FEDERICOMOCCIA

J’AIFAILLITEDIREJET’AIME

Traduitdel’italienparAnaïsBokobza

Amongrandami.Quimemanque.Maisquiesttoujourslà.

Caroamicotiscrivocosìmidistraggounpo’esiccomeseimoltolontanopiùfortetiscriverò…(«Cherami,jet’écrispourmedistraire,Etpuisquetuestrèsloin,plusfortjet’écrirai…»)LucioDALLA,L’annocheverràIt’snottimetomakeachangeJustrelax,takeiteasyYou’restillyoung,that’syourfaultThere’ssomuchyouhavetoknowFindagirl,settledownIfyouwant,youcanmarryLookatme,IamoldButI’mhappyIwasoncelikeyouarenowAndIknowthat’snoteasyTobecalmwhenyou’vefoundSomethinggoingonButtakeyourtime,thinkalotWhy,thinkofeverythingyou’vegotForyouwillstillbeheretomorrowButyourdreamsmaynotCatSTEVENS,FatherandSon

1Nuit.Nuit enchantée.Nuit douloureuse.Nuit, démente,magique et folle. Et puis encore nuit.Nuit quisemblenejamaispasser.Nuitquiaucontraireparfoispassetropvite.Elles,cesontmesamies,c’estcommeça…Ellessontfortes.Vraimentfortes.Fortescommedesvagues,commedesondes.Quines’arrêtentpas.Leproblème,ceseraquandl’uned’entrenoustomberavraimentamoureused’unhomme.—Eh,attendez-moi,jesuislà!Nikilesregarde,l’uneaprèsl’autre.EllessontViadeiGiuochiIstmici.LesportièresdelavoituresanspermisAixamsontouverteset,lamusiqueàfond,ellesimprovisentundéfilédemode.—Allez,viens!Olly déambule sans complexe dans la rue. Volume aumaximum et lunettes branchées à élastique. Ondirait Paris Hilton. Un chien aboie au loin. Erica arrive, grande organisatrice. Elle prend quatrebouteillesdeCorona.Ellelesposecontrelebordd’unebalustradeet,endonnantdepetitscoups,ellefaitsauterlesbouchonsl’unaprèsl’autre.Ellesortuncitrondesonsacàdosetletranche.—Eh,Erica,maiscecouteau,situtefaisprendre,ilfaitmoinsdequatredoigts?Niki rit et l’aide. Elle glisse un morceau de citron à l’intérieur de chaque Corona et, tchin !, ellestrinquentavecforceetleslèventverslesétoiles.Puisellessesourientenfermantpresquelesyeux,enrêvant.Niki finit sa bière la première. Elle respire un bon coup, ça vamieux. Elles sont fortes,mesamies,etelles’essuielabouche.C’estbeaudepouvoircomptersurelles.EllelècheladernièregouttedeCorona.—Lesfilles,vousêtessuperbes…Voussavezquoi?Cequimemanque,c’estl’amour.—Cequitemanque,c’estunebonnebaise,tuveuxdire.—Oui,l’amour,reprendNiki,cesplendidemystèrequit’estinconnu…Ollyhausselesépaules.Oui,penseNiki.Ilmemanquel’amour.Maisj’aidix-septans,dix-huitenmai.J’aiencoreletemps…—Attendez,attendez,maintenantc’estàmontourdedéfiler,hein…EtNikiselancepromptementsurletrottoir,drôledepasserelleimprovisée,entresesamiesquisifflent,rient,s’amusentdecettepanthèreblancheétrangeetsplendidequi,dumoinspourlemoment,n’aencorefrappépersonne.—Monamour,tueslàmonamour?Excuse-moisijenet’aipasprévenu,maisjenepouvaispasattendredemainpourrentrer.Alessandropasselaportedesonappartementetregardeautourdelui.Ilestrevenuavecl’envied’elle,maisaussiavecl’enviedeladécouvriravecunautre.Çafaittroplongtempsqu’ilsn’ontpasfaitl’amour.Et quand il n’y a pas de sexe, parfois ça veut juste dire qu’il y a un autre. Alessandro tourne dansl’appartementmais ne trouve personne, d’ailleurs il ne trouve plus rien du tout.MonDieu,mais ques’est-ilpassé?Desvoleurs?Puisunpetitmotsurlatable.Sonécriture.

PourAlex.Jet’ai laissédequoimangerdansle frigo.J’ai téléphonéàtonhôtelpourteprévenirmaisilsm’ontditquetuétaisdéjàparti.Peut-êtrevoulais-tumesurprendre.Ehbien,jesuisdésolée.Iln’yarienàdécouvrir,malheureusement.Jesuispartie.Jesuispartie,unpointc’esttout.S’ilte

plaît,n’essayepasdemecontacter,aumoinspendantquelquetemps.Merci.Respectemonchoixcommej’aitoujoursrespectélestiens.

Elena

Non,cenesontpasdesvoleurs.Alessandroposelemotsurlatable.C’estelle.Elleavolémavie,moncœur.Elleditqu’ellearespectémeschoix.Maisquelschoix?Iltournedansl’appartement.Lesarmoiressontvides,maintenant.Deschoix,c’estça?Mêmemamaisonnem’appartenaitpas.Alessandro s’aperçoit que le voyant du répondeur clignote.Aurait-elle changé d’avis ? Serait-elle deretour?Ilappuiesurlebouton,pleind’espoir.«Salut,çava?Dis,çafaitunmomentquetun’aspasdonnédenouvelles…Çanesefaitpas.Pourquoivousnevenezpasdînerunsoiràlamaison,Elenaettoi?Çanousferaittrèsplaisir!Appelle-moivite,ciao!»Alessandroefface lemessage.Amoiaussi çame feraitplaisir, trèsplaisir,maman.Mais jecrainsdedevoirsubirseulundetesdîners,cettefois-ci.Ettumedemanderas,alors,quandest-cequevousvousmariez,Elenaettoi?Maisqu’est-cequevousattendez?Quandest-cequetumedonnerasunpetit-fils?Etmoijenesauraisansdoutepasquoirépondre.Jeneréussiraipasàtedirequ’Elenaestpartie,alorsjementirai.Mentir àmamère. Ce n’est pas beau.A trente-six ans, en plus. Trente-sept en juin…C’estvraimentmoche.Uneheureplustôt.StefanoMascagnifaitpresquetoutavecsoin.Saufs’occuperdesavoiture.L’AudiA4breakamorceàtouteallurelevirageduboutdeViadelGolfets’engagedansViadeiGiuochiIstmici.Uneinscription,laisséeparquelqu’unsurlepare-brisearrière,saluelemonde.«Lave-moi.Leculd’unéléphantestplusproprequemoi»et,surl’unedesvitreslatérales,«Non.Nemelavepas.Jefaispousserlamoussepourla crèchedeNoël ».Du reste de la carrosserie, onn’entrevoit quequelques bribes de grismétallisé,tellementelleestpoussiéreuse.Unechemisepleinedepapiersglisseettombedelalunette,s’éparpillantau sol. Une bouteille en plastique vide subit le même sort, va se glisser sous le siège et rouledangereusement près de la pédale d’embrayage. Une multitude de papiers de bonbons dépasse ducendrier,lefaisantressembleràunarc-en-ciel.Enmoinsromantique,quandmême.Soudain,unbruitsourdvenuducoffre.Nomd’unchien,ils’estcassé,jelesavais.Zut.Non,jenepeuxpasallerchezelleavecunevoituredanscetétat.Carlottaappelleraitladésinsectisationetrefuseraitdesortiravecmoi,c’estsûr.Onditparfoisqu’unevoitureestlerefletdesonpropriétaire.Commeunchien.Stefano s’arrêteprèsd’une rangéedepoubelles et éteint lemoteur. Il descendenvitessede l’Audi etouvrelecoffre.Sonordinateurportablearoulésurlecôté.Ildoitêtresortidusacdanslevirage.Illeprend,l’observedetouslescôtés,dessus,dessous.Ilal’airentier.Justeunevisdel’écranquiaunpeubougé.Tantmieux. Il le remetdans lesac,puis il remonteenvoiture. Il regardeautourde lui, faitunegrimace.Un sac géant de supermarché àmoitié vide, résidu desméga-courses du samedi après-midi,dépasse de la poche du dossier du siège passager. Il s’en empare. Stefano entreprend de ramasserrapidementtoutcequiluitombesouslamain.Ilglissetoutdanslesac,tantqueçaentre.Puisildescend,rouvre le coffre, prend l’ordinateur et le dépose au pied d’une benne. Il fait en sorte qu’il tienne enéquilibresanstomberparterre.Ilentreprendderetirerducoffredesobjetsinutilesetoubliés.Unvieuxsachet, la boîte d’un CD, trois canettes vides, un parapluie cassé, une boîte à chaussures, des pilespérimées, une écharpe feutrée. Puis, avant que le sac ne déborde pour de bon, il se dirige vers les

poubelles.J’ycroispas,regardecombienilyena…Verre,plastique,papier,déchetssolides,déchetsorganiques.C’estprécis.Organisé.Etmoi,oùjelemets,cesac?Quedestrucsdifférents.Bah.Lagrisemesemblelaplusadaptée.Stefanos’approcheetappuieavecsonpiedsurlabarredubas.Lecouvercleselèved’uncoup.Labenneestpleine.Stefanohausselesépaules,larefermeetposelesacparterre.Ilremonteenvoitureetregardedenouveauautourdelui.C’estmieuxcommeça.Ah,non.Jedevraisaussiallerfairelaverlavoiture.Ilregardesamontre.Paspossible,ilesttard,Carlottam’attend.Etilnefautpas faire attendreune femmeaupremier rendez-vous.Stefano referme le coffre, remonte envoiture etdémarre. Ilmet unCD.Concerto pour piano n° 3, op. 30, troisièmemouvement, finale alla brève, deRachmaninov. Voilà.Maintenant, tout est parfait. Avec ce « Rach 3 » Carlotta, quand elle me verra,s’évanouiraexactementcommedansShine.Embrayage.Première.Accélérateur.Etilrepart.Grandenuit.Etgrandeconfianceenluipourlaconduite.Unchatbicoloreavance,silencieuxetcurieux.Ilestrestécachéjusqu’àcequecettevoitures’enaille.Puis il a bondi avec précision et a commencé sa promenade de poubelle en poubelle.Quelque choseattiresonattention.Ils’approche.Ilsefrotte,observe,renifle.Ilsegratteuneoreilleenpassantplusieursfoisprèsdesanglesdel’écran.Undrôlededéchet,ça!Lamusiquesortdesenceintesdel’Aixam,forteetpénétrante.—AllezNaomi!—Jefaisçabien,t’asvu…Nikisourit.Dilettaprendunegorgéedebière.—Tudevraisêtremannequinpourdevrai.—Dansunanelleauragrossi…—Maist’esvraimentunerâleuse,Olly…Çat’embêtequejemedébrouilleaussibiensurcettechanson,pasvrai?Eh,maiselleestsupercelle-là,commentelles’appellelachanteuse?—AlexzJohnson.—Elleestparfaitepourdéfiler!Regarde,jem’ensorsbien,moiaussi…EtOlly va au bout du trottoir, pose lamain sur sa hanche droite, plie un peu la jambe et s’arrête enregardant droit devant elle. Puis elle fait une pirouette, envoie ses cheveux en arrière d’un brefmouvementdelatêteetrevientsursespas.—Oh,ondiraitunevraie!Lesfillesl’applaudissent.—Mannequinn°4,OlimpiaCrocetti!—Giuditta,plutôtqueCrocetti!Ellessemettenttoutesàchanterlachanson,quitrèsbien,quimal,quiconnaissantlesvraiesparoles,quiselesinventant.« Iknowhowthisallmust look, likeapictureripped fromastorybook, I’vegot iteasy,I’vegotitmade…»,etuneautregorgéedebièrefraîche.—Eh,Valentino,Armani,DolceetGabbana,ledéfiléestterminé.Sivousvoulezm’engager,voussavezoùmetrouver!Ollyfaitunclind’œilauxautresOndes.Olly,Niki,Diletta,Erica:O.N.D.E,lesOndes.—Bon,qu’est-cequ’onfait?Moij’enaimarrederesterici…—Onvaàl’Eur,oubien,jenesaispas,moi,chezAlaska!Allez,onfaitquelquechose!—Maisonvientjustedefairequelquechose!Non,çasuffit,lesfilles,moijerentre.Demainj’aiuneinterrogation,ilfautquejeremontemamoyenneàcinqetdemisurdix.—Allez,quellebarbe!Onrentrerapastard.Etpuisqu’est-cequeçapeutfaire,tutelèvestôtdemain

matinettuyjettesuncoupd’œil,non?—Non.J’aibesoindedormir,çafaittroissoirsquevousmefaitesrentrertard,jenesuispasenacier!—Non,eneffet,tuesensucre!Bon,OK,faiscommetuveux,nousonyva.Onsevoitdemainmatin!Etchacunesedirigeverssonvéhicule.Troisd’entreellesvontonnesaitoùetunerentrechezelle.LesquatrebouteillesdeCoronasontencorelà,surletrottoir,videscommedescoquillagesabandonnéssurlaplageaprèsunemarée.Regardeunpeulebordelqu’ellesontlaissé.Maisoui,biensûr,detoutefaçonc’estmoi lamaniaque…Elle les ramasse.Ellechercheduregardetaperçoit troispoubelleséclairéespar un lampadaire.Ah, ouf, il y a la verte pour le verre. C’est vrai ça, quelle horreur, les gens sontvraimentdésordonnés.Touscessacslaissésparterre.Siaumoinsilsfaisaientletrisélectif.Ilsnesaventdoncpasque laplanèteestentrenosmains?Elleprend lesbouteilleset les jetteuneparunedans lafenteronde.Etlesbouchons?Onlesmetoù,lesbouchons?Ilsnesontpasenverre…Peut-êtreaveclescanettesetlespots.Ilspourraientl’indiquersurlespoubelles,avecunadhésifouunjolidessin.Ici,lesbouchons.Puiselles’arrêteetsemetàrire.Commentc’était,déjà,cettevieilleblaguedeGroucho?Ahoui…—Papa,l’hommedesorduresestarrivé.—Dis-luiquenousn’envoulonspas.Maniaquepourmaniaque,elle jetteaussiunsac restéendehorsde labenne.Puiselle l’aperçoit.Elles’approche timidement.Jen’ycroispas.C’étaitexactementcedont j’avaisbesoin.Tuvois,parfoisçasertd’êtremaniaque.Plustarddanslanuit.Lesfreinsdelavoiturecrissent.Leconducteurdescendpromptementetexaminelesalentours.OndiraitundecespersonnagesàlaStarskyetHutch.Maisilnevatirersurpersonne.Ilregardeaupiedde lapoubelle.Derrière,au-dessus,endessous,par terre.Rien. Iladisparu.«Jen’ycroispas.Jen’ycroispas.Personnenenettoiejamais,personnenes’inquiètejamaisdessacslaissésparterre,etcesoirilfautjustementquejetombesurunmaniaque…EtCarlottaquim’aposéunlapin.Ellem’aditqu’elleétaitenfintombéeamoureuse…Maisd’unautre…»Ce qu’il ne sait pas c’est que, justement à cause de ce qu’il a perdu, un jour StefanoMascagni seraheureux.

2Deuxmoisplustard.Environ.Jen’ycroispas.Jen’ycroispas.Alessandrodéambuledanssonappartement.Çafaitdeuxmois,maisiln’arrivepasencoreàs’yrésoudre.Elenam’aquitté.Etlepire,c’estqu’ellel’afaitsansraisonprécise.Oudumoinss’enm’endonner,àmoi.Alessandrosemetàlafenêtreetregardedehors.Desétoiles,demagnifiquesétoiles.Desétoilesnuesdanslecielnocturne.Desétoileslointaines.Mauditesétoilesquisavent. Il sort sur la terrasse.Couvertureenbois,grillage, splendidesvasesantiquesdans lescoinsetdevantchaquegrandefenêtre.Unpeuplusloin,delongsrideauxauxcouleurslégères,pastel,undégradéquisuitleleveretlecoucherdusoleil.Commeunevagueautourdelamaison,quisedéversedoucementà l’entréedechaquepièce,unevaguequi,unefoisà l’intérieur,estvisible jusquedans lacouleurdesmurs.Maistoutçanefaitqueplusmal.—Aaah!D’uncoup,Alessandrosemetàhurlercommeunfou:«Aaah!»Ilaluquesedéfoulerfaitdubien.—Oh,tuasfini?Untypesemontreàlaterrassed’enface.Alessandrosecachederrièreungrandbuissondejasminssurlaterrasse.—Alors,tuasfini,ouiounon?Oh,maisjetevois,tusais,tujouesauxgendarmesetauxvoleurs,ouquoi?Alessandrosedéplaceunpeupourseprotégerdelalumière.—Chat!Touché.Écoute,moijesuisentrainderegarderunfilm,alorssiçavapas,vaplutôtfaireuntour…Letyperentrechezlui,refermesabaievitréeettirelesrideaux.Etdenouveaulesilence.Alessandrosefaittoutpetitetretournetoutdoucementchezlui.Avril.Noussommesenavril.Etmoijesuisfouderage.Quelmufle,cetype…Jem’offreunloftdanslequartierTriesteetj’hériteduseulmufleducoincommevoisin.Letéléphonesemetàsonner.Alessandrocourt, traverse le salon et attend. Un coup. Deux. Le répondeur s’enclenche. « Vous êtes bien au068 08 54… », il continue, « laissez unmessage… ». Et si c’était elle ? Alessandro s’approche duboîtier,pleind’espoir.«…aprèslebipsonore.»Ilfermelesyeux.«Alessandro,monchéri, c’est tamère.Maisqu’est-ceque tudeviens ?Mêmesur tonportable, tunerépondspas…»Alessandro se dirige vers l’entrée, prend son blouson, les clés de sa voiture et sonMotorola. Puis ilclaquelaporte,tandisquesamèrecontinuedeparler.«Pourquoineviendrais-tupasdînercheznous lasemaineprochaine,peut-êtreavecElena?Je te l’aidéjàdit,çameferaitplaisir…Çafaitlongtempsqu’onnes’estpasvus…»Maisilestdéjàdevantl’ascenseur,iln’apaseuletempsd’entendre.Jen’aipasencoreréussiàdireàmamèrequ’Elenaetmoinoussommesséparés.Quellebarbe.Laportes’ouvre, ilentreetsouritensevoyantdanslemiroir.Ilpousseleboutondurez-de-chaussée.Danscescas-là,ilfautfairepreuved’unpeud’ironie.J’auraibientôttrente-septansetjesuisànouveaucélibataire.C’estbizarre.C’estcedontrêvent laplupart desgarçons.Redevenir célibatairepour s’amuserunpeu et commencerunenouvelleaventure.C’estvrai,ça.Jenesaispaspourquoijen’arrivepasàleprendrebien.Ilyaquelquechosequimeturlupine.Lesderniersjours,Elenaétaitbizarre.Est-cequ’elleavaitquelqu’und’autre?Non.Ellemel’auraitdit.Bah,jeneveuxplusypenser.C’estbienpourçaquejel’aiachetée.Vroum.Alessandro

etsavoitureneuve.Mercedes-BenzMI320Cdi.Derniermodèle.Unejeepneuve,parfaite,immaculée,achetée il y a un mois à cause de la douleur causée par Elena. Ou mieux, à cause du « méprissentimental»qu’ilaressentiensuite.Alessandrodémarre.Unsouvenirremonte.Ladernièrefoisquejesuissortiavecelle.Nousallionsaucinéma.Unpeuavantd’arriver,Elenaareçuuncoupdefilmaisellen’apasrépondu,elleaéteintsontéléphoneetellem’asouri.«C’estrien,leboulot.Jen’aipasenviederépondre…»Moiaussijeluiaisouri.Quelbeausourireelleavait,Elena…Maispourquoijeparleaupassé?Elenaaunbeausourire.Cespenséeslefontsourire,luiaussi.Oudumoins,ilseforceàsourire,et il prend un virage. A toute allure. Et un autre souvenir qui remonte. Ce jour-là. Celui-ci est plusdouloureux.Cette conversation est imprimée dansmon cœur comme si elle avait eu lieu hier,merde.Commesic’étaithier.Unesemaineaprèsavoirtrouvélepetitmot,unsoirAlessandrorentrechezluiplustôtqueprévu.Etelleestlà.Alorsilsourit,ànouveauheureux,gai,pleind’espoir.—Tuesrevenue…—Non,jenefaisquepasser…—Qu’est-cequetufais?—Jem’envais.—Commentça,tut’envas?—Jem’envais.C’estmieuxcommeça,Alex,crois-moi.—Maisnotremaison,nosobjets,lesphotosdenosvoyages…—Jeteleslaisse.—Maisnon,jevoulaisdire,commenttufaispournepast’ensoucier?—Jem’ensoucie,pourquoitudisquejenem’ensouciepas…—Parcequetut’envas.—Oui,jem’envais,maisjem’ensoucie.Alessandroselève,laprenddanssesbras,laserrecontrelui.Maisiln’essayepasdel’embrasser.Çanon,çaseraittrop.—Jet’enprie,Alex…Elenafermelesyeux,laisseallersesépaules,s’abandonne.Puisunsoupir.—Jet’enprie,Alex…laisse-moipartir.—Maisoùtuvas?Elenapasselaporte.Undernierregard.—Tuasquelqu’und’autre?Elenasemetàrire,secouelatête.—Commed’habitudetunecomprendsrien,Alex…Ellefermelaportederrièreelle.—Tuasjustebesoind’unpeudetempsmaisreste,merde,reste!Troptard.Lesilence.Uneautreporteseferme,maissansclaquer.Etellefaitplusmalquel’autre.—Tuasmonméprissentimental,merde!Alessandrohurle, sans savoirvraimentcequecettephraseveutdire.Mépris sentimental.Bah.C’étaitpourlablesser,pourdirequelquechose,pourfairedel’effet,pourchercherunsenslàoùiln’yenapas.Rien.Un autre virage. En tout cas, cette voiture est parfaite, vraiment parfaite. Alessandro met un CD. Ilaugmenteleson.Rienàfaire,quandquelquechosetemanque,ilfautremplirlevide.Mêmesi,quandils’agitd’amour,riennesuffitvraiment.

3Mêmeheure,mêmeville,justeunpeuplusloin.—Faisvoircommentçameva!—Maistuesridicule!OndiraitCharlieChaplin!Ollydéambulesurletapisdelachambredesamère,elleaenfilélecostumebleudesonpère,aumoinscinqtaillestropgrandpourelle.—Maisqu’est-cequetudis,ilmevamieuxqu’àlui!—Lepauvre,tonpèreaseulementunpeudeventre…—Unpeu?OndiraitlemorsedufilmAmouretamnésie!Regarde-moicepantalon!Ollyattrapelatailleetl’écartédelamain.—C’estlahottedupèreNoël!—Super!Alorsdonne-nouslescadeaux!Les Ondes se lèvent et lui sautent dessus en fouillant partout, comme si elles cherchaient vraimentquelquechose.—Vousmechatouillez,stop!Vousêtestropméchantes,cetteannéevousn’aurezqueducharbon.EtpourDiletta,ungrosbâtonderéglisse,commeçaelles’habitueàlaforme…—Olly!—Oh,maisc’estpaspossible,tunepeuxpast’empêcherdetemoquerdemoijusteparcequejenefaispascommetoi,quin’enlaissepaséchapperun!—Oui,d’ailleursonm’appelleTerminator!—Ellen’estpasdetoi,celle-là!Ellesrientànouveauetsejettentsurlelit.—Est-cequevousvousrendezcomptequetoutacommencéici?—Quoidonc?—Lefaitquevousayezlachanced’avoiruneamiecommemoi.—C’est-à-dire?—Mamanet papa, parune chaude soirée, il y aplusdedix-huit ans, décidèrentque leurvie avaientbesoin d’une secousse, d’une décharge d’énergie, et alors, boum ! Ils finirent sur ce lit à en faire debelles!—Quellebellemanièredeparlerdel’amour,Olly!—Ouais,amour,appelons-leparsonnom,sexe!Dubonsexe!Dilettaembrasseundescoussins.—C’estunechambremagnifiqueetcelitestvraimentconfortable…Regardelesphotossurlatabledenuit.Ilsétaientbeaux,tesparents,lejourdeleurmariage.ErikaattrapeNikiparlecouetfaitminedel’étrangler.—Toi,Niki,est-cequetuconsensàprendrepourépouxFabio,icinonprésent?Nikiluidonneuncoup.—Non!—Eh,lesfilles,aufait…Commentças’estpassé,votrepremièrefois?EllessetournenttoutesversOlly,puisseregardent.Dilettadevientsérieuseetsetait.Ollysourit.—Oh,jenevousaipasdemandésivousavieztuéquelqu’un!OK,j’aicomprissecommence,commeçavousarrêterezdefairelestimides.Donc…Ollyfutprécocedèsledépart.Dèslacrèche,elleembrassesur la bouche son petit camarade Mario, appelé le Sébum à cause de son énorme production de

cochonneries, à commencer par lesmilliers de bulles qui animaient son petit visage comme de petitsvolcans…—Maisc’estdégoûtant,Olly!—Bah, ilmeplaisait, àmoi, on faisait du toboggan ensemble.Ensuite, en primaire, ce fut le tour deRubio…—Rubio?Maistulefaisexprès,ouquoi?—C’estunnom,ça?—Biensûrquec’estunnom!Trèsjoli,enplus.Donc,Rubioétaitunpetitgarsvraimentmignon.Notrehistoireduradeuxmois,surlesbancsdelasalledeclasse.—Ouais,bon,commeçac’estfacile,Olly.Tuasditlapremièrefois,pasleshistoiresdecourd’école,l’interromptNikiens’installantentailleursurlescoussinsetens’appuyantcontrelatêtedelit.—C’estvrai.Mais jevoulaisvousmontrerquecertainsphénomènessontperceptiblesdès l’enfance!Alors,onpasseauhard?VousêtesprêtespourunrécitdignedePlayboy?Mevoilà.Mapremièrefoisremonteàplusdetroisans.—Àquinzeans?—Tuveuxdirequetuasperdutavirginitéàquinzeans?Dilettalaregarde,bouchebée.—Benoui,pourquoi je l’auraisgardée?Ilyacertaineschosesqu’ilvautmieuxperdreque trouver!Bref, c’était… un après-midi après le lycée. Lui, Paolo, avait deux ans de plus que moi. Une vraiebombe.Ilavaitpiquélavoituredesonpèrepourm’emmenerfaireuntour.—Ahoui,Paolo!Tunenousavaispasditquec’étaitaveclui,lapremièrefois.—Maisilconduisaitlavoitureàdix-septans?—Oui,ilsavaitdéjàunpeuconduire.Bon,pourfairecourt,lavoitureétaituneAlfa75rougefeusupernerveuse,aveclessiègesencuirbeige…—C’estd’unchic!—Ehoui.Maiscequicomptait,c’étaitlui!Jeluiplaisaisbeaucoup.Onestalléssurl’AppiaAntica,l’anciennerouteromaine,etons’estgarésenseplanquantunpeu.—Surl’AppiaAnticaavecl’AlfaAntica.—Trèsmauvaise,celle-là.Bref…Ças’estpassélà,etçaadurétrèslongtemps.Ilm’amêmeditquejem’ensortaisbien,vousvousrendezcompte,alorsquejen’yconnaissaisrien…Bon,rien,pastoutàfait,j’avaisvudesfilmspornoavecmoncousinenvacances,maisdelààlefairepourdevrai…—Maisenvoiturec’estd’unetristesse,Olly…mince,c’étaittapremièrefois.Tun’auraispasvoulu,jenesaispas,moi,delamusique,lamagiedelanuit,unechambrepleinedebougies…—Mais,Erica,c’estdusexe!Tulefaisoùtulefais,peuimporteoù,cequicomptec’estcomment!—J’hallucine.Dilettaserreplusfortsoncoussin.—Moi,commeça,jamais…Lapremièrefois,maistuterendscompte?Tutelarappellestoutetavie.—Maisnon, si tu tombessurunnaze tu l’oublies, tu l’oublies…Mais si tu tombessurPaolo, tu t’ensouvienstoutetavie!Ilm’afaitmesentirtellementbelle…—Etensuite?—Çaafinitroismoisplustard.Tuneterappellespas,aprèsluiilyaeuLorenzo,ditleMagnifique,évidemment…celuiquiétaitensecondeetquifaisaitducanoë.—Non,avectoijen’arriveplusàtenirlecompte.—Bon,moijevousairaconté.Etvous?Toi,Erica?

—Moi,plusclassique,etavecGio’,biensûr.—Classiquedanslesensdelapositiondumissionnaire?—Olly!Maisnon,dans lesensoùGio’avait réservéunechambred’hôtelà lapensionAnticaRoma,cellequinecoûtepaschermaisquiestpropre,auGianicolo.Tusais,Niki, làoùonafaitdormircesdeuxAnglaisesquiétaientvenuespourl’échangeetquetonfrèrenevoulaitpaschezlui?!Soudain,laportedelachambres’ouvreetlamèred’Ollyentre.—Maman,qu’est-cequetufaislà?Sorstoutdesuite.Tunevoispasqu’onestenpleineréunion?—Dansmachambre?—Eh,maistun’étaispaslà.Pardonmaisquandtun’espaslàc’estunespacelibrecommelesautres,non?—Surmonlit?—Biensûr,ilesttellementconfortable,etpuisilmerappelletoietpapaetjemesensensécurité…Ollyprendl’expressionlaplusdouceettendrequ’ellepeut.Unevraietêteàclaques,pourdirelavérité.—Oui,bon…ensuiteturemetstoutenplaceettuenlèveslesplissurlecouvre-lit.Etlaprochainefoistuirasfairetesréunionsàlacave,commelesCarbonariauXIXesiècle.Ciao,lesfilles.Ellesort,unpeuagacée.—Donc,tudisais,lapensionAnticaRoma.Voilàpourquoitumel’avaisproposéeendisantquec’étaitbien!Tul’avaisexpérimentée!— Eh oui ! Bref, nous y sommes allés vers cinq heures de l’après-midi, il avait tout préparé à laperfection.—Maisilnefautpasêtremajeur,pourprendreunechambre?—Bah,peut-être,maisiljouaitaufootaveclefilsdelapatronne,alorsellel’alaisséfaire.—Ah.—Çaaététrèsbeau.Audébutj’avaisunpeupeur,etGioaussi,parcequec’étaitlapremièrefoispourluiaussi,onétaitunpeugauches.Maisfinalement,ças’estpassétrèsnaturellement…Onadormilà-bas,onn’amêmepaseufaimpourledîner.C’étaitlafois,Olly,oùj’aiditquejerestaischeztoiàcausedel’assemblée,tuterappelles?Lelendemainmatin,onaprisunsuperpetit-déjeuneretjesuisrentréeàuneheure.Mes parents ne se sont doutés de rien. J’étais bien. Jeme sentais légère, un peu plusmûre, etj’avaisl’impressionquejenelequitteraisjamais…—Eneffet,onavraimentenviedenejamaislequitter…,ricaneOlly,etDilettaluienvoieuncoup.—Aïe!Maisqu’est-cequej’aidit?—Toujourstessous-entendus!—Mais non,moi je ne sous-entends rien du tout, je file droit, c’est ça la vérité.Et toi,Niki ?AvecFabio,non?Surfondderap?—Euh,oui…avecluietavecdurap,eneffet.Chezlui,pendantquesesparentsétaientenvacances.Ilyadixmois,unsamedisoiraprèsunconcertqu’ilavaitfaitdansunbarducentre.Ilétaittrèsexcitéquelasoiréesesoitbienpasséeetparcequej’étaislà,moi.Luiaussi,ilavaittoutpréparé…Lesalonéclairéavecdeslumièreschaudesettamisées.DeuxcoupesdeChampagne.Jen’enavaisjamaisbu,d’ailleurs…délicieux.Enmusiquedefond,sesderniersmorceaux.Maisbon,cen’étaitpaslapremièrefoispourlui,etçasevoyait.Ilétaitsûrdeluietilmemettaitàl’aise,meprotégeait.Ilm’aditquej’étaiscommeunesuperbeguitareprêteàêtrejouéesansbesoind’êtreaccordéeetàl’harmonieparfaite…Ollylaregarde.—Quellechance!Tuastoujoursducul.

—Oui,eneffet,regardecommentças’estterminé!—Maisquelrapport,tapremièrefois,personnenepeuttelavoler!Puis,d’uncoup,lesilence.Dilettaserreplusfortsoncoussin.LesOndes la regardentmais sans trop insister. Indécises et partagées entre l’envie de plaisanter et d’êtresérieuses.C’estellequibriselaglace.—Moinon.Jenel’aijamaisfait.J’attendslapersonnequimefassemesentirtroismètresau-dessusduciel,commecetteinscriptionsurcepont.Oumêmequatre.Oucinq.Ousixmètres.Jen’aipasenviedefaireçacommeça,etjeneveuxpasqu’onsesépareaprès.—Mais ça n’a rien à voir, tu ne peux pas savoir comment ça se passera après… l’important est des’aimer,c’esttout,non?Sanshypothéquersurlefutur.—Lesgrandsmots,Erica!—Maisc’estvrai.IlfautqueDilettaselance,ellenesaitpascequ’elleperd,etçan’arienàvoiraveccequepenseOlly!—Non,non!—Diletta,tudoistelaisseraller.Maistusaiscombiendegarçonstecourentaprès?!Destas!—Unefoule!—Uneéquipederugby!—Unemarée,pourresterdansl’espritdesOndes!—Écoutez,àmoiilm’ensuffiraitd’un,maisquimeconvienne…—Moij’enconnaisunquipourraitteconvenir!—Qui?—Unbeaucôneglacéàlanoixdecoco!Allez,lesOndes,onyva.—J’aiunemeilleureidée…Certainesd’entrevousn’ontjamaisessayé.—Maisquoi?!—Cen’estpascequevouspensez…C’estcomplètementnouveau…Suivez-moi!Ollysautedulitetsortdelachambre.Niki,EricaetDilettalaregardentetsecouentlatête.Puisellesluiemboîtentlepas,enlaissantnaturellementlecouvre-litpleindeplis.

4Les lumières de la ville sont faibles.Quand tu n’es pas demauvaise humeur, tout te semble différent,l’atmosphèren’estpaslamême.Lescouleurs,leslumières,lesombres,unsourirequineprendpas,quinevapas.Alessandroconduitlentement.VillageOlympique,PiazzaEuclide,untourcomplet,puisCorsoFrancia. Il regarde autour de lui. Un coup d’œil au pont. Mais regarde-moi ces crétins. C’est pleind’inscriptions.Lesalircommeça.Regardecelle-là…«Patatejet’aime.»Aunomdequoi?Aunomdel’amour…L’amour.DemandezàElenadesnouvellesdeMonsieur l’Amour.Eh,Monsieur l’Amour,oùêtes-vouspassé?Ilaperçoitdeuxjeunesgensplanquéssurlepont,dansuncoinnonéclairéparlalune.Enlacés,amoureux,collésl’unàl’autrecommedeuxtendreslierresfaceautemps,auxjours,àcequiseralaproieduvent.Alessandronerésistepas.Ilklaxonne.Ilbaissesavitreethurle:«Eh,lesabrutis!Elleestbelle,lavie,hein?Detoutefaçon,l’undevousdeuxsebarrera!»Puisilaccélère,faitunbondenavant,doubledeuxoutroisvoituresetpasseunfeuorangefoncé.Ilcontinue,toutleCorsoFrancia,puisViaFlaminia,mais,arrivé au deuxième feu, une voiture de police. Rouge. Alessandro s’arrête. Les deux carabiniersbavardenttranquillement.L’und’euxrigoleautéléphone,l’autrefumeunecigaretteendiscutantavecunefille.Ill’apeut-êtrearrêtéepouruncontrôle,oubienc’estuneamiequisavaitqu’ilétaitdepermanenceetquiestpasséeluidirebonjour.Lefaitestqu’auboutd’unmomentlesecondcarabiniersesentobservéetsetourneversAlessandro.Illeregardefixement.Alessandrotournelentementlatête,faisantsemblantdes’intéresseràquelquechose,ilsepenchepourvoirsiparhasardlefeuestpasséauvert.Rienàfaire.Ilestencorerouge.—Pardon…Vroum.Vroum.Un typearrivesurunscooter toutdéglingué,unKymco,avecderrière luiune filleauxlongscheveuxbruns.Ilestbaraqué,ilporteunT-shirtbleucielmoulantquidessinetoussesmuscles.—Oh,jeteparle,dis…Alessandrosepenche.—Oui?—Écoute,t’espasséenhurlantpendantqu’onétaitsurlepontdeCorsoFrancia.Oh,maisc’estànousquetuparlais?Ilfautquetut’expliques,hein.—Non,pardonmaisvousavezmalcompris,jeparlaisautypedevantmoiquiallaittroplentement.—Oh,faispasleconavecmoi.Compris?T’avaispersonnedevantetremercieleciel…Illèvelementonetindiquelavoituredepolice.–…quelesflicssoientlà.Laprochainefois,mecassepaslescouilles,sinonçavamalseterminer…Iln’attendpasderéponse.Lefeuestvert.IlmetlesgazettournesurlaCassia.Ilprendleviragelecorpspenchéetdisparaîtversluiseulsaitoù,versunautrebaiser,peut-êtredansunlieupluscaché…Etpeut-être plus.Alessandro repart tout doucement. Les carabiniers sont toujours en train de plaisanter. L’und’euxafinisacigarette.Ilprendunchewing-gumqueluioffre lafille.L’autreafermésonportableetfeuillettelejournaldanslavoiture.Ilsnesesontaperçusderien.Alessandrocontinue.Auboutd’unmoment,ilfaitdemi-tourpouréchapperàcettesituationgênante.Sionn’estmême pas libre de dire ce qu’on pense, de temps en temps. Parfois, on se sent vraiment trop àl’étroit.Del’autrecôtédelarue,lescarabinierssontpartis.Mêmelafilleadisparu.Ilyenauneautre,quiattendlebus.ElleestnoireetonlaconfondraitpresqueaveclanuitsielleneportaitpasunT-shirtroseavecundrôledepersonnage.Maisçanelefaitpasrire.Alessandrocontinueàconduirelentement,ilmetunautreCD,puischanged’avisetpasseàlaradio.Parfois,ilvautmieuxsefierauhasard.Quellebombe,cetteMI.Belle,spacieuse,élégante.Lamusiquesediffuseparfaitementgrâceauxhaut-parleurs

bienrépartis.Toutal’airparfait.Maisàquoisertlaperfectionsituesseuletquepersonnenes’enrendcompte?Personnenepeutlapartageravectoi,tefairedescompliments,nimêmet’envier.Musique.Vorreiessere ilvestitocheporterai, il rossettocheuserai,vorreisognarticornenon tihosognatomai,tiincontroperstradaediventotriste,perchéopipensocheteneandrai…(«Jevoudraisêtrelarobequetuporteras,lerougeàlèvresquetumettras,jevoudraisterêvercommejenet’aijamaisrêvée,jeterencontredanslarueetjedevienstriste,parcequejepensequ’unjourtupartiras…»)Ah,Lucio1.C’estpeut-êtreunhasard, je te l’accorde,maisondiraitque tu te fousdemoi.Pasmal, cetteidée,pourunenouvellecartedecrédit:«Tuastout,saufelle.»Alessandroappuiesurleboutonpourchangerdestation.N’importequellechanson,maispascelle-là.Iln’yariendepirequedesentirqueletravaildevienttaseuleraisondevivre.LesbergesduTibre.LesbergesduTibre.EncorelesbergesduTibre.Ilmontelevolumepourseperdredanslacirculation.Aunfeu,Alessandros’arrêteetestrejointparunepetiteMini.Al’arrière,ilestécrit«Lingi»,etunemusiquetrèsfortesortparlesvitresbaissées.Onsecroiraitenboîtedenuit.Al’avant,deuxfillesauxcheveuxlongsetraides,unebruneetuneblonde.Ellesportenttouteslesdeuxdesgrosseslunettesdesoleilgenreannéessoixante-dix,avecunefinemontureblancheetd’énormesverresdégradésmarron. Pourtant, il fait nuit. L’une d’elles a un petit piercing au nez.Minuscule, comme un grain debeautémétallique.L’autrefumeunecigarette.Ellesn’échangentpasunmot.Çaluifaitpenseràlascèned’HarveyKeiteldansBadLieutenant.Ilvoudrait lesfairedescendreetfairecommedanslefilm,maispeut-êtrequeletypeàscooterestencoredanslesparages,peut-êtrequecesontdescopinesàluiou,pireencore,descarabiniers.Alorsilleslaissepartir.Vert.Etpuis,cen’estpascommeçaqu’onaffronteleschoses.La rageet ce«mépris sentimental»doivent être canalisés autrement.Alessandro l’a toujoursrépété,laragedoitgénérerlesuccès.Maislesuccès,lui,quegénère-t-il?LaMercedesestmaintenantgaréeauchâteauSaint-Ange.Alessandromarchesurlepont.Ilregardelestouristesquibavardentgaiement,enlacés,insouciants,desjeunesgenssurprisparRome,parlabeautédecepont,parlesimplefaitdenepasêtreaubureau.Uncoupleunpeumoinsjeune.Deuxjeunesathlètes,cheveuxcourtset longuesjambes, iPodsurlesoreillesetcartepliéeàlamain.Alessandros’arrêteauborddupont.Ilsemetdeboutsurleparapetetregardeenbas.Lefleuve.Ilcourt,lent,silencieux,avidedetouteslessaletésquipassent.Quelquessacsenplastiquenaviguenttranquillement,unmorceaudeboisselancedansunecourseapproximativeavecunjeuneroseau.Desratscachéssurlarivejouentlerôledespectateurs.Alessandroregardeplusbas,au-delàdupont,lelongducoursduTibre,etilpenseaufilmde FrankCapra avec James Stewart, La vie est belle, quandGeorgeBailey, désespéré, décide de sesuicider.Sonangegardienl’arrêteetluimontrequellesauraientétélesconséquencespourtantd’autresgenss’iln’étaitpasné.Sonfrèreseraitmort,safemmeneseseraitpasmariée,elleseraitrestéevieillefille,toussesenfantsneseraientpasnésetmêmesonvillageauraitportéunautrenom,celuidutyran,levieuxmillionnairePorter,queluiseularéussiàcontrer.Voilà.Laseulechosevraimentimportante,laseulechosequicomptepourdebon,c’estdedonnerunsensà sa vie.Même si, comme diVasco, elle n’a pas de sens. C’est vrai.Mais sansmoi, que se serait-ilpassé?Alessandroyréfléchit.Jenem’entendspasbienavecmesparents,ouplutôtcesonteuxquin’ontdeconsidérationquepourlesgensmariés,commemesdeuxpetitessœurs.Donc,sansmoi,ilsauraientseulementquelquessoucisenmoins.Etpuis,sijedécidaisdesauter,est-cequ’ilyauraitunangegardienpourmefairedécouvriroucomprendrelesensdecettevie?Justeàcemoment-là,ilsentunemainsursonépaule.—Doc1?

—MonDieu,qu’est-cequ’ilya?—C’estmoi,doc.Unclochardauxcheveuxsales,toutdébraillé,pastrèsrassurantettoutsaufangélique.—Pardon,doc,jevoulaispasvousfairepeur,z’auriezpasdeuxeuros?Pasuneuro,penseAlessandro,deux!Ilspartentaguerris,exigeants,ilsontdéjàleurbusinessplan, leplanningprécisdeleursrequêtes.Alessandroouvresonportefeuille,sortunbilletdevingteurosetleluidonne.Leclochardleprend,unpeususpicieux,puisleretourneentresesmains,leregardemieux.Iln’encroitpassesyeux.Ilsourit.—Merci,doc.Dansledoute,penseAlessandro,sipersonnenesauteavantmoinipourmoi,j’auraiaumoinslaisséunbonsouveniràquelqu’un.Madernièrebonneaction.Soudain,unevoix.—Maisvoicil’hommeàsuccès,leroidesspots!Alessandrose tourne.Del’autrecôtédupont,voilàqu’arriventPietro,Susanna,EnricoetCamilla. Ilsavancent, tranquilles et souriants. Enrico tientCamilla par le bras et Pietromarche un peu devant lesautres.—Ça alors !Alex,mais qu’est-ce que tu fous ?Une enquête de comportement ?Tu étudies vraimentn’importequoi,pourfairetesspots,hein?Tuétaisentraindeparleraveccetype…Ilseretourneetvérifiequeletypes’estéloigné.—Jepariequetaprochainepublicitéserajustementavecunclochard!—Maisqu’est-cequeturacontes,jemepromenais,c’esttout.Etvous?Qu’est-cequevousfaites?—Onaétéauresto,maiscen’étaitpasterrible.—Qu’est-cequinet’apasplu?—Rien,c’estjustequematantecuisinebeaucoupmieux.—Evidemment,tatanteestuneSiciliennepurjus!—Tuesunsacrénuméro,hein.NoussommesallésmangeraurestoCapricciSiciliani,ViadiPanico.Onvoulaitt’appeler,maisjemesuisrappeléquetum’avaisditquecesoirilyavaitunefêtechezAlessia,detonbureau,jepensaisquetuyserais.—C’estvrai,j’aicomplètementoublié.—Maisquelsacrénuméro!—Tuasfiniavecce«sacrénuméro».Ondiraitunspotpublicitaire!—Allez,jet’accompagnechezAlessia.—Maisjen’aipasenvied’yaller.—Si,si,aufondtuasenvie.Etpuis,çaferamauvaiseffetsitunetemontrespas,onpenseraquetuesenconflitsocio-économico-culturelavectonassistante…—Maisilyauratoutlemonde.—Justement,ilfautquetuyailles,etpuis,pardon,maistum’asconfiéuncertainnombredevosaffaires,entantqu’avocat,etdonc…—Donc?—Doncjet’accompagne.Pietros’adresseàSusanna.—Monamour,ça t’ennuie?Tuvoiscommeilestdéprimé?Mieuxvautque j’ailleavec lui, iladesproblèmesdecœur…etpuis,ondoitparlertravail.Alessandros’approche.—Problèmesde…?Maisqu’est-cequeturacontes?

—Non,rien,rien.Eh,vousvoulezvenir,vousaussi?EnricoetCamillaseregardent,sourient.—Non,onestfatigués,onrentreàlamaison.—OK,commevousvoulez.PietroprendAlessandroparlebras.—Ciao,monamour,jenerentreraipastard,net’inquiètepas.Iltiresonami.— Allez, allez, avant qu’elle ne change d’avis ou qu’elle ne dise quelque chose. Elle est de bonnehumeur,cesjours-ci.—Maisqu’est-cequetuluiasdit,toutàl’heure?—Rien.J’aijusteinventéunbobardpourrendreplausiblelathèsedusoutienpsychologique.—C’est-à-dire?—Bah,jeluiaiditquetuavaisdesproblèmesdecœur.—Tuneluiaspasditque…—Allez,quelleimportance,nouslesavocatsnousavonsunrapporttrèsétroitaveclemensonge.—Maiscen’estpasunmensonge.C’estjustequejen’aipasenviequetuenparles…Jenel’aiditqu’àtoi.—Oui,maisc’estdestrucsquetudiscommeça.—Commeçacomment?—Commeça!Oh,maisc’esttanouvelleMercedes?—Oui.—Alorsc’estvrai.ToietElenavousêtesséparés.Jepeuxl’essayer?—Non!C’estlameilleure,ça,çafaitunmoisquejetel’aiditettun’ycroisquemaintenant.—Maintenant j’ai la preuve. Tu n’aurais jamais acheté cette voiture, c’est toi quime l’as dit il y aquelquetemps.Tuterappelles?Acheterquelquechosedeneufpeutt’aideràtesentirmieux.—Aproposdequoijet’avaisditça?— Jem’étais acheté un nouveau téléphone portable parce queManuela, la vendeuse de vingt ans, nevoulaitplusmevoir.—Ah,c’estvrai,tumel’avaisraconté,maisj’aidumalàsuivretoutesteshistoiressentimentales.CetteManuela,parexemple,jel’avaiscomplètementoubliée.—Moi, j’ai fait ce que tum’avais dit. J’ai suivi les conseils dugrandmaître que tu es… jeme suisachetéunportableneuf,supertechnologique,etsurtout…Jel’aiachetéchezTelefonissimo!—Quelrapport,jenet’avaispasditoùtudevaisl’acheter!—Non, mais c’est là que travailleManuela ! Elle a pensé que c’était un prétexte pour la revoir etboum…j’aieudroitàdeuxpetitsrencardsdeplus.—MonDieu, tuesunvraidésastre.Tuasdeuxenfantsadorables,unebelle femme. Jenecomprendsvraimentpas cet acharnement, cette faimsexuelle, cet excèsde consommation,partout et toujours,unevéritableluttecontreletemps,etsurtoutcontrelesfemmes.D’aprèstoi,pourquoifaut-ilabsolumentquetutelesfassestoutes?—Qu’est-cequi sepasse, tuesen traindemepsychanalyser?Ou tuveuxm’évaluerpourunede tespubs ? Pardon, hein,mais une histoire comme lamienne ne pourrait pas être une super pub pour unemarquedepréservatifs?Imagine,onvoitcetype,bon,pasmoi,unautre,quivaavecpleindefemmes,etàlafinilsortunepetiteboîte.Ceux-là…c’étaitquoi,leurnom,déjà?—Condom.—C’estça.Bon,enfaitonnecomprendpasbiens’ilselesfaittoutesparcequ’ilesttrèsfortougrâceauxpréservatifs…C’estpasmal,non?Évidemment,lesmannequinspourlecastingjem’occupedeles

testeravant…Toitut’occupesdechoisirleprotagonistemasculin.—Biensûr,c’estévident.Etmonentrepriset’interdirapeut-êtredefairecertainesconsultationslégales?—Non,tunepeuxpasmefaireça.Pietro tombeàgenouxdevant laMercedesMI. Justeàcemomentpasseunebelle touriste,une femmed’uncertainâge,quisouritetsecouelatêteendisant:«CesItaliens!»—Allez,çasuffit,monte.—Eh,maisçaaussi,çapourraitêtrelenouveauspotpourlaMercedes,non?

5Mêmeheure,mêmeville,maisplus loin.A l’Eur.Derrière leLunaPark, surunegrandeplacecachéedans la pénombre, entourée de pins, de quelques petitesmontagnes de verdure et d’un grand bâtimentabandonnédepuis longtemps.Ungroupede jeunes gens debout contre leurs scooters, oubien assis aubord de la route, ou encore installés dans leurs voitures, les fenêtres ouvertes et les jambes pendantnonchalammentàl’extérieur.Detempsàautre,unepetiteboufféedefumées’échappe,commeuncalumetquipassedevitreenvitre,unsignederalliement.Oui,cesontbienelles,lesOndes,lesquatreamiesdesortie.—Oh,tuleveux?Prends-le.—Non,jen’aipasenviedefumer.—Maisc’estunjoint,pasunecigarette.—Justement…Nikil’éloignéd’elle.—Maisqu’est-cequisepasse?—Oh,tuasdesproblèmes?Dilettaintervient.—C’esttoiquiasdesproblèmes,s’ilfautquetufumespourêtrejoyeuse…Nikitentedecalmerlejeu.—Allez,fiche-luilapaix.—Maispourquoitufaistoujoursçaavectoutlemonde,tuesincroyable,tucherchestoujoursladispute.—Moijeluiaijusteditquejenevoulaispasfumer,c’estellequiveutsoumettretoutlemondedeforceàlaculturedujoint,commesic’étaitunesectereligieuse.—Qu’est-cequetueschiante!—Moi?!—Maisonpeutsavoircequ’onattend?—Oui,tuasparlédenouveauté,nouveauté…maisilnesepasserien,ici…—Sérieusement,tun’asjamaisfaitleBBC?—C’estquoi,ça,leJTaméricain?—LeBoumBoumCar.—Sérieusement,jenel’aijamaisfait,pourquoijeteraconteraisdesbobards?—Bon,c’estgénial,alors…Voilà,tuvois,çac’estlesgants.—Etqu’est-cequej’enfais?—Tudoislesmettrepournepaslaisserd’empreintes.—Maisquellesempreintes,jenesuispasfichée,moi!—Oui,maissiunjourilsfontuncontrôleetteprennenttesempreintes,ilsremonterontàtoi.—Contrôle,empreintes,maisdequoituparles?Pourquoiilsdevraientprendremesempreintes?—Ensuite,ilyaça,ditOllyensortantdesapochedeslunettesàélastique.—Maiscesontdeslunettesdepiscine!—Oui,commeçaellesnetombentpasquandtuteprendslechoc.Tusais,parfoislesvitresdesvoituresexplosent!—Quellecrétine!Tudisçaexprèspourmefairepeur.—C’estça!D’ailleurs,tun’aspasditquetun’avaisjamaispeur?—Pourlesinterrogationsorales…maisçac’estautrechose.—Voilà,bravo,vousm’yavezfaitpenser,demainj’enaiuneàlapremièreheure!

Taratatataratatataratata.Undrôledesondetrompette,decesklaxonsbourrinsquisefontdeplusenplusrares,explosesoudaindansl’airnocturne.—Çayest,ilsarrivent.Cinqvoituresdifférentesfontleurentréesurlaplace.L’uned’ellesfreineenfaisantcrisserlespneus,lesautres la suivent enessayantplusoumoinsde l’imiter.UneFiat500.UneMini.UneCitroënC3.UneLupo.UneMicra.Ellesaccélèrenttoutesetdégazentlepluspossible.—Commentçasefaitqu’iln’yaquedespetitesvoitures?—Bah,c’étaientlesseulesqu’ilyavait,ilsn’ontrientrouvédemieux.—Maiscombienvousavezpayépourchaquevoiture?— Cent euros pièce, on est allés les prendre chez Manna, sur la Tiburtina, tu sais, le mécaniciencarrossier?—Jevois…—Ellesétaientdéjàprêtes,lebloque-volantenlevéetlesclésdessus,tropcool!—Ilst’ontexpliquécommentlespréparer?—Unpeu,oui!Lesvoilà,onadéjàaccrochélesroues.—Alorsmontez-les.—Allez,faitesleséquipes.—Moijevaisaveclui.—Moijeviensavectoi,jepeux?Lesfillesmontentchacunedansunevoiture.Toutesincroyablementgaies,excitées,sousadrénaline.—Oh,quetroisparvoiture,hein,uneseulederrière.—Jenevaispasyarriver…—T’aslatrouille,Niki…—Non.C’estqueçanem’amuseplus.—Ettoi,Diletta,qu’est-cequetufais,tuviensoupas?—Non,maisvousêtesfolles,ouquoi?C’estquoi,ceBoum-BoumCar?—C’estuntrucgénial,ettoituesunetrouillarde!LesdeuxautresOndes,OllyetErica,montentdanslesvoituresenmêmetempsquelesautresfilles.Untypeouvrelaportièredelasienneetmetlamusiqueàfond.—Allez,nousonpariesurvous!Alors, jerépètelesrègles,pourceuxquinelesconnaissentpas.Ladernièrevoiturequicontinuederoulergagnetout.Lesparissedivisentcommesuit:lamoitiéàceuxquisontdanslavoiturequigagne,etl’autremoitiépartagéeentreceuxquiontpariésureux.Une fille hurle : «A vos places ! » Plusieurs types passent à toute vitesse, ferment leurs portières etplacentlesdeuxpneusdessus,reliésentreeuxparunelonguecordequipassesurletoitdel’auto.Lespneustombentdechaquecôté,unpeucommelaselled’uncheval,etilsseposentcontrelesportières,àplat,pourlesprotégerdeschocs.Autantquepossible.Unefilleenshortcourtaumilieudelaplaceavecunsiffletcoloréets’arrêtedevantlescinqvoitures.Puiselleprenddanssapocheunbandanad’unbeaurouge vif. Elle le lève vers le ciel avec un geste splendide, emphatique, marraine amusée de ceBoumBoumCar. Puis elle le baisse d’un coup en riant et en sifflant. « Partez ! », et elle court pours’éloignerducentre,apeurée,etsautesurleborddelaroutepourseréfugierloindecefolaffrontementdevoitures.Lesvoituresfontcrisserleursrouesetdémarrent.La500sedirigeverslaMicra,luirentrededans,maislaMinilaprenddecôté.LaCitroënC3sombreroulevite,lesdépassetouteslesdeuxpuismetd’uncouplamarchearrièreetheurtelaLupo,détruisantsonradiateur.La500arriveetemboutitle

côté de la Micra, rebondissant sur les pneus de protection. Les deux vitres explosent, les filles àl’intérieurhurlent,crient,àlafoisapeurées,amuséesetexcitées.Puisellesl’aperçoivent,etsemettentàbeugler.—Vite,dégaged’ici,Fabioarriveàtouteallure.LaMicrafaituneembardéeetcontrebraque,freineetrentredenouveauenpleindansla500.Lavitredela portière arrière explose enmillemorceaux.Elles continuent comme ça, se détachant, s’éloignant etrevenantenarrièreetavançantcommedesfolles.Etboum,denouveaulaMicracontrelaLupo.Etboum,laMinicontrela500,etboum,laMinicontrelaMicra,etboum,par-derrière,laMicracontrelaC3.Etencore,etencore,sedétruisantmutuellement,l’unecontrel’autre,avecunbruitsecdetôle,deportièrescabossées,deverrebrisé,depharesquiexplosent,degarde-bouequisefroissent,decoffrespliessureux-mêmescomme les crampes soudainesd’unemainmétallique.Lespneusutilisés commedes sellesrebondissentsurlesportières,volentverslehautavantderetomber.D’autressedétachentetroulentauloin,libres,verslesjeunesgensauborddelaroute.Etboum,boum,boum.Peuaprès,leBBCprendfin.LeBoumBoumCara sonvainqueur.Les radiateursde laMini etde laMicra fument, leurs avants sontcomplètementdéfoncés,la500esttoutepliéesurelle-même,l’arbrederouefenduetlesrouestordues,inclinéesvers l’extérieur.Ondiraitun taureaufrappépar ladernièrebanderille,quiplie lesgenouxetfinitlemuseauparterreensoufflant.LesdeuxpneuslatérauxdelaMicraontexplosésousleschocsetsesontencastréssouslatôlesurlescôtés.LaLupoest laseulequiréussitencoreàavancerunpeu.Ellegrogneensedirigeantverslecentredelaplace.Soudain,elleperdsaplaque,quitombeparterreavecun bruit de fer-blanc, comme ces vieilles boîtes de conserve qu’on attache derrière les voitures desjeunesmariés.Maispersonnenes’estmariécesoir,etaucunpropriétairen’auralajoiederetrouversavoiture,maintenantqu’ellessontainsiréduites.—Waouh!Onagagné!Lesjeunesauborddelarouteexplosentdejoie.—Jelesavais!Ilnefallaitpasdonnerlesbrebisàgarderauloup!Lesblagues rusent, etmêmepire, tandisquequelqu’un,plusmesquinque lesautres, s’occupedéjàderetirer les gains et de faire les comptes. Les héros conducteurs sortent les uns après les autres desvoitures, certains en se glissant par les fenêtres cassées, d’autres par les portières arrière, d’autresencoreparlepare-briseenmorceaux.Ilsretirenttousleurslunettesdepiscine.—Ouah!Combienons’estfait?—Allez,onagagné!—Tupartagesbien,hein?Nenousarnaquepas.Fabioprendlessousquiluireviennentetlesrecompterapidement.—J’ycroispas,sixcentseuros!Allez,Niki,jet’offreundînerfabuleux,commeçaonfaitlapaix.—Maistun’aspascompris?Combiendefoisilfaudraquejetelerépète?Iln’yapasdedînerquitienne!Nousnesommesplusensemble,toietmoi.—Maiscomment…Tuasdit…—Jet’airendutoutestescassetteslasemainedernièreetjetel’aiditdetouteslesfaçonspossiblesetimaginables.Vraiment, jenesaisplusquoiinventerpourtelefairecomprendre.Fini.Kaput.End.AufWiedersen.C’estterminé…—OK,commetuveux.Eh,lesfilles,Nikietmoi,onn’estplusensemble.—Ellesétaientaucourant,tusais.—Donc je suis de nouveau sur le marché, attention à vous. Fabio empoche l’argent, monte sur sonscooterets’enfuiten

vitesse.Lesautresse regardentpendantunmoment,puishaussent lesépauleset fontcommesiderienn’était.Ollys’approchedeNiki.—Quandilfaitça,ilestvraiment…—Ilestvraimentsalaud!Dilettas’enmêle.—Pardon,maisilapristoutl’argent,iln’arienpartagé…—Bah,ilestcommeça,Fabio.—Maisnormalementonpartageavecl’équipe,non?ditErica.Nikihausselesépaules.—Jetel’avaisdit,quec’étaitunsalaud,non?Quelqu’unaunecigarette?Ollysortunpaquetdesapoche.Dilettas’approcheetNikidonnequelquestapessursonT-shirt.—Faisattention,tuespleinedepetitsmorceauxdeverre…—Imaginesimesparentsmechopent,qu’est-cequejeleurdis,quej’aifaitleBBC?ditOlly.Dilettasecouelatête.—Ilvautmieuxleurdirequetuaseuunaccident,maispasavecmaMini,hein?Parcequesinonilsnetecroirontpas,ilfaudraquejelacabosseexprès.Jet’imaginedéjàenbasdechezmoiavecunmarteau.—Oui,elleenseraitcapable!Elleséclatenttoutesderire.—Allez,quimeramènechezmoi?Demainj’ail’interrogation…Ollyrâle.—Quellebarbe,çaveutdirequoi,quelasoiréeseterminecommeça?—OK,jeveuxbienmangervitefaituneglacechezAlaska.—Ouh,quelleaventurière,hein?Bon,OK,OK,onseretrouvelà-bas.—Maisensuiteonrentrepourdebon,d’accord,ditDiletta,parceque,bon,avectoutcequevousvenezdefaire,sivousavezencoreenviedefairedesdégâts…—OK,mamanDiletta.Moi,j’aibienuneidée,faitOllyenlevantunsourcil,ilyaunesuperfête!NikitireDilettaparsonT-shirt.—Allez,uneglaceetaulit,çasuffit!—Salutlesgars,nousonyva.Elless’envontenriant.Olly,Niki,DilettaetErica,lesOndes,commeelless’appellentdéjàdepuislecollège,depuisqu’ellessontdevenuesamies.Ellessontbelles,joyeuses,différentes.Elless’aimentbien.Beaucoup.NikivientdeseséparerdeFabio,Ollyenquittepratiquementunparjour.EricaestdepuisuneéternitéavecGiorgio,Gio’,commeellel’appelle.EtDiletta…Dilettaestencoreàlarecherchedesonpremierpetitami.Maiselleaconfiance:tôtoutard,ellerencontreralebon.Dumoinselleespère.Oui,ellessont fortes, lesOndes,etsurtoutcesontde trèsbonnesamies.Mais l’uned’entreelles trahira lapromessequileslie.

6—Eh,regardezquiestlà!Lechef!Ilestmêmevenuavecsonavocat!Oh,chef,onn’estpasauboulot,cesoir,hein?C’estunefête,pasuneréunion!plaisanteAlessiaenouvrantlaporte.Elles’écarteetfaitunepetiterévérence,laissantAlessandroetPietroentrer.Ilyabeaucoupdemonde.—Onnevousespéraitplus.Maisj’aigagnémonpari,vousêtespassés!Pietros’approche,passeunbrasautourducoud’Alessandroetluichuchoteàl’oreille:«Tuasvu,jetefaistoujoursfairebonnefigure,ilfautquetonstaffcroieentoi,sinonquelcheftufais,heinchef?Alessandroretiresonbras.—Pourcommencer,lepremierquim’appellechefestsuspendupourdeuxjours.Ettousenchœur:—Chef,chef!—D’ailleurs,non,jeretirecequej’aidit,lepremierquim’appellecheftravailledoublependantdeuxjours!—Pardon,chef,euh,non,pardonAlex!—Sijesuistrèsfamilieravectoi,jegagnequelquechose?Jenesaispas,moi,despetitesvacances?—Travaildoubledanstouslescas,pourtentativedecorruption.—Bon,ilyaquelquechoseàboire,ici?Alessia,l’assistanted’Alessandro,s’approcheavecunverreplein.— Voilà, du Muffato, c’est ce que tu aimes, n’est-ce pas, ch… ? Alessandro lève un sourcil en laregardantd’unairméchant.—Cherami,jevoulaisdirecherami,jelejure.—Cen’estpastrèsàproposnonplus.Allez,amusez-vouscommesijen’étaispaslà,etmêmecommesinousn’étionspaslà.Pietroluivolesonverredesmainsetenboitavidementunegorgée.—Eh,commentça,commesinousn’étionspaslà?Moijesuislà,unpeuquejesuislà!Ilestbon,cevin,qu’est-cequec’est?—DuMuffato.—Jepourraisenavoirunautre,demandeAlessandroàAlessia,quiremplitunautreverreetluipasse.—CommentçasefaitquetunesoispasvenuavecElena?Pietroleregardeetfaitsemblantdes’étrangler.Alessandroluidonneuncoupdecoude.—Ellenepouvaitpas,elleavaitdutravail.Alessialèveunsourcil.—Ah.Ilyaaussideschosesàmangersurlatable,sivousvoulez.Moijevaismettredesboissonsaufrais.Faitescommechezvous.Alessias’éloigne,sarobelégèreetmoulantemetbiensesformesenvaleur.Pietros’approched’Alessandro.—Mmh,vraimentbon,ceMuffato…Ettonassistanteaussiestvraimentbonne.Devisage,ellen’estpasterrible,maiselleaundecesculs…Tun’asjamaistentétachance?D’aprèsmoi,elleenpincepourtoi.—Tuasfini?—Enfaitjeviensdecommencer.Pardon,maispourquoituneluiaspasditquetoietElenavousêtesséparés?—Nousnenoussommespasséparés.—Bon,d’accord,ellet’aquitté.

—Non,ellenem’apasquitté.—Etalors,qu’est-cequis’estpassé?C’estlameilleure,ça.Elleadisparu,quandmême.—Ellen’apasdisparu.Elleabesoind’unmomentpourelle.—Qu’est-cequeçaveutdire,unmomentpourelle?C’estpirequ’unepausepourréfléchir…unmomentpourelle.Elleestpartiedelamaison,elleaemportétoutessesaffaires,alorsquevousétiezsurlepointdevousmarier.Maistudisqu’ellenet’apasquitté,qu’elleprendunmomentpourelle.Alessandrosetaitetboit.Pietroinsiste.—Alors,qu’est-cequetudis?—Quec’étaituneconneriedeluidemanderdem’épouser.Ouplutôt,non,c’étaituneconneriedetoutteraconter,ounon,de t’emmeneràcette fête,etmêmemieux,de te laisseravoirdes rapportsde travailavecmonbureau,derestertonami…—OK,OK,situesaussisusceptiblequeça,çanem’amusepas.Jem’envais.—Maisnon,neparspas.—Quiaparlédepartir?Ilyapleindecanonsici,jenesuispasaussiidiotquetoiquiveuxtegâcherl’existence!Jevoulaisdirequejem’envaisplusloin,àlapêche.Pietro s’éloigne en secouant la tête. Alessandro se verse un peu de Muffato puis se dirige vers labibliothèque,posesonverreetfouineparmileslivresd’Alessia.Ilssontrangéspartailleetparcouleur,certainspargenre.Surlecanapé,quelqu’unrit,destypesdeboutprèsdelatableparlentfort,nouvellesentousgenres,cinéma,foot,télé.Alessandroprendunlivre,l’ouvre,lefeuilletteets’arrête.Iltentedelirequelquechose.«Sivouscroyezaucoupdefoudre,vouscherchereztoujoursl’étincelle.»Maiscen’étaitpasleslogandufilmCloser,ça?C’estquoi,celivre?Siledestins’ymetaussi…Quandtuviensdeteséparer,tuasl’impressionquelemondeentierenaaprèstoi.Toutlemondes’arrangepourtelefairesentirencoreplus.—Bonsoir.Alessandrose retourne.Devant lui se tientun jeunehommepetit,unpeuchauve, rondouillardmaisauvisagesympathique.—Tunetesouvienspasdemoi?Alessandroplisselesyeuxencherchantdanssamémoire.Rien.—Tuneterappellespas,n’est-cepas?Allez,écoutebienmavoix…tul’asentenduedesmilliersdefois.Alessandroleregardemaisrienneluivientàl’esprit.—Alors?—Alorsquoi,tun’asriendit!—OK,tuasraison.Alors…Bonjour,c’estlebureau…Allez,c’estfacile,vraimenttuneterappellespas ?Tu as entendumavoixdesmilliers de fois…Bonjour, servicemarketing…Allez, je travaillaisavecElena!Encore.Maisc’estuneblague?Vousm’envouleztous?—Maissi,unefoistuespassélavoir,moij’avaislebureauàladroitedusien.—Oui,c’estvrai,maintenantjem’ensouviens.Alessandroessayed’êtregentil.—Non,moijepensequetunet’ensouvienspasdutout.Quoiqu’ilensoit, jen’ysuisplus,ilsm’ontchangédeservice,ouplutôtilsm’ontdonnédeuxjoursdevacances.Demainj’aiunentretienparcequejecommenceunnouveautravail,toujoursauseindelaboîte,hein…Commentçasefaitqu’Elenanesoitpasvenue?Alessandron’encroitpassesoreilles.Encore.

—Elleavaitdutravail.—Ahoui,c’estpossible,elletravailletoujourstard.—Cen’estpasseulementpossible,c’estcommeça.—Oui,biensûr,jedisaisc’estpossible…justecommeça,pourdirequelquechose.Quelquesinstantsdesilence.Alessandrotented’échapperàcettesituationembarrassante.—Bon,moijevaisprendrequelquechoseàboire.—Bien,moijeresteici.Jepeuxtedemanderjusteunechose?Alessandrosoupire,inquietmaisessayantdenepaslemontrer.Ilespèrejustequel’autreneluiparlepasencored’Elena.—Biensûr,dis-moi.—D’aprèstoi,pourquoilesgensnesesouviennentjamaisdemoi?—Jenesaispas.—Commentça,toiquiesungrandpublicitaire,toiquiaseul’intuitiond’untasdecampagnes,toiquisaistoujourstout…Quoiqu’ilensoit…Jem’appelleAndréaSoldini.—Enchanté,Andréa…Etquoiqu’ilensoit…Jenesaispastoujourstout.—Oui,bon,engrostun’aspasd’explicationàmedonner?— Je ne sais pas.Moi je fais des publicités qui cherchent d’unemanière ou d’une autre àmettre unproduitenvaleur,jenepeuxquandmêmepasfaireunspotsurtoi.Andréa baisse les yeux, déçu. Alessandro se rend compte qu’il a été impoli et tente de récupérer lasituation.—C’est-à-dire,làjenevoispasdutout.Jeveuxdire…Jenepeuxpasfaireunspotsurtoi,làtoutdesuite.Maintenantjevaisprendrequelquechoseàboireetj’yréfléchis,OK?Andréas’illumineetsourit.—Merci…sérieusement,merci.Alessandrosoupire.Bon,aumoinsils’enestsorti.—OK,alorsjevaisvraimentmechercherquelquechoseàboire.—Biensûr.Tuveuxquej’yaillepourtoi?—Non,non,merci.Alessandros’éloigne.Regarde-moiça.J’avaisvraimentbesoind’alleràunefêtecesoiretdetombersuruntypecommelui.Bah,ildoitêtresympathique,aufond.Maisbon,jenepeuxpasperdremontempsàmedemanderpourquoiquelqu’unnefaitpasd’effet,pourquoionnesesouvientpasde lui. Ilditqu’ilétait dans le bureau de droite. Je neme rappellemêmepas qu’il y avait un bureau à droite.De deuxchosesl’une,Alex:soittun’avaisd’yeuxquepourElena,soitcetypepassevraimentinaperçu.Ilteresteà espérer qu’on ne te confie jamais une campagne publicitaire sur un produit commeAndréa Soldini.Cette idéeamuseAlessandro, et avecce sourire, lepremierde la soirée, il sedirigevers lebuffet etprendquelquechoseàmanger.Toutprès,deuxfillessuperbes,desétrangères,luisourient.—C’estbon,n’est-cepas?ditl’uned’elles.Alessandrosouritpourladeuxièmefoisdelasoirée.—Oui,c’estbon.L’autrefillesouritàsontour.—C’estbon…Icitoutestbon.Alessandroluisourit,àelleaussi.Troisièmesourire.—Oui,c’estbon.Ellesdoiventêtrerusses.Puisilsetourne.Surlecanapé,nonloindelà,Pietroleregarde.Ilestassisà

côtéd’unebellefillebrune,auxcheveuxlongs,quisepencheenavantetritàquelquechosequ’ilvientdeluidire.Pietroluifaitunclind’œildeloinetlèvesonverrecommepourtrinquer.Ilbougeleslèvresenprononçant:«Tuattaquesfort!»Alessandro lève lamain,commepourdire«adviennequepourra»,puis ilseverseunautreverredeMuffatoet,aprèsavoircontrôléqu’Andréan’estplussursonchemin,ilserendsurlaterrasse,laissantsestroissouriresàlatabledubuffet.Ilposesescoudessurlarambardeetsirotesonvin.Ilestbon,fraiscomme il faut en cette soirée pas trop chaude pour unmois d’avril.Des voitures au loin, sur la rivegaucheduTibrequicourtlentement,ensilence.Delaterrasse,lefleuveamêmel’airpluspropre.Quandjepensequejepourraisêtrelà,naviguantversOstia,accompagnéparunehordederats.Commedanscefilmqu’ilsmontrenttoujoursdansBlob,cetypequivasousl’eau,verslefond.OubiencommeàlafindeMartinEden,quandilnageverslefond,morduparunserpentdemer,etqu’ilveutmouriraprèsavoirdécouvert que la femme qu’il aime est stupide. Stupide. Stupide comme la mort qui nous attend,désœuvrée.Sijem’étaisjeté,jesuissûrquejeseraismort,àladifférencedeJamesStewart,morduàlafoisparunserpentdemeretparunrat…Monangegardiens’enestallédepuislongtemps.—Aquoitupenses?Alessiaarrivedederrière.—Moi?Arien.—Comment ça, à rien ? Il ne t’arrive jamais de ne penser à rien. Ton cerveau est directement souscontratavecnotreentreprise.—Bah,alorscesoirilsluiontdonnéuneautorisationdesortie.—Tudevraist’enprendreunetoiaussi,detempsentemps.Tiens,dit-elleenluitendantunverre.J’étaissûrequetul’auraisdéjàterminé.Celui-là,c’estunPassitodiPantelleria.Encoremeilleur,àmonavis.Goûte-le.Alessandroboitlentement.—Oui,c’estvrai,ilestbon.Délicat…Unventléger,unventdusoirmalicieux,tentedemettreunpeud’ambiance.Alessias’appuieelleaussiàlarambardeetregardeauloin.—Tusais,c’esttellementagréabledetravailleravectoi.Jeteregarde,quandtuesdanslebureau.Tupassestontempsàtepromener,àtournerenrondsurletapis…toujoursenrond,désormaistuaslaisséunetrace.UnarrondiàlaGiotto.Etdetempsentempsturegardesversleplafond,maisturegardesauloin…C’estcommesituvoyaisplusloinqueceplafond,plusloinquel’immeuble,plusloinqueleciel,plusloinquelamer,tuvoisloin,tuvoisdeschoses…—Oui,deschosesquevous,humains…Allez,netemoquepasdemoi.—Nonjesuissérieuse.jelepense.Tuesenparfaiteharmonieaveclemondeetturéussisàriredecequisepasseparfoisetquenoussommescontraintsdesubir…Commeparexempleunehistoired’amourquifinit.Jesuissûreque,sic’étaitlatienne,tuarriveraisàenrire.Alessandro regardeAlessia. Ils se fixent pendant unmoment,mais elle est un peu gênée.AlessandroprenduneautregorgéeduPassitoqu’elleluiaapportéetregardeànouveauentrelestoitsdesmaisons.—C’estl’avocatquitel’adit,pasvrai?—Oui,mais j’aurais compris toute seule. Je crois que cette Elena neméritemême pas ton «méprissentimental».Alessandrosecouelatête.—Ilt’aditçaaussi.Alessiaserendcomptequecettefois,c’estluiquiestgêné.—Allez,cherami,situsavaiscombienj’enaiquittés,moi…etcombienm’ontquittée!

—Non,jenesaispas.Personnenevientmeraconterteshistoires.—Pardon,tuasraison.Maisn’enveuxpasàtonami.Pietrovoudraitjustetevoirànouveaujoyeux.Ilm’achargéedetefairesourire.Enfin,ilauraitpeut-êtremieuxfaitd’envoyerunedecesRusses,non?—Maisqu’est-cequeturacontes…Il n’y a rien de pire, quand tu te sens mal, que quelqu’un tente de te charger de ses problématiquesstupides.D’abord,cetypequiveutquetoutlemondesesouviennedelui.Voilà,tuvois,j’aidéjàoubliésonnom.Ah,oui:AndreaSoldini.Etmaintenant,Alessiaetsondésird’êtreaucentredel’attention.Oumieux, d’être elle-même le remède adapté. Quelle fatigue… Alessandro s’approche d’elle. Elle esttournéedel’autrecôté,elleregardeauloin,versuneroutequidisparaîtderrièreunvirage.Alessandroluiposeunbrassurl’épaule.Ellepivote,légère,etsourit.Maisillaprécèdeetl’embrassesurlajoue.—Merci.Tuesunmédicamentprodigieux.Tuvois,tuagisenquelquessecondes…jesourisdéjà!—Dégage!Alessiasouritethausselesépaules.Ilfauttoujoursquetutemoquesdemoi.—Maisnon,jesuissérieux.Alessialeregarde.—Iln’yarienàfaire.Vous,leshommes…—Neme sors pas l’habituel « vous êtes tous les mêmes », parce que c’est un spot éculé, et je nem’attendraisvraimentpasàçadetoi.—En effet, je te dis autre chose : vous, les hommes, vous êtes tous à votremanière victimes d’unefemme.Maisçavoussert.Ettusaisàquoi?Avousjustifierdumalquevousferezàlasuivante.Alessiafaitminedes’enaller,maisAlessandrol’arrête.—Alessia?—Oui,jet’écoute?—Merci.Alessiasetourne.—Pasdequoi.—Non,sérieusement.CePassitoestdélicieux.Alessiasecouelatête,puissouritetretournedansl’appartement.

7GlacierAlaska.LesOndessontassisessurdeschaisesenmétalplacéesàcôtéde l’entrée.Ollya lesjambesallongéesetposéessurunechaisedevantelle.—Mmm,icilaglaceestvraimentàtomber!Ellelalèchegoulûment,etdonneaussiunpetitcroque.—Àmonavis,ilsmettentunedroguedanslechocolatnoir.C’estpaspossible,l’effetqu’ilmefait.Justeàcemoment-là,deuxtypespassentdevantelles.L’und’euxporteunblousonentissunoiravecécritderrière«Surfer».Celuidel’autreestrougeetportel’inscription«Fiat».Ilsbavardent,plaisantentetentrentchezleglacier.—Oh,ladernière«Fiat»mefaitaussiuncertaineffet.Nikirit.—Ettuneferaispasunpeude«surf»,aussi?!—Non,çanon…j’aidéjàdonné.—Olly,maistutemoquesdenous!Jenepeuxpascroirequetusoissortieavecluiaussi.—Moi,intervientDiletta,jepensequ’elleleditexprèsparcequejesuislà.Elleveutmefaireenrager.Elleveutquejepenseàtoutcequejesuisentraindeperdre.—Maisjenesuispassortieaveclui.Justequelquespetitstoursenvoiture.Unscooterarriveàtouteallure,leconducteurfreineàunmillimètred’elles,descendetlemetenhâtesurlabéquille.—Ah,vousêteslà!C’estGio’,lepetitamid’Erica.—Jevousaicherchéespartout!—Onestalléesfaireuntour.—Oui,jesais.Ericaselèveetl’enlace.Ilss’embrassentlégèrementsurlabouche.—Monamour…j’adorequandtufaislejaloux.— Qui parle de jalousie ? J’étais inquiet. Il y a eu une descente de police à l’Eur, il y avait unBoumBoumCar, ils ont arrêté plein de gens pour vol de voitures, paris clandestins et association demalfaiteurs.—Eh,boum,boumpourdebon!Associationdemalfaiteurs,onauratoutvu.Ollylèvelesjambesdelachaiseetmordunedernièrefoisdanssaglace.—Etbandearmée,aussi,tantquetuyes!—Jesuissérieux!C’estGangiquimel’adit,ilyétait,ilaréussiàs’échapperquandilssontarrivés.—Mince,alorsc’estvrai,ditDilettaenselevant.Gangiétaitbienlà-bas.—Alors,vousaussi,vousyétiez,ditGioenregardantEricad’unairfâché.—J’ysuisalléeavecelles.—Jem’enfichequetuysoisalléeavecelles,jeneveuxpasquetuyailles,unpointc’esttout.—Biensûr,intervientOllyensecouantlatête,tuesjalouxdeFernando,celuiquiprendlesparis.—Maisqu’est-cequeturacontes…Jesuisinquietpourelle,unpointc’esttout.Imaginesielles’étaitfaitarrêter.Ilsontarrêtédesgens,hein!Tun’aspeut-êtrepasbiencompris.—Bah,s’ilsl’avaientarrêtée…ilsl’auraientarrêtée,répondsereinementOlly.Gioserrelebrasd’Erica.—Monamour,pourquoitunemel’aspasdit?Ericaselibèredesonétreinte.

—Encore.Ondiraitmonpère.Lâche-moiunpeu!Jetel’aidit,j’étaisavecmesamies.Puiselleajoutedoucement:—Etjen’aipasenviequ’onsedisputedevantelles,arrêteunpeu.—OK,commetuveux.LeportabledeNikisemetàsonner.EllesortlepetitNokiadelapochedesonpantalon.—Mince,c’estmamère,qu’est-cequ’elleveut,àcetteheure-ci?Allô,maman,quellebonnesurprise?—Oùes-tu?—Pardon,maistunemedismêmepasbonsoir?—Bonsoir.Oùes-tu?Nikisoupireetlèvelesyeuxauciel.—Pfff.JesuisàCorsoFrancia,jemangetranquillementuneglaceavecmesamies.Qu’est-cequ’ilya?—Ah,tantmieux.Excuse-moimaisonvientderentreràlamaison,tonpèreaallumélatéléetauJTdeminuitilsontditqu’ilsarrêtaientdesjeunesàl’Eur.Ilsontditlesnomsetilyavaitlefilsdenosamis,FernandoPassino…—Qui?—Tusais,celuiquetuvoisdetempsentemps,allez,nefaispassemblantdenepascomprendre!Tuleconnais,Niki,nememetspasencolère,ilestdanslegroupequevousfréquentez.Bon,ilsn’ontditquelesnomsdesmajeurs,biensûr,maisj’aieupeurquetuysoistoiaussi.—Maismaman,qu’est-cequeturacontes?Pourquitumeprends?Nikiécarquillelesyeux,sesamiess’approchent,curieuses.Elleagitelamaincommepourdire«vousn’imaginezpascequis’estpassé!».—Maismaman,pourquoiilslesontarrêtés,jen’aipascompris?Qu’est-cequ’ilsontfait?—Bah,jen’aipasbienentendu,quelquechoseavecdesvoitures,duvoldevoitures, jen’aipasbiencompris…Ah,si,untrucgenrestumpcar.—Maisnon,c’estleBoumBoumCar,maman.—Oui,c’estça.Maiscommenttulesais?Nikiserrelesdentsettentederattraperlecoup.—Giorgio vient d’arriver, le copain d’Erica, il nous l’a raconté. Il a entendu ça à la radiomais onn’arrivaitpasàycroire.OllyetDilettarientsouscape.PuisOllymimeunegriffeavecsamainetimiteunchatentraindeglissersurunevitre.Nikiessayedeluidonneruncoupdepied,etsurtoutdenepasrire.—Ah,tuvoisquejeneteracontepasd’âneries,continuelamaman,tuasvu,ças’estvraimentpassé.Écoute,tuveuxbienrenteràlamaison?Ilestpresqueminuit.—Maman,c’estCendrillonquetuvoulaispourfille?Allez,j’arrive.Ciao!Bisous,bisous,bisous,jet’aime.—Oui,bisous,bisous,bisous,maisturentres,hein?Ellesraccrochent.—Merde,maisalorscequenousaditGioestvrai.—Maispourquoijevousauraismenti?Pourquelleraison?—Allez,lesfilles,onrentre,onenapprendraplusdemaindanslejournal.LesOndessedirigentquiverssavoituresanspermis,quiverssonscooter.Ollymontesursonscooter,metsoncasqueetdémarre.—Salesoirée,pasvrai?Nikisouritetmonteelleaussisursonscooter.

—Tusaiscequejepense?Amonavis,c’estGioquiaappelélapolice,commeçails’estdébarrassédeFernandopourunmoment.Dilettarit.—Cequiestsûr,c’estquevousêtesdevraiesvipères!Moi,jecroisqu’avecvous,lesecretc’estdetoujoursresterjusqu’àlafin,commeçavousnepouvezpastropmédire.—Ah,oui?Eneffet, souritNiki.De toute façon,avantdem’endormir,c’est sûr, j’enverraiàOllyuntextoavecuneméchancetéàtonsujet.Désolée,maisriennepeutnousarrêter.Surcesmots,elledémarresonscooter,metlesgazets’éloigneenécartantlesjambes,enleslevantauvent,amuséedegoûteràcettestupide,petite,splendideliberté.

8Alessandroestsurlaterrasse.Ilregardeauloinenquêtedequisaitquellepensée.UnpeudemélancolieetladernièregorgéedePassito,unpeuplussucrée.Puisilrentre,posesonverredanslabibliothèque,prèsd’unlivre.Aphorismes.LeSableetl’Écume.Gibran.Ilenfeuillettequelquespages.«Parseptfoisj’aiméprisémonâme.Lapremièrefois,cefutquandjelavis,craintivedepouvoirtoucherlessommets.Ladeuxièmefois,cefutquandjelavisboiterdevantunestropié.Latroisièmefois,cefutquandelleeutàchoisirentrevieardueetviefacile,etqu’ellechoisitlaviefacile.Laquatrièmefois…»Stop.Jenesaispas pourquoi,mais quand tu te sensmal, tu as l’impression que tout a un double sens.Alessandro lerefermeetpartàlarecherchedePietro.Rien.Iln’estpasausalon.Ilregardemieuxparmilesgens,dansles coins, il se déplace et passe devant quelqu’un… Ah. Ce n’est pas « quelqu’un ». C’est AndréaSoldini,etilestavecunetrèsbellefille,grande.Andréaluisourit.AlessandroluirendsonsouriremaiscontinueàchercherPietro.Bien.Ilneseraitquandmêmepas…Ilouvrelaportedelachambreàcoucher.Rien.Justequelquesvestesjetéessurlelit.Lesarmoiressontouvertes.Ilsedirigeverslasalledebains,tentedel’ouvrir.Elleestferméeàclé.Ilréessaye.Unevoixmasculineàl’intérieurdit:«Occupé!Sic’est fermé, c’est fermé, non ? »C’est une voix profonde et vraiment agacée.Quelqu’un de vraimentoccupé.Etcen’estpasPietro.Alessandrovaàlacuisine,lafenêtreestgrandeouverte.Unrideauclairetlégerjoueaveclevent.Etavecdeuxpersonnes.Ilseposecontreledosd’unhomme,lecaressepresquealorsquecelui-ciplaisante avecunebelle fille, assise les jambes écartées surune table.L’hommesetient devant elle, debout entre ses limbes. Samain est levée au-dessus de la tête de la fille et laissependre une cerise. Il la fait descendre tout doucement puis la relève, tandis que la fille, faussementdépitée, rit etboudeden’avoirpas réussià l’attraperavecsabouche.Elleaenviedecettecerise,etpeut-êtredeplusencore.Cethommelesait,etilrit.—Pietro!PietrosetourneversAlessandro.Lafilleenprofitepourmangerlacerisequ’elleattrapeavecsabouchedanslesmainsdePietro.—Regardecequetuasfait.Ellem’avolélacerise,c’esttafaute.Lafilleritetmâchelaboucheouverte.Salangueprenduneteinteceriseetsesmotssecolorentderouge,deparfum,dedésir,desourire.—Elleestbonne!J’aigagné,j’aidroitàuneautre.Allez,uneceriseenappelleuneautre.C’esttoiquil’asdit,toutàl’heure…—Biensûr,voilà.PietroluiendonneuneautreetlaRussecrached’abordlenoyaudecellequ’ellevientd’avalerdansunverre, visant en plein centre, puis elle attrape l’autre et la met dans sa bouche. Pietro s’approched’Alessandro.—Voilà, tuvois, lejeuestterminé.Moijevoulaiscontinueràlafairesouffrirunpeu…uneceriseenappelleuneautre…elleenavaitdeplusenplusenvie,etmoiàlafinjeluidonnaislacerise,maisaussi…boum…PietropinceAlessandroentrelesjambes.—Unebanane!Pietroritalorsqu’Alessandroestquasimentpliéendeux.—Tuesvraimentstupide.LaRussesecouelatêteetrit,puismangelibrementuneautrecerise.Alessandros’approchedePietroet

luiditdoucement:—Donc, tu as deux enfants, bientôt quarante ans, et tu en es encore là.Moi, dans trois ans, je seraicommetoi?Jesuisinquiet.Trèsinquiet.—Pourquoi?Tusais,entroisans,beaucoupdechosespeuventchanger.Tupourraistemarier,avoirdesenfants,etpuisdraguertoiaussiuneétrangère…Tupeuxyarriver,tupeuxfaireaussibienquemoi,etmêmemieux.C’esttoiquimel’asdit!AveccettepublicitépourAdidas,Impossibleisnothing,ettunel’appliquespasàtoi-même?Allez,merde,tupeuxlefaire.Onvacheztoi?Allez,prête-moitonappart,justepourcesoir.—Etpuisquoiencore,tuesfou?—C’est toi qui es fou !Putain,maisquandest-ceque çame tombera ànouveauentre lesmains, uneRussecommeça?Tuasvucommeelleestbelle?Alessandros’éloigneunpeudel’épauledePietro.—Oui,eneffet…—Commentça,«eneffet»?C’estunevraiebombe.UneRusse,jambesinterminables.Regarde,regardecommentellemangelescerises…Imaginequandellemange…Pietrosiffleenlepinçantentrelesjambes.—Oui,labanane.Aïe,allez,arrête…LaRusseritànouveau.Pietro,pourtenterdeconvaincreAlessandro,luimontreuneenveloppedanslapochedesaveste.—Regardeça,j’enaifiniavecleprocèsdeButch&Butch.Vousêtesànouveaudanslecircuit,vousavez une clause qui vous garantit deux autres années. J’ai déjà envoyé la lettre recommandée, allez,j’auraisdûattendreunesemaineavantdelefaire,maisjeteladonnecesoir.D’accord?Imagine,tuvasfairesensationaubureau.Tuneseraspluslechef.Tuseraslegrandchef.Maisenéchange…—Bon,çava,viensprendreunverrechezmoi.Etinviteaussi…AlessandroindiquelaRusse.—Bravo,tuvoisqu’avectoilesnégociationsfinissenttoujoursparaboutir?!—Bon,maisrappelle-toiqu’onestpasdansJusteunbaiser.Moijeneveuxpasd’ennuis,d’accord?TurèglesçatoutseulavecSusanna,tunem’impliquespasdansvoshistoires.—Réglerça?Facile.Jediraiquejesuisrestécheztoijusqu’àtard.C’estlavérité,non?—Oui,oui…lavérité.—Etpuis,penseàcombiençavaêtrebon.Autrechosequecettesalade…Cerises,bananesetelle.C’estça,lavraiesaladerusse!—C’estça.Dis-moi,pourquoi,auHeudedeveniravocat,tunet’espaslancédanslecabaret?—Tuauraisécritmestextes?—Bon,jet’attendslà-bas.JevaisdireaurevoiràAlessia.D’ailleurs,àcepropos…—Oui,jesais,jen’auraispasdûluidirepourElena,maisjel’aifaitpourtoi,jelejure.Lejouroùtutelaferas,tupenserasàmoi…—C’estça,jepenseraiàtoi.—D’accord, alors quand tu te la feras tu ne penseras pas àmoi.Mais ensuite tu y réfléchiras et tucomprendrasquetoutauraeuHeugrâceàmoi.—Tun’aspascompris.Jen’auraijamaisd’histoireavecAlessia.—Etpourquoipas?—Jeneveuxpasd’histoireauboulot.—Pardon,maisalors,Elena?

—Quelrapport,ellen’estentréedanslaboîtequ’après.Etpuis,elleestdansunautredépartement,çan’arienàvoir.—Etalors?—Alors,Alessiaestmonassistante.—C’estencoremieux,tupeuxtelafaireaubureau.Pratique,non?Vousvousenfermezetpersonnenepeutrienvousdire.—OK,voilàcequ’onvafaire.Mercibeaucouppourtout.Çavacommeça?Maintenant,jevaisluidireaurevoir,etpuisons’enva.J’enaimarre.Alessia,ausalon,bavardeavecuneamie.—Ciao,Alessia,nousonyva,onsevoitdemainaubureau.J’aiapprisqu’onétaitconvoquéschezlevraichef,maisjenesaispaspourquoi.—Bah,onlesaurabienassezvite.Alessiaselèveetl’embrassesurlesdeuxjoues.—OK,ciao,mercid’êtrepassé,çam’afaitplaisir.Disaurevoirdemapartàtongarde-corps…— Oui, mon colporteur-de-ragots. Je l’emmène toujours, au cas où j’aurais oublié de raconter àquelqu’ununedemeshistoiresprivées…Alessiabalancelatêteenarrièreetouvrelesbras,commepourdire«allez,pardonne-lui!».Alessandro salue poliment l’autre fille sur le canapé, qui se contente pour toute réponse de lever lementonenesquissantunsourire.Iln’yapluspersonneàquidireaurevoir.Bien.Alessandrosedirigeverslaportedel’appartement.Auboutducouloir,iltrouvePietroaveclaRusse.Maisilsnesontpasseuls.—Etelles?Deuxfilles,quasimentlesmêmesquelamangeusedecerises,setiennentdeboutprèsdePietro.—Elleaditqu’elleneviendraitpassanssesamies.Allez,c’estseulementpourboireunverre.Etpuis,pardon,maiscesontvosmannequins,non?Pourvotrecampagneactuelle?C’esttoiquilesaschoisies.—D’accord,maisjelesaichoisiespourtravailler.—Ilfauttoujoursquetuexagères.Tusais,aujourd’huibeaucoupdegensemmènentdutravailchezeux.—Ah,voilà.Pardon,maispendantquetoitutravailles,moijevaisdevoirfairelaconversationauxdeuxautres?Aumoins, j’auraispuallermecoucher.Demain jeme lève tôt, sérieusement, j’aiune réunionimportante.Non,vraiment,çanevapasêtrepossible.—Maismoi, comme d’habitude, j’ai pensé à tout. Regarde ! Andrea Soldini sematérialise derrièrePietro.—Alors,onyva?Cherchant à avoir l’air sûrde lui, il enlaceuneRusse etprécèdePietrohorsde l’appartement.PietroregardeAlessandroetluifaitunclind’œil.—Tu vois ? C’est lui qui s’en occupera, Soldini, un causeur-né. Il était au bureau à droite de celuid’Elena,ditPietroenfaisantunautreclind’œilàAlessandro.—Oui,jesais.—Maistut’ensouvenais?—Moi?Non,c’estluiquimel’adit.Ilssortenttous,accompagnésd’unsachetdecerisesquePietroacachédanslapochedesaveste.Devantlarésidence,ilsmontentenvoiture.—Mince!Elleestvraimentbelle,cetteMercedes,c’estlanouvelleMI,pasvrai?

Andreasemetàtouttoucher,puissautille,amusé,surlabanquettearrière.—Elleestsuperconfortable,enplus!Pietros’installeentrelesfilles.—Oui,ellen’estpasmal…Maiscesdeux-làsontunvéritableenchantement…etpuis,regardeça…IlsortdesavesteunebouteilledePassito.—Encorefraîcheettoutjustedébouchée!Jevousenprie.D’uneautrepoche,ilsortdesverres.—Pardon,hein,ilssontenplastique.Danslavie,onnepeutpastoutavoir,maisilfautaspireràtout.Parcequelebonheurn’estpasunpointd’arrivée,maisunstyledevie…Alessandro,quiconduit,leregardedanslerétroviseur.—Tul’asentendueoù,celle-là?—Désolédeledire,maisçavientd’Elena.Elena.Elena.Elena.—Maistulavoyaissouvent,Elena?—Pourletravail,toujoursuniquementpourletravail.Puis,pourplaisanter,Pietroglisseunemainentrelesjambesd’unedesRusses,maissanslatoucher.Ill’effleureàpeine.Puisillèvelamain,commes’ilavaittrouvéquelquechose.—Etvoilà.Ilouvresamain.—Unevraiecerise!Voilàpourquoiellessontaussisucrées!Etill’offreàuneautrefille,assiseàcôtédelui,quilamangedeboncœuretrit.—Mmm.Elleestbonne.Pietrolèveunsourcil.—Lasoiréeestprometteuse.—Pardon,Alessandro,maisonvacheztoi,c’estça?AlessandroacquiesceàAndrea.—Etalors?—Etalorsqu’est-cequ’ellevadire,Elena,quandellenousverraarriveraveccestroispetitescerises?Pietrosepencheenavantetluidonneuneclaquesurl’épaule.—Bravo!Elleestbonne!Puisilcroiseleregarded’Alessandrodanslerétroviseuretsereprend.—Hum,excellenteobservation.Qu’est-cequeturéponds?—Lavérité.Elenaestpartiepourletravail,ellerentredansdeuxjours.—Ah,d’accord,alorsonestplustranquilles.—Jenevousdemanderaiqu’unechose.—Attends,jedevine:pasunmotsurcettesoirée,c’estça?ditPietro.—Oui,c’estça.D’ailleurs,jevaismêmevousendemanderunedeuxième:nemeparlezplusd’Elena.—Pourquoi?demandeAndreaavecingénuité.—Parcequejemesenscoupable.Pietroécarquillelesyeux,puiscroiseleregarded’Alessandrodanslerétroviseuret,parunclind’œil,prometlesilenceabsolu.Detoutefaçon,quandonestamis…

9Nuitdefenêtresouvertespouraccueillirunsigneduprintemps.Nuitdecouverturesquiprotègentetdesouvenirsqui laissentdesdoutesetunpeud’amertumedans labouche.Nikise tourneetse tourne.Lepassé, parfois, rend les coussins inconfortables.Mais qu’est-ce que l’amour ?Y a-t-il une règle, unemanière,une recette?Ou toutn’est-ilquehasard,auquelcas ilne resteplusqu’àespéreravoirde lachance?Desquestionsdifficiles,alorsquel’horlogeenformedeplanchedesurf,surlatabledenuit,indiqueminuit.Fabio.Drôle,cejour-là.Beau,aussi.Jemelerappelleencore.Septembre.Airdouxetcielbleufoncédedébutdesoirée.Luietlesautres,unconcertimprovisédansunebaraqueabandonnée,unescèneàinventer,pendantquesurunmurencarton-pâtequelqueswriterss’adonnentàunconcoursdespraysetgraffitis.Etnous,arrivéeslàparhasard,grâceautéléphonearabedelarue.J’aimesonstyle.Parolesde feupourdes chansons funkyquigriffent le cœur.EtOllyquin’arrêtepasdedirequ’il estcanon.Etmoiqui,quandelle ledit,sensundrôledesoupçond’agacement.Parcequ’Aestmignon.Jem’en rends compte. De temps en temps, nous nous regardons, et il se tourne vers moi pendant qu’ilchante.Émotiondedeuxêtresquijouentàdistancesurunescèneimprovisée,entrelescratchetlesgensqui font du popping, cette danse rapide et explosive sur des rythmes agités. Et puis, surprise, je leretrouveaulycée,dansuneautresection,etjedécouvrequenousavonslemêmeâge,qu’ilmeregardeetme sourit.Oui, il est vraimentmignon.Commencer à sortir ensemble après les cours, pourun tourdescooter,uneglace,quelquesbièresdansuncentresocial,desconcertsdansdescaves.Jusqu’àcequetoutçadevienneunbaiseraumilieudessonsetdescouleursd’unsamedisoirdansuneboîte.Puislevoyagecontinue,etlevoyagedevientunesoiréetouslesdeuxseulsici,àlamaison,mesparentsàundeleursdînersetmonfrèrequidortchezVanni.Unemaisontropgrandepourunamourpeut-êtretroppetit.Luiavecunefleur.Uneseuleparceque,dit-il,aumoinselleestspéciale,unique,ellen’estpasperduedansunbouquetoùelleseconfond.Unbaiser.Passeulementun.Unautre.Etunautreencore.Desmainsquis’enlacent,desyeuxquisecherchentetquitrouventdesespacesetdespanoramasnouveaux.Cettefois-là.Momentunique.Quetuvoudraissansfin.Quidevraitêtreledébutdetout.Sedécouvrirvulnérablesetfragiles, curieux et doux. Une explosion. Moi qui réunis les Ondes à l’école le lendemain, qui leurracontetout,quimesensgrande.Luiquimecherche,vientmechercheretmedit:«Tuesàmoi.Tunemequitterasjamais.Noussommestropbienensemble.Jet’aime.»Etencore:«Oùtuétais?Quic’était,celui-là?Maispourquoicesoirtunevienspasavecmoiaulieud’allerdanseravectescopines?»Etcomprendre que, peut-être, aimer est autre chose.C’est se sentir léger et libre.C’est savoir qu’on neprétendpasaucœurde l’autre, il nenousestpasdû,onn’yapasdroitpar contrat. Il faut lemériterchaque jour.Et le lui dite.Lui dire à lui. Et comprendre en écoutant ses réponses qu’il faut peut-êtrechanger.Ilfautpartirpourretrouverlavoie.Fabioquimeregarde,encolère,deboutdevantleportail.Etquiditquenon,quejemetrompe,quenoussommesheureuxensemble.Ilmeprendparunbras,leserrefort.Pourquoi,quandquelqu’unquetuveuxs’enva, tuessayesdelereteniraveclesmains?Tucroisainsiaccrochersoncœur?C’est le contraire.Le cœur a des jambes que tu ne vois pas.EtFabio s’enva en disant que je le luipaierai, mais l’amour n’est pas une dette à rembourser, il ne fait pas crédit, il n’accepte par lesristournes.Deuxlarmescoulentdoucement,timidesetinquiètesdesalirlecoussin.Nikil’enlacecomplètement.Et,pendantuninstant,ellesesentprotégéeparcettecouverturequilaséparedumonde.Minuitetdemi.Nikisetourneànouveau.Lecoussinlagêne.Commeunepenséepointueplacéesouslematelas.Lebruitd’unverrouquis’ouvre.Unrayondelumièrearriveducouloir.

—C’estsûr,lesFrascarisontvraimentuncoupleabsurde!Maistul’asentendu,lui?Sefâcherparcequesafemmenes’estpasinscriteavecluiàsoncoursdetango!Maissiellen’aimepasdanser,elle!Simona pose les clés sur la console, commed’habitude.Niki entend le bruit. Elle l’imagine.Elle lesécouteparler.—Oui,maispourluiçaseraitungested’amour.Ilsaitqu’ellen’aimepasdanser,maispourunefoisilvoudraitqu’ellefassequelquechosepourlui.—Oui,maistunepeuxpasprétendrequequelqu’un,sousprétextequ’ilt’aime,supportedefairequelquechosequine l’intéressepas ! Ildevrait luidire :«Machérie, faiscequi teplaît, etpuis le soirà lamaisononseracontenotrejournée!»C’estplusamusant,commeça,aumoinsilyadel’échange…—Oui,jesais,parexempletoituvasfairedel’aérobicpendantquejejoueautennis.—Etjen’aijamaisrêvédetedemanderdetemettredesbouéesetdesuivrelecoursavecmoietdix-neufautresfemmes!—Oui,qu’est-cequejeferais,moi,aumilieudevingtfemmes,habillécommeuneinventiondeLéonarddeVinci?!Mmm…attends…vingtfemmes,tuasdit?!—Idiot!Detoutefaçon,ellessonttoutesnévrosées.Tuestombésurlameilleure…Le bruit d’une chaise que l’on déplace, comme si on la poussait. Puis le silence. Ce silence plein.Profond.Lesilencedesbaisers.Celuiquiparlederêvesetd’enchantements,detrésorscachés.Lesplusbeaux.Nikilesait.Ettoutenserrantplusfortsoncoussinellepensequelevraiamourestpeut-êtreceluidont s’aiment ses parents. Un amour simple, fait de journées ensemble, chacun avec ses propresoccupationsetsespropreshobbys.Unamourfaitd’éclatsderireetdeplaisanteriesquandonrentrelesoir, de petits déjeuners préparés lematin, d’enfants à élever, de projets qui restent à faire.Oui,mesparentss’aiment.Et ilsn’ontpasétélepremieramourl’unpourl’autre.Ilssesontconnusaprèsavoiraiméd’autresgens.Peut-êtreque jedoisvoyageravantdecomprendrequelleest labonnedestinationpourmoi.Peut-êtrequechaquefoisquetuaimes,c’estlapremièrefois.

10—Quellebellemaison,ditunedesRusses.Alessandro la regarde et sourit. Elena ne l’avait jamais dit ! Il a à peine le temps d’ouvrir la portequ’AndréaSoldiniseglisseàl’intérieuretcommenceàtournerdanslesalon.—Trèsbelle…Ah,attends,jelesavaisvues,cesphotos.Oui,Elenalesavaitapportéesaubureauparcequ’elledevaitlesfaireencadrer.Ellesvontvraimentbienici…Cesontdesphotosdetestravaux,non?—Oui.AlessandrofaitentrerPietroetlestroisRusses.—Alors,ça,c’estlesalon,làlasalledebainspourlesinvités,là-baslacuisine,continue-t-ilsuiviparlepetitgroupe,lachambred’amis,avecuneautresalledebains,OK?Siparhasardvousdeviezvousenservir…PietroetAndreaseregardentensouriant.—Oui,faitAndrea,siparhasard.—Voilà,l’importantestquetoutsedérouledansleplusgrandsilence.Parcequ’ilest…Alessandroregardelapendule.–…presquedeuxheures,etmoijevaismecoucher…Là-bas.Ilindiqueunegrandechambreaufondducouloirquipartdusalon.—Eh,jenemerappelaispasquec’étaitcommeça,ici,ditPietrod’unairsatisfait.—Eneffet,cen’étaitpascommeça.Elenaavoulufairedestravaux.—Mais,comment,justementmaintenant,alorsque…PuisPietrosesouvientdelaprésenced’Andrea.—Justementmaintenant?—Non, jedisais,mais justementmaintenant…D’habitudeon les lutplutôt enété, les travaux,pasenhiver!—C’estvrai…Excuse-moi,Alessandro,maisalorsjecomprendspourquoituesaussistressé.—Maisjenesuispasstressé.—Si,pourêtrestressé,tuesstressé.Tuveuxunecerise?—Non,merci,jevaismecoucher.—Unesaladerusse?—Nonplus.—Tuvoisquetuesstressé!—Bon,allez,bonnenuit.Nefaitespasdeboucanet,quandvouspartez,fermezlaportedoucement,lesvoisinsseplaignentquandelleclaque.Pietrohausselesépaules.—Absurde.Ondevraitleurfaireunprocès.Alessandros’enfermeàclédanssachambre,sedéshabillerapidement,selaveetseglissedanssonlit.Ilallumelatéléetzappeunpeuàlarecherchedequelquechose,maisrienn’éveillesacuriosité.Ilselève.Il ouvre l’armoire qui était celle d’Elena. Vide. Il regarde dans les tiroirs. Rien que quelques petitspaquetsparfumésentissuqu’elleavaitfaitselle-même.Ilenprendun.Chèvrefeuille.Unautre.Magnolia.Unautreencore.Cyclamen.Bienquinesentesonodeur.Ilseglisseinouveaudanslelit,éteintlatélé,lalumière, et ferme lentement les yeux.Dans l’obscurité, avant de s’endormir complètement, des imagesconfuses,dessouvenirs.Lafoisoùilsétaientallésaucinémaetque,i|>i(savoirdemandélesbillets,il

s’était renducomptequ’ilavait laissésonportefeuilledans lavoiture. Ilavait fouillédanssespochespendantunmoment, trèsgêné, etElena avait posé l’argent sur leguichet, endisant à la caissière, uneblonde trèsmignonne : « Excusez-le, il est pour la parité entre hommes et femmesmais il refuse del’admettre, et pourme faire payer il fait chaque fois lamême scène. » Il aurait voulu s’enfoncer centpieds sous terre.Ou quand elle lui avait coupé le souffle en entrant dans la chambre à coucher, cettechambreàcoucher,neportantqu’unbaby-dollléger,transparent…Etpuissurcecanapé…boum,boum,boum…avecenvie.Avecpassion.Avecrage.Avecdésir.Boum,boum,boum.Maisilsnefaisaientpastantdebruitqueça…Boum,boum,boum.Alessandroseréveilleensursaut.—Qu’est-cequ’ilya?Qu’est-cequisepasse?—C’estIlenia.—Ileniaqui?—IleniaBurikova.Maisquies-tu,voudraitrépondreAlessandro,jeneteconnaispas.—C’estIlenia.Puisilserappelle,ilyadesRusseschezlui.Ilselève,ouvrelaportedelachambre.—Tum’entends?Letypesesentmal…—Maisqui?—Celuidontjenemerappellepaslenom.MonamieIrinaestentraind’appelerlessecours.—Lessecours?Appelerlessecours?Maisqu’est-cequeturacontes?AlessandroenfileàlahâteunT-shirtetcourtdanslecouloir.Iln’apasletempsd’arriverausalon,ilvoitIrinasurlaterrasse,elleestpenchéesurlarambardeethurlecommeunefolle.—Al’aide!Al’aide!Unhommesesentmal.Vite,appeleztoutlemonde,unhommepresquemort!Leslumièresdel’immeubled’enfaces’allument.Levoisinetsafemmesortent.—Oh,nehurlepas,pourquoitubeuglescommeça?Onadéjàappeléuneambulance.Alessandrosortsurlaterrasse,prendlaRusseparlamainettentedelafairerentrer.—Al’aide,àl’aide,àl’aide,ilsesentmal,àl’aide!Ondiraitundisquerayé.—Çasuffit!Tuasvulebordelquetufais?Maisquiest-cequisesentmal?—Là-bas,danslasalledebains!Alessandro lâche laRusseet s’élance.AndreaSoldiniestallongépar terre,accrochéà lacuvettedestoilettes,ilrespireavecdifficulté.QuandilaperçoitAlessandro,iltentedesourire.Ilestennage.—Jemesensmal,Alex,jemesensmal…—Çasevoit.Allez,détends-toi,çavaallermieux…—Non,jesuiscardiaque,jesuisdésolé,jemesuisfaitunelignedecoke…—Quoi ?Mais tu es con ou quoi ? Pietro, Pietro, où es-tu ? Alessandro aide Andrea Soldini à serasseoir.Puisilsortdelasalledebainsenletenantparunbrasetilessayedelefairemarcher.Laportedelachambred’amiss’ouvre.Pietro,essoufflé,sortenremettantlachemise,tandisquelaRusseapparaîtsurleseuilensouriantetenmangeantunecerise.Mieuxquen’importequelspotpublicitaire,penseAlessandroensecouantlatête.—Alors,qu’est-cequisepasse?—Ilasniffédelacokeetilsesentmal…Maismoijevoudraisbiensavoirquiaapportédelacokechezmoi,putain!Andreaadumalàrespirer.—Maisnon,cen’estdelafautedepersonne,onm’enavaitdonnéunpeuchezAlessia.

—ChezAlessia?—Oui,maisjenediraipasquimel’adonnée.—Qu’est-cequeçapeutmefoutre,quitel’adonnée.C’esttoiquil’asapportéeici!— Je l’ai prise pour faire bonne figure avec lesRusses. Pietro lui soutient l’autre épaule et l’aide àmarcher.—Eteneffet,c’estcequ’onpeutappelerunebonnefigure.Tuesblanccommeuncierge.Tuauraisdûleurdonnerdescerises.Veruskaestrestéesurleseuildelaporte.—Pietro,viensdanslachambre,j’aienvie…C’estpourquand,lasaladedefruitsdonttum’asparlé?—Eh,j’arrive,j’arrive,tunevoispasqu’onauntypeencompote,ici?LesdeuxautresRussesarriventdelaterrasse.Ellesontl’airplustranquilles.—Toutvabien,l’ambulanceestarrivée.Ilyaaussilescarabiniers,ilsmontent…Alessandropâlit.—Commentça,lescarabiniers?Quilesaappelés?—Nous,nousbienenrègle.ToutOKaveclespermisdetravail.—Maisquiaparlédepermisdetravail,onad’autresproblèmes,ici.IlsepencheversAndrea.—Maistuessûrquetun’asplusrien?–Oui,bon,enfait…justeuntoutpetitpeu,unpetitsachetsouslestoilettes.—Souslestoilettes?Maistuesfou!C’estdedans,qu’ilfallaitlajeter.Alessandro se précipite dans la salle de bains, trouve le sachet avec un peu de poudre blanche àl’intérieuretaàpeineletempsdelajeterdanslestoilettesqu’onfrappeàlaporte.—Ouvrez.Alessandrotirelachassed’eauetcourtouvrir.—Mevoilà!Devant lui, deux brancardiers avec une civière, et derrière deux infirmiers. Les premiers regardent àl’intérieuretaperçoiventPietroquisoutientAndrea.Ilsentrent.—Vite,allongez-le,déboutonnezlecoldesachemise.Del’air,del’air,ilfautqu’ilrespire.L’undesdeuxremarquelesRussesmaisl’autre,professionnel,lerappelleàl’ordre.—Allez,lesphygmomanomètre,qu’onprennesatension.—Bonsoir.Alors,qu’est-cequisepasse,ici?Lescarabiniersprésententleurscartesetentrent.Alessandroatoutjusteletempsdelire.PasqualeSerraetAlfonsoCarretti.L’undesdeuxfaitletourdusalonetcontrôlelasituation.L’autretireuncarnetdesapocheetnotequelquechose.Alessandros’approchedelui.—Qu’est-cequevousfaites,qu’est-cequevousécrivez?—Rien,jeprendsdesnotes.Pourquoi,vousêtesinquiet?—Non,pasdutout,c’étaitcommeça,pourcomprendre.—C’estnousquidevonscomprendre.Alors,onaétéappeléspour-jelis–fêtebizarre.—Fêtebizarre?AlessandroregardePietroavecinquiétude.—C’estunefêtetoutàfaitnormale.Etpuis,fête…Mêmepasunefête,noussommesjustequelquesamisetnousnoussommesretrouvésicipourboireunverretranquillement.

—Jevois,jevois,acquiescelecarabinier.AvecdesRusses…c’estça?—Oui,cesontdesmannequinsavecquinousavonstournéunspot…—Donc,pourletravail…,continuelecarabinier,ellesontaussidûvenirici.Disonsquevouscontinuiezàtravailler,c’estça?Ellesontdûfairedesextras,enquelquesorte…c’estça?—Pardon,maisqu’est-cequevousvoulezdirepar«ellesontdû»?Pietrocomprendqu’Alessandroestentraindes’énerver.—Excusez-moi,vouspourriezveniruninstant?Ilemmènelecarabinieràlacuisine.—Jepeuxvousoffrirquelquechose?—Merci,paspendantleservice.Pietros’approchedefaçoncomplice.—Voilà,toutçaestunpeudemafaute.NousétionsàunefêteetçamarchaitplutôtbienpourmoiavecunedesRusses…—J’aicompris,etalors?—Non,attendez,jevaisvouslaprésenter...Veruska,tupeuxveniruninstant?Veruska s’approche, souriante,vêtued’un longT-shirtqui la couvrebien tout enmettant envaleur seslonguesjambesnues.—Oui,disàmoi,Pietro.—Dis-moi,dis-moi,onditdis-moi.—Ah,OK,dis-moi…,ditlaRusseenriant.—Veruska,jevoulaisteprésenternotrecarabinier…Ilportelamainàsavisièreetlasalue.—Alfonso,enchanté.—Voilà,tuvois.Veruska,commeilaunbeluniforme?Veruskafaitlamaligneettoucheunboutondelaveste.—Oui,pleindeboutonstoutpetits.Petitscommedescerises.—Voilà,c’estbien.Vousvoyez,Alfonso,Veruskaretrouvedans l’uniformelesvaleursde la terre, lesorigineslesplussimples.Bref,nousétionstranquillemententraindebavarderavecnosamiesrusses…Riendeplus.—Jesais,jesais…maissilesvoisinsnousappellentpourtapageetfêtebizarre,vouscomprenez…—Jecomprends.Ilestdevotredevoird’intervenir…—Exact.Ilsretournentausalon.Andreaesttoujoursétendusurlebran-(.ml,maisilareprisunpeudecouleur.LesdeuxautresRussesetAlessandrosontàsescôtés.—Commentçava?—Mieux…,ditAndrea.L’undesbrancardiersselève.—Toutvabien,ilavaitunedrôled’arythmie,etcommeilestcardiaqueonluiafaituncardiotonique.Pietroattrapelaballeauvol.—Oui,ildevraitboiremoinsdecafé.—Oui,aumaximumunlematin,etsurtoutjamaislesoir.Lecarabinierrangesoncalepin.—Toutvabien,alorsonpeutyaller.Essayezdebaisserlamusique.Jecroisquevosvoisinssontplutôtsensiblesaubruit.—Oui,nevousinquiétezpas,detoutefaçonchacunvarentrerchezsoi,maintenant.Lafêteestfiniepourcesoir.

AlessandroregardePietro.—Oui,oui,biensûr…Pietrocomprendqu’iln’yaplusrienàfaire.Les brancardiers reprennent leur civière et se dirigent vers la sortie, suivis des carabiniers. Maissoudain,celuiquin’apasouvertlabouche,Serra,sebloque.—Pardon,maisjepeuxvousdemanderquelquechose?Est-cequejepeuxutiliserlestoilettes?—Bien sûr, ditAlessandro en luimontrant gentiment le chemin.Mais quand il entre dans la salle debains,ilaperçoitlepetitsachetquiflotteparmilesbullesdelachassed’eau.Ilsedirigeverslestoilettesetappuiesurlebouton,puisilsortrapidementenfermantlaportederrièrelui.—Excusez-moi,j’avaiscomplètementoubliéquecettesalledebainsaunproblèmedechassed’eau.Jevousenprie,venezparlà…vousutiliserezmasalledebainspersonnelle.Ill’accompagneetlefaitentrer.Puisilfermelaporteetrestelà,commes’ilfaisaitleguet,ensouriantdeloinàl’autrecarabinier.MaisAlfonsoCarretti,curieuxetsoupçonneux,sedirigeverslapremièresalledebains.Alessandropâlit.Pietroestplusrapideet,avantqu’iln’ouvrelaporte,ils’interpose.—Jesuisdésolé,maisicilachassed’eaunefonctionnepas.L’autreseralibredansuninstant.(Pietrosourit.)Etpuis,jevoulaisvousdire,Alfonso,quevousavezétévraimentgentils.Ilestparfoisdifficiledefaireladifférenceentreunevisiteetuneperquisition.Parceque,pourcettedernière,ilfautunmandat,autrementilyatoutdesuiteabusdepouvoirdelapartd’unofficierpublic,cequifaitpartiedesdélitsdeperquisitionillégale.Ilsouritencore…—Vousvoulezunecerise?—Jen’aimepaslescerises.Pietro le regarde en face. Il n’a pas peur.Ou dumoins il ne lemontre pas.C’est là sa force, depuistoujours.Tranquille,serein,habituéàbluffer,mêmependantlesprocèslespluscompliqués.Alessandrorevientausalonavecl’autrecarabinier.—Merci,vousavezététrèsaimable.AlfonsolèveunsourciletregardeunedernièrefoisPietro,puisAlessandro.— Ne nous donnez pas l’occasion de revenir. La prochaine fois, si nous revenons, nous aurons unmandat…Et ils s’envonten fermantbruyamment laporte.Alessandrosort sur la terrasse.Sonvoisinaéteint lalumière et est retourné dormir avec sa femme. Alessandro éteint lui aussi les lumières extérieures etregarde en bas, dans la rue. Il voit sortir les brancardiers et les carabiniers. Il regarde l’ambulances’éloigner, sirène éteinte, puis la voiture de police, sur les chapeaux de roue.Alessandro rentre dansl’appartementetfermelabaievitrée.—Bien.Bravo.Sivousvouliezmefairepasserunenuitdeterreur,vousavezréussi.—Çapourraitêtreuneidéepourunnouveauspot.—Pietro,çanem’amusepas,jen’aipasenviedeplaisanter.Allez,ilesttroisheuresetdemie.Toutlemondedehors,moijevaisdormir.Demainj’aiunrendez-vousimportantàhuitheuresetdemieetjenesaismêmepasdequoiilvas’agir.Emmenezvosamiesrusses,faitescequevousvoulez…—Allez,n’exagèrepas,tuvasnousfairesentircoupables…—Eh,ditunedesRusses,cheznousinvitéstoujourssacrés.—Oui,d’ailleursquandonviendratournerunspotenRussie,toutsepasserasûrementbeaucoupmieux,n’est-cepas?Maislàonestici.Etcen’estabsolumentpasdevotrefaute…Maismoijedoisdormir…

Jevousenprie.Andreas’approched’Alessandro.—Excuse-moisij’aifaittoutça,c’étaitjustepourlesimpressionner.—Maisnon,jesuiscontentquetutesentesmieux.—Merci,Alex,mercivraiment.Etledrôledegroupesortdelamaison.Alessandrofermeenfinlaporteetdonnedeuxtoursdeclépourêtresûrqu’ilnesepasseraplusriencettenuit-là.Dehorslemonde.Avantdeserendredanssachambre,ilvaàlasalledebains,celleàlachassed’eauprétendumentcassée.Lesachetadisparu.Puisilregardeplusattentivement,surlecôté.Derrièrelelavabo,ilyaunepetitefeuilleroulée.Unbilletdecenteuros.Ilsepenche,l’attrapeetledéroule.Ilestencorepleindepoudreblanche.Ilouvrelerobinetet lemetsouslejetd’eau.Illelavebien.Etvoilà.Touteslespreuvesontbeletbiendisparu.Puisill’étendsurleborddulavaboetvadanssachambre.Iléteintlalumière,enlèvesonT-shirt,seglissesouslesdrapsets’allonge.Ilécartelesbrasetlesjambes,cherchantànouveauunpeudetranquillité.Quellesoirée…JemedemandeoùestElena,encemoment.Quoiqu’ilensoit,jecomprendspourquoiAndreaSoldininetravailleplusdanssonbureau.Elleadûlefairechasser.Unechoseestsûre,jenesaispass’ilferaunjourimpressionaupremiercontact,maisentoutcasmoijenel’oublieraijamais!Etsurcettedernièrepensée,Alessandros’endort.

11Chambreindigo.Elle.Ça faitmaintenantdeuxmoisqu’il est là, sur sonbureau.Gris clair, unpeupoussiéreux, écranquinzepouces, fermé. Qu’est-ce que je fais, je l’allume ? La fille hésite devant ce mystérieux portable.D’accord,maiscommentonpeutoublierunordinateursurunepoubelle?Ilfautvraimentêtreunthon1.D’ailleurs,pourquoionditthon?Est-cequelesthonssontstupides?Jenecroispas.Ilssontrapides,cesont desmigrateurs, je l’ai entendu l’autre soir à la télé. Et puis, Ivo aussime l’a dit, le chef de lathonairedePortoscuso,l’annéedernièreenSardaigne.Detoutefaçon,quelqu’unquioublieunPCdoitêtreunpeubizarre.Lafilles’assiedaubureau.Elleouvreleportable.Elleaperçoitunpetitautocollantenbas,prèsdel’écran.«Anselmo2.»Jen’ycroispas.Normalement,là,onécritlenomdel’ordinateur.Anselmo2lavengeance.Allonsdonc.Mais…Çaneseraitpaslenomdupropriétaire?Anselmo.Bah.Elleappuiesurleboutond’allumage.Iln’estpasàmoi…jenedevraispas.Mais,sijenel’allumepas,commentjefaispoursavoiràquiilest,éventuellementpourleluirapporter?L’écranbleudeWindowss’allume, le logo sonore retentit. Ça alors. Regarde-moi ça. Il n’a même pas mis de mot de passe.N’importequipeutl’allumer,commeça,sansprotection…Surlebureauapparaîtl’imaged’uncoucherdesoleil sur lamer.Lescouleursduciel sontvivesetchaudeset lesvagues légères.Unemouette,aufond,suitsonchemin.Pasbeaucoupd’icônes.Elleessayed’ouvrirOutlook.Jesuiscurieuse.Voyonsunpeusesmails.Pasbeaucoupdedossiers.Voyons,voyons…danslesmessagesreçus,beaucoupviennentde«Maisond’édition».Unécrivain?Maisunhommeouunefemme?Puis«Bureau».Bah,çadoitêtredestrucsdeboulot.Puisd’autresnoms,Giulio,Sergio,AfterEightetautressurnoms.Descoucous,desliens,desvidéos,desblagues.Quelques invitations.Voyonsunpeu lesmessagesenvoyés.BeaucoupàcetteMaisond’édition, et puis lesmêmesnomsqu’avant.Une fille revient souvent.Carlotta.Tous lesmessages sont signésSteXXX.Ah, tantmieux, il ne s’appelle pasAnselmo2.Bon, je continue.Elleouvre un autremail. Stefano.Ah, donc c’est un homme. Puis encore un autre. « Salut, j’ai essayé det’appeleraujourd’huimaistonportableétaitéteint.Est-cequejepeuxavoirl’honneurdet’inviteràdînersamedi?J’enseraistrèsheureux.»Heureux.C’estunhomme.L’honneur?Maiscommentilparle,celui-là?Jesuisentraindecommettreundélit.Violationdelavieprivée.Non,aupireviolationdepoubelle.Qu’est-cequeçapeutfaire.Jesuisunevoyeuse.Non,jesuisuneliseuse.Ellerittouteseule.Puisellefouineencoreet finitpar les«Documents».Faisvoir.Ah,voilà…«Photos».Elleouvre ledossierjaune. Beaucoup de paysages et de photos d’animaux, de bateaux, de détails en tous genres. Aucunpersonnage.Aucunvisage.Pasmêmedephotosporno.Tantmieux.Ellefermeetrevientaubureau.L’unedes icônes s’appelle Martin. Peut-être que c’est son nom. Elle l’ouvre, le dossier contient plusieursdocumentsWord.Ellechoisitauhasardetclique.

Elleétaittropoccupéeàtenterdeconciliercediscoursgaucheetembrouilléetl’ingénuitédecespensées avec ce qu’elle lisait sur son visage. Jamais vu autant d’énergie dans les yeux d’unhomme. Voilà quelqu’un qui peut faire n’importe quoi était le message qu’elle lisait dans ceregard,unmessagequis’accordaitmalaveclafaiblessedesmotsutilisés.Sanscompterquesonespritétaittropraffinéetagilepourpouvoirapprécieraumieuxlasimplicité.

Musqu’est-cequec’est?Unlivre?Iln’yariend’indiqué.Serait-ilécrivain?Eneffet,ilyalesmailsdela«Maisond’édition».Lafillecontinuedeparcourirledocument.

En se la rappelant maintenant, depuis sa nouvelle position, sa vieille réalité de terre, mer etbateaux,marinset femmesdepetitevertu,ellesemblaitpetitemaisse fondaitdanscenouveaumonde et semblait s’étendre avec lui. Son esprit tendu à la recherche d’une unité, il resta ensuspensens’apercevantqu’ilyavaitdespointsdecontactentrecesdeuxmondes.

Ça a l’air pasmal, en fait.Deuxmondes.Différents.Des points de contact…Elle ferme le fichier etéteint l’ordinateur.Et là, sans raison particulière, elle sent quelque chose qui grandit à l’improviste àl’intérieurd’elle-même.Unenouvellecuriosité.Unevagueexcitation.L’idéedeseplongerdansunautreunivers. Une échappatoire à une pensée qui lui tourne depuis quelque temps dans la tête. Et, pour lapremièrefoisdepuisbienlongtemps,lafillesourit.

12Bonjour, lemonde.Niki s’étire.Tume faisuncadeau, aujourd’hui ? Jevoudraisme leverde ceht ettrouverunerose.Pasrouge.Blanche.Pure.Touteàécrire,commesic’étaitunepagevierge.Uneroselaisséeparquelqu’unquipenseàmoietquejeneconnaispasencore.Jesais,c’estuncontresens.Maisçameferaitsourire.Jelaprendraisetjel’emporteraisencours.Jelaposeraissurmatable,commeça,sansriendire.LesOndesseraienttoutescurieuses.—Eh,quitel’aofferte?—Fabio?—Ilretentesachance?—Lui,m’offrirunerose?Aumieux,unchardonséché!Elles rient.Maismoi jene répondspasencore. Je les laisseraispatienter toute lamatinée.Etpuis, ladernièreheurevenue, jedétacheraisunpétaleà lafoiset,avecunstylobleu, j’écrirais,unelettreà lafois,laphrasedecettechansonmagnifique:C’èunprincipiodiallegria,luigliostacolidelcuore,chemi volglio meritare… (« Il y a un début d’allégresse, parmi les obstacles du cœur, que je veuxmériter… ») et puis je lancerais ces pétales par la fenêtre. Le vent les emporterait. Peut-être quequelqu’unlestrouverait.Lesremettraitdansl’ordre.LiraitlaMirase.Etviendraitmechercher.Peut-êtrelui.Oui,maisluiqui?Alessandroseréveilleensursautetsetournebrusquementversleréveil.Iladéjàsonné.Non,monDieu,pasça.Zut,zut,zut.Ilsortdulitàtouteallure,trébuchedansseschaussons.Maisquandest-ceque je l’aiéteint?Oualors jene l’ai carrémentpasentendu?Oubien,cettenuit, avec toutcebordel, je ne l’ai pas programmé ? C’est impossible. Il fait une sorte de glissade jusqu’à la cuisine,préparelacafetière,allumelegazetlametsurlefeu.Puisilcourtàlasalledebains,attrapelerasoirélectriqueet,(outenserasant,faitdestoursdanslapièce.Ilessayed’effaceraumieuxlessignesdelasoiréedelaveille.C’estlejourdelafemmedeménage,aujourd’hui.Zut,ilfautquejecontrôleunpeu…Ilentredanslachambred’amis.Trouveunbol.Encoredescerises.Cen’estpaspossible.Illesprendetjetteletoutdanslapoubelledelacuisine,puisilrevientàlasalledebainsdesinvités,vérifiebienlestoilettes, le lavabo, par terre, dans tous les coins. Bien. Aucune trace. Il ne manquerait plus que ça.Publicitairecélèbrearrêtépourdrogue.Moi,anti-drogueparexcellence!Biensûr,dansnotremilieu…Personnenemecroirait.Dansledoute,iltireànouveaulachassed’eauetsortdelasalledebains.IlmetdelamusiqueausalonetretrouveunpeudebonnehumeurgrâceàunechansondeJulietaVenegas.Ilsemetpresqueàdanser.Ilbatlerythmeenserasant.Maisoui,merdealors,ilfautquejesoisheureux.Jen’aiquetrente-sixansj’airéussiuntasdechosesj’aigagnéplusieursprixpourmespublicités.Bon,mesparentsvoudraientquejememarie,etçaarriverapeut-être.Oupeut-êtrepas.Quoiqu’ilensoit,jesaisquejepeuxplaireunpeu.Pasmal,même.Ilseregardeunpeumieuxdanslemiroirdusalon,s’approcheetexaminesonvisage.Pasunpeu.Jepeuxplaire,etcomment!Attention.Attention…ChèreElena,c’esttoiquivassouffrir,àt’enmordrelesdoigts.Tureviendrasetmoi,avecbeaucoupd’élégance,jeteferaientrer.Ilyauradesfleurs.Etaveccettegrandecertitude,neserait-cequeparcequec’estlaseulequ’ilaàsadisposition, ilboitsoncafé.Alessandroajouteunpeudelaitfroid.Puis,surlesnotesdeAndit’ssupposedtobelove,d’Ayo,ilseglissesousladoucheetselaisseallersouslejetd’eaufraîche.Qu’est-cequeçavabienpouvoirêtre,cetentretientoutàl’heure?Mince,jesuisenretardtropenretard.Prisd’angoisse,ilsortrapidementdeladoucheetentreprenddesesécher.Jedoisfairevite,trèsvite.

