvert le 12 janvier 2009, lecentre de rétention administrative

Dans les vingt-sixcentres de rétentionadministrative sontenfermés trente-cinq mille étrangersen situation irrégu-lière. Ils ne sont pasen prison, mais ça y ressemble drôle-ment. Reportage auCRA de Metz.Photos : Xavier Merckx

(CRA) de Metz fait partie desvingt-six qui existent en France. Al’intérieur, se trouvent des « étran-gers en situation irrégulière rete-nus en attente de leur éloignementdu territoire ». J’ai rendez-vousavec Isabelle Mire, de l’associationRESF 57, dont les militants ren-dent régulièrement visite aux per-sonnes retenues. Pour franchir lebarrage de l’accueil, il faut être enmesure de donner des noms pré-cis. Seules peuvent donc entrer lesfamilles et les associations. Les

visites se font au compte-gouttes.Je commence déjà à comprendrequ’il faut être patient pour péné-trer dans un centre de rétention.Tout ce que je vois pour le mo-ment, ce sont des murs. Commentest-ce derrière ?

Nous restons un bon quartd’heure avant de le savoir. J’échan-ge ma carte d’identité contre unbadge estampillé « visiteur », jevois enfin la grille s’entrebâillerdevant moi. Puis une porte. Ungendarme nous y attend. Il ne nous

La France des déboutés

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quittera plus d’une semelle. Je tentede briser la glace en demandantcombien de personnes se trouventactuellement dans le centre. Il nesemble pas bien au courant : « Unecinquantaine, je crois. » Les forcesde l’ordre ne parlent pas aux per-sonnes en rétention, si ce n’est parhaut-parleurs. Nous passons lecontrôle d’un détecteur de métaux.Rien ne doit entrer dans le centre.Encore vingt minutes à attendre.

Une table et des tabourets demétal bleu fixés au sol, des mursnus. Entourée de deux gendarmes,une petite femme enveloppée dansun grand manteau gris pénètredans la salle où nous nous sommesinstallées. Elle annonce la bonnenouvelle avec un sourire : elle doitêtre libérée dans quelques jours.Elle va pouvoir fêter ses 33 ans enfamille. Et puis, il n’y a plus que deshommes dans le centre, elle com-mence à se sentir seule. Originairede Macédoine, elle vit tout à faitlégalement en Belgique avec sonmari et leurs deux enfants. Pour-tant, elle a été arrêtée à la frontière.Pas de passeport, donc pas le droitde sortir de Belgique. Résultat : larétention.

L’ennui qui planeLe plus dur a été de se faire

arrêter devant ses enfants de 7 et8 ans. « Je suis une gentille per-sonne, je n’ai jamais fait de bêtises,vous comprenez ? » Alors, êtremenottée comme une délinquante,c’était incompréhensible. Elle parlede son quotidien dans le centre. Lanourriture n’est pas bonne, maiselle s’en satisfait. « Comme ça, je

mincis ! » plaisante-t-elle. Ses jour-nées sont remplies de bric et debroc. L’ennui qui plane, le distribu-teur de boissons situé dans le quar-tier des hommes, la télévision, lesfleurs de son mari pour la Journéede la femme, ses enfants qui pleu-rent à chaque visite, les magazinesqu’elle lit… Les vingt minutes dutemps de visite réglementaire déjàécoulées, la jeune femme nousembrasse. Dans deux jours, ellesera reconduite à la frontière, oùl’attend sa famille.

Mais pour le jeune homme de23 ans qui entre ensuite, l’avenir estplus sombre. Kurde de Turquie, ilest arrivé chez nous en 2002. Sa vieest en France désormais. Il va semarier à la fin du mois. Il espèreêtre libéré d’ici là. Prêt à tout, il aentamé une grève de la faim, suivipar quatre autres jeunes hommesdu centre de rétention. Cela faitmaintenant une semaine. « Les

gendarmes me disent de manger. Jeleur réponds que je ne veux pasmanger, je veux me marier. » Il a l’air fatigué,les joues creuses, mais le regarddéterminé. Le jeune Kurde est biendécidé à ne pas baisser les bras.Même s’il a l’impression d’être demoins en moins libre. « Avant,j’avais droit à cinq visites par jour.Maintenant, c’est deux, sans vraieraison », constate-t-il. Sa futurefemme et la sœur de celle-ci vien-nent chaque jour. Cette dernièreest déterminée à se battre : « Je n’ai

pas peur, je suis Française. Tout ceque je risque, moi, c’est la garde-à-vue. » Mais le dernier recoursqu’elle a déposé à la préfecturepour son futur beau-frère a étérejeté. Le jeune homme repart,encadré par les gendarmes, dans lapartie du centre invisible au public.Sur le chemin de la sortie, je l’entraperçois, derrière le grillagede la cour centrale. De loin, il nousfait un signe de la main.

