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Adam Tooze, Le salaire de la destruction : formation et ruine de l'économie nazie, Paris, Les Belles Lettres, coll. Histoire, 2012, 900 pages, 29,50€. Unanimement reconnu à l'étranger, Le salaire de la destruction propose à la fois l'histoire la plus aboutie de l'économie nazie et une lecture neuve de la Seconde Guerre mondiale. Entretien avec son auteur, Adam Tooze, professeur d'histoire à l'Université de Yale. L'Allemagne a été très durement touchée par le Krach de 1929. Comment l'économie allemande se portait-elle avant la guerre et comment s'y est-elle préparée ? Adam Tooze L'Allemagne a été effectivement très durement touchée par la Grande Dépression. Avec les États-Unis, son économie a subi le coup le plus rude parmi tous les pays du monde. Six millions de personnes étaient au chômage lors de l'hiver 1931-32, par exemple. Durant les neuf années suivantes, l'Allemagne connaît un spectaculaire rétablissement. Le régime hitlérien mène à bien un grand nombre de projets créateurs d'emplois, notamment la construction d'autoroutes. Cependant, comme je le montre dans le livre, le réarmement demeure la priorité absolue, et ce depuis 1933-1934, soit les toutes premières années du régime. Les millions de travailleurs sans emploi et les usines, sous- exploitées, sont mobilisés pour les besoins de l'armée, dans ce qui apparaît comme le plus grand transfert de ressources jamais réalisé en temps de paix par une société capitaliste. La seule société qui s’engagea dans une mobilisation encore plus spectaculaire que l’Allemagne nazie fut l’Union Soviétique de Staline. Ce processus nécessita à la fois une réallocation des ressources existantes et la mise en place de nouveaux investissements, notamment dans le capital humain (aptitudes, compétences, etc.). Le célèbre système allemand d’apprentissage et de formation professionnelle est ainsi né avec le boom du secteur de l’armement durant les années 30. Par conséquent, l’économie du pays était prête à la guerre en 1939, ce qui n’était pas le cas en 1914. Mais malgré ces efforts, l’opinion des experts, allemands comme étrangers, mettait en avant la dangerosité de sa position économique au début de la guerre, ce pour trois raisons principales. Premièrement, en conséquence du gigantesque effort déjà réalisé depuis 1933, les réserves disponibles pour une prochaine mobilisation, par exemple celle de la main- d’œuvre féminine, s’avéraient comparativement limitées. Comme je le montre pour la première fois dans ce livre, l’Allemagne, au début de la guerre et à cause de la priorité à donner à l’exportation, freina par ailleurs sa politique industrielle en matière d’armement, faisant machine arrière par rapport à l’effort important fait en 1938 lors de la crise des Sudètes. Plus fondamentalement, la position allemande s’avérait dangereuse en 1939 pour la même raison qu’en 1914 : le pays manquait de matières premières et énergétiques, indispensables à la bonne santé de toute économie moderne. L’Allemagne manquait de métaux non-ferreux, de pétrole, de caoutchouc, autant de manques constituant de très sérieuses contraintes dans n’importe quelle guerre de longue durée. Troisièmement, nous sous-estimons trop facilement les ressources économiques de la coalition opposée à l’Allemagne. Les empires français et britanniques disposaient de gigantesques ressources financières et d’un important réservoir de main-d’œuvre. Leurs rapports étroits avec les États-Unis allaient être décisifs après 1939, comme ce fut le cas après 1914. Une somme considérable de capitaux est nécessaire pour porter la guerre sur des théâtres d'opérations continentaux, et avant cela réarmer un pays entier. Pourriez-vous nous expliquer comment l'Allemagne nazie finançait toutes ces dépenses ? A.T. Pendant la crise financière et monétaire de l'été 1931, à partir du mois de juillet,

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Entretien avec Adam Tooze pour la sortie de l'édition française de son ouvrage "Wages of Destruction"