—Mais,Niki,tun’aspaspristonpetitdéjeuner.—Si,maman,j’aibuuncafé.—Tunemangesrien?—Non,j’aipasletemps,putain,j’suisenretard.—Niki,jet’aiditcentfoisdenepasparlercommeça.—Oh,maman,maismêmepasquandjesuisenretard?—Non,mêmepas.Tuprendstonscooter?—Oui…—Neroulepastropvite,hein,pastropvite.—Maman,tumedisçatouslesmatins.Tuvasfinirparmeporterlapoisse.—Niki,commenttuparles!—Quelqu’unquiportelapoisseportelapoisse.Situveux,jepeuxdireportermalheur,maisils’agittoujoursdepoisse.—Pardon,maistucroisvraimentquetamèrequiteditd’allerlentementaulycéeveuttonmalheur?Etpuis,jeteledistouslesmatins,etjusqu’icitun’aspaseud’accident,doncjecontinueàledire.Neroulepastropvite.—OK,OK.Ciao,bisou!Nikiembrassesamèreenpassant.Ellemetlesécouteurssursesoreillesetdescendl’escalierencourant,sautantmêmelesdernièresmarches.Aupointquel’écouteurdroitsedétachedesonoreille.ElleleremettoutdesuitepourmieuxentendreBoptothetop,deHighSchoolMusical.Ellepasselaported’entrée,vaaugarage,monteenvitessesursonSH50,donneuncoupdepédale,allumelemoteuretsortàtouteallure.Elles’arrêteuninstant,regardeàgauchepuisàdroite,vérifiequepersonnen’arriveets’insèredanslacirculationdumatin.AlessandroroulevitedanssaMercedesneuve.Ilaachetéquelquesjournaux.Ilestimportantdesetenirinformé.Peut-êtrequ’àlaréunionilsvontmedemanderquelquechosesurlesdernièresnouvelles,etmoijenelesauraipas…Jenepeuxpasmelepermettre.Alors,detempsentemps,quandilestralenti,ouàun feu rouge, il jetteuncoupd’œilauMessaggeroouvert sur le siègepassager.Puis il redémarre.Çarouleassezbien.Alessandro rouleàbonneallure, autantqu’ilpeut. Il est en retard. Il est en retard…maisilfeuillettequandmêmelejournal.Nikiaussiestvraimentenretard.Unputainderetard.Elleaencoresesécouteurssurlesoreilles,elleécoutede lamusique et accélère.De temps en temps elledanse en essayant de suivre le rythme.Elleregardesamontreàsonpoignetgauche,encherchantdecalculersiellepeutrécupérerquelquesminutes,siellearriveraavantquececasse-piedsdegardiendel’écolenefermedéfinitivementlaported’entrée.ElledescendleVialePariolileplusvitequ’ellepeut,enaccélérantetendoublantunevoitureendoublefile.Puiselletentedeprendreunviragepourrevenirsursafile.Alessandro arrive de laMosquée. Il n’y a personne. Il s’insère sur Viale Parioli tout en lisant cettenouvelleincroyabledanslejournal.Desjeunesgensvolentcinqvoiturespourprocéderàunaffrontementtrèsparticulier.LeBoumBoumCar,leBBC,lenouveaujeudangereuxdesjeunesrichesquis’ennuient.Jen’ycroispas.Sérieusement,ilsfontdecestrucs…Maisiln’apasletempsdefinirsaphrase.Ilbraqueviolemment.Tente de l’éviter.Rien à faire.La fille lui arrive dessus à toute allure sur son scooter ets’écrasecontre sonailedroite.Boum.Unchoc terrible.La filleapparaît à lahauteurde lavitre,puis

glisseverslebas.Alessandrofreineàfond,fermelesyeux,serrelesdents,lesjournauxglissentdusiège.Sous le choc, le volume du lecteurCDmonte tout seul. Lamusique inonde la voiture. She’s the one.Alessandroresteuninstantimmobilesursonsiège.Lesyeuxfermés,enserrantlevolantentresesmains.En suspens. Quelques klaxons, quelqu’un double nerveusement. Un conducteur curieux, un distrait, unautreencorecynique.Alessandrodescend, inquiet. Il fait lentement le tourde laMercedes, lamusiquecontinue.Puisillavoit.Là,parterre,allongée,immobile.Latêterenversée.Ellealesyeuxfermés,ondiraitqu’elleestévanouie.MonDieu,penseAlessandro,qu’est-cequi luiestarrivé…Ilsepencheunpeuenavant.Toutdoucement,Nikiouvrelesyeux.Ellelevoit,àl’envers,etluisourit.—MonDieu,unange.—Hélas,jenesuisqueleconducteur.—Mince,ditNikienserelevanttoutdoucement,maisturegardaisoù,conducteur?Tupensaisàquoienconduisant?—Jesais,maispardon,j’avaislapriorité.—Quoi,maisqu’est-cequeturacontes?J’aibienvuquetuavaisunstop,maistoitunem’aspasvuearriver!Aïe,moncoudemefaitmal.—Faisvoir…c’estrien,iln’estmêmepaséraflé.Regardeplutôtl’ailedelavoiture.Nikisetordpourregarderderrièreelle.—Etregardecequetum’asfaitlà.Monpantalonestdéchiréauniveaudesfesses.—Jecroyaisquec’étaitlamode.— Qu’est-ce que tu racontes, espèce de débile, il était neuf, je viens de l’acheter, Jenny Artis, tuconnais?J’aipayéçaunefortune,etsûrementpaspourlebousillerenunejournée.Tuterendscomptequejenel’avaismêmepasencorelavé?Tumel’asbaptisé.Tusaiscoudre?—Tuplaisantes?—Tum’aidesàrelevermonscooter,aumoins?Alessandro,malgrél’aidedeNiki,peineàdégagerleSH.—Eh,maistufaisunpeudesport?—Çam’arrive…—Allez,tire…Ils finissent par y parvenir, mais le scooter glisse entre les mains de Niki, qui s’appuie contre laMercedes.—Aïe!—Encore!Faisattention,non?Nikiarrangelepetitbonnetqu’elleportesoussoncasque.—MonDieu,qu’est-cequetuespénible,ondiraitmonpère.—C’estquevousn’avezaucunrespectpourleschoses.—Là,ondiraitmongrand-père.Etpuis,s’ilyaquelqu’unquinerespectepasleschoses,c’estbientoi.Regardecequetuasfaitàmonscooter…Laroueavantesttoutetordueetlesdeuxamortisseurssesontpliesenfinissantsoustamauditevoiture.—Allez,qu’est-cequec’est,uneroue,ilsuffitdelachanger.—Oui,biensûr,maislàjedoisallerencours,donc…Elleouvreenvitesselecoffresouslesiège,ensortunegrossechaîneetaccrochelarouearrièreàunpoteautoutprès.—Doncquoi?

—Donctum’accompagnesaulycée.—Jen’aipasletemps,jesuisenretard.—Etmoi,putain, jesuis trèsenretard.Doncc’estmoiquigagne.Allez,onyva.Etpuis, jepourraisappelerlapolice,uneambulanceettefaireperdreuntempsfou.Tuasintérêtàm’accompagneràl’école,çaserabeaucoupmoinslong.Alessandroyréfléchitquelquessecondes,puisilcède.—Allez,monte.Ilouvrelaportièreetl’aide.—Aïe,tuvois?J’aiprisuncoupderrière.Çamefaittrèsmal…—N’ypensepas.Alessandromonteàsontouretdémarre.—Oùjet’emmène?—AuMamiami,aprèslepontCavour,quartierPrati.—Tantmieux.Moiaussijetravailledanscecoin-là.—Tuvois,parfoisilyadescoïncidences.Tuécoutestoujourslamusiqueaussifort?—Ah,excuse-moi,levolumeamontétoutseulsouslechoc.—Sympa,c’estRobbie!—Ah,oui.—Ilestsuper,leclipdecettechanson,tul’asvu?—Non.—Ilestprofdepatinagesurglace,ilentraînedeuxjeunesgenspourunecompétitionimportante,maisundesdeuxseblesse,alorsilprendsaplaceetgagnelacompétition.—Ah,unebonnevieillehistoiremoraleàl’anglo-saxonne.—Bah,pourmoic’estjusteunclipgénial.Voilà,tourneici,c’estpluscourt.—Maislàonnepeutpas,c’estseulementpourlesbusetlestaxis…—Justement, tu es en traindemedéposer, non?Tuespresqueun taxi.Allez, tu t’en fiches, il n’y apersonne.Allez,coupeparici,là-basilyatoujoursdumonde,mêmemamèrelefait.—OK.Alessandro, pas très convaincu, prend le couloir de bus. Mais alors qu’il vient d’en doubler un, ils’aperçoitqu’ilyaunpolicierquileregardecommettrel’infractionensouriant,moqueur,commepourdire«allez,allez,moijem’occupedetoi».Ilsortunblocdelapochedesonuniforme.Nikisepencheparlafenêtrejusteaumomentoùilspassentdevantluietcrieàtue-tête:«Jaloux!»PuiselleregardeAlessandro,amusée.—Jedétestelespoliciers.—Biensûr.Maiss’ilyavaituneseulepossibilitépourqu’ilsnememettentpasd’amende,onl’аgrillée.—Oh,tuexagères.Qu’est-cequec’est,uneamende.Detoutefaçon,iltel’avaitdéjàfaite…Etpuis,tuasditlamêmechosepourlarouedemonscooter.—Tuesimpossible,tul’asfaitexprèspourpouvoirmedireça.Nousnenousentendronsjamais.—Nousn’avonspasbesoindenousentendre.Nousdevonsseulementessayerdenepasnousrentrer…Denepasfaired’accident.Dis-moi lavérité.Tupensaisàautrechose,n’est-cepas?Peut-êtrequeturegardaisunebellefilleenprofitantdufaitd’êtreseul.—Jevaistoujoursseulaubureau,etjenemelaissepasfacilementdistraire…Alessandroluisouritetlaregardeavecsuffisance.

—Ilenfautpluspourmedistraire.Nikisevexe,puiselleaperçoitlejournalàsespieds.—Voilàpourquoi!Tuétaisentraindelire!ElleramasseleMessaggeroetl’ouvre.—Maisnon,jejetaisjusteuncoupd’œil.—Justement.Jelesavais,jelesavais,j’auraisdûappelerl’ambulance,lapolice,tusaiscequeçaauraitputecoûter!—Commentça,auheud’êtrecontentedenet’êtrerienfait…—Bah,unefoisqu’onaévitéledrame,ilfautpenseràcommentl’exploiter,non?Toutlemondefaitça.Alessandrosecouelatête.—J’aimeraisbienparleràtesparents.—Ilsne te laisseraientpasentrerà lamaison,poureux leur fillea toujours raison,quoiqu’ilarrive.Tourneàdroiteici,onestpresquearrivés.Voilà,monlycéeestauboutdelarue…Niki ouvre le journal et aperçoit les photos des voitures détruites. Puis еllе lit l’article sur leBoumBoumCar.Elleécarquillelesyeux.—Jen’ycroispas.—Pourtant,c’estvrai,voilàcequej’étaisentraindelire…ettuasbienfaillidétruiremavoituredelamêmefaçon.—Tuvoudraisavoirraison,hein…—Pensequ’ilyadesgensquifontçapourdebon,desjeunescommetoi…Niki survole l’article en cherchant des noms, des faits, des traces de ses amis. Puis elle l’aperçoit :Fernando,celuiquiprenaitlesparis.—Non,cen’estpaspossible!—Qu’est-cequ’ilya,tuconnaisquelqu’un?—Non,jedisaisçaparcequeçameparaîtabsurde.Bon,onestarrivés.Arrête-toi.—C’estlà?—Oui,merci.Bon,enfaittumedevaisbiença.—Oui,oui,allez,descends,jesuisenretard.—Etpourl’accident,commentonfait?—Tiens.Nikilit:«AlessandroBelli,CreativeDirector.»—C’estunrôleimportant?—Assez.—Jelesavais,jelesavais,j’auraisdûtefaireunprocès!NikisortdelaMercedesenriant.Elleprendsoncasque,sonsacàdos,etaussileMessaggero.—Ons’appelle.—Eh,maisc’estmonjournal,ça.—Oui, et remercie-moi de ne pas prendre ton CD, aussi ! Homme distrait qui cause la douleur desfemmes…Puisellefermelaportière,maisfrappeàlavitre.Alessandrolabaisse.—Sic’estunefausse,dit-elleensecouantlacartedevisite,j’aiappristaplaqued’immatriculationparcœur…Pasdeblaguesavecmoi,çanemarcherapas.Apropos,jem’appelleNiki.Alessandrosecouelatête,souritetdémarreenfaisantcrisserlespneus.Dramatiquementenretard.Plusieursfillesentrentdansl’établissement.Ollyarrivejusteàcemoment-là.

—Eh,Niki,onesttouteslesdeuxenretard,commed’habitude,hein?Pasmal,letype,bellevoiture.Jenel’aipasbienvumaisdeloinilavaitl’airmignon.C’estqui,tonpère?—Tuesvraimentbête,Olly.Tuleconnais,monpère.Tuveuxsavoirquic’était?Monprochainpetitami.EttoutendisantcesmotsNikil’embrasse,laserrefortetlaforceàmonterl’escalierencourant,commeelle.Olly,arrivéeenhaut,s’arrêtesoudain.—Maistuesfolle?Ilsvontnousfaireentrer.C’étaitl’occasiondesécher!—Regarde,lis.NikimontrelejournalàOlly.—L’articlesurleBBC.Sionétaitrestéesunpeupluslongtemps,onseseraitfaitarrêteraussi.—Allez,çaauraitétégénial,imagine,nousdanslejournal,onseraitdevenuescélèbres!—C’estça,oui!—Tais-toi,va,aujourd’huijevaismefaireinterroger.Ellesentrentdanslepréaujusteàtemps.Legardien,heureux,fermelaporteenlaissantdehorsquelquesretardataires.

13Alessandroarriveaubureautoutessoufflé.—Salut,Sandra.Leonardoestarrivé?—Ilyatroisminutes.Ilestdanssonbureau.—Pfff…AlessandrosedirigeverslaportemaisSandral’arrête.—Attends.Tusaiscommentilfonctionne,ildoitêtreentraindeboiresoncaféenfeuilletantlejournal…Puiselleindiqueletéléphone,laligneestoccupée.–…etilpasselesempiternelcoupdefilàsafemme.—OK,sedétendAlessandroense laissant tombersur lecanapé.Tantmieux.Pff…J’aibienfaillinejamaisarriver.Ilouvreunpeulecoldesachemise,ledéboutonne.—Maintenant,ilneresteplusqu’àespérerquelecoupdefilàsafemmeseterminebien…—Ça,çameparaîtdifficile,chuchoteSandra.Elleveutlequitter,ellenepeutplussupporter…certainsaspectsdesoncomportement.—Etdonc?Ilyadel’oragedansl’air?—Çadépend.S’ilouvrelaporteetmedemandedeluifaireenvoyerlamêmechosequed’habitude,tuasunechance.—Lamêmechosequed’habitude?—Oui,c’estuncode.Desfleursavecpetitmot,préparéàl’avance.Sandra ouvre un tiroir et luimontre une série de billets, tous au nom de Francesca, chacun avec unephrasedifférente,uneparjour,toussignésparlui.—Sandra,tusaisquelefaitd’êtresasecrétairenetedonnepasledroitd’êtreaussicurieuse?—Je sais,mais c’estmoi qui ai dû trouver toutes ces phrases ! J’ai dû aller chercher lemeilleur dumeilleurdespoètesmodernesmaisinconnus.Etj’enaitrouvédesbelles…Ellehtunbillet.— Écoute celle-là… « Moi je resterai même quand tu ne m’auras pas et je t’aurai même sans teposséder.»Complexe,énigmatique,maisforte,non?Detoutefaçon,ditSandraenrefermantletiroir,siceluiquil’aécritedevientcélèbreunjour,jecroisqu’ilneluipardonnerajamaisdelaluiavoirvolée.—OuçaseraplutôtLeonardoquidiraqu’onacopiésaphrase!—Ah, oui, ça c’est certain.Etmême… il dira que c’est justement grâce à ça que le type est devenucélèbre!Unjeunehommeapparaîtauboutducouloir.Grand.Maigre.Vestedécontractée.Cheveuxblonds,coiffésenarrière,yeuxbleus,intenses,beausourireetlèvresfines.Tropfines.Detraître.Ilboitunpeud’eauetsourit.Sandra, inquiète,vérifieviteque le tiroirest fermé.Ellenepartagepassonsecretavec tout lemonde.Puisellereprendsonairprofessionnel.Letypes’approched’elle.—Toujoursrien?—Non, jesuisdésolée, ilestencoreau téléphone.Alessandroregarde le jeunehomme.Il l’adéjàvumaisneserappellepasoù.—Bon,alorsattendons.IlvientversAlessandroetluitendlamain.—Enchanté,MarcelloSanti.

Puisilsourit.—Oui,jesais,tuesentraindetedirequenousnoussommesdéjàrencontrés.—Eneffet…maisoù?JesuisAlessandroBelli.—Jesais, j’étaisdans lebureauenfacedeceluid’Elena, je faisaispartiede ladirection, ressourcespublicitaires.—Maisoui,biensûr.Alessandrosouritenpensant:«Voilàpourquoijeledétestedéjà.»—Nousavonsmêmedéjeunéensemble,unefois.—Oui,maisj’aidûpartirvite.Oui,penseAlessandro,eneffet,etd’ailleursj’aidûpayerpourtoiettonassistante.—Quellecoïncidence.—Onm’aappelépourcetentretien.Ilsseregardent.Alessandroplisselesyeux,tentedecomprendrecequisepasse.Qu’est-cequeçaveutdire?Qu’est-cequec’estquecettehistoire?Est-cequemonposteseraitenjeu?Onnousaappeléstousles deux pour un entretien ? C’est lui, le nouveau directeur que cherche Leo ? Il veut me donner lanouvelledevantlui?Nonseulementjeluiaipayélerestocettefois-là,maismaintenantilfautaussiquejeluioffremon«dernierrepas»?IlregardeSandrapourycomprendrequelquechose.Maiselle,quiaparfaitementcompriscequ’Alessandrovoudraitsavoir,secoue légèrement la têteetsemordunpeu lalèvre inférieure, comme pour dire : malheureusement, je ne sais rien. Soudain, le voyant de la ligneexternes’éteint.Quelquessecondesplustard,Leonardosortdesonbureau.—Ah,vousvoilà.Désolédevousavoirfaitattendre.Jevousenprie,entrez,entrez…Vousvoulezuncafé?—Oui,volontiers,dittoutdesuiteMarcello.Alessandro,unpeudéçudes’êtrefaitdevancer,ajoute:—Oui,moiaussi,merci.— Bon, alors deux cafés, Sandra, s’il vous plaît, et… si vous pouvez envoyer la même chose qued’habitudeoùvoussavez?Merci.—Biensûr,docteur,répond-elleenfaisantunclind’œilàAlessandro.—Alorsjevousenprie,installez-vous.Leonardofermelaportedesonbureauderrièrelui.Marcelloprendsesaises.Ilesttranquille,presqueeffrontéavecsesjambeslégèrementcroisées.Alessandro,plustendu,tentedes’asseoirconfortablementdanscefauteuilquisemblesedérobersouslui.Ilchoisitfinalementdesepencherenavant,lescoudessurlesgenoux.Ilfrottedoucementsesmainsl’unecontrel’autre.Marcellos’enaperçoitetsouritintérieurement.Puisilregardeautourdelui,enprenantsontemps.—Ilestbeau,cetableau,c’estunWillemDeKooning,n’est-cepas?Expressionnismeaméricain.Leonardoluisourit,satisfait.—Oui…Alessandrolesregardeetneperdpasuneminute.—Ça,enrevanche,c’estunelampeFortuny,de1929,jecrois.Labaseenacajouestmagnifique.C’estunelampequiaeudusuccès,ilyalongtemps.—Bravo,c’estcommeçaquevousmeplaisez.Légèrementcompétitifs.Etpourtant,rienn’acommencé,jenevousaiencoreriendit.Voilà,nousensommesexactementàcemoment…lanaissance.Leonardos’assiedetpose sesmains sur lebureau, l’unedevant l’autre, commepourprotégerquelquechosequelesdeuxautresnepeuventpasvoir.

—Qu’est-cequ’ilya,là-dessous?Qu’est-cequejecache?Cettefois,Alessandroestplusrapide.—Tout.—Rien,ditMarcello.Leonardosouritetlèvelesmains.Surlatable,iln’yarien.Marcellopousseunsoupirdesatisfaction.PuisLeonardoregardeAlessandrodroitdanslesyeux.Celui-cisoutientsonregard,déçu.Maissoudain,Leonardo laisse tomber quelque chose de l’une de sesmains, restées en l’air. Stomp.Un bruit sourd.Marcellochanged’expression.Alessandro,lui,sourit.—Toutàfait,Alessandro.Tout.Toutcequinousintéresse.Cepaquetdebonbonsmarquerapournousuntournant. Il s’appelle «LaLune», comme laLunemais tout attaché.Et c’est laLuneque nous devonsattraper,conquérir.Commelepremierhomme,en1969.Celuiquiaétédansl’espace,quiamispourlapremièrefoislepiedsurlaLune,enaffrontantl’universettoussessecrets…Nousdevonsêtrecommecet Américain. Mieux encore, nous devons affronter les Japonais et, pour être précis, nous devons«conquérir»cebonbon.Levoici.Leonardoouvrelepaquetetrenversedesbonbonssurlatable.AlessandroetMarcellos’approchent,lesregardentavecattention.—Desbonbonsenformededemi-lune,augoûtdefruit,tousdifférents,unpeucommenotrebonnevieilleglacearc-en-ciel.Marcelloenprendun,leregarde.—Jepeux?—Biensûr,goûtez-les,mangez-les,pénétrez-les,vivezavecLaLune,prenez-vousd’affectionpoureux,nepensezàriend’autrequ’àcesbonbons.Marcellolemetdanssabouche.Ilmâchelentement,avecélégance,ilfermelesyeuxcommes’ilgoûtaitungrandvin.—Mmm,c’estbon.—C’estvrai,ditAlessandroquientre-tempsenagoûtéunàsontour,moijesuistombésurunàl’orange.Puisilrevientàdesconsidérationsplustechniques.—Bah, l’idéedesmainsquis’ouvrent,vides,puisqui laissent tomber lebonbon,LaLune,duhaut,cen’estpasmal…DemandezLaLune.—Oui,maismalheureusementlesAméricainsl’ontdéjàfaitel’annéedernière.—Oui, intervientMarcello, lesmains étaient celles de Patrick Swayze.Bellesmains. Ils les avaientchoisiespourlefilmGhost,ellesmodelaientlevaseenargilependantlascèned’amour,lesmainsquitransmettaientleurémotionàDemiMoore.Danslespot,onnevoyaitquecesmains.Payées,d’ailleurs,deuxmillionsdedollars…—Voilà,ditLeonardoense laissantallerdanssonfauteuil,ànous, ilsnousenoffrentquatorze.Etenplusl’exclusivitépourdeuxanspourtouslesproduitsLaLune.TheMoon,toutattaché,enanglais.Ilsvontfaire du chocolat, des chewing-gums, des chips etmême du lait.Des produits alimentaires avec cettepetitemarquedessus.Etnous,nousavonslapossibilitédegagnerquatorzemillionsdedollars,etenplusl’exclusivité.Nous. Si nous réussissons à battre l’autre agence qui a été chargée de créer ce spot.LaButch&Butch…Oui,parcequelesJaponais,quinesontpasstupides,ontpensé…Justeàcemoment,onfrappeàlaporte.—Oui?Sandraentreaveclesdeuxcafésetlesposesurlatable.—Ici,vousavezlesucreetlelait.J’aiaussiapportéunpeud’eau.—Bien,servez-vous.Merci,Sandra.Etest-cequevousavezenvoyé…

—Oui.—Avecquellephrase,cettefois-ci?—«Tueslesoleilcachéparlesnuagesquandilpleut.Jet’attends,monarc-en-ciel.»—C’estbien,c’estmêmechaquejourunpeumieux.Merci.Sivousn’étiezpaslà…SandrasouritàMarcello,puisàAlessandro.—Vousmelediteschaquefois.Toujoursdescompliments,maisjamaisd’augmentation!Etellesortensouriant.—Vousl’aurez,vousl’aurez,votreaugmentation,soyezconfiante!Leonardo severseunverred’eau.Soyezaumoinsaussi confiantequemoi, sedit-il intérieurement enpensantàlaphrase…—Alors,nousdisions…Marcellosirotelentementsoncafé.Alessandroadéjàfinilesien.–…quelesJaponaisnesontpasstupides.Non,jediraisplutôtqu’ilssontgéniaux.Ilsnousontmisencompétition avec laButch&Butch, la plusgrande agence, notre concurrent direct, quenous I levionsaffronter,etsurtoutbattre.Etcommemoi,mêmesijenesuispastoujoursaussigénialqu’eux,jenesuisni lent ni stupide, je les ai copiés… Je copie toujours,moi.A l’école, onm’appelait Copycopy. LesJaponais nous opposent à laButch&Butch ?Bien,moi j’opposeAlessandroBelli àMarcello Santi.Avecàlacléquatorzemillionsdedollars,deuxansd’exclusivitéavecLaLune,etpourvouslerôledecreativemanagerpourl’étranger,avecnaturellementuneaugmentationdesalaireconséquente…etréelle.Enunefractiondeseconde,Alessandrocomprendtout.Voilàlepourquoidecebizarreentretienàdeux.Puisilsentleregarddel’autresurlui,alorsilsetourne.Leursregardssecroisent.Marcelloplisselesyeux,goûteaudéfi.Alessandroluitienttête,immobile,sûrdelui.Marcelloluisourit,serein,sournois,convaincu,malin.—Biensûr,envoilàunebonneidée…EtiltendlamainversAlessandro,marquantainsiledépartdecegranddéfi.Alessandrolaluiserre.Acemoment-là,sonportablesonne.—Oups,excusez-moi.Illitlenumérosurl’écranmaisnelereconnaîtpas.—Excusez-moi,vousvoulezbien?…Allô?Ilrépondensetournantunpeuverslafenêtre.—Eh,Belli,çava?J’aieusept,j’aieusept!—Tuaseusept?—Oui!Çafaisaitdeslustresqueçanem’étaitpasarrivé!Tum’asportébonheur!Jecroisquejen’aieuseptqu’unefoisdansmavie,ensixièmeetensport.Oh,maistueslà?Oubientut’esévanoui?—Maisquiestàl’appareil?—Commentça,quiestàl’appareil,c’estNiki,voyons!—Niki?MaisNikiqui?—Commentça,Nikiqui?Tutemoquesdemoi?Niki,lafilleduscooter,cellequetuasrenverséecematin.AlessandrosetourneversLeonardoetsourit.—Ah,oui,Niki.Excuse-moi,maislàjesuisenréunion.—Oui,etmoijesuisaulycée,plusexactementdanslestoilettesdeshommes.

Quelqu’unfrappeàlaporte.—Oh,maiscombiendetempsiltefaut?Nikiprendunevoixmasculine.—Occupé.Puisellechuchotequasimentdansleportable:—Écoute,ilfautquejeraccroche,ilyaquelqu’unàlaporte.Tusaisquec’estvraimentabsurde?Ici,aulycée,onn’apasledroitdeparlerauportable.Tuterendscompte?Imagine,jedoisdireuntrucurgentàmamère…—Niki…—Eh,qu’est-cequ’ilya?—Jesuisenréunion.—Oui,tul’asdéjàdit.—Doncjevaisraccrocher.—OK,alorsjenedoispasdireuntrucurgentàmamèremaisàtoi.Écoute,tuviensmechercheràuneheureetdemieàlasortiedulycée?Non,tusais,parcequej’aiunproblème,etjecroisquepersonnenepourram’accompagner.—Maisjenesaispassijepourrai,jenecroispas,j’aiuneautreréunion.—Tupourras…tupourras…Et elle raccroche. Puis elle sort des toilettes. Elle se trouve nez à nez avec le professeur qui vientjustementdeluimettresept.Nikiglissediscrètementleportabledanssapoche.—Niki,maisc’estlestoilettesdeshommes,ça.—Oh,pardon.—Jenecroispasquetutesoistrompée.Enplus,cesontlestoilettesdesprofs…—Alors,doublementpardon.—Écoute,Niki,nemefaispasregretterleseptquejeviensdetemettre…—Jevousprometsquejeferaitoutpourlemériter.Leprofesseursouritetentredanslestoilettes.—Alors,avantquelecoursdeMmeMartininecommence…—Oui…Nikileregardeavecdesyeuxinnocents.Leprofdevientsérieux.—Éteinsceportable.Etilfermelaportederrièrelui.Nikisortsonportabledesapocheetl’éteint.Ellecrieàtraverslaporte.—C’estfait,prof!Jel’aiéteint.—C’estbien,etmaintenantsorsdenostoilettes.—Jesuissortie,prof!—C’estbien.Tonseptestmaintenu.—Merci,prof!Nikisouritetsedirigeverssasalle.MmeMartinivientd’entrer.Nikis’arrêteà laporte, rallumesonportableetlemetsursilencieux,Puis,avecunsourireencorepluslarge,elleentredanslaclasse.—Alors,lesOndes,commentonvalefêter,monsept?

14Alessandrosetourneetéteintsonportable.—Toutvabien,toutvabien…—Excuse-moi,ditLeonardoensouriant,maisj’aientendu.Elleaeusept.Jenesavaispasquetuavaisunefille.—Non,souritAlessandro,unpeugêné,c’étaitmanièce.—Bien, çaveutdirequ’elleest intelligente.Ellevagrandir, avoird’autresbonnesnotes, etpeut-êtrequ’unjour,quisait,elleferapartiedenotreéquipe!Leonardosepenchesurlatable.—A condition que ce jour-là, nous existions encore. Parce qu’il s’agit de notre dernière chance. LaFrance et l’Allemagne nous ont déjà dépassés. L’Espagne n’est pas très loin de nous. Si nous neparvenonspasànousemparerdecesquatorzemillionsdedollarsetdecesdeuxansd’exclusivitéavecLaLune,notresiège…Leonardocroiselesmainsetimiteunemouettequibatdoucementdesailespours’élever.–…s’envolera.Puisilouvreànouveaulesmainsetcesailes,commebrisées,setransformentenpoingsquis’abattentavecforcesurlebureau.—Maisnousnenouslaisseronspasfaire,n’est-cepas?Làjem’adresseaufuturcreativedirector,dit-ilenlesregardanttouslesdeuxd’unairdedéfi,s’.amusantpresquedel’incertitudequ’illaisseplaner.Jene sais pas de qui de vous deux il s’agira. Je sais seulement qu’on ne cédera pas aux Espagnols.L’étranger ne passera pas ! Et maintenant, je vais vous présenter vos assistants personnels. Ils ontabandonné toutes leurs autres missions. Ils vous suivront comme votre ombre. Et même plus qu’uneombre.Parceque,uneombre,c’estsilencieux,çasuitmaisn’apaslacapacitéd’anticiper.Alorsqu’eux,ilsvousaiderontàtrouvertoutcedontvousavezbesoin,ilsanticiperontlamoindredevospensées.Ildécrochel’interphone.—Sandra?—Oui?—Auriez-vouslagentillessedefaireentrerlesassistants,dansl’ordrequejevousavaisindiqué?—Biensûr.Laportedubureaus’ouvrelentement.—VoiciAlessia.Alessandroselèved’unbond.—Biensûr,Alessia!Trèsbien!Elleestparfaitepourcetravail,çavaêtreuneaventureincroyable.Etpuis,nepasdevoirs’occuperdetouslesautresproduits,seconsacrerentièrementàLaLune,c’estuntrèsbonchoix.Jesuisheureuxdetravailleravectoi!MaisAlessiasetait,elleapresquel’airdéçue.—Qu’est-cequisepasse?Leonardointervient.—Elleseral’assistantedeMarcello.Vousvousconnaisseztropbientouslesdeux,Alessandro.Vousnesauriezpasvoussurprendre,vousn’avezriendenouveauàvousraconter.Maislà,ils’agitdecréerdesrapportsexplosifs.C’estleseulmoyend’arriveràdesrésultatsextraordinaires.Marcelloselèveetlasalue.—Enchanté,onm’aditbeaucoupdebiendetoi.Jesuissûrquenousferonsdegrandeschosesensemble,Alessia.

—Jesuistrèshonorée.Et ilsseserrent lamain.Alessandroserassied,unpeudéçumaisaussicurieuxdesavoirquiserasonassistant.—Etpourtoi…voicitonombreparfaite.Alessandro sepenchepourvoirqui arrive.Et là, il voit entrer…Il s’arrête sur le seuil dubureaudeLeonardo.Ilsourit.Alessandron’encroitpassesyeux.—Non…Il se laisse tomberdans le fauteuil, avachi contre le dossier aupoint dedisparaîtrededans.Leonardofarfouille dans ses papiers enmurmurant : «Comment il s’appelle, déjà, j’oublie toujours…Ah, oui,voilà.»Satisfait,ilattrapeunefeuilleetlalèveensouriant.—Tonnouvelassistantest…AndreaSoldini.Immobileprèsdelaporte,AndreaSoldinisourit.—Bonjourtoutlemonde.—Alors,jeteprésenteAlessandro,àqui,àpartird’aujourd’hui,tudevrastoutdonner.Presquejusqu’àenmourir.Alessandroleregardeethausseunsourcil.—Ah,voilà,hiersoirtut’entraînais,enfait…Leonardoleregarde,curieux.—Vousvousconnaissez?—Oui.—Maisvousn’avezjamaistravailléensemble…—Non.—C’esttoutcequim’intéresse.Trèsbien!Allez,dehors,autravail.Jevousrappellelejeu,ledéfi,lacompétition,lagrandehistoire.Nousavonslapossibilitédeprésenterdeuxprojets.Moi,jem’enremetsentièrementàvous.CeluiquitrouveralabonneidéepourlespotdeLaLune,c’est-à-direceluiquinousferagagnerlacampagne,cettepersonnedeviendranotredirecteurcréatifpourl’étranger.MarcellosortavecAlessia. Ilssourient.Alessandrosedirige luiaussivers laporte.Unpeuabattu, ilregardeAndreaSoldini.Rienàfaire.Ilal’impressiond’avoirperdud’avance.—Ah,aufait…Leonardolesrappelleuninstant.—Ilyaquelquechosequejenevousaipasdit.L’autre,celuiquiperdra,seraenvoyéà l’antennedeLugano.Quelemeilleurgagne!

15Une route. Une route de banlieue. Une route embouteillée, polluée. Du linge étendu, des poubellescabossées,des inscriptions sansamour, improvisées.Sa route.Mauroest auvolantd’unvieuxKymcodéfoncé,lecasquecalésurlatêtemaisdétachéauniveauducou.IlporteunblousonLevi’sélimé,saledetoutcetempsoùilnefaisaitpasattentionàlui.Iléteintlemoteuretaccrochelescooterenbasdechezlui,surlapetiteplacefaitedebriqueséclatéesparlesoleil,avecsarambarderouilléeparlapluie.Toutprès,unrideaudeferbaissé,unevieilleépicerielaisséeàl’abandon,avecimpriméesdevantdevieillespêches, qu’on auramême dumal à gratter. Saveurs anciennes d’une tranche de vie désormais passée.Maurosonneàl’interphone.—Quiestlà?—C’estmoi,m’man.Un che. Le portail s’ouvre etMauro entre. Il referme derrière lui la porte en verre jauni tenu par unentrelacementdeferforgérouillé.Enbasàgauche,unevitreestcassée,unballonenvoyéparunjeunefootballeurrestédansl’anonymat.Deuxmouchesjouentàsepoursuivre.Maurogrimpelesmarchesdeuxàdeuxsansperdrehaleine. Ilest richedusouffledesesvingt-deuxans.C’est lerestequi luimanque.Trop.Tout.—Salut,m’man.Unrapidebaisersurcettejouehumidedesueurdomestique.—Dépêche-toi,ilssonttousàtable.Lamèresoupireetretourneàlacuisine.EllesaitqueMaurosedirigeverslatablesansl’avoirfait,alorselleleluidit.—Etlave-toilesmains.Jelesairegardées,tusais?Ellessontcrasseuses.Maurovaàlasalledebains,lespasserapidementsousunjetd’eaufroidepourleslaver.Maisparfoismêmelesavonnesuffitpasàenleverlessignesd’unejournée.Ils’essuieavecunepetiteservietterosepassée et élimée, en partie trouée et déjà un peu tachée.Encore plus,maintenant. Il sort, remonte sonpantalon,l’ajuste,puiss’assiedàtable.—Salut,Eli’.—Salut,Mau’.C’estsapetitesœurquil’appellecommeça.Elleaseptansetunvisagegaietamusant,pleindefantaisieet de tout ce qu’elle ne sait pas encore. Elle ne connaît pas encore les difficultés qui l’attendront autournantpendantlesprochainesannées.Avecsafourchette,Maurocoupeunmorceaud’omeletteetlemetdanssabouche.—Tupourraisattendretamère,non?Renato, le père, lui donne un coup sur l’épaule tandis queCarlo, son grand frère, le regarde d’un airimpassible.—P’pa,c’estquej’aifaim,moi.—Justement.C’estpourçaquetuvasattendre.Parcequetuasfaimetparrespectpourquitedonneàmanger.Tonfrèrepourraitmanger,lui.Pastoi.Toi,tudoisattendretamère.Annamaria arrive de la cuisine, portant un grand plat.Elle le pose au centre,mais il lui échappe desmainsetilrebonditsurlatableenfaisantungrandbruit.Voua…Elles’assied,metdel’ordredanssescheveuxenlesenvoyantunpeuenarrière,fatiguéeparcetteénièmejournéefaitedechosessisemblablesentreelles.

Renatosesertenpremier,puislaissetomberlalouchedanslasoupière.Carlolaramasse,prendunpeudepâtesauxflageoletsetsertElina,lapetite,quiattrapemaladroitementsacuillère,commesic’étaitunpetitpoignard.Ellesejettesursonassiette,affaméedevie.—Tuenveux,m’man?—Non,jevaisfaireunepetitepause.Passe-leàtonfrère.CarlotendleplatàMauro,quisesertgénéreusement.Puisregardesamère.—Vraiment,tun’enveuxpas,m’man?Iln’yenaurabientôtplus,tulais.—Non,vraiment.Finis,toi.Mauro racle le fondpuis commence àmanger. Ils sont touspenchés sur leurs assiettes.Sans contrôle.Sanslimites.Leursilencen’estbriséqueparlebruitdescouvertsetparquelquesvoituresquipassentauloin.Et lesparfums.Lesparfumsd’autresmaisonssemblablesàcelle-ci.DesmaisonschantéesparEros,desmaisonsdebanlieue.Danscettechansonquil’aemmenéauloinpourtenterdelesoublier.Desmai-sonsdécritesdanslesfilmsouracontéesdanslesromansparceuxquin’yontpeut-êtrejamaismislespiedsetquipensentsavoir.Desmai-sontfaitesdesueur,defauxtableaux,d’affichesjaunies,decalendriersobsolètes,maisquirappellentunevictoirequeletempsn’effacepas,lebutd’unfootballeur,unchampionnat,n’importequelleraisonpourfairelafête.Renatofinitdemangerlepremieretéloignesonassiette.—Ah!Ilsesentmieux.Ilestdeboutdepuissixheuresdumatin.Ilseversedel’eau.—Alors ?Qu’est-ceque tu as fait aujourd’hui ?Mauro lève la têtede sonassiette. Il nepensait pasqu’onallaits’enprendreàlui.Ilespéraitaumoinsfinirdemanger.—Hein?Onpeutsavoir?Alors,qu’est-cequetuasfaitaujourd’hui?Mauros’essuielaboucheaveclaservietteencorepliéeprèsdesonassiette.—P’pa,qu’est-cequej’ensais,moi.Jem’suislevé,jem’suisbaladéunpeu.Etj’aiaccompagnéPaolaquifaisaituncasting…—Etpuis?—Etpuis…jel’aiattendue,etquandelleafinij’l’airaccompagnéechezelle.Etpuisj’suisrentré.Tuasvu,non?J’étaisenretard,même.Cescooteresttroplentetyavaitdesembouteillages.Renatohausselesépaules.—Bien sûr, qu’est-ce que ça peut te faire… ici, le dîner est assuré.Nous on bosse tous pour que tupuissestefairedesjournéescommeça…Carlocoupeunmorceaud’omeletteetlemetdanssonassiette.Renatoleregarde,ets’adresseàMauro.—Regarde-le,regarde-le…Tonfièreneteditrienparcequ’ilt’aimebien.Maisildevraittemettredescoupsdepiedaucul.Lui,ilselèveàsixheurespourallertravailler,pourfaireleplombier.Ilvaréparerdestuyaux,lui,pourtefairefairetestoursenscooter,pouraccompagnerPaola…Maisqu’est-cequeçapeutmefaire,àmoi,quetudoivesaccompagnerPaola…Carloavaleunebouchéed’omeletteet regardeMaurodans lesyeux.Maurocroisesonregard,puissenettoielaboucheunesecondefoisetbalancesaserviettesurlatable.—Bon,moijesors.J’aiplusfaim.Ilrepousseavecsajambelachaiseenpailledésormaisuséeetrebelle,puissedirigerapidementverslaporte.

—Biensûr…,faitlepère,ilamangé…ils’enfout.Maiscesoir,Annamari’,tuvasmefaireleplaisirdemettreleverrou,quecemuflenepuissepasrentrer.Elisaleregardesortir.Annamariaramassesonassiettevide.—Tuveuxunpeud’omelette,machérie?—Non.J’aipasenvie.—Alorsjet’éplucheunepomme.—Non,unepommenonplus,j’aipasenvie.—Écoute,net’ymetspastoiaussi,hein…Tuvasmangerunepomme,unpointc’esttout.Elisabaisseunpeulatête.—D’accord.Dehors.Mauroenlèvelachaînedesonscooteretlajettedanslecoffre.Ilpartàtouteallure,sansmêmemettresoncasque.Ilvaauboutdelaroute,accélèredanslacampagne.Puis,arrivéàlabretellequimèneàlaCasilina,ils’arrête.Ilmetlescootersursabéquilleetsortsescigarettesdesapoche.Ilenallumeune,tirenerveusementdessus.Derrièrelui,uncoucherdesoleilennuyécèdelaplaceauxétoilesdusoir,entrelesarcsd’unvieilaqueducromain.Soudain,ilauneidée.IlprenddanslapochearrièredesonjeansonNokiaachetésureBay.Ilcherchesonnom,l’appelle.—Salut,Paola,j’tedérange?—Non,non,jeviensdefinirdemanger.Qu’est-cequ’ilya,qu’est-cequisepasse,tuesbizarre?Tut’esdisputéavectesparents?—Maisnon.J’avaisenviedeparlerunpeuavectoi.Illuiracontecequ’ilamangé,cequ’ilafaitdepuisqu’ill’аramenéechezelle.—Aufait,ças’estpassécomment,lecasting?—Bah,uneamieàmoiquiestdanslemilieum’aditquej’aidebonneschances.—C’estcequejetedisais.Toi,ilsvontteprendre.Etpuis,yavaitquedesthons.Tuétaislameilleure,j’tejure.J’dispasçaparcequetuesmacopine.Ils continuent à bavarder.Mauro retrouve vite sa bonne humeur. Et Paola un peu d’espoir de devenirquelqu’un.

16AlessandrosortdubureaudeLeonardo.Iln’enrevienttoujourspas.—Jen’ycroispas…AndreaSoldinilesuitcommeuneombre,ausenspropreduterme.—C’estàdire,moijedevraismeconfronteràcetype?Mesprix,mesvictoires,messuccès, toutestremis enjeu, et pour qui ? Pour quelqu’un qui ne sait rien. Je n’en ai jamais entendu parler, de ceMarcelloSanti.Qu’est-cequ’ilagagné?Quelsprix?Jenepeuxmêmepasciterundesesspots.—Bah, ça…, intervientAndreaSoldiniunpeuhésitant, il a fait celuidesbonbonsGolia, celuide laboisson Crodino, il a fait aussi, par exemple, celui du café où la tasse monte au ciel comme unemontgolfière.Etpuis,ilyaaussiceluidesmoustiques…Ilenagagnépasmal,luiaussi.Justeàcemoment-làarriveAlessia,quienrajouteunecouche.—IlaaussifaitceluidelaSaila,oùilyaunebellefillequidanse.Alessandroregardeautourdelui.—Oùilestpassé?— Il est allé choisir les autresmembresde son staff. Je suis désoléequenousnepuissionspas faireensemblecettecompétitionsiimportante.—Jesais,maiscen’estpasdetafaute.Etjesaisaussiqueletravailestletravail,etquetuferastoutpourlefairegagner,commeilsedoit.—Neserait-cequeparcequ’enseptembre,detoutefaçon,moncherAlessandro,moijesuisdéjàmutéeàLugano,etsituperds…tumerejoindras!—Biensûr,sijeperds!Biensûr…Alors,avanttutravaillaisavecmoietmaintenanttutravaillescontremoi,avecmonconcurrentdirect.Maisenplustumesouhaitesdeperdre!Maisbiensûr,biensûr…Andreahausselesépaules.—Oui,maisellelefaitpourêtreavectoi…àLugano.Alessandroleregardeetfermelesyeux.—Merci,tuesgentil.Cen’estpasquejen’aimepasLugano.Aucontraire.C’estquejenesupportepasdeperdre.—Bien,alorsnousferonsnotrepossible.—Tuvois,çanevadéjàpas.Çanesuffitpas,tudoisdire«nousallonsgagner».—Oui,d’accord,nousallonsgagner,etencoremercipourhiersoir,hein…Jesuis trèscontentque tun’aiesrienditàpersonne,etsurtout…Bah,çaressembleàunsignedudestindeseretrouverici,toietmoi,tucomprends?Hier,quandjet’aiparlédecetentretienquejedevaispasser,jenesavaisencorerien,tuterendscompte?Aufond,mieuxvautquecequis’estpassésesoitpasséhiersoir…—Pourquoidonc?—Çanousaliés.Enquelquesorte,jetedoislavie,jeseraitonombrepourdebon.Etpuis,aprèshiersoir.jesuissûrd’unechose…—Quoidonc?–…tun’oublierasplusjamaismonnom.—Oui,évidemment,commentjepourrais t’oublier,aprèsça?l’espèrejustequ’aprèstoutçatunemelaisseraspasunmauvaissouvenir.—Non,tupeuxenêtresûr.—Non,c’esttoiquidoisenêtresûr.Parceque,sionperd,jetetue.Ils’arrêtedevantunepetitesalle.—Maintenantjevaisteprésentermonstaff.Il ouvre la porte. A l’intérieur deux filles sont assises à la table. L’une dessine, l’autre feuillette un

journal,tandisqu’unjeunehommeestappuyécontreunmeuble;iltrempeunsachetdethédansunetusse,l’airennuyé.Iltireàcoupsrégulierssurlefildusachetpourlefaireinfuserlepluspossible.—VoiciGiorgia.Lafillequidessinaitlèvelesyeuxetsourit.—EtvoiciMichela.Lafilleposesonjournal,lereferme,leregardeetsourit.—Etpuis,lui,c’estDario.Darioplisselesyeuxpourmieuxexaminerlenouveauvenu.Alessandroprendlasituationenmain.—JevousprésenteAndreaSoldini.Bon,nousavonsunconcourstrèsimportantàpasseretàgagner.Jevousdisjustequelegagnantdeviendradirecteurcréatifétranger,tandisquelestaffperdantmourra.Legroupepourraêtredémembré,etsurtoutmoijepourraisêtremutéàLugano.Compris?Nousn’avonspasd’autrechoixquedegagner.Darioleregarde,interrogateur.—EtnotrestaffmanagerAlessia?— Elle appartient à l’ennemi. Ou plutôt, elle s’est transformée en ennemi. Andrea Soldini est votrenouveauchefdeprojet.Darion’arrivepasàycroire.—Tuveuxdire…Alessia,avectoutesonexpérience,sacompétence,sonironie,sadétermination…estàlatêtedel’autrestaff.Etc’estqui,leurdirecteurcréatif?Alessandrosouritenessayantdeminimiserl’importancedesaréponse.—Bof,uncertainMarcelloSanti.—Quoi?!Darioetlesdeuxfillesn’enreviennentpas.—UncertainMarcelloSanti?Maisilagagnépleindeprix.C’estlenouveaucréatifparantonomase,ledirecteurleplusnovateurdumarchéencemoment.Leonardol’avaitmisaumarketingaprèsavoirréussiàl’arracheràlaconcurrence.Alessandroécoute,étonné.—Etenplus,continueDarioenregardantAndreaSoldini,ilaAlessia.Bon,lesgars,jevoussalue.—Oùtuvas,Dario?demandeGiorgia.—Mechercherunnouveauboulot.Ilvautmieuxs’yprendretoutdesuite,avantqu’ilnesoittroptard.Alessandrol’arrête.—Allez,pasdeblague.C’estjustementquandlejeudevientdur…quelesdurscommencentàjouer.Aumêmemoment,AndreaSoldini semet devantDario, bloquant la porte et donc toute possibilité desortie.–…Net’occupepasdufutur.Oubien,occupe-t’en,maisensachantqueçat’aideautantquedemâcherunchewing-gumpourrésoudreuneéquationd’algèbre.Tun’assansdoutejamaispenséauxvraisproblèmesdelavie,ceuxquiteprennentparsurpriseàquatreheuresdel’après-midi,parunmardiparesseux.Faisunechosechaquejouroùtuaspeur:chante!Alessandroesttrèsétonné.GiorgiaetMichelaassistentàlascèneensouriant.Darioapplaudit.—Bravo!Sicen’étaitpaslascènefinaleduGrandCahuna,çaneseraitpasmal.AlessandrosetourneversAndrea.—Oui,eneffet,c’estbiença…Jelaconnaisparcœur!Dario tente de pousserAndrea pour s’en aller.Alessandro le rejoint et le prend par le cou, le tenant

contrelui.—Allez,Dario,oncomptesurtoi,nous.Ilestimportantqueturestes,quevoustousrestiezencemomentdifficile. Laisse-moi au moins vous raconter de quoi il s’agit. Voilà, le produit est un bonbon quis’appelleLaLune, toutattaché,naturellement ilestenformededemi-lune,auxfruits,goûtsmixtes, trèsbons.Voicilepaquet.Ilcherchedanssapocheettrouveunpaquet,piquédanslebureaudeLeonardo.—Jenepeuxpasvousendireplus.IllibèreDario,quiprendlepaquetetleregarde.Ilestblancavecdespetitesdemi-lunesmulticoloresàl’intérieur.—Çamerappellelaglacearc-en-ciel.—Oui,j’aiditlamêmechose,souritAndreaSoldini,satisfait.Darioluifaitunpetitsourireforcé.—Iladitça,luiaussi?PuisAlessandroprendDarioparlebras,l’éloignéunpeudesautresetluimetunbonbondanslabouche.—Mmm,aumoinsilsontbongoût.—Alors,tuvastravaillerdessus?—Biensûr,maisjen’aipasencorecompris…—Qu’est-cequetun’aspascompris?—Deuxchoses.Premièrement:pourquoisansAlessia?—ParcequeLeonardoavoulu redistribuer lescartes. Il aditqu’on laconnaissait tropbien…Qu’onétaittropàl’aiseavecelle.—Oui,jecomprends,maisavecelleonatoujoursgagné.Al’aise,maisonatoujoursgagné.Alessandrohausselesépaulescommepourdire:jenepeuxrienyfaire.—Moiaussij’ensuisdésolé.—Etdeuxièmement:pourquoitunem’aspaschoisicommestaffmanager?—ParcequeAndreaSoldinim’aétéimposéparLeonardo.—Enplusilestpistonné!Ah,voilà,onpeutledire,c’estunpistonné.—Non,cen’estpasça.Leonardonesesouvenaitmêmepasdesonnom.Jecroisqu’ilestvraimentbon.Ilajustebesoinqu’onluilaisseunechance.Tupeuxfaireça,Dario?Darioleregardependantunpetitmoment.Puisilsoupire,croqueLaLuneetl’avale.Ilsouritetfaitsignequeoui.—D’accord…Pourtoi.Alessandrofaitminedes’enaller.Dariol’arrête.—Excuse-moi,jenevoudraispasfairedegaffe.Commenttuasditqu’ils’appelait,déjà?

17Le couloir se remplit comme un torrent après la pluie. Couleurs, éclats de rire, jeans, lecteursMP3,sonneriesdeportablesetregardsquivolentd’uncôtéàl’autreetrebondissentcontrelesmurs,contenantpeut-êtredesmessagessecretsàdélivrer.LesOndessortentdecours.Ollyenlèvel’aluminiumautourdesonsandwich.—Maisilesténorme!—Oui.Tomates,thonetmayonnaise.—C’esttoiquileprépares?—Mais non ! C’est Giusi, la jeune fille qui nous aide à la maison. Elle dit que je mange trop decochonneriesindustrielles,alorsellemepréparedessandwichesmaison.—Moijevaismeprendreunsnackauxcéréales.Dilettas’éloigne,courtenfaisantexprèsdedrôlesdepetitssautsquifontvolersescheveuxdétachés.—Noooon!C’estimpossible!Jevaist’envoyerGiusi!hurleOllyenriant.Le distributeur au bout du couloir, dans une espèce de petit hall, près des fenêtres. Des élèves sontregroupésdevantlesboutonsdechoix.Dilettaenconnaîtquelques-uns.—Pourmoi,untramezzino.UngarçonhabilléenNorthSails,maisavecl’airdequelqu’unquinevapassouventàlamer,setourneverslafilleàcôtédelui.—Tuveuxceluiàlasaucetartare?Ehbien,vienslechercher.—Ilyenaaussiàlasaucetartare?Allez,offre-m’enun,jetepayeunepizzasamedi.Maislafillen’apasl’airconvaincue.—Allez,pizzaetcinéma.—Bon,çava,çava…Maistuvois,ilneprendpasmapièce.—Commentça?—Ilnelaprendpas.Dilettaregardelafilledevantelledanslaqu’elle.Elleamisuneurodanslafentemaislamachinen’adecessedelarefuser.Lefauxmarinfouilledanssapoche.Iltrouveunautreeuroetréessaye.Bienàfaire.—Çamarchepas?ditletypequiestentrainderemplirledistributeurd’àcôté,celuiaveclesboissons.—Non,répondlafille.—Ilestdéchargé.T’asunesemelle?—Unesemelle?—Oui,unesemelleengommesousteschaussures.—Oui.Etalors?—Prendsl’euro,mets-leparterreetfrottetasemelledessus.—Ouais,biensûr,etmoijesuislepape,ditlegarçon.—Alorsfaiscommetuveux,resteàjeun.Etilseremetàs’occuperdesondistributeur.Lesdeuxjeunesgens,vexés,leregardentd’unairmauvaisets’envont.C’estletourdeDiletta.Entre-temps,elleatournéetretournésoneurodanssesmains,enespérantqueDieusaitquelritephysiqueeténergétiqueluipermettradenepassubirlemêmesort.Elleleglissedanslamachine.Stomp.Lebruitdelapiècerésonne,inexorableetcynique,dansletiroirdubas.Bienàfaire.Elleleprendetretentesachance.Rien.Encoreunefois.Bien.Dilettas’énerveetdonneuncoupdepiedaudistributeur.Letypelaregardedetravers.

—Eh,mam’selle,c’estàl’euro,qu’ilfautdonnerlecoupdepied.Çacoûte,cesmachines,qu’est-cequevouscroyez?—Attends,jevaisessayer.UnevoixderrièreDiletta la fait sursauter.Elle se tourne.Ungrandbrun, levisageunpeudorépar lesoleild’avril,lesyeuxvertespoir,laregarde,unpeuembarrassé,etsourit.Ilglisseàsontouruneurodanslafente.Plink.Unbruitdifférent.Çaamarché.—Pendantquetuessayais,j’aifaitcequ’aditlemonsieur.Letypelâchesamachinepourleregarder.—Aumoins,lui,ilvamangerquelquechose.Réfléchissez-y,mesdemoisellesetmessieurs.—Qu’est-cequetuprends?Lavoixseremetàparler.—Hein,quoi?Euh,lesnackauxcéréales.Lejeunehommeappuiesurleboutonetlesnacktombedansletiroir.Ilsepencheetleprend.—Voilà.—Merci,maisilnefallaitpas.Tiens,uneuro.—Maisnon,detoutefaçontuasbienvu,ilnemarchepas.Çanemesertàrien.—Non,prends-le.Tusaiscommentlerecharger.Jen’aimepaslesdettes.—Dettes?Pourunebarredecéréales?—Jen’aimepasça,c’esttout.Merci,entoutcas.Elles’enva, lesnackà lamain,sansunmotdeplus.Lejeunehommeestunpeuperplexe.Letypedudistributeurleregarde.—Oh,moijecroisquetuluiplais.—C’estsûr.Unvraicoupdefoudre.DilettarejointlesOndes.Ollyadéjàavalésonsandwich.—C’étaitbon!Autrechosequevosbarresdecéréales.Ah,lesfilles,l’appétitestexactementcommelesexe:plusc’estgros,mieuxc’est!—Olly!Tuesdégoûtante.Dilettadéballesonsnacketenprendunebouchée.—Qu’est-cequetuas?—Jesuisénervée.Ledistributeurnevoulaitpasprendremapièce.—Tul’asforcé?—Maisnon.Unmecm’aaidée…—Quelmec?—Qu’est-cequej’ensais.Unmec.Ilmel’aacheté.—Aha!Tuvois,Niki,ilyavaitunmec!Etellessemettentàhurlertouteslestroisenchœur.—Enfinunmec,enfinunmec!EtellebousculentDiletta,quiprendunairagacémaisfinitparéclaterderire.Puiselless’arrêtentd’uncoup.Dilettasetourne,NikietEricaaussi.Ollycontinueseuleàcrier«Enfinunmec»,puiselles’arrêtenetelleaussi.—Oh,maisqu’est-cequisepasse?—C’étaitlui,lemec,ditDilettaavantd’entrerdanslasalledecours.Lejeunehommes’estarrêtédevantelles.Alamain,ilalemêmesnackauxcéréalesqueDiletta.«Enfinunmec»sourit.

18—Bien, alors cherchez-moi tout ce qu’il est possible de trouver sur toutes les publicités de bonbonsjamaissortiesenItalie.Non,d’ailleurs,enEurope.Maisqu’est-cequejedis:danslemonde!GiorgiaregardeMichelaetsouritenindiquantAlessandro.—Ilmerendfollequandilestcommeça.—Moi aussi, il se transforme en l’homme idéal.Dommage que,Une fois la compétition terminée, ilredevienneunparmitantd’autres.Froid,insensibleàtouslessujets,saufàun…Et,surtout,déjàpris…—Alorstunesaispaslanouvelle?Ils’estséparé.—Non,incroyable.Mmm…alorsildevientplusintéressant.Ilsepeutquemonappétitperdureaprèslacampagne…Vraiment,ils’estséparéd’Elena?Voilàpourquoiilssonttousalléschezluihiersoir…lesRusses…maintenant,jecomprends.—QuellesRusses?Quellesoirée?Nemedispasqu’ilssontpartisavecnosmannequins.Darioarrive.—Vosmannequins?Maiscesontlesmannequinsdenotresociété,laOsvaldoFesta,dumoinsjusqu’àaujourd’hui,puisqu’ellesavaientencoreunjourdetournage,etdoncunjoursouscontrat.Etpuis,ellesfontunpeupartiedelacommunauté,ellessontnosmascottes.Vousêtesjalouses?—Nous?Maispourquitunousprends?Alessandroarriveprécisémentàcemoment-là.—Onpeutsavoircequevousavezàvousraconter?VousallezVOUSmettreau travail,oui?Allez,travaillez,pensez,faitesmarchervospetitscerveaux,oudumoinscequ’ilenreste.Moi,jen’iraipasàLugano,etpuisjeneveuxpasvousperdre!GiorgiadonneuncoupàMichela.—Tuvois,ilm’aime!L’autrepouffeetsecouelatête.—Toi?Ilaparléaupluriel,tusais,jesuisconcernéeaussi!—Allez,autravail!AndreaSoldinis’approched’Alessandroquiestoccupéàregarderlepaquetdebonbons.Ill’aposésurlatable.Illefixe.Ilfermelesyeux.Ilimagine.Ilrêve.Ilcherchel’inspiration…Andrealuitapotel’épaule.Ilsesecoue,unpeuagacé.—Hein?Quiest-ce?—Moi.—Moiqui?—AndreaSoldini.—Oui,jesais,jeplaisantais.Dis-moi…—Jesuisdésolé.—Dequoi?Toutresteàjouer.Sionpartcommeça,çairamal…—Non,jeparlaisd’Elena.—Elena,quelrapportavecElena?—Bah…ças’estterminécomment?Andrease tourneversGiorgiaetMichelaquifontsemblantderienetsemettentàchercherdans leursordinateursrespectifs.—Non,rien,pardon,jemesuistrompé…jepensais…

—Voilà,bravo,penser, c’est exactement ceque tudois faire.Maispenser auxbonbonsLaLune.Rienqu’àça.Toujours,sansinterruption,dejour,denuit,mêmequandturêves.Cesbonbonsdoiventêtretoncauchemar,tonobsession,jusqu’àcequetutrouvesunesolution.Etsitun’entrouvespas,alorstudevraspenser à LaLune quand tu te réveilles, aussi. Voilà, ne te laisse pas distraire. LaLune… LaLune…LaLune…Unportablesonne.—Etquandnoussommesenréunion,quandnousfaisonslebrainstorming,danslatourmentecréativedenoscerveaux,àlachasseàl’idéepourLaLune,alorséteignezvosmauditsportables.Giorgias’approcheetluitendsonMotorola.—Tiens,boss.C’estletien.Alessandrolaregarde,unpeugêné.—Ah,oui,c’estvrai.Bon,quoiqu’ilensoit,jepréfèrebossquechef.Puisils’éloignepourrépondre.—Oui,allô,quiestàl’appareil?—Pourquoitun’aspasencoreenregistrémonnuméro?—Allô?—C’estNiki.—Niki…—Cellequetuasrenverséecematin.—Ah,excuse-moi,biensûr,Niki…Ecoute,jesuistrèsoccupé.—Bon,net’inquiètepas,jevaist’aider,moi.Maisfaisquelquechosepourmoi.Enregistremonnuméro,commeçaquandjet’appelleçam’économiseraletempsoùtumedemandesquic’estetmoijedoisterappelernotreaccident,etsurtouttafaute…—OK,çasuffit,jeteprometsquejevaislefaire.—Etsurtout,fais-moiplaisir,enregistre-lesous«Niki»,hein?Nikietriend’autre…C’estbienmonnom.Jenesuisl’abréviationd’aucunautrenom!NeconfondspasavecNicoletta,Nicolina,Nicoleouautreschosesdanslegenre.—J’aicompris,j’aicompris.Riend’autre?—Si,ilfautqu’onsevoiepourréglerleproblème.—Quelproblème?—L’accident,non?Monscooter.Ondoitfairecettefeuille,commentças’appelle…—Leconstat.—Oui,leconstat,d’ailleursjetel’aidittoutàl’heure…Tuterappelles,n’est-cepas?—Dequoi?—Tudoisvenirmechercherpourm’accompagnerchez legaragiste.Moi jenepeuxpasyaller, sansscooter.—Etmoijenepeuxpasrestersanstravail.Jedoistrouverunesolutionimportanteentrèspeudetemps.—Combiendetemps?—Unmois.—Unmois?Maisenunmois,ontrouveunesolutionà tout…Enunmois,onamêmele tempsdesemarieràLasVegas.—MaisnoussommesenItalieeticic’estbeaucouppluscompliquéqueça.—Bon,ilnes’agitpasdesemarier,non?Dumoinspastoutdesuite.—Écoute,Niki,jesuisdanslapanade.Jenepeuxpasresterautéléphone.

—J’ai compris.Tu l’as déjà dit.Moi je vais te les régler, tes problèmes. Je t’attends à uneheure etdemieaulycée.Tuterappellesoùc’est?—Oui,mais…—OK,alors,ciao,àtoutàl’heure.—Écoute,Niki…Niki?Niki?Allô?Ellearaccroché.—Bon,moijevaisdansmonbureau.Continuezàtravailler.LaLune,LaLune,LaLune.Vousentendez?Lasolutionestdansl’air.LaLune,LaLune,LaLune.Alessandrosortensecouantlatête.Niki.Ilnemanquaitplusqueça.GiorgiaetMichela,restéesseules,seregardent.Giorgiafaitundrôledegrognement.Michelas’enaperçoit.—Qu’est-cequ’ilya?—J’ail’impressionquelebosss’estviteremis.—Tucrois?—Bah,uneimpression.—Espérons.Quandonestaussinerveux,ontravaillemal.AndreaSoldinisemetaucentredelatable.Ilsouritenouvrantlesbras.—Une fois, j’ai lu quelque chose de très beau.Amour…Moteur.C’est vrai, non ?L’amour fait touttourner.Dariosecouelatête.—Moijevaischercherdespublicitésenrapportaveclesbonbons.Avantdesortir,ils’approchedeMichelaetprendunairtriste.—Jenesaispaspourquoi,maisAlessiamemanquecruellement...AndreaSoldiniprendunbloc-notesetl’ouvre.—Alors,onvasepartager le travail.Objectifsetsous-objectifs,non?Commenousaappris leboss.Déjà,quelqu’unvaserenseignersurMarcelloSanti.Cequ’ilfait.D’oùilvient.Cequ’ilmange.Cequ’ilpense.Commentiltravaille.Michelaleregarde,curieuse.—Etpourquoi?—Parcequ’ilestbondeconnaîtrenotreadversaire.Moij’ensaispeusurlui,trèspeu.Quelquessuccèsetunehistoirequinemeplaîtpas,maisquin’arienàvoiravecnotretravail.—Quellehistoire?—J’aiditqueçan’avaitrienàvoiravecnotretravail.—Alorspourquoituenparles…—OK,ditMichelaenlevantlebras,moijem’occupedeMarcelloSanti.—Parfait,alorslesautresfontlesrecherchessurleproduitetpensentaussiàunlogopourLaLune.—Jem’occupedulogo,ditGiorgia.Dariosetait.Andrealeregarde.—Etpuis,ilvaaussifalloirinventerunnouveaupackaging,qu’est-cequej’ensais,unenouvelleboîtepourlesbonbons,unprésentoirdifférentdetouslesautres.Dariosetaittoujours.Andreapousseunlongsoupir.—Bon,sions’organise,toutseraplussimple.Jesuislestaffmanager,c’estvrai,maispourmoinoussommesavanttoutuneéquipequidoitgagner.Dariosecouelatêteetsortdelapièce.Jenesaispaspourquoi,pense-t-il,maisAlessiamemanquede

plusenplus.

19—Allô?Alors,tum’asenregistrée?—Oui.—Bien.Alors?—Alorsquoi?—Maistuenmetsuntemps,dépêche-toi…—Jesuispresquearrivé.—Allez,parcequesimamèrearriveetqu’ellemechope,çavaêtrelebordel.—Pardon,maispourquoitudisque…Clic.—Allô?Allô,Niki?Alessandroregardesontéléphone.Iln’ycroitpas.Elleaencoreraccroché.C’estunemanie.Ilsecouelatêtepuistourneàdroiteetaccélèreverslelycée.Nikil’attendaucoin.EllecourtverslaMercedes,sejette presque dessous. Elle essaye d’ouvrir la portière mais elle est fermée automatiquement del’intérieur.Ellefrappeàlavitre.—Allez,ouvre,ouvre…—Doucement,tuvascasserlavitre.Alessandroappuiesurunboutondutableaudebord.Touteslessécuritéssedébloquent.Nikiseprécipiteàl’intérieurets’allongequasimentparterre,puiselleleregarded’unairsuppliant.Allez,démarre!Alessandro se penche de son côté et ferme la portière qu’elle a laissée ouverte. Puis il démarretranquillement,zigzaguelentemententrelesvoituresquiattendentlasortiedesélèvesdesautresclassespuiss’éloigne.Nikiserelèvetoutdoucement.Elleregardedehors.—Là-bas,tuvoislafemmeprèsdelaCoccinelle?—Oui,jelavois.Nikisebaisseànouveaupoursecacher.—C’estmamère.Net’arrêtepas,net’arrêtepas,accélère.Alessandroconduittranquillement.—Nousl’avonsdépassée,tupeuxterelever.Nikiserassiedsurlesiègeetregardedanslerétroviseur.Samèreestloin.—Bellefemme.Nikileregardedetravers.—Neparlepasdemamère.—Jeluifaisaisjusteuncompliment.—Pourtoi,mamèren’existepas,mêmeuncomplimentn’existepas.LeportabledeNikisemetàsonner.— Non ! La voilà qui m’appelle ! Zut, je pensais qu’elle allait attendre un peu… Le temps que jerespire…Arrête-toiici.Alessandro,obéissant,segaresurleborddelaroute.Nikiluifaitsignedesetaire.Chut.Elleouvresonportablepourrépondre.—Maman!—Oùes-tu?—JesuischezOlly.Onestsortiesunpeuplustôt,aujourd’hui.—Maistuneterappellespasquejedevaispasserteprendre,tudevaislaissertonscooterpourqu’onaillechezlecoiffeur?Nikisetapelamaincontrelefront.

—C’estvrai,maman…mince,j’aicomplètementoublié,excuse-moi.Simona,lamèredeNiki,secouelatête.—Tuesvraimentdanslesnuages,encemoment,hein?Çadoitêtrelesexamensquiapprochent,oulegarçonquinetequittepasd’unesemelle…commentils’appelle,déjà?Fabio.—Maman,tuveuxvraimentparlerdeçamaintenant?JesuischezOlly.NikiregardeAlessandrocommepourdire:j’exagère,n’est-cepas?—Etpuis,maman,detoutefaçon,nousnesommesplusensemble.—Ah,enfinunebonnenouvelle.—Mais,maman?!—Qu’est-cequ’ilya?—Tucroisvraimentquec’estunechoseàdire?Etsijemeremetsaveclui?—Justement,c’estpourçaquejetel’aidit,pourquetuneteremettespasaveclui!Etpuis,ons’estfaitunepromesse,non?Ondoittoujourstoutsedire.—OK,çava.Écoute,jevaisallermangerquelquechoseavecOlly,jerentreraitard,nem’attendspas,hein?—Pardon,Niki,maistun’aspasdedevoirs?—Ciao,maman…Trop tard. Simona se retrouve avec un portable muet à la main. Niki a raccroché. Elle le met sursilencieuxetbloqueleclavier.Elleprendappuisurunemainetglisseletéléphonedanslapochearrièredesonpantalon.Alessandrolaregardeetsourit.—Tumensbeaucoupàtamère?—Pas tantqueça…Parexemple,c’estvraique jemesuis séparée.Etpuis,qu’est-cequeçapeut tefaire,tun’espasmonpère.—Justement,c’estpourçaquejeteledemande,aumoinstumeréponds,sinontunemelediraisjamais.—MonDieu,cequetuesphilosophique.Tournelà,allez,vite.Niki attrape le volant et l’aide presque à prendre le virage. Alessandro fait une petite embardée, seretrouveàmoitiéensensinterdit,maisréussitàseremettresurlaroute.—Stop!Maisqu’est-cequetufais?Lâchecevolant!Unpeuplusetonseprenaitlepoteau.Nikiseréinstallesursonsiège.—Tuesunpeumaniaque,hein?—Quelrapport,situmedéfoncesl’avant,çaseraparfait,cettevoitureeserabonnepourlacasse.—Tuexagères.—Maistuasvulabossequetum’asfaitesurlecôtéavectonscooter?—Labosse…uneégratignure.Tuexagères.Jetel’aidit,tuexagères.—Biensûr,qu’est-cequeçapeuttefaire,detoutefaçonc’estmavoiture.—Voilà,làondiraitvraimentmamère.C’estcequ’onétudie,encemoment.Lapropriété…Attention!Alessandropilenet.UntypesurunKymcoensaleétat,unebrunecolléecontrelui,foncesanss’arrêteraustop.Ilsneserendentcomptederien.Oualors ilss’enfichentcomplètement.Alessandrobaisse lavitre.—Crétins!Maisilssontdéjàloin.—Maistuasvu?Ilsnesesontpasarrêtésaustop,ilsn’ontmêmepasregardé…Après,onditqueles

accidents…—Allez,nesoispaslourd.Leprincipal,c’estqu’onlesavusetévités,non?Ilsontpeut-êtreunrendez-voustrèsimportant…—Oui,habilléscommeça.—Peut-êtreuncasting.Ilsontbesoindetravailler.Iln’yapasquedesfilsàpapa,tusais?MonDieu…Cequetuesvieuxjeu.Tujugesencorelesgenssurcommentilssonthabillés?—Cen’estpasl’habillement…c’esttoutl’ensemble.Lemanquederespect.Devaleurs.Ilssontpeut-êtrecommeces jeunesdans les livresdePasolini,desbanlieues romaines, indigentes…il faudrait lesaider,leurfairecomprendreleschoses…—Pasolini?Ouais,c’estça.Peut-êtrequ’aucontraireilsviennentd’unebanlieuechic,lesParioliparexemple,etqu’ilyapleindebilletssousleursiègedéfoncé.Maisqu’est-cequetuensais?Ondiraitvraimentmonpère!—Écoute,tum’asforcéàvenirtechercher,jusqu’icitoutvabien…maisilfautaussiqu’onsedispute?—Non,absolumentpas.Tusais,situtelesétaispris,jenet’auraisjamaisservidetémoin…—J’aicompris.Tuasenviedetedisputer.—Non,jetel’aidit.Jetefaisjusteremarquerquecematintuétaisdistraitettum’asrenversée.Outuniesçaaussi?Alessandrolaregarde.—Jeneseraispasici.—Ah,tantmieux,c’esttoujoursça.Voilà,tourneàlaprochaine.—Maisonvaoù?—Chez le garagiste, je lui ai envoyé un texto, ilm’a promis qu’ilm’attendait…Maintenant, prendsencoreàdroite…Voilà,ralentis,ralentis,c’estjustelà.Voilà.Maislerideaudeferdumécanicienestdéjàbaissé.—Nooooon!Ilnem’apasattendue…Ilafermé.Etmaintenant?Zut.Commentjefais?—Commenttufais…Detoutefaçon,maintenanttuasunchauffeurpersonnel,non?—Maisaujourd’huijedoisfaireuntasdetrucssanstoi.—Ah,oui,biensûr.—Qu’est-cequeçaveutdire,«biensûr»?—Biensûr,jen’étaispasprévu.Tunepouvaispasprévoird’allerdanscesendroitsavecmoi.—Biensûrquenon,onneseconnaissaitpas…Nikidescenddelavoiture.—Tuesjusteunaccident.Etellerefermelaportière.—Oui,jesais.Maisunaccidentpeutêtrepositifounégatif,çadépenddequelpointdevuetuteplaces.Decommenttaviechangeàpartirdecemoment…non?Nikis’approchedesonscooter,garéprèsdurideaudefer.Elledonnedeuxcoupsàlapédale,essayedelefairedémarrer.Rienàfaire.—Enattendant,jelevoiscommequelquechosequiamisMillaKO.—Milla?Quiest-ce?—Monscooter!—PourquoiMula?—Pourquoiildevraittoujoursyavoirunpourquoi?—MonDieu,maisqu’est-cequetuesennuyeuse,toialors…Nikil’entendàpeine,elleseglissesouslescooter.

—Jelesavais,ilaenlevélabougie.Çaveutdirequ’aprèslechocilnedémarraitvraimentplus.Elleserelèveets’approchedelaMercedes.—Quellebarbe.Elles’essuielesmainssursonjeandélavé,quiprendimmédiatementuneteintedegrasfoncé.Puisellefaitminedemonter.—Pardon,maisqu’est-cequetufais?—Commentça,qu’est-cequejefais,jemonte.—J’aicompris,maisregardedansquelétattues,tuestoutesale.Attends,prendsça.Il lui passe un chiffon en daim beige clair, jamais utilisé auparavant. Niki lui sourit et se nettoie lesmains.—Quoiqu’ilensoit,Millac’estpourCamomilla,peut-êtreparcequefaireduscootermedétend…Aufond,c’estvrai,ilyaunpourquoi...Tusais,c’estvraimentparfait,entrenous.—Quoientrenous?—Noussommes tellementdifférents.Sur tout.Nous risquonsde tomberéperdumentamoureux l’undel’autre.Alessandrosouritetdémarre.—Entoutcas,onpeutdirequetuesdirecte.—Oùestlemal?Àquoiçasertdefairedesdétours?Lemondes’enoccupe,defairedesdétours,non?Moijevaistoutdroit.—Pourquoituescommeça?Alessandrosetourneetlaregarde,essayedel’étudier.—Déceptionamoureuse?Fuiedeparentsséparés?Tuassubidesviolencesquandtuétaispetite?—Non,grande.Justementcematin.UntypeavecuneMercedes…Eh,moijesuisdirecte,maistoituvasloin.Etpuis, tun’asriencompris.Jenesaispaspourquoijesuiscommeça.Etpuis,qu’est-cequeçaveutdire,pourquoi?Jetel’aidit,parfoisiln’yapasdepourquoi.Moijesuiscommeça,c’esttout,jediscequejepense.C’estencoreautorisé,non?Alessandroluisourit.—Biensûr,biensûr,tuastoutelaviedevanttoi.—Toiaussi.Laviefinitquandonarrêtedelavivre.Çateplaît?—Oui.—C’estdemoi.Copyright.Maisjeteleprêtevolontiers.Dis-toi,plutôt,quejevisunmomentderarebonheur.Jemesenslibre,heureuse,tranquille.D’ailleurs,j’aipeurqu’enledisantças’échappe…Alessandrolaregarde.Elleestmignonne.Elleestgaie.Elleesttrèsjeune.—Etsurtout,jesuistrèscontentedemonchoix.—Tasectionaulycée?—Maisnon.Hiersoirj’aiconfirméàmoncopainquejelequittaisdéfinitivement.Effacé.Rayédelacarte.Désintégré.Évanoui.Évaporé…—J’aicompris,j’aisaisileconcept.Bah,situemploiescesmotsçaveutdirequeçaaétéunehistoireimportante.—Pasdutout.—Oui,bon,OK,tuveuxfaireladureavecmoi.Jepensequetuasététrèsmalheureuse.—Pasaujourd’hui.Parcontre,lesoiroùilestalléauconcertdeRobbieWilliamsavecuncopain…Oui.Tu comprends, il nem’a pas emmenée. Il nem’a pas emmenée, il a emmené son copain, tu te rends

compte?!Là,oui,j’aiététrèsmalheureuse.Pourlereste,jemesuistoujoursbienamusée,etquandj’aidécidéquec’étaitterminé,jen’enaiplusrieneuàfaire.—J’aicompris.Alorspourquoitut’acharnescommeça?—Parcequejen’aipasdécidétoutdesuited’enfinir,jen’aipasécoutémoncœur.—Peut-êtrequetun’étaispasencoreprête.—Cen’estpasça.Jemesuismentiàmoi-même.Quandtulaissestraînerleschoses,c’estcommeça.Çafaisaitdeuxmoisquej’avaisdécidé.Jemesuismentiàmoi-mêmependantdeuxmois,etçaçanevapas.Onpeutmentiràtoutlemonde,maispasàsoi-même.—Bah,mieuxvauttardquejamais,non?—Voilà,làondiraitmatante.—Qu’est-cequetuveuxquejetedise?Tupréfèresquejemetaise?—Voilà,çac’estcequefaittoujoursmonfrère.—Maintenantj’aicomprispourquoitutesenssibienavecmoi,tuasl’impressiond’êtreavectoutetafamille.Nikirit.— Elle était bonne, celle-là. Je te jure, tu m’as fait rire… Je te regarde sous un jour nouveau.Sérieusement,jetejure,jesuissincère.—J’aigagnédespoints?—Quelques-uns,maistuesencoretrèsloin,avecl’accident,monMilla,tuesaumoinsàmoinsvingtauclassement…Etpuis,tufaissemblantdet’habillercommeunjeune.—C’est-à-dire?Alessandroseregarde.—CostumefoncéetAdidas,chemisebleutropclaire,coldéboutonnésanscravate.—Etalors?—Tentativedésespéréederattraperletempsperdu.Aumoins,Proustsecontentaitd’écriresurlesujet,ilnesepromenaitpashabillécommeça.—Apartqu’àsonépoqueiln’yavaitpasd’Adidasetquececiestmatenuedetravail.Quandjesuisavecdesamisjesuisbeaucoupplusdécontracté.—C’est-à-direquetuasl’aird’essayerencoreplusdésespérémentdepasserpourunjeuneinfiltréparminous.Commepourdire:eh,lesjeunes,regardez-moi,jesuisl’und’entrevous!Maistunel’esplus.Tut’enétaisrenducompte,n’est-cepas?Alessandrosouritetsecouelatête.—Jesuisdésolé,maistut’esfaitunefausseidéedemoi.Nikirecroquevillesesjambescontresapoitrineetposeseschaussuressurlesiège.Illuidonneuncoupsurlesjambes.—Enlève-les!—Lourd,lourd.Puiselleleregarded’unairfourbe.Elleaeuuneidée.—Alorsonfaitunjeu.Qu’est-cequit’aplu,chezmoi?—Pourquoi,ilyaforcémentquelquechosequidevraitm’avoirplu?—Bon,engénéral,quandturencontresquelqu’un,ilyatoujoursquelquechosequiteplaîtetquelquechosequineteplaîtpas,non?Jenesaispas,moi,tupeuxnepasaimerunparfumtropfort,descheveuxtrop longs,une façondemâcherunchewing-gum,d’êtreagité,demettre lespieds sur les siègesde tavoiture…parexemple,jesuissûrequemesseinsnet’ontpasplu.

Ellelesserredanssesmains.—C’estvrai,encemoment ilssontunpeupetits, j’aimaigri.Jesuisenplein tournoidevolley…Tusais,onesttroisièmes…Maisbon,çan’arienàvoir.Quoiqu’ilensoit,j’aibienvuquecen’estpaslapremièrechosequetuasregardéequandons’estrencontrés.—Non,eneffet,lapremièrechose,çaaétél’ailedemavoiture.—Arrête!Tusais,ilyadesadultes,bon,desgenscommetoi,quandilstevoientpourlapremièrefois,ilsregardentd’abordtesseins.Qu’est-cequ’ilscherchent,dansunsein?Quelsecret,quelmystèred’unefemmepeutsecacherdansunsein?Alors,qu’est-cequit’aplu,chezmoi?Alessandrolaregardeunmoment,puisrevienttranquillementàsaconduiteetsourit.—Cequim’aplu,c’esttoncourage.Aprèsl’accident,tut’estoutdesuiterelevée.Tun’aspaseupeur.Tun’as pas perdu de temps.Tu as immédiatement affronté la réalité.C’est fort… sérieusement.C’estdans cesmoments-là, dans les choses douloureuses et imprévues, qu’on voit les vraies qualités d’unepersonne.—Alors, sionsebase là-dessus, toi tues terrible !Tuhurlaiscommeun fou !Tuaseupeurpour tavoiture.—Maisnon,c’estparcequej’avaisbienvuquetun’avaisrien.—Oui,c’estça…jen’encroispasunmot…Nikireprendsonsérieux.—Etqu’est-cequinet’apasplu,chezmoi?—Bon…alors…voyons…Lalisteal’airlongue.—Ah,non,non,attends,j’aichangéd’avis…jeneveuxabsolumentpaslesavoir!Alessandros’amuse.—Bah,siturefusesdefairetonautocritique,tunet’améliorerasjamais.—Quiaditquejevoulaism’améliorer?Jesuisdéjàlargementau-dessusdelamoyennedetouteslesfillesquejeconnais…Jen’aimêmepasenviededevenirmieuxqueça.Jeneseraisplussympathiqueàpersonne, c’est sûr… Or la sympathie est une chose fondamentale. Elle naît de l’imperfection. Parexemple,ilyaquelquechosequim’atoutdesuitefrappéecheztoi,àpartledramequetufaisaispourtavoiture,c’estjustementtasympathie.Cequim’alemoinsplu,enfait…iln’yarien.Alessandrolaregardeetlèvesoudainunsourcil.—Mmm…tropdecompliments.Çasentl’entourloupe.Alors?—Maisnon,tuvois,tuteméfies.C’estcequejepense.Jetel’aidittoutàl’heure,jedistoujourscequejepense.—Etlesmensongesàtamère,alors?—Justement.Danscecas-là,jedistoujourscequ’illuiferaitplaisird’entendre.Nikiremontesesjambesetmetànouveausespiedssurlesiège.Elleentouresesgenouxdesesbras.—Enlèvetespiedsdusiège…—Maisqu’est-cequetupeuxêtrebarbant!Nikilesposesurletableaudebord.—Enlève-lesdelàaussi.—Trèsbarbant!—Allez,jeteramènecheztoi.Tuhabitesoù?—Çay est, je t’ai trouvéundéfaut.Tues tropmaniaque.Riennedoit jamais t’échapper.Maintenantqu’est-cequ’onfait,oùonva,pourquoi?…Maispourquoituveuxtoutcontrôler?Tuesuncomptabledesémotions.Unrépresseurdefolies.Uncalculateurduhasard.Onnepeutréduirelavieàdescalculs.Pardon,maisqu’est-cequetufais,commetravail?

—Jesuiscréatif.—Etcommenttufaispourcréer,situdétruisettusuffoqueslemoindreimprévu?Lacréationnaîtd’unéclair, d’une erreur par rapport au cours habituel des choses.On ne fait rien correctement tant qu’onn’arrêtepasdepenseràlamanièredontonlefait.—Unevraiephilosophe.—Cen’estpasdemoi.C’estdeWilliamHazlitt.—C’estqui?—Jenesaispas.Jesaisjustequ’iladitça…Jel’ailudansmonagenda.Alessandrosecouelatête,résigné.— Tu es en terminale, non ? L’année du bac. J’ai lu quelque part que c’est le point maximum deconnaissanced’unepersonne…—Qu’est-cequec’estquecettebêtise…—Ensuite, chacun choisit sa route, en quelque sorte.On se spécialise, on choisit une université, et àpartirdelàonensaitbeaucoupplussurlamatièrequ’onachoisie,maisseulementsurcelle-là.—Ecoute,quandtuparlescommeça,çam’angoisse.—Pourquoi?—Tuvoislaviecommeunmanquedeliberté.Lavieestuneliberté,elledoitl’être,tudoisfaireensortequ’ellelesoit.—Eneffet, personnene te l’interdit…Tues librede choisir ceque tuvas étudier à l’université, parexemple.Qu’est-cequetuvasfaire?—Jeveuxfairedusurf.—Faiscommesijen’avaisriendit.—Ecoute,j’aiuneidée.Tournelà.Vatoutdroit,toujourstoutdroit.Ladernièreàdroite.—Maisc’estensensunique!—Encore?MonDieu,qu’est-cequetueslourd!—Jenesuispaslourd, jesuisresponsable, jeveuxéviterunchocfrontal.Toi,enrevanche, tuesuneirresponsable.Commelesdeuxenscooter,toutàl’heure.Situprendscetterueensensinterdit,tupeuxcauserunaccidenttrèsgrave.—Pourl’instant,celuiquicausedesaccidentsgraves,c’esttoi.Àmoinsque…—Quoi?—Çan’aitétéunplanpourfairemaconnaissance.—Oui,tuparlesd’unplan…Jet’auraisarrêtéeetdemandécommenttut’appelais,plutôtquededétruiremavoiture…—Dommage,j’auraispréféréquetumerentresdedansexprèspourfairemaconnaissance…—Pourquoiilfautquetufasseslapetitefille,parfois?—Maisjesuisunepetitefille,papa.Voua,tourneàdroite.Ici,onpeut.—Etpuis…—Etpuis,onestarrivésdanslecentre.ViadelCorso,tuconnais?—Biensûrquejeconnais,etjesaisaussiqu’onnepeutpass’ygarer.—Qu’est-cequeçapeut te faire,allez,onvafaireunpetit tour.Toiquiesuncréatif, tuasbesoinderespirerlesgens,decréeraveceux,poureux.Voilà…Nikiattrapeànouveaulevolantetletournebrusquementavantdeletirerverselle.—Tournelà.Ilyauneplace,gare-toi,gare-toi!

—Ducalme,onvaseprendrequelqu’un.Nikilâchelevolant.—OK,maismets-toiici,c’estparfait.—ParfaitpourprendreunPV,çaoui,maistoi,lespanneauxd’interdictiondestationner,tuneleslispas.—Acetteheure-ci,lescontractuellessontentraindedéjeuner.— Toutes, c’est vrai, elles sont toutes en train de déjeuner. Elles ne font jamais de tours, lescontractuelles…—Allez,arrêtedeparler,onyva!Niki descend en riant, sans lui laisser le temps de répondre, alors qu’il n’amême pas complètementarrêtélavoiture.Alessandrosecouelatêteetsegareàlaplacequ’elleluiaindiquée.Ildescendetfermelavoiture.—SiellesmemettentunPV,onpartage,hein…Nikileprendparlebras.—Oui,biensûr…D’abordtutepayesunevoituresuperchère,ensuitetuteplainspourunPV.—MaislePVn’estpasuneoption,jenel’aipaschoisi,jenel’aipasdemandé…—Entoutcas,tuesunvraicréatif,çac’estsûr…tusorstoujourslabonnerépliqueaubonmomentsurlebonsujet…Sij’avaisétéaussirapide,j’auraispuéchapperàuncertainnombrededettes?—Incroyable.Sijeune,tuasdéjàdesdettes…—Quelrapport?Lesdettesd’école!Unportablesonne.—Tropfort,tuasmislasonneriedeVascoRossi.Çaneteressemblepas,c’esttropfort,cettemusiqueneteressemblepas.Eneffet,penseAlessandro,çanemeressemblepas.C’estElenaquimel’amise.Maisça,naturellement,ilneleditpasàNiki.Ilprendletéléphonedanslapochedesavesteetregardelenuméro.—Excuse-moimaisjedoisrépondre,c’estlebureau…Oui,allô?—Salut,Alex,c’estGiorgia.Onesttousprêts.Onarassemblédumatériel,descassettes,touslesspotsdel’histoire.Ilyenapleinsurlesbonbons.Peut-êtrequesionselespasserapidementçanousdonnerauneidée.AlessandroregardeNiki.Devantunevitrine,ellepenchelatêteàdroitepuisàgauche,elleobserveunpantalon.PuiselleseretourneversAlessandro,luisouritetfroncelenez,commepourdire:non,ilnemeplaîtpas.—OK,alorscommencezàlesregarder.—Ettoi,tureviensàquelleheure?—Plustard.Dansunpetitmoment.Niki,enécoutantcesmots,secouelatête.Ellesortunpapierdesonsacàdosetécritrapidementdessus,puiselleleluitend.«Pasquestion.Aujourd’huitutravaillessurl’inspirationlibre.Dis-lui.Créativitéetfolie.Etmerde!»Nikiluimetsouslenez,tellementprochequ’Alessandroadumalàlire.—Attends,Giorgia,excuse-moi,hein…Alessandroregardelepapier.Eneffet,Nikiaraison.Puisilreprendletéléphoneetlelitàvoixhaute.—Pasquestion,aujourd’hui,inspirationlibre,créativitéetfolie…Et…Ils’arrête,regardeNikietsecouelatêtepourlegrosmot.—Etzut…Ilfautbien,detempsentemps,non?Alessandrofermelesyeuxenattentedelaréactiondesacopywriter.Silencependantunmoment.—Tuasraison,Alex.Bravo,jecroisquec’estuneexcellentesolution.Décrocherunpeu.Jepensequecettepauseporterasesfruits.Onfaitcommeça.Onsevoitdemainmatin.Ciao.Etelleraccroche.Alessandroregardesontéléphoned’unairperplexe.Incroyable.Puisillerangedans

sapoche.Nikisouritethausselesépaules.—Tuasvu?Elleétaitd’accordavecmoi.—Bizarre,jen’auraisjamaiscru.D’habitude,ellepanique,elletravaillecommeunefolleaubureau…—Combiendetempstuasditquevousavez,pourceprojet?—Unmois.—C’estpresquetrop.—Jenediraispasça.—Si,parcequetuvois,lesmeilleuressolutions,tulestrouvescommeça,ellessontlà,dansl’air,prêtespournous.Ilsuffitdelescueillir.Çadépendtoujoursdumomentqu’onestentraindevivre.Troppenseràquelquechose,çapeuttoutgâcher.—Çaaussi,c’estdeWilliamHazlitt?—Non,entoutemodestie,çac’estdemoi.

20—Fermelesyeux,Alex.Ferme-les.Respirelesgens.Nikimarchelesyeuxmi-clos,danslafoulequil’effleure,etregardeenhaut,versleciel.—Tulessens?Cesonteux…Cesontlesgensquidoiventguidertoncœur.Nepenseàrienetrespire.Puis elle s’arrête, ouvre les yeux.Alessandro est immobile, derrière elle, les yeux fermés, il tente dehumerl’air.Ilentrouvreunœiletlaregarde.—Jesensuneodeurvraimentbizarre.Nikisourit.—Évidemment.Unecalèchevientdepasserparici.Parterre,prèsd’Alessandro,onvoitencoreles«traces»deschevaux.—Voilàpourquoijetrouvaisquec’étaitdesgensdem…—Bravo.Bonneblague.Non,vraiment,amusante.Maisquelrôletuas,danstonentreprise?—Unrôleimportant.—Carrément.Tuesunsuperpistonné,alors.—Pasdu tout.Diplôméd’uneprestigieuse facultéd’économieetdecommerce, laBocconideMilan,puismasteràNewYork,etmevoici,sansaucuneaideextérieure.—Mais,aumoins,dis-moiquetunesorspascegenredeblaguesaubureau.—Biensûrquesi,touslesjours.—Maisqu’est-cequetufais,exactement?—Directeurcréatif.—Directeurcréatif…Voilàpourquoitoutlemonderitàtesblagues!Essayeuntruc.Écris-les,etfais-lesdireparlafemmedeménage.Onverra,auboutdedeuxjours,sitoutlemonderigoleoubiensiellepleure,touteseule,parcequ’elleaétévirée.—Tuesjalouse.—Non,jesuisréaliste.Etpuis,aupire,jepourraisêtrejalousedequelqu’unquiinventeunevariantegéniale pour une planche de surf gun, peut-être en améliorant la poupe roundtrail pour prendre desvirages plus larges. Ou bien, je pourrais être jalouse de celui qui a eu l’idée de construire un reefartificielaukilomètrecinquante-huitdelaViaAurélia.Incroyable,cetruc.Maisjenesuispasjaloused’undirecteurcréatif,çanon.Explique-moiplutôtcequisecachevraimentderrièrecetitre.—C’est-à-dire?—C’est-à-dire,àpartsortirdesblagues,qu’est-cequetufais,danstonentreprise?—J’inventecespublicitésquetuaimestant,oùilyaunebellemusique,unebellefille,etoùilsepassequelquechosedebeau.Bref,moijepenseàtoutcequiteresteentête,desortequequandtuvasfairetescoursesouquandturentresdansunmagasin,tunepeuxpasnepasachetercequejet’aisuggéré.—Ah,présentécommeça,çasonnebien.Engros, tuarrivesàconvaincrequelqu’undefairequelquechose…—Plusoumoins.—Alors,tupourraisparleràmaprofdemaths,quinemelaissejamaistranquille?—Pourlesmiracles,noussommesentraindenouséquiper.—Eculée,celle-là.Jelaconnaissais.—C’estmoiquil’aiinventée,ilyadesannées,maisonmel’avolée.—Enfait,moijelaconnaissaiscommeça…Nousfaisonslepossible,nousessayonsl’impossible,pour

lesmiracles,noussommesentraindenouséquiper.C’étaitmêmedansletéléfilmDiovedeetprovvede!—Tuesincollable,tusaistout,hein?—Cequimesert.Viens,viens,onentrelà,auxMessageriesmusicales?Etelle l’entraîne,enle tirantpresque,versungrandmagasinpleindeCD,livres,DVD,maisaussidecassettesaudioetvidéo.—Eh,salut,Pepe.Nikiditbonjouràunvigileàl’entrée.T-shirtnoir,pantalonnoiretgrosbicepsblancsaussitendusquesoncrânerasé.—Salut,Niki.Déjàenbalade,enpleinaprès-midi,hein?—Oui,j’avaisenvie,ilfaitchaud…etvousavezlaclim,là-dedans.Pepeprendlaposeetimiteunepublicité.—Ouh,Niki…Ilfaitchaud…Nikirit.—Pasaussichaudqueça,Pepe!Ilsentrentdanslemagasinetseperdentdanslescentainesderayons.Nikiprendunlivreetlefeuillette.Alessandros’approche.—Eh, tusais,cespotdont teparlait tonamiPepe, l’autreénergumène,c’estnosconcurrentsqui l’ontfaite!—Pepen’estpasunénergumène.C’estungarçontrèsgentil.Unetrèsbellepersonne.Tuvoiscommetute laisses tromperpar les apparences, par l’image?Desmuscles, unT-shirt noir, un crâne rasé, doncc’estunméchant.—Moi,jetravaillesurlesapparences,surl’image.C’esttoiquim’asditdememélangerauxgens,non?—Non,moijetedisdelesrespirer,lesgens.Pasdelesregardersuperficiellement.Iltesuffitd’unT-shirtnoiretdedeuxmusclespourlecataloguer.Ilaunemaîtrisedebiotechnologies.—Maisjen’aiportéaucunjugement.—Tuluiasdirectementmisuneétiquette,c’estpire.—J’aijusteditqu’ilacitélapubdenosconcurrents.—Alorsvosconcurrentssonttrèsforts.Ilsgagneront.—Merci.Tumedonnesenviederetourneraubureau.—Bravo,commeçatuvasperdre,c’estsûr.Tudoisrespirerlesgens,paslesfauteuilsdetonbureau.Peut-êtrequePepelui-mêmepourraittedonnerl’inspiration.Maistoitun’aspasétésympaaveclui.—Encore ?Mais d’après toi, est-ce que je suis stupide au point de ne pas être sympa avec un typecommelui?—Devantlui,non,maisderrière,danssondos,si…Tul’asfait!—Çasurfit…jemerends!—Regarde,ilsontlesCDdeDamienRice…ОetB-Sides…Ilyamêmeledernier,ilestmagnifique,9.Laisse-moiécouterunpeu…Nikiprendlesécouteursetchoisitlapiste10.—Quelbeautitre,regarde:SleepDon’tWeep…Etellel’écoute,enbougeantlatête,puiselleenlèvelecasque.—Oui,oui,jemel’achète.Çam’inspire.C’estbeau,romantique.Etpuis,tusaisquoi,jem’achèteaussiO,ilyapleind’autreschansons,àpartTheBlower’sDaughter…—Bellemusique,mêmesiCloserétaitunfilmpleinderêvesbrisés.—Alorsçanevapaspournous…Labande-sondenotrehistoiredoitêtrepositive,non?

—Pardon,maisquellehistoire…—Chaqueinstantquipasseestunehistoire…Ensuite,toutdépenddecequetudécidesd’enfaire.Alessandrolaregarde.Nikiluisourit.—N’aiepaspeur…Voilà,celle-là,Eskimo,ellen’étaitpasdanslefilm,elleestmagnifique…Allez,onyva.Ilssedirigentverslescaisses.Nikiprendsonportefeuilledanssonsacpourpayermaisilestplusrapidequ’elle.—Pasquestion,c’estmoiquitelesoffre.—Maistusais,après,jenemesentirairedevablederien,hein?—Tu es trop suspicieuse etméfiante.Avec qui tu sors, d’habitude ?Disons qu’il s’agit d’une petiteindemnisationpourl’accidentdecematin.—Minuscule,alors.J’aiencoretoutmonscooteràréparer.—Jesais,jesais.AssortentetreprennentlaViadelCorso,quiestnoiredemonde.—Regarde:ilsn’ontpasd’argent,ilshabitentenbanlieue,etceciestleurseulpasse-temps.Ilyadelamusique,lemétro,lesmagasins,quelquesspectaclesderue…tuvoiscemime?Un vieux monsieur peint en blanc se bloque dans mille positions différentes pour quiconque lui metquelquescentimesdanssonpot.—Regardel’autre,là-bas…Ilsrejoignentungroupequis’estarrêtépourregarderquelquechose.Auborddutrottoir,unautrevieuxmonsieur,tiréàquatreépingles,canotiersurlatête,chemiseclaire,vesteenlinetnœudpapillonfoncé,asursonépauleunepievoleuse.Lemonsieursifflotequelquechose.—Allez,Francis,allez…Dansepourcesmessieurs-dames!Lapiefaittouteunesériedepas,ellesedéplacelelongdubrasdumonsieurensuivantlerythme.Ellearriveàlamain,puisrevientàl’épaule.—Bravo,Francis,maintenantfais-moiunbisou.Etlapievoleusesejettesurlegraindebléqu’iltiententresesdentsetluivoledélicatement.Puis,avecunpetitsaut,l’oiseaufaittomberlegraindanssonbecetl’avale.Nikiapplauditgaiement.—Bravo,Francis,bravo,tuestropfort,bravoàtouslesdeux!Nikicherchedanssespoches,trouveunepièceetlafaittomberdanslepetitnidposétoutprès.—Merci,merci,vousêtestropgentille.Ilenlèvesonchapeauetfaitunerévérence,découvrantsoncrânedégarni.—Mes compliments ! Mais vous avez mis longtemps pour lui apprendre tout ça ? La musique, lescommandes,ettoutlereste?Lemonsieursourit.—Vousplaisantez,mademoiselle?C’estFrancisquim’atoutappris.Moijenesavaismêmepassiffler!NikilanceàAlessandrounregardenthousiaste.—Allez,nesoispasradin.Donne-luiquelquechose,toiaussi…Alessandroouvresonportefeuille.—Maisjen’aiquedesgrosbillets…—Donne-luicelui-là!Nikiprendunbilletdecinquanteeurosetlemetdansleniddelapie.Alessandron’apasletempsdel’arrêter,detoutefaçonc’est troptard.Lemonsieurs’enrendcompte,enrestesansvoix,puissourità

Niki.—Merci…venez…mettezundecespetitsgrainsdansvotrebouche.—Moi?Maiscen’estpasdangereux?—Maisnon!Francisesttrèsfort.Tenez.Niki obéit et se met le grain dans la bouche. Francis prend immédiatement son vol, s’arrête à unmillimètredesabouche,suspendudans lesairs,enbattant légèrementdesailes.Acemoment-là,NikifermelesyeuxtandisqueFrancisallongelebecetluidérobelegraindeblé.Nikisentunpetitcoup,elleaunfrissondepeur.Puisellerouvrelesyeux.—Ausecours!Francisestdéjàretournésurl’épauledesonpatron.—Vousavezvu,vousavezréussi!Nikibatdesmains,toutecontente.—Bravo!Vousavezétéparfaite!Untypepassederrièreeux,unbourrinauxcheveuxlongs,accompagnédecopainsdumêmecalibre.—Oh,labelle,situytienstantqueça,àembrasserunoiseau,j’teprêtelemien!Ilestbiendressé!Etilséclatentd’unrirevulgaire,ens’éloignant.—Mêmepasenrêve!Etpuis,iln’arriveraitjamaisàsortirdesacage…,leurcrieNiki.Deloin,lebourrinluifaitungesteexplicitepourl’envoyerbalader.—Tuveuxquejeleurdisequelquechose?demandeAlessandro.—Maisnon,c’estdéjàréglé.Etpuis,nefaispasça.Letypeavecquij’étaisavantdémarraitauquartdetour.S’ilavaitétélà,tusaiscequiseseraitpassé?Unebagarre,desennuis…Ilsebattaitpourunouioupourunnon.Jenesupportaispasça.—D’accord,maisilaétélourd,cetype,non?—Tusais,ceuxquiaboientnemordentpas.C’étaitjusteunemauvaiseblague.Çanevautpaslapeinedeperdresontemps.Etpuis,monex,jel’aijustementquittépourcetteraison.Maintenant,qu’est-cequejefais,jesorsavectoiettufaislamêmechose?—Saufquetoietmoinesortonspasensemble.—Ahnon?—Non.—Bizarre,onestdanslaruetouslesdeux…—Oui,maisnousnenousnesommespasdonnérendez-vous.—Maisqu’est-cequetuvast’inventer,commeproblèmes?Tuasunefemmejalouse?—Non,encemomentjen’aipasdefemmedutout.—Ah,tut’esséparé,toiaussi?Etmêmes’illuisembleabsurded’enparleravecelle,iln’arrivepasàluimentir.—Ehoui.—Alors, qu’est-ce que ça peut te faire ? Profite dumoment, c’est tout ! Quel lourd, toujours à toutpréciser.Nikiaccélèrelepasetpassedevantlui.Alessandrorestelà,devantlevieuxmonsieurquileregarde,sapievoleusesurl’épaule,lèveunsourciletsourit.—Lademoisellearaison.Etpuis,sedisantqu’ilpourraitchangerd’avis,levieuxregardeAlessandro,souritetglisselescinquanteeurosdanssapoche.Alessandrolarejoint.—Niki,attends.OK,onestsortis,maisonn’estpasvraimentsortis.Ondoitencorelafaire,notresortie,

d’accord?C’estmieuxcommeça,non?—Situledis.—Allez,netefâchepas.—Moi?Maisquiaparlédesefâcher?Elleéclatederireetpassesonbrassousceluid’Alessandro.— Ecoute, plus loin il y a un endroit où ils font des pizzas délicieuses, Via del Lupo. Ça te dit, unmorceaudepizza ?ViaTomacelli, il y en aun autreoù ils font unpain à sedamner, il y amêmeunesuperbeterrasse,onpeutymonter,c’estmagnifique.Etpuis,ilyaunautreendroit,CorsoVittorio,oùilsfontdessalades,ças’appelleL’InsalataRicca.Tuaimeslessalades?Oubien,toutprèsd’ici,ilyaunglacier délicieux, Giolitti, et mêmemieux, il y en a un autre qui fait d’excellents cocktails de fruits,Pascucci,prèsdelaPiazzaArgentina.—PiazzaArgentina?Maisc’estloin.—Maisnon,unepetitepromenade.Alors,onyva?—Oùça?Tuasdithuitchosesenl’espacededeuxsecondes!—OK,alorsonprendlescocktailsdefruits.Onvafaireuntruc:ledernierarrivépaiepourl’autre!Etelles’enfuitencourant,belle,gaie,avecsonpantalonmoulant,sonsacentoile,sescheveuxchâtainsauvent,attachésparunebarrettebleue.Etsesyeuxbleusouverts,selonlalumière.Alessandroresteàlaregarder.Ilsouritintérieurement.Puis,d’uncoup,c’estcommes’ildécidaitd’envoyerbaladertoutessespensées.Ils’élanceluiaussi,derrièreelle,ilcourtàenperdrehaleineViadelCorso.Enavant,toujoursenavant,puisàdroiteverslePanthéon,lesgensquileregardent,quisourient,curieux,quis’arrêtentuninstantdeparleravantdereveniràleurspropresvies.AlessandropeineàrejoindreNiki.Voilà,pense-t-il,ondiraitundecesvieuxfilms,genreGardiensetvoleurs,avecTotòetAldoFabrizi,quandilscourentle longde lavoie ferrée,ennoiretblanc.MaisNikine luia rienvolé,elle.Et ilne saitpasque,enréalité,elleluioffredéjàbeaucoup.Nikiritetdetempsàautresetournepourvoiroùilest.—Eh,jenepensaispasquetuétaisaussienforme,hein!Alessandroestsurlepointdelarattraper.—Jevaist’avoir,jevaist’avoir!Nikiaccélèreunpeu,tentedemaintenirunpasplusrapide.MaisAlessandronelalâched’unesemelle.Puis,d’uncoup,ilralentit,s’arrêtepresque.Nikisetourneetl’aperçoitplusloin.Arrêté.Elleprendpeuretralentit,elleaussi.Elleseretourne.Alessandrometsamaindanslapochedesavesteetensortsonportable.—Allô?—Alex?C’estAndrea,AndreaSoldini.Alessandrotentedereprendresonsouffle.—Qui?—Allez,arrête,jesuistonstaffmanager.Puis,àvoixbasse:—Celuiàquituassauvélavie,cheztoi,aveclesRusses…—Mais oui, je sais qui tu es, tu ne comprends jamais les blagues ?Allez, dis-moi, qu’est-ce qui sepasse?—Maisqu’est-cequetuas,tuesessoufflé?—Oui,jesuisoccupéàrespirerlesgensàfond,pourêtrepluscréatif.—Mais…Bon,j’aicompris.Lesexeaprèsavoirmangé,c’estça?—Jen’aipasencoremangé.Etpuis, le sexe, jene saispascombiende tempsça faitque jen’enaipasvu la couleur, a-t-il envie

d’ajouter.—Alors,qu’est-cequ’ilya?Dis-moi.—Non, je voulais te dire, je suis en train de regarder nos vieilles pubs et j’ai eu toute une idée demontage.Quandtureviens,jet’enparle.—Andrea…—Oui,jet’écoute.—Nemefaispasregretterdet’avoirsauvé.—Non,comptesurmoi.—Voilà,parfait.Onserappelleplustard.—Jepeuxt’appeler,sij’aiuneautreidée?—Sivraimenttunepeuxpast’enempêcher.—OK,chef.Andrearaccroche.Jen’aipaseuletemps,penseAlessandro,deluidireleplusimportant.Jenesupportepasqu’onm’appellechef.Entre-temps,NikiL’аrejoint.—Alors,qu’est-cequisepasse?—Rien,c’estlebureau,ilsn’arriventvraimentpasàsepasserdemoi.—Mensonges.Ilst’appellentchefettutesensimportant,pasvrai?—Si,c’estvrai.—Lamêmerèglevautpourtoutlemonde,nel’oubliepas.Lepapeestmort,onenfaitunautre.—Ah,oui,alorstusaiscequejetedis?Quiperdpaye,mêmeensuspens…—Eh,çanevautpas,çanevautpas!Jesuisrevenueenarrièrepourvoircommenttuallais!—Quitel’ademandé?!—Maisqu’est-cequeçaveutdire,cettehistoiredesuspens?—Jet’expliquequandonarrive,làj’aibesoindetoutmonsoufflepourgagner.Alessandro rit et se remetàcourir. Il accélère, longeencourant les ruinesduPanthéon,au-delàde laplace, près de l’hôtel, toujours tout droit. Son portable sonne à nouveau.Alessandro ralentitmais nes’arrêtepas.Illesortdesavesteetregardel’écran.Iln’encroitpassesyeux.IlsetourneversNiki,quigagneduterrain.—Maisc’esttoiquim’appelles!—Ehoui,àlaguerrecommeàlaguerre.Touslesmoyenssontbons.Tum’asfaitrevenirenarrièreettuesrepartientraître,non?Cetéléphoneserataperte!—Oui,maisjenesuispastombédanslepiège.Rappelle-toiquec’esttoiquim’asditd’enregistrertonnuméro!—Tuvois,onregrettetoujoursd’avoirétégentils.Ilscontinuentàcourir.—Dis-moicequeçaveutdire,cettehistoiredesuspens,sinonjenepayepas.—Ondécidera là-bas, si tupayesounon…sinonçanevautpas. Ilscontinuentàcourir l’underrièrel’autre,etfinissentpararriverchezPascucci.

21—Preum’s!Alessandros’appuiecontreladevanturedubar.—Biensûr,tum’asbienelle,quelmagouilleurtufais!—Tuesmauvaiseperdante.Ilssonttousdeuxsurleseuil,pliesendeuxpouressayerdereprendreleursouffle.—Joliecourse,non?—Oui,etdirequejejouetouslesjoursauvolley.J’étaissûredegagnerfacilement,sinonjenet’auraisjamaisproposé…Alessandroouvrelabouchepourrécupéreretserelève.—Désolé.Tapisroulantàlamaison.Vingtminutestouslesmatins…avecunécrandevantoùdéfilentdesboisetdesmontagnes,despaysagesquiaidentàgarderlaformeetsurtoutàbattrelesfillescommetoi.—C’estça!Sionlarefaisait,tuperdrais.—Biensûr,maintenantquetusaisquejenedurequevingtminutes,tuesavantagée.Lesecret,aprèsunevictoire,c’estdenepaslaremettreenjeu.Ilfautsavoirseretireraubonmoment.Toutlemondepeutêtreunbonjoueur,maisn’estpasunvraivainqueurquiveut.—C’estdetoi,ça?—Jenesaispas,ilfautquejemedécide.Jenemerappellepassijel’aivoléeàquelqu’un.—Alors,pourl’instant,çanemesemblepasterrible.—Maispourquoi,sic’estquelqu’und’autrequil’adit,çan’apaslamêmevaleur?—Çadépendquiestcequelqu’und’autre.—Excuseme…Uncoupled’étrangersleurdemandegentimentdes’écarter.Ilsn’arriventpasàentrerdanslebar.—Oh,certainly,sorry…,ditAlessandroensedéplaçant.—Voilà,tum’asbattueàlacoursegrâceàtontapisroulantetàtestrucsdégueulasses,maismoi,j’auraisfacilementgagnéenanglais.Tupourraismeprendrecommeaccountinternational.Alessandrosourit,ouvrelaporteenverre,lalaissepasserpuisreferme.—Tu sais ce qu’on disait toujours après le foot, quand on bavardait… les gagnants font la fête, lesperdantss’expliquent.—Bon,çava,j’aicomprissen’aiplusqu’àpayer,d’accord.Jepaietoujoursmesparisquandjeperds.—Bien,alorsdéjà,paieça.Pourmoi,unmélangeauxfruitsdesbois.Nikiregardelesdifférentsparfumsdanslesbarquettes.—Pourmoi,kiwietfraise.Alors,qu’est-cequec’était,cettehistoiredususpens?—Ah,oui,c’estvrai.Bon,situveux,tupeuxnepaspayer,vuquetunelaconnaissaispas.Çaseraitplusjustequetunepaiespas,d’ailleurs.—Commenceparmelaraconter,ensuitejedécideraisijepaieounon.—Eh,maistudémarresauquartdetour!NikiessayedeluienvoyeruncoupdepiedmaisAlessandrofaitunbondsurlecôté.—OK,OK,çasuffit.Je teraconte l’histoiredususpens.C’estune traditionnapolitaine.ANaples, ilssont très généreux. Quand ils vont dans un bar, en plus du café qu’ils boivent, ils en offrent un à lapersonnequientreraaprèseux.Ilyadoncuncafé«ensuspens»,pourquelqu’unquinepeutpassele

payer.—C’estchouette,çameplaît.Etsilebarmanfaitsemblantderien?Ilgardelessous,s’ilneditrienàceluiquientreaprès,quidemandeuncafémaisquin’apasd’argent?—Le«suspens»estbasésurlaconfiance.Moijepaie,lebarmanacceptemonargent,etcefaisantilmeprometimplicitementqu’illefera.Jedoisluifaireconfiance.UnpeucommesureBay,quandtupaiesunobjetetquetufaisconfianceàlapersonnequitel’envoiecheztoi.—Oui,maisaubartunepeuxpaslaisserd’évaluation!—Mais,detoutefaçon,aubar,c’estfacile,c’estjusteleprixd’uncafé.Çaseraitbeaudepouvoirfaireconfianceauxinconnus,mêmepourleschoseslesplusimportantes.Parfois,onnepeutmêmepassefierànosproches,alorsàunbarman…Nikileregarde.Ellesentdansletondesavoixquelquechosedeprofondetdelointain.—Tupeuxavoirconfianceenmoi.Alessandrosourit.—Biensûr,aupirejefaisjouerl’assurancedelavoiture!—Non,aupiretutefaisunebellefrayeur.—Pourquoi?—Parcequ’iltefaudrarecommenceràcroireentoutceàquoituascessédecroire.Ilsrestentainsi,ensuspens,leursregardsfaitsdesouriresetd’allusions,decequ’ilsneconnaissentpasencore,decuriositéetd’amusement.Ilsnesaventpasencores’ilsprendrontcepetitsentierquis’éloignedelagrand-routepourentrerdanslebois.Maisquiparfoisestsibeau,plusquelafantaisieelle-même.Soudain,unevoixvientinterrompreleurspensées.—Voilàvoscocktails.Pourvous,mademoiselle,kiwietfraise,etpourvousfruitsdesbois.Nikiprendlesien.Ellecommenceàleboireaveclapaille,enfixantAlessandrod’unairgai,sanstropdepensées,d’unregardpropre,pleinettransparent.Puiselles’arrête.—Mmm,c’estbon,vraimentbon.Letienteplaît?—Délicieux.—Ilestcomment?—C’est-à-dire?—Qu’est-cequ’ilya,dedans?—Ah,alorsilfautdire«àquoiilest?».Auxfruitsdesbois.—MonDieu,tuespirequeMmeBernardi.—C’estqui,ça?—Maprofd’italien.Tuesaussitatillonqu’elle.Allez,tuavaisparfaitementcompriscequejevoulaisdire,non?—Oui,bon,çadépenddecequetuvoulaisdireexactement,toutestquestiond’interprétation,alors…Tusaisquel’italienest la languelaplusricheennuancesetenintonations?C’estpourçaqu’onl’étudiédanslemondeentier,c’estparcequenosmotspermettentd’exprimerexactementlaréalité.—C’estvrai,tun’espascommeMmeBernardi.—Ah,voilà,jepréfèreça.—Tuespire!Etelleseremetàboireavecsapaille.Ellelefinitetaspirelefondenfaisantdegrandsbruits,souslesyeuxscandalisésdequelquestouristesâgésetsousceux,amusés,d’Alessandro.Elleestentraindeboirelesdernièresgouttesquand…—Zut.

—Qu’est-cequ’ilya?—Rien,monportable.Nikilesortdelapochedesonjean.—Jel’avaismissurvibreur.Elleregardelenuméroquis’affiche.—Quellebarbe,c’estlamaison.—Ilsveulentpeut-êtrejustetefaireunpetitcoucou.—J’endoute.Çadoitêtrelestroisquestionshabituelles.—C’est-à-dire?—Oùtues,avecqui,àquelleheureturentres.Bon,j’yvais…jemelance…Nikiouvresontéléphone.—Allô?—Salut,Niki.—Maman,c’esttoi,quellesurprise!—Oùes-tu?—Jefaisunpetittourdanslecentre.—Avecqui?—EncoreavecOlly.ElleregardeAlessandroethausselesépaulescommepourdire:ras-le-bol,encoreunmensonge.—Niki…—Qu’est-cequ’ilya,maman?—Ollyvientd’appeler.Elleaditquetunerépondaispasautéléphone.Nikilèvelesyeuxauciel.Merde,merde,merde.Alessandrolaregardesansriencomprendreàcequisepasse.Nikitapedespiedsparterre.—Maisnon,maman,tun’aspascompris.J’étaisavecOllyavant,maisensuiteellen’apasvouluvenirdanslecentre,alorsjel’ailaissée.Jeluiaiditquejerentraisàlamaison,maisensuitej’aidécidédeveniriciquandmême,touteseule.Ellem’adéposéeàmonscooter.—Impossible.Ellem’aditqu’ellet’avaitaccompagnéechezlegaragisteàlarécréation.Quandest-cequetuesalléelechercher?Merde,merde,merde.Mêmescènequetoutàl’heureavecAlessandro,quicomprenddemoinsenmoins.—Maismaman,tunecomprendsrien!Ça,c’estcequejeluiaidit,parcequejen’aimepassafaçondeconduire.J’aipeurderrièreelle,jenevoulaispasmonteravecelle.—Ah,oui,etalorsavecquituvasrentrer?—J’airencontréunami.—Tonpetitami.—Non,maman…C’estdupassé,ça…Jetel’aidit,noussommesséparés.C’estunautreami.—Jeleconnais?—Non,maman,tuneleconnaispas.—Etcommentçasefaitquejeneleconnaissepas?—Qu’est-ce que j’en sais, maman, peut-être qu’un jour tu feras sa connaissance, qu’est-ce que j’ensais…—Moi,jesaisseulementqu’onestentraindeseraconterdesmensonges.Nousnenousétionspasfaitlapromessedetoujourstoutnousdire?

—Maman.Nikibaisseunpeulavoixetsetourne.—Jesuisaveclui,là.Onnepeutpasreprendrecetinterrogatoireplustard?—OK.Quandest-cequeturentres?—Bientôt.—Quand,bientôt?Niki,tuasdesdevoirsàfaire.—Bientôt,maman,jet’aiditbientôt.Elleraccroche.—Ouf,mamèreestvraimentlourde,quandelles’ymet…—PirequeMmeBernardi?Nikisourit.—Ellessevalent.Puiselles’adresseauserveur.—Vouspouvezm’enfaireunautre?—Lemême?Toujourskiwietfraise?—Oui,ilétaitdélicieux.Alessandroterminelesienetjetteleverreenplastiquedanslapoubelleprèsdelacaisse.—Niki,maistuenprendsunautre?—Qu’est-cequeçapeuttefaire,c’estmoiquipaie?—Maisnon,cen’estpasça.Çanevapasfairetrop,deux?—Tusais,iln’yaqu’unepersonnequibattemamèreetMmeBernardi.—Jecroissavoirdequituparles.Nikis’approchedelacaisse,maisAlessandroladevance.—Stop,c’estmoiquipaie.—Tuplaisantes?J’aiperduunpariet jepaie, ilnemanqueraitplusqueça.Alors, troiscocktailsdefruitsetun«suspens».Lacaissièrelaregardeaveccuriosité.—Jesuisdésolée,nousn’avonspasdecocktailsaususpens.—Maisnon,jevousexplique.Siquelqu’unentreetveutuncocktailmaisn’apasd’argentpourlepayer,dites-luiqu’ilyauncocktailensuspens.Etfaites-luipréparer…Nikidonnedixeurosàlacaissière.Quicomptequatrecocktailsetluirendlamonnaie,deuxeuros.—C’estunebonneidée,ça.C’estdevous?—Non,demonamiAlex.C’est-à-dire,enréalité,c’estunetraditionnapolitaine.Engros,maintenanttoutreposesurvosépaules.—Surmesépaules,etpourquoi?—Nousvousfaisonsconfiance.Lesuspensestentrevosmains.—Oui,biensûr,vousmel’avezexpliqué…etjel’offriraiàquelqu’unquienabesoin.—Bien.Nikiprendlecocktailqu’onluiapréparéetsedirigeverslasortie,maiselles’arrêteàlaporte.—Neserait-cequeparcequenous,onpourraitrestertoutl’après-midiàlaportepourcontrôler…Aurevoir.Alessandroregardelacaissière.—Excusez-la,elleesttrèsméfiante.Lacaissièrehausselesépaules.AlessandrorejointNiki,quisirotesoncocktailenmarchant.—Abonentendeur…c’estcommeçaavectoi,hein,Niki?

—Mamèrem’aapprisquefaireconfiance,c’estbien,nepasfaireconfiance,c’estmieux.Etjepourraiscontinuerpendantdesheures.Mamèrem’aapprisdestonnesdeproverbes.Tuycrois,toi?Etilscontinuentàparler,àsepromener,àdiscuterdetoutetderien,desvoyagesqu’ilsontfait,deceuxdont ils rêvent, de fêtes, de bars qui viennent d’ouvrir, de ceux qui ont fermé et de mille autresnouveautés,capablesdes’écouter,derireetd’oublier,pendantunmoment,leursvingtansd’écart.—Tumefaisgoûtertoncocktail?—Ah,tuvois…—Situasreprislemême,c’estqu’ildevaitêtrebon.—Tiens.Nikiluipasse.Alessandroécartelapailleetboitdirectementdansleverre,puisilleluirend.—Mmm,tuasbienfaitd’enreprendreun,ilestdélicieux…—Tun’aspasutilisémapaille.Çatedégoûtetantqueça?—Non,c’estquej’aipenséqueçapouvaittegêner,toi.Boireaveclamêmepaille,c’estunpeucommes’embrasser…Nikileregardeetsourit.—Non,c’estdifférent.C’esttrèsdifférent…Silence.Ilsseregardentfixementpendantunmoment.PuisNikiluirepasseleverre.—Tuenveuxencoreunpeu?—Oui,merci.Cettefois,Alessandroboitdirectementaveclapaille.Etillaregarde.Illafixe.Intensément.—Voilà,làc’estcommesitum’avaisembrassée…—Etçat’aplu?—Mmm,oui,c’étaitbon.Unbaiserquiavaitdugoût,ungoûtdekiwietfraise!Ilsseregardent,sesourient.Pendantuninstant,ilsnesaventpluslequeldesdeuxestleplusmûr.Ouleplus immature. Soudain, ils sont ramenés à la réalité par le Motorola d’Alessandro qui sonne. Nikisoupire.—Qu’est-cequec’est?Encorelebureau?Alessandroregardel’écran.—Non.Pire.Allô?—Salut,montrésor,çava?—Salut,maman.—Tuesaubureau?Tuesavecledirecteur?Tuesenréunion?—Non,maman.AlessandroregardeNikiethausselesépaules,puisilcouvrelemicrodesamain.—LamienneestpirequeMmeBernardietlatienneréunies.Nikirit.—Etalors,oùtues?—ViadelCorso.—Ah,tufaisdushopping.—Non,jetravaille.Unerecherche.Nousétudionslesgenspourmieuxcomprendrecommentpénétrerlemarché.—Ah,c’estbien,çam’al’aird’êtreunetrèsbonneidée.Aufond,cesontlesgensquichoisissent,n’est-cepas?—C’estvrai.—Ecoute,tuviensdînercheznousvendredisoir?Ilyauraaussitessœursavecleursmarisetenfants.

TupourraisveniravecElena,non?Çanousferaitplaisir.—Maman,làjenepeuxpastedire,ilfautquejeregardemonagenda.—Oh,nejouepasàçaavecnous.—Maisjenejouepas,j’aivraimentunagendachargé.—Ettuesentraindeflânerdanslecentre!—C’estuneétudedemarché,jetel’aidit.—Raconteçaàtessupérieurs,pasàmoi.Tudoisêtreenvadrouilleavecundetesfainéantsdecopains,entraindet’amuser…Bon,alorsfaisensorted’êtrelàvendredisoir,d’accord?Etelleraccroche.Nikilèveunsourcil.—Dis-moiunechose.Quelâgetuas?—Trente-six.—Ah,bon,jetedonnaisplus.—Merci…—Tun’aspascompris.Jeneparlaispasdel’âge.Alamanièredonttut’habilles,donttut’exprimes,àtaculture…—Tutefichesdemoi?—Non,jesuissérieuse.Mais,dis-moi,j’aimeraiscomprendre…quandj’auraitrente-sixans,est-cequemamèrecontinueraàmecasserlespiedscommeça?—Tusais,unjour,çatemanquera,qu’elletecasselespieds.Nikiprendunedernièregorgéeetlancesonverredansunepoubelle.—Panier!PuiselleprendAlessandroparlebras.—Voilà,c’estquandtudisdestrucscommeçaquetestrente-sixansmeplaisent!Ilss’éloignent,encourantunpeu,maispastrop.Ilsbavardent,tranquillement,sansarrière-pensées,sanscoupsdefil.Ilsreviennentainsijusqu’àl’endroitoùilss’étaientgarés,et,là,unesurpriselesattend.LaMercedesadisparu.—Pff…onmel’avolée.—Maisnon,ellen’étaitpaslà…peut-êtreunpeuplusloin…—Non,non,c’étaitlà,jem’ensouviens.Jen’arrivepasàycroire,onmel’apiquéeenpleinaprès-midi,enpleincentre.ViadellaPenna.C’estabsurde.—Non !Cequi était absurde, c’était d’espérer la retrouver ici.Unevoixdans leurdos.Unpolicier,particulièrementzélé,atoutécouté.—Vousvousêtesgarédansunezoned’enlèvementdemandé.Vousn’avezpaslulepanneau?—Non,j’étaisdistrait.IlregardeNikienfaisantunsourireforcé.—Etmaintenant,oùjevaislachercher?—Ilsvousl’ontemportéesoitàPonteMilvio,soitauvillageOlympique.Etils’enva,soncarnetàlamain,prêtàverbaliserquelqu’und’autre.—Biensûr…etmaintenant,commentonfaitpouryaller?—Facile.Viens.Jedoisvraimenttoutt’apprendre?Niki le prend par lamain et semet à courir. Elle traverse la Piazza del Popolo, le traînant presquederrièreelle.Ondiraitdeux touristesquiessaientd’arriverà tempsàunmuséeavant la fermeture. Ils

montent dans le petit tram qui remonte la Via Flaminia. Ils se jettent sur les premières places qu’ilsvoient. Alessandro, tout essoufflé, cherche son portefeuille, voudrait payer, mais Niki l’arrête et luisusurre:—Detoutefaçon,ondescendbientôt.—Oui,maissiuncontrôleurmonte?—Ondescendàlaprochaine!Maisenfait,non.Ilrestedeuxarrêts.Et,àl’avant-dernier,uncontrôleurmonte.—Billets,s’ilvousplaît.AlessandroregardeNikietsecouelatête.—Maispourquoiest-cequejet’aiécoutée?…Ellen’apasletempsderépondre,déjàlecontrôleursedirigeverseux.—Billets.Nikitentelecoup.Ellesejustifiepartouslesmoyens,batdespaupières,faitappelauPVqu’ilsviennentdeprendre,racontededrôlesd’histoiresdevoiturevolée,d’amourquivientdeseterminer,etaussilalégendedususpens,ungestegénéreuxquitémoignedeleurhonnêteté.Maisrien.Iln’yapasmoyen.Cebilletqu’ilsn’ontpasachetédevientunbilletdecinquanteeurosenmoinspourAlessandro.—Jevousaifaituneristourne.C’estcommesiundevousdeuxavaiteuunbillet.D’accord?Untrucdefous,penseAlessandro,pourunpeujedevraismêmeleremercier.Quandilsdescendent,Nikine perd pas uneminute. Elle court de nouveau à en perdre haleine, en le traînant derrière elle, en lefaisantpresquetrébucher,etellenes’arrêtequedevantlapetitebaraquedelafourrière.—Bonsoir…Noussommesvenuschercherunevoiture.—Elleétaitgaréeoù?—ViadellaPenna.—Oui, elle vient d’arriver. UneMercedesMI, pas vrai ? Ça fait cent vingt euros, plus soixante detransport.Entout,centquatre-vingtseuros.Alessandrotendsacartedecrédit.Aprèsavoirpayé,ilslelaissententrerdansleparking.—Lavoilà,c’estbiencelle-là?NikicourtversuneMercedesgaréedanslapénombre.Alessandroessayedel’ouvrirdeloin.Lesquatreclignotantss’allument.—Oui,c’estcelle-là.Nikimonte,suivieparAlessandro.Ilssortentlentementduparking.Ilfroncelessourcils.—Cet accident avec toi est en train deme coûter cher. Si je t’avais proposé de sortir de façon plusclassique,j’auraisfaitdeséconomies.—Maisnon, l’argentest faitpourcirculer, çaaide l’économienationale.Etpuis, tuesbiendirecteurcréatif,non?C’estuneétudedemarché,tuasvudesgens,tuasgoûtéàuneréalitédifférentedelatienne.Enplus,danslacolonnedetesdépensesdujour,tupeuxdéduirelesmiennes.—C’est-à-dire?—Leshuiteurosdescocktailsdefruits.—Oui,biensûr.Dèsqu’unposteselibère,jetefaisengagercommecomptable.—Tourneici,tourneàdroite.—Tuespirequ’unGPScassé.IlspassentleCineportoetseretrouventaumilieud’unimmenseespacecomplètementvide.Ilyajustequelquesvoituresgaréesaufond.

—Ehbien,qu’est-cequ’ilya,ici?—Rien.—Etalors,qu’est-cequ’onfaitlà?Alessandrolaregarded’unairperplexe.Illèveunsourcil.—D’habitude,cesontlespetitscouplesquiviennentici.Etilluisourit.—C’estvrai.Maisaussiceuxquiapprennentàconduire.—Etnous,onfaitpartiedequelgroupe?—Ledeuxième.Allez,pousse-toi,laisse-moiessayerdeconduiretavoiture…—Tuplaisantes?—Écoute,nefaispasledifficile.Allez,detoutefaçon,maintenantilesttroptardpouralleraubureau.Nousavonsfaituneétudedemarchéet,pourunesommeridicule,jet’aidonnéuntasd’indicationsutiles.Je t’aurais coûté bonbon…Maintenant, sois un peu altruiste. J’ai déjàmon code de la route, tu sais.Laisse-moim’entraînerunpeu.—OK,maistuvaslentementetonnesortpasd’ici.Alessandrodescendetfaitletourdelavoiture,par-derrière.Illaregardeà l’intérieursedéplacerd’unsiègeà l’autreenescaladant le levierdevitesse.Elles’installe,glissedanslelecteurl’undesCDqu’elleaachetésauxMessageriesetmontelevolume.Alessandron’apasletempsderefermerlaportièrequ’elleadéjàdémarréentrombe.—Attention,doucement,doucement!Etmetstaceinture!LaMercedespile,puisrepartàtouteallure.AlessandrosepencheducôtédeNiki.—Maisqu’est-cequetufais,tuenprofites?—Qu’est-ceque tu racontes ? Je temets ta ceinture !Alessandro la fixe sur le côtédu siège.Puis ilregardeNiki.Elleessayedechangerdevitesse,maisellesetrompedepédaleetfreine.—Attends,maisiln’yapasd’embrayage?—Non,iln’yenapas.—C’est-à-dire?—C’est-à-direquecelevierauqueltut’agrippescommeunpoulpe,cen’estpaslelevierdevitesse…Ças’appelleunautomatique.Plusexactement,7G-Tronic,pourvudusystème«directselection».Ilsuffitdel’effleurerdelamain,çaenclenchelavitesseD.—Ah,mais alors çanevautpas.Çaneme sert à rien, commeça.Niki redémarreen trombe, tourne,accélère.Ellenes’aperçoitpasqu’uneautrevoiturevient justementd’entrer sur laplace.Elle freinecommeellepeutmais elle foncedroitdessus,luiéclatesonpharearrièreetunepartiedesonaile.Alessandro,quin’avaitpaseuletempsdemettresaceinture,secognelajouecontrelavitre.—Aïe,cen’estpaspossible,tuesunvraidésastre.Ilsetouchelenezplusieursfois,inquiet,etregardesamainenycherchantdusang.—Iln’yenapas,ditNiki.Allez,tun’asrien.Alessandronel’écoutemêmepas.Ilouvrelaportièreetdescend.Nikil’imite.—Eh,monsieur,maisvousregardiezoù?J’avaislapriorité!Lemonsieursortdesavoiture.—Quoi?!Ilestgrand,grosetcostaud,unecinquantained’années,cheveuxbrunsetmainsnoueuses.Undecestypesqui,s’ilsveulent,peuventtefairemal.Trèsmal.