Cécile Carton

Etre menottés comme des délinquants,c’est incompréhensible pour les retenus

L’exposition itinérante Cecin’est pas une prison, organi-sée depuis 2006 par le Comitéinter mouvements auprès desévacués (Cimade), présente,parmi d’autres, ces photos deXavier Merckx prises dans lescentres de Nice, de Toulouseet d’Hendaye.

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Ce sont des Français, commeles autres. Pourtant, audébut de l’année, il aurafallu cinq semaines de grè-

ves et l’assassinat du syndicalisteJacques Bino pour que l’Etat tenteenfin de contenir l’embrasementguadeloupéen. En aurait-il été demême si ces troubles avaient éclatéen Ile-de-France ?

Cette crise est celle d’un peupleà l’histoire complexe, douloureuse.Un peuple qui vit, au jour le jour,dans un climat social et profes-sionnel tendu, où aucune placen’est laissée au dialogue entrepatrons et salariés. Où une mino-rité, ceux qu’on appelle « békés »,descendants de colons blancs,contrôle la quasi-totalité de l’agro-alimentaire et des marchés com-merciaux. En ne respectant pas leslois sur la concurrence, leur mono-

Légitime révoltepole crée un clivage racial et exa-cerbe les tensions sociales.

Les Guadeloupéens réclamentrespect, dignité et égalité. Bien quesituée à plus de 7 000 kilomètres dela Métropole, leur île est un dépar-tement français et devrait êtreadministrée comme tel. C’est le casaussi des autres DOM. Les conflitsqui les ont traversés montrent quece n’est pas toujours le cas. Pour-tant, l’attachement de ces popula-tions à la France est certain et mêmehistorique. Dans une interview pourLibération, Michel Giraud expli-que : « Les peuples antillais sontarrivés à l’existence civique dans lecontexte de la Révolution française.La Révolution, c’est la coïncidenceentre la lutte contre l’esclavage et laDéclaration des droits de l’homme.Quand les troupes révolutionnairessont arrivées de France, les sol-dats et les esclaves insurgés sesaluaient d’un “Bonjour citoyen !”C’est pour cela que la Guadeloupeet la Martinique sont profondémentattachées à la France et à la Répu-blique. Le drame, c’est que la Répu-blique n’a pas tenu ses promesses. »Et c’est bien de ce drame dont les Métropolitains n’ont pasconscience. Jonas Cuénin

Le sociologue, chercheur au CNRS à Parisest membre du Centre de recherche surles pouvoirs locaux de la Caraïbe(CRPLC), implanté à la faculté de droit etd’économie de la Martinique.

Pourquoi la France a-t-elle délaissé lesdépartements d’outre-mer (DOM) ?

Au-delà du désintérêt, il y a eu une certaineforme de convergence entre les politiques del’Etat français et les stratégies de reconduction deleurs pouvoirs par les élites blanches créoles [lesbékés, NDLR]. Avec la départementalisation, l’ap-port massif d’aides publiques a permis à ce sys-tème d’alliance de fonctionner. Le problème estqu’il existe une profonde inégalité. D’un côté, il ya ceux qui sont dans les secteurs protégés et quibénéficient des avantages économiques. De l’au-tre, ceux qui en sont exclus et dont les conditionsde vie sont précaires. Cela explique pour beau-coup les événements qui viennent de se produire.

Comment les Antillais voient-ils leuravenir : rester français ou devenirindépendant ?

Question très compliquée. Les responsablesdu LKP ne cachent pas leurs revendicationsnationalistes et indépendantistes. Durant lesévénements, on pouvait les entendre crier : « LaGuadeloupe est à nous. » Mais la populationn’est pas favorable, pour l’instant, à l’idée d’uneindépendance nationale. Ne pas avoir detraditions antecoloniales auxquelles s’accrocheret à partir desquelles reconstruire une sociétéautonome rend la situation complexe. Conscientede sa propre identité, la population a, dans lemême temps, une volonté très déterminée degarder les bénéfices de la citoyenneté française.

Peut-on dire pour autant qu’ils sontconsidérés comme des sous-citoyens ?

Dans le vécu des gens, c’est très vrai. Le côtédé-sinvolte des politiques français est sûrement ladernière forme du mépris colonial. Il subsiste desratés dans l’assimilation politique qui font que,aux Antilles, tout ne se passe pas conformément àla loi commune républicaine. Et puis, il existe desdiscriminations importantes à l’embauche et unsentiment de dépossession des postes à responsa-bilité où on retrouve souvent des Métropolitains.

