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TOURS MAGAZINE ANNEE SPECIALE ET LICENCE EN JOURNALISME - IUT DE TOURS HORS SéRIE SéSAME - MAI 2013 - N°19 - 2 EUROS ISSN 0291-4506 LES CAISSES SONT VIDES MAIS INVESTIR S’AVèRE PAYANT POUR LE PRIVé COMME LE PUBLIC /p.21 DOSSIER DENIERS DE CULTURE QUAND L’ARTISTIQUE ENVAHIT LA VILLE POUR L’AMéNAGER /p.12 LA RUE à PIED D’œUVRES TOURS LES NOUVELLES TECHNOLOGIES MODIFIENT NOS HABITUDES /p.08 L’ART à L’èRE NUMéRIQUE HIGH TECH UNE PAGE SE TOURNE CULTURE

Innova n°20 : Culture, une page se tourne

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Innova n° 20 : Culture, une page se tourne. Magazine des étudiants en Année spéciale de l'Ecole publique de journalisme de Tours

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TOURS

MAGAZINE ANNEE SPECIALE ET LICENCE EN JOURNALISME - IUT DE TOURSHors série sésame - mai 2013 - n°19 - 2 euros

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LeS caISSeS SoNt vIdeS MaIS INveStIr S’avère payaNt pour Le prIvé coMMe Le pubLIc /p.21

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Une page se toUrne

Culture

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TOUR

S édito une politique

cultu… quoi?Elle est entrée, enthousiaste, dans la

classe : « Le thème du magazine cette année sera “qu’est-ce qu’une politique culturelle ?” » Elle a bien vu qu’on était médusé. On a bien vu qu’elle avait vu.

On a fait comme si. Deux semaines après, c’était pire : « Après les vacances, vous venez avec vos idées de sujets. Il y en aura trop. On choisira. » Le pire, c’est

qu’elle y croyait. Nous, le soir, au bistrot, on se demandait : « C’est quoi une poli-

tique culturelle ? » On s’interrogeait : « Qu’est-ce que la politique a à voir avec

la culture ? » Et, surtout, on râlait : « La politique, c’est chiant. » (Enfin, tous sauf un.) Franchement, ça faisait pas rêver. Et puis, les idées sont venues. Et il y en a eu

trop. Je suis rentrée chez moi, dans le Nord de la France et j’ai compris le lien

entre politique et culture. « Au nord, c’était les corons », chantait Pierre Bache-

let. Et, comment dire… Même si la chan-son était émouvante au stade Bollaert,

nous, les gens du Nord, on avait toujours l’impression que quelque chose clochait.

Maintenant, oui, c’est sûr : au Nord, c’était les corons. Il a suffit de l’arrivée d’un grand musée pour que le bassin

minier, sans tourner la page des mines, arrive à en écrire une nouvelle. Une page de peintures, de sculptures et surtout de

fierté retrouvée. Moi aussi, ça m’a rendue fière. Ce Louvre-Lens, c’est devenu une

obsession. J’ai proposé le sujet. On n’en voulait pas. J’ai appris qu’un article ça se

défendait. Mes Lensois, ils ont fini sur trois pages. Et ils le méritent. Parce que trop longtemps oubliés au fond de leur coron, ils sont l’illustration même d’une

politique culturelle qui fonctionne. L’équipe de rédaction

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sommaireInnova - mai 2013 - n° 20 - Culture, une page se tourne

p. 4 paROleS d’excepTiOnS Neuf habitués des scènes, des planches et des toiles livrent leur point de vue sur l’excep-tion culturelle française.

p. 8 aRT nUméRiqUeMusées, abbayes, livres font face aux nouvelles techno-logies et doivent s’adapter à de nouveaux supports.

p. 12 aU nORd, le mUSéeÀ Lens, l’arrivée du Louvre fait réagir les riverains. Ils en parlent avec fierté et émotion.

p. 15 pRinTempS deS feSTivalSL’industrie du disque est en difficulté depuis l’arrivée du MP3. Les concerts, eux, font salle comble. Le Printemps de Bourges ne fait pas exception.

p. 17 pORTfOliOAu cœur des quartiers de Tours, ce sont les habitants qui font vivre la culture.

p. 28 hiSTOiReComment François 1er et son protégé Léonard De Vinci ont jeté les bases du financement public de la culture en France.

p. 29 aRT eT URbaniSmeParce que l’art ne sert pas qu’à décorer, des collectifs l’utili-sent pour aménager la ville.

p. 33 la baTaille deS cinéSL’arrivée d’un troisième cinéma à Tours sème la zizanie entre les deux premiers protago-nistes et la mairie. p. 34 vUeS SUR l’inTeRmiTTenceAlors qu’on veut encore révi-ser le système d’indemnisation des intermittents, retour sur quelques idées reçues.

p. 36 TeSTé SUR ROUeSQuand on est handicapé, accéder à la culture n’est pas toujours facile. Visite en fauteuil roulant.

p. 37 pRaTiqUeLa culture, c’est bien d’en parler mais c’est mieux de la vivre.

p. 39 billeT à 1 %Parce que le ministère de la Défense est d’accord pour le 1 % artistique mais pas partout.

très chère culture,Les temps sont durs, les caisses sont vides et tu deviens difficile à financer. L’état se désengage. Mais, immortelle, tu n’es pas vouée à disparaître. Tu restes une valeur sûre et beaucoup croient en toi. Les mécènes font briller leur blason en redorant tes toiles. Les collectivités développent des parte-

nariats avec des entreprises privées et s’endettent sur des dizaines d’an-nées pour ta prospé-rité. Des communes regagnent en vitalité en organisant des événements en ton honneur. Bien à toi.

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12INNOVA Tours n° 20 Hors série Sésame, mai 2013, Année spéciale de journalisme, école publique de journalisme de Tours/IUT, 29, rue du Pont-volant, 37002 Tours Cedex, Tél. 02 47 36 75 63 ISSN n° 0291-4506Directrice de la publication : Claudine Ducol. Rédactrice en chef : émilie Salvaing. Coordination : Laure Colmant, Frédéric Pla. Rédaction : Coralie Bau-mard, Raphaëlle Besançon, Léa Bouquerot, Laura Buratti, Marion De Azevedo, Léa Drouelle, Camille Drouet, Stéphanie Freire, Apolline Henry, Auriana Langlois, Apolline Laurent, Marie-Anne Le Berre, Thibault Le Berre, Julien Leloup, Benjamin Lucas, Philippe Ridou, Vincent Touveneau, Marine Valès. Iconographie : Julien Leloup. Photo-couverture : David Darrault. Publicité : Marie-Anne Le Berre. Imprimeur : Alinea 36, Châteauroux. Remerciements : Leonardo Antoniadis, Nicolas Bonnel, Pierre Bourru Jr, Jean-Pierre Dalbéra, Gwendal Le Ménahèze, Pierre-Emmanuel Malissin, Cécile Perigaud, Pierre Rouanet, Frédéric Valdes, théâtre de l’Archipel, château d’Amboise.

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uand on vient à la Comédie-Française, ce n’est pas pour y passer un an mais un bout de vie. J’y suis arrivée en tant que comédienne en 1985. J’ai posé

mes valises et j’ai ressenti une immense fierté de faire partie d’une institution avec une telle histoire.Je me suis toujours sentie soutenue par l’état. Je le bénis de m’avoir permis de développer mon talent. Même quand c’est un don, il a besoin d’être travaillé et étoffé. J’ai étudié dans deux écoles subventionnées avant d’intégrer la Comédie- Française. C’est évidemment une chance d’être aidée mais aussi une grande responsabilité. La Comédie-Française m’a apporté un mode de fonctionnement idéal : le luxe de pouvoir développer mon art et d’être disponible pour ma passion. Il est important que l’état se dote

d’écoles de théâtre. Même si, vu le peu de débouchés dans cette profes-sion, il y en a peut-être déjà trop.Quand je suis devenue directrice en 2006, les choses ont changé. Loin de la liberté de ma vie de comédienne, j’ai compris que, pour faire fonction-ner une troupe, chacun devait garder sa liberté de création. Être ensemble mais rester soi-même.Nous sommes le théâtre le plus subventionné de France avec 25  millions d’euros par an. Cela représente les deux tiers de nos reve-nus annuels. La baisse du budget culturel au niveau national a un impact énorme sur nous. En trois ans, nous avons déjà perdu 1  million d’euros. Mais ce n’est pas dans mon caractère de me plaindre. Je refuse de faire moins de représen-tations, de réduire la part de création – la moitié des pièces d’une saison est

originale –, de baisser la qualité de nos spectacles sous prétexte que notre budget est gravement dégradé. Paradoxalement, plus on joue, moins on coûte cher, c’est une économie sur la longueur. Certes, notre subvention peut paraître énorme mais c’est un gage de qualité. Nous assurons 850  représentations par an, quoi qu’il arrive. Si une comé-dienne appelle à 17 heures pour me dire qu’elle est malade, je dois trouver une remplaçante avant 20 h 30. C’est l’effectif de la troupe qui me permet de le faire. La Comédie-Française est l’une des rares à pouvoir monter des pièces à grosse distribution, comme celles de Shakespeare.J’espère que l’exception culturelle française a un avenir. Notre culture est une vraie force dans le monde. Et ça, malheureusement, les politiques ne le mesurent pas assez. » J. l.

« Je me suis sentie aidée par l’état »

Muriel Mayette, administratrice générale de la Comédie- Française.

chanteur, comédien, cinéaste, sculpteur, humoriste de talent, ils nous parlent de la culture, de ses enjeux, de son avenir, de l’excep-tion française…

des paroles et des arts

Dossier réalisé par Julien leloup, avec laura Buratti, Marion De azeveDo, caMille Drouet, BenJaMin lucas et philippe riDou.

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Ientretiens

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« On  dit  sOuvent : “La culture, ça nous coûte cher, c’est la danseuse de la République.” Mais c’est aussi un levier économique puissant. Ce milieu emploie autant, voire plus, de gens que le secteur auto-mobile. Et les 90  mil-lions de touristes qui visitent la France chaque année ne viennent pas pour voir la manière dont on résout nos problèmes ban-caires mais pour découvrir notre

culture. Au théâtre du Rond-Point, nous sommes subventionnés par

l’état et par la ville. Cela représente 36 % de notre budget. Face à la baisse du financement de la culture, nous devons être solidaires, contribuer à l’effort national pour participer à la réduction du budget de l’état. Au départ, j’avais une petite compa-gnie. Le peu de subventions que je recevais ne couvrait en rien la production de mes pièces. On ne peut pas être totalement porté par le ministère de la Culture, il vaut mieux se relever les manches. » J. l.

Daniel Buren, peintre et sculpteur français.

« une invention française à exporter »« J’ai  surtOut  travaillé à l’étranger donc l’exception culturelle française ne m’a jamais aidé (ses colonnes, commandées en 1985 par le ministère de la Culture, ont coûté 1  million d’euros à l’état, NDLR). Cette excep-tion est une invention française qui date de la Révolution. Elle progresse en permanence mais il faudrait pou-voir l’exporter. À l’étranger, cette notion est complètement inconnue même si elle peut soutenir une créa-tion vivante dans l’Hexagone. Et s’opposer aux pays anglo-saxons pour défendre le droit moral des artistes. Je ne donne pas cher de son avenir si la notion de droit moral des artistes succombe sous les coups des défenseurs d’un libéralisme généralisé et sauvage. » B. l.

« on ne peut pas être totalement porté par le ministère de la culture »

« l’exceptiOn culturelle a été instau-rée par Malraux dans les années soixante et confirmée par Jack Lang dans les années quatre-vingt. Deux moments phares pour la culture fran-

çaise. Cette exception avait pour but de sauver le cinéma de l’arrivée de la télévision. Actuellement, notre système est très critiqué dans le monde. J’ai eu des discussions houleuses avec des Polonais par exemple, que je croyais ralliés à notre cause. J’entends souvent : “ Vous êtes des han-dicapés, vous les Français, parce que c’est l’état qui vous paye et en plus pour fabriquer

de mauvais films. “ Face à ce genre de propos, j’ai souvent défendu le cinéma français. Pourtant, je ne me sens pas particulièrement aidé par

l’état. Sur les onze films que j’ai réali-sés, je n’ai obtenu qu’une seule fois l’avance sur recette (dispositif du Centre national du cinéma et de l’image animée ou CNC, NDLR). Aujourd’hui, l’exception culturelle est de plus en plus attaquée. J’ai tendance à être pessimiste quant à son avenir. Mais je n’arrive pas à envisager qu’on la lâche. Pour moi, c’est un héritage de Beaumarchais (fondateur de la première Société des droits d’auteurs, NDLR), de l’esprit des Lumières, de la Révolution française. Si on perd l’exception culturelle, on perd l’idée des Lumières. Et je ne peux pas l’imaginer. » J. l.

« difficile de faire comprendre l’exception française à l’étranger »

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Jean-Michel Ribes, dramaturge, metteur en scène, réalisateur et scénariste.

Cédric Klapisch, réalisateur de la trilogie L’Auberge espagnole, Les Poupées russes et Le Casse-tête chinois.

Ientretiens

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« J’ai tOuJOurs été autOnOme et auto-didacte. Les salles qui m’accueillaient avec mon groupe touchaient peut-être des subventions, mais je n’en ai jamais vu la couleur. Je sais qu’il existe

des salles de répétition subvention-nées par la ville de Tours. Mais personnellement je ne les ai jamais trouvées. À Paris, il y en a très peu. Elles sont tellement demandées qu’il

faut être pistonné pour obtenir un créneau. Alors on a commencé par répéter dans une cave avec des ins-truments empruntés à des copains. Ensuite, on a fait des premières par-ties. Une maison de disques nous a repérés et nous a fait signer. J’ai eu la chance de percer assez vite. Mais je crois que même si ça avait été plus long, je ne serais pas allé à la pêche aux subventions. Quand tu es musi-cien, franchement, monter un dos-sier, c’est pas trop ton délire.La lourdeur administrative rebute la plupart des groupes que je connais. Les aides ne sont pas adaptées à la réalité du monde de la musique. Il faudrait, à mon avis, créer un système de bourses pour les groupes qui veu-lent se lancer et qui ont un projet sérieux. Même si certains, comme moi, ont la chance de ne pas en avoir eu besoin. » l. B.

Ben l’Oncle Soul, de son vrai nom Benjamin Duterde, est un chanteur français d’origine tourangelle.

« Quand tu es  musicien, monter 

un dossier,  c’est pas trop  

ton délire »

« certains artistes trop gourmands grèvent le budget des mairies »« en  France, il y a tout un circuit culturel qui permet aux artistes de se produire dans des salles. Il y a un tissu incroyable d’équipements, de 300 à 1000  places, gérés par les mairies, parfois dans de toutes petites villes. Les artistes connus font venir du monde et rapportent de l’argent. Ils permettent aux mairies d’équilibrer leur budget culturel, elles peuvent ensuite programmer des artistes moins connus.Un one man show ne coûte pas cher, comparé à un spectacle de théâtre

ou de danse qui mobilise une ving-taine de personnes. Pourtant, il y en a qui demandent un cachet exagéré, qui peut mener les petites salles à la faillite. C’est scandaleux. Mais des mairies sont prêtes à payer très cher pour se faire mousser en invitant des artistes populaires, quitte à perdre de l’argent. Il y a des producteurs qui, pour financer leur déficit parisien, font tour-ner leur spectacle en pro-vince. Ce n’est pas une bonne habitude. » p. r.