—Oh,lesjeunes,maisvousvousfichezd’moi?Moij’viensdeladroite.Tum’asmêmepasvu.Tum’asprisenpleindans lemille,mieuxquedutirà lacarabine.Encoreheureuxque t’aiesfreinéauderniermoment,sinonons’raitpaslàpourenparler.Regardeça,regardelesdégâtsquet’asfaits…—Oui,maisvousneregardiezpas.J’aibienvu,vousétiezoccupéavecladame.Unedamesortdelavoiture.—Pardon,maisqu’est-cequevousracontez?Onn’étaitmêmepasentraindeparler…Alessandrodécided’intervenir.—OK,OK,ducalme,l’importantestquepersonnenesoitblessé,non?Letypesecouelatête.—Moiçava.Ettoi,Giovanna?Tuasprisuncoupsurlatête?Lecoupdulapin?Tuasmalaucou?—Non,Gianfranco,non.—Parfait.Alessandroremontedanssavoiture,Nikilesuit.—Monnezestenflé?—Non,pasdu tout, tuesparfait.Écoute, jecroisquecesdeux-làsontvenus icipour fairedes trucs,non?Ilsportenttouslesdeuxunealliance.Doncilssontmariés.Situdisquetuappelleslapoliceetquetuveuxfaireunprocès-verbal,ilsvontpeut-êtreprendrepeurets’enaller.—Tucrois?—C’estsûr.—Niki…Jusqu’ici,tuaseutoutfaux…Lestationnement,leticketdebus.TuessûrequetuveuxtenterlecoupaveclePV?Nikisemetlesmainssurleshanches.—Ilsn’étaientpasbons,lescocktails?—Délicieux.—Alors,tuvoisquejen’avaispasfauxsurtout.Donne-moiencoreunechance…—OK.AlessandrosortdelaMercedes.—Jepensaisavoirdesconstats,maisnon.Jecroisquejevaisdevoirappelerlapolice,aumoinsilsenauront…etaussidesPV.Lafemmeregardel’homme.—Gianfranco,maisçavaprendreuntempsfou…NikiregardeAlessandrod’unairsatisfait.Elleluifaitunclind’œil.Gianfrancoréfléchitensetouchantlementon.Nikiintervient.—Vulasituation…Onn’aqu’àfairecommes’ilnes’étaitrienpassé:vousvousenallez,etnousaussi.Gianfrancolaregarded’unairperplexe.Ilnecomprendpas.—Etlavoiturequetum’asdémolie?—Lesdangersdumétier,oseNiki.—Quoi,tuplaisantes?Laseulefoisoùjesorsavecmafemme,pourêtreunpeuseuls,qu’onn’enpeutplus, les enfants sont toujoursà lamaisonavecdixcopains, je chercheunendroitpourêtre tranquilleavecelle,etpartafauteilfautquejepaie?Tuesunepetitemaligne…C’estmoiquivaisl’appeler,lapolice,ettoutdesuite,onattendraletempsqu’ilfaudra!Unan,s’illefaut!Gianfrancoprendsonportableetcomposeunnuméro.Nikis’approched’Alessandro.—Faiscommesijen’avaisriendit…

—OK.—Maistuasdesconstats,danslavoiture?—Biensûr,j’aifaitcroirequenonpourmettreenpratiquetasplendidethéoriedesamants.—Alorsvaleschercher…—Maisilssontdéjàentraind’appelerlapolice.—Ilvautmieuxquetulesprennes…Fais-moiconfiance!—Maisilsvontcomprendrequ’onabluffé!—Alex…Jen’aipasmoncodeetj’aidix-septans.—Maistum’avaisdit…arghhh,jerenonce,avectoi.Alessandroplongedanslavoitureetenressortunesecondeplustard,unefeuilleàlamain.—Gianfranco,regardez!J’aitrouvéunconstat!Quellechance,pasvrai?

22Chambre indigo. Elle. C’est difficile. Comme si la terre se dérobait sous tes pieds. La route que tuconnaissais,lesmotsquetusavais,lesodeursetlessaveursquitefaisaientsentirensécurité…déciderdetouteffacer.Sentirqu’autrementtun’irasnullepart,turesterasici,àsemblantdevivre.Maisl’amourquisetermineétait-ilunvraiamour?Jesuisdésolée.Jeneveuxpasqu’ilsouffre.Ilneleméritepas.Ilatoujoursétégentilavecmoi. Il tientàmoi. Ils’inquiète. Ilestmêmeunpeu jaloux.Hier, j’étaissur lepoint de le lui dire, jeme suis sentiemourir. Ilme parlait de sa journée, de son nouveau travail, duvoyagequ’ilveutfaireavecmoienaoûtprochainpourfêtermonbac.Elleallumeleportable.Elleouvreledossierjaune.Ellechoisitundossierauhasard.

Ilsevitaveclesyeuxdelafantaisietandisqu’ilconversaitaveccettedouceetbellejeunefilleassise à côté de lui, dans une pièce pleine de livres, de tableaux, de goût et d’intelligence,traverséeparunelumièreclaireetuneatmosphèrechaudeetbrillante…

Ellecessedelire.Ellesesentcommecettejeunefille.Ellevoitcettepiècepleinedelivres.Elleobserveces tableaux.Ellesentcette lumièreblanchequi l’éclairéet la rendbelle.Et lui,ce lui, iln’apas lestraitsdesonpetitami,maisdequelqu’undenouveau, toutà imaginer.Quelqu’uncapabled’écrirecesmotsquilafontrêver.Pourautantqueçasoitvrai.Pourautantqu’onaitbesoind’unrêve.

23Unpeuplustard,danslavoiture.Alessandromurmurequelquechosetoutbas.Nikis’enaperçoit.—Qu’est-cequetufais,tupries?—Non,jecomptaiscombienj’aidépensé…Alors,entrel’assurancepourlapertedebonus,lePVdelavoiture,l’amendedansletram,ladépanneuse,l’accident…j’auraisput’acheterunscooterneuf.—Oui,maislavaleuraffectivedeMilla,qu’est-cequetuenfais?—Jepeuxéviterderépondreàcettequestion?Nikisetourneversl’extérieur.—Cequetuesvulgaire!Alessandrolancequelquesregardsdanssadirection,maisellerestetournéedel’autrecôté.Ellebatdesdoigtssurletableaudebord,ensuivantlerythmedelamusiquedeDamienRice.Alessandros’enrendcompte et éteint l’autoradio. Niki se tourne brusquement vers lui, puis elle s’approche de la vitre etsouffledessus.Avecsonindex,elleécritquelquechose.Alessandroappuiesurunbouton,letoits’ouvre,l’airquientresèchelavapeureteffacel’inscriptiondeNiki.Ellesoupire.—MonDieu,cequetuesantipathique.—Ettoi,tuesinsupportablequandtufaislapetitefille.—Maisjetel’aidéjàdit…jesuisunepetitefille!Etquandtuescommeça,tuasl’airplusjeunequemoi.Acemoment-là, le sond’une sirène retentit deplus enplus fort.Unevoituredepolicepassedans ladirection opposée, roulant à toute allure. Niki se lève et passe sa tête par le toit ouvrant. Elle hurlecommeunefolle:—Allezdoucement,bandedecrétins!Juste aumoment où ils croisent la voiture de police, Alessandro la tire par son T-shirt pour la fairetombersurlesiège.—Ducalme,restelà.Pourquoitucries?Ilentendunsifflement.Ilregardedanslerétroviseur.Lavoituredepoliceapilénetetestrepartieàtouteblindedansleurdirection.—Voilà,voilà,jelesavais.Tuescontente,maintenant?Metstaceinture,aumoins,faisquelquechosed’utile!— Tu vois, quand même, j’avais raison. S’ils nous suivent… ça veut dire qu’ils n’avaient riend’importantàfaire.—Niki,jet’ensupplie…tais-toi.Maintenant,tutetais!La voiture de police se met à côté d’eux et leur fait signe de s’arrêter. Alessandro acquiesce et serapprochelentementdutrottoir.Lescarabiniersdescendent.Alessandrobaisselavitre.—Bonsoir,monsieurl’agent.—Bonsoir.Permisetcartegrise,s’ilvousplaît.Alessandrosepencheetouvrelaboîteàgants.Ilprendl’enveloppeoùilrangelespapiersdelavoitureet la leur tend. Pendant ce temps, l’autre carabinier fait le tour du véhicule, contrôle la vignetted’assurance.Puisilremarqueleclignotantcasséetl’aileabîmée.—Toutestenrègle,ilmesemble,ditlepremier.Maisilneluirendpaslesdocuments.—Nousavonsvuvotreamiegesticuler,qu’est-cequ’ellecriait?—Riendutout.

—Excusez-moimaisjeveuxqu’ellerépondeelle-même.AlessandrosetourneversNiki.Elleleregarde.—Rien.J’aijustecriéquemoiaussijeveuxentrerdanslapolice.Maisvousneprenezpaslesfemmes,non?—Lestempsontchangé,mademoiselle.Maislà,l’autrecarabiniers’approched’Alessandro,ilsseregardentetilssereconnaissent.Alessandron’enrevientpas:CarrettietSerra,lesdeuxcarabiniersquisontvenuschezluilaveille.—Bonsoir!Encorevous…cettefilleestrusse,elleaussi?—Non,elleestitalienne,d’ailleursellevoudraitentrerdanslapolice.Elleabeaucoupd’estimepourvous.AlfonsoSerranelaregardemêmepas.—Bon, reprenez vos papiers. Et vous, ne vous penchez plus par le toit ouvrant.C’est dangereux, dedistrairelesvoituresquiroulentdansl’autresens.—Biensûr.Etmerci.—Vousavezdelachancequ’ilsnousaientappeléspourunbraquage,sinon…,ajoute-t-ilenregardantfixementAlessandro. Entre l’histoire des Russes de hier soir et aujourd’hui cette jeune fille, on n’enseraitpasrestéslà…Sansluilaisserletempsderépondre,lesdeuxcarabiniersremontentdansleurAlfa156etrepartentsurleschapeauxderoue.Alessandrometlecontactetdémarreensilence.—Jevoudraisteramenercheztoi…etrentrersainetsaufchezmoi.—Oùt’attendentlesRusses…—Quoi?—Oui,j’aibienentenducequ’aditlecarabinier,qu’est-cequetucrois,jenesuispassourde…Detoutefaçon,çanem’étonnepasdetoi.Typiquementlegenreàaimerlesétrangères.Tuleurprometsuntravail,unspotpublicitaire,allez,tuvasdevenirunestar,ettoutlereste…pourlesmettredanstonlit,etdansceluidetescopains.Bravo.Tuessordide…Ramène-moichezmoi,va…—Écoute,c’étaitjusteunefêteentreamis.Maisilsetrouvequemescasse-piedsdevoisinsontappelélapoliceendisantqu’onfaisaittropdebruit,cequin’étaitpasvrai.—Biensûr,biensûr…tul’asdittoi-même:lesgagnantsfontlafête,lesperdantss’expliquent.Ettuesentraindet’expliquer.—Quelrapport,jeparlaisdufoot.—C’estça…—Etpuis,jenetedoisaucuneexplication.—Biensûr,biensûr…—Ecoute,sérieusementjen’airienàcacher,etpuisjen’aiaucuncompteàterendre.—Prendslaprochaineàdroiteetvatoutdroit…Biensûr.Etsilecarabiniern’avaitpasétélà,tumel’auraisracontée,n’est-cepas,tasoiréeaveclesRusses?—Tuexagères.Pourquoij’auraisdûtelaraconter?Etpuis,jetel’aidéjàdit,iln’yarienàraconter.—Auboutdelarueàgauche.Quoiqu’ilensoit,tunemel’auraispasdit.—Maistuesqui?Mafiancée?Non,doncjen’airienàteraconter!Dequoijedoismejustifier?Onestencouple,peut-être?—Absolumentpas.Onestarrivés.Numéro35.Voilà,c’estmonimmeuble.SoudainNikiplongesurluietseprécipitesousletableaudebord.—Merde!

—Eh,maisqu’est-cequisepasse?—Chut,mesparents!—Etalors?—Commentça,etalors?S’ilsmevoientavectoi,jeteracontepas…—Maistuviensdedirequ’onn’étaitpasuncouple?—Çanechangerien.AlessandroregardeNiki,coincéeentresesjambes.—S’ils tevoientcommeça,çavachaufferpourmoiaussi.Valeurraconterque tu tecachais, riendeplus!—Tuesobsédé,hein?C’estsûr,tueshabituéàtesRusses…—Encore!Désolé,maisjenerentreraipasdanstonpetitjeudejalousie.—Jenesuispasjalouse.Dis-moicequesontentraindefairemesparents.—Maisrien…Alors,tamère–jet’aidéjàditquec’étaitunebellefemme,n’est-cepas?–estdevantunevoiture,elleregardeautourd’elle,commesiellecherchaitquelquechose.—C’estmoiqu’ellecherche!—C’estpossible.Entoutcas,c’estvraimentunefemmeélégante…aïe!Maisqu’est-cequetufais,tumemords?Alessandrosemasselequadriceps.—Jet’aiditdenejamaismeparlerd’elle…Etestime-toiheureuxquejenet’aiesmorduquelajambe!Ellelemordànouveau.—Aie!Alessandrosemasseaumêmeendroit.—Dis-moicequemamèreestentraindefaire.—Elleasortisonportable,elleestentraindecomposerunnuméro.Unesecondeplustard,letéléphonedeNikisonne.—Allô?—Allô,Niki.Jepeuxsavoiroùtues?—Rien,maman,jesuisentrainderentrer.—Tuasunedrôledevoix.—Quellevoix,maman?C’estmavoix.—Jenesaispas…commesituétaispliéeendeux…—Oui…J’aiunpeumalauventre.NikisouritàAlessandro.—Entoutcas,maman,riennet’échappe,hein?—Non,sauftoi!Écoute,nousonsort,onvaaucinémaaveclesMaggiori.Tonfrèreestseulàlamaison.Jeveuxqu’auplustarddansunquartd’heuretusoisrentrée.Tum’appellesdufixeettumepassestonfrère.—J’yserai.—Jeveuxquetum’appellesavantquelefilmnecommence.—Maman,fais-moiconfiance…c’estcommesij’étaisdéjàarrivée.Lamèreraccroche.Nikientendunevoituredémarrer,alorselleserelèvetoutdoucementetellecontrôlelarue.Elleaperçoitlavoituredesesparentsquis’éloigne.—Ouf,ilssontpartis.—Bah,ças’estbienpassé.

—Situledis…Ilssetaisentpendantquelquesinstants.Nikisourit.—C’esttoujoursdesmomentsbizarres,non?Alessandrolaregarde.Ilpensequeçafaitlongtempsqu’iln’estpassortiavecuneautrefillequ’Elena.Trèslongtemps.Etlà,avecquiilsort?Avecunemineure.Bon,cen’estpassimal.Quitteàchangerdevie,autantlefairedefaçonradicale.Maislaréalitéestdifférente.Ilnevoulaitpaschangerdevie,lui.IlétaitbienavecElena.Trèsbien.Etsurtout,iln’ajamaischoisidesortiraveccetteNiki.—Aquoitupenses?—Moi?—Quid’autre?—Arien.—C’estimpossible,denepenseràrien.—Non,vraiment,jenepensaisàrien.—Ahnon?Essayedenepenseràrienpourdebon…flssetaisent.—Tuvois?C’estabsolumentimpossible.Maisbon,çateregarde,situneveuxpasmeledire…—Écoute,situnemecroispas,jenepeuxrienyfaire…Nikileregardeunedernièrefoisetluisourit.—Bon,moij’yvais…—Jedescends,jet’accompagneàlaporte.Ilssortentdelavoitureetmarchentensilencejusqu’àl’immeubledeNiki.Alessandrosemetdevantelle,lesmainsdanslespoches.—Bon,ehbienvoilà.Journéeintense,hein?—Ça…—Ons’appelle.— Oui, bien sûr, il faut qu’on s’occupe de notre accident. Niki lève le menton en direction de laMercedes.—Jesuisdésoléedet’avoirfaitunebossedevant,aussi…—Net’inquiètepas.Jem’ysuisdéjàhabitué.—Onpeuttoujoursfairecommesitouts’étaitpasséenmêmetemps.J’aisûrementmoinsdedégâtsquetoi.—Aucuneassurancenecroiraqu’unscooteramismavoituredanscetétat !Amoinsque tune l’aiesbalancédirectementdetonbalcon!Nikirit.—Etpourquoipas?Ilslefontbien,austade.—OK,OK,jen’airiendit.—Mais bon, du calme, ne me fais pas sentir coupable plus que de raison, je vais y réfléchir et jetrouveraiunesolution.Elle sepencheet l’embrasse sur la joue,puis elle s’enfuit encourant.Alessandro sourit en retournantvers savoiture. Ilen fait le tourpourévaluer lesdégâts.Aprèsça, il souritunpeumoins. Ilmonteetallumelecontact,quanduntextoluiarrive.Ilseremetàsourire.ÇadoitêtreNiki.Maisd’uncoup,ilpense auPetit Prince.Et ça l’inquiète unpeu.Mince.Est-ce que je serais en train de faire comme lerenard?Jemelaisseraisdresser?C’étaitcomment,cebeaupassage,déjà?«Tut’assoirasd’abordunpeu loin demoi. Je te regarderai du coin de l’œil et tu ne diras rien […]. Le langage est source demalentendus.Mais chaque jour, tu pourras t’asseoir un peu plus près […]Si tu viens, par exemple, à

quatre heures de l’après-midi, dès trois heures je commencerai d’être heureux. Plus l’heure avancera,plusjemesentiraiheureux.Aquatreheures,déjà,jem’agiteraietm’inquiéterai;jedécouvriraileprixdubonheur!Maissituviensn’importequand,jenesauraijamaisàquelleheurem’habillerlecœur…Ilfaut des rites. »C’est vrai. Il faut des rites. Etmoi, je suis déjà en train d’attendre un texto d’elle ?Alessandroouvrelemessage.Non.C’estEnrico.Lerenardselèveets’enva,sortantdelascènedesespensées.«OnestchezSiciliainbocca,ViaFlaminia.Ilyatoutlemonde,onmangedupoisson.Qu’est-cequevousfaites?Vousnousrejoignez?»« J’arrive », répond rapidement Alessandro à l’aide de l’écriture intuitive. « Mais je suis seul. »Message envoyé. Il démarre. Peu après, son portable sonne. Numéro caché. Je ne supporte pas lesnuméroscachés.Quiçapeutbienêtre?Tropdepossibilités.J’auraiplusvitefaitderépondre.—Allô.—C’estmoi.—Moiqui?—MoiNiki.Tum’asdéjàoubliée?Non,penseAlessandro.Commentjepourrais?Detoutefaçon,notrerencontrealaissédestraces.Maisilneleluiditpas.Ilseditqu’ilbattraitànouveauMmeBernardi,etpeut-êtreaussilamèredeNiki.Lerenardentreenscèneetsecouche,tranquillement.Ilécoute.—Jet’aiappeléenfaisant*67#parcequejesuisàlamaison.Jen’aiplusdecrédit.Ellenevaquandmêmepasmedemanderdeluirechargersacarte,penseAlessandro.—Jevoulaisjustetedirequej’aipasséuntrèsbonaprès-midiavectoi.Jemesuisbienamusée.Alessandrosesentunpeucoupabled’avoireucettepensée.Mêmelerenardleregarded’unairmauvais.—Moiaussi,Niki.Lerenardsetranquillise.—Tusaiscequim’aleplusplu?—Lecocktaildefruits?—Non,crétin.Quetumefaismesentirfemme.Alessandrosourit.—Tuesunefemme.—Oui,merci,jesais.Maisparfoisonnetefaitpassentircomplètementfemme.Etpuis,tuveuxsavoirleplusbeau?C’estlapremièrefoisquequelqu’un…oui,bon…Ilyaquelquechosedetrèsbeauqu’aucunhommen’avaitjamaisfaitavecmoi…Alessandroestperplexe.—Bon,j’ensuistrèsheureux.Ilcontinueàréfléchir,maissansrésultat.—Alors,tuascompris?—J’aibienuneidée,maisjepréfèrequetuledises,toi.—OK…C’estquequandtum’asraccompagnéeenbasdechezmoi,tun’aspasessayédem’embrasser.Sérieusement.Çam’aplu.C’estlapremièrefoisqu’unhommearrivejusqu’àmaporteetnetentepassachance.Bravo!Tuesunique!Ciao.Ons’appellebientôt,bonnesoirée.Commed’habitude,elleraccrochesansluilaisserletempsderépondre.Alessandroenrestesansvoix.Bravo.Tuesunique.Ellevoulaitdire,tuesleseulcouillon!Et,sansbiensavoircommentinterprétercecoupdefil,ilaccélèreverslaViaFlaminia.

24Maurodonnede tempsen tempsuncoupdepiedà larouearrièredesonKymcodéfoncé,posésursabéquille,enlafaisanttourner.Ilfumeunecigarette.Unpeuplusloin,cinqousixWinstonbleuesontdéjàsubilemêmesort.Ilregardeànouveaularoute.Etlavoit.Mauroéteintsacigaretteetcourtàsarencontre.—Maisoù tuétais?Oùtuesallée,merde?Hein,où tuétais?Paolaavance tranquillement.Elleestheureuse.Elleaunsouriremagnifique.—Ilsm’ontprise,ilsm’ontprise!—Maispourquoitunem’aspasappelé?—Jen’avaisplusdecrédit,mêmepaspouruntexto,etmamèreétaitenlignesurlefixe.Ilsm’avaientappeléepourunrecall…—Unquoi?—Unrecall!Quandilst’appellentpourrefairelecasting…J’ysuisalléeenbus…Jenepouvaispast’attendre,etpuisj’aiprislemétro,detoutefaçoncen’étaitpasloin,c’étaitencoreàCinecittà.Ellel’enlace,l’embrasse,douce,sensuellecommeellesaitl’être.Quandelleveut.—Maisqu’est-cequit’inquiète?Tun’espasheureux?Ilsm’ontprise!Maurofaitencoreunpeulatête.Ilselibèredesonétreinte.—Merde,jetel’aidéjàditcentfois…jen’aimepasquetuyaillesseule.Paolalèvelesyeuxauciel.—Bon,c’estpasquej’aimepasquetufassesdescastings,aucontraire,maisj’aimebient’accompagner.—Pardon,maisaucuneautrefillenesefaitaccompagnerparsoncopain.—Eh,merci,c’estparcequ’ilsenontrienàfaire,eux.Moijetiensàtoi.Etpuis,autrechose,jetel’aidéjàditcentfois,quandtuvoisquetun’aspresqueplusdecrédit,dis-le-moi,non?Tulesais,quemamère bosse au tabac du coin… Je l’appelle et je fais recharger ta carte. Ou bien je te la rechargedirectementmoi-même,ailleurs.Puis il se tait.Oui,maisavecquel argent je la recharge,pense-t-il.Maiscen’est certainementpas lemomentdeluidire.Paolaouvresongrandsacauxhanseslarges.—Regarde,aprèslecastingjesuisalléeàCinecittà2etjet’aiachetéça…Ellesortunpetitoursenpelucheaveclemaillotdel’ASRoma.—Magique!Tropcool,merci,monamour…—Tuasvu?C’estlepetitoursTotti,commetoncapitaine,unpetitgladiateur…poilu.—Oh,ilesttropmignon.—Sens-le,sens-le.Paolal’appuiecontrelevisagedeMauro.Ill’éloigné,ensegrattantlenez.—Oh,commeçatumefaiséternuer,allez!—Maistunesenspas?Mauroleremetsoussonnez,cettefoisplusdoucement.Paolasourit.—J’yaimisunpeudemonBatik,commeçaquandtutemetsaulitavectupensesàmoi.Maispourquoituris?J’enaimistrop?Maurosouritetleglissedanslapocheintérieuredesonblouson.—Non…Non,c’estquej’aitellementenviedetoiquecepetitoursnevapasmesuffire,mabelle…tu

esmieuxqu’Ilary,lafemmedeTotti.Maurol’embrasseaveclalangue,laserrecontrelui,enluifaisantsentirqu’ilestexcité.—Sérieusement,j’aienvie.Onvadanslegarage,danslavoituredetonpère?Paolatouchelebasdesonventre.—Jenepeuxpas.Ellessontarrivéesaujourd’hui,justependantquej’étaisentraindefairelecasting.Heureusementqu’ilsenavaient,là-bas.—Quienavait?—Lapublicitéquejefaisestjustementpourça…Ellesortdesonsacunpaquetdevingt-quatreservietteshygiéniques.—Çadoitêtre l’émotion,maisellessontarrivéesenavance. J’aide lachance, ilsm’enontoffertunpaquet!—Monamour,maistuplaisantes?Mauros’écarted’elle.—Maissérieusement,tuvasfairelapublicitépourcestrucs?Commesitudisaisàtoutlemondequetuastesrègles?Paolas’énerve.—Ecoute,maisqu’est-cequetuas,cesoir?Tucherchesladispute?C’estunechosenaturelle!Cen’estpas vulgaire, qu’est-ce qu’il y a demal ? Chaque femme, chaquemois, en a besoin. D’habitude, leshommessefâchentquandiln’yenapasbesoin,plutôt…—J’aicompris,maisjetrouveçavulgaire.Paolas’approchedeluietl’embrassedanslecou.—Tuestropnerveux.Allez,tum’accompagneraspourletournage,tuverrasqu’iln’yarienquipuissetegêner,hein?Écoute,çateditd’allermangerunepizza?C’estmoiquit’invite.—Non,ditMauroensedirigeantverssonscooter.Onyva,maisc’estmoiquit’invite.—Commetuveux,jevoulaisseulementfêterça!—Tum’asdéjàoffertlepetitours,non?—D’accord…OnvaauParadiso?C’estpasloin,etpuisilyatoujourstoutuntasd’acteurs.—D’accord,onyva.Mauroluipasselecasque,puismetlesien.Paolas’assiedderrière,songrandsaccoincéentreelleetledosdeMauro.—Oh,Раоla,tuterendscomptequ’unjourtuserascélèbre,etquepeut-êtrelesgensirontauParadisopourtevoirmanger?Illuisouritenlaregardantdanslerétroviseur.—Allez,tefichepasdemoi.—Maispourquoi?Jesuissérieux.C’estvrai,toutpeutarriver…Justeàcemoment-làarriveunegrossemoto,quis’arrêteàleurhauteur.Letypelèvelavisièredesoncasque.—Salut,Mauro…Dites,vousfaitesquoi?Maurosourit.—Onvamangerunepizza.—Jesuisvenutechercherenbasdecheztoi,maistuétaisdéjàparti.J’avaisbesoind’uncoupdemain.—Merci,maisjetel’aidit,jenepeuxpas.—Dis-moiquandtutedécides.Jet’offrecettemoto,quandtuveux.Commeça,quandtuvasboufferunepizza,tuvasplusvite.Etsurtout,c’estpluspratiquepourtacopine.Allez,Mau’,lesfemmesaimentleconfort,tusais…Oubliejamaisça!Letypebaissesavisière.Ilpasselapremièreets’éloignerapidement.Seconde,troisième,quatrième.Il

adéjàdisparu.Mauroaccélèrelentement.Paolas’appuiecontresonépaule.—C’étaitqui,cebourrin,Mau’?—Maisrien.—Commentça,rien?Allez,dis-moi.—Jet’aidit…rien.J’étaisàl’écoleaveclui,çafaisaitdesannéesquejel’avaispasvu.Onl’appelaitlaChouette,ilétaitsympa.—Peut-être.Maismoiilm’atoutl’aird’unbourrin,etdangereux,enplus.Etpuis,cetteconneriesurlesfemmesquiaimentleconfort?Lesfemmesaimentl’amour,dis-luiquandtulereverras,àlaChouette.Maurosouritetluitouchelesjambes.Paolaluicaresselamain.—Non,d’ailleurs,neluidispas.Ilnecomprendraitpas.Mauroaccélèrevers leParadiso,ungrand restaurantpas loindeCinecittà.Maissonscooter, levieuxKymco, ne va pas bien vite. Il avance tranquillement dans la nuit. Sa roue arrière est légèrementdégonflée.Etiltransportedeuxpassagerspleinsd’illusionsetd’espoirs.

25Les voitures de ses amis sont toutes garées devant Sicilia in bocca. Avant d’entrer, il l’aperçoit, là,devant, et il ne résiste pas. Il sourit rien qu’à l’idée. Il y réfléchit. Finalement, il choisit lameilleuresolution.Detoutefaçon,maintenant,aprèscettejournée…Justeaprèsl’avoirfait,ilprendsonportableetécritun texto.Envoi.Etpuis, siçanevientpasàundirecteurcréatif,àquialors? Ilentredans lerestaurant.Ilestenveloppéparlesodeursdemetssiciliens,lesarômesetlesépices.—Non!Levoilà!Incroyable!Ses amis sont tous à une table dans le fond. Enrico et Cannila. Pietro et Susanna. Flavio et Cristina.Alessandroleurfaitunsignedeloinetlesrejoint.—Onnepensaitpasquetuviendrais!Cristinaleregarde.—EtElena?—Elleavaituneréunion.Elledevaittravaillertard.Ellevousembrasse.Sansendireplus, il s’assiedàuneplace libre,enboutde table.Cristina regardeFlavioet lui faitunsignecommepourdire:tuvois,c’estmoiquiavaisraison.Alessandroouvrelemenu.—Toutal’airbon,ici.Touteslesmeilleuresrecettessiciliennes…Enricoluisourit.—TuterappellesquandonvoulaitfairecevoyageàPalerme?Camillalèvelesyeuxauciel.—Çayest,ilsvontrecommenceravecleurssouvenirs,commedesvieux.Enriconel’écoutepas.—Allez,quandondevaitpartir,tuavaistondernierexamenàlafac,etpuistonmémoire.OnestpartisaveclaCitroëndetonpère,Pietroétaitlàaussi.—Biensûr,ditPietro,c’estlafoisoùonagrillélemoteur…—Oui,etvousn’avezpasvoulupartagerlesfrais!—Biensûr,pardonAlex,maistuseraisquandmêmepartisansnous,non?Tuauraisquandmêmeprislavoitureetçateseraitquandmêmearrivé,doncnousonn’avaitrienàvoirlà-dedans!—J’auraismieuxfaitd’yallertoutseul,alors!—Çanon.Parceque,grâceànous,tuavaisrencontrécespetitesAllemandes…—Biensûr,intervientSusanna,àchaquehistoireilssortentdesétrangères.—Tunesavaispas?Cesontjustementellesquinousontdécernéleprixdulatinloveràl’étranger.—Oui,maisc’estbizarrequeçanefonctionnequ’horsd’Italie.Cristinaprendungressin.—Onvoitbienquelesétrangèresontlevoyagedanslesang.SusannaetCamillarient.Enricocontinue.—Entoutcas,ellesétaientmagnifiques.Grandes,blondes, trèsbelles,sportives,onauraitditunspotpourlabièrePeroni.—Oui,celuidontjemesuisoccupépourdebon,cinqansplustard…—Enattendant,onavaitdéjàfaitlecasting!EnricoetFlavioéclatentderire.Alessandroaussi.PuisilserappellelesRussesetreprendsonsérieux.Pietros’enaperçoitetchangeimmédiatementdesujet.—Dommage,Flavio,quetunesoispasvenu,tuteseraisbienamusé.Vousvousrappelez,lesoiroùons’estbaignésnusàSyracuse?—Oui,toujoursaveccesétrangères…—Oui,ettoitunousasmêmepiquénosvêtements!Tupensaisnousjoueruntour,maisenfaitlenunousaaidés!—C’est bon, ça, ça pourrait être un spot.Mais pourquoi tu n’étais pas venu, Flavio ?Tu faisais ton

service?—Non,c’étaitl’annéed’après.— Vous étiez déjà ensemble, toi et Cristina ? Parce que l’hiver d’après, quand on est partis à lamontagne…Pietrofaitsemblantdeserappelerquelquechose…—Non,non,rien…Cristinasourit,parfaitementconscientedeleurpetitjeu.—Oui,oui,làaussi,ilyavaitdesétrangères,desSuédoises…etpuis,mêmesic’étaitvrai…iln’auraitrienfaitdutout!Ilatoujoursététristementfidèle.—Non,non,attends…pire!Là-bas,pendantunesoiréeàl’hôtel,unestrip-teaseuseestvenuepourunshowporno.Sérieusement,lesgars,vousvousrappelez?—Unpeu,oui…Commentelles’asseyaitsursesgenoux!—Oui,ellesebaladaitdanslepublic,ellechoisissaituntypeauhasard,toutenue,etpuisellesemettaitunpeudechantillysurelleetellesefaisaitléchertoutentière.—Oui,c’étaitterrible.Danslepublic,ilyavaitmêmedesenfants.Jepensequ’ilsnes’ensontjamaisremis.IlyenamêmeunquiestdevenulecollèguedePacciani,leserialkiller,lefameux«MonstredeFlorence».—Pietro,maisqu’est-cequec’estquecetteblague?C’esthorrible.—Mais,monamour,cesontcesparents,quisonthorribles.Laisserleursenfantsassisteràuntrucdecegenre.Toi,tuemmèneraislesnôtresvoirunshowsanssavoirdequoiils’agit?—Moinon.Leproblème,c’estquec’estplutôttoiquilesemmèneraisvoirunspectacledecegenre.—Oui,maisquelrapport,moijeferaisçadansunbutéducatif.—Oui,biensûr…Leserveurarrive.—Bonsoir,vousvoulezcommander?—Oui,merci.Susannarouvrelemenumaiselleestindécise.—Vousvous rappelez la fois oùon était auBucchetto, et le serveur nous avait fait changer de table,tellementonavaitchangéd’avispourlescommandes?—Encore?soupireCamilla.Turecommencesaveclessouvenirs?Çaveutdirequoi,ça,quelavieestseulementaupassé?Lavie,c’estmaintenant.—Oui,danslevieilhôteldelaterre,chacundanssachambre.—Joliephrase.Ondiraitunslogan.—Je répète,continueCamilla.Ne regardezpasenarrière, sinonvousnevoyezpas leprésent. Il fauttoujoursfaireattentionauprésent.Leserveur,quiaassistéàtoutelascène,demandegentiment:—Vousvoulezquejerevienneplustard?Cristinaprendlasituationenmain.—Non, non, excusez-nous, on va commander tout de suite. Alors, moi, j’ai envie de légumes : unecaponata…Leportabled’Alessandrosemetàsonner.Ilregardel’écranetsourit.Ilselèvedetable.— Excusez-moi… écoutez, moi je vais prendre un carpaccio d’espadon, et puis des paupiettes à lamessinoise…Ils’éloigne,sortdurestaurant.Toutlemondeleregarde.—Allô…

—Jen’ycroispas!Tuasétéparfaitjusqu’ici,maislàtut’esplantéenbeauté.—Mais,Niki,jet’aijusterenduunservice…—Oui,maisilyaunpetitdétail:jenet’avaisriendemandé.Touslesgarçonsfontça,ilspensentqu’ilspeuventmeconquériravecl’argent.Maisilssetrompent.—Mais,Niki,vraiment…—Etpuis,cettephrase…Salut,jet’airechargée.Tum’asrechargée.Etmaintenantc’estmoiquivaisterecharger.C’estd’ungoût.—C’étaitpourêtregentil,tusais.—Maisc’étaitvulgaire.Etpuis,tunem’aspasrechargée…Tuasrechargémonportable!Cen’estpaslamêmechose.Peut-êtrequelesRussesapprécientcestrucs-là,maispasmoi.—Écoute,c’étaitungeste…–…excessif.Centeuros.Qu’est-cequetuvoulaisprouver?—J’avaisunedetteenverstoi,etdonc…—Etdonconnepeutplussortirensemble.—Làc’esttoiquieslourde.Nikisetait.—Eh,qu’est-cequisepasse?—Jeréfléchis.Detoutefaçon,avectoutcequetum’asrechargé,jepeuxprendremontemps…—Allez,neleprendspasmal,jevoulaisjusteêtregentil.Onvafairecommeça:tumedoiscinquantecocktailsdefruits.—Non,quarante-septetdemi.—Pourquoi?—Parcequecesbâtardsdelacompagnietéléphoniqueseprennentcinqeurossurlarecharge.—OK,alorsjeleurdemanderaideuxcocktailsetdemi.Allez,blagueàpart…Çava?Onfaitlapaix?—Mmm.Ilfautquej’yréfléchisse.—Allez,situcontinuescommeçatuvasfinirparêtrepluslourdequeMmeBernardi.—Non,çanon.Bon,OK,tum’asfaitrire.Onfaitlapaix.Alessandron’apasletempsd’ajouterunmot,Nikiadéjàraccroché.Acemoment-là,Pietro,FlavioetEnricosortentdurestaurant.—Avec cette histoire denepluspouvoir fumer à l’intérieur, on a unebonne excusepour sortir !Eh,c’étaitElena?Vousavezfaitlapaix?—Non,c’étaituneamie.Pietrotiresursacigaretteetleregardeaveccuriosité.—Uneamie?Etdepuisquanduneamiea-t-elleaccèsàtonportable?—Uneamie,façondedire,onaeuunaccident.—Âge?—Dix-sept.—Problèmesenvue.—Oui,pourtoiquiesungrandmalade.Pourmoi,c’estjusteunaccident.Aumieux,onresteraamis.— Excès de confiance en toi. Gros problèmes en vue. Pietro prend une autre bouffée, puis jette sacigarette.— Les gars, moi je rentre. Déjà, elles nous accusent de ne parler que du passé, je ne voudrais pasqu’elles aient des soupçons sur le présent aussi. Et puis, de toute façon…, ajoute-t-il en fixantAlessandro,onnesortpasd’unrestaurantjustepourparlerd’unaccident.Flaviolesuit.

—Jeviensaussi.Enricotiretranquillementsursacigarette.—Elleestmignonne?—Très.—Aujourd’huijet’aiappelé,aubureau.Tun’étaisjamaislà.—Jemesuisbaladéavecelle.—Bien,jesuiscontentquetusoissortiavecunefille.—Tusais,avecElena,c’estunmomentunpeuparticulier…—Alessandro…—Oui?—Toutlemondelesait,qu’ellet’aquitté.—Cen’estpasqu’ellem’aquitté…—Alex,çafaitunmoisqu’onnel’apasvue,etpuischeztoiiln’yaplusaucunobjetàelle.—C’estPietroquitel’adit?Jen’auraispasdûl’inviter,l’autresoir.—Alex,onesttesamis,onatoujoursétélàpourtoi,ont’aime.Situnenousledispas,ànous…àquituvasledire?—Tuasraison.Pourquoitum’asappeléaubureau?—Untrucdélicat,jen’aipasenvied’enparlermaintenant.—OK,maisdemaintumedis?—Biensûr.Viens,onrentre.AlessandroetEnricorejoignentlatable.—Ah,voustombezbien,leshors-d’œuvreviennentd’arriver.Alessandros’assied.—Bon,avantdemanger,jevoudraisvousdirequelquechose.Toutlemondesetourneverslui.—C’estquoi,laprièreavantledernierrepas?SusannadonneuncoupdecoudeàPietro.—Chut!Alessandroregardesesamis.Ilfaitunpetitsourirepourcachersagêne.—Non…Elenaetmoi,ons’estséparés.

26ChezNiki.Roberto,sonpère,estcouché.Illit.Simonaprendsonélanetsejetteprèsdeluienriant.Elleglissesurlecôtéettombelebrassurlui.Ilseplieendeux,frappéauventre.—Aïe,tum’asfaitmal,ettum’asfaitpeur!—Tunem’aspasreconnue?—Tuesmafemme,non?Simonaluidonneunautrecoupdansleventre,cettefois-cidélibérément.—Aïe,maistum’enveux,cesoir?—Comment ça,moi je te fais une interprétationparfaite, digned’unOscar, et toi rien. Je ne t’ai pasrappeléJuliaRobertsdansPrettyWoman,quandellecourt,heureuse,etsejettesurlelit?—J’yaipensé,l’espaced’uninstant,maisjenepensaispasquemafemmesoitcapabledeça.—C’est-à-dire?—Êtreheureused’avoirimitéuneprostituée.—Réducteur.Simonasoupire.—Parfois,tuesterrible,tusais.Tumetsvraimentunmariageàl’épreuve.—«Un»mariage?Maislequel?—Lenôtre.—Alorssoistranquille,ilestdéjàfini.— Et toutes ces choses que tu m’as dites l’autre soir ? En fait, maintenant que j’y pense, ça ne teressemblaitpas.—C’étaitjustepourcoucheravectoi.Simonaluisautedessusetlefrappegentiment,enplaisantantetenriant.—Crétin,méchant.Detoutefaçon,tut’esfatiguépourrien.Simonaseredresseetsemetàcôtédelui.Ellehausseunsourciletsourit.—J’auraiscouchéavectoidetoutefaçon.Tun’avaispasbesoindemeforcer.—Voilà,alorsc’estvrai,lemariageestletombeaudel’amour.Tuvoisnotrerapportcommeuncontrat.Maistusaisqu’ilyadesgensquifixentunjourdelasemaine,pourleurrapporthebdomadaire?—Vraiment?Incroyable.Quelletristesse…—Aumoins,nousonfonctionneenrandom.—Oui,quelletémérité!—Alors,onpeutsavoiràquoiestdûtoutcebonheur?—C’estNiki.Robertofermesonlivreetlereposesurlatabledenuit.—Jecroisquel’enviedelirelesoirm’adéfinitivementpassé…Attendsuninstant…Ilsemetàpousserdelongssoupirs.—J’ailuunarticleoùilsdisaientqu’ilyaunesolutionàtout.Jesuisentraindefairedel’entraînementautogène. Je passe en revue tout ce que tu pourraisme dire et je préparemon âme etmon esprit autremblementdeterreémotifquepourraitcauserunenouvelleconcernantNiki.—Çamesembleuneexcellenteidée.Robertocontinueàs’oxygéner,enprenantdelonguesinspirations.—Eneffet,maistôtoutardmoncœurlâchera.OK,jesuisprêt.Ilfermelesyeux.

—Tuesprêt?—Oui,jetel’aidit.Vas-y.—Bien.Simonalissesachemisedenuit.—Alors,l’autrejour,Nikietmoi,onestsorties…—Jusqu’ici,toutvabien.–…etonafaitdushopping.Robertoouvreunseulœiletlaregardedetravers.—Voilà,jelesavais,jelesavais,jenem’étaispaspréparéàça!Ilfrappedupoingcontrelelit.—Quemonentraînementautogèneaillesefairefoutreetbénir.Jelesais.Demain,ilvam’appeler.—Maisqui?—Monbanquier.Vousm’avezmissurlapaille,c’estça?—Maiscequetupeuxêtrecrétin.—Enplusdemon livre sur l’entraînement autogène, j’enai aussi luun sur le shoppingcompulsif. Jecroisqueçafaitplusdedégâtsqueledivorce.—Ons’estachetédetoutetderien.—Plusdetoutouplusderien?—Nesoispasradin.Notreshoppingétaitplutôtl’occasiond’échanger,departager,d’intensifiernotrerapportmère-fille,quelquechosequ’onnepeutninedoitquantifier.Nikiavaitenviedes’ouvrir.C’estimportant,non?—Eneffet.Vosépisodesressemblentàceuxd’Amour,gloireetbeauté,alorstoutestclair.J’aicompris.—Quoi?—Jevaisbientôtêtregrand-père.Et lui, lepèredemonpetit-fils,est leneveudu frèredugendreduvoisin du directeur de ma banque, un agent secret au passé trouble qui s’est racheté en faisant dubénévolatenOuganda.Ilsvontlefaireadopter?—Qui?—Monpetit-fils.—Non.—Alorsilsvonts’enfuirenAmérique,àmesfrais,pourperpétrerlatraditiondésormaisanciennedelafuite?—Non.—Pire. J’aicompris.Nemedis rien.Monbanquiern’apasàs’inquiéter. Ildevradémissionnerpouravoiracceptéunclientcommemoi,capabled’undécouvertaussiprofondquelepuitsdeSaint-Patrice.Ilsvontsemarier,n’est-cepas?—Non.Maispourquoitutefaistouscesfilmsdramatiques?—Parcequelesépisodesdelaviedemafilleonttoujoursquelquechoseduthriller.—Maisilsparlentd’amour…—Oui,maispasdeMariù,commedanslachansondePavarotti,«Parle-moid’amour,Mariù».—Ahah,elleétaitbonne,celle-là.Tuesdebonnehumeur,hein?!Bah,c’estnormal.Tafillealatêtesurlesépaules.Elleesttranquille,sereine…mêmetrop,parfois.—Bon,aprèscettedernièreaffirmation,jepeuxtoutaussibienreprendremalecture.Onn’ycomprendrien,avectoi.Tueslamamanlaplusabsurdedumonde.L’exactcontrairedetouteslesautres.Maistuterendscompte,maintenanttuesdéçueparcequeNikiestposéeettranquille?Ilouvreunlivreetsecouela

tête.—Monamour?—Oui?—Tunecroispasquec’estjustementpourçaquetum’asépousée?— Si je dois être sincère, parfois je me demande vraiment quelle raison m’a poussé à faire ce pasdéfinitifilyavingtans.—Turegrettes?—Non,mais…Illaregarded’unairsuspicieux.—Tum’asfaitboireunepotionmagiquepourquejetefassemademande?Sinon,çanes’expliquepas.—Jetedéteste.Tuesvexant.Demain,jesorsavecNikipourdebon,etpaspourparler.Pourfairedushopping,duvrai shopping.Onva tellement fairechauffer tacartedecréditque tu t’enfuirasavec tonbanquier.—Pasmal,commedansLeSecretdeBrokebackMountain.—MaisvousnevousréfugierezpasdansleWyoming.Aumieux,vousirezdanslesAbruzzes,endettésjusqu’aucou.— Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un chantage pécuniaire. Ça va, ça va, je vais parler. J’ai comprispourquoijet’aiépousée.Robertose tourne, la regarde intensément,attendsun instantensilencepourcréerdususpensepuis luisourit.—Alors?Jesuisnerveuse.—Simple.Verbeconjuguéàtroistemps.—C’est-à-dire?Jenecomprendspas.—Jet’aimais.Jet’aime.Jet’aimerai.Simonaluisourit.—Sauvéinextremis.J’avaismêmedéjàtrouvétapunition.OffrirunecartedecréditàNiki.—Monamour,netombepassibas.Robertol’enlaceetl’embrasse.—Alors?Tunem’aspasrépondu.TuessortieavecNiki,tuasvidémoncompte,etensuite?Qu’est-cequ’ellet’araconté?—Ellem’aparléd’ungarçon.—MonDieu,qu’est-cequis’estpassé?—Ilssesontquittés.—Aïe…Jen’aimêmepasletempsdesavoirquemafilleestavecquelqu’unquec’estdéjàterminé…etcommentelleva?C’estlui?Danscescas-là,çafaitbaisserl’estimedesoi.—Non,c’estelle.—Tantmieux.С’est-à-dire,jesuisdésolé,maisjesuiscontentqueçasoitellequiaitdécidé…Maistuneme racontes pas tout. Qu’est-ce qu’il s’est passé d’autre ? Je doism’inquiéter, d’autres nouvellesrenversantesm’attendent?—Ellenes’estpasbeaucoupouverte.Maisjecroisqu’ilaétésonpremierpetitami.Etquec’estavecluiqu’elleavécusapremièrefois…—Tuenessûre?—J’aiessayédeluienfairedireplusmaiselleétaittropgênée…Jen’aipaseuenvied’insister.—Pardon,maissi«toutça»avraimenteulieu, jenecomprendspas…Aprèsquelquechosed’aussiimportant…ilsseséparent?

—Jecroisque«toutça»s’estpassél’andernier.—L’andernier?MaisNikiavait…Robertofaitrapidementlecalcul.Simonaluivientenaide.—Seizeans.—Seizeans.MonDieu,seizeans.—Aseizeans,certainesfillesjouentàlapoupée,mêmesicenesontpluslesBarbiedemonépoque.Aujourd’hui,ellesontdesBratz.D’autreslisentdesWinx.D’autressontdéjàenAmérique.Certainesontdes blogs sur Internet, téléchargent des fichiers sur leur iPod.D’autres encore tuent leurs parents.Outombentamoureuses,etfontl’amour.TuasdelachancequeNikientredanscettedernièrecatégorie.— Bien, alors je suis très heureux d’avoir cette chance. Roberto reprend sa lecture, et revient à ladernièrephrasequ’ilalue.«Sijepeuxdire"jet’aime"àquelqu’und’autre,jedoisêtreenmesurededire"j’aimetoutlemondeentoi,j’aimelemondeàtraverstoi,jem’aimemoiaussi".»Lemessageluisemblelimpide.Simona prend elle aussi son livre posé sur la table de nuit. D’un autre genre. D’amour et d’ombre,d’IsabelAllende.Maisilestclairquetousdeuxpensentàautrechose.Ilrègneundrôledesilencedanslachambre,undecessilencessichargésqu’ilestagréabledelesinterrompre.Robertoposelelivresursonventre,ouvertmaisretourné.—Ecoute,monamour,jepeuxtedemanderunservice?Simonametundoigtdanssonlivrepournepasperdrelapage.—Biensûr,dis-moi.—Nikipourraitn’avoirencorejamaisétéavecpersonne,n’est-cepas?—Laprobabilitéesttrèsfaible.—Bien.Quandtuaurasunecertitudeàcesujet,tumelediras…—Biensûr.—Alors jecroisque laNiki’sLoveStoryaurabeaucoupd’épisodes.Et j’espèrequ’ilsneserontpastristesmaispleinsdemomentsheureux,d’éclatsderire,dejoie,d’enfantsetdesuccès.Simonaesttoutémue.—Oui,jelesouhaitemoiaussi.Etj’espèresurtoutquenousseronsprêts.Robertoluisourit.— Oui, nous serons prêts. Nous le sommes déjà. Et toi tu es une mère magnifique. Je te demandeseulementdemeracontercequisepassera,quoiquecesoit,sansfairetropdedétours.Là,ondiraitunvraithriller.—D’accord!Jeteleraconteraigenrespotpublicitaire!EtSimonane saitpasàquelpoint ellea raison. Ils rient et se replongentdans leurs livres respectifs,complicesetproches.PuisRobertoallongeunpiedetleposesurlesien.Ilveutlasentir.Ilveutsentirsachaleur.Etsurtout,ilneveutpaslaperdre,aunomdeceverbeconjuguéàtroistemps.

27Bonjour,lemonde.J’entendslaradio.UnechansondeMina.JevoudraisladédieràFabio,quandjelecroiseraidans le couloir.Oui, c’est tout à fait adapté.Come te lodevodire chenonmipiaci, hai lespallemoltogrosseanchepiùdime,cometelodevodirecheconituoibaffinasconditenerisorrisieilsolechec’èinte,cometelodevodirechenoncen’è…(«Commentjedoisteledire,quetunemeplaispas, tuas lesépauleslarges,pluslargesquemoi,commentjedois te ledire,quetesmoustachescachent des sourires tendres, et le soleil qu’il y a en toi, comment je dois te le dire, qu’il n’y en apas…»)C’estvrai.Iln’yenapas.Etquandiln’yenapas…Ben,iln’yenapas.Non.Jesaiscequejevaisfaire.Cematinj’aienviedemangerdeuxportionsdecéréalesauchocolat.Mince.Ilvafalloirquemamanm’accompagne.Quelbarbe.Pasde scooter.Eh,mignon, ce type,quandmême.Dommagequ’ilm’aitdétruitMilla.Maisilétaitvraimentgentil.Toutinquiet.Bon…aprèss’êtreinquiétépourl’ailedesavoiture,certes!Unpeu…voilà,unpeutrop«sensdelapropriété».Etaussi…Unpeu…mentalitévintage.Maissympa.Allez,aujourd’hui,jel’appelle.J’aienvied’entendre…unairdenouveauté.—Bon,moijenevousdisqu’unechose:jeneveuxpasquitterRome.Andrea Soldini et les autres le regardent entrer, souriant, comme Alessandro n’a pas été depuislongtemps.—Donc,nousdevonsgagner.Alors,expliquez-moibiendansquelledirectionnousallons.Ilsparlenttousenmêmetemps.Ilsluimontrentdevieillespublicités,despetitesphotos,desgravuresdesannées soixante,mais aussi des produits américains, etmême japonais. Tout unmonde qui a toujourstournéderrièreunsimplebonbon.—Nousdevonsprivilégieruntargetjeune,maisaussiadulte…—Oui,çadoitêtreamusant,maissérieux…Dequalité,maispopulaire,libremaisaussiconcret.—Çadoitdonnerl’idéed’unbonbon.ToutlemondesetourneversAndreaSoldiniEtsurcettedernièreaffirmation,Dariosecouelatête.—Directeurdustaffcréatif…C’estcertain,c’estungénie.Alessandroaenviederiremaisilnelemontrepas.—Allez,onestbienpartis,jeledissérieusement.J’aitoujoursvouluavoiruneéquipesoudée,quinefaitpasattentionàcequeditchacun,quinepensepasencoreettoujoursàmarquerdespoints,commesionétaitencompétitionentrenous.Alessandros’arrêteuninstant.AndreaSoldiniregardeDarioetluisourit,commepourdire«tuentendscequ’ildit?Hé,hé…Tut’esmalcomporté».Darion’encroitpassesyeux,ilsecouedenouveaulatêteetfinalementilestbienobligéderire,luiaussi,etd’acceptercettedéfaitepourlegroupe.—OK,OK.Onsemetautravail.Andrea…Fais-moiunesynthèsedetoutcequ’onasouslamain.Andreasouritetsedirigeversungrandtableauoùilsemetàdessinerdestraitspourfaireunschémaavectoutcequ’ilsonttrouvésurlesbonbons,toustempsetpaysconfondus.— Alors, les images gagnantes, les plus belles, sont celles d’un bonbon français. Le slogan ? UnAméricainquifaisaitunegrimaceauVietnam,Elleteveut.Elle,biensûr,c’étaitlebonbon.Et il continue à parler, à expliquer l’incroyable culture qui s’est construite depuis toujours pouraccompagnertouslesbonbonsàtraversletemps.Alessandroécoute,curieuxetcaptivé.Maisilnelâchepassonportabledesyeux.Puisunsouriremélancolique,àl’intérieurdelui,envoyantqu’aucunmessagen’arrive.Etunepensée.Doucecommeunbonbon.Moijel’appelleraisElena.Ilsouritenécoutantetsuitsanslesvoirleslignesqu’Andréacontinuedetracersurletableau.Quandmême,ilsedonnedumal,le

garçon. Il regarde lesautresquiprennentdesnotes,qui suiventengribouillantdans leursblocs-notes,capturantdetempsàautreuneidée.Giorgiacontinuededessinerlelogo,Michelajettesurlepapierdesphrasesetdesslogans,ensoulignantcertainsquiluisemblentpasmaletquipeuventservirdepointdedépartpouruneautreréflexion.Noussommesenpleinbrainstorming,penseAlessandro,etmoijeveuxresteràRome.AndreaSoldinitraceungrandtraitbleuendessousdetoutcequ’ilaécrit.—Voilà!Cecimesembleêtrelematérielleplusintéressantquenousavonstrouvé,etc’estlà-dessusque nous devons travailler. Tu as des suggestions, une idée, un parcours ou un autre à nous indiquer,Alex?Noussommestoutouïe.Situasdesindications,nous,tesfidèlesguerriers,soldats,serviteurs…—Peut-êtrequ’ilvautmieuxdiresimplementamisoucollègues.—Oui?Bon…Bref,nous,situasuneidée…onlasuit.Alessandrosourit,puisouvrelesbrasetlesposesurlatable.—Jesuisdésolédevousdécevoir.Çam’afaittrèsplaisird’écoutertoutletravailquevousavezfait,maispourl’instantjen’aiaucuneidée.Jenesaispasdansquelledirectionaller.Lesjeunesgensleregardentétonnés,ensilence,ilsbaissenttouslesyeuxdevantluiquilessoutienttous,sansaucunecrainte,ensouriant.—Jesaisoùjeneveuxpasaller,çaoui.ALugano.Etjesaisaussiquenousallonsvitetrouverquelquechosetousensemble.Donc,autravail,rendez-vousàlaprochaineréunion!Vousavezfaitdubontravail,jusqu’ici.Usrassemblenttousleurschemises,leurspapiers,toutcequ’ilsontlaissésurlatablederéunion,etilssortentdelasalle.SaufAndreaSoldini,quis’approchedelui.— Je sais queMarcello et les siens ont de l’avance. Il y a quelqu’un dans leur groupe que je tiensbeaucoupàcœur,àquijesuistrèsHé.Oui,quimerendraitservice,quimeledoit,voilà.—Andrea,maispourquoi tunevas jamaisdroit aubut?Onnecomprend jamaisceque tuveuxdirevraiment,oùtuvas…—Nullepart.J’aimeraisbientrouverunraccourcipourlesuccès.Parexemple,onpourraitsavoiràquelpoint ilsen sontet lesdoubleravecune idéedifférente,oubien fairequelquechosequi rende la leurbanaleetéculée.Jen’aipasl’impressiond’avoirprisdedétours.—Non.Maisçaneseraitpasuneroutecorrecte.Çanon.Etmoijepréféreraisgagnersansraccourcis.Alessandroluisourit.Andreahausselesépaules.—Jesavaisquetuétaiscommeça.Elenameledisait.Jevoulaisjustesavoirjusqu’àquelpointtul’étaisvraiment.Andreasetourneetseremetautravail.Justeàcemoment,leportabled’Alessandrosonne.Unmessage.Ilregardeautourdelui,méfiant.Ils’aperçoitqu’ilneresteplusqu’Andréadanslapièce.Ilpeutl’ouvrirtranquillement.Ilespèrejustequeçaseracequ’ilattenddepuismaintenantplusieursmois.«Monamour,pardonne-moi, je me suis trompée. » Ou bien « je plaisantais ». Ou peut-être « tu me manquesatrocement ». Ou bien, présomptueusement, « mais je ne te manque pas ? ». Ou absurde « je meursd’enviedefairel’amouravectoi».Ou,impératif,«baise-moitoutdesuite».Ou,fou,«jesais,jesuisune pute, mais je veux être ta pute »… Bref, n’importe quel message, mais signé d’elle : Elena.Alessandrorestequelquessecondesensuspens,sontéléphoneàlamain.Cetteattenteavantdelire.Cettepetiteenveloppequiclignotesansrévélerencoretoutcequ’ellecontient,etsurtoutquineditpassiçavientd’elleoupas…Iln’enpeutplus,ill’ouvre.«Eh,qu’est-cequetufais?Tufaissemblantdetravailler,hein?Rappelle-toi,rêveetsuismesconseils:légèreté.Unsourireettouttesembleraplusfacile.Allez,j’exagère.Unbisou.Etbontravail.»

Alessandrosouriteteffacelemessage.Ilavaitpenséàtoutsaufàelle.Niki.

28—Eh,àquituasenvoyécetexto?OllysepointederrièreNiki.Amusée,fourbe,soupçonneuse.Lesmainssurleshanches,ellelaregardedetravers,commeellefaittoujours.—Alors?—Apersonne.—Ah,voilà…Bon,déjàlefaitquetuaiesenvoyéunmessageàpersonneveutdirequetumens.Quelquechosenevapas.Tut’enrendscompte,toiaussi,non?Allez,tuasdituneconnerie!Ollyluisautedessusetluipasselebrasautourducou,enluiserrantfortlatête.Puis,desamainlibre,ellesemetàluifrictionnerlescheveuxavecsonpoingfermé.—Aïe,tumefaismal.Olly,aïe!Stop,tuesbêteouquoi?DilettaetEricaarriventetsemettentdevantelles,lescachantauresteducouloir.—Vas-y,Olly,torture-la,ontecouvre!Fais-laparler,cettehypocrite!Nikifaitundrôledemouvementversl’arrièreetréussitàéchapperàl’étreinted’Olly.Ellesedéplace,reprendsonsouffle,semasselatêteetlecou.—Aïe,maisvousêtesfolles.VousêtesdesOndesrebelles…—Bien sûr, on se rebelle contre toi ! Depuis quelques jours, on dirait que tu ne fais plus partie dugroupe…Qu’est-cequit’arrive?Ericasourit.—Elleesttombéeamoureuse.Regardecommeelleachangé.Dilettalèveunsourcil.—C’estvrai,elleamêmeunenouvellecoiffure!Nikilaregarde,interdite.—Tuescomplètementàcôtédelaplaque!C’estpeut-êtreparcequ’Ollym’africtionnélescheveuxquejesuistoutedécoiffée.J’aiunetêtedecaniche,non?Ollyinsiste.—Alors,onpeutsavoiràquituenvoyaiscemessage,ouiounon?Nous,ont’aimebien,tusais.C’estmochequetuneparlespas,c’estcommesitunevoulaispaspartageravecnousquelquechosedebeau.Onesttesamies,tesOndes…Nikisourit.—OK, jevaisvousexpliquer. Jenevousai rienditparcequepour l’instant iln’ya rienà raconter.Certaineschoses,situlesracontesavantqu’ellesesoientpassées…ben,tutebrûleslesailes.Compris?—Engros,tuesentraindedirequ’onportemalheur,sij’aibiencompris…Toutessurelles,lesfilles!Ellenenouslafaitpas,celle-là!—Maisnon,cen’estpascequejevoulaisdire!Niki tentede seprotéger commeellepeut.Elle se roule enboule commeunhérisson.Olly,Diletta etEricaessayentdelafairebougerpartouslesmoyens,ellesluisautentdessusenlatenantparlesbras,jusqu’àcequeçamarche.Olly,rapidecommel’éclair,glissesamaindanslapochearrièredesonjeanetluipiquesonportable.—Maintenant,lesfilles,jevaisvouslireàhautevoixcequ’elleaécrit!—Non,merde,tuesvraimentunesalope!Olly!—Salopeoupas,jesuisinquiètepourmonamie.C’estvrai,çafaitquelquesmoisquetut’esséparéedece pseudo auteur-compositeur, ou vraimec, ou jeune garçon, ça dépend…Et c’est justement dans un

momentcommeçaquetupourraistomberdanslesbrasden’importequi,enpensantqu’ilestgénial.Moi,jeseraitesyeux!— Ecoute, je ne suis tombée dans les bras de personne. C’est ça que je n’arrive pas à te fairecomprendre.—Iln’yarienàcomprendre.Ollylèveleportableversleciel.—Verbavolant,scriptamanent:lesparoless’envolent,lesécritsrestent.—Oh,c’estlaseulephrasedelatinquetuconnais,tularépèteschaquefois!Enplus,là,çan’arienàvoir,ritDiletta,laseulevraiecultivéedugroupe.Etmême,tusaisquoi?Danscecas,vuqu’ils’agitduportable,c’estbienlecasdedire…scriptavolanti—OK,ditOlly,ceque tuvoudras,volant,manent,maiscesont toujoursdesmots.Je lisàhautevoixpourtoutlemonde.«Dossiersenvoyés»,voilà…Ellevaouvrirlemessagequandelleentendunevoixderrièreelle;—Oui,c’estbien.Lis-lapourmoiaussi,jesuiscurieux.DilettaetEricasetournent.Ellescomprennentlasituationenunquartdeseconde,etlâchentNiki.C’estFabio,sonexpetitcopain.Illesregarde.Ilsourit.Puis,fanfaron,ilsemetaucentre.—Qu’est-cequisepasse,j’aigâchélafête?Ilal’airsincèrementdéçu.Ilatoujoursétéexcellentacteur.Ollyestunpeuembarrassée,ellefermeleportabledeNikietlemetdanssapoche.— Allez Je voulais juste m’amuser un peu, moi aussi… je ne voulais pas gâcher un moment dedivertissement.Nikis’approchedelui.—Salut,Fabio.—Salut,Niki.Fabiolaregardedanslesyeux,avançantunpeuverselle.—C’étaitpourmoi,cemessage?Niki le regarde.Lesamiesse regardent.Ellespensent toutes lamêmechose :qu’est-cequeçapeut tefaire?Niki.Dis-luioui…Fais-luicroireça,qu’est-cequeçatecoûte?Necherchepaslesennuis…Nikisourit.Elleapeut-êtreentenducespensées.Mais,commed’habitude…Niki,c’estNiki.—Non,cen’étaitpaspourtoi.Fabiolaregardeencoreunpeudanslesyeux.Unmomentquidureuneéternité.MaisNikinedétournepasleregard.Fabiosaitqu’elleestcommeça.Ilfinitparsourire.—Oui,biensûr.Situavaisquelquechoseàmedire,tumeledirais,commetuastoujoursfait,enmeregardantdanslesyeux.N’est-cepas,monamour?—Oui,maisnem’appellepasmonamour.—C’étaitpeut-êtreunmessagepourtesparents,oupourtonfrère,oupouruneamie.Detoutefaçon,tusaisquoi?Jen’enairienàfaire.—Tantmieux,Fabio.—Jenecomprends jamais si tu temoquesdemoi,quand tu répondscommeça.Moi, je suis en traind’écrireunechansonpourtoi,rienquepourtoi.Pourtoutcequ’ilyaeuentrenous…etcettechansonsortira.Cequej’aifaitécouterpourl’instantabeaucoupplu,etcemorceausurtoiestencoremeilleur.J’aitrouvélenomdescèneaveclequeljesortiraimondisque…Fabioattendunpeupourfairemonterlesuspenseetlesregarde.

—Fabio…Fobia.Çateplaît?—Oui,beaucoup.C’esttrèsoriginal.Fabiosecouelatête.—Tusaispourquoiçan’apasmarchéentrenous?Parceque tuas toujoursété jalouse.Avecmoi, tun’étaispasaucentredel’attention.FabiolanceunregardàDiletta,OllyetErica,puisilsourit.—Abientôt.Et il s’éloigne, lepantalonportébas sur leshanches, lecorpsmusclé, lesépaules larges, lescheveuxrasésd’uncôtéetunpeupluslongsdel’autre.Etcebandanaclair,bleuclair,quifaitressortirsesyeuxbleusplusfoncés.Ericasouritettentededédramatiserunpeu.—Entoutcas,quelcanon…Jeveuxdire…Ilestbeau!—Déjàquec’estunsalaud,sienplusilétaitmoche!OllyrendsonportableàNiki.—Quelquesoitlemessagequetuasenvoyé,nemedisrien.J’espèreseulementquetoutçasepasseracommetuveux.Nikisouritetlemetdanssapoche.—Situledis,Olly.ToiquiastoujourseuunfaiblepourFabio…Dilettaintervient.—Moijecroisqu’ilaredoublétoutescesannéesparcequ’ilnevoulaitpasperdreNiki.—Pourquoi,ilaredoublé?—Tunesavaispas?Enplus,c’estabsurde,aujourd’hui,aveclesystèmedurattrapage,toutlemondepasse.Enattendant,Nikieffacelemessaged’Alessandro,pournepluscourirderisque.—Entoutcas,jevoudraisbienlireletextedelachansonqu’ilaécritesurmoi.—Çaaussi,ill’acopié.Tunesavaispas?CommeEamonquandils’estséparédesafemme.—C’estvrai,ditOllyensouriant.Commentelles’appelait,déjà,cettechanson?—Fuckit.Dilettasemetàlachantonner.«Tuvois,jenecomprendspaspourquoitumeplaisaistant.Jet’aitoutdonné,toutemaconfiance…Jet’aiditquejet’aimais,etmaintenanttoutafiniàlapoubelle.»Et elle rappe, elle bouge comme le meilleur rappeur black, un drôle de croisement entre Eamon etEminem.«Audiable les cadeaux je pourrais tous les jeter.Audiable ces baisers, ils ne veulent rien dire.Audiable toi aussi, je ne te reveux pas…Tu pensais pouvoirme cacher les choses, yeah.Mais t’es faitprendre,salope,jel’aientendudire.Tut’esmoquédemoi,tuasmêmefaitdusexeoral.Etmaintenant,tuveuxmerevenir…»Dilettafaitunesortedepirouettepourterminerlachanson.«Yeah.»Nikisourit.—FabioFobianeserapasaussi fou…Je ledénonce, s’ilécritun truccommeça.De toute façon,endehorsdufaitquejeneveuxabsolumentpasmeremettreaveclui…Jedoisdirequedanscetexteilyabienquelquechosequimeconcerne…—Quoi?Lescadeauxjetés?—Lesexeoral?Nikisecouelatête.—DésoléeJenedirairien.Etelles’éloigne.«—Allez,lesOndes…Onlatorture!

Mais Niki se met à courir. Les Ondes la poursuivent dans les couloirs du lycée. Elles tentent de larattraper.Et,surtout,delafaireparler.

29Alessandro vient de s’enfermer dans son bureau. Il regarde une photo posée sur sa table. Il la prend,l’approchedesonvisage,latourneetlaretournedanssesmains.Naturellement,c’estluiavecElena.Ilsourit.Unepenséeoptimiste.L’espoirde se remettre ensemble.Lin souvenir.Ce soiroù ils sont allésvoir«Alegria»duCirqueduSoleil.Çaneluidisaitpasdutout.Aellesi,beaucoup.Rienquepourcetteraison,ilavaittrouvédesplacesaupremierrang.Pourelle,pourlavoirsourire.Pourregarder,àtraverssesyeuxsurpris,lesvoltigesdecesfunambulesauxcorpsparfaits.Elle,enchantéeparcesmusiques,ceslumières,tousleseffetsscéniques.Etrespirerainsi,àtraverssonsourire,lesémotionsdecespectaclemondial.Comprendrequesonseulvraispectacleàlui,c’étaitelle.Etmaintenant?Ilneresteplusqu’àsortird’unesallevide.Qu’ensera-t-il,duspectacledemavie?Iln’apasletempsd’allerauboutdesapensée.Toctoc.Quelqu’unfrappeàlaporte,interrompantsavainerecherched’uneréponsedifficile.—Quiest-ce?—C’estmoi,Soldini.Jepeux?—Entre.Andreaentretimidement.—Pardonsijetedérange,peut-êtrequetuétaisjustementsurlepointdetrouverl’idéedontnousavonstantbesoin.Simpleetforte,quivadroitaucœur,gagnanteetexaltante…—Oui,oui,dis-moi,qu’est-cequ’ilya?Alessandro le coupe, il ne veut pas admettre qu’il pensait à Elena, seulement, uniquement et surtouttotalementàelle.—Ilyaunamiàtoiquiestpassétedirebonjour.Iladitquevousaviezrendez-vous.UncertainEnrico.—PasuncertainEnrico.EnricoManello…—Maispourquoitut’enprendsàmoi,enbasilsontappelétonbureaumaistun’yétaispas,onétaitenréunion.Moij’essayejustedet’aider…—OK,OK,fais-leentrer.—Etpourl’autrechose?Rien?Tuessûr?—Quelleautrechose?—Leraccourci.—C’est-à-dire?—Jepeuxmerenseignerpoursavoiroùilsensont,quelleestleuridée…—Soldini!—OK,OK,jen’airiendit.Maistusais,làaussijevoulaisjustet’aider.Ilouvrelaporte,sortetfaitentrerEnrico.—Salut,mongrand.Tuesvraimentvenu,jepensaisquec’étaitunedetesblagues.Alessandro le fait asseoir.Puis il se rendcomptequesonamiestbizarrement sérieux. Il essayede lemettreàl’aise.— Tu veux boire quelque chose ? Un café, un thé, un Coca, un Chinotto ? J’ai même du Red Bull,regarde…Ilouvreunpetitfrigoàlaportetransparente.—Nousenavonsàvolonté!Ilestpleindecanettesbleumétallisé.

—Tusais,c’estnousquiavonsfaitleurgrandecampagnegagnante,etilsontététrèsgénéreux.—Non,merci,jen’aienviederien.Alessandros’assiedenfacedelui.Puis ilsaperçoit laphotodeluietElenasouriants,et il ladéplacedélicatementenlacachantderrièredesdossiers.Ils’installeplusconfortablementdanssonfauteuil.—Alors,dis-moitout,monami.Qu’est-cequejepeuxfairepourtoi?—C’étaitunephotod’Elena,quetuascachée,pasvrai?Alessandroenresteinterdit.—Oui,maisjenel’aipascachée,jel’aijustedéplacée.Enricoluisourit.—Tun’asjamaispenséqu’Elenapouvaittetromper?Benoui,vousvousêtesséparés,non?C’esttoiquinousl’asdithiersoir!—Oui,c’estvrai.—C’étaitilyacombiendetemps?—Elleestpartiedelamaisonilyaplusdedeuxmois.—Ettunet’esjamaisditqu’elleauraitputetromper,peut-êtreavecl’und’entrenous?Oui,pourquoipasavecmoi.Alessandros’assiedtoutdroitsursonsiège,puisleregardedroitdanslesyeux.—Non,jen’yaijamaispensé.Enricoluisourit.—Bravo.C’estbeau,tusais?Jenesaispassivousvousremettrezensemble.Maisc’estvraimentbeau.C’est-à-dire,moijevoussouhaitedevousremettreensemblesic’estcequetuveux,maisdanstouslescasc’estbeauquetuaiesvécusansledramedelajalousie, jusqu’àilyaplusdedeuxmois.Etc’estmagnifique que,maintenant que vous êtes séparés, tu penses qu’elle ne t’a jamais trompé…vraiment,c’esttrèsbeau.Alessandroleregarde.—Jenecomprendspas.Jemetrompe?J’aitort?Tuasquelquechoseàmedire?—Non,pasdutout.Tufaistrèsbien.C’estunproblèmequimeconcerne,etmoiseul.Ilssetaisent.Alessandronesaitplusquoipenser.Enricosefrottelevisageaveclesmains,puislesposesurlebureauetleregardeintensémentdanslesyeux.—Alex,j’aipeurqueCamillametrompe.Alessandroselaisseallerenarrièredanssonfauteuiletpousseunlongsoupir.—Pardon,maistunepouvaispasmelediretoutdesuite?Tum’asfait toutecettescène,tum’asfaitpeur,jesuisallédanstouteslesdirectionspossiblesetimaginables,jemesuisinquiété…—Jevoulaissavoirjusqu’àquelpointtupouvaismecomprendre.Lajalousie.Lajalousie,tunesaispascequeçaveutdire…Tuasde la chance, tun’espas jaloux, la jalousie estunebêtequi temangedel’intérieur,quiteconsume,tedéchire,tedévore,tetord,teronge…—Oui,bon,j’aicompris…j’aicompris,çasuffit.—C’estpourçaquejet’aiposétoutescesquestions.Jetel’aidéjàdit,tunepeuxpascomprendre.—D’accord,jenepeuxpascomprendre.—Oui,maisnesoispasironique.—Jenesuispasironique.J’essayedecomprendre,maistudisquejenepeuxpas…—Alors,jevaisessayerdetefairecomprendre.TuasvucefilmavecRichardGere,Infidèle"?—Oui,jecroismêmequ’onL’аvutousensemble.—Oui,tuétaisavecElena.Tuterappellesl’histoire?—Oui.—Peut-êtrequetunetelarappellespasbien.Jevaistelaraconter.Elle,lasuperbeDianeLane,joue

ConnieSummer.ElleestmariéeàRichardGere,Edward.Ilssontbeauxetilsontl’airheureux.Ilsontunfils de huit ans, un chien, et ilsmènent une existence en viable dans le quartier de Soho.Un jour detempête,Connie rencontreunbellâtre,un typeauxcheveux longs.Elle tombe, seblesseàungenou,etaccepte son invitation à monter dans son appartement pour la soigner. Juste parce qu’il l’a aidée…Ensuite,ilssemettentàbaisercommedesfouspendanttoutlefilm.—Qu’est-cequetuesréducteur.Cen’estpasaussisimple.—C’étaitpourtefairecomprendre.—Oui,maisjetejurequej’avaisdéjàcompris…—Bah,detoutefaçonj’aidétestécefilm,maiscequiest important,c’estcequis’estpasséaprès, jem’en souviens très bien.Le film venait de se terminer, on était en train de sortir de la salle, Elena aregardéCamillaetCamillaluiasouri.Tucomprends?—Jecomprends.Mais, leproblème,c’estcequejecomprends.Onnesaitpaspourquoiellessesontsouri,aufond.Peut-êtrequ’ils’étaitpasséquelquechose…Peut-êtrequ’elless’étaientcognées,ouqueCannilaavaitlaissétomberquelquechose,ouquesavesteétaitrestéecoincéedanssonsiège…Enricosecouelatête.—Non,non…jesuisdésolé.C’étaitunsignal.C’estsûr,elless’étaientfaitdesconfidencesquiavaientunrapportavec lefilm.Bon.Ensuiteonestallésmanger,maisçan’apasd’importanceparcequ’ilnes’estplusrienpassé…—Pardon,Enrico,maisjenecroispasquetuaiesassezd’élémentspourpouvoirdire,histoirederesterdanslesujet,quetuasvraimentcomprisquelquechose…—Ahnon?EttuterappelleslascèneoùRichardGeres’aperçoitquesafemmenesaitpasquoimettrepoursortir,elleapréparédeuxpairesdechaussuressouslachaiseoùelleaposésarobe?—Oui,jecroisqueoui.—Ehbien,lasemainedernière,Camillaavaitdeuxpairesdechaussuressoussachaise.—Maispeut-êtrequ’elleenavaitoubliéunelaveille!—Non,Cannilan’oubliejamaisrien.—Alorsc’estqu’elleétait indécise.Mais jen’aipascompris…Cette fois,c’estvraimentmoiquinecomprendspas.Siunefemmeestindécise,çaveutforcémentdirequec’estunepute?—Qu’est-cequetuasdit?—OK,jedisaisçacommeça,tuesentraindemefaireperdremapatience,aveccettehistoire.Jen’ycomprendsvraimentplusrien!Detoutefaçon,jenepeuxpasappelerElena.Çafaitdeuxmoisqu’onnes’estpasparlé,jemevoismall’appelerpourluidire«salut,pardon,hein,maisest-cequeCamillaaunehistoireavecunautre?».—Non,biensûrquenon,jenevoulaispastedemanderça…Enricoseplieendeuxsurlui-même.—Qu’est-cequ’ilya?Alessandroleregarde,inquiet.—Rienquedel’entendre,jemesensmal.—Ecoute,Enrico,analysonscalmementleschoses.Commentçava,entrevous?—Bien.—Qu’est-cequeçaveutdire,bien?—Pasmal.—C’est-à-dire?—C’est-à-dire,jesuisjaloux,jesuisjalouxàenmourir,etdoncçavatrèsmal.

—OK,OK,maisvousêtesbienensemble?Jeveuxdire,vousfaitesl’amour?—Oui.—Commed’habitude?Plusoumoins.—Commed’habitude.Pendantuninstant,AlessandroserappellelesderniersmomentspassésavecElena.Elleétaitsplendide,belle,aimante,etpuisaussiosée,désireuse,pleined’envies,chaude.Ellel’embrassaitavecpassion,ellelui embrassait lesdoigtsdesmains, etpuispartout,plusbas,même lesorteils,dans sa folie érotique.Deuxjoursplustard,elles’enestalléeenluilaissantunmot.Ilsecouelatêteetrevientauxsoucisdesonami,quileregarded’unairperplexe.—Aquoitupenses?—Arien.—Alex,dis-moi,parcequetun’aspascomprisàquelpointjemesensmal.Toutcequejenesaispasmerendfou.Alessandrosoupire.—Jepensaisquejefaisaisbienl’amouravecElena,çavacommeça?—Ah.Bien,moij’aitoujoursétébienavecCamilla,nousfaisonsl’amourtranquillement,jedirais.Maisrécemment,çaachangé.Ellemesembleplus,plus…—Plus?—Qu’est-cequej’ensais!Jenesaispas.—D’accord,maistudisais…plus…—Elleaplusd’envies,voilà,jetel’aidit.—Elleapeut-êtremoinsdechosesentête,oubienellefaitçaparcequ’elleaenvied’unenfant.—Elleprendlapilule.—Écoute,engros,moijecroisquetuveuxtegâcherinutilementl’existence.—Ah,oui?—Oui.Ondiraitquetoutvapourlemieux.Situveuxunenfant,demande-luid’arrêterlapilule.—Jel’aifait…—Etelle?—Elleaditqu’elleallaityréfléchir.—Tuvois…ellen’apasditnon.Elleaditqu’elleallaityréfléchir,c’estdéjàquelquechose,c’estbeaud’avoirunenfant,non?C’est important,c’estunpasdéfinitif,c’estcequi te lieraplusquen’importequoid’autreàcettefemme,plusquelemariage.Pourtoujours.Aumomentoùilterminesaphrase,Alessandroserendcomptedecombienelleestvraie,decombientoutceciluimanquedanssavie,etdecombiensamèreleluirappelledèsqu’ellepeut,etsesdeuxsœurs,etmêmesonpère,ettouscequil’entourent.Mêmelesspotspublicitairesdesonagence,pleinsdefamillesheureusesetd’enfants.Maiscettefois,c’estEnricoquilesauve.—Chaquefoisqu’ellerentreàlamaison,elleéteintsonportableouellelemetsursilencieux.—Peut-être qu’elle n’a envie de parler à personne. Elle travaille dans un cabinet comptable, ils onttoujourstoutuntasd’ennuis.—Elleenlèvemêmelesondesmessagesqu’ellereçoit.Alessandroserendetsemetenarrièredanssonfauteuil.—Qu’est-cequetuveuxquejefasse?Dis-moi,Enrico.

—Jevoudraisquetuailleslà…Ilsortdelapochedesavesteunepaged’annuairearrachée.Illaposesurlebureau,duboncôté,souslesyeuxd’Alessandroquiht.—TonyCosta.Détectiveprivé.Preuves,témoignagesdocumentésavecphotoslégalementvalablespourséparations,divorces,gardesd’enfants.Discrétionmaximale,prixminimal.Alessandrosecouelatête.—Maispourquoituveuxt’embarquerlà-dedans?—J’aibienréfléchi,iln’yapasd’autresolution.Etmême,pourêtreprécis,masolution…c’esttoi.—Moi?—Oui,toi.Moijen’auraijamaislecouraged’allerlà-bas,demonter,deparleravecceTony.J’imaginedéjàcommentilmeregarderait,cequ’ilpenserait,commentilsouriraitderrièresesmoustaches.—Qu’est-cequetuensais,s’iladesmoustaches?—Lesdétectivesenonttoujours.Çaleursertàsecacher,tunesavaispas?Etpuis,detoutefaçon,ilsedirait:encoreuncouillon!Uncocuquiportedel’eauàmonmoulin.Bah,penseAlessandroenregardantlafeuille,maissansledire,ilyaécrit«prixminimal».Aumoins,cettefarcenecoûterapastropcher.—OK,Enrico.J’irai.Pourtoi.—Merci.Jemesensdéjàmieux…—J’espèreseulementquetun’auraspasderegretsetquecettehistoireneruinerapasnotreamitié.—Etpourquoiçalaruinerait?Jesaisquejepeuxcomptersurtoi.Jel’aitoujourssu,etcecin’enestqu’uneénièmeconfirmation…—Non, tu sais pourquoi je te dis ça,Enrico ?Parce que trop souvent un ami, pour faire du bien, seretrouveaumilieu,etaufinalceluiquisefaitlarguer,c’estlui…Peut-êtrequeçaserademafautesileschosessemettentàallermalentrevous…—«Lajalousieéteintl’amourcommelescendreséteignentlefeu»,disaitNinondeLenclos.Maispourmoi,çanevautpas.Moi,sanslajalousie,jenemesentiraiquemieux.Etquoiquetudécouvres,j’espèrequenousresteronsamis.—Moiaussi,jel’espère.—Adirevrai,j’espèreaussiqueceTonynedécouvriraabsolumentrien.Enricopromènesonregarddanslapièce.Ilestplusdétendu,maintenant.—Tusais,jeletrouvevraimentbien,tonbureau.Leplusabsurde,c’estquejen’étaisjamaispasséavantaujourd’hui.Puisilsourit,unpeugêné.—C’estparcequejen’avaispaseubesoin…Alessandrosouritetselèvedesonfauteuil.—Iln’yavaitpasbesoincettefoisnonplus.Tum’asjustefaitunevisite,unebellesurprise.Tuessûrquejenepeuxrient’offrir,mêmepasuncafé?—Non,merci,vraiment,çava.Tusaiscequimeplaît,cheztoi?C’estquetuesvraimentsolide.—Pourquoi?—Tueslà,serein,àaiderunami.Passerunpeudetempsavectoim’adéjàdétendu.Jepasseraisbientoutelamatinéeici!—Tuplaisantes?Tunesaispasledramequenoussommesentraindevivre,danscetteboîte?Tuestombéaupiremomentdemavieprofessionnelle.—Bah,aumoins,côtévieprivée,tuestranquille…

—Jenesauraispasdirelaquelleestlapluscompliquée…—Maispourtant,hiersoir,quandtuasditquevousétiezséparés,toietElena,tuavaisl’airserein.—Siçatournemalpourmoiàl’agence,jemelancedansunecarrièred’acteur.Pasbesoindemeforcerpourfairesemblant,d’aprèscequetumedis…—C’estvrai,tunevaspasbien?Justeàcemoment-làleportabled’Alessandrosonne.Illesortdesapocheetrépondsansmêmeregarderquic’est.—Allô?—Allô,c’estmoi,Niki.—Eh,quellesurprise.IlsetourneversEnrico,sourit,puisvaprèsdelafenêtre.—Quemevautcecoupdefil?Tun’espasencours?—Si,jesuiscachéedanslestoilettesdesprofs!Maisj’avaisenviedet’entendre.—Ah,jecomprends…ettupensesfinirtôt?—Commentça,auxtoilettes?Qu’est-cequetuveuxdire?—Tun’aspascompris,hein…—Ah,j’aicompris,j’aicompris.Tuesenréunion?Excuse-moi.—Non,jesuisavecunamiquiestpassémedirebonjour.IlsetourneversEnricoetluisourit.—Etalors,pourquoituparlesenlangagecodé,situesavecunami?Jenetecomprendsvraimentpas.Tu es l’énigme de ma vie. La plupart de mes amies jouent au sudoku, moi ça me semble quasimentimpossible,maisàcôtédetoic’estd’unefacilitédéconcertante.—OK,Niki,tuvoulaismedirequelquechose?—MonDieu,queltonsusceptible…Tuesvexé?—Non,maisjen’aimepasparlerautéléphonequandjenesuispasseul.—OK,jevaisfairevite.Alors…Legaragisteresteouvert.Stop.Ilmel’ajuré.Stop.Accompagne-moi,please.Stop.Télégrammearrivé?—Oui,oui,jepassedevantlelycéeàl’heurehabituelle.—OK,parfait.Tumefaisunbisou?—Non.—Allez,j’aiencoreuneinterro,ettoitumeportesbonheur.—Bon,c’estfait.—Merci…grandtimide!Niki raccroche.Alessandro remet le téléphone dans sa poche et, quand il regardeEnrico, celui-ci luisourit.Ilal’airpluscalme.— Pardon, hein, mais je ne pouvais pas ne pas écouter ta conversation…Niki, à l’heure habituelle,devantlelycée.Maisc’estqui,tanièce?Non,çanepeutpasêtreunedesfillesdetessœurs,ellessonttroppetites…Bon,d’accord,aujourd’huielles sont trèsprécoces,mais jenepensepasqu’à troisansellest’appellentdéjàdeleursportables.Ah,jesais:unecousineàtoi?Peut-êtreducôtédetonpère…—Ecoute,paslapeinedetecreuserlacervelle,c’estlafilledontjevousaiparléhiersoiraurestaurant,celledontj’aifaitlaconnaissanceparhasard.Onaeuunaccident,hier.—Etvousêtesdéjàaussiintimesqueça?—Oui.—Quelâgeellea,déjà?

—Dix-septans.—Ah.Alorsc’estmalparti.Ouplutôt, c’estbienparti.Voilàpourquoi tu t’es remisde lacriseavecElena.CetteNikiesttadistraction.Cen’étaitpasqu’unaccident…—Sielledevenaitunedistraction,çaseraitungraveaccident.—Tusais,c’estnousquinevoulonspasregarderleschosesenface.Adix-septans,unefilleestdéjàunefemme.Maistuterappelles,nous,àvingtans,cequ’onfaisait?Onétaitpeut-êtreplusdeshommesquemaintenant.A part les années en plus, il n’y a pas grand-chose qui change au lit.Bon, on a justequelquessoucisouproblèmesenplus,quinouscondamnentàquelquesprestationsenmoins.Alessandroluisourit.—Ecoute,Enrico…J’iraichezTonyCostapourtoi,maisn’essayepasd’enquêtersurmavieprivée.Etilyaunebonneraisonpourquejetedemandeça:çateferaittrèspeur.—Tuenasdéjàfaitdebelles,hein?Enricoluifaitunclind’œil.—Non,àcauseduvideabsoluquetutrouverais.—Ecoute, tum’asditbeaucoupdechoses,maintenantc’estàmontourde teparler…Amuse-toiaveccetteNiki !Etpuis…etpuisadviennequepourra.QuandElena reviendra, tout recommenceracommeavant,etmêmemieuxqu’avant.Ilouvresoncartableencuirpleindedocumentsetdedossierscomptables.IlensortunCDsurlequelilestécritLoverelax.—Tiens.C’estpourtoi.—C’estunbeautitre…Loverelax— Ça te plaît ? C’est moi qui l’ai fait. C’est une compilation de DU composition, les plus belleschansonsmixées,unesuccessionquinepeutéchoueravecunefemme.Jevoulaisl’utiliserundecessoirspourconvaincreCamilladefaireunenfant,maisjesuiscontentdeteladonnerpourquetul’utilisesavecNiki.—Tuplaisantes?Çan’arienàvoir…—Çaaàvoir, çaaàvoir…Et tu le sais.De toute façon, j’enaiunecopie sur l’ordinateur, jem’engraverai un autre. Il y a un morceau que j’adore, avec toutes les plus belles phrases de Battisti. Ils’appelle«LesquestionsdeLucio».Genre:«Qu’est-cequetuensais,toi,d’unchampdeblé,nostalgied’unamourprofane…»Etpuis,aprèsjetedonnelaréponse.—Vraiment?—Oui.Ecoutelabeautédecesparoles…«Qu’est-cequetuensais,toi,d’unchampdeblé?»C’estvrai,ça,qu’est-cequetuensais…C’est-à-dire,àmoinsd’êtrelà,aumilieudesépis,commenttupeuxlecomprendre…J’aifaitaussidesparallèlesaveclecinéma,parexempledansChambreavecvue,l’acteurDenholmElliottestàFlorence,etpuisàunmomentilvapeindredansunchampetileffleureleblédesamain,aumomentoùarrivel’actricequijoueLucy,puisilss’embrassent.DemêmequedansGladiator,RussellCrowetouchetoujourslesépisdelamaindroitequandsabien-aimée,quiaététuée,luimanque.C’est le contact avec la terre qui nous donne le pain, comme quand nous rencontrons celle que nousdésirons…l’amournaîtennous.Etpuis,ilya«nostalgied’unamourprofond»,maisçac’estunpeuplusdifficileàcomprendre,àmonavis…—C’estsûr.EttupensesquetoutescesexplicationsplairontàNiki?Enricoleregarde,puisfermelesyeuxetfaissignequeouiaveclatête.—Elleestdéjàtienne.—Ilyajusteunpetitdétail.Alessandrofermelecartabled’Enricoetl’accompagneàlaporte.

—Lequel?—Moi,jeneveuxpasd’elle.—OK,faiscommetuveux.Maisjet’enprie,vavitechezTony.—Pourça,tupeuxêtretranquille…Alessandrofermelaporteetretourneàsonbureau.Ils’écrouledanslefauteuil.Ilnemanquaitplusqueça.IlprendleCDetl’examine.Pasmal,quandmême.Writteninyoureyes,d’Elisa.Lechiavidicasa,de J Ax.Una canzone per te, de Vasco.Canciones de amor deVenegas. Sei parte di me, de ZeroAssoluto.Tunonmibastimai,deDalla.Etpuis,pleindetitresdeBattisti.Alessandroregardemieux.IlamêmemisNeverTouchThatSwitch, deRobbieWilliams, que j’adore. Jemedemande combien detempsilmet,Enrico,àfaireunCD,àtéléchargerlestitresetàtoutmixer.Ilytientvraiment,àCamilla.C’estuntrèsbeaucouple,ilss’aimentetilss’entendentbien,etmoi,sansraison,jedoisallerchezceTonyCosta!Quellehistoire.Enplus,commesiçanesuffisaitpas,moiaussij’aidesdoutes,maintenant.EtsiElenaavaiteuquelqu’und’autre?Etsiellesortaitavecunautre,undemesamis?PasEnrico.Amoinsqu’ilnesoitunvraigénieetqu’ilaitmontétoutecettehistoirejustepouréloignerlessoupçonsquiauraientpuplanersur lui.Flavio?Non,Flavioneferait jamaisça, ila troppeurdeCristinaetd’êtredécouvert.EtPietro?Pietro.IlnerestequePietro.Etlà,malheureusement,jenesaisvraimentpasquoipenser.Onesttrèsamis,c’estsûr,maispourcoucheravecunefemmeilrenonceraitàsonhonneur.Alors,l’amitié, n’en parlons pas ! Et puis, comme si ça ne suffisait pas, Elena lui a toujours plu, ilme l’atoujoursdit.QuandonestallésvoirL’amicodelcuore,ensortantilm’adit:«Ecoute,sij’avaispeuravantuneopération, je ferais lamêmechoseavec toi.Je tedemanderaisdemelaisserpasserunenuitavecElena…»Jem’ensouviens,onarigolé,etmoijeluiaitapédansledos.«Iln’yaucunproblème.Tuvastrèsbien.»Soudain,onfrappeàlaporte.—Entrez.C’estAndreaSoldini.—Nousonvamangerunmorceau,maispasàlacantine.Onveutêtreplustranquilles,continuerlebrain,onvaprendreunesaladedehors.Tuesdesnôtres?—Oui,maisparlapensée.JedoisallerchercherNikiaulycée.Cedisant,Alessandroprendsavesteetsortdelapièce.AndreaSoldiniluisourit.—Jenesavaispasquetuavaisunefille.—Moinonplus.

30Sortiedescours.Unfleuvedéjeunessedéversedans lescouloirs.Certainsrentrentchezeux.D’autresprennentd’assautledistributeurautomatique.Dilettafaitlaqu’elleavecNiki.—Tul’asfinie,taversion?—Non,ettoi?—Lestroisquarts.—C’estSereniquimel’apassée.Ellemedevaitunservice.—Pourquoi?—JeluiaiprêtémonT-shirtExtèpourlafêtedesamedi.Ellemedoitaumoinssixversions.—Ah.Vas-y,c’esttontour.Nikimetuneurodanslafente.Plink.Lebonbruit.Elleappuiesurleboutondugâteauauchocolat.—Maisqu’est-cequetufais?—Quoi,tunelispasBenni?Lemonde–selonSocrate,legrand-pèredeMargherita–sediviseentre:ceuxquimangentleurchocolatsanspain;ceuxquinepeuventpasmangerdechocolats’ilsnemangentpasdepainavec;ceuxquin’ontpasdechocolat;ceuxquin’ontpasdepain.Moi,c’esttoutàlafois.—Bon.—Salut.Dilettaseretourne.Desyeuxvertespoir,encadrésparunvisagelégèrementhâlé,laregardent.—Jet’airapportétoneuro.Ilestchargé,maintenant.—C’estquoi,unecartedetéléphone?!plaisanteNikiquiestentraind’ouvrirsongâteau.—Tun’auraispasdû.J’aiunepièce.—Detoutefaçon,aujourd’huitun’enaspasbesoin.Tut’enserviraslaprochainefois.—Dansquelsens?Legarçonsortdesapocheunsnackauxcéréales.—Jet’enaiachetéun.Dilettaleregarde,perplexe.—Ilnefallaitpas.—Jesais.Maisj’avaisenvie.Nikilesobservel’unaprèsl’autre,commes’ilsdisputaientunmatchdetennis.—Oui,maisjetel’aidit,jen’aimepaslesdettes.—D’accord,alorstunemedoisrien.Nikiintervient.—Allez,Diletta,n’enrajoutepas.Il t’aachetéunsnack,pasuneboîtedetruffenoiredechezNorcia.Bravo!J’apprécielegeste!IltendlesnackàDiletta.—Non,merci,jen’enveuxpas.Elles’éloigne.Nikilaregarde,puissetourneverslui.—Tusais,elleestunpeubizarre,maiselleestsuper.Ellejoueauvolley,detempsentempselleprenddesballonsdanslatête,etaprèselleréagitcommeça.Maisçafinitparluipasser.Iltentedesouriremaisonvoitbienqu’ilestunpeuvexé.—Écoute,tun’asqu’àmeledonner.—Maisnon,c’étaitpourelle.—Tu n’as pas compris.Donne-le-moi, je lui donnerai plus tard. Elle lui prend desmains et part encourant,maisprendletemps

deluidemander.—Commenttut’appelles?—Filippo.Ilaàpeineletempsderépondre,elleestdéjàloinetluirestelà,uneurochargédansunemainetunrêveenmoinsdansl’autre.

31—Qu’est-cequ’ilya,pourquoitudisrien?Mauroconduitvitemalgrélacirculation.—Oh,pourquoitudisrien?Paolaluidonneungrandcoupsurl’épaule.—Faispassemblantdepasentendre,jeteparle.Qu’est-cequet’as,t’esfâché?—Non,j’airien.—Oui,tufaiscettetête-làett’asrien…Tumeracontesçaàmoi?Encore…MauroprendlaruedePaolamaisdépassel’immeuble.—Oh,maist’esgâteux,ouquoi?J’habiteau35!Mauro continue encoreunpeu,puis arrête le scooter et descend.Paola fait demême.Elle enlève soncasque.—Quandtuescommeça,tuesinsupportable.Qu’est-cequ’ilya,qu’est-cequ’ilya,onpeutsavoircequ’ilya?—Rien,rienetrien.—Rien, c’estune réponsedecrétin.Depuisque j’ai finide tourner, tun’aspasouvert laboucheuneseulefois,tun’asditaurevoiràpersonneettufaisunetêtedetroispiedsdelong…Alors?MonDieu,jesuisobligéedetetraitercommeunpetitgarçon.—Rien.Ilyauntrucquinem’apasplu.—Quoi?Lascènequ’onatournée?Onjouaitaubasket.C’estpourçaqu’ilsm’ontchoisie,non?Parcequejesuisgrandeetparcequej’aifaitunpeudebasket.Etàlafin,j’aisouriàlacaméraetj’aiditmapremièreréplique,lapremièrerépliquedemavie:«Jenepeuxpasperdre…»Jen’aimêmepasnomméleproduit…Et toi, tuenfais touteunehistoire.Tunepeuxpasêtreheureuxpourmoi?Non,dis-moi.C’estquoi,cequinet’apasplu?—Jusque-là,rien.—Etalorsquoi?—Quandtuesalléevoirleréalisateur.—Voilà.Voilà…Jelesavais.Paolatourneautourduscooter,souslecoupdelacolère.—Biensûr,jelesavais…Tusaiscequej’aifait?Jesuisalléedireaurevoirauréalisateur,commelefonttouteslesfillesgentillesetbienélevées,etd’ailleursilm’ademandésituétaismonpetitami…—Oui,j’aivuquevousparliez.-Ah.—Etpuisilt’adonnéunefeuille.—Oui,unefeuille…Paolafouilleetlasortdesonsac.—Lavoilà.Ettusaiscequ’ilyaécritdessus,hein,tulesais?Regarde.Regarde.Elleluicollesurlevisage.Mauro,agacé,détournelatête.—Commeça,j’arrivepasàlire.—OK,alorsjevaislire,moi.Ilyaunnuméro.338…etainsidesuite.Saufquecen’estpassonnuméro.Tucomprends?C’estceluid’unphotographe.Unphotographe!Etpuis,ilyaaussiuneadresse.Ettusaispourquoi?Parcequ’ilavouluêtregentil.Parcequ’ilapenséquej’étaisavecquelqu’un.Cettefeuille,c’estpourtoi.Elleluilanceavecrage.—Ilm’aditqu’ilscherchentungarçonpourunautrespot,untypedebanlieue,beau,danstongenre…Tu

comprends?Il t’afaitdescomplimentsetilm’aconseilléunphotographepastropcherpourquetutefassesfairedesphotos.Etça,c’estsonnuméro,tuvois?Etendessous,c’estl’adresseoùtudoisalleraveccesphotos.Tuascompris,maintenant?Moij’aiétégentille,leréalisateuraétégénéreux,ettoituesuncon,tum’asgâchémajournée.Maurotentedel’enlacer.—Mais,monamour,commentjepouvaissavoir,moi?—Avantdefairelatête,c’estpasplussimplededemander?Parler?Dialoguer?Nepasfairecommelesanimaux?—Pourquoi,commentilsfont,lesanimaux?—Ilsgrognent,commetoi.Maurosemetàimiterunpetitcochon.IlappuiesonmuseaucontreleventredePaolaenpoussantetengrognant,ilessayedelafairerire,maiselleestencorefâchée.—Aïe,lâche-moi,tumefaismal.Elles’écarteetcroiselesbras.— Allez, ça suffit, arrête. Tu ne me fais pas rire. Tu m’as énervée. C’est absurde, j’ai toujoursl’impressiond’avoirunpetitgarçonenfacedemoi.Mais,aumoins,lespetitsgarçonsgrandissent.Toi,c’estlecontraire.—Toujours…allez,n’exagèrepas,pastoujours,quandmême…C’estlapremièrefoisquejetefaisunescènedejalousie.—Quoi?Maistufaisçachaquefoisquetuenasl’occasion.—Maisquand?!—Benoui,onsevoitpresquetoujourstouslesdeux,quellesscènestupourraisfaire?Maisdèsquejeparleàquelqu’un,commeaujourd’hui,surtoutpourterendreserviceàtoi,çayest,tut’emballes.—Mais,monamour,lajalousie…c’estunsigned’amour.—Ahouais,ettul’aslueoù,celle-là?DansunchocolatPerugina?—Allez,monamour,onvapassedisputer…—Çasuffit,jesuisfatiguée,jetravailledepuiscematinseptheures.Jeveuxrentrer,ons’appelleplustard…Paola prend son sac, posé sur le scooter, et s’éloigne.Mauro remonte sur sonKymco, démarre et larattrape.—Allez,monamour,nefaispasça…—Non,çava,çavamepasser,maispourl’instant,stop.—Jevaisfairelesphotosdemain.Tum’accompagnes?—Non,vas-ytoutseul.J’aipeut-êtreunautreentretien.—Avecleréalisateur?—Tuinsistes?Alorstucherchesvraimentladispute.Mauros’arrêteunpeuavantsonimmeubleetdescenddescooter.— D’accord, on ne se dispute pas. Allez, fais-moi un bisou. Paola l’embrasse pour tenter de sedébarrasserdelui.Mauroremontesursonscooter.—Demain,jefaislesphotos,etpuisjevaisàcetteadressequetum’asdonnée,çava?—Çava.Ciao.—N’éteinspastonportable,jet’appelleplustardpourtedirebonnenuit…Paolarefermeleportail.

—Si je peux, je le laisse allumé. Sinon, je l’éteins…Tu sais quemes parents écoutent tout, ils sonttoujoursderrièremoi…—OK…Maisd’aprèstoi,ceréalisateur,ilestpédé?—Oh,dégage!Paola,agacée,secouelatêteetentredansl’immeuble.Maurolasuitduregard,puisilmetlafeuilledanslapochedesonblousonets’enva.Arrivéàlapetiteplaceenbasdechezlui,ilarrêtesonscooter,metlachaîne.Maisquandilserelève,quelqu’unsortdel’obscurité.—Mauro?—Quic’est?Oh,putain,Carlo,tum’asfaitsursauter.Sonfrères’approchedelui.—Pardon,jenevoulaispastefairepeur.Écoute,j’aieuunegrandeconversationavecpapa,aujourd’hui.Hier, tu n’es même pas rentré à la maison. On t’attendait, tu n’as même pas prévenu… Tu n’en faistoujoursqu’àtatête,hein?—Oh,mecassepaslescouilles,Carlo,j’aioublié,çava…Jesuisgrand,hein,j’aivingt-deuxans,pastrois,alorssipourunefoisjenerentrepas…—Tuesgrand,maispasdanslesfaits.Tuaslaissétomberl’école,tun’asmêmepasterminé,etçafaitquatreansquetutebalades,enfaisantquoi?—Commentça,enfaisantquoi?—Tufaisquoi?Tunecomprendsplusl’italien?—Pff…MauropasseàcôtédeCarlomaisnes’arrêtepas.—Maisc’estpasvrai!Ondiraitnotrepère…—Non,lui,ilt’auraitmisdescoupsdepiedaucul.IlteL’аpromis.—Alorsjenerentrepas.—Allez,nefaispasl’idiot.Tunecomprendsvraimentpas?Mauroretourneauscooter,enlèvelachaîneetlametdanslecoffre.—Mau’, pourquoi tu viens pas travailler avecmoi, j’ai besoin d’un assistant.Tu apprends lemétier,c’estpasdifficileetçagagnepasmal…S’ilyabienuntrucquinemanquejamais,c’estlestuyauxquifuientetleschiottesàinstaller.Situdeviensbon,onpeutprendreplusdeboulot,etpuisunefoisquetuascompriscommentçamarchetutedébrouillestoutseul.Mauromontesurlescooteretdémarre.—Aujourd’huij’aitrouvéuntravail,maisjenetedisrien,parcequ’àcausedevousçapourraitbiennepasmarcher.Vousmeportezlapoisse.Ilmetlesgaz,laissantsonfrèreseulsurlaplace.

32ArrivédevantlelycéedeNiki,Alessandroarrêtelavoitureetregardedistraitementautourdelui.Desfillesbavardentensefumantleurcigaretted’aprèslescours.Deuxélèves,sefichantdupassageéventueldeleursparents,s’embrassentavidement,appuyéscontreunscooter.Legarçon,labouchecomplètementouverte,estpenchésurlafilleetactionnesalanguedefaçonquasifunambulesque.MonDieu!Sij’avaisunefilleetquej’assistaisàunescènedecegenre,qu’est-cequejedirais?Peut-êtrequej’arrêteraisdepasserdevantl’école.Detoutefaçon,qu’est-cequejepourraisyfaire?Ilsiraients’embrasserdansunparc,oudanslestoilettes,oun’importeoù.Tantqueçaenrestelà…Legarçon,commes’ilavaitentenducespensées,glissesamainsousleT-shirtdelafille,quiouvreunœil,contrôlerapidementlesalentours,puis sourit et se détend, l’embrasse à nouveau et le laisse faire. Juste à ce moment-là, un bourrins’approched’eux.Alessandroobservelascène.Est-cequ’unebagarrevaéclater?Unedecesbagarresdontillittoujourslerécitdanslesjournauxmaisauxquellesiln’ajamaisassisté?Maisnon.Lebourrinattendunpeu,puisdécided’intervenir.—Oh,vousvouspoussezdemonscooter,jevoudraisrentrerchezmoi?L’embrasseurfoulèveunbrasauciel.—Ouais…ilfallaitquetuchoisissesjustecelui-là,hein?Lebourrinlèvelatête.—Benoui,c’estlemien.—D’accord,d’accord.Jetedisseulementqu’elleétaitàdeuxdoigtsdelegriffer,tonscooter…Alessandrosourit,maissoudainilsursaute.Laportièredesavoitures’ouvreetNikiplongeàl’intérieur.—Allez,allez,vite,démarre,vite!Alessandro ne se le fait pas répéter deux fois.Niki se jette par terre tandis qu’il dépasse l’entrée del’écoleettourneaucoindelarue.Illaregarde,recroquevilléesouslesiègepassager.—Eh,tupeuxterelever,hein…Elles’installetranquillementàcôtédelui.Alessandrolaregarded’unairsérieux.—Écoute,maisondoitvraimentfairetoutecettescènechaquefoisparcequetamèreestàlasortie?Jenecomprendspas,onn’arienfaitdemal,onajusteeuunaccident,commebiend’autresgens.—Maismamèren’estpaspassée,aujourd’hui.—Etalors?Tantmieux…Pourquoitut’escachée?—Parcequ’ilyavaitmonex…Alessandrolaregardeetécarquillelesyeux.—Tonex?Etalors?—Rien.Ilnecomprendraitpas.Etsurtout…—Etsurtout?—Surtout,ilalamainleste.—Écoute,moijeneveuxpasentrerdansvoshistoires.—Allez!Ilnevariensepasser,rassure-toi.C’estpourçaquejemesuiscachée.—Maismoijeneveuxpasquetutecaches,jeneveuxpasqu’ilyaitlamoindrepossibilité,lemoindrerisque.Jeneveuxmêmepasleconnaître,tonex.Jeneveux…—Eh!Tropde«jeneveuxpas»!Tusaiscequemedisaittoujoursmonpère?Seulsles«jeneveuxpas»duroisontdesordres.—Maisqu’est-cequeturacontes?Cesontlesdésirsduroi!Moi,danscecas,jeneveuxpas,c’esttout.—Bravo,trèsbellephrase.Moij’enconnaisunedeWoodyAllen:«Lesennuissontcommelesfeuillesdepapiertoilette:tuenprendsune,tuenasdix.»

—Etqu’est-cequeçaveutdire?Que,commeonaeuunaccident,onvaavoirdixautresennuis?Nikihausseunsourcil.—Serait-onentraindesedisputer?Alessandrolaregarde.—Non,nouséclaircissonscertainspoints.—Ah,voilà,pouraméliorernotrerelation.Alessandrolaregardeànouveauetsourit.—Non,pourlaterminer.Nikiposesespiedssurletableaudebord.—Jenevoisvraimentpaspourquoi.Onvientdeserencontrer.Pourêtreexacte,tuviensdemerentrerdedans,moijen’airiendit,onestentraindefaireconnaissance…Ettoi,qu’est-cequetufais?Tudisquetuveuxmettreuntermeànotrerelation!—Enlèvetespiedsdutableaudebord.—OK,jelesenlèvesioncontinueàavoirdebonsrapports.—Debonsrapportsnesebasentpassurdesconditions,nousn’avonspassignédecontrat.—Ah,oui?Alorsjelaissemespiedssurletableaudebord.Alessandroessayedelesluienlever,avecsamain.—Qu’est-cequetufais?Attention,jevaismemettreàcrier,jevaistedénoncer!Tum’asrenversée,tuasdétruitmonscooter,tum’asenlevéeettuveuxmevioler!—Enfait,moijevoudraisjustequetuenlèvestespiedsdutableaudebord.Alessandroessayedenouveaudelesluienlever,alorsNikisepencheàlafenêtreetcrie«Ausecours!Aaaah!».Untype,immobiledevantunepetiteremise,avecjusteunscooterdevant,laregarde,abasourdi.—Niki,maisqu’est-cequetufais?Qu’est-cequisepasse?Elleserendcomptequ’ilssontjustedevantchezlegaragiste.—Ah,rien…Salut,Mario.Elle descend en faisant semblant de rien. Mario regarde Alessandro d’un drôle d’air. Niki essayed’arrangerleschoses.—Monamim’aidaitàrépéterunescènequejedoisjouerauthéâtre!Mariofroncelessourcils.—Çaaussi.Jesavaisquetufaisaispleindesport,maislethéâtre,ça,jesavaispas…—C’estbienpourçaquej’enfais!Mario rit en frottant sesmains sales de graisse et d’huile sur sa combinaison demécanicien.Niki setourneversAlessandroetluisourit.—Tuasvu?Jetecouvrechaquefois.Puiselles’éloigne,etAlessandroessayederépondre:«Chaquefois,maisquand?»MaisNikiestdéjàsursonscooter.Elleessayedebougerlarouearrièreàdroite,puisàgauche.—Çaal’airparfait!Marioreprendsonsérieuxets’approche.—C’estparfait.J’aichangélajanteavant,jet’airéparélarouearrièreetjel’airedressée.Lechâssiss’étaituntoutpetitpeutordu,etheureusementj’airéussiàlerecentrer.Etpuis,vuquelespneusétaientlisses,jetelesaichangés.—Eh,maisçavamecoûtercombien,toutça?—Rien…—Commentça,rien?

—Jetel’aidit,rien.Tuasditquecen’étaitpasdetafaute,pasvrai?—Biensûrquenon,souritfièrementNikienregardantAlessandro.Mariohausselesépaules.—Alors, toutceque j’ai faitenplus,on lecompteraàceluiqui t’es rentrédedans.Etpuis…ilétaitvraimentenpiteuxétat,tonscooter!Jemedemandeàquoiilpensaitquandilt’estrentrédedans,hein?Tuauraisdûalleràl’hôpital,Niki,tefairedonnerquelquesjoursetquelquespointspartonassurance.C’étaitl’occasionoujamais!NikiregardeMarioetsourit,enessayantdelefairetaire.MaisMarioneserendcomptederien,ilenrajoutemême.—Tuauraisdûluifairepayerpluscherquecequeluiacoûtésonpermis,quandill’aacheté!Alessandron’ytientplus.—Écoutez, peut-être que j’étais unpeudistrait quandque je lui suis rentré dedans,mais j’ai eumonpermishonnêtement.C’estclair?MarioregardeNiki.PuisAlessandro,sérieux.PuisdenouveauNiki.Ilsourit.—J’aicompris…vousêtesencoreentrainderépéter,hein?!Vousmefaiteslascèneduthéâtre.Alessandrolèvelamainetl’envoiebalader.Puisilsedirigeverssavoiture,ouvrelaportièreets’assiedàl’intérieur.MarioregardeNiki.—Oh,ilestsusceptible,tonami.—Eh,jesais,ilestcommeça.Maistuverras,ilvas’améliorer.—Bah,sit’escapabledefairedesmiracles.Nikiprendlescooteretallumelemoteur.Puiselles’approched’Alessandro,quibaissesavitre.—Çava?Ilmarche?—Oui,c’estparfait,merci.Tuasététrèsgentildem’accompagner.Mariotirelerideaudeferdugarage.—Qu’ils sontmignons, les tourtereaux !Vous faites une autre scène, hein ?Bon,moi je vaismanger.Invitez-moipourlapremière.MariometenmarcheunvieuxCaliffoneets’éloigne.NikisouritàAlessandro.—Ilestcommeça,maisc’estuntrèsbonmécanicien.—Sienplusilavaitétémauvais!Çaauraitétélepompon!—Maiscomment tu t’exprimes !Tunesaisplusdistinguer la réalité…tuconfonds la simplicitéet labeautédelavieavecl’irréalitédetespublicités.«Çaauraitétélepompon.»Tuesvraimentout.Nikisecouelatêteetdémarre.Unpeuplusloin,Alessandrolarejointetbaisseànouveausafenêtre.—Eh,maispourquoiilfauttoujoursquetutevexes?—Tusais,laréaliténedevraitjamaisêtreoffensive,sinonçaveutdirequequelquechosenevapas.Nikisouritetaccélèreunpeu.Alessandrolarattrape.—Ah,oui?Ehbien,enl’occurrence,tonscooter,lesrouesneuves,lechâssisréparé…tudoistoutçaàmonirréalité.Nikiralentit,selaissepresquedoubler.—Alors,àtoutça,tupeuxaussirajouterunplein.Alessandrosepencheàlavitre.—Pourquoi?—Parcequejen’aiplusd’essence.Alessandroralentit,garelavoituresurlebas-côté,tirelefreinàmainetdescend.—Pardonjen’aipascompris.Cebravemécanicien,ilnepouvaitpastemettreunpeud’essence,quetu

puissesaumoinsrentrercheztoi?—Mais qu’est-ce que tu racontes ? Tu ne sais pas ça ? En général, ils t’enlèvent ton essence. Pourtravailler,ilsdoiventallongerlescooterparterre,alorsilssontobligésdel’enlever,sinonçacouleraitdesouslaselle.—Alorsqu’est-cequ’onfait,maintenant?—Mets-toiderrièreavectavoiture.Tuasuntuyau?—Untuyau?—Oui,pouraspirerunpeudanstonréservoir…—Non,jen’aipasdetuyau.Alessandroremontedanssavoitureetfaitmarchearrière.—Etpourquoij’auraisuntuyau,d’abord?Nikiouvrelepetitcoffreavantduscooter.—Quellechance…moij’enaiun!Ellesortuntuyauvert,deceuxpourarroserlesplantes,longd’environunmètrecinquante.—J’étaissûrequemonfrèremel’avaitpiqué.—Tonfrère?Maisquelâgeila?—Onzeans.—Etilaunscooter?—Non.Maissoncopain,uncertainVanni,qu’à lamaisononappelleFilde fer, luiacommuniquésapassionpourlesvoiturestéléguidéesàexplosion…—Etdonc?—DoncilsvonttouslesjoursauForoItàlico,etmonfrèreutilisemonessencepourleurscourses.—Bravo.Nikiafinidedéboucherlebouchondesonréservoir,elleouvreceluidelaMercedesd’Alessandro.Elleyinsèrebrusquementletuyau,plusieursfois.—Voilà,c’estfait.Écoute,j’aidûfairesautertarétine.—C’est-à-dire?—C’est-à-dire,pourentreravecletuyau,j’aidûromprelarétinequisertdefiltre…Laprochainefoisquetuprendsdel’essence,tudemandesqu’ontelaremette,d’accord?—Oui,biensûr…Detoutefaçon,jenesuisplusàundégâtprès.—Voilà,tiens.Nikiluipasseletuyauvert.—Qu’est-cequejedoisfaire?—Aspire.—Quoi?—Aspire là-dedans et faismonter l’essence tout doucement. Le tube est un peu transparent, tu vois.Quandçaarrivepresqueenhaut, tumetslepouceauboutet tuletiensplusbasqueleréservoirdelavoiture.—Etensuite?—Ensuite, tu lemetsdans le réservoirdemon scooter et tu enlèves lepouce.L’essence sortira touteseule.—Pasmal.J’enavaisentenduparler,maisjenepensaispas…—Bah,tusais…tun’asjamaisentenduparlerd’uncertainArchimede…

— Je connais la loi des vases communicants, mais je ne pensais pas que cette méthode était encoreutiliséeaujourd’hui.Nikisecouelatêteetrit.—Tusaiscombiend’essenceonadûtepiquerdanstavie,aveccetteméthode?—Tucrois?—C’estsûr.Alessandroprendletuyauetleporteàsabouche,maisils’arrête.— Pardon, mais si c’est si facile… pourquoi tu ne le fais pas toi-même ? C’est toi qui as besoind’essence.C’estdangereux,n’est-cepas?—Mais non. Je ne le fais pas parce que je ne supporte pas l’odeur de l’essence. Je n’arrive pas àsucer…danscecas.Puiselleleregardeexprèsd’unairprovocant.Alessandrohausseunsourcil,ellesecouelatête.—Etpasnonplusdanslaplupartdesautrescas.Allez,suce.Alessandroneselefaitpasdiredeuxfois.Ilaspireavecforce,accrochéautuyau.Une,deux,troisfois.—Maisriennesort!Ilressayeentenantletuyauplusbas,etilnes’aperçoitpasquetoutel’essenceluiarrivedanslabouche.—Beurk!Ilenlèveletuyaudesaboucheetsemetàtousser,àcracher.—Quellehorreur,quellehorreur!Pouah!Nikiprendletuyauetlelève,interrompantainsilefluxd’essence.Alessandros’appuiecontrelavoiture.—MonDieu,jemesensmal.J’aidûenboire…Ilfautquejevomisse?Jemesuisauto-empoisonné.—Maisnon.Nikis’approchede lui.Alessandro reste immobile.Elles’approcheunpeuplusde lui,desonvisage,toutdoucement.Alessandropenseàunedrôledemanièredeleremercier,là,surlaroute,devanttoutlemonde.Toutlemonde…Lesgensquipassent.Etpourl’instant,iln’yapersonne.Alessandrofermelesyeux.Niki,avecsonparfum léger, s’approcheunpeuplus.Encore.Etencore…Alessandropousseunlongsoupir.Soudain,Nikis’arrête.Elleesttoutprès.Ellesemetàrenifler.Une,deux,troisfois.—Jen’ycroispas!Alessandroouvrelesyeux.—Aquoitunecroispas?—Maistavoituremarcheaudiesel?—Oui,pourquoi?—Parcequemonscootermarcheàl’essence,voilàpourquoi!Heureusementquetuasbu.Tusaiscequeçaauraitfait,commedégâts?—Non,jenesaispas,etjeneveuxpassavoir.—Pardon,maistunepouvaispas,ledireavant?Onn’auraitpasperdutoutcetemps.C’esttoiquiledis:letemps,c’estdel’argent.—Alors,machemiseetmavesteaussi,c’estdel’argent.Nikirefermeleréservoirduscooter,puisceluidelaMercedes.—Allez,jetelesporteraiaupressing,d’accord?Rappelle-toidemeleslaisser,toutàl’heure.—Oui,biensûr,jetelaissemavesteetmachemise,etjevaistorsenuaubureau.—Pardon,maistuasditquetuétaisuncréatif.Uncréatifestunartiste,non?Situasenviedetebaladercommeça,quitrouveraquelquechoseàyredire?Ecoute,tun’auraispasunpetitbidon,danstavoiture,commeçaonpourraitallerchercherdel’essenceetrevenir?

—Jenemepromènepasavecunbidondansmoncoffre…—Eneffet,jem’endoutais…Iln’yapasd’autresolution,alors.Monteenvoiture,va.Alessandro monte. Niki reste sur son scooter, près de la voiture, du côté passager. Alessandro necomprendpas.—Pardon,maistunevienspas?Tum’asditquetun’avaisplusd’essence…Illaregardedetravers.—Nemedispasquec’étaituneblague.—Maisnon,cen’étaitpasuneblagueJen’aivraimentplusd’essence.Allez,démarre,maisdoucement,sansà-coups,hein?Jem’accroche.—Quoi?Alessandrolaregarde,horsdelui.—Jem’accrocheà lavitre.Jegarde lebras tendu,et toi tum’emmènesà lapremièrestation-service,commeçaonmetdel’essence,enfin,j’enmets,tupaiesetonseditaurevoir.Ouplutôt,moijetedisaurevoir.Alessandrosecoue la tête,met lecontactetenclenche l’embrayageautomatique.LaMercedesdémarrelentement.—Voilà,toutdoucement,commeça.LebrasdeNikisetend,ellemettoutesaforcepourtenir.Lescootercommenceàbouger,ellelâcheunpeulapriseettendcomplètementlebras.LaMercedesavance,lescooteraussi,àcôté.Nikiluisourit.—Bravo,tuasfaitundémarrageparfait.Alessandrolaregarde.—Merci.—Maisregardelaroute,quandmême…Alessandrotournelatête,toutenluisouriant.—Tuasraison.Maisilrecommenceàlaregarder.Nikiesttoutepenchéeversl’avantmaiselleluisourit,elleaussi.—Laroute!—Jevoulaisvoirsitoutallaitbien.Toutvabien?Soudain,unevoixdansleurdos.—Non,çanevaabsolumentpas.Lavoituredepolicesemetàlahauteurdecelled’Alessandro.Unepalettesortparlafenêtreetfaitunmouvementvertical.—Non,jen’ycroispas.Ilarrêtelentementlavoiture.Etquandildescend,ilycroitencoremoins.Lesmêmescarabiniers.SerraetCarretti.Maintenant, ilsesouvientmêmedeleursnoms.Serrasedirigeversluientapantsapalettecontrelapaumedesamain.—Alors?Vousêtesunvrai récidiviste.Qu’est-cequevousfaites,vous jouezàquiperdra leplusdepointsdepermisleplusvitepossible?Non,maisexpliquez-nous,hein!Parcequelà,onnecomprendvraimentpas.Alessandrotenteunsourire.—Non,c’estmoiquinecomprendspas.J’ail’impressionquevousmesuivez.Carrettis’approche,l’airsérieux.—Nous,onpatrouille.Nousavonsnostours,nosrondes,etsurtoutnotrezone.Etvousêtesdansnotrezone.Donc,ouvouschangezdequartier, commeçavouscroisereznoscollègues,ouvouschangezdemanières…cequiestpeut-êtrelameilleuresolution.Nikidescendduscooter,arrangesonT-shirtenessayantdesedonnerunpeudecontenance.

—Oui, vous avez raison,mais c’est dema faute. Je n’avais plus d’essence et je lui ai demandé dem’accompagneràunestation-service.Alessandrointervient,maisdécidedenepasraconterleurtentativeavortéed’aspiration.—Etcommemoi,malheureusement,jen’avaispasdebidon…—Biensûr,parcequesinonvousvousseriezbaladéavecunbidond’essence?—Oui,biensûr.Qu’est-cequejepouvaisfaired’autre?—Alorsvousavezeude lachance…Parceque,danscecas,onauraitdûvousemmenerdirectementchez le commandantpourvérifications.Cetteessenceauraitpu servirpourdescocktailsMolotov,parexemple…—DescocktailsMolotov?Maisalorsvousn’êtespasentraindepatrouiller.C’estaprèsmoi,quevousenavez!Pardon,maisjevousl’aidéjàexpliqué:lajeunefilleétaitenpanned’essence!—Qu’est-cequevousfaites,voushaussezleton?—Non,c’estquequandvousn’aidezpaslesgens,j’aidumalàvouscomprendre…—Ecoutez,c’estplutôtnousquinevouscomprenonspas.Vouscréezdesproblèmes,c’esttout.—Moi?Nikiintervient.—OK,OK,çasuffit,onnesedisputepas.Voussavezs’ilyaunepompeàessenceprèsd’ici?SerraregardeCarretti,quifermelesyeuxcommepourdire«maisoui,allez,onlaissetomber…».—Oui,justederrière.Maiséteignezlecontactdelavoitureetallez-yenpoussantlescooter.—OK,merci,vousêtestrèsgentils,ditNiki.Lescarabiniersremontentdansleurvoiture.Serrasepenche.— Pour cette fois, c’est bon. Mais nous ne voudrions pas vous retrouver dans d’autres situationsdésagréables.S’ilvousplaît,necréezplusdeproblèmes.Ilsdémarrententrombe.Nikisemetàpousserlescooter.Alessandroprendsesclés,fermelaportièreetappuiesurleboutondelatélécommande,quienclenchel’alarme.Illuicourtaprèsetlarattrape.—Allez,mets-toilà,jevaist’aideràpousser…Ilsavancentensilence.Nikiluisourit.—Surtout,necréepasdeproblèmes,Alex,hein?—Oui,biensûr,c’estvrai,depuisquejeteconnaisjenefaisqueça.—Non,ilsteconnaissaientdéjà,àcausedesRusses…—Ah,oui,c’estvrai.Ilscontinuentàpousser.Alessandrosoupiresouslesoleil.—Jepuelegasoil,jesuisennageetjerisquemêmedeprendrefeu…Ceciétaitmapause-déjeuner.—Allez,qu’est-cequetueslourd,amuse-toiunpeu,aumoinsçachangedel’ordinaire,non?—Ça,c’estcertain.—Mais ilyaquelquechoseque jenecomprendspas :pourquoiest-ceque lescarabiniers repartenttoujourssurleschapeauxderoue?—C’estquoi,unequestiondel’émission«Tusaispourquoi»?Bah,c’estpeut-êtreundéfautdeleurvoiture.Lemeilleur,çaauraitétéquetut’accrochesàeuxavectonscooter,haha!Voilà,onestarrivés.—Tuasdixeuros?—Biensûr…Alessandro met la main dans sa poche et les prend dans son portefeuille. Niki met le billet dans lamachineautomatiquedelapompe.

—Note-le…—Laissetomber…Detoutefaçon,j’aiperdulecompte,ditAlessandroensouriant.—Ahbon,alorsdanscecasjenepaiepaslepressing!Nikidétache lapompeet laglissedans le réservoirduscooter.Puis,quand l’écran indiquedixeuros,ellesemetàsautersurletuyaudelapompequitraîneparterre.Ellesautedeplusenplusfort.—Qu’est-cequetufais?—Jemetsdel’essence,non?Regarde,lecompteurcontinueàtourner.10,10,05,10,20,10,45,10,70,11…C’estleseulmoyenpourcompenserlahausseduprixdupétrole!Alessandrol’arrête.—Oui,etsilescarabiniersrepassent,ilsnousmettentdirectementautrouJusteàcemoment-là:—Niki!Niki!Heureusementquejet’aitrouvée!Mario,lemécanicien,àborddesonCaliffone,freinedevanteux.Mario,qu’est-cequetufaislà…Niki, j’aiuntructrès importantà tedire…Ilnefautpasqueturoulesavectonscooter,pourl’instant.C’estcommes’ilétaitenrodage.Lesrouesneuvessontrecouvertesdecire…Aupremierfreinage,tuteretrouvesleculparterre!—Merci,Mario!Lemécaniciensourit.—Jet’enprie…Derien…C’estquejem’inquiétais,moi!—Tuasvu?NikiregardeAlessandro.—Jet’aiditquec’étaitunexcellentmécanicien!—Jet’enprie,c’étaitmondevoir…vousm’avezembrouillé,avectoutesvosscènesdethéâtre.MariodémarresonCaliffoneets’éloigneensecouantlatête.—Etmaintenant?—Maintenantquoi?—Maintenant,commentjevaisàFregene?J’aiunecompétitionlà-bas,cetaprès-midi.Nikipenchelatêtesurlecôtéetouvrelesyeux,essayantpartouslesmoyensd’avoirl’airplusmignonne.—Unecompétitionàlaquellejetiensdepuistrèslongtemps…—Noooon,noooon,pasquestion,hein…inutiledefaireça!Nikis’approche.—Allez,maispourquoitufaistoujoursledur,auHeudem’aider?—Jenet’aidepas?!Depuisquejeteconnais,j’aicrééunesorted’«UrgencesNiki».—Voilà,tuvoiscommetuesgentil,ehbien,continuecommeça,non?Alessandrocroiselesbras.—Iln’enestpasquestion.SurcettehistoiredeFregene,jeseraiinébranlable.

33Unpeuplustard.SurL’Aurelia,directionFregene.—Situm’accompagnesenfaisantlatête,alorsles«UrgencesNiki»nefonctionnentplus.—Iln’estécritnullepartquejedoissourire.—Non,maisçaseraitplussympa.Alessandrofaitunsourireforcé.—Çava,commeça?—Non,çanevapas,cen’estpasnaturel.Sic’estcommeça,moiaussi,jefaislatête.Nikisetournedel’autrecôté.Alessandrolaregarde,toutenconduisant.—Jen’arrivepasàycroire,ondiraitdeuxgamins.Nikisetourneverslui.—Leproblème,c’estquetupensesvraimentquejesuisunegamine!Écoute,onvafaireunechose:jeterembourse l’assurance, le constat et tout le reste.D’accord ?Comme ça tu as une bonne raison pourm’accompagneret,surtout,beaucoupplusimportant,poursourire.OK?Alessandrosourit.—Tuvois?C’estexactementcequejevoulaistemontrer…—Quoidonc?—Tuasbeauêtreplusvieuxquemoi,là,c’esttoi,legamin.— Écoute, je n’ai pas envie de discuter. Allez, je t’accompagne à ta compétition, d’accord ? Pourl’assuranceettoutlereste,onnechangerien.—Non,non.Maintenant,jel’aidit,onfaitcommeça.—OK,commetuveux,maisalorslemécanicien,c’estmoiquilepaie.—Oh,tuveuxtoujoursavoirlederniermot,hein…—Oui,sinonlesUrgencesNikinefontpasleurtravail.Maistumedisdequellecompétitionils’agit,aumoins?—Non,tuverrasbien.Pourquoituneveuxpasavoirlasurprise?Sijeteledis,tuvastefairedesidées.C’estbeaud’avoiruntempspourtout…D’ailleurs,jepeuxdireunechose?Jetrouvequetuneprendspasassezdetempspourtoi.—Tucrois?Alessandrolaregarde.—Oui,jecrois.Alessandroprendsonportable;—Qu’est-cequetufais?—J’appellelebureaupourleurdirequejeprendsdutempspourmoi…Ilappuiesurleboutonvert.Nikileregarde.Alessandrosecouelatête.—Allô,Andrea?Oui,c’estmoi.Pause.—Oui,jesais…jesais…Bon,jet’explique:jeprendsdutempspourmoi.Pause.—Comment,qu’est-cequeçasignifie…Pourêtrepluscréatif…Oùjesuis?AlessandroregardeNiki,puishausselesépaules.—Jemebalade…Oui,ilyadumonde.Oui…Ilyadelacirculation,oui.Pause.Nikiprenddanssonsacunefeuillepréparéeàl’avanceetlaluipasserapidement.Alessandrolaprend,lalitetnecachepassasurprise.Puisillarépèteàhautevoix.

—Être créatif ne veut pas dire être prisonnier du temps des autres. N’avoir ni limites ni frontières,jusqu’àtrouverl’idéeparfaitequitedédommagedetoutletempsquin’estplus…etquienréalitéexisteencore,maissousd’autresformes…Alessandron’estpastotalementconvaincuparcequ’ilalu.Cependant,illuisembletoutdemêmequecettedrôledephraseafaitsoneffet.IlregardeNikid’unairsatisfaittoutenécoutantAndreaSoldini.—OK,OK,çasuffit,j’aicompris…Non,jet’aiditquenon.Neprendspasleraccourci.OK.Maisnon,jet’aiditquenon.Tunepeuxpasfaireça.Oui,onsevoitdemainmatinaubureau.Alessandroraccroche.Nikileregarde,enthousiaste.—Ah, là, tumeplais. Ilsvontencorepluscroireen toi, ilsvont trouverdes idées,despistes.Tu lesexcites,aveccetteliberté.Fais-moiconfiance.—OK,jetefaisconfiance.C’étaitunebellephrase,merci.—Jet’enprie.—Non,sérieusement.Çadonneunsensà toutcequenomsommesentraindefaire.Commentçat’estvenuàl’esprit?—Cen’estpasdemoi.J’aicherchéçahiersoirsurGoogle.—Ah,jen’auraispasimaginé.—Maismoijesavaisqueçameseraitutile.Alessandrolaregardeavecd’autresyeux.—Écoutecelle-là…Tuconnaisladifférenceentreunefemmeetunepetitefille?—Non.—Aucune.Chacuneessayesouventd’êtrel’autre.—Çaaussi,tul’astrouvésurGoogle?—Non,ça,c’estdemoi.Niki sourit.Peuaprès, ils prennent la sortiepourFregene.Niki s’agite, parle et pose lespieds sur letableaudebord,tranquille, insouciante.Ellerit.Etquandilfaitsemblantdes’énerver,ellelesenlève.Alessandrobaisselavitre.Ilrespirel’airchauddesderniersjoursd’avril.Auborddelaroute,depetitsépissontpliesparlevent.Leparfumdelavégétation,déjàgorgéed’été,emplitlavoiture.Alessandrolerespire,fermantpresquelesyeux.C’estvrai,pense-t-il.Jeneprendsjamaisassezdetempspourmoi.Enplus, peut-être qu’une idée va me venir, qui sait. Il se sent plus tranquille. Peut-être parce qu’il al’impressiondevolercetempsqu’ils’offre.—Voilà,gare-toiici,onestarrivés.Nikidescenddelavoiture.—Allez,viens,onyva,onestenretard.Ellecourt,montesurunedunedesable,puis surdesplanchesséchéespar le soleil,quimènentàunevieillebaraque.—Salut,Mastino.Jesuisarrivée!Donne-moilesclés.—Salut,Niki.Toutlemondeestdéjàlà.—Oui,jesais.Alessandroarrive,essoufflé.—VoicimonamiAlessandro.Alex,attends-moiici.Etneregardepas,hein?Ils’arrêtedevantlemonsieurqu’elleaappeléMastino.—Bonjour…Mastinoleregardeaveccuriosité.—Vousaussi,vousfaitespartiedugroupedesfous?Non,voudrait lui répondreAlessandro,moi je travaille auxUrgencesNiki,mais ça serait trop long àexpliquer.