Propos recueillis par J. C.

3 questions àMichel Giraud

La crise qui a ébranlé laGuadeloupe a révélé le ma-laise de ses habitants. Atta-chés à la France, ceux-ci veu-lent être considérés commedes citoyens à part entière.

Dossier

Le mouvement de grèveguadeloupéen était menépar un collectif de syndicatset d’associations, le LKP.

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Nous ne sommes pas unegrosse machine dépen-dante d’un ministère. »Pourtant la directr ice

administrative, Valérie Schneider,reçoit chaque semaine des appelsde journalistes qui, pensants’adresser à un organisme gouver-nemental, réclament le service depresse. Mais non, l’Observatoiredes inégalités est une microstruc-ture indépendante, coincée dansun local de 20 mètres carrés prêtépar le Secours catholique d’Indre-et-Loire, à Tours.

Statistiques essentiellesLancé en octobre 2003, avec

seulement trois pages de donnéesstatistiques, le site inegalites.frprend son envol quelques moisplus tard, suite à un article duMonde. En 2005, grâce à un contratCap’Asso* avec la région Centre, unpremier salarié est embauché etl’administration se met en place.Depuis, l’Observatoire des inégali-tés a recruté deux autres employéset a été cité par Ouest-France,Marianne et la presse féminine.

A l’origine du projet, le journa-liste Louis Maurin et le philosophePatrick Savidan. Les deux hommeshabitent Tours et débattent régu-lièrement du problème des inéga-

lités sur les trottoirs du quartierVelpeau. La présence de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour del’élection présidentielle de 2002 estun électrochoc. « Ce jour-là, laFrance a découvert la vérité sur lasituation sociale, analyse LouisMaurin. Il existait un décalageentre la réalité et ce que montraientles médias, notamment à caused’un manque de données et dechiffres. » L’Institut national de lastatistique et des études économi-ques (Insee) est ici indirectementmis en cause : le journaliste a lesentiment que « l’Insee n’est pas àla hauteur, il y a une absence devolonté politique et une faible pro-ductivité. Que ce soient les politi-ques, les chercheurs ou les journa-listes, personne ne lui demande desstatistiques pourtant essentielles,comme celles sur les revenus ».Contacté, le service de presse del’Insee n’a, lui, « rien à dire surl’Observatoire des inégalités ».

L’internaute peut d’ail leursconfondre les deux sites s’il ne s’ar-rête qu’à la forme : design épuré,couleurs froides, tableaux et gra-phiques à profusion, même courbesymbolique dans le logo… LouisMaurin l’admet : « Nous jouons surcette ambiguïté, le choix du mot“observatoire” n’est pas anodin. »

Plutôt de gauche, les créateursd’inegalites.fr mettent en revanche

un point d’honneur à ne pas êtremilitants. Aujourd’hui, l’Observa-toire des inégalités est devenu unesource fiable et reconnue. « Nousavons réussi à faire progresser lesidées reçues sur les revenus. Il y adeux ans, Nicolas Sarkozy plaçaitla classe moyenne française à 5 000euros par mois. Dans son dernierdiscours, elle était descendue à1 500 euros », sourit Louis Maurin.

Avec trois mille visiteurs parjour, le site fonctionne bien. Maisle rédacteur en chef ne voit pasforcément plus grand : « L’Obser-vatoire se stabilise depuis quelquesmois. L’expansion n’est pas le plusimportant , nous recherchonsavant tout une autonomie budgé-

taire. » L’Observatoire des inégali-tés est financé à 70 % par lesrégions Centre et Ile-de-France, laFondation Abbé Pierre et les donsde particuliers. De l’argent obtenuavec beaucoup d’huile de coude. Etil en faudra davantage pour deve-nir autosuffisant, c’est-à-direencore un peu plus indépendant.

Julien Le Blévec et Nicolas Loisel

(*) Les contrats Cap’Asso soutiennent des projetsmis en place par des associations.

“Il existait un décalage entre la réalitéet ce que montraient les médias,à cause d’un manque de données”

Lancé en 2003 par le journaliste Louis Maurin,l’Observatoire des inégalités a réussi son pari : diffuséessur Internet des statistiques jamais publiées.

Petitobservatoire

devenu grand

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Six ans d’existence :deux salariés et demidont Louis Maurin etValérie Schneider.