« le  régime  des  intermittents est un système unique au monde. C’est une décision politique de dire que les profes-

sionnels du spectacle, sous certaines conditions, doivent percevoir une allocation. Cela permet de sortir de la précarité que l’on subissait il y a quelques années. Si je travaillais en Angleterre, il faudrait que je joue tous les soirs et que je passe le cha-peau. Je suis content d’être en France.Ce régime spécifique est remis en cause et ça me semble préoccupant. Il faut rappeler que le spectacle vivant génère des revenus, les intermittents

créent de la richesse. Quand il y a eu la grève au festival d’Avignon en 2003, les hôteliers et les restaurateurs ont perdu de l’argent.De toute façon, avec ou sans régime spécifique, je me serais lancé dans la musique. Même si c’est un métier de galère. Il faut le vouloir. C’est dur d’être intermittent et dur de le rester.Peut-être faudrait-il abaisser le pla-fond d’indemnités des intermittents et faire entrer dans le métier des gens qui le méritent. Car on peut s’enor-gueillir d’avoir une scène française, innovante, dynamique et qui défend notre langue. » M. D. a.

« dur d’être intermittent et dur de le rester »Ch

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Anne Roumanoff, humoriste préférée des Français en 2010.

Olivier Volovitch, fon-dateur avec son frère Frédéric du groupe Volo.

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« nOus  ne  vivOns  pas  des  ventes d’albums, concrètement. Le déclin de l’industrie du disque n’a donc pas changé grand-chose pour nous. Chaque CD vendu nous rapporte 50  centimes. Il faut ensuite diviser cette somme entre les sept membres du groupe. Même en sortant un nou-vel album chaque année et en écou-lant 150 000 exemplaires par an, nous serions à peine au Smic. Ceux qui arrivent à vivre de la vente des disques constituent un noyau très restreint. Comme la majorité des artistes, nous gagnons notre vie grâce au spectacle vivant. Ce n’est pas en défendant le disque qu’on défend la création, mais c’est en défendant la création qu’on défendra le disque. Hadopi était une escroquerie. Ce n’est pas la peine de culpabiliser le petit jeune derrière son ordinateur. Je n’ai aucun pro-blème avec le fait que l’on télécharge ma musique. Au contraire. J’ai besoin qu’elle se diffuse. Plus on en parle et

plus les gens vont venir nous voir en concert. Légiférer sur le piratage est la dernière des choses à faire. Le téléchargement est aussi une vitrine. Nous n’encourageons pas le téléchar-gement illégal pour autant. Mieux un disque se vend plus l’artiste est médiatisé et plus il reçoit de proposi-tions de concerts.Si l’état doit faire quelque chose en faveur de la culture, c’est aider à la création et à la diffusion de la musique. J’ai commencé en me produisant dans des petits bars. On était parfois payés au chapeau. Maintenant, il faut que les groupes aient un cachet et soient déclarés. La législation actuelle est trop dure et contreproductive. Il faut que l’état se montre plus souple, qu’il encourage les artistes amateurs à se produire sur de toutes petites scènes. Cela ne lui coûterait presque rien. Il ne faut pas couper les ailes des artistes qui débu-tent leur carrière. » c. D.

« l’attaque  de  l’exceptiOn culturelle est une vieille histoire. Il y a dix ans, les accords du Gatt (ancêtre de l’Or-ganisation mondiale du commerce, NDLR) voulaient déjà que tout de-vienne de la marchandise, y compris la culture. Et aujourd’hui, ça recom-mence. Il va y avoir des accords avec les Américains, toujours les premiers à vouloir casser notre système. Celui-ci est très complexe. Pour faire simple, les films sont taxés. Sur chaque ticket vendu, l’état prélève un impôt qui va être redistribué au cinéma français. Comme les Améri-cains sont de mauvaise foi, ils disent que ce sont eux qui financent nos films. Il y a chez eux une sorte de rapacité que nous ne pouvons pas accepter. Nous allons nous battre. Le financement du cinéma français permet chaque année à trente à qua-rante jeunes cinéastes de réaliser leur premier film. Le CNC permet un re-nouvellement permanent. Je serai op-timiste tant que les cinéastes français défendront l’exception culturelle. Mais, pour cela, il faut militer. M.

Barroso (président de la Commission européenne, NDLR) et ses cama-rades se moquent complètement de la culture, de manière générale. Même Akira Kurosawa (cinéaste japonais qui a réalisé, entre autres,

Les Sept Samouraïs, NDLR) a fait des films grâce aux Français. Ce qui prouve bien que l’enjeu de l’exception culturelle française dépasse nos fron-tières et qu’il faut se battre pour la défendre. » J. l. et p. r.

« le téléchargement est aussi une vitrine »

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Costa- Gavras, réalisateur de Z, L’Aveu, Amen, Le Couperet.

« il faut se battre  pour le cinéma français »

Kaddour Hadadi, de HK & les Saltimbanks, chante sur scène depuis plus de quinze ans.

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dématerialisation

culture 2.0internet et les nouvelles technologies modifient l’accès aux arts. face à des supports inédits, les acteurs culturels doivent repenser leur activité.

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La Joconde, la Vénus de Milo, Guernica, le tout

aligné dans la grande pyramide de Gizeh, sur un fond musical de Mozart, visible chez soi grâce à des lunettes 5D, voilà peut-être le musée virtuel de demain. Les sociétés privées misent massivement sur la numérisation du patrimoine mondial. Le géant Google par exemple multiplie les initiatives : numérisation des archives de Nelson Mandela, numérisation de 130 000 photos en haute définition du mé-morial de l’holocauste Yad Vashem, numérisation des manuscrits de la mer Morte (les plus anciens manuscrits bibliques). Depuis peu, il propose

même l’accès en Street View à 130  sites histo-riques, une pro-menade virtuelle à travers 18  pays. Grâce au World Wonders Project, une petite partie des merveilles du monde, du grand canyon au site archéolog iques

de Pompei, sont désormais à portée de clic.On assiste au même phénomène pour la numérisation des œuvres culturelles. Le Google Art Project a pour objectif de permettre à chacun de visiter tous les musées du monde en trois dimensions. En France, six sites ont déjà rejoint l’initiative : les musées de l’Orangerie, d’Orsay et du quai Branly, ainsi que les domaines de Fontainebleau, de Versailles et de Chantilly. Le Louvre, lui, préfère mettre en valeur son propre site internet. Ce n’est pas une question de budget puisque le partenariat est gratuit. Mais cette institution préfère gérer elle-même sa notoriété et sa communication. Le projet est beau-coup plus intéressant pour de plus petits édifices, tel le château de Chan-tilly. Se retrouver, sur un même site, à côté du Metropolitan Museum of Art de New York, lui apporte une visibili-té qu’il n’aurait pas obtenue en faisant son propre site.La diffusion d’œuvres sur Inter-net ne détourne pas de la culture traditionnelle, pour preuve la fré-

quentation des expositions n’a jamais été aussi forte. Ouverte au public jusqu’en mars dernier, la rétros-pective Dalí, au centre Pompidou, a accueilli 800 000 visiteurs en cinq mois. « Le rapport direct à l’œuvre ne sera pas remplacé. Une carte pos-tale du mont Saint-Michel éveille en nous le désir de le voir en vrai », analyse Jessica de Bidéran, doc-teure en histoire de l’art. Au château d’Amboise, on veut donc travailler à la complémentarité. « L’idée, c’est de pouvoir présenter l’intérieur du château sur Internet, sans forcé-ment tout montrer, explique Jean-Louis Sureau, son conservateur. Cela donne envie au public de venir pour une visite, un peu comme la bande-annonce d’un film donne envie d’aller le voir au cinéma. »Les sites patrimoniaux se moderni-sent afin de séduire un public plus jeune, attiré par les nouvelles tech-nologies. L’abbaye de Fontevraud en a fait son credo et propose, pour les 8-14 ans, une visite guidée grâce à des tablettes tactiles (voir encadré). Le Louvre, lui, a troqué ses audioguides par des Nintendo 3DS pour une plus grande interactivité. Les supports numériques remplaceront-ils les tra-ditionnels catalogues ?

Des métiers bouleversésCe n’est pas impossible. La vente de livres numériques, par exemple, a progressé de 80  % en 2012 par rap-port à l’année précédente. Même s’ils ne représentent aujourd’hui que 0,6  % du marché, cela pousse tout de même les libraires à s’inter-roger sur l’avenir du livre. Aurélie Filippetti, ministre de la Culture, a lancé le 25 mars un vaste plan d’aide aux librairies indépendantes. Elle sou-haite améliorer « la compétitivité des librairies » et accompagner le secteur « dans la transition vers la vente en ligne et les livres numériques », avec l’injection prochaine de 9  millions d’euros. « Une perfusion, alors que le libraire tel qu’on l’a connu est déjà mort, estime Nicolas Gary, fondateur et directeur du site Actualitté. Même si des boutiques traditionnelles ven-daient des œuvres dématérialisées, le lecteur les achèterait depuis son ordinateur. » Une mesure pourtant

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bien accueillie par les inté-ressés. Hervé Bienvault, chargé de mission sur le numérique pour le Syndicat de la librairie française, pense que c’est une chance. Pour sau-ver la profession, il mise sur l’accueil. « C’est le lien avec le client qu’il faut maintenir. Donner des conseils de lecture, recommander des livres. » Il encourage également ses confrères à proposer des liseuses : « S’ils ne ven-dent pas le matériel, il ne vont pas accrocher le marché. » Pour effec-

tuer la transition, une solution peut être l’achat couplé. En achetant le livre papier, on obtient un flashcode pour 1  euro de plus, qui permet de télécharger la version dématéria-lisée. Cette option est déjà propo-sée pour 150  titres chez Gallimard, Eyrolles et Fleurus. Une bonne façon de commencer à constituer sa biblio-thèque virtuelle, avant même d’être équipé d’une liseuse. Les amoureux du papier vont-ils pour autant se convertir ? L’attachement au support

physique reste fort, alors que la moi-tié des Français se disent prêts à pas-ser au numérique. Hervé Bienvault, lecteur acharné, est d’ailleurs déjà équipé : « C’est pratique. ça évite de transporter quinze bouquins. »

Des pratiques nouvellesAvec l’essor du MP3, la dématé-rialisation des titres a modifié en profondeur la façon de consom-mer la musique. La vente de titres à l’unité bouleverse la façon dont les musiciens conçoivent leurs disques. On a moins d’albums où toutes les chansons sont liées à un thème, et de plus en plus d’accumulations de singles. Mais on ne perd pas pour autant la notion de partage, les nou-velles technologies remplaçant les supports traditionnels. « Dans les années quatre-vingt-dix, les fans de musique s’échangeaient des CD. Ils troquent maintenant des fichiers numériques », analyse Jean-Samuel Beuscart, sociologue spécialiste de l’économie des contenus numériques. Même si Internet permet une démocratisation de la culture, il n’est pas à la portée de tous. Aujourd’hui encore, un Français sur trois n’y a pas d’accès (Insee, 2011). S’équi-per coûte cher, mais il existe égale-ment un frein générationnel. Sylvain Bayard, formateur multimédia chez

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L’abbaye de Fontevraud (Maine-et-Loire) propose depuis septembre une visite un peu particulière pour les 8-14 ans. Pour un petit supplément, les enfants peuvent découvrir l’abbaye grâce à une tablette tactile. Un mini jeu éducatif et ludique les incite à trouver des endroits cachés et à les photographier avec la tablette pour pouvoir passer à l’étape suivante. La direction a encore assez peu de recul pour mesurer l’impact de cet investissement, financé en partie par la région Pays-de-Loire. à l’accueil, Betsy est en première ligne pour recueillir les réactions. « Les parents sont ravis. Les enfants se passionnent pour la visite et ils peuvent faire le chemin à leur rythme. » Pour l’instant, l’application est disponible en cinq langues. Les visiteurs peuvent même la télécharger à l’avance, gratuitement, et venir avec leur propre tablette. Le concept rencontre un tel succès que la direction envisage d’en créer une version pour les adultes. Depuis longtemps, l’abbaye de Fontevraud s’ouvre à la modernité. Elle reçoit notamment des expositions d’art contemporain et des événements plus exceptionnels, comme le tournage du clip du groupe de musique électronique français C2C, récompensé aux Victoires de la musique 2013. Nathalie Malaurie, responsable du pôle communication, défend la volonté de l’abbaye de soutenir l’art contemporain. Mais l’objectif est aussi économique : « Le but, c’est de se démarquer des autres sites patrimoniaux de la région et d’attirer les familles. Nous souhaitons renouveler notre public avec des visiteurs plus jeunes et accueillir des scolaires. »

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informatiquechezvous.com, en fait le constat : « Tous ceux que je forme ne sont pas égaux face à leur ordina-teur. Surtout les personnes âgées. » Mais cette fracture générationnelle s’estompe peu à peu, naturellement. Cependant, les internautes se tour-nent spontanément vers ce qu’ils connaissent déjà. « Ceux qui ont le plus de pratique culturelle sur Internet sont généralement les mêmes qui se déplacent dans les musées, les théâtres ou l’opéra, estime Jean-Samuel Beuscart. Le goût des arts ne s’acquiert pas juste parce qu’ils sont accessibles. » Ainsi, sur Internet, un fan de M. Pokora ira voir les clips R&B et un fan de Cali écoutera plutôt du rock ou de la chanson française. Malgré tout, les réseaux sociaux ont tendance à changer la donne. La communication permanente entre les internautes permet l’échange et la découverte de pans entiers de la culture qui paraissaient inaccessibles. Si dans la communauté des fans de M.Pokora quelqu’un écoute aussi Cali, cela peut inciter les autres à en faire autant. En ayant accès à tout, l’internaute se compose sa propre culture en piochant dans ce qui est disponible, jusqu’à produire ses propres contenus. Grâce à des sites web comme YouTube, Flickr, Sound-Cloud ou encore deviantART, chacun

Julie

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loup

Julie

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loup

peut créer et partager ses propres musiques, vidéos, photos ou dessins.