—J’aijusteaccompagnéNikiquiaeudesproblèmesavecsonscooter.—Cettefilleatoujoursdesproblèmes.Maiselleestforte,hein?Lecœursurlamain.Vousvoulezboirequelquechose?Unpetitverre,unapéritif,unpeud’eau…—Non,non,merci.—Voussavez,Nikiauncompteici.Vouspouvezprendrecequevousvoulez.—Non,vraiment,merci.Enfait,jevoudraismanger,jemeursdefaim,penseAlessandro.Voussavez,c’estmapause-déjeuner…Unpeulongue,medirez-vous.Alessandrosesentmal,ilpréfèrenepasypenser.C’estvrai,quelidiot,jedoismeconvaincrequejesuisentraindeprendredutempspourmoi.Acemoment-là,Nikisortd’unecabine,aufond.Elleporteunecombinaisonbleue,moulante,etseslongscheveuxblondssontretenusparunélastique.Danssesmains,uneplanchedesurf.—Etvoilà!Tuavaiscompris?Alessandroestpantois.—Non.—Quisait,peut-êtrequ’unjourçatetenterad’essayer,toiaussi…Tuasdéjàsurfé?—Moi?Non.Unefois,quandj’étaisado,j’aifaitduskateboard.—Ehbien,c’estunpeulamêmechose…maisdansl’eau!—Oui,maisjesuistombépresquetoutdesuite…—Bah,ici,aumoins,tuessûrdenepastefairemal!Mastino,préparequelquechose,onvamanger.PuiselleprendAlessandroparlamainetl’entraînedehors.—Viens,viensavecmoi.Elleletirederrièreelle,surlaplage,ilscourentensembleverslamer.Alessandrolasuitpéniblement,ses chaussures s’enfoncent dans le sable, il porte encore son costumede travail et sa chemise sent legasoil.MaisNikineluilaissepasletemps.—Voilà,assieds-toiici,surleponton.Jerevienstoutdesuite…Ellecourtversl’eau,puiss’arrête,posesaplancheetrevientverslui.—Alex?—Oui?Ellel’embrasselégèrementsurlabouche,puisleregardedanslesyeux.—Mercidem’avoiraccompagnée.Ilenrestesansvoix.—Oh…ben…iln’yapasdequoi.Nikisourit.Puiselleretirel’élastiquequiluitientlescheveux.—Tiens-moiça,s’ilteplaît.Elleleluilaissedanslesmainsets’enfuit.—Biensûr.Nikiplongedansl’eauavecsaplanche.Ellemontedessusetsemetàpagayeravecsesbras.Ellevaverslelargeetrejoint lesautres, làoùlesvaguessontplushautes.Alessandrosetoucheleslèvres.Puis ilregardesamain.Commes’ilcherchaitencorecelégerbaiser…Maisilnetrouvequ’unpetitélastique.Uncheveublondyest restéaccroché, rebelle,quis’agiteauvent.Alessandro ledégagedoucementdel’élastique,lèvelamainetlelanceverslehaut,l’abandonnantàunelibertéinconnue.Puisilregardeànouveaulamer.Nikiestsursaplanche,aveclesautres.Unevaguearrive,certainspagaientrapidementavecleursbras,d’autreslalaissentpasser.Niki tournesaplanche,faitquelquesbrassesetréussità laprendre. Elle semet à genoux, puis debout. Elle fait un petit saut et atterrit au centre de la planche,

parfaitementenéquilibre.Ellesepencheenavant,ouvrelesbrasetsurfesurlavague,lescheveuxfoncéspar lamer,sacombinaisonbleuemoulantemouillée.Ellesepromènesur laplanche,arrive jusqu’à lapointeetselaisseporterparlavague.Ensuite,ellerevientenarrièreetdéplacesonpoidsenlafaisanttournerunpeu,puisellemonte,atteintlesommetetdescendànouveau,glissantdoucement,entrel’écumelégèreetlesregardsenvieuxdeceuxquiontlaissépasserlavague.

34Unpeuplustard.Desmouettesrasentlesvaguesprèsdelaplage.Nikisortdel’eau,saplanchesouslebras.—Waouh,jelesaiéclatés!J’aiprisplusdedixvagues.Tuasvucommejefilais?Jen’enaipasperduuneseule.—Tuenasprisquatorze…Tiens,tonélastique.Nikisourit.—Merci.Viens.Ilsretournentàlacabanesurlaplage.—Allez,moijevaisprendreunedoucherapide.Toi,enattendant,assieds-toiici.NikiaperçoitMastinoderrièrelebar.— Eh, tu peux nous apporter tout de suite une de tes bonnes bruschette1, pendant que je prends madouche?Levieuxmonsieurderrièrelebarsourit.—Vosdésirssontdesordres,princesse.Vousvoulezaussideuxdaurades?J’enaidestoutesfraîches.NikiregardeAlessandroquiacquiesce.—Oui,merci,Masti,çaseraparfait.Moijeprendraiaussiunesaladeverteavecdestomates,maispastropmûres,hein?—Vousenvoulezaussi,Alesssandro?Avantd’entrerdansladouche,Nikileregardedetravers.—Masti!Maistupeuxletutoyer!Aujourd’hui,c’estungamin…Etellesouritendisparaissantderrièrelaporte.Un peu plus tard, ils sont assis à table.Niki a encore les cheveuxmouillés quand ellemord dans sabruschettà.ElleregardeAlessandro.—Ellessontbonnes,pasvrai?Moi,jeviensiciexprès.Alessandromorddanslasienne.—J’aitellementfaimquejeneferaispasladifférenceentrecesmoulesetdespalourdes.Nikirit.—Eneffet,cesontdestellines!—Ellesmesemblaientbienunpeupetites.Nikiprenduneautrebouchée,enlèveunpeud’huilequiacoulésursonmentonavecledosdesamain,qu’ensuite,bienélevée,elleessuiesursaserviette.—Allez,lemomentestvenudetravailler.—Maisnon,quelrapport,onesticipoursedétendre.—Ons’estbiendétendus,maintenantjesuissûrequ’onvaavoiruneidéefulgurante,encoremieuxqueles vagues que j’ai prises. Allez, chacun son tour… Nous avons fait le contraire de ce qui se faitd’habitude : d’abord le plaisir, ensuite le devoir… et puis, ensuite, peut-être qu’on se fera encoreplaisir…Alessandrolaregarde.Nikisouritetprenduneposesensuelle.Elleattrapelabruschettà, laporteàsaboucheetmorddedansàpleinesdents,puisramassequelquestellinesetlesavale.—Jetel’aidit…j’ensuisfolle!Allez,raconte!Alessandroprendunepetitebouchéede sabruschettà et lui laisse cequi en reste. Il remetdessus lestellinesquisonttombéesdansl’assietteetlaluitend.Nikicroquededans,luiattrapantaussiledoigt.—Aia!

—Ondit«aïe».Nonmais,quelgamin!Alors,tumeracontes,ouiounon?—Alors,ilyadesJaponaisquiveulentlancerunbonbon.—Super.—Maisjen’aiencoreriendit.—Non,maiscettehistoiremeplaîtdéjà!Alessandrosecoue la têteet lui raconte tout : lenomdubonbon,LaLune, lacompétitionavec le jeunecréatif.—Jesuissûrequec’estuntypeodieux,unsnobquisesentgénialmaisquin’arienfaitd’intéressant,enréalité.—Nocomment,ditAlessandroensouriant.Ilcontinuesonrécit.LerisquedepartiràLugano,leraccourcideSoldini,lelogoqu’ilfauttrouver,etl’idéed’ensemblepourtoutelacampagne.—OK,j’aitoutcompris.Jevaistelatrouver,tonidée!Tuesprêt?Aulieudefairecettebelleblondequidanseaveclesbonbonsdanssamain…commentelles’appelle?—MichelleHunziker.—C’estça,elle…Nousonvafaireunpaquetquidanseentretouteslesfillesquiveulentlemanger.—Çaadéjàétéfait,c’étaitCharms,ilyalongtemps.Alessandrosedemandesielleétaitdéjànée.Maisça,ilpréfèrenepasluidire.Nikiappuiesonmentonsurlapaumedesamain.—Zut,ilm’ontpiquémonidée,alors!Alessandrorit.Mastinos’approcheetposedesassiettessurlatable.—Mesamis,voicilesdauradesetlessalades!S’ilyaquoiquecesoit,appelez-moi,jesuisderrière.—OK,Masti,merci!—Mmm,çaal’airbon…Nikiouvrelepoissonavecsafourchette.—Cetteodeur!Plusfrais,c’estimpossible…Elleenporteunmorceauàsabouche.—Ilesttendre…Mmm,vraimentdélicieux.Maisellesaisitunepetitearrêteavecdeuxdoigts.—Bah,unearête!—Biensûr,situlemangescommeça…tuveuxquejeteleprépare?—Non,j’aimebienlemangercommeça.Jemange,maisenmêmetempsjeréfléchis,hein…Jesuissûrequejevaisavoiruneautreidéemagnifiquequinem’apasencoreétépiquée!Alessandrosourit.—OK,d’accord.Il nettoieméthodiquement son poisson. Il la regardemanger. Elle s’en aperçoit et grommelle quelquechose,labouchepleine.—Jeréfléchis,tusais?—Fais,fais…Unechoseestcertaine.Unbrainstormingdecegenre,jen’enaijamaisfait.Nikis’essuielaboucheavecsaserviette,puisprendsonverreetboitunpeud’eau.—OK,j’enaiuneautre!Tuesprêt?—Toutàfaitprêt.D.remplitsonverre.—Elleestsuper,celle-là…—Vas-y.—Alors…Onvoituneville,etd’uncoup tout se transformeenpaquetsdebonbons,etendernieren

bonbonsLaLune.LaLuneestunecitédedouceur!Cettefois,c’estautourd’Alessandrodeboire.EtNikiluiremplitimmédiatementsonverre.—Alors?Qu’est-cequetuendis?Çanet’apasplu,hein?Tuasfaillit’étouffer.—Non,jeréfléchis.Pasmal.Çamerappelleunpeucelledupont,quiétaitenfaitlechewing-gumqueleprotagonistepliaitdanssabouche.Nikileregardeetsecouelatête.—Jamaisvue…—Maissi,tusais,lechewing-gumdupontdeBrooklyn.Nikifrappedupoingsurlatable.—Mince,ilsmel’ontpiquée,celle-làaussi!Bon,maisl’idéedelavilleestdifférente.Alessandromangeunpeudesalade.—Elleestdifférente,maiselleestvieilledanslesensoùellerenvoieàcelle-ci.Ilfautquelquechosedenouveau.Nikimangeelleaussiunmorceaudetomate.—Zut,alorsilestdifficile,tonboulot…Jepensaisquec’étaitbeaucoupplusfacile.Alessandrosourit.—Sic’étaitaussifacile,jen’auraisjamaispuavoirlavoiturequetuasdécidédemedétruire!Nikiyréfléchituninstant.—Oui,maistuauraisunscootercommelemienettusauraisfairedusurf!Etpuis,tuauraisdéjàmangépleindefoislesbonneschosesdeMastino.—C’estvrai.Alessandroluisourit.—Maisjet’airencontrée.— Oui, c’est vrai. Alors c’est un excellent travail. Tu as de la chance. Il se regardent un peu pluslonguementqued’habitude.—Ecoute,Niki…Justeàcemoment,sonportablesonne.Alessandroleprenddanssapoche.Nikisoupire.—Encorelebureau…—Non,c’estunami.Ilrépond.—Oui,Enrico.—Salut.Excuse-moimais jen’aipaspum’enempêcher.Alors ?Commentça s’estpassé, chezTonyCosta?—Çanes’estpaspassé.—Commentça?Qu’est-cequeçaveutdire?Iln’apasvoulusechargerdel’affaire?Çacoûtaittropcher?Qu’est-cequis’estpassé?—Rien,c’estjustequejen’ysuispasencoreallé.—Commentça,tun’yespasencoreallé?Alex,tun’aspascompris,moijesuismal,jesuistrèsmal.Chaquemomentquipasseestunetorturepourmoi.Silence.—Tuesoù,là,Alex?—Enréunion.—Enréunion?Maistun’espasaubureau.Jet’aiappelélà-bas.—C’estuneréunionàl’extérieur.AlessandroregardeNiki,quisourit.—Uneréuniontrèscréative.Enricosoupire.

—OK,j’aicompris.Pardon,monami.Excuse-moi,excuse-moi,tuasraison,maistueslaseulepersonnesurquijepeuxcompter.Jet’enprie,aide-moi.Alessandro,enentendantsontondésespéré,reprendsonsérieux.—OK,masraison,c’esttoiquidoism’excuser.J’yvaistoutdesuite.—Merci,tuesunvraiami.Ons’appelleplustard.Enricoraccroche.Alessandroprendlaserviettesursesgenoux,laposesurlatable.—Ilfautqu’onyaille.Ilfaitminedeselever,maisNikil’arrêteenposantlamainsursonbras.—OK,onvayaller,maistuallaismedirequelquechose,avant…—Avantquand?Nikipenchelatêtesurlecôté.—Avantquetontéléphonesonne.Alessandrosaitparfaitementdequoielleparle.—Ah,avant…—Oui,avant…—Maisrien…Nikiluiserrelebras.—Non,cen’estpasvrai.Tuasdit:«Ecoute,Niki…»—Ah,oui.Euh…Ecoute,Niki…Alessandroregardeautourdelui,puislafixeànouveau.—Voilà, j’étais en train de te dire…Ecoute,Niki, je suis heureux de t’avoir rencontrée, nous avonspasséunetrèsbellejournéeetc’esttoiquim’asoffertdutemps.Etsurtout…C’estbeaudedécouvrirdeschosescommeça!AlessandroindiquequelquechosedansledosdeNiki,quisetourneetl’aperçoit.—Ça?—Oui,ça.Unfiletdefertendu,avecàl’intérieurdupapierbleuetunesorted’axeenplâtrequiletraverse.—Çavousplaît?Mastinosourit.— Ça s’appelle LaMer et le Rocher. C’est beau, non ? C’est une sculpture d’un certain GiovanniFranceschini,unjeunedont,àmonavis,onentendraparler.Jel’aipayéetrèscher.J’aiinvesti.C’est-à-dire, jene l’aipaspayée…maisça faitplusd’unanqu’ilmange icià l’œil,grâceàcettesculpture !Donc,çaveutdirequeçavauttrèscher…Alessandrosourit.—Voilà,tuvois,sanstoijen’auraisjamaisdécouvertLeRocheretlaMer.Mastinolecorrige.— La Mer et le Rocher… Pardon, mais après tout ce que j’ai investi, vous ne pouvez pas me ledénaturer!—Vousavezraison.Jesuisdésolé.Alessandroprendsonportefeuille.—Combienjevousdois?Nikiselèved’unbondetluirangesonportefeuille.—Masti,metsçasurmoncompte…Mastinosouritetsemetàdébarrasser.—C’estdéjàfait,Niki.Reviensbientôt.AlessandroetNikisedirigentverslasortie.Nikis’arrêtedevantlasculpture.Alessandrolarejoint.—LaMeretleRocher…C’estbeau,non?Nikileregarded’unairsérieux.—Tusais,jen’aimepasça.—Lessculptures?

—Non,lesmensonges.

35La Mercedes roule à bonne allure sur le chemin du retour. Un après-midi tranquille durant lequelquelqu’una fait l’expérienced’une liberténouvelle :prendredu tempspour soi.Mais,parfois,onestincapabled’accepteruncadeau,mêmedesoi-même.—Jeteramèneàtonscooter?— Pas question. Aujourd’hui, c’est notre après-midi. Et puis, je suis en train de mettre au point denouvellesidéespourtonbonbon.Alessandrolaregarde.Nikiabaissélavitreetleventluiemmêlelescheveux,etluisèche,aussi.Elleaunpapieràlamainetunstylodanslabouche,qu’elletientcommeunecigarette,touteurevintàl’idéed’ungrandspot.—OK.Nikiluisourit,puisécritquelquechosesursonpapier.AlessandrotentedeИге.—Neregardepas.Jetelediraiquandçaseraprêt…—OK.Ledéfinitif.—Quoi?—C’estcommeçaqu’onappelleletravailfini.—OK,alorsquandçaseralemomentjetedonnerailedéfinitif.—Oui,c’estbien…Siseulementtupouvaisvraimenttrouverlabonneidée.Jepourraisprendrepleindetempspourmoi!—Tuvasvoir,jevaisyarriver,jeserailamuseinspiratricedelapublicitépourcesbonbons.—Jel’espèresincèrement.Cedisant,ilmetsonclignotantetprendlasortieverslaCasilina.—Eh,maisonvaoù?—Quelquepart.—Jevois…Onestsortisdelavoierapide.—Jedoisfaireunecoursepourunamiàmoi.—Celuiducoupdefildetoutàl’heure?—Oui.—Dequoiils’agit?—Qu’est-cequetuescurieuse!Netelaissepasdistraire.Penseàlapublicité.—Tuasraison.Nikiécritencorequelquechosesursonpapier.AlessandrosuitlesindicationsduGPSets’arrêtedevantunepetiteruedonnantsurlaCasilina.Auborddelarouteilyadesvieillesvoituresrouillées,certainesavec lesvitrescassées,d’autres lespneus troués.Despoubellescabossées,descartonsabandonnésetdessacsenplastiqueouvertsetgriffespardeschatsmaigresenquêtedésespéréed’unremèdeàladièteàlaquelleilssontforcésdepuistroplongtemps.—Voilà,c’estlà.Nikiregardeautourd’elle.—Eh,maiscesquoi,cesamis?!Qu’est-cequ’ilsontàvoiravecunendroitcommeça?—C’estunecourseunpeuspéciale.Nikileregarded’unairsuspicieux.—Écoute,sitesamislescarabinierspassentparicietqu’ilsnousarrêtentpourtraficdedrogue,ensuitec’esttoiquiexpliquesàmesparentsquej’étaisjustelàpourt’accompagner…—Maisquiaparlédetraficdedrogue?Çan’arienàvoir.Restedanslavoitureetappuiesurcebouton

quandjesors,pourt’enfermeràl’intérieur.Alessandrodescenddelavoitureetsedirigeverslaportedel’immeuble.Ilentendlebruitdelavoiturequiseverrouille.Ilsourit.Puis,encherchantlenomsurl’interphone,ilpenseàses«amis»carabiniersetaufaitqu’ilsétaientvraimentsurlepointdel’arrêterpourtraficdedrogue…ToutçaàcausedeceSoldinietdesapeurqu’onl’oublie.Entoutcas,cettesoirée,ons’ensouviendra…Jemedemandecequ’ilsfabriquent,aubureau.Espéronsqu’ilsaientunebonneidée.Bah…quelidiot!Ilnefautpasquejem’inquiète… Niki est là pour ça ! Puis il sourit, inquiet. Espérons. Finalement, il trouve ce qu’ilcherchait.TonyCosta.Troisièmeétage.Laporteestouverte.Alessandroentreetprendl’ascenseur.Surlepalier,ilaviseuneporteverteoùilestécrit«TonyCosta.Détectiveprivé».Exactementcommedanslesvieuxfilmsaméricains.Engénéral,danscesfilms,quandquelqu’unsonne,oubienonluitiredessus,oubienlaporteexplose.Maisfinalement,personnen’estjamaisblessé.Rassuré,ilsonne.Unesonnerievieillotte,qui s’accordebienavec lapourritureet l’odeurde l’escalier, levieilascenseuretaussi lespaillassonsuséspardesarméesdepiedsquiont tentédesenettoyeravantd’entrer.Alessandroattenddevant laporte. Iln’entendrien.Ilsonneànouveau.Dubruità l’intérieur.Undrôlederemue-ménage.Puisunevoixprofonde,chaude,exactementcommeledoublagedeRobertMitchumdansMarlowe,oudeBruceWillisdansLeDernierSamaritain.—Uninstant…j’arrive.La porte s’ouvremais l’homme devant lui ressemble à tout sauf à ces deux acteurs.Aumieux, il faitpenseràJamesGandolfini,dansLesSopranos.Cequiestunpeuinquiétant.Ilestunpeupluspetit,maistoutaussilarge.Letypeleregarded’unairrenfrogné.—Oui?Qu’est-cequ’ilya?—JechercheTonyCosta.—Etpourquoivouslecherchez?—C’estvous?—Çadépend.Alessandrodécidedenepasrésister.—J’auraisbesoindelui,bon,enfaitjevoudraisluiconfieruneaffaire.—Ah,oui,alorsc’estmoi.Entrez.TonyCosta le fait entrer, puis il referme la porte. Il remonte sonpantalon tombant, et rentremême sachemisetandisqu’ilssedirigentverslebureau.—VoiciAdèle,monassistante.TonyCostaindiquesansseretournerunejeunefemmequifaitsonapparitionsurlepasdelaporte,enserhabillantunpeuelleaussi.—Bonsoir.—Bonsoir.Adèlesedirigeversuneautrepièce, justederrière,maisavantdesortirellefermelaporte.Pasassezvite, cependant, pour empêcherAlessandro de constater qu’il s’agit en fait d’une chambre à coucher.TonyCostas’assiedàsonbureauetluiindiqueunechaise.—Jevousenprie,asseyez-vous.Alessandros’installeenfacedelui,tandisqu’Adèlevients’asseoiràunetablesurladroite.Alessandros’aperçoitqueTonyCostaporteàl’annulaireunegrossealliancelarge.Ellebrille,abîméeparletempsentresesdoigtsgrassouillets.Adèle,quirangequelquespapiers,neportequ’unepetitebagueàlamaindroite.Quisait.Ilapeut-êtreinterrompuquelquechoseentrelepatronetsasecrétaire.Entoutcas,unechoseestcertaine:untypeaussientraînéqueTonyCostanepeutsefaireavoirparpersonne,etcequise

passaitdanslebmeaud’àcôténel’intéressefinalementpastantqueça.Illeregarde.—Vousvoulezboirequelquechose?Unegouttedeça?Illèveunebouteilledethéglacéposéesurlatable,déjàentamée.—Désolé,ilestchaud,lefrigoestcassé.—Non,merci.—Commevousvoulez.TonyCostas’enverseunpeu.—Adèle,écrivez:réparerlefrigo.PuisilsouritàAlessandro.—Vousvoyez?Vousavezdéjàserviàquelquechose,vousm’avezrappelécequejedoisfaire.Puisilvidesonverredethéd’untrait.—Ah ! Ça a beau être chaud, c’est toujours un plaisir. Alors, qu’est-ce qu’on peut faire pour vous,monsieur…?—Alex.Hum,AlessandroBelli.Cen’estpaspourmoi,c’estpourunami.—Biensûr,biensûr,unami.TonyCostaregardeAdèleetsourit.—Lemondeestfaitd’amisquirendenttoujoursserviceàd’autresamis…Alors,dequois’agit-il?Desdocumentsdetravail,unchèqueenbois,unetrahison…—Unehypothèsedetrahison.—Delafemmedevotreami,n’est-cepas?—Exact.Moijenepensepasqu’elleletrompe.—Etalors,qu’est-cequevousvenezfaireici?Jetervotreargentparlesfenêtres?—Aupire,c’estl’argentdemonami.—Ecoutez,moijenediraiàpersonnequevousêtesvenuchezmoi.Jesuistenuausecret.Çavacontremon intérêt, ne serait-ce que parce que si vous voulez que je suive cette femme, je serai vraiment unmauvaisdétectivesijenem’apercevaispasquevousêtessonmari…N’est-cepas?—C’estexact.Mais jenesuispassonmari.Sonmari,c’estmonami.Moijesuis leuramià touslesdeux.—Ah,vousêtesl’amidesafemme.—Oui,maispasamidanscesens,jesuissonami,c’esttout.Voilàpourquoijesuiscertainqu’iln’yapersonned’autre.Maismonamiestobsédé,ilendevientcomplètementparanoïaque.—«Lajalousieéteintl’amourcommelescendreséteignentlefeu»,disaitNinondeLenclos.Alessandron’encroitpassesoreilles.Enricoluiaditlamêmechose.—Oui,bon,c’estpeut-êtrevrai,maisentoutcas,siquejesuisvenu,c’estpouravancer…—Commevousvoulez.Maisentoutcas,leschosessontclaires.Adèle,vousnotez?Adèlemontresafeuille.—Pourl’instant,j’aijusteécritAlessandroBelli,quiestl’amidesdeux.—Eneffet…TonyCostaseverseunautrethéglacé.—Alors,j’aibesoindel’adressedelafemmequ’ilfautsuivre.Elleadesenfants?—Non.—Tantmieux…—Pourquoi?—Çamefaittoujoursdelapeinedebriserunmariagequandilyadesenfants.—Peut-êtrequevousn’aurezrienàbriser.—Biensûr,biensûr…Nousverrons.

TonyCostaprendunefeuillequ’ilpasseàAlessandro.—Enattendant,écrivezlenom,leprénometl’adressedelapersonneàsuivre.Alessandroprendlafeuilleetaperçoitunstylodansunpot.—Jepeux?—Biensûr,jevousenprie.Alessandroécritrapidementquelquechosesurlafeuille.—Voilà,lenomdelafemme,desonmari,etleuradresse.TonyCostavérifiel’écriture.—Parfait.C’est lisible.Maintenant, jevoudraisaussimillecinqcentseurospourmemettreautravailtoutdesuite.—Voilà.Alessandroouvresonportefeuille,ensorttroisbilletsdecinqcentseurosetlesposesurlatable.—Vousmedonnerezl’autremoitiéquandjevousremettrailespreuvesdecequelemarisoupçonne.—Biensûr…oubienvousnepourrezrienmeprouver.—Biensûr,maisdanscecas-làaussi,vouspayerez.Lavéritéest lavérité,quandon ladécouvreonpaye.—Trèsbien.Alessandrosortdesapocheunecartedevisiteetlaluitendenmettantsondoigtsurunnuméro.—Voilàjevoudraisquevousm’appeliezàcenuméro.—Biensûr,commevousvoulez.TonyCostaprendlestyloetentourelenuméro.Celuidesonportable.Alessandrosedirigeverslasortie.—Quandest-cequej’auraidevosnouvelles?—Jevousappelledèsquej’aiquelquechoseàvousmontrer.—Oui,maisengros?Voussavez,pourledireàmonami.—Bah,jepensequedansquelquessemainestoutdevraitêtreéclairci…lavéritéestlavérité,cen’estpascompliqué.—Trèsbien,merci.Alorsons’appelle.Alessandrosort.Adèle rejointTonyCosta. Ils restent là,aumilieudubureaumaléclairé,sur levieuxtapisbordeauxusé,uneplanteauxfeuillesjauniesdansuncoinetunegrandecartedeRomeaccrochéeaumurdanssonsous-verreébréché.Alessandrofaitunsignedelamain,puisfermelaportedel’ascenseur.Ilappuiesur leboutondurez-de-chaussée.L’ascenseurpartexactementaumomentoùTonyrefermesaportevitrée.Alessandros’imagineledétectiveetsonassistante.Ilsreprendrontsansdouteleurenquêtesurleplaisir,avantdes’occuperdeCamilla.Camilla.LafemmedesonamiEnrico.J’aiététémoinàleurmariage, penseAlessandro, et aujourd’hui j’ai été témoin du fait que bientôt quelqu’un la filera sansqu’elle lesache.Alessandroregardesamontre.Touts’estpasséenunedizainedeminutes,environ. Ilsort de l’immeuble. Il suffit d’une dizaine de minutes pour détruire la vie de quelqu’un. Bah. Si cequelqu’unveut se la détruire.Alessandrodécidedenepas y penser et se dirigevers la voiture.Nikil’aperçoit,souritetappuiesurleboutonquidéverrouillelesportières.—Eh,ilétaittemps!Tunepeuxpassavoirtouteslesidéesquej’aielles.Alessandromontedanslavoitureetdémarre.—Raconte-moi.—Non…Cen’estpasencoreassezclairdansmatête.—Commentça,tuaseupleind’idées,maisconfuses?!—Allez,laisse-moitranquille…Jetelediraiquandçaseralemoment.

Niki met ses pieds sur le tableau de bord.Mais, au regard que lui jette Alessandro, elle les enlèveimmédiatement.—Bon,voilàcequ’onvafaire:simonidéeteplaît,bon,jeveuxdire,situl’utilises,alorstumedevrastoutunjourdebaladeenvoitureoùjepourraimettremespiedssurletableaudebord,d’accord?Affaireconclue?—D’accord.—Non,tudoispromettre.—Quoidonc?—Cequejeviensdedire.—Maisriendeplus,hein…Jeveuxêtresûrdebiencomprendrecequejepromets.Parceque,pourmoi,unepromessec’estunepromesse…—Oh,maistueslourd,dis!—Non,c’estunequestiondeprécision.—Alors:unejournéeaveclespiedssurletableaudebord.—Çamarche…Promis.Alessandrosourit.Nikiluitendlamain,illaserre.—Alors,qu’est-cequetuasfait,là-haut?—Rien,jetel’aidit,unecoursepourunami.Nikiremontesescheveuxenchignonetlesfaitteniraveclestylo.—Tonamiveutsavoirsisafemmeletrompe.Alessandrolaregarde,interloqué.—Eh,commenttulesais?—Ilyavaitécrit«TonyCosta,détectiveprivé»surl’interphone.Cen’étaitpascompliquédedeviner…—Jet’avaisditderesterdanslavoiture.—Etmoijet’avaisdemandédemedirecequetufaisais.—Jen’aipasenviedeparlerdecettehistoire.—OK,alorsc’estmoiquivaisenparler.Qu’est-cequ’ilyadepirequedevouloirsavoirquelquechosequequelqu’unneveutpasteraconter?Parexemple:masditquemt’étaisséparédetonamie,non?—Jen’aipasnonplusenviedeparlerdecettehistoire.—OK,alors,làaussi,c’estmoiquivaisenparler.Voilà,toiparexemple.Tuvoudraissavoirsiellet’atrompé?Alessandropense :qu’est-cequi sepasse?Pourquoi tout lemondes’intéresseàmonhistoire?MaisNikilesortdesespensées.—Est-cequecen’estpaspire?Oui, jeveuxdire,çaasansdouteétéunebellehistoire,pourquoi ilfaudraitquetusoismal…Bon,parexemple,moijemesuisséparéedemoncopain,non?Etalors, lepassé,c’estlepassé.Çasuffit,iln’yarienàsavoir.Çaaétéunebellehistoire.Maisc’estdupassé…cen’estpasplus simple,commeça?Maisbon,peut-êtrequesavoirqu’elle t’a trompé te feraitdubien.Mais à quoi ça sert ? Qu’est-ce que tu veux, une raison pour aller mieux ? Tu as besoin qu’il y aitquelqu’un d’autre au milieu pour pouvoir te passer d’elle ? Moi je crois que ce qu’on ressent estimportant.Biensûr,sipourtoicen’estpasterminé…alorslà,c’estautrechose.Là,c’estsûr,tuesmal…Nikiluilanceunregardcurieux.—Alors?—Alorsquoi?—Ben,tuesencoremal?

Justeàcemoment-là,leportabled’Alessandrosonne.Illeprendetregardel’écran.—C’estlebureau.—Pfff.Tonbureautesauvechaquefois!—Allô?—Allô,Alex…Alessandrocouvrelemicroavecsamain,puisditàNiki:—C’estmonchef.Elleleregardecommesielleluidisait«Etalors,qu’est-cequejepeuxyfaire?»—Oui,Leonardo,j’écoute.—Oùes-tu?—Jemepromène.Jesuisentrainderassemblerunpeudematériel.—Bravo,çameplaît,ça.Leproduitestpourlesgens,etc’estparmilesgensqu’ilfautchercher…Tuastrouvéunebonneidée?—J’ytravaille.J’aiprispasmaldenotes.-Ah…Silenceàl’autreboutdelaligne.—Allô,Leonardo?—Oui,excuse-moi.Jenedevraispasteledire.Bon,Marcelloetsonéquipem’ontprésentéunprojet.Autresilence.Alessandrodéglutit.—Oui?—Oui.—Etcommentilest?Silence,maisunpeupluscourt.—Bon.—Ah,bon?—Oui.Bon…maisclassique.Bref, jem’attendaisàmieux,desapart, jenesaispascommentdire…quelquechosedeplusfort.C’est-à-dire,pasdeplusfort,maispasconservateur,voilà…révolutionnaire.Oui,c’estça,révolutionnaire,nouveau.Voilà,nouveau…Nouveauetsurprenant.—Nouveauetsurprenant.C’estexactementceàquoijesuisentraindetravailler.—Je le savais. Je le savais, il n’y a rien à faire.Au final, leplus révolutionnaire, c’est toujours toi.C’est-à-dire…tuestoujoursnouveauetsurprenant.—J’espère.—Commentça,j’espère?—Non,jevoulaisdire,j’espèrequeçavateplaire.—J’espèreaussi…Ecoute,demain j’aiuneréunion toute lamatinée,mais tucroisque tupourraismemontrerquelquechosedansl’après-midi?—Oui,jepensequeoui.—OK,alorsàquatreheuresdansmonbureau.Aurevoir.Continueàtepromenerparmilesgens.Çameplaît, cettenouvelle façondechercher.Nouveauet surprenant.Sepromener…iln’yavraiment rienàfaire,tuesunvrairévolutionnaire,àtafaçon.Etilraccroche.—Allô…Leonardo…AlessandroregardeNiki.—Ilaraccroché.—Bon,toutestplussimple,maintenant.—C’est-à-dire?

—Ilnenousresteplusqu’àtrouveruneidéenouvelleetsurprenante.—Biensûr,trèssimple.—Entoutcas,j’ailesidéesplusclaires.Tuvasvoir,avantquatreheuresdemainjetedonneraiunedemesidéesnouvellesetsurprenantes.Alessandroprendsonportableetcomposeunnuméro.—Qu’est-cequetufais,tulerappelles?Tudéplaceslerendez-vous?Maismoi,pourquatreheures,jesuissûred’yarriver,iln’yapasdeproblème…—Non…Allô,Andrea?—Oui,chef.Quelplaisirdet’entendre.Commentçasepasse?—Trèsmal.—Pourquoi,ilyadesembouteillages?—Non,parcequedemainaprès-midij’airendez-vousavecLeonardo.Ilfautprésenterunprojet.—Maisonn’estpasencoreprêts!Qu’est-cequ’onpeutfaire?—Jenesaispas.Entoutcas,ilfautqu’ontrouveuneidéenouvelleetsurprenante.—Oui,chef.—Etpuis,tupeuxfaireautrechose.—Dis-moi,chef.—Prendsimmédiatementceraccourci!—Parfait,jen’enattendaispastant!Alessandroraccroche.—Maisqu’est-cequec’est,ceraccourci?—Oh,rien.—Mais pourquoi tu réponds toujours « oh, rien » ?C’est pire quequandonmedisait, quand j’étaispetite,«c’estpourlesgrands».—Oh,rien…c’estpourlesgrands.—Quandtuescommeçatuesinsupportable.Allez,pousse-toi,laisse-moiconduire…—Quoi?Nikiluimontedessus.—Maistuesfolle?Onadéjàeuunaccident,attendsaumoinsd’avoirdix-huitans,pourfaired’autresdégâts!— Pas question… et puis, pourquoi tu veux me porter malheur ? Pourquoi j’aurais forcément unaccident?—Disonsquelaprobabilitéestélevée…—Nooon…Allez,pousse-toi.—Non.— Mais, pardon, tu as vu comme je m’en suis bien sortie, avec les deux carabiniers ? Je les aiconvaincus…allez!Justeunpetitpeu…Etpuis,peut-êtrequej’auraiuneautreidéepourtesbonbons,enconduisant.—Cenesontpasmesbonbons.—Allez…Descends!—Maistuasditqueçan’allaitpasaveccettevoitureparcequ’elleestautomatique.—Oui,mais j’ai réfléchi,elleest tellementgrossequesi j’arriveàmegareravec,alors j’yarriveraiavectouteslesautres!Alessandrosortdelavoiture.

—Leproblème,c’estsitun’yarrivespasaveccelle-ci…Nikimetsaceinturependantqu’Alessandrofaitletour.—Detoutefaçon,aprèsl’accidentqu’onaeupartafaute,ilfaudrabienquetuailleschezlecarrossier,non?Alors,unchocdeplusoudemoins…Alessandromonteetmetluiaussisaceinture.—Mieuxvautunchocdemoins.Nikisourit,puistripoteleGPS.—Qu’est-cequetufais?—J’essayecetruc,detoutefaçonjen’enavaisjamaisdansmavoiture.Mesparentsm’enachèterontunesansoptions.Commentonenlèveleson?—Leson?—Oui,celuiquiparlecommeStarTreketquidit«troiscentsmètres–tourneràdroite».—Ah,commeça.Alessandropresseunetouchesurl’écranet«noaudio»apparaît.—Bien.NikirègleleGPS,puiss’aperçoitqu’Alessandrolaregardefixement.—Nemeregardepas!Alessandrosetournedel’autrecôté.—OK,maisoùtuveuxaller?—Tuverras.Voilà.—Démarrelentement,jet’enprie.MaisNikinel’écoutepas,elleappuiesurl’accélérateuretfaitunbondenavant.—J’avaisditlentement.—Pourmoi,c’estlentement,ça.Alessandrosecouelatête.—Jemerends.Niki sourit et conduit plus lentement, cette fois. Elle passe aumilieu des voitures, met le clignotant,tourne.Detempsàautre,Alessandrol’aide,prendlevolantetcorrigelacourbe.—Eh,tusaisquetuesmeilleurquetousmesamisenseignants?—Commentça?Cen’estpastonpère,quitefaitL’auto-école?—Monpèren’apasletemps.Alessandrolaregarde,elleluisourit.C’estbizarre.—Monpères’estbienamuséàm’apprendre.—Eneffet,ilt’atransmisuncertaincalme,delapatienceetdelatranquillité.—Moijeveuxtrouverletempspourapprendreàmesenfants…—Enattendant,tul’astrouvépourmoi.C’estbeau…Elleluisourit.—Etmoijet’entraînepourquandtesenfantsarriveront!—Oui,c’estvrai.Alessandrolaregarde,puispense…C’estvrai…maisquisaitquand.J’aimeraisbienavoirunenfant.Ilmemanquejustelapersonneavecquilefaire.Elenaestpartie.Ils’assombrit.Etmevoiciencompagnied’une fillequiestcommeunegaminequin’agrandiqu’àmoitié,etquienplusm’a forcéà l’adopter.Bah…Nikimetleclignotantetsegare.—Qu’est-cequetufais?Onnecontinuepaslaleçon?—Non,onestarrivés.Nikienlèvesaceintureetdescend.—Oùça?

Alessandrodescendluiaussi.—Tuasuneautrecompétition?—Non,ilesthuitheuresetdemieetj’aifaim.Attendsuneseconde,jevaisprévenirmesparents.Ellecomposeunnuméro.—Allô,maman…Oui,j’aitravailléchezunecopine…Jesais.Elleétaitunpeudéprimée,jeluiaitenucompagnie…Non.Non,tunelaconnaispas.NikisouritàAlessandro.—Làonvaallermanger…Situm’appellesetquemonportableneprendpas,onestchezZenSushi,ViadegliScipioni…Oui…Regardedans les pages jaunes, tu le trouveras, oubienpasse, si c’est urgent.Non.Onestvenuesmangerici,elleavaitfaim,elleainsisté…Etc’estellequim’invite.Oui.Etnon,elletient à payer. Elle est comme ça ! Non, tu ne la connais pas, mais je te la présenterai bientôt. OK,d’accord.Onvatravaillerencoreunpeu,ensuitejerentreàlamaison.Jenerentreraipastard,promis.Non,promis,jerentretôt.Salut,bisou,disbonjouràpapa.Nikiraccroche.— J’ai dit que tu payais, comme ça elle croira vraiment que je suis avec une amie qui vamal, quim’oblige à aller dîner avec elle, et puis je lui ai donné l’adressedu restoparceque ça la rassure, tusais…—Ah,j’aicompris.Maisenfait?—Enfaitc’estlamêmechose,c’esttoiquioffres,etj’espèrequeçateplaira.Excuse-moi,hein,maissijeteremetslelogodessinéetl’idéequivaavec,cen’estpasgratuit.LeportabledeNikisemetàsonner.—Oh,çaprend…Quiçapeutêtre?Elledécidederépondre.—Allô?—Eh,oùtues?NikisetourneversAlessandro.—C’estOlly.J’avaisditquejel’appellerais…—Nous,onestsurlaplaceoùilsfontleBBC.Tuavaisditquetuviendrais,cesoir…etaussiquetuleferais.—Jementais…—Bon,maisviensquandmême!—Vousêtesvraimentlà-bas?—Oui!—Encore?Vousn’enavezpasmarre?—Non,onn’enapasmarre.C’estgénial.Tonexestentraindesedonnerenspectacle.Ilestàmoitiébourréetiltecherchecommeunfou.Ilm’ademandépourquoitun’étaispasaveclesOndes!—Parcequejesuisavecunmecgénial…—Quoi?C’estqui?Raconte-moitout,toutdesuite!Ollysourit,àl’autreboutdufil.—Ah,j’aicompris…Cen’estpasvrai,tumeracontesdessalades,c’estça?—Non,tusaisquejenemensjamais.—EtsiFabiotechope?—Qu’est-cequeçapeutmefaire,nousnoussommesquittésparcequ’ilnemelaissaitmêmeplussortiravecvous.Etmaintenantquejenesuisplusaveclui,ilfaudraitquejem’inquiète?Pasquestion.Ecoute,Olly,làjevaiséteindremonportable.DisàFabioquejevaismecoucher,detoutefaçoniln’aurapasle

couraged’appelerchezmesparents,etdemainjeteracontetout…—Non,non,attends,attends,Niki,attends…Troptard.Nikiaraccroché.ElleregardeAlessandro,quiestencoresouslechoc.—J’aiéteint lemien.Pourquoitun’éteinspasletien?Commeçaonpasseunesoiréetranquillepourbienterminercettejournée.Nikisouritetleprécèdedanslerestaurant.Alessandroprendsontéléphone,leregarde,etdécidedenepas attendre, dumoins pour ce soir, l’éventuel coup de fil d’Elena. Cette idée lui procure un certainplaisir.Ill’éteintavecsatisfactionetlemetdanssapoche.Ilentredanslerestaurantavecunedrôledesensation de liberté. Peu après, ilsmangent. Rient. Plaisantent, comme l’un de ces nombreux couplesheureuxd’êtreensemble,deceuxquirêvent,quiontencoretoutàdécouvrir,deceuxquiontencoreunpeupeur, etunpeunon…Commecequ’on ressentquandonest sur laplageetqu’il fait chaud.D’uncoup,onaenviedesebaigner,alorsonselèvedelaserviette.Ons’approchedel’eau,onavance,maiselleestfroide.Parfoismêmetrèsfroide.Là,certainslaissenttomberetretournents’allonger,souffrirdela chaleur. D’autres se lancent. Et seuls ces derniers, après quelque ! brasses, peuvent goûter à cettesensationuniqueetunpeusottedetotaleliberté,mêmeenverssoi-même.

36Lunehautedansleciel,pâle, lointaine.Lamêmelunepour tous.Lunepour lesriches, lespauvres, lestristes.Lunepourlesgensheureux...Lune,lune,tu…«N’aiepasconfianceenunbaiseràminuit…S’ilyalalune,n’aiepasconfiance…»Cettevieillechanson.Maurosegaredevantlepub.Ildescend.Ilouvrelecoffre,pleindestries,irrémédiablementabîmé.Unpeudemousseendépasse.Ondiraitunevieillebriochepourrie.Commesajeunevie,aufond.Ilenlèvele bouchon du réservoir et secoue le scooter. Les exhalaisons d’essence et un petit cliquetis lui fontcomprendrequ’ilpeutfaireencoreunpeuderoute.—Aumoins,jepourrairentrerchezmoi,va.Ilentredanslepub,s’approchedubar.—Unepintedeblonde.Leserveur,entredeuxâges,unecigaretteéteinteàlaboucheetl’airendormi,prendunverreaccrochéau-dessusde sa tête. Il le rince, le retourneen faisant sortir lepeud’eau restéau fond, et lemet sous lerobinetàpression.Iltirelamanette,labièresort,fraîcheetmousseuse,remplissantrapidementleverred’un demi-litre. Puis il prend une spatule et la passe sur le bord, en tenant le verre à quarante-cinqdegrés,pourenleverlamousseentrop.Enfin,ilplongeleverredansl’eaupournettoyerlesgouttesdebièressurl’extérieurduverre,pourqu’ellesnetachentpaslesmains.—Méthodebelge.IlletendàMauro,quileprendetleporteàsabouche,avideetassoiffé.—Tum’ensersuneautre?Derrièrelui,unevoix,ettoutdesuite,unetapesurl’épaule.—Oh,monfrère,yfallaitunenuitcommeçapourseboirec’tebière,non?C’estlaChouette.Quiluisouritetluiparledetoutetderien,degrandesfanfaronnadesetpeut-êtreaussidechosesvraies.—Tut’rappelles,celuiqu’ilsappelaientl’Hommedemain?J’l’airencontrél’autresoirdanslecentre,ilavaitunejeep,tropbelle,j’saismêmepaspourquoijeteledis.LanouvelleHammer,pluspetite,jauneaveclesbordsnoirs,etpuisunebombeatomiquededans…Oh,maislatienneelleestpasmalnonplus,hein?Etgrande,enplus.Commentelles’appelle?—Paola,faitMauro,unpeuagacéqu’onparledesafemmeencestermes.Maisaufond,pense-t-il,cesontdescomplimentsdefaubourg.—Elleestbelle,ça,ilyarienàdire.Tantqu’ellesecontented’unscooter…LaChouetteleregardeet lèveunsourcil,puisprendunegorgéedebièreets’essuielaboucheaveclamanchedesonblouson.Ilposebruyammentsonverre.—Maispourquoitum’filespasuncoupdemain?C’estd’labalade,tusais.C’estqueMemo,celuiquitraînaitavecmoi,tut’rappelles,ils’estfaitpincer.Allez,tul’asvudestasdefois,ungrosavecdesyeuxronds.Oh,çafaitunbailquejem’letrimballeavecmoi.—Quiça,leHibou?— Voilà, bravo. Il est vraiment con, au gros supermarché sur l’autoroute il y a toujours les pouletsdehors,commes’illesavaitpas.Etpuis,jamaisfaireleschosestoutseul…Ilaétégourmand.Ilvoulaitmangertoutseul,etmaintenantilseretrouveautrou,etlàc’estlesaffreuxquiluidonnentàbecter.LaChouetterit.Puisilyréfléchit,ets’assombrit.—Onavaitfaitaumoinsdixcoupsensembleetjamaisunproblème,merde,pourleHibouetlaChouette.Mauroluisourit.

—Allez,ilvasortir,tuverras.—Ouais,c’estça,ilavaitdéjàdeuxsursis,ilenaaumoinspourcinqans.Maurohausselesépaulesetboitsabière,parcequ’ilnesaitplusquoirépondre.LaChouetteleregarde,soudainlucideetfourbe.—Ecoute,maispourquoituvienspasfaireuntouravecmoi?Allez,j’airepérédeuxtroistrucsfaciles,tuchopescequ’ilfautavectamaingaucheetc’estaumoinscinqmilled’uncoup…Mamosecouelatête.—Non,non.LaChouetteinsiste.Illuitapedansledos.—Allez…onsemetensemble,commequandonétaitàl’école,qu’onjouaitsurlesterrainsderrièrelaplace de l’Anagnina… Tu t’rappelles, le championnat des Castelli… Ils nous appelaient les étoilesjumelles,commedanslachansond’Eros,maisaupluriel.—Jemerappellepas.—Allez,jet’aimêmetrouvéunsurnom…—Attends,laisse-moid’viner…l’Effraie!—Maisqu’est-cequetufais,tutefousdemagueule?—Tutevexes,ouquoi?—Avectoi,jamais…Aprèsqu’ilsm’ontpincéleHibou,j’aidécidédechangerderapace,non?Jetevoistoujourstoutseul,t’aspasconfiance.T’asjusteunefemme,putain,çameplaît,ça.J’avaispenséleFaucon.Oul’Aigle.Tulesais,quelesaigless’accouplentenvol?Çaarienàvoir,j’aivuçaàlatélé.Oh,c’estlepied,non?LaChouettefaitungesteavecsonpoingfermé,mimantunacted’amourrebelle,rapide,affamé,rageur,sauvage.—Envol,maistutrendscompte?Mauroluisourit.—Maismoijeveuxcontinueràbaiserlespiedssurterre…L’idéedefinirencagemeditrien.L’idéedeneplusvoirPaola,çameditencoremoins…LaChouetteprendunegrandegorgéedebière.Mauroterminelasienne.L’autredit,unpeurésigné:—Commetuveux,Mau’…moij’suislà.Dommage,quandmême,leretourdesétoilesjumelles…Maurosourit.—Situm’appellespourfaireunfoot,jesuisdéjàsurleterrain.LaChouettesouritàsontour.—Laisse,laisse,c’estmoiquioffre.—Non,non,cesoirc’estmoi.Ilpaielesdeuxbières.Puisilsortdubaretluifaitunsignedeloin,enlevantlementon,toutsimplement,commeonfaitentreamis.

37Chambreindigo.Elle.

Personne,parmitouteslesfemmesqu’ilavaitentenduesparler,n’avaitunevoixcommeelle.Lemoindresonqu’elleprononçaitfaisaitcroîtresonamour,chaquemotlefaisaittrembler.C’étaitunevoixdouce,musicale,lefruitdelacultureetdelagentillesse.Quandonl'écoutait,onsentaitrésonnerdanssesoreilleslescrisperçantsdesfemmesindigènes,desprostituéeset,moinsdures,lesrengainesfaiblesdesouvrièresetdesfillesdesonmilieu.

LalumièredelalampeenverreopaqueIkeacolorel’écrand’unjaunechaudetenveloppant.Lafenêtrede lachambreestouverteetunvent léger faitbouger les rideaux.La jeune fille, rêveuse, lit cesmotsqu’ellesaitêtred’amour.Chaquejour,ilslafontsesentirunpeudifférente.Quellechance,pense-t-elle,d’êtrepasséeparlàcesoir-là.C’estsûr,c’estétrange:àl’endroitoùonjettelesordures,moijetrouveStefanoetsesmots.Jemedemandecommentilest.Aquiillesadresse.Quiestcettefemmequiaunesibellevoix?Sacopine?CetteCarlottadesmails?Jemedemandes’ilestentraindeluiécrire,encemoment.Jemedemandecommentestsonvisage.Peut-êtrequ’ilestgrand,aveclescheveuxbruns.Peut-êtrequ’ilalesyeuxverts.J’aimeraisbienqu’ilait lesyeuxverts.Lesyeuxvertsmefontpenseràunecoursedansunpré.Lajeunefillecontinueàlire.

Jen’aijamaisreculé.Tusaisquej’aioubliécequesignifies’endormirlecœurenpaix?ilyadesmillions d’années, jem’endormais quand j’en avais envie et jeme réveillais quand j’étaissuffisamment reposé. Mainte-nantie bondis à la première sonnerie du réveil... Je me demandepourquoijel’aifaitetjeréponds:pourtoi…Ilyalongtemps,jevoulaisdevenircélèbre,maisaujourd’huilagloirenem’importeplus.Toutcequejeveux,c’esttoi.Jetedésireplusquelanourriture,lesvêtements, lacélébrité.Jerêvedeposermatêtesur tontorseetdedormirpendantunmilliardd’années…Ellesesentait irrémédiablementattiréepar lui.Ce fluxmagiquequiavait toujoursémanédeluicoulaitmaintenantdesavoixpassionnée,desesyeuxbrillantsetdelavigueurquibouillaitàl’intérieurdelui…Tum’aimes.Tum’aimesparcequejesuisdifférentdeshommesquetuasconnusetquetuauraispuaimer.

Liresur l’amour,unamouraussigrand, l’émeut.Etenmêmetempsellesentqu’ellen’éprouvepasceschoses,ellenesesentpascommeçaenpensantàlui.Elleéteintl’ordinateur.Uneautrelarmecoule,sansvergogne,etluimouillelegenou.Elleritetrenifle.Puiselles’arrête.Restesilencieuse.Puiss’énerve.Ellesaittrèsbienqu’ellenepeutrienfairecontretoutça…

38Assisdevantcedrôledepetittapisroulantculinaire,NikietAlessandrorientetplaisantent,parlentdetout et de rien. Ils attrapent au vol des petites assiettes pleines de spécialités japonaises fraîchementpréparées.Onpaye en fonctionde la couleurde l’assiette choisie.Niki enprenduneorange, lespluschères. Elle goûte un demi-sashimi et remet l’assiette sur le tapis roulant. Tout de suite, Alessandroregardeautourdeluid’unairinquiet.Ilnemanqueraitplusqu’ilsseretrouventnezànezavecSerraetCarretti, les deux carabiniers, venus pendant leur temps libre. Ils rient encore. Se racontent une autreanecdote.Uneautrecuriosité.Puis,sanslevouloir,sansmalice,sanstropypenser,NikiseretrouvechezAlessandro.—Maisc’estmagnifique!Mince,maisalorstuesvraimentquelqu’und’important…Tuesunhommeàsuccès!—Bah,disonsquejusqu’iciçasepassebienpourmoi.Nikidéambuledansl’appartement.Ellesetourneetluisourit.—Onverrademaincommentçavaavecmesidées,non?—Oui,c’estça.Alessandrosourit,maispréfèrenepasypenser.—Ecoute,Alex,jetejure,j’adoretonappart’.Etpuis,ilesttellementvide…C’estsuper,vraiment!Iln’ya riende trop, justececanapéaumilieu, la télé, la table,et là-bas l’ordinateur.C’est le rêve !Etpuis…Non,jen’ycroispas!Elleentredanslebureau.Unegrandebibliothèqueetdesphotos.Encouleurs,ennoiretblanc,abîmées,décolorées.Aveclesphraseslespluscélèbres.Etdesjambes,desfemmes,desvoitures,desboissons,desvisages,desmaisons,desdeux.Desimagesdesagrandecréativité,lesplusdifférentes,accrochéesaumur,tenantgrâceàdefinsfilsdenylon,lescadresbleuszinguésparunpetitrebordjauneocre.—C’estgénial!Maiscesonttoutesdespubsquej’aivues…Noooon!Jen’ycroispas.Niki indique une photo, des jambes de femmes qui enfilent des collants.Différents, bizarres, colorés,sérieux,fantaisistes.—C’esttoiquil’asfaite,celle-là?—Oui,elleteplaît?—Siellemeplaît?Jesuisfolledecescollants.Tunepeuxpassavoircombienj’enaiacheté.Maisjelesfiletoujours.Soitparcequejemeposelesmainssurlesjambesetj’aiunepetitepeauquidépasse.Tusais, jemerongelesongles…soitparceque jemecognedansquelquechose,bref, j’enchangeenmoyennequatreoucinqfoisparsemaineetjelesaitoujoursachetéschezeux.—Etmoiquipensaisqu’ilsavaienteudusuccèsgrâceàmapublicité.Enfait,c’estjustequetupassestontempsàfilertescollants!Nikis’approched’Alessandroetsefrotteunpeucontrelui.—Eh,nefaispaslemodesteavecmoi,etpuis,sens…Niki soulève un peu sa robe, prend la main d’Alessandro et la pose sur le haut de sa cuisse. Elleapprochesonvisagedeluietleregarded’unairnaïf,avecsesgrandsyeux,faisantexprèsdegrimacer,puisd’êtremalicieuse,etensuitepetite,puisgrande,puis…maistoujoursbelle.Etdésirable.Etunevoixbasseetexcitante.—Tuvois…Jen’enportepastoujours,moi,descollants…Puiselleéclatederireets’éloigneenfaisantretombersarobe,enlaremettantenplace.Puiselleenlève

seschaussuresetportesamainàsescheveux,lesébouriffe,leslibérantducarcandeleurélastique.Ellesetourneetluidemandeensouriantd’unairmalicieux:—Eh,maisonpeutavoirquelquechoseàboire,danscettemaison?—Hum,biensûr,biensûr…Alessandrotentedereprendresesesprits,ilsedirigeverslemeubleoùilrangelesalcools.—Qu’est-cequetuveux,Niki,unrhum,ungintonic,unevodka,unwhisky…Nikiouvrelaportedelaterrasse.—Non,c’esttropfort,toutça.Tun’auraispasunCoca?—UnCoca?Toutdesuite.Alessandrovaàlacuisine.Nikisortsurlaterrasse.Laluneesthautedansleciel,traverséeparquelquespetitsnuages.Ondiraituneamiequiluifaitunclind’œil.Alessandro,danslacuisine,verseleCocaetcoupeuncitron.Nikiluicriedeloin.—Alex,tumettraisunpeudemusique,aussi?—Oui.Ilprendleverre,ymetunpeudeglace,puisvaàsavesteetfouilledanslespoches.IltrouveleCDquelui a offert Enrico. Incroyable : il est double. Il en prend un au hasard, le met dans la chaîne hi-fiaccrochéeaumur.Ilappuiesurplay.Unautreboutonassureladiffusiondanstoutelamaison.IlrejointNikisurlaterrasse.—VoilàtonCoca.Nikileprendetenboitunegorgée.—Mmm,c’estbon,c’estparfaitaveclecitron.Justeàcemoment-là,lamusiquedémarre.Chenesaitudiuncampodigrano,pœsiadiunamoreprofano…(«Qu’est-cequetusaisd’unchampdeblé,poésied’unamourprofane…»)Loverelaxpuis,toutdesuiteaprès,lavoixd’Enrico,«voilà,iciLuciovoulaitsoulignerl’impossibilitéd’expliquer,decomprendre,d’interpréter,dereliercetamouràlabeautéd’unchampdeblé,commecesémotionsquiparfois,soudaines,commeportéesparlevent,nesontpasexplicables,d’où laquestion :qu’est-ceque tusaisd’unchampdeblé…Unequestionqui resterasansréponse,alorsquelepourquoidesautresparolesestplusclair,enrevanche…»Un autre morceau de Lucio Battisti commence.Guidare come un pazzo a fari spenti nella notte…(«Conduirecommeunfoudanslanuit,tousfeuxéteints…»)et,denouveau,lavoixd’Enrico:«Voilà,iciilestclairqu’ilyaeu,avantqu’ilnecomposelachanson,uneconversationentreLucioetMogol.Eneffet,oncomprendclairementàtraverslesparolesque…»—Hum,excuse-moi,jemesuistrompédeCD.Alessandro retourne en courant dans le bureau, arrête le CD, le sort et voit que dessus il est écrit«Interprétationsvariées».Ilprendl’autre,«Atmosphèreuniquement».Trèsbien.Illemetenespérantquecettefoisçaaillemieux.Ilappuiesurlebouton,attendquelamusiquedémarre.Voilà.Alessandroprend lapochetteduCDet regarde les titres indiquésparEnrico. Ilsourit.Cesont leurschansons.Lecheminement d’une amitié. Il regarde les premiers titres, ils lui semblent parfaits. Il ne connaît pas lequatrièmemaisilfaitconfianceàsonami.Ilretournesurlaterrasse.Lalumièreestéteinte.—Eh,ilfaitsombre.Alessandrotented’atteindrel’interrupteur.—Non,laissecommeça,c’estplusbeau.Nikiestlà,pasloindelui,aumilieud’unbuissondejasmins.Elleenacueilliquelques-uns,elleestentraindemordillerL’extrémitéd’unefleur.—Mmm,Coca-Colaetjasmin…unrêvequim’étourdit.Alessandroprendsonverreets’approche.

—Onpourraitlancerunenouvelleboissonsurlemarché.Jasmin-Coca.Qu’est-cequet’enpenses?—Compliqué.Lesgensaimentleschosessimples.—C’estvrai,moiaussi.—Ettoi,Alex,tumesemblestellementsimple.Alessandroposesonverre.—Çasonnecommeuneoffense…—Pourquoi?Simple.Simpledanstonâme…—Parfoisleschoseslesplussimplessontlespluscompliquéesàatteindre.—Oh, ne fais pas le compliqué. Sérieusement ! Ensemble, on va y arriver…Et puis, tes désirs sontclairs.Leschosesquetuveux.Onpeutlesvoir,leslire,etpuis,mêmesijen’avaispascompris…C’esttoncœurquimelesasuggérées.—Jemedemandebiencequ’ilt’adit…Parfoisilment.Nikiritetsecachederrièreunjasmin.Petit.Troppetitpoursonsouriresplendide.—Avecmoi,ilaétésincère…Nikimordunautrejasmin.Elleensucelenectar.—Goûte,c’estdélicieux.Tum’embrasses?—Niki,maismoi…—Chut…Qu’est-cequ’ilyadeplussimplequ’unbaiser?—Mais,toietmoi…c’estcompliqué.—Chut…Laisseparlertoncœur.Nikis’approche,posesamainsur lecœurd’Alessandro.Puissonoreille.Elle l’écoute. Ilbatfort,cecœurému.Nikisourit.—Ecoute,jel’entends.Elles’écartedesontorseetleregardedanslesyeux.Ellesouritdanslapénombredelaterrasse.—Iladitnon…—Nonquoi?—Qu’entretoietmoi,cen’estpascompliqué.C’estsimple…—Ah,oui?—Oui.Etensuitejeluiaidemandé:qu’est-cequejefais,jel’embrasse?—Etqu’est-cequ’ilt’arépondu?—Ilm’aditquetucompliquesleschoses,maisqueçaaussi,c’estsimple…Alessandro se rend. Niki s’approche lentement. Elle l’embrasse. Douce. Tendre. Soyeuse. Légère.Commeunjasmin.CommeNiki.Elleprendlesbrasd’Alessandro,qu’ilalelongducorps,etselesmetautourducou.Ellecontinueàl’embrasser.Pluspassionnément.Alessandron’arrivepasàycroire.Zut.Mais elle a dix-sept ans. Vingt ans de moins que moi. Et le voisin ? S’il nous voyait ? Alessandroentrouvreunœil.Nous sommescachéspar lesbuissonsde jasmins. J’aibien faitdemettre toutescesplantessurmaterrasse.EtElena?MonDieu,Elenaalesclésdelamaison!Maissurtout,elleestpartie.C’est elle qui est partie. Et elle n’a aucune intention de revenir. Peut-être.Mais ensuite, Alessandroabandonnetoutescespensées.Fatigantes.Inutiles.Difficiles.Dontilvoudraitqu’elleslemènentquelquepart,maisquinemènentàrien.Etilselaisseaimer.Commeça,avecunsourire.Unsimplesourire.Nikienlève lesbretellesdesa robeet la laisse tomberà terre.Puiselle l’enjambeavecsesAdidasnoiresmontantes, deboxeur, et elle reste commeça, en culotte et soutien-gorge, riendeplus.Ledos appuyécontre les jasmins, noyée dans toutes ces petites fleurs, perdue dans ce parfum, comme une rosedélicatementécloseparhasarddanscebuisson.Elle,parfuméeparnature,lapeauquisentencorelamer,

lesbrasforts, lesjambesauxmuscleslongsetvifset leventreplat, légèrementplissépardesmusclesbienélevésquinesemontrentpastrop.Niki,naturelle,saine,commeilsedoitpourunepassionnéedesurf.Etmaintenant d’Alessandro.Unpeu plus tard, ils sont déjà en hautemer. Sous la lune, entre lesdélicates fleursde jasminentrouvertes, jouantmaintenantavecuneautre fleur.Nuit.Avecunecaresse,dessiner les contours de ce qu’on ressent.Ou dumoins essayer. Et se perdre dans ses longs cheveuxencore légèrement humides. Et se débattre presque avec ce désir suffoqué, timide, gêné, se sentirdéshabillé,découvriravoirpeurd’oser.Maisenavoirenvie.Très.Etcontinuerainsi,danslecourantduplaisir.«Vraiment,c’estincroyable,elleestmagnifique,cettecompilation.»Etcontinuerencore,surcesnotes,doucement,enrythmeaveclebattementdeleurcœur.Unechansonclassique,etpuisuneautre,etuneautreencore…Setrouverd’uncoupaumilieud’unetempête…Iwashershewasme,wewereonewewerefree…parmilesvagueshautes…andifthere’ssomebodycallingmeon,she’stheone…etleventdelapassion...wewerefineallalong…Alessandro,lesyeuxfermés,seperddanscettemaréequisentsonodeur,l’odeurdeNiki,desesbaisers,desonsourire,deseslongssoupirs,decettedoucejeunefillequisentlejasmin,etbienplusencore.Quelquesétoilesplustard.Niki,nue,traverselesalon.Fière,ellemarcheavecarrogance,sansaucunetimidité.Ellefaitglisserlaporte-fenêtrepuisdisparaît,pourréapparaîtrepeuaprèsets’asseoirdevantlui,surcepetit lit.Ellecroise les jambesetposesonsacaumilieu,couvrantpolimentsanudité.Nikifouille dans son sac. Alessandro est assis face à elle. Il n’a que sa chemise, déboutonnée. Et l’airperturbé.Encoreincréduleque«toutça»sesoitpasséentreeux.—Çatedérangesijefume?Detoutefaçon,onestdehors,non?—Oui,oui,vas-y…Nikis’allumeunecigaretteettiredessus,puisenvoieuneboufféedefuméeversleciel.—Tusais,chezmoijenepeuxjamaisfumer…Mesparentsnesaventpasquejefume.—Biensûr.Alessandrosedemandes’ilssaventtoutlereste.—Aquoitupenses?Etnemedispas«àrien»,commed’habitude,hein…—OK.Jemedemandaissitesparentssaventtoutlereste…Oui,bon,quetu…—Quejenesuisplusvierge?—Onpeutledirecommeça.—Tuesfou?Ilsn’ontmêmejamaiseulecouraged’aborderlesujetavecmoi,alors,medemanders’ilssavent…Dumoinsjepense.C’est-à-dire,unefois,Fabio,monex,aoubliéuneboîtedepréservatifschezmoi,etjenel’aijamaisretrouvée.Oubienc’estmesparentsquil’onttrouvée,oubienc’estlafemmedeménage,oubienmonfrère,maisàl’époqueilavaitdixans,doncjenepensepasquecesoitluiquis’ensoitservi.Alessandro,enpensantauxpréservatifs,àsonpetitcopain,sonex,etàcequeNikiadit,aunedrôledesensation. Il ne comprend pas. Il ne veut pas y croire. Ce n’est pas possible. Jalousie ? Niki tire ànouveausursacigarette,puisserendcomptequequelquechosenetourneparrond.—Eh,qu’est-cequetuas?—Rien.—Tuesbizarre.—Non,vraiment,jen’airien.—Tuvoisquetudistoujoursqu’iln’yarien!Commelesenfants.Dislavérité,çat’embêtequej’aieparlédemonex,despréservatifsetdetoutlereste.Allez,dis-le.Tupeuxledire.Sérieusement.—Ben,unpeu.

—Waouh!Incroyable.Ellejettesacigaretteparlebalconetluisautedessus,complètementnue.— Je suis heureuse ! Tu me plais. Bon, en réalité je ne supporte pas la jalousie, c’est-à-dire quequelqu’unsoitjalouxdemoi.Moijepensequ’ons’aimeouonnes’aimepas.Donclajalousien’apasdesens.Pourquoiondevraitêtreensemblesionnes’aimepas?Ettoi,quiasl’aird’unvraiglaçon,tuesjalouxdemoi!Çapourraitbienmerendrefolle.Ellel’embrassepassionnémentsurlabouche.—Tusais,àdirelavérité,moiaussi j’étaisunpeucommeça, toutàl’heure.Jemebaladaisdanstonappart’etjemedemandaisoùtul’avaisfait…oùtuavaisfaitl’amouravectonex!Etalorsjemesuisdit:passurcepetitlitaumilieudesjasmins,çac’estsûr.Tunel’avaisjamaisfaitlà,pasvrai?—Eneffet,surcelit,jen’aifaitqueprendrelesoleil…—Voilà,bravo!Nikil’embrasseencore.—Mais,cesoir,c’estmoiquetuasprise…Ettusaisleplusabsurde?Cettecompilationestparfaite.Elletefaittesentirbien.C’est-à-dire,tut’esrenducomptequ’onajouienmêmetempssurcettechanson,Eskimo,cellequimeplaîttant…—Non,enfaitjen’yavaispasfaitattention.—Maisoui,c’estça,moij’aibienvuquetut’enrendaiscompte.Çam’aplu,tunepeuxpassavoir.Nikise tourneetseposesurAlessandro,quis’abandonneàson toursur le lit,enremontantunpeu ledossier.Nikiprendunelongueinspiration.—Voilà,c’estpourdesmomentscommeçaqueçavautlapeinedevivre,non?Alessandronesaitpastropquoidire.—Jenesaispascequim’estarrivé.C’est-à-dire,jesaisqueçapeuttesemblerabsurde,maisquandons’estrentrésdedans,bon,quandtum’esrentrédedans,voilà,dèsquejet’aivu,j’aisuquec’étaittoi…—Qu’est-cequetuveuxdire?—Quec’esttoi.Moijecroisaudestin.Toi,c’esttoi,tuesl’hommedemavie…—Niki,maisonavingtansd’écart!—Etalors?Quelrapport?Aujourd’hui,danslemonde,ilsepassetoutetn’importequoi,ettoituteformalisespourunedifférenced’âge,alorsqu’ils’agitd’amour?—Moinon.Maisval’expliqueràtesparents…—Moi?C’esttoiquivasleurexpliquer.Toi,tusaisêtreconvaincant.Tuestranquille,serein,tuinspireslatranquillitéetlasérénité.Regarde,c’estnotrepremièresortieettuasdéjàréussiàm’emmenerdanstonlit…—Dansmonpetitlit,plutôt.Etpuis,quoiqu’ilensoit,jenemerappellepasavoirfaitbeaucouppourteconvaincre!Nikiseretourneetluienvoieuncoupdepoing.-Aïe!—Crétin.Ouplutôt,salaud.Qu’est-cequetucrois,quejecoucheaveclepremiervenu?—Non,aveclepremierquiterentrededans…—Çasentlamauvaiseblague,ça.Tusais,avant,jen’aiétéqu’avecFabio.Etj’auraispréféréqueçan’arrivepas,maintenantquejeteconnais.—Niki,maisqu’est-cequetudis?Onseconnaîtàpeine.—Excuse-moi,jetel’aidit,j’aiparléavectoncœur,etdonc…tuesl’hommedemavie.—Çava,jemerends…

Alessandrosetait.Nikiaussi,maispaspourlongtemps.—OK,c’estvrai,onne seconnaîtpas trèsbien.Disonsqu’ona fait connaissanceunpeuà l’envers.Maisonpeutseconnaîtremieux,non?Toitum’apprendsàconduire,moijetedonneuncoupdemainpourtonboulot…Alessandrodécidedenepassedisputer.—Ildoityavoirunmoyenpourdonnerunsensàcettehistoire.—OK,là,çamesembleacceptable.Nikiregardesamontre.—Ilfautqu’onyaille.J’aiditàmesparentsquejerentraistôt.Elleselèveetramassesesvêtementssurlelit.—Çaauraitétébiendepouvoirrester,pasvrai?Alessandroreboutonnesachemise.—Çaauraitététrèsbien.—Penseàquandonvivraensemble,çaseramagnifique,aprèsavoirfaitl’amouronresteraenlacés,ondormira ensemble, le lendemain on prendra notre petit déjeuner ensemble, on mangera ensemble, onsortiraensembleetlesoironseraencoreensemble…—Niki…Alessandrolaregarde,bouchebée.—OK,OK,biensûr…quandonseconnaîtraunpeumieux.

39Unpeuplustard,surlaroute.AlessandroregardeNikiquiconduit.—Eh,tutedébrouillesbien,maintenant,Niki.Onpeutarrêterlescours.—Situdisça,jefaistoutdesuiteunaccident.—OK,tun’espasdouéedutout.—Voilà,bravo!Nikisourit.—Onaurapeut-êtreaussiunaccidentensemble,maisavecquelqu’und’autre!—Maisdanscetteprojectionsurnotrefutur,est-cequ’ilyauraaussidesmomentsoùonpourranepasêtreensemble?—Trèspeu…—J’enavaisbienpeur…Ilsarriventauscooter,qu’ilsontlaisséàlastation-service.Nikidescend,enlèvelachaîne,larangedanslecoffreetmetsoncasque.—Vas-y,situveux…Jeseraiviterentrée,d’ici.—Non,jepréfèret’accompagner.—Tuvois?Tuparles,tuparles,maistunepeuxpastepasserdemoi.Alessandroluisourit.Enréalité, ilest inquiet. Ilnemanqueraitplusqu’il luiarrivequelquechose.Ladernièrepersonneavecqui elle a étévue, c’estmoi, je serais sûrement recherché. Il imaginedéjà lesdeuxcarabiniers,heureuxdepouvoirenfinfaireleurtravailjusqu’aubout.—Oui,c’estvrai,jenerésistepas…Passedevant,jetesuis.Nikidémarreavecsonscooter,AlessandrolasuitaveclaMercedes.Les berges du Tibre. Piazza delle Belle Arti, Valle Giulia, Via Salaria, Corso Trieste, Nomentana.Arrivésenbasdechezelle,Nikienlèvesoncasque, lerangedansle top-caseetprendlachaîne.Ellel’accrocheàlaroue,àsonpoteauhabituel,etellefermelecadenas.PuisellemontedanslaMercedes.—OK.Mercidem’avoirescortée.—C’étaitunplaisir.—Écoute,tupeuxsatisfaireunedemescuriosités?—Biensûr,lavien’estqu’unecuriositéàsatisfaire…—Joli,ça…c’estunepublicité?—Oui,lamienne.Dis-moi.Niki expire doucement sur la vitre, au-dessus de l’assurance, puis, sur la buée qui s’est formée, elledessineuncœuravecdedansleslettresAetN.Puisellefaitun4-ever.—Qu’est-cequeçaveutdire?—AlexetNikiforever.Commeça,chaquefoisqu’ilyauradelabuéesurtavitre,auHeudet’énervermpenserasàmoietmsouriras…—OK,jesourirai.Alors,qu’est-cequetuvoulaismedemander?—Situaspréparétondiscourspourmesparents.—Niki!Tuplaisantes,pasvrai?—Non.Tôtoutard,ilsvontvouloirfairetaconnaissance.Ilsvontvouloirsavoiravecquijesors…tuaspeur?—Moi,peur,pourquoi?—Ben,disonsquetuessortiavecleurfilledefaçonunpeuparticulière.

—Maisçajenedoispaslemettredanslediscours,si?—Non,non,biensûr.Soudain,Nikiregardedevantelle.—Ah,lesvoilà.Salut,maman.Commeça,jetelesprésentetoutdesuite.Alessandromanquedes’évanouir.Ilregardedevantluimaisnevoitpersonne.IlsetourneversNiki,puisànouveauverslaroute,essayantavecterreurdedistinguerquelquechose.—Alex…jeplaisantais.—Ah…—Tuascrumourir…Jet’aivu.—Tuasmalvu.C’estquejenevoyaispersonne.—Oui,oui,vaillantchevalier.Pardon,maistuasfaitpleindespotsmagnifiques…inventeunepublicitépourtoi-même!Peut-êtrequ’ilsserontheureuxdet’acheter,eux…—Oui,biensûr,soistranquille,jevaisypenserdèscesoir…Enattendant,j’espèrequeleproduitleurplaira!—D’aprèsmoi,tupourraisavoirlacote.Mesparentssonttellementbizarres,parfois…Bon,j’yvais.Ellel’embrasserapidementsurleslèvres.—Dorsbien,faisdebeauxrêves.Etnevapassurlaterrasse.L’odeurdesjasminspourraittedonnerdedrôlesd’idées.Ce disant, elle prend son sac, court vers la porte de son immeuble, puis, sans se retourner, disparaît.Alessandrometlemoteurenmarcheetprendlarouteduretour.MonDieu,dansquelpétrinjemesuisfourré.Moi avecune fillededix-sept ans.Simesparents le savaient.Simesdeux sœurs le savaient,ellesquisontmariéesetontdesenfants.Simesamisetleursfemmeslesavaient…SiElenalesavait,etsurtout,silesparentsdeNikilesavaient…Etcommeça,sanss’enapercevoir,ilrentrechezlui.Iln’ajamaisconduitaussivite.Peut-êtreparceque,d’uncoup,ilasentilebesoind’échapperàtousces«si».Ilprendl’ascenseuretouvrelaportedesonappartement.Ils’enfermeàdoubletour.Pff…Sensationdesoulagement.LeCDcontinuedetourner,toutbas.Leschansons,l’uneaprèsl’autre.C’estlemomentdeLigabue,L’amore conta.Belle compilation, quandmême.Et puis un souvenir. Et un autre.Et un autreencore.Despetitsflashes.D’amour.Dessaveurs,desparfums,desdétails,lesplusbeauxmomentsd’unfilminoubliable.Etcequis’estpassé…C’estvraimentunebellefille.Etdouce.Etgénéreuse.Etdrôle.Etspirituelle.Etosée.Ettendre.Et…Etelleadix-septans.Alessandroprendlabouteillederhum,s’enverseunpetitverre.Ilfaudraitunpeudejusdepoire.Maisnon,pourquoiest-cequ’ilfauttoujoursquelquechosed’autrepourêtresatisfait?Ilsuffitdeprofiterdumoment,Nikielle-mêmeledit,etilvidesonverred’untrait.Rienquedurhum.Durhumpm.Dix-septans.Est-cequejepourraismefairearrêter?Bof.Jenesaispas.Puis,presquemalgrélui,ilseretrouvesur la terrasse.Lamusiquelégèresediffusedansl’atmosphère.Ils’approchelentementdulieuoùtouts’estpassé…Lelieuducrime,ilauraitpresqueenviededire.Maisilpréfèrenepasypensersouscetangle.Dansuncoin,parterre,ilaperçoitleverredeCocaaveclarondelledecitron.Etsurlepetitlit,unpeucaché, sonélastiqueàcheveux,abandonné.Puis il s’immergepresquedans lebuissonde jasmins,respirelonguementenseremplissantdeleurparfum.Justeàcemoment-là,lalumièredelaterrassed’enfaces’allume.Unefemmeapparaîtetcrie:—Aldo,Aldo…Maisoùes-tu?—Jesuislà,Maria…Nehurlepas!—Tunevienspastecoucher?Soudain,unhommesortdelahaie,entrantainsidanslehalodelumièredulampadairedelaterrasse.Çadoit êtreAldo. Il regarde versAlessandro. La femme rentre. «Allez, demainmatin on se lève tôt. »

L’hommelasuit.Iléteintlalumièredehors,puiscellesdusalon,puisducouloir,etdisparaîtànouveaudansl’obscurité.Alessandroserelèvedubuissondejasmins.Aldo.Ils’appelleAldo.Ilapeut-êtrefaitlevoyeur,cesoir.Detoutefaçon,delà,iln’aabsolumentrienpuvoir.Alors,unpeurassuré,Alessandrorentre lui aussi. Il ferme la porte-fenêtre. Une chose est sûre. Au moins pour ce soir, il ne m’a pasdénoncé.

40Bonjour, lemonde.TaNikiaurapport.Attends, jem’étireunpeu…Jeneréalisepasencore.Çaaétéincroyable!Çasuffit,n’ypensepas,Niki.Retouràlanormale.Flydown…Lespiedssurterre.Pastroismètresau-dessusduciel…Plusonmontehaut…etplusonsefaitmalquandonretombe!Oh,maisjenevoudraispasmeportermalheurtouteseule,hein?!Voilà.Lowprofile.C’estmieux.Alors…Qu’est-cequejemets,cematin?Ilyacoursdephilo.Quellebarbe.Aucuneenvie.Ilvaexpliquer…commentils’appelle…Popper, jecrois.Çanemedit rienquivaille.Alors il fautque jemettequelquechosedecoloré,çaferaantidote.Nikiouvresonarmoire.Ellescruteunpeulescintres.JeanOnyxroseavecT-shirtrayé.Non.J’ail’aird’unebonbonnière.JupestretchavecpullenV.Tropécolière.Pantalonlégerbleuciel,vintage,avecT-shirt jaunesansmanchesàcol roulé.Allez.Popper, tunem’auraspas.Je tebattraiaveclescouleursd’unejournéeensoleillée.Puis, tout en sortant lesvêtementsde l’armoire, elle réfléchit.Qu’est-ceque je suisheureuse,moi ? !Trop!Maisj’aiunedecestrouilles…Avantlescours,lesfillesseretrouventdevantlelycée.Lapremièrecopieundevoir,ladeuxièmes’étire,encoreendormie,uneautreencorefumeavecuneexpressionquienditlongsurlefaitqu’ellefranchiraounonlaported’entrée.Latroisième,plusabsurdequelesautres,semetunpeudefardetvérifiesansarrêtsonaspectdanslerétroviseurdesonscooter.Oubienelleveutmarquerlecoupaveclenouveauprof,oubienelleessaye,grâceàsonmaquillage,d’obtenirunavertissementenmoins.Paselle.Elle,ellesesentplusadultequejamais.Ellemarche,effrontée,amusée,euphoriquecommejamais.Bah,aufondc’estvrai.D’unemanièreoud’uneautre,elleadéjàacquissamaturité1.—LesOndes,vousêtesprêtes?J’airencontrél’hommedemavie!—Non,impossible,maisqu’est-cequec’estquecettehistoire?—Ettunousdisçacommeça?Maistuesfolle!Racontetout,toutdesuite!Olly,DilettaetEricasontexcitéescommedespuces.L’unearrêtedecopier,l’autredesemaquiller,ladernièrejettesacigarette.—Voilàpourquoitun’étaispasjoignable,hiersoir.Alors,raconte!Vousl’avezfait?Maisc’estqui,onleconnaît?Allez,crachetout!Nejouepasavecnosnerfs!Ollylaprendparlebras.—Situnenousracontespastout,maisalorstout,ettoutdesuite…jetejurequejeledisàFabio.Nikin’encroitpassesoreilles.Ellesetourneverselleetlaregardedanslesyeux.—Quoi?—Jetelejure.Ollycroisesesdoigtssursaboucheetlesembrasse.Puiselleportelamaindroiteàsontorseetlèvelagauche.Ensuite,convaincuedes’êtretrompée,elleinversetout,lagauchesurletorseetladroiteenl’air.Finalement,ellesoulèvejustelesdeuxdoigtsdelamaindroite.—Paroled’honneur.Oh,jenesaispascommentçafonctionne,touscesgestes,maissituneracontespastout,jeparlerai,çac’estsûr.—Traître,tun’esqu’unesaletraître.OK…Pendantuninstant,ellesemblesurlepointdeparler,maiselleselibèred’uncoupdel’étreinted’Olly.—Acaused’unesaleespionne,lesOndessontdissoutes!Elles’échappeenriantcommeunefolle.Ellemontedeuxàdeuxl’escalierdulycée,tandisqueDiletta,

EricaetOllyelle-mêmeluicourentaprès.—Onl’attrape!Allez,onl’attrape!Onlafaitparler!Elles courent à en perdre haleine derrièreNiki, dans l’escalier, en s’aidant de la rampe. Elles tirent,poussent, tententdegagnerde lavitesse.Ellesprennent lecouloirdessallesdecours.Diletta,quiesttoujours la plus en forme de toutes, qui ne boit pas, ne fume pas et qui voudrait faire tellement dechoses…mais qui va toujours se coucher trop tôt, rejointNiki en un instant.Olly peine plus que lesautresethurleàsonamie:—Plaque-la!Plaque-la!Arrête-la!Jette-toi…allez,chope-la!Dilettaatteintsonbut,ellel’attrapeparsonblouson,latire,ellestrébuchentettombentparterre.Dilettafinit sur elle,Erica arrive et s’arrête à unmillimètre d’elles, puis enfinOlly, essoufflée,mais elle neparvientpasàs’arrêteretfinitsurErica.EllestombentsurNikietDiletta.Touteslesquatre,parterre,rientetplaisantent.LestroisamiesmontentsurNikietseremettentàlatorturer,lachatouiller, lafaireparler.—Stop,stop!Jesuisennage.Jen’enpeuxplus.Stop,enlevez-vousdelà.—Parle,d’abord!—Stop,stop,jevousenprie,j’aienviedefairepipi,aïe,j’enpeuxplus,enlevez-vous,aïe!Ollyluiprendlebrasetletourne.—D’abord,tuparles,OK?—OK,OK!Nikifinitparserendre.—Ils’appelleAlessandro,Alex,maisvousneleconnaissezpas,ilestplusâgéquenous.—Combienplusâgé?—Pasmal…Ollyluimontesurleventre.—Aïe,aïe,tumefaismal,Olly,allez!—Dislavérité.Vousavezbaisé?—Maisnon,etpuisquoiencore.Ollyluiprendànouveaulebras,tandisquelesautreslatiennent.Ollyessayedeluitordregenreprisedejudo.—Aïe,tumefaismal!—Alors,parle!Vousavezbaisé,ouiounon?—Unpetitpeu.—Lesfilles.Niki, Olly, Diletta et Erica voient de grandes chaussures s’arrêter juste devant leurs visages. Desmocassinsusés, trèsfoncés.Toutdoucement,elles lèvent lesyeux.C’est ledirecteur.Ellesserelèventd’unbond,tententdes’arrangeraumieux.Niki,encoreunpeuendolorie,estpluslentequelesautres.—Excusez-nous,monsieurledirecteur,onesttombées,etpuisàlafin,bon,oui,onrigolaitunpeu…oui,onplaisantait…—Ben…enfait,ellesétaiententraindemetorturer…Erica,quiest laplusefficacedanscegenredesituation,donneuncoupdecoudeàNikipour la fairetaire,puisprendlasituationenmain.—C’estbiendeveniraulycéelajoieaucœur,non?Leministredel’Instructionledittoujours,danssondiscoursdedébutd’année:lesenfants,vousnedevezpasvivrel’écolecommeunchagrinmaiscomme

l’occasionde…pasvrai,Diletta,qu’ilditça?—Oui,oui…toutàfaitvrai,ditDilettaensouriant.Ledirecteur,lui,restetrèssérieux.Ilcontrôlesamontre.—Trèsbien.Lecoursvacommencer.Dilettaintervient.—Maisj’aivuquelaprofd’italienétaitabsente.—Eneffet.C’estmoiquilaremplace.Donc,sivousaviezlagentillessedevousrendredanslasalle…lajoieaucœur,nouséviterionsainsid’inutilesdiscussionsdanslecouloir.Ledirecteur lesprécèdevers lasalle.Ellessuivent toutes lesquatre lentementcettefigureaustère.Ondiraitunpeuunemamancaneet sespetitscanetons.Ollyagite lamain,commepourdire :monDieu,qu’ilestlourd.Mais,naturellement,ellelefaitsanssefairevoird’Erica,quiestdevant.PuisOllyprendNikiparsonblousonetlatireverselle:—Eh,maisqu’est-cequeçaveutdire,baiser«unpetitpeu»?—Jeplaisantais.«Un toutpetitpeu»est très réducteur…Çaaétéplusque toutceque j’ai ressentijusqu’ici…etplusquecequejepouvaisimaginer…bref:unrêve!Puisellesouritetentreenclasse.Olly,surlepasdelaporte,laregarde,agacée.—MonDieu,jetedétestequandtufaisça!F.C.Foutuechanceuse!

41Alessandrovientd’arriveraubureau.Ils’esthabillédefaçonparticulièrementélégante.Peut-êtrejustepourfairebonneimpression,vuqu’iln’apaslamoindreidéedecequ’ildiraà laréuniondel’après-midiavecsondirecteur,Leonardo.Etsurtout,del’idéequ’ilproposera.—Bonjourtoutlemonde.Ilsaluelessecrétairesducouloirensouriant.—Bonjour,Marina.Bonjour,Giovanna.IlditaussibonjouràDonatella,lastandardiste,quirépondparunsignedelamainetseremetàpianotersursonordinateur.Ilmarchelentement,sûrdelui.Effronté,serein,tranquille.Oui.C’estcequ’onmontrequisevend.Ilneserappellepasoùill’aentendu,maisc’esttoutàfaitàpropos.Enfait,ils’enrappelleaussi deux autres. D’abord, la première loi de Scott : même si quelque chose va mal, tout auraprobablementl’aird’allertrèsbien.Etc’estcetairqu’Alessandrochercheàprendre.Maisilyaaussilaloi de Gumperson : la probabilité que quelque chose arrive est inversement proportionnelle à sadésirabilité.Non.Lapremièreestmieux.Situmarchesvite,toutlemondecomprendquelasituationt’aéchappé. Mais non. Tu es encore le premier, le plus fort, le maître indiscutable de la situation.Alessandrodécidedesefaireuncafé.Ilvaàlamachine,prenddanslaboîteàcôtéunecapsuleoùilestécrit«CaféExpresso»etlametdansleréceptacle.Ilplacelegobeletencartonsouslebec.Ilappuiesurunboutonvert.Lamachinesemetenmarcheetlecafésort,noir,fumant,décidé.Lecontraireexactdelasituation.Alessandrocontrôleleniveauducaféetappuiesur«stop».Illaisselesdernièresgouttestomberetenlèvelegobelet.Ilsetourneetluirentrepresquededans.Marcello.Sonantagoniste.Ilestlà,devantlui.Enplus,ilsourit.—Eh,toutjuste,hein?Moiaussij’aienvied’uncafé.Ilprendluiaussiunecapsule,laglissedanslamachine,placelegobeletetlanceletout.Puisilsouritànouveau.—C’estbizarre…parfoisonaenviedesmêmeschosesaumêmemoment.—C’estvrai.Mais,lesecret,c’estquelehasardn’arienàvoirlà-dedans.Donneràtoutlemondeenviedelamêmechose,etdéciderdumoment…C’estàçaquenoustravaillons…Marcello sourit et arrête lamachine. Il prend deux sachets de sucre de canne et les verse l’un aprèsl’autredanslegobelet.Ilremueaveclebâtonnetenplastiquetransparent.—Tusais,hierj’aiprésentémapremièreidée.—Ah,oui?Marcelloleregardepourcomprendres’ilestvraiqu’ilnelesavaitpasencore.—Oui.Tunesavaispas?—Jel’apprendsàl’instant.—JepensaisqueLeonardot’enavaitparlé.—Non,ilnem’ariendit.Marcelloprendunegorgéedesoncafé,puisleremueànouveauaveclebâtonnet.— Tu sais, je suis assez satisfait du travail. Je pense que c’est nouveau. Pas révolutionnaire, maisnouveau.Voilà,nouveauetsimple.Alessandrosourit.C’estvrai,pense-t-il,maisLeonardoveutquelquechosede«nouveauetsurprenant».—Pourquoituris?—Moi?

—Oui,tusouriais.—Nonjepensaisquetumetsdeuxsachetsdesucredanstoncafé.Moi,jeleprendsnoir.Marcelloleregardeànouveau.Ilfroncelessourcils,essayedel’étudier,decomprendrecequ’ilcache.—Oui,maislerésultatnechangepas.C’esttoujoursdecaféqu’ils’agit.Alessandrosouritencore.—Maisladifférencepeutêtregrandeoupetite…—Oui,ladifférenceestqu’ilpeutêtrenoirounon.—Non,c’estplussimple.Çapeutêtreunboncafé,oubienilpeutêtretropsucré.Alessandrofinitsongobeletetlejettedanslapoubelle.Marcelloaussiboitladernièregorgée.Puisilsavourelesgrainsdesucrerestésaufond,lescroque.Alessandroestunpeuagacéparlebruit.Marcelloleregardepuissetourne,curieux.—Toi,Alex,tuasquelâge?—Trente-septdansquelquesmois.Marcellojettesongobelet.—Moijeviensd’enavoirvingt-quatre.Etpourtant,jesuissûrquetouslesdeuxonabienplusdechosesencommunquecequetupeuximaginer…Ilsrestentquelquesinstantssansriendire.PuisMarcellosouritettendlamain.—Allez,bonmatch,allonstravailleretquelemeilleurgagne.Alessandroluiserrelamain.Ilaenviedeluidire:tusais,àproposdetonâgeetdeladouceurdelavie,ehbienhiersoirj’aipasséunesoiréefantastiqueavecunefillededix-septans…Maisiln’estpassûrqueçasoitvraimentunbonpointpourlui.Alorsilsourit,faitdemi-touretsedirigeverssonbureau.Mais,aprèsavoirfaitquelquespas,ilmetsamaindanslapochedesonpantalon.Ilnecherchepassesclés.Ilchercheunpeudechance.C’estdeça,qu’ilabesoin.Danslavie,iln’estpassisimpledetrouverdessachetsdesucrepouradoucirleschoses.Justeàcemoment-làpasseledirecteur.—Eh,Alex,bonjour.Çava?Alessandrosouritenretirantimmédiatementlamaindesapoche,etluifaitunsigneavecsonindexetsonpouceformantunrond.—Oui,toutvabien!—Bien.Tuas l’airenforme.C’estcommeçaque je t’apprécie.Bon,alorsàquatreheuresdansmonbureau.—Biensûr!Aquatreheures.Juste après,Alex regarded’unair inquiet lapendule au-dessusde sonbureau.Dixheures et quelquesminutes. J’aiàpeine sixheurespour trouver l’idée.Unegrande idée.Une idée formidable, splendide,gagnante.Etsurtout,nouvelleetsurprenante.Etpuis,chosefondamentale,une idéequimepermettederesteràRome.Alessandroentredanslebureau.AndreaSoldinietlesautressonttousautourdelatable.—Bonjourtoutlemonde,commentçava?—Pasmal,chef.Andrea s’approchede lui avecdes feuilles. Il lui enmontrequelques-unes.Desvieilles publicités debonbons,avecdesscénariosetdespersonnagestousplusdifférentslesunsquelesautres.Descow-boysetdesIndiens,desfillesdecouleur,dessportifs,etmêmeunmondegalactique.—Hum,chef.Alors,ça,cesontlespublicitéspourdesbonbonslesplussignificativesdetouslestemps.Voilà,celle-làesttrèsforte,elleafaituntabacsurlemarchécoréen.—Coréen?

—Oui.Ilssesontbienvendus…Alessandroprendlafeuilleetlaregarde.—Maisc’étaitquelgenredebonbons?—Bah,c’étaienttousdesbonbonsauxfruits.—Oui,maisvousn’avezpas lu ?Vousn’avezpas contrôlé leproduit ?LaLune, enplusdeceuxauxfruits,apleindegoûtsnouveaux.Genrementhe,cannelle,réglisse,café,chocolat,citronvert…DarioregardeAndreaSoldinietlèveunsourcil.Commepourdire:jel’avaisbiendit,cetypeestnul.Andreas’enaperçoit,maischercheunmoyenpourserattraper.—Onpourraitlesaccrocherauxnuages…—Oui,laluneaccrochéeauxnuages…Giorgiasourit.—Cen’estpasmal.Genre : accroche-toi à…etpuis, lenomdugoût.Pleinde lunes accrochées auxnuages.—Siaumoins ilsavaientdesgoûtsunpeuplusnovateurs,parexempleaubergine,champignon,chou,brocoli…Alessandros’assiedàlatable.—Oui,ettoutçaaccrochésàdesnuages…ilnenousresteplusqu’àespérerqu’ilnepleuvepas.OK,allez,montrez-moiquelquesdessinsdelogos.MichelaluiapporteundossieravecdedanstouslesletteringdunomLaLune.Andreaposeprèsdeluiundossierjauneoùilestécrit«TopSecret»et,entreparenthèses,«leraccourci».Alessandroleregarde.Andreahausselesépaules.—C’estcequetum’avaisdemandé,non?—Oui,maisavecunpeudediscrétion.Ilnemanqueplusquedesenseigneslumineuses,sinoncommentilsvontpouvoirlelire,duJapon?—Grâceausatellite!MaisAndreacomprendvitequesablaguenetombepastrèsà-propos.Iltentederattraperlecoup.— Tu sais, chef, Michael Connelly a dit que la meilleure façon de passer inaperçu est de se faireremarquer.Alessandro a envie de dire : ça doit être pour ça que personne ne se rappelle jamais de toi.Mais ilpréfèrelaissertomber.—OK,voyonsunpeucequ’ilsontfait.Andreasepenchetoutdoucementet,unemaindevantlabouche,illuidit:—Ledirecteurn’estpastrèscontent.Ilatrouvéçatropclassique.Bref,iln’yarienqui…Alessandroenlève lesélastiquesde la chemise.Aucentre, ily a toutunmondeavecdes fleuves,deslacs,desmontagnes.Toutestenformedelune,etparfaitementdessiné.Etendessous,enrouge,avecunlettering genre Jurassic Park, le titre : LaLune : terre de découvertes. Andrea soulève la premièrefeuille.Dessous,ilyenauneautre.Lemêmedessin,avecunautretitre:LaLune.Sansfrontières.— A vingt-quatre ans, il n’a rien inventé… Le lettering de Jurassic Park est vieux, et puis, « sansfrontières », ondirait cette émission…comment c’était, déjà ? « Jeux sans frontières ».Et « terre dedécouvertes»?Maisc’estquoi,lebonbondeChristopheColomb?!Alorsc’estunspotpourunœuf!Paspourunelune.Allez,çanevapasêtredifficiledelesbattre,Alex,non?Alessandroleregarde,puisrefermeledossier.—Eux,aumoins,ilsontrenduquelquechose…—Oui,maisriendetrèssurprenant.Andrealeregarde.—Ettoi,chef?Tuaseuuneidée?

MichelaetGiorgias’approchent,curieuses.Darioprendunechaiseets’assied,prêtpourlarévélation.Alessandrotambourineunpeusurledossierjaune.Illesregardel’unaprèsl’autre.Dutemps.Dutemps.Ilfautdutemps.Etsurtout…Tranquilleetserein.PremièreloideScott.Cen’estqu’ainsiquetuéviterasdeperdrelecontrôledelasituation.—Oui.Quelques-unes…Quelquesbonnesidées,curieuses…maisj’ytravailleencore.Darioregardelapendule.—Ilestdixheuresetdemie.Laréunionestàseizeheures,c’estça?—C’estça.Alessandrosourit,l’airsûrdelui.—Aseizeheures,jesuissûrquenousauronslabonneidée.Allez,onfaitunpeudebrainstorming.Puisilprendledossierjauneetlemontreàtoutlemonde.—Onn’aurapasdemalàbattreça,pasvrai?Iltentededonnerencoreplusconfianceaugroupe.—Pasvrai?Dumoins,ilessaye…Un oui général, un peu faible quand même, fait vaciller pendant un instant tout l’enthousiasmed’Alessandro.Michela,GiorgiaetDariovontàleursordinateurs.Andrearesteàsaplace,assisprèsdelui.—Alex?—Oui?—Maisl’idéedesnuages,çaneteplaîtvraimentpas?—Non.Cen’estninouveaunisurprenant.—C’estmieuxqueleurraccourci.—Oui,maisçanesuffitpas,Andrea.PourresteràRome,çanesuffitpas.Alessandroramasselesfeuillesdelarecherchesurlespublicitéspassées.Illesregardelentement,unepar une, en cherchant désespérément un éclair d’inspiration, n’importe quoi, une étincelle, une petiteHammequipuisseréveillersapassioncréative.Rien.Lenoircomplet.Puissoudain,danssonesprit,unelueurlointaines’allume,unlumignon,unfaibleespoir.Etsic’étaitellequiavaitlabonneidée?Lafilleau surf, la fille aux pieds sur le tableau de bord, la fille aux jasmins…Niki. Et à cet instant précis,Alessandrocomprend.Oui, c’est ça.Sonseulespoirde trouverune solutionest entre lesmainsd’unefillededix-septans.D’uncoup,Luganoluisembletrèstrèsproche.

42Troisième heure de cours. Mathématiques. Pour Niki, c’est une promenade. Dans le sens où elle necomprendabsolumentrien,etdoncmieuxvautlaissersonespritallersepromener.Nepassefatiguer.Detoutefaçon,lesdevoirssurtable,c’esttoujoursDilettaquilesluipasse,etlaprofnel’envoiejamaisautableau.Donc,pourquoichangerleschosespuisquetoutsepassesibienjusqu’ici?Nikivientdefinird’écrire.Elleprendlafeuillequadrilléeetlaplieparfaitement.Une,deux,troisfois,puislapointe,puisdeuxpetitesailesauxquellesellelutchacunedeuxpetitesencoches,aubout.Lesgouvernails.Situenmetsunau-dessusetl’autreendessous,ilfaitmêmedespirouettes.ElleLeregarde.Entoutcas,ilestmieuxcommeça,c’estsûr.Etplusrapide.Puisellejetteuncoupd’œilàlaprof,autableau.—Alors,vousavezcompris?Danscecas,vousnedevezprendreencomptequelesdernierschiffres.Dèsquelaprofseremetàécrire,Nikiselèvedesaplace,sortdanslarangée,enplus,devantelle,ilyacettebûcheusedeLeonori,etelleenvoieavecforcelepetitavionendirectiond’Olly.—Aïe!Ellea touchéGiudi, lavoisined’Olly, à la tempe.L’avion finit sur la tableetOlly,plus rapidequ’unserpent, le saisit après cet atterrissage catastrophique et le cache dans son casier, sous son cahier.Laprof,autableau,seretourne.—Qu’est-cequ’ilya?Qu’est-cequisepasse?Jen’aipasétéclaire?Nikilèvelamainetsejustifie.—Non,excusez-moi,c’estmoi.J’aidit:ah,voilà.C’estquetoutàl’heurejen’avaispasbiencompris.—Etmaintenant,c’estclair?Sinon,jeréexpliquecepassage.—Non,non,c’esttrèsclair!Dilettaéclatederiremaissecouvrelaboucheavecsamain.EllesaitquetoutcecinepeutabsolumentpasêtreclairpourNiki.Ça faitaumoinscinqansquecen’estpasclair,depuisqu’ellessontdans lamêmeclasse,etsurtoutdepuisqu’elleluipassetouslesdevoirs.—Alors, on continue.Maintenant, il faut prendre en compte la somme obtenue et recommencer à laparenthèsesuivante.Laprofseremetàécrireautableauetàexpliquer,tandisqu’Ollyprendl’avionsoussoncahier.Elleledéplieetlelissedesdeuxmains,curieusedelirelecontenuquiarésistéàcevolaventureux.—«Olly,toiquiessiforteetquiaseuhuitenéducationartistique,est-cequetupourraismedessinercesidées?Jet’explique.D’abord,ils’agit…»etsuiventlesdescriptionsdedeuxidées,qu’Ollytrouveunpeuconfusesmaisoriginales,etmarrantes.Ellesontpourprotagonisteunejeunefille.Lemessagesetermineparunepromesse:«Alors,tumelesfais…maintenant?Tuterappelles?LesOndesontpromisdes’aidertoujoursetquoiqu’ilensoit,danstouslesmomentsdifficiles.Etsiçanetesuffitpas,espècedevoleuseopportunisteetaffreuseaffairiste,jesuisprêteenéchangeàt’offrir:A.undîneraurestaurantdeCorsoFrancia.Chermaistrèsbon,commetulesais;B.unesemainedeglacesgratuiteschezAlaska,même le plus gros cornet, et dans tous les cas pour 2,50 euros minimum ; C. ce que tu voudras, àconditionqueçanesoitpasexcessifpourmoi.Dugenre,t’arrangerunesortieavecmonpère,quiteplaîttant…ça,n’essayemêmepasdemeledemander.»Ollyarracheunefeuilledesoncahieretécritrapidementuneréponse.Puisellelarouleenboule.Elleregardelaprofquiesttoujourstournée.Alorsellelalance,plusadroitequelameilleuredesplaymakers,etlabouleatterritpileaumilieudelatabledeNiki,quil’ouvreimmédiatement.—Quoi?Jedevraisbosserpourtoiaprèsquetuasrefusédepartager,mêmepasenparoles,tesplansobscurssalesetobscènes…Pasquestion…Oubien:parle,garce!

Aprèsavoirlulemot,Nikis’appuieaudossierdesachaiseenlaregardantetens’apitoyantsursonsort.—Allez,dit-elleàvoixbasse,presquesansfairesortirdeson.Please.Elleunitlesmainscommesiellepriait.Ollysecouelatête.—Pasquestion.Jeveuxtoutsavoir…Tudistout,sinonjenedessinerien.Nikiarracheuneautre feuille,yécrit rapidementquelquechoseet,vuque laprofest toujoursen traind’écrire,larouleenbouleetlaluilance.Enpleindanslemille.CettefoisGiudi,quil’avuearriver,sebaisse pour l’esquiver.Olly l’attrape au vol avec samain droite. Juste à temps. La prof se tourne etregardeNiki.—Cepassageestclairpourvous,Cavalli?Nikisourit.—Oui,trèsclair.—Etpourvous,lesfilles?Plusieurs élèves, plus oumoins convaincues, acquiescent. La prof est rassurée. Ses explications sontcompréhensibles.—Bien,alorsjecontinue.Elleseremetàécrire,totalementinconscientedufaitquesescalculssontparfaitementobscurspourlaplupartdesfilles,ouaumoinspourdeuxd’entreelles.Detoutefaçon,ellessaventtoutesquelesmathsnetomberontpasaubac.Olly,amusée,ouvrelemessagequivientd’arriver.—Sincèrement, c’estmoins que lamoitié de ce que tu as fait toi…Mais bon, je te raconte tout à lapause.Scriptamarient.Disegnampure!S’ilteplaît,tupeuxdessinermesdeuxidées?Ollylaregarded’unairsérieux.Puis,àvoixbasse,deloin,elle luiditclairement,demanièrequ’ellepuissebienliresurseslèvres:—Attention,si tunemedispas tout…toutceque j’auraidessiné…Ellesaisit la feuilledumessage,pourrenforcerlamenace.–…jeledéchire.C’estclair?!Desaplace,Nikilèvelamaingauche,puisladroite,puisellecroiselesdoigts,lesembrasse,bref,ellejurepourOllyenluidisantclairement:«Promis!»OllylaregardeunedernièrefoisetNikiluisourit.Alors,conquiseparsonamie,elleouvresatroussepleine de crayons et de feutres, puis prend dans son casier son albumà dessins et en sort une feuilleblanche.Et,commeleplusgrandpeintre,elleenlèvelebouchondesonfeutrenoir,regardelafeuilleoùNikiaécritsesidées.Puiselles’arrête,cherchantl’inspiration.Ellefinitparlatrouveretseplongesurlafeuille,tracedestraitssûrsetdécidéspourdonnercorpsauxfantaisiesdrôles,bizarres,amusanteset,d’ailleurs,curieusesdesonamieNiki.Pendantcetemps,laprofcontinue,certaineden’avoirjamaisétéaussiclairedanssesexplications.

43Alessandroregardel’horlogesursonbureau.Deuxheuresquarante.Laréunionestdansunpeuplusd’uneheure.Etilsnesontpasencoreprêts.—Alors,commentçava?Michelacourtjusqu’àlatableetluimontreunnouveaucroquis.Alessandroleregarde.Unefilletientlalunecommesic’étaitunballon.Çanevapasdu tout.C’est toutsaufnouveau.Et toutsaufsurprenant.Alessandroestdétruit.Déprimé.Mais ilnedoitpas lemontrer. Ilprendunair tranquilleetsûrdelui.Pournepaslaisserlasituationluiéchapper.IlsouritàMichela.—C’estbien.Ellesourit.—Maisnousn’ysommespasencore.Michelas’effondre.Sonsouriredisparaîtd’uncoup.Vite.Tropvite.Peut-êtrequ’elleaussi,aufond,ellesavaitqueçan’allaitpas.—Ilfautquelquechosedeplus…deplus…Ilnetrouvemêmepaslemotpourexprimercequ’ilvoudrait.MaisMichelalecomprend.—Oui,j’aicompris…Jevaisessayer.Alessandroselaissetomberdanssonfauteuilencuir.Giorgiaarrive.—J’aifaitquelquesautreslogos.Alessandroouvredistraitementlachemiseetregardeleslogos.Ilsnesontpasmal.Descouleursvives,claires,gaies.Maiss’iln’yapasl’idée,àquoisertunbontitre?—Ilsnesontpasmal.C’estbien.Giorgialeregarde,perplexe.—Jecontinue?—Oui,essayededonneràtraversl’écriturelegoûtduchocolat,delacannelle,ducitronvert…—Cen’estpasfacilesansledessinduproduit,maisjevaisessayer.—Oui,vas-y.C’estvrai. Il lesait.Sansunevraie idée,onnevanullepart. Justeàcemoment, l’interphoneretentit.C’estDonatella,lastandardiste.—Oui?—Excusez-moi,docteurBelli,maisilya…—Jenesuispaslà,jesuissorti.Jenesaispasquandjerentrerai.Jesuisparti.Jesuisallésurlalune,voilà…Etilraccrochel’interphone,mettantfinàtoutepossibilitédecommunication.Etzut!Ilyadesmomentssacrés.Pendantlesquelsonnepeutpasêtredérangés.Etpuis,sicesmomentssontdramatiques,c’estencorebire.Onn’existepluspourpersonne.Etzut!Ilregardesamontre.Troisheuresetquart.Onn’yarriverajamais.Etdirequehierjepensaisréussir.Merde,jen’auraispasdûsortir.Alamer,enplus,regardercesgensfairedusurf,etpuisledéjeunerchezMastino,etprendsdutempspourtoi…Etmaintenant,quivametrouverunjob?Quelcrétind’avoirdonnéraisonàunefillededix-septans.Alessandroregardesonportable.Aucunmessage.Jen’ycroispas.Ellenem’amêmepasappelé.Rien.Direqu’elledevaitmesauver,medonnerl’idée.Jevaistelatrouver,moi,soistranquille.Elle prenait des notes, elle posait des questions, elle réfléchissait.Mais rien. Pas de nouvelles. Puis,pendantuninstant,ilpenseauxjasminsetàtoutleteste.Ilapresquehonte.Maisqu’est-cequetuvoulais

d’unefillededixseptans,Alex?Elleestlibre.Ellen’apasd’engagements.Ellealaviedevantelle.Elle t’apeut-êtredéjàoublié, etpuis les jasmins, aussi…etmême l’accident.C’estmieuxcommeça.Maisbon…Çanemecoûteriend’essayer.Ilprendsontéléphoneetécrit.«SalutNiki..li)mvabien?Tuaseuunaccidentavecquelqu’und’autre?Jedoitvenirtesauver?»Puisilréfléchitunpeu.Maissi,c’estellequime l’аdit.«Tuveuxm’envoyerunede tesbelles idées?…»Puis il sourit.Autantêtregentil.«Ellesmemanquent.Uneidéeparfuméeaujasmin.»Etilfinitparunbeaupointd’exclamation.Ilcherche le nom dans les contacts, le trouve. Niki. Il envoie lemessage. Il attend quelques secondes.Messageenvoyé.Alessandroprendletéléphoneetleposesurlatable.Puisillefixe.Uneseconde,deux,trois.Soudain,l’écrans’allume.Messagereçu.Alessandroappuiesur«lire».C’est elle !Elle a répondu.« J’enaideux.Elles sontpasmal.D’aprèsmoi,bien sûr…Unbaiser aujasmin!»Alessandrosouritetrépond:«Bien!Jesuissûrqu’ellessonttrèsfortes,exactementcommetoi…surunsurf ! »Puis il hésite. Il ne sait pas comment luidire. «Maispourquoi tuneme les racontespaspartexto?»etilenvoie.Ilattend,impatient,letéléphoneàlamain.Unesecondeplustard,unautremessagearrive.Ill’ouvreimmédiatement.«Enfait,j’auraispréférételesdonnerenmainspropres…»Alessandrotapeàtoutevitesse.«Maisonn’apasletemps!Laréunionestàquatreheures.»Ilregardesamontre.«Dansunedemi-heure.Iltefautcombiendetemps,pourvenirici?»etilenvoie.Unesecondeplustard,laréponsearrive:«Enfait,jesuisdéjàici.Lafilledel’accueilm’aditquetunevoulaispasêtredérangé…»Alessandron’ycroitpas. Ilcourtvers laporte, l’ouvre,sortdans lecouloiret lavoit.Nikiestassisetoutedroitesurlecanapédelasalled’attente.Elleporteunevestebleufoncé,unejuperayéecolorée,descollantsbleucieletdeschaussuresmontantes,deboxeur,desAdidasbleufoncé.Elles’estfaitdeuxcouettesetelleluisourit,uncartonàdessinsrougesouslebras.Nikiluimontreetluifaitunclind’œil.Dessus,ilyaécrit«Lesidéesd’Alex».Alessandrocourtàsarencontre.Puisilserappelleetralentit,sûrdeluiettranquille.Toujoursmaîtredelasituation.—Salut,Niki, quelle bonne surprise !Mais comment tum’as trouvé, comment tu as fait pour arriverjusqu’ici?Nikiselèveducanapé,metlamaindanssapocheetensortsacartedevisite.—Avecça.Tume l’asdonnéequand tum’es rentrédedans. Ilya l’adressede tonbureau…Ensuite,c’estassezsimple.Alessandrolaprendparlebras.—Tuasraison.Pardon.Viens,jevaisteprésentermonéquipe.—D’accord.Ilsavancentdanslecouloir.Lescollèguesquipassentlaregardentaveccuriosité.Pastellementpourlamanièredontelleesthabillée.Surtoutparcequ’elleestbelle.—Eh!—Qu’est-cequ’ilya?—Tunem’embrassespas?Alessandroluifaitunpetitbisousurlajoue.—Maiscen’estpascequejevoulaisdire…Alessandrosouritetluiditdoucement.—Jetravailleici…jenepeuxrienmepermettre.Nikiluisourit.—OK,jeseraisérieuse.Onestuneéquipe,non?Alessandrolaregarde.Ilestheureuxqu’ellesoitvenue.Ellen’apasoublié.Elleestforte,cettefille.

—Oui,unebellepetiteéquipe…Puisils’écartepourlalaisserentrerdanssonbureau.—Viens,jevaisteprésenterlesautres.Ilfermelaportederrièreeux.—Alors,voiciNiki.Niki,Giorgia,Michela,DarioetAndrea.Usluisourienttous,unpeuintriguésparcettetrèsjeunefille,trèsmignonne,unpeufantaisistedanssonhabillement,maissurtoutquiporteuncartonàdessinssoussonbras.—Eux,c’estmateam.Illeditfièrement,ànouveaumaîtredelasituation,malgréquelaréunionavecsonchefsoitdansmoinsd’un quart d’heure et qu’il n’ait pas le début d’une idée.Dumoins, il n’en avait pas jusqu’ici.Avantl’arrivéedeNiki.Dario,àlafoissceptiqueetcurieux,s’approche.—Etquic’est?Unautreraccourci?Alessandroperdd’uncoup sa confianceen lui.Et aussi sa tranquillité.Bref, il perd le contrôlede lasituation.—Ben,non,ellec’est…ben,ellec’est…elle…Il la fixe, les regarde en cherchant une suggestion, un appui, une indication quelconque, de la part den’importequi.—Bon,elle,bon,vousavezcompris…elle,c’est…—Je suisNiki.Une fille comme les autres. J’ai écouté les idées d’Alex et, comme j’avais une detteenverslui…ElleregardeAlessandroensouriant.—Etcommeellesaitdessiner,elleaessayédelesmettresurlepapier,commejeluiavaisdemandé.Nikiposelecartonsurlatable.—Alex,j’aifaitdemonmieux,j’aimislescouleursetlapassionquej’aisentiesdanstesmots,quandtumeracontaiscequedevaitêtreLaLune.J’espèrequejenetedécevraipas.Endisantcesmots,elleavraimentl’airinnocent,etrêveuse,etingénue.Etpetitefille.Très.Alessandropenseauxjasmins.Etunelégèrerougeur,lacouleurdel’embarras.Ileffaceimmédiatementcesouvenir.—Bien!Alors,voyonscequiestressortidecesidéesdécritescommeça,dansledésordre…parunaprès-midiensoleillé…Ilavancelesmains,ilnesaitvraimentpasàquois’attendre.Puisilouvrelentementlecarton.Giorgia,Michela et Dario se penchent. Curieux, excités, amusés. Alessandro ressent la même chose.Mais plus confus, plus fort. Il a du mal à respirer. Incroyable. Sur le papier, une fille parfaitementdessinée, colorée, vivante, forte, expressive, nouvelle… Elle est assise sur une lune au centre de lafeuille.Lalunealesdeuxpointestournéesverslehaut,elleestàl’enversetlafilleestassisedessus.Despointespartentdeuxcordesquiseperdentplushaut,parmilesnuages.C’estunebalançoire.Laluneestunebalançoiredanslesnuagesd’unenuitétoilée.Unbleuintensetoutautour,etlaluneestd’unbleutrèsclair,coloréavecdelapurpurine.Elletrônefièrementdanscecielplussombre.Lafilleesthabilléeun peu comme Niki. Ils restent tous sans voix. Andrea Soldini est le premier à sourire, puis Dario,Giorgia,etmêmeMichela,quin’estpasl’auteurdecedessin.SeulAlessandronesouritpas.Ilestsurlepointdes’évanouir,tellementilestheureuxettellementcetteidéeluiplaît.Ilinspireprofondément,trèsprofondément, serein, tranquille.Pour nepas perdre le contrôle de la situation.Mais cette fois, il n’yarrivevraimentpas.—Merde,maisc’estmagnifique!Toutlemondeestd’accord.—Oui,sérieusement,c’estvraimentfort.Michelaeffleurelafeuille.

—Tuastravailléaupantone,non?Giorgia pense déjà au logo. Dario et Andrea Soldini se regardent en souriant, pour la première foisd’accordsurquelquechose,depuisqu’ils seconnaissent.C’estvraimentunebonne idée.Nouvelle.Etsurprenante, penseAlessandro.Dumoins pourmoi. Je nem’y attendais pas du tout. Soudain, toute lajournéeprécédenteprendunautresens.Cetempsqu’ilaétépresquecontraintdes’offrir,ilvientdeluiêtreremboursé.Etavecintérêts,enplus.—Niki,c’estleplusbeaucadeauquetupouvaismefaire.Illaprendparlesépaules,heureux.—Bravo.Tuasvraimentfaituntravailsplendide.—Mais,Alex…Nikileregardeensouriant,unpeutimide.—Jen’airienfait.C’esttoiquiastoutfait!Moijen’aifaitqueréaliserl’exécutifdecequetuvoyais,desmotsquetuprononçais…Commenttudisais?Ledéfinitif,c’estça?Alessandro laisse tomber ses bras le long de son corps.Mince. Elle utilisemême les bonsmots. Ledéfinitif…Maisd’oùellevient,lafilleauxjasmins?DeLaLune?Alessandro s’assied dans le fauteuil en cuir, se laissant enfin aller, se libérant de toute la tensionaccumulée.—OK,ilmesemblequ’onestvraimentbienpartis…AndreaSoldinileregarde,perplexe.—Bienpartis?Onestbienarrivés,oui!Michelas’approchedeNikietluitendlamain.—Toutesmesfélicitations,vraiment.Cecin’estpasundessin,c’estuntableau…—Merci!Nikilesregardetousetsourit,contentedurésultat,deleuravoirdonnéuncoupdemain.Puisellemetdecôtéledessindelafillesurlabalançoiredelalune.Endessous,ilyaunefeuillecomplètementblanche,maisd’unblancléger,commeuncalque.— Et puis, j’ai aussi fait cette autre idée dont tu m’as parlé. Elle regarde Alessandro d’un airinterrogateur.—Tut’ensouviens,non?Alessandrolaregarde,ilnesaitpasdutoutdequoielleparle.Toutlemondesetourneverslui,attendantuneréponse.Alessandrofaitsemblantderéfléchir.—Mais…oui,biensûr, j’aicompris.Bon,enréalité j’aiditçacommeça,pourparler, je trouvaisçadrôleetbizarre,oui,voilà,amusant...Ilregardelesautresententantdeminimiserunpeul’idéesuivante,neserait-cequeparcequ’iln’apasidéedequoiilpeuts’agir.Puisilredevientsérieux.Rigide,même.Qu’est-cequ’ilpeutbienyavoirsouscette feuille blanche ? Son visage exprime la curiosité, comme un enfant qui a déjà oublié le jeuprécédentetqui,toutexcité,veutouvrirsonprochaincadeau.Nikisourit.Aucunproblème.C’estellequidonneraàl’enfantcequ’ilveut.Telleunejeuneetélégantetorera,elleenlèvelevoileblanc.—Olé!Denouveau,ilsplongenttousaveccuriositépourdécouvrircettenouvelleidéed’Alessandro.Surtoutlui.Surcettefeuille,desnuageslégers,doux,dégradés,commedelabarbaàpapa,flottentsuruncielbleunuit,repliésurlui-mêmecommeunegrande,uniquevaguepleined’étoiles.Etlà,unefilleenmaillotdebain, lesbras écartés et les jambes légèrementpliées, glisse surun surf en formede lune, nouveau etsurprenant.Tousrestentsansvoix.—Maiscelui-ciestencoremieux!AndreaSoldinisecouelatête,désormaisdéfinitivementconquis.—Alex,tuesungénie!

Dariolèvelebrasetindiquelenouvelarrivant.—Etcen’estquemaintenantqu’illedécouvre!GiorgiaetMichelasontenpleineextase.—Alex,c’estvraimentmagnifique!Personne ne trouve les mots pour exprimer à quel point ce dessin leur plaît. Alessandro, abasourdi,regardebouchebéeleseconddessin.Puislepremier.Puislesecond.Finalement,ilfermelabouche.—Bien!Niki,tuasétéexceptionnelle!—Jesuisheureused’avoirpuréalisertesidées.Alessandroselèved’unbond.Ilprendlesfeuillesetlesmetsoigneusementdanslapochetterougeoùilestécrit«Lesidéesd’Alex».Illafermeetlaglissesoussonbras.PuisilprendNikiparlamain.—Allons-y.Etilsortdubureauencourant,latraînantderrièrelui.Nikipeineàlesuivredanscettecoursejoyeuse,pleined’enthousiasme.—Salut…Abientôt…jepense!Elleprendainsicongédel’équipe.Alessandrocourtdanslecouloir.Ils’arrêtedevantlaportedeLeonardo.Ildemandeàlasecrétaire,quiinterromptsaconversationtéléphonique:—Ilestlà?—Oui…ilestseul…mais…Elleregardesamontre.—Vousavezrendez-vousdansdixminutes…—J’aifiniplustôt.Alessandrofrappeàlaporte.—Entrez.Ilentre,laissantNikisurlepasdelaporte.—Salut,Leonardo.Voicinosprojets!—Eh,tum’asdevancé,j’allaist’appeler.—Jesuisvenuunpeuenavanceparcequejedoisfiler.—Quoi?Onnefaitpaslaréunion?—Enattendant,regarde-les…etdis-mois’ilsteplaisent…Ons’appelleplustardetonfaitlaréuniondemainmatin,ouquandmveux.Leonardoprendlapochetterouge«Lesidéesd’Alex».—Déjà,lapochettemeplaît.Maisoùtuvas?—Jevaisrespirerunpeulesgens,ceuxquim’ontinspirécesprojets…etprendreunpeudetempspourmoi!Ilsortencourant,maiss’arrêtesurlepasdelaporte.—Ah!Elle, c’estNiki.NikiCavalli.Manouvellecollaboratrice.Leonardon’apas le tempsdedire«Enchanté»qu’ilsontdéjàdisparu.Ilsfilentverslesascenseurs.Nikilefreineuninstant.—Attends…Elleluilâchelamain,courtverslecanapéoùelleétaitassiseetprendsesaffaires,puisellelerejointensouriant.—Mesaffairesdecours,etpuisunsacpourcetaprès-midi.—Tuestropforte!Ilvaversl’ascenseuretappuiesurlebouton,enespérantqu’ilarriveleplusvitepossible.Deux,trois,quatre,cinq,six.Enfinàl’étage.Justeaumomentoùilsentrentdansl’ascenseur,Leonardoapparaîtaufondducouloir.—Eh,Alex!

Alessandroseretourne.Ledirecteur tient lesdeuxfeuillesdanssesmains, leregarde.Il tient lesdeuxpublicitésenl’air,danslevide,illesagiteavecsesbras.—Alex,c’estmagnifique,vraiment!Alessandroappuiesurrez-de-chausséeetsourittandisquelesportessereferment.—Jesais…Nouveauetsurprenant!L’ascenseur se referme. Leonardo baisse les bras et regarde à nouveau les deux publicités.Colorées,vivantes,amusantes.Puisilsouritet,enfaisantbienattentiondenepaslesabîmer,ilretournedanssonbureau.Dansl’ascenseur,AlessandroregardeNiki.Ilnesaitpasquoiluidire.Ilssetaisent.Nikis’appuiecontrelaparoi.Ellepenchelatêtesurlecôté.Alessandros’approched’elle.Ill’embrasselégèrementsurleslèvres,puiss’écarte.—Merci,Niki.—Chut.Nikimet son doigt devant sa bouche puis le retire doucement, attire Alessandro à elle et l’embrasselentement.Encore.Douce.Chaude.Tendre.Passionnée.Puisellesourit.—Voilà, là, tume plais. Ça, c’est le genre demerci que j’adore.Alessandro l’embrasse à nouveau.Longtemps.Avecdouceur.Soudain,ilentendquelqu’uns’éclaircirlavoix.—Hem.Ilsseretournent.Laportedel’ascenseurestouverte.Ilssontarrivés.Uncoupleavecdessacsdecoursessetientdevanteux.Heureusement,cenesontpasdescollègues,penseAlessandro.Avecun«excusez-nous»poli,ilslibèrentl’ascenseur.Ilscourenthorsdel’immeubleetmontentenvoiture.Cettefois,Nikineveutpasconduire.—OK,jeconduis…maisrappelle-toique,quandtuveux,tuastouslescoursgratisquetuveux.Nikisourit.—Eh,jenesavaispasquetudessinaisaussibien.—Eneffet…C’estOlly,uneamie,qui lesafaits.Elleest trèsforte,elleaditquec’étaitfacile,avecd’aussibonnesidées…—Oui,vraiment,tuastrouvédesidéesexcellentes.Maisc’étaitça,quetunotaisdanstoncahier,hier?—Oui.Quandtutemoquaisdemoi.—Jenememoquaispasde toi. Je te taquinaispour tepousseràêtrecréative.C’estuneméthodedetravail.Pousserl’orgueiletl’ambitionàlaproductivité.—Ehbien,tut’estrompé.Quandtufaisaisça,riennemevenaitàl’esprit.L’idéedelalunequiestunsurfm’estvenueàlamer…—Etcelledelabalançoiredanslecielnocturne?—Aprèslesjasmins…Alessandrolaregarde.—Tuasdesidéessplendides,filleauxjasmins…—Nous avons des idées splendides…Nous sommes une équipe, non ? Et nous devons toujours êtrecapablesdeprendredutempspournous.—C’estvrai.—Etdenepasnouslaisserdistraire.—C’estvrai.—Onvavoirsic’estvrai!Nikisepencheversluietluicouvrelesyeuxdesesmains.Alessandrofaituneembardée.

—Eh,maisqu’est-cequetufais!Ilralentitets’arrêtesurlecôté,sansrienyvoir.—Onafailliavoirunaccident!—Bof,unchocdeplusoudemoins.—Onl’adéjàdit,ça.—Alors?Nikiatoujourssesmainssurlesyeuxd’Alessandro.—Alorsquoi?—Onvavoir,situn’étaispasdistrait.Commentjesuishabillée?Alessandropousseunsoupir.—Alors,vestebleue,juperayée.Collantsrigolos.—Dequellecouleur?—Bleuciel.—Etpuis?—Etpuis,chaussuresAdidasdeboxeur,bleufoncé.—Riend’autre?—Riend’autre.Nikilibèrelesyeuxd’Alessandroquilesfermeetlesouvre,retrouvantlavue.—Etalors?Qu’est-cequetuendis?—Pasmal.—Surquoijemesuistrompé?—Tun’aspasditquejen’aipasdesoutien-gorge.Alessandrolaregardeunpeumieux.Ilplisselesyeuxpourregarderdanssaveste.—Sanssoutien-gorge?Impossible!Alors,lesurffaitvraimentdesmiracles!Nikiluidonneuncoupetrit.—Crétin!Uss’envontainsi,s’offrantunpeudetempsrienquepoureux.Ilsvontdéjeuneràl’InsalataRicca,puissepromenerdanslecentre,prendreuncaféàSant’Eustachioet,tantqu’ilsysont,voiruneexpositiondephotosaupetitmuséeduQuirinale.Salgado.Magnifique.Photosennoiretblanc.L’Afrique.Desenfants.Des animaux. Pauvreté et richesse d’une nature sans confins. Alessandro et Niki se perdent et seretrouventdephotoenphoto,enlisantlescommentairessouscesmomentsimmobiles,fixésencetinstant,quidurentuneéternité.Letemps.Soudain,Nikiregardesamontre.—Mince,maisj’aiunmatch,moi!Elleletraînedehors,versquisaitquelautrerendez-vous.

44Diletta fait troispas, saute justeaubonmomentetécrase laballeavec forceetviolence.Déterminée.Puiselleretournederrière,àlafindelaqu’elle.L’entraîneurlanceunautreballon.—Allez,lesfilles,allez!Encore,c’estbien,encore…Allez,oncommencebientôt…Uneautrefilleprendsonélanetsaute,maisavecmoinsdeconviction.—Plus décidée !Allez, les filles, la semaine prochaine c’est la finale.L’entraîneur ramasse un autreballonetlelance.Etuneautrefillesaute.Etsmashe.Etungrognement.Etd’autresballonsquirebondissentsurlelinodelagrandesalledesports.Etdescrisdejeunesfilles,etd’autreséchoslointains,detantdepetitsballons,et lesgoûtsdesueursdifférentes,defatiguechaude,d’espritsportif.DilettarejointEricaetOlly,assisessurlesgradins.—Oh,maisNikin’estpasencorelà?Qu’est-cequ’ellefait,elleaperdulatête?Sanselle,onestfinies.Ellesetourneversl’entraîneur.—Mince,Pierangeloestfouderage.Ollymetunchewing-gumdanssaboucheetsemetàlemâcher.—Unpeu…IlestfoudeNiki,ildoitêtrejaloux.—Maisqu’est-cequeturacontes?Tuesobsédée,tuvoisdusexepartout.Ollymâchelaboucheouverte.—Non, c’est toi qui dors…Qu’est-ce que tu crois ? Où tu penses qu’elle est, Niki ! Elle a trouvéquelqu’unquiluiplaît…c’estavecluiqu’elles’entraîne!Diletta prend le ballon qu’elle tient dans ses mains et le presse gentiment contre Olly, qui se laissetomberenarrièreetposelesmainsparterre.—Aïe!—Etremercielecielquejen’aiepassmashécommeilfaut,jet’auraistuée…Justeàcemoment-là,l’entraîneurlanceunballonàuneautrefille.Puisillavoitarriver,aufonddelasalle.Ilmetsesmainssurseshanches.—Ah, enfin, Niki ! Tu crois que c’est une heure pour arriver ? Niki arrive, essoufflée, son sac surl’épaule,Alessandroderrièreelle.—Tuasraison,pardon,prof!Jevaismechangeretj’arrive.Ellepassesonsacavecseslivres,unpeudemaquillageettoutleresteàAlessandro,quilasuit.—Tumeletiens?—Biensûr.Ilprendsonportableetsonportefeuilledanssavesteetlesglissedanslesac.NikiaperçoitOllyetEricasurlesgradins.Ellelessaluedeloin.Lesdeuxamiesluirendentsonsignedelamain,etnaturellementcontinuentàfixerNikietAlessandro,curieuses.PuisOllysetourneversErica.—C’estlui…Incroyable.Alorstoutcequ’ellenousaracontéestvrai!Ericasecouelatête.—Jesuissansvoix…Mais…ilestvieux!Ollysourit.—Sicequ’ellenousaracontéestvrai…ilestvieux,maisçan’apasquedumauvais.—Olly!—Oh, qu’est-ce que ça peut te faire…Et puis, tu peux parler.Moi je pense queGiorgio, dans soncomportement,estplusvieuxquelui.Alessandros’estrenducomptedelastupeurdesamiesdeNiki.