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Adam Tooze, Le salaire de la destruction : formation et ruine de l'économie nazie, Paris, Les Belles Lettres, coll. Histoire, 2012, 900 pages, 29,50€. Unanimement reconnu à l'étranger, Le salaire de la destruction propose à la fois l'histoire la plus aboutie de l'économie nazie et une lecture neuve de la Seconde Guerre mondiale. Entretien avec son auteur, Adam Tooze, professeur d'histoire à l'Université de Yale. L'Allemagne a été très durement touchée par le Krach de 1929. Comment l'économie allemande se portait-elle avant la guerre et comment s'y est-elle préparée ? Adam Tooze — L'Allemagne a été effectivement très durement touchée par la Grande Dépression. Avec les États-Unis, son économie a subi le coup le plus rude parmi tous les pays du monde. Six millions de personnes étaient au chômage lors de l'hiver 1931-32, par exemple. Durant les neuf années suivantes, l'Allemagne connaît un spectaculaire rétablissement. Le régime hitlérien mène à bien un grand nombre de projets créateurs d'emplois, notamment la construction d'autoroutes. Cependant, comme je le montre dans le livre, le réarmement demeure la priorité absolue, et ce depuis 1933-1934, soit les toutes premières années du régime. Les millions de travailleurs sans emploi et les usines, sous-exploitées, sont mobilisés pour les besoins de l'armée, dans ce qui apparaît comme le plus grand transfert de ressources jamais réalisé en temps de paix par une société capitaliste. La seule société qui s’engagea dans une mobilisation encore plus spectaculaire que l’Allemagne nazie fut l’Union Soviétique de Staline. Ce processus nécessita à la fois une réallocation des ressources existantes et la mise en place de nouveaux investissements, notamment dans le capital humain (aptitudes, compétences, etc.). Le célèbre système allemand d’apprentissage et de formation professionnelle est ainsi né avec le boom du secteur de l’armement durant les années 30. Par conséquent, l’économie du pays était prête à la guerre en 1939, ce qui n’était pas le cas en 1914. Mais malgré ces efforts, l’opinion des experts, allemands comme étrangers, mettait en avant la dangerosité de sa position économique au début de la guerre, ce pour trois raisons principales. Premièrement, en conséquence du gigantesque effort déjà réalisé depuis 1933, les réserves disponibles pour une prochaine mobilisation, par exemple celle de la main-d’œuvre féminine, s’avéraient comparativement limitées. Comme je le montre pour la première fois dans ce livre, l’Allemagne, au début de la guerre et à cause de la priorité à donner à l’exportation, freina par ailleurs sa politique industrielle en matière d’armement, faisant machine arrière par rapport à l’effort important fait en 1938 lors de la crise des Sudètes. Plus fondamentalement, la position allemande s’avérait dangereuse en 1939 pour la même raison qu’en 1914 : le pays manquait de matières premières et énergétiques, indispensables à la bonne santé de toute économie moderne. L’Allemagne manquait de métaux non-ferreux, de pétrole, de caoutchouc, autant de manques constituant de très sérieuses contraintes dans n’importe quelle guerre de longue durée. Troisièmement, nous sous-estimons trop facilement les ressources économiques de la coalition opposée à l’Allemagne. Les empires français et britanniques disposaient de gigantesques ressources financières et d’un important réservoir de main-d’œuvre. Leurs rapports étroits avec les États-Unis allaient être décisifs après 1939, comme ce fut le cas après 1914. Une somme considérable de capitaux est nécessaire pour porter la guerre sur des théâtres d'opérations continentaux, et avant cela réarmer un pays entier. Pourriez-vous nous expliquer comment l'Allemagne nazie finançait toutes ces dépenses ? A.T. — Pendant la crise financière et monétaire de l'été 1931, à partir du mois de juillet,

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la banque centrale allemande, la Reichsbank, fut forcée d'abandonner l'étalon d’or international. Le Reichsmark demeura nominalement fixé sur l'or, mais il était désormais impossible de l'échanger contre de l'or ou d'autres monnaies comme le Franc. Il fallait également un permis émis par la Reichsbank pour acheter de la monnaie étrangère. Jusqu'à l'instauration progressive du rationnement des matières premières en 1937, ces mesures représentaient l'essentiel des moyens de contrôle de l'économie allemande et signifiaient que la Reichsbank pouvait imprimer autant de monnaie qu'elle le désirait. Le risque, bien entendu, était de provoquer l'inflation. Mais, avec au moins 30 % de l'économie à l'arrêt, les risques d'une demande accrue, qui aurait mécaniquement fait grimper les prix, étaient faibles, du moins jusqu'en 1936. Donc, en termes simples, la Reichsbank collaborait avec le régime en finançant les dépenses du gouvernement grâce à l'impression de la monnaie. En réalité, ce fut possible grâce à de nombreux mécanismes indirects, des banques fantômes, si vous voulez. Pour recycler une partie du pouvoir d'achat dans les coffres de l’État, le régime leva également de fortes taxes. L'Allemagne nazie était un état moderne, pas un état uniquement doté de pouvoirs régaliens et à l'engagement minimal. Le régime recueillait le pouvoir d'achat et le dépensait de nouveau. Il utilisait également les formes habituelles d'emprunt, vendant des bons à des citoyens de plus en plus confiants. Pour s'assurer que les économies privées allaient bien au régime, les marchés des capitaux privés étaient strictement contrôlés, les fonds d'assurance et les caisses d'épargne devaient quant à eux contribuer de façon importante à l'emprunt d'état. Ce système fonctionna extrêmement bien jusqu'à l'été 1944. Le taux d'inflation et le marché noir demeuraient sous contrôle, alors que durant la Première Guerre mondiale l'inflation débuta beaucoup plus tôt. Cette expérience était également très différente de celle des territoires occupés en Europe, où l'inflation et le marché noir faisaient des ravages. Qui, dans l'Allemagne nazie, était en charge de l'analyse et de la planification de l'économie, et sur quelle administration Hitler pouvait-il s'appuyer pour mettre en œuvre les politiques économiques ? A.T. — Pour comprendre la structure de l'état allemand, il faut revenir quelques instants sur la fondation de l'Allemagne unifiée en 1871. L'Allemagne de Bismarck n'était pas un colosse totalitaire. Bien au contraire. Il s'agissait d'un régime doté d'une machine bureaucratique et fédérale dotée de pouvoirs minimaux, presque tous les pouvoirs demeurant aux mains des états membres, la Prusse, la Bavière, le Bade-Wurtemberg, etc. Ce système fonctionna plutôt mal durant la Première Guerre mondiale. A la suite de cette dernière, la nouvelle République allemande, avec d'ambitieux objectifs interventionnistes, bâtit une infrastructure élaborée constituée de ministères des transports, de l'agriculture, du travail et des affaires économiques. Contrairement à la Grande Bretagne ou à la France, ils ne furent pas correctement contrôlés par un Ministère des Finances bien établi et fiscalement orthodoxe. Après le désastre hyper-inflationniste de 1918-1923, la banque centrale fut réorganisée pour correspondre aux critères modernes d'une telle institution. Hitler a hérité de cette machine d’État et en a énormément augmenté la taille, y ajoutant nombre de nouvelles agences, notamment celle s'occupant de l'organisation du Plan Quadriennal de Goering. Beaucoup d'historiens font tout un plat de la compétition opposant les différentes agences. Je pense que c'est grandement exagéré. De 1914 à 1949, les Allemands ont continuellement reconstruit leur état, c'était un processus désordonné, il y avait de la compétition, mais je considère cela comme un signe de dynamisme. L'accumulation d'expertise au sein de l'appareil était remarquable. À la fin des années 1930, il y avait certainement plus de statisticiens et d'économistes travaillant pour le régime nazi que pour tout autre pays, hormis l'Union Soviétique. Je suis tenté de rapprocher cette situation de celle des États-Unis pendant le New Deal. Les résultats furent spectaculaires. Les dirigeants de cette administration varièrent au cours de l'histoire

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de l'Allemagne nazie. Hjalmar Schacht, chef de la Reichsbank de 1933 à 1939, en est la première figure de proue. Il a mis en œuvre le tournant nationaliste, autarcique et anti-occidental du régime. Hermann Goering a concrétisé deux aspects du programme nazi, de façon très radicale et très rapide. Le premier fut le réarmement aérien, l'élément le plus coûteux du complexe militaro-industriel : une immense industrie moderne employant des centaines de milliers de personnes fut créée à partir du néant ou presque. Sa seconde série de mesures faisait partie du Plan Quadriennal et se focalisait sur les matières premières synthétiques, les textiles, le pétrole, la gomme et le minerai de fer. Quand la production d'armes en temps de guerre débuta, deux nouvelles figures apparurent sur le devant de la scène. Le premier fut Fritz Todt, le premier ministre du Reich pour les munitions, par ailleurs ingénieur en chef des Autobahnen. Après la mort mystérieuse de Todt début 1942, Albert Speer devint une personnalité incontournable. Il y avait un considérable culte de la personnalité autour de chacun de ces entrepreneurs politiques et structurels, mais la continuité et l'infrastructure administrative existaient souvent déjà dans les années 1920 ou début 1930, généralement sans aucune intention de s'en servir pour remplir des objectifs militaires. Selon vous, quand eut lieu le tournant décisif de cette guerre et quelle fut l'évolution de l'économie allemande pendant cette dernière ? A.T. — Je crois que vent a tourné très tôt, à partir d'une série d'événements qui se sont produits en de multiples endroits de la planète. Le premier eut lieu au printemps, en mars 1941, avec l'annonce du Prêt-Bail au profit de la Grande-Bretagne. Cela pérennisa la viabilité de l'effort de guerre britannique et signifiait qu'une grosse campagne de bombardement allait frapper l'Allemagne en 1943 au plus tard. À peu près au même moment, les Japonais et les Soviétiques signèrent un arrangement qui rendait toute reprise de la guerre en Mandchourie très improbable. Cela signifiait que le Front Est serait une guerre russo-allemande, non une véritable lutte pour l’Eurasie, qui aurait été susceptible de détruire jusqu'au régime même de Staline. Je crois qu’il est désormais largement admis que la planification de l'Opération Barbarossa était tellement irréfléchie et que les épuisants combats en Biélorussie et en Russie occidentale en août 1941 peuvent être considérés comme un tournant décisif. Il était de mauvais augure pour le régime hitlérien que ces événements coïncident avec la réunion de la Charte de l'Atlantique entre Churchill et Roosevelt, qui engageait les États-Unis dans la destruction du nazisme, bien avant la déclaration de guerre de l’Allemagne. La coïncidence virtuelle de la défaite de la Wehrmacht à l’extérieur de Moscou et la décision d’Hitler de s’allier au Japon contre les USA scelle, de mon point de vue, le destin du régime. Cela ne déterminait en rien la façon exacte dont le régime allait être abattu, mais le dénouement ne faisait plus aucun doute. Il était ainsi entièrement dans l’ordre du possible, par exemple, que la guerre ait pu se terminer plus tôt. Le Groupe d'Armées Centre, la plus puissante des trois formations armées participant à l'Opération Barberousse était sur les genoux en décembre 1941. Si la Grande Armée y avait concentré sa contre-offensive, la guerre à l’Est se serait achevée beaucoup plus tôt. Si l'Allemagne avait continué la guerre au-delà de mai 1945, c'est peut-être Stuttgart et Leipzig qui auraient été ciblées par la bombe atomique, pas Hiroshima et Nagasaki. C'était certainement l'intention de l'équipe chargée de développer la bombe. Lorsque Heisenberg présenta à Albert Speer un plan pour développer un programme atomique, les Allemands décidèrent de ne pas y accorder de ressources car cela semblait trop cher, trop incertain et trop long à mettre au point. C'est très symbolique de l'intégralité de l'effort de guerre allemand après 1941. Ils décidèrent de ne pas même entrer en compétition dans le domaine des armes atomiques, mais plutôt de construire des fusées, des avions à réaction et de nouveaux sous-marins. Mais les fusées auraient eu besoin d'une charge comme par exemple une arme atomique. Ils avaient complètement perdu la guerre maritime lorsque

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la construction des sous-marins fut achevée. Innovant, mais désespérément fragile, le premier avion produit à échelle industrielle avait dû être presque entièrement réalisé sans métaux de qualité supérieure. Pendant ce temps-là, Speer augmenta la production en mobilisant massivement les ressources, que ce soit en Allemagne même et dans les territoires occupés. Les investissements de la période 1936-1942 remboursèrent de nouvelles usines. Les Allemands firent des économies d'échelle, apprenant sur le tas, et grâce à cette machinerie de plus en plus efficace, ils nourrissaient plus de dix millions de travailleurs étrangers. En 1934-1935, Speer avait collaboré avec Leni Riefenstahl en créant un classique du film de propagande, « Le Triomphe de la Volonté ». Il essaya de faire de ce slogan une réalité, voyageant à travers toute l'Allemagne pour annoncer l'achèvement du miracle de l’armement, un miracle qui sauverait le Troisième Reich et assurerait la Victoire finale, ou Endsieg. J'ai voulu que l'histoire que je raconte dans Le Salaire de la destruction soit un antidote à ces déclarations idéologiques, qui pendant trop longtemps ont été acceptées telles quelles par les historiens. Ce qui s'est produit entre 1942 et 1945, une mobilisation et une industrialisation conjointe, s'avère, en termes techniques, ordinaire et prévisible étant donné la situation de l'Allemagne au début de la guerre. Dans les domaines politiques et moraux, sa violence et son racisme étaient toutefois sans précédent, et autodestructeur en termes stratégiques. La question de l'idéologie est une nouvelle fois posée. Quelle sorte de régime pouvait orchestrer sa propre destruction dans des termes aussi compréhensibles ? Peu d'historiens ont tenté d'étudier l'histoire de la Seconde Guerre mondiale en prenant sérieusement en compte les données économiques. Comment expliquez-vous cette situation et, personnellement, comment en êtes-vous venu à étudier ce sujet ? A.T. — Je suis tout à la fois fasciné par les archives historiques, les théories sociales, la philosophie et les possibilités analytiques de la théorie et des données économiques. Ce genre de combinaison n'était pas si rare autrefois. J'ai été frappé, étudiant, par la formule que Karl Marx utilisa pour décrire ses inspirations intellectuelles : la philosophie allemande, la politique française, l'économie britannique. Une combinaison de cet ordre-là a toujours animé mes recherches. Pour des raisons très compliquées, depuis les années 1970, cette combinaison est devenue de plus en plus difficile à soutenir, beaucoup de personnes ayant déclaré qu'elle était impossible ou dangereuse. Pourtant, les résultats n'ont pas tous été mauvais. Une nouvelle génération d'historiens, sous le slogan « l'autonomie du politique », ou « la primauté des politiques », commencèrent à prendre l'idéologie et le Nazisme au sérieux. C'est une étape cruciale, qui définit la génération d'historiens à laquelle j'appartiens. Fondamentalement, ça a ramené l'antisémitisme et la violence raciale du régime hitlérien au centre de notre attention. De nombreux historiens et théoriciens veulent désormais voir ce régime comme le résultat de la sécularisation, comme d'un phénomène postchrétien. Mon but n'est pas de rejeter cette vision des choses, mais d'affirmer que nous ne pouvons pas vraiment comprendre la force de cette puissante et dangereuse idéologie si nous ne considérons pas les contraintes matérielles avec lesquelles elle devait opérer. De plus, ces contraintes matérielles, notamment l'importance de l'économie et du pouvoir militaire américains, sont toujours d'actualité. Pour cette raison, je considère Le Salaire de la destruction comme une contribution à l'histoire contemporaine et présente.

Propos recueillis et traduits de l’anglais par Gaëtan Flacelière