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Success story

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Célébrités

38 Innova 2009

La classe politique vote people

Hier simples soutiens despartis politiques, les per-sonnalités qui font la unedes médias prennent au-

jourd’hui du galon. Au début dumois de mars, Gilbert Montagnéet David Douillet ont eu le privi-lège de faire leur entrée à l’UMP.Le premier, chanteur des annéesquatre-vingt qui a soutenu NicolasSarkozy pendant l’élection prési-dentielle de 2007, a été nommésecrétaire national au handicap. Lesecond a pris en charge le sport.

Les grands partis l ’ont biencompris : avoir une célébrité dansson équipe apporte une dose deglamour. Mais pour quel résultat ?« Cela se fait dans un souci d’ou-verture », répond Patrick Bloche,maire PS du XIe arrondissement de Paris et ancien directeur decampagne de Bertrand Delanoë.Emmanuel Rivière, directeur dudépartement stratégie et opinionchez TNS-Sofres, prolonge : « Lespeople sont une denrée recher-chée. Ils créent de la sympathie, ce

qui est compliqué pour les politi-ques . Cependant , l ’impact estassez relatif. Il y a surtout un effetsur les militants et les journalistes,plus que sur les électeurs. »

“Une alchimie compliquée”Lors des dernières municipales,

des candidatures de stars ont éclospartout en France. L’anciennespeakerine Denise Fabre a fait sonentrée à la mairie de Nice, au côtéde Christian Estrosi, et a obtenu lacharge de l’énigmatique Rayonne-ment de la ville. La réalisatriceYamina Benguigui a été choisie parBertrand Delanoë comme adjointeaux Droits de l’homme et à la Luttecontre les discriminations. Quantà Philippe Torreton, il est conseil-ler délégué à la Citoyenneté dans leIXe arrondissement. « C’est unealchimie compliquée, difficile àmettre en musique. Mais le procèsen décrédibilisation est injuste. Lespeople sont avant tout engagésdans une démarche citoyenne »,souligne Patrick Bloche.

Adelaïde Zulfikarpasic, direc-trice du département opinion ausein de l’institut de sondages LH2,n’est pas aussi catégorique : « Onpeut distinguer trois types d’enga-gement. Premièrement, les peoplequi n’ont aucun intérêt personnel àen retirer. Ils sont guidés par leurconviction et mettent leur noto-riété au service d’une cause. On aensuite les moins “bankable”, quiveulent revenir sur le devant de lascène et se servent de la politiquepour y arriver. Enfin, les sportifs,eux, sont à part. Leur carrièreétant très courte, ils ont plus ten-dance à se recycler, souvent au ser-vice de la jeunesse et des sports,leur domaine de compétences. »

Citoyenne d’abordFirmine Richard entre dans la

première catégorie. La comé-dienne guadeloupéenne, révéléepar le film Romuald et Juliette deColine Serreau, est membre duparti socialiste depuis 2005. Elue à Paris, dans le XIXe arrondisse-ment, elle est conseillère munici-pale chargée de la Culture et desRelations interculturelles. Quandelle entend parler de pipolisationde la fonction politique, elle sefâche : « Je ne comprends pasqu’on puisse dire que l’entrée desnon-politiques décrédibilise lafonction. C’est faire injure à l’intel-lect des gens. Je ne vois pas pour-quoi ce serait réservé à une cer-taine élite. On ne naît pas politi-que, on le devient. Avant d’êtrecomédienne, je suis citoyenne,électrice et donc éligible. »

Si aujourd’hui les people pren-nent de plus en plus de responsabi-lités, les portefeuilles majeurs leuréchappent encore.

Paulin Aubard et Paul Basse

Les partis n’hésitent plus à faire appel aux personnalitésau sein de leurs équipes. Phénomène nouveau : ils leurconfient des postes à responsabilités.

David Douillet, le plus people dessportifs, a été nommé secrétaire nationalde l’UMP aux Sports. « C’est le présidentSarkozy qui a pensé à moi. Celaprolonge ce que je faisais à lacommission des athlètes du Comiténational olympique », revendiquel’ancien chiraquien devenu sarko-compatible. Mais s’engager est risqué.D’une image estampillée Pièces jaunes,Douillet a perdu en consensualité.« Plus il s’est politisé, plus sa popularités’est effritée », explique Stéphane Rozèsde l’institut CSA.

Le nouveau nid de Douillet

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Ici, avec Rama Yade et Xavier Bertrand.

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Page 39: Innova n°16 : Citoyen mine de rien

2009 Innova 39

Agenda12 maiL’Europe vue de Turquie Et eux, qu’enpensent-ils ? L’Université du temps libre dupays de Rennes s’intéresse aux points de vueturcs sur l’Union européenne. Mardi 12 mai à 14 h 30. Espace Ouest-France,38, rue Pré-Botté, Rennes. 02 99 29 69 00.

16 maiL’engagement célébré Pour sa sixièmeédition, la Fête des solidarités célèbrel’engagement solidaire dans 40 villes de

France, dont LeMans et Orléans.Des manifestationssous l’égide del’ONU et del’Association de lafondation étudiantepour la ville (Afev).Renseignements :

www.fetedessolidarites.org.

16 maiNuit des Musées Une fois n’est pascoutume, l’Europe joue la carte de la culture,avec la cinquième Nuit des Musées. Le tempsd’un crépuscule, ils seront plus de 2 000 àouvrir leurs portes gratuitement. La plupartdes 1 100 établissements français partenairesveilleront jusqu’à minuit.Rens. : http://nuitdesmusees.culture.fr/.

16 mai et 20 juinCitoyen autour d’un café Débattre de la citoyenneté en terrasse ou au comptoir,c’est ce que propose l’association La Nouvelle Arcadie, déjà présente dans neuf villes de France. Prochain rendez-vous à Bourges : samedi 16 mai et samedi 20 juin à 15 heures.Café-théâtre de la maison de la culture. Contact. www.cafes-citoyens.fr/arcadies.

26 au 28 juinOnze ans que le festival Solidays mobilisecontre le sida.Pour 2009, cettegrand-messe de lasolidarité réunitdes artistesprestigieux commeEmir Kusturica &The No Smoking Orchestra, Suprême NTM,Groundation, Bénabar ou Keziah Jones.Du vendredi 26 au dimanche 28 juin.Hippodrome de Longchamp, Paris. Pass 3 jours : 35 €, pass 2 jours : 40 €,pass jour : 30 €. http://www.solidays.org/ .

Comment saisirla cour européennedes Droits de l’hommePourquoi ? Vous êtes victime d’uneviolation de droit (tel qu’énoncé dansla Convention européenne des droitsde l’homme) par un Etat signataire etvous avez épuisé tous les recoursdevant les tribunaux internes. Il vousreste cette instance supranationale, sivous êtes citoyens d’un Etat signatairede la Convention.Comment ? Vous devez adresser unelettre à la Cour européenne. Vousrecevrez ensuite un formulaire derequête à remplir et à renvoyer. Sivotre demande est jugée recevable etque la cour se prononce en votrefaveur, vous pouvez recevoir desdommages et intérêts et l’Etat estcondamné, une pression politique etdiplomatique de taille.Où : Monsieur le Greffier de la Coureuropéenne des droits de l’homme,Conseil de l’Europe, F67075Strasbourg Cedex.

Un coup de main pour montervotre projet en Europe L’association Civisme et démocratie est là

pour vous accompagner : conseils pratiques,

contacts, recherche de subventions… Son

objectif : faire émerger une citoyenneté euro-

péenne à travers l’échange. C’est ainsi

qu’elle propose ses services dans le cadre du

Point national d’information sur le pro-

gramme « l’Europe pour les citoyens » de la

Commission européenne.

Contact. Mme Alina Chisliac, 01 43 14 39 40

ou http://www.cidem.org/.

Les inégalités sous les yeux des jeunes lecteursEt si la population mondiale tenait dans un

village ? C’est la projection de David Smith dans

l’album Le monde est un village. L’auteur réduit les

6 milliards d’êtres humains à une communauté de

100 habitants, tout en respectant les proportions.

Ainsi, 61 d’entre eux sont asiatiques, 60 souffrent

de la faim et 32 respirent un air pollué. Un livre

jeunesse richement illustré pour sensibiliser les

enfants aux inégalités démographiques.

Le monde est un village, David Smith, éditions

Circonflexe, 2002. A partir de 7 ans. 13,50 €.

Tout lemonde veut gouverner,personne ne

veut être citoyen. Où estdonc la cité ? SAINT-JUST

A lire :• Elections municipales et citoyenneté européenne,Christophe Geslot, L’Harmattan,2003.• La Citoyenneté européenne,Catherine Wihtol de Wenden,Presses de Sciences-Po, 1997.• L'Europe sociale,Brigitte Favarel-Dapas et Odile

Quintin, La documentationFrançaise, 2007.

• Nous, citoyens d’Europe ?Les frontières, l’Etat, le peuple, Etienne Balibar,La Découverte, 2001.• La Vie démocratique de l’Union européenne, sous la direction de Céline Belot etBruno Cautres, La Documentationfrançaise, 2006.

…l’Europe (pages 6 à 10)POUR ALLER PLUS

LOIN SUR…

Le 4 novembre 2008, deux astronautes ont participé à l’élection

présidentielle américaine depuis la Station spatiale internationale (ISS),

à 354 kilomètres d’altitude. Jusqu’à présent, six spationautes ont accompli leur devoir

de citoyen sans avoir les pieds sur terre. Le premier, David Wolf, a voté alors qu'il était à bord de Mir.