—Maisçafaitcombiendetempsqu’ellesnet’avaientpasvue?Ellestefixentd’unemanière…—Depuiscematin,encours.Tuvois…celleavecleT-shirtrouge,dit-elleenindiquantOlly.C’estladessinatrice!—Ah,cellequiestsidouée!—Oui.Bon,là,jedoisvraimentallermechanger,ensuitejet’explique…ellesneparlentpasdemoi.Maisdetoi.Ellesm’onttorturée,j’aidûtoutleurdire…Bon,jefile,àtoutàl’heure.Nikiprendsonsacetcourtverslesvestiaires.—Ellest’onttorturée?Tuasdutoutdire?Maistoutquoi?MaisNikiestdéjàloin,ellenepeutpasl’entendre.Alessandroprendsesaffairesetrejointlesdeuxjeunesfilles.Ilest un peu gêné.D’une certainemanière, il a vraiment l’impression d’être, façon de parler, « hors dutemps».—Bonjour,jesuisAlessandro.—Salut,moic’estOlly,ellec’estErica,etcellequijoue,là-bas…lagrande,sportive,c’estl’autreamiedeNiki,Diletta.Lui,c’estnotreprofetentraîneur.Nous,onestremplaçantes.Onnes’entraînemêmepas,parcequ’ilnousapunies.—Ilestcomment,cetentraîneur?Alessandrodépassesagêneinitialeets’installeàcôtéd’elles.Ericaluisourit.—Trèsbon.L’annéedernière,aveclui,onestarrivéesdeuxièmes,cetteannéeonabonespoirdegagner.Ollys’appuiecontreledossieretallongesesjambessurlesiègedevantelle.—Oui,maismêmesiongagnaitlechampionnat,lui,toutcequil’intéresserait,c’estd’êtreàtaplace!Ericaluidonneuncoupdecoude.Alessandrolaregarde,intrigué.—C’est-à-dire?Ilvoudraittravaillerdanslapub?OllyregardeErica.—Disonsqu’ilaimeraitfairecertainespublicités…—Oui,biensûr,parcequelui,seullerésultatfinalluiimporte,ditAlessandro,maisenréalité,derrière,ilyatoutuntravailderéunionsinterminables.Defatigue…Decréativité.Parfois,ontravailletoutelanuit.—Biensûr…OllyritetregardeErica.—Parfoisvoustravailleztoutelanuit…Maisc’estagréable,non?Alessandronecomprendpasdequoielleparle.—Toi,parexemple,tuasfaitdeuxdessinsfantastiques.C’étaitbientoi,n’est-cepas?AlessandroregardeOlly.Elleacquiesce.—Combiendetempstuasmis?—Bah…l’heuredemaths,etpuisuneautreheureaprèslarécréation.—Seulementdeuxheures?Vraimentexceptionnel,alors.—Maisnon,c’estrien,c’estjustequelquechosequej’aimebeaucoup…Alessandros’assiedplusconfortablement,ilcroisesesbrassursesgenoux.—Écoute,Olly, jenesaisvraimentpascomment te remercier, toietNikim’avezsortid’unesituationdélicate.Jevoudraismeracheter.Qu’est-cequejepeuxfairepourtoi?OllyregardeEricaethausseunsourcil.—Oh,ben,moij’aimeraisbienfaireunedecesinterminablesréunionsnocturnes…maisjenecroispasqueNikiseraitd’accord!Juste à ce moment-là, Niki sort des vestiaires. Elle porte un maillot blanc portant l’inscription

«Mamiani»,lenomdesonlycée.Endessous,elleaunshortbleutrèsmoulantetdegrosseschaussettesmontantesrayéesbleuetblanc.NikifaitsigneàAlessandrodelarejoindre.—Prendslesac!Alessandroselève,souritàOllyetEricaetlarejoint.—Excusez-moi.IltendlesacàNiki.—Tiens!Ellefouillededansettrouvel’élastiquequ’ellecherchait.—Eh,çatevasuperbien.Jet’imaginedéjàsurleterrain.Nikiluisourit.—Jesuispasseuse…Elles’attacherapidementlescheveux.—Qu’est-cequetumedisais,toutàl’heure?Qu’ellest’onttorturée?Quetuasdûparler?—Oui,j’aidûleurraconter,pourhiersoir…Etpuis,pendantquel’yétais,j’aimenti.—C’est-à-dire?—Jeleurairacontécertainsdétails…deschosesqu’onn’apasencorefaites,ellesontadoré.Tuvois,9semaineset1/2?Ben,comparéàcequetum’asfait,c’estunfilmtrèsennuyeux…—Mais,Niki!Troptard,Nikicourtetrejointl’équipe,quiestdéjàentraindesemettreenplacesurleterrain.—Allez!L’entraîneurprendleballonetlepasseàDiletta.—C’est toi qui commences, allez,maintenant onpeut enfin y aller, la princesse nous a fait l’honneurd’arriver…IljetteunregardnoiràNiki.Ilvas’asseoirsurlebancdetouche,tandisqueNikiluitirelalangueencachette,faisantrirelesjoueusesquisontprèsd’elle.Ensuite,ilsdécidentdequelquesschémas,etlejeudémarre.Alessandro a enfin compris ce queNiki a raconté à ses amies, et reconstruit tout de suite ce qu’ellesentendaientpar«cesinterminablesréunions».Ildécidedenepasretournersurlesgradinsetderegarderlematchdelàoùilest.Jen’arrivepasàycroire…Ellem’afaitpasserpourunobsédé.Il laregardemieux.Ilsecouelatête.Nikisepencheenavantpourremonterseschaussettes.Sonshortbleumoulantsetend encore plus.Alessandro frissonne légèrement. Pendant un instant, il a l’impression de sentir uneodeur de jasmin. Il essaye de penser à autre chose. Il pense aux dessins. A Leonardo. A sescollaborateurs.Au défi.Au jeune directeur créatif.ALugano, qui pour l’instant s’est éloignée.Mieuxqu’unedouchefroide.Ah…Çavamieux.Et là,sonportablesonne.C’estEnrico.Alessandrosouritetrépond.—C’estfait.—Quoidonc?—Commentça,quoidonc?…TonyCosta,jesuispasséchezlui.—Ah,bravo,merci,tuesunvraiami,jesavaisquejepouvaiscomptersurtoi.Tuvasmeracontertoutça.Maistuesoù?—Moi?Hum…Justeàcemoment-là,Nikiselanceenavantpoursmasheruneballecourte.Ellefinitàterre,sonventrefrottantcontrelesollisse.SonT-shirtserelèveunpeu,maiselleréussitàattrapercetteballedifficile.Lejeucontinue.

—Moi?Jesuisenpleineréunioncréative.Dilettadécolleetsmashe.—Point!Toutlemondeapplaudit.—Aveccebordel?—Ehoui…uneréunioncréativeparmilesgens.—Maistum’avaisditquetutelibérerais.Tudevraisdéjàêtreici.—Ici,où?—Commentça,où,lafêtesurprise!Aujourd’hui,c’estl’anniversairedeCamilla.Alessandroregardesamontre.—Mince,j’avaiscomplètementoublié…OK,jetermineuntrucetj’arrive.—Allez,dépêche-toi.Enrico raccroche. Alessandro essaye d’attirer l’attention de Niki, mais le match est très serré et seprolonge.AlorsAlessandroprendlesacdeNikietvaretrouverOllyetErica.—Salutlesfilles.Excusez-moimaisjedoisvraimentfiler:j’avaisoubliéunrendez-vous.DitesàNikiquejel’appelletoutàl’heure.—OK,onluidira.Net’inquiètepas,va,netemetspasenretard…—Merci!Ellesleregardentsortirencourantdelasalledesports.—Amonavis,ilestmarié.—Olly!Pourquoiilfautquetuvoiesdulouchepartout?—Quiaparlédelouche?Aucontraire.Unhommemarié,çapourraitêtreidéal.Ilnetecassepaslescouilles,ilnetedemandejamaisavecquitusors,àquituparlaisautéléphone,oùtuvas,cequetufais,et cætera. Il fait ce qu’il doit faire, et apparemment lui il le fait bien… Et surtout, il ne veut past’épouser!C’estl’idéal…Ericalaregardeavectristesse.—Tusaiscequejepense?Jenesaispascequit’estarrivé,maistuaspeurdel’amour.—Moi,peurdel’amour?J’aipeurdemeretrouverdansunesituationcommelatienne…tunepeuxpast’enpasser,tueshabituée,maisenréalitétuvoudraist’enpasser…maistuaspeur…Tuaspeur!Etpasde l’amour.Denepas savoir être seule, chèreErica.On sait cequ’onquitte, onne sait pas cequ’ontrouve.—Quandtuparlescommeça,ondiraitGiorgio.—Ahoui?Alors,jepeuxtedonnerunconseil?Quitte-noustouslesdeux!

45Alessandroarrivetoutessoufflé.Ilestpasséchezlui,ilaprisunedoucheenvitesse,ilamisunechemisepropreetilestsortiencourant,espérantarriveràtemps.Etilaréussi.—Allez,ilnemanquaitplusquetoi…Enricocourtàsarencontreàl’entréedesCanottieriRoma.Illeprendparlavesteetl’entraîneencourantenbasdel’escalier.Ilsentrentàtoutealluredanslerestaurant.Quelquescouplesquis’ennuientsontentraindedîner.Quatrehommesâgés,maistrèsélégants,mangentensouriant,presqueens’étudiant,avantleur bridge hebdomadaire. Alessandro et Enrico rejoignent les autres invités, environ une trentaine,cachésderrièreungrandparavent,toutaufonddurestaurant.Enricolepousseverslesautres.Restelà,cachez-vousbien,ellevaarriver…AlessandroditbonjouràFlavio,Pietro, leursfemmesrespectives,etpuisauxgensqu’ilconnaîtetquisontleplusprèsdelui.—Salut…aïe,nepoussezpas…onsecroiraitdanslemétro.—Pourquoi,çat’arrivedeprendrelemétro,toi?—Jamais…maisj’aitoujoursimaginéçacommeça…—Chut,ellevanousentendre…chut!Peuaprès,EnricoetCamilladescendentl’escalierquimèneaurestaurant.Leursamis,cachésensilence,reconnaissentleursvoix.—Monamour,pendantuninstantj’aicruquetuavaisoublié…—Maisnon,cematinj’aifaitexprèsdefairesemblantd’oublier,jevoulaistelesouhaiter…—Comme tu esmignon… tu asmêmemis les fleurs que j’aime sur la table.Mais je suis curieuse :pourquoi ici,auxCanottieri?Nonpasqueçanemeplaisepas,hein,nevarien t’imaginer,mais justepoursavoir…ilyapleinderestaurantsmoinschers…Regarde, tuauraispuchoisirn’importe lequel,saufpeut-êtreceluid’Alberto…Là,c’estvraiquecen’estpascher,maisonmangevraimentmal…—C’estparcequ’onestlà!UnefillederrièreleparaventdécidedesauverCamilla,vuquelepauvreAlbertoestlàaussi,cachéaveceux.Toutlemondesort.—Bonanniversaire,Camilla!—Bonanniversaire!Quelqu’unsemetàchanter.—Joyeuxanniversaire,joyeuxanniversaire!Camillarougit,toutegênée.—Merci,quellebellesurprise!Jenemesuisrenducomptederien!MonDieu,vousm’avezbienelle!Certainsluidonnentdescadeaux,unbouquetdefleurs.Lesautresn’ontrienapporté,ilsontparticipéàuncadeau collectif proposé par Enrico. En quelquesminutes, Camilla croule sous les paquets.Même lepauvreAlbertoluidonnesoncadeau,unebouteilledevin,ensouriant,etl’embrassemêmesurlajoue.Ilfaitpeut-êtresemblantden’avoirrienentendu.Entoutcas,labouteilleestmeilleurequecequ’onmangedanssonrestaurant,c’estcertain.EnricorejointAlessandroquibavardeavecFlavioetPietro.Illeprendparlebras.—Excusez-moi,vousvoulezbien?Ill’entraîneàl’écart.Pietrolesregarde.—Ilsfontdescachotteries!Flaviohausselesépaules.AlessandroetEnricos’arrêtentpastrèsloindesautres.—Alors?

—Alorstoutestarrangé,Enrico.Jesuispasséchezluietilaacceptél’affaire.—Pourcombien?—Troismilleeuros.Millecinqcentstoutdesuite,jeluiaidéjàdonnés,etmillecinqcentsunefoisletravailterminé.—OK.Enricosortsonportefeuille.—Maisnon,Enrico,pasici…onvanousvoir.Onrégleratoutçatranquillementundecesjours.—OK,merci…Enrico remet le portefeuille dans sa poche, puis il regarde sa femme de loin. Elle est avec ses amis.Beaucoupsontencoreentraindel’embrasseroudeluidonnerdescadeaux.—Tuasvu?Tuasremarqué?Alessandroregardedanslamêmedirectionqu’Enrieo.—Quoidonc?Ilsluisouhaitentsonanniversaire,etpuis?—Non,regardebien.Alessandroseforce,plisselesyeuxpourcapterlemoindredétail,maisneremarquerien.—Toutmesemblenormal,ellerit,elleplaisanteavecsesamis,ellebavarde.Elleestgaie.—Sescheveux.Regardesescheveux.Alessandroseforceencoremaisneremarquevraimentrien.—Écoute,toutmesemblenormal.Pourquoi,qu’est-cequiachangé?—Commentça,qu’est-cequiachangé?Elles’estfaitunefrange.—Etalors?Elles’estcoupélescheveux…Qu’est-cequec’est,unthriller?—Non,unecomédie.1973.LaBonneAnnée.UnfilmdeClaudeLelouchavecLinoVenturaetFrançoiseFabian.Ilfinitenprison,ellevalevoir.Jemerappelleleurdialogue.Lui:«Tuaschangédecoupedecheveux?»Elle : «Oui, pourquoi, je ne teplaispas ?»Lui : «Si, si.C’est que, quandune femmechangedecoupedecheveux,çaveutdirequ’ellevabientôtchangerd’homme.»Enricosetaitetleregardefixement.Detempsentemps,iljetteuncoupd’œilàCamilla,aufond.Alessandroleregardeetsecouelatête.—Alors…franchement,jemerappelleaussid’autresrépliques…dugenre:«Qu’est-cequec’est,unefemme?–C’estunhommequipleuredetempsentemps»,pardon,maisçavautmieux.Etpuis,detoutefaçon,c’étaitunfilm!—Oui,mais les films s’inspirent de la réalité… elle s’est coupé les cheveux, et peut-être qu’elle avraimentquelqu’und’autre.—Ecoute,moi je suis désormais sûr d’une chose…cet argent, il n’y avait pasmeilleurmoyen de ledépenser.JesuissûrqueTonyCostavaenfintedébarrasserdecedouteirrationnel,OK?—OK…—Jevaisallerprendrequelquechoseàboire.Maisàcemoment-làEnrico regardeCamilla.Elleaarrêtédediscuteravecsesamies,elleprendsonportabledanssapoche,lutsurl’écranlenomdeceluiquil’appelleets’éloignedesesamiespouravoirunpeud’intimité.AlessandroregardeEnricoetessayedelerassurer.—Aujourd’hui, c’est sonanniversaire.Tusaiscombiendegensvont l’appelerpour le lui souhaiter?C’estpeut-êtreunedesesamiesquetuasoubliéd’inviter,oubienunecousinelointainequivientdes’ensouvenir…—Oui,biensûr.Oubienquelqu’unquiluirépèteàquelpointilaaimésanouvellecoupedecheveux…

Alessandrohausselesépaulesetl’abandonne.Ilpartàlarecherched’unverredevin.Ilvaaubuffet.—Unpeuderouge,s’ilvousplaît.Unserveurpoliprendunebouteille.—Toutdesuite,monsieur.Alessandroregardeleverreseremplir.Puisunsouvenirlointain.Soudain.Elena.Quelquesjoursavantqu’elle ne parte. Et ce souvenir devient réalité. Présent. Envahissant. Elena entre dans la chambre,AlessandroestàL’ordinateur.—Monamour…Jeteplais?Qu’est-cequetuendis?—Dequoi,monamour?—Tun’aspasremarqué?Jemesuiscoupélescheveux!Etj’aifaituneteintureplusfoncée.Alessandroselève,s’approched’elleetl’embrassesurlabouche.—Sic’estpossible,tuesencoreplusbellequ’avant,monamour…Elenas’éloigne.Etsourit.Sûred’elle.Tropsûred’elle.Est-cequec’estlàquejemesuistrompé?Jeluiaidonnétropdecertitudes?—Jevousenprie…—Quoi?—Votreverre,monsieur…Leserveurluipassesonverre,etlesouvenirs’estompe.—Merci.Toutenbuvant, il remarquequ’Enrico le regardede loin. Il lui sourit.Toutvabien,Enrico…Toutvabien.Ilyadessouvenirsqueçan’apasdesensdepartager,mêmeavecunami.Mêmes’ilsfontmal.Même s’ils sont douloureux.Voilà, onpourrait dire ça : en amour, la douleur est proportionnelle à labeautéde l’histoirequ’onavécue. Joliemaxime.Alessandro regardeànouveauEnrico.«Et toi,monami…vas-tusouffrir?Etsitusouffres…combiensouffriras-tu?»Alessandroluisourit.Enrico,unpeuperplexe,luirendsonsourire.Alessandroposesonverrevidesurunetable.Proposerunemaximedecegenreàquelqu’unquipensequesafemmeletrompeveutdireautrechose.Quetun’espassonvéritableami.

46—Allez,montre-toiunpeu.OllyetEricas’approchentdeNikiquiprendsadouche.Elleestentraindesesavonner,ellemetlatêtesouslejetetenlèvelesavondesesyeux.—Maisquoi?—Onveutvoirsituenporteslessignes…—Qu’est-cequevousêtesbêtes!Niki bat desmains sous le jet d’eaupour les éclabousser. Peu après, assise sur unbanc duvestiaire,perduedans songrospeignoir, elle se frictionne les cheveuxavecunepetite serviettebleu ciel, de lamarqueChampion.Sesamiessonttoutesautourd’elle.—Alors,tuvasnousraconterlavéritésurcettehistoire,ouiounon?Nikienlèvelaservietteetlametautourdesoncou.—Encore?Maisjevousaidéjàraconté.—Oui,encore.Çameplaîtetçam’excite.—Tuesmalade…—Non.Etjevaistedirelavérité.Ollydit,enregardantEricaetDiletta:—Moijenecroispasquecetypesoitunétalon.Nikiattrapesaserviettecommesic’étaitunfouetettentedefrapperOlly,maiscelle-ciestplusrapideetesquivelecoup.Oupresque.—Aïe!Tuasfaillim’avoir!Crétine!—Pourquoiilfauttoujoursquetumefassesdiredeschosesquejen’aipasdites?—OK,tuasditquetut’étaissentietrèsbien,qu’iln’avaitpasétéfrileux,queçat’avaitplu,qu’ilt’avaitamenéejusqu’aubout.—Olly!—Benquoi,c’esttoiquil’asdit,non?!Etalors,toutça,çanefaitpasunétalon?—Non.Jet’aiaussiditqu’ilétaitgentil,mignon,altruiste,prévenant,délicat.C’estçaquimefaitmesentirbien…espècedevicieuse.—L’étalon,c’étaitplutôtsonex,Fabio,intervientDiletta.Ollysetourneetlaregardeméchamment.—Qu’est-cequetuensais,toi?—Ben,çasevoit…Asafaçondefaire,debouger…Ollyl’interrompt,amusée.—Ettoi,quin’asencorejamaisessayéaucuntypedegarçon,dusmallàl’extra-large,tutepermetsdejuger?Oubientul’astesté,ceFabioFobia,ettunenousasriendit?—Biensûr.C’esttoiquidisça,toiquifuibavesderrière…—Espècedesale…Ollyfaitminedelafrapper.Nikiselèveets’interpose.—Eh,ducalme,ducalme.LesOndes!Toutdoucement,aidéeparErica,ellelesfaitserasseoir.—Mais vous êtes devenues folles ? Il suffit qu’onparle demecs et vousvousdéchaînez commedesaffamées.Vousavezlaréactionhormonaledegaminesdedouzeans.—Oupire,phéromonale,souritErica.Ollylaregarde.—Phéroquoi?—Jevois…Encoreunequiabiensuivilecoursdechimiedecematin…

—Jenepouvaispas.J’étaisoccupéeàfairedesdessinspourl’étalon.—Ecoutez,ditNikienremettantlaserviettesursesépaules.Alors.Comprenons-nousbien.Ça,nousnel’avons encore jamais affronté.Premièrement.Aucunhomme, small,medium, extra-largeou étalon, nedevrajamaisnousséparer.Promettez!—Promis.—Deuxièmement.Nousdevonstoujourstoutnousraconter,denosdésirsànospensées,denospeursànos bonheurs. Trop souvent je vois des gens qui ont peur d’admettre qu’ils vivent quelque chosed’incroyable,desplendide,demerveilleux,mêmeavecleurspropresamis.Vouspromettez?—Promis!—Troisièmement.CellequisemettraavecFabioouquiferaquelquechoseaveclui…jelaplains…Sestroisamieslaregardentd’unairétonné.—Danslesensoùellesemettraavecunbelégoïste…ElleregardeOlly.–…àtouslespointsdevue…situveuxtoutsavoir.DilettadonneuncoupàOlly.—Commetuvois,jen’aipasencoreessayé,maisjem’yconnaismieuxquetoi…Ollyhausselesépaulesenfaisantunegrimaceantipathique.Ericas’approchedeNiki.—Quoiqu’ilensoit,Alessandromeplaît.Bon,c’estsûr,ilestvieux…Maisquelâgeila?—D’aprèstoi?—Bof…Vingt-huit.Vingt-neuf…—Ilvaavoirtrente-septans.—Quoi?Ilavingtansdeplusquetoi?—Presquevingtans.Pourquoiçavousétonnetantqueça?Ollysourit.—Moijenesuispasétonnée,aucontraire…Çam’excite,jetel’aidit!Untypeplusâgé…bienplusâgé…Bah,çameplaît!Iln’auraitpasuncopain?—Plusieurs.—Alorsprésente-les-moi,non?—Jecroisqu’ilssonttousmariés.—Luiaussi,n’est-cepas?Ericalaregarded’unairsuspicieux.—Non.—Tuessûre?—Oui,ils’estséparédesacompagneilyaquelquesmois.Ilsallaientsemarier…Ollyjointlesmainsetregardeversleciel.—BonDieu,ilmeplaîtencoreplus.Ecoute,sesamismariésferonttrèsbienl’affaire.Etpuis…aucasoù,ilyaledivorce,non?Aucasoù…—Etsisonexrevient?demandeErica.Nikitentedelafrapperelleaussiavecsaserviette.—Oh,maisqu’est-cequevousaveztoutescontremoi?Vousvousacharnez,ouquoi?Vousvoulezmeporterlapoisse?—Maisqu’est-cequeturacontes!—Tuesfolle?—Écoute,Olly,situveuxvraimentm’aider,tupourraisaussimefaireunlogo.—C’est-à-dire?—Untitrepourtesdessins.Jesuisentraindepeaufineruneidéepourleslogan.Toi,enattendant,pense

auxcouleursetauxpolicesquetuveuxutiliser.—Couleurs,polices…écoutez-moiça.Maisbon,jemesuisrenseignée,msais?Danslemondedelapub,ilyauntasdefricquitourne.—Etdonc?—Donc,tum’exploites.Nikis’assiedsurlebanc.—Qu’est-cequetuveux?Dis-moi.—Undîneravecluietundesesamis.ElletendlamainàNiki,quilaregarde,indécise.Ollysourit.—Pasdedîner,pasdelogo…Nikisecouelatête.— OK, OK, mais ensuite, ce que tu fais, c’est ton problème. Moi je ne veux pas rentrer dans voshistoires!L’entraîneurarrivedanslevestiaire.—Bravo,lesfilles,bravoàtoutes.BravoDiletta.Niki,tuasétéexcellente,malgrétonretard.Puisils’approched’unedesremplaçantes.— Ah, écoute, j’ai parlé au médecin, tu dois mettre un peu de Lasonil et bien t’échauffer, avant derecommenceràjouer.Ericaleregarde.—Ilestfort,quandmême,notreentraîneur.Etbelhomme,avecça.Nikisourit.—Oui,maisilesttropvieux.—Etpuis,moijepensequ’ilvienticipournousvoiràmoitiénuesaprèslematch…—Olly,maistuvoislesexepartout!—Lesexeestpartout.L’important,c’estdel’avoircompris…EllesetourneversDiletta.—Cequejenecomprendraijamais,c’estpourquoitut’espunietouteseule.

47—Alors?Combienjetedois,pourlecadeaudeCamilla?—Etpuisquoi,encore…c’estmoiquitedoispleind’argent!Allez,onverratoutçaaprès.—OK,commetuvoudras…EnricoentraîneAlessandroavecluidansuncoinreculédurestaurant.—Jesuiscurieux…Enrico regardeautourde lui. Il scruteau-delàdesbaiesvitréesdu restaurant,vers le jardin, entre lesplanteset,plusloin,verslesbergesduTibre.—Atonavis,ilestdéjàautravail?Tucroisqu’ünousfilme?Qu’ilenregistrecequ’ondit?Alessandroregardesamontre.—Amonavis,ilestencoreaulitavecAdèle.—AulitavecAdèle?—Sasecrétaire.—Quoi?Attends, jen’aipascompris.Luiquidevrait enquêter sur lesamants, sur les trahisons, il achoisicemétierpoursetaperunefillesansêtredécouvert.—Qu’est-ceque j’en sais…Peut-être. Jedisais ça commeça.Quand je suis arrivé à sonbureau, ilsavaientl’airtrèsoccupés.Quoiqu’ilensoit,jeluiaidonnél’adresseettoutlereste,commejetel’aidit.Nousensauronsplusdansquelquesjours.Etceverquiestentraindetemangerlecerveaudisparaîtraenfin.—Oubienilfinirademelemanger.Etilm’aideraàeffacerCamillademavie.Alessandrosoupire.—Écoute,aumoinspourcesoir,laisse-lavivre.C’estsonanniversaire.Il s’éloigne, se dirigeant vers la sortie. Enrico est sur des charbons ardents. Il a à peine le tempsd’ajouter:—Jet’appellequand,demain?—Quandtuveux.Alessandrolachercheparmilesgens.Justeaumomentoùill’aperçoit,Camilladécouvrequ’ellevientderecevoirunmessagesursonportable.Ellel’ouvre,lelit,sourit.Alessandroestàquelquespasd’elle.—Camilla?Ellerefermesontéléphoneetbaisseinstinctivementlebrasquiletient.Ilssefontlabise.—Encorebonanniversaire.C’étaitdélicieux,etj’aipasséuntrèsbonmoment.Camillaregardesonmarideloin.Elleluisourit.Sonsourireest tendreetdoux,maisaussilégèrementvoilé.—Enricom’afaitunesuperbesurprise…AlessandroregardeEnricoetpenseàsespeurs.PuisilregardeCamillaetpenseaumessagequ’ellevientde recevoir. Et si Enrico avait raison ? Bah, inutile de me mettre des doutes en tête, moi aussi.Maintenant,onapayéquelqu’unpourréglerleproblème.Qu’illerèglelui-même.Alessandroluisourit.—Oui,c’étaitvraimentunebellesurprise…etréussie.—Oui,c’estvrai,Enricoesttrèsfortpourcegenredechoses.—Allez,Camilla,àbientôt.—Oui,Alex,àbientôt.Maispendantqu’Alexs’éloigne,Camillalerappelle.

—Excuse-moi,j’aiquelquechoseàtedire.Alessandros’arrête,ellelerejoint.—Jenesaispassiçavatefaireplaisiroupas,maisjen’aiaucuneraisondetelecacher.Camillamarqueunepetitepause.— J’espère que ça ne t’embêtera pas… tout à l’heure, j’ai reçu unmessage.C’étaitElena.Elle s’estrappeléequec’étaitmonanniversaire.Alessandrosourit.—Çamefaitplaisir.Aprèstout,vousvousentendiezbien,touteslesdeux.Çanem’embêtepasdutout.Ilsouritencore.—Abientôt.Il sort du restaurant.Cannila le regarde s’éloigner.Qui sait s’ils se remettront ensemble ?Et, surtout,pourquoisesont-ilsséparés?

48Alessandro conduit dans la nuit. Bien sûr. Elle a dû l’écrire dans son fichu téléphone-agenda supertechnologiquedubureau,avectoutessesalertesmailetsesrendez-vous.Elenaatoujoursétédouéepourlesrelationsauseindel’entreprise.Elleréussissait toujoursàobtenir lemeilleur.Etqu’est-cequ’ellefait, maintenant ?… Elle ne m’appelle pas, moi, mais elle envoie un message à Cannila pour sonanniversaire.Quellesalope…l’euaprès,ilarrivechezlui.Encoreénervé,ilclaquelaportederrièrelui.Puisildécidedemettreunpeudemusiquepoursedétendre.Ilchoisitsoigneusement:labande-sonpourunspotjaponais.IlprendunCocadanslefrigoets’allongesurlachaiselonguedusalon,encuirvéritable.IeseulmeublechoisiparElenaquiluiplaise.D’ailleurs,touslesmeublesdusalonnesontpasencorearrivés.Ilserappelleencore la discussion d’Elena au téléphone.Elle hurlait commeune folle contre les fournisseurs parcequ’ils étaient en retard d’un mois pour la livraison, Et aujourd’hui, ils n’ont toujours rien livré.Alessandrosedemandes’ilpeutencoreannulerlacommande.Leplusbeau,c’estquec’estellequiafaittoutl’appart’,elleaimposéseschoix,elles’estbattueparcequelalivraisontardait,ellem’aobligéàpayerl’acompte,moij’aipayé,etàlafinelleestpartie.Pouf.Disparue.Plusaucunenouvelle.Apartlemessagedecesoir…pourCamilla.C’estsûr,nousleshommes,parfoisonsefaitvraimentcouillonner.Mieux vaut ne pas y penser, va… Alessandro prend une gorgée de Coca. Voilà, dans ce genre demoments, il serait bond’avoir le vice de fumer.Ou encoremieux, de fumer de l’herbe. Juste pour sedétendreunpeu,pourriredetoutça…Plutôtqued’enpleurer.Quelquesvaguessouvenirsdemomentsépars.Elenaetluilelongdusentierdecetamourvécu.Undésir.Etunautresouvenir.Quandilsontfaitconnaissance, par hasard, à la présentation d’une nouvelle voiture. Alessandro l’avait trouvéesympathique, cette manager qui parlait en faisant des digressions, en ouvrant des parenthèses, desparenthèses et encore des parenthèses, et puis des sous-histoires, en se perdant dans un ruisseau deparoles.Onnecomprenaitplusbienoùellevoulait envenir.Alorselle souriait…«Qu’est-ceque jedisais?…»etellefinissaitparretrouverlefil.«Ah,oui,biensûr…»Etuneautreplaisanterie.Etunsourire.Etunmomentérotique,elleetsesbasenlevésaveclenteur.Еllеetsapeauquisedécouvreetquiresplendit.Ettellement.Ettout.Ettrop.Puis,soudain,unegêne.Alessandros’agitesursachaiselongue.Ilsedemandeavecquiellelefait,maintenant.Maisnon.Ellenelefaitpas.Cen’estpaspossible.Alors,pourquoielleestpartie?Peut-êtrequec’étaitjusteunmoment.Maisoui,çadoitêtreça.Ellen’estpasdu genre, genre à terminer une histoire pour en commencer immédiatement une autre. Non. Pas elle.Impossiblequ’ellerecommencecommeça,d’uncoup,enuneseconde,à faireavecunautre toutesceschoses splendides, osées, sales, sensuelles, savoureuses qu’elle sait faire. Toutes ces choses quicommencentparuns…pourquoi,danslefond?Ettoi,alors?Çatesemblenormalquesoudain,presquesanslaconnaître,tutesois,disons…amuséaveclafilleauxjasmins?AvecNiki,unefillededix-septans.Avectouscess,maisaussi,z,eta,b,c,etjenesaiscombiend’autreslettresdel’alphabetérotique?Mieuxvautnepasypenser,nepenseràrien.Acemomentprécis,onsonneàlaporte.Alessandro,quis’étaitassoupi,entombepresquedesachaiselongue.Ilselèved’unbondetregardesamontre.Minuitetdemi.Quiçapeutêtre,àcetteheure?Elena?MaisElenaa lesclés.Enfin,elleest tellementbienélevéequ’ellepourrait sonner.Maintenantque j’ypense,depuisqu’elleestpartie,ellen’estpasséequ’unefoisàlamaison.Cejouroùjel’aitrouvéeenrentrant.Ellevoulaitprendrecesouvenir,cestupidesouvenirdeVenise…Etellel’apris.Quellesalope.Alessandroregardeparlejudas.Ilnecomprendpasbiendequoiils’agit.Etsurtout…quic’est.Unefeuilleblancheluibouchelavue.Dessus,undrôledepetitdessin.Puisilentendunevoix,ouatéepar

laportefermée.—Allez,jet’aientendu,tuesderrièrelaporte…Quoi,tunel’aspasreconnu?Tatatatatatata…Silence.Puisànouveau.—Tatatatatata!Maintenant,Alessandrodistinguemieuxledessin.C’estunenageoire.—C’estlesqualequisonneàtaporte!Etsituouvresiltemange!Niki…Alessandrosouritetouvrelaporte.—Oubien,c’esttoiquilemanges…Jet’aiapportédelaglace!—Merci!Excuse-moi,jenecomprenaispas…—Oui,oui…Nikientredansl’appartement,unsachetàlamain.—Allez,ferme…Alessandrofermelaporteetmetleverrou.—Ici il fautunefillecommemoipour teservirdegardeducorps.Etpuis,pourquoi tu t’inquiètes, tamaisonestvide,qu’est-cequ’ilyaàvoler?Alessandros’approched’elle.—Ben,maintenant,toi…—Quec’estgentil…Nikil’embrassetendrementetlégèrementsurlabouche.Puiselles’éloigne.—Etmaintenant,laglace!Nikil’apporteàlacuisineetAlessandrodécidedechangerdeCD.—Eh,tuasdesbolspourlamettre?Maisgros,hein?Jeveuxenmangerplein.—Ilsdevraientêtreaufond.—Maisaufondoù?Nikiouvretouslesplacardsdelacuisine.Elletrouvelebon,enhaut.—Voilà,j’aitrouvé!Unepiledebols etdegrandes tasses, sur ladernière étagèreduhaut.Niki sepenche,prend lesdeuxpremièresetessayedelesattraper.Ellesfontunpetitbond.—Oups!Ellelesenlèvedelapilemaisl’undesdeuxvatroploin,secognecontrelehautduplacardettombesurlecôté.Nikiestrapidecommel’éclair.Elleposelesachetqu’elletenaitdansl’autremain,sepencheetl’arrêteavantqu’ilnetoucheterre.—Pff…—Undetesmeilleurssmashes,hein?Alessandroapparaîtàlaportedelacuisine.Nikiserelève,lejolibolbleuciel,entier,àlamain.—Eh,toutjuste!Alessandrolaregarde.Cesbolsbleus.Ilsfontpartied’unserviceenverreachetéàVenisependantl’unde ces nombreuxweek-ends passés à se balader en Italie. Un soir, lors d’un dîner en tête à tête, ilss’étaient servi des verres. En rentrant du travail, il avait dressé une jolie table. Il s’était mis auxfourneaux,ilavaitchoisilamusique,misdesbougies…Elenas’étaitassiseausalon.ElleavaitcritiquésonchoixpourlamusiqueetpréférémettreunautreCD.Puisellel’avaitrejointàlacuisine,piedsnus,elles’étaitassisesurundestabouretshautsetellel’avaitregardécuisiner.Alessandroleuravaitverséunpeudechampagne.«Alors,comments’estpassétajournée?»Ilsavaientparlédetoutetderien,ils

avaientrienparlantdequelqu’un,beaucoup,trop,etsoudainAlessandro,ensetournant,avaitcognésonverrecontrelemmdelacuisineetl’avaitébréché.Elenaavaitcessédeboire.Elleavaitaussicesséderire.Elleavaitprisleverre,constatéledégât,détachéunmorceaudecristal,puiselleavaitjetéletoutàlapoubelle.«Jen’aiplusenviedemanger».Elleétaitalléeausalon,elleavaitétendusesjambessurlegrandcoussinducanapéetavaitfaitunetêtedetroiskilomètres,latêtedequelqu’unquin’apasenviedeparler,quiaprisunedécisionetquis’ytient.Elenaétaitcommeça.Cettecollection,ellel’avaitlaisséeàAlessandro.Peut-êtreparcequedésormais,ilmanquaitunverre.Alessandro prend le bol desmains deNiki, ouvre la porte de la petite terrasse de la cuisine. Puis ilregardeNiki.Puisilregardelebol.Etillelaissetomber,lebrisantenmillemorceaux.—Mais,Alex…pourquoitufaisça?Alessandrosouritetfermelaporte-fenêtre.—Parcequepeut-êtrequetupensaisquej’ytenaisbeaucoup,maisenfaitcen’estpaslecas.—Jecomprends,maistunepouvaispasjustemeledire?Tun’espasnormal.—Si,aucontraire.Unbolsebrise?Ehbien,çanechangepasnotrevie…—Etd’aprèstoi,c’estnormal?—Oui,maisenyrepensantjepeuxcomprendrequeçasemblecompliqué.—Très…Jemedemandebienquelleestl’histoiredecesbols…Alessandrocomprendqu’ellenepeutpascomprendre.Etilsesentunpeucoupable.—Allez,onselamange,cetteglace?—Eh,maistunevaspasessayerdememontrerquetun’ytienspastantqueçaenlajetantparlafenêtre,hein?—Non,soistranquille,làjeneseraisvraimentpasnormal…Ilslamettentdanslesbols,chacundansceluidel’autre.Nikicontrôlelesien.—Moiseulementchocolat,noisetteetsabayon.—Léger.—Nememetspascelleauxfruits,çanemeditrien,ellessontdélitmisesniaisjelespréfèreenété.Alessandroindiqueunparfumblanc.—Etça,c’estquoi?—Coco.Oui,tupeuxm’enmettreunpeu.—Pardon,maistuasditseulementenété…Nikinerésistepas,elleprendsapetitecuillère,laplongedanssonbol,fermelesyeuxetenmangeunpeu.—Mmm,c’estbon,c’estdélicieux.Non,lecoco,cen’estpaspareil.Etpuis,aveclechocolat,ilsfontcommecesbarreschocolatées…—LesBounty!—Oui,c’estça!Jelesadore…—Onafaitunedeleurspubs.Nikisoupire.—Oh,maistupensestoujoursautravail.—Non,jedisaisçacommeça.C’estunsouvenir.—Tunedoispasavoirdesouvenirs,là…Alessandropenseauchocolat,auverre,àtoutlereste…Etildécidedementir.—D’accord.Ellesourit,ingénue.

—Parce quemaintenant, c’estmaintenant. Et nous, c’est nous…Niki trempe sa cuillère dans le bold’Alessandroetmangeunpeudesaglace.Puisellesesertdanslasienneetmetunpeudechocolatdanslabouched’Alessandro.Dèsqu’illareferme,Nikiprépareuneautrebouchée.Maisenfait,sansluilaisserletempsd’avaler,elleluiétale tout autour de la bouche. Comme quand on boit un capuccino et qu’on se retrouve avec desmoustaches. Et puis, tout doucement, Niki se rapproche. Chaude, sensuelle, désirable. Elle se met àlécher cesmoustaches, et un baiser, et un coup de langue, et une petitemorsure. «Aïe. » Et puis unsourire.Etcesbaisersontlegoûtdechocolat,devanille,decoco.Ellecontinue,ensouriant,àlelécher,tendrementaffamée.Puis,sanslevouloir,elles’appuiesurlui.—Eh,maisiltereste…unBounty…Alessandrol’embrasse,ilsselaissentaller,éteignentleslumières.Laglacefondunpeu.Eteuxaussi…Ils se laissent prendre par les saveurs. Ils exagèrent, ils plaisantent, ils colorent les draps de goût,d’envie,de jeux joyeux, légers,osés, extrêmes…Pendantun instant,Alessandropense : et siSerra etCarretti faisaient irruptionmaintenant ? Les deux carabiniers.A l’aide.Non.Un peu de vanille coulelentement entre ses épaules, du chocolat et de la vanille plus bas, encore plus bas, avec douceur,lentementlelongdecedouxsillon.EtlalanguedeNiki,etsonrire,etsesdents,etunbaiser…Ettoutecetteglacequ’ilnefautpasgâcher…Enencore.Encore.Etchaudetfroid,etseperdredanscessaveurs.Etd’uncoup…pouf,touslesproblèmessontoubliés.

49Nuit.Nuitprofonde.Nuitd’amour.Nuitdesaveur.Danslelit.—Eh,Alex…maistudormais.—Non.—Si…Turespiraispluslentement…Etpuis,tun’asmêmepasentenduquejemerhabillais…—Vraiment,tut’esdéjàrhabillée?—Oui.Jesenslechocolat,lecocoetlavanille.Sijecroisemesparents,qu’est-cequejeleurdis?—Quetusorsavecunvendeurdeglaces!—Crétin.—Attends,jem’habille.—Non,resteaulit.—Non,jen’aipasenviequeturentresseule.—Maisnon,c’estOllyquim’avaitdéposéemaisjevaisprendreuntaxi…J’adorel’idéequeturestesaulitpendantquejem’envais…Alessandroyréfléchituninstant.MaisNikileregarde,etc’estcommesielleluidisait:allez,fais-moiconfiance,laisse-moipartir.—OK,jet’enappelleun.—C’estdéjàfait.Ildoitêtreenbas.—Alors,laisse-moiaumoinstedonnerdel’argent.—Déjàpris.Vingt-cinqeuros,çadevraitsuffire…jetel’aidit,tudormais.—Mais…—Je n’ai rien pris d’autre.Allez, fais-moi confiance, j’aurais pu te vider ton appart’.Y compris tescartesdecrédit!Etmêmetonservicebleu,avantquetulecassestoutentier.Ellevaàlafenêtre.—Letaxiestarrivé!Nikicourtverslelit.—Ciao.Ellel’embrassesurlabouche.—Mmm,tusenslamyrtille,c’estbon…Elles’arrêteaumilieudelapièce,undoigtsurlabouche.—Maismoijen’avaispasapportédemyrtille…Et elle sourit, effrontée, elle sort en courant et elle ferme doucement la porte. Alessandro entendl’ascenseurquis’arrêteàl’étage,puislaportequis’ouvre.Nikiquimonte.Unpetitsoubresautdanslevide.Lesportesde l’ascenseurqui se referment. Ildémarre.Commenceàdescendre.PuisAlessandroentendlebruitde laportede l’immeuble.Sespasrapides.Uneportièrequis’ouvre.Le tempsdedirel’adresseauchauffeur.Unevoiturequidémarredanslanuit.Unpeuplustard.Unson.Leportable.Alessandroseréveille.Ils’étaitdéjàrendormi…Unmessage.Illelit.

Toutvabien.Jesuisrentrée.Jen’aipascroisémesparents.Levendeurdeglacesestsainetsauf.J’aifaitdeséconomies,jetedoisdouzeeuros!Maisjeveuxunbaiserpourchaqueeuroquejeterends.Bonnenuit.Jevaisrêverdebolsbleusquivolent.

Alessandrosouritetéteintsonportable.Ilselèvepourallerauxtoilettes,puisvaàlacuisine.Mmm,cechocolat était délicieux…mais j’ai unede ces soifs.Alessandroouvre le robinet. Il fait couler l’eau.Puisilprendunverre,lepremierqu’iltrouve,etilboit.Illeremetdanslelavaboet,avantderetournerdans sa chambre, il s’aperçoit que le petit déjeuner est déjà prêt sur la table. Tasse, serviette, petitecuillère,mêmelacafetièreestpréparée.Iln’yaplusqu’à lamettresur lefeu.Elenanel’avait jamaisfait.Etpuis,unPost-itcollésurlafeuilleoùelleavaitdessinélesquale.«Ensuite,nedispasquejenepensepasàtoi…»Endessous,unpetitdossier,blanccettefois.Illetourne.Enrouge,ilestécrit:«Lelogod’Alex».Alessandroenrestesansvoix.Jen’ycroispas.Jen’aipaseulecouragedeluidemandersielleyavaitpensé…Etnonseulementelleyapensé,maisenplusellel’afaitfaireparsonamieetellemel’aapporté!Alessandrosecouelatête.Elleestvraimentforte,Niki.Puisilouvrelentementledossier.Unmagnifiquelogoauxcaractèresflamboyantsresplenditdansuncielbleunuit.Ilestréalisésuruntransparent,afindepouvoirlesuperposerfacilementauxdessinsdéjàprêts.Etpuis,leslogan.Ceslogan.Alessandrolelit.Ilestparfait.Endessous,ilyaunautrePost-it.

J’espère que ça te plaira…Moi, çame plaît beaucoup ! J’aimerais bien que cette phrase soitpourmoi.Oui,exactementcommeçaaétécesoir…n’est-cepasquej’aiététa"LaLune"?Oups.Pardon…Qu’est-cequej’aidit.Jesaisqu’ilyacertaineschosesquinesedemandentpas.Bonnenuit.

Alessandrosourit.Iladelachance.Puisilregardeànouveaulelogo.Oui,Nikiaraison,c’estunsloganmagnifique.Etpuis,autrechose.Net’excusepas.

50Une lumière beige diffuse qui éclaire avec douceur les rideaux beiges en coton léger élégammentaccrochésauxfenêtres.Laportedelasalledebainss’ouvre.—Jen’ycroispas…Jen’ycroispas.Simona,lamèredeNiki,sautesurlelit.Robertoarrêtedelireetlaregarde,unpeuagacé.—TumerappellesGlennClose,dansLesCopainsd’abord,quandelleseretournedanslelit,défoncéeàlacoke,l’hommedontelleatoujoursétéamoureuseestmortetellevoudraitquesonmarimetteenceintesameilleureamiequiveutunenfantmaisquinetrouvepasd’homme.Tuasquelquechosedecegenreàm’annoncer?Oubienjepeuxcontinueràlire?—Nikin’estplusvierge.Robertopousseunlongsoupir.—Jelesavais.Lasoiréeaététropagréablepourqu’iln’yaitpasd’embrouilleàlafin…Ilposesursesjambessonlivreouvert.—Alors,dedeuxchosesl’une:1.Tuveuxquejesautesurlelitenhurlantcommeunforcené,puisquej’ailledanssachambrefaireunscandale.Etensuite,quejesorteenpyjamaàlarecherchedugarçonquia fait ça et que je le force à l’épouser ; ou bien 2. Je continue à lire en te disant des trucs du genrej’espèrequeças’estbienpassépourelle,qu’elleatrouvéungarçonquilafassesesentirfemme,oubienn’importequelleautrephrasepourquetupuissescroirequejeprendscettenouvelleavecsérénité?RobertoregardeSimonaetluisourit.—Alors,qu’est-cequetupréfères?—Jeveuxquetusoistoi-même!Onnecomprendjamaisquelgenred’hommetues.—C’estnormal, ilmesemble.J’aimemafemme, j’aimemesenfants, j’aimecettemaison, j’aimemontravail.Làoù j’aiunpeumoinsdechance, c’estque jevoudraism’entendre encoremieuxavec toi…Maisjesavaisbienquetuneseraispascontentequejetelaissedeuxoptions.J’auraisdûdire,commequandonétaitpetitsetquelaprofnousdemandait:«Parlezdusujetquevousvoulez.»Voilà,làj’auraiseuunechancedenepasmedisputeravectoi.—Tuesinsupportablequandtuescommeça.Robertosecouelatête,metlemarque-pagedanssonlivreetleposesurlatabledenuit.Puisilsetourneettented’enlacersafemme,maisSimonafaitlatête.Ellesedébatunpeuettentedesedégager.—Monamour,allez,nesoispascommeça…Tusaisque tumeplaisencoreplusquandtufaisça, tuprendsunrisque,hein?Etill’embrassedoucementdanslescheveux,seperdantdansceparfumdeshampoingàpeinesucré.—Arrêtetoutdesuite…Ellesourit,tendreetingénue.—Tumedonnesdesfrissons.Puiselleselaisseembrasserdanslecou,surl’épaule,dansledécolleté.Robertobaissedoucementunedesesbretelles…—Non,maistuterendscompte?–…Dequoi,monamour?—Niki…afaitl’amour.—Oui,jemerendscompte,parcontrejenemerendspluscomptedecombiendetempsçafaitqu’onnel’apasfait,nous…SimonaselibèredeladouceétreintedeRoberto,s’éloigneunpeuetremetsabretelleenplace.—Voilà,tuvoiscommenttues…tuescommeça.—Comment«commeça»?Jesuislemêmequ’avant,jesuisnormal.

—Non,tuesfroidetcynique.—Maisqu’est-cequeturacontes,Simo!Tuexagères.Maistusaiscombiendemarisetdepères,aprèsunenouvelledecegenre,auraientmislafautesurleurfemme,plutôtquesurleurfille?—Oui,etd’ailleursjen’enauraisjamaisépouséuncommeça.—Oui,maistunepeuxpastoujourstecacherderrièrecesjustifications.—Jenemecachepas.Jelepensevraiment.Simonapassesesbrasautourdeses jambes.Roberto la regardeets’aperçoitqu’ellea les larmesauxyeux.—Monamour,qu’est-cequ’ilya?—Jesuisfatiguée,dépriméeetterrifiée.Unelarmecoule.—Maisqu’est-cequetudis?—Jedis,jedis…Nikivapartir,ellevanouslaisser.Danspaslongtemps,Matteoseraadulte,ilpartiraluiaussietmoijeresteraiseule.Toi,tutomberasamoureuxd’unefemmeplusjeuneetplusbelle,tuferasexprèsdetefairepincer,commefontbeaucoupd’hommespouravoirlaconsciencetranquille,etavoiruneexcusepours’enaller,oubientumelediraspourtesentirplushonnête…Elleleregarde,essayedesourireunpeuetsesècheavecledosdesamain,enreniflant.Maisuneautrelarmecouleetécoutesondiscoursaveccuriositéavantdetomber.—Non.Tun’auraspaslecouragedemeledire…Tuteferaspincer.C’estmieux,non?Etelleéclatederire,d’unrirenerveux.—Monamour,tuesentraindetefaireunfilm.Unmauvaisfilm.—Non,parfoisçasepassecommeça.Quandunamomcommence,unautresetermine.—D’accord,parfoisçaarrive,maispourl’instantonesttousheureuxpourNiki,etpourquoinotreamourdevrait-ils’arrêter?Peut-êtrequec’estunautre,quis’arrête,non?Parexemple,lesCarloni.Ceuxdel’appartementn°6.Auheudes’occuperdeleurspropresproblèmes,ilspassentleurtempsàfouinerdanslesaffairesdesautres.Aumoins,s’ilsseséparent,onauraunproblèmeenmoinsdanscetimmeuble!Il la prend à nouveau dans ses bras, la reconquiert doucement, la serre contre lui. Il l’embrasse et laregardedanslesyeux,tendrementetintensément,unregardd’homme.—Moijet’aime,jet’aimedepuistoujoursetjet’aimeraitoujours.Etmêmesij’aieupeurquandons’estmariés,maintenant, vingt ans plus tard, je peux le dire : je suis heureux d’avoir eu l’air d’un empotéquandj’aidemandétamainàtesparents…«Jepourraisavoirlamaindevotrefille?»Tuterappellescequ’arépondutonpère?«Etcommentellevafaire,pourvousfairelacuisine?»Simonahésiteentrerireetcontinueràleregarderd’unairunpeususpicieux.—Maistunevoisdoncpas?Ellesetouchelapeauduvisage,latendenpartantdespommettes,lentement,latireversl’arrière,verslesoreilles.—Tuvois?Letempsquipasse…—Non, souritRoberto,moi jevois le futur, jevoisunamourquineveutpasdiminueret jevoisunefemmetrèsbelle…D l’embrasse à nouveau, doucement.Des baisers tendres de complicité, des baisers au goût différent,commeunvinqu’onalaissévieillir,quiestdevenuprofond,dense,légèrementépicé,avecdesarômesquirappellentlavanilleetlebois,persistant,chaud.Desbaisersquidescendenttoutaufond,làoùsesdoigtssedirigent,versleborddelapetiteculottedeSimona,quifrissonne,etsourit,etjettelatêteenarrièreetdit:—Éteinslalumière.

—Non,jeveuxtevoir.Etalors,enriant,elletireledrapau-dessusdesatête,disparaîtdessousetlemorddoucementàtraversson pyjama, tendrement, avec sensualité. Et quelque chose se produit. En une fraction de seconde, ilsperdentlesensdetoutcetempsetredeviennentdesenfants.

51Bonjour le monde. Je n’aurais jamais cru. Le prof de philo m’a vraiment étonnée, avec ce horsprogramme.Detempsentempsilsertàquelquechose,luiaussi.AulieudereprendresonexplicationdePopper,iladit:—Aujourd’hui,jevaisfaireunefolie.—Parceque,d’habitude?asusurréOlly.—VousavezentenduparlerdeCioran?—Çasemange?—Non,Bettini,çanesemangepas.EmileCioran.Unphilosophe…Non,Scalzi,inutiledechercherdansla table desmatières de votremanuel. Il n’y est pas. Jeme concède une petite transgression. Je vousexpliqueCioranparcequeçameplaît.Etparcequejepensequeçavousintéressera.Etleprofasouri.Moijenecomprenaispas.— Cioran est né à Raçinari, en Roumanie, en 1911. A dix-sept ans, il a commencé des études dephilosophieàl’universitédeBucarest…—Maisalorsc’estunmoderne,jeveuxdire,ilestd’aujourd’hui?—Oui,DeLuca,ilestduXXesiècle.Qu’est-cequevouscroyiez,quelaphilosophies’étaitarrêtéeilyadeuxcentsans?Etaprèspleindebla-bla,ill’adite.Iladitcettephrasequejen’oublieraijamais.—Unlivredoitfouillerdanslesblessures,ildoitmêmelesélargir.Unlivredoitêtreundanger.C’estceCioranquil’adit.Alors,moij’ailevélamain.Leprofm’avue.—Cavalli,qu’est-cequ’ilya?Vousvoulezallerauxtoilettes?—Non.Jevoulaisdirequ’àmonaviscettephrasepeutaussis’appliqueràl’amour.Silence.Toutlemondes’esttu.Pourtant,jen’avaispasl’impressiond’avoirdituneabsurdité.—Cavalli… vous êtes sortie de votre hibernation. Le printemps vous fait du bien.Vousm’en voyezheureux.Votreassociationmentaleestremarquable.Jevousdonneunbonpoint.Ollys’estmiseàmefairepleindegrimacesetàmetirerlalangue,etellem’adittoutbas:—Ilenestheureux,tuascompris?Ilenestheureux!Ericam’afaitunclind’œiletDilettaalevélepouce,genreempereurromainaveclesgladiateurs.Jesuissauvée.Jeneseraipasjetéeenpâtureauxlions.Génial.Merci,Cioran.

52Leonardoestenfermédanslasallederéunionaveclesautresdirigeants.Ilsregardentlesdeuxdessinsdustaffd’Alessandro:lafillesurlabalançoireetlafillesurlesurf.—Rienàfaire,Belliesttoujoursleplusfort.Iladutalent,dustyleetdel’originalité.Leonardohausselesépaules.—Peut-êtrequec’estlefaitdel’avoirconfrontéàcejeune,ilaeuunpeudepression,çal’apousséàfaireencoremieuxqued’habitude,non?—Excellentestratégie.Leonardocontinue.—Ecoutezça:hier,avantdem’apportercesdeuxdessins,ilétaitenpleinefullimmersionaumilieudesgens. Il a passé tout avant-hier àFregene, dans les vieilles cabanes, parmi les nouveaux jeunes, leurstendances,leursgoûts,leursenvies.Alessandroestparfaitpourunechose,nejamaissecroireintelligentousupérieur.Ilsenourritdupeuple,desgens,ilmarcheàcôtéd’eux,dansleurombre.C’estunvampiredesémotionsetdessentiments,unDraculadestentations…Leonardoregardesamontre.—Ilm’avaitditqu’ilm’apporteraitlelogocematin,qu’ilallaitytravaillertoutelanuit.Etmoiquiaiprisexprèsdenouvellesdessinatricespourfairedesletteringquinoussurprennent.Leprésidentposesatassedecafé.—Etsurtout,quisurprennentlesJaponais.Leonardosourit.—Oui,biensûr.Justeàcemoment-là,lasonneriedel’interphoneretentit.Lavoixdelasecrétaireannonce:—Excusez-moi,docteur,maisledocteurBelliestarrivé.Leonardoappuiesurlebouton.—Jevousenprie,faites-leentrer.Ilselèveetsedirigeverslaporte.Ill’ouvre,puiss’adresseauxautres.—Messieurs,leprincedesbanlieues…Alessandroentre,tranquille.—Bonjourtoutlemonde.Aveclesouriredequiensaitlongmaisneveutpastroplemontrer.Bref,dequisaitaumoinsunechose,avecunecertitudeabsolue:iln’irapasàLugano.—Voiciletravaildecettenuit.Ilposeledossierblancsurlatablederéunion,aucentre.«Lelogod’Alex.»Parchance,lanageoiredusquale est endessous.Niki lui a expliquéque le squale est la signatured’Olly,dessinatrice et surtoutfamélique«squale»mangeused’hommes.Avantdedevenir«Onde».Maisça,c’estuneautrehistoire.Alessandroouvrelentementledossier.Touslesdirigeantsselèventdeleursfauteuilsencuir,l’unaprèsl’autre, même le président. A cemoment-là, le logo d’Alessandro resplendit dans toute sa netteté aucentredelatable.CesmêmesmotsqueNikiauraitvoulus’entendredirelaveilleausoir.Cequetantdefillesaimeraients’entendredire.Surtoutsiellessesentent«LaLune»pourquelqu’un.Leonardoprendledessindanssamain.Ilsourit,puislitàhautevoix.«Nedemandepas"LaLune"…Prends-la!»D’uncoup,silencedanslasalle.Presquereligieux.Toutlemondeseregarde.Toutlemondevoudraitledire,maisilyatoujoursunpeulacrainted’êtrelepremieràparler.L’indécision,lapeurdenepasêtreparfaitementenphaseaveclechoixultime.Celuiduprésident.Luiseulpeutréellementsepermettrecetteliberté.Leprésident se lève, regardeAlessandro.Puis il regardeLeonardo.Puis il regardeànouveauAlessandro,etsourit.Ilditcequetousauraienttantvouludire.—C’estparfait.Nouveauetsurprenant.Applaudissementgénéral.—Bien!

LeonardoprendAlessandroparlesépaules.Toutlemondeselèvepourallerleféliciter.Onluiserrelamain,onluitapedansledos,onluisourit,onluifaitunclind’œil.—Bravo,bravo,vraimentbravo!L’undes jeunesdirigeantsprend lesdeuxdessins et le logo,met ledossier sous sonbras et sedirigerapidementverslaportedubureau.—Jevaisdecepaslesmontersurlesdeuxdessins,onfaituneimpressionpourchacunetonlesenvoieauJapon.—Trèsbien,vas-y.Alessandroacceptelecaféqu’onluioffre.—Merci.Quand tu asdu succès, tu as tropd’amis.Quand tu échoues, s’il te resteunami, c’estdéjàbeaucoup.Leonardoboituncafé,luiaussi.C’estledirecteurquilesleuraapportésàtouslesdeux.—Maintenant,iln’yaplusqu’àattendredeuxsemaines.—Maiscommentça?OnnelesenvoiepasparInternet?—Tuveuxtoujourstemoquerdemoi,hein?Princedesbanlieues.Deuxsemaines,c’estletempsqu’illeurfautpourréunirtoutleurstaffetsefieràjenesaisquelleétudedemarché,sansdoutedifférentedecellequetuasfaitetoipourtrouvercetteexcellentesolution…Alessandrosourit.—Oui,biensûr.—Etdonc,ilnenousresteplusqu’àattendre.Alessandrofinitsoncaféetsedirigeverslasortie.Toutlemondelesalue,luisourit,luifaitencoredescompliments.Maisilnepensequ’àunechose.Allersereposer.Allerfêterça.Ilsortdanslecouloir,faitunbondetfrappesespiedsl’uncontrel’autre,latéralement,heureuxdepouvoirexprimersajoie.Justeàcemoment-là, il tombesurMarcello,sonjeuneconcurrent.Il luisouritet luifaitunclind’œil.Puis ils’arrête,indécisetperplexe.Maisildécidedetenterlecoup.Illuitendlamain.—Alaprochaine…Alessandroresteensuspens,dansl’attente…Queva-t-ilfaire?Laserrer?S’éloignersansrépondre?Fairesemblantdeluitendrelamainetluimettreunebaffe?Marcelloattendunbonmoment.Ildoitêtreentraindefairedutrainingautogène,luiaussi.Etretranquilleetserein,tranquilleetserein.Ilyarrive.Marcellosourit.PuisiltendlamainàAlessandroetluiserre.—Biensûr,àlaprochaine.Alessandro le salue et s’éloigne, rassuré. Et surtout, définitivement vainqueur. Ça, ce sont les vraissuccès.

53Fêterça.Àlamaison.Tranquilles.Quelquechoseàdire.Quelquechoseàboire.Rire.Pendantuninstant,n’avoirpeurderien.Éteindreleportable.Etseperdresanshâte.—J’aiadorécefilm,tusais,oùilyalapetitefillequijouedansLéon…—Maisalorsc’estunfilmpourlesjeunes.—Pourquoi,tutecroisvieux?Etpuis,elleagrandi,elleaussi.—Attends,attends,jecherchesurGoogle.Alessandrovaàl’ordinateur.—Voilà,c’estelle.Tuvois?NathaliePortman.Lefilm,c’estCloser…—Faisvoir.Niki s’assied sur ses genoux et s’appuie contre lui. Elle rit tout en essayant de surfer. En avant. Enarrière.Ilouvreuneautrepage.Unenouvellerecherche.—Voilà!Ilyamêmelabandeoriginale.Elleestmagnifique.Attends,jetéléchargelepreview…Alessandrolaregarde.Elleestsuperbe,petitefilleamuséequibaladesasourisetsonenthousiasme.Ilferme lesyeuxet respire sescheveux.Et sonsourire. Ilnepenseà riend’autre.Etça l’inquiète.Nikitourneunpeulevisageverslui.—Eh,maisqu’est-cequetufais?Tudors?—Maisnon!—Tuavaislesyeuxfermés!Allez,regardeça…Ilyenaplusieurs…TheBlower’sDaughteretColdWatersontcellesdeDamienRice,maisilyaaussiSmackMyBitchUp,desProdigy,elleestbien,celle-là,hein?Etpuis,cesdeuxautresquejeneconnaispas,HowSoonisNowetComeCloser.Ecoutonsunpeu…Nikiclique…lachansondémarre.Comeoncloser,IwannashowyouwhatI’dliketodo…—C’estbeau,hein?Çadit…—Non,non,Alex,laisse-moifaire.Jesaisquetuparlesanglais.Maismoi,ilfautquejepréparemonbac.Laprofditquej’aiunebonneprononciationmaisquejenecomprendspasbienlesens.Nikifermelesyeuxetécouteattentivement…Yousitbacknow,justrelaxnow,I’lltakecareofyou…Puisellecliqueànouveausurlelecteurvirtueletlaremetaudébut.—Attends,çanevautpas!Voilà.Ellelaréécoute.Etcettefois,elleestsûred’elle.—«Viensplusprès, je veux temontrer quelque choseque j’aimerais faire…Assieds-toi dos àmoi,maintenantdétends-toi,jevaisprendresoindetoi…»J’aiundoutesurce«dosàmoi».Ellerepartunpeuenarrière.«Oui,çadoitêtreça…»Lepreviewcontinuejusqu’àHot temptations,sweetsensationsinfiltratingthrough,sweetsensations,hottemptationscomingoveryou.Ellerit.—Jet’enprie,jet’enprie,laisse-moiréécouterjusteça.Voilà,aumoins,jepourraidirequej’aibosséunpeumonanglais.Tandis que le lecteur répète la chanson,Niki se lève et éteint les lumières. Seuls.Dans le salon.Lescanapés en cuir blanc reflètent unedouce lueur qui vient de l’extérieur.Unevoiture passe au loin, onn’entendpassonklaxon,nimêmelebruitdesonmoteur.Nikiouvrelafenêtredela terrasse.Lesoufflelentduvent.Puisellesedéshabille.Pendantuninstant,Alessandrosedemandeavecinquiétudesiletypedel’immeubled’enfacen’estpasentrainderegarder.Devolerdesyeuxcequineluiappartientpas.Maisnon.Rienquel’obscurité.LarobedeNikiglissedoucementlelongdesapeau.Ellesecoucheàsespieds,humblecourtisane.Ellel’enjambed’unpetit

pas léger.Elle a encore ses chaussures en toile, avec les lacets autour des chevilles.Elle n’a pas desoutien-gorge.Elles’approchemaisrestedeboutdevantlecanapé.—Tum’embrasses?Alessandros’approcheetl’embrassedoucementsurlabouche.—Attends,jeveuxmettrequelquechose.Ilvaverslabibliothèque,lalaissantseuleuninstant.Lesjambesécartées,lalunequiladessinecommeunefrêlejeunefilleauxcontoursdecrème,avecceparfumlégerquiémaned’elle.AlessandrorevientversNiki.Ilesttorsenu,luiaussi.Illuitirelescheveuxenarrière,d’ungestedélicatetamoureux.Nikifermelesyeux.Unemusiquedémarre.She’stheone.—Tutesouviens?—Biensûr,ilyadesmomentsqu’onnepeutpasoublier.Ellesourit,dévoilantsesdentsparfaites,quibrillentdanslapénombredelapièce.Lerefletd’unpoissonquisaute,lanuit,danslamerdesCaraïbes,changeantdedirectiondetempsàautre,emmenantavecluidanslesprofondeurslaluneetsonreflet.—Unmoment,j’aicruquetutel’étaisdéjàmis…—Quoidonc?—Commentça,quoidonc?Lepréservatif.—Jen’yavaispaspensé…Illatireverslui,luicaresselesseins,laserre,l’embrasse.—Mmm,tusensbon…Nikisouritetl’embrasseavecpassion.Elles’amuse.Oui.Unbaiseramusant,aveclalangue,unbaiserquisentl’amouretlejeu.Unbaiserpleindesaveurs,d’envies,demerouverteetdetantd’autreschoses.Une langue qui a des rêves à raconter. Ils s’allongent sur le canapé. Niki amis de la crème sur sesjambes,parfumléger,unpréfleuri,mystérieux,cachéderrièreunbois,toutàdécouvrir.—Tumefaispenseràunfaonquicourt,trébuche,tombeparmilesfleurs,etserelève,pleindefeuilles,depétales,decamomille,demarguerites,deviolettessauvages,derosesbigarréesetd’herbesauxmilleodeurs…Nikisourit.—Maisqu’est-cequeturacontes?—Jeraconte,jeraconte…—Commentçase faitque tudisdesbêtisescommeça, tuveuxm’impressionner?Tusais, tune t’ensouvienspeut-êtrepas,maisonadéjàfaitl’amour…—Tuesbête,jeteledisparcequeparfoisc’estbond’êtreunpeustupide…Il l’embrasse à nouveau. C’est vrai, quand on tombe amoureux, c’est beau d’être stupide…Mais leproblème,c’estqu’onnes’enaperçoitpas,onnes’enrendpascompte…Serais-tuen trainde tomberamoureux,Alex? Il se ledemande.Et il se sentencoreplus stupide. Ilpourraitmêmerougir.Mais lapénombretesauvetoujours,elletemetensécurité,tefaitrêver,tepermetd’êtrestupide…—Tuneseraispasentraindemefaireunnumérotoutprêt,non?Parfois,ondiraitquetufaisdeschosestoutesétudiées…cen’estpasjoli.Onsecroiraitdansunedetespublicités.Nikis’écarte.—Ilfautquejetediselavérité…j’avaisoubliéqu’onavaitdéjàfaitl’amour.—Idiot.Nikiluidonneunpetitcoupsurledospuis,doucement,elleselaisseànouveauembrasser.Alessandro

sentcroîtresondésir.Illapoussedoucement,lamainsursontorse,etelleselaissetomberenarrièresurlecanapé.Ellesoupirependantqu’illuienlèvesaculotte.Lecuirestfraissoussapeau.Alessandrolaregarde.Elleestbelle.Etelleadix-septans.QuatredeplusquelafilledePietro.Maisest-cequec’estdemafaute?Non,c’estdelafautedePietroquiafaitdesenfantstroptôt.C’estpourçaqu’ilaencorebesoin de liberté… Quelqu’un a dit qu’il y a un temps pour chaque chose… Mais maintenant ?Maintenant,dequel tempss’agit-il ?Qu’ya-t-il àattendre,encore?Soudain,unélan.De la faim.Dudésir.Jenecomprendsplusrien,ellemedéshabilleet jelalaissefaire.Jeregardeparlafenêtreetjesensd’autresparfums, levoisina les lumièreséteintes,cette foisc’estellequimepousse,elle le faitavecdouceur,ellesourit,étendmesjambesets’allongesurmoi.Elleestosée.Plusosée.Aïe.Ellel’afaitexprès.Avecsesgrandsyeux,ellemeregarde.Ellesourit.Elleesttrèsosée.Elleestbelle.Elleestinnocente.Jemelaissealler.Jefermelesyeux.Et siElena arrivaitmaintenant ?Elena a les clés de lamaison.Elle pourrait. Il faut que je change laserrure.Maisnon.Qu’ellevienne.C’estellequiadécidédes’enaller.Oui,qu’ellevienne.Etmême,siellepouvaitvenir.J’attireNikiàmoietjeluisouris.Nousnousembrassonsavecenvie.Elleadéjàunpeumonodeur.Etjedécidedeluifairel’amour.—Eh,maistun’asrienmis,pourdebon…tufaisattention,hein?Elleleregarded’unairinquiet.—Pourquoipas?C’esttoiquil’asdit.Ilnefautpasfairedenumérotoutprêt.Ellesecouelatêteetm’embrasse.—Tumeplaistrop.—Toiaussi.Puisunéclair.Oh,non,ilfautabsolumentquejechangelaserrure.Mamèreaussiaundoubledesclés.

54Deuxsemaines,parfois,çapassetrèsvite,parfois,ondiraitqueçadureuneéternité.Commemaintenant.Mais,pourAlessandro,ilestagréablederemplircetemps.Dutempslibre,pasdutempsperdu,pourlui.Ce temps « contraint » à l’attente d’un verdict… japonais. Dîners dans des lieux divers et variés.DécouvrirNikijouraprèsjour.Legoûtdelafilleauxjasmins,toujoursdifférent,doux,amer,aumiel,àlamyrtille...auchocolat.Auxnuancesaussibellesquelepluscapricieuxdescouchersdesoleil.Enfant.Jeunefille.Femme.Puisànouveauenfant.Parfois,sesentircoupable.D’autresfois,siheureuxqueçafaitpeutMaispeurdequoi?Detombertropamoureux?Queçapuissefinir?Quetoutchange,l’âge,letravail,maviejusqu’ici,aupointqueçanemarchepas?EtavecElena,alors?Syntonietotale,millechosesfaitesensemble,lesmêmesexpériences,lamêmefaçondevivre.Oui.Nousétionsparfaits.Tellementparfaitsquemêmenotreéchecaétéparfait.Non.LesJaponaisvontbientôt répondre,maintenant.Etmoi jeveuxenprofiterà fond.Bonheur léger.Sans arrière-pensées.Comme ça vient.Oui, je veux rester sur cette vague.Marée haute. Comment ilavait interprété cette chanson, Enrico ? Ah oui. Tu sei dentro di me come l’alta marea (« Tu es àl’intérieurdemoicommelamaréehaute»).C’estlapeurdelaprofondeurdecequetucréesetquetunesaispasdiriger.L’immensapaurachetunonsiamia(«L’immensepeurquetunesoispasmienne»).Superbe,Enrico.ToujourspasdenouvellesdeTonyCosta.Commentçasefaitquecetteenquêteprenneautantdetemps?Detoutefaçon,leprixestfixe,ilnegagnepasplusenfaisanttraîner.Jel’aiappelé,aujourd’hui, mais il a dit qu’on se rappelait à la fin dumois. J’espère qu’il n’y a pas de problème.Soudain,lavoixdeNiki.—Trésor?Qu’est-cequetufais?Tuesencoredanslabaignoire?Maismesfou?Moijevaisàmonmatch,tuterappellesqu’aujourd’huionalafinaledutournoidevolley?—Ona?—Benoui…moietmesamies!Maistut’ensouvenais,non?—Biensûrqueoui.—Non,tunet’ensouvenaispas!—Maissi!Jesuisentraindemefairebeaupourtoi…etpourtesamies.Alessandrosortdel’eau.Etainsi,mêmes’ilestpleindesavonetdemousse,onvoitqu’ilaenvied’elle.—Crétin!Nikiritetluienvoieuneserviette.—Jevaistedonneruncoupjustelà,tuvasvoir…—Aïe!Nikisetourne.Sonregardestmalicieux.—Écoute,pourquoionn’enreparlepasaprèslematch?—Ilyadessujetsqu’ilvautmieuxaffrontertoutdesuite…Toutmouillé,ilessayedel’attraper.Nikis’enfuit.—Alex,maisqu’est-cequetufais,j’ailafinale!Tuesvraimentungamin,parfois…allez.Jesuissortieavectoiparcequejepensaisquetuétaisunhomme!— Je refuse totalement mon rôle paternel, le complexe d’Œdipe, la recherche du père, et cætera etcætera.—Maistuesfou,unpère,j’enaidéjàun,etjesuisloind’enchercherunautreavectoi.Tudevraisjusteespérer que lui ne te cherche pas ! Allez, j’y vais, je prends mon scooter. J’espère que tu vas me

rejoindre!Nikisortdelasalledebains.Alessandroluicriedeloin:—Biensûrquejeterejoins,maisc’estlafinaledequoi?Avectouslessportsquetufais…—Crétin!Alessandroouvrelerobinetdeladouche.Crétin?Ilnemanquaitplusqueça…Ilseprépareenvitesse.Toutdoucement,quandonestensemble,toutdevientnormal.Etonfinitparoubliercetamour«quirendextraordinaireslesgensordinaires».Vite.Parfoistropvite.MaisElenaestencoreprésente.Tandisqu’ilserince,tandisquel’eauemportelesavon,quelquechoseluirevient.Directementdupassé.Cejour-là.Pendantuninstant,ilapenséqu’ils’agissaitd’uncambriolage.Alorsils’estmisàcourirdanstoutelamaison.Non,ilsn’ontpasprisl’ordinateurportable.Nilatélé.LelecteurDVDestencorelà.Ilcontinueson inspection, dans toutes les pièces. Armoires vides, cintres qui traînent, vêtements éparpillés.Commentçasefaitqu’ilsn’aientprisaucunobjetdevaleur?Ilaregardésurlatabledenuit,c’est làqu’ill’avue.Uneenveloppe.Ils’estapproché.«PourAlex.»Alorsilaouvertcettelettre.Ill’aluetrèsvite,sansréussiràcroireàcesmots,àcesphrasessansadjectifs,essentielles,pauvres,misérables.Sansunpourquoi,uncomment,unquand,unoù.Etpuis,cettedernièreligne.«Respectemeschoixcommej’aitoujoursrespectélestiens.Elena.»Là, il a compris.Voilà cequ’ilsontvolé.L’amour.Monamour.Celuique j’avais construit jour aprèsjour,avecpatience,avecenvie,avecsoin.Etc’estElenalavoleuse.ElleL’аprisetellel’aemporté,ensortant par la porte principale d’une maison qu’ils avaient aménagée ensemble. Quatre ans de petitsdétails,lechoixdesrideaux,ladispositiondespièces,lestableauxaccrochésenfonctiondelalumièrequisuivaitlacoursedusoleil.Pouf.Enuninstant,toutecetteactivité,toutescespetitesdiscussionssurcomment organiser la maison, disparues. Evanouies, ils m’ont volé l’amour, et je ne peuxmême pasporterplainte.AlorsAlessandroestsortidanslanuit,sansavoirlecouraged’appelerunami,quelqu’un,d’allervoirsesparents,sesproches,samère,sonpère,sessœurs.N’importequiàqui ilpuissedire«Elenam’aquitté ».Rien. Il n’a pas pu. Il s’est promené, perdu dans laRomede tant de films et de réalisateursaimés,Rossellini,Visconti,Fellini.Leurshistoiresdanscesrues,danscesrecoins.Romeaperdudesacouleur.Elleestennoiretblanc.Unspottriste,commeundesespremiersprojets.Ilvenaitd’entreràl’agence. Il s’en rappelle comme si c’était hier. Tout était en noir et blanc, et à la fin le produitapparaissait.Unpetityaourtquiredonnaitdelacouleuràtoutelaville.Etmaintenant?Maintenant,quipourrait bien apparaître, dans ce dernier plan ?Elle.Rien qu’elle. Place de laRépublique.Elena estassisesurleborddelafontaine.Ellesetourne.Premierplan,sonsourire.Alors,toutelavillereprendsacouleur.Ensurimpression,enrougeflamboyant,apparaîtl’inscription:«Monamour,jesuisrevenue.»Maiscefilmnepassedansaucunesalle.Etsurcetteplace,iln’yapersonne,saufdeuxétrangersassissurleborddelafontaine.Ilsregardentunplandelaville.Ilsletournentetleretournentsanstrouverleboncôté.Ilssontpeut-êtreperdus.Maisilsrient.Parcequ’ilssontencorelà,eux.Peut-êtrequ’ilsneseperdrontpas.Alessandrocontinueàmarcher.Leplustriste,c’estquedemainjedoisalleràuneréuniontrèsimportanteavecdesJaponais.ACapri.Jevoudraisappelerlebureauetdire:«Jenevienspas,jemesensmal.Arrêtezlemonde,jeveuxdescendre.»Maisnon.Ilatoujoursfaitsondevoir.Jenepeuxpasnepasyaller.Ilsontcruenmoi.Jeneveuxdécevoirpersonne,moi.J’avaiscruenElena.EtElenam’adéçu.Pourquoi?Moij’ycroyais.J’ycroyais.Alorsilestmontédansletrain,ilacherchésaplaceetilaattenduunedemi-heureavantledépart.Unebellefemme,danslescinquanteans,s’estassiseenfacedelui.Elleportaituneallianceetelleapassétoutletempsautéléphoneavecsonmari.Alessandro,sans levouloir,aécoutécecoupde fil.Doux,sensuel,amusé.Moiaussi, j’avaisdemandéàElenade

m’épouser.Nousaussi,nousaurionspupassernos journées loinde l’autre,chacunàson travail,maistoujoursunis,proches,etdetempsentempsnousappelerpourunbisou,unpetitcoucou,uneplaisanterie,comme cette femmedevantmoi avec sonhomme.Nous nous serions dit desmots d’amour au-delà dutemps, pour toujours, en riant nous aussi.Mais non. Tout ça n’est plus possible.Alessandro semet àpleurer.Ensilence.Toutdoucement.Ilmetseslunettesdesoleil,desRayBansombres,quicachentsadouleur.Mais les larmes, quand elles coulent, sont comme des enfants sur une plage. Tôt ou tard, ilsfinissentdansl’eau.AlorsAlessandrosoulèveseslunettesetlaisselibrecoursàseslarmes.Sajouesemouilleetseslèvresontungoûtdesel.Unpeuhonteux,iltentedelessécheravecledosdesamain.Ladames’enrendcompteet,unpeugênée,ellemetfinàsaconversation.Puiselles’adresseàlui,gentilleetgénéreuse.—Qu’est-cequisepasse,vousavezeuunemauvaisenouvelle?Jesuisdésolée…—Non…c’est-à-dire,jemesuisséparé…EtAlessandron’arriveàledirequ’àelle,àuneinconnue.—Pardon…Il aunpetit rire, tout enessuyant ses larmes, en reniflant.Ladame sourit et luipasseunmouchoir enpapier.—Merci.Alessandrosemouche,puissouritluiaussi.—C’estque,vousentendresigaie,toutàl’heure,autéléphoneavecvotremari,aprèstantdetempsquevousêtesensemble…Ladamesourit.—Cen’étaitpasmonmari.—Ah.Alessandroregardesesmains,sonalliance.Lafemmes’enaperçoit.—Oui,jesais.C’étaitmonamant.—Ah…jesuisdésolé.—Non.Iln’yapasdequoi.Ilsnedisentplusunmotjusqu’àlafinduvoyage.Jusqu’àNaples.Arrivésàlagare,lafemmelesalue.—Aurevoir,etportez-vousbien…Ellesourit,puisdescend.Alessandroprendsonbagageetdescend,luiaussi.Illasuitduregardet,peuaprès,lavoitdanslesbrasd’unhomme.Ill’embrassesurlaboucheetluienlèvesonchariotdesmains.Ilsmarchent le longduquai.Puis ils’arrête, lâche lechariotet laportevers lecielen laserrantfort.Alessandroregardebien.Cethommeaunealliance.Çadoitêtresonmari.Biensûr,çapourraitaussiêtrel’amant,mariéluiaussi.Maisparfoisleschosessontplussimplesqu’onnelesimagine.Ilsmarchentversla station de taxis. Elle se tourne, l’aperçoit, lui fait signe de loin et enlace à nouveau son mari.Alessandroluirenvoiesonsourire.Puisilattendtranquillementuntaxi.Ilserrelesdents.Continuesonvoyage.L’hydroglisseur l’emmène àCapri.MaisAlessandronevoitmêmepas lamer.Elle est bleue,propre,plate.Maisilestplusloinqueceshublotssalesdeseletd’éclaboussures,etsurtoutgriscommeson cœur. Puis, Via Camerelle, à la réunion avec les Japonais. Il respire profondément. Et soudainquelquechosechange.Ladouleursetransformeunpeu.Parl’intermédiairedel’interprète,illesamuse,lesenchante,lesrassure,racontequelquesanecdotesitaliennes.Ilsecouvrelabouchedelamainquandilrit.Ils’estrenseignésurcettecoutumeàeux.Ilsconsidèrentlefaitdemontrersesdentscommemalélevé.Alessandroestprécis.Tatillon.Préparé.Presqueparfait.Unechoseestcertaine:danssontravail,ilneveutpasdécevoir.Puisilsemetàparlerduprojetpourleurproduit.Çaluiestvenucommeça,d’un

coup.Mais,enl’entendant,lesJaponaiss’enthousiasment,sontsommedesfousetfinissentmêmeparluitaperdansledos.L’interprèteaussiestheureux,ilditqu’ilsluifontpleindecompliments,qu’ilaeuuneidéegéniale.EtAlessandrodonnelecoupfinalquand,aprèsleuravoirditaurevoir,illeurtendsacartede visite en la tenant des deux mains, exactement comme on fait au Japon. Ils sourient. Conquis.Alessandropeutrentrerchezlui.Ilafaitsondevoir,iln’adéçupersonne.Aucontraire.Ilafaitmieux.Iladonnéunenouvelle idée,une idéequiaplu.Simple.Une idéequia fait sourire.Exactementcommecetteviequ’ilvoudraitmaintenant.Planfixesurunpaysage.Untrainpasse.Intérieur.Unefemme,assiseàsaplace,pleure.Zoomavant.Lafemmepleuretoujours.Lentement, longuement,devantlesautresvoyageursquiseregardent,nesachantpas bien quoi faire. Le train s’arrête, les passagers descendent. Chacun a quelqu’un à embrasser,quelqu’unquil’attendait.Seulelafemmequipleuraitn’apersonnepourl’attendre.Maisd’uncoup,ellesourit.Elles’approchedelavoiture.LenouveauproduitdesJaponais.Ellepartavec.Désormais,elleestheureuse.Ellearetrouvésonamouraveccettevoiture.«Unamourquinetrahitpas.Unmoteurquines’éteintpas.»QuandilL’аentendue,Leonardo,sondirecteur,atrouvél’idéefantastique.— Tu es un génie, Alessandro, un génie. Un volcan de créativité. Avec une histoire simple, un spotd’effet.Unefemmequipleuredansuntrain.Superbe.UnpeucommedansLeChoixdeSophie,onnesaitpaspourquoiellepleure,onsaitjustepourquoiellerit,àlafin.Tuesungénie.Etquandjepensequ’ilsvoulaient que le protagoniste du spot soit un homme. Un homme.Mais tu as raison, ça ne serait pascrédible,oùonpeutvoirça,denosjours,unhommequipleure?Dansuntrain,enplus…—C’estvrai,ça.Oùonpeutvoirça…Alessandrosortdeladoucheetsesèche.Puisils’habille.Tusaiscequec’est,leproblème,danscettevie?C’estqu’iln’yamêmepasdetempspourladouleur.

55Laballes’élève.Deuxfilless’élancentverslefilet.Nikicomptebiensespas.Un,deux,etellebondit.Mais,de l’autrecôté,deuxadversairesontdéjà toutcompriset fontunmur.LaballesmashéedeNikirebondit,glisseetretombedanssoncamp.—Pffiitt!Coupdesiffletdel’arbitre,quitendlebrasverslagauche.Pointàl’adversaire.—Noooon!Pierangelo,l’entraîneur,gesticule,enlèvesacasquetteetlajettesurunetable.Unechoseestsûre,cenesontpaslescourbesdesjoueusesquiledistraient.Ilestagacéparleurserreurs.Lesadversairesontleservice.Justeàcemoment-là,lapetiteporteaufonddelasalles’ouvre.EtvoilàAlessandroquiarrive,impeccabledanssonblazermarine,sonpantalonbleuclairentissuchevronnéetsachemiserayéebleuetblanc,encore toutparfuméde ladouchequ’ilvientdeprendre. Il sourit. Ilaquelquechoseà lamain.Nikil’aperçoitetluirendsonsourire,puisellefaitunepetitegrimacecommepourdire:heureusementquetuesarrivé!Apartirdelà,c’estcommesiunporte-bonheurinfaillibleavaitfinidanslapochedel’entraîneur.Sonéquipe ne peut pas perdre. Services, murs, passes, volées, et smashes, smashes, smashes. Et unincroyablejeud’équipe.Etàlafin…victoire!—LeMamianigagneparvingt-cinqàseize.Lesfilleshurlent,sejettentdanslesbraslesunesdesautresetsautenttoutesensemble,chacuneaveclesmainsposéessurlesépaulesd’uneautre.MaisNikifinitparsepencher,sedégagerets’enfuir.Ellecourtcommeunefolle,encoreluisanteettoutetrempéedesueur,etellesautedanslesbrasd’Alessandro,enpassantseslonguesjambesautourdelatailledujeunehomme,toujoursimpeccabledanssavesteenlin.—Onagagné!Ellel’embrasselonguement,baiserlégèrementsalé.—Jen’endoutaispas.Tiens,c’estpourtoi.Alessandroluidonneunpaquet.—Tiens-lecommeça,enpositionverticale.—Qu’est-cequec’est?—C’estpourtoi…ouplutôtpourelle.AlessandrosouritpendantqueNikidéballesoncadeau.—Non…tropbelle…uneplantedejasmin.—Tunepouvaispasnepasavoirquelquechoseàtoi…filleauxjasmins.Ils continuent à s’embrasser sans se rendre compte de rien, des gens qui passent tout près d’eux,vainqueursetvaincusd’unefinale importante,maisaufondpassi importante…Auboutd’unmoment,Alessandron’arriveplusàlaporter,etilstombentaumilieudeschaisesdestribunes.Ilsnesefontpasmal, ils rient,et ilscontinuentàs’embrasser. Iln’ya rienà faire.Parfois, l’amourgagnevraimentsurtout.

56Unpeuplustard.ChezAlessandro.Aprèsavoirterminéladiscussiondeladouche,delamousse…bref,après.Niki sort de la salle debains, une serviette roulée sur la tête, encore chaudedevapeur, et passeulement,lesjouesrougesetunairdouxd’aprèsl’amour.—Alex,maisqu’est-cequec’estqueça?Elleluitendunefeuilleavecunplandusalonpleindemeubles,fauteuilsettablesbasses.Alessandrolaregarde.—Ah,ça…En fait, il s’en souvient parfaitement.Comment aurait-il pu oublier ?La dispute d’Elena au téléphoneavec le vendeur, la remise qu’il n’avait pas voulu lui faire, et puis tous ces autres coups de fil, lesdiscussionssur leretardde la livraisondecettemontagnedemeublesencombrantsethorsdeprix, ilssonttousdessinéssurceplan.Etsurtout,àladated’aujourd’hui,ilsnesontpasencorearrivés.—Mmm…ça…C’estunplandusalon.—Maistouscesmeubles,ilsétaientlàavant?—Non.Ilsserontlàaprès…—Quoi?Maisjen’ycroispas.Ilssonthorribles!Ilsvonttoutalourdir.Alessandron’enrevientpas.C’estexactementcequ’ilavaitditàElena.—Maisbon,l’appartementestàtoi,tufaiscequetuveux,hein…Ça,c’estexactementlecontrairedecequeluiavaitréponduElena.Alessandrosourit.—Tuasraison…dommage.—Dommage?Maistuasdéjàpayé?—Non.Jedoispayeràlalivraison.—QuidevaitavoirHeu…Nikiregardelafeuille.–… il y a quatremois ?Mais tu peux tout annuler et redemander la caution, peut-êtremême la fairedoubler.Appelletoutdesuite!Allez,jetefaislenuméro…Niki attrape le magnifique téléphone sans fil sur la table basse – la seule table du grand salon – etcomposelenumérodumagasindemeubles,écritàlamaindansuncoindelafeuille.Elleattendqueçasonne,qu’ondécroche,puisellepasselecombinéàAlessandro.—Vas-y,parle…—ArredoCasaStyle,vousdésirez?Alessandroregardelafeuillequ’iladanslesmainsetiltrouvelenom,souligné:Sergio,levendeurquis’estoccupéd’eux.—Oui,allô,jechercheSergio.JesuisAlessandroBelli…—Oui,biensûr,jemerappelle.Toutesmesexcuses,vosmeublesnesontpasencorearrivésparcequenousavonseuunproblèmeenVénétie.Maisilspartentbientôt.Etilsarriverontsansaucundouteavantlafindumois…—Excusez-moi,Sergio,maisjen’enveuxplus.—Maiscomment,sivotredame…nousavonspasséunejournéeentièreàdiscuter…elleamêmefiniparmeforcerà lui faireuneremise,cequinousestdéfendupar lespropriétaires.J’aidûmedisputeraveceux…—Alorsrassurez-les.Vousnedevezmefaireaucuneremise.Lesdélaissontdépassés.Jeneferaipasde

problèmes,jeveuxseulementquevousmerendiezmacaution.Merci,etaurevoir.Ilraccrochesansluilaisserletempsderépondre.—Ça,c’esttoiquimel’aappris.IlsouritàNiki.Puisilrespire.Détendu,satisfait,unsoupiretunesensationdelibertéqu’iln’ajamaiséprouvéeavant.Nikileregarde,puisregardelesalon.—C’estmieuxcommeça,non?—Trèstrèsmieux.—Onneditpastrèsmieux.—Danscecas,si,etpuisMmeBernardinepeutpasm’entendre.Alessandrol’attireàluietl’embrasse.—Merci.—Dequoi?—Unjour,jet’expliquerai.—Commetuveux.Ilss’enlacent,ilss’embrassent.PuisNikiselève.—Ecoute, sim as envie, un de ces jours je t’accompagne dans le centre, quand tu iras te choisir denouveauxmeubles.Ellesedirigeverslasalledebainspours’habituer.—Maisdestrucslégers,hein?Etseulementsituasenvie.Sinon,vas-ytoutseul,biensûr.Nikientredanslasalledebains,maisenressorttoutdesuite.—Detoutefaçon,vucequetuallaisfaire…moijem’emmènerais,sij’étaistoi!Puiselleleregardeunedernièrefois,sérieusement.—Etpuis,c’esttonappartement,non?—Biensûr.—Donc,siçadevaitsereproduire…mêmesij’espèrevraimentquenon…souviens-t’en!Etelledisparaîtdéfinitivementdanslasalledebains.Alessandroapparaîtsurlepasdelaporte.—Çan’arriverapas.—Tucrois?—J’ensuissûr…—AutantquedufaitquetuneseraisjamaissortiavecunemineureAlessandrosourit.—Ben,çac’étaitmonrêve.—C’estça!NikienfilesonT-shirt.—Parcequeçatefaitfaireunplongeondanslepassé!—Çamefaitfairetoutessortesdeplongeons!Allez,dépêche-toi,onvamangerquelquechosedehors.Nikimetsonpantalonetleregarde.—Tusais,cen’estpasl’âgequifaitlafemme.Allez,bouge…Ellelepoussesurlecôté.–…jeveuxvoircequetuasdanslefrigo.Cesoir,ondîneàlamaison.Alessandroest surpris.Agréablementsurpris.Puis il revientausalonetmetunCD.SaveRoom,JohnLegend. Il s’allonge sur la chaise longue,monteunpeu le volumeavec la télécommande. Il ferme lesyeux.Qu’ilestbond’êtreavecunefillecommeça.Siseulementelleétaitunpeuplusvieille…unpeu.Pastellement,justetrois-quatreans,qu’elleaitaumoinsplusdevingtans.Qu’elleaitfinilelycée.Letemps.Letempsautemps.Mince,entoutcasellem’avraimentaidédansmontravail…Etpuis,quandonesttouslesdeux…IlentendlavoixdeNikidanslacuisine.

—Pâtescourtesonlongues?Alessandrosourit.—Quelrapport,çadépenddelasauce,non?…Bon,d’accord,courtes.—OK!Alessandrosedétendànouveau.Ilselaisseallerencoreplus.Musiquelente.Pluslente…—Alex?—Oui?—C’estprêt…maistut’étaisendormi?Tuesincroyable!Douzeminutes.Letempsdelacuisson.—Jenedormaispas.Jerêvaisdetoi.Ilentredanslacuisine.—Etdecequetupouvaisavoirpréparé.Mmm…çasentbon.Çaal’airbon.Voyonsvoir.—Quoidonc?—Situesunhabileescrocouunehabilecuisinière.Alessandros’assiedàtable.Ilremarqueunepetitefleurtoutjustecueilliesurlaterrasse,dansunpetitverredevodka.Deuxbougiesalluméesprèsdelafenêtreréchauffentl’atmosphère.Curieux,Alessandro goûte le rigatone, puis ferme les yeux et se perd dans cette saveurdélicate,réelle,complète.C’estvraimentbon.—Eh,maisc’estfantastique!Qu’est-cequec’est?— Moi j’appelle ça la sauce carbonara paysanne. C’est une de mes inventions, mais on peut laperfectionner.—C’est-à-dire?—Danstonfrigo,plusieursingrédientsdebasemanquaient.—Moijetrouveçadélicieuxcommeça.—Parcequetun’aspasencoregoûtéquandc’estparfait.Ilfautdescarottescoupéestoutesfines,etpuisunpeud’écorcedecitron…—Ehbien,trouverunebellefille,pastropmûre,quisachedéjàcuisinercommeça,c’estunrêve!—Celuiquetufaisaistoutàl’heure?—Non.Jen’enrêvaispastant.—Quoiqu’ilensoit,jeterassuretoutdesuite…Jenesaisfairequedeuxplats.Donc,quandtuamasaussigoûtéledeuxième…onrecommencera.Alessandrosourittoutenmangeantcettedrôledecarbonarapaysanne.Elenanem’avaitjamaisrienfaitdesemblable.Bon,d’accord,quelquessaladesavecdesdrôlesd’ingrédients, framboisesou fruitsdesbois,pistachesgrilléesougrenades…Etpuis,quelquesplats recherchés, françaiset luxueux.De toutefaçon…Detoutefaçoncen’étaitpassonargent.Maisjamaisriendevraimentcuisiné.Jamaisd’odeursdecuisine,devapeur,d’ailpoêlé,depâtesensauce.Decettecuisinequiatantlegoûtd’amour.Nikiouvreunebouteilledevin.—Macarbonarapaysannesemangeavecduvinblanc.Çateva?—Trèsbien.—Jel’aimisunpeuaucongélateur.Alessandrotouchelabouteille.—Maiselleestdéjàtrèsfroide!—Ilsuffitdepasserlabouteillesousl’eauavantdelamettredanslecongélatem,etletourestjoué.—Tusaistoutsurtout,hein?—J’aivumonpèrelefaire.—Bravo…ettuasapprisbeaucoupd’autreschoses,detonpère?Nikiluisertàboire.—Commentnepasmefaireavoir,danscertainesoccasions.

Elleseverseàboireetlèvesonverre.Alessandrosenettoielaboucheetprendlesien.Ilstrinquent.Unsondecristalvénitienemplitl’air,envahitlacuisine.Nikisourit.—Jecroisquandmêmequecetteleçon,jenel’aipasbiencomprise…Elleboitenleregardantintensément.—Maisj’ensuisheureuse…Ils continuent à manger, bavardage léger et tranquille. Une salade est assaisonnée. Des pans de viepassée,defilmscompliqués,defilmsd’auteurs,depeur.Unepêcheestépluchée.—Imagineque,quandj’avaisquinzeansetquej’étaisenAmérique,jesuisallévoirMadonnaavecdesamis.Elleavaitvingtans,elleétaitgrosseetpersonnenelaconnaissait.—Moi je l’aivue l’andernierà l’OlympiqueavecOllyetDiletta…Erican’estpasvenueparcequeGiorgios’estemmêléaveclesbillets…Elleaquaranteans,elleestminceetcélèbre…Et d’autres extraits de vie passée, et surtout passée loin l’un de l’autre. Tout doucement. L’un aprèsl’autre.Lesmorceauxd’unpuzzlecoloré,amusant,parfoisdouloureux,difficileàraconter:desémotions,depetitesvérités,quelquesmensongessansgravité,quelquechosequ’onn’estpascapablederaconter,mêmepasàsoi-même.Nikiselèveets’attaqueàlavaisselle.Alessandrol’arrête.—Lafemmedeménagevientdemain,laissetomber…Allonsausalon.OnpourraitsevoirunDVD.Acemoment-là,onsonneàl’interphone.Nikisejettesurlecanapé.—Lafemmedeménageestdéjàarrivée?Alessandrovaàlaporte.—Jenesaispasdutoutquiçapeutêtre.Enfait,ilabienuneidée.Elena.Etilestterrorisé.Ilvoudraitnejamaisseretrouverdanscettesituation.Maisquellesituation,Alex?Tuneluidoisrien.Bon,aumoinsellen’apasutilisésescléspourmonter.Elleapeut-êtrepenséqu’aprèsplusdetroismoistupourraisêtreavecquelqu’und’autre…—Oui,quiest-ce?—Alex,c’estnous,EnricoetPietro.—Qu’est-cequisepasse?—Quelquechosed’important.Onpeutmonter?—Biensûr.Alexouvrelaportedel’immeuble.—C’estqui?demandeNikienzappantd’unechaîneàuneautre.—Deuxamis.—Acetteheure-ci?—Ehoui.Ilregardesamontre.—Ilestneufheuresetdemie.Onsonneàlaporte.Alessandrovaouvrir.—Salut,vieux.Pietrol’embrasse,puissiffleetessayedeletoucherentrelesjambes.—Qu’est-cequetufabriquesaveclemonstre?!—Allez,arrête.Alessandrosereprend,puisajoutetoutdoucement,presqueenchuchotant:—C’estquejenesuispasseul…Venez,jevouslaprésente.Sesdeuxamislesuivent.PietroregardeEnrico.

—Tucroisquec’est…?—Non.Çanepeutpasêtreelle.Aprèscequis’estpasséavecnous…—Tun’aspasencorecompris,hein?Lesfemmessontunsujetquin’arienàvoiraveclaraison,ettoimveuxàtoutprixlafaireintervenir.—Toutcequetuvoudras,maisçanepeutpasêtreelle.Alessandroentreausalon,suiviparsesdeuxamis.—Voilà.JevousprésenteNiki.Nikiémergedoucementdederrièrelecanapé,piedsnussurlescoussins.—Salut!Vousvoulezmangerquelquechose?J’aifaitdespâtes…D’unbond,elleescaladelecanapé.—Unpeudevin?UnCoca?Un rhum?Bref,quelquechose?Enrico regardePietro. Il faitunpetitsouriresatisfait,commepourdire:«Tuasvu?Cen’estpaselle.»Puisilluiditdoucement:—Tunenousauraspas.—Dequoivousparlez?Alessandros’approche,curieux.Maisjusteàcemoment-là, leportabledeNikisonne.Elleescaladeànouveaulecanapépourallerleprendredanssonsacposésurunechaise.—Allô,oui…—Ciao,Niki,c’estmaman.TuesavecOlly?—Non,jesuisavecd’autresgens.—Eneffet,elleaappelé,elletecherchait.—Jeluiavaisditquejesortais.Ollyesttoujoursjalouse.—Tuesseuleavecquelqu’un?—Noooon.Onestplein,jet’assure.—Jenetecroispas.—Allez,maman,tumefaishonte…Nikicomprendqu’ellenes’ensortirapascommeça.Ellecouvrelemicro.—Excusez-moimaismamère est un peu parano. Vous pourriez faire un peu de bruit, tous enmêmetemps?Pourluifairecomprendrequ’onestnombreux?Pietrosourit.—Biensûr!Nikiaàpeineletempsd’enleversamain,Pietro,AlessandroetEnricosemettentàfairedubruit.—Alors,qu’est-cequ’onfait?Onpasseprendrelesautres?—Oui,ilyaunefêtechezmonamieIlaria,ouplutôtnon,chezAlessandra!Nikifaitsignequeçava.Puiselles’éloigneunpeuetcontinueàparleràsamère.—Alors?Tuescontente?Tuasentenducombienonest?Tumefaisvraimentpasserpourunedébile.Quandest-cequetuaurasunpeuconfianceenmoi?Peut-êtrequandjegrandiraietquej’auraicinquanteans?—C’est qu’il se passe tellement de choses, de nos jours…Niki, c’est lemondequi nous fait perdreconfiance…—Tupeuxêtrerassurée,maman,jevaisbienetjevaisbientôtrentreràlamaison.— Figure-toi que ton père est convaincu que tu as un nouveau petit ami, qui fait partie d’un autregroupe…

—Bah,tupeuxlerassurer,luiaussi.Jesuisenchasse,ettoujoursparmilesmêmes…—Niki…—Oui,maman?—Jet’aime.—Moiaussi,etjeneveuxpasquetut’inquiètes.Elleraccroche,regardeuninstantsontéléphone.Unepenséedouce,malgrétout.D’uncôté,l’idéedeluiavoiréchappé.Del’autre,leplaisirqueçacompteautantpourelle.Ellesouritintérieurementetretourneausalon.—Merci,hein…vousavezétébienaimables!Pietrosouritetouvrelesbras.—Iln’yapasdequoi!—Maisoui,cen’estrien,poursuitEnrico.—Vousêtessûrsquevousnevoulezrienboire?—Non,non,vraiment.—OK,alorsvuqu’iln’yarienàlatélé,nisurlecâble,jevaisallerauBlockbusterducoinprendreunDVD.Çafermeàonzeheures.Alex,despréférences?—Cequetuveux.—OK.Vousvoulezquejerapportedelaglace?—Non,non,laissetomber.Pietrosetoucheleventre.—Commetuvois,j’aidéjàdonné.—Onestaurégime…—OK,àtoutdesuite,alors.Nikisortenfermantlaportederrièreelle.Pietrosemetlesmainssurlatête.—Delaglace?!Maisquiaparlédeglace!J’auraisdûluidire:apporte-moitoutdesuiteunedetescopines,n’importelaquellepourvuqu’ellesoitcommetoi!—Maisquelâgeellea?demandeEnrico.Alessandrosesertàboire.—Elleestjeune.Pietros’approcheetprendunverre,luiaussi.—Enrico,maisqu’est-cequeçapeuttefaire,sonâge,c’estunebombeatomique!—Pietro!—ElleestmieuxquelesRusses,quetouteslesRussesàlafois!Ilseverseàboire.Etildescendsonwhiskyd’uncoup.Puis,excitécommeunfou:—Jet’enprie,jet’enprie,dis-le-moiquandmême,mêmesicen’estpasimportant…quelâgeellea,cetteNiki?—Dix-sept.Pietroselaissetombersurlecanapé.—MonDieu,jemesensmal…cecul,cecul!—Maisqui?—Toi,elle,jenesaispas…j’enperdsmesmots!Puisilserelèved’uncoup.—Alex!—Oui?

—Maisonnevapasenprison,pourunefillededix-septans,n’est-cepas?—Apartirdeseize.—Ahoui.Alorsçameplaîtencoreplus,jejouisrienqu’àl’idée.—Pietro,tusaisquetuesvraimentmalade?—Jen’ai jamais dit le contraire. J’ai ça en tête depuis que je suis petit.Non, depuis que je suis né.D’ailleurs,c’estlapremièrechosequej’aivue,etjen’aiplusréussiàoublier…Enricoluidonneuncoupdepouce,puisdemande,curieuxluiaussi:—Maiscommenttul’asrencontrée?Elleestmannequinpourundetesspots?—Pasdutout.Onaeuunaccident.Pietrosecouelatête.—Double cul.Voilà pourquoi on ne te voit plus, ces temps-ci. Les dîners, les fêtes, l’autre soir, lesquaranteansdeSimone…Voilàoùtut’étaisperdu.—Non,jemeseraisplutôtretrouvé.Voussavezquoi?Jen’aijamaisétéaussibiendemavie.—Jetecrois…Quipourraitallermieuxquetoi?Tuasdelachancequ’ilsaientinventéleViagra.Elle,ellecroitpeut-êtrequetuesvraimentcommeça.Normalement…—Cequetuesstupide!Pourcommencer,jen’enprendspas,etjen’enaipasbesoin…Jeparled’autrechose.C’est une sensation complètement nouvelle. Jeme sensmoi-même. Je diraismême que je suispeut-êtremoi-mêmepourlapremièrefoisdemavie.Peut-êtrequejem’étaissenticommeçaàdix-huitans,mapremièrehistoire,maisc’esttout.Pietroselèveducanapé.—Allez,Enrico,allons-nous-en,laissons-ledanssonparadis…maisbon,moijen’ycroispas,qu’ilneprendpasdeViagra.—Encore?Pietroleregarde.—Eh,écoute…maisçaneseraitplutôtpasquevousêtesjusteamis,c’est-à-dire…Ilfaitunesortedepistoletavecsonpouceetsonindexetlefaittournerdanslevide.–…quevousnefaitesrien?Alessandrolepoussedoucementverslaportedusalon.—Dehors,dehors,dehors!Jeneterépondsmêmepas.—Ah,tuvois,jemedisaisbienqu’ilyavaitquelquechosedebizarre.—Oui,oui,tupeuxpensercequetuveux.Alessandroouvrelaporte.Enricolesrejointsurlepalier.—Toietmoi,ilfautqu’ons’appelleàlafindumois,pourcettehistoire…—Biensûr.Alessandrolesregardependantuninstant.—Aufait.Pourquoivousêtespassés?Vousavezditquec’étaitquelquechosed’important…EnricoetPietroseregardent.—Non,c’estqu’onnetevoyaitplusbeaucoup,enplustut’étaisséparéd’Elenailn’yapaslongtemps,bref,onvoulaitsavoircommenttuallais…Alessandrosourit.—Merci.Maintenantvousavezcompris,non?PietroprendEnricoparlavesteetletiredansl’ascenseur.—Unpeu,qu’onacompris!Tuteportesàmerveille!Allez,onyva…Laissons-leàsonEden.Ah,etpuissurtout,demande-luisielleaunecopine.

Alessandrosouritetfermelaporte.PietroappuiesurRDC.Lesportesdel’ascenseursereferment.Pietrose regardedans lemiroir. Il arrange saveste.Enrico s’appuieà laparoi et regarde son refletdans lemiroir.—Onabienfaitdenepasluidire?Pietrocroisesonregardperplexedanslemiroir.—Jenesaismêmepasdequoituparles…—Dufaitqu’hiersoir…—Jesais.C’étaitpourdirequec’estmieuxcommeça.Commes’ilnes’étaitrienpassé.Tunevoudraispasluiruinersonparadis?Ilsortsansl’attendre,montedanslavoiture.Enricolerejoint.—Non,biensûr.Doncilnelesaurajamais.—Peut-êtrequeoui,peut-êtrequenon,répondPietroenbaissantlavitre.—Lavienousrépondra.Cen’esttoujoursqu’unequestiondetemps.Nepressepasleschoses.Ildémarre.Enricomontedanssavoiture.C’estvrai.C’estjusteunequestiondetemps.Pourluiaussitoutestplusfacile,maintenant.Ilyauneéchéance.Lafindumois.Oui,àlafindumoisilsauratout.Iln’yauraplusdedoutes.Paradis.OuEnfer.

57Chambreindigo.Elle.Soudain.Bipbip.«Monamour,demainjepasseteprendreàseptheures.J’aiunesurprisepourtoi.Tudistoujourskejesuisromantik.Maispournotreanniversairejevaistesurprendre!»Elle lit le message. C’est vrai. Demain, c’est notre anniversaire. Le premier.Mince. Je ne peux pasrentrertard,lelendemainj’aiuneinterroàlapremièreheure.Jelesens,jevaisavoirsommeil.Pff.Cetaprès-midi, il fautque je luiachèteuncadeau.Sommeil? Il faut?Uncadeau?Maisqu’est-ceque turacontes ? Eh, pssst, tu te rappelles ? C’est le type qui te faisait tant vibrer, l’an dernier. Celui auxépauleslargesetauxyeuxgentils.Celuiquiplaîttantàtamèreetàtatante.Compris?C’estlui…lui.Etaujourd’huiçafaitunanquevousêtesensemble.Çadevraitêtre«j’aienviedeluiacheteruncadeau»,etmême«le»cadeau.Etpuis,qu’est-cequeçapeutfaire,sionsecoucheàsixheuresdumatin?C’estçaquejedevraismedire.N’enavoirrienàfaire.Bonheur,folie,enviedecourir,decrier…etd’aimer,d’aimer.Maisnon.Pourquoijesuiscommeça?Jepenseàdormir,plutôtqued’êtrecontentedesortir.Jeveuxl’aimer.Maisnon,non.Cen’estpasça,qu’ondit.Ondit«jel’aime»,etc’esttout.Lafillecourtdanssachambreetouvresonarmoire.Un,deux,trois,quatrecintresavecdejoliesrobescourtes.Maiscequimanque,cen’estpaslechoix.C’estledésird’êtrebellepourlui.Ellelesregardeuneàune.Elleleseffleuredelamain.Elles’arrêteunpeusurunerobegris-bleuavecdespetitsdessinsorientaux.Sapréférée.Elle essaye de s’imaginer habillée ainsi, devant lui, au restaurant. Elle cherche à débusquerdanssafantaisieuncadeauà luioffrir.Mais iln’yapasde joie. Iln’yapasdefrisson. Iln’yarien.Silence.Peur.Obscurité.Alorsellepleurederage.Ellepleureparcequ’elleneressentpascequ’elledevrait.Ellepleureparcequeparfoiscen’estlafautedepersonne,tuvoudraisnefairesouffrirpersonnemaistutesensméchante,ingrate.Desquestions,tropdequestionspourcacherlaseulevéritéqu’ellesaitdéjà.Mais l’admettre, c’est autre chose.L’admettre, ça signifieprendreunvirageet changerde route.Ellesecherche,elleseregardedanslemiroir,maisellenesetrouvepas.C’estuneautrequ’ellevoit.

58Dring.Dring.Dring.L’interphonesonnegaiement.Alessandrosesecoueetglissepresquedesachaiselongue.Ilposesamainsurleparquet,selèveetcourtversl’interphone.Dring.Dring.Dring.Presqueenrythme.—Qu’est-cequ’ilya?Qu’est-cequisepasse?—Alex,c’estmoi,tum’ouvres?Alessandroappuiedeuxfoissurleboutonetretourneausalon.Maisquelleheureilest?Dixheuresetquart.J’aidormiunedemi-heure,engros.AlessandroouvrelaportejusteaumomentoùNikiarrive.Elleestencoreessoufflée.—Jesuismontéeàpiedpourgarderlaforme…Maisqu’est-cequetufaisais?Tudormais,hein?!Iltentedesejustifier.—Non,non,j’étaislà-bas,jesurfaisunpeusurInternet…—Ahoui…Nikisepencheetconstatequetoutestéteintdanslebureau.—TuasmêmeéteintlePC?Alessandrol’enlaceetl’attireàlui.—Oui,tuvois…jesuistrèsrapide…Ill’embrasse.—Qu’est-cequetuaspris,commefilm?—Closer.—Ah,celuidelamusique…Jenel’aipasvu.—Ilestbien.J’aiuneidée.Pourquoionsemetpassouslacouettepourleregarder?—Pourquoi,c’estunfilmosé?—Quelcochon!Bon,d’accord,c’estpeut-êtreunpeuosé,maiscen’étaitpaspourça…J’aimebienl’idéedelevoirsouslacouette,commesionétaitcheznous…Alessandrolaregarde.Étonné.Nikifaitunegrimace.—Oui,jesais,toituescheztoi…maisjevoulaisdire,commesionhabitaiticiensemble,bref,commesionétaitvraimentuncouple,tucomprends?Alessandrosourit.—Tusais,jevoulaisjustetedire…quetuestrèsbelle…Nikisourit,puisvadanslachambre.Ellesedéshabillerapidement.Elleenlèvesonpantalon,saculotte,sonT-shirt,sonsoutien-gorge…ElleinsèreleDVDdanslelecteursouslatélé.MaisquandelleentendAlessandroarriver,ellesecouvrelapoitrine,faitunbondetseglissedanslelit.Elleremonteledrapjusqu’àsonmenton.Puiselleprendlatélécommande.—Tuveuxlevoirenanglais?—Non,merci.Demain,j’aidéjàuneréunionavecdesAllemands…—OK,alorsenitalien.Allez,dépêche-toi,j’aidéjàappuyésurlebouton,lefilmvacommencer.Alessandrosedéshabilleets’installeprèsd’elle.—Bravo,justeàtemps,çacommence!Niki s’approche, se frotte contre lui, pose ses pieds froids sur ses jambes chaudes, sa petite poitrinedoucecontresonbras.Puislegénérique,quelquesimages,desdialoguesamusants,réalistes.Unephoto,unechanson,unehistoired’amourquicommence.Unaquarium.Unerencontre.Puistoutdevientunpeu

confus.LamaindeNiki, légère,glissesous lesdraps.Vers lebas.Plusbas.Le longdesoncorps.Sajambe… Elle joue, s’amuse, effleure, touche et ne touche pas. Puis plus haut, le ventre. Alessandros’agite.Niki ritet soupire,vientcontre lui,posesa jambesur lessiennes.Et lesmainssemultiplient,commeundésirsoudainquidevientunehistoired’amour.Inventée,rêvée,suggéréeparunsimplefilm,etpuisquidevientvraie,commetouslesmotsqu’unlitpeutraconter.Etenuninstant,cesmomentsdurenttoujours,peut-êtrequ’unjourilsserontoubliés,maispourl’instant,c’estpourtoujours.Plus tard.Encoreplus tard.Niki se tournede l’autre côté et entreprendde sortir du lit.Maisquelquechosegrince.Alessandroseréveille.—Eh…oùtuvas?—Ilestdeuxheures.J’aiditàmesparentsquejerentraistôt.J’espèrequ’ilssontdéjàcouchés.Cettefois,tut’esendormi,hein?Tunepeuxpasnier,monamour…—Qu’est-cequetuasdit?—Allez,nesoispascasse-pieds.Nikiramassesesvêtements,unpeugênée.—Non,non,attends,attends…Alessandros’assiedentailleursurlelit,couvertparlesdraps.—Répètelederniermot…Niki laisse tout tomber par terre et remonte sur le lit. Elle semet lesmains sur les hanches, debout,jambesécartées,etleregardedehaut.—Jesuisdésolée.J’aidécidé.Tuasbienentendu.Excuse-moi,maisjet’appellemonamour.

59Il a achetéunbeaublousonneuf, en jeandélavé, unFakeLondonGenius.Celui dont on lui avait tantparlé.Danssescheveuxilamiscegelbleuqu’ilsmettentunpeutousdanslequartier.Unpeudegorninafait toujoursboneffet.Mêmecerappeurlechante,commentils’appelle, iln’estpastrèsconnu.Fabioquelque chose.Peut-être qu’un jour on s’en souviendra.Qui sait…Mauro regarde son reflet dansunevitrine. Est-ce qu’il a tant l’air d’un bourrin de banlieue ? Bof… J’ai même mis une grosse boucled’oreille,cellequibrille.JelametsseulementquandjevaisaustadevoirlaRoma,l’équipemagique.Alamaison,çaneleurplaîtpas.Mamèremesaoule.Monpère,laseulefoisoùilm’avuavec,s’estmisàrirecommeunfou,ilétaitentraindemangeretilafaillis’étrangler.MonfrèreCarloadûluitaperdansledos.MapetitesœurElisaafaillisemettreàpleurer.«Pédé»,m’aditpapaquandils’estremis.Ilabuunegorgéed’eauetilestsorti,enmecognantaupassageavecsonépaule,commeilfaitquandilestagacé.Agacement.Agacement.Ilestagacéparmoi.Seulementparmoi.Jelevoisbienàcommentilmeregarde,quandjesorslematin.Quandjerentre.Quandjedors.Unefois,jemesuisréveilléetjel’aitrouvéprèsdemonlit,assisdanslegrosfauteuiloùElisadortd’habitude.Ilmeregardait.Masœurétaitàl’école.Carloétaitdéjàautravail.Mamanétaitpartiefairelescourses.Et lui ilétait là,danscefauteuil, ilmeregardaitfixement.Quandj’aiouvert lesyeuxetque je l’ai trouvé là,pendantun instant j’aicruquec’étaitunrêve.Etpuis j’airéaliséetjeluiaidit«Salut,papa».J’aimêmesouri.Pasfacile,desourirejustequandtuteréveilles.Alors, ils’est levé. Ils’estgratté leventreavecsamainrugueuse. Ilétaitpasrasé. Ilariendit, ilestsorti.Rien. Ilm’a riendit. J’ypensesouvent,àcematin-là. Jemedemandecombiende temps ilétaitrestéàm’observer.Mauroseregardeencoredanslavitrine, ilarrangesachemise, ilcoiffe tantbienquemalsescheveuxgominés.Iltournelevisagedel’autrecôté.Çafaitbourrin,unpeudebarbe?Bah…Qu’est-cequej’ensais,moi.Valescomprendre,ceux-là.Dansledoute,jel’ailaisséeunpeulongue.Ilsouritàcespensées.PuisilfaitunmouvementàlaJohnTravoltapourseremettreenplacel’entrejambe.Aucasoùçaportebonheur.Bon,c’estsûr,pourêtrebourrin,ilestbourrin…John.Unbourrininternational.Etpuis,moi,jel’ai, lui. Il touche lapoche intérieurede sonblouson.Lepetit oursTotti est là.Avecun sourire et unsoupirdeconfianceenlui,Mauropousselaportevitréeetentredansl’immeuble.—Droite,gauche,voilà,séparez-vouspargroupes,commeça.Lesbrunsparici,lesblondsparlà.Unejeunefilletriedefaçonrapideetdécidéelesgarçonsquiarrivent.—Alors,écoutezbien.Préparezunephotooùvousécrirezvosnoms,numérodetéléphone,âge,quartierettaille.Unjeunehommelèvelamain.—Oui,dis-moi,qu’est-cequ’ilya?—Ben,avantvousavezditlesbrunsdececôté,lesblondsdel’autre.Maismoijesuisquoi,châtain?Lafillesoupireetlèvelesyeuxauciel.—Bon… alors, châtains et autres couleurs, y compris les roux, vous allez toujours avec les blonds,d’accord?Autrechose.Sivouspouviezm’épargnerlesquestionsdecegenre,jevousjurequejevousenseraisreconnaissante.Deuxbourrinsbrunsseregardentetrient.—Oh,alorsunedernièrequestion.T’aspasunstylo?—Pourmoiaussi.

Lafilleprendquelquesstylos,lesposesurlatableets’éloigne.Lesdeuxbourrinslaregardent.—Oh,elleapasditcommentelleseraitreconnaissante…—Non,maiselleaenvie,celle-là,çasevoit.Situtelafais,ensuiteelleestreconnaissanteàvie!—Ettupeuxplust’endéfaire,après.Ilsrigolent,contentsdeleurblague.Quelquesgarçonss’asseyentsuruncanapé.Unautres’appuiecontrelemur.Lesdeuxbourrinsnotenttouslesrenseignementsderrièreleursphotos.Mauroécrittrèsvite.Ill’adéjàfait.Ouplutôt,ilsavaitqueçasefaisaitcommeça.IlavaitvuPaolalefaire.Centfois.Maisilnesavaitpasquecesphotoscoûtaientsicher.Deuxcentseurospourunedemi-heuredephotos.Maurorendlasiennelepremier.Puisildonneunpetitcoupàsapocheetparletoutdoucementàl’oursTottipourseporterbonheur.«Bah…Fautespérerqueçasoitdel’argentbieninvesti…»La fille prend quelques feuilles éparpillées sur son bureau, en même temps que les photos que sonassistantearéuniesetmisesdansundossier.Ellesedirigeversunepièceplusgrande,etajouteavantd’yentrer:—Vous,vousattendezici.—Benouais,faitunbourrin,etoniraitoù?Maintenantqu’onapassélesécrits…vivementlesoraux…Lafillesecouelatêteetdisparaîtdansl’autrepièce.Maurocompte.Ilssontunedizaine.Pasbeaucoup.Ilauraitcruplus.Oh,etpuisl’important,c’estquej’ysois,moi.Unsurdix.C’étaitcomment,lachanson?Bah…Ilaenviederire.Ilsesentsûrdelui.Maisoui, je suis mieux que ces types-là. Il les observe un par un.Mais regarde-moi un peu celui-là. Lescheveuxlongs,c’esthasbeen.Etcelui-là.Oùtuvas,commeça?Lescheveuxtoutdroits.Qu’est-cequisepasse,tut’esprisunebellefrayeur?Mauroétudielelookdechacun.Ilyenamêmeunquiestvenuencostumecravate.Bienbourrin,hein?Maisilsonttousl’airfaux.Lebourrindoitêtreunpeuzonard.S’ilsemetencostard,ilfautaumoinsqu’ilaitunmarcel,endessous…Çapardonnepas.Mauroouvresonblousonettouchesondébardeuràlui,unblanc,unpeuplastifié,parfait.Moulant.Onvoitsa«tortue»endessous.C’estcommeçaquedoit êtreunhomme, sans fioritures. Il fautqu’onvoiequ’il sue.La fillerevient.—Alors…Giorgi,Maretti,Boviettouslesautresblondsetchâtains,vouspouvezyaller.Ongardevosphotospourd’autresoccasions.Mercid’êtrevenus.Lesblonds,leschâtainsetlesrouxsortentdelapièceengrommelant.L’und’entreeuxs’enfuitbienvite,undossier sous lebras. Il apeut-êtreunautre casting. Il n’y aplusqueMauroet le typeen costume.Mauro le regarde. Il s’assied à califourchon sur le brasd’un fauteuil.Dans le bureaudumanager, lesstores sontbaissés.Unebelle femmeapparaît derrière lavitre transparente.Elle est blonde, elle aunvisage serein, les cheveux attachés. Elle doit avoir dans les trente ans.C’est une belle femme, penseMauro,pasmaldutout.Çadoitêtrelachef.Ilsepencheunpeupouressayerdeliresonnomsurlaporte.Elenaquelquechose.Jolinom.Lafemmeglisseunmotàsonassistante,quiluifaitsignequeoui.Puisellesortdelapièceetfermelaportederrièreelle.—Bien,elleademandéquevousvousmettiezdeboutici,aucentredelapièce…Mauroetletypevontverslecentre.—Ici,surcetapisrouge,merci.Mauro se rendcompteque le typeencostumecravate a les cheveux trèsbruns, longsderrière la tête,attachésparunélastique.Unpeucommeunecoiffurejaponaise.Maissescheveuxsontgras,leurteintefoncée,etilalessourcilstouffus.Ilssonttoutproches,maintenant.Letypeestunpeuplusgrandquelui.Ilalesépaulespluslarges.Ilsetientlesjambesunpeuécartéesetilbalancesonbassinendirectionde

lavitre.Ilmâcheunchewing-gumetsouritàlafemmedel’autrecôté.Lafemmeluirendsonsourireetvas’asseoiraubureau.LetypesetourneversMauroetluisourit,àluiaussi.Etmêmepire:illuifaitunclind’œil.Sûrdelui.Tropsûr.Elena,derrièrelavitre,faitsigneàsonassistantedelarejoindre.Mauroserassiedsurlecanapéetregardedansl’autrepièce.Ilvoitqu’Elenaaprissaphoto.Voilà.Maphoto…Elenaposesamaindessus.Elleal’airconvaincue.Puissonassistanteluiditquelquechose.AlorsElenaregardeànouveaulesdeuxphotos.Elleal’air indécise.Elleobserveencoreàtraverslavitre.Mauros’en aperçoit et détourne immédiatement le regard. Il se tourne de l’autre côté. Il voit le type,confortablementassis,balancersajambeposéesurlebrasdufauteuil,dévoilantsoussonpantalonfoncéunebotteavecdesmotifslatérauxbrillants.Maurosetourneànouveauversl’autrepièce.IlvoitElenadéchirerunephoto,quitombedanslapoubellesoussatable,prèsdesesbellesjambes.Etdanscevol,ilvoitsonrêvesebriser.Cettephotodéchiréeétaitlasienne.L’assistantesortdubureaud’Elena.—Alors,jesuisdésolée,maisnousavonsdécidéque…Surlefauteuil,letypeencostards’estredresséunpeu,maisilatoujourslesjambesécartées.—Maisoùestpassél’autregarçon?Lebourrinàlaqueue-de-chevalsourit.—Boh!Ilestsorti.L’assistantehausselesépaules.—Rienàfaire, lapolitesseseperd.Detoutefaçon,c’est toiqu’onavaitchoisi.Viens,onvafaireunessayagepourlataille.Lebourrinselèvedufauteuiletarrangesonpantaloncommeuncavalier.Puisilsouritàlafille.—Maislatailledequoi?Oh…Mabelle?!L’assistantesetourne,unemainposéesurlahanche,etlefixe,sérieuse,latêtepenchéesurlecôté.—Latailledesvêtements.Lebourrinsouritetacquiesce.—Ah,ben,situsavaiscequej’aiimaginé…Etillasuit,content,quelquesoitsonrôle.

60—Salut,qu’est-cequetufais?—Jesuisenréunion.Ettoi?—Danslestoilettes.Tupassesmeprendreàlasortie?Jesècheladernièreheure.—Jenepeuxpas,onestentraindefairelepointsurl’organisationdetoutelacampagnepromotionnelle,dansl’hypothèseoùlesJaponaisdiraientoui.—Pff,maistuestoujoursoccupé.Etpourledéjeuner?—Idem.Çavadurer.—MonDieu,tuespirequedestoilettesdeboîteoccupées.Rappelle-toiquejesuistamuseinspiratrice.Avecmoi,tuastoujourspleind’idées.Alessandrorit.—Oui,enparticuliercertainesidées.—Mmm,aveccesidées-là,çaseraitdommagedenepassevoir.Tuessûrquetuesenréunionàl’heuredudéjeuner,aussi?—Sûr.Ons’appelledansl’après-midi.Onpeutpeut-êtresevoircesoir.—Non,paspeut-être,onsevoit!—OK,OK…Alessandrosourit.—MêmelesJaponaisnesontpasaussiexigeants.—Quandonsevoit,jetefaisfairehara-kiri.—Laisse-moiréfléchir…eneffet,çadoitêtresuper…—Levoisinseraunpeudérangépartescris…Nikiraccroche.ElleretourneenclassejusteaumomentoùMmeBernardicommencesesexplications.—Alors,noussommesjusteaprèslaguerre,etlenéoréalismesereconstruitsurlemodèlevériste.Ondépeintlaréalitéetondénoncelesproblèmessociauxetpolitiquesdel’Italie,leretarddescampagnes,l’exploitation,lamisère.ChezVerga,cettedénonciationn’étaitpasaussiexplicite.L’œuvredeVergaestréévaluéedansunessaicritiqueimportantdeTrombatore1…Ollygrimaceenentendant lenom.Elle faitungestede lamain, sanséquivoque.EricasepencheversNiki.—Alors,qu’est-cequ’ilt’adit?—Rien,ilestoccupé.—Ouhouh.—Qu’est-cequeçaveutdire,ouhouh?—Çaveutdireouhouh.Interprète-lecommetuveux.—Allez,Erica,nesoispaslourde.Parfois,tuesinsupportable.Qu’est-cequetuveuxdire?—Quepourluiturestesunepetitefille.Jetel’aiditdèsledébut.Quetôtoutard,çaallaitluipasser.Tropdedifférence.Çanefonctionnequ’àlatéléetaucinéma.Cestypessemettentavecdesfillesplusjeunes,maisçanedurepaslongtemps…Etpuis,jel’ailudansunerevuedemamère.—Oui,etOllym’avaitaussiditqu’ilétaitmarié,cequin’étaitpasvrai.—Quelrapport,ilestseulementunpeuenretardsurleplanning.Quoiqu’ilensoit,larevuedisaitqu’envivant une histoire avec une fille beaucoup plus jeune, l’homme espère rajeunir avec elle, jusqu’au

momentoùilserendcomptequeçanemarchepas.Touscestrucsquetumeracontes,leschansonsdeRiceetdeBattisti,lesjasmins,lesdînersromantiqueschezlui…c’esttropbeau,c’estcommeunrêve.—Etalors?—Alors,tôtoutard,onfinitparseréveiller.—Jetedétestequandtuescommeça.Nikijettesonagendasursatable.MmeBernardiarrêtedeparler.—Qu’est-cequisepasse,aufond?—Jesuisdésolée,j’aifaittombermonagenda.Laproffroncelessourcils,observeNikipendantquelquesinstantsensilence,puisdécidedelacroire.Ellereprendsonexplication.–…Unefrontièreaveclenéoréalisme.JevousrappelleaussiLesHommesetlesautres,d’ElioVittorini,etLeSentierdesnidsd’araignées,deCalvino.Bon,pendantlepeudetempsquinousreste…OllyfaitdeuxpetitescornescachéessoussatableetregardeDilettaenmimantaveclabouche«tiens».–…nous parlerons de la première phase du néoréalisme…Erica attend unmoment, puis se penche ànouveauversNikietluiditàvoixbasse:—IltefaittoutletempsécouterBattisti.Iltefaitpasserdesmessages.—Maisqu’est-cequeturacontes?—Oui,oui…par exemple, il ne t’a jamais fait écouter la chansonquiditAverpaura d’innamorarsitroppo…(«Avoirpeurdetroptomberamoureux…»),oul’autre,Prendilacosi,nonpossiamofarneundramma,conoscevigià,haidetto, iproblemimiei… («Prends-lecommeça,onnevapasenfaireundrame,tuavaisditquetuconnaissaismesproblèmes...»),oubienHosceltote,unadonnaperamico,mailmoimestiereèviverelavita…(«Jet’aichoisie,toi,unefemmepourami,maismonmétierc’estdevivrelavie…»).—Si,ilatoussesdisques.Etalors?—Etalors!Ilnepourraitpasêtreplusclair!Ilt’utilise,unpointc’esttout!— Mais cette chanson finit par Ti amo, forte e debole compagna… (« Je t’aime, forte et faiblecompagne…»)—Oui,maiselleditaussiL’eccitazioneè il sintonod’amorealqualenonsappiamorinunciaree leconseguenze spesso fan soffrire… (« L’excitation est le symptôme d’un amour auquel on ne sait pasrenoncer,etlesconséquencesfontsouventsouffrir…»)Ericasouritethausselesépaules.—Alors,qu’est-cequetuenpenses?—QueBattistinetefaitpasdubien!—OK, comme tu veux,moi je t’aurai prévenue. « Il n’y a pas pire sourd que celui qui ne veut pasentendre»…Etsurtout,«l’espoirestunrêvederéveil»…—Maiscen’estpasdeBattisti,ça.—Non,eneffet.C’estd’Aristote…—Jecroisquesitucontinuescommeça,tupourrasprésenterBattistiaubac!

61Dernière heure.La cloche sonne.Les couloirs se remplissent enun riende temps, c’est la débandadegénérale,pireque siunealarmes’étaitdéclenchée.À la sortie,devant laporte,Erica,Diletta etOllys’arrêtentunmoment.—Onsevoitplustard?—Non,ilfautquejerévise.—Moicetaprès-midijesorsavecGiorgio.—EtNiki?—Lavoilà!—Eh,Niki!Maisellenelesentendpas,ellefaitungestedelamainpourdire«ons’appelleplustard»,puisellepartàtoutealluresursonscooter.—Ondes,cettefilleaungraveproblème.—Oui…Lepire.—C’est-à-dire?—Elleestamoureuse.Dilettametlesmainsdanslespochesdesonjean.—Tuappellesçaunproblème?Elleadelachance.—Plustuaimes,etplustutefaismal.Ollymontesursonscooter.—Jevouslaisseméditerlà-dessusetjevaisdéjeunerchezmonpèrequiveutmeprésentersanouvellepetiteamie.Ons’appelle.Elledémarre.Nikipile.Ellen’ajamaisatteintsonbutaussivite.Elleregardeautourd’elle.Droite.Gauche.Rien.Soncœurbatàtoutrompre.PasdeMercedes.Nikiscrutetoutleparkingunedernièrefois.Iladûlamettreaugarage.Elle sort sonportefeuilledesonsacàdos, fouilledanssespapiers.Un ticketdecaissed’uneboutiquedevêtements,sacartedelasalledesport,uneautred’unvendeurdekebabs.Ah,plusquedeuxpointset j’auraidroitàunsandwichgratuit.UnephotodeFabio!Çaalors, jenemelarappelaispas.Elleladéchireetlajettedansunepoubelle.Ellecontinuesesrecherchesetfinitparlatrouver.Sacartedevisite.Ellecomposerapidementlenumérodesonbureau.Ellenel’apasmisenmémoiredanssontéléphone.Ellen’auraitjamaispenséàl’appelerlà-bas…Quelqu’unfinitpardécrocher.—Allô,bonjour,jesuisNikiCavalli,j’auraisvouluparleraudocteurAlessandroBelli.—Pardon,quiest-ce?—Niki.NikiCavalli.—Oui,uninstant,jevousprie.Onlametenattente.Unemusiquemoderne.Nikiestimpatiente.Elleessayedebattrelerythmeavecsonpied,maiselleestnerveuse.Difficiledebattrelerythmequandonal’impressionqueletempsnepassepas.Finalement,lastandardistereprendlaligne.—Non,jesuisdésolée,ledocteurestsortipourdéjeuner.—Ah…etvoussavezoùilestallé?—Non,jesuisdésolée.Vousvoulezlaisserunmessage?