Des moDes De vie transformésTrès fréquentées, ces plateformes gratuites sont un bon moyen de se faire connaitre. Il s’y crée une ému-lation qui permet parfois aux artistes de se faire repérer par des profession-nels. Aujourd’hui, les Majors pré-fèrent investir sur un artiste connu sur Internet plutôt que sur un ano-nyme. Certains musiciens se passent d’ailleurs complètement des mai-sons de disques et se font financer directement par les internautes. La production participative, ou crowd-funding, est incarnée par exemple par le site MyMajorCompany.com. Elle a notamment permis de lancer des artistes comme Grégoire, Joyce Jonathan ou Irma, uniquement grâce au mécénat d’internautes anonymes. Les nouvelles technologies chan-gent tout, y compris notre cerveau. La génération Y, dite digital native, baigne dedans dès le plus jeune âge. Les pratiques que cela induit modi-fient notre façon de réfléchir et de concevoir les liens entre les idées. Des scientifiques ont récemment découvert que les internautes utili-sent le Web comme une mémoire externe. Ils ne prendraient plus la peine de retenir une information, juste le chemin sur Google pour la retrou-ver (La Recherche, août 2012). Ces changements sont profonds. Michel Serre, académicien, précisait déjà en 2007 : « La révolution informatique change notre rapport au monde, tout comme avant elle l’écriture puis l’imprimerie ont profondément transformé nos modes de vie. »

Laura Buratti, apoLLine Laurent

et JuLien LeLoup

à Fontevraud, une tablette numérique pour intéresser les enfants au patrimoine.

Quand on peut accéder à la culture tout le temps et partout, il n’est pas saugrenu

de voir de l’opéra au cinéma. En 3D et en direct, les spectateurs s’y croiraient

presque. Les grands distributeurs comme Pathé, UGC, MK2, CGR ne s’y sont pas

trompés. Chaque année à partir du printemps, UGC lance son opération Viva l’opera. Pour la programmation,

la chaîne a laissé carte blanche à Alain Duault, écrivain et animateur sur Radio

Classique. « C’est devenu un vrai rendez-vous et depuis trois ans, la fréquentation

augmente de 30 % à chaque saison », s’enthousiasme-t-il. « Au cinéma, grâce au développement du tout numérique,

la qualité du son est exceptionnelle. » Les prix sont plus abordables et permettent

de voir partout en France des dizaines d’œuvres européennes. Comme le

cinéma est plus populaire, il décomplexe les gens qui ne s’imagineraient pas

aller à l’opéra. « La première saison, je n’ai programmé que des classiques : Carmen,

Faust et Falstaff (photo). Au fur et à mesure, j’essaie d’élargir le paysage et de montrer que

ce n’est pas un art du passé mais du présent », poursuit

Alain Duault. Une sensibi-lisation qui ne permet pas

forcément de « passer à l’acte » ni d’assister à une véritable représentation.

« Il y a encore plein de limites pour aller au bout

de l’initiation. Il y a peu de places et elles sont à des prix élevés », regrette-t-il.

Même si le théâtre à la télévision existe depuis

longtemps, le succès récent de la retransmission de

Ruy Blas en janvier dernier met en lumière la forte demande du public. En 2008, France Télévisions transportait

8 millions de téléspectateurs au théatre des Variétés pour voir Les Fugueuses, une

pièce interprétée par Line Renaud et Muriel Robin. Une des conditions de la

réussite : la diffusion en direct. « Le spec-tateur s’imagine qu’à tout moment la

représentation peut basculer : un trou de mémoire, un fou rire entre comédiens, un

accident… », affirme Nicolas Auboyneau, directeur artistique de l’unité culture et spectacle vivants de France Télévisions. La preuve : la retransmission en différé

de Cyrano de Bergerac n’avait retenu que 1,6 million de téléspectateurs. « Il faut arriver à oublier la réalisation, comme

si la télévision était une fenêtre ouverte sur une salle de spectacle », explique-t-il.

de l’opéra au cinémaInumérique

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Un jour de juillet 2004, Héléna Prébilac et ses deux amies remar-quent que ça s’agite au bout de leur coron d’ordinaire si calme. Un homme les interpelle : « Le ministre veut vous parler. » Elle se rappelle en riant « On a eu peur, on a failli se sau-ver. On est des gens simples, des veuves de mineurs, ça nous com-

plexait un peu. » Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la Culture de l’époque, cherche un lieu pour im-planter une annexe du Louvre et songe à Lens. Il lui demande ce qu’elle en pense. « J’ai parlé avec mon cœur : de ma ville, de nos jeunes qui ne trou-vent pas de travail, de nos maris morts dans les mines et de la réplique de La Joconde que j’ai dans le salon. » Grâce à ces quelques phrases, celle que tout le monde appelait « Madame Hélène » gagne le sobriquet de « Ma-mie du Louvre ». Aujourd’hui, elle a 86  ans et sa mémoire s’étiole. Sauf quand il s’agit de cette rencontre. « Ça fait partie de mes plus beaux souvenirs, avec mes vacances sur la Côte d’Azur avec mon mari. Sauf que le ministre, je ne l’ai pas invité à dan-ser. » La maladie l’empêche quasi-ment de sortir, mais elle n’aurait raté l’inauguration pour rien au monde. Ce jour-là, le ministre la reconnaît et lui glisse : « C’est grâce à vous que le Louvre est là. » Elle est devenue une personnalité dans le quartier. Malgré les journalistes et une boîte de chocolats à son effigie, elle garde les pieds sur terre. « Avec tous ces touristes qui se promènent dans le coron, il

paraît qu’ils vont nous changer les palissades. C’est toujours ça de gagné. »

Martine Lannoy passe d’un tableau à l’autre. Elle mitraille les œuvres avec son petit appareil photo. Cette pas-sionnée d’art vient plusieurs fois par semaine. Aujourd’hui, elle est là pour un atelier art du dessin. Avec une quinzaine d’autres participants, elle reproduit les tableaux de maîtres. « Le Louvre a changé ma vie. Avant, je devais faire des kilomètres pour étancher ma soif de culture, explique-t-elle. Mon père a travaillé dans cette fosse et c’est beau de voir que de la noirceur des galeries est née la clarté d’un musée. Cela permet de montrer que la région, ce n’est pas que les corons, le RC Lens et des gens qui vont au bistrot. Grâce au Louvre, tout le monde va le savoir. » Elle a participé au Café des voisins, un rendez-vous hedbomadaire qui réunissait les habitants pour

« Je suis la MaMie  du louvre »Héléna, 86 ans, veuve de mineur

« Mes aMis M’appel-lent sainte Martine du louvre »Martine, 58 ans, secrétaire

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IPortraits

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discuter du projet. Elle est allée à la rencontre des Lensois pour parler du musée. Puis, elle est devenue ambas-sadrice auprès de l’office du tourisme. Activiste du Louvre, elle ne parle que de ça sur son blog. « Je veux le faire connaître. Je bassine tout le monde. J’ai même déposé des prospectus dans un restaurant en banlieue parisienne et dans une banque du sud de la France. Ce n’est pas tout, plaisante-t-elle. Quand les gens vien-nent chez moi, c’est visite du Louvre obligatoire. Sinon, privés de dessert. »

Avant l’installation du musée, la pe-tite maison en briques rouges n’était qu’une friterie dans un quartier désert. Les dettes s’accumulaient et Mathieu Debas, le jeune patron, pen-sait même jeter l’éponge. C’était pourtant sa mère, Cathy, qui avait ou-vert la gargote dans les années soixante-dix. Et puis, le Louvre est sorti de terre et Mathieu a senti le

vent tourner. Il a investi ses derniers deniers et toute son énergie dans une petite cuisine. Sa mère a repris du service. Aux architectes et aux ouvriers, ils proposent des plats régionaux aux noms impronon-çables : welsh, potjevleesch. Le chiffre d’affaires remonte. Le restaurant devient la cantine du musée. « Depuis l’inauguration, je refuse du monde. J’ai pu embaucher une jeune fille du quartier qui était au chômage », confie-t-il fièrement. Le mois pro-chain, il va aménager une terrasse et rendre sa brasserie accessible aux handicapés. Le Lensois espère ne pas

s’arrêter là. Il se donne un an pour agrandir et embaucher plus de monde. Il gardera la décoration : lampes, casques de mineurs et pho-tos de la fosse 9. Celle sur laquelle se trouve le musée aujourd’hui, celle dans laquelle sont descendus son père et son grand-père, dès l’âge de 11 ans. Le restaurateur a aligné ses prix sur ceux du centre ville mais refuse que son établissement devienne un piège à touristes. « Pour ça, il y a la cafétéria installée dans le musée, plaisante-t-il. Le plus drôle dans cette histoire, c’est que quand l’équipe municipale est venue avec une pétition pour qu’on installe le Louvre ici, je n’ai pas signé. Je ne croyais pas au projet. »

Sur la cheminée de Lucien Laurent, tout rappelle la mine. Des objets pro-venant des anciennes houillères, la lampe qui a accompagné pendant vingt-quatre ans de « fond » ce fils et petit-fils de mineurs. En bonne place, la photo de l’inauguration du Louvre-Lens sur laquelle il serre la main du président Hollande et porte sa tenue de mineur. Ce jour-là, les élus ont

d’une galerie à l’autrel’arrivée d’une annexe du louvre à lens a rendu ses lettres de noblesse à la ville symbole du bassin minier. aujourd’hui, certains habitants n’imaginent plus leur vie sans le musée.

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« pour Moi, c’est un petit Miracle »Mathieu, 35 ans, restaurateur

Inauguré le 4 décembre dernier, le Louvre-Lens dépasse les prévi-sions en terme de fréquentation. Environ 700 000 visiteurs sont attendus la première année.

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IPortraits

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« la région va renaître et notre fierté avec elle »Lucien, 76 ans, retraité

défilé devant quarante hommes et femmes vêtus de leurs anciens bleus de travail et membres, comme lui, de l’association Les gueules noires. Créée après un coup de grisou, elle a pour but de faire vivre le souvenir des oubliés des mines. « Quand on était au fond, explique Lucien qui a commencé comme galibot à 14 ans, personne ne pensait à nous. Mais en 1945, qui a remonté la France ? Nous. » Leur présence le jour de l’inauguration, c’était une façon de rappeler que ce Louvre, érigé sur un ancien carreau de mine, c’était un peu le leur aussi. « On le méritait. On le vou-lait. Après la ferme-ture des mines, il ne nous restait rien d’autre que le foot. » Lucien espère que le musée dissipera les clichés sur la région et ses habitants. « On a toujours été mal vus. On nous prend pour des gens crasses. » La Liberté, comme les Lensois appellent le tableaux de Delacroix qui fait le succès du Louvre-Lens, « c’est le plus beau que j’ai jamais vu. Ici, ce genre d’histoire, ça nous parle plus qu’ailleurs ».

Jean-Pierre Toursel a accumulé près de cin-quante heures d’images du Louvre-Lens. « Du premier géomètre à l’inauguration », précise-t-il avec

fierté. D’autres DVD sont depuis venus compléter sa collection. Car Jean-Pierre passe devant le musée tous les jours et jamais sans sa petite caméra. « J’ai besoin de le voir. Il est aussi beau à l’intérieur qu’à l’extérieur. Il me surprend à chaque fois. Selon

le temps, la lumière s’y reflète diffé-remment. » Si cet ancien employé des mines collectionne tous les articles parus sur son musée, il était initiale-ment opposé au projet. « Vous me mettez un Picasso sous le nez, je ne saurai même pas vous dire s’il est dans le bon sens. Pour moi, Lens, ce n’était pas un lieu de culture. J’ai pen-sé qu’on allait être ridicules. Quand il

a été décidé pour de bon que le Louvre venait ici, je me suis dit que j’allais arrêter de râler et qu’un chan-tier comme ça, je n’en verrai qu’un dans ma vie. » C’est en le filmant en train de sortir de terre que Jean-Pierre s’est mis à aimer le musée et ses tableaux. Il a été les voir trois fois déjà. « Avec eux, on passe sans arrêt

d’un monde à l’autre. Quand on ad-mire La liberté guidant le peuple, on vit la scène, on imagine les person-nages en mouvement. Ça me rappelle les manifestations contre la ferme-ture des mines. » Le Louvre, il ne l’aime pas seulement parce qu’il le trouve beau. « Mon père est mort de silicose à 33 ans, après seulement huit ans passés au fond. J’en avais 11. Ce musée, ici, à Lens, c’est un hommage. La France paye enfin une partie de la dette qu’elle a envers ses mineurs. »

Le salon de thé de Jean-Claude Jeanson ne désemplit pas. Parmi les gourmands à la recherche d’une table, il n’y a pas que des Lensois. « L’ouverture du Louvre m’a amené de nouveaux clients et pourtant, je ne suis pas tout près », s’étonne presque le chocolatier. Esthète – il faut voir ses pâtisseries – il n’était cependant pas coutumier des musées. « Ici, les gens ne sont pas habitués. Quand on pense à ce genre d’endroit, on ima-gine quelque chose à dépoussiérer. Alors que le Louvre est très contem-porain et accessible. Les visiteurs peuvent presque toucher les œuvres. » Il le sait bien, il l’a visité trois fois. « Je suis content que la re-nommée de Lens ne soit plus limitée aux mines et au football. » Au-dessus de la fumée qui s’élève des cappucci-nos, une photo le représente en train de remettre une de ses créations au président Hollande, lors de l’inaugu-ration. Dans la boîte mauve en forme de livre de contes de fées, des choco-lats aux racines de pissenlit, une pièce commémorative et un livre qui ra-conte l’histoire des Mamies du Louvre. Celles qui auraient convain-cu le ministre de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres, d’implanter le musée sur une ancienne mine. Les mamies, il les a découvertes dans le journal. « J’ai été élevé par ma grand-mère et voir de simples mamies deve-nir les muses d’un lieu de renommée mondiale, ça m’a touché. » Le Louvre et Jean-Claude, ce n’est pas qu’une histoire d’amour. Depuis l’ouverture, il fournit aussi les pâtisseries de la cafétéria du musée.

Camille Drouet

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« en filMant le chantier, Je Me suis aMouraché du lieu » Jean-Pierre, 68 ans, retraité

« ce Musée, c’est une belle friandise sur un plateau en or » Jean-Claude, 53 ans, pâtissier

IPortraits

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« C’est  le  premier  festival  de  l’année, l’occasion  de  faire  une  grande  fête pour l’arrivée des beaux jours », se ré-jouit  Marie,  22  ans.  Comme  elle,  ils sont des milliers de festivaliers – dont 91 % de moins de 35 ans –, à se prépa-rer pour la trente-septième édition du Printemps  de  Bourges.  Rien  d’éton-nant, puisque la musique est l’activité culturelle  favorite  des  15-24  ans.  

Ni  Internet,  ni  la  révolution  numé-rique, ni même l’accès en ligne illimité à  tous  les morceaux ne  freinent  leur enthousiasme.

Des sensations irremplaçablesDématérialisation,  individualisation de  la  consommation  musicale  d’un côté,  frénésie  festivalière  de  l’autre. Un constat loin d’être paradoxal pour Emmanuel  Négrier,  chercheur  au CNRS  et  auteur  d’une  étude,  Les publics des festivals.  « Il  y  a  une  logique cumulative et non de substi-tution entre deux modes de consom-

mation. » L’engouement pour ces ma-nifestation  s’explique  par  l’offre croissante,  liée  à  la  décentralisation. Et  puis  aussi  parce  que  c’est  « un grand  bol  d’air »  qui  répond  au  besoin, pour Aurélie, « d’être coupée du monde, de profiter à fond de tout ce que le festival offre : le in et le off, du bon temps avec les amis, les flâne-ries sur les stands ».  Arnaud, six édi-

tions  à  son  actif,  apprécie  « le  mé-lange  de  concerts  qui  rassemblent des milliers de personnes et de petits récitals donnés dans des bars ».Depuis  une  dizaine  d’années,  le  déclin des ventes de disques a  incité les artistes à remonter sur scène pour garantir  leurs  revenus.  Côté  specta-teur,  le  plus  est  évident :  « L’expé-rience du direct, les sensations, l’im-provisation  et  la  spontanéité,  on  ne les  retrouve  pas  sur  CD,  témoigne Arnaud. Ils restent irremplaçables. » Emmanuel  Négrier  constate  égale-ment une évolution des goûts : « On 

est de moins en moins amateur d’un style  de  musique  en  particulier. » Avec une programmation qui se veut éclectique,  le  Printemps  de  Bourges est au carrefour de ces mutations et de  ces  nouvelles  envies.  Dès  la  pre-mière édition en 1977, son fondateur, Daniel  Colling,  voulait  que  le  Prin-temps devienne « un lieu de création, d’expression  et  de  rencontre  pour tous ceux qui s’intéressent à la chan-son  d’aujourd’hui ».  Ainsi,  chaque  année depuis trente-sept ans et pour cinq jours et demi, la ville de Bourges se  transforme  en  scène  géante  sur  laquelle  se  joue un art de vivre, une manière  « d’associer  consommation culturelle,  hédonisme  et  conviviali-té », analyse Emmanuel Négrier. Lau-rent, 41 ans, en avait 17  la première fois qu’il est allé à Bourges. Quand il y est retourné quinze ans plus tard, il a ressenti la même émotion.

Un événement féDérateUrDepuis sa naissance, le festival a mar-qué l’identité de la ville et contribué à son rayonnement. Il a connu une fré-quentation  fluctuante  à  ses  débuts, jusqu’à ce qu’il trouve son public. En 2012,  il  a  accueilli  170 000  visiteurs. Et la crise ne semble pas avoir raison de  l’affluence.  Même  si  en  2011,  la  région Centre a baissé sa subvention de 3 %. Daniel Colling s’est alors tour-né vers le Crédit mutuel pour retrou-ver un équilibre financier. Les organi-sateurs  sont  ainsi  parvenus  à maintenir des prix attractifs, permet-tant à la jeunesse de toute une région de se donner rendez-vous. Pour  les  Berruyers  comme  Marie, « c’est  vraiment  un  événement  fédé-rateur.  Tous  ceux  qui  ont  quitté  la  région y reviennent à cette occasion. Bourges, c’est leur ville, le Printemps leur festival ». 

PhiliPPe Ridou et MaRine Vales

festival

Du net au liveIls appartIennent à la génératIon d’Internet et du téléchargement. pourtant, marIe et arnaud n’en délaIssent pas les concerts pour autant. le succès du prIntemps de bourges en est la preuve. malgré la crIse, sa trente-septIème édItIon connaît la même affluence.

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un grand bol d’air “On profite de tout lors d’un

festival : le in, le off, le bon temps avec les amis…”

Imusique

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L’offre de formation•Un parcours en deux ans pour le DUT, accessible aux titulaires du bac jusqu’à bac+2.•Un parcours en un an (An-née spéciale), accessible aux étudiants à partir de Bac+2 et aux personnes en reconver-sion professionnelle. •L’année de licence profession-nelle de journalisme peut être effectuée en alternance ou dans le cadre d’échanges internatio-naux. http://www.epjt.fr/fr/les-diplomes/

Un recrutement national•Pour le DUT, une présélection est faite sur dossier. Ceux rete-nus passent les épreuves écrites et l’entretien de motivation. Sur 1 200 candidats, 25 sont rete-nus en 1re année de DUT, 16 en Année spéciale. •L’admission en licence profes-sionnelle se fait sur dossier pour les étudiants issus du DUT de l’EPJT et sur dossier et épreuves professionnelles, pour les candi-dats extérieurs. epjt.fr/fr/le-recrutement

Quatre médias•Si le multimédia bouleverse l’accès à l’information, il met surtout en avant l’impérieuse nécessité, pour nos étudiants, de maîtriser les fondamentaux du journalisme. Chacun reçoit une formation globale puis se spécialise en presse écrite, en radio ou en télévision. L’en-seignement du multimédia se poursuit, lui, de façon transversale durant les spécia-lisations, plus particulièrement en presse écrite.

L’équipe enseignante est composée d’universitaires et de professionnels : enseignants et enseignants-chercheurs, journalistes professionnels, tous reconnus dans leur domaine de compétences.

Contact : EPJT, IUT de Tours, 29 rue du Pont-Volant, 37082 Tours. Tél : 02.47.36.75.63

des formations reconnUes oUvertes à toUsLes formations au journalisme dispensées à l’université François- Rabelais de Tours, au sein de l’IUT, par l’école publique de journalisme de Tours (EPJT) bénéficient d’un double label : – celui du ministère de l’éducation nationale, à travers les diplômes nationaux auxquels elles conduisent : un DUT et une licence profes-sionnelle ; – celui de la profession via l’agrément que délivre la Commission pari-

taire nationale de l’emploi des journalistes (CPNEJ). L’EPJT fait par-tie des 14 écoles de référence, reconnues par la Convention collective des journalistes. Pour le DUT, l’agrément par la profession est reconduit sans interruption depuis 1981. Quant à la licence professionnelle, elle est agréée depuis 2005. L’EPJT est la seule école en France à propo-ser une licence de journalisme agréée par la profession. Le recrutement possible dès le bac, l’ouverture aux reconversions en Année spéciale, le coût modéré des études et la possibilité d’effec-tuer l’année de licence par alternance expliquent la grande mixité sociale des promotions : 60 % des étudiants de Tours ont des parents agriculteurs, ouvriers, employés, ou dont l’activité est classée parmi les professions intermédiaires.

(Publi-

info

rmat

ion)

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2013 Innova 17

associations tourangelles

les artistes vous mettent à l’œuvre

« c’est pas fait pour moi. »  « ça coûte trop cher. »  « J’y connais vraiment rien. » des phrases que l’on  entend souvent au suJet  de la culture. à tours,  divers proJets permettent à tous de s’initier à l’art.

l’exposition « tours, mémoires d’une ville » a permis aux tourangeaux de déambuler à tra-vers plus d’un siècle de leur histoire en noir et blancDu 19 janvier au 30 mars 2013, 500 clichés argentiques – pour la plupart inédits – ont été exposés dans l’hôtel de ville de Tours mais aussi le long des boulevards du centre-ville. Au fil des photographies, les habitants ont pu revivre des scènes de la vie quotidienne de leurs ancêtres et les grands événements qui ont marqué l’his-toire de leur commune. Le cliché le plus ancien remonte au milieu du XIXe siècle. Sur le site internet de la municipalité, les Tourangeaux peuvent continuer à partager leurs trésors en noir et blanc et à découvrir ceux de leurs voisins.

TexTes eT phoTos : Camille DroueT eT Benjamin luCas

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18 Innova 2013

Courteline

Chœur de ville

le centre socio-culturel propose cours de théâtre et littérature itinérante

À l’occasion de la sixième édition du Printemps des poètes, deux comédiens investissent le jardin botanique de Tours pour un parcours littéraire destiné à démythifier la poésie.

Sur un ton humoristique, l’acteur Xavier Salot déclame des classiques et des poèmes écrits par les enfants de plusieurs associations regroupées pour l’occasion.

Tous les mercredis, la carriole de la Bibliothèque de rue sillone les cours d’immeuble pour proposer des livres aux enfants du quartier.

Les participants de l’atelier théâtre répètent la pièce qu’ils présenteront sur la scène du Petit Faucheux dans quelques semaines.

l’association culture du cœur réunit autour du chant des habitantes des quartiers

Une fois par semaine, des femmes du Sanitas chantent ensemble. Elles rejoindront bientôt les chorales de Saint-Pierre-des-Corps et de Joué-lès-Tours pour d’autres répétitions.

Ce projet, baptisé Chœur de ville, vivra lors de trois concerts : au théâtre du Petit Faucheux, à la Pléiade et au Centre

culturel de Saint-Pierre.

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l’artiste nicolas simarik met le sanitas à l’honneur

Avec les habitants, le plasticien crée des objets à l’image des immeubles du quartier, réputé difficile.Tous les jeudis, ils réfléchissent aussi à des projets d’art urbain pour embellir et faire vivre le Sanitas.

franCis plisson

tournage d’un court-mé-trage de danse contempo-raine

Au milieu des champs, près de Saint-Pierre, un bâtiment en ruines se transforme en décor de film d’un jour.

Six jeunes filles du lycée Choiseul de Tours répètent depuis plusieurs mois avec le chorégraphe Francis Plisson de la compagnie Marouchka.

Le tournage se déroule dans la bonne humeur. Le court-métrage Le vent du bout sera projeté au lycée Choiseul le 23 mai prochain.

sanitas en objets

IPORTFOLIO

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20 Innova 2013

le temps d’un week-end, les cultures urbaines s’invitent à saint-pierre-des-corps

Les Grabouilleurs initient les enfants du quartier à la peinture à la bombe sur des bâches installées par la mairie.

Devant une exposition de graffitis, Mohamed Al Kalam slame un texte en hommage au courage des femmes.

Toute la journée se succèdent initiations à la danse hip-hop, concerts de rap par des jeunes du quartier, lectures de

textes et ateliers d’écriture.

un programme éclectique autour des arts urbainsMusique, jonglage, graff, danse hip-hop, lecture de contes et théâtre de rue, la première édition du festival a été une réus-site. Ce projet, initié par deux étudiantes en communication, avait pour objectif de valoriser la culture sous toutes ses formes. Une bonne occasion de découvrir gratuite-ment les arts de rue.

artistiC tours

la tête à l’envers

IPORTFOLIO

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Très chère culTure

Les coupes budgétaires n’ont pas épargné Les arts maLgré Leur rôLe de Levier économique. L’état conserve donc un arsenaL LégisLatif et fiscaL

pour inciter Le privé à Les financer.

Dossier

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22 Innova 2013

« Le  budget  de  la  culture  sera  entièrement sanctuarisé  durant  le  quinquennat. »  Force est de constater que cette promesse, formu-lée  par  le  candidat  François  Hollande  à Nantes,  en  janvier  2012,  ne  sera  pas  tenue. En effet, le projet de loi de finance de 2013 a baissé  ce  budget  de  plus  de  88  millions  d’euros. Ce tour de vis a des conséquences. L’aménagement d’une maison de l’histoire de France  et  d’un  musée  de  la  Photographie  à Paris est abandonné. Mais la transformation d’une tour inhabitée de  Clichy-Montfermeil en lieu d’accueil pour  artistes et la construc-tion  d’une  salle  pour  la  Comédie-Française seront repensées. La diminution du budget de la culture est  le signe d’une évolution du modèle de la Ve Ré-publique né avec la création du ministère des Affaires culturelles,  en 1959. Modèle qui  fut longtemps marqué par la vision d’un  ministre charismatique,  l’écrivain  André  Malraux.  Celui-ci prônait un financement majoritaire-ment  étatique.  Aujourd’hui,  ce  sont  les  collectivités  territoriales  qui  subventionnent la plus grande partie de ce secteur. Avec plus de 4 milliards d’euros investis, les  communes sont devenues un acteur incontournable. Les montants qu’elles consacrent à la culture sont équivalents  aux  fonds  engagés  par  le  minis-tère. Cette évolution est en partie due à la dé-centralisation  initiée  par  les  lois  Defferre  de 1982 et de 1983. Celles-ci ont marqué un pre-mier  désengagement de l’État mais pas la fin de l’intervention publique dans la culture.À  partir  des  années  quatre-vingt,  les  crises économiques  se  succèdent :  du  choc  pétro-

lier en 1979 à la récente crise des subprimes. Elles ont provoqué une chute des recettes de l’État. Lors de périodes plus fastes, ce dernier investissait dans des structures : maisons de la  culture,  associations,  bâtiments  publics pour  les  différents  arts  ou  organismes  de  formation.  Désormais,  pour  les  faire  fonc-tionner, il est contraint d’avoir recours à des financements publics variés.  

les communes affectées par le marasme économiqueLes 70 scènes nationales, réparties sur toute la France, illustrent ce phénomène nouveau. Leur soutien est assuré à la fois par les collec-tivités  territoriales  (51,3  %),  par  l’État (24,3 %), par leurs recettes propres (22,5 %) et par l’Union européenne (0,3 %). Parallèle-ment,  les  acteurs  publics  locaux  s’allient pour développer des actions sur tout le terri-toire : festivals, art de rue, entretien du patri-moine régional ou édification de bâtiments.  Cependant, les collectivités territoriales sont elles aussi affectées par le marasme financier. En  2012,  la  dette  globale  des  communes françaises s’élevait à 57 milliards d’euros. Si certaines  d’entre  elles  échappent  à  la  crise, elles sont néanmoins toutes touchées par le retrait de la taxe professionnelle. Les pertes occasionnées  sont  pour  l’instant  compen-sées  par  une  dotation  d’État.  Mais  celle-ci sera progressivement supprimée et de nom-breux  élus  locaux  s’inquiètent  pour  l’avenir de  leurs  finances publiques. Les baisses des recettes  fiscales  obligeront  sans  doute  les collectivités locales à faire des choix dans la 

« Dans un contexte difficile, 

la culture devient une 

variable d’ajustement 

du budget » Françoise Benhamou

l’exception culturelle en chantierLa Gauche L’avait promis : La cuLture devait devenir une des priorités une fois françois hoLLande au pouvoir. mais, aujourd’hui, son budGet subit de pLein fouet L’austérité.

IDossier

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répartition  des  budgets  sociaux,  sportifs, économiques  et  culturels.  Comme  le  sou-ligne  Françoise  Benhamou,  professeure d’économie à Paris XIII, « dans un contexte difficile,  la  culture  devient  une  variable d’ajustement ». Pour le moment, les budgets culturels des villes ne reculent pas, mais sta-gnent.  Comme  cela  se  passe  au  niveau  de l’État, ce sont les fonds alloués aux investis-sements (nouvelles infrastructures et projets artistiques) qui diminuent afin de continuer à subventionner les actions existantes.Départements et régions subissent eux aussi la suppression de la taxe professionnelle. Par ailleurs, ils doivent financer un nombre tou-jours plus grand de secteurs : aides sociales, routes, infrastructures. Les budgets culturels des régions augmentent tous les ans : en 2011 selon l’Association des régions de France, ils atteignaient près de 700 millions d’euros. Les dépenses culturelles des départements, elles, sont en baisse. En particulier dans les inves-tissements destinés à la construction de bâti-ments  ou  à  la  mise  en  place  de  nouveaux projets.  Toutefois,  départements  et  régions 

ont permis d’accroître le dynamisme culturel local. Depuis leur création en 1981, les Fonds régionaux  d’art  contemporain  ont  acquis plus  de  22 000  œuvres.  Les  collectivités  locales prennent également en charge l’édifi-cation  et  la  gestion  des  bibliothèques,  des services  d’archives  départementales  et  des musées départementaux et régionaux. Dernier acteur du modèle culturel  français, l’Europe.  Depuis  la  ratification  du  traité  de Maastricht en 1992, la culture est aussi deve-nue une compétence de l’Union européenne. Cependant, son action reste limitée. Pour la période 2007-2013, son budget n’est que de 400  millions  d’euros.  Mais  la  Commission européenne a proposé de le quadrupler dès 2014. Cette manne permet déjà de financer largement des projets. L’association Culture du  cœur  de  Tours  reçoit  ainsi  plus  de 20 000 euros, dont 84 % ont été utilisés pour la  création  de  Chœur de ville,  un  spectacle théâtral dans lequel des femmes de quartiers défavorisés se racontent en chanson. 

trouver de nouveaux financements Mais,  selon  Françoise  Benhamou,  « l’Union européenne  bride  les  politiques  culturelles nationales.  Sa  législation  empêche  chaque pays de mettre en place des fiscalités spéci-fiques et d’octroyer certaines subventions ».Dans  ce  contexte  de  crise  budgétaire,  les  acteurs  culturels  sont  forcés  de  s’orienter vers  d’autres  financements.  Le  mécénat culturel  a  toujours  existé.  Cependant,  à  la création  du  ministère  des  Affaires  cultu-relles, il jouait un rôle mineur. L’État estimait alors être le plus à même de démocratiser les arts et voulait préserver la culture des lois du marché. Mais en 2003, il a décidé de faciliter l’engagement des mécènes, en attribuant des allégements  fiscaux  aux  particuliers  ou  aux entreprises.  Dans  les  faits,  cela  fonctionne. Les  contributions  sont  en  hausse  et  les  mécènes deviennent de véritables soutiens.Il existe également une nouvelle  façon d’ai-der la culture, une forme de contrat : les par-tenariats publics privés. Même si le principe est critiqué, les PPP permettent la construc-tion  de  théâtres  ou  de  musées,  là  où  juste-ment l’État est en perte de vitesse.Les  évolutions  du  modèle  culturel  français sont symptomatiques de la réponse des gou-vernements  libéraux  à  la  crise  des  finances publiques. Mais cette dernière pourrait tout aussi  bien  pousser  le  gouvernement  à  sup-primer  la  politique  incitative  en  faveur  du mécenat. Une suppression déjà dans les car-tons en début de quinquennat.

ThiBaulT le Berre

Le budget du minis-tère de la Culture a souffert d’une baisse de 3,3 % cette année. En 2015, la chute pour-rait atteindre 5,5 %.

Née sous l’impuIsion de François Mitterrand, la pyramide du Louvre est le symbole du projet de modernisation du musée. Elle est inaugu-rée en mars 1989.

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argilesse : 330 habitants en hiver, 12 000 pendant  la  saison  culturelle.  Ce   petit village  d’artistes  est  bien  connu  des amateurs  d’art :  dès  le  printemps,  les événements  culturels  s’y  multiplient, 

notamment autour de la maison de George Sand et de l’église médiévale du XIIe siècle. Expositions de peintures,   journée du  livre, festival  de  la  harpe…  Située  en  bords  de Creuse,  la commune a su mettre en valeur son  patrimoine  culturel  pour  se  faire connaître  et  dynamiser  son  activité.  Le maire,  Vanik  Berberian,  président  de  l’Association  des  maires  ruraux  de  France, défend  la  tradition  culturelle  de  la  com-mune  liée   selon  lui  « au  tempérament  des élus ».  Ils  sont  tous  très   impliqués.  Gar-gilesse   attire  des  artistes  tout  au  long  de l’année et aide de jeunes créateurs à se lan-cer. « Quand une exposition nous intéresse, explique  Vanik Berberian, nous faisons des efforts  pour  l’accueillir :  nous  prenons  en charge  le prix des affiches,  le vernissage et l’organisation de  l’exposition. La commune met gratuitement des locaux à disposition. » En contrepartie, les artistes doivent  exposer pendant  quelques  semaines.  Et  pour  compléter ces actions, la municipalité pos-

sède et entretient huit chalets et trois gîtes qu’elle loue aux touristes. à Montlouis-sur-Loire aussi, l’activité cultu-relle  est  le  résultat  d’une  vraie  volonté  politique, animée par le maire, Jean-Jacques Filleul.  Cette  petite  ville  tourangelle  de 10 000 habitants vit au rythme de ses événe-ments  culturels,  du  salon  Manga  sur  Loire jusqu’au Festival de la tomate. En septembre, Jazz en Touraine est un rendez-vous incon-tournable. Ce festival connaîtra cette année sa  vingt-septième  édition.  « C’est  un  peu  le bébé du maire », confie Aurélia Clément,  la responsable de l’office de tourisme. Il en est d’ailleurs  le  président.  « Soit  je  faisais  de Montlouis une commune-dortoir, soit  je lui donnais une identité propre », explique Jean-Jacques Filleul.Tout  le  monde  est  impliqué,  y  compris  les plus  jeunes.  Les  élèves  du  collège  Raoul- Rebout ont ainsi participé, en 2011, à la mise en place du cycle d’animation La Parole à nos poilus.  Au  programme :  expositions,  confé-rences  et  spectacle  de  théâtre.  Patrick  Meunier, le principal, fait tout pour favoriser ce  partenariat  avec  la  ville :  « à  chaque  fois que la municipalité lance un nouveau projet, elle propose au collège de s’y associer. Quand 

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ThéâTres, fesTivals, salons du livre, exposiTions, paTrimoine… cerTaines peTiTes aggloméraTions onT développé une poliTique culTurelle inTense pour sTimuler leur acTiviTé économique eT reTrouver une viTaliTé.

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Le village de Gargilesse, dans l’Indre, a fait de la musique et de la peinture des atouts majeurs pour son développement.

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cela  correspond  avec  leur  pro-gramme, les enseignants s’y investis-sent volontiers. »  Tout le monde se mobilise autour des festivals  de  musique  qui  attirent  les touristes. Une fois sur place, ceux-ci  découvrent  la  ville  et  ses  trésors,  parfois  un  peu  par  hasard.  Marie-Odile  et  André  sont  Bretons.  Ils étaient  venus  à  Montlouis  pour  assister aux concerts d’Every Sing, un festival organisé par l’association Ce-pravoi. Mais, erreur de timing, l’évé-nement ne commençait en fait que le lendemain.  Qu’importe :  après  un passage à l’office de tourisme, ils ont décidé de tuer le temps en visitant la ville.  Il  y  a  de  quoi  faire,  entre  son église  qui  porte  la  mention  « Répu-blique  Française »,  apposée  pendant la  Révolution, et ses multiples caves.

un festival de jazz qui attire les entreprisesPour  ces  deux  communes,  investir dans  la  culture  est  bénéfique  à  tout point  de  vue.  Ainsi,  la  réputation  de Gargilesse  dépasse  largement  les frontières de sa région. Le maire s’en amuse : « Lors de mes déplacements, je constate que mon village est connu dans  toute  la  France. »  Une  renom-mée  qui  a  attiré  Pierre  Robert,  pro-ducteur  de  pineau  et  de  cognac  à épargnes,  en  Charente- Maritime : « Une fois par an, je viens exposer mes articles  au  marché  aux  fleurs  et  aux produits  fermiers  organisé  par  Gar-gilesse. » Il n’est pas le seul. Les retom-bées  sont  également  économiques. En  hiver,  seuls  le   café-tabac  Chez Martine et le  bureau de poste qui sert aussi  d’office  de  tourisme  restent  en activité.  Mais  pendant  la  saison,  un hôtel, des  restaurants, un camping et plusieurs  gîtes  privés  ouvrent  leurs portes  aux  visiteurs.  L’office  de  tou-risme  prend  ses  quartiers  d’éte  dans un bâtiment de taille tout à fait inha-bituelle  pour  un  si  petit  village.  En août,  les musiciens et  les  festivaliers, qui doivent bien  se nourrir,  investis-sent  la   commune  et  découvrent  les  produits locaux : le fromage de chèvre et les vins du domaine du Menoux.Philippe Guéraiche, le gérant du seul hôtel de Montlouis, estime que 15 à 20 %  de  ses  clients  ne  seraient  pas  venus chez lui sans Jazz en Touraine. 

« Lorsque  les  visiteurs  viennent  au festival, ils découvrent l’hôtel. Quand ils reviennent ensuite dans la région, ils y logent volontiers. » Jean-Jacques Filleul  ajoute :  « C’est  le  festival  de jazz qui a attiré des entreprises dans notre zone  d’activité. Cette notoriété est bénéfique sur tous les plans, tant pour  l’économie  locale  que  pour  la Touraine en général. » En 2011,  Jazz en  Touraine  a  connu  un  record  de fréquentation.  Quelque  25 000  spec-tateurs  ont  fait  le  déplacement.  Au-tant de personnes qui ont pu en pro-fiter  pour  découvrir  l’appellation Montlouis lors de dégustations orga-nisées dans le Vil-lage  du  goût.  La cave  coopérative a même produit une cuvée  spéciale Jazz  en  Touraine. Le  sommelier d’une  cave  troglo-dyte  très  touris-tique confirme, un verre de pétillant à la  main,  que  les gens  qui  viennent aux  concerts  en profitent  pour  vi-siter les caves. Pa-trick  Marné,  viti-culteur,  établit  un bilan plus nuancé. Il  estime  que  les retombées  pour l’appellation  ne dépassent  pas  les 

lieux  touristiques  et  les  stands  des grands  événements.  Quant  à  Fran-çois Chidaine, le sujet l’agace visible-ment :  «  La  mairie  a  toujours  l’im-pression que nous, viticulteurs, nous n’existons que grâce à elle… »Quoi  qu’en  disent  les  viticulteurs,   la stratégie de développer une véritable politique culturelle se révèle payante pour  Montlouis.  Le  foisonnement d’événements  encourage  le  dévelop-pement des services et séduit. Depuis 1999,  1 000  nouveaux  habitants  s’y sont installés.

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à Montlouis, les festivaliers férus de jazz en profitent pour découvrir les vins de Touraine.

L’office de tourisme de Montlouis offre de multiples activités en marge des festivals, comme le geocaching.

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Quand le visiteur pénètre dans la galerie des Glaces, majestueuse et monumentale, il peut encore sentir la puissance des rois. C’est que le châ-teau de Versailles a été conçu pour être la vitrine politique, économique et artistique de la France du roi Soleil. Mais au fil des siècles, les dorures et les miroirs, fiertés de l’artisanat d’art de l’époque, se sont ternis. La galerie des Glaces a donc fermé en 2007. Elle a rouvert trois ans plus tard. Les travaux ont coûté 12 millions d’euros et n’ont pu avoir lieu que grâce au mécénat de la société Vinci.Ces dix dernières années, les dons effectués par les entreprises mécènes ont connu une forte progression. En 2002, le budget global du mécénat était de 198 millions d’euros. En 2012, les montants investis par les sociétés ont atteint près de 1,9 milliard d’eu-

ros. Les dons ont connu une baisse pendant la crise des subprimes. Mais l’Admical, une association œuvrant pour le développement du mécénat industriel et commercial, constate une nouvelle hausse des contribu-tions. Pour la culture, elles se sont élevées à 494  millions d’euros en 2012. Les raisons de cet engouement pour l’art sont à chercher du côté de l’incitation fiscale. La loi d’août 2003 sur le mécénat a eu un effet levier indéniable. Elle accorde en effet aux entreprises une réduc-

tion d’impôts de 60  % sur la valeur des dons. « Sans cette déduction, les versements ne seraient sûre-ment pas aussi élevés », confirme éric Laurent, le directeur territo-rial d’ERDF en Touraine. Depuis 1997, on constate que le montant des déductions fiscales a tri-plé, passant de 400 millions d’euros à environ 1,2 milliard. « Si les exonéra-tions étaient supprimées, il ne reste-rait que 30  % des mécènes touran-geaux », concède Jean-Pierre Barraco, vice-président de l’association Mécé-nat Touraine entreprises. Les sociétés mécènes sont à 93 % des PME. Elles financent donc peu de projets à l’échelle nationale comme celui de la galerie des Glaces. Les dons ciblent majoritairement des événements locaux. Une façon de mieux s’implanter qui séduit les

entreprises. « Cela consolide les liens de proximité et permet d’établir des relations de travail privilégiées avec les collectivités », confirme éric Lau-rent. à Ballan-Miré, en Indre-et-Loire, Les Contes et légendes – dix jours d’expositions et d’histoires fan-tastiques – ont failli ne jamais voir le jour. « Nous ne pouvions pas financer seuls ce projet, la participation des mécènes était indispensable », confie Pascale Boudesseul, première ad-jointe au maire. Le Crédit agricole et ERDF ont été ces partenaires.

Les collectivités loca-les cherchent à structurer le mécénat pour financer des projets de grande envergure. Le conseil général d’Indre-et-Loire travaille à la création d’un fonds de dotation.

Des Dons à l’aveugleCe fonds fonctionnerait comme une enveloppe dans laquelle les entreprises verseraient de l’argent, sans savoir à quel projet il sera affecté. « Nous cher-chons à simplifier les démarches, à instaurer des partenariats qui s’inscri-vent dans la durée pour recueillir davantage de dons », précise Pascale Boudesseul, également chargée des cofinancements. Pas sûr que cela séduise des entreprises qui cherchent avant tout à valoriser leur image. « Associer la culture à une entreprise est un gage de renommée », assure Jean-Pierre Barraco. Du coup, pas question de financer n’importe quoi. Une étude, réalisée en 2012 par Admi-cal, souligne que deux tiers des entre-prises soutiennent des initiatives qu’elles ont sélectionnées au préalable. « Nous aimons avoir une visibilité sur l’ensemble des projets », souligne-t-on au Crédit agricole. « Ils doivent être cohérents avec l’image que notre so-ciété souhaite véhiculer », renchérit éric Laurent. Voilà les artistes prévenus. Pour être financés, leurs projets devront être en adéquation avec la stratégie de communication de leurs mécènes.

Marie-anne Le Berre

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mécénat

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Pierre Bourru

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Avec ses AvAntAges fiscAux, le mécénAt séduit un nombre croissAnt d’entreprises et leur permet de vAloriser leur imAge.

En temps que béné-ficiaire, l’entreprise peut recevoir de la part de l’artiste des services ou des biens à hauteur de 25 % maximum du don.

Une entreprise fait un don à une artiste. Elle bénéficie alors d’une déduction d’impôt égale à 60% de ce don.

Coût réel pour l’entreprise.

LES AVANTAGES POUR L’ENTREPRISE

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Un énorme galet brillant aux reflets grenat, un cube aux murs d’acier pâtiné et une tour rouge brique qui domine la ville : le théâtre de l’Archipel de Perpignan, inauguré le 10 octobre 2011, est un chef d’œuvre d’architecture contemporaine. Il est l’œuvre du mondialement reconnu Jean Nouvel. Au-delà de la notoriété de son concepteur, ce projet monu-mental a cela de remarquable qu’il a été l’un des premiers PPP réalisés en matière culturelle. PPP pour partena-riats public/privé. Ces derniers ont été instaurés dans le droit français par l’ordonnance du 17 juin 2004. Le principe est simple. Une autorité publique fait appel à une entreprise privée afin de financer et de gérer un équipement d’utilité publique. En contrepartie, l’État ou la collectivité territoriale verse un loyer au presta-taire sur plusieurs décennies. Tant que le paiement n’est pas terminé, l’infrastructure n’appartient pas à l’or-ganisme public.En France, ces contrats se sont développés dans plusieurs domaines : santé, prison, éclairage public, éduca-tion. Aujourd’hui, ils font une entrée progressive dans le secteur culturel. Dans le cas du théâtre de l’Archipel, « le mode de financement s’est justifié par une volonté de maîtriser les coûts de construction et de maintenance. Nous voulions avoir une vision sur le long terme », confie Stéphane Berger, son secrétaire général. Il ajoute qu’« avec un architecte comme Jean Nouvel, il y a souvent des dépasse-ments de coûts. Le PPP est une manière de s’en prémunir ». Mais de l’aveu de Robert Stakowski, directeur de projet de la Mission d’appui au partenariat public/privé, organisme du ministère de l’Économie, « la pré-vision des coûts n’est pas très fiable, car elle se base sur des hypothèses ».

La ville de Perpignan a fait appel au Crédit agricole pour financer la construction du théâtre, estimée à 32 millions d’euros. La ville lui rem-boursera 1,8  million d’euros par an pendant trente-deux  ans. Soit un total de 57,6 millions d’euros. L’écart est dû au taux d’intérêt appliqué par la banque. Pour la ville, l’avantage est de ne pas avoir à débloquer de la tré-sorerie et de pouvoir rembourser petit à petit. Pour la banque, le bénéfice est évident : prêter à un organisme public est un investisse-ment sûr.

les yeux plus gros que le ventreCependant, l’Inspection générale des finances critique le recours à ce type de financement. Dans un rapport de décembre 2012, elle souligne qu’un « PPP initié pour des raisons budgétaires est risqué : il incite l’acheteur public à investir au delà de ce que lui permettent ses ressources ». Dès lors, le danger de lancer « des projets trop ambitieux » ou « de surpayer un investissement » devient important. Pour éviter aux organismes publics de se surendetter, un décret leur impose, depuis septembre 2012, de réaliser une étude pour prouver que leurs finances leur permettront de rembourser le partenaire privé. Pour justifier le recours au PPP plutôt qu’à un marché public, la loi de 2004 oblige les organismes publics à effectuer une évaluation préalable. Le partenariat ne peut être conclu qu’à condition de répondre à un de ces trois critères : l’urgence, la complexité ou l’avantage financier. Celui-ci, le seul qui vise à une meilleure utilisation de l’argent public,

n’est pas obligatoire. Même si le bilan financier est défavorable, le partenariat peut être mis en place uniquement en invoquant l’un des deux autres critères. Soit celui de complexité : l’utilisateur n’est pas en mesure de définir seul et à l’avance les moyens techniques et juridiques pour lancer la construction. Soit celui de l’urgence : sans l’aide d’un PPP, il y aurait un retard particulièrement grave et préjudiciable à l’intérêt général. Ces deux derniers critères peuvent être invoqués même si les finances de l’organisme public sont au plus bas.En ces temps d’austérité, n’est-il pas normal d’exiger des organismes publics d’être raisonnables ?

coralie baumard

et thibault le berre

partenariat public/privé

mariage d’intérêtspour financer la construction d’édifices dédiés à la culture, l’état fait parfois appel à des entreprises privées. une collaboration qui peut paraître alléchante mais qui n’est pas sans risques.

à Perpignan, le théâtre de l’Archipel a été le premier établissement culturel financé par un partenariat public/privé.

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Léonard de VinciNé à Vinci en 1452, Leonardo di ser Piero

est à la fois ingénieur, anatomiste, peintre, sculpteur, architecte, urba-

niste, botaniste, musicien, poète, philosophe, écrivain. Artiste

total, il fut le premier en france à recevoir une pension

annuelle pour se consacrer uniquement à la création.

La rumeur prétend que c’est un lion méca-nique, dont le ventre crache des fleurs de lys, imaginé par Léonard De Vinci, qui aurait sé-duit François 1er. Mais contrairement aux princes italiens qui étaient jusque-là les pro-tecteurs du Florentin, ce n’est pas la méca-nique qui intéresse le jeune roi, mais l’art. Ex-trêmement sensible à la Renaissance italienne, il souhaite la faire connaître en France. Il invite donc le génie italien à résider au manoir du Cloux, l’actuel Clos-Lucé, près d’Amboise, et fait de lui son « premier peintre, architecte et ingénieur ». L’artiste apporte dans ses bagages trois œuvres majeures : La Joconde, Saint Jean-Baptiste et La Vierge, l’enfant Jésus et sainte Anne. Des siècles plus tard, ces tableaux feront partie de la richesse culturelle française et participeront à son rayonnement.Léonard de Vinci apporte donc un air d’Italie dans le royaume et reçoit, pour cette mission, une pension annuelle de 1 000 écus d’or en plus du paiement de ses œuvres : des commandes d’état avant l’heure. François 1er ne se contente pas d’importer et de copier la Renaissance italienne. Son ambition : hisser l’art français à son sommet et supplanter l’art transalpin. Ce qui ne peut, à ses yeux, que renforcer le prestige de la monarchie et de son règne. Jusque là, les œuvres étaient surtout inspirées

par les textes religieux. Avec la Renaissance, elles s’en affranchis-

sent. Les toiles entremêlent influence antique gréco-latine

et glorification de la monarchie. Les théma-tiques sont souvent mythologiques, les scènes beaucoup plus réalistes et le corps prend toute sa place. Là aussi on sent l’influence de Léonard de Vinci et de tous ses travaux sur l’anatomie humaine. Les artistes ne peignent plus pour Dieu, mais pour un homme : le roi. Le court séjour de Léonard De Vinci à Amboise marque ainsi une rupture dans la tradition culturelle française. Par la suite, François 1er fera venir à lui d’autres artistes italiens comme Benvenuto Cellini ou Rosso, avec lesquels il entretiendra des liens privilégiés. Le souverain imposera également sa marque dans le domaine de l’architecture, avec la mise en chantier de nombreux châ-teaux (dont celui de Romorantin dessiné par Léonard de Vinci). En 1537, il mettra en place le dépôt légal, permettant à la Bibliothèque nationale de recevoir une copie de tous les do-cuments édités et diffusés, dans une perspec-tive de conservation et de communication. Et en 1539, l’ordonnance de Villers-Cotterêts fera du français la langue officielle du pays. Ainsi, les trois petites années de présence en Touraine de Léonard De Vinci ont marqué l’essor d’un formidable mouvement culturel dans notre pays qui étendra son influence dans toute l’Europe. L’ingérence progressive dans le domaine de l’art de l’Etat français et ses financements publics a permis la mise en place de l’exception culturelle à la française.

Léa bouquerot

L’art au service de La couronne La Venue de Léonard de Vinci à amboise, en 1516, à La demande de François 1er, a marqué Les débuts des Financements pubLics de La cuLture en France.

Un homme trompé par des Tsiganes. à certaines périodes de sa vie, Léonard de Vinci s’est plus intéressé au dessin anatomique qu’à la peinture.

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Né en 1494 de l’union de Charles d’An-

goulême et de Louise de Savoie,

il devient roi de France le 25

janvier 1515. Il fut surnommé

le “Père et Restaurateur

des Lettres”.

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Ihistoire

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qu(art)ierAnimer lA ville pAr l’Art, c’est lA mission du pôle des Arts urbAins de sAint-pierre-

des-corps. une Approche originAle de l’urbAnisme qui refuse que l’Art se limite à son support. trAnsformer le visAge des rues pAr des œuvres ou des spectAcles éphémères

permet de rApprocher les hAbitAnts et de lAncer de jeunes Artistes.

Le Bocal

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« Une  des  manières  de  faire de  l’urbanisme  autrement, 

c’est de travailler par  l’art », explique avec conviction Pascal Ferren. Après des  études  en  philosophie,  le  jeune homme s’est tourné vers l’urbanisme. Aujourd’hui, il est chargé de projet au pOlau,  ou  Pôle  des  arts  urbains,  un collectif  qui  se  définit  comme  « un centre de  recherche et d’expérimen-tation  sur  les  arts  et  la  ville ».  Le concept est unique en France. « Bâtir une ville ne se limite pas à la construc-tion  de  bâtiments,  poursuit  Pascal, c’est  aussi  animer  le  territoire,  le rendre festif et créer des symboles à des endroits où les habitants peuvent se reconnaître. L’art permet d’appré-hender  les  dimensions  sensibles  et imaginaires de l’espace urbain. »C’est  dans  la  zone  d’activités  des Grands-Mortiers, à Saint-Pierre-des-Corps, que se trouve le pOlau, perdu au milieu de grands entrepôts tristes. L’ancien hangar industriel est vétuste, il  y  fait  froid  mais  des  travaux  devraient  débuter  sous  peu.  Car  l’agglomération de Tours a décidé de financer  la  rénovation  des  locaux. Depuis  2007,  le  pOlau  mène  des études  d’aménagement  du  territoire d’un  genre  particulier.  Là  où  des  urbanistes  « classiques »  travaillent en  général  sur  plan,  le  pOlau  s’applique à ressentir la ville de l’inté-rieur,  à  comprendre  ses  habitants. Son  but ?  Proposer  un  projet  artis-

tique  qui  s’adapte  à  l’environnement urbain. Et le concept marche, puisque le pOlau a été lauréat du palmarès des Jeunes Urbanistes en 2010.À l’intérieur du bâtiment grisâtre, on découvre une véritable caverne d’Ali Baba  dans  laquelle  Pascal  joue  les guides.  Une  partie  de  l’entrepôt  est réservée  aux  artistes  en  résidence. « Ici, ils ont de l’espace pour créer et réaliser  leurs  projets.  Ils  disposent d’un  atelier  de  construction,  d’une salle de répétition et d’une cafétéria. Nous avons aussi deux appartements qui peuvent accueillir une dizaine de personnes.  Nous  recevons  jusqu’à quinze compagnies ou collectifs par an. »  Derrière  une  porte,  les  cos-tumes de la Compagnie off – qui par-tage les locaux du pOlau – sont stoc-kés  dans  des  containers.  Ils  sont prêts à être envoyés au Japon où va se produire la troupe d’arts de rue. Plus loin, de vieux sièges de cinéma sont adossés aux étagères de  l’ancien en-trepôt. Ils serviront sans doute pour de  prochaines  mises  en  scène.  En haut  d’un  escalier,  des  triporteurs aux  pneus  dégonflés  attendent,  eux 

aussi,  d’avoir  une  seconde  vie.  En partenariat avec l’agglomération tou-rangelle, le pOlau organise des spec-tacles,  des  expositions,  des  confé-rences et même son propre festival : La ville à l’état  gazeux. 

L’œuvre comme instrument d’une réconciLiation urbaineLe collectif  travaille également pour des sociétés privés comme la chaîne Carrefour, qui a  fait appel au pOlau pour  l’aménagement  d’un  rond-point. Leur travail consiste principa-lement  à  trouver  comment  intégrer de  l’art  à  un  endroit,  il  faut  le  dire, peu  propice  à  l’exercice,  puis  de  proposer des artistes pour mener  le projet à bien.Sous  l’autoroute  qui  sépare  Saint-Pierre-des-Corps  de  Tours,  un  des piliers a été peint en rouge et blanc. Le Point zéro,  inauguré  en  2009,  est l’un  des  projets  les  plus  visibles  du pOlau.  Cette  énorme  balise  a  été  réalisée  par  l’Agence  nationale  de psychanalyse  urbaine,  l’ANPU.  Les rapports  entre  Tours  et  Saint-Pierre ont  toujours  été  compliqués.  Les 

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deux  villes  sont  côte  à  côte  mais  se tournent le dos. Depuis sa fondation en  2000,  l’agglomération  de  Tour(s) plus a instauré de nombreux partena-riats  culturels.  Aucun,  pourtant,  ne relie  ces  deux  villes.  Les  artistes  de l’ANPU ont donc  identifié, non sans humour,  Le Point zéro  comme  « le lieu névrostratégique qui bloque dans l’agglomération  tourangelle ».  Ce  pilier  symbolique  se  veut  l’instru-ment  d’une  réconciliation  urbaine. Ce projet est une initiative artistique, certes,  mais  surtout  une  étude  pro-fonde  de  la  psychologie  de  la  ville. « On essaie de  faire réfléchir grâce à l’art, explique Pascal Ferren. On tra-vaille notamment avec Citeres (CItés, TERritoires,  Environnement  et  So-ciétés,  NDLR),  le  centre  de  recherche sur la ville à Tours, qui est l’un  des  plus  grands  laboratoires  d’urbanisme en France. »En octobre 2012, le pOlau a organisé Jour inondable, une expérience artis-tique originale, menée à l’occasion de la révision du plan de prévention des risques d’inondation (PPRI) de Tours. Que se passerait-il si les digues de la 

Loire  venaient  à  céder ?  Avec  la  compagnie de théâtre marseillaise La folie  kilomètre,  le  pOlau  a  mis  les  habitants  de  Tours  en  situation. Après  une  expédition  urbaine  de vingt-quatre  heures,  encadrée  par des comédiens, les sinistrés d’un jour ont finalement passé la nuit dans un gymnase, sur des lits de camp prêtés par  la  protection  civile.  Pour  mêler art  et  urbanisme  autour  de  cette  manifestation,  des  professionnels  de tout bord ont été mis à contribution. 

En  guise  de  repas,  un  artiste  plasti-cien  cuisinier  avait  concocté  un « pique-nique  phréatique ».  Il  précé-dait  la  présentation  du  PPRI  par  le service d’urbanisme de  la ville et  les conférences  données  par  des  assu-reurs,  des  hydrologues  ou  des  cher-cheurs en cartographie.Pour le pOlau, l’art sert aussi à désen-claver  les  quartiers.  Une  autre  manière de faire de l’urbanisme,  selon Pascal Ferren. Depuis 2010, le collec-tif soutient le projet Sanitas en objets, une idée lancée par Nicolas Simarik, l’année  précédente.  L’artiste  plasti-cien  crée  avec  les  habitants  de  ce quartier  sensible  des  objets  inspirés de  leur  environnement  urbain.  Ensemble,  ils  imaginent  puis  commercialisent  la  Sanitasse,  une tasse  noire  qui,  au  contact  d’un  liquide  chaud,  révèle  une  image  des immeubles  du  quartier.  La  nouvelle idée de l’atelier du Sanitas en objets : créer  des  flashcodes  en  mosaïques, les  afficher  sur  les  immeubles  envi-ronnants  pour  fournir  des  informa-tions en temps réel sur la vie du quar-tier.  L’idée  a  séduit  le  bailleur  social Tours  habitat  qui  pense  en  installer sur ses parkings à vélo.

des ateLiers qui permettent de créer des objets et des LiensMarie-Danielle  habite  le  Sanitas. Cette travailleuse sociale au chômage participe aux ateliers depuis trois ans. Elle est là tous les mercredis. « Ça m’a permis  de  créer  des  liens  avec  des gens que je n’aurais jamais rencontrés autrement. L’art m’intéresse mais  j’ai surtout  l’impression  d’agir  pour  le quartier. »  Devant  le  succès  de  la  Sanitasse  ou  du  Sanipluie,  un  para-pluie commercialisé par le Sanitas en objets, la ville de Tours leur a deman-dé d’aménager un jardin du quartier. Le pOlau, Nicolas Simarik et les habi-

Tape Riot, par la compagnie As-phaltpiloten, est une œuvre de Gé-raldine Tronca. Elle mêle chorégra-phies et art urbain afin de surprendre les passants. Le Point zéro marque la zone de blocage entre Tours et Saint-Pierre. Une initia-tive du pOlau pour les réconci-lier par l’art.

Nicolas Simarik, un artiste plasti-cien à l’origine du projet Le Sanitas en objets, se met en scène dans le quartier.

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 venir égayer la promenade des déte-nus  de  la  maison  d’arrêt  de  Tours. Afin  de  célébrer  l’arrivée  du  tram-way, il est également question d’ins-taller  pendant   environ  un  an  une fresque  géante  place  Jean-Jaurès, près de la mairie. Faire pénétrer l’art urbain dans un endroit aussi central de la ville serait une première à Tours et  l’occasion  de  se  faire  connaître pour des artistes émergents.

Coralie Baumard, marion de

azvedo, Camille drouet, Stéphanie

Freire et marine valèS

nir  les  actions  artistiques  dans  les quartiers ».  La  ville  fait  déjà  appel  à des  artistes  pour  transformer  le  visage urbain, notamment au Bocal, un collectif implanté dans le quartier des 2-Lions.  « L’objectif  est de créer une  vitrine  pour  la  culture  urbaine en  région  Centre »,  explique  Faiçal  Ismail,  son  chargé  de  projet.  En  accord  avec  la  mairie,  l’association  retire  les  tags  sauvages  et  les  remplace par des  fresques. « Pour  le ravalement  de  façade,  nous   faisons appel  à  des  apprentis  de  divers  sec-teurs  du  bâtiment,  mais  aussi  à  des jeunes condamnés à des travaux d’in-térêt  général.  Les  fresques  sont  en-suite réalisées par des graffeurs pro-fessionnels. »  Récemment,  ils  ont donné  un  coup  de  jeune  à  un  bâti-ment  de  la  SNCF,  autrefois  couvert de tags (photo d’ouverture). Dans les prochains  mois,  leurs  graffs  vont 

tants  ont  décidé  de  mêler  réflexion sur  l’immigration  et  urbanisme.  Les mercredis  matins  durant  plusieurs mois, ils ont débattu, puis dessiné et taillé de grandes silhouettes d’oiseaux migrateurs en bois. Elles seront bien-tôt installées dans l’herbe, au côté du mobilier urbain, lui aussi né dans les ateliers du quartier. 

une vitrine pour Le street artNicolas  Simarik  considère  la  situa-tion géographique du projet comme un atout supplémentaire. « On est au cœur  d’un  environnement  créatif  extrêmement  riche  et  varié.  Ce  qui butte  encore,  c’est  la  confiance  et  l’engagement des élus qu’il faut moti-ver continuellement. Certaines villes sont plus réactives mais c’est aussi le défi de Tours. » Pour Colette Girard, adjointe à la culture de Tours, « il est important de développer et de soute-

À partir du 1er septembre, tous les trams mèneront à la culture.

Colette Girard, adjointe à la culture de Tours, attend avec

impatience l’arrivée des rames. Cette année sous le signe du tram-

way, c’est d’abord « la possibilité pour tous d’avoir facilement accès

aux structures culturelles ». Grâce à cette ligne Nord/Sud,

les 40 000 habitants du nord de Tours et les 37 000 de Joué-lès-

Tours afflueront principalement vers les structures desservies au

centre. Les lieux culturels concer-nés : l’opéra, le nouvel olympia, le

cinéma CGR, le Vinci, mais aussi le Temps machine à Joué. L’élue assure que « des projets visent à homogénéiser la répartition

des lieux culturels le long de la ligne ». Le Tramway passera par le

quartier du Sanitas, où la créa-tion d’une salle d’exposition est

prévue. L’agglomération souhaite développer le Nord avec, pour

commencer, un cinéma. Le quar-tier des 2-Lions, au sud, et ses 5000

étudiants ne seront pas oubliés : « Pourquoi pas avec le centre

chorégraphique à venir », lance l’adjointe. Quelques bémols cepen-

dant : le prix (1,50 euro par trajet) et les horaires (le dernier tram

à 1 heure). Enfin, le raccord de Saint-Pierre-des-Corps au centre de Tours reste un sujet épineux :

pour le moment, la deuxième ligne n’est pas à l’ordre du jour.

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Que se passerait-il en cas de crue de la Loire ? Les fils tendus représentent le niveau de l’eau en cas d’inondation, une animation proposée par le pOlau en octobre 2012.

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n terrain désert, une brise légère, des broussailles qui roulent dans la poussière, une musique d’Ennio Morri cone… On se croirait dans un western.

En réalité, nous sommes sur une par-celle désaffectée de la zone indus-trielle de Tours Nord. Parcelle que se disputent deux frères ennemis et un troisième larron. C’est en effet ici qu’est prévue l’implantation d’un nouveau multiplexe qui doit ouvrir ses portes en 2015. La ville a annoncé son intention d’en confier la construc-tion au groupe savoyard Davoine- Ciné Alpes. Le projet n’attend qu’une dernière autorisation pour être offi-ciel, celle de la commission départe-mentale d’aménagement commercial (CDAC). Pour Jean Germain, le maire de Tours, ces nouvelles salles n’auraient d’autre but que de « propo-ser une programmation complémen-taire à celle existante ». Mais elles ris-quent de rompre un fragile équilibre.

Un noUveaU venU qUi dérangeLa ville de Tours compte 27 salles, réparties entre les deux CGR (le pre-mier en centre ville, le second dans le quartier des 2 Lions) et le Studio. Jusqu’à présent, la cohabitation est plutôt bonne. Le groupe CGR dis-pose de 20 salles et programme des films grand public. Le Studio se démarque en misant sur une pro-grammation de cinéma d’auteur, de nombreux films jeune public et l’or-ganisation d’événements (festivals,

tables rondes,etc.). Une recette qui marche. L’établissement est l’un des premiers complexes art et d’essai de France. Son directeur, Philippe Le-coq, revendique cette différence : « Nous essayons de soutenir toute la production cinématographique indé-pendante. Notre programmation est un acte militant. »Des tensions existent cependant. « En se développant, les multiplexes gri-gnotent nos programmations. De-puis peu, le CGR Centre diffuse même des films en VO », explique Philippe Lecoq. Les multiplexes sont de plus en plus nombreux : en 2011, on en comptait 176 qui engrangeaient 60  % des entrées, contre 111 en 2003. D’ordinaire, ils se contentent de blockbusters au scé-nario grand public et au budget impor-tant. Mais des films d’art et d’essai por-teurs, comme Mö-bius ou Django Unchai ned, dépas-sent le million d’entrées. Les multi-plexes tentent donc de se les appro-prier. Au grand dam des cinémas indépendants qui misent sur ces films-là pour financer le reste d’une programmation moins rentable. Au Studio, ils représentent 38 % des re-cettes. Dans ce contexte, la venue d’un troisième multiplexe risque d’ac-centuer la concurrence. D’autant que

le groupe Davoine s’est contenté de promettre qu’il ne diffuserait pas des films d’art et d’essai « traditionnels ». Ce qui ne rassure pas Philippe Perol, président de l’association du Studio. « Cela va compliquer l’alimentation en films. Un distributeur n’aura pas forcément envie de diffuser ses œuvres dans quatre cinémas touran-geaux », expli quait-il, le 9 janvier der-nier, à La Nouvelle République. De son côté, Jocelyn Bouyssy, direc-teur des CGR, craint pour la survie de ses salles du centre ville « défici-taires depuis quelques années » et souhaiterait que l’expoitation des nouvelles salles lui soient confiées. Le

Studio a, lui, un vrai projet : la création d’un pôle culturel de l’image.Les deux idées ont été rejetées par la mairie. Les cinémas tourangeaux doi-vent donc s’en remettre à la CDAC qui autorisera, ou non, la construction

du multiplexe. Si toutefois la décision ne leur convenait pas, le CGR et le Studio sont prêts à aller frapper à la porte de la Commission nationale de l’aménagement commercial. De quoi mettre des bâtons dans les roues du scénario bien huilé d’un maire bien-tôt en campagne.

Raphaelle Besançon

et léa DRouelle

guerredes toilesÀ Tours, deux groupes se parTagenT l’affiche… pour le momenT.

Un distributeur n’aura pas forcément

envie de diffuser ses œuvres dans quatre

cinémas tourangeaux

Le CGR Centre, situé près de la gare, est l’un des 3 cinémas tourangeaux.

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Les intermittents du spectacle sont précaires.Vrai Un intermittent est un artiste ou un technicien qui travaille, comme son nom l’indique, par intermittence. Il alterne donc des périodes d’emploi et de chômage. Pour toucher une allocation, un intermittent doit déclarer au moins cinq cent sept heures de travail, sur dix mois et demi s’il est artiste, sur dix mois s’il est technicien. L’Unedic ne comptabilise que les heures pour lesquelles l’intermittent est rému-

néré. Mais cela ne veut pas dire qu’il est inactif le reste du temps. Dans le cadre d’une pièce de théâtre ou d’un ballet, par exemple, l’écriture du texte ou la création de la chorégra-phie, la préparation de la mise en scène, les répétitions, les entraîne-ments physiques ne sont que partiellement – voire pas du tout – comp tabilisés dans le temps de travail, sauf pour les grosses compagnies. Pour un spectacle d’une

heure, parfois destiné à une seule représentation ou à une semaine de scène, ces activités peuvent pourtant représenter plusieurs mois de travail. Si arriver aux cinq cent sept heures est difficile pour l’intermittent, s’y maintenir l’est tout autant car le calcul est compliqué. Il ne sait pas toujours bien où il en est. Il lui faut donc courir le cachet continuellement.

Avec 1,1 milliard d’euros de déficit, le régime des intermittents creuse

le trou de l’Unedic.Faux Il n’existe pas de caisse d’assurance chômage ni de statut réservés aux intermittents. Il y a seulement des règles spécifiques pour eux au sein de l’Unedic. Ces exceptions au règlement général sont inscrites dans les annexes 8 pour les techniciens et 10 pour les artistes. Dix annexes régissent tous les cas particuliers. La 1 gère les VRP, les

journalistes, les assistantes maternelles, etc. La 4 s’occupe des intérimaires. En adéquation avec le principe de solidarité interprofessionnelle, aucune de ces annexes ne peut être traitée comme une branche particulière. Cela dit, si on le faisait, on se rendrait compte que le déficit dû aux intérimaires est plus important que celui dû aux intermittents : 1,5 milliard d’euros contre 1 milliard en 20111. De plus,

le bilan global de l’Unedic n’est que très peu lié à ceux des annexes 8 et 10. Ainsi, en 2000, l’Unedic était excédentaire de 1,3 milliard d’euros quand les résultats des annexes 8 et 10 étaient déficitaires de 610 millions d’euros. En 2003, alors que l’Unedic était largement déficitaire2 – 4,3 milliards d’euros – le déficit des annexes 8 et 10 n’avait, lui, augmenté que de 300 millions d’euros. Les mauvais résultats de l’Unedic peuvent donc difficilement être imputés aux seuls intermittents du spectacle. C’est pourtant cette idée qui a conduit à la réforme de 2003. Le constat est encore plus évident ces dernières années. En 2008, le résultat consolidé net de l’Unedic affichait un excédent de 4,9 milliards d’euros, quand les résultats des annexes des intermittents étaient déficitaires de 1,02 milliard. Mais en 2011, ce déficit était réduit de 12 millions alors que l’Unedic devenait, elle, déficitaire de 1,4 milliard. Ce constat a amené l’administrateur du théâtre la Folle Pensée de Saint-Brieuc, Patrick Rabine, dans une contribution destinée au Sénat, à conclure : « La corrélation implicite que fait la Cour des comptes entre le résultat consolidé net de l’Unedic et le résultat analytique des annexes 8 et 10 n’est donc pas fondée. »

Le nombre d’intermittents est en hausse constante depuis la dernière réforme.Faux Dans les faits, depuis 2003, le nombre d’intermittents du spectacle tourne aux alentours de 100 000. La Cour des comptes prétend pourtant que leur nombre augmente pour

507 heures de statut précairedix ans après la réforme du régime des intermittents, les partenaires sociaux doivent renégocier leur assurance chômage avant la fin de l’année. l’occasion de revenir sur quelques idées reçues.

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justifier un durcissement du régime au moment de la nouvelle réforme fin 2013. Interrogé par la commis-sion d’enquête de l’Assemblée nationale, Mathieu Grégoire, chercheur au CNRS et spécialiste des questions salariales, démontre que le chiffre qui augmente est celui du nombre d’intermittents indemni-sés. Il est à mettre en relation avec ceux du chômage toutes catégories professionnelles confondues. Cela montre seulement que les intermit-tents ne sont pas à l’abri de la crise.

Le régime des intermittents est indispensable à la politique culturelle française.Vrai L’exemple de la Touline, une salle associative située à Azay-sur-Cher, est significatif : environ 70 intermittents y travaillent, pour 25 représentations annuelles. À la télévision, au cinéma, dans les festivals, les opéras, du chanteur au technicien lumière, les intermittents sont partout. Ce régime permet la professionnalisation des artistes et ne représente pas un investissement à perte. « On regarde ce que ça coûte sans s’intéresser aux retombées

économiques que génère l’industrie du spectacle, avec des événements comme le festival de Cannes ou celui d’Avignon par exemple », regrette sur la chaîne Public Sénat Marie-Christine Blandin, présidente de la Commission de la culture au Sénat. À titre d’exemple, en 2003, lors du mouvement des intermittents contre la réforme de leur régime, le festival d’Avignon a été annulé. La perte pour l’économie de la ville (restaurateurs, campings, commerces…) a alors été estimée à 23 millions d’euros.

Le régime d’assurance chômage des intermittents est une spécificité française.Vrai Le système d’indemnisation des intermittents, né en France en 1979 et complété en 1984, est unique. Aux états-Unis, ce sont les syndicats qui font la loi. Les comé-diens essaient de maîtriser les salaires et le marché de l’emploi grâce à ces organisations. Pour jouer dans un film appartenant aux grosses sociétés de production, il faut appartenir à un syndicat. Pour y entrer, il ne suffit pas de payer sa

cotisation, il faut être coopté. Très peu de comédiens y parviennent. Les syndiqués ont accès à de bons salaires, les autres ont besoin d’avoir un emploi alimentaire. L’Allemagne a mis en place un modèle de stabilisa-tion de l’emploi. Le pays essaie de donner un statut aux artistes et aux techniciens en les employant sur des durées relativement longues, de trois mois à un an. Alors qu’en France, un cachet d’une soirée peut être considéré comme un CDD.

Les indemnités journalières des stars ne sont pas plafonnées.Faux Tout d’abord, pour toucher des indemnités journalières, il faut être inscrit à Pôle Emploi. Il faudrait vérifier que les stars en question font les démarches pour s’inscrire. Ensuite, toutes les indemnités chômage sont plafonnées (même si le plafond est élevé). Les intermittents du spectacle ne font pas exception. Coralie Baumard, auriana langlois

et apolline laurent

(1) Les Échos, 28 juin 2012.(2) Unedic, Rapports financiers des années 2007 à 2011, site web FitchRating.

Le 8 juillet 2003, les intermittents du spectacle manifestaient dans les rues de Paris contre la réforme de leur régime.

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arole multiplie les manœuvres, d’avant en arrière, sur les côtés, en essayant de retenir la lourde porte battante, pour finir par entrer péniblement dans le ci-

néma. Cette étudiante en histoire de l’art est en fauteuil roulant depuis 1998 à cause d’une maladie dégéné-rative. Elle a testé pour nous l’acces-sibilité de deux établissements cultu-rels tourangeaux : le cinéma CGR du centre et le château de Tours.Après avoir traversé la cour en gra-vier du château, Carole se trouve face à une grande marche. Heureusement, le personnel de l’accueil l’aperçoit et installe une rampe amovible. Sou-riant et disponible, il lui ouvre la porte en grand. à la fois étudiante et handicapée, elle profite de l’entrée gratuite et commence la visite de l’ex-position.Au cinéma, c’est plus compliqué, le guichet pour payer l’entrée est trop haut. Elle choisit la réduction pour les étudiants, plus avantageuse de 30 centimes que le tarif handicapés. Le personnel est débordé et ne peut pas l’aider à ouvrir les différentes portes. Mais comme le bâtiment est de plain-pied, Carole accède à la salle en moins de cinq minutes. Elle se

hisse difficilement sur le siège rouge dont la banquette se relève. Le problème de l’accessibilité des lieux publics, notamment culturels, pour les personnes à mobilité ré-duite se pose depuis longtemps en France. à Tours, depuis les travaux du tramway débutés il y a deux ans, la ville a dégringolé à la 62e place au baromètre 2012 de l’Association des paralysés de France. « Nous étions bien mieux notés (17e rang en 2010, NDLR) avant que la ville ne se trans-forme en chantier », déplore Aurélie Mongis, chargée de mission culture et handicap à la mairie de Tours. La loi impose à tous les établissements recevant du public (ERP) de per-mettre l’accueil des personnes à mobilité réduite avant janvier 2015. « Les conditions d’accès aux per-sonnes handica-pées doivent être les mêmes que celles des autres publics ou, à dé-faut, présenter une qualité d’usage équivalente. »

Au château de Tours, Carole explore le rez-de-chaussée. Elle apprécie la visite mais déchante vite. L’expo-sition est sur trois étages et il n’y a pas d’ascenseur. En effet, certains bâtiments reçoivent des dérogations exceptionnelles à la loi, pour des mo-tifs de préservation du patrimoine architectural.Même si certaines activités sont dé-licates pour Carole, elle apprécie, quand elle le peut, de circuler sans aide. L’étudiante est lucide quant à l’obligation d’une mise aux normes : « On n’y arrivera pas pour 2015. » Mais elle reconnaît que, depuis dix ans, de gros progrès ont été faits.

Vincent touVeneau

LibreaccèsQuoi de plus simple Que de pousser la porte d’un cinéma ? ce geste anodin peut devenir très compliQué lorsQu’on est en fauteuil

roulant. nous en avons fait l’essai.

• personnel souriant et disponible• rampe amovible à disposition• entrée gratuite

• cour en gravier • étages inaccessibles faute  d’ascenseur.

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• Bâtiment de plain-pied.• circulation facile dans les couloirs et les salles

• portes des toilettes et des salles très lourdes• personnel peu disponible• guichet trop haut.

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pRATIQUELe caLvaire du caLder

Les étudiants de l’IUT de Tours passent devant tous les jours, mais peu connaissent l’histoire de cette grande structure noire. Et pourtant, ils côtoient quotidiennement un stabile (structure fixe, en opposition à mobile) d’Alexandre Calder, grand sculpteur et peintre américain. L’IUT a acquis cette œuvre en 1973, au titre du « 1% culturel ». En 1997, il prête pour trois ans, la sculpture à la ville de Tours. Mais à la date d’échéance, le maire refuse de la restituer. Une pétition est même lancée pour que le stabile reste dans le centre ville. En réponse, le personnel de l’université crée une association pour défendre les intérêts de l’IUT. Après de vives discussions et la menace de porter plainte contre la mairie, l’institut a finalement récupéré son Calder en avril 2002. Je préfère parler de tradition culturelle française

plutôt que d’exception, et je dois plus à Marivaux et Molière qu’à une quelconque décision politique »

Guy Bedos

Le recycLage au service de La LittératureQue faire des cabines téléphoniques devenues inutiles ? On peut les trans-former en bibliothèque de rue avec concept simple : déposez un livre, prenez un livre, lisez un livre. C’est ce que propose BücherboXX/Biblio-boXX, un projet franco-allemand. Partie de Berlin, l’idée a été reprise par Régina Lecointe, secrétaire gé-nérale de la Maison de l’Europe des Yvelines. Elle en a fait un vrai projet culturel et pédagogique en parte-nariat avec l’académie de Versailles. L’objectif : familiariser les jeunes avec le recyclage et les pousser vers la lec-ture. Une idée qui intéresse déjà aux quatre coins de France et pourrait même s’étendre au reste de l’Europe.

Bonsplanscitationslesaviezvous?agenda

Vous êtes en vacances et vous n’avez pas eu le temps de passer dans un office de tourisme : l’appli-cation Monument Tracker (photo) propose, au cœur de dizaines de villes, de vous instruire sans effort.

Un Indiana Jones urbain vous contera l’histoire et les secrets de la cités que vous visitez .Le site Club innovation et culture France recense 182 applications mo-biles pour les musées et la culture

en général. Elles sont accessibles sur iPhone, iPad, Android et Windows Phone. Nombre d’entre elles sont gratuites et cer-taines font même audioguide pour les visites dans les musées.

LE sAvIEz-voUs ?

Je suis un non-violent : quand

j’entends parler de revolver, je sors ma culture. »

Francis Blanche d. R

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• Gallica est la bibliothèque numé-rique de la BNF. C’est l’une des plus importantes sur Internet et elle est en accès gratuit http://gallica.bnf.fr• L’archiviste en ligne répertorie les films américains tombés dans le domaine public et les met en libre téléchargement http://www.archive.org• Les surgissantes explorent les arts par le Net et proposent une recher-che par auteurs, par themes, etc. http://www.surgissantes.com• La revue Mouvement a un site sur lequel on parle, évidemment, de Culture. http://www.mouvement.fr

Vendredi 14 juin à 21 heures Spectacle en plein air, (chansons pop-rock) à La Touline (salle de concert troglodytique).Du 8 au 26 juin 7e édition de L’Univers de la création, Créateur de rêve, au château du Clos-Lucé à Amboise (photo).Du 9 juin au 30 août 2013Exposition Les Pussifolies, Concours et salon des grands formats, à Pussigny (Indre-et-Loire).Jusqu’au 30 juin 2013Exposition au centre photographique d’Île-de-France : Quel travail ?! Manières de faire, manières de voir.12 au 14 juillet 2013Festival Terres du Son à Monts.26 juillet au 14 août 201336e édition du festival Jazz in Marciac.

cuLture du cœurPermettre à tous un accès égal au sport, à la culture et aux loisirs, tel est l’objectif de Culture du cœur. Fondée il y a quinze ans, l’association compte aujourd’hui une cinquantaine d’antennes départementales ou régionales. Son action principale consiste à collecter des places de spectacle, de cinéma, etc., et de les redistribuer à des personnes en situation d’exclusion. La gratuité permet parfois aux bénéficiaires de découvrir des endroits comme l’opéra où ils ne s’imaginaient pas un jour mettre les pieds. Ces sorties culturelles leur permettent également de tisser un lien social et d’ouvrir leurs horizons.

Je suis ambitieuse pour l’humanité : je voudrais que tout le monde fût artiste,

assez poète pour que la vanité humaine disparût » louise Michel

Toute culture naît du mélange, de la rencontre, des chocs.

à l’inverse, c’est de l’isolement que meurent les civilisations. »

octavio Paz

Un livre qui raconte la culture graffiti, longtemps ignorée des médias.

• Les nouveaux enjeux des politiques culturelles. Guy Saez, Jean-Pierre Saez, La Découverte 2012.• Street-art et graffiti, Anna Waclawek, Thames&Hudson, 2011.• Culture état d’urgence, Olivier Poivre d’Arvor, Tchou, 2012.• Le petit livre rouge de la culture, Christophe Girard, Flammarion, 2012.• Pour une autre politique culturelle,Georges Bertin et Danielle Rauzy, L’Harmattan 2012.• Louvre-Lens, l’album 2013 : la galerie du temps, Xavier Dectot, Jean-

LucMartinez, Vin-cent Pomarède,

c o - é d i t i o n L o u v r e -Lens/Somo-gy, 2013.• La poli-

tique cultu-relle, (photo)

Vincent Dubois, Belin 2012.

LIvREs

AgEndA L’histoire de L’art sur Le webLes artistes témoignent des évolutions sociales et culturelles de leur époque. Le site www.histoire-image.org analyse des œuvres d’art et des documents iconographiques pour retracer l’histoire entre 1643 et 1945. Celles-ci ne renvoient pas seu-lement à des événements marquants, mais révèlent aussi ce qui anime la société d’une époque, ses motiva-tions, ses mœurs, ses craintes ou ses engouements. Les textes descriptifs sont accompa-gnées d’un commentaire sonore, qui permet une plus grande accessibilité. L’interactivité permet de mieux cerner le sujet de l’œuvre et l’inten-tion de l’artiste.

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Ipratique

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Ibillet

« La culture, c’est comme l’amour. Il faut  y  aller  à  petits  coups  au  début pour  bien  en  jouir  plus  tard. »  Sans le  savoir,  Pierre  Desproges  résume bien  l’esprit  de  la  loi  dite  du  « 1  % artistique » ou « 1 % décoratif ». Elle prévoit  que  1  %  du  coût  total  de construction  ou  d’extension  d’un édifice public soit dédié à la création ou  à  l’acquisition  d’une  œuvre spécialement conçue pour lui. L’idée  naît  sous  le  Front  populaire puis  se  concrétise  en  1951.  Au départ,  elle  ne  concerne  que l’éducation  nationale.  La  loi  a  alors pour  but  de  soutenir  les  artistes, d’enrichir le patrimoine et de mettre les  enfants  en  contact  avec  une œuvre  d’art.  C’est  pourquoi  l’école de  Cateau-Cambrésis  (59)  s’est  vue ornée  d’un  vitrail  signé  Matisse.  Et que  les  élèves  de  l’école  Jacques-Brel  à  Soudan  (44)  s’abritent  sous un préau en forme de chaise géante. D’autres  établissements  ont  été gratifiés  d’œuvres  plus  improbables. à se demander si elles ne sont pas à l’origine du décrochage scolaire.

En 2002 et 2005,  la  loi est révisée et simplifiée. Le texte s’impose à tous les  ministères,  y  compris  ceux  de la  Défense  et  de  l’Intérieur.  S’il  est un  endroit  où  l’on  ne  transige  pas avec  les  consignes,  les  directives  et les  ordres,  c’est  bien  dans  ces  deux institutions.  Celles-ci  s’emparent donc de la loi et font les choses bien, au carré, quoi. 

Pour  la  Défense,  c’est  Michèle Alliot-Marie  qui,  en  2005,  est  à  la manœuvre.  Peut-être  s’est-elle  rap-pelée  les mots de Clémenceau : « La guerre est une chose trop grave pour être confiée à des militaires » ? Alors, 

imaginez  la  culture…  En  bon  petit soldat,  MAM  s’inspire  fortement d’un arrêté signé en 2003 par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, pour  préciser,  jusqu’à  l’absurde,  le champ  d’application  du  « 1  %  artis-tique ».  Le  nouvel  arrêté  désigne  la douzaine de bâtiments « qui ne justi-fient pas la présence d’une réalisation artistique », notamment ceux « situés dans des champs, zones ou stands de tir ». On s’en serait douté.

L’interdiction  ne  s’arrête  pas  là. Aucune  œuvre  d’art  ne  fusionnera avec  les  centrales  nucléaires. 

Pourtant,  Little Boy  de  Peter  Keene aurait toute sa place à La Hague ou à Fessenheim. Cette œuvre représente la  bombe  A  larguée  sur  Hiroshima. Cinq  cents  ampoules  s’allument brutalement  lorsque  l’on appuie  sur un bouton. Les dépôts de munitions sont  blacklistés ?  Dommage,  ils auraient parfaitement à Vhils (de son vrai nom Alexandre Farto), artiste de 

street  art,  qui  travaille  à  l’explosif pour  graver  des  portraits  sur  les murs.

Le  ministère  de  l’Intérieur  exclut également  « les  locaux  à  usage  de vestiaires ». Pourtant, rehausser d’un trait de génie artistique ces coulisses de commissariats, ces lieux sombres, métalliques,  qui  sentent  la  sueur  et suintent  la  peur*,  ne  contribuerait-il pas à raviver la flamme ? Car c’est bien  connu,  quand  on  n’a  pas  de culture, on s’écrase.

En  soixante-deux ans d’existence, ce sont plus de 4 000 artistes retenus 

et près de 12 500 œuvres financées. Mais dès qu’il s’agit d’art, la critique n’est  pas  loin.  En  raison  de  son origine  administrative  et  de  son caractère  obligatoire,  le  sociologue Yves Aguilar taxe le dispositif « d’art de fonctionnaires ». Et puis,  il plane toujours  le  doute  du  favoritisme dans  l’attribution  des  marchés.  Des jaloux ?  Peut-être.  Mais  la  rumeur se base sur un fait : 206 commandes ont  été  passées  à  seulement  quatre artistes et quarante autres créateurs revendiquent  chacun  plus  de  25 réalisations.  De  l’art  copain  comme cochon, en somme.

PhiliPPe Ridou(*) Une enquête de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) de 2009 recense 32,4 suicides pour 100 000 agents de police, soit 36 % de plus que dans le reste de la population.

L’esthète au CarréQuand la défense s’empare du 1 % artistiQue, ça ne rigole pas. disparu, l’esprit libre de l’artiste. le front populaire avait fait entrer matisse en milieu scolaire. aujourd’hui, l’art est inter-dit de vestiaire.

« la guerre est une chose trop 

grave pour être confiée à 

des militaires. » Alors, imaginez la 

culture…

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