Pratique

LE SAVIEZ-VOUS

Urne enorbite

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Page 40: Innova n°16 : Citoyen mine de rien

Comment saisirle médiateur françaisPourquoi ? Vous avez tenté, en vain,de régler un litige avec un service del'administration : pratique inéquitable,refus d’information, lenteur excessive…Le médiateur de la République peutvous aider. Autorité indépendante, il nereçoit d’ordre ni du gouvernement ni del’administration. Comment ? Tous les particuliers, sanscritère de nationalité, peuvent lesolliciter. Mais sa saisine n’est pasdirecte. Il faut transmettre son dossier àun député, à un sénateur, ou serapprocher d’un de ses délégués (danstous les départements). Où : Le médiateur de la République : 7,rue Saint-Florentin, 75008 Paris. Tél. 0155 35 24 24 ; www.mediateur-republique.fr

Chien créolePendant cinq semaines,

Frédéric Gircour a suivi, de

l’intérieur, la crise sociale en Guadeloupe. Au menu de son

blog, version journalisme-citoyen, des témoignages, des

récits et des interviews de leaders du mouvement.

http://chien-creole.blogspot.com/.

Cafebabel,magazineeuropéen

« Citoyens, prenez la parole ! » lance le

magazine Cafebabel à l’occasion des

élections européennes de juin. Le web-

zine invite la société civile européenne à

débattre en ligne. Les citoyens se retrou-

vent dans ce café virtuel en six langues

pour interpeller les candidats, commen-

ter les blogs des leaders d’opinion et des

militants politiques, etc. Ils peuvent éga-

lement lire des dossiers sur les enjeux

des élections ou suivre l’actualité de la

campagne électorale.

http://www.eudebate2009.eu/fre/elec-

tions-europeennes-2009.html.

Le Sanitas sur le WebA l’occasion des 50 ans du Sanitas, douze

étudiants en journalisme de l’IUT de Tours

ont consacré à ce quartier tourangeau un

site internet et un blog. Société, sport, his-

toire, monde associatif, école, religion, vie

quotidienne, panorama d’une cité populaire,

située au cœur de la ville. Retrouvez tous les

articles, les vidéos et les reportages photos

sur http://journalisme.univ-tours.fr/innova.

En Belgique, une convocation portant la mention

« le vote est obligatoire » est envoyée quinze jours

avant le scrutin. Sans excuse valable, l’électeur qui ne

se sera pas déplacé encourt une amende de 25 à 30

euros. Et jusqu’à 125 euros en cas de récidive. Résultat : le taux de

participation atteint en moyenne 90 %. En pratique, les abstentionnistes sont

rarement sanctionnés. L’obligation serait donc plus morale que légale. …le Monde (p. 11 à 15)

• Une république en exil,

un documentaire de Djemaï Cheikh,

Générique Productions, 2008.

• « Forum social mondial 2009.

Qui doit gouverner la planète ? »

Développement

magazine, CCFD, n° 238,

mars 2009.

• Géopolitique du

peuple kurde, Philippe

Boulanger, Ellipses, 2006.

POUR ALLER

PLUS LOIN

SUR…

Je ne suis ni athénien ni grec,mais un citoyen du monde. SOCRATE

LE SAVIEZ-VOUS

Le vote oul’amende

…les Antilles (p. 36)

• L’Ecole aux antilles, Michel

Giraud, Karthala.

• Eloge de la créolité, Jean

Bernabé, Patrick Chamoiseau et

Raphaël Confiant. Gallimard.

• Société post-esclavagiste et

management endogène, le

cas de la Guadeloupe, Patricia

Broffan-Trobo. L’Harmattan.

RETROUVEZ L’ACTUALITÉ LOCALE ET DES DOSSIERS THÉMATIQUES SUR LESBLOGS DES ÉTUDIANTS EN JOURNALISME DE L’IUT DE TOURS

Pour suivre en direct le travaildes rédacteurs d’Innova,rendez-vous sur le blog desétudiants en année spéciale dejournalisme(http://journalisme.univ-tours.fr/blog) et sur celui desétudiants en licence presseécrite (http://journalisme.univ-tours.fr/innova). De nombreuxarticles vous y attendent.

http://journalisme.univ-tours.fr/innovahttp://journalisme.univ-tours.fr/blog

Pratique

DR

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Page 41: Innova n°16 : Citoyen mine de rien