MaisNikiadéjàraccroché.ElleremetsonNokiadanssapocheetpartcommeunefuséesursonscooter.Elle parcourt toutes les rues des alentours. Elle regarde à droite, à gauche, ralentit au stop, elle nevoudrait pas y laisser sa peau,mais à peine les voitures passées, elle accélère à nouveau. Encore àdroite.Puisàgauche.Puistoutelalignedroite.Mince.Maisoùilpeutêtre?Ellen’apasletempsd’ypenser.Lavoilà.Savoiture.LaMercedesMIimmatriculéeCS2115estarrêtéeauborddelaroute.Iln’yaqu’unrestaurant,parici.Del’autrecôtédelarue.Nikiarrêtesonscooteretcourtverslerestaurant.Elle regardepar lavitre, le cherche,maisdiscrètement, pournepas se faire remarquer.Soudain, ellel’aperçoit. Le voilà.A une petite table du fond.Dans la dernière salle du restaurant, près de la baievitrée.Jenepeuxpasycroire.Alors,Ericaavaitraison.Al’intérieurdurestaurant,Alessandroremplitleverred’unebelleblonde,puisilluisourit.—Tuveuxautrechose?—Oui…Elleluirendsonsourire.—Untiramisu,s’ilsenont…Aujourd’hui,j’aivraimentbesoind’untiramisu.Rienàfairedurégime.Alessandrosouritetlèvelamain.—Garçon?Unjeunehommes’approcheimmédiatement.—Untiramisupourelle.Etunananas,merci.Leserveurdisparaît.Alessandroregardeànouveaulajeunefemme.Puisilposeunemainsurlasienneetlacaresse.—Allez,peut-êtrequemaintenantque tum’enasparlé toutva changer.Vraiment, jenem’yattendaispas…Lajeunefemmesourit.Niki,quidedehorsaassistéàtoutelascène,estcommefolle.Elles’éloignedelavitre.Ellesetourne,secouelatête,sesyeuxseremplissentdelarmes.Elleestbouleversée.Ellesesentdevenirécarlate.Alessandroserrefortlamaindelajeunefemme.—Jesuisheureuxd’êtreiciavectoi,tusais…—Moijemesensunpeucoupable.Alessandrolaregardeaveccuriosité.—Etpourquoi?Soudain,ilsentendentundrôledebruit.Çavientdedehors.Lajeunefemmeregardelapremièreverslabaievitrée.—Alex…Maiscettefilleestentrainde…—Oùça?—Là,dehors!Regarde!Maiscen’estpastavoiture,ça?Nikidonnedegrandscoupsdepieddanslesportières, lesroues, lesphares,avectoutesaforce,cetteforcequeseulelaragetedorme.ElletourneautourdelaMercedesenluisautantquasimentdessus.—Niki!C’estNiki!—Tulaconnais?Alessandro jette sa serviette sur la table et se précipite dehors. Il regarde à droite, puis à gauche, ettraverselarueencourant.—Niki!Arrête!Qu’est-cequetufais?Arrête!Tuesfolleouquoi?

Niki continue à donner des coups de pied dans l’aile.Alessandro se jette sur elle, la serre fort pourl’arrêter,latireetlasoulèvedeterre.—Niki,arrête!Nikifaitdesmoulinetsavecsespieds.—Lâche-moi!Lâche-moitoutdesuite!Tuétaisenréunion,hein?Tunepouvaispasvenirmechercher.Pas de déjeuner, ça va durer…Avec ces connards de Japonais, hein ? !Rends-moi tout de suitemesidées.Rends-les-moi!Salaud!Ellehurle,etcontinueàdonnerdescoupsdepied.Alessandrodesserresonétreinte.—J’aidûsortir.Unrendez-vousimprévu.Nikisetourneetexplose,ensoufflantlabouchetorduesursescheveuxquiluitombentsurlevisage.—Biensûr,jet’aivu,eneffet,maindanslamainavectonrendez-vousimprévu…Juste à cemoment-là, la jeune femme qui était assise avec Alessandro traverse la rue et s’approched’eux.—Maisqu’est-cequisepasse?AlessandrolâcheenfinNiki,quisoupireetserecoiffe.Maiselleestencoretrèsencolère.—Rien.JeteprésenteNiki.Niki,voiciClaudia,monrendez-vousimprévu,etsurtout…masœur.Niki voudrait s’enfoncer six pieds sous terre. Elle laisse tomber ses bras le long de son corps. Puis,d’unevoixd’outre-tombe,elletenteun«Enchanté»suffoqué.Ellesseserrentlamain.Nikiesttrèsgênée,ellealesmainsmoites,l’embarraslabloquecomplètement.Claudiaessayededédramatiser.—Alext’amiseencolère,hein?Ilestcommeça…Alessandrosourit.—Non,c’estuneméthodeimportéeduJapon.Ilsfontcommeça.Ilssedéfoulentsurd’inutilespropriétésluxueuses,parexempledesvoitures,pourselibérerdeleurstress.EtcommeNikim’abeaucoupaidéepour un projet, elle s’est beaucoup impliquée, elle est fatiguée…Bref, c’est la formule de paiementqu’elleachoisie.Nikirelèvelatêteetsourittoutdoucement.— Oui, et malheureusement c’était la dernière mensualité… Bon, Alex, moi j’y vais. Mes parentsm’attendent.Jeseraichezmoicetaprès-midi,jerévise.Appelle-moiquandtuveux…Situasenviedetravaillersurd’autresidées…Tusais,onpourraitaussi…étudierdenouvellesformesdepaiement.Alessandrosegrattelatête.—OK.Tusais…j’aipeurdetedirequejesuisoccupé.Jecroisqueserailibre,maisalorstrèslibre!Niki fait un signe de la main à Claudia. Puis elle monte sur son scooter et démarre. Elle est plustranquille,maintenant.Mince,mince,mince.Jesuisvraimentpasséepouruneconne.SatanéeErica,elleet ses interprétationsdeBattisti.Mais elle ne résiste pas longtemps.Elle éclate de rire.Quelle scèneabsurde…Puiselle semetàchanter,plusguilleretteque jamais.Unechoseestcertaine.Personnen’ajamaisétéaussiheureuxderencontrerlasœurdequelqu’un.Alessandro et Claudia rentrent dans le restaurant. Il reprend tout de suite la conversation là où ilsl’avaientlaissée.—Alors,pourquoitutesenscoupableenversmoi?—Bah…Parce queDavide était ton ami.C’est toi quime l’as présenté, etmoi je l’ai épousé.Et simaintenantçasepassemalentrenous…

—Claudia,cen’estpasqueçasepassemal.C’estunmoment.Çaarrive,danslescouples.L’important,c’estquetuaiesdécidédeconstruirequelquechoseaveclui…Tuasdécidé?—Oui.—Alorssoistranquille.Leplusdurestfait.Maintenant,toutseraplussimple.Choisir,c’estlesommetdelamontagne.Ensuite,leschosess’arrangenttoutesseules.Çavapasser.Ils se rasseyent.Entre-temps, le tiramisuet l’ananassontarrivés. Ils se remettentàmanger.Claudia leregarde,curieusemaisaussiunpeuamusée.—Ettoi,qu’est-cequetufabriquescestemps-ci?—Moi?Jetravaillebeaucoup.Jesorsavecmesamis…JenepensepastropàElena.Claudiaindiquelabaievitréeavecsapetitecuillère.—Etcetteespècedecyclone,Niki?—Elle?C’estuneamie.Claudialèveunsourcil.—Uneamie,hein?«Moij’yvais.Mesparentsm’attendent.Cetaprès-midi,jerévise…»Ellen’estpasunpeujeune,cetteamie?—Peut-être,maiselleesttrèsmûre.—Ellen’apasencoresonbac…—Non,eneffet.Jel’aideunpeudanssesrévisions.Claudialaissetombersacuillèredanssonassiette.—Alex?—Pardon,Claudia,maisc’esttoiquiestvenuemechercherpourmeraconterqueçanevapasentretoietmonami,aliastonmari,non?Etpourtant,vousavezladifférenced’âgeettouteslesqualitésrequisespourréussirvotremariage,non?Etalors?Tuvois,enamour,iln’yapasdeformulemagique.Claudiasecouelatête,maisfinitparsourire.—Tuasraison.J’espèreseulementquejeserailà…—Quand?—Quandtulaprésenterasauxparents.

62Find’après-midi.«Tuesentraindefaired’autresdégâts?»Alessandroenvoielemessage.Laréponsearrivetrèsvite.Niki,aussirapidequed’habitude.Etmêmeplus.«Maisnon,jesuisàlamaison,jefaisbienpire…jepenseàtoi.»Alessandrosourit.Ilrépondaussivitequ’ilpeut,maislepoucedeNikiestdifficileàbattre.Mêmeavecl’écritureintuitive.«Onsevoit?»Moinsdedixsecondes.«Biensûr!Jesuistrèsheureuse,commeçaonpourrafairelapaixpourdebon.Maisoù?»Alessandros’applique,ilestunpeuplusrapidequetoutàl’heure.«Jesuisenbasdecheztoi.Danslapremièrerueàdroite.»«OK,jeterejoins.»Moinsdedixsecondesplustard,Nikiouvrelaportedesonimmeuble,larefermeetsejettesurluienl’embrassant.—Monamour!Pardon,pardon,pardon!Ellecontinueàl’embrasser.Alessandrorit,ilnesaitpasquoidire.Iln’estpashabitué.Ilnes’yattendaitpas.D’habitude,avecElena,surtoutaudébut,ilattendaitdesheuresenbasdechezelleavantqu’ellenedescende.Maiscettepensées’évanouitenunefractiondeseconde.—MonDieu,quellescèneabsurde,toutàl’heure!Avectasœur,enplus!Siseulementçaavaitétéjusteunecopineàtoi.—Siçaavaitétéjusteunecopineàmoi,tuauraiscontinuéàdonnerdescoupsdepieddansmavoiture.Nikireprendsonsérieux.—C’estvrai.Tuasraison,jesuiscommeça,jenepeuxrienyfaire!Etjecroisqu’ilnefautpasquetuessayesdemechanger.—Etquiaparléd’essayer?Jedétestel’échec…—Crétin!Tusais,sijeveux,jepeuxchanger…C’estqueçaseraituneerreurdechangerpourtoi.Çavoudraitdirequejenesuispaslapersonnequetucherches,quejenesuispascellequ’iltefaut.Commesijefaisaissemblantd’êtreuneautre.Alors,tuasentêteuneautrefilleavecquij’aiencommun,jenesaispas…leprénom?TuconnaisuneautreNiki?Alessandrosourit.—Dis-moi,onpourraitéviterdefairedelaphilosophie?Onesttrèsmauvaisdanscettematière.Moijepensequ’ilyajustedeuxpointsàéclaircir.Nikicroiselesbrassursontorse.Alessandroessayedelesluidécroiser.—Ceciestunefermeturedel’écoute,unmanqued’ouverture,unrefusdumonde.—Ecoute,moi jemetienscommejeveux.Dis-moiplutôtcequetuasàmedire…Detoutefaçon, jesavaisbienquetuallaismefaireunesemonce.Alessandrolaregarde,surpris.—Quelmotdésuet!—Unepaternelle,unlavagedecrâne,unsavon,uneengueulade,unreproche,unsermon,uneréprimande,unblâme,uneremontrance,uneadmonestation.Çava?C’estbiendeçaqu’onparle?—Ettuesqui,toi?Undictionnairevivantdessynonymes?

—Dis-moicequetuasàmedire,nechangepasdesujet.Alessandroprendunegrandeinspiration.—Attends,attends…Nikil’arrête.Ellefermelesyeuxetouvrelesbras.Puisellelèvesesmainsouvertesdevantelle,genreyoga.—Dis-moijusteunechose:c’estfinientrenous?Alessandrolaregarde.Elleestbelle,commeça,avecsesmains ouvertes, suspendues dans le vide, avec ses cheveux abandonnés qui lui descendent sur lesépaules,lelongdececouquiaencoreuneodeurd’enfant,aveccesjoueslisses,cesyeuxfermés,sansuneombredemaquillage,ettoutecettevieetcesrêvesdevantelle.Alessandrolaissetombersesmainssursesjambes.—Non.C’est-à-dire,pourmoi,cen’estpasfini.Niki ouvre les yeux et sourit. Cette fois, elle a décroisé les bras. Elle sourit en semordant la lèvresupérieure,ellealesyeuxbrillants,rêveurs,unpeuémus.Ondiraitqu’elleaenviedepleurer.—OK,excuse-moi,Alex.Dis-moicequetuveux.Ilsetrottelesmainssursonpantalon.—Bien.Disonsquejenesaispasparoùcommencer.—Commenceparoùtuveux.L’important,c’estlàoùtufinis.—Alors…Cen’estpaspourlescoupsdepieddansmavoiture,toutàl’heure…—Oh,biensûr,disonsqueça,çapeutrentrerdanslesdégâtscausésparnotrefameuxaccident,non?—Neplaisantepas.Donc,moijesuistrèsbienavectoi,j’aimet’écouter,j’aimeteracontermontravailetj’aimetoutcequenousfaisonsensemble…Nikisetourneversluietleregardeencoin,avecunpetitsouriremalicieux.—Oui,Niki,oui,surtoutça,ouplutôtnon,çaaussi…C’estque,jepensequetuastropd’attentes.Tupensesqueçapeutdurer,etmoijenesaispascequipeutsepasser.Personnenepeutjamaislesavoir.C’estjustementpourçaquejeveuxpouvoirmesentirsereindanstousmeschoix,sanshypothéquersurrien.Jen’aipasenvied’avoirderesponsabilités,mêmedansunehistoiresimpleetbelle…Nikileregarde.—J’aicompris.Tuveuxredevenirunjeunegarçon,etmoijesuislabonnepersonneavecquilefaire,c’estça?—Non.Rienàvoir.—Çaaàvoir.Tuasditquetunevoulaispasderesponsabilités.Sinon,tucommenceraisunehistoireavec moi, et on verrait bien où ça nous mènerait. Peut-être que ça irait très bien, et qu’un jour ondécideraitdeconstruireunefamille,d’avoirdesenfants.—MaisNiki,onnepeutpasêtresûrsdeça.Nikisouritetsemetàjoueraveclespointesdesescheveux.—Ecoute,Alex,tumefaistoujoursécoutercedisquequet’afaittonamiEnrico.—Ehbien?Qu’est-cequ’ilya,ilneteplaîtpas?—Tuplaisantes?J’adoreBattisti.D’ailleurs, ilyamêmeunechansonquimesemble justement faireréférenceànotrehistoire.Ellefaitcommeça…Jechanteunpeufaux,hein,n’yfaispasattention,écoutejustelesparoles.Nikisemetàchanter,etenmêmetempsellesourit.—Chissà,chissàchisei?Chissàchesarai?Chissàchesaràdinoi?Loscopriremosolovivendo…(«Qui sait, qui sait qui tu es ? Qui sait qui tu seras ? Qui sait ce qu’il en sera de nous ? Nous le

découvrironsenvivant…»)Nikis’arrêteetleregarde.—Bon, j’aicompris,si jamais tu faisunepubchantée, tunem’embaucheraspas,maisest-ceque j’aibienrendul’idée?—Oui,parfaitement.Maispeut-êtrequetuneterappellespaslachansonenentier,parcequeaprèselledit…Alessandrosemetluiaussiàchanter.—Mistoaccorgendochesongiuntodentrocasa,conlamiacassaancoraconilnastrorosa…Sentiadessoeh…enonvorreiaversbagliatolamiaspesaolamiasposa.(«Jem’aperçoisquejesuisarrivéàlamaison,lerubanroseencoresurmacaisse…Ecoutemaintenant,hein…etjenevoudraispasm’êtretrompédecourses,nid’épouse.»)—Eh,tuexagères!Tuenesdéjàlà!Tut’inquiètesdéjàdecemoment…Ilesttôtpourenparler!AlessandroprendunCDetleglissedanslelecteur.Pistesix.Avancerapide.Iltrouvecequ’ilveutluifaireécouter.Comunqueadessohounpo’paura,orachequest’avventurastadiventandounastoriavera,sperotantotusiasincera(«Quoiqu’ilensoit,làj’aiunpeupeur,maintenantquecetteaventuredevientunevraiehistoire,j’espèretellementquetuessincère!»)Nikiluiprendlamain,enembrasselapaume.—Qu’est-cequetuveuxmedire,Alex?Dequoituaspeur?Nousnesavonsjamaisriendenous,del’amour,dufutur,Lucioaraison,nousledécouvronsenvivant.Qu’est-cequ’ilyadeplusbeau?Alessandrosecouelégèrementlatête.—Undenousdeuxsouffrira.Ilyatropdedifférenced’âge.—Ettuaspeurqueçasoittoi?Tupensesquepourmoic’estuneaventure?Çaseraitmoinsétonnantqueçasoitlecaspourtoi…Toutesmesamiesdisent…Alessandrohausselesépaules.—Eh!Jenepensaispasavoirautantlacoteavecelles!Sic’estpourça,mesamisaussimeledisent.—Qu’est-cequ’ilsdisent?—Amuse-toitantquetupeux,jusqu’àcequ’elleenaitmarre.—Oui, bien sûr, ils sont tousmariés ou en couple, certains ontmême des enfants, ils viventmal cepassage de ta vie parce qu’ils voudraient le faire, eux aussi. Alex, c’est toi qui dois décider. C’estseulementunequestiondepeur,àmonavis…—Peur?—Peurd’aimer.Mais,jelerépète,iln’yariendeplusbeau.Quelplusgrandrisquevautlapeined’êtrecouru ? Il est si beaude sedonner complètement àquelqu’und’autre, de s’en remettre à lui, et denepenserqu’àlevoirsourire.—Oui,c’estmagnifique.Maisentrenous,ilyavingtansdedifférence…Nikiprendunefeuilledanssapoche.—Bon,detoutefaçonjesavaisquetôtoutardonauraitmisçasurletapis.Alorsjemesuispréparée.Voilà…TomCruiseetKatieHolmes,LucaCorderodiMontezemoloetLudovicaAndreoli,WoodyAllenetSoon-Yi,PierceBrosnanetKeelyShayeSmith…Ensuite,ilyatousceuxquiavaientlemêmeâge,àunoudeuxansprès,etquisesontséparésquandmême.Maiscettelisten’entraitpasdansuncamion!Nikiprendlalisteetlajettesurlesiègearrière.—Jesavaisqu’ellemeservirait,unjouroul’autre.Maisj’espéraisquenon.Leplusbelamourestun

calcul faux, une exception qui confirme la règle, cette chose pour laquelle tu as utilisé lemot jamais.Qu’est-cequej’aiàvoiravectonpassé,moi,jesuisunevariablefolledetavie.Maisjenepeuxpast’enconvaincre.L’amour n’est pas sagesse, il est folie… Ils ont fait une pub, là-dessus.C’est toi qui l’asfaite?—Non…—Ah,tuvois…Peut-êtrequ’iltel’ontproposéeetquetuaseupeur.Alex,commej’aimeraisquetusoiscourageux…Alessandroluicaressedoucementlescheveux,luidégagelevisage.Puisilluisourit.Ilchanteànouveau«J’espèretellementquetuessincère…»etill’embrasse.Unbaiserlent,doux,quivoudraitparleravecsérénitéde tout,de tellement,de trop. J’ai enviede tomberamoureux,Niki,d’aimer,d’être aimé, j’aienvied’unrêve,j’aienviedeconstruire,j’aienviedecertitudes.Essayedemecomprendre.J’aibesoind’oublier toutcequis’estpassépendantcesvingtanspasséssanstoi.Unbaisersaitdire toutça?Çadépenddecequesaventleslèvreslégèresquilereçoivent.Soudain,unevoixstridente.Accusatrice.—Ah!Jet’aicoincée,jesavaisqu’ilyavaitquelquechosedebizarre…AlessandroetNikis’éloignentl’undel’autre.Devanteux,commedansuntableauencadréparlavitreouvertedelaMercedes,uneimageterrible.Dans l’obscuritédusoirestapparuMatteo, lepetit frèredeNiki. Il rit,etsurtout ilaunportableà lamain.UnNokiaN73.Coquecompacte,formearrondie,mémoire42Mbet…3,2mégapixelspourfairedesphotos,reproduireetenregistrerdesfilmsdetrèshautequalité.Bref,undecestéléphonesquifontvraimenttout.Nikifaitminededescendredelavoiture.—Matteo,jevaistetuer!Matteos’échappeàquelquesmètres.—Attention, je tepréviens, j’aifaitunpetit filmet j’aiaussiprisquelquesphotos.Jevoulaisappelermamanenvisio,mais jepenseque jevaisplutôt luienvoyerunMMS.Si tuessayesdemeprendre leportable,j’appuiesurenvoi.Etpourtoi,c’estlafin.MatteoregardeAlessandro.—Oh,maisc’estqui,celui-là?Ilacommencépartevioler,etpuisfinalementtuétaisd’accord?—Matteo,arrête.Rentreàlamaison,jeterejoins.—C’estqui,tonnouveaupetitcopain?—Matteo,jet’aiditdet’enaller!—Jem’enfiche,tun’espasenpositionpourcommander,OK?Nikisautedelavoiture,maisMatteoesthabituéauxsurprisesde sa sœuret il s’élanceà son tour,prenantappui surunepairedePumanoiresadaptéesà la situationet à sesonzeans. Il s’élance, échappeen sebaissant aux tentativesdeNikidel’attraper.Ilvireàdroiteetsefaufileentredeuxvoituresgarées.—Matteo,viensici!Viensicisituenaslecourage.—Oui,biensûr,pourquetumepiquesmontéléphone?Etpuisquoiencore?Tucroisquejesuisidiot?—Matteo,s’ilteplaît,nerestepasaumilieudelaroute,c’estdangereux.—Bah,merciduconseil,sister,maismaintenantjerentreàlamaison,etpuisonparledetoutça,maisalorstout,hein?—Oui,oui,va-t’en.Matteonebougepas.

—Oh…Tuvaspartir,oui?—Niki,netardepastrop…Mamanm’avaitenvoyétechercherpourledîner.Jet’avaisvuesortir.Maisjen’auraisjamaispensé…Nikitenteuneplongéeentrelesdeuxvoitures,maisMatteoestplusrapide,ilfaitletourdelapremièrevoiture,mettantentreeuxunebonnedistancedesécurité.—Tuasfini?—OK,OK,jem’envais.Aurevoir,monsieur…Etilfaitunepetiterévérencepolie.Puisilrepartverslamaison.NikiremontedanslaMercedes.—Voilà,tuvois?Aujourd’huions’estprésentésnosfrèreetsœurrespectifs.—Maisilaquelâge?—Ilvientd’avoironzeans.—Ilestprécoce,hein?—Illitdetout,saittoutsurtout,joueàtout,passesontempssurInternet…C’estluiquim’afaitlalistedesdifférencesd’âgesentregenscélèbres…—Ilaétégentil.—Oui,très…Enéchange,ilavouludeuxbilletspourlacompétitiondeWorldWrestlingEntertainmentauPalalottomatica.Plusquegentil…ilaétécher!—Jen’osepasimaginercombiençavatecoûterdedétruirelefilmetlesphotos.—Maisnon,ilsaitquejenerisquepastantqueça.C’étaitjusteunpetitbaiser.Bon,c’estsûr,s’ilavaitfilmélasoiréedesjasmins,làj’auraiseubesoindetonaide…Ilestfou!—Pourquoi?—Monfrèreaunrêve.IlveutàtoutprixuneHarleyXL883cSportsterCustombicolore,unedespluschères.Alors il se balade avec le portable de papa, quand il réussit à lui prendre, parce qu’il a unemeilleuredéfinitionquelesien,etilespèrepincerunVIPenflagrantdélitpourluifaireduchantageetgagnerpleind’argent.Oubien,pourenvoyerlefilmàuneémissiondetéléàscandale.—Iln’estpasbête,pourungarçondeonzeans.Ilaunavenirtouttracé.—Bah.Moij’espèrejustequ’ilsortiradecetteobsessionpourl’argent.—Amoi,ilmesemblesympathique…Jepourraisl’embauchercommefilmaker,çapourraitêtreuneidéepublicitaire,lepremierspottournéparunenfantdeonzeans!—Dumomentqu’iln’envoienullepartnotrepetitfilm…Bon,jetediraicommentsesontpasséeslesnégociations.Nikisepencheetl’embrassesurlabouche,encachantleursdeuxvisagesdesesmains.Puisellesortdelavoiture.—Maintenant,ilvafalloirfaireattention.Ilyatoujoursledangerd’unscoop…—Oui,ritAlessandro.—Amoinsque…—Amoinsque?—Amoinsquejeneteprésentemesparents.—Bah,dansMonbeau-pèreetmoi,ilarrivaitpleindetrucsàBenStiller…—Oui,maisjenecroispasqueçaferaitriremesparentsautantquecefilm.—AupiretonpèreferacommeJackByrnes.Nikifermelaportière.

—Allez,jeplaisante,jesuissûrequeçapourraitmarcher,entreeuxettoi.Alessandrosourit.—Jetediraiquandjemesentiraiprêt.Etsurtout,quandjeseraiconvaincuqueçapourraitmarcheravectesparents…Ildémarreets’éloigne.Ill’aperçoitdanslerétroviseurquiluifaitunpetitsignedelamain.Alessandrosortsonbraspar lafenêtreet lasalue.Puis il lavoitsedirigerversson immeuble.Quellebellefille.Mêmesonfrèreestsympathique.Sijeune,etdéjàmaître-chanteur.Maislesdéfautsnesetransmettentpasde frère à sœur.Oubien si ?Pendant un instant, il imagine toute saviemise endanger.Puis quelquechose lui revient à l’esprit, et là c’est sa soirée,qu’il imaginemise endanger.Sesparents l’attendentpourdîner.

63Mauro,sursonvieuxKymco,arriveenbasdechezPaola.Illèvelatêteetlavoitsursonbalcon.Ellefumeunecigarette,ets’aperçoitsoudaindesaprésence.—Ah,tevoilà!Maurolasalueparunsignedetête.—Attends,jedescends.Paolaécrasesacigaretteparterresoussachaussureneuveàsemellecompensée,puiselledonneuncoupdepiedaumégotquipassesouslarambardeetfinitpastrèsloindeMauro.Iléteintsonscooteretresteassisdessus.Paolasortdel’immeuble.C’estsûr,elleestbelle,penseMauro,etmême,qu’est-cequejedis, elleestmagnifique.Etgrande,enplus. Il lui sourit.Paolaécarquille lesyeux,heureuse,curieuse,adrénalinique.—Alors?Maisoùtuétais?Jet’aiappelépleindefois,tonportableétaitéteint.Quandc’estmoiquilefais,tuteplains.J’aimêmeappelécheztoi,maistesparentsnesavaientpasoùtuétais…Qu’est-cequetufichais…Ilssontinquiets,tusais…—Ilss’inquiètentquandçalesarrange.Paolas’approchedeMauroetluimetlesmainssurleshanches.—Alors?Raconte.Çaadurétantqueça,lecasting?Paolaregardesamontre,maissansenleversamaindelahanchedeMauro.—Ilestneufheuresetquart…—Putain,ilsm’ontgardélongtemps,hein?—Allez,raconte-moi,jesuistropcurieuse.—J’aiétérecalé.—Non…Jesuisdésolée,monamour.Paolaleserre,s’approchepourl’embrasser,maisMauros’écarte.—Allez,çasuffit…Paolas’éloigneunpeu.Elleaenviedes’énerver,maiselleseretient.—Allez,Mau’, ne sois pas comme ça. C’est normal, ça arrive à tout lemonde. C’était ton premiercasting…Maurocroiselesbras,puisprendunecigarettedanssapoche.Paolaremarquesonblousonneuf.—Super!Ilestneuf?—C’estunFake.—Avecça,tuvasfairedesravages.Maurotiresursacigarettepuisfaitundemi-sourire.—Etpuisquoi,encore.Jel’aiachetéexprèspourlecasting.Del’argentfoutuenl’air.Commepourlesphotos.Çam’acoûtéunmax.Paolas’illumine.Elleestànouveaucurieuse.—Allez,tulesasici?Tumelesmontres?Maurosortuneenveloppedesontopcase.Illesluipasseàcontrecœur.—Tiens.Paolalesposesurlaselleduscooter.Elleouvrel’enveloppeetlesregardeuneàune.

—Ellessontbelles.Ilestvraimentbon,cephotographe.Ouah,elleestbelle,celle-là!Etsurcelle-là,tuesvraimentbeau.OndiraitBrad…Maurolaregarde.—Tupeuxtouteslesgarder,situveux.JeressembleàBrad,maisilsenontchoisiunautre,unbourrin…Ildevaitêtrepistonné…Paolaremetlesphotosdansl’enveloppe.—Oh,Mau’,maistusaiscombiendecastingsj’aifaitavantd’êtrepriseàceluidel’autrejour,hein?Non,maistuasuneidée?—Non,jesaispas.—Ehben,jevaisteledire.Untas.Ettut’énervesparcequ’ilsteprennentpasaupremier?Oh,maislarouteestlonguepourréussir,etsitutedécouragesdèsledébuttun’yarriverasjamais.Paolatiresursonpull.—Ces photos sont vraiment belles.Amon avis, tu es très photogénique, tu rends très bien, je le dissérieusement,pasparcequ’ilst’ontpaspris…—C’estça,oui…—Jetejure.Mauroprendl’enveloppe,l’ouvreetregardelesphotos.Ilal’airunpeuplusconvaincu.—Tucrois?—Jesuissûre.Mauroreprendunpeuconfianceenlui.Ilindiqueunephoto.—Regardecelle-là.Regarde,regarde.Aquijetefaispenser?—Pourmoi,turessemblesàBanderas.—Ouais,Banderas.D’abordBrad,ensuiteBanderas,maistutefousdemagueule?Allez,regardebien,j’aiessayédeprendrelamêmeposequeluiquandilessayededraguercetteactrice,allez…—Oh,jevoispas…—Oh,maisJohnnyDepp!Tusais,quandilestdevantchezcettefille,danscefilmoùilyaunemèreetunefillequichangenttoutletempsdeville.Ilcioccolato.Paolasecouelatête.—J’aicompris,maislefilms’appelaitChocolat*.—Ouais,c’estpareil…Pasvrai,monamour?Tuvoisdequellescènejeparle?C’estmoi,non?Paolasourit.—Oui,oui,c’estvrai.Mauro,unpeudétendu,remetlaphotodansl’enveloppe.—Detoutefaçon,ilsm’ontpaspris.—Peut-êtrequ’ilsn’avaientpasbesoindeJohnnyDepp,cettefois-ci.—Boh,ilyarienàfaire…Maurosecouelatêteetsourit.—…tudistoujourslabonnephraseaubonmoment.—Non,c’estcequejepensevraiment.Mauros’approcheetlaprenddanssesbras.—OK,tusaisqu’onditqueJohnnyDeppenaunénorme.Etmoi,toutdesuite…ehbenjeluiressemblesurtouslespoints.Jenesaispascequimeprend.Bah.Çadoitêtrequetoutàl’heurej’étaisénervéetjeteregardais,turemettaistonT-shirtsurtesseins,oh,jemesuissentimal.Touche,touchelà.

IlprendlamaindePaolaetlaposesursonjean.Paolalaretirerapidement.—Allez,tuescon,ici,enbasdechezmoi,avecmonpèrequirisquedesemettreaubalcon.S’iltevoitfaireça,tusaiscequ’iltefait.Tuserastellementdéfiguréquetunepourraspasfaireuncastingpendantdeuxans…Mauros’approched’elleetl’embrassetendrement.—Monamour,onvaunpeudanslegarage?Allez,j’aienvie.Paola penche la tête sur le côté. Lesmots queMauro lui susurre à l’oreille lui procurent un frissoninattendu.Ilsaitcommentlaprendre.—OK,onyva.Maispastroplongtemps,hein?Maurosourit.—Pastroplongtemps…onnepeutpassepresser,pourcertaineschoses…—Ouais,tudisça,maisdesfoisondiraituneFerrari.—Quellevipère!Maurodémarrelescooter.Ilaretrouvésabonnehumeur.IlenfilesoncasquependantquePaolamontederrièreluietl’entouredesesbras.Ilsfontletourdubâtimentets’arrêtentdevantlegarage.—Chut…, dit Paola en descendant, doucement, ne fais pas de bruit, si mon père nous entend ça vabarder.Maurometlescootersursabéquille.—Tonpèrepourraitbienêtreunpeucompréhensif,non?Tusaiscombiendefoisiladûlefaireavectamère?Paolaluidonneuncoupdepoingsurl’épaule.—Aïe,tum’asfaitmal.—J’aimepasquetuplaisanteslà-dessus.—Maissurquoi?C’estl’amour.Laplusbellechosedumonde.—Oui,maistun’enparlespasavecrespect.—Maisqu’est-cequeturacontes?Tucroisquetesparentsontpasfaitl’amour?Onpeutpasledire?Ettoi,pardon,maiscommentilst’ontfaite?Parl’opérationduSaint-Esprit?Allez,viens.Ill’attiredanslavoituredesonpère,unevieilleGolfbleueàcinqportes.—Aïe,vadoucement,doucement!Mauroluidéboutonnesonpantalon,etenmêmetempsilglisseunemaindanslecolenVdesonpull.Sesdoigtsexplorentlesoutien-gorge,effleurentlesseins,cherchentlestétons.—Tunepeuxpassavoircommej’avaisenvie,toutàl’heure,danslarue.—Etlà,non?Paolal’embrassedanslecou.—Là,encoreplus.Maurodéfaitsabraguette.PuisilprendlamaindePaolaetlaguideverslebas.Commetoutàl’heure,danslarue.Maislà,c’estdifférent.Là,c’estlebonmoment.Paolaluimordlégèrementleslèvres,ettoutdoucementellesoulèvel’élastiquedesonboxer.Elleglissesamainetexplore,elleaussi.Ellecherchelentement, puis le trouve.Mauro sursaute. Et cemouvement brusque fait tomber quelque chose de lapochedesonblouson.Mauros’enaperçoit.IlarrêtelamaindePaola.Iléclatederire.—Regardeunpeu!Unvoyeur!Cedisant,illefaitsortirdelapénombre.

—LepetitoursTotti!—Quoi,tul’avaissurtoi?Maurohausselesépaules.—Oui,commeporte-bonheur.Maisçan’apasmarché.— Allez, il a fait tout son possible, mais même le Gladiateur peut se tromper, non ? Tu verras, laprochainefoisçamarchera,grâceàluituseraspris,etçaseraencoreplusmagique1!Puisunbip.LetéléphonedePaola.—Quic’est?Quic’estquit’envoieunmessageàcetteheure-ci?Merde,pensePaola,maisjenel’avaispaséteint?—Maisrien,j’avaisdemandéunservice…C’estpourlaconvocationdedemainmatin.AvantqueMauroaitmêmeletempsd’ypenser,elleluisautedessusetl’embrasse.Elleremetsamaindanssonboxer,lesortetbougesamaindehautenbasenregardantMaurodroitdanslesyeux.—Tuasenviedemeprendre?Parcequemoi,j’enmeursd’envie.Maurol’embrasseetluiditentresesdents:—Moiaussi.—Maistuenasun?—Non,j’aioubliéd’enprendre.—Alorsrien.Tutecontenterasdemabouche.Elleleregardeunedernièrefoisdanslesyeux,puisdisparaîtdesavue,endescendantlentementdanslapénombredelavoiture,entresesjambes,làoùéclotledésir.Undésirsifortqu’ilaréussiàfaireoublierunmessagearrivésurleportabledePaola.

64Enricoarrivechezlui.—Monamour,tueslà?Ilposesavestesurledossierd’unechaise,danslesalon.—Jesuislà,j’arrive.Camillasortdelachambreàcoucher.—Excuse-moi,jenet’aipasentendu,j’étaisautéléphone…Ellel’embrasserapidementsurlabouche.Puiselleprend lavestepour la ranger.Enrico la suit.Tandisqu’elleouvre l’armoire, il l’enlacepar-derrière.Ilseperddanssescheveux,sonparfumintense.Ill’embrassedanslecou.—Tuétaisautéléphoneavecqui?Camillarangelaveste,refermel’armoireetsedégagedesonétreinte.—Jenesaispassitulaconnais.Unefilledelasalledegym.Ilsveulentorganiserundînerpourlafindescours,lasemaineprochaine...Jepréparequelquechoseàmangeroutuveuxsortir?—Non,jesuisfatigué,jepréfèreresteràlamaison.—Moiaussi,jesuiscrevée.Etdemainilfautquejemelèvetôt.Enricolasuitàlacuisineetl’observependantqu’elledéplielanappe.—Qu’est-cequetudoisfairedebeau?—Mamanm’ademandésijepouvaisl’accompagnerenvoitureacheterdutissu.Elleveutchangersesrideaux.Enricolaregardeencore.—Bon,jevaismelaverlesmains,etpuisjerevienstetenircompagnie.—Maisnon,mets-toisurlecanapé,regardeunpeulatélé.Jet’appellequandc’estprêt.Enrico va vers la salle de bains, mais il ne s’y arrête pas. Il continue, puis s’arrête un instant et seretourne.Illavoit,aufond,àlacuisine,elleprendunepoêle.Enricocontinuesurlapointedespiedsetvadanslachambre.Ils’assied,regardeletéléphone.Il l’observependantquelquesinstants.Ilregardeautourdelui,puisleprend,appuiesurlebouton.Ils’allumetoutdesuite.Pasdecodepin,Camillalesaenhorreur.Elle a toujourspeurde lesoublier.Boutonvert.Derniersnuméroscomposés.Rien.Aucunappel.Touseffacés.Enrico l’éteintetvaà lasalledebains.Merde.J’auraispeut-êtredûregarder lesappelsreçus.Ilselavelesmains.Maisjenepeuxpasfaireça.JetienstropàCamilla.Ils’essuie.Detoute façon, dans quelques jours, les doutes seront levés. Il saura. Et il ne pourra plus s’en laver lesmains.Ildevraprendreunedécision.Flavioestàmoitiéallongésurlecanapé.LapetiteSarasejettesurluipourjouer.Elleaplusd’unan,maintenant.Elles’amuseànepasluilaisserregarderlatéléenpaix,etilseprêteaujeu.Acemoment-là,ilentenduneclédanslaserrure.—Cristina,c’esttoi?—Quellequestion.Sic’étaitunvoleur,qu’est-cequ’ilt’auraitrépondu?Non,jesuisunvoleur.Jefaismoncoupetjem’envais.Flavioselèveetessayedel’embrasser.MaisCristinaapleindesacs,elleluienpassedeux.—Tiens.Rends-toiutile.Porte-lesàlacuisine.Etattention,ilyadesœufsdedans.PuiselleaperçoitSaraquitraverselesalonenmarchant,pastrèsassurée,unjouetàlamain.

—Flavio!MaisSaraestencoredebout?—Ellet’attendait,ellevoulaittedirebonnenuit.—Elledevraitdormirdepuisuneheure.Tuasditqueturentraistôt.Jetel’aidemandéexprès,pourquetupuisseslacoucher…Elleseseraitréveilléeàuneheure,jeluiauraisfaitmangerquelquechoseetellese serait rendormie, et surtout j’auraispumecoucher,moiaussi.Demainmatin j’ai lesépreuvespourl’examendepromoteur…Maisbiensûr,tut’enfous,toi.Jedoistoutfaire,danscettemaison…CristinatraverselesalonsansdireunmotetattrapeSaraauvol,sibienquelapetitefillelaissetombersonjouet.—Viens,mapetitechérie,onvafairedodo.Cristinadisparaîtdanslapetitechambre,lafillettesuspendueàsoncou,commeunsac.Flavioserassiedsurlecanapé.LegénériquedeFriendsvientdeterminer.Laprésentatriceréapparaîtàl’écran.«Bonsoir,nousvoiciréunispourlesdéfisdecesoir…"Sansadversaire,lavertupourrit"…commeditSénèque.»Flaviosourit.Serait-ceunsigne?—Monamour,moijesors!SusannaaccourtdanslasalleàmangeroùPietroestentrainderemettresavesteetsacravate.—MaiscommentçaJ’avaiscomprisquetudînaistranquillementavecnous,cesoir.—Maisnon,monamour,tuasoublié?CesoirjevaisàlaPergolaavecl’administrateurdéléguédelanouvelle société que nous avons comme client. Je suis passé en coup de vent pour dire bonne nuit àCarolinaetLorenzo…Puisilluiprendlevisagedanssesmains.Ill’embrasselonguement,passionnément.Dumoins,c’estcequ’ellecroit.–…etpourt’embrasser.Susannasourit.Aveclui,ellesesentbelle,encoredésirable.Ilyarrivetoujours.—Nerentrepastroptard.Onnepassejamaisdetempsensemble…—J’essayerai,monétoile.Maistusaiscommentçasepasse,danscescas-là…Puisilouvrelaporte,sortetdisparaîtdansl’escalier.Susannarentredansl’appartement.Ellefermelaporte.Non,jenesaispascommentçasepasse,danscescas-là.Tunem’asjamaisemmenée.Quelques minutes plus tard, Pietro est au volant de sa voiture. Il prend son portable et compose unnuméro.—Monétoile,j’arrive.Alessandrosonneàl’interphone,toutessoufflé.Ilestenretard.Quelqu’unrépond.—Quiestlà?Laportes’ouvre.Alessandromontedeuxàdeuxlesmarchesdel’entréepuisprendl’ascenseur.Arrivéàl’étage,lesportess’ouvrent.Elleestdéjàlààl’attendre—Alex,enfin,j’étaisinquiète.Pourquoituarrivessitard?Onestdéjàtousàtable…Maisonn’apascommencé.Alessandroembrasserapidementsamère.—Tuasraison,maman,uneréuniondedernièreminute.Ilsentrentausalonoùlesmembresdelafamillesontdéjàpourlaplupartautourdelatable.

—Bonsoirtoutlemonde!Désolépourleretard…Samèreleprendparlebras.—EtElena?Oùtul’aslaissée?Claudialeregarde.Alessandroaenviederépondre«non,maman,jenel’ailaisséenullepart,c’estellequim’alaissé».Maisilsaitbienquesamèrenecomprendraitpascegenred’humour.Commelaplupartdesgens,d’ailleurs.—Ellevafinirencoreplustardquemoi.—Maisvoustravailleztrop!Dommage…çam’auraitfaitplaisirdelavoir…Bon,allez,asseyons-nous.Alessandros’assiedàcôtédesonpère.—Alors,commentçava?Bien?—Bien,fiston.Toi,jeneteledemandepas,tum’asl’airengrandeforme.—C’estvrai.Il regardesonrefletdans lecadred’un tableau. Ildécidedepenseràautrechoseens’adressantàsessœursetàleursmaris.—Commentçavatoutlemonde?—Bien!—Toutvabien!—Oui,bien!—Bien,maisj’aifaim.Davide,lecasse-piedshabituel.Alessandrodépliesaserviette.Unefaçonunpeugrossièredemefairepayermonretard.IlregardeClaudia.Ilssesourient.PuisAlessandroluifaitunclind’œiletacquiesce.Commepourdire,tuasraisondelequitter.Maisquelquessecondesplustard,illuifaitsignequenon.Cen’estpasvrai.Nefaispasdeconneries,Claudia.Lamère appuie sur la sonnette reliée à la cuisine.Dina arrive immédiatement. C’est un rituel qui serépètedepuistoujours.—Dina,pardon,maisvouspouvezremportercetteassiette?Elleestdetrop.Malheureusement,Elenanevientpas.Ellepasseraplustardpourledessert.Alessandrosepencheverssamère.—Tusais,jenecroispasqu’ellepourrapasser…—Jesais,maispourquoionestobligésdetoutraconter?!Aupersonnel,enplus…—C’estvrai…quelidiot.Dina revient avec un chariot plein de plats. Alessandro jette un coup d’œil. Gnocchi à la tomate ettaglioliniauxcourgettes.Doubleplatdepâtes.Pasmal.Dinaposeuneassiettedevantchacun.—Vousnousapporterezaussidescouvertsàservice,s’ilvousplaît…—Ahoui,biensûr,madame.Dinaretourneàlacuisine.—Oh, iln’ya rienà faire.Depuisqu’elleestentréedanscettemaison, ilyaplusde trenteans,elleoublietoujoursdelesapporter,etellepartiraenl’oubliantencore…Margherita,laplusjeunesœur,s’essuielaboucheavecsaserviette.—Maman,remercieplutôtlecielqu’elleaitrésistétoutcetemps.LaplupartdenosamisontchezeuxdesPhilippinsoudesétrangersàlaprovenancedouteusequinecuisinentpasaussibien…àl’italienne!Luigi,sonmari,sepencheenavantpournepassefaireentendre.Onnesaitpasbienparqui,d’ailleurs.—Et surtout,danscescas-là tunesaispasqui tuhébergeschez toi.Parexemple,prendsMmeDélia

Marre,regardecommentelleafini.Ils continuent à parler à bâtons rompus. D’un nouvel impôt, d’un livre abandonné aumilieu. Un filmsuédois.Unautre chinois.Un festival.Une exposition.Une coupede cheveuxhorrible.UnenouveautéaméricainedontDavideaentenduparlermaisdont ilnesaitabsolumentriendeprécis,etquipourraitbienêtreunebonneidée,siseulementoncomprenaitquelquechoseàcequ’ilracontepourl’expliquer.Ensuite, côtelettes à la printanière, artichauts frits, soufflé de patates et de légumes. Et puis, d’autresnouveautés.Quelquechoseentenduaujournaltélévisé.Unenouvelleterrible.Untrèsjeunegarçonatuésesparents.Uneautrenouvelle,absurdemaisgaie.Etpuis, lesenfantsd’amisquivontsemarier.DesbilletsprispourunconcertàMilan,unchanteurétrangertrèsconnu.Etuneindiscrétionsurunestar,undes ragots habituels, une tromperie construite, ou bien réelle. Et puis, la possibilité d’aller voir lespectacledeFiorello,mêmesionnetrouveplusdebillets,mêmesidésormaisilscoûtentplusquedesvacancespourtouteunefamille.Soudain,Margheritaselève.Ellecognesafourchettecontresonverre.—Uneminuted’attention.Moiaussijedoisvousannoncerquelquechose.Peut-êtrepasaussiimportantque certaines choses que j’ai entendues jusqu’ici, mais pour moi c’est fondamental ! Bientôt, jerattraperaimasœurClaudia.Moiaussi,j’attendsunautreenfant!Silvia, lamère, sautesursespieds,éloignesachaiseetcourtversMargherita.Elle laprenddanssesbras,lacouvredebaisers.—Monamour,quellebonnenouvelle.Bientôt, jeserailagrand-mèredequatrepetits-enfants!Tusaisdéjàcequec’est?—Unpetitgarçon.Ilnaîtradansquatremoisetdemi.—Magnifique!Vousaurezungarçonetunefille,commeClaudia!Lagrandesœurmangeunautreartichautfrit.—Moijelesavaisdéjà.Cheznous,c’estlegarçonl’aîné.—Vousavezdéjàchoisileprénom?—OnhésiteentreMarcelloetMassimo.AlessandroregardesasœurMargheritapuishausseunsourcil.—Moi,jepréfèreMassimo…ClaudiaetMargheritasetournentverslui.—Etpourquoi?—Ben,c’estunnomdevainqueur…—Ah…Luigiselève.—Jesuisd’accord.Ilmetsesmainssurseshanches,prendunairconvaincu.Etmontresapréférenceavecconviction.—Jem’appelleMassimoDecimoMeridio,commandantdel’arméeduNord,généraldeslégionsFélix,serviteurloyalduseulvéritableempereur,MarcAurèle.Pèred’unfilsassassiné,marid’unefemmetuée,jemevengerai,danscettevieoudansl’autre.—Oui,luiilpréféreraitMassimo.Legladiateur.—Biensûr.Etunjour,onseferapeut-êtrefairelemêmetatouage,touslesdeux,commeceluidenotregrandcapitaine!D’unevisionhistorique,ilestpasséàuneinterprétationfootballistique…Silviaritetserassiedàsaplace.Elleembrassesonmari.

—Luigi,tuasentenducettebonnenouvelle?Nousavonscrééunefamillesplendide,monamour.Silvias’assiedplusconfortablement,puiselleposesamainsurlebrasd’Alessandro.—Ettoi,montrésor?Quandest-cequetuaurasquelquechoseànousannoncer?Ils’essuielaboucheavecsaserviette.—Toutdesuite,maman.Maisjenesaispassic’estunebonnenouvelle.—Bah,dis-la-nous,ontedira…—OK.Mesdamesetmessieurs,Elenaetmoinoussommesséparés.Silence soudain.Glacé. Intense.Claudia regarde à gauche et à droite. Finalement, elle intervient poursauversonfrère.—Excusez-moi,iln’yaplusd’artichauts?Unpeuplustard.Toutlemondesortdel’immeuble.Bises.Poignéesdemainenpromettantdeserevoirbientôt. Peut-être une pizza, un cinéma, pourquoi pas. Même si on finit toujours par ne rien faire.MargheritarejointAlessandroquiluidit:—Salut,petitesœur,jesuisheureuxpourtoi!—Moi je ne suis pas heureuse pour toi. J’aimais bien Elena. Où tu vas en trouver, une comme ça,maintenant?Ellel’embrassesurlajoueensecouantlatête.Claudialaregardes’éloigner,puiselles’approched’Alessandro.— On dirait toujours qu’elle connaît la vie mieux que tout le monde. Ou du moins, les choses del’amour…—Elleestcommeça,tulesais…—Jen’aimepasça.Elleesttropsûred’elle.Ellesaittoutsurtout…Aufait,Alex…pendantuninstant,j’aicruquetuallaisannoncerdirectementlavraie,lagrandenouvelle.—C’est-à-dire?—Mesdamesetmessieurs,jemesuismisavecNiki,unefilleexplosivededix-septans.AlessandroregardeClaudiaetluisourit.—Tuesfolle…J’auraisrisquégrosavecmaman…etpuissurtout,onauraitrisquédeperdrepapa.Ilauraitfaituninfarctus!—Moijepensequec’estluiquil’auraitlemieuxpris.Tulesous-estimestoujours.—Tucrois?Peut-être…—Bon,allez,salut.Claudial’embrassesurlajoueets’éloigne.—Claudia?—Oui?—Merci,hein.—Dequoi?—Decetartichautdonttun’avaismêmepasenvie.—Pasdequoi!Entoutcas,préviens-moiquandtudécidesdelancertabombeatomique…Jememettraiaurégimedeuxjoursavant!

65Lesjourspassentlentement.Quandonesttriste.Parfois,ilspassenttropvite.Quandonestheureux.Desjours suspendus, la réponse des Japonais devrait arriver bientôt. Un tour en voiture avec le CD deBattisti.Enricoachoisiunebande-sonparfaitepoureux.Soudain,Nikiexplosedejoie.—Alex,j’aiuneidéegéniale…Alessandrolaregarded’unairinquiet.—Ausecours.Dis-moi.—Onessayedefairetoutcequeditlaprochainechanson?—OK,maisalorstouttout,hein?—Cen’estpasmoiquireculerai…—OK,alorsc’estmoiquichoisislachanson…—Non,çanevautpas…Metsrandom,etonprendcellequivientauhasard.Alessandroappuiesurunboutondulecteur.Puisilsattendent,curieuxetamusés,cequiseraleurdestinprochain.«Dansunsupermarché,unefoisparmois,pousserunCaddiepleinbrasdessusbrasdessousavectoi…»—Non,jen’ycroispas…C’estsuperdur!—Maintenantqu’onl’adit,ilfautlefaire.Allez,onyva.IlsgarentlavoituredevantlesupermarchéduVillageolympiqueetdescendent.UneuropourleCaddie.Ilsdécidentderemplirlefrigopourmilleautresdîners.—Peut-êtrequ’unjouronpourraitinvitertousnosamis,non?Qu’est-cequetuendis?—Biensûr!AlessandropenseàPietro,Enrico,Flavio,etsurtoutà leurs femmes,avecNiki,Olly,Diletta,Ericaetcompagnie.Peut-êtreunpeudifficiledetrouverdessujetsdeconversationconsensuels.«Et parler des surgelés qui sont de plus enplus chers, faire la qu’elle tandis que tu t’appuies contremoi».Etlaregardercourirdanstouslesrayonsensouriant.Seperdreentreunesaladeàpeseretlespêches,qu’elle adore.Et redevenirunpetit garçon.La chansoncontinue.Et les épreuves sontdeplus enplusdifficiles.—Maistuessûre?Etsitesparentss’enrendentcompte?—Toutvabien…Jeleuraiditquej’allaisaulycéeetpuisquejedormaischezOlly.Ellemecouvre…Allez,queltrouillard!C’estmoiquiprendslerisque,non?—Commetuveux.«Seprépareràpartiravecskisetchaussures,seréveilleravantsixheures…»Alessandropasselacherchertrèstôt, ilsegareunpeuloindel’immeuble.Il lavoitsortirencourant,encoreendormie.Ilspartent.Auboutd’unmoment,Nikis’endortsouslacouettequ’ilaposéesurelle.Toutenconduisant,illaregardeetsourit.Elleestsibellequ’iln’yapasdemotspourladécrire.«S’arrêterdansunpetitrestaurantpourprendreunsandwich…»Ça,c’estplus facile. Ils sont tousdeuxaffamés. Ilscommandentunénormesandwichdont lagarnituretoutefraîchedébordedesdeuxcôtés.Etilsmangentenriant.—Maisilrestecombien?C’estencoreloin?Çafaitdesheuresqu’onroule!—Onarrivebientôt.Pardon,Niki,maistuvoulaisdelaneige,non?Iln’yenapasavantleBrennero.

—Ouais,maisc’estloin,leBrennero.—C’estlàoùc’est!Etenlèvetespiedsdutableaudebord,montrésor!Alaréceptiondel’hôtel,pourlapremièrefoiselleestémuededonnersespapiers.Maisleportiernefaitattentionàrien,pasmêmeàsonâge.«Etresterdeuxjoursaulit,sanspluspartir…»Là-dessus,pasdeproblèmenonplus.Çacommencemaintenant.—Alex,jepeuxappelermesparents,sinonilsvonts’inquiéter?—Biensûr,maispourquoitumedemandes?Tuastonportable,non?—Chut,tais-toi,çasonne.Allô,maman?Toutvabien.—Niki,maisoùtues?Undrôledenuméros’estaffiché,un0043,l’Autriche…Alessandroapparaîtsurlepasdelaportedelachambre,écarquillelesyeuxetsecouelatête.Illuidittoutbas.—Maistuesfolle?Tuluidisçamaintenant?MaisNikirit.Sûred’elle,tranquille.—Jesais,maman,onvoulaitessayernosplanchesdesnowboard.Onestparties.Oui,ondortchezlacousined’Ollyetonrentredemainsoirtard.—MaisNiki,pourquoitunem’asriendit,tuterendscompte?— Parce que sinon tu te serais inquiétée, comme d’habitude, et tu ne m’aurais pas laissée partir…maman?Silence.—Maman,onaprisletrain.Etcetaprès-midi,aprèsavoirskié,onrévise.—OK,Niki…Maisrappelle-moitoutàl’heure…—Biensûr,maman.Etembrassepapa.Elleraccrocheetfaitunsoupir.—Merde,j’avaiscomplètementoublié,ilsontchangéletéléphonedusalon,ilsenontprisunavecunmouchard!Alessandrosemetlesmainsdanslescheveux.Ilvadansl’autrepièce.—Jen’ycroispas…jemesuismisdansdebeauxdraps…Nikilerejoint.—Tonvraiproblème,c’estquejevaisteforceràessayeruneplanchedesnow!Plustard,surlespistes,dégringolades,tentativesvainesetchutesdanslaneige.Nikisertdemaîtreàcetempoté aventureux, un peu raide, qui se lance et tombe.Mais qui n’a pas peur. Il a retrouvé l’envied’essayer,detomber,deserelever…Etquisait,peut-êtred’aimer.Ensuite,danslehalldel’hôtel,unepartiedebillardfarfelue,oùcesontplutôtlesqu’ellesquifinissentdanslestrous.Puisunsauna,etunpeudetélé.Etpuis,lachambre.Uncoupdefilàmaman.—Oui,j’airéviséjusqu’àmaintenant…Unmensongequinefaitdemalàpersonne.Maisellesesenttoutdemêmeunpeucoupable.Çanedurequ’uninstant,puiselleraccroche.AlessandroetNikiseregardentdanslesyeux.«Ettecouriraprèsensachantcequetuveuxdemoi…»Iln’yariendeplusbeauquedes’aimer.Etpuis,repartirtranquillement,lelendemain,conduiresanshâte,ensachantquecequetucherchesestàcôtéde toi.Toucherde tempsen temps sa jambepourvérifierque toutestvrai.La routedéfile.Et lamusique t’accompagne. Lemonde avance.Mais il ne dérange pas, il ne fait pas de bruit.Alessandrobaisseunpeuleson.Illaregardedormirsurlesiègepassager.Unpeumaussade.Puisilsourit.Sespiedssurletableaudebord,naturellement.Etpuis,arriveràRome,quiavecellesembleêtreuneautreville.

«Demanderlesdépliantstouristiquesdemavilleetpasserlajournéeavectoiàvisiterdesmusées,desmonumentsetdeséglisesenparlantanglais,puisrentreràlamaisonàpiedentevouvoyant.»—Eh,tusaisquelebac,c’estbientôt?Tuvasm’aider,hein?—Biensûr,tuplaisantes.Enplus,tum’astellementaidéavecLaLune.—Maistunemedoisrien…Tudoislefaireparcequetuasenvie.—Maisnon,jedisaisçadanslesensoùc’estévidentquejevaist’aider,quandonpeutonsedonneuncoupdemain.—Çanevatoujourspas.Çaatoujoursunairdedette.—Oh,tucompliquestout.Alorsjenet’aidepas!—Voilà,tuvois,làc’estmieux…Aufonddetoi,tuneveuxpasm’aider.Maistul’as,tonbac,toi?—59sur60.—Tun’esqu’unvieux!Uninstantdesilence.—Vieux!Nikiéclatederire.—Unpointdemoinsquelaperfection!Quelleblague!—Onvavoirsitufaismieux.Nikisouritetsemetcontrelui.—Pourquoipas?Pourquoipas?Etpuis,laquestionlaplusdifficile.—Pardon,maistum’aimesoupas?Etlaréponselaplussimple.—Jenesaispas,maisentoutcasjesuisavectoi!

66Quelques jours plus tard.LesOndes et les autres filles font un entraînement devolley, pourgarder laforme.—Alors,tuesprête?Soudain,commeuncoupdetonnerre.Desbassesprofondesetchaudessortentdesdeuxenceintesdelachaîneposéeparterre.Lamusiqueenvahitlegymnasedel’école.DeuxvieillesConverserougeetblancbattentlerythme.Ellesconnaissentbienlamusique.Unemainbatletemposuruncarreaudelafenêtre.Nikiarrêtedejouer.Ellesetourneetseplantedevantlui,lesmainssurleshanches.—Alorstuinsistes.Pourquoituveuxgâchertoutcequ’ilyaeudebeauentrenous?MaisNikin’apasletempsdeterminer,unechansondémarre.Fabioauneexpressionrailleuse.Ilchanteenplay-backsursamusique.«Cen’étaitpasunhasard,cettenuit-là, jeuneétoile,si tues tombéedansmonlit…Jen’enavaispasenvie,ça je le sais.Promessesdoucesetmensongesde jeunesse.Parcequemaintenant, tu t’enfuis.Lepassétefaitmal.Rappelle-toiquecen’étaitpasunhasard…cettenuit-là,jeuneétoile,situestombéedansmonlit.»Nikileregarde.Ellealesyeuxhumides.—Tuesvraimentunsalaud,Fabio.Unénormesalaud,FabioFobia,ouquelquesoittonnom.Elle s’enfuit, avant qu’il ne la voie pleurer pour de bon. Il ne mérite pas ses larmes. Fabio Fobian’appuiepassur«stop».Illaisselemorceaucontinuerunpeu.Ils’assiedparterre,croiselesjambes,s’allumeunecigarette.—Qu’est-cequevousavezàmeregardercommeça?Allez,jouez,jouez…Ilhausselevolume.«Rappelle-toiquecen’étaitpasunhasard…cettenuit-là,jeuneétoile,situestombéedansmonlit.»Unefillepasse laballeàcellequiestauservice.MaisDilettaarrête laballe, la laisse rebondirparterre.Puisellevaverslachaîneetl’éteint.—Çamegêne,cebruit.Ellesedirigeverslesvestiaires.—Oui,oui,faiteslesbelles.Detoutefaçon,ilfautbienquevouspassiezparnouspourjouir!—Eh,commeçatuneteferasquedesennemis.Fabiosetourne.Ollyestàlaportedugymnase.—Pourquoitutecomportescommeça,tucroisqueçafaitpartiedetonpersonnage?Tuasbeaufairedebelleschansons,ellessonttropméchantes…ettoiaussi.Etaveclaméchanceté,onnevapasloin.FabioFobiatiredeuxtaffessursacigarette,puislajetteparterre.Ill’écrase.Ilfaittournerlapointedesonpieddessusavecforcepourl’éteindre.Puisilpasseàunmillimètred’Olly.Illaforcepresqueàsecolleraumur.Etilluichante:«Rappelle-toiquecen’étaitpasunhasard…cettenuit-là,jeuneétoile,situestombéedansmonlit…»FabioFobiareprendsachaîne,lametsursonépauleetpasseànouveaudevantOlly.Puis,sansluiaccorderunregard,ils’éloignedanslacourdulycée.Ollyrestesurlepasdelaporte.Elleleregardepartir,avecunepenséedistraiteetuneautre,beaucoupplusdécidée.

67Alessandroestassisdans le fauteuil,àsonbureau.Mainsderrière la tête,appuyécontre ledossierencuir. Ilexamined’unairamusé lesdifférenteshypothèsespour lapublicitédeLaLune,disposéesavecordresurlagrandetable.Unemusiquesortdelachaîne.MarkIsham.Relaxant,justecequ’ilfaut.—Jepeux?—Entre.Alessandroseredresse.C’estAndréaSoldini.—Viens,Andréa,assieds-toi.Alors,dunouveau?Nousn’avonspasbesoinderaccourci,non?AndréaSoldinisouritens’asseyantenfacedelui.—Non.Nousattendonsleverdict.Maisjediraisqu’iln’yapasdedoute,non?Alessandroselève.—Non, je ne crois pas.Mais il vautmieux ne pas crier victoire avant de savoir ce qu’ont vraimentdécidécessacrésJaponais.Ilvaverslamachine.—Café?—Trèsvolontiers.Andréaleregardechargerlamachine.Alessandroprendunpaquet,l’ouvre,ensortdeuxdosettes,lesmetdanslamachineetappuiesurlebouton.—Tusais,Alex,quandtuvenaisdansmonbureaupourvoirElena,ehbien,jenepensaispasquetuétaiscommeça…—Comment«commeça»?—Tuesdifférent.Tuessûrdetoi,tranquille,agréable.Voilà.Tuesagréable.Alessandro revient à la table avec les deux cafés, deux sachets de sucre et des petits bâtonnets enplastique.—Onnesait jamaiscommentsont lesgensavantde lesconnaîtrepersonnellement,horsdescontexteshabituels.Andréaouvrelesucre,leverseetremuesoncafé.—C’estvrai.Parfoisonneconnaîtmêmepaslapersonneavecquionvit.—Qu’est-cequetuveuxdire?Andréaleregarde.—Moi?Rien.Jedisaisçacommeça.Ilboitsoncafé.Alessandroenfaitautant,puisleregardefixement.— Parfois, je ne te comprends pas. Pourquoi il faut toujours que tu te sous-évalues, que tu te sous-estimes?—Jemeledemandedepuistoujours,leproblèmeestquejenetrouvepasderéponse.—Maissitunecroispasentoi-même…–…Oui,jesais,commentest-cequelesautrespourrontycroire?—Peut-êtrequelesRusses,cesoir-là, te trouvaient trèssympathique.Iln’yavaitpasbesoinquetutesentesmal…Andréafinitsoncafé.—Nem’enparlepas…Quandjepenseàcettesoirée,jemesensmalànouveau…

—Jet’enprie,épargne-moil’arrivéed’uneautreambulance…Andréasourit.—Chef…C’estunplaisirdetravailleravectoi.—Etpourmoidet’avoirdansmonéquipe.Tun’arrivespasàtevoirdel’extérieur,maisjet’assurequetufaistrèsbonneimpression.Andréaselève.—Bien!Mercipourlecafé.J’yvais.Ilvaverslaporte,puiss’arrête.—Cettefille…Niki…—Oui?—JenesaispassiçaplairaauxJaponais,maisjetrouvequ’elleavraimentfaitdutrèsbonboulot.—Oui,moiaussi.Cesdessinssontvraimentnouveauxetsurprenants.Andréas’arrêteuninstantsurlepasdelaporte,puisilsouritàAlessandro.—Jeneparlaispasdesdessins…Ilfermelaporte.Alessandron’apasletempsdeluirépondre.Justeàcemoment-là,sonportableémetunbip.Ilregardel’écran.C’estunmessage.Ill’ouvre.Niki.Quandonparleduloup…Commentildisait,déjà,RobertoGervaso?«Lavieestuneaventureavecundébutdécidéparlesautres,unefinqu’onneveutpasetdestasd’intermédiaireschoisiscomplètementauhasard.»Danslasérie…Alors,pourquoijem’inquiète ?Leonardo s’inspire souventde lui pour lespetitsmotsqu’il écrit à sa femme.Et ils sontencoreensemble…Çaaussi,c’estunhasard.AlessandrolitlemessagedeNiki.Ilsourit.Etilrépondleplus vite qu’il peut. « Bien sûr. » Il l’envoie. Il prend sa veste et sort. Je préfère cette phrase d’unanonyme:«Ons’aperçoitparhasard.Onserencontreparunbaiser.»

68Nikisortdel’immeuble.Elleregardeautourd’elle,indécise.Alessandroklaxonnedeuxfois,puisilfaitunappeldephares.Nikimetsamaindevantsesyeuxpourmieuxvoir,commeunjeunemarinenvedette,plussensuellequetousceuxdeQuerellesdeBrestréunis.Puisellelevoitdeloinetcourtverslavoiture.Alessandroluiouvrelaportièreetelleplongeàl’intérieur.—Vite,vite,démarre,mesparentsvontsortir.Quelquessecondesplustard,ilssonthorsdeportée.Nikiritetregardelavoiture.—Pff… jene t’avaispas reconnu.Maisqu’est-cequec’estquecettevoiture?Tuas comprisque lavéritable créativité vient du peuple, hein ? C’est pour ça que tu as pris cette vieille charrette, dis lavérité.—Maisnon,c’estàmamère.Jeluiaidemandédemelaprêter.—Incroyable.Tuasdécidédefaireréparerlatienne?Maisonnedevaitpasfaireunconstat?Tusais,Mario,monmécanicien,ilauraitputelaremettreàneuf,tuyauraismêmegagné.Alessandroestamusé.—Non,non,mavoitureesttoujoursaussicabossée,grâceàtoi.Celle-ci,jel’aiprisepourtoi.—Pourmoi?—Oui,elleestmanuelle.Nikiregardelamaind’Alessandroentrelesdeuxsièges.Ilpassedelatroisièmeàlaquatrième.—Oh…merci!Tuestropfort…tuaspenséàmoi.Elles’arrêteuninstant.—Attends, tu l’asdemandéeà tamère?Parcequ’elleestmanuelle,pourmoi…Maisalors, tu luiasparlédenous?Elleluisautedessus,l’embrasse,lefaisantdévierdelaroute.—Ducalme,Niki,sinononvacabossercelle-làaussi!—Encoreplus?!Etcommentelles’enrendracompte?—Lesmèresserendenttoujourscomptedetout.Imaginequej’utilisaiscettevoiturequandj’avaistonâge.Toutenledisant,ilessayedenepasfairepesercetteétrangevérité.—Ellevoyaitquandj’avaisfumé,quandj’avaisbu,etmêmesij’avaisfaitdestrucsavecunefille…—Destrucs?Maiscommenttuparles?MonDieu,cequetuesringard!Etpuis,pardon,maistuasfait«destrucs»danscettevoiture,etensuitetumepromènesdedans?Elleletrappe,pourrire.—Pardon,maisc’étaitilyaplusdevingtans!—Etalors?Toutcequetuasfaitdepuisquetuasdix-huitansmerendfolle.Cequiveutdire,engros,depuisquejesuisnée…Plusoumoins.Jevoudraispouvoirrevenirenarrièredansletemps,commeunrewindsurunDVD,ettevoir.Oumêmemieux,directementaucinéma.M’asseoiraupremierrangavecuncornetdepop-cornetregarderlefilmdetavie,ensilence,sansquepersonnemedérange.—Bah, ça vaut aussi pour moi.Moi aussi, j’aimerais bien aller au cinéma voir les scènes les plusimportantesdetavie…—Oui,maistoituverraisuncourt-métrage!Tun’aspasperdugrand-chose.Toi,tuaslapossibilitédetoutvivredemoi!

—Toiaussi.Leplusbeaujourestceluiquiresteàvivre…—Ecouteça!Boum,tuviensdel’inventer…Ettouteslespartiesdejambesenl’airquetuasfaitesdanscettevoiture,qu’est-cequetuenfais?Tulesoublies,peut-être?Alessandrolaregardeettourneplusieursfoislatêteverselle.—Jen’ycroispas.—Quoi?—Tuesjalouse.TusaiscequeditBattisti?—Désormais, je sais toutdeBattisti.Biensûrque je le sais.Gelosiacaraarnicamia, èpropriountarlo,unamalattia, quelladinon saper scordare cio chedamenonpuoi sapere, tutti imieiamoriprecedentifannopiùmaiedelmaldidenti,tuttiqueibacichehogiàdatovannoviaconunbucato…(«Lajalousie,machèreamie,c’estvraimentunverquiteronge,unemaladie,celledenesavoiroubliercequetunepeuxpassavoirdemoi,tousmesamoursprécédentsfontplusmalqu’uneragededents,touscesbaisersquej’aidéjàdonnésnes’envontpasavecl’eaudubain…»)—Tuesbalèze,hein?—Unpeu,oui…aprèstouteslescompilsetlesinterprétationsd’Enricoquej’aientenduescesderniersjours…—Etalors,tucomprendstouteseulequel’hommeaussisouffre…Mêmechanson,c’esttoujoursluiquiledit…Inconfidenzaamoremoiqualcheproblemacel’hoanch’io,pernonparlaredell’effettodélietueexcosediletto.(«Monamour,moiaussij’aiquelquesproblèmesdeconfiance,pournepasparlerdel’effetdetesexaffairesdelit.»)—Oui,oui,nechangepasdesujet!Avoue!Tuasfaitl’amourdanscettevoiture,ouiounon?Alessandroyréfléchituninstant.—Non.—Jure-le!—Jelejure.Justeunbaiser,unefois,audrive-ind’Ostie.—Audrive-in!Quelchance!Moijenel’aivuquedanslesfilms.—Onfaitlapaix?—Atouteblinde.—Paixàtouteblinde?—Oui,c’estmafaçondedirequandjen’aipasdutoutenviedemedisputer.—OK,alorsjemegare,commeçatuconduis.Etpasàtouteblinde,hein?Arrête-toidetempsentemps.Lavoitures’approchelentementduborddelarouteets’arrête.NikienjambeAlessandro.—Niki,attends,jedescends.— Allez, ne fais pas le vieux, reste à l’intérieur, on ira plus vite. S’ensuit un entrelacs confus, lesclignotantss’allument,Alessandrosecognecontreletableaudebord.«Aïe»,unejambedetravers,Nikiquirit.—Maiscombientupèses…Etcejeantropserré…Maisfinalement,chacuntrouvesaplace.—J’yvais?—Vas-y.Maisdoucement.Nikiappuiesurl’embrayage.Ellepasselapremière.

—Commentjemedébrouille?— Très bien… parce que tu n’as pas encore démarré. Appuie sur l’embrayage et lâche doucementl’accélérateur.Nikis’exécute.Lavoituredémarrelentement.—Bien,maintenantpasselaseconde.Nikiappuiedenouveausurl’embrayageetchangedevitesse.—Voilà,c’estfait,laseconde…—Çaagrincé.—Etalors,jel’aipassée,non?Et ils s’envontdans lacirculationdu soir.Unevitesseaprès l’autre.Quelquesgrincements.Quelquessursauts.Unclignotantmisunpeutroptard.Uncoupdefreindetrop.Alessandrometsesmainssurlepare-brise.—Aïe,maispourquoitufreinescommeça?—Pardon…Nikiredémarre.L’auto-écolesepoursuit.—Tienslevolantàdixheuresdix.—Çafaittard.—Tudoisrentrer?—Non,çafaittard,dixheuresdix,ilfautquejetiennelevolantmaintenant,non?Sinononvarentrerdansquelqu’un!—Pasmal…—Situlafaisaubureau,cetteblague,toutlemonderigolera…Detoutefaçon,c’estfatigant,deletenircommeça…—Là,tuesrecalée.—Jefaisappel.Nikisoupireetaccélère.Elleredémarreenseconde.—Bien.Lemoteurs’éteint.—Mal.Jeterecaleencore.Et ils continuent, elle s’améliore doucement, accélère de temps en temps, conduit lentement, sans tropd’à-coups.—Eh,Niki,maistuessurlepériphérique.—Oui,c’estplusfacile.Ellesemetàchanter.—«Etrecommenceràvoyager.Etdenuit,aveclesphares,éclairerlaroutepoursavoiroùaller.Aveccourage,gentiment,gentiment.Doucement,voyager…»Unpetitbruitsourdfaitsursauterlavoiture.— «… en évitant les trous. Sans pour autant te faire lâcher tes peurs, gentiment, sans fumée, avecamour.»—Qu’est-cequetufais,tut’arrêtes?

— Oui, de toute façon j’ai très bien conduit. Je suis fatiguée. Niki s’arrête sur une petite aire destationnement.—Etpuis,sicequetum’asditestvrai,jeveuxinaugurermoi-mêmelavoituredetamère.Elleallumelaradioetéteinttoutlereste.Obscurité. Soupirs. Mais qui se croisent, amusés, légers. Qui déboutonnent, cherchent, trouvent. Unecaresse,unbaiser.Etencoreunautrebaiser,etunechemisequ’onenlève.Uneceinturequis’ouvre.UnefermetureEclairquisebaisselentement.Unplongeon.Danslenoir.Heureuxd’êtrelà…Lenoirfaitdedésir, d’envie, de légère transgression. La plus belle, la plus douce, la plus désirable. Des voiturespassent sur la route, rapides.Des phares qui éclairent une seconde puis disparaissent.Des rayons delumièrequipeignentdesbouchesouvertes,desdésirssuspendus, soufferts,pris,desyeuxfermés,puisouverts.Etencore,encore.Commedanslesnuages.Cheveuxemmêlésetsiègesinconfortables,mainsquidonnent du plaisir, bouches à la recherche d’unemorsure. Et les voitures qui continuent de passer, sirapidesquepersonnen’a le tempsdecueillircetamour,quisuit le rythmede lamusiqueque la radiopasseauhasard.Etdeuxcœursaccélérésquinefreinentpas,quivontdoucementserentrerdedans.Unpeuplustard.Unevitreencoreembuéed’amoursebaisse.—Eh,ilfaitchaud,là-dedans.—Unechaleuràcrever.Alessandroestentrainderemettresaceinture.NikitiresursonT-shirt.Unelumièresoudainelesprendenpleinvisage.Lesaveuglepresque.—Qu’est-cequisepasse?—UnOvni?Lalumièresedéplacelatéralement.Uneinscriptionapparaît.Carabiniers.—Descendez,s’ilvousplaît.—Jen’ycroispas.Justeàtemps.Nikisouritenreboutonnantsonjean.Deuxcarabiniersdescendentdeleurvoiture,tandisqu’AlessandroetNikiouvrentleursportièresrespectives.—Papiers,s’ilvousplaît.Soudain,touslesquatresereconnaissent.—Encorevous!Nikimurmureàl’oreilled’Alessandro.—Maisonn’avaitpasditqu’onarrêtaitdelesvoir?—Jepensequ’ilsnoussuivent.Alessandros’adresseàeux.—Vousvoulezquandmêmevoirnospapiers?—Vousdeveznouslesprésenterquandmême…Le carabinier le plus jeune s’approche de la voiture. Il éclaire avec sa lampe torche le papillond’assurancesurlepare-brise.—Pardon,maisvousn’aviezpasuneMercedesunpeucabossée?—Si…—Etcettevoiture,elleestàqui?—Amamère.

—Ah,àvotremère…Pardon,maisquelâgevousavez?—C’estécritsurmonpermis,demandezàvotrecollègue.L’autrelitàhautevoix.—1970…Donctrente-septans.—Enjuin,préciseNiki.Puislecarabinierregardeaussilacarted’identitédeNiki.—Etlafille,dix-septans.—Dix-huitenjuin,préciseencoreNiki.—Etqu’est-cequevousfaisiez,ici?Nikisoupire.Alessandroluiserrelebraspourl’arrêteravantqu’ellenedisequoiquecesoit.—Nousavionsentenduunbruitbizarre.—Venantdelavoituredevotremère…—Oui, commevous le voyez, elle est vieille…Nous nous sommes arrêtés pour contrôler. Puis nousavonsvuquetoutallaitbien,nousétionssurlepointderepartirquandvousêtesarrivés.Lesdeuxcarabiniersseregardent,puisleurrendentleurspapiers.—Raccompagnezlajeunefillechezelle.Jepensequ’elledoitallerencours,demain.AlessandroetNikisontentrainderemonterenvoiturequandl’undesdeuxlerappelle.—Monsieur!—Oui?Lecarabinierluiindiquesonpantalon.Alessandrocomprendetremontevitesabraguette.—Merci…—Derien.Jenefaisquemondevoir.Aucasoùvousrencontreriezlesparentsdelajeunefille…nousn’aurionspasletempsd’intervenir!

69Alessandrosegareprèsdel’immeubledeNiki.—Onl’aéchappébelle,hein?Imagines’ilsétaientarrivésdixminutesplustôt…Nikihausselesépaules.—C’estça…Ilsneseseraientpasscandalisés,tusais.C’esttypiquementlegenreàlirededrôlesdejournaux, aller dans des chat rooms avec des surnoms genre Le Téméraire ou Yoghi et à avoir leurarmoirepleinedefilmsporno…—Etàquoituvoisça?—Oh, neme le demande pas…Une femme sent ces choses-là…Et puis, tu sais, je le vois aussi àcommentilsportentleurpistolet.Enréalité,c’estuneprojectiondeleurtruc…Nikiprendunairmalicieux.Alessandrosepencheetluiouvresaportière.—Allez,bonnenuit,va!—Qu’est-cequisepasse,tuesànouveauexcité?—Maisnon,j’aiunmatchdefoot.Ettoi,qu’est-cequetufais?—Non,cesoirjeresteàlamaison.Ilfautquejetravailleunpeu.Etpeut-êtrequetoutàl’heuremonexvapasser,ilvoulaitmeparler.—Ah.Alessandroseredresse,unpeurigide.Nikis’enaperçoit.—Eh,maisqu’est-cequetufais?Tuesfou?Sijesuisavecquelqu’un,c’estparcequejeveuxl’être.Donc,soistranquille,nemecassepaslespieds,etestime-toichanceux!Ellel’embrasserapidement,puisdescenddelavoiture.—Merciencorepourlecoursdeconduite!Elle regarde à gauche et à droite, puis court vers son immeuble et disparaît à l’intérieur. Sans seretourner,commed’habitude.Alessandrorepartaveclavoiturecabosséedesamère.—Eh,ilyaquelqu’un?Nikirefermelaportederrièreelle.—Maman,papa?Matteoapparaîtaufondducouloir.—Non,ilssontsortis.—Qu’est-cequetufaisaisdansmachambre?Jet’aivu.—Jedevaisfairequelquechosesurl’ordinateur.Nikienlèvesavesteetlajettesurlecanapé.—Jet’aiditcentfoisdenepasentrerdansmachambre.Encoremoinsquandjenesuispaslà.Etpuis,leplusinterdit,c’estd’utilisermonordinateur!Matteolaregarde.—Eh,maisqu’est-cequisepasse,taprofestmorte?—Crétin.—J’aicompris.Pire…Leretraitét’aplaquée.

—Haha,commec’estdrôle,quelcomique.—Écoute,Niki,tuaspeut-êtreoubliéça…IlsortsonNokia.—Lepetitfilmcompromettant.Jel’aidéjàtéléchargéetsauvegardé,biencaché.—Ettul’asmisoù?—Oui, bien sûr, je vais te le dire.Mais alors, tun’as jamais rien compris à tous ces filmspoliciersqu’onvoitensemble?Situremetsl’objetdudélit,c’estlafin!Onsonneàlaporte.—Quiçapeutêtre?Fabiom’aditqu’ilpasserait,maisàdixheures.—Non,çadoitêtreVarmi.Matteovaouvrir.–…Oui,c’estlui.Salut,entre.Unpetitgarçongrandcommelui,lepantalontombantdelamêmemanière,lescheveuxjusteunpeuplusblonds,entreentraînantsesgrosseschaussures.—Alors,qu’est-cequ’ellefait,tasoeur?—Jeneluiaipasencoredit.—OK,commetuveux.IlyaduCoca?—Oui, va te servir dans la cuisine. En attendant, je lui explique…Niki regardeVanni s’éloigner, àl’aise,tranquille.—Jen’aipasbiencompris,Matteo,ilsebaladecheznouscommes’ilétaitchezlui?—Quoi,c’estunchien,ilfautquejeletienneenlaisse?—Tusaistrèsbienquemamann’apprécieraitpas.—Maistunevassûrementpasallerluiraconter.Alors,voilà…Matteosortdesapocheunefeuillepliéeenquatre.Ill’ouvre.—Jet’aitoutimpriméici.—Ah,voilàcequetufaisaisdansmachambre.Regardetoutel’encredecouleurquetuasutilisée!—Qu’est-cequetueschiante.Lis.Nikiregardeattentivementlafeuille.—Quoi?Qu’est-cequec’estqueça?—Nemedispasquetunelesconnaispas.—Biensûrquejelesconnais.Maisjelesévite.Etd’aprèstoi,qu’est-cequejedevraisfaire?—M’entrouverunetmel’apporter.—Maisiln’enestpasquestion.—Nemedispasquetuashonte,aprèscequejet’aivuefaire…—D’abord,tunem’asrienvuefaire,parcequejen’airienfait.Ensuite,jetrouveçaimmoraldemettredestrucscommeçaentrelesmainsd’ungarçondetonâge.—Premièrement:jenesuispastoutseul,ilyaaussiVanni.Deuxièmement:nousnesommespasdespetitsgarçons.Troisièmement:voicil’endroitoùtupeuxlestrouver.Quatrièmement:situm’embêtes,tusaiscequejefais…d’abord,jel’envoieàmaman,quipourraitpeut-êtretecouvrir,maistoutdesuiteaprès je l’envoie àpapa,qui arriveplusvitequeSuperman, et là cene sontpas les insultesquivontpleuvoir…c’estlescoups!NikiarrachelafeuilledemainsdeMatteoetsortdelamaisoncommeunefurie,enhurlant:—N’ouvrezàpersonne,etsimamanappelle,dis-luiquej’aioubliéquelquechosedansmonscooteretpréviens-moi,compris?

Nikidescendl’escalierquatreàquatre,plielafeuilleetlametdanslapochedesonjean.Maisregarde-moiça.Ilfautqueçatombesurmoi.Avoirunfrèreobsédé.Acemoment-là,sonportablesonne.Elleleprendetregardel’écran.Ilnemanquaitplusqueça.ElleouvreleNokia.—Oui.—Salut,j’arrive.—Jenesuispaschezmoi.—Ettuesoù?—Qu’est-cequeçapeuttefaire,jen’aipasdecomptesàterendre.—Écoute,Niki,onnevapassedisputer.—Quiaparlédesedisputer,Fabio…Maistufaiscommesionétaitencoreensemble…cequin’estplusvraidepuisquatremois.—Trois.—Abstraction faite de cette petite rechute, qui neveut pasdire se remettre ensemble.Cen’est qu’enbaisantunedernièrefoisqu’onconclutdéfinitivementunehistoire.—Tuesdure.—Parcequetachansond’aujourd’huiétaittendre?—OK,tuasraison,c’estaussipourçaqueje t’appelle.Maisonpeutsevoir,plutôtquedeparlerauportable?—OK.Dansunedemi-heureau122VialeParioli.ChezPrimaVisione.—OK,merci…princesse.Nikirefermeletéléphone.Princesse…Elleenlèvelachaînedesonscooteretmetsoncasque.Oui,c’estça.Avant,j’adoraisqu’ilm’appellecommeça.Maintenant,jenesupporteplus…Stop.J’aidécidé.Jeleluidis.Etelledémarreàtouteallure.

70Enricoarrivechezlui.—Monamour,tueslà?Excuse-moi,jesuistrèsenretard.Camillaapparaîtàlaportedelachambre,parfaitementhabilléeetmaquillée.Tailleurfoncé,fardàpaupièresléger,rougeàlèvresrosé.Etpuis,unsourire.—Jem’endoutais.Jet’aidéjàpréparétonsacpourlefoot.Enricolaregarde.Iln’arrivepasàdireunmot.—Maisoùtuvas?— Boire un verre avec cette amie de la salle de gym. Tu te rappelles ? Celle avec qui j’étais autéléphone,l’autresoir.Ilyaaussiuneautrefillequinousrejoindra.—Ah,oui.Etvousallezoù?—Jenesaispas,onn’apasdécidé.—Oui,maisdequoivousavezenvie,dansquelendroitvousallez…Camillaenfilesaveste.—Bah,jenesaispas.Onseretrouvedanslecentre.Elleprendsonsac,yglisselesclésdelamaisonetleferme.—Toi,quandtuvasjoueraufoot,jenetedemandepasavecquitujoues.Ousurquelleactionvousallezmarquer.Oucequevousallezboireaprès.—Quelrapport?Etpuis,onperdtoutletemps.Camillasecouelatêteetouvrelaporte.—Avectoi,parfois,ilestimpossibledediscuter.Atoutàl’heure.Etellefermelaporte.Atoutàl’heure.Maistoutàl’heurequand?Enricos’assiedsurledossierducanapé,aumilieudusalon.Ouplutôt,ils’écroule.Ilvoudraitluidemanderpleindechoses.Dugenre:àquelleheureturentres?Tugardestonportableallumé?Oubien:nemedispasqu’ilnecaptepas.Oubien,encorepire,nemedispasquetun’asplusdebatterie.Bref,pourlediresimplement:maistudoisvraimentsortir?Ilserendcomptequ’ilestencoreplusenretardpoursonmatch.Ilselève,vadanslachambre,metsongrossacdesportsurl’épauleetsort.Enattendantl’ascenseur,ilpenseàautrechose.Jenesaispaspourquoi,maiscesoirjeferaisbienl’arbitre…L’ascenseurs’ouvre.EnricoentreetappuiesurRDC.Ilseregardedanslaglace.Maiscombiende temps il lui faut,audétective,pourmedonnercetteréponse,quellequ’ellesoit?Moi,l’argent,jeluiaidonnétoutdesuite.Etmerde.Ilcourtverssavoiture.Ilmonteetdémarre.Jenesaispassionferaunbeaumatchousionperdra,commed’habitude.Jesaisseulementquej’aihâtequeçafinissepourreveniràlamaison.EtsurtoutpourvoirsiCamillaseradéjàrentrée.Nikidonnesacarteauvendeur,quilapassedanslamachinepourvisualiserlenom.—Maiselleestàqui,cettecarte?—Amonfrère.—Quis’appelle?—Matteo.—Jen’aipasdeMatteo.—Jevousassure.—Non,jevousdisquecen’estpaslenomquifiguresurlacarte.

—Ah,pardon,elleestpeut-êtreàVanni.Ilappuiesurunbouton,onentendunbip.—Oui,c’estça,Vanni.OK,parfait.Donc,qu’est-cequevousvoulez?Nikiluipasselafeuillepliéeenquatre.—Undecesfilms.Levendeurparcourtlaliste,lesregardeunparun.—Onnelesapastous.Etlesautressontsortis.—Quelleplaie!Levendeurregardeplusattentivementlaliste.Illèveunsourcil.—Ilyenaque jen’aimêmepasvus.Parexemplecelui-là.Nirvanal,deFrankSimon,avecDeborahWellsetValentineDemy.Onm’aditqu’ilétaitterrible.Lescénarioestpleindecoupsdethéâtre.Tul’asvu?C’estunpornocuit.—Non,malheureusementjen’aipaseuceplaisir.—J’aimeraisbientetrouverquelquechose.Nikileregardeavecsuspicion.Levendeurluisourit.—Malheureusement, tout ce que nous avons, c’est des films gays. Sur ta liste, il n’y a que des trucshétéro.—Ehoui.Quelqu’uns’approcheetrendunDVD,àladernièreminute.—Voilà,etmerci.Unvraipornocommeonlesaime…JessicaRizzonedéçoitjamais.Levendeurleprendetlevérifie.Puisilsourit,content,etlepasseàNiki.—Voilà!Ilétaitsurtaliste.Niki,gênée,prendleDVD.Lapersonnequivientdelerendresedirigeverslaporte,puiss’arrêteetseretourne.—Eh,maisc’estbientoi!Niki!Jen’étaispassûrdet’avoirreconnue.JesuisPietro,l’amid’Alex…Nikisourit,embarrassée.—Maisoui…biensûr…Jemerappelle.—Ah…Alorsnousavonsencommununetrèsbonnemémoire,etpuisaussiautrechose,apparemment…IlindiqueleDVD.Nikitentedes’ensortir.—Euh…oui…non…C’estque…j’aiperduunesortedepari…—Écoute,jetetrouveformidable.Avecça,enplus,jevaisdevenirfou!Etpuis,ôte-moid’undoute:tuvasregarderçaavecAlex?Nikiestdécouragée.C’estinutile,detoutefaçonellen’arriverapasàleconvaincre.—Oui,maisneluidispas.C’estunesurprise.—Jevousadore!Vousavezdelachance.Moij’aitoujoursessayé,avecmafemme,maisellen’ajamaisvoulu.Ensuite,onseplaintquelesmariagesnedurentpas.Bon,maintenant,excuse-moi,ilfautquej’yaille.Pietros’éloigneverslaportedumagasin,puisilseretourneetrevientsoudainverselle.—Excuse-moi,Niki,unedernièrechose…Tun’auraispasuneamie…oui,bon,bref…Uneamiequiaimecegenredechoses…àmeprésenter?Unefillelibérée,quoi.Unpeucommetoi,voilà.NikipenseimmédiatementàOlly.

—Non,jesuisdésolée.Alexatrouvélaseule…libérée.—OK,faiscommesijen’avaisriendit…Bon,jefile,ilssontdéjàtoussurleterrain.Salut!Nikileregardesortir.ElleprendleDVDetleglissedanssonsac.Elleditaurevoirauvendeur,quiluifaitunclind’œil.Nikisecouelatête.Maréputationestfaite.Toutescesannéesquipartentenfumée.Ellesortdumagasin.Justeàcemoment-làarriveFabio,quigare tantbienquemalsonOpelCorsaC’MoncouleurMagmaRed, jantesmétalliséesdoublesàcinqrayons.Musiqueàfond. Ildescendetclaque laportière.Ill’aperçoit.—Eh,elleteplaît?Jevoulaistefairelasurprise.—Aussibourrinequetoiettachanson.-Allez…Fabioessayedel’embrasser.Nikis’écarteentournantlatêteversladroite.Fabiotentealorsdel’enlaceret,avantqu’ellenepuisses’échapper,illaserrefort.—Jemesuistrompé,tumemanques,Princesse.Sanstoi,toutestplusstupide…Nikifermelesyeux.Pourquoi justemaintenant?Pourquoisi tard…Tellement trop tard.Ellese laisseallerdans sesbras,vaincuepar ladouleurdecetamourdésormaisperdu.Exactementàcemoment-làpasseEnricoquiva jouerau foot.Le feuest rouge. Il s’arrête justedevanteuxet, enattendant, laisseerrersonregarddanslarue.Regardecesdeux-là.Ilssontbeaux.Enlacés.Quelcouple.Quellebellefille.Nikis’écartedeFabio.Maintenant,Enricolavoitmieux.Etlareconnaît.Maiselle…elle…C’estlafillededix-septansd’Alex…Celledontilestfou!Lavoiturederrièreluiklaxonne.—Oh,tuvasbouger,oui?C’estvert.Enricoestobligédedémarrer.Quellehorreur.Pendantqu’Alexjoueaufoot,enplus.Touteslesmêmes.Etcesoir…deuxarbitressurleterrain!Fouderage,ilaccélère.Nikiserecule.— Écoute, Fabio. On a été bien ensemble, c’est vrai. Peut-être qu’avec le temps, je ne sais pas, ondeviendraamis.Puiselleleregardedroitdanslesyeux.—Maispasmaintenant.Jen’ensuispascapable.Ellebaisselesyeux.—J’aibesoind’êtreseule.Fabios’approched’elle,illuirelèvedoucementlevisage.—Seule?Tumens.Jesaisquetusorsavecquelqu’un.—Quitel’adit?—C’estimportant?Niki se raidit. Il a raison. Jeme suis trompée. J’aurais dû lui dire tout de suite.On a souvent tort devouloirêtregentil.Onsefaitpleindeproblèmes,etenfaitonfaitdumal.—Oui,jevoisquelqu’undepuisquelquetemps.J’espèrequeçaseraunebellehistoire.Fabioseplantedevantelle.—Plusbellequelanôtre?—Plusquecellequetuasvoulugâcher.C’esttroptard.Nikifaitminedes’enaller.—Ehnon!Tunefaispascequetuveux!Ill’agrippeparsonsac,quis’ouvre.LeDVDtombesurletrottoir.Fabioleramasse.

—Etc’estquoi,ça?JessicaRizzo?Maisc’estunporno!Alors,moi,pourtefairefairequelquechose,pourtesecouerunpeu,j’aieuunmalfou,etmaintenantcetypearrive…ettoi,qu’est-cequetufais?Tuvaslouerunpornopourlevoiraveclui…C’estqui?Monsieurmiracle?Maisqu’est-cequ’ilt’afait?NikiluiprendleDVD.—Cequetun’aspasfait,toi…Etçaluiestvenunaturellement,enplus.Ilm’aime.Nikienfilesoncasqueetpartsursonscooter.Fabiovaaumilieudelarueethurle,lebraslevé.—Biensûr,biensûr…facile.Tuastoujoursétéforte,aveccesputainsdephrases.Maisenattendant,tues entourée de gens faux… tu verras ! Et je veux voir comment ça va finir, avec celui-là…dans paslongtemps,àmonavis…troismois!Salope!

71Alessandro est sur le terrain. Il court partout, passant de temps en temps la balle à ses partenaires,attentifsoudistraits.UnpeuplusloinRiccardo,legoal,s’échauffeenarrêtantcommeilpeutlestirsdesjoueurs.Pietrolesrejointenfin.Riccardoarrêteuneballeenlabloquantcontresontorse.—Ah,enfin!Maiscommentçasefaitquetusoistoujoursenretard?Pietroarriveencourant.—Jesuisprêt!—Tuviensdetireruncoupvitefait,pourêtreaussijoyeux?—Maisnon!Ils’échauffeenbalançantsespiedsenarrière,faisantdespetitssautssurplacepouressayerdesetaperlesfesses.—Alex,c’estque…Alessandrol’entenddeloinetsetourneverslui.—C’estquequoi?Maintenantc’estdemafaute,situesenretard?—Siçapouvaitêtredetafaute…non,tuasundecesculs!Alessandroleregardesanscomprendre.—Jet’expliqueraiaprès.—Oui,oui…,faitRiccardo,legardien,maisaumoinsluiilarrivetoujoursàl’heure.Toi,cherPietro,tuasdéjàeuplusieursavertissements.Encoreunetjetesuspendspendantunmois.—Tuexagères!—Tusais,ilyapleindegensquivoudraientjoueravecnous,etjenelesappellepaspourvouslaisserlaplace,àvousquiarriveztoujoursenretard,aulieud’êtreheureux,etsurtoutponctuels!Ondiraitquevousmerendezunservice.Justeàcemoment-là,Enricoarriveàsontoursurleterrain.Maisiln’estpasaussijoyeuxetsolairequePietro.—Enfin,luiaussiestarrivé…pastroptôt,hein?Onpeutcommencer.—Excusez-moi,jesuisenretard…Riccardoenvoielaballeaucentreduterrain.—Oui,oui…allez,onyva.Enricos’approched’Alessandro.Ilal’airdésolé.Illeregardetristement.Alessandros’enrendcompte.—Enrico…maisqu’est-cequetuas?Oh,monDieu…nemedispasquejedevaispasserteprendreetquej’aioublié.—Non,non.Maislematchvientdecommencer.Unadversairepasseentreeux,laballeaupied,endirectiondeleurbut.Pietrolesuitdeprès.—Eh,on joue !Maisqu’est-cequevous foutez?Vous faites lespoteaux,ouquoi?Plus tard…vousparlerezdefillesplustard!Alessandrosemetàcourir,tandisqu’Enricolefixeencoreunpetitmoment…Puisilsemetàcourir,luiaussi.Ilpartsurlecôté,suivantlejeu.Siseulementilpouvaitparler.Maisnon,Alessandroseraittropmal.C’estàelledeluidire,pasàmoi.Puisilattendtranquillementleballon,aucentreduterrain,surlagauche.EtPietroquiditqu’Alessandroaducul…Oui,ducul.Qu’ilestcrétin,Pietro.Laseulechanced’Alessandro,c’estqu’aumoinsiln’apasàpayerdedétective.

72Chambreindigo.Elle.

Etalorsilcompritavecuneextrêmeluciditéàquelpointlasituationétaitdésespérée.Ilsentitqu’ilsetrouvaitaucentredelaValléedesTénèbresetquetoutelavieluiéchappait.Ils’aperçutqu’ildormaitbeaucoupetqu’ilavaittoujourssommeil…Ilregardadanslachambre.Penserauxbagageslemitmalàl’aise.Ildécidadenelesfairequ’auderniermoment.

C’estvrai.Lesbagages.Moiaussi jedevraisallerm’acheterunsacàdos.Ledépartestproche.Maisavantderemplirmessacs,jedevraismedécideràjeterquelquechosed’autre.Quelquechosequipeut-êtrenesevoitpas,nesetouchepas,maisdontjemesouviens.Elleregardeparlafenêtre.Ilyadusoleiletbientôtj’airendez-vousdanslecentrepouracheterlesdernièreschosesdontj’aibesoin.

Oùétait-il?Ilavaitl’impressiondesetrouverdansunphare.Maisenfait,c’étaitsoncerveauquidiffusaitunelumièreblanche,aveuglante,quitournaitdeplusenplusvite…Illecomprit…Etàl’instantoùilsut,ilcessadesavoir.

Ellesourit.Joieetdouleur.Rienàfaire.L’amourquil’aemmenéaucielestlemêmequilefaittomber.Quec’estbeau.Etquec’estmoche.Maismoijemesuisrelevée.Jevaisrepartir.J’airéussi.EtunjourjevoudraispouvoirremercierceStefano.

73Uneautremaison.Uneautrechambre.Uneautrecouleur.Àdeux.Commentc’était?«Aucunrapporthumainneplacel’unenpossessiondel’autre.Danschaquecoupled’âmes,lesdeuxsontabsolumentdifférents.Enamitiécommeenamour,lesdeux,côteàcôte,semettentensemblepour trouvercequeni l’unni l’autrenepeuventatteindreseuls.»Diletta feuillettesonvieilagendadetroisième.Oui,c’étaitça.Jel’airetrouvée.Surlebureau,unplateauavecunethéièrefumanteetdeuxgrandestassescoloréesquiattendentd’êtrerempliesdetisaneauxfruitsdesbois.Chaquetasseasoninitiale.O.N.D.E.Dilettalesatrouvéesauxpuces.Elleserassiedsurlelitetlitlacitationàvoixhaute.Olly,assiseentailleurparterre,faitunegrimace.—Ecoute,maispourquoitufaistoujourscesgrandsdiscours?Fais-toiunmec,unpointc’esttout.C’estça,laréponse!C’estbienmieuxqueceKalil,Khilii,bon,ceGibranquelquechose!Tuestoujoursentraindephilosopher.— Olly ! Je ne sais pas comment ça se fait, mais je remarque que ton acidité est directementproportionnelleàtespériodesd’abstinence.—Non,mabelle,enfaitj’aidonnéhiersoir!AvecuntypeduBBC!Etjedoisdireque…ilconduitvraimentbien!Surtoutquandilpasselesvitesses.—Olly!—Oui,oui,Olly,enattendantmoijem’amuseettoituresteslà,avectatêtedetroiskilomètres,parcequetut’obligesànepasbattrelefer.PrendsexemplesurErica.Elleestoù,là?Pasici,entoutcas!Àcoupsûrelleestalléesepromener,etpeut-êtrepasavecGio’Condom.—Condom?—Génial, non ?Monsieur Sécurité…Àmon avis, c’est ça qui fatigue Erica…Et Niki ? Elle s’estembarquéesurunbateautropgrandpourelle…LesOndessontdansunepériodedegrandesmarées…Sauf toi.Tupourrais faire une série télé sur tes aventures en tant qu’onde, j’aimême le titre :Calmeplat…—Maisqu’est-cequetuveux?Moijevoulaisjusteteliremonidéedurapport,del’amour.Quandtuappartiensàquelqu’un,çanevapas,çatelimite,turisquesdeteperdretoi-même.Moijeveuxunamourlibre,grand,unparadisnaturel.Etcen’estpasfaciledetrouverquelqu’unquipensecommemoi.—Quipense,jenesaispas,maisquelqu’unquiferaitvolontiersunpetittouravectoi,çac’estfacile!Dilettasecouelatête.—Bon,alorsc’esttoiquiasraison…Maisaufond,qu’est-cequetuensais,Diletta,situnetejettespasàl’eau?Ollyselèveetremplitlestassesd’eauchaude.Puisellemetdanschacuneunsachetdetisane.Elleprendleplateauetleposesurlelit.EllepassesatasseàDilettaenfaisantbienattentionàchoisircelleaveclabonnelettre.Ellesleslèventversleciel,portantuntoastsansalcoolparfuméàlamûreetàlamyrtille.—AlaEetàlaNquisontrestéesdansleplacarddelacuisine,etàceuxquiontlecouragedesejeteràl’eau…Ellesrient.EtGibranlesregardedepuisl’agendalaisséouvert.

74Lesvestiairessontpleinsdevestesetdepantalonsrangéssurdescintres.Desgrossacscolorés,certainsavecdevieillesinscriptionsdesociétéssportivesimprobables,peut-êtrelessquelettesd’unpasséplusactif,sontposésparterreousurlesbancsenbois.Odeurderenferméetdechaussures.Quelquesjoueurssontencoresousladouche.—Amonavis,c’estladéfensequinefonctionnepas.Ilfautqu’ellejoueencoreplushaut.—Etlesmilieuxdeterrain,alors?Tucroisquelaballetournait?—MaisAntonioaratépleindebutsjustedevantlacage.Iltirecommeunebanane!Alessandrosefrottelescheveuxavecsaserviette.Puisils’assiedsurlebanc.—Lesgars,c’estquandmêmelaénièmedéfaite…Aunmoment,danslavie,ilfautaccepterlaréalité.Etlemomentestvenu…Ilesttempsqu’onarrête.Pietros’assiedàcôtédelui.—Maisnon,Alex,onest très forts.C’estqu’on joue tropen individuel,onveut tous faire lastar ! Ilfaudrait plus d’esprit d’équipe. Merde, les autres, au niveau des joueurs, ils étaient beaucoup plusfaibles,maistuasvuleurjeud’équipe?Nous,onenavaittoujoursundemoinsendéfense…—Benoui,tunerevenaisjamais…—Oh,c’esttoujoursdemafaute…Enricos’estdéjàrhabillé.Alessandros’aperçoitqueFlaviodéambulenerveusementdanslesvestiaires.—Flavio,qu’est-cequetuas?—Vousvousplaignezdeladéfense.Maismoij’aipassémontempsàcourir.J’ailecœurquibatàdeuxcents.Écoute…Flavioseportelamainàlagorge.Ilécartelesdoigtspoursentirsesveines.—Écoute,écouteàcombienilbat…Ils’approched’Alessandroetluiprendlamain.—Jen’arrivepasàrespirer.Jesuisencoreennage.C’estladeuxièmefoisquejem’essuielefront…Enricos’approcheetécouteluiaussisonbattementdecœur.Puisilretiresamain.—Maisnon,c’estnormal.C’estcommeçaqueçadoitbattreaprèsunmatch.Tuesadrénalinique,c’esttout.—Maisjecontinueàtranspirer.—C’estparcequetuasprisunedouchetropchaude.—Non,jen’arrivepasàrécupérer…Jerespiremal.Flaviovaaulavabo,ouvrel’eaufroideetlalaissecouler.Puisilsemouillelevisage,etsesèche.—Bon,onvavoirsijemesensunpeumieux,commeça.Lesautresontfinideserhabiller.—Qu’est-cequ’onfait,unepizzaàlaSoffitta?—Oui,çameva.—Alorsonseretrouvedevant.Flavioenlèvesonpeignoir.—Non,moijerentre.Etgardezvosportablesallumés,aucasoù…JeneveuxpasréveillerCristina,jevousappellevous.Alessandrofermesonsac.—Tuveuxqu’ont’attende?

—Nonnon,allez-y.Maisn’éteignezpasvosportables.Toi,aumoins.D’accord?—OK.Detoutefaçon,s’ilyaquoiquecesoit,siçanecaptepas,onestàlaSoffitta.Flavioenfilesachemise.Puis ilreprendsaserviette,se lapassesurlefront.Rienàfaire.Il transpireencore.Soncœurbatencorevite.Etsiçanemepassepas?Jemedemandecommentjevaism’endormir.Etpuis,demain,ilfautquejemelèvetôt.

75—C’estsûr,Flavioestvraimentunhypocondriaquechronique.Pietroretrouvelesautresàunetabledufond.—Situtesensaussimal,alorspourquoitujoues…Tutegâcheslavie,unpointc’esttout.Restecheztoi,regardeunfilm…Maispasunfilmquifaitpeur,hein?C’estlamêmechose!—Lepauvre,çadoitêtreterrible…—Etpournous,alors,quandilacetairdemoribond.Enricoouvrelemenu.Pietroleluireferme.—Allez, tu saisdéjàcequ’ilsont, ici.On lesconnaît, leurspizzas !Alessandro tapedupoingsur latable,amusé.—Moijeveuxuned’Annunzio!J’aiunedecesfaims…—Tuvasmangerdel’ail,del’oignonetdupiment?ditPietrod’unairmalicieux.—Bah,jelesdigèrebien,moi.—Non,mais…vulerendez-vousspécialquetuastoutàl’heure…—Oui,avecmonlit!Jerentrechezmoi,jen’aipasderendez-vous.Pietromarqueunepause.—Hum…Puisilouvrelemenu.—Alors,voyons…Alessandroleluireferme.—Pardon,maistunevienspasdedirequetuleconnaissaisparcœur?—Si,maisjenemerappelaispasbiencequ’ilyadanslaCenturion…—Tunemeferaspasavalerça.Pourquoituprendscetteexcusedumenu?Tuasfaisunetêtebizarre,toutàl’heure.Ettuasdit«Hum».—Maisnon.—Si,tuasfaitunetêtebizarre.Tunefaisjamaiscettetête-làparhasard.Hum.Tunedisjamaishumparhasard.—Maisnon,c’estrien.—Tunefaisjamaisrienpourrien.PietroregardeEnrico.PuisànouveauAlessandro.—OK.Qu’est-cequetuveuxsavoir?—Cequesignifiaitcehum,associéàunetêtebizarre.—Mêmesiçapeutmettrenotreamitiéendanger?—Carrément?Allez,balance.—Bon,donne-moitamain.Promets-moiquequoiquejetedise,nousn’auronspasdeproblèmes.—Maisdesproblèmesdequoi?—Dugenre,neplusêtreamis.—Écoute,Pietro,arrêteçaetparle.—Donne-moitamain.Alessandrotendlamain,Pietrolaluiserreetnelalâchepas.—Sijetedisça,tumedevrasunservice,OK?—Enplus?Etcommeça,àl’aveuglette?Non.

—Alors,rienàfaire.Pietroretiresamain.—OK,OK.Onresteamisetjetedoisunservice,maisdécent…Allez,parle.PietroregardeEnrico.PuisAlessandro.PuisEnrico.PuisànouveauAlessandro.Ilnesaitpascommentluidire.Puisilselance.—OK.Nikialouéunfilmporno.Jepensaisquec’étaitpourlevoiravectoicesoir.Silenceglacé.—Etcommenttulesais?—C’estmoiquileluiaidonné.—Quoi?Enricoécarquillelesyeux.—TuasdonnéunfilmpornoàNiki?—Tun’aspascompris.Jesuisalléauvidéoclubpourlerendre,etNikiétaitàlacaisse,c’étaitjustementcequ’elleavaitdemandé.—Celui-là?—Jenesaispassic’étaitcelui-làouunautre,maisentoutcasunporno.Elleavaitunelisteàlamain.ElleaprisceluideJessicaRizzo.C’estunbonfilm,intense.Elleprendcertaines…—Çasuffit,tumeracontesdesbobards.Pietroleregardeméchamment.—Voilà,jelesavais.Notreamitiéestendanger?Silence.Pietroinsiste.—Réponds!—Maisnon,biensûrquenon.—Etalors,commenttupeuxpenserquejeraconteuneconneriedecegenre,çaneseraitpasunebonneblague!Alessandrorespireprofondément.—Bon,OK.Nikialouéunporno.Etpaspourlevoiravecmoi.Peut-êtrequec’estpourlevoiravecsescopines.Pietroleregarde,soudaintoutgai.—Vraiment,ellessontcommeça?—Bah,d’aprèscequ’ellem’araconté…ilyenaunequiestunpeubizarre.Çasepourrait…peut-êtrequ’elleslefontpours’amuserunpeu,pourrigoler,ellesdoiventêtrecurieusesdecomprendrecequeleshommestrouventàcesfilms.Comprenantqueçapourraitêtreunesorted’expérienceéducative,Pietroesttrèsdéçu.PuisAlessandroregardeEnrico,quialesyeuxbaissés.—Non,Enrico?Çapourraitêtreça,pasvrai?Qu’est-cequetuendis?Enricolèvelesyeuxetleregarde.—Non.Cen’estpascequejepense.PuisilsetourneversPietro.—LeDVD,tul’asrapportéàPrimaVisione,auxParioli?—Oui,commenttulesais?—Envenantjouer,j’aivuNiki.—Elledevaitallerauvidéoclub.—Non.Ellevenaitd’ensortir.—Bon,alorsellerentraitchezelle.

—Non.Elleétaitavecungarçon.—Çadoitêtreundesesamis.—Ilsétaientenlacésdevantlevidéoclub.Alessandroblêmit.Pietros’enaperçoitetessayed’arrangerleschoses.—Cen’étaitpeut-êtrepaselle,tuaspuconfondre.—Aumêmeendroit,àlamêmeheure,aprèsqu’ellealouéceporno,justementceluiquetuluiaspassé?Etpuis,cettefille,c’estdifficiledenepaslareconnaître…Unejeuneserveuse,petiteetgrosse,arriveàleurtable.Elleaungrospiercingdanslenezetdedrôlesdemèchesorangedanslescheveux.Elleouvresoncarnetpourprendrelacommande.—Alors?Vousvoulezcommander?Alessandroselèved’unbond,balancesachaiseetsortdurestaurant.—Eh,qu’est-cequej’aidit?— Mais rien, rien, mademoiselle. Oui, oui, on va commander… Apportez-nous des bières, pourcommencer.Ah,etvousavezlaPizzaDésespérée?Alessandro est sur le trottoir. Il prend sonMotorola, fait défiler les noms et compose son numéro. Ilappuiesurleboutonvert.Un,deux,troiscoups.Allez,merde.Merde.Réponds.Qu’est-cequetufais?Oùtues?Quatre.Cinq.Réponds.Tuastoujoursceputaindeportabledanstapoche.Allez,réponds.Six.Sept.—Allô?—Niki?Oùtues?Oùtuétais,oùtuétais?—Danslasalledebains,jemelavaislescheveux.Maisqu’est-cequisepasse?—Pourmoi?Rien.Qu’est-cequit’arriveàtoi,plutôt?—Moi?Moirien.J’aitravailléunpeu,etlàjevaismecoucher.—Ettun’asrienfaitd’autre?—Non…Ahsi,biensûr…moncrétindefrère,toujoursaveccettemenacedechantagerapportaupetitfilmqu’ilafaitdenous,m’aforcéeàallerlouerunfilmpornopourluietsoncopaindépravéVanni.J’aimêmerencontrétonamiPietro.Quelpersonnage,hein?!IlrendaitunpornoavecJessicaquelquechose.Iltel’adit?Alessandros’arrête.Ilretrouveunpeusarespiration.Ilsedétend,etrecommenceàsourire.—Hum,non,ilestpartitoutdesuiteaprèslematch.Ildevaitrentrertôt.—Ah,etpuisj’aipasséunmomentavecmonexdanslarue.Jet’avaisditqu’ilvoulaitmeparler,non?Ilm’a retrouvée àPrimaVisione. Ilm’a fait touteune scène, et il amêmeessayédem’embrasser.Etpuis…C’étaitterrible…—Quoi?—Quandtuterendscomptequetutefichescomplètementdequelqu’unquetuastantaimé…—C’estvrai.—Alex?—Oui?—J’aimeraisbienqueçasoittoujourscommeça.—Quoi?—Quetum’appellesàl’improviste,lesoir,presquedésespéré…justepourentendremavoix.

Alessandrosesentcoupable.—C’estvrai.—Tumeplais,commeça.Ons’appelledemain.Dorsbien.—Toiaussi…montrésor.—Tum’asdit«montrésor»!—Oui,maisneleprendspasàlalettre.—Pff.Jet’appelleraiHomme-Crabe.Unpasenavantettroisenarrière.Etpourtant,quandtuveux…tuesunvraipoulpe!—Mmm,àbientôt,j’espère!Bonnenuit.—Alex,attends…—Qu’est-cequ’ilya?—Onneraccrochepas!Alessandrorit.—OK.—Commentças’estpassé,lematch?—Bien…onaperdu!—Bon,alorsmal!—Non,non,bien.Jen’aimepaschangermeshabitudes…—Etlà,vousmangezensemble,commed’habitude.—Oui,ilssonttousàtable,ilsm’attendentpourcommander.—Ettuessortijustepourm’appeler?—Oui.—Tuestropmignon!Alorsvas-y,ilfautquetudînes…Ilssetaisentpendantquelquessecondes.—Alex?—Oui?—Cequetuesentraindepenser,jelepenseaussi…Etelleraccroche.Alessandrosourit.Ilregardesonportableetleremetdanssapoche.Puisilretournedanslapizzeria.PietroetEnrico,enlevoyantarriver,posentleursbières.Ilssontinquiets,puissurpris.Ilslevoientsourire.Alessandros’assied.—Alors?Oncommande?—Commentça,tun’espasfâché?—Ça,elleesttropforte,cettefille,quoiqu’ellet’aitinventé,çat’afaitdubien.—Maisfâchépourquoi?AlessandropiquesachopeàPietroetboitunelonguegorgée,augoûtdélicieux.Enricosecouelatête.—Tupréfèresnepasycroire,hein?Etaprès,tudisquejesuisvisionnaire.Alessandroprendaussi la choped’Enricoetboituneautregorgée.Puis il s’essuie laboucheavec saserviette.—Lesgars,grâceàvousj’aicomprisquelquechose.Lemariagefaitdumal.Ilrendsuspicieux.Iltefaitvoirleschosesdefaçondéformée.—C’estpourçaqueturésistes…Bon,nousaussionacomprisquelquechose.

Pietrosefrottelesmains.—Onsaitquelserviceonveuttedemander.

76Lelendemain.VialeReginaMargherita.Alessandrolesregardeetsecouelatête.— Je me serais attendu à tout, comme service, sauf à ça. Enrico et Pietro, amusés, marchent à côtéd’Alessandroenleprenantparlebras.—Pardon,hein,maistoitut’amusescommeunfou,tuesredevenuunjeunot,regarde…Pietroluimetunemainsurleventre.—Tuasperduaumoinsdeuxkiloset tu regardesmêmedespornos, commeon faisait àvingtans.Etnous?Nous,rien?Tuveuxnousteniràl’écart?AlessandroselibèredubrasdePietro.—Alors,primo, jen’aivuaucunpornoavecNiki.Secondo,vousm’avezcoincéenmedemandantunserviceque…AlessandroprendlavoixdeMarlonBrando.–…jenepeuxpasrefuser.Terzio.Etc’estpeut-êtreleplusimportant.Peut-êtrequevousavezoublié,maisentrevousetmoiilyaunepetitedifférence.Vousêtesmariés!Puis,s’adressantsurtoutàEnrico.—Lemariageestcommeunefleur.Ilfautlecontrôlerchaquejour,enprendresoin,l’arroser,lesuivreavecamour,l’alimenter…—Ah,là-dessusjesuisd’accordavectoi.Enricoacquiesce.—D’ailleurs,jevoudraisbiensavoirquandnousauronsuneréponse.—J’aicompris,maistun’attendsmêmepasdesavoirlavérité,tutecomportesdéjàcommesi!—Maisquelrapport,c’estunjeu,ça…Pietro,quinesaitrien,essayedecomprendrequelquechose.—Pardon,maisvouspourriezm’expliquer?Jenecomprendsrien.EnricoregardeAlessandro.—Eneffet,iln’yarienàcomprendre.Alessandrotentedecalmerlejeu.—Eneffet,riendutout…Pietro,net’inquiètepas…c’estunehistoireentrenous.Pietrohausselesépaules.—Commevousvoulez.Alessandros’arrêtedevantlerestaurant.—Alors,jevousaiexpliquélesrègles,hein…—Maisquellesrègles?C’estcommeduspeeddating.Onverrabiencommentçasepasse.—Pietro,maistuesconouquoi?Pourquituveuxmefairepasser?—Alaguerrecommeàlaguerre*.Pietrorentrelepremierdanslerestaurant.Unendroitblanc,transparent,quivientd’ouvrir.LePanda.—Maisregarde-moicesalaud.Ah,jen’auraisjamaisdûtenirmaparole.Allez,Enrico,onyva.Ecoute,sitoiaumoinstunem’aidespas,jem’énervepourdebon,sache-le…Enricosourit.—Tusaistrèsbienquejesuisvenuparjeu.Jepréféreraisêtreailleurs.—OK,allez,allonsvoircequefaitcecrétin.Pietroestdéjàaubar.IlaouvertunebouteilledeChampagneetenversedansdescoupes.—Regarde-moiça…

Alessandrotentedelerejoindre,maistroptard.Pietroadéjàdisparuaufonddelasalle.—Mevoici,jenepouvaispasmeprésenterlesmainsvides.EnricoetAlessandrolerejoignent.Pietrosedéplaceélégammentautourdelatable.—Tiens.Iltendunecoupe.—Voilà,prends-enune,toiaussi…Etmaintenant,ontrinque!ANikietsesamies!Nikilèvesacoupe.—Alors,voiciDiletta.—Salut!—Erica.—Enchantée.—Etenfin,Olly!Pietropasseunecoupeàcettedernière,quilegratified’unbeausourire.—Salut.—Salutàtoi.Pietrosetourne,enjoué,euphorique,imaginantcequipourraitsepasser.—Eteux,cesontmesamis.VoiciEnrico…Enricolèvelamain,unpeugêné.—Bonjour.—Lui,c’estAlex.Pietrosourit,puisregardeNiki.—L’uned’entrevousleconnaîtbien.Etmêmetropbien.Ellel’amêmefaitmaigrir.Lesautres,jenesaispas…NikidonneuncoupdecoudeàPietro.—Lesautresneleconnaîtrontjamaisaussibien.—Tuasraison…Pietrolèvesonverre.—Alors,trinquons.Al’amitié,qu’ellenesoitjamaistrahie.Touteslescoupesselèvent.—Etpuis,aucasoù,àcestrahisonsquirapprochentlesamis.Lesfillesseregardentsanscomprendre.Ollyhausselesépaules.—Bah,moiçam’al’aircool…EllecognesonverrecontreceluidePietro.Lesautresaussitrinquent.—Tchin-tchin!Unserveurs’approchedePietro.—Monsieur,latableestprête,commevousmel’avezdemandé.—Trèsbien.Pietro prend dans la poche de sa veste un billet de vingt euros et le lui passe par-derrière, la mainfermée,sanssefairevoirdesautres.—Mesdemoisellesetmessieurs,jevousenprie,notredéjeunernousattend…Ils le suivent dans une petite salle séparée, au fonddu restaurant.Niki s’approched’Alessandro et leprendparlebras.—Eh,trèsbonneidée,c’estmarrant!Tuestropmignon.Illuisouritetposesamainsurlasienne.

—Çateplaîtvraiment?Jepensaisquetuallaistetacher,quandjetel’aiproposé…—Maisnon,aucontraire.Çaveutdirequetuestranquille,quetuesbienavecmoi,quetumeprésentestesamis…—Oui,biensûr.—Etpuis, jesuiscontentequ’ils rencontrentmesamies,aussi.Aumoins,quandonferaundînerà lamaison,onpourratouslesinviter,onseraàl’aise.—Oui,biensûr…etc’estsurtoutlesfemmesdemesamisquiserontcontentes!—Oùestleproblème?Onlesinviteraaussi,non?—Avectesamies?Tusaiscequisepasserait?Nosdeuxcarabiniersviendraientnouschercherdanslesdécombres de l’immeuble, sans parler du voisin, qui nous tirerait dessus depuis sa terrasse dès qu’ilentendraitlescrisdanslamaison.—Tucrois?—J’espèrequeçafiniratrèstôt,aujourd’hui.—OK,etrappelle-toiquetumedoisunservice.—Jemerappelle.—C’estunserviceàl’aveuglette,hein?—Maismoij’ouvrirailesyeux!Alessandrosecouelatêteetvaverslatable.Ilfautquej’arrêted’accepterderendredesservicesaussifacilement.—Eh,venez,ilnemanqueplusquevous.Pietroindiqueunechaise.IlalaissédeuxplacescôteàcôtepourNikietAlessandro.—Bien.Alors ici, lacuisineestmerveilleuse,méditerranéenne.Copeauxde fromageaccompagnésdemielauxarômescomplexesoudefruits,qu’ilsmarientàdesassiettesdecharcuterie.Oubien,saladesd’orangesetdepoiresavecdesnoixetdesmorceauxdechateaubriand.Bref,toutcequipeutsuggéreretpousseràl’exotisme.C’estpourquoi,ilmesembleraitjustequecedînersoitoffertparceluioucellequil’afait,dernièrement,dansl’endroitleplusbizarre…PietroregardeAlessandro.—Jediraisquec’esttoi…Tuesd’accord,garçonauxjasmins?Alessandroenrestebouchebée.NikisetourneversErica.—Jen’ycroispas.Erica!—Ollyavaitvuqu’ondiscutait,etellem’ademandécequetum’avaisdit…Etalors,moi…Ollyouvrelesbras.—Maisqu’est-cequ’ilyademal?Pietrom’ajustedemandésijesavaisquelquechosedecroustillantsurvous!Jetrouvaisçamarrant!Etpuis,c’estunami,non?Alessandrosecouelatête,puisprendsacoupedeChampagne.—Oui,biensûr,etmêmeplusqu’unami,unfauxfrère!Etilvidesonverre.Dilettaregardeautourd’elle,unpeuperdue.—Maisqu’est-cequec’est,cettehistoiredegarçonauxjasmins?Alessandroprendlemenuetl’ouvre.—OK,OK,choisissezcequevousvoulezetmangeztantquevouspouvez.Jeseraiheureuxdepayer,tantqu’onparled’autrechose!PuisilsouritàNiki.—Chères,douces,fraîches…Ondessilencieuses!

Lerepassepoursuit,ilscommandent,rigolent,Alessandroetsesamisrevenantenarrièredansletemps,Niki et ses copines grandissant d’un coup. Et puis, tous au présent. Des mondes et des âges qui serencontrent.—Maisvous,vousallezenboîte?—Trèssouvent!—Menteurs!—OnestallésauGoapourl’anniversairedeGiorgia.—Oui,poursesquaranteans.—Unetristesse…—Oui,sespremiersetderniersquaranteans.Dilettaintervient.—Detoutefaçon,onpeutêtredéjàvieilleàdix-huitans.—Ah,moijeseraiencoreunepetitefilleàsoixante!ritOlly.—Etpuis,qu’est-cequeçaaàvoir,l’âge?L’âgenecomptepas…—C’est bien vrai. A cette table, nous en avons un bel exemple…Un couple parfait : le couple auxjasmins!—J’aiditquejepayaisseulementsionn’enparlaitplus!Etencore.Champagne.Platsraffinés,frais,carpacciodepoisson,saladeschaudesdelamer.—Mais,lemondedutravail,c’estcommeceluidulycée?—Tupassesaussidesexamens,maisladifférencec’estqu’ontepayepourça.—Cool.Aumoinsc’estrentable.—Oubienonterecale,tunerevienspasenseptembreetonarrêtedetepayer.—Dramatique…—Ehoui.—Moijevoudraisêtreplusgrandepouravoirdéjàunenfant.Pietrosourit.—ChèreDiletta,moiaussijedisaisça,etpuisj’enaieudeux.Etmaintenantjemetais.Cesonteuxquiparlent…Enricosoupire.—Moijen’enaipasencore,etçarestemonrêve…Dilettaleregardeetsourit.—Voilà,tuvois,ilyadeschosesquirestentbellesàn’importequelâge…Nikiémietteunmorceaudepain.—Oui,commel’amour.Pietrofinitsonverre.—Commelesexe!Ouplutôt,l’enviedelefaire!Etmême,c’estencoremieuxenvieillissant.Commelevin…Plusilvieillit,meilleurilest.—Oui,maisçacoûtetrèscher.—Labouteilledevinoulesexe?—Lesdeux,danscertainscas.Dilettamangeunpetitboutdepain,etenutiliseunautrepoursaucersonassiettedemoulespoivrées.—Quandmême,moijepensequ’ilfautchoisirunhommemûr.Pietrolèvelamain.—Voilà!Moijesuistrèsmûr!—Ettrèsmarié…

—C’estmieux,non?Tupeuxm’essayersansrisques.Jenet’opprimepasjenetestressepasjenepassepasmontempsàt’appelerpoursavoiroùtues,jenesuispasobsessionnel…Etpuis,siçasepassetrèsbienentrenous,ilyaaussiledivorce.Bref,tun’asquelesavantages.Jesuisl’hommeidéal.—Onvoitdéjàquetun’espasmûr,àtondiscours…Tunemeconvienspas,mêmeenfaisantabstractiondu fait que tu esmarié. On n’est pasmûr par son âge. C’est le comportement, qui compte.Moi, parexemple,ilyauntypequimecourtaprès,ilavingtansmaisilestplusmûrquevoustous.Nikilaregarde.—Maisqui,Filippo?—Oui…—Etpourquoitunesorspasaveclui,alors?—Jen’aipasenvied’ypenser,pourl’instant.Onn’estpaspressés…Ollymangeunemoule,puisselèchelesdoigts.—Moi je penseque ce type…Filippo… Il n’est pasmal,mais il a l’air toujours pareil, comment ils’habille,cequ’ildit…Ilestméthodique.PietroregardeEnrico.—AlaFlavio.—C’estqui?—Unamiànousméthodique.—Apropos.Ils’estremis,hiersoir.—Ah,bien.—Maisilneseremetpasdesavie,ilestdominéparsafemme,passifetsoussonemprise.—Lepauvre.Ollyrit.—Pourquoivousnel’avezpasamené?J’auraispeut-êtrepulesauver,moi!—Non,Olly,iln’apaslapermissiondesortir.—Dutravail?—Non,deprison.—Maisilestenprison?—Oui,laprisonCristina-Cœli.—Lepauvrepourdebon,alors.—Lepauvre,oui.C’estquelqu’unquigagnebienmaisquiinvestitmal.—Ilfautsavoirinvestirdanssonproprebonheur.Nikiposelatêtesurl’épauled’Alessandro.— Ligabue le dit. « Quels intérêts y aura-t-il pour la vie que tu ne dépenses pas ? » En effet, monAlessandron’apaseudedoutes.Dèsqu’ilm’avue,ilm’estrentrédedans!Ollysoupireetseverseàboire.—MonDieu,lafamilledesjasminsestdéjàdanslamièvrerie.Pauvresdenous.Notrebossperdudansunemerdemélasse.ViveleChampagneetlalibertéfaitedebulles,àlaVascoRossi!Pietrolaregarde.—Elleestsuperbe,cettechanson,moiaussijel’écoutais,àtonâge.Ilposesamainsurlasienne.Ollynelaretirepas.Enricos’enaperçoit.OllysouritàPietro.—Maispourquoi,tuasgrandi,depuis?!—Non!

Ilprendsacoupeetlacognecontrecelled’Olly.—Trinquonsaujeunehommedetrente-neufansleplusimmaturequeturencontrerasjamais…Illuisouritetluifaitunclind’œil.—Apropos…Ericalesregardetous.— J’ai lu un article sur Internet, il y a quelques jours. Ça disait que votre génération est celle des«middlescent».C’est-à-dire,vousvousbaladezenscooter,vousenvoyezdestextos,vousvoushabillezàlamode,vousparlezcommelesjeunes.Maisd’aprèsvous,pourquoivousvouscomportezcommeça?Enricoréfléchituninstant.—Acausedecetteinquiétudedefond.Dilettasourit.—CommedansPessoa!Enricoluisourit.—Oui,mais la nôtre est plus simple.Nous avons rêvé l’amour, nous l’avonspoursuivi, nous l’avonstrouvé, et puis nous l’avons perdu. Jour après jour, en pensant que le beau devait encore arriver, enattendant...etcommeça,nousavonslaissééchapperleprésent.Dilettaleregarde,dubitative.—Vraiment,ondevientcommeça?—Moijenesuispascommeça.EnricoregardeAlessandro.—Ah,tun’espascommeça?Peut-êtreparcequetun’aspasdescooter,parcequetunefaispastoutcequedisaitErica.Maisilyadesmillionsdegenscommetoi…—C’est-à-dire?—Quin’affrontentpaslavie.Desgensquinegrandissentpas.Letempspasse,ilstravaillentpourpenseràautrechose…etilsarriventàquaranteansensedemandantcommentc’estpossible.NikiseserrecontreAlessandro.—Moijeluiaipermisderetournersonsablier…EricaboitsapremièregorgéedeChampagne.—Jenesupportepasl’alcool,maisaujourd’huij’aidécidéd’êtresaoule.—Etpourquoi?—Giorgio,moncopain.Ilavingtansetilestdéjàcommeça.—Ehbien,plaque-le.—Jen’yarrivepas.Ilestgentil.—Aunmoment,turegarderastavie,tuterendrascomptedutempsquiapasséettutedemanderasoùtuaspassétoutcetemps.—AmoinsqueGiorgio,encomprenantquetuesentraindeteréveiller,netemetteenceinte!ditPietro,quivientderéapparaîtreaprèsunlongapartéavecOllyauboutdelatable.Enricorit.—Oui,exactementcommeCristinaafaitavecFlavio.Onnelevoitplusqu’aufoot,etilnevientmêmepasdîneravecnousaprès.Pietroselève.— Bah, moi ça me semble une analyse cruelle et impitoyable d’années qui ont quandmême eu leurcharme.Laculture,lesexpériences,lesvoyagesqu’onafaits.Etdonc…jem’envais!Aurevoir.Ollyselèveelleaussi,ets’approchedePietro.—Salut,lesfilles,ons’appelleplustard.Alessandrolesregardesortirdurestaurant,stupéfait.—Eh,maisoùvousallez?Puisilsourit,unpeuinquiet.

—Pietro…—Soistranquille,onvajustefaireuntoursursonscooter.Çafaitvingtansquejen’aipasconduitunscooter,quejen’aipassentileventsurmoi.Jeparsenvoituretouslesmatinsparcequej’accompagnema fille à l’école, et le soir quand on sort on prend encore la voiture parce que le scooter abîme lacoiffuredemafemme…Maisaujourd’hui j’aienvie !D’accord?J’ai ledroitdem’offrirun innocenttourdescooterdansmaville?Ouçatesembletrop?Etpuis,Ollyestmajeure,ellesaitsetenir,non?Cedisant,illaprendparlamainetvaverslasortie.Maisils’arrêteaubar.—Pardon,vouspourriezmefairel’addition,s’ilvousplaît?IlregardeintensémentOlly.—Ilsm’ontoffertcecadeau…c’estleminimumquejepuissefaire!Ollys’approchedubarenfaisantlagrimace.—Tusaiscommentjeconduisunscooter?—Non,maisjemel’imagine.Commej’imaginetoutlereste,d’ailleurs.—Jenecroispas…Ollysourit,malicieuse.–…Tunepeuxpasavoirautantd’imagination.L’espaced’uninstant,Pietrosesentànouveaujeune,avecunvaguemanquedeconfianceenlui.Ilnesaitpas bien quoi faire.Quoi dire. Il ne trouve pas de réponse toute prête, ironique, cynique.Mais il estexcité.Très.Plusexcitéquejamais.Ilpaieavecsacartedecrédit.Puisilprendlereçu,leglissedanssonportefeuilleetlaconduitverslasortieIIouvregalammentlaportedurestaurant.Illalaisserpasser.Dehors,danslarue,ilyapeudecirculation.—Jevaischercherlescooteretjereviens.Ollys’éloigneensedéhanchant,amusée,plusfemmequed’habitude.Pietrolaregardefixement.Puisilinspireprofondément.Ilsortunpaquetdecigarettesdelapochedesaveste.Ilenprendune.D.latordetla glisse dans bouche. Puis il l’aspire et la cigarette se redresse d’un coup. Il l’allume. Une boufféelongue,pleine,dontilprofitejusqu’aubout,goûtantàcemomentdelibertéimprovisée.Sanstemps,sansbut,sanshâte.Mêmelacigaretteameilleurgoûtqued’habitude.Ollyarrivesursonscooterets’arrêtedevantlui.Undeuxièmecasqueestposéentresespieds.Ellesepenchepourleprendre.Lentement.Puisellesourit.Unjeu.Unregard.Etcettemain,cecasqueentresesjambes.Etunautresourire,quidevientunepromesse.Mais,soudain,unevoix.—Pietro!C’esttoi!Ilmesemblaitbienavoirvutavoiture.Susannaetsesdeuxenfantssontdevantlui.Lorenzosourit,déjàpetithommeduhautdesesseptans.—Salut,papa!Carolinaaussiluiditbonjour,unpeuplusindécise.Maisc’estnormal,elleatreizeans.PietroembrasseSusannasurlabouche.—Salut!Quellesurprise!IlébouriffelescheveuxdeLorenzo.PuisilembrasseCarolinaqui,jeunerebelle,nelaissepassajouetraîner trop longtemps. Olly assiste à la scène sans dire un mot. Pietro se relève. Il a retrouvé saconfianceenlui.—Maisquellebonnesurprise…vraiment!PuisilsetourneversOlly.—Ah,oui,excusez-moi…Ilindiquelaroute.—Alors, je vous disais, toujours tout droit, au prochain feu à droite, puis encore tout droit, et vousarrivezViaVeneto.Ollydémarresonscooterets’éloigne,sansdiremerci.Pietrolaregardepartir,puisilsecouelatête.

—C’est incroyable !Ondirait que c’est ellequim’a rendu service.Tu indiques la route, et onne teremerciemêmepas.Lesjeunesd’aujourd’hui…Susannasourit.—Toiaussi,tuétaiscommeça,àl’époque…Non,d’ailleurs,tuétaispire!Quandonestjeune,c’estàlamoded’êtremalélevé.Tu te rappellesceque tu faisais?Tudemandaisunrenseignement,etquand tuavaisengroscomprislecheminturepartaissanslaisseràlapersonneletempsdefinirsonexplication…—Maisc’étaitilyadessiècles!Aufait,qu’est-cequevousfaitesici?—Onestallésvoirmamie.Masœurnousaaccompagnés,maiselleadûrepartirtôt,donconsebaladaitpourrentreràlamaison.Ettoi?Susannaindiquelerestaurant.—J’aidéjeunéavecEnricoetAlex.—Vraiment?Çafaitlongtempsquejen’aipasvuAlex.Jevaisentrerluidirebonjour.—Biensûr.MaisPietropenseàtoutelatablée.Etsurtoutauxtroisjeunesfilles,tropsemblablesàcellequivientdepartirsursonscooter.—Non,enfait,ilnevautmieuxpas,Susanna…Onadéjeunéensembleparcequ’ilvoulaitnousparler.Tu sais, il vamal, Elena lui manque… Et là, nous voir comme ça, bon, un couple, et puis Lorenzo,Carolina,nosenfants,toutelapetitefamille…toutcedontilrêvait…—Tuasraison.Jen’yavaispaspensé.Susannaluisourit.—Tuessuper.—Pourquoi?—Parcequetuessensible…—Oh,arrête.Allez,jevousraccompagneàlamaison!Allez,allez…Vite.Commeçaensuitejeretourneaubureau.Ilsmontenttousdanslavoiture.Pietrodémarre.Ollys’estarrêtéeaucoindelarue.Elleatoutsuivideloin.Ellerevientenarrière,garelescooteretretournedanslerestaurant.—Eh,regardezquivoilà!—Qu’est-cequis’estpassé?Vousvousêtesdéjàdisputés?Alessandro,inquiet,setourneversEnrico.—Iladûêtreunpeutropdirect.—Oui,ellevapeut-êtreporterplainte…Nikis’approched’Olly.—Alors?Onpeutsavoircequis’estpassé?—Ils’estsouvenuqu’ilestmarié.—C’est-à-dire?Qu’est-cequ’ilt’adit?—Rien.Ilm’aindiquélecheminpourallerViaVeneto.Àdroite,etpuistoujourstoutdroit.—Quelmufle.—Queltrouillard.Ilapréféréramenersafemmeetsesenfantschezeux.—Quoi?!Alessandro,quiatoutentendu,entombepresquedesachaise.—Susannaétaitdehors?Ollyfaitouiaveclatête.Enricoaussiblêmit.—MonDieu,imaginezsielleétaitentréeetqu’ellenousavaittrouvésici.Entraindedéjeuneravecdes

jeunesfillesdedix-septans.Dilettalèvelamain.—Moij’enaidéjàdix-huit.Je ne crois pas que ça aurait fait une grosse différence, pour Susanna. Ni pour ma femme. Si ellel’apprenait.Acemomentlà,leportabled’Alexsonne.Illeprenddanssaveste,regardel’écran,maisnereconnaîtpaslenuméro.—Allô?Oui,quiest-ce?…Ah,oui…biensûr…Oui,trèsbien,merci.Puisilraccrocheetremetletéléphonedanssapoche.IlregardeEnrico.—Cequetum’avaisdemandéestprêt.Jepeuxpasserleprendredemain.EnricoseverseunpeudeChampagne.Puisilleboitd’untrait.IlposesonverresurlatableetregardeAlessandro.HeureusementqueSusarman’estpasentréedanslerestaurant.Susannan’ariendécouvert.Ellenesaitencorerien.Demain,Enrico,lui,sauratout.Maistoutquoi?

77Unpeuplustard.Dansl’après-midi.Lesoleilentreparlafenêtredubureau.Alessandros’assieddanssonfauteuil.Demain,iliraseulretirercesphotos.Enricom’adonnél’argent.Ilnesesentpasdeveniravecmoi.Ilneveutpasaffronterleregarddecedétective.C’estvrai,ça.Commentl’auraitregardéTonyCosta?Aurait-ilsouri?Aurait-ilfaitcommesiderienn’était?Ilatoutvu,lui.Ilsaittout.Iln’apasdedoutes.Etsurtout,ilalesphotos.—Alex,Léoveuttevoirdanssonbureau.Lasecrétairepasseencoupdevent,etprendquelquesdossiersaupassage.—Tusaiscequ’ilveut?—Toi.Alessandroremetsaveste.Ilregardesamontre.Quinzeheurestrente.Bah,c’étaitundéjeunerdetravail.Oui,bon,detravail…j’avaisunedetteàpayer.Etmaintenant,j’enaiuneautreenversNiki,quiaamenésesamies.Peut-êtrequejenevaispasluidiretoutça.Leproblème,c’estque,commedisaitBenjaminFranklin,lescréanciersontunebienmeilleuremémoirequelesdébiteurs.Alessandrofrappeàlaporte.—Entrez.Lapiresurprisequipuisseluiarriverestconfortablementassisesurlecanapédesondirecteur.Ilauncaféàlamainetsourit.—Salut,Alex.—Salut,Marcello.Enuninstant,Alessandrocomprendtout.LesJaponais.Ilsontrépondu.Etçaneleurapasplu.Cequirevientàdire:Lugano.—Tuveuxuncafé,toiaussi?Alessandrosouritenessayantdeprendreunairdétendu.—Oui,merci.Ne jamais perdre le contrôle. Faire appel à des pensées positives. Il n’existe pas d’échecs, juste desoccasionsd’apprendrequelquechosedenouveau.—Mademoiselle,vousm’apportezunautrecafé?Avecunpeudelaitfroidàcôté.Leonardosouritetraccrochel’interphone.—Installe-toi…Alessandros’assiedconfortablement.Aumoins,ilserappellequejeleprendsavecdulait.Maispeut-être qu’il a oublié tousmes succès précédents. Sinon, pourquoi ilme remettrait face à ce copywriterirritantethypocrite?Leonardos’enfoncedanssonfauteuil.— Alors, je vous ai appelés parce que, malheureusement… Alessandro sent sa tête lui tournerlégèrement.–…lacompétitionestrouverte.Alex,tessplendidesidéesnesontpaspassées.Marcelloleregardeetluisourit,faussementdéçu.Onfrappeàlaporte.—Entrez!C’estlasecrétaireaveclecafé.Elleleposesurlatableetsort.Alessandioprendlegobeletetyverseunpeudelait.Maisavantdeboire,ilregardeLeonardod’unairsûrdelui.

—Jepeuxanmoinssavoirpourquoi?—Biensûr.Leonardos’appuiecontreledossierdesonfauteuil.—Ilsonttrouvéquec’étaitunexcellenttravail.Maischezeux,d’antresontdéjàfaitdesproduitsdanscegenre, un peu sur lemode de la fantaisie. Tu sais, le Japon est la patrie desmangas et des créaturesfantastiquesdéconnectéesdelaréalité.Etmalheureusement,cesproduitsn’ontpasbienmarché.Ilsontditquel’airn’estplusauxrêvesextrêmes.Ilesttempsderêverdefaçonnaturelle.Alessandrofinitsoncaféetleposesurlatable.—Rêvernaturel…Leonardoselèveetsemetàdéambulerdanslapièce.—Oui, nous avons besoin de rêves.Mais des rêves auxquels nous pouvons croire.Une fille sur unebalançoire accrochée aux nuages, ou bien qui fait du surf sur la vague et elle du ciel, c’est un rêveincroyable.Nousnepouvonspasycroire.Nousrefusonscetypederêve.Et,parconséquent,leproduit.Leonardoserassied.—Etpuis,qu’est-cequej’ypeux,moi…Ilssontjaponais…Inventez-leurunrêvequilesfasserêverenycroyant.Leonardoredevientsérieux.—Unmois.Vousavezunmoispourlefaire.Sinon,nousseronsdéfinitivementhors-jeu.Marcelloselèveducanapé.—Bien,alorsjecroisqu’iln’yapasdetempsàperdre.Jeretourneàmonstaff.Alessandroselèveetlesuit.Leonardolesraccompagneàlaporte.—Bon,ehbien,bontravail,mesenfants.Rêvezbien…etbeaucoup!Marcellos’arrêtesurlepasdelaporte.—CommedisaitPascolidansAlexandros,PœmiConviviali,en1904,«leRêveestl’ombreinfinieduVrai».Leonardo le regarde, satisfait.Alessandro feuillette ses livresmentauxencherchantquelquechosequifassedel’effetpourmarquerluiaussiunpoint.Vite,Alex.Vite.Pascoli,Pascoli,qu’est-cequ’iladit,Pascoli?«Celuiquiprieest saint,maisceluiqui faitencoreplus.»Quel rapport?«Lenouveaunes’inventepas:ilsedécouvre.»Unpeumieux.Maisbon,qu’est-cequejefais,jecitelamêmesourcequelui?Ilfaudraitunautrenom.OscarWilde,d’habitudeçafaitsoneffet.Maislà,laseulechosequimevienneentête,c’est…«Parfoisilvautmieuxsetaireetsemblerstupidequ’ouvrirlaboucheetôtertousles doutes. » Je ne dis rien… Et Leonardo me fixe. Ah, ça y est. J’y suis. Un choix étrange maiscourageux.Dumoinsjecrois.—Hum,oui,lesgrandsrêves,tusais,ennousnemeurentjamais.Commelesnuages,ilsreviennenttôtoutard,ettoidis-moiqueturapporterasaumoinsunrêve,danstesyeux.Leonardoluisourit.—Etquiestcepoète?Jenem’ensouvienspas…—C’estLauraPausini…Leonardoyréfléchitunpeu.Puissouritetluitapedansledos.—Voilà,bravo.Unrêvenational-populaire.C’estcequ’ilnousfaudrait…Etilfermelaporte,leslaissantseuls.Marcelloleregarde.

—Tu sais, c’est bizarre, jeme faisais à l’idée.Même si j’avais perdu, eh bien, j’avais l’impressiond’être plus proche de toi, en quelque sorte. Je ne sais pas… Voilà, j’ai compris cette phrase deFitzgerald:«Lesvainqueursappartiennentauxvaincus.»—Ah,oui?Ehbien,c’estavecplaisirquejet’auraislaissétaliberté…Marcellosourit.—Nous avons tellement de choses en commun, Alex, je te l’ai déjà dit. Etmaintenant, nous devonsrecommenceràrêverensemble…—Euh,pasensemble…L’uncontrel’autre.Etmoi…Jeseraitoncauchemar.Ah,aufait,necherchepas.C’estdeRambo.

78RioneMonti.Alexconduittranquillement.Petitesroutesétroites,grandsédificesdedifférentesépoques,crépisécaillésdevieillesboutiquesd’artisans.LaMercedespasseàcôtéduColysée,puisdesThermesetdesmarchés.L’AntiqueSubure.Nikialespiedssurletableaudebord.Alessandrolaregarde.Nikisoupire.—Ecoute,nemecassepaslespieds,c’estleminimum.Jesuisdéçue,amère.Quandjepensequemesidéesn’ontpaspluàcesJaponais.Jemesensincomprise.Jen’aipasencoremonbacitalien,etonmerecaledéjàenlanguesorientales!C’estuncontresens,non?—Amoi,cequimesemble levraicontresens,c’estque j’aipleindeproblèmesmaisque jesuis ici,avectoi.QuandilsarrivententreViaNazionale.ViaCavouretiFiori,Nikibaissesespieds.—Fais-moiconfiance!C’estunendroitsuper!Onvapeut-êtreavoirdesidéesetseremettreautravail.Allez,gare-toi,ilyauneplacelà.—Maisjenerentrepas.—Maissi,regarde.Niki descend et déplace un scooter. Elle le fait se balancer sur sa béquille, en tirant d’un côté et del’autre,jusqu’àledéplacersurlecôté.—Maintenant,turentres.Alessandrosegareavecdifficulté.Ilfinitpartoucheràl’arrière.Ildescendetregardelepare-chocs.—Allez,detoutefaçon,quandtulaferasréparer,tut’occuperasdeçaaussi.Onyva!Elleletireparlamainlelongd’unvieilescalier,dansl’obscuritéd’unepetiteéglise.—Maisoùonest?—Tun’as jamais entenduparler deTAZ?Le centre social ?Tout lemonde enparle, tu n’espas aucourant?Ilstraversentl’égliseetdébouchentsurunegrandecour.—Viens.Nikiletraînederrièreelle.Desjeunesgenscolorés,habillésavecoriginalité,despetitschapeaux,desblousonsvertmilitaire,dessweat-shirtslongsauxmanchesdéchirées,pendantes,desT-shirtsàmanchescourtessuperposésàd’autres,àmanches longues,despullsportésàmême lapeau,despiercings,deschaînes, des drôles de broches.Mode, inventions et fantaisie. Une odeur de viande grillée, quelquessaucissesquicuisentdansdegrandespoêles.Ungrilestprêtpourfairedorerunpeudepain.Unpanneauimproviséindiquedesprixtrèsbas.Unverredevin,unebière,unegrappafaitemaison.—Qu’est-cequetuprends?—UnCoca.—Allez,unpeudefantaisie!Ilsontdetout,ici!Unpetitsouffledeventapportedesodeursd’herbesetquelquesrireslointains.Alessandroreniflel’air.—Jelesens.—Bon,ehbien,moijevaisprendreunepartdegâteauxauxfruitsetunegrappa.—Etmoiunevodka.—Viens,ilsjouent.TusaisqueVinicioCaposselavienticidetempsentemps?

Prèsdupetitbarimprovisé,unebasse,uneguitareetunebatterie,quedesinstrumentsusés,improvisentun trucà laSonicYouth.Unjeunechanteurà lavoixrauquechantedansunmicroetseperchesur lesnotes,imitantvaguementThomYorkedesRadiohead.Maisilesttropmélodique,ilfaitplutôtpenseràMoby à ses débuts. Le bassiste, un rasta avec une chemise à carreaux, l’accompagne avec des petitschœurs.Deux filles dansent devant eux.Elles s’encastrent, s’effleurent, se défient presque à coups debassin.Nikibatlerythmeenmangeantsapartdegâteau.Puiselleprendunegorgéedegrappa.—Ouh,qu’est-cequ’elleestforte!Dupurdistillat!Elleposesonverresurunvieuxseau,toutprès.—C’estbien,ici,hein?C’étaituneécole…EtcesonttousdepotentielsconsommateursdeLaLune…—C’estvrai…—Ici, tupeux ramasser à lapelledes rêves en tousgenres, des rêvesquinemeurentpas, quoiqu’ilarrive.Peurs,espoirs,illusions,liberté.Lesrêvesnecoûtentrienetpersonnenepeutlesfaireévacuer…Alessandrosouritetboitsavodka.Puisilregardelesdeuxfilles.L’uned’ellesaunjeansurlequelsontdessinéesdegrandesfleurs,styleannéessoixante-dix.Ondiraitqu’ellessontfaitesàlamain.L’autreaun top léger, clair, noué sous la poitrine. Niki se nettoie les mains sur son pantalon, quand soudainquelqu’unlaprendparunbrasetlafaittournerdeforce.—Aie!Maisquic’est?—Qu’est-cequetufaisici?C’est Fabio. Il porte un petit chapeau demarin qui tombe sur son front.Unpantalon large, noir,KarlKani, tailleextra large,etunT-shirtdesport Industriecologicheavecécritdessus«FabioFobia».Etpuis,des«boots».UnparfaitMca.k.a.,masterofceremony.Derrièrelui,Cencio,lebreakerdugroupedeFabio,dansefrénétiquement,engagédansunecompétitiondeFreestyleavecunautre type,encriant«filsdelacontre-culture,sanspeur,sanspeur…».Fabioluiserrelecoudeplusfortetlatireverslui.—Alors,machèreBoo?—Maisqu’est-cequetuveux!Laisse-moi!Tumefaismal.—Etc’estqui,ceBarna?FabioregardeAlessandroquivientdeserendrecomptedecequisepassaitetquis’approche,sonverredevodkaàlamain.—Eh,maisqu’est-cequisepasse?—Qu’est-cequeçapeuttefoutre,Barna,hein?—Barna?Maisqu’est-cequeçaveutdire?—Çaveutdirequetunecomprendsrienetquetut’habillesmal.—Niki,çava,tuvasbien?MaisAlessandron’apasletempsdefinirsaquestion.FabiopousseNikicontreunmur.Puisilenvoiesonpoingdroit,leplusfortqu’ilpeut,danslamâchoired’Alessandroqui,assomméparlarageducoup,s’écrouleparterre.—Voilà,pose-la-toiàtoi-même,taquestion,etréponds-y,tantquet’yes…Connard!Cencioaassistéàlascène.—BravoB,bang,bang,bang!Et, se foutant de tout et de tous, il continue à danser comme un fou, complètement absorbé par sacompétitiondefreestyle.FabioFobiacracheparterreets’enva.Ildisparaîtaumilieud’autresjeunesquiaccourent,effrayés,en

voyantcetypeétendu.Nikilerejoint.Elles’agenouilleprèsdelui.—Alex,Alex,tuvasbien?Apportezdel’eau,vite!Nikiluidonnedepetitestapespourleréveiller.—Bougez,bougez,laissez-moivoir.Unjeunegarçonseglissedanslafouleets’agenouilleenfacedeNiki.Avecsonpouce,ilouvreunœilàAlex.Iltiresursapaupière.PuisilregardeNiki,l’airsérieux.—Ilatropfumé?Ilabu?Ilaprisuncachet?—Maisnon,unconnard luiamisunpaindans la figure!Quelqu’unarriveavecunverred’eau. Il lepasse àNiki quimouille la pointe de ses doigts. Elle éclabousse le visage d’Alessandro, qui revientdoucementàlui.—Voilà,ilvamieux.Merci.Lejeunegarçonsoupire.—Ouf,tantmieux.C’étaitmonpremierpatient.L’unedesdeuxfillesquidansaients’approche,curieuse.—Maispourquoi,tuesmédecin?—Ben,pasencore.Jesuisenquatrièmeannée.—Ah,parcequemoij’aitoujoursmalici,aubras,quandjeleplie.—Faisvoir.Etilss’éloignent,immergésdanslefuturdiagnosticd’uncasquipourraittoutaussibienêtresentimental.Alessandro prend appui sur ses coudes et secoue la tête pour retrouver sa lucidité. Il est encore toutretourné.—MonDieu,quelcoup…Ilsetouchelamâchoire.—Aïe.Çamefaitunmaldechien.Nikil’aideàserelever.—Ehoui.Cesalaudcognefort.—Maisquic’était?—Monex!—Ilnememanquaitplusqueça…Nikiluipasseunbrasautourdelataille.Ellelesoutienttandisqu’ilstraversentlafouledéjeunesgensdésormaistotalementindifférentsàcequis’estpassé.—J’aivraimentbienfaitdelequitter.—Ah, ça, c’est sûr.Moi, en revanche, jemedemande encore si j’ai bien fait dememettre avec toi.Depuisquejeteconnais,j’aidémolimavoiture,j’aiprisunetonnedePV,etmaintenantonvientdememettreunpain.—Regardeleboncôtédeschoses…—Toutdesuite,jenevoispas…—Nousétionsvenuschercherdesrêves.Ettoi,commed’habitude,tuasétélepluschanceux…Tuasvulesétoiles…—Haha, elle est bonne, celle-là…Tu sais que j’avais réussi à passer trente-six ans sans jamaismebattre?—Quellebarbe.Çatemanquait,cetteexpérience…Alessandrolaserreetmontrequ’ilsouffreencore.Peut-êtretrop.—Entoutcas,aprèstoutcequim’estarrivé,tuvastesentircoupableettuvasmetrouveruneautreidéegéniale,unrêvenaturelquimeferagagneraveclesJaponais.—Ça,tupeuxêtretranquille.

IlsarriventàlaMercedes.Nikiretiresonbras.—Enattendant,jeteramènecheztoi,jevaistesoignercommeilfaut.—Al’essencedejasmin?—Çaaussi.Nikisourit.—Jeconduis?—Oui,commeçaonvadirectementàl’hôpital.Biensûr!Alessandroluireprendlesclésetsemetàlaplaceduconducteur.Nikimonteàcôtédelui.Avantdedémarrer,illaregarde.—Ote-moid’undoute.Combiendetempstuesrestéeaveccetype?Nikisourit.—Troplongtemps,sansdoute.Mais,sijeteplaistantqueça,c’estaussidesafaute!Ilsdémarrent.Lanuitvientdecommencer,maisilrestebiendesrêvesàconsommer.

79Unaprès-midi,aprèsledéjeuner.Undecesaprès-miditranquilles,sanstropdecirculation,sanstropdebruit.Sanspréparatifspourunmatch.Mêmesi,enréalité,cetaprès-midiseratoutsauftranquille.—J’aidéjàprisunpaindetonex,explique-moipourquoijedevraisencoreprendredesrisques…—Maisiln’yaaucunrisque,Alex…Dumoins,jecrois!—Ahbon?Alors,dis-moicequeçachangequejelefasseounon.Nikisoupire.—Oh,maistucompliquestout,là!Tuasditquejepouvaistedemandern’importequoi,non?— Oui, mais je ne pensais pas que ce « n’importe quoi »… Niki se penche vers lui et l’embrassetendrement.Alessandroestunpeufuyant.—Tunem’achèteraspascommeça.—Moi,jet’airenduleserviced’emmenermesamiespourcedéjeuner.Etpuis,quiaparlédet’acheter?Jeteprendsenleasing.Situnemarchesplus,jet’échangecontreunnouveaumodèle.Alessandros’écarteetlaregardeenlevantunsourcil.—Pasmal,celle-là…sérieusement…Bref,jecourslerisqued’êtremisàlacasse?—Pourquoi,cen’estpasdéjàlecas?—Non…—Alorsoui,tucourscerisque,parcequejepourraismêmetoucheruneprime.—J’aicompris.Bon,j’yvais…Alessandrodescenddevoiture.Ilfaitletourets’approchedelavitre.—Aufait,dis-moi,ettacopinedessinatrice?—Olly?—Oui,oui.Elleytravaille?—Aquoi?Pardon,maissionn’apasd’idée,àpartirdequoituveuxqu’elledessine?Elleestbonneendessin,maispourcequiestdesidées,ellen’enaqu’une,uneidéefixe…—Sijecomprendsbien,monamiPietrol’aéchappébelle.—Tantmieux.Jecroisqueçaauraitétécompliquépourtoutlemonde.Bon,allez,vas-y.Nikiregardesamontre.—Ilsefaittard.—OK,jemedépêche.Alessandromarcheàgrandspaset,arrivéauboutdelarue,iltourneàdroite.Nikileregardes’éloigner,puisellemetunCD.Greatesthits.RobbieWilliams.Pistehuit.Etpasparhasard.Iwashershewasme,wewereonewewerefree,andifthere’ssomebodycallingmeon…Mince,j’adoreraisêtrelà-bas.Jenepeuxpasimaginercequivasepasser.Ellemonteunpeulevolume.Bah,aumoinsilsarrêterontdemeposertoutescesquestions.Puiselleessayedesedétendreunpeu.Et,naturellement,elleposesesdeuxpiedssurletableaudebord.Alessandroralentitunpeulepas.Jen’arrivepasàycroire.Qu’est-cequejesuisentraindefaire?J’aivraimentperdulatête.C’est-à-dire…Jevisunvraidrame,unnouveauxchoixdesJaponais.Ilsontdéjàrefusémespremiersprojets.Maintenant,jen’aiplusqu’uneseuleetdernièrechance.Etmoi,qu’est-cequejefais?Jenepassepaschaqueinstantdemaviejusqu’àl’échéancedansmonbureau,àchercherdesidées ?Non. Je l’emmènedéjeuner, elle, la fille aux jasmins,une superbe fillededix-sept ansque je

fréquentedepuisplusd’unmois,avecsestroisamies.Etmaintenant,enéchangedeceservice,qu’est-cequejefais?Lachoselaplusabsurdedemavie.Jen’ycroispas.Jenel’aimêmepasfaitauboutdedeuxansavecElena…MaisNikimel’ademandé.Alessandroestpresquearrivé.Non.Jenepeuxpas.Tantpis.Jenepeuxpas.Jemesensmalrienquequandj’ypense.—D’accord,Niki,jeferailaconnaissancedetesparents.—Merci!Commejesuisheureuse…Commeça,aumoins,ilsmelaisserontunpeupluslibredesortiravectoi.Amonavis, ilsvontplutôt lui interdiredéfinitivement.Alessandrolit lenomsurl’interphone.Cavalli.Argh!Al’aide!Non,jeretourneàlavoiture.Oui,etensuite?Qu’est-cequ’elledira,Niki?Voilà,jelesavais.Etçaseraittoi,l’hommemûr?Tuesplusgaminquemoi.Qu’est-cequeçapouvaittefaire,dediscuterunpeuavecmesparents.Moi,aveclestiens,jeleferaistoutdesuite.Bon,jepeuxtoujoursdirequ’ils n’ont pas répondu. Alessandro est encore planté devant l’interphone, quand un homme sort del’immeuble. Grand,musclé, bien habillé. Il porte une petite valise, croque une pomme et a l’air trèspressé.—Jelaisseouvert?—Oui,merci.Lemonsieurluitientlaportepourlelaisserpasser.Alessandroentredanslehall.Silence.Ilmonteaupremier étage, puis il lit sur une porte. «Appartement 2. Cavalli. »Voilà, c’est ici. Je ne peux plusm’échapper.Jedoislefaire.Ilapprochesondoigtdelasonnette,fermelesyeux…Etsonne.—J’arrive!Unevoixaiguëarrivedederrièrelaporte.—Mevoilà…Unebelle femme,uneépingleàcheveuxdans laboucheet lesmainsdans lescheveux,ouvre laporte.Ellesourit.—Excusez-moi,hein…Elleenlèvel’épingledesabouche,l’élargitenlatenantavecagilitéentresesdoigts,etselaglissedanslescheveux.—Voilà,c’estfait!Excusez-moiencore,maisilfaitdéjàchaud,etjemesensmieuxlescheveuxrelevés.—Bonjour…—Oh,jevousenprie,entrez.Malheureusement,monmariadûfiler.Simonalefaitentreretrefermelaportederrièrelui.—Vousl’avezpeut-êtrecroisé.Ilvientdesortir,ilétaitpressé.—Ah,oui…Alessandropenseàl’hommequ’ilacroiséenbas.Belhomme,grand,élégantetsurtout…baraqué.—Nousnoussommescroisés,maisj’aiàpeineeuletempsdelesaluer.—Iln’yapasdeproblème.Jesuisaucourantdetout.Vousvoulezuncafé?Jeviensd’enfaire.Maisjevousenprie,asseyez-vous.Alessandro jette un coup d’œil autour de lui. Un bel appartement, aux couleurs chaudes. Quelquestableauxminimalistes,desmeublesclairs,disposésdefaçonànepassuffoquerlesespaces.Ils’assiedsurlecanapédusalon.—Oui,volontiers,merci.Jesuisaucourant…Commentça,aucourant?Tropforte,Niki!Alorselleluiadit.Çavaêtrebeaucoup

plussimple.Ilsm’ontdéjàaccepté,enquelquesorte.Maintenant,ilsveulentsavoirquijesuis,oui,bon,quiestcetadultequisortavecleurfille.Simonarevientavecunplateauoùelleamisdeuxtassesdecaféetlesucrier.Ilyaaussideuxpetitschocolatsetunpotdelait.Elleposeletoutsurlatablebasse,devantAlessandro.—J’ail’airdistraite,commeça,maisj’aimesavoircequisepassedansnotrefamille.—Jecomprends.Alessandroprendsatasseetboit.—Vousleprenezsanssucre?—Oui,çaaplusdegoût.—Monmariditlamêmechose.Maisvousn’avezpasdemallette?—Non,jemesuispourainsidireenfuidubureau.Jen’aipasbeaucoupdetemps.C’estqueçamefaisaitplaisirdevousrencontrer.Nousn’avonspasencoreétéprésentéscommeilsedoit.Ilselève.—Enchanté,AlessandroBelli.Simonafaitunbeausourire.—Enchantée.Elle lui serre lamain. Elle est belle. CommeNiki. Deux femmes splendides, d’âges différents.MaisAlessandron’apasdedoutesurcellequ’ilpréfère.Simonas’assiedenfacedelui.—Amoiaussi, çame fait trèsplaisirdevous rencontrer.Enattendant, il y a certaineschosesque jevoudraisvousdire.Quipourraientêtreutiles.J’aitrente-neufans.J’aieumafilletrèsjeune,etjesuisheureusedel’avoir.Jetiensénormémentàmafille.Alessandrovoudraitdire«moiaussi»,maisilcomprendquecen’estpasdutoutlemoment.—Jecomprends.Ilsouritàsontour.—Etcommeonnesaitjamaiscequipeutsepasserdanslavie,jeveuxdelasécurité,pourmafille.—Biensûr,jevouscomprends.—Nikiestenterminaleetellenesaitpasbienquoifaireaprès.Etpourtant,ellealesidéestrèsclaires.—Bah,c’esttypiquedecetâge.Ilspeuventêtrerebelles,fairemillechoses,etd’uncoupdécidersansplusavoiraucundoute.Simonasourit.—Vousavezdesenfants?—Non.—Ah,dommage.Alessandroenrestesansvoix.Commentça,dommage?Cettefemmeestfantastique.Elleapprendquesafille sort avecunhommequi apratiquement sonâgeet elle trouvedommagequ’il n’ait pasd’enfants.Incroyable!—Maisquelâgevousavez?Çayest,jelesavais.Çasecorse.Bah,ilvautmieuxdirelavérité,detoutefaçonNikiluiapeut-êtredéjàdit.C’estunesortedetest.—Moi?Presquetrente-sept.Simonasourit.—Vousfaitesplusjeune.Alessandron’encroitpassesoreilles.C’estpassé.Etenplus,ellemefaitdescompliments!—Merci.

—C’est vrai…Mais vous savez, c’est bizarre que vous n’ayez pas d’enfants,Alessandro, parce quevousavezl’airdetrèsbienconnaîtrelesjeunes.Quoiqu’ilensoit,encequimeconcerne,jen’aiaucundoute.Çamefaitvraimentplaisirquelechoixsoittombésurvous.—Ahoui,çavousfaitplaisir?—Oui,monmarim’aracontévotreconversationtéléphonique.—Notreconversationtéléphonique?—Oui.Etjepensequevotrepropositionesttoutàfaitintéressante.Nousenavonsparlé,etnoussommesd’accord.NoussouhaitonsouvrircetteassuranceviepourNiki.—Ah…—Voussavez, je regrettequevousn’ayezpas les formulairesavecvous.Nous lesaurions remplisetsignéstoutdesuite.Nousvoudrionsymettrecinqmilleeurosparan.—Jecomprends…Simonaserendcomptequ’Alessandroal’airdéçu.—Qu’est-cequisepasse?Çavoussembletroppeu?Alessandrosereprendimmédiatement.—Non,non,çamesembletrèsbien.—Non,parceque,voussavez,pourl’instant,mafuieNikiestencoreunegamine.Ellepassesontempsdans son coin, avec ses amies, elle ne dépense pas grand-chose, mais quand elle aura une histoiresérieuse et importante, bon, après l’université, voilà, peut-être qu’elle aura envie demieux s’habiller,elledépenserapluspoursesvêtements.Etdonc,çamesembleuntrèsboninvestissement.—Biensûr…Bien,jevaistoutdesuiteavertirmonbureaudevotredécision.Alessandroselèveetvaverslaporte.—Vousrappellerezmonmari,detoutefaçon?—Biensûr…Simonasouritetluiserrelamain.—Merci,vousavezététrèsaimable.—Jevousenprie,cen’estrien.Alessandrosortenrefermantlaportederrièrelui.Ilsecouelatête,amusé.Cen’estpaspossible.Jen’ycroispas.Simonaestentraindedébarrasserleplateauaveclestassesquandsonportablesemetàsonner.Elleleprendsurlatable.C’estRoberto.—Salut,monamour.—Salut,Simo,écoute,jevoulaistedirequelepromoteurnepasserapas.Ilaeuunaccident.—Ah.Simonaestinterdite.Alors,quiétaitcejeunehommesympathiquedepresquetrente-septansquivientdesortirdechezmoi?Elleyréfléchituninstant.Ellepasse toutes leshypothèsesenrevue.Unesecondeplustard,elleécarquillelesyeux.Ellecomprend.Etellesecouelatête.—Simona?—Oui,monamour,jesuislà…—Jenet’entendaisplus.Qu’est-cequisepasse?—Alors,monamour,moij’aideuxnouvellesàt’annoncer.Unebonneetunemauvaise.—Commenceparlamauvaise.

—Alors…Tafillesortavecuntypequiavingtansdeplusqu’elle.—Maisqu’est-cequeturacontes?Commentc’estpossible?Çaalors,non!Robertoregardeautourdelui.Ilestentourédesescollèguesetilnes’estpasrenducomptequ’ilcriait.Ilreprendlecontrôle.—Ellevam’entendre,cesoir.Etlabonne?—Iln’estpasmal,cetype.Alessandromontedanslavoiture.Ilsoupire.—Pff…Niki,toutexcitée,luisautedessus.—Alors ?Comment ça s’est passé ?Qu’est-cequ’elle adit,maman?Allez, raconte !Déjà, si tu esrevenu,çaveutdirequeças’estbienpassé.Alessandrolaregarde,puissourit.—Iln’yavaitquetamère,etellevoulaitinvestirpourtoi…surmoi.—Bon,c’estbien!Elleavutonpotentiel!—Elleaplutôtvuunpromoteurfinancier.—Quoi?Qu’est-cequetuveuxdire?—Apparemment, ils attendaient un type pour investir de l’argent, et quand j’ai sonné elle a cru quec’étaitmoi…—Tropfort!Maistuasaussiréussiàleurextorquerunpeud’argent?Toutdoucement,turentresdanstesfraispourl’accidentdevoiture!Acerythme…ellevaseréparertouteseule,taMercedes.—Ha,ha…—Non, allez, sérieusement…Tu aurais pu lui dire que tu étais là pourmoi,mais comme promoteursentimental…—Jen’aipasréussi…Elleavaittellementconfianceencetteassuranceviequ’ellevoulaitouvrir…Elleauraitététropdéçue.—Tuveuxdirequemamèren’avraimentriencompris?Zut,maisellet’afaitentrercommeça,tuauraisaussibienpuêtreunvioleur.—Qu’est-cequej’ensais,moi.Ellem’aouvertlaporte,ellem’afaitentrer,jen’aipaseuletempsdemeprésenterqu’elleétaitdéjàentraindemeparlerdetoi,del’investissement,detoutesleschosesquetuvoudraspeut-êtrefaireunjour…J’aipenséqu’ilétaitpluspolidel’écouterquedel’interrompre.—Oui,bien sûr, tous lesprétextes sontbons.Bon.De toute façon, tôtou tard, je lui enparleraimoi-même.Elledittoujoursqu’ondoittoutseraconter,sanssefairedeproblèmes.—Elleditça?Ellemeplaît,tamère.—N’ypensemêmepas.— Allez. En tout cas, elle tient vraiment à toi. Quand elle parlait de toi, de ta vie, de ta façon det’habiller,detesamies,oui,bon,bref…elleavaitlesyeuxbrillants.—Oui,maisjeveuxvoircequ’ilenseraquandjeluiparleraidetoi…jemedemandelatêtequ’ellevafaire!Accompagne-moichezErica,please.Aujourd’hui,oncommenceàréviserleprogrammed’italienpourlebac.—OK.Alessandrodémarre.CorsoItalia,cinémaEuropa.Salaria.PuisNikiéclatederire.

—Jevoudraissurtoutvoirsimonpèreauralesyeuxbrillantsquandill’apprendra!Alessandro se rappelle cet homme élégant, grand, pressé et surtout… baraqué. Pendant un instant, ilvoudraitavoirunrapportdifférentaveccettefamille.Avoireuunautregenred’accident,parexemple.C’est-à-dire,dumêmegenre,maispasavecNiki.Bref,s’ildevaitànouveaufranchir leseuildecetteporte,ilvoudraitvraimentêtrepromoteurfinancier.—Voilà,arrête-toiici!Ons’appelleplustard?—Biensûr!—Tupenserasàmoientravaillant?—Biensûr.—Oui,maisturépondstoujoursbiensûr.Tuesenmodeautomatique!Amonavis,tunem’écoutesmêmepas.Etnemerépondspasbiensûr!—Biensûr…quejenerépondspasbiensûr.Allez,Niki,jeplaisante!J’aipasmaldechosesentête,c’esttout.Niki s’approche et l’embrasse doucement sur la bouche. Puis elle lui pose lesmains sur les tempes,commepourl’empêcherderegarderautourdelui.—Est-cequ’unjourjepasseraiavantlesJaponaisettouslesautres?Alessandroluisourit.—Biensûr!—OK,alors,bercéepar cedouxespoir, je te laissepartir.Alessandro lui sourit, repart et lui faitunsignedelamainparlafenêtreens’éloignant.Illavoitrétrécirdanslerétroviseur.Ilregardesamontre.Ilestpresquetroisheuresetdemie.J’aitoutjusteletempsd’arriveràl’heureàmonrendez-vous.Etdecomprendreenfin.Ensupposantqu’ilyaitquelquechoseàcomprendre.

80Desmaisons,desimmeublesauxmursabîmés,unpand’aqueducécroulé,etpuisunegrandeétenduedevert.Enhaut,entrelesarbresdusommet,unegrotte.Etencoredesmurs,quelquesaffichesarrachées,uneinscriptionfloue.Etencoreduvert,duvert,duvert.Etunevoituredéfoncée,bonnepourladécharge,riendeplus.Riendeplus.Mauroaccélère tantbienquemalsursonscooteretavance, sans lunettes.Sanscasque.Sansrien.Petiteslarmesauventetyeuxrouges.Samainaccélèretantqu’ellepeut,dansl’espoird’éloignercettejournée.Combiendegarçonsilyavait,àcecasting?Mille,deuxmille?Bah.Çaadurédesheures.Çanefinissaitplus.Touteunejournée,dumatinausoir,jusqu’àneufheures.Mauroregardesamontre.Non,jusqu’àneufheuresetquart.Justeunepetitebouteilled’eauetunsandwichpaindemieaujambonetartichauts,achetéaudistributeur.D’ailleurs,iln’yavaitpasbeaucoupdechoix:ça,oubiencesgâteauxquidonnentencoreplussoif.Etpuis,restersansbouger.Sansbouger,surcesbancsdurs,àattendresonnuméro.Unnuméro.Nousnesommesqu’unnuméro.LegrandVascodisait:«Noussommesseulement nous. »Mais nous qui ?Dans la salle, il y avait un type qui se baladait avec un appareilnumériqueetquinousprenaitenphoto.Ilsm’ontfaitentrer,unequestion,etc’esttout.Maisqu’est-cequetupeuxcomprendre,avecuneseulequestion?«Merci, trèsbien,nousvous feronssavoir.Nousvousappellerons.»Ilsm’appelleront.Etmaintenant?Maintenant,rien,jerentre,etjenevaispasquittermonportable des yeux. Je leur ai laissémes deux numéros.Aumoins, si c’est occupé à lamaison, il y al’autre.Lasemainedernière,j’aiattendutouteunejournéeàlamaison,etensuite?Ensuite,rien.Est-cequemavieseratoujourscommeça?Jepeuxdevenircélèbre.C’estundroitquenousavonstous.Ilsl’ontmêmeditàlatélé,cesoir,danscetalk-show.Ilsontmontréunextraitd’unvieuxfilm.«Chacundenousadroitàsonquartd’heuredegloire…»C’étaitcefauxblondquiledisait,cetypepetit,américain,celuiqui peignait des visages tous pareils, comme celui deMarilyn. Comment il s’appelait, Andy quelquechose… Bon, lui. Et moi ? Moi j’ai fait le casting du Loft et de tous les autres reality-shows quidémarrent.Untypem’amêmedemandécentcinquanteeurospourmetourneruneShworeel,«choril»,c’est comme ça qu’il a dit, une vidéo qui montre mes qualités. Il va la faire circuler, et moi çam’économisepleindedémarches.Ouais.Biensûr.J’ycrois.Mauro prend un virage serré pour retourner vers chez lui. Il se penche trop. Le scooter est un peudéséquilibré,maisilreportevitesonpoidsdel’autrecôtéetlèvesonpiedgauche,prêtàleposerparterre au cas où. LeKymco se stabilise, et il continue sa course vers chez lui. Tranquille. Ilmonte lagrandecôte.Quelquespoubellessontouvertes.Quelquesdétritusparterre.Unvieuxchauffe-eau.Sonpotd’échappement résonnesurcette routesolitaire.Mauro regardeàdroite.Un terrainabandonné,commeunepetitefuitelatérale.Ilsourit.Combiendefoisonyajoué,aveclescopainsduquartier,surceterrain.Parfois,jem’ysuisarrêtéaveclavoituredepapa,étapeobligéeavantderamenerPaolachezelle.Paola.Ilserappellequelquesmomentsdanslavoiture.Lamusiquedansl’autoradio.Lachaleurdelanuit.Lessiègesinconfortablesquigrincent.Lespiedssurletableaudebord.Lesvitresembuées.L’odeurdusexe.Unique.Splendide.Inimitable.Plustard,lesvitresbaissées,pourprendreunpeul’air.Unpeudefuméequisort.Souriresdanslapénombre.Etceparfumd’elle,d’elletoutentière,surlui.Paola.Ellenem’apasappelé,aujourd’hui.Etquandj’aiessayé,moi,sonportableétaitéteint.Peut-êtrequ’ilnecaptaitpas.Il ne trouvepasde réponse. Il prendundernier virage.Çay est, il est arrivé.En lavoyant, il sourit.Paola.Ellesouritaussi.Deloin,ellelèvelementon.Maurolaregardeens’approchant.Ilchercheencorecesourire.Maisiladisparu.Iladéjàdisparu.

81LaMercedesMI est arrêtée au bord de la route, sous un vieux lampadaire gris, écaillé par le temps,comme beaucoup des choses qui l’entourent. Alessandro traverse la route. Une poubelle brûlée sebalance, indéciseetbringuebalante, surunedesdeux rouesqui lui restent.Unchatbeigeclair,unpeupelé,fouilledansdessacsàmoitiéouverts,exploses,pleinsd’ordures,posésparterre.Unhabitantducoinquipensaitêtreunbonpivotadûlesjeterdesonbalconenessayantdeviserlapoubelle.Rienàfaire.Ilaratésoncoup.Maissonmatchétaitdéjàperdu,detoutefaçon.Alessandroprendl’ascenseur.Troisièmeétage.Leverredépoliavecl’inscription«TonyCosta»n’apasétéchangé.Ilestencorecassé.Alessandrosonne.—Entrez.Il ouvre lentement la porte qui grince. Comme la première fois, il est accueilli dans une atmosphèrechaleureusemaisunpeuvieillotte.Destapisélimés,uneplantejaunissante.Cettefois,lasecrétaireestassiseàsonbureau.Ellelèvelesyeuxuninstant,puiscontinueàselimerlesongles.TonyCostavientàsarencontre.—Bonsoir,Belli,jevousattendais.Jevousenprie,asseyez-vous.Vousvoulezuncafé?—Non,merci,jeviensd’enprendreun.—Moiaussi,maisj’aienviedem’enconcéderunautre.Adèle,tut’enoccupes?Lasecrétairesoupire,puisellelaissetombersalimeàonglessurlatable.Elleselève,disparaîtderrièrelaporteetvalepréparer.Alessandroregardeautourdelui.Rienn’achangé.Peut-êtrejustecetableau.Une peinture à l’huile, grande, gaie.Dans les tons bleu ciel, jaune et orange.C’est une femme sur laplage.Sesvêtementsdansentdanslevent,etelletientdanssesmainsungrandchapeaublanc.Toutecettecouleurnesemblepasàsaplacedanslagrisailleambiante.—Alors,Belli,commentvousallez?—Bien,toutvabien.TonyCostas’enfoncedanssonfauteuil.—Çamefaitplaisir.Vousêtesprêt?—Biensûr.Alessandrosourit.Puis ils’inquiète.Sanss’enrendrecompte, ilutilisece«biensûr»pour luiaussi.Est-cequ’ilyaunelogiqueàça?Maisilpréfèrenepasypenser.Ilprendl’argentdanssapoche.—Voicilesmillecinqcentseurosrestants.—Maisjenevousdemandaispassivousétiezprêtsàpayer.Jevousdemandaissivousétiezprêt…sivousêtestoujoursconvaincudevouloirsavoir.—Oui,monamiaencorecetteintention.TonyCostasourit.Puisilposesesdeuxmainssurlatablepours’aideràseleverdufauteuil.—Bien.Ilsetourneetouvreunmeubleàtiroirs,dontilsortundossierbleu.Dessus,ilestécrit«AffaireBelli».IllaposedevantAlessandro,puisserassied.—Voilà.Lasecrétairearriveaveclecafé.—Merci,Adèle.

—Derien.Elleretourneàsalimeàongles.TonyCostaouvreledossier.—Alors,voilà,surcettefeuille,ilyatouteslessorties,lesjournéesdefilature,lestrajets…Voyez,parexemple.27avril.ViadeiParioli.Epicier.Seizeheurestrente.Quandilyaunpetitrondbleuàcôté,çaveutdirequ’ilyaaussiunephoto.Ellesonttoutesunnuméro.Celle-ci,parexemple,c’estlanuméro…TonyCostaallongelecoupourliremieux.–…seize.Etdanscetteenveloppe,ilyalaphotocorrespondantàlarue,lejouretl’heure.Alessandroestsatisfaitdevantlaprécisiondutravail.Parfait.Clair.Impossibledesetromper.Cequ’onveutsavoir,onnepeutpasnepaslesavoir.—Tenez,voicivotreargent.TonyCostaprendlesbillets,lesregarde,puislesmetfinalementdansuntiroir.—Vousnelescomptezpas?—Iln’yapasbesoin.Dansnotremétier,laconfiancedespersonnesquinousconfientleurssecretsestpartagée.Alors,voicitouteslesphotos.Vousvoyez…Ilouvrel’enveloppeet leséparpillesurlebureau.Ondiraitdescartesàjouer.Bah,ilauraitpeut-êtremieuxvalunepass’asseoiràcette table.Cettepartieétaitpeut-êtredecellesqu’ilvautmieuxnepasjouer.Etpuis,cescartesn’ontqu’unseulpersonnage.Camilla.Camillaquimarche.Camillaquifaitlescourses.Camillaquientrechezlecoiffeur.Camillaenvoiture.Camillaquientredanssonimmeuble.—Commevousvoyez,Belli,cetravailaduréunmois.Etcesontlespremiersrésultats.Alessandrolesregardetoutes.Camillaesttoujoursseule,ouavecuneamie.Surdeuxoutroisphotos,elleestmêmeavecEnrico.Maisiln’yariendedangereux,decompromettant,desurprenant.Ilpousseungrandsoupirdesoulagement.—Bon,sionsefieàcesphotos,alors iln’yaaucunproblème.TonyCostasourit, ramasse toutes lesphotosetlesmetdansl’enveloppe.—Ça,c’étaitpourvousmontrerquejetravaillesérieusement.Jen’aipasvolél’argentquevousm’avezdonné.Puisilselèveetrouvrelemeubleàtiroirs.—Etpuis,ilyaça.TonyCostaposeunautredossiersurlatable.Ilestrouge.Alessandroleregarde.Dessus,ilyajusteécrit«Belli».TonyCostaserassied.Ilmetlamainsurledossieretleregarde.—Là-dedans,ilyad’autresfeuilles,d’autresjournées,d’autrestrajets.Etilyaaussid’autresphotos,cettefoisavecunpetitrondrouge.Oubien,iln’yaabsolumentrien…IlpousselentementledossierrougeversAlessandro.—Jevousenprie,prenez-le.Vousdéciderezvous-même…oumieux,votreami…decequevousvoulezsavoir.Alessandroprendlesdeuxdossiersetselève.—Merci,monsieurCosta,vousavezététrèsaimable.—Jevousenprie.Jevousraccompagne.Tony Costa le précède. Il ouvre la porte du bureau et va vers l’ascenseur. Il pousse le bouton pourl’appeler.—Excusez-moi,Belli,j’aimisunpeuplusdetempsqueprévu.

—Iln’yapasdeproblème.Vousavezfaitcequevousdeviez,non?Ilindiquelesdossiers.—Non,c’estquenousavonseuunepetitecrise…Il faitun signeendirectiond’Adèle,dans lebureau,assiseà la table, encoreoccupéepar sesongles.TonyCostatirelaportedubureauderrièrelui,sanslafermer,puiss’approched’Alessandro.—Elleditquejetravailletrop,qu’onneprendjamaisdetempspournous.AlorsnoussommespartisunesemaineauBrésil.Vousavezdûremarquerquenoussommesunpeubronzés…Pasvraiment,enfait,penseAlessandro.Entoutcas,partirauBrésilavecsasecrétaire…pasmal,d’êtredétectiveprivé.—Vousavezvulenouveautableau,danslebureau?Nousl’avonsachetéàBahiadelSol!—Ilestbeau.C’estunefemmeducoin,non?Elless’habillentcommeça.TonyCostasourit.—Oui.Adèleaussiavoulus’habillercommeça.Nousnoussommesbienamusés.Aufond,c’estunpeulevoyagedenocesquenousn’avonspasfaitilyavingtans.L’ascenseurarrive,lesportess’ouvrent.TonyCostatendlamainàAlessandro.—Noussommesmariésdepuislongtemps,etc’estnotrepremièrecrise…Maisnousl’avonsdépassée.—C’estbien.Çamefaitplaisir.TonyCostaluisourit.—Voussavez,Belli,çafaitdesannéesquejefaiscetravailetj’enaivudebelles…Maisenfait,j’aicomprisunechose.Quandonrencontreunefemmequivautlecoup…ilnefautpasperdredetemps.Illeregardedanslesyeuxetluiserrelamain.Puisilindiquelesdossiers.—Dites-leàvotreami.

82Paolamâcheunchewing-gum.Grossepoitrine,pasbesoindesilicone.Grande.Peut-êtreunpeutropdemaquillage.Peut-être.MaisMauron’yprêtepasattention.Elleestvraimentbelle.Ilarrêtelescooteretdescend.—Paola,quellesurprise.—Ilfautquejeteparle.Il n’y amême plus l’ombre d’un sourire. Il s’est enfui, comme un de ces corbeaux gênants et lourds,presqueétourdisd’avoirmangéquelquechoseauhasard.Cescorbeauxquetuvoisplongerenpleinvol,s’enfuird’unebranchesansraison.Maurolaregarde.Paolabaisselesyeux.Iln’yaplusrienàcomprendre.Ceregardbaissédittout.Plusque tous lesmots.Etpuis,cesilence.C’estcommeuncri.Mauro luimetunemainsous lementon, lesoulèveunpeu.—Dis-moi,Paola.Qu’est-cequisepasse?Elle se tait. Elle tourne la tête, se libère de cettemain. Elle ne peut pas. Elle n’a pas le courage derencontrerànouveaucesyeux.Puiselledécidedeselibérerdecepoids.Ellerelèvelesyeux,affronteceuxdeMauro,soutientsonregard,cettefois.Jusqu’aubout.—Jevoulaistedire…Maurobaisseunpeulespaupières.Commeprisparunraptus.Ilessayederegarderlà-bas,plusloin,aufond de ceux de Paola, encore plus au fond, dans ces yeux qui ont été son salut. Des yeux d’amour,d’éclats de rire, de passion.Quand elle les a fermés, la première fois qu’il l’a prise, quand elle lesrouvraitaprèscesbaisersfrais.Cesyeuxsontsidifférents,maintenant.Eteints.Qu’est-cequisecachederrière?—Qu’est-cequetuvoulaismedire?—Alors,jet’explique…Paolapousseungrandsoupir,tropgrand.Maurosesentsoudaincommeunchatnerveuxquiperçoitunemenace.Danger. Paola s’en rend compte…Alors elle fait un petit sourire. Peut-être pour rendre plusacceptablecequ’ellevaluidire.Commesicen’étaitplusunechosesiimportante,oudumoinsquelquechosedepassager,quiaunesolution.—Ilvautpeut-êtremieuxqu’onnesevoiepaspendantquelquetemps.Maurometlamaindevantsonvisage.Commeunparapluie.—Maisqu’est-cequeçaveutdire,ça?Paolarecule,elleapeur.Mauros’enrendcompte.—Qu’est-cequ’ilya?Pourquoituaspeur?Quoi,t’aspeurquejetefrappe?Ilparleplusdoucement.—Sit’aspeurquejelèvelamainsurtoi…alorsçaveutdirequ’ilyauneraisonpourquet’aiespeurqueçaseproduise…Paola baisse les yeux. Elle n’en peut plus. Combien de fois a-t-elle imaginé et répété cette scène ?Presquechaqueaprès-midi,depuisaumoinsunmois.Depuiscejour-là.Cecasting.Depuisqu’ellel’arencontré.Ellearépétécettescèneplusquen’importequelscénarioqu’elleaétudié.Mais,cettefois,çaneluiréussitpas.Ellen’estpasarrivéeaubout.Pascommeelleauraitvoulu.Commeelleavaitdécidé.Paolas’écroule.Aupointoùj’ensuis,autantqueMaurolesache.Adviennequepourra.

—Non, rien, Mauro… j’ai rencontré quelqu’un… et… Elle relève le visage, le regarde, essaye desourire.—C’est-à-dire…ilnes’estencorerienpassé,hein?Mauron’ycroitpas,ilnepeutpascroireàcequ’ilentend.—Encore?Commentça,ilnes’estencorerienpassé?—Si,jetejure,c’estvrai…Jen’airienfait.—J’aicompris,maisce«encore»,qu’est-cequeçaveutdire?Qu’est-cequidoitsepasser?Qu’est-cequivasepasser?Maurochanged’expression.Sestraitssetirent.Ilblêmit.—J’aicompris.C’estceréalisateurquit’adonnélafeuille,lafoisoùj’étaislà,pasvrai?Paolasourit.—Maisnon,luiilestgay.Puisellereprendsonsérieux,s’arrêteuninstant.— Non, c’est son directeur de la photo. Antonio. Paola sourit, heureuse, ouverte, satisfaite de sasincérité.—Oui,biensûr…Antonio.Pour toute réponse, il fait un drôle de sourire. Puis il envoie samain ouverte, grande, décidée, de ladroite vers la gauche. Boum. Une baffe en pleine figure. Qui la fait vaciller. La déplace, la secoue,l’étourdit, l’envoievalser.Paola se relève, émerge, abasourdie, entre sescheveux.Elle se les arrangecomme elle peut avec ses deuxmains. Elle les rassemble pour retrouver un peu la lumière. Et là, aumilieu, ses yeux apparaissent. Etonnés, surpris, effrayés. Et soudain, elle se couvre le visage. Parcequ’ellecomprendquecequiestentraindes’abattresurelle,c’est…l’ouraganMauro.—Salope,connasse,infâme,espècedebêteenchaleur.Voilàpourquoitonportableétaitéteinttoutelajournée.Il la frappe. Ses mains sont comme les ailes devenues folles d’un moulin à vent. Qui descendent,remontent, frappent. Jalousie etdouleur.Commeun tracteur sansconducteur,qui avanceenzigzaguant.Maisquinemoissonnerien.QuinebroiequelesmèchesblondesdelapauvrePaola.Coupsdepoing,tapes,gifles,encoreetencore.Paolaglisse,Mauroprendsonélanetestsurlepointdeluibalanceruncoup de pied dans le ventre, quand il est soudain tiré vers l’arrière. Il disparaît d’un coup, s’écrasecontreunmurtoutprès.—Çasuffit.Arrête,Mauro…Paola rouvre ses yeux déjà bien gonflés. Elle se reprend. Se relève doucement, endolorie, choquée,étourdiepartouscescoups.—J’vaislatuer,cettesalope,laisse-moi!Mauroessayedese libérer,donnedescoupsdepied,sautille,sebalanceenarrière.Maissonpère letient fort. Il leserrecontre luicommes’ilétaitenchaîné. Il lemaintient, immobile,avecsesbrasfortsd’ouvrierdechantier,aveclamêmefacilitéquequandilétaitenfant.—Arrête,Mauro.Calme-toi.EtPaolas’enfuit,trébuchantpresque,elleglisse,sedébatencoreunpeu,puisdisparaîtaucoindelarue.Uneportièreclaque.Unevoituredémarre.EtlaVolvopassedevanteuxencrissantdespneus.EmportantPaola.Emportantunehistoireetl’illusionqu’elleallaitdurerpourtoujours.Pèreetfilsrestentseulssurlapetiteplacedésoléed’unebanlieuetriste.

Renatolelâche,ouvrelesbraspourlelibérerdecetétauhumain.—Allez,Mauro,onvamonter,ledînerestprêt.Ilsortsesclésdesapocheetouvrelaporte,puisils’arrêteuninstantsurleseuil.Ilsetourneverssonfils.—Alors,tumontes?Tamèrenousattendpourmettrelespâtesàcuire.Mauroleregarde,leslarmesauxyeux.Ildémarresonscooter,montedessusets’éloignesurleschapeauxderoue,manquantdeglissersuruncaillou,avecsonpneuarrièretroplissepourcesroutes.—Maisoùtuvas,Mauro?Mauro!Nevapaschercherlesennuis!Elleenarienàfoutre,detoi!Sonpèrehurle,tentant,àsamanière,d’êtreunbonpère.Renatohurleetcourtderrièrecescooterquiseperddanslesderniersrayonsdusoleil.Poursuiteinutiledubonheur.

83Pourcertainsmomentsdelavie,labande-sonestencoreàinventer.C’estpourçaqu’Alessandro,toutenconduisant, fouille dans sesCD pour trouver le plus adapté. Il en sélectionne un.Big Fish. La bandeoriginaledufilm.EdwardBloometsonfilsWilliam.Parceque,parfois,deschosesquipeuventsemblerbizarres,desimpuretés,nesontautresquedesbeautésdifférentes,quenousnesavonspasaccepter.Dumoins,pasencore.Puisillevoit.IlsortdesaGolfnoire,regardeautourdelui,lecherche.Ilssesontdonnérendez-vousVialedelVignola.Làoùilsseretrouvaientpoursécherlescours,poursepasserlesdevoirsavantd’entrer,poursesauterdanslesbras,heureux,justeaprèslesrésultatsdubac.Reçus.J’aipenséquec’étaitleseulendroitquipuissenousrappelerdessouvenirs,nosracines…çafaitdubiendepenser aupassé,quand le futur faitpeur,penserque toutnepeutpasêtrebalayéparun simpleorage.Alessandroleregardemarcher.Enricoal’airabattu,ils’approchedelaMercedes.—Ilyaduvent,cesoir.Enrico monte dans la voiture et claque violemment la portière. Dans d’autres occasions, peut-êtrequ’Alessandroauraitfaitlagrimace.Maispascesoir.—Alors,écoute…—Non, Alex. Avant que tu ne dises quoi que ce soit. Je voudrais te remercier. Vraiment. Certaineschoses n’ont pas de prix. Elles sont difficiles à demander, elles peuvent faire fuir les gens.Voilà, çaauraitpuêtrelecas,maisavectoitoutal’airplusfacile.Tiens…Illuipasseuneenveloppe,fermée.—Là-dedans,ilyal’argentquetum’asavancé,etunpetitcadeaupourtoi.Alessandro le regarde, un peu embarrassé. Puis il ouvre l’enveloppe. Il y a un chèque, et aussi deuxbillets.—Mince,desplacespourleconcertdeGeorgeMichael!C’estintrouvable!—Oui,jelesaiellesparuncollègue.Safemmetravaillepourletourmanager,çan’apasétédifficile.J’aipenséàtoietàNiki.JemesuisditqueGeorgeMichaelpouvaitvousplaireàtouslesdeux.Oh,etpuisdetoutefaçon,tuyvasavecquituveux,hein?!Alessandroregardeànouveaulesbillets,puislesremetdansl’enveloppe.—Ilnefallaitpas.—Çamefaitplaisir.PuisEnricoreprendsonsérieux.—Alors,dis-moi,commentças’estpassé,qu’est-cequejedoissavoir?—J’aipréféréqu’ilnemediserien.Soudain, Enrico le regarde dans les yeux, comme s’il y cherchait désespérément les traces d’unmensonge.Puisilsedétend.Non,Alessandronesaitvraimentrien.Oualors,c’estunexcellentacteur.Alessandroattrapeundossieràl’arrière.Unseul.Lebleu.—Tiens,toutestlà-dedans.Enrico le prend et le touche, l’effleure, le caresse presque. Ce petit ruban bleu qui enferme tous sessecrets.IlregardeAlessandro.—Jepeux?—C’estàtoi,tuaspayépourça.Enricos’apprêteàdéfaireleruban.

—Attends!—Qu’est-cequ’ilya,Alex?—Tuessûrquetuneveuxpas l’ouvrir toutseul?Çateregarde,çavousregarde.Bref…tupréfèrespeut-êtrequejenesoispaslà.—Jenesaispascequejevaisytrouver.Doncjepréfèrequetusoisavecmoi.—OK,commetuveux.Alessandro le laisse faire.Enricoouvre lentement ledossier.Puis,avided’informations,devérité,demensonges dévoilés, il devient comme fou. Il se met à feuilleter les documents, à tout contrôler. Ilparcourt les dates, les rendez-vous, les jours, les horaires, les lieux. Et enfin les photos. Il ouvrel’enveloppe.Camilla.Camilla seule.Camillaavecuneamie.Camillaavec lui.Encoreavecuneamie.Puis seule, seule, seule.Seule et avec lui.Fin.Tout ça jusqu’à avant-hier.Enricopousseun soupir. Ilrefermeledossier.L’approchedesonvisage.Leserrefort,lerespirantpresque.Alessandroleregarde.—Eh…Enrico…tuterappelles?Jesuislà!Enricosereprend.—Oui,oui…toutvabien.—Alors?—Bien,toutvabien.Surchaquephoto,ilyavaittoutcequimemanquechaquejour,etriendeplusquecequejesuisheureuxd’avoir.Elleestinnocente.—Tuparlescommeunpersonnagedefilmpolicieraméricain…Elleestinnocente…Qu’est-cequeçaveutdire?Ellen’apersonned’autre,alors?—Elleesthonnête.Elleestsincère.Jesuisleseulhomme.Lereste,cesontsesamies,ettoutcequ’ellefaitpendantlajournée.—Alorstuessatisfait?Rassuré?Maistunetesenspasunpeusale…çanetegênepasdel’avoirfaitsuivre,d’avoircherchéuneconfirmation?Quandonaimequelqu’un,est-cequ’onnedevraitpasluifaireuneconfianceaveugle?Etsiquelqu’untrahitnotreconfiance,nevaut-ilpasmieuxl’apprendredefaçonnaturelle?Enricoleregarded’unairsérieux.—Toi,tun’aspasceproblème.Peut-êtrequetun’espasvraimentamoureuxdeNiki.Peut-êtrequetunel’étaispasnonplusvraimentd’Elena,situaspucloreavecautantdefacilitéunehistoirecommelavôtre.Tuvoulaisl’épouser,non?—Oui.—Etmaintenanttusorsavecunepetitejeune.Etsurtout,tun’asmêmepasl’airdésespéréqueçasoitfiniavecElena.Commeça,boum,c’estfini,point.—Tutetrompes,Enrico.Moij’aimel’amour.Labeautédel’amour.Lalibertédel’amour.J’aimel’idéequerienn’estdû,quel’amourdesautres,leurtemps,leurattentionsontdescadeauxqu’ilfautmériter,etnonpasauxquelsonpeutprétendre.Mêmesionn’estpasvraimentencouple.Onestensembleparchoix,paspardevoir.Oui,j’auraisvouluresteravecElenapourtoujours.Maiselleestpartie.Elleachoisidepartir.Etmaintenant,elleasansdoutequelqu’und’autre…Qu’est-cequejepeuxfaire,àpartcontinuerd’avancer?Etcontinueràl’aimerpourcequ’ellem’adonné,qu’ellem’afaitéprouver,maisquin’estplus?—Jecroisquesituavaisattendu,auHeudetemettretoutdesuiteavecNiki,elleseraitrevenue.—Enrico,çafaitplusdetroismois.Ellenem’apasappelé.Jamais.Enplusdetroismois.—Jerespecte tafaçondepenser,Alex,et jen’airiencontreNiki.J’espèrequetuserasheureuxavec

elle.Nem’accusepas,necritiquepasmespeurs.J’aimeCanulla.Maisj’aiaussibesoind’unsentimentdesécurité.EnricodescenddelaMercedes.—Salut,Alex,etencoremercipourtout.J’espèreneplusjamaisavoirbesoindetoipourquelquechosecommeça…Alessandrosourit.—Moiaussi!Ah,aufait,ledétectivem’aditdetedirequelquechose…Quandonrencontreunefemmequivautlecoup,ilnefautpasperdredetemps.Rentrecheztoi,Enrico.Enrico remonte dans la voiture et le serre dans ses bras. Puis il sort sans ajouter unmot. Il retournerapidementàsaGolf,maisavant,ils’arrêtedevantunepoubelle.Ill’ouvre,prendledossier,ledéchireenplusieursmorceauxetlejettededans.Puisilmontedanssavoiture.IlregardeAlessandrounedernièrefoisets’enva.Alessandroresteencoreunmoment.IlrallumelelecteurCD.IlselaissebercerparSandra’sThème,deDannyElfman,et se rappelle ladernièrescènedufilm, lasortiedescène, leplongeondans le fleuve.Alessandrobaissesavitre.Unventlégerparledéjàd’été,maistoutbas.Ilfermelesyeux,selaissealler.LesJaponais.Elena.Letravail.L’amour.Etpuis,l’imprévu.Lafilleauxjasmins.Niki.Cemanqueabsoludefiletdeprotection.L’excitationdemarchersurunfil,suspendu.Lerougeetlenoir.Unplongeonlàoùl’eauestplusbleue.Riendeplus.Maisest-cequ’ilyavraimentdel’eau,là-dessous?Alessandroouvre laboîteàgants.Le seconddossier, le rouge,est toujours là, fermé.Avec son rubanbienserré.Il leregarde.Qu’est-cequ’ilya,dedans?Rien?Tout?Alessandrodescendetvavers lapoubelle.Iljoueunpeuaveclerubanrouge.Puisilposeledossier,prendunbriquetdanssapocheetymetlefeu.Lesfeuillesseplientetbrûlentlentement.Depetitesflammescrépitent,tandisquedelafuméelégèremonteversleciel,lentement,endansantdanslevent,presqueamusée,emportanttouscessecrets.Savoirounepassavoir?Làestledilemme.Alessandro,artificierimprovisédelavied’unautre.PetitDieudequisaitquellevérité,grandeouinutile.Est-cequej’auraisdûluidonnerledeuxièmedossier?D’autres photos, d’autres secrets, peut-être de la douleur, de la trahison…Qui sait. En attendant, toutbrûle.Etcetteflammerailleuses’agitedanslevent,riantpresque,silencieuse.Commesiellelisait.Ellesait.Etelleemporteavecelletoutesolutionpossible.Ilneresterarien.Descendres.Sinonl’amour.Etl’amourpeutvraimentdonnerlesbonnesréponses.Alessandroprendsonportable,chercheunnuméro,appuiesurleboutonvert.—Oùtues?Oui,jesaisoùc’est.Jepasseteprendre.

84Madi,unejeunePhilippine,nettoiedespetitsobjetsposéssurlatablebasse,devantlescanapés.Laportes’ouvre.AlessandroentreenembrassantNiki.Avide,baisersavides.Derage,deconfusion,dedésir,defaim,de…—Madi?Maisqu’est-cequevousfaitesencoreici?—Monsieur,levendredijefaisjusqu’àvingtheures,vousvousrappelezpas?Vousetl’autredameditdevenirtroisfoisparsemaine.Lundi,mercredietvendredi.Aujourd’hui,vendredi.Madiregardesamontre.—Dix-neufheurestrente.Alessandrometunemaindanssapoche,ytrouvevingteurosetlestendàMadi.—Aujourd’hui,vacances.Toutdesuite,vacances,allez…Unepromenadeavecuneamie,untourdanslesmagasins,n’importequoi,maisouste.Il la pousse vers la porte de service, dans la cuisine, celle qui donne sur l’escalier de secours. Enpassant, Madi attrape sa veste et son sac accrochés dans la cuisine, puis se laisse gentiment mettredehors.Alessandrofermeleverrou,puisvaausalonetfermeaussilaporteprincipale.—Eh,maisoùtues?Dans le silence de lamaison,Alessandro chercheNiki, amusé.Elle a dû se cacher. Il ouvre la ported’unechambre.Puisdelasalledebains.Ilregardederrièreuncanapé,danslachambreàcoucher,souslatable.Maisunegrandearmoiremalreferméelatrahit.AlessandrometunCD,ensouriant.ConfessionsOnaDanceFloor.Puisilditàhautevoix.— Où est la fille aux jasmins ? Où a-t-elle bien pu se cacher ? Tout doucement, il s’approche del’armoire.Ensedéshabillant.Illaissetomberparterresachemise,sonpantalon.—Oùest-elle? Je sens sonparfum, j’entendssa respiration, soncœur, je sens sonenvie, sonsourireamusé…Alessandroestnu,maintenant. Il éteint les lumières et allumeunepetitebougie.Puis il seglissedansl’armoire.—Oùestleplusbeauvêtementquejepuissemettre?EtNiki rit, ensecouvrant labouchedesdeuxmains.Apeurée,excitée, surprise, incréduled’avoirétédécouverte.Etelleselaisseembrasser,déshabiller,avecfaim,avecrage,avecenvie,entrelesvêtementsquitombentdescintres,descostumeslégers,unis,quilacaressentcommedesfeuillesqui,parterre,fontcommeungrandmanteaumarbré.Gris, gris clair, gris foncé, bleu rayé, craie.Unmoment si doux. Ilsglissent presque sur les habits. Et Niki en jette d’autres par terre. Chemises, pulls, pantalons, uneconfusionexcitante.Alessandrolaserrecontrelui,rouleavecelle,senssesjambes,latouche,laserreetplonge là,danssoncou,et l’embrasseencore,baisersetpetitesmorsures,et jambes infinies.Saveurs,odeurs,soupirs,humeurs,fuites,retours…Unemerdéchaînée.—Non,non.S’ilteplaît,non…Puisunsourire.—Maisenfait,si.S’ilteplaît,oui,oui…Sa bouche, et ses doigts, encore. Et se perdre dans tous ses recoins, sans frontières, sans pudeur, enregardant,espionnant,résistant…Ens’abandonnant.Aprèslamarée.Epuisés,étendus,abattus,doux,aimants,consommésdanscesdraps,unpeuplusloin.

—Eh,maisqu’est-cequit’apris?Alessandroémergeentrelesplisdudrap.Ilsourit.—Quoi?Où?—Jevois,tun’espasencorerevenu.Tun’avaispasl’airtoi-même…Tuaimaisd’unefaçon…—D’unefaçon?—Sauvage,affamée.Peut-êtreunpeudésespérée,aussi.Maisbelle.C’estàcausedetaréuniondecetaprès-midi?—Plusoumoins!—Bon,alorspourunefois…vivelesréunions!Attends,jeveuxtemontrerquelquechose.—Aprèstoutcequej’aivu?—Idiot!—Ilyad’autresétoiles?Nikiselèveetallumel’ordinateurposésurlatable.—Aujourd’hui,pendantquejetravaillaischezErica,oncherchaituntrucsurInternet,etregardecequej’aitrouvé…Sondosnu,vudederrière,estmagnifique.Alessandros’approcheet lecaressedoucement. Ildescendlentementjusqu’àseshanchessouples.Ils’arrête.—Eh,commeçajenevaispastrouver…jefaisn’importequoi.Ah,voilà!www.ilfarodellisolablu. itRegardecetendroit,commec’estbeau!Alessandro s’assied à côté d’elle.Niki rit, amusée, heureuse, et voyage en rêvant à l’intérieur de cespages,quipendantuninstantn’ontplusriendevirtuel.—Tuvois, tupeuxdevenirgardiendephare!Imagine,cinqcentseuroset tupeuxresterunesemaine.Toutseul,àt’occuperdel’Ilebleue.Une séried’images s’affiche sur l’écran.Unepetite clairièreverteplongedansunemerbleue,unpeuplusbas.Puisdesfalaises.Puis,enhaut,aumilieudesroches,ungrandphareblanc.Quelquesvaguesquisebrisentcontrelesrochers.Unpanneau.Lesindicationspourunepromenade.Etunsentierquimonteverslephare,bordédeplantesgrassesetd’arbustesmarins,marquépartouslespasquiontvouluarriverjusque-là.—Tuvois,delàtucontrôleslesbateaux,leursroutesdanslescourantsdépendentdetoi.Tuéclairesleurvoyage,tueslephare…Nikis’appuiecontrelui.Complètementnue,chaude,douce.Alessandrolarespiretoutentière.—Demêmequetoituesunpharepourmoi.AlorsNikisourit,puisellesetourneet l’embrasse,aveccettebouchequiaencorelegoûtdel’amour,commeunepetitefillecapricieusequichercheunbaiseretestsûredeletrouver.Alessandroprendsonvisageentresesmainsetlaregardedanslesyeux.Etmillemotsdéfilentdansceregard.Silencieux,gais,romantiques,amoureux.Desmotscachés,desmotsquisecourentaprès,desmotsquisepoussentpoursortircommeunfleuvesouterrain,commel’écholointaind’unevalléeinconnue,commecegrimpeurquivient péniblement d’arriver au sommetd’unemontagne et là, seul, hurle tout sonbonheur auvent, auxnuagesquil’entourent.Nikibaisselesyeux,puisleregardeànouveau.—Àquoitupenses?Alessandroluisourit.—Arien.Excuse-moi,jesuisenpleinemer.Tuesmonphare.Net’éteinspas.

Aprèsunedouche.Aprèsunapéritifenpeignoir.Aprèsuntoursurlaterrasse,àparlerdetoutetderien.Aprèsquelquesautresbaisers.Aprèsquelquesblagues.Etuncri.Etunepetite coursepoursuite,pourjouer.Aprèsquelevoisinestànouveausortisursaterrassepourcontrôler.Aprèsqu’ilssesontcachés.Aprèsavoirri.Après.Voilà,aprèstoutça,Nikiafaim.Alessandrosourit.—Moiaussi.J’aiuneidée.Onvaaller…—Oùça?—Pasjusqu’aupharedel’Ilebleue,maisdansunendroittrèsmignon.Ils se préparent en vitesse, prennent la voiture et arrivent devant le restaurant Orient Express à SanLorenzo.—Jeneconnaissaispas!Maisc’estunevraielocomotive!Etonmangedansleswagons.Tropfort!Commenttuconnaisça,toi,hein?Elleleregardeavecsuspicion.—Est-cequeparhasardtunefréquenteraispasuneautrefillededix-septans,oubienuneunpeuplusvieille,quiadéjàpassésonbacetquin’arienàfairedesesjournées?—Maisnon.C’estSusanna,lafemmedePietro,elleaimebientrouverdenouveauxendroits,savoirtoutcequisepassedanslaville.—Ellemeplaît,cettefemme.D’ailleurs,j’aitrouvéPietrosympa,l’autrejour,audéjeuner.Alessandrosegareetdescend.—Bon…Alors.Pietro,tunel’asjamaisvu.—Maiscommentça,jenel’aijamaisvu?Tuesbête,ouquoi?D.nousamêmeinvitésàdéjeuner!Alessandroluiprendlamainetfrappedoucementcontresonfront.—Toctoc,ilyaquelqu’un?Nikisoupire.—Oui,ilyapleindegens.Dîners,fêtes,gaietéetpenséesjoyeuses.Quiest-cequetucherchais?Alessandrosourit.—JecherchaiscellequinedirajamaisàSusanna,lafemmedePietro,qu’elleleconnaît…—Ah…Nikisourit.—J’aicompris.Excuse-moi,celle-là,elleétaitsortiefaireuntour.—Bon,maintenantonentre,alorsfaisattention…—Pourquoi,ilyatesamis?—Biensûr,sinonpourquoijet’auraisdittoutça?Veinards,danstapetitetête,encoreentraindefairelafête,hein?!AlessandroindiqueànouveaulatêtedeNiki.—SaufquandtunousforcesàtravaillerpourlesJaponais!Allez,onentre.

85Robertoestausalon.Ilamisdelamusique.Ilverseduvinblancdansdeuxverres.Frais,duSoave,unvinblancsecdeVérone.Ilaenvied’êtreunpeuseulavecsafemme,del’embrasser,d’êtreromantique,etpuis,pourquoipas,plustard,deseperdreentrelesdraps.Çafaitlongtempsqueçan’estpasarrivé.Faireavancerunehistoired’amour,çanécessiteaussiunpeudetravailsentimental.Çaaide.Çasertdeliant.Robertosedétend.Luinonplus,iln’aimepasprendrededécisionsàlava-vite,danscedomaine.SiSimonaentendaitcespensées,çabarderaitpourlui.Pourelle,l’amour,c’estl’amour,unpointc’esttout.Amourparhasard,amournaturel,amourenvied’aimer.Unpeucommedanscefilm,FamilyMan,quandNicholasCageentredansunedimensionqu’iln’apasréellementvécue,cellequeDieu,unbeaujour,décidedeluifaireentrevoir:commentleschosesseseraientpasséess’ilavaitépousécettefemme,s’ilavaiteudesenfantsavecelle,s’ilavaittenuunepromessefaiteilyadesannées,si…touscessiqui,tropsouvent,nousgâchentlavie.SansavoirunbonDieuréalisateurquinousdonneuneréponse.JackCampbell,richehommed’affaires,vitdansunloftluxueux,apleindefemmesetrouleenFerrari.Maisunmatin,lejourdeNoël,ilseréveilledansleNewJerseyavecàsescôtésKate,safiancéedulycée.Ilvoitcequ’auraitpuêtresavie.Ettoutdoucementilcomprendqu’ilneseraitpeut-êtrepasdevenuaussirichequ’ilne l’estaujourd’hui, sûrementpas,maisqu’ilaurait sansaucundouteétéplusheureux.S’iln’étaitpaspartitravaillerdansuneautreville,enpromettantderevenir.Promessejamaistenue.EtalorsDieu,une foisn’estpascoutume, luidonne lapossibilitéde revenir enarrière,oumieux,d’avoiruneautreoccasiondenepasdécevoirKate,saKatedulycée.Robertoplaceuncoussinderrièrelui,toutenpensantàcefilm.Ilestsatisfait,tranquille,ilfermelesyeuxetsoupire.Unmomentdebonheurrare.Maisil se dit que le bonheur ne doit pas être un point d’arrivée,mais un style de vie.Qui disait ça ?UnJaponais. Ils sont forts,parfois,cesJaponais.Voilà,moi j’ajouteraisque lebonheurest lacapacitédesavoirquetoutcequ’onestentraindevivre,etmêmelesimplefaitdevivre,nenousestpasdû.Commeça,onpeutêtreheureuxtoutsimplement,sanstropdeprésomptions.Ilfermelesyeux.Maisc’estquoi,ces pensées ? La vie est simple, plus simple : c’est un bonbon, pas trop sucré, qu’on devrait laisserfondredanssabouche,doucement,sanslecroquer,enlesuçant.Commejevaisfaireavecmafemmetoutà l’heure.Moi, jene suispas Jack.Moi, j’ai tenumapromesse. J’arrivemêmeàbiengagnermavie.Qu’est-cequejepeuxavoirdeplus?Jepourraisnepasm’encontenter,maisbon…c’estça,lesecret…Lamusiques’arrêted’uncoup.Robertoouvrelesyeux.SimonaestdeboutprèsdulecteurCD.Sondoigtestencoresurleboutonpower.C’estellequiaéteint.Etpuis,encorepire,ellesourit.Ellefaitundecessouriresquisonttoutunprogramme.Roberton’aaucundoute.Illeconnaît,cesourire.Derrièrecelégermouvement des lèvres, derrière cette rangée de petites dents droites, se cache toujours une histoireinvraisemblable…Drame,abandon,erreur.Excuse-moi,mais j’airencontréquelqu’und’autre.Excuse-moi,mais jem’en vais. Excuse-moi,mais j’ai fait une bêtise. Excuse-moi,mais j’attends un enfant…Excuse-moi,j’attendsunenfant,maispasdetoi.Excuse-moi,maisjenesaisvraimentpascommentteledire. Excuse-moi, mais… bref, n’importe quel sujet, de n’importe quel genre, avec n’importe quelrésultat,maistoujoursavecuneuniquecertitude…CequeSimonavadirecommenceraparexcuse-moi,mais…Roberton’enpeutplusd’attendre.Ilprendappuisursesbras,reculesesfessesetsemetbiencontreledossierducanapé.—Qu’est-cequ’ilya,Simo,pourquoituaséteint?Tuasquelquechoseàmedire?—Pardonne-moi…Pardonne-moi.Mince,penseRoberto.Cen’estpasexcuse-moi…C’estpardonne-moi !Merde !ÇaJe

n’y avais pas pensé. Ça n’était encore jamais arrivé. Excuse-moi, mais… ce n’est rien, à côté depardonne-moi.Pardonne-moi,çaveuttoutdire.Merde,merde,merde.Qu’est-cequetuasfabriqué,monamour ? J’ai peur rien que d’y penser.OK,OK,mieux vaut rester calme.Ouvert.Confiant. J’ai lu lemanuel.Nepascroiserlesbras.Ouverture.Générosité.Écoute.Qu’est-cequis’estpassé,monamour?Gentillesse,gentillesse,gentillesse.Etmêmefausseté,siçapeutservir.Toutpourarriveràlavérité.—Dis-moitout,monamour,iln’yapasdeproblème,vraiment,c’estcommesijet’avaisdéjàpardonné.Robertoseforceàsourire.Simonalâchesescheveuxetvalentementverslefauteuilenfacedelui.Elles’assied,maislentement.Trop.—Maisnon, jedisaispardonne-moi, tuétaisentraindetedétendreavecdelamusiqueetmoi je l’aiéteintecommeça,sansteprévenir.—Cen’estpasgrave.Roberto pose ses mains près de ses genoux. De nouveau ce sourire… Ouverture. Gentillesse.Disponibilité.Acceptation.Tranquillité.Commedanslemanuel.—Dis-moi,qu’est-cequ’ilya?—Maisrien.Simonasouritetmetsesmainsentreses jambes,posées l’unesur l’autre.Ondiraitpresqueunepetiteprière.Robertolaregarded’unairinquiet.MonDieu.Mainsentrelesjambes,fermées,rapprochées.Quedisait lemanuel ? Jeneme rappellepas. Il plisse lesyeuxen tentantdevisualiser lapage. Il y avaitmêmeunephotodemains.Maiscommentellesétaient?Etpuis,ilyavaitaussilaphotod’unepersonne.Oui.MonDieu.SainteMarie.Mainsjointes.Signed’unerequêteextrême.Requêtedequelquechosequiestau-dessusdetout.Inhabituel.Parfoisimpossibleàréaliser,c’estpourçaqu’onunitlesmainscommepour une prière, parce que seul un saint peut dire oui. Attention, une requête va arriver. Roberto laregardeetsourit,impassible,enessayantd’êtreleplussaintpossible,celuiquiexaucerasonsouhait.Oudumoins,c’estcequ’ilessayedeluitransmettre,aveccesourire.—Dis-moi,machérie,quelestleproblème?—Jenepensepasqueçasoitunproblème.—Situmedisaisdequoiils’agit…Gentillesse,calme,ouverture,sérénité.–…Situm’endisaisunpeuplus,quejepuissecomprendreetjuger,moiaussi.Ilbougeunlivresurlatable,exactementcommedisait lemanuel,«avoir l’airdésintéressé,s’occuperd’autre chose pendant la prière, rendra la confession plus facile ». Roberto, en se rappelant le mot«confession»,fléchit.Lelivreglissesurlecôté,manquedetomber,maisilfaitcommesiderienn’était.Simona leregarde.Elleplisseunpeu lesyeux, l’étudiépourmieuxcomprendrecequ’ilenest.Est-cequ’ilestvraimentaussirelaxéetbiendisposéqu’ilenal’air?Ouest-cequ’ilfaitsemblant?—Alors?Robertosetourneetluisouritànouveau.Simonadécidedéjouersadernièrecarte.—Çanefaitrien,onpeutpeut-êtreenparlertranquillementdemain.Ducalme.Maisjesuiscalme,moi,trèscalme.—Làilesttard,tusais.Ellel’adit.Etmaintenant,Simonasaitbienqu’ilyadeuxpossibilités.SiRobertofaisaitsemblantd’êtredétendu,maintenantilvasemettreàcriercommeunfou,destrucsdugenre«maintenanttuvasmedire,tuascompris, tumecasseslescouillesavectouscespréliminaires»,oumêmepire.Oualors,s’ilestvraimenttranquille,alorsildirajuste«commetuveux»,«commetupréfères»,ouencore«faispourle

mieux,commetoujours».Robertoestsurprenant.Iln’estpasdétendu.Ilestplusqueça.—Jevoudraislesavoir,parcequejecroisquec’estquelquechosequinousconcernetouslesdeux,etparticulièrementtoi,parcequejetetrouvetendue…maissitupréfèresqu’onremetteçaàdemain,çavaaussi.Je te trouve tendue. Bien.Montrer qu’il s’inquiète pour elle, quelle que soit la requête, passe aprèsl’amouretl’importancequ’ondonneàl’autre.Cechapitren’étaitpasdanslemanuel.Robertoacompristouteslesrègles,maintenant.Etmême,Robertoestlui-mêmelemanuel,désormais.Simonasourit,bougeunpeuses jambeset finitpar les recroiser.MaispascommeSharonStone,non.Comme une petite fille. Et elle sourit toujours. Elle s’est détendue, maintenant, pense Roberto. Tantmieux.Ellefrotteunpeusesmains,joueavec,puislesposesursonventre,sereineetheureuse.Bien.Iln’yapasdeproblème.Robertoestvraimentdétendu,maintenant.Simonaluisourit.Jepeuxtoutluidire.—Aujourd’hui,jesuissortieavecNiki.Robertoprendunairtranquillepourl’encourageràcontinuer.—Ah,c’estça…pendantuninstant,j’aipenséque…Maisils’aperçoitduregarddesafemme,quis’aventureversuneplageprivée…–…queNikin’étaitpasàRome.C’estbizarre,jemedemandepourquoi.Simonasedétendànouveau.Robertotentederattraperlecoup.Ilprendsonlivremaisnel’ouvrepas,parpolitesse.Etpourmontrerqu’ilestattentifàl’autreetàcequ’ellevadire.Pagetrentedumanuel.Ilveut lui faire comprendre que quoi qu’elle dise, ensuite il lira son roman. Tranquillement. Aucunenouvellenepourraledéranger.Illuisourit.—Ons’estamusées…etonaparlé.-Ah.Roberto joueavec le livre,mais l’attente leconsume. Ilvoudrait lancerce livre,oumêmeprendrecemanuelquil’obligeàfairetoutecettepsychologieetledéchirerenmillemorceaux.Simona,levoyantsitranquille,luienconcèdeunpeuplus.—Nousavonsparléd’elle,desonhistoired’amour.-Ah.Jusqu’ici,riendemal,penseRoberto.Maisalors,qu’est-cequ’ilya?Qu’est-cequis’estpassé?Ilyaquelquechose?Ducalme,ducalme.Ilfautavoirdutact.— Écoute, Simona, c’est toi qui me l’as dit. Tu sais quelle aurait été ma manière d’affronter ceproblème…—Ettuasététrèsfort.—Mêmes’ilmesembleabsurdequequelqu’unsoitvenucheznous,quetuaiesparléaveclui,quecequelqu’unn’aiespasétélepromoteurquenousattendions,etsurtoutilmesembleabsurdequemaintenantonfassetouslestroiscommesiderienn’était,quenousn’abordionspaslesujet…—Monamour,enfamilleonsecomportetropsouventcommeça,çat’estarrivédanslatiennequandtuétaispetit,oudanslamienne…Onacceptedeschosesensilence,onfaitsemblantderienpourpouvoirvivreenpaix…Nousavonsdécidédenepaslaprendreenotagesinon,enbonnerebellequ’elleest,elleseseraitencoreplusbattuecontretoutettoutlemondepourresteraveccetypequiavingtansdeplusqu’elle.—Rienqu’àt’entendre,jemesensmal,tunepeuxpassavoir…Jecroisquejenevaispasfermerl’œildelanuit.Nem’yfaispaspenser…Etalors,qu’est-cequis’estpassé?Elles’estremiseavecl’autre?Celuid’avant?Lechanteurloser?

—Roberto!Non,çanon,quoiqu’ilensoit.Ah,alorscen’estpasçanonplus.—Elles’estmiseavecunautre?Robertolaregardeetouvrelesbras.— Allez, mon amour, c’est normal, ça arrive à son âge, on se quitte, on se remet ensemble. Tu terappelles,toi,avantdemeconnaître…—Oui,jem’amusaisbien.—Tumens.Tut’ennuyais.Etpuistum’asrencontréettuasconnulevraiamour.Voilà,tuvois,peut-êtrequeNikiaussiconnaîtral’amour,tôtoutard.Rappelle-toi,monamour,qu’ellen’aquedix-septans.—Oh,ça,jesais.Jenel’oubliepas.—Moi,jen’arrivepasàoublierquesonnouveaupetitamiapresquetrente-septans.—Enfait,quandonestsorties,ellem’aditqu’elleétaitavecquelqu’und’unpeuplusâgéqu’elle,maiselleafaitsemblantdenepassavoirquejesavais,ellen’apaseulecouragedemedirequ’ilavingtansdeplusqu’elle!—Maisc’estnormal…Tuessamère,etc’estdéjàbienqu’elleneniepastoutenbloc…—Ah,tuladéfends,enplus…Alorssachequ’elleaétéallusivesurl’âgemaisqu’ellem’aditquec’estl’hommedesavie,quesesintentionssonttrèssérieuses…—MonDieu…Elleestenceinte.—Maisnon…Elleestjusteamoureuse…—Maispeut-êtrequecesvingtansd’écartvontpeser,àunmoment,ilouellevaserendrecompte…etçaluipassera…—Tuescynique…Maisjecroisquec’estplussérieuxquecequ’onpensait…—Pourquoi?—Onest allées fairedu shopping, je lui avais dit qu’ellepouvait s’acheter quelque chose, ouverturemaximalepourlafaireparler…—Etalors?—Ellen’arienvouluacheter.—MonDieu…Alorsonestdansdebeauxdraps.

86PietroetSusanna,FlavioetCristina,EnricoetCamillasontdansledernierwagondel’OrientExpress.CamillasouritenvoyantAlessandroarriverdeloin.—Ah,Alexestarrivé!—Oùça?—Là-bas,aufond…Susannaregardemieux.—Maisqu’est-cequisepasse,ils’estremisavecElena?—Non…Camillaluidonneuncoupdecoude.–…cen’estpasElena,aveclui…—Etquic’est?Cristinaprendunegorgéedevin.—Vousêtesaveugles,ouquoi,vousnevoyezpasquecettefuieavingtansdemoinsqu’Elena…etquenous.Enrico sourit et mange un morceau de pain. Pietro déglutit, inquiet de ce qui pourrait se passer.AlessandroetNikis’approchentdelatable.—Ah,vousvoilà,onnevousvoyaitpas.Elle,c’estNiki.—Enchantée!Nikiserred’abordlamainàCamilla,puisàSusanna,àCristina,etenfuiauxhommes.—EtvoiciEnrico,Flavio…Pietroestdeplusenplusinquiet.Ilessayed’évitersonregard.—EtmoijesuisPietro,enchanté.Nikifaitsemblantderien.—Salut,enchantée,Niki!Alessandroavisedeuxplaceslibres.—Ons’assiedici?—Biensûr.Alessandros’assiedàcôtédePietroetlaisseNikienboutdetable.—Jevaismelaverlesmains,vousm’excusez?Alessandro,quis’étaitdéjàassis,serelèvepuissouritàNikiquis’éloigne.Cristinalaregarde.—Jolie,cettefille,trèsjolie.ElleregardeAlessandro.—Merci.—Commenttul’asrencontrée?—Unaccidentdevoiture.—Vraiment?Camillasourit.—Quelledrôledecoïncidence.Enricoetmoi,ons’estrencontrésparcequejen’avaisplusd’essencedansmonscooter,etluiilm’agentimentaidée.—Oui,maisàl’époquevousallieztouslesdeuxaulycée,souritCristina.Cejour-là,Nikiauraitpulesuivreenpoussette…Alessandrodépliesaservietteetsourit.—Non,enfaitjecroisqu’elleétaitencoreundouxrêvepoursesparents.

—Quoi?Camillaouvrelabouche.—MaisEnricoetmoions’estconnusilyavingtans…—C’estbiença,elleestarrivéetroisansplustard.Susannacomptesursesdoigts…–…Elleadix-septans?Pietrointervient.—Vousvoyez?Mafemmesaittenirlescomptes,àpartceuxdelamaison.CristinaregardeAlessandro,unpeutendue.—Etqu’est-cequeçaveutdire?Quedetempsentempstuvassortiravecelleetsescopines,etquetuemmènerasaussitesamis,c’est-à-direnosmaris?AlessandroessayedenepasregarderEnricoetPietro.—Maisnon,quelrapport.Onsevoit,cetout.Jenesaispascommentçavaévoluer.Jepensequ’iln’yapasdequois’inquiéter...Camillaleregarde,désolée.—Çaveutdireque tu saisdéjàqueçanevapasdurer?Alors tuesvraimentunsalaud.Ellea l’airsolaire,ouverte,peut-êtrequ’elleycroit.Ellelevivratrèsmal.—Maisnon,jevoulaisjustedirequecen’estpaslapeinedevousinquiéterpourmesamis,c’est-à-direvosmaris.Alessandrosentsonportablevibrerdanssapoche.Unmessage.C’estNiki.«Alors,commenttut’ensorsaveclarafaledequestions?Tusurvis?Jereviens,oujet’attendsauxtoilettesetons’enfuit?»Alessandrosouritetrépondleplusvitequ’ilpeut.«Tonpharelesaaveuglés.Reviens,toutvabien.»PuisilremetleMotoroladanssapoche.—Excusez-moi.Ecoutez, jenesaispasquelsétaientvosrapportsavecElena.Maintenant, ilyaNiki.J’aimeraisseulementquevousfassiezsaconnaissance.Etpuis,commeonestamis,peut-êtrequ’onenparlera.Ons’esttoujourstoutdit,non?Justeàcemoment-là,Nikiapparaîtauboutducouloir.Cristinabaisselatêtepournepassefairevoir.—Lavoilà,ellerevient.Susannasourit.—Çame fait plaisir de la rencontrer.Mais tu sais à quoi je pense…quema fille a treize ans.Dansquatreans,ellepourraitnousrameneruntypecommetoi…—Etalors?—Rien,jemedisquec’estidéal,cedîner,aumoinsjemepréparepsychologiquementpourl’événement,quandçaseraletourdemafille!Toutlemondeéclatederire,justeaumomentoùNikirevientàtable.—Eh,qu’est-cequisepasse?Dequoivousparliez?—Detoi,ditAlessandro.Ontefaisaitpleindecompliments.Ilsontdécidédetousretourneraulycée,sic’estl’effetqueçafait!Nikis’assied.—L’effetpeutêtrebon,maisvousnepouvezpassavoircommeleprofd’éducationphysiqueestsévère!Toutlemondecontinueàrire.Alessandrometlamainsouslanappeetluiserrelajambe,pourluidonnerconfiance.Nikiluisourit.—Messieursdames,excusez-moi,maisvousavezchoisi,vousvoulezcommander?Unserveurhabilléenchefdetrains’estmatérialisédevanteux.

—Oui,biensûr…qu’est-cequec’est,lespâtestchou-tchou?Leserveurexpliquedifférentsplats.Quelqu’uncommandedel’eauminérale.—Apportezunebouteilled’eauplateetuned’eaugazeuse.—Vouspouvezaussiapporterdupainchaudpouraccompagnerleshors-d’œuvre?—EtunbonShirazpourarroserletout.—Pourmoi,justeunesaladeverte.Parceque,onnepeutrienyfaire,ilyatoujoursquelqu’unaurégime.Oudumoins,quiessaye,devantlesautres.Etpuis,ilyaaussiceluiquiveuttenterlesplatsinsolites.—Qu’est-cequec’est,lesfromagesfantaisie?—Desfromagesaccompagnésdedifférentsmiels,selonlessaveurs.—Parfait,jeprendsça.La soirée se poursuit, lente, douce-amère, savoureuse. Des pâtes, suivies de drôles de mélanges depoissonetdelégumes.—Cesbrocolisauxcrevettessontdélicieux.Quelqu’unveutgoûter?Finalement,ladifférenced’âgen’estpassiimportante,devantunbondîner.—Pendantqu’onattendlasuite,onvafumerunecigarettedehors,çavousdit?—OK,alorsd’abordonsortentrehommes.—Mufles!—Maisvousvousn’êtesquedeuxàfumer!—Muflesquandmême!Pietro, Enrico, Alessandro et Flavio sortent du restaurant. L’un d’eux s’assied sur un banc, un autres’appuiecontreunmur.—Tuasunecigarette?demandePietro.Flavioluienoffreune.Pietrol’allume,tireunebouffée,puiscommenceàparler.—Quelletrouille,quandjevousaivusentrer.Jemesuisdit,siellemesalue,çavachauffer.QuiauraitpufairecroireàSusannaquejel’airencontréeparhasard…Enricojettesacendreparterre.—Eneffet,çanes’estpaspassécommeça.Flavioestcurieux.—Pourquoi,commentças’estpassé?—Maisrien,intervientAlessandro,onestallésdéjeunerunjouravecNikietsesamies.PietrodonneuncoupdecoudeàFlavio.—Tusais,lejouroùont’aappelémaistun’espasvenu,commed’habitude.—Tantmieux!Vousêtesfous.Alex,tum’impressionnes.Maisimaginequenosfemmesl’apprennentparhasard,qu’est-cequ’ellespenseront?Tucomprendsbienqu’ellesnenousferontplusjamaisconfiance…Ellesnenouslaisseraientplussortiravectoi.Mêmes’ilnes’estrienpassé…Alessandroacquiesce.—EtpensequePietroétaitsurlepointd’allerfaireuntourdescooteravecOlly,uneamiedeNiki,etqu’ilarencontréSusanna!—Non!—Si!

—Etqu’est-cequ’iladit?—Bah,jenesaispastrop,quec’étaitunefillequiluiavaitdemandéunrenseignementdanslarue…Flaviolesregarde.—Ecoutez,moijeneveuxpasdeproblèmes.Iljettesacigaretteetretourneàl’intérieur.Pietroluicrie:—Maisquelsproblèmes?C’estlavie,Flavio,lavie!Maisilestdéjàrentré,ilnel’entendpas.—Mais vous vous rendez compte ? Flavio est fini, lobotomisé.De temps en temps on a le droit derespirerunpeusanssafemme,mince!Bon,d’accord,moi j’exagère,parfois,mais lui ilexagèredansl’autresens.PuisPietroregardeEnrico.—Voilà, il faudraitunéquilibrecommelevôtre!CommetoietCamilla.Vousêtesheureux,vousêteslibres,sansoppression,phobiesoucontrôlepermanent,non?Enricosourit.Alessandroleregarde.— C’est vrai… Bon, allez, on rentre. Je ne voudrais pas que Flavio, se sentant plus léger en notreabsence,diseunmotdetrop.Alessandro,PietroetEnricorentrentjusteaumomentoùCamilla,Cristina,SusannaetNikisontentraindesortir.—Changementdetour…Tout lemonde se sourit.Lesdeux seuls à échangerun rapidebaiser sontNiki etAlessandro.Susannaallumeunecigarette.—J’auraisvouluêtreunepetitesourispourécoutercequ’ilssesontdit.Cristinaenallumeune,elleaussi.—Maisnon!Ilsontdûparlerdestrucshabituels.Peut-êtrequeFlavioauraremarquécetteblonde,àlatabledufond…quiestentièrementrefaite,d’ailleurs!—Laquelle?demandeNiki.—Cellequiestderrièretoi,tunel’aspeut-êtrepasvue.Pietroaussiyjetaitunœil,detempsàautre.Susannasoupireenrecrachantunpeudefumée.—Imagine…Lorenzo,monfils,quandilvoitlapublicitépourVodaphone,ilalesyeuxbrillants.Moijeluiaidemandé :«Maispourquoielle teplaît tant?»Et ilm’arépondu:«Parcequ’elleadesseinsénormes!»Susannamimeunbon95C.—Vousavezcompris,c’esttoutsonpère,maladedepuisl’enfance.Elles rient, plaisantent et continuent àbavarder.Niki écoute, amusée, elle sourit, acquiesce, essayedeparticiper.Maisilyalesproblèmesd’enfants,denounou,decourses,decoiffeur,d’uneamieàeuxquis’estséparée,d’uneautrequiattendsontroisièmeenfant.Etpuis,l’histoirebizarredelameilleureamiedecettedernièrequi, l’ayantappris,enveutunelleaussi.Lapremièreaeuunenfant…Unmoisplustard, l’autre était enceinte. La première a eu un deuxième enfant… Un mois plus tard, l’autre étaitenceinte.Etmaintenant…Elleasûrementdûforcersonmariàtravailleràuntroisièmeenfant.Etainsidesuite.Ellesrient.EtNiki?Nikisedemandesisavieressembleraàça.Est-cequeceseraça,larouteéclairéeparmonphare ?Pour l’instant, j’ai juste enviededireune chose.Unechosegéniale.Que jevoudrais leur crier, à toutes. Eh, les filles, femmes des amis d’Alex, vous êtes au courant ?C’est denouveaulamodedu«longboard»,lagrandeplanchedesurfetsadanseeffrontéesurlamer!Maiselle

imagineleurstêtes,siellesapprenaientcettenouvellesurprenante.—Ettoi,Niki,qu’est-cequetuendis?—Hein?—Dufaitd’avoirquatreenfants.—Bah,dumomentquetut’enoccupesvraimentetquetuneprendspasunePhilippine,alorsoui,jesuisd’accord.—DoncAlessandroaunfuturpleindepetits?—Bah,pourl’instantilfautsedemanders’ilveutd’unfuturavecmoi…Camillasourit.—Tuasraison,mieuxvautnepassepresser…Cristinademande,curieuse.—Ettesparents,qu’est-cequ’ilsdisentdufaitquetusoisavec…oui,bon,avecquelqu’undeplusâgéquetoi?Nikilaregarde.—Oh,ilsdisentetilsnedisentpas.Ilssuspectent,enfait.Cristinainsiste.—Maisilsl’ontrencontré?Nikiyréfléchit.Cen’estpeut-êtrepaslapeinedeleurraconterl’équivoquedupromoteurfinancier.—Oh,mamanaparléaveclui,etjecroisqu’illuiaplu.Disonsqu’Alexafaitbonneimpression.Camillasourit.—Oui,Alessandroestuntypesuper.Ilinspireconfianceàunemère.Nikiserappellel’équivoque.—Oui,c’estvrai.Jecroisvraimentquemamèreinvestiraitsurquelqu’uncommelui.CristinaetSusannaseregardent,curieuses,necomprenantpasbienl’expression.Nikis’enaperçoit.—Danslesensoùelleprendraitlerisquedeladifférenced’âgepourmisersurlebonheurdesafille…—Ah,d’accord.Ellesdécidentderentrer.Ledînersepoursuittranquillementetsereinement,ilsgoûtentauxpoissons,auxlégumes,etprennenttousdesfruitsendessert.—Ilyadel’ananas?Alors,pourmoi,del’ananas,commeçaaumoinsjebrûleunpeudegraisse.Etfinalement,desgâteaux,etuneentorseàlarègle.Etpuis,commed’habitude.—Pourmoi,uncafé.—Combiendecafés?—Vousavezdelachicorée?—Moiaulait,etfroid.—Moiundéca,etattention,hein,sinonjenedorspas.Puis,commed’habitudeaurestaurant,l’addition,aveclaquestionrituelle:— Vous voulez une liqueur de citron, une grappa, un digestif ? Un peu plus tard. Dehors. Derniersbavardages,poignéesdemain,bises.Toutlemondemontedanssavoitureaveclapromessedeserevoirbientôt.Etavecunenouvellecuriositéentête.

87Chambreindigo.Elle.Ilesttard.Après-demain,c’estlegrandjour.Quellepeur.Elleferaitpeut-êtremieuxd’allersecoucher.Mais,commetoujours,c’estcommesil’ordinateuréteintsurlebureaul’appelait.Ellenel’apasencoreouvert,cedossier.Maislenomlarendtropcurieuse.«Lederniercoucherdesoleil.»Qu’est-cequeçapeutêtre?Lafillecliquedessusetl’ouvre.D’autresdocumentsWord.D’autresmots.

Cette clarté suspendue entre les persiennes et lamer.Mer et terre. Terre d’hiver, couverte dejaune.Mer,cejaunetombédesfeuillesquirecopientlesol.Meretterre,incertainesetlointaines,quiessayentdesediremaisnesaventpasparler.

…Maisnesaventpasparler.Mince.C’estbeau.C’estuneespècedepoésie?Unpeudiffèrentdetoutcequej’ailujusqu’icidanscetordinateur,quiressembleàunemalleautrésordansunehistoiredepirates.Ou à la lampe d’un Aladin qui s’amuse à la surprendre chaque soir, avant d’aller se coucher. Ellecontinueàlire.

Situeslàetquetuchoisisd’yrester,alorsrappelle-toileschosesquetunesaispas,garde-lesbiensecrètes,neleslaissepass’échapper,unjourviendraoùtupourraslescomprendre.Si tues làetque tusaiscommentaimer,alorsrappelle-toi leschosesque tudonnes,garde-lesailleurs,neleslaissepasrevenir,unjourviendraoùtupourraslesretrouver.Situeslàetquetupensesàpartir,alorsrappelle-toileschosesquetuveux,garde-lesauchaud,nelesmetspasdecôté,unjourviendraoùtupourraslesmériter.

Elles’arrête.Unvoilelégerethumideluicouvresoudainlesyeux.Qu’est-cequisepasse?Pourquoicesmots qui entrent font-ils si mal ? Est-ce que je l’ignore vraiment ? pense-t-elle en regardant l’écran,commesiunoracleantiquevenaitdeluidonnerlaréponsequ’ellecherchaitdepuislongtemps.L’amourestdanscesquelqueslignes,l’amourcommeellelevoudraitetcommeellen’aplus.Oupeut-êtrecommeellen’ajamaiseu.Parcequel’amourn’estpasetnepeutpasêtredelasimpleaffection.Cen’estpasdel’habitudeoudelagentillesse.L’amourestfolie,c’estlecœurquibatàdeuxcentsàl’heure,lalumièrequidescendlesoirquandlesoleilsecouche,l’enviedeseleverlematinjustepourseregarderdanslesyeux.L’amourestcecriquil’appelleetluifaitcomprendrequ’ilfautchanger.Lui.Elleserappellelesmoments vécus ensemble, les choses qu’il lui a toujours dites, son visage.Mais nous ne savons pasparler.Nousnenousfaisonspasdebien.Unelarmechaudedescendsursajoueettombesursesjambesnues. Peut-être que cette fille assise à son bureau, un soir de printemps, immobile devant un portabletrouvéparhasard,éclairéeparunelampeIkea,nesaitpasencorecequ’estl’amour.Mais,c’estsûr,ellesaitcequeçan’estpas.

Etdesfeuillestombent,telsdessoleils,etlaneigetombe,moussesurlamer.Deuxpersonnessontensemble,ondiraitunfinal.

Ce final qui luimanque et qui lui a toujoursmanqué. Ce final qu’elle a cherché comme une réponsequ’ellen’avaitpaslecouragededonner,pasmêmeàelle-même.Cefinalestpeut-êtrearrivé.Ildéfiledevant sesyeuxcomme legénériquedu filmd’unamour terminé.Oui, lemomentestvenude luidire.C’estlemomentdeluidirequeçaaétébeau,quemêmesilesacteurssortentdescène,lethéâtredelavieresteouvertetprêtpourdenouveauxspectacles,quejeluisouhaitetoutlebiendumondeetquejesuisdésolée.Maislefinalestarrivé.Elleéteintl’ordinateur.Elleprendsonsacetsort.Quandlecœuradécidé,quandilatrouvélecouragedechangerdevoie,iln’yaplusrienàattendre.

88Laportièredelavoitures’ouvred’uncoup.Elleseprécipiteàl’intérieur.Illaregarde.—Jenepensaispasquetuviendrais.—Jesuiscurieuse,tusais.—Oui,maiscematin,aulycée,tun’aspasditoui.—Quelrapport,ilyavaitlesautresjustederrière,jen’avaispasenviequ’ellesm’entendent.—Allez,onyva.Ilsdémarrentetentrentdanslefluxdelacirculationnocturne.Uneflopéedemp3passedanslelecteur.—Lemeilleurqu’ilyait,poupée.BowWow+ChrisBrown,JimJones,FatJoe…—Queduhip-hop.—Biensûr.Etencore,jenetefaispasécouterlestrucsmythiques,SangueMisto,OtierreetCollederFomento.Elleécouteetparle.Maiselleparletrop,commequandonestmalàl’aise.Ellepensequ’ellefaitpeut-êtreuneerreur.Maiselleestcurieuse, tropcurieuse.Depuisdesmois. Il est fort, il estbeau.Etpuis,maintenant,ilestlibre.Merde,jenefaisriendemal.Unpetittour,riendeplus.Lavoituresedéplaceàdroite,àgauche,passed’unefileàl’autrecommeellepeut.Feux,déviations,stops.—Nousyvoilà.—Onyvatoutdesuite?—Biensûr.Onvapasresterici.Commeça,jetefaisécouter…Ilsdescendentdelavoitureetentrentdansunimmeuble.L’ascenseurdescendau-1.Ilsprennentunlongcouloirsombreoùsontalignéesdesportesdeparkingentôle.Ils’arrêtedevantl’avant-dernière.—C’estici.Il glisse la clé dans la serrure du bas et tire sur la poignée. La porte se lève. Une lumière s’allumeautomatiquement.Legarage est trèsgrand, il y aurait de laplacepourdeuxvoitures,mais il n’y en aaucune. Il a été complètement transformé en studio. Il y a tout ce qu’il faut. Instruments, mixer,amplificateurs,troismicros.—C’estcomplètementinsonorisé.Dedehorsetd’au-dessus,onn’entendrien.Mêmepaslesvibrations.Au Heu de mettre de la gomme isolante, qui ne permet de gagner que quelques décibels, j’ai faitconstruiredesparoisquiisolentd’uncôtéetquipropagentlesondel’autre,pourunchampsonoreplusdiffus,puisj’aifaitdubossagesurlamoitiéetj’aimisdestapisparterre.Ilyamêmedesrésonateursacoustiques.C’esticiquej’aicommencé,quejerépète,quejecrée,quejem’amuse.Etquepersonnenemecasselescouilles.—Disdonc,tut’yconnaisentechnique.C’estsuper,ici!Jepeuxessayerlemicro?—Non,d’abordilfautquetum’essayes,moi…Ill’attrapepar-derrièreenlafaisanttourner.Puisill’embrasselonguementsurlabouche.Etellepensequecen’estpeut-êtrepasbien,qu’ellenedevraitpasêtreici,quemonterdanscettevoitureétaituneerreur,qu’elleauraitpurésisteràcettetentationet,pourunefois,nepasdonnerraisonàOscarWilde.Maislesmainsdujeunehommelatroublent,lafontfrissonner,lacherchentetlatrouvent.Etlesbouchesjouentàs’attraper,lesrespirationss’impatientent,lerythmes’accélère,commeunechansonquetuviensdecomposer,quetuavaisentêtedepuislongtempsmaisquetun’avaispaslecouragedejouer.

—Tuesfantastique…—Chut.Neparlepas.Ilscontinuent,ilss’accordentunbis,commedesartistessurscènequinejouentpaslesstars,quinesefontpasprier.Maisunenoterésonnedanssatêteàelle,unesensationdefautequ’aucuneparoinepourraabsorber,qu’aucuncasquenepourraisoler.Ollyypenseuninstant.Maiscen’estqu’uninstant.Puisellese laisse aller, comme une onde rebelle qui se laisse porter par le courant. Elle ferme les yeux. Ellepréfèrenepasypenser.Parceque,parfois,mieuxvautnepastropfouillersaconscience…«...Etjevoudraisunemagiequis’allumelematinetquines’éteignepaslesoir.Quelqu’unàregarderetàquidirecequej’écrisici.»Stop.Dilettarelitlenouveaupassagequ’ellevamettresursonblog.Ellelemetàjourchaquesoir.Unepensée.UnephotodesOndes.Lesparolesd’unechanson.Unecitationdefilm.Lepassaged’unlivrequ’elleveutserappelerpourtoujours.Etsurtout,desmotsàoffrir.Voilà.Misàjour.Motsemprisonnésdansleréseau,prêtsàêtrelus,peut-êtrecapturésparlesbonsyeux,ceuxqueDilettaattenddepuis toujours.Quisait.Elleéteint leportableet se jette surson lit.En toutcas, ilestvraimentmarrant,ceFilippo.Toujoursàtraînerprèsdecesacrédistributeurautomatique.Etpuisiln’estpasmal.Ilestbeau.Ildoitfairedusport.Soudain,lebipd’unmessagequiarrive.Dilettasetourneetprendsonportablesurlatabledenuit.«OnsevoitàminuitchezAlaska?Réuniond’Ondes!Bouge-toi!Et lève-toidece lit,dumoins tantque tune l’utilisespascommeil faut !Olly.»Égaleà elle-même.Dilettaseredresse.Elledécided’allerfaireuntour.Ellecherchesesbaskets,lesenfileetsortcommeça,commed’habitude,sansuntraitdemaquillage,seslongscheveuxdétachésquis’envolerontbientôtdansletraficdeRome.Pourelle,c’estunenuitdesurprisesquicommence.Unpeuplus tard,Diletta passePiazzadelPopolo, prend endirectionde laPorte et arrive àPiazzaleHarninio.Puisàl’entréeduparcdelaVillaBorghese.Éclairémêmelanuit.C’estbizarre.Et,commes’ilfaisaitjour,çagrouilledegensquientrentousortentaprèsleurfooting,peut-êtrepourmangerunepizzaquirendravainstousleseffortsqu’ilsviennentdefaire.Deuxfillesrientenfilantsurleursrollers,tandisqu’un garçon fait des pirouettes sur son skate, montant et descendant du trottoir. Diletta s’apprête àrepartir, quand elle l’aperçoit.Ellene le reconnaît pas tout de suite.Mais au fur et àmesurequ’elles’approche,elledistinguemieuxsestraits.Ellesesentheureuse,d’uncoup,sansraisonapparente.—Salut,têtedecéréales!luicrie-t-elledepuissavoituresanspermis.Filipposeretourneets’arrête,posantsesmainssursesgenouxunpeuplies.Ilrespirefortmaisn’apasl’airessoufflé.Dilettasegare.—Mais,quiest-tu?—Commentça,quijesuis?Diletta baisse la vitre jusqu’en bas. Filippo rougit un peu, ce rouge dontmême la course n’avait pasencoreréussiàcolorersesjoues.—Diletta!—Enpersonne,etsanscéréales.Qu’est-cequetufais?Questionidiote.Tucours.—Ben,oui.Jeviensici,maintenantquec’estouvertlanuit.J’aimebien.Enfait,jejoueaubasket,maisjem’entraîneaussicommeça.—Çaalors!Moijefaisduvolley!Onesttouslesdeuxfansdeballons!Ellerit,amusée,enessayantdes’arrangerunpeulescheveuxaveclesmains.—Oui!Maisl’important,c’estdenepasêtrebalourds…

Ilsrientensemble.Etcerireveutdirebienplus,mêmes’ilsnelesaventpas.—Écoute,maisalors,puisquetufaisdusport,çatediraitdevenircouriravecmoidimancheprochain?Onpourraitvenirlematin,ilfaitplusfrais…Ilselance,enessayantd’adopterletonleplusdétachépossible,sanssavoirs’ilyréussitoupas.Dilettaleregardeetfaitunepetitegrimace.—Bah,jenesaispas,maisjenecroispas.Filippoperdd’uncouplecontrôledelui-même,savoixtrahitsadéception.–…Tupréféreraisl’après-midi?Moiçamevaaussi,jedisaisçacommeça…—Maisnon,jedisaisquejenecroispasqu’ilferasifraisqueça.Tun’aspasvucommeilfaitchaud,cesjours-ci?Ondevraitveniràcetteheure-ci,oumêmeplustardouàcinqheuresdumatin.Maismesparentsnemecroiraientpas...Lerouge,cetraître,refaitsonapparitionsurlesjouesdeFilippo,etmêmesesoreilless’enflamment.—Oui,çaseraitdurdeleurfaireavalerça.C’estpeut-êtremieuxàseptheuresdusoir.Dilettarallumelemoteurdesavoiture.—Alors…àdimanche?Onseretrouveici?Dilettadémarre,puissetourneetleregarde.—OK!Etapporteunebarredecéréales,pouraprès!Elles’éloigne.Filippolaregardepartir.Commeaulycée.Et,peuàpeu,ilcessederougir.Dimanche.Elleetmoi.Ici,auparc.Maisilnesaitpasencorequepersonnenel’attendradevantceportail.

89Nuit. Trafic léger, trafic lent, trafic qui conduit on ne sait où. Vers de nouvelles histoires, vers unesolitudecachéeauseind’ungroupe,versledésirfouetfrénétiquederevoirquelqu’un,quiapeut-êtreencoreunpeuenviedetoi.Nuit.Nuitdansunhabitacle.Flavioconduittranquillement.Cristinaleregarde.—Tulaconnaissaisdéjà,lanouvellecopined’Alex?—Non.Jesavaisqu’ilsortaitavecquelqu’un.—Ettusavaisqu’elleétaitaussi…jeune.—Non,jenesavaispas.Silence.—Entoutcas,jenecomprendspascequ’untypecommeluifaitavecelle.Apartlesvingtansd’écart…Flaviocontinueàconduiretranquillement.Puisildécidedeparler.—Jenelaconnaispasetjenepeuxpasjuger.Mais…jelatrouvesympathique.—Toiaussi,àvingtans,tuétaissympathique.Tuétaisgai,insouciant,marrant.Flaviolaregardeuninstant,puisfixeànouveaularoute.—Avingtans,c’est faciled’avoirdes raisonsd’être joyeux.Tupensesque tuasencore tellementdetempsdevanttoiquetupourraschangertaviecentfois.Etpuis,tugrandis,ettucomprendsquetavie,c’estça…Cristinasetourneverslui,l’observe.—Qu’est-cequeçaveutdire,quetun’espasheureuxdecequetues,decommenttuvis?—Moisi.Maisquand tun’espasheureuse,alors jene lesuispasnonplus. Jepensaisquenotreviedépendaitdenotrebonheuràtouslesdeux.Cristinasetait.—Bah,tusavaiscommentj’étais,doncjenecomprendspascequetuattendaisdemoi?Tupensaisquej’allaischanger?—Non.—Etalors?—Jepensais que tu allais être heureuse.Tu as voulu temarier, puis avoir un enfant…Tu as tout eu.Qu’est-cequitemanque?Cristinaneditrienpendantuninstant,puisellereprend.—Tusaiscequimedérangevraiment?—Plusquelereste?Cristinaleregardeaveccuriosité.Flavios’enrendcompteetessayededédramatiser.—Allez,jeplaisante.—C’estqu’ilafalluqu’Alexviennedîneravecunegaminepournousfairecomprendreàquelstadenousensommes.Nuit.Nuitquiavance.Nuitquidéfile.Nuitd’étoilescachées.Enricoconduittranquillement.Camillaleregardeetsourit.

—Tu sais,moi je la préfère à Elena. Elle estmûre, tranquille, sereine, polie.Bon, bien sûr, parfoisquandelleparleelle faitunpeugamine,maisc’estnormal. Jepensequ’ellevadevenirune trèsbellefemme.Commenttulatrouves,toi,elleteplaît?EnricosouritetposeunemainsurlajambedeCamilla.—Pasautantquetoiàdix-septans.Etpasautantquetoiaujourd’hui…—Allez,dis-moilavérité.Tuastroisansdeplusqu’Alex.Tuaimeraisbiensortiravecunefilleaussijeune?—C’estunebellefilleetjelatrouvesympa.Maisilspourraientbienserendrecomptequ’ilsn’ontpaslesmêmesobjectifs.J’espèrejustequ’elleneselasserapasd’Alex.—OuAlexd’elle.—Ilal’airtellementbien…—Oui, il est bien,mais ondirait que çan’apas tant d’importanceque ça, pour lui…Peut-être qu’ilpenseencoreàElena…—Non,jenecroispas.C’estjusteque,pourunehistoirecommeça,ilmarcheunpeusurdesœufs,çasecomprend.Tut’imagines?Ildoitavoirunpeupeurdecequipeutsepasser.Qu’elleperdelatête.Benoui,ellevaaulycée,maisensuiteelleatoussesaprès-midietsessoiréesdelibres…alorsqueluiiladeshoraires,sontravail,sesréunions,sesengagements.—Ettoutça,c’estplusimportantquel’amour?Camillaleregarde.Illuisourit,puisilprendsamainetl’embrasse.—Non,eneffet,iln’yariendeplusimportantquel’amour.Nuit de nuages.Nuit de vent.Nuit légère.Nuit chaude.Nuit de feuilles qui dansent allègrement.Nuitdifférente.Nuitdelune.Susannaleregardefixement.—Alors,tunem’aspasrépondu.—Jetel’aidit,jenel’avaisjamaisvue,etpuisdetoutefaçonellenemeplaîtpas.—Oui, j’ai compris,mais l’autre jour,quand je t’ai rencontrédevantce restaurant, tum’asditque tudevaissoutenirAlexparcequ’iln’avaitpaslemoral.—Etc’étaitvrai!—Maissiçafaitplusd’unmoisqu’ilssontensemble.—Qu’est-cequej’ensais,ondiraitquetusaistout,toi.Cejour-làiln’avaitpaslemoral.Demande-lui.— Je lui ai demandé, à elle. Et elle m’a répondu que tout va très bien, qu’ils s’aiment et qu’ilss’entendentbien.—Maisbiensûr,qu’est-cequetuvoulaisqu’elletedise?—Etparhasard,l’autrejour,vousêtesallésdéjeunerauPanda.—Oui.Enrico,Alexetmoi.—Seulementvoustrois?—Oui.—Etvousavezdépensétoutcetargent?J’aivulanote…

—OnaprisdeuxbouteillesdeChampagne,c’étaitdebonaugurepourAlex…Monamour,jetravaillecommeavocatpoursonbureauetjeneluiavaismêmepasfaitdecadeau…Pietroessayedel’embrasser,maisSusannarecule.—MoijepensequevousétiezavecNikietsesamies,dumêmeâgequ’elle…EtquevousavezforcéAlex.Enplus,ilnel’avaitsûrementpasditàNiki,sinonellenelesauraitpasemmenées,aumoinsparsolidarité…Ellen’ariend’unebriseusedefoyers.—Ça y est, voilà la psychologue. Tu devrais te faire embaucher par les RG. Tu imagines des plansgéniauxettroublesderrièreunsimpledéjeuner.—Detoutefaçon,tôtoutard,jedécouvriraiquelquechose,j’ensuiscertaine.Pietrotenteànouveaudel’embrasser.—Oui,maisenattendantdedécouvrirjenesaisquoi,tunepourraispasêtreunpeuplusgentille?Ellefaitsemblantderésister,maisellefinitparcéderàsonbaiser.Nuit. Nuit de coups de fil, de jalousie. Nuit de luttes, de cœur, de fantaisie. Nuit de rencontresclandestines.—Alors,tuesprêt?Jevaistoutdesuitetedirecommentças’estpassé,d’aprèsmoi.AlessandroregardeNiki,amusé.—Oui,dis-moi,jesuiscurieux.—J’aipluàlafemmed’Enrico,Camilla.Elleestsereine,j’aivuquejelafaisaisrire.Ellem’atraitéeunpeucommeuneamie.Ellemeplaît.Susanna,enrevanche…Elles’appellebienSusanna,lafemmedePietro?—Oui.—Alors,jepourraispeut-êtreplaireàSusanna,maisellen’apastropconfiance.C’est-à-dire,cen’estpasqu’ellen’apasconfianceenmoi,maiselleapeurparcequ’ellesaitquePietroestfourbe…etmoijereprésenteunrisquedeplus.Enfin,Cristina,elle,esttotalementopposée.Complètementout.Jem’ensuisbienrenducompte…J’aibienvu,quandonestsortiesfumer…ellemetoisait.Commentj’étaishabillée,cequejedisais,sij’étaisd’accordounon,ellemedévisageaitpointparpoint.Çaveutdirequejeneluiplaispas.—Etpourquoi,d’aprèstoi?—Qu’est-cequej’ensais.Maisjecroisquenotrecapacitéàaccepter lesautresestproportionnelleànotreproprebonheur…sionyréfléchit,quandonestheureux,onestplustolérantsenverslesautres,onestdisposésànepasconsidérerlesdifférencescommedesdéfauts.Alessandrolaregarde.—Tucommencesàm’inquiéter…Maisquies-tuvraiment?—Unefillequipassesonbac…C’estNewton,ça.Noussommesdesnainssurlesépaulesdegéants,tusais,toutecettehistoiredePlaton.Philosophiedecomptoir.—Oui,maisfondamentalequandmême,tudevraist’ensouvenir.Tunesaispasça?Onnesesouvientpasdessystèmesglobaux.Onnesesouvientquedespetitsdétails.LeportabledeNikisonne.Elleleprenddanssonsac.—C’estOlly.Allô?Nemedispasquetut’esmisedanslapanade,commed’habitude.Eh…Tunevaspasvenirdormirchezmoi?

Silence.Puis,soudain,dessanglots.—Niki,vienstoutdesuite.Diletta.—Quoi,Diletta?—Elleaeuunaccident.

90Alessandro conduit vite dans la nuit, Niki à côté de lui. Etmille coups de fil,mille questions,milleinterrogations, mille pourquoi. Tentative désespérée d’y comprendre quelque chose. Ce n’est paspossible.Cen’estpaspossible.HôpitalSanPietro.Alessandrosegareàl’intérieur.Nikidescendàtouteallure et court jusqu’aux urgences. Elle file le long d’un couloir, quand elle aperçoit Olly et Erica,enlacées.Ellessejettentdanslesbraslesunesdesautres.—Jen’airiencompris.Commentças’estpassé?Qu’est-cequ’ellea?—Un typequi allait à deux cents avecunePorsche surCorsoFrancia.Elle tournait au feu, il lui estrentrédedans.Sapetitevoitureacapoté,elleacontinué jusqu’ausecond feu.Elleestdétruite, iln’enresteplusrien,quedelatôlecabossée.—Oui,maiselle,commentelleva?C’estgrave?—Une jambe et un bras cassés. Et puis, elle s’est cogné la tête. C’est le problème. Ils essayent decomprendres’ilyaunecommotioncérébrale.Ilsl’ontdéjàopérée…Regarde.LesOndess’approchentd’unevitre.Danslachambreglacialeetaseptique,peinteenbleupâle,Dilettaesttoutebandée,immobile,allongéedansunpetitlitquial’airtropétroitpourlacontenirtoutentière.Des fils se croisent et se perdent entre ses bras.Des sédatifs, des vitamines et des analgésiques pourcontrôlersonétatdechoc.Unpeuplusloin,lesparentsdeDilettalaregardentensilence,incapablesdeparler,commesuspendus, respirantavecdifficulté. Ilss’aperçoiventquandmêmede l’arrivéedeNiki.Unsalut,unsimplegestedelamain.Pasunsourire,biensûr.—Maisquedisentlesmédecins?demandedoucementNikiàErica.—Rien,ilsneseprononcentpas,ilsneveulentpasseprononcer.Ilsontditqueçavaêtredifficile…—Difficiledequoi?—Quetoutrevienneàlanormale…qu’ellepuisseparlerànouveau,parexemple.Nikiestbouleversée.Unouragan,unevaguededouleurimmense,quilacolleparterre,laretourne,luicoupe le souffle, lui arrache de l’intérieur l’envie d’être gaie. Heureuse. Rage improvisée, stupeur,incrédulité. Se sentir trahie par la vie. Ce n’est pas possible. Pas Diletta. Diletta est forte. Saine.Sportive. Toujours gaie. Elle qui n’a jamais eu de petit ami. Et la vague continue de croître. Elle lasuffoque.Parcequec’est commesi ça lui était arrivée à elle, etmêmepire.Ellene le sauraitpas, sic’étaitelle.Maiselleest là, elle laregardeet ellenepeutrienfaire.Cen’estpaspossible.Ellen’yarrivepas,elleneveutpasypenser.LesOndesbrisées.Puis,NikivaversAlessandro,quiestrestéàl’écart.Parcraintededéranger,denepassavoirquoidire.LuiaussiestdésolépourDilettta.Ellefaitpartiedecesgensquetuneconnaispasdirectement,quetunefréquentespas,maisdonttuentendsparlertouslesjoursparlapersonneavecquitues,etdonttusaisqu’ellelafaitsourire.Etalors,c’estcommesicesgenst’appartenaientunpeu.Ilsfinissentpartemanquerunpeu,àtoiaussi.Nikis’approcheetserrefortsavesteavecsespoings,elleluiarrachepresque,elles’agrippeàcetissu,aussidésespéréequesic’étaitleseulrochersûrdanscettemerd’absurdedouleur.Puiselles’appuiecontresontorseetsemetàpleurer, soumise, silencieuse, comme si elle noyait sa douleur dans cette veste. Par respect, par peur,pournepasfairesentirsafaiblesseauxparentsdésespérésdeDiletta.Alessandronesaitpasquoifaire.Alorsill’entouredoucementdesesbrasetillaserrefortcontrelui.—Chut…chut,Niki…Etsonétreintesuffitàlacalmerunpeu.Unerespirationprofonde,lente,pluslente.Puisuneautre.Etune

autreencore.Lessanglotsdiminuent.Toutdoucement.Unpeudecalmedanscetteveste.Commeuneîlerassurante.Unepetitecrique.Uneradeoùs’abriterdelatempête.Etpuisdel’air.Unerespirationplusprofonde.Niki émergedesbrasd’Alessandro.Elle se redresse, se reprend.Elle s’essuie lenezen sefrottant avec les manches de son T-shirt. Elle arrange un peu ses cheveux, des deux mains, les metderrièresesoreilles.Eteux,unpeuhumides,obéissent.Ilsreprennentpolimentleurplaceetredonnentensilenceleuréclatàcevisage.—Çava.Elleessayedeseconvaincretouteseule.Etpuis,unpetitsourireàAlessandro.—Rentronsàlamaison.Jereviendraidemain.Ilss’envont,danslesilenced’unenuitfaited’attente,depeur,d’impuissance,d’espoir,deprière.Delacertituded’unlendemain,çaoui,maisd’unlendemainquipourraitn’êtrepaspourtoutlemonde.Qu’est-cequelavie?C’estbizarredenepasêtretropdistrait,troppressé,desavoirs’arrêter.Etsourire.Etcomprendre.Et fermer lesyeux.Et sentir jusqu’aux secondesquidéfilent.Et savoir lesvivre toutes àfond. Et en profiter avec un sourire, une préoccupation, un espoir, une envie, un éclaircissement,n’importe quoi.Mais en profiter. En profiter sciemment. C’est ce que penseNiki enmontant dans laMercedesMI.Elle ne pense à rien d’autre.Elle n’a pas la force d’imaginer qu’elle peut perdre cetteOnde.

91Lesjourssuivants, lesOndesserelayent.Ellesfontdestoursàl’hôpital.Apportentdetempsentempsdesglaces,quelquechosepour lesparentsdeDiletta.Un journal,une revue,quelquechoseàmanger.Ellesserelayent,Ondesd’unemerquifinirabienparsecalmer,tôtoutard.Quoiqu’ilensoit,ilfautycroire.L’uneaprès l’autre,unemaréesans fin.DesOndessouriantes,gaiesmaispas trop.Optimistes.Fairesemblantdenepasavoirdedoutes.Certitudes.Toutvas’arranger.Etnepasadmettre,mêmepasuninstant,mêmepasàsoi-même,queçapourraitnepassepassercommeça…Infatigables.Unehistoired’amitié qui ne se lasse pas. Elle se passent le relais en souriant. Niki. Olly. Erica. Parfois à deux,parfoisàtrois,ellescontinuentdepréparerleurbac.—Ça,onn’yéchapperapas.—C’estsûr.—Eh,àsafaçon,elles’entirebien,Diletta!Elles rient, pleines d’espoir, en essayant d’exorciser l’accident. Derrière cette vitre, un souvenir deDiletta.Uneanecdoteamusante.Sa forcedémesurée.Sabeautépuissante, irrésistible, insolente, saine.Sontalentpourlevolley.Etcepetitamiqu’ellen’ajamaiseu.—Tusaisquiluicouraitaprès,cesdernierstemps?—Non.—Filippo,deTerminaleA.—C’estpasvrai!Ilestsuperbeau!Etelle?—Elle,rien,commes’iln’existaitpas.—Jen’ycroispas,maiselleestfolle!Ollysecouelatête.—Merde,moi…—Olly,sesparentssontlà.Etpuis,tun’espasuneréférence,toi.—J’aicompris,maisvousaussivousauriezsuccombéàcetype.—Oui,maispastoutdesuite,commetoi.—Parcequejesuisplussincère,etmoinscompliquée.Éclatsderire,blagues,plaisanteries,commesiDilettaétaitlà,enessayantdefairepassercesheuresquinepassentpas.Mêmeàlamaison,toutestdifférent.Quandceschosesarrivent.Commesiunefenêtrequiétaitembuéeavanttepermettaitsoudaindemieuxvoirlavie.Lesoirdel’accident.Boum.Niki.Unegifleenpleinvisage.—Aïe,maman,maistuesfolle!—Moi?C’esttoiquirentresaussitard!—Dilettaestàl’hôpital,elleestdanslecoma.—C’estunpeugros,commemensonge.Tun’aspashonte?—Maismaman,c’estvrai,elleaeuunaccidenttrèsgrave.—Çasuffit!Vadanstachambre.Quelquesjoursplustard,quandSimonacomprendquetoutcequesafilleluiaditestvrai,elleestmortedehonte.

—Jesuisdésolée,machérie,jepensaisquec’étaitunmensonge.—Tucroisvraimentquej’auraisinventéuntruccommeça,maispourquitumeprends,maman?—Commentelleva,maintenant?—Rien.Çan’apasempiré,aumoins.Maisçanes’estpasnonplusamélioré.Jesuisdésespérée.—Jesuisdésolée…SimonaenlaceNiki,quisemetàpleurerdanssesbras.Elles’abandonne,redevenueunepetitefille,plusfillequejamais,pluspetitequejamais.Simonalaserrefortetvoudraitluioffrirunautresourire.Commetoujours.Plusquejamais.Avecunjouet.Avecungâteau.Avecunepoupée.Avecunvêtement.Avecundecespetitsdésirsqu’elleatoujourssucombler.Maispasmaintenant.Ellenepeutpas.Alors,ilneluiresteplusqu’àprier.Poursafille.Poursonamie.Pourlaviequi,parfois,tetourneledos,etquis’enfichedecequetuveux.Lesjourspassent,lentsetépuisants.L’unaprèsl’autre,sanslamoindretracedesoleil dans ce petit tunnel.Maisons sombres et silencieuses. Se lever. Espérer. Se coucher. Se lever.Espérer.Secoucher.Chaquesonneriedetéléphoneestuneinquiétude,unpincementaucœur,unrêve,undésir…Maisrien.Rien.Avancerensilence.

92Etpuis,cetaprès-midi-là.—Sapereaude:osesavoir!Nikiestassiseprèsdulitd’hôpital.Ellelitàhautevoixuntextedephilosophie.Kant.—Aielecouragedeteservirdetonintelligence.Compris,Diletta?Nikiposelelivresursesjambes.Elleregardeenvaincevisagetranquille,détendu,quisemblenerienpouvoirentendre.Maisc’estsondernierespoir.Maintenirsonattentionéveillée.Unsoupir.Niki tented’êtreforte.—Allez,inutiledefairelafourbe,ilfautqueturévisesKant,toiaussi.Tunepensesquandmêmepasque tuvaséchapperaubac?Pardon,maisonaditqu’on faisait la fac toutesensemble.Et lesOndesrespectenttoujoursleurspromesses!Nikireprendlalecture.—Alors…Là,çasecomplique.C’estpourçaquejevoudraisquetusoisattentive.NouspassonsàlagnoséologiedeKant.—Gnoséologie.Unevoixsoudaine.Faible.Légère.Plaintive.Maissavoix.—Diletta!DilettaesttournéeversNiki.Elleluisourit.—C’estavecune.Tutetrompes,commed’habitude…Nikin’ycroitpas.Ellefondenlarmes.Elleritetpleureàlafois.—Gnoséologie,gnoséologie,jelerépéteraidesmillionsdefois,avecune,avecune.C’estleplusbeaumotdumonde.Elleselèveetl’embrassemaladroitement,enessayantdenepastroplabousculer,maissansréussiràseretenir.Elleseperd,levisagedanslecoudesonamie,etpleureencore,commecettepetitefillequ’elleaété,qu’elleest,qu’elleaimeêtre.—Etonditquelaphilofaitdormir!Cettepetitefillequiaétérécompensée.Quiafaitsesdevoirs,jouraprèsjour,etquiareçuleplusbeaucadeaudumonde.La réponseà sesprières.Ellea retrouvésonamie.Ellevoit entrerOlly,Erica, lesparents,quelquescousinsdontelleneserappellepaslenom,etenfinl’infirmière.—Dehors,dehors,laissez-larespirer,vousêtestropnombreux,dehors!—Cenesontpasdesmanières!Sansparlerdecellesd’Olly…—Merde!C’estnotreamie.Tout lemonderit,mêmelesparents,heureuxce jour-làdenedevoirgronderpersonne.Enfin libérées,Olly,NikietEricasortentdelachambre.Ellessontcommefolles.—Cesoir, tout lemondechezAlaska!Maisnon,qu’est-cequejedis, jemejettedans lafontainedeTrevi.Allez,onsejette?—Olly,maisonl’atoutesdéjàfait!—Eh,maispeut-êtrequ’onrencontreraunbeaumeccommece…Marcello…Marcello…Cornehere!—Voilàpourquoituveuxfaireça…Tuesobsédée!Ellesrientencore.Puiselless’enlacent,touteslestrois,encercle,commedesjoueursderugby,aumilieuducouloir.Ellesgardentlatêtebaissée.

—PourDiletta…—Hiphiphip,hourra!Ellesexplosentensautant trèshaut, toutesensemble,en riant,enattirant l’attentiondes infirmièresquicrient « Silence ! » et de ceux qui aimeraient bien pousser un cri de joie comme elles, mais qui nepeuventpasencore.Devantl’hôpital.Nikimetsoncasque.—Lesfilles,cesoirjeresteàlamaisonpourtravailler.Çaserapprochesérieusement!—Onaperdubeaucoupdetemps.—Perdu?!Maisnon,onl’agagné.C’estnousquil’avonsfaitrevenir!Sionavaitdûfaireconfianceàcesmauditsmédecins…Unmédecinpassejustementdevantellesàcemoment-là.—Eh,maiscen’estpasletypequiavaitditqueDilettaneparleraitplus?—Oui,ondiraitbien…—C’estlui!Ollyouvresontopcase,prendquelquechose.Puisellemontesursonscooter,l’enlèvedesabéquilleetpartentrombe,ensedirigeantdroitverslui.—Maisqu’est-cequetufais?Olly!—Eh,docteur…Lemédecinseretourne.—Oui?Ollyluienvoieunebombeàeauenpleindanslafigure.—Prendsça,espècedeporte-malheur!Lemédecin,complètementtrempé,sesèchelesyeuxavecunpandesablouse,tandisquelesfillesfilentverslasortiesurleursscooters.—Maiscommentsefait-ilquetuavaisçadanstontopcase?—Çam’étaitrestéd’unevieillehistoiredonttutesouvienssansdoute…—Maisc’étaitilyadessiècles!Ellenes’étaitpasdégonflée?— Je l’ai rechargée ces jours-ci. C’est Giancarlo qui s’en est occupé, celui qui habite dans monimmeuble.—C’est-à-dire?—Touslesmatins,jel’aiforcéàpisserdedans!—Olly!C’estdégueulasse!—Depuis que cemédecin a dit ça, j’attends cemoment. Si ça pouvait l’empêcher de pisser d’autressentencesaussisalopes!Elless’éloignentenriantcommedesbossus.Ondesrebelles,jeunesRobindesboisdessentiments,DonQuichotteenjuponsqui,pourlapremièrefois,mêmesic’estavecunebombeàeau,ontfaitréfléchircestupidemoulinàvent.

93—Maman,maman,c’estincroyable!Nikientrechezelleencriantcommeunefolle.—Maman!J’étaisentraindelireduKantàDilettaetelles’estréveillée!Maman,elleestremise,tucomprends?Simonase lèvede la tableoùelleaideMatteoà fairesesdevoirs.Elle la rejoint.Laregarde.Puis laprenddanssesbras.Laserrecontreelle.Lèvelesyeuxaucieletlesferme,ensoupirantintérieurementcettephrase:«BénisoitleSeigneur.»Puisellelalâche.—Niki,jesuisvraimentheureuse.Viens,onvaunmomentdanstachambre…Matteo,continueàfairetonexercice.Sinon,jenet’emmènepasaufoot…—Maismaman…—Tais-toi,ignorant.Tuasbeauêtreunsuperfootballeur,pasdedevoirs,pasdematch…C’estclair?Pascommecesfootballeursprofessionnels…Matteosoupire.—Quellebarbe.Ilfeuilletterapidementsonlivreenessayantd’ycomprendrequelquechose.—Niki,jesuisvraimentheureusepourtonamie.Tunepeuxpassavoiràquelpoint.—Moiaussi,maman.—J’imagine.Ecoute,jen’aipasvoulutedérangerjusqu’àaujourd’huiparceque,parrapportàtoutcequis’estpassé,certaineschosesn’ontpasd’importance…sontinsignifiantes.—Biensûr,maman,c’esttoutàfaitvrai.Maissoistranquille,j’aicontinuéàréviser,toutcetemps.Simonaarrangesescheveux.—Cen’estpasdeçaquejevoulaisteparler…Jenesuispasinquiètepourtonbac.—Ah.Etpourquoi,alors?—Niki,dis-moilavérité.Tusorsavecungarçon?Nikiestindécise,pendantuninstant.—Ben…oui,jetel’aidit,jevoisquelqu’un.—Oui,tuvoisquelqu’un…Jen’aijamaisbiencompriscequeçavoulaitdire,sevoir,maisjecroisqueçaindiqueunpanoramaassezgénéral.—Detoutefaçon,maman,jen’aipasenvied’enparlermaintenant.Simonamarqueunepause.Nikilaregardeetessayedeposerlaquestionlepluspolimentpossible.—Onafini,maman?Jepeuxyaller?—Non.Tuterappellesquetoietmoionpeuttoutsedire,n’est-cepas?C’estautourdeNikidemarquerunepause.—Oui,biensûr,ons’estditça…Etd’ailleurs,moijet’aitoujourstoutraconté…Nikiessayedenepaspenserauxquinze,seizechosesqu’elleabizarrementoubliédeluidire.—Jevoudraissavoirunechose.Cegarçonquetuvois,tuasditqu’ilétaitunpeuplusâgéquetoi?Nikilaregardeetluifaitunpetitsourire.Iln’yarienàfaire,tunepeuxriencacheràunemère.Surtoutquandellefaitsemblantdenepassavoir.—Oui,unpeu…

—Combien?—Tuveuxvraimentlesavoir?—Biensûr,sijeteledemande.Nikiyréfléchitunpeu,puisdécidedeselancer.—Ilaurabientôttrente-septans.Boum.LaréactiondeSimonaestimmédiate.Elleluienvoieunegifleenpleinvisage.—Aïe!Nikialesoufflecoupéetenrestesansvoix.Elleamêmeenviederire,l’espaced’uninstant.Maissajouelabrûle.—Aïe…Ellesemasselajoue,puisregardesamaind’unairétonné,commesiellepouvaitenporterlestraces.—Tum’asfaitmal!—Biensûr!Çaauraitdûtefairedubien?—Maman,maistuavaisditqu’onpouvaittoutsedire…—Oui,maispastouttout!Dis-moi.S’ilteplaît.Qu’est-cequejevaisdireàtonpère,maintenant.Non,maisdis-moi…—Neluiracontepas!— Bien sûr, parce que d’après toi, il n’a pas déjà compris, depuis qu’il y a eu toute cette histoireembrouilléeaveclepromoteurfinancier?Maisqu’est-cequ’ilvoulait,hein?Pourquoiilestvenu?—Rien.Fairevotreconnaissance.SimonaregardeNikienécarquillantlesyeux.—Pourmedirequoi,Niki,hein?Pourfairequoi?Ilyaautrechosequejedoissavoir?—Maisnon,maman…tunevaspasencoredevenirgrand-mère…Puiselleyréfléchitunpeu.—Dumoinsjecrois!Simonasemetlesmainsdanslescheveux.—Niki!—Jeplaisantais,maman,toutvabien.Iln’yaaucundanger.—Qu’est-cequeçaveutdire?Simonalaregarde,unpeuplustranquille.Unpeu.—Ecoute,maman, jen’aipasenvied’enparlermaintenant. Il était justevenuseprésenter,pourvousrassurerunpeu…—Bien sûr ! Après cette nouvelle, nous sommes tout à fait rassurés… Trente-sept ans…Non, maistrente-septans…—Bientôt…—Ah,biensûr…Bravo,hein.Tuluisouhaiterasunbonanniversairedemapart,auprétendupromoteur.Simonasortdelachambreenclaquantlaporte.Nikivaverslemiroiretregardesajoue.Elleselamasseunpeu.Puisellesourit.Bah,aumoins,jeluiaidit.Maintenant,ellelesait.ElleprendsonNokiadanssapocheetécritrapidementunmessage.«Monamour,jesuistrèsheureuse.Monamievabien,elles’estréveillée!Etpuis,j’aiparléavecmamère.Jeluiaidit!Unbaiserspatial!»

Le portable d’Alessandro fait un bip. Il est au bureau, à la recherche désespérée d’une idée pour lesJaponais.Illitlemessage,yrépondimmédiatement.«Bien!Jesuisheureux,moiaussi.Maisqu’est-cequetuasditàtamère?Quetonamievabien?»Puisill’envoie.Nikisouritetrépondàunevitesseincroyable.«Non…Quenoussommesbienensemble!»Alessandrolelit.S’inquiète.«Maistuluiasaussiparlédenotrepetite…"différence"?»«Oui»«Etqu’est-cequ’elleadit?»«Rien.Ellem’amisunebaffe.Ahnon.Attends…Elleaditqu’elletesouhaiteraittonanniversaire!»

94Quelquesjoursplustard.Dilettavademieuxenmieux.—Maistuterendscompte.Ollydéambuledanslapetitechambred’hôpital.Dilettalaregarde,amusée.—Non.Amonavis,tuneterendspascompte…Etvous?Non,maisvous,vousvousrendezcompte,ouiounon?Elleestfolle!Nikiestassiseàl’enverssurunechaise.Ericaestappuyéecontrelemur.—Maisdequoi?—Tuveuxbiennousexpliquer,qu’onenfinisse?Ollys’arrêted’uncoup.—Vraiment,vousnevoyezpasdequoijeparle?Ellerisquaitdenejamaisseréveiller,pouf…Ollyclaquedesdoigts.—Acaused’unconnardquiconduisaittropvite.Etellen’avaitmêmepasessayélaplusbellechosedumonde.MieuxquelapizzadeGianfornaio.Mieuxquelesglacesd’Alaska,SanCrispinoetSettimocieloréunies.Mieuxquelaneigeetlamer,lapluieetlesoleil…Ericalaregarde.—Etc’estquoi,ladrogue?—Non,bienmieux…Lesexe!Ollys’approchedeDilettaetluiprendlesmains.—Tunepeuxpas courir ce risque.Plusmaintenant. Je t’enprie, fais-moi confiance.Laisse-toi aller,croquecettedélicieusepomme…Nikiéclatederire.—Biensûr.Toujourscettepomme.Ilssesontjouéleparadis,pourcettepomme…Ollyouvrelesbras.—Justement,Diletta, sois tranquille, tune risquesplus rien…Etpuis, jemesuis trompéede fruit. Jevoulaisdirelabanane.Dilettadonneuncoupdepiedsoussondrap.—Olly,maispourquoituestoujoursaussibourrine?—Pardon,maisalors jen’aipascompris…Unbourrin,c’estquelqu’unquiemploielesbonsmotsaubonmoment?Quiditlavérité?Alorsoui,jesuisunevraiebourrine!Etjen’enaipashonte.Parcequejesuisaussitonamie.Olly s’éloigne du lit deDiletta et va vers la porte de la chambre. Elle l’ouvre et se penche dans lecouloir.—Viens.Puisellerevientavecungrandsourire.Sesamieslaregardentd’unaircurieux.—Quielleabienpuappeler?Nikinesaitpasquoipenser.Ericaencoremoins.Diletta,elle,abienuneidée.—Voilà,tutesouviensdelui?En effet.C’est bien cequ’elle soupçonnait. Filippo, le beaugarçonde terminaleA, est à la porte, unsplendidebouquetderosesrougesàlamain.—Salut,Diletta…J’aidemandédetesnouvellesàtesamies,etOllym’aditquejepouvaispasserte

voir…Alors,mevoilà.Ollys’approchedeDiletta.—Bon,salut,nousonsort,onvaréviserdehors.S’ilyaquoiquecesoit,tunousappelles.Dilettarougit,puisluidittoutbas.—Maistun’auraispaspumeprévenir?Regardecommentjesuis!Jen’aimêmepasdemaquillage,jenesuispashabituée,j’aiunbandagesurlatête…Ollyl’embrasse.—Chut ! Sois tranquille. Et puis, si tu veux passer aux choses sérieuses, ne t’inquiète pas… on estdehors,onfaitleguet.Dilettaessayedelafrapper.—Maisqu’est-cequeturacontes!Lemouvementarrachepresquelaperfusiondesonbras.Ollys’écartejusteàtempsetesquivelecoupenriant.PuiselleprendEricaetNikiparlebrasetellessedirigentverslaporte.—Salut,nousonyva.Ensortant,ellefaitunclind’œilàFilippo.—Compris?Filipposourit.Puisilrepèreunvaseavecdesmarguerites,prèsdelafenêtre.—Jepeux?—Biensûr,biensûr…Dilettaserelèveunpeudanssonlit.Filippoenlèvelesvieillesfleursetlesjettedanslapetitepoubellesouslatable.Puisilrincelevaseaulavabo,leremplitd’eaufraîcheetymetsessplendidesroses.Illesarrangeunpeu.—Voilà,commeçaellesaurontdel’air,ellesvonts’ouvrir…dansquelquesjours,ellesserontbelles.Dilettasourit.—Moi,ilmefaudraunpeuplus…—Cen’estpasvrai…Filippolaregarde.–…Tuesbellecommechaque jouroù je t’aivueau lycée.Enréalité, l’annéedernière j’ai redoubléuniquementpourpouvoirtevoirencore…—Oui,biensûr…Filipporit.—Disonsquequandc’estarrivéjemesuisdit:bon,aumoinsjepourrailavoirencore…Puisillaregardedroitdanslesyeux.Diletta,gênée,passesamainsurledrap,commepourlelisser.—Ilfaitchaud,hein?—Oui.Filipposouritetprendunechaise.—Jepeux?—Biensûr.Ils’assied.—Merci.C’estl’étéquiarrive.Maisnous,nousnesommespaspressés.Àl’extérieur,Ollyaposésonoreillecontrelaportedelachambreetessayed’écouter.Nikilatireparle

bras.—Maislaisse-latranquille…laissetomber…çaneteregardepas!—Unpeuqueçameregarde,tuplaisantes,c’estmoiquiyaipensé,jel’aimêmeforcéàapporterdesrieurs.Ericaluidonneuncoup.—OK,maiscen’estpastoiquiaschoisicesbellesroses!— Non, ça non. Mais l’idée est de moi. Diletta voulait partir… aller voir la Grosse Pomme…maintenant,vuqu’elleestcoincéeicipourunboutdetemps,aumoinsellepourravoirlaGrosseBanane!—Olly,iln’yarienàfaire,tuesfondamentalementbourrine.Ellessebousculentetrient,courentdanslecouloir,sousleregardagacédequelquesinfirmières.Puisellesselancentdansunchatimprovisé.—Touchée!commenceOllyentouchantNiki.—Touchée!Nikil’envoieàEricaquisetourne,rapidecommel’éclair,ettoucheànouveauOlly.—Touchée!Sansretour!—Maisçanevautpas…Erica regarde au bout du couloir et elle s’aperçoit que les parents de Diletta sont à la porte de lachambre.—Eh,lesfilles!Ondevaitfaireleguet!Maisfinalement,ellessortentdel’hôpitalencourant.Etpuis,d’autresjournées.Plustranquilles,maintenant.—Maisvousresteztouteschezvous?Onsort,cesoir,non?Allez,ilyaunefêteauGoa,untrucsuper,avecDJCoko,etpuisd’autresAnglais.—Olly,lebacestdanspaslongtemps,ondoitréviser,ettoiaussid’ailleurs!—Niki,maisonestentraindeperdrelesplusbellesannéesdenotrevie.—Attends,quic’estquiaditça?—Zéro.—Absolu?—Non.RenatoZéro…—C’estça,valechanteràmesparents,onverrabiencequ’ilsterépondront…

95Brainstorming.Réunionaubureau.Intuitions.Fantaisies.Hypothèses.—Non,çanevapas,ça.Déjàvu.—Tropirréel!—Ilsveulentquelquechosedenaturel.—Etunevilleoùiln’yaquedesdealers,etilssepassentlebonboncommesic’étaitladrogue?ToutlemondesetourneversAndréaSoldini.—Bon,OK,j’auraiessayé,aumoins.Unesemainepasseainsi,sansrésultat.Etpuis,cejour-là,aubureau.Letéléphoned’Alessandrosonne.Ilregardel’écranetsourit.Rienàfaire.Ellen’apasrésisté.—Salut,Niki.—Salutàtoi.Maistunemedisrien?Alessandrofaitsemblantderien,autéléphone.—Pourquoi,qu’est-cequejedoistedire?J’aioubliéquelquechose?—Tuasoubliéquelquechose?Onestle18mai,aujourd’hui!C’estmonanniversaire…Alessandroritsouscape.—C’estvrai,monamour,excuse-moi…excuse-moi…jepasseteprendretoutdesuite.—Oui,oui,maisça,jenetelepardonneraipas,hein!Nepasterappelercejour…C’estmoche,c’estmonpremieranniversaireavectoi…etsurtout,c’estlapremièrefoisquej’aidix-huitans!—Tuasraison,pardonne-moi.Jesuischeztoidansuninstant.—Jenesaispassi…Nikiregardesontéléphone.Ilaraccroché.Alexm’araccrochéaunez.Onainversélesrôles…Maisilestdevenufou,ouquoi?Auboutdequelquesminutes,Alessandroluienvoieunmessage.—Descends,montrésor…jesuisenbasdecheztoi.Nikilelit.Biensûr,c’estfacile,commeça.Tuoubliesmonanniversaire,etensuiteilfautréparer…Onvavoir…situescapabledetefairepardonner.Nikisortdechezelleetmontedanslavoiture.Elleboude.Ellecroiselesbrasetmetexprèssespiedssurletableaudebord.—Osemedirequoiquecesoit.—Montrésor,pardonne-moi,pardonne-moi…Ilessayedel’embrasser,maisellerésiste.—Pasquestion!Tunem’asmêmepaspréparédecadeau,j’imagine.— Jem’en occupe ces jours-ci, quelque chose demagnifique…Niki lui donne un coup de poing surl’épaule.—Aïe!—Jem’enfichequeçasoitmagnifique,cequiestgrave,c’estquetuasoublié.—Tuasraison,maistusais,letravail,lapublicitépourlesJaponais…—Écoute,jen’enpeuxplusdecettehistoire.Mets-toiavecuneJaponaise,çaseraplussimple!—Jevaisyréfléchir…ellesnemedéplaisentpas,tusais…unebellegeisha.Nikiluidonneunautrecoupdepoing.—Aïe,jeplaisantais!

—Pasmoi!Alessandrodémarre.—J’airéservédansunbelendroit,çatedit?Nikiboudeencoreunpeu.—Jenesaispas.Onvavoirsiçamepasse.Toutlemondes’estrappelémonanniversaire,aujourd’hui.—Toutlemondequi?—Toutlemondetoutlemonde.Pleindegens.Sansparlerdescadeauxquej’aieus.EnparticulierdesSS…—Etc’estqui,ça?Alessandrolaregarde,inquiet.—LesSoupirantsSéduits.À l’heurequ’ilest, ilsontplusdechancesque toi.Aumoins, ils s’ensontsouvenus,eux.Alessandrosourit.—Monamour,jevaisessayerdemefairepardonner,donne-moiaumoinsunechance.Toutlemondeadroitàunedeuxièmechance.Nikisetourneverslui.—OK,jet’endonneune.Onverrabiencequetuenferas.—Jeferaimonpossible.Ilregardedehorsets’arrête.—Tupeuxmerendrejusteunservice?—Dis-moi.Ilindiquelekiosqueàjournaux,devanteux.—TupeuxmeprendreIlMessaggero?Jen’aipaseuletempsdelelire,aujourd’hui.Nikisoupire.—Tutravaillestrop…Elledescend.Alessandroseprécipitesursonsacetfouillededans.Rien.Toujoursrien.Puisilregardedehors, au cas où elle reviendrai ! plus tôt et le surprendrait. Niki paye et revient vers la voiture.Alessandrobaisselavitre.—TupourraismeprendreaussiDove,s’ilteplaît?—Tunepouvaispasledireavant?!—Tuasraison,excuse-moi,jesuisdésolé!«L’amour,c’estnejamaisdirejesuisdésolé…»C’esttoiquim’asfaitvoircefilm,ettul’oublies.Tuneveuxriend’autre?—Non,merci.—Sûr?—Oui…Alessandroluisourit.Nikirepartverslekiosque.Ilreprendsesrecherchesiljetteuncoupd’œilàNikietcherche.Jetteuncoupd’œilàNikietcherche.Ellepaye,prendlesjournauxetrevientverslavoitureJusteàtemps.Alessandrosourit.Trouvée!Ouf.Toutvabien.Parfait.C’estparlait!Nikiremontedanslavoiture.—Excusemoi,hein,maisenréfléchissant…Tuavaisvraimentbesoindetouscesjournauxtoutdesuite?Onvadîner…c’estmonanniversaire…tuvasvraimentlire?—Tu as raison.C’est pour plus tard.Onm’a signalé un article.Niki hausse les épaules.Alessandrorepart.MetunCD.Puisessayedetrouverunmoyendeladistraire.

—Alors,tuasditquetuavaiseudescadeaux.Qu’est-cequ’ont’aoffertdebeau?—Pasdebeau…demagnifique!—Allez,raconte-moi.—Alors…mesparents,desbouclesd’oreillesgénialesavecdesperlesetdespetitsdiamantsautour.Monradindefrère,unabonnementBlockbuster…pluspourluiquepourmoi,àmonavis…Maisilnesait pas qu’ils n’ont pas depornos, là-bas !Mesoncles etmes cousinsmedonnerontmes cadeaux lasemaineprochaine,quandonfêteraça.Monpèreveutfaireleschosesengrand,dansl’hôteld’undesesamis.—Ah,super!Jevaisenfinpouvoirfairelaconnaissancedetafamille…—Biensûr…Tusais,aprèsavoiroubliémonanniversaire,c’estdéjàunmiraclesitumerevois,moi…—Maistunemedonnespasdesecondechance,là.—Tumedemandesl’impossible!Tucroisquejevaisteprésenteràmafamille?!ÇaseraplussimpledetrouveruneidéepourlesJaponais!—Nem’yfaispaspenser.Dis-moiplutôtcequet’ontofferttesamieslesOndes.—Bah,jenesaispas.Ellesfontlesmystérieuses.Jenesaispasquandellesmeledonneront.Alessandrosourit,maisneluimontrepas.—Ah,jevois.Nikiregardedehors.—Maisoùonva?—Onm’aditqu’ilyaunendroitoùonmangetrèsbien,prèsd’ici.ChezRenatone,àMaccarese.—Ahbon,jeneconnaispas…Alessandrocontinueàconduire.Nikiregardelaroute.Ilyaunebifurcation,maisAlessandrocontinuetoutdroit.—SituvoulaisalleràMaccarese,tuauraisdûtourneràdroite…VersFregene.—Tuasraison,jemesuistrompé,jevaiscontinuer,onprendralaprochainesortie.Alessandro accélère un peu en regardant sa montre. On est dans les temps. Niki est plus tranquille,maintenant.Ellemontelevolumedelamusique,puisregardeànouveaudehors.Alessandroneprendpasnonpluslasecondesortie.—Eh,maistut’esencoretrompé!Alessandrosourit.—Est-cequej’aiencoreunetoutepetitechance?J’aipeut-êtrebienfaitdemetromper…Ilprendàtouteallurelevirageàdroitequimènesouslegrandbâtiment.Làoùilyalesparkings.—Nousyvoici.Fiumicino.Etça…Ilprendquelquechosedanssapoche.–…cesontdeuxbilletspourParis.Bonanniversaire!Nikiluisautedessus.—Alorstun’avaispasoublié!Ellel’embrasse,toutémue.—Non…lesjournaux,c’étaituneexcusepourvoirsituavaistacarted’identitésurtoi.Etheureusementquetul’avais,sinonj’auraisdûtedévoilertoutmonplan.Nikileregarde,émueauxlarmes.Justeàcemoment-là,leCDsemetsurladernièrepiste,etlachansondémarre.OhHappyDay…Alessandroregardel’heure.Enricoetsescompilations.Rienàfaire.Unevraiemontresuisse.Etsurles

notesdecettechanson,Nikil’embrasseànouveau.—Çanevautpas.Tun’avaisqu’unechance. Jene t’avaispasdemandé, enplus, deme faire tomberamoureuse…Ellefaitsemblantdelefrapper.Puiselles’arrête.—Eh,maisilyaunproblème.—C’estvrai.Jen’yavaispaspensé.Ilfautquetupréviennestesparents.Bah,inventeuneexcuse,detoutefaçononrentredemainsoir.Nikisourit.—Non,sicen’étaitqueça…Unmensongedeplusoudemoins!Etpuis,maintenant,j’aidix-huitans,jepeuxvraimenttoutdireàmamère.Maisellerepenseàladernièregifle.Ilvaudraitpeut-êtremieuxinventerquelquechose.—Ça,cen’estpasgrave.Parcontre,jen’aiaucuneaffaireavecmoi.Alessandrodescendetvaouvrirlecoffre.Ilensortdeuxpetitesvalisesidentiques,unebleueetunebordeaux.—Ça,c’estlamienne…Ilindiquelableue.–…etçac’estlatienne.J’espèrequetuaimerascequej’aichoisipourtoi.Pourlataille,jedoisavoirbon.Pourlegoût,jemesuispeut-êtreplanté.Tusais,jen’yfaispastropattention.Tumeplaistoujours,quellequesoit la façondont tueshabillée…etpuis,quand tun’espashabillée…tumeplaisencoreplus!Niki l’embrasse,puisdescendde lavoiture. Ilsentrentdans l’aéroport,chacuntirantsapetitevaliseàroulettestouteneuve,chacunsacouleur.Ilsrient,plaisantent.Jeunesvoyageurssansrendez-vous.Sinonaveccesourire.—Tuestropfort!J’aihâted’ouvrirlavalise,jesuiscurieuse…Jemedemandecequetum’asacheté!Alessandrosourit.—Bah…J’aiosé.Detoutefaçon,çaavaitpeudechancesdeteplaire,alorsautantqueçameplaiseàmoi,non?—MonDieu…j’espèrequejenevaispasdevoirmebaladerensurvêtementbariolé,genresuperhérosjaponais!—Tuverras…Ah,c’estlà.Nikis’arrête.—Laisse-moijusteletempsd’arrangerlecoupavecmesparents…Ellecomposeunnuméro.—Allô,maman,c’estNiki.—Jevois.Oùtues?—Alors,tuesprête?Jesuisàl’aéroport.J’aieucommecadeauunsacavecdedanspleindevêtementsneufs.Jevaisprendrel’avion…Elles’arrête,metlamainsurlemicroetdemande:—Aquelleheureonpart,Alex?—Aseptheuresquarante,commedanslachansondeBattisti…Maisnous,onneseséparepas,onpartensemble!Illuidécritbrièvementlesétapesduvoyage.Nikisouritetreprendletéléphone.— A sept heures quarante, pour Paris. On arrive à Roissy-Charles-de-Gaulle. Ensuite, on loue unevoitureetonpasseàl’hôtelsechanger.Etpuis,onvadansdesbistrots,surlarivegauchedelaSeine,ondîneàMontparnasse,etdemainonva faireun touràDisneyland,aprèsunebalade touristiquedans lecentre.Onrentredanslasoirée.Naturellement,jesuisseuleaveclui.Par«lui»,jeveuxdireleprétendu

promoteurfinancierquetuconnais.Silenceàl’autreboutdufil.Nikimarqueunepause,puisreprend.—Tunemecroispas,hein?—Non.—Jelesavais.Jesuisavecmesamies,ellesm’ontorganiséunefêteàleurmanière,etjerestedormirchezOlly.—OK,c’estmieux.Netecouchepastroptard,nemangepasouneboispasdechosesbizarres.Envoie-moiunmessagepourmeconfirmerqueturesteschezelle.N’éteinspastonportable.—OK,maman.—Ah,autrechose…—Dis-moi.—Bonanniversaire,machérie.—Merci,maman.Allez,sinonjevaisratermonavion.—Idiote…Amuse-toi.Nikiraccroche.—Oh,moijeluiaidit!Alessandroluisourit.—Làonvavraimentraterl’avion.Cours!Etilssemettentàcourir,tirantderrièreeuxleursvalisesneuves,sansriend’autre.Légers.Sanspeurs.Sanshâte.Sans temps.Lamainperduedanscellede l’autre.Riendeplus.Pasunrendez-vous,pasunsouci,pasundevoir.Rien.Pluslégersqu’unnuage.

96—Voilà,c’estnotrechambre.—Elleestmagnifique!Nikiposesavalisesurlelitetl’ouvretoutdesuite.—Jetejure,jemeursd’impatience…Jeveuxvoir!Elledéballelesvêtementsqu’ilachoisispourelle.Unpullencotonléger,couleurlilas.Unpantalonunpeuplusclair.UnepairedechaussuresGeoxen toileavecdesbrillants.Unblousonencuirnoir.Unechemiseblancheàcolenpointeetauxpoignetsrigides,styleRobespierre,pourresterdansl’esprit.Leresteestentissutransparent,unesoielégèreetélégante.Etpuis,cachéendessousdetoutlereste,unerobelongue,noire.Nikiladéplieetlametcontreelle.Elleestmagnifique.Ungranddécolletéprovocant.Unefermeturedansledos.Lesépaulesrestentlibres,découvertes.Etlarobetombetrèsbas,ellecouvrelesmagnifiqueschaussuresnoiresensatin,àhautstalons,avecdespetitesbouclessurlescôtés.Aussimodernesqu’ellequandellelesessaye.Ellemarche,défilepourlui,rit,dansedanscettechambre.Ils descendent par le grand escalier, elle à son bras. Jusque dans le hall. Roi et reine d’une nuitfantastique.Unique.A labeauté si intensequ’elleenestpresque imperceptible. Ilsprennentun taxi etdînent sur lesquaisdeSeine.Fruits demer,Champagne, croûtons fait avecdesmorceauxdebaguettepouraccompagnerlasoupedepoissons.Toutestsiunique,sibon,sifort,sichaud.Commecebarausel,frais,avecquelquesgouttesdecitron,aussilégerquel’huilequileparfume,avecunpeudepersilcoupétrèsfin.EtencoreduChampagne.UnFrançaisdélicats’approched’euxavecuneguitare.Unautre,avecdesmoustaches à laDali, apparaît derrière eux. Il a un accordéon. Ils jouent en souriant, bien qu’ilsl’aientdéjàjouédescentainesdefois,LaVieenrose.Etunefemme,oubliantsonâge,selèved’unetableau fonddu restaurant et semet àdanser.Elle ferme lesyeux, lève lesbrasvers le ciel, portéepar lamusique.Unhomme,quine laconnaîtpas,ne la laissepasseule. Il se lève, luiaussi.Larejoint.Ellesourit.Elleouvrelesyeuxetcueillecesmainsquilacherchent.Peut-êtrequ’ellel’attendait.Ouqu’elleespérait.Quisait.Ilsdansentensemble,petitshérossansembarras,surcesnotesquiparlentd’amour.Ilsseregardentdanslesyeuxetsourientsansmalice,conscientsqu’onserappellerad’euxunjour.NikietAlessandro les regardent de loin. Ils se tiennent par la main et sourient, complices de cette magiesplendide,decettedrôledeformule,dececodesecretquicommenceetfinitsansunpourquoi,sansunerègle,commeunemaréeinattenduedansunenuitd’amoursanslune.Puisonapporteunecrèmerenversée,une seule coupe avec deux cuillères. Niki et Alessandro se disputent en plaisantant les dernièresbouchées. Et puis, du Passito de Pantelleria, un vin sec, surprise italienne parmi toutes ces saveursfrançaises.Niki enprendunegorgée, et les lumières s’éteignent.Elle reste commeça, sonpetit verresuspendudanslesairs.Auloin,danslavitredurestaurant,onvoitlesrefletsdeslumièresdelaSeine.Les monuments, du haut de leur beauté effrontée, illuminent la nuit. Une musique démarre dans lerestaurant.Dufonddelacuisine,uneportedouble,commecelledessaloons,s’ouvrepourlaissersortiruncuisinierentoqueblanche.Iltientunemaindevantlui,unpeuouverte.Ilprotègequelquechose.Unelumièreapparaîtderrièresesdoigts.Unepetiteflammedansedanssamain.Ellecroiselespetitscourantsd’airdurestaurant,quiportentlesodeursdediversaliments.D’uncoup,lecuisinierenlèvesamain.Etlegâteauqu’ilporteresplenditdanstoutelasalle.Fraises,Chantillyetcroquantàlanoisetteetausabayon.Lecuisiniersedirigeversleurtableetleposeaucentre.Tout le restaurantentameenchœurundrôlede«bonanniversaire»moitié français,moitiéitalien. Niki attend le bon moment et se lance. Elle souffle ses bougies. Quelqu’un prend une photo,quelqu’und’autre rallume les lumières.Tout lemonde applaudit.Niki sourit, gênée.Elle remercie.Et

puis,commeça,pourlesfairerire,elleplongesonindexdanslegâteauet,enbonnepetitefille,leporteàsabouche.Alessandroprofitedecettedistraction.Ilmetlamaindanslapochedesavesteet,unpeugauchement,leposedevantsonassiette.—Bonanniversaire,monamour…etmercidem’avoirdonnécettesecondechance.Niki,émue,étourdie,extasiée,priseparlafête,souritet…levoit.Unpetitétuibleubrilledansl’assietteauxbordsdécorés.—C’estpourmoi?AlessandroregardeNiki.Luisourit.Elleneditrien.Ellen’encroitpassesyeux.Ellel’ouvre.Et,toutdoucement,c’estcommeuneaubequipointedecepaquet.Toutesleslumièresdurestaurant, touteslesbougies, touslesrefletslerejoignentpourensoulignerlabeautésimple.Unmagnifiquecollierraffiné,subtil,élégantilluminesoudainlesouriredeNiki.Unepetitelunerouge,faitedepoussièredediamants,avecaucentreundiamantenformedecœur.Nikileregarde.Millerefletsdansentdanscettepierre,plusquedansunarc-en-ciel.Dubleu,durouge,dubleuciel,de l’orange.Et les jouesdeNikisecolorent,ellesaussi,embarrassées.—Ilestmagnifique…Alessandroluisourit.—Ilteplaît?C’estmoiquil’aidessiné,chezViviani.ViadélieVite.Senslaboîte…Nikiapprochesonnez.—Mmm,c’estléger,délicat…Qu’est-cequec’est?—J’yaimisquelquesgouttesdecetteessence…Alessandrosortunepetitefioledesapoche,l’ouvreetenverseunpeusursonindex.—C’estpourtoi.C’estunecréationpourtoi.Illuitouchedoucementlecou,l’effleurantpresque,derrièrelesoreilles.Nikifermelesyeuxpuisrespirelafragrancedélicate.—Çasentbon!—C’estdel’essencedejasmins.Alessandroselève,prendlecollier,vaderrièreNilri.Illuipasseunbrasautourducou,poselediamantlégersursoncou.Puis il récupèretoutdoucement lesfdsd’orblanc.Ilsoulèvesescheveux, trouvelepetit crochet, le ferme. Ensuite, il laisse lentement glisser la petite goutte. Il s’arrête, en équilibreinstable, sur son décolleté.Niki ouvre les yeux et voit son reflet dans unmiroir tout près. Elle porteimmédiatementunemainàsoncou,setourneunpeu,penchelatêteetsourit.—C’estmagnifique…—Non.C’esttoiquiesmagnifique.Lesmusiciensrecommencentàjouer.L’hommeetlafemme,qui,toutàl’heure,dansaient,rientmaintenantensemble.Ilsboiventunverredemerlotaubar.Ungroupedéjeunesgensentrebruyamment,toutàleurgaietédejeunesse.MaislatabledeNikietAlessandroestvide.Ilssontdéjàloin,danslanuitparisienne,enlacéssouslesétoilesquiencadrentlatourEiffel.Ilslaregardentd’enbas.Desnuages,lalune,etpuisce métal qui s’entrecroise, des trous, des ascenseurs, des touristes qui se penchent, s’embrassent,indiquentdelamainquelquechoseauloin,qu’onvoitdelà-haut.Ellen’estjamaisaussigrande,surlescartes postales. Ils prennent un taxi pour se promener. Les Champs-Elysées, le Louvre, Pigalle,Montmartre, à nouveau la Seine. La promesse de revenir bientôt. Et puis, un souvenir de la dernièrecoupedumonde,nepasoubliercecoupdeboule,nisurtoutcetteréplique:«Rendez-nouslaJoconde!»Descendredutaxi,payer,marcherunpeudanslanuit.PrèsdelaSeine,laSainte-Chapelle.Ilsentrent,

jeunestouristesinexpérimentésquiseperdentdanslabeautédesvitraux,decesmillescènesbibliquesquelesfidèlesappellent«l’entréeauparadis»…Etilssontsiheureuxqu’ilsn’ontpaslecouragededésirerquoiquecesoitd’autre,ilsn’osentpas,ilsontmêmehontedeprier,sinonpourdemanderdenepasseréveillerdecerêve.Egoïstesdeleurbonheur,ilsarriventainsiàl’hôtel.—Pfff…jesuiscrevée!Nikiselaissetomberàplatdossurlelit.D’uncoupdepied,elleenvoiebaladerseschaussuresneuvesquiatterrissentàl’autreboutdelapièce.Alessandroenlèvesaveste,lametsuruncintreetlarangedansl’armoire.—J’aiquelquechosepourtoi…—Encore?Nikiserelèveets’appuiesursescoudes.—Maisc’esttrop!Tum’asdéjàofferttoutesceschosesmagnifiques.—Cen’estpasdemapart…Alessandros’approchedulitavecunpaquet.—C’estdelapartdesOndes.Nikileprend.Unpaquetparfaitementemballé,avecaucentreunepetitecarte.—C’estEricaquiafaitlepaquet,jereconnaissaminutie.Etl’écrituresurlacarte,c’estOlly.Nikiouvrelemotetlelit.«Salut,jeunefillededix-huitansenfugue!Onvoudraittoutesêtreavectoiencemoment…maisaussiaveclui!!!Alexnousplaîtbeaucoup.Aprèslasurprisequ’ilsnousaditqu’ilallaittefaire,nousavonsabandonnétoutesnosrésistances…tupeuxfairedesOndescequetuvoudras!Unebelleorgie,çaseraitbien,non?»Niki marque une pause. Il n’y a rien à faire, Olly est incorrigible. Puis elle reprend. « Allez, jeplaisante…quoiqu’ilensoit,ont’aimeetonveutêtreavectoiànotrefaçon…fais-enbonusage!Oui,bon…fais-luivoirlesétoilesparisiennes!»Nikiesttoutétonnée.Maisqu’est-cequec’est?Elletouchelepaquet,lepalpe.Rien.Rienneluivientàl’esprit. Elle essaie de le tâter, le tourne et le retourne.Rien. Elle décide de l’ouvrir. Elle enlève lepapier…puiscomprend.Ellesourit,amusée.Unechemisedenuitensoie,bleumarine,pleinededentelleetdevoilestransparents.Elledanseenlatenantdanssesbras,contreelle,jusqu’àunmiroir.Ellepenchela têted’uncôté,enseregardant.Alessandroestallongésur le lit,sur lecôté, ilvoitsonreflet.Leursregardssecroisent.Alessandrosourit.—Çadevraitaller…essaye-la.—Oui…maisalors,fermelesyeux.Niki commence à se déshabiller, puis s’aperçoit que les yeuxd’Alessandro ne sont pas complètementfermés.—Tutriches.Elle éteint la lumière. Des reflets nocturnes, quelques lampadaires au loin et des étoiles cachéesespionnentparlesrideauxàdemitirésdecettechambre.Nikis’approchedulit,d’Alessandro,maisresteàmoitiédebout,enappuisursesgenoux.Ondiraitqu’elleaétédessinéedanscecontre-jourbleu.Elleprendunevoixchaudeetsensuelle.—Alors…commentçameva?Alessandroouvre lesyeux. Il l’effleurede lamain, légèrement,encherchant la soie. Il luicaresse les

jambes,puisplushaut,encoreplushaut,leshanches,maisilnetrouverien.—Eh,maistuesunnuage?Nikirit.—Oui…tuasvucommeelleestlégère,cettechemisedenuit.Onnelasentpresquepas.Unbaiser,unéclatderire.Etunenuitquin’aplusdelimites.Lesétoilesfrançaisesdoiventbienfinirparl’admettre.Oui.C’estuneautrevictoire.LesItalienssontlesmeilleursamantsdumonde.Lelendemain,superbepetitdéjeuneraulit.Croissants,œufsbrouillés,orangespresséesetpetitsgâteaux.Etlesjournauxitaliens,qu’ilsn’ouvrentmêmepas.Ensuite,ilslouentunevoiture,directementàl’hôtel.Ilsymontenttandisquelejeuneréceptionnistearriveavecunecartepleined’indications.Alessandroconduit,Nikiluisertdecopilote.—Droite,gauche,encoreàdroite,toutdroit…etpuisauboutàdroite.Ellerittoutenmordantdanslabaguettequ’elleaemportée.Alessandrolaregarde.—Eh,maisqu’est-cequetumanges!Nikiterminesabouchée,puischanged’expression.—Oui…c’estvrai…J’espèreque…Alessandrolaregarde,inquiet.—Niki?Nikisourit.—Toutvabien…jelesaielleslasemainedernière!C’estque,quandjesuisheureuse,j’aiunedecesfaims…IlssortentdeParis,maissanstrops’éloigner.—Voilà,voilà,c’estlà.Nikiindiqueunpanneau.—Disneyland,troiskilomètres.Onestpresquearrivés.Ilssegarentetdescendentdelavoiture.Ilscourentmaindanslamain,prennentdestickets,entrentetseperdentparmitouscesgensquisourientcommeeux,jeunesenfantsdetousâgesenquêtederêves.—Regarde,regarde,ilyaMickey!Nikiluiserrelamain.—Alex,prends-moienphoto!—Maisjen’aipasd’appareil!—Jen’ycroispas…tuastoutorganiséàlaperfectionettun’aspaspenséàl’appareilphoto?Letrucleplussimple?—Onvaréparerçatoutdesuite!Ils achètent un Kodak jetable et immortalisent la poignée demain avecMickey. Et aussi le baiser àDonald,l’embrassadeavecDingo,lesalutàTicetTac,etunedernièrephotoavecCendrillon.—Monamour,tuesmagnifiqueaveccettepetitecouronnesurlatête!Nikileregardeavecétonnement.—Maisjen’aipasdecouronnesurlatête!PuisNikiregardeCendrillon,unesuperbefille,grande,blonde,éthérée,avecunsouriremagnifique.Etunecouronnesurlatête.NikijetteunregardnoiràAlessandro,quisourit.—Oups,pardon…j’aiconfondu.Alessandros’enfuit,NikiluicourtaprèsetCendrillonrestesurplace,sansdireunmot,immobiledevantsonchâteau,àlesregarder.Puisellehausselesépaulesetvasourireàdenouveauxvisiteurs.Ellenepeutpascomprendrequ’ils’agitdemagie,làaussi.Alessandro etNiki continuent leur tour, escaladent lesmontagnes rocheuses, entrent dans lemondede

PeterPan,fontuntourenbateauaveclecapitaineCrochet,accostentdansunwestern,mangentdansunsaloon,puisseretrouventsoudaindanslefutur,àbordd’unemachineàremonterletemps.IlsrencontrentLéonard de Vinci, traversent différentes époques. Des hommes des cavernes à la Renaissance, de laRévolutionfrançaiseauxannéesvingt.—Jevaismêmepouvoirdireàmamèrequej’airéviséunpeumonhistoire…Ilscontinuent.IlsfontuntourdeSpaceMountains,lesmontagnesrussessupersoniques,danslenoir.IlsfoncentverslaLune,larejoignentmaisfontuncrochetsoudainàdroite,ladépassant,puisànouveauversle bas, les cheveux dressés et le cœur qui bat la chamade. Leurs mains accrochées aux barres deprotectionmétalliques,lesyeuxfermés,ilshurlentleurbonheurfouetsansbornes.—Onatoutessayé…—Oui,onn’arienraté.—MonDieu,jesuistouteretournée,jesuisennage…regarde,monT-shirtesttoutcollant.Alessandros’approcheetletouche.—Maisilesttrempé,dèsqu’onarriveàlavoituretutechanges.—Ouijemettrailesweat-shirtquej’avaishier.Oh,c’estquoi,ça?Desépisdemaïs!Nikicourtcommeunepetitefilleaumilieudelapetiteplacedestyleantique,français,disneyien.Elles’approcheduvendeurdemaïset, aprèsavoirhésitéunpeu, luien indiqueundeson indexmaigreettimide.Alessandrolarejoint,payeetsourit.Jeunepapadecettefillequ’ilaelleunpeutroptôtetquineluiressembleenrien.—Merci…Ellemorddansl’épi,l’embrasse,mord,embrasse.Unbaiserlong.Trèslong.Troplong.Quelqu’unsouritetsecouelatête.Penséescinématographiques.Monpère,cehéros.Oumieux.L’amourn’apasd’âge.Alessandroregardesamontre.—Eh,ilfautqu’onfile.Sinononvaraterl’avion.—Jelerateraisvolontiers,maisdemainj’aimadernièreinterrod’histoire.Ilss’enfuientencourant,unépidemaïspleindemorsuresvoledansunepoubellesurleborddelaroute.PuisNikichangedeT-shirtderrièrelaportièredelavoiture,drôledevestiaireparisien.—Allez,onyva.Ilss’éloignentdanslanuit.Ilslaissentlavoitureauparking.Puisunebrèvefiled’attente,lespapiers,lecheck-in, les petites valises à roulettes.Alessandro enlève quelque chose de sa poche pour passer lecontrôledesécurité.Quandc’estletourdeNiki,çasonne.Unpolicierfrançaiss’approche.IlprendunpetitdétecteurdemétauxetlepassesurNikiencherchantquelquechose.—Niki,faitAlessandroderrièreelle,maisqu’est-cequetuasvolé?—Lacoupedumonde!Ellesemetàchantergaiement.—Allez,soissage,restetranquille…sinonilsnenouslaisserontpaspartir!MaisNikicontinueàchanter.—Etpuis,jenel’aipasvolée,onl’agagnée!Alessandrosemetàchanter luiaussi,puis ilprendNikipar l’épaule.Ilss’envontainsi,dedos,maisensemble,pascommedanscertaineschansons…Desnuageslégers,etuncoucherdesoleillointainquidisparaîtlentementàl’horizon.L’aviontangueunpeu.NikiseblottitcontreAlessandro.Puis,toutdoucement,levolredevienttranquilleetelles’endort.

Alessandrolaregarde,appuyéecontrelui,etilluicaressedoucementlescheveuxdelamaingauche.Illesarrangeunpeu,lesdéplacepourmieuxvoirlalignedesonvisage,délicate,siparfaitementdessinée,naturelle. Ces longs cils qui poursuivent qui sait quel rêve. Niki dort tranquillement, elle respireprofondément, sereinement. La respiration d’une petite fille qui a couru toute la journée derrière sonbonheuretqui,pourunefois,l’aattrapé.L’avionsursaute,doucementd’abord,puisplus fort.Lesmoteurssemettentàgronder.Nikise réveilled’uncoupetsemetdanslesbrasd’Alessandro,apeurée.—Qu’est-cequisepasse?Ausecours!—Chut,soistranquille,cen’estrien.Illaserrecontrelui.—Onvientd’atterrir.Nikisoupiredesoulagement,puissourit.Ellesefrottelesyeuxetregardeparlehublot.—NoussommesrentrésàRome.Pasdequ’elle,pasdebagagesàrécupérer,lavoiturelesattendauparking.—Attends,j’appellechezmoi.Nikiallumesonportable.Maisaprèsavoircomposélepin,plusieursmessagesarrivent.Ellelesouvre.Quedescoupsde fildechezelle.Soudain, toutdisparaît.Unappel.Elle regarde l’écran, fait signeàAlessandrodenepasparler,puisrépond.—Allô,maman,salut!—Oui,salut!J’étaisinquiète!Tontéléphoneétaittoujourséteint.Çafaitdeuxheuresquejet’appelle.Onpeutsavoircequetufais?NikihausselesépaulesetsouritàAlessandro.Tuvois,mamèrenemecroitpas.—Maisrien,maman,jemebaladaisdanslecentreavecdesamis.—Oui,tupassestontempsàtebaladeravecdesamis,et toujoursdansdesendroitsoùleportablenepassepas…c’estbizarre,àt’écouterondiraitquetouteslescompagniestéléphoniquesvontfairefaillite.Tonportableneprendjamaisnullepart…—C’estparcequevousm’enavezoffertund’occasion.—Oui,c’estça,faisdel’humour,siçacontinuec’esttoiquejevaisvendred’occasion.Jepeuxsavoiroùtuétais,tuavaisditqu’onseracontaittout.—Oui,maisdepuiscettegiflequelquechoseachangé.—Non!Cen’étaitqu’unincidentdeparcours,onnepeutpastoujoursêtred’accordsurtout.Nikiyréfléchitunpeu.—OK,commetuveux.Jetel’aidéjàdithier,detoutefaçon.J’étaisàDisneyland,ensuitej’aicouruàl’aéroportdeParisparcequ’onétaitenretard,maisonaquandmêmeréussiàprendrel’aviondehuitheures…c’estpourçaquemonportableétaitéteint…làjesuisàFiumicino.Silence.—Maman?—Oui,jesuislà…tuasdelachancedetoujoursavoirenviedeplaisanter.Bon,tueslàdanscombiendetemps?NikiregardeAlessandro,puissamontre.Ellehausselesépaules,commepourdire:«J’aiessayédeluidirepourladeuxièmefois.Ellenemecroitpas…»Alessandroluifaitsignequ’elleestfolle,puisqu’ilsarriverontdansuneheure.

—Jesuislàdansuneheureetdemie.—Pasplustard!Elleraccroche.Ilss’envontdanslacirculationromaine.Lepériph.Desgenssontnerveux.Unbourrinpassesontempsàdéboîter pour doubler, d’abord par la gauche, puis par la droite. Impatient. Il poursuit sa route. Ils’éloigne dans sa Peugeot aux vitres teintées.Alessandro, lui, conduit tranquillement. Il la regarde detempsentemps.Nikiestentrainderangerquelquechosedanssonsac.Quandonrevientdevoyage,onal’impression d’avoir plus de temps. On est serein. Parfois, un voyage aide àmieux cerner sa propreexistence, à comprendre oùon en est.Combiende cheminon a parcouru, oùonva, oùon se perd, etsurtoutsionestheureux.Etàquelpoint.Juste à ce moment-là, deux bips. Un message. Alessandro prend son Motorola dans sa poche. Uneenveloppeclignote.Ill’ouvre.C’estPietro.Çafaitunmomentqu’iln’apaseudesesnouvelles.Maiscequ’illitestladernièrechosequ’ilauraitvouluapprendre.«Salut.OnesttouschezFlavio.Sonpèreestmort.»Alessandron’arrivepasàycroire.—Non.Nikisetourneverslui,effrayée.—Qu’est-cequisepasse?—Lepèred’unamiestmort.Flavio.Flavio,tul’asrencontré.Tuvoisquic’est?LemarideCristina…Cellequinetesupportepas,d’aprèstoi.—Jesuisdésolée.Mêmesijeneleconnaispasbien…IlsarriventenbasdechezNiki.—Merde,jesuisvraimentdésolé.Heureusementqu’onestrentrés.Jevaischezlui.Nikisourit.—Bien sûr.Appelle-moi quand tu veux, quand tu as envie... Vraiment, quand tu veux. Je laissemonportableallumé.Alessandroluisourit.Nikil’embrassedoucement,puiss’enfuit.Maiselles’arrêteuninstantetsourit.—Eh,mavaliseestdanslecoffre.Jetelalaisse…Jepasserailaprendre.AlessandroattendqueNikientredansl’immeuble.Unpetitsignedelamain,etils’éloignedanslanuit.

97Ilssonttousvenus.Lesamislesplusproches,lesvraisamis,ceuxquiconnaissenttouteslesvéritésd’unefamille,ceuxquiontassistéensilenceauxpetitesetauxgrandesdouleurs,etquiontaussifaitlanoceense réjouissant des petites et grandes joies de la vie. C’est ça, l’amitié. Savoir doser le bruit de saprésence.Alessandros’approchedeFlavioetleserredanssesbras.Tout.Beaucoup.Tellement.Chacunserappelleàsafaçonlesmomentsdifférentsd’unemêmevie.—Merde,Flavio,jesuisdésolé…Ilsseregardentdanslesyeuxetnesaventpasbienquoisedired’autre.Cesoccasionspoussentinévitablementausilence.Etrelà,êtreprésent,vouloirdirebienplusmaisnepasyarriver.Ainsi,toutseditavecunetapedansledos,uneembrassade,unephrasequitesembleidiote,maisquiestlaseulequitevient.Quitesembleêtrelameilleure,laplusvraie,laplussincère.Maisquinel’estpas.Oupeut-êtrequesi,enunsens.Quisait…c’estquetuaslagorgenouée.Situdisunmotdeplus,tusaisquetuvastemettreàpleurer.Tuaslesyeuxbrillants.Ettuvoisqued’autressontplusfortsquetoi.Ilsnepleurentpas.Ilsont l’airsereins,commes’ilnes’étaitrienpassé.Ilsréussissentàbienvivre leurdouleur.Oupeut-êtrequ’ilsn’enont rienà faire, tupenses.Maisqui sont-ils?Commecesdeuxtypes,parexemple,sansdoutedescousins…ilssontaufonddusalonetdiscutentenriant,ilsfontmêmeunpeudebruit.Ondiraitquelefaitquequelqu’unsoitmortestleurseuleoccasionpourserevoir.Oupeut-êtrequeleurfaçondefairen’estqu’unecouvertureastucieuse.Nepaspouvoirsepermettreleluxede se sentirmal, de souffrir ouvertement, depleurer librement, sanshonte.Cedrôled’impôtquenotrecaractèrenousobligeparfoisàpayer,nouslaissantàl’écartdelabeautédessentiments.Alessandro,PietroetEnricotiennentcompagnieàFlaviotoutelanuit,etchacun,àsafaçon,renonceàquelquechosepourpouvoirêtreprèsdelui.Ilsensonttouslestroisheureux,etpersonneneregrettecequ’ilaperdu.Nuitdemots.Nuitdesouvenirs.Nuitdeconfidences.D’anecdoteslointaines.Devieilleshistoiresqueladouleur,avecsonsoufflepuissant,faitparfoisréémerger.D’épisodespassés,cachés,perdusmaisjamaistotalementabandonnés.—Voussavezquoi,lesgars…Flavioprendunegrossegorgéedewhiskyet les regarde.Personnene répond. Il n’y en apasbesoin.Flavioseremetàparler.—Tutemetsàpenserauxchosesquetuneluiapasdites.Auxfoisoùtul’asdéçu.Aceschosesquetuaurais voulu lui dire, ce jour-là, à ce que tu voudrais lui dire maintenant. Courir chez lui. Sonner àl’interphone.Levoirsepencheràlafenêtre.Papa…j’aioubliédetedireunechose…tuterappelles,cettefoisoùnoussommesallés…voilà.Flavioregardeànouveausesamis.—Çafaitmal.C’estpeut-êtreuneconnerie…maistuaimeraisvraimentpouvoirlaluidire.Quelquesjoursplustard.L’enterrement.Fleurs.Phrases.Silence.Gensperdusdevuedepuislongtempsquirefontsurface.Commecertainssouvenirs.Etpuis,dessalutations.Despoignéesdemain.Del’émotion.ToutlemondesalueFlavioavecaffection.Certainsapportentdesfleurs.D’autresviennent

d’unpassé lointainetdisparaîtrontànouveaupour toujours,maisnevoulaientpasmanquercedernierrendez-vous.Ensuite,lasépulture.Underniersalut.Unedernièrepensée.Etpuisplusrien.Pfff.Unpetitballon qui s’éloigne vers le ciel. Silence. Toujours plus loin. Péniblement, les premiers grincements.Commesi lagrandemachinese remettaitenmarche.Desbruits fatigants,deschaînesmalhuilées,desengrenagesquicrissent,quiraclent.Maisellerepart.Voilà…Tchou,tchou!Commecetrainauloin,àl’horizon, qui reprend sa route, sa course, qui augmente son rythme, souffle, encore, oui, vers desfrontières lointaines, vers les jours futurs… Tchou, tchou… Et il souffle, il souffle encore. Ne pass’arrêter.Ne pas s’arrêter. Et tout lemonde, tout lemonde continue d’avancer. Tôt ou tard, peut-êtrequ’ilsréussirontàoublierquelquechose.Oupeut-êtrepas.Etdanscedouteaussi,ilyadelabeauté.

98Lasemainesuivante,Alessandroveutsefaireuncadeau.Ledimanchematin,ill’appelle.—C’étaitqui,cematintôt,autéléphone?—Alex.Lamèred’Alessandro,Silvia,rejointsonmariausalonetleregarde,inquiète.—Undimanchematinàcetteheure-là?Etqu’est-cequ’ilvoulait,qu’est-cequ’ilt’adit…—Jenesaispas.Ilm’adit:papa,jevoudraissortiravectoi.—MonDieu,ildoits’êtrepasséquelquechose…—Maisnon,montrésor,ildoitavoirquelquechoseàmeraconter…—C’estbiencequim’inquiète.Luigisouritethausselesépaules.—Bah, je ne sais pas… Ilm’a dit : est-ce qu’il y a quelque chose que tu voudrais faire avecmoi,quelquechosequetunem’asjamaisdit?Silviaregardesonmarid’unairabasourdi.—Ettuvoudraisquejenem’inquiètepas?Luigimetsaveste,puisluisourit.—Non.Tunedoispast’inquiéter.Amonretour,jeteracontetout.Ilentendsonneràl’interphone,vaàlacuisineetrépond.C’estAlessandro.—Jedescendstoutdesuite.Silviaarrangelavestedesonmari.—Qu’est-cequej’aimeraisêtreavecvous.Luigiluisourit.—Tuyseras…Ils s’embrassent. Luigi sort et ferme la porte derrière lui. Quelques instants plus tard, il est dans lavoitureavecAlessandro.—Alors,papa…Tuaspenséàcequetuvoudraisfaire?Sonpèreluisourit.—Oui.C’estsurlaroutedeBracciano.Unpeuplustard,laMercedesd’Alessandroestgaréesouslesoleilchauddemidi.—Alors,n’appuyezpastropsurl’accélérateur.Suivezlesviragesetnefreinezpas,onperdfacilementlecontrôle.Attention,hein…gardezbienlepiedsurl’accélérateurdanslesvirages.Alessandroregardesonpère,àcôtédelui.Ilauncasquerouge.Ilestdrôle.Ilsourit,ilal’airamusé,ondiraitunenfantdanscekartpuissant.—Tuesprêt,papa?—Jesuisprêt…Celuiquifaitlemoinsbontempssurdixtourspaye,d’accord?Alessandrosourit.—D’accord.Ils partent, Schumacher improvisés de cette drôle de compétition.Alessandro se fait dépasser tout desuite,maisnelâchepassonpèred’unesemelle.Ilaccélèredetempsentemps,regarded’unairamusécethommedesoixante-dixansquiprendlesvirageslatêtepenchéesurlecôté,pensants’aiderdanscedrôledejeudespoids.

Ensuite,plustard.—Ah…jemesuisbienamusé!Combientuaspayé,Alex?—Qu’est-cequeçapeuttefaire,papa…j’aipayécequejedevais.J’aiperdu.Ilsmontentdanslavoiture.Alessandroconduittranquillementverslamaison.Sonpèreluijetteuncoupd’œildetempsentemps.Ildécidedereprendreunpeusonrôle.—Toutvabien,Alex,n’est-cepas?—Toutvabien,papa.—Tuessûr?—Sûr.Sonpèresedétend.—Bien.Jesuiscontent.Alessandroregardesonpère,puisànouveaularoute.Puisànouveausonpère.—Tusais,papa,jesuisvraimentcontentqu’onaitpassécettejournéeensemble…Biensûr,jepensaisquetuauraisvoulufairequelquechosededifférent…Sonpèresourit.— Peut-être parce qu’un fds attend toujours plus de son père… Ils ne disent rien pendant quelquesinstants.PuisLuigireprend,suruntontranquille.—Tusais,j’ailonguementréfléchisurcequejepouvaisinventer.Etpuis,jemesuisdit:quoiquejeluidise,çan’irapaspourlui,c’est-à-dire…IlsetourneetsouritàAlessandro.–… ça ne sera jamais quelque chose à la hauteur de ce qu’il attend de moi… C’est pour ça que,finalement, jeme suis dit qu’il valaitmieux te dire simplement la vérité. Jeme suis dit que tu allaism’apprécierjustementpourça,etquejen’allaispastedécevoir…Alessandroleregardeetsouritàsontour.—Etça,c’estquelquechosedontj’avaistoujoursrêvé…Depuisquejesuisjeune,j’aienviedefairedukart…jen’enavaisjamaisfait…—Etaujourd’hui,tuasréussi…—Oui.Sonpèreleregarde,unpeuperdudanssespensées.—Tum’aslaisségagner.—Non,papa.Tuétaisvraimentrapide.Tuasmêmefailliteretournerdansunvirage.—Oui,maisjen’aipaslevélepieddel’accélérateur,sinonj’auraisperdulecontrôle.Unebellecourse,vraiment.—Oui.Trèsbelle.Arrivéenbasdechezsesparents,Alessandros’arrête.—Etvoilà…Sonpèreleregarde.—«Quandjemetsunvert,çaneveutpasdiredel’herbe,quandjemetsunbleu,çaneveutpasdireduciel…»Alessandroleregarde,surpris.Ilnecomprendpas.—C’estd’HenriMatisse.Jesaisqueçan’arienàvoir,maisçam’abienpluquandjel’ailu.

Luigidescenddelavoitureetsepenchepourluidireaurevoir.—Tusais,Alex,unjourtutesouviendrasdemoipourcettephrasequin’estpasdemoi,oubienpourcevirage…Jenesaispascequiestpire.—Cequiseraitpire,c’estquejenemesouviennepasdetoi.—Ah,ça,sansaucundoute…Çaseraitpirepourmoi,çavoudraitdirequejen’airienfaitdebon.—Papa…—Tuasraison…Laissonstomber.Aufond,j’airéussiàbattremonfds,àsoixante-dixans.Aufait,tamèrevameposertoutuntasdequestions.Unechoseestcertaine,ellevavouloirsavoircommentçasepasseavecElena,sielleestrevenue.Alessandrosourit.—Alors,dis-luiquetuasgagnélacoursedekart…Etquejesuisheureux.

99Les jourspassent. Joursde lycée. Joursde travail. Joursd’amour. Jours importants.Alessandroestenréunionavecsonteam.—Alors,vospropositionssontbonnes,trèsbonnes…maisilmanqueencorequelquechose.Jenesaispasquoi,maisçamanque…Puisilregardeautourdelui.—MaisoùestAndréaSoldini?DariohausselesépaulestandisqueMichela,Giorgiaetd’autresgensdustaffricanent.Justeàcemoment-là,AndréaSoldinientre,essoufflé.—J’étaisdescenduuninstant,excusez-moi,jedevaisenvoyerunpaquet…Alessandroleregarde.—Maispourquoi,est-cequ’ondevaitenvoyerdenouvellesépreuvesjustementmaintenant?—Non.AndréaSoldiniesttoutgêné.—C’étaituneaffaireprivée.Alessandrosoupire.—S’ilvousplaît. Ilnenous resteplusqu’une semaine.Lesépreuvesqu’on fera, sionen fait,on lesenverraparmailpouravoirl’approbation…Vousêtestoussurlepontjusqu’àdimancheprochain,vousnerespirezpas,vousnemangezpas,vousnedormezpas.Dariolèvelamain.—Etbaiser,toutenpensantàlapublicité,onpeut?—Siçadoittefaireveniruneidée,oui.—C’est ça, il ne pense à rien, lui, il vient, un point c’est tout…Tout lemonde rit.Une fille rougit.Alessandrorappellesonstaffàl’ordre.—S’ilvousplaît,çasuffit!Allez,onseremetautravail…alors,oùonenétait?Justeàcemoment-là,sonportablesonne.—Excusez-moiuninstant.Ilvaàlafenêtre.—Allô.—Joyeuxanniversaire,joyeuxanniversaire,joyeuxanniversaire,Alex…Tupensaisquej’avaisoublié,hein?Alexregardesamontre.C’estvrai.Onestle11juin,aujourd’hui.C’estmonanniversaire.—Niki,tunevaspasmecroire.J’avaisoublié.—Bon,alorsjevaisréparerçapourtouslesdeux.J’airéservéunendroitmagnifiqueetjet’invite,tucroisquetupeuxpassermeprendreversneufheures?Alessandro soupire. En réalité, il voudrait surtout travailler. Ou mieux, il devrait. Il voit Luganos’approcher…—OK.Maisjenecroispasquejefiniraiavantneufheuresetdemie.—OK.Bontravail,alors…etàplustard.Alessandrorefermesonportable,puisilsetourne.Toutsonstaffasurlatêtedespetitschapeauxcolorés,etsurlatableilyaungrandplateaupleind’excellentespâtisseries.UnsacdechezMondi,fraîchementdéballé,traîneencoreaumilieu.

—Bonanniversaire,chef!Nousaussi,aveccettemauditeLaLune,onafaillioublier.AndréaSoldiniaunebouteilleàlamain.—C’estpourçaquej’étaisdescendu…j’avaistoutlaissédehors…tôtoutard,ilallaitbienfalloirquetutedétendesunpeu!Alessandrosourit,embarrassé.—Merci,toutlemonde,merci.Dario,GiorgiaetMichelas’approchent,unpaquetàlamain.—Meilleursvœux,boss…—Maisilnefallaitpas…—Onsait,maiscommeçaonespèreunepetiteaugmentation.—C’estdelapartdenoustous…Alessandro déballe son cadeau. Unmagnifique lecteur mp3 et un CD,Moon, où il est écrit : « Bonanniversaire…pourresterdanslethème!Tonprécieuxteam!»AndréaSoldinidébouchelabouteilleetverseleChampagnedanslesgobeletsenplastiquequeDarioluipasse.—Allez,prenezlesverres,faites-lespasser…Finalement, tout le monde en trouve un. Alessandro lève le sien. D’un coup, c’est le silence total.Alessandros’éclaircitlavoix.—Alors,çamefaittrèsplaisirquevousvousensoyezsouvenus.J’aimebeaucoupcecadeau,l’idéeduCDest trèsamusante…Et,quandvousvoulez… jevoisquevousêtescréatifs,vousavezdes idées !Donc, j’espèrequevous en trouverezviteunequi nouspermettradeprétendre àunevictoiredésirée,soufferteetméritée!Puisillèvesonverre.—Anoustous,conquérantsdeLaLune!Ils l’imitent en souriant, au son de bon anniversaire chef, bon anniversaire Alex. Bon anniversaire…Alessandrosouritentrinquantavectoutlemonde.Ilboitunegorgée.Maispetite.Ilneveutpasexagérer.Etsurtout,lecadeaud’anniversairequ’ilpréférerait,c’estuneidéepourlesJaponais.Dans l’après-midi, tout son staff travaille consciencieusement, en écoutant le CD. Chacun fait uneproposition,donneuneidée.AndréaSoldiniatrouvéunevieillepublicitéparuedansunjournal,ilyabienlongtemps.—Tuvois,Alex,cen’étaitpasmal…Ilposelarevuesurlatable,devantlui.Alessandrosepencheenavantpourmieuxvoir.AndréaSoldinien profite pour lui glisser quelque chose dans la poche.Alessandro ne s’aperçoit de rien et continued’examinercettevieillepublicité.Puisilsecouelatête.—Non…çanevapas.C’estdépassé.C’estimmobile.AndréaSoldinihausselesépaules.—Dommage.Bon,ehbienmoij’auraiessayé…Ils’éloigne.Puissouritdiscrètement.Peut-êtreque,encequiconcernelapublicité,sapropositionn’apasabouti.Maispourlereste…ilaparfaitementatteintsonbut.

100Vingtheurestrente.Alessandroentredansl’ascenseurdechezlui,crevé.Ilseregardedanslemiroir.Ilyvoit clairement toute la fatigue de la journée. Et surtout le stress de n’avoir pas encore trouvé l’idéegagnante.Lesportesdel’ascenseurs’ouvrent.Alessandrometlamaindanslapochedesaveste.Ilprendsesclés.Enouvrantlaported’entrée,iloublieimmédiatementsafatigue.Qu’est-ce qui se passe ? Qui est entré ? Partout dans le salon, des petites bougies parfumées sontallumées.Lespetitesflammesdansent,muesparunventléger.Unemusiquedoucesediffusedanstoutelamaison.Unparfumdecèdrerendl’airparticulièrementfraisetagréable.Aucentredusalon,parterre,deuxgrandsbolsenterrecuitesontremplisdepétalesderoses.Unparfumencoreplusfort,enivrant,enémane.Alessandronesaitpasquoipenser.Iln’yaqu’unepersonnequiaitlesclésdelamaison.Ellenelesajamaisrendues.Elena.Mais,justeàcemoment-là,cedoute,cettepeur,cettedrôled’inquiétudesontbalayés d’un coup. Une douce musique japonaise aux sons antiques, ancestraux, ces rythmes secs,impossibles à confondre. Elle sort de la pénombre de la chambre. Un kimono blanc, avec des petitsdessinsenargent,aussilégerquelaceinturequilaserreàlataille.Elle porte des nu-pieds et avance d’un pas court, rythmé, typique des vraies femmes japonaises. Lesmains serrées devant son torse. Les cheveux relevés. Seule une petite mèche châtain clair, légère, aéchappéàcetteétrangecapture.—Mevoici,monseigneur…Ellesourit.Alessandroadevantluilaplusbellegeishaquiaitjamaisexisté.Niki.—Maiscommenttuasfait?—Netedemandepas,monseigneur…chacundetesdésirsestundevoir.Elleluienlèvesaveste,lapliesoigneusementsurlefauteuildusalon.Puisellelefaitasseoir,luiretireseschaussures,seschaussettes,sonpantalon,sachemise.—Non,jeveuxsavoircommenttuasfait…—Undetesesclaves,monseigneur,m’aaidée…NikienfileàAlexunkimononoir.—Etilm’aditdetedonnerça…NikidonneunbilletàAlessandro.Ill’ouvre.

CherAlex,J’aipristesclésdanstapocheetjelesaidonnéesàNiki.Elleenafaitundoubleetellemelesarapportées.Commetuasvu,ellessontànouveaudanstapoche.Jecroisque,parfois,unebellesoiréevautbienunpetitrisque.

AndréaSoldini

PS : Le Champagne, c’est moi qui l’offre. Tout le reste… non. J’espère que tu ne vas pasmelicencier.Sic’étaitlecas,bon,j’aipeut-êtrepristropderisques,maisj’espèrequeçaavalulapeine…

Alessandrorefermelebillet.Ilentenddanssondoslebruitd’unebouteillequ’ondébouche.Nikiverse

duChampagnedansdeuxcoupes.ElleenpasseuneàAlessandro.—Al’amourquetudésires,monseigneur,etàtonsourireleplusbeau,j’espèrequ’ilestgrâceàmoi.Ilstrinquent.Unlégertintementserépanddanslesalon,tandisqu’AlessandroboitleChampagnefroid,glacé, excellent, sec.Comme lamaindeNikiqui le conduit vers la salledebains.Elle lui retire sonkimonoetl’aideàentrerdanslabaignoirequ’ellevientdepréparer.—Détends-toi,monamour.Alessandro s’immerge dans l’eau chaude, mais pas trop. Température parfaite. Sur le bord de labaignoire,elleaposéplusieursbougiesdesantaldansdespetitsbols.Aufond,despetitscristauxdeselbleuminéralsontentraindefondre.Unemousselégèreseformedoucement,parfumantl’eau.Alessandroselaisseglisser,metsatêtesousl’eau,fermelesyeux.Danscesilence.Lamusiquearrivedeloin,douce,dans l’eau. Tout est ouaté. Tout est tranquille. Je suis en train de rêver. Il se laisse aller.Même sescheveuxondulent,selaissentbercerparcecalmeaquatique.Peuaprès,quelquechosedelisseeffleuresesjambes.Alessandroserelève,ressortlatête,cracheunpeud’eau.Puisillavoit.Niki.Commeunepetitepanthère,elleglissesurlui,complètementnue.Elleposeunejambe,puisl’autre,puislesplie.Puisunbras,puisl’autre,etelleavanceainsi,encoresèche,danscetteeaufaitedepetitesbullesparfumées.Laboucheouverte,affaméed’amour,elleglissesurlui,sursoncorps.Etpuisencoreplusbas,sousl’eau.On ne voit plus que ses épaules et ses cheveuxmouillés qui s’ouvrent, perdus dans l’eau, comme unpoulpeeffrayéquidéploiesoudainsestentacules,commeunfeud’artificequiexplosedansleciellanuit.Puis elle revient à la surface,mouillée, l’eau lui coulant sur le visage, sur le cou, sur les seins. Ellel’embrasse.Etencore.Etencore.Deuxbouchesperduesquiglissent,quisetrouvent,quinefreinentpas,quis’aiment.Etpuis,ànouveauverslebas,sanspudeur,commeunegeishaparfaitequitrouvesonseulbonheur dans le plaisir de son homme. Jusqu’au bout. Jusqu’à colorer cette eau bleue et parfumée depossiblevie.Unpeuplustard.Nikiledoucheetlesècheavecunegrandeserviette.Puisellelefaitétendresurlelit.Elleluimontesurledos,nue,etellefaitcoulerunpeud’huiletièded’unpetitflaconqu’elleamaintenujusqu’icidansunecasseroled’eauchaude.—Ah…c’estchaud.—Çavaserefroidir.Avecsesmainsfortesdevolleyeuse,lachampionneNikis’abatsurcesmuscles,lesdétend,lesrelaxe,lescontraintàl’abandon.Puiselles’étendsurluietfaitglissersesseinssursesépaules.Etplusbas,surson dos, jusqu’à luimasser les lombaires, les jambes, puis à nouveau vers le haut. Lui détendant lesdorsales, lecou, lestrapèzes.Puisànouveauverslebas.Commeunesavonnettedure, lisse,folle,quiglissedanstouslessens…etnes’arrêteplus.—Ças’appellebodymassage.Alessandron’arriveplusàparler.—A-mon-avis-tu-ne-vas-pas-au-lycée-Mamiami.Ilsrient,puisrefontl’amour,etAlessandros’endort.Puisseréveille.Etn’ycroitpas.—Niki,maisqu’est-cequetufais?Nikiestétendueprèsdelui.Ellesourit,amusée.—J’aipréparéledîner.Maissurune tablepour lemoinsparticulière.Elleadisposé lesmeilleurssushiset sashimissurcettedrôled’assiettetoutedouce.Sonventre.Aubout,ilyaunpetitbol.—Là,ilyalasaucesoja…attention,nelarenversepas,çadoitbrûler!

Ilsrient,etNikiluipasselesbaguettesdansunpetitsachetenpapier.Alessandron’encroitpassesyeux.—Tuesfolle…—Detoi!Alessandrosortlesbaguettesetlessépare.—Ettoi,tunemangespas?—Après,monseigneur…Alessandroregardelessushis,puislessashimis.Ilnesaitpasparoùcommencer.Toutal’airdélicieux.—Oh…maisdépêche-toi,Alex,j’aifaim!Alessandrosecouelatête.—Tuesunsuperbeexempledebourrine-geisha.IlsemetàmangercommeunvraiAlex-san.Ilgoûteàtout,detempsàautreildonneunebouchéeàNikiquisourit,amusée.Ellemord,malicieuse,arrachantdesmorceauxdesushisàcespetitesbaguettes.PuiselleserelèveetversedelabièreSapporodansdeuxverres.—Mmm…elleestdélicieuse.Tuasvraimentbienfaitleschoses,Niki!Jen’auraisrienrêvédemieux.Sérieusement,c’étaitmagnifique.Nikipenchelatêtesurlecôté.—Sérieusement?—Sérieusement.—TupardonnesàAndréaSoldini?—Jeluidonneunepromotion.Nikirit,puisleprendparlamain.—Viens.Ilsfinissentdanslesalon,àmoitiénus.—Voilà.Tiens.Nikiluipasseunbillet.Alexl’ouvre.

Jevoudraisqueçasoit leplusbelanniversairedetavie.Maisjevoudraisaussiqueçasoit lemoinsbeaudetousceuxqu’onfêteraensemble.Etjevoudraisnepasavoirperdutoutcetemps.Etjevoudraisnepasenperdred’autre.Etjevoudraisqu’onfestoiechaquejour,commesic’étaitnotre«bonnon-anniversaire»,commedanscette fable.Etmême,encoreplus.Jevoudraisquenoussoyonsune fable.Jevoudraiscontinueràvivrece rêveavec toi sans jamaismeréveiller.Bonanniversaire,monamour.

Alessandrorefermelebillet.Ilalesyeuxbrillants.C’estbeau.Trèsbeau.Illaregarde.—Dis-moiquec’estvrai,quejenerêvepas.Etsurtout,dis-moiquetunerentrerasjamaisdanspersonned’autreavectonscooter…Nikiéclatederire,puisprendAlessandroparlesépaulesetleguidedoucement.—Viens…C’estpourtoi…Unpaqueténorme,emballé,estcachédansuncoindusalon.—Maiscommenttuasfait?—Nemeledemandepas.J’ailedosencompote…Allez,ouvre-le!Alessandrocommenceàdéchirerlepapier.

—Bah,tusaisquoi…cesonttesvoisinsquim’ontaidée!—Jen’ycroispas!Tuasréussià tefaireaiderparceluiquiengénéralm’envoie lapolice ; tudoisavoirdedrôlesdepouvoirs…Alessandroterminededéballerlepaquetet,quandilvoitlecadeau,enrestesansvoix.—LaMeretleRocher…lasculpturequiétaitàFregene,chezMastino.—Monamour,maiscommenttuasfait,c’estuncadeaumagnifique!Maisc’esttrop.Çaadûtecoûterunefortune…—Net’inquiètepas.Ondiraituncomptable,pasuncréatif!Qu’est-cequeçapeuttefaire!C’estbeau,defaireuncadeausanspenserauprix…bon,c’estsûr,cetétéjevaisdevoirtravaillercommeserveusepourMastino, ou bien comme employée de plage, ou bien directement comme chaise longue…maisquellesatisfactiondelevoirdanstonsalon!Çan’apasdeprix…Alessandroregardelasculpture,perplexe.Nikis’enaperçoit.—Qu’est-cequ’ilya,çaneteplaîtpas?Tupeuxlamettredanslasalledebains,oudanslacuisine,ousurlaterrasse,oubienlajeter…c’estàtoi,hein…tupeuxenfairecequetuveux!Jen’aipasl’intentiondedécorertonappartement,moi!—Maisnon, je réfléchissais.C’est le plusbeau cadeauqu’onm’ait jamais fait.Tu sais, j’y ai pensésouvent…maisjecroyaisqueMastinones’endébarrasseraitjamais.—Moiaussi,eteneffet,dansl’hypothèsequ’ilnemeladonnepas,jet’aiaussiachetéça…Nikisortunpetitpaquet.—Tiens…—MaisNiki,c’esttrop,tupouvaismeledonneràuneautreoccasion!Alessandroledéballe.—Unappareilphotonumérique!Maisilestmagnifique!—Commeça,laprochainefoisqu’oniraàDisneyland,onn’auraplusdeproblèmes!Nikisourit.—Etpuis, toi, supercréatif…tuas tout,maispasd’appareilnumérique…çapeut toujoursservir.Tuvoisquelquechose,tuasuneidée,tuappuiessurlebouton,tuprendsunephoto…ettac!Alessandrosourit.—Mets-toi là, près de la sculpture. Je veux l’inaugurer tout de suite.Niki se cache derrière, puis sepenche,unpeutimide,encouvrantsanudité.—Jelefaispourtoi.J’aihonte,moi…allez,dépêche-toi,sinonjechanged’avis.Alessandro cadre la photo. Elle est magnifique, dans la pénombre du salon, contre cette sculptureblanche.—Çayest.Regarde.Alessandros’approchedeNikietluimontrelaphoto.—Çapourraitêtreuntableau.J’aimêmeunnom.LaMer,leRocher…etl’Amour.Ilss’embrassent.—Àquelleheuretudoisrentrer?—Jenedoispasrentrer.J’aiditàmesparentsquejetravaillaischezOllyetquejerestaisdormirchezelle.Alessandroluisourit.

—Tuvois…parfois,çasert,lesrévisions.

101Plustard.Nuit.Nuitnoire.Lumièreséteintes.Unventlégerquivientdeloin,delamer.Lapleineluneéclaire la terrasse. Les rideaux dansent doucement. Dans la pénombre de la chambre, Alessandro estéveillé.IlregardeNikidormir.Ilaenfilésachemisebleue.C’estdrôle,lavie…jeviensdefêtermestrente-septansavecunefillequienatoutjustedix-huit.J’allaismemarier.Etd’uncoup,sansraison,jemesuisretrouvéseul.Aujourd’hui,Elenan’amêmepaspenséàmesouhaitermonanniversaire,pasunmessage, pas un coup de fil.Ou bien, elle a délibérément choisi de ne pas le faire.Mais pourquoi ?Pourquoi je cherche à l’excuser ? J’ai l’impression d’avoir une vie si incertaine, si confuse, avec lerisque,etmêmelaquasi-certitude,demeplanterdansmonboulotetdefiniràLugano…etpourtant,là,jesuisheureux.Alessandrolaregardemieux.Monbonheurdépendd’elle.Detoi…Maisquies-tu?Est-cequ’onpeutvraimentvivreuncontedefées?Çaneseraitpasplussimplequetutelassesdetoutça?Tuasencoretellementdechosesàfairequej’aidéjàfaites.Tutrouveraspeut-êtrequelqu’undeplusdrôlequemoi.Plusenfantin.Plussimplementstupide.Quelqu’unquipourratefairesentirunefilledetonâge,plustoi-même,quiaitencoreenvied’allerenboîtejusqu’àquatreheuresdumatin,deparlerdechosesinutiles,stupidesetlégères,belles,dechosessansbut,quineserventàrien,quinedoiventpasàtoutprixavoirunsens,maisquifontrire…Etquifontsesentirbien.Leschosesstupidesmemanquent.D’un coup, Niki s’agite. Comme si elle entendait ces pensées. Elle se met sur le ventre et, toujoursendormie, relève et plie ses jambes. Une drôle de position, bizarre, imparfaite. C’est à ce momentqu’Alessandroal’idée.Nette.Claire.Parfaite.L’idéequ’ilcherchait.Ilsortimmédiatementdulit,prendl’appareilnumériquequeNikiluiaoffert.Puisillèvedoucementlesstores.Etilfaitsiennecetteimageéclairéepar la lune.Clic.Puis il attend.Auboutd’unmoment,Niki se tourne.Etdenouveauclic,unautrecliché.Etpuis,encorel’attente.Silence.Nuit.Etencoreclic,etclic.Etunedemi-heureaprès,unautreclic.Photo.Ilvolecesimagesl’uneaprèsl’autre.Leskidnappe.Lesfaitsiennes.Lesemprisonnedanscetappareilmagique.Puisilvaàl’ordinateur,lestransfère,lesenregistre.Ensuite,ilcliquesurlesicônesqui viennent de se créer, encore fraîchesde créativité. Il travaille avecPhotoshop. Il éclaircit,colore,modifie.L’aubepointe.EtAlessandrocontinuedetravailler.Quandiltermine,ilestpresqueneufheures.—Monamour,réveille-toi…Nikisetournedanslelit.Alessandros’approched’elle.Elleluisouritquandelleouvrelesyeux.—Maisquelleheureilest?—Neufheures.Jet’aiapportélepetitdéjeuner.Poséssurlatabledenuit,ilyauncaféaulaitencorefumant,unyaourt,dujusd’orangeetdescroissants.—Ilyamêmedescroissants!Alorstuessorti…Maisçafaitcombiendetempsquetuesréveillé?—Jen’aipasdormi!—Quoi?Nikiseredresse.—Etpourquoi,tuétaismalade?C’estlessashimis?—Non,toutétaitdélicieux,ettoituesmagnifique.Etsurtout,tuasétéparfaite.Nikicroquedansuncroissant.—Toiaussi…

—Non,toiplus…Elleprendunegorgéedejusd’orange.—Bah,disonsquedanscescas-làlageishaalasituationenmain…etjet’assurequejenedispasçapourêtrevulgaire…—Jesais.Maisjevoulaisdirequetuasétéparfaitedanstonsommeil.—Pourquoi,qu’est-cequej’aifait?—Tum’asinspiré.Viens…Nikifinitsonjusd’orangeetsortdulit.EllesuitAlessandroausalon.Etenarrivant,ellen’encroitpassesyeux.Accrochéesaumur,ellevoitquatregrandesphotosd’elle,quidortdansdespositionsdesplusbizarres.—Han…Maisqu’est-cequis’estpassé?Alessandrosourit.—Rien,c’esttoientraindedormir…—Jevois,maisj’aidûfairedescauchemars.J’aimaldûdigérerlessushisoulessashimis…regardelà…Jemetordsdanstouslessens,jemedemandeàquoijerêvais…—Jenesaispas.Mais tum’as fait rêver,et j’ai trouvé l’idée.Alessandros’approchede lapremièrephoto,oùNikialesjambesrecroquevillées.—Voilà,ilyaunefillequidortdansunedrôledeposition,quifaitunmauvaisrêve…Alessandrosedéplaceversladeuxièmephoto.Nikiyesttoutetordue,elleaunbrasquipenddulitettouchelesol.—Ellefaitdescauchemars.Alessandropasseà ladernièrephoto.Nikiestàplatventre,avec les fessesvers lehautqui tirent lesdraps.—Ellefaitdescauchemarsépouvantables…—MonDieu,maislàjemesentaisvraimentmal!Enfin,ils’arrêteàlaquatrièmeetdernièrephoto.Elleesttournéeverslemur.—Etvoicil’idée!Il la retourne. Niki y dort tranquillement. Elle a une expression sereine, béate, les mains autour del’oreilleretunsourireléger,commeunepetitemouedesatisfaction.Elleestsuperbe.Etau-dessus,ilyalepaquetdebonbonsavecuneinscriptionénorme:«AvecLaLune…turêves!»Alessandrolaregarde,heureux.—Alors?Çateplaît?Moi je trouveçamagnifique, tuesmagnifique, toietLaLuneêtesmagnifiquesensemble!Nikiregardeànouveaulasuccessiondephotos.—Oui…c’estsuper!Bravo,monamour.Alessandron’enpeutplusdejoie.IlenlaceNikietlasoulève,lacouvredebaisers.—Comme je suis heureux… je t’enprie, dis-moi que tu serasmon testimonial… la fille aux jasminsdevientlafiUeauxbonbons…jet’enprie,dis-moiqueçaseratoi,surlespanneaux.—J’aimeraisbien…maisilsnevoudrontjamaisdemoi,Alex…—Quoi?Tuesparfaite,tueslanouvelleVénusdesbonbons,tueslaJocondesucrée!Tuserassurtouslespanneauxdumonde,toutlemondeteverra,tuserascélèbredanslescontréeslespluslointaines,danslescoinslesplusdifférents.SionretourneàDisneyland,c’estMickeyetlesautresquitedemanderontun

autographe!—MaisAlex…—Jet’enprie,dis-moioui.—Oui.—OK,merci.Alessandrocourtvers lesphotos, lesdécroche l’uneaprès l’autre, lesrassemble, lesposesur la tablepourlesmettredansl’ordrepuislesglissedansunechemise.—OK…onyva?Tuteprépares?Commeçajet’accompagne,etensuitejevaisdirectementaubureau.—Net’inquiètepas,j’aimonscooter.—Tuessûre?Alorsjepeuxyaller?—Vas-y,moijevaisprendremontempsavantdepartir…—Prendretontemps?Tupeuxfairecequetuveux,resterautantquetuveux,teremettreaulit,finirtonpetitdéjeuner…prendreunbain,unedouche,regarderlatélé…maismoijefile,hein…Alessandroprendlachemise,metsavesteetvaverslaporte.Puisils’arrêteetrevientenarrière.Nikiestrestéeplantéeaumilieudusalon.Ill’embrasselonguementsurlabouche.—Excuse-moi,monamour,j’aiperdulatête…Ils’écarteetinspireungrandcoup.—Merci,Niki…tum’assauvéunedeuxièmefois.Etilsortdusalonencourant.

102—Leonardoestlà?—Danssonbureau,ilestautéléphone…Alessandron’attendpasunesecondeetentredanslebureaudeLeonardosansmêmefrapper.—Tuesprêt?J’aitrouvé.Toutestlà-dedans.Alessandroindiquelachemise.Leonardoleregarde,incrédule.Alessandroetsonenthousiasme.—Excuse-moi,monamour,maisunfouestentré,ilfautquejeraccroche…jeterappelle.Leonardoreposelecombiné.—Qu’est-cequisepasse?Qu’est-cequetuas,là-dedans?—Ça.Alessandroouvrelachemiseetposelestroisphotossurlatable,l’uneaprèsl’autre.Nikiquidortdansdespositionsbizarres.Surleventre,maistouterecroquevillée,unbrasparterre,lesfessesenl’air.Puisils’arrête.Attenduninstant.Capteencoreplusl’attentiondeLeonardo,quileregardemaintenantaveccuriosité,attentif,soudainenalerte.Commeunlimierquiaflairésaproie…—Tuesprêt?Ta-da!Il pose la dernière photo sur la table. Niki qui dort paisiblement sous les bonbons et au-dessusl’inscription:«AvecLaLune…turêves!»Leonardoregarde.Neditrien.Puistouchedélicatementlaphoto.Commeinquietdepouvoirl’abîmer.Ilselève,faitletourdelatable,vaversAlessandroetleserredanssesbras.—Jelesavais,jelesavais…iln’yaquetoiquipouvaityarriver.Tuesleplusgrand,lemeilleur.Alessandrosedégagedesonétreinte.—Attends,Leonardo,attendsavantdeteréjouir.C’estquoi,ladatelimite?—Demain.—Envoyons-lesimmédiatement.Essayons,allez,pourvoircequ’ilsdisent…Leonardoyréfléchituninstant,puisdécideetsourit.—Tuasraison,inutiled’attendre.Allez,onyva.IlscourenttousdeuxverslasalledesgraphistesetpassentunecléUSBàuneassistante.—Giulia,enregistrelesphotosquisontlà-dedans!Lafilles’exécuteimmédiatement.—Voilà,c’estbien.Maintenant,prépareunmailpourlesJaponaisaveclesphotosenpiècesjointes,puislaisse-nouslaplace,s’ilteplaît.Alessandros’assiedàlaplacedeGiuliaetécritrapidementunmessageenanglais.Puisilenvoielemail.Leonardoleregarded’unairperplexe.—Alex,maiscen’estpasunpeuexagéréd’écrireçaàleurdirecteurdumarketing?— Il m’a semblé être un homme plein d’humour… et au fond, écrire qu’en Italie nous avons déjàcommencéàrêver,cen’estpasmal.Etpuis,de toutefaçon,Léo, lavraiequestion,c’estsiçava leurplaireounon…Ilsrestentplantésdevantl’ordinateur,attendantuneréponse.—Ecoute,jel’imagine.Alessandrofermelesyeux.—Ilvientdereleversoncourrier.Ilouvrelesfichiers...Voilà,maintenantilimprimelesphotos…Illessecouepourlesfairesécher.

AlessandroouvrelesyeuxetregardeLeonardo,puislèvelesyeuxaucieletcontinue.— Maintenant, il les apporte en salle de réunion, les met sur des panneaux, prend son téléphone,convoquetoutelacommission…Leonardoregardesamontre.—Voilà,ilsviennentd’arriver.Certainss’asseyent,lesregardent.D’autresselèvent,veulentlesvoirdeplusprès.Puisledirecteurarrive.Ilveutlesvoirdetrèsprès.Ilfaitletourdelatable,s’approchedupanneau,regardelapremière,ladeuxième,latroisième,s’arrêtesurladernière.Longtemps.Encoreunpeu.Puisilsetourneverslesautres…voilà,c’estlemomentdécisif.Maintenant,ilsouritetsecouelatête…Çayest,ilsontdécidé.Ledirecteurchargequelqu’underépondreànotremail…Voilà,ondevraitrecevoiruneréponsemaintenant…Alessandro etLeonardo s’approchent à nouveaude l’ordinateur.Cliquent sur envoyer/recevoir.Aucunmessage.Rien.—Ledirecteurestindécis.Ilyréfléchitencore…Leonardointervient.—Oubienquelqu’unaditquelquechose.Ilsveulentpeut-êtreunautretitre…—Peut-être.Maistropd’attenten’estpasunbonsigne.—Çadépend.Pasdenouvelles,bonnesnouvelles…Acemoment-làapparaîtlanotification«Vousavezunnouveaumessage».Alessandros’assiedà l’ordinateur. Il cliquepour fairedisparaître lanotification.Enbasàdroite,uneicône indique que le serveur est en train de télécharger. Alessandro attend. En tête de la liste desmessagesreçus,lemaildesJaponais.AlessandrosetourneversLeonardo,leregarde.Leonardoluifaitunsignedetête.—Qu’est-cequetuattends…allez,regarde.Alessandrocliquesurlemail,l’ouvre.—Incredible.We’redreamingtoo…Alessandro n’en croit pas ses yeux. Il pousse un cri de joie. Il se lève, saute de joie, puis embrasseLeonardo.Ilssemettentàdanser,entraînantGiuliaquidanseaveceux,heureuse,parsolidarité,oupeut-êtreparpursensdudevoir.Etàcemoment-làpassentGiorgia,Michela,DarioetAndréaSoldini.Ilslesvoientsautercommedesfous,hurlerdejoie,danser…LeonardoetAlessandrosonteuphoriques.Giulia,épuisée, s’estécrouléedans le fauteuil. Ilsentrent tousdans lapièce.MaisAndréaSoldiniest leplusrapide,ilcourtversAlessandro.—C’estcequejepense?Dis-moiquec’estcequejepense…Alessandroluifaitsignequeouiaveclesyeux,aveclatête,avectout.—Oui!Oui!—Génial!!!Ilssemettenttousàdanserensemble.Andréasautillesurplace,faitunedrôlededansemexicaine,unepâlecopiedeladansedeBruceWillisdansLeDernierSamaritain.PuisilvadanseravecAlessandro.—Dis-moiunechose…Tun’espasfâchépourcettebouteilledeChampagne,n’est-cepas?—Fâché?C’esttoncadeauquim’afaitgagner!Ils continuent àdanser,heureux, confus, fatigués,déchaînés, enfindétendus, ils lâchent toute la tensionaccumuléedepuisdesjoursetdesjours.Marcello,Alessiaetlesautresmembresdustaffadverseseprécipitent.Ilsontentendulescris.Alessiasourit.Elle a tout compris.Alessandro lui faitunclind’œilde loin.Puis il lève lebrasen serrant le

poing,ensignedevictoire.AlessiaregardeMarcellopuis,sansmêmeluidemander,entredanslapièceets’approched’Alessandro.—Félicitations,vraiment…votreprojetestsansdoutelemeilleur…commetoujours,d’ailleurs.Alessandroarrêtededanser,reprendsonsouffle.—Jet’assurequejenepensaispasquej’yarriverais,cettefois-ci.—C’estvrai.C’étaitdifficile.—Non.Tun’étaispaslà.Ilsseregardentuninstant,puisseserrentdanslesbrasl’undel’autre.Alessias’écarteetleregarde.—Jepourraitoujourst’appelerchef?—Non.Continueàm’appelerAlex.Marcello,envoyantcettescène,s’éloigne,suividesautresmembresdesonstaff.

103Alessandro explique tout à tout le monde. Il montre les photos. Donne un peu d’indications sur lesprochainesétapes.PuisilvadanssonbureauetappelleNiki.—Salut !Çaamarché !Onagagné !Tues lemodèle idéal,naturel,parfait !Tues la testimonialdeLaLune…Non,d’ailleurs,tuescarrémentLaLune!Nikiritàl’autreboutdufil.—Vraiment?—Oui…onadansécommedesfousquandlaréponseestarrivéeduJapon.Etj’aidéjàparléavecledirecteur,c’esttoiquiserasletestimonial…danslemondeentier.Ilmarqueunepause.—Situasenvie…—Biensûrquej’aienvie,monamour.Alessandromarqueuneautrepause.—Merci,Niki.Sanstoi,jen’auraisjamaisréussi.—Oh,si.Tuauraispeut-êtremisunpeuplusdetemps,maistuauraisréussi.Alessandrosourit.—Ettoi,qu’est-cequetufais?—Rien, jemesuisbaladée toutenuedans lamaison,çam’abeaucoupplu !Peut-êtreque tesvoisinsm’ontvue…maistusais,onestamis,maintenant.Ilsn’ontpasappelélescarabiniers.Etpuis,jemesuisremiseaulit,j’aiécoutédelamusique,jemesuisrendormie,jemesuisréveillée…jet’aicherchédanslelit,puisjemesuisrappeléquetuétaisaubureau.Alorsj’aiprisunedouche,jemesuisfaitunesaladedefruits,j’aimangéunyaourtquin’étaitpasencorepérimé…etj’airéponduautéléphone.—Bien.Alessandroréfléchituninstant.—Tuasréponduautéléphone?—Jeplaisantais…Maisjusteparcequepersonnen’aappelé…—Idiote…ettun’aspastravaillé?—Oh,ondiraitmamère!—Apartirdedemain,jeseraipirequetamère…Rappelle-toiquelebacapproche,jeseraicolléàtoicommetonombre,jet’obligeraiàréviser.Moij’airéussi.Toiaussi,tudoisréussir.—Oh,j’espéraisqu’onallaitsefaireunautrepetitvoyage!—Aprèslebac…—Maisaprèslebac,jeparsaveclesOndes…—Ettureviensquand?—Jereviensquandjereviens…Pourquoi,tunem’attendspas?Eh,j’espèrequecettevictoiren’estpasentraindetechanger…lesuccèsinternationaltemonteàlatête?—Lesuccèsn’estriensitun’aspersonneavecquilepartager.—Bravo,alorspartage-leavecmoi…Maismaintenantjevaisrentrerchezmoi.—Tunem’attendspas?—Non,jenepeuxpas.Cequetuviensdedireesttellementbeauquejeveuxlegardertoutelanuit…—Mais…

—Nedisriend’autre,tuvastoutgâcher!Etelleraccroche.Alessandroregardesontéléphone.Nikietsafoliemagique.Nikietsabeauté jeune.Nikietsaforce,Nikietsapoésie.Nikietsa liberté.Niki lafilleauxjasmins.NikietLaLune.Puis ilpenseàquelquesautresindicationsàdonnerpourlamaquetteetpourtoutelacampagnepublicitaire.Ilpassequelquescoupsdefildetravail.Maisiln’yarienàfaire.Rienn’arriveparhasard.Etlesuccèsaussipeutdevenirunproblème.

104Plustard.Alessandroregardesamontre.Ilestvingtheurestrente.Iln’apasvuletempspasser…quandtutesensbien,quandtuesheureux,letempspassevite.Parfois,ilsemblenerienvouloirsavoir.Bon,çasuffit. J’ai trop travaillé. Et puis, le plus gros est fait.Nous avons gagné, et surtout je reste àRome.Alessandro rassemblequelquesdocuments, lesmetdansunechemisequ’ilglissedanssonsac.Puis ilsortdubureau,traverselecouloir.Ilsaluequelquescollèguesquisontencoreautravail.—Salut.Bonnesoirée.Félicitations,Alex.—Merci!Il appelle l’ascenseur. Quand il arrive, il entre et appuie sur RDC.Mais, avant que les portes ne seferment,unemainlesbloque.—Jedescends,moiaussi.C’estMarcello.Ilentredansl’ascenseur.—Salut.Alessandroappuiesurlebouton,lesportesseferment.—Bravo,Alex…tuasréussi.—Oui.Jen’ycroyaispas.—Oh,jenesaispassic’estvrai…tuastoujoursl’airsisûrdetoi…oubienc’étaitcequetuvoulaismefairecroire?Alessandroleregarde.Biensûr…êtretoujourstranquille,serein,avoirlecontrôledelasituation.Mêmequandlesols’écroulesoustoi.Illuisourit.—C’esttoiquidécides,Marcello…—Jem’attendaisàcetteréponse.Parfois,letravailestcommeunepartiedepoker.Soitonalaquinteenmain,soitonlefaitcroire.L’important,c’estdesavoirbluffer.—Oui,oubiend’êtreservidepuisledébutetdefairesemblantden’avoirrienenmain.Mais,cettefois,j’avaisunpoker.—Oui,tuaseudelachance.—Non,jesuisdésolé,Marcello.Lachanceestlenomqu’ondonneausuccèsdesautres.Moij’aichangédescartesetj’aigagnélapartie.Ilnes’agitpasdechance,j’aisimplementétébon.—Tusais,j’ailuunetrèsbellephrasedeSimonBolivar:«C’estdanslesdéfaitesqu’onapprendl’artdegagner.»—Etmoi j’en ai luunedeChurchill : «Le succès est la capacité àpasserd’unéchecà l’autre sansperdrel’enthousiasme.»Tuesjeune,etencoreassezenthousiaste.Marcellosetait.Puisilleregarde,etsourit:—Tuasraison.Tuasétébonettuasgagnécettepartie,maismoij’enaipeut-êtregagnéd’autres.J’iraiàLugano.Etpuis,Romem’adonnétoutcequ’ellepouvaitmedonner.Jecommenceàm’ennuyerdecequej’aiici.Ilsarriventaurez-de-chaussée,lesportess’ouvrent.Alessandrometlamainenavant,l’invitantàsortirlepremier.—C’estbizarre,quandjeperdsaufootjepensetoujoursquecesontlesautresquinecourentpas.Leproblème,c’estquelesautrespensentlamêmechosedemoi.Aufond,lavéritéestautre.«Parfois,le

gagnantestseulementunrêveurquin’apaslâché.»JimMorrison.Alaprochaine,Marcello.Alessandros’éloigneensouriant.Marcellorestelà,avecsesquelquesannéesdemoinsetunedéfaitedeplus.

105Les jours suivants sont joyeux. Ce bonheur qui vient de l’équilibre, de la sérénité, du fait de ne rienchercherdeplusquecequ’ona.Alessandro et Niki révisent ensemble, lisent des livres, se reposent, révisent encore. Alessandro seretrouveànouveausurlesbancsdulycéeetserendcomptequ’ilneserappelleplusriendecequ’ilaappris.Puisils’étonneeninterrogeantNiki:—Maisalors,tutravaillaisvraiment,quandtudisaisqueturestaischeztoi…—Biensûr!Jeleveux,cebac,cetesamedimaturità,jeveuxêtremature!—Commemoi?—Oui,parfoistuesmêmesurlepointdetomberdel’arbre…Ilsrient,plaisantent,seperdentdanslesexe,seretrouventdansl’amour.Assissurlecanapé,luidevantsonordinateur,ellequisurligneauStabilo.Dînerstranquilles,musique.Alessandrometlaballaden°1ensolmineur,op.23,deFrédéricChopin.Nikipasse, l’enlèveetmetBeyoncé.Alessandroressortdubureauetremetsamusiqueclassique.NikirepasseetremetBeyoncé.Finalement,ilsseretrouventdevantlachaîneetfontlapaix.—Allez,Niki,onnevapassedisputer…Onvafairecommeça:onécouteautrechose.EtilmetTransfiguration,deHenryJackman.—Eh,c’estbien,ça,Alex…Ondiraitceluiquetuécoutestoujours…Bach,non?Etpuis,unDVD,un filmqu’ona raté,qu’onadéjàvumaispasensemble,quiavaitpluauxdeux.LeGladiateur,Pourunenuit,CoupdefoudreàNottingHill,LostinTranslation,RencontreavecJoeBlack,etencoreTaxiDriver,puisLeDernierTangoàParis,CloseretPrettyWoman.Delacouràlabasse-cour.Etpasforcémentdanslebonsens.Etpuis,undrôledecocktail,unesaladedefruitsfolle,unesaladeinventée…endives,maïs,foiegras,pignons, noix, vinaigre balsamique.Et une autre encore plus folle, avec des petitsmorceaux d’orangesicilienne,desraisinssecs,dufenouiletdelalaituepommée.Etunvinfroidsicilien,unsauvignonchoisiauhasardetmisaufreezeruneheureplustôt,maintenantaussiparfaitquelesheuresd’amour.Etchaquesecondequipasseestunbaiserquimarqueletemps,uneencochequirappellequecetinstantn’apasétéperdu.Étudierlanuit,réviserlejouraveclesamies,tandisqu’ilestaubureaupourpréparerlacampagne.Etpuis,déjeunerauPanthéon,commedeuxjeunestouristescurieuxdeRomemaisquin’ontpasletempsdevisiter les musées, les monuments et les églises, parlant anglais.Mais ils n’ont plus de doute sur laquestion:«Pardon,maisest-cequevousm’aimez?»—Jedoisallerréviser…—Etmoijedoisallertravailler…Ilsrient.Commepourdire:jenesaispas…maisçameva.

106Etpuis,cejour-là.Comme un orage d’été, comme une trombe d’air dans l’ennui d’Ostia. Comme un réveil un dimanchematintôt,commequandtudorsetquequelqu’unteréveille.Commecejour-là.—Alex,maisoùtues?—Chezmoi.—Tunepourraispaspasserdanslecentre…—Non…Jesuisenretard,jedoisrendrelesdernièresmaquettespourlespanneaux.—Maisdetoutefaçontuestoujourslà,prèsdemoi.Nikirit.—Biensûr.—Eh…tuesbizarre.—C’estquejesuisenretard.—OK,alorsjevaisallerretrouvermesamies.Cesoir,jenepeuxpassortir,c’estl’anniversairedemamère.—OK,ons’appelletoutàl’heure.Alessandrorefermesonportable.Ilinspirelonguement.Trèslonguement.Ilvoudraitquecetteinspirationnefinissejamais,qu’ellel’emmènetrèsloin.Commeceballonéchappédelamaind’unenfantdevantuneéglise.Quis’élèveversleciel.Quirendtriste.Puisilsetourneverselle.—Pourquoituespassée?Elenaestdeboutaumilieudusalon.Ellealesbraslelongducorps.Elleporteunejupebleucielassortieàsaveste.Elletiententresesmainsunmagnifiquesacderniercri.LouisVuitton.Blancavecdespetiteslettresdorées.Ellele tientd’unemainet joueaveclapoignéeenypassantsespetitsongles,peintsenblanc pâle. Elle est légèrement bronzée. Unmaquillage doux fait ressortir le vert de ses yeux et sescheveux,coupésrécemment,dégradés,sontabandonnéssursesépaules.—Tun’avaispasenviedemevoir?—J’avaisenviederecevoiraumoinsunmessagedetoipourmonanniversaire.Elenaposesonsacsurlatable,s’assiedsurlecanapé,enfacedelui.—J’aipenséquet’appelercejour-làétaitunedeceschosesqu’onfaitparobligation.Unedeceschosesquefontlescouplesquin’ontpaslecouragedes’oublier.Alessandrolèvelatête.—Ettoi,tuastrouvécecourage?—Non.Jeletrouvemaintenant.Tum’asmanqué.Alessandroneditrien.—Tumemanquesencore.—Jesuislà…—Tuesloin.Elenaselèveetvas’asseoirprèsdelui.—Çafaitsipeudetemps,ettuesdéjàtellementloin.—Jenesuispasloin,jesuislà.—Tuesloin.Alessandroselèveducanapé,semetàmarcherdanslesalon.

—Pourquoituasdisparu?—Tum’asfaitpeur.Alessandrosetourneverselle.—Jet’aifaitpeur?Maiscomment…—Tum’asdemandédet’épouser.—Etçat’afaitpeur?Çaauraitdûtefaireplaisir,terendreheureuse.N’importequellefemmevoudraitsel’entendredemanderparl’hommequ’elleaime.—Moijenesuispasn’importequellefemme.Elenaselèveetvaverslui.Alessandroluitourneledos.Ellel’enlacepar-derrière.—Etmoi,jenet’aipasmanqué?Ellepose la têtesursonépaule.Alessandro ferme lesyeux,sentsonparfum.WhiteMusk. Il s’insinuelentementenlui,l’enveloppe.Puisl’enserrecommeunserpent,l’étourdit.Elenal’embrassedanslecou.— Comment tu peux m’avoir effacée, nos moments d’amour, nos éclats de rire, nos week-ends, nosdîners,nosfêtes…lesmillechosesquel’ons’estconfessées,promises.Toutcequenousavonsrêvé.Alessandroferme lesyeux.Enun instant, il revoit touscesmoments,commeça,commeunfilm.Avecleurbande-son.Avecleursourire.Leurssorties,leursvacancesàlamer,leursretoursenvoiturelanuit,quandelles’endormait…Ill’aimait.Alessandrosourit.Elenal’enlaceplusfort,metsesmainsautourdesataille,lesglissesoussaveste.Ellelefaitpivoter.Alessandroouvrelesyeux.Ilssontbrillants.Illaregarde.—Pourquoituespartie…—Nepensepasaupassé.Jesuisrevenue…Elenasourit.–…etmaréponseestoui.

107Lelendemain.Leplusdifficile.Alessandroestaucoindelarue,enbasdechezNiki.Ilenvoieunmessageavecsonportableetattendlaréponse.Auboutdequelquessecondes,plusrapidequejamais,ellearrive.Danssonrétroviseur, il lavoit sortir de chez elle. Elle regarde autour d’elle, à droite, à gauche, puis elle aperçoit la voitured’Alessandroetellecourtverslui,joyeusecommeàsonhabitude.Peut-êtreencoreplus.Alessandrosentsoncœurseserrer.Ilfermelesyeux.Quandillesrouvre,Nikiestdevantlui.ElleouvrelaportièreetplongedanslaMercedes.—Salut!Ellesejettesurluiavecenthousiasme,l’embrasse.Alessandrosourit.Maiscen’estpaslemêmesourirequed’habitude.Ilestcalme.Tranquille.Pournepasperdrelecontrôledelasituation.—Maisoùtuétais?Jet’aiappeléhier,plusieursfois.Tonportableétaittoujourséteint.Alessandroévitedelaregarder.—Tunepeuxpassavoircombienj’aidûtravailler.Monportableétaitdéchargé,ils’estéteinttoutseuletjenem’ensuismêmepasrenducompte…Il la regarde, essaye de lui sourire, mais quelque chose ne fonctionne pas. Niki s’en aperçoit. Elles’éloignedelui,s’assiedmieuxsursonsiège.Soudainsérieuse.—Qu’est-cequisepasse,Alex…—Rien, ilnesepasserien.J’aiseulementpenséà toutenotrehistoire.Depuisqu’ons’estrencontrés,jusqu’àaujourd’hui…—Etilyaquelquechosequines’estpasbienpassé?Tuasfaitquelquechosedemal?Dis-moisij’aifaituneerreur…—Tun’asfaitaucuneerreur.—Etalors…—C’estlasituation,quiestuneerreur.—Maisc’esttoujourscettehistoirededifférenced’âge…Jesavais,quetuallaismeleressortirtôtoutard.Alorsjemesuispréparée.Nikisortdelapochedesonjeanuneautrefeuille.— Alors… Puisque les exemples où l’homme est plus âgé ne t’ont pas suffi, je veux te donner desexemples de couples où les hommes sont beaucoup plus jeunes que les femmes… Alors…MelanieGriffithetAntonioBanderas,JoanCollinsetPercyGibson,MadonnaetGuyRitchie…DemiMooreetAshtonKutcher,GwhynethPaltrowetChrisMartin…etçasepassetrèsbien,poureuxtous…Personnen’arienàredireàça.—Non,peut-êtrequec’estmoiquimesuistrompé…—Maistrompéenquoi?Tuaspeurquejepuissem’enaller?Maisonn’aqu’àessayer,non,onessayedéjà…Nenousportepaslapoisse!C’esttoiquil’asdit,descentainesdefois…cen’estqu’enlevivantqu’onlesaura.Etmaintenant,qu’est-cequetufais,tureniestonLucioBattisti?Alessandrosourit.—Non,Niki,maisçac’estunechanson.—Etalors?

—C’estdelavie,qu’onparle.—Quipeutêtreplusbellequ’unechanson.—Quandonadix-huitans…—Tueslourd,là…—Non,Niki,sérieusement.J’yaipensétoutelanuit,çanepeutpasaller.Jetel’aidéjàdit.Nememetspasendifficulté.Nikisetait,leregarde.—Jet’aimontrémonamour, jemesuisexposée,enversetcontre tout.Tunepeuxpasmedireça.Cen’estpascorrect.Leschosesfinissentquandellesontuneraisonpourfinir,uneraisonvalide.Tuasuneraisonvalide?Alessandrolaregarde.Ilvoudraitluiendireplus,maisiln’yarrivepas.—Non.Jen’aipasderaisonvalide.Maisjen’enaipasnonpluspourresteravectoi.Silence.Nikileregarde.C’estcommesilemondes’écroulaitsurelle,toutàcoup.—Vraiment?Tun’enaspas?Alessandroneditrien.—Alors,c’estlemotifleplusvalidedetous.Nikidescendde laMercedes, s’éloignesansse retourner,etdisparaîtaussi soudainementqu’elleétaitapparue. Silence. Et cette difficulté. Ne pas lui avoir dit. Ce silence est comme un grondement.Alessandrodémarreets’éloigne.Nikicontinueàmarcher.Elle se sentmourir.Ellenepeutpasarrêter ses larmes.Ellevoudraitnepassangloter,maisellen’yarrivepas.Laruesemblesilencieuse.Toutsemblesilencieux.Tropsilencieux.Unepartiedesoncœurs’estéteinte.Unvideénormes’emparesoudaind’elle.Deséchoslointainsdelavoixd’Alessandro,sesrires,sesmotsgais,sesmomentsdepassion,dedésir,derêve.Pouf.Touts’estévanouienuninstant.Plusrien.Justecettephrase:«Jen’aipasderaisonvalidederesteravectoi.»Boum.Uncanardàl’aubeetuncoupdefusil.Unverredépolietuncailloulancé.Unenfantàvéloquitombelesmainsenavantetselesécorche.Douleur.Voilà.Parsafaute.Vouloirêtreavecuncomptabledessentiments,lecomptabledel’amour,lecommercialhabilequiarriveàtefaireéconomiserunsourire.Quelletristesse.Ilétaitcommeça,l’hommequej’aimais?Nikiarriveàlaportedesonimmeuble.Ellel’ouvreetentre.Elleparcourtlecouloircommeunejeunezombiesansvie.Simonasortdelacuisine.Elleapporteunplatdepâtessurlatable.—Ah,tevoilà,maisoùtuétaispassée?Viens,onmange,onesttousàtable.—Non,maman,excuse-moi,j’aimalauventre…Ellevadanssachambre,fermelaporteets’allongesurlelit.Elleprendsonoreillerdanssesbras.Ellepleure.Heureusement, samère ne l’a vueque de dos, sinon elle aurait tout de suite compris sonvraiproblème. Mal d’amour. On n’en guérit pas si facilement. Et il n’existe pas de médicaments. Ni deremèdes.Onnesaitpasquandçapasse.Onnesaitpasnonpluscombiençafaitmal.Seulletempsfaitdubien.Beaucoupdetemps.Parceque,plusunamouraétébeau,pluslasouffrancedelafinseralongue.Comme en mathématiques : valeurs directement proportionnelles. Mathématiques sentimentales.Malheureusement,Nikipourraitavoirdixsurdixdanscettematière.

108Ondesréunies.Maisilyadelabourrasque.— Je vous l’avais dit,moi… il était trop parfait !Romantique, rêveur, généreux, drôle…Bien élevéjusqu’auboutdesongles.Ilyavaitforcémentunloup…Ollysejettesurlelitdesamère,convaincueparsesaffirmations.EricaetDilettasecouentlatête.—Maisqu’est-cequeturacontes?Pourquoitucroisquetusaistoutsurcesujet…—Parcequejesais…—Justeparcequ’ilneteplaisaitpas,çaneveutpasdirequeçadevaitmalsepasser…—Iln’étaitpasmal…Maisjen’ypeuxrien,cetAlexnem’ajamaisconvaincue…Niki,assisedansunfauteuil,alevisageentrelesmains.Elleestdétruite,inconsolable,elleécoutesesamiesdiscuterdesonhistoired’amour.ElleregardeOllyàdroite,puisDilettaetEricaàgauche,puisànouveauOlly.Commesiellesuivaitunmatchdetennispassionnant…Saufquelà,lajoueusequiaétééliminée,c’estelle.Ollys’assiedentailleursurlelit.—Maisqu’est-cequevousdites…d’abord, ilétait toutamoureux,etensuite…Pouf, ildisparaîtd’uncoup!Cen’estpasbizarre,ça?Sansuneraison,unpourquoi,rien…Jevaisvousledire,moi…Oubienil en a une autre, ou bien, pire, son ex est revenue à la charge ! Et vous ne savez pas à quel pointj’aimeraismetromper…Dilettaselève.—Oui,d’ailleurs,jesuissûrequetutetrompes!Ollyrit.—Oui,oui,biensûr…Justementtoi,quin’asjamaiscouchéavecpersonne…—Maisqu’est-cequeçachange,sij’avaisdéjàbaiséj’ensauraisplussurleshommes?—Bah, tupourraiscommencerà t’orienterunminimum…C’estfacile,commeça,non?…Tues là,àcracherdessentences,sansavoirjamaistestéleproduit.Parexemple…Niki,excuse-moideteposerlaquestion,hein,maiscommentçasepassait,lesexe,entrevous?Nikisourit,toujoursinconsolable.—Je suis désolée…Parfait, sublime,merveilleux, irréel…Jene sais pas, je ne peuxpas trouver demeilleursmots…C’étaitunrêve.—Bon…Ilenauneautre.—Qu’est-cequeturacontes,espècedeporte-malheur!—Ecoutez,onpourraitessayerderésoudrecedilemmeavantlebac…Iln’yapasdesolution.Nikiacquiesce.—Ellearaison.Jecroisquec’estluiquialaseulevraieréponse…Justeàcemoment-là,laportedelachambres’ouvre.—Olly!Maisqu’est-cequevousfaites?Ollyselèvedulit,pasdutoutétonnée.—Maman,tuasl’aird’oublierqu’onpassenotrebac,cetteannée…Puisellesouritàsesamies.—Onrévisait…—Maisvousdevezvraimentréviserdansmachambre?

—Çanousfaitdubienderéviserici…Puiselledittoutbasàsesamies.—L’ennemi…Et ellessortenten traînantNikiderrière elles,en lapoussant,enessayantde la faire rire,ensaluantpolimentlamèred’Olly,prêtesàdéfierànouveaulemonde.

109Lesminutespassent.Lesheurespassent.Quelquesjourspassent.Elleatoutlu.Elleatoutfait.Maisilestsidifficiled’échapperàsonpropresilence.Unsagejaponaisleditbien:tupeuxéchapperaubruitdufleuve et des feuilles au vent, mais le vrai bruit est à l’intérieur de toi. Et puis, Niki s’en fichecomplètement d’avoir une bonne note dans cette matière. Elle préférerait tellement être recalée, enmathématiquessentimentales.Surce,ellefrappeàlaporte.—Entrez!—Salut,Andréa.—Niki !Qu’elle bonne surprise !Mais les panneaux ne sont pas encore prêts…Tu est devenue unemodèlesuperbienpayée!Tuvasêtrecélèbredanslemondeentier!Niki le regardeetsecoue la tête.C’estvrai…mais jenesuispascélèbrepour l’hommeque j’aime…Elleaimeraitledire,maisellesetait.Ellearrivemêmeàsourire.—Crétin…TusaisoùestAlex?Sasecrétairem’aditqu’iln’étaitpasdanssonbureau.—Non.Jecroisqu’ilestdescendu.Ilestpeut-êtreaubard’enface.Jenesaispas.—OK,merci…àlaprochaine.Andréa Soldini regarde Niki prendre l’ascenseur. La pauvre, elle est au fond du trou, tandisqu’Alessandroestaubard’enface.Mais ilyabiend’autreschosesqu’AndréaSoldinisait.Mêmesi,parfois,ilvaudraitmieuxneriensavoir.Nikisortdel’immeuble,marchesurletrottoir.ElleaperçoitlaMercedesgaréedel’autrecôtédelarue.Voilàsavoiture.Peut-êtrequ’ilestvraimentaubar.Nikis’approchedelavitreetregardeàl’intérieur.Aladernièretabledufond,devantuneorangepressée,Alexestassis.Ellelevoitparler,bavarder,sourireàlafilleassiseenfacedelui.Detempsentemps,illuitouchelamain.—Tuascompris,ilsveulentmedonnertoutedesuiteunautreprojet,jenepeuxpasdirenon…—MaisonavaitditauxMeriniqu’onferaitunvoyageaveceux.—Jesais,danscecaspeut-êtrepaslapremièresemainedejuillet,maisladernière.Oubienenaoût!A ce moment-là, Alessandro la voit. Reflétée dans le miroir du bar. Niki est là, devant la vitre.Alessandros’excuse.—Excuse-moi,jedoisallervérifierquelquechosedehors…—Vas-y,enattendantj’aiuncoupdefilàpasser.Elenanes’estrenducomptederien.Alessandroselèveetsortdubar.—Salut…Alessandrosedéplaceunpeu,pourêtrehorsdelavued’Elena.—Qu’est-cequetufaisici?—J’étaisvenuetevoiràtonbureau…etjet’aivuici.Maindanslamainaveccettefille.NikiindiqueElena,àl’intérieurdubar,quiparleautéléphone.PuiselleregardeànouveauAlessandroetluisourit.—J’aifaillidémolirtavoitureencoreunefois.Alessandrosetait.Nikicherchetimidementsesyeux.—C’esttonautresœur,pasvrai?—Non.

—C’estqui?Alessandronedittoujoursrien.—C’estcellequivoulaitaménagertonappart’?—Oui.Nikiestamère.—Ettumedisaisquetun’avaispasderaisonvalidepourresteravecmoi…tum’asfaitmesentirnulle,tum’asfaitcroirequejen’avaispasétéàlahauteur,quej’avaisfaitdeserreurs.Tum’asfaitmeremettreenquestionparrapportàmoi-même.Tum’asfaitsentirmoinssûredemoiquejamais…J’aipassédesjoursentiersàpenser,àespérer…Jemesuisdit:peut-êtrequ’ilfiniraparacceptercequinevapaschezmoi,quoiquej’aieditoufait…Oubien,pire,quoiquejen’aiepasfaitetqu’ilattendaitdemoi…Jemesuis sentie plus seule que jamais. Sans raison. Pleine de doutes. Et toi… tu savais tout.Mais alors,pourquoitunem’aspasdittoutdesuitequ’elleétaitrevenue?Pourquoi?Jel’auraiscompris,j’auraistoutacceptéplusfacilement.—Jesuisdésolé.—Non.Alex,c’esttoiquim’asfaitvoircefilm…«L’amour,c’estnejamaisdevoirdire"jesuisdésolé".»Etjevaismêmeajouter…c’estaussisavoirdirequandonestsalaud.Alessandronedittoujoursrien.—Tunedisrien.Biensûr,danscessituations,c’estbienplussimpledesetaire…bon,alorsjevaistedireunechose.Dansquelquetemps,jepassemonbac.Biensûr,jesuismal,jen’arrivepasàtravailler,mais jevaispeut-être l’avoir. Jeveux l’avoir.Mais ceque jemedemande, c’estquand tudeviendrasmature, toi…Tusais,Alex, touscesmois tum’ascombléedecadeaux,mais tuasrepris leplusbeau.Moncontedefées.Etelles’éloigne,montesursonscooter,secouelatêteetréussitmêmeàsourire.Parcequ’elleestcommeça,Niki.

110QuandNiki arrive chezAlaska, ses amies n’ont aucun doute. Ne serait-ce que parce qu’elle fond enlarmes.Elles laprennentdans leursbras.Olly regardeDiletta.PuisErica.Maisellenemarqueaucunpoint.Ellefermelesyeux.Semordleslèvres.Elleestvraimentdésoléed’avoireuraison.EllesessayenttoutesdefairerireNiki,luioffrentuneglace,parlentd’autrechose,tententdeladistraire.MaisNikiestdésespérée.Ellenes’yattendaitpas.Çanon.Vraimentpas.—Jepouvaistoutimaginer,jevousjure,tout…maispasça.Ilestretournéavecsonex.Çaveutdire…quec’estfini.Un après-midi, peu de temps après, Olly décide de faire une folie. Dans le fond, ce ne sont pas lespossibilitésquimanquent.—Niki,descends!Ellescrienttoutesensemble.Etelle,Olly,lagrandeorganisatrice,seglissedanslavoitureetklaxonnecommeunefolle.Ponponpon…Nikisepencheàlafenêtre.—Qu’est-cequisepasse?C’estquoi,cebazar?—Dépêche-toi,ont’attend.Nikiregardelavoiture,puissesamies.—Jen’aipasenviededescendre.—Tun’aspascompris…situnedescendspas,c’estnousquimontons,etonmettonappart’sensdessusdessous.—Oui,etmoijemefaistonpère!—Tais-toi,Olly!!OK,jedescends.Arrêtezceboucan!Quelquessecondesplustard,elleestenbas.Ellecourt,curieuse,verslaBendeyderniermodèle.—Maisqu’est-cequevousfaites?—Onaorganiséunejournéeadhocpourtoi…Pournous,pourmoi…Bref,parcequej’aienvie.Allez!OllypousseNikiverslavoiture.Ellesmontent.Lechauffeur,unejeunefemmedetrenteansquis’appelleSamantha,souritetpasselapremière.—Làoùvousm’avezdit,Olly?—Oui,merci.Puis,s’adressantàNiki:—Alors,j’yaibienréfléchi…Nous,lesOndes,nousnedevonspermettreàaucunAlex,oun’importequelhomme,denousfaireverserunelarmepourlui!C’estclair?Ellemonte levolumede l’autoradio.LesScissorSisters inondent lavoiture. Idon’t feel likedancin’.Elles chantent, et dansent, et rient, et mettent la pagaille. Elles poussent Niki, la tirent, l’ébouriffent,essayent de la faire rire.Même Samantha sourit, et elle s’amuse avec ces quatre folles assoiffées debonheur.—Vousêtesarrivées.—Bien,allez,lesfilles,ondescend…Premièreétapeici,auSpaduHilton.Toutestréservé,etsurtoutpayé…Allez,lesOndes,onentre!Ollylespousseàl’intérieurduSpa,danscedrôledetempledestyleromain.Unpeuplustard,ellessont

touteslesquatrenues,avecseulementunegrosseservietteautourdelataille.Ollyfaitleguide.—Vousvoyez…ici,ilyaenvirondeuxmillemètrescarrésdepurplaisir.Bon,c’estsûr,cen’estpasceluiquejepréfère…maisçapeutaller.Ellesselaissenttoutesrapidementaller.Abandonnéesdanscettepiscineintérieurechauffée,àregarderlesnuagespasser à travers la coupole enverre.A rire, à bavarder.Et puis, une cascade suédoise, unhydromassