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GABRIEL ANCTIL SUR LA 132 Extrait de la publication

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G A B R I E L A N C T I L S U R L A 1 3 2

Le rythme effréné de sa vie de publicitaire à la mode est en train d’avoir la peau de Théo. L’insignifiante agitation de tous les instants lui bouche l’horizon. Il est temps pour lui de changer d’air. Sur un coup de tête, Théo, qui n’a encore jamais dépassé Québec, va louer une petite maison près de Trois-Pistoles, à 500 km de Montréal. Trouvera-t-il là-bas l’oxygène dont il a besoin ?

Roman d’apprentissage, mais aussi roman d’atmosphère, Sur la 132 raconte l’univers dans lequel Théo tentera de se réinventer. Un livre rythmé, tendre et cruel à la fois, où Gabriel Anctil nous fait rencontrer une galerie de personnages, dont il sait rendre avec force toute la truculence.

G A B R I E L A N C T I L est né en 1979 à Montréal. Un jour, i l a lui aussi tout quitté pour le Bas-du-Fleuve. Sur la 132 est son premier roman.

ISBN 978-2-923511-70-2

9 782923 511702

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Photo : Guy F. RaymondExtrait de la publication

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sur la 132roman

Gabriel Anctil

héliotrope

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Héliotrope4067, boulevard Saint-LaurentAtelier 400Montréal (Québec)h2w 1y7www.editionsheliotrope.com

Maquette de couverture et photographie : Antoine FortinMaquette intérieure et mise en page : Yolande Martel

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Anctil, Gabriel

Sur la 132

ISBN 978-2-923511-70-2

I. Titre. II. Titre : Sur la cent trente-deux.

PS8601.N336S97 2012 C843’.6 C2011-942879-2PS9601.N336S97 2012

Dépôt légal : 1er trimestre 2012Bibliothèque et Archives nationales du Québec© Héliotrope, 2012

Les Éditions Héliotrope remercient de leur soutien financier le Conseil des Arts du Canada, le Fonds du livre du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).Les Éditions Héliotrope bénéficient du Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres du gouvernement du Québec, géré par la SODEC.

imprimé au canada en janvier 2012

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à Marie-Noëlle

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MONTrÉal

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Boulevard de Maisonneuve. Septembre 2008. Le vent bardasse le pauvre panneau de circulation et c’est toute la ville qui m’apparaît sur le point de s’envoler. Malmenée, la flèche blanche sur fond noir essaie tant bien que mal de résister aux bourrasques des vents, mais avec une vis en moins, la résistance perd de son élégance. Ça m’attire, ça m’obsède : je cherche un sens.

La veille, j’ai eu trente ans. J’étais fatigué et croyais que j’allais passer une soirée tranquille au condo avec Laurie, mais des amis ont débarqué et la fête m’a réveillé. Laurie avait tout manigancé. J’étais entouré, souriant, heureux d’être le centre d’attention. Il y avait un DJ, des filles en mini-jupes qui s’occupaient d’un bar improvisé, et ma belle Laurie qui rayonnait de candeur. J’ai reçu des disques, des vêtements et des bouteilles d’alcool à boire jusqu’à ma mort. Je suis tombé dans le fort. Ingurgité des drinks par mil-liers. Tout ce qui s’offrait à moi. Bleu, blanc, rouge, vert, j’ai tout avalé. Puis la lumière s’est éteinte. J’avais trente ans et le goût de dormir jusqu’à mon prochain anniversaire.

Le réveille-matin sonne : je dois me rendre au travail. Un gong cogne régulièrement dans ma tête et des gens dorment en bavant dans mon salon. Je me rends jusqu’à la salle de bain et fixe la glace. Mon haleine fétide, mon estomac fragile, je tente de percer la brume, mais mon visage fuit vers d’autres miroirs. Je me retrouve en petites miettes, croulant. Quelque chose s’est brisé.

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Trente ans et la vive impression d’avoir figé dans le temps depuis une éternité. Immobile. Fixé dans le béton. Plongé dans une pub qui n’en finit plus de s’étirer. Tout est beau, tout reluit, le consom-mateur s’identifie.

De mon bureau, effoiré sur ma chaise, j’observe les rues désertes en bas. Le panneau de circulation se débat toujours alors que je tente de me concentrer par delà l’écran sur ces quelques mots grif-fonnés sur ma feuille de papier : pub de bière – homme professionnel urbain 18-35 ans – à diffuser pendant les parties de hockey.

Je me répète encore et encore les mots : pub de bière – homme professionnel urbain 18-35 ans – à diffuser pendant les parties de hockey. Il est onze heures quarante-cinq et Jean-Christophe veut mon synopsis avant midi. On dîne avec les clients qui attendent impatiemment depuis un bout de temps des résultats.

Rien ne vient. Sinon un léger haut-le-cœur. Le vent se lève dehors et je m’étonne du silence sournois qui enveloppe la ville. Les habitants se sont planqués. Le panneau de sens unique est plongé dans un tourbillon et se démène. Plus rien ne tient. Il fait froid, c’est gris, même les taxis se préparent au pire.

Le silence s’impose et s’étire en espaces tendus, près de l’écla-tement, bouffe tout jusqu’à l’écho. Comment en suis-je venu à être aussi insignifiant ? Pub de bière – homme professionnel urbain 18-35 ans – à diffuser pendant les parties de hockey. Il reste moins de dix minutes.

Je me concentre sur le vide, lorgne du côté de l’horizon qui est obstrué par un imposant mur de nuages noirs. La flèche virevolte, violentée, dangereuse, vicieuse, à la recherche d’une proie.

De nouveau, l’envie de vomir m’assaille. Une froide et désagréable sueur ruisselle le long de mon dos. Je cherche de la main droite dans le premier tiroir mon petit miroir. Le trouve, dit bonjour au spectre qui blêmit à mesure que mon cœur pompe tout le sang de ma tête. Le plafond s’abaisse, le plancher prend de l’altitude, je sue à grosses gouttes qui obstruent ma vue, puis CRAC ! Le tonnerre

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fend l’air. Je me frotte les yeux : la flèche métallique pointe toujours dans ma direction, stable dans la tourmente pendant quelques secondes, puis s’envole et danse, abandonnée aux élans des vents.

Des mers de salive giclent en tous sens à l’intérieur de ma bou-che. La panique s’agite dans mes tempes. Le téléphone sonne. Les spasmes s’appliquent, mes côtes tremblent. Je me penche et, à qua-tre pattes sous mon bureau, vomis de longs filets de bile dans ma poubelle. Vomis encore et encore cette puanteur jaune qui s’étend partout et s’écoule vers les corridors.

Et PAF ! ! ! J’ai peur, tremble, tourne la tête : le lourd panneau fléché a atteint ma fenêtre, s’y est étalé de tout son long et me bloque l’horizon ; dix mille autres bureaux s’élèvent vers le ciel, pourquoi viser le mien ? Plus rien ne bouge. Le panneau et moi, on se regarde en chiens de faïence. Je reprends mon souffle, enraye le flux, ferme la porte, le téléphone continue de crier, les cloches sonnent : il est midi.

J’observe la fissure que l’impact a créée et remarque que la flèche plaquée contre la vitre pointe vers l’est. Le tonnerre retentit, le noroît se déchaîne, le panneau s’envole, s’extirpe de ma vue et s’échappe vers le large.

Puis tout est pluie, tout est vent et tout est trempe. Les nuages se déversent, la pluie envahit la rue et tombe en trombes si violentes qu’elles pénètrent l’asphalte.

Davantage que l’alcool de la veille, c’est tout mon désespoir qui sort. C’est ma lâcheté et des années de médiocrité qui se sont accu-mulées dans mon foie épuisé. Les genoux éraflés par le rude tapis industriel de l’agence, je vomis ma vie passée. Demain, les rues de Montréal seront propres et mon corps, neuf. Le téléphone résonne toujours. Je n’en peux plus, dois sortir et fuir. Je replace quelques mèches de cheveux vers l’arrière, essuie ma bouche avec le poignet de ma chemise et m’extirpe de peine et de misère de mon bureau. Je rase les murs dans le corridor qui semble s’étirer sans fin à cha-cun de mes pas, croise quelques collègues qui me saluent sans

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s’arrêter et atteins à bout de souffle l’ascenseur. Attends. En regar-dant le sol. Si je pouvais, rentrerais tête première dans le mur et disparaîtrais à jamais de la surface de la pub. J’attends toujours. Martin, un vert stagiaire, s’immobilise à mes côtés. Il me sourit maladroitement.

— Salut, ça va ?— Parle-moi pas, je brainstorme.Un haut-le-cœur surgit et je ne peux croire, épuisé par les nom-

breux efforts, que je vais vomir encore, publiquement cette fois. Martin fixe honteux le sol. Je jongle avec l’idée de disparaître dans les escaliers lorsqu’une petite lumière s’allume pour annoncer l’arrivée de l’ascenseur. Les portes s’ouvrent : c’est bondé. Je rentre et me presse inconfortablement sur le côté, le plus près possible de la sortie. Les portes se referment. Je fixe les numéros qui s’illumi-nent les uns après les autres et qui indiquent l’état de la descente : douzième étage, onzième étage, dixième étage, on plonge. Une voix féminine prononce mon nom tout à l’arrière. Je l’ignore. Au neu-vième étage, la moitié des gens sortent. Enfin un peu d’oxygène. Je respire mieux. Je sens une main m’empoigner doucement le bras :

— Allô Théo ! Ça va ? C’est Jacynthe, la plantureuse secrétaire de Jean-Christophe. — Je m’excuse, je pouvais pas venir hier, mais il paraît que c’était

une super fête.— Je me sens pas très bien Jacynthe. Pourrais-tu m’appeler un

taxi ? Il faut vraiment que je rentre chez moi.— Oui, bien sûr, je m’occupe de tout. On atteint finalement le sol. Jacynthe me soutient par la taille et

nous franchissons lourdement le hall d’entrée. Je croise des clients qui me regardent avec dégoût comme si je sortais d’un camp de réfugiés. Jacynthe m’aide à m’asseoir. Ma tête chavire, mes jambes flanchent, j’ai froid.

Il pleut encore violemment et l’eau nettoie la ville de toutes ses saletés.

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Un taxi s’immobilise face à l’édifice. Je me relève, mais trop subitement, sens mes côtes qui tentent une évasion par ma gorge. Je sors comme une flèche à l’extérieur de l’édifice, me planque sur le côté et vomis directement sur l’énorme logo de l’agence ; une longue coulée de lave jaune indélébile tache à jamais l’énorme champignon nucléaire multicolore au centre duquel est incrusté en lettres orangées le nom de la compagnie : Imagine.

Je pénètre dans le taxi, m’allonge de tout mon long, ferme les yeux et décolle, loin, loin du moment présent, souhaite simplement atterrir à l’autre bout du spectre du temps, dans un futur lointain. J’entends les voix de Jacynthe et du chauffeur de taxi qui discutent d’adresse, d’argent, de salissage de voiture et d’ambulance, puis ils en viennent à une entente.

— Ça va être OK, Théo. Va dormir.— Merci Jacynthe. Merci.La porte se referme, le taxi démarre et c’est la grande noirceur.Un Haïtien me brasse fermement.— On est arrivé, monsieur. Rue Fabre. On est arrivé chez vous. Il me semble avoir dormi. Je grelotte de froid. Je marmonne un

remerciement. Le taxi disparaît. Je suis seul sur le trottoir. La colère tropicale s’est calmée. Le tonnerre gronde toujours au loin, mais le vent s’est couché. Une fine pluie ruisselle sur mes tempes et me rafraîchit. Je reste quelques instants à tenter de recoller les pièces du portrait et de saisir la signification des derniers évènements. Tout ce qui surgit est douloureux et noir. Mes abdominaux chauf-fent et ma tête recommence à virevolter. Je rentre me réfugier chez moi.

Plus de dormeurs dans le salon. Plus de Laurie dans le lit. Le silence est total et coule sur moi, me calme.

Je me dirige vers la chambre et me déshabille maladroitement. Me dis qu’au réveil, je me sentirai mieux et que cette matinée ne sera alors qu’un lointain souvenir. Le téléphone sonne, je l’ignore, le débranche et m’endors.

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J’ouvre les yeux : il fait nuit. Laurie est au-dessus de moi et me demande ce qui s’est passé. Je suis mêlé. « Où étais-tu ? » Je lui dis que j’étais ici. Que j’avais besoin de dormir.

— Jean-Christophe te cherche partout. — Et alors ?— Ça va ?— Pourrais pas aller mieux…J’allonge le bras, saisis la bouteille de Perrier et cale le restant de

son contenu. Ma gorge se réhydrate. Je me recouche. Des vibrations roulent toujours sur ma tête comme sur la peau d’un tambour. Ça cogne, ça cogne, ça cogne… Je dors.

Je sens le corps chaud de Laurie se blottir contre le mien. Elle sort du bain. Je reconnais l’odeur de sa peau humide et sucrée. Je me retourne et pose ma tête entre ses seins brûlants. Elle caresse mes cheveux humides. Je ferme les yeux. Ne veux plus jamais me réveiller.

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Je n’avais pas remarqué que la violette africaine avait fleuri. Je ne m’étais jamais arrêté à la délicate beauté de ses fleurs mauves et à l’éclat de ses pétales. Le soleil éblouissant du matin s’étend sur la table de la cuisine et j’essaie tant bien que mal de manger une pomme. Son acidité devrait m’aider à me remettre sur pied. L’estomac est encore sur le bord de la révolte et ma tête, submergée par de sombres pensées. J’y vais pour une deuxième bouchée.

Laurie me caresse la jambe avec son pied droit. — Est-ce que tu vas aller travailler aujourd’hui ? — … — J’aimerais ça que tu me répondes quand je te pose une ques-

tion.— Ben c’est sûr que j’irai pas travailler : je suis malade !Elle plonge son regard dans sa tasse de café à la recherche d’un

quelconque trésor.— Est-ce que tu peux m’expliquer ce qui s’est passé hier ? Jean-

Christophe m’a téléphoné au moins cinq fois. Je comprends pas. Il m’a dit que tu as vomi partout dans ton bureau pis que tu t’es sauvé sans rien dire. C’est quoi cette histoire, Théo ?

— Je sais pas trop… Je vais aller me recoucher.— Qu’est-ce qui se passe avec toi ? — Rien, il se passe rien : je suis fatigué, c’est tout. Le visage de Laurie se contracte et une ride inquiète émerge entre

ses deux sourcils. Je traverse mon condo et sa lumière matinale, la

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tête basse, attrape au passage le reflet de mon visage épuisé puis entre, apaisé, dans la pénombre de ma chambre à coucher.

J’entends Laurie s’habiller, faire quelques pas puis parler à voix basse au téléphone. Elle raccroche, s’approche, ralentit, marche sur la pointe des pieds, se penche sur moi, effleure ma nuque de son souffle et y dépose un baiser. C’est chaud. Une goutte d’eau salée coule le long de mon cou. Elle pleure. Je fais semblant de dormir. Elle disparaît.

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La compagnie est gigantesque, multinationale ; son chiffre d’affai-res est monstrueux. C’est la plus grande agence de publicité au Canada. Plusieurs centaines d’employés travaillent nuit et jour, dans chacune des nombreuses succursales qui étendent son emprise en Amérique et en Europe. En majorité des jeunes loups, mais aussi quelques vieux renards qui les supervisent.

Lors de ma dernière année à l’université, j’y ai été chaleureuse-ment recommandé par mon directeur de programme, ce qui m’a permis d’y faire un stage d’un mois. Même si je n’étais pas payé et que je n’avais aucune idée de ce que j’allais y faire, c’était une chance et un grand privilège. L’agence Imagine, c’est vraiment le paradis du publiciste, la ligue nationale de la communication, le boutte d’la marde ! C’est l’agence qui gagne le plus de prix et qui paie le mieux ses employés. Tous les étudiants en communication rêvent d’y entrer !

J’ai reçu un coup de fil à la mi-avril, et le premier mai j’étais attendu à huit heures et demie au bureau de Jean-Christophe Desruisseaux, « le » Jean-Christophe Desruisseaux, le directeur artistique le plus en vue au pays, une véritable star dans le domaine. Durant quatre semaines, j’allais devenir son assistant et l’idée même de le rencontrer m’avait fait vivre une longue nuit agitée.

Il était neuf heures et je l’attendais toujours, perdu et pétrifié dans un énorme fauteuil dont le cuir rouge luisait au point qu’il semblait impossible d’y rester assis convenablement. Le cuir n’avait

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aucune adhérence de sorte que je glissais constamment, lentement mais sûrement. Chaque minute, je me relevais, tendu.

Le lieu avait été soigneusement décoré. D’énormes fauteuils très design entouraient une imposante table en verre dont le socle spec-taculaire rappelait les flammes rutilantes de l’enfer. On avait pein-turé sur les murs de fines lignes obliques jaunes, blanches et rouges particulièrement dynamiques qui donnaient à la pièce cette étour-dissante impression de mouvement perpétuel qui plongeait le bureau dans un univers Pop Art vitaminé et trop coloré, comme extirpé d’une BD des années cinquante.

La secrétaire, simple figurante dans ce décor, s’amusait de la situation. Je lui ai demandé son nom, elle m’a répondu : « Jacynthe » en me laissant admirer l’éclatante blancheur de son sourire. J’aurais dû deviner. Elle avait à peu près le même âge que moi, mi-vingtaine, et mâchait frénétiquement sa gomme. Elle se penchait sur ses papiers de telle sorte que sa poitrine menaçait à tout instant de surgir de son étroit chemisier blanc.

— C’est toi le nouveau stagiaire ?— Oui.— Ça va bien se passer. Je lui ai souri. Le téléphone a sonné. Elle s’est levée. Est revenue

avec un expresso qu’elle a déposé sur le bord de son bureau. Neuf heures cinq. Il est entré en coup de vent dans la pièce : « Jacynthe câlisse, ta gomme ! » Elle a rougi et s’est nerveusement débarrassée de celle-ci. Il est reparti avec son expresso, a fermé la porte avec aplomb, en m’ignorant complètement.

— Il va ressortir dans cinq minutes, tu vas voir.— Ah ! OK. Merci.— Ça va bien se passer.Je trouvais qu’elle voulait un peu trop me rassurer et tout cela

n’augurait rien de bon. Je me suis redressé, ai cherché quelque chose à fixer. Les obliques me plongeaient dans un épuisant tourniquet. Je devais m’accrocher à quelque chose, à quelqu’un : Jacynthe. Son

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Achevé d’imprimer le treize janvier 2012sur les presses de Transcontinental Gagné.

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Le rythme effréné de sa vie de publicitaire à la mode est en train d’avoir la peau de Théo. L’insignifiante agitation de tous les instants lui bouche l’horizon. Il est temps pour lui de changer d’air. Sur un coup de tête, Théo, qui n’a encore jamais dépassé Québec, va louer une petite maison près de Trois-Pistoles, à 500 km de Montréal. Trouvera-t-il là-bas l’oxygène dont il a besoin ?

Roman d’apprentissage, mais aussi roman d’atmosphère, Sur la 132 raconte l’univers dans lequel Théo tentera de se réinventer. Un livre rythmé, tendre et cruel à la fois, où Gabriel Anctil nous fait rencontrer une galerie de personnages, dont il sait rendre avec force toute la truculence.

G A B R I E L A N C T I L est né en 1979 à Montréal. Un jour, i l a lui aussi tout quitté pour le Bas-du-Fleuve. Sur la 132 est son premier roman.

ISBN 978-2-923511-70-2

9 782923 511702

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Photo : Guy F. RaymondExtrait de la publication