Comment saisirle médiateur européenPourquoi ? Vous avez un litige avecune institution européenne. Vouspouvez vous faire entendre si vousêtes citoyens de l’UE ou résidant d’unEtat membre.Comment ? Adresser une récla-mation détaillée au médiateur paremail, courrier ou fax. Vous accédezensuite, sur le site internet, à un guideet à un formulaire de plainte. Où : Médiateur européen, 1, av duPrésident-Robert-Schuman, 67001Strasbourg. Tél. 03 88 17 23 13.http://www.ombudsman.europa.eu. L’enfermement des sans-papiers,

une exposition photo à diffuserEn 1984, pour la première fois, une association, la

Cimade, a reçu l’autorisation d’immortaliser le

quotidien des centres de rétention français. Cette

expérience unique s’est concrétisée, en 2006, par

une exposition photographique intitulée : Ceci

n’est pas une prison – L’enfermement des immi-

grés sans-papiers. Cette exposition est disponible

pour ceux (associations, collectivités locales, insti-

tutions, particuliers…) qui le désirent.

Contact. Cimade, 64, rue Clisson, 75013 Paris.

01 44 18 60 50 ou [email protected]

Dessine-moi une circonscription

Une fois de plus,

le redécoupage

électoral déchaîne

les passions poli-

tiques en France.

Mais l'Hexagone

n'est pas le seul pays concerné. Aux

Etats-Unis, le débat fait rage… sur

Internet. Pour sensibiliser les électeurs

à l'importance de la carte électorale,

des citoyens ont inventé un jeu très

amusant. The Redistricting Game per-

met de créer des circonscriptions de

façon équitable ou de manière à favori-

ser son parti. La carte qui s'affiche

révèle immanquablement des frontiè-

res complètement tordues.

http://www.redistrictinggame.org/.

POUR ALLER

PLUS LOIN

SUR…

…le Sanitas (p. 16)

• Le Sanitas, histoire d’un

quartier de Tours, Rolande

Collas, Lorisse, 2004.

• La Force des quartiers, Michel

Kokoreff, Payot, 2003.

…Histoire (page 20)

• Initiation à la citoyenneté, de

l’Antiquité à nos jours, Sophie

Asquenoph, Ellipses, 2000.

• Libertés publiques et Droits

de l’homme, Gilles Lebreton.

Dalloz-Sirey, 2008.

• Nous les maîtres d'école,

autobiographies d’instituteurs de la

Belle Epoque, présentées par

Jacques Ozouf. Folio Histoire,

Gallimard, 1993.

…les naturalisés (p. 21)• Gens d'ici venus d'ailleurs,Gérard Noiriel, Ed. du Chêne, 2004.L'immigration en France, de 1900 à nos jours. 300 photos noir et blanc• La France et ses étrangers,l’aventure d’une politique del’immigration de 1938 à nosjours, Patrick Weil, Gallimard, 2005.• Dernière solution : fuir ! Etreréfugié politique aujourd’hui,Marilu Zamora, Syros, 2006.

…les prisons (p. 30)• Dedans Dehors, revuebimestrielle de l’Observatoireinternational des prisons.• Le Troisième Œil dehors,paroles et créations de déte-nues, L’Œil Electrique, 2004.• 10 ans de photographies enprisons, Klavdij Sluban, entretiens.Avec un DVD, L’Œil électrique, 2005.ET AUSSI

http://prison.eu.org L’associationBan Public œuvre pour lacommunication sur les prisons etl’incarcération en Europe.http://laurent-jacqua.blogs.nouvelobs.comLaurent Jacqua écrit depuis sacellule de la centrale de Poissy.http://lejournalenvolee.free.frL’Envolée, un biannuel qui recueilledes témoignages de détenus etinforme sur l’actualité des prisons.

Pionnière du vote par Internet dès 2005, l’Estonie a

choisi d’aller encore plus loin : en 2011, ses ressor-

tissants pourront voter via leur téléphone mobile.

E-stonie, un surnom bien porté pour l’un des pays les

plus avancés dans l’utilisation au quotidien des nouvelles technologies. Les

Estoniens suivront-ils ? Seuls 3,1 % des électeurs avaient opté pour le vote

électronique lors des élections législatives de 2007.

La carte d’identité de citoyen du monde, valable à vie, coûte

15 euros. L’association éponyme, fondée en 1949, la délivre en

différentes langues et, bien sûr, en esperanto, la langue universelle.

Onze élections transnationales ont déjà élu les 45 délégués du

Congrès des peuples, l’instance représentative des citoyens du monde. Il y aurait

actuellement 100 000 électeurs repartis sur 142 pays. http://www.recim.org.

LE SAVIEZ-VOUS

Etre électeur en E-stonie

LE SAVIEZ-VOUS

pour 15 €, t’asle monde

Qu'est-ce qu'uncitoyen qui doit fairela preuve, à chaque

instant, de sacitoyenneté ? P. BOURDIEU

Pratique

2009 Innova 41

PAGES

REALISEES

PAR

L’ENSEMBLE

DE LA

REDACTION

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Billet

42 Innova 2009

Cap ou pas cap ?essayant d’attraper, en vain, lestisanes verveine tout en haut durayon petit déjeuner. Être membred’une association, faire des dons auTéléthon, au Sidaction, acheter leCD des Enfoirés, donner des coursen prison. Intervenir si vous êtestémoin d’une agression. Aller fairela guerre en cas d’attaque militaire.Dénoncer son voisin. Faire unmassage cardiaque à une personneinconnue, au risque de lui casserune côte. Lui faire du bouche-à-bouche, même si vous trouvez çagênant. Sauter par-dessus la ram-barde du pont, pour aller secourircelui qui se noie dans les remousde la Loire.

Alors, cap ou pas cap ?De créer votre parti politique.

D’aller manifester alors que vousêtes agoraphobe. D’aller vous ins-crire sur les listes électorales. Dedonner de votre temps. Ou devotre argent, même si vous en avezpeu, à ceux qui n’en ont pas. Defaire grève pendant une semaine,même si vous avez déjà du mal àboucler les fins de mois. D’avoircinq poubelles différentes dansvotre cuisine de 5 mètres carréspour mieux trier vos déchets etainsi préserver l’environnement.De faire des enfants.

Alors, cap ou pas cap ?De donner votre sang tous les

cinquante-six jours, selon l’inter-valle réglementaire. De donnervotre sang, même si ça vous effraieet que votre tête va tourner. D’être

donneur de moelle osseuse, mêmesi tout le monde vous a dit quec’est douloureux. D’apprendre lesgestes qui sauvent, sans qu’onl’exige de vous. D’utiliser Googledark, sans savoir si c’est vraimentécologique. D’être donneur d’orga-nes. De laisser passer l’homme aupull bleu, juste derrière vous, à lacaisse. Il n’a dans ses bras qu’untube de dentifrice, alors que vouspoussez votre chariot familiald’une valeur de 200 euros. Et sivous étiez un pigeon, ramasseriez-vous vos fientes tombées en bas dufil électrique, duquel vous obser-vez le monde ?

Mais que faut-il faire, au juste,pour correspondre à l’idéal de lajolie demoiselle ? Et qui est-elle,dans le fond ? Qu’y a-t-il dedans ?Et juste avant ? Juste après ? Elle abeau nous séduire, on ne sait pasvraiment ce qu’elle attend. Lac itoyenneté , el le a beaucoupd’amants, mais peu lui sont fidèles.Alors allez-y, essayez-vous ouretournez-y. Vous pouvez l’em-brasser. Ce geste ne vous engage àrien. Aucune alliance. Elle n’est pasjalouse. Vous pouvez aller et venir,l’abandonner. Mais méfiez-vous,elle est un peu rebelle. Laissez-lavivre, ça lui va bien. Mais ne laquittez pas des yeux, elle estencore jeune. Mathilde Macé,

avec les suggestions de Timothée Blit,Julien Desfrene, Margaux Girard,

Romain Lecompte et Céline Mounié

ILLUSTRATIONS CÉCILE CARTON ET MARION DESLANDES

Au début, on se dit : « Maisqu’est-ce qu’elle a, elle, àm’observer comme ça ?Mais qu ’est-ce qu’el le

veut ? Et où va-t-elle ? » Et puisfinalement, on se rend comptequ’on ne le sait jamais vraiment. Ilfaut dire qu’elle est mystérieuse etplutôt difficile à cerner, Made-moiselle la Citoyenneté. Elle a ladémarche majestueuse, la demoi-selle. Elle se prend souvent pourun modèle. Plutôt frimeuse, enplus. Mais c’est vrai, et qui peuts’en cacher, on lui trouve un côtéséduisant.

Quand on la regarde dans lesyeux, on ne sait plus trop où semettre. Elle a ce regard dévasta-teur qui vous fait vous sentirconfus. Cette propension touteparticulière à vous embrouiller lecerveau. Vous ne savez plus tropoù donner de la tête ni ce que vousdevez faire ou ne pas faire.

Aller voter ? Ou peut-être aidercette mamie rabougrie, près devous, qui s’accroche à son cabas,

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IL Y A TANT DE CHOSES À FAIRE AVEC UN PEU DE FIL BLEU.

Nos vies évoluent, le bus aussi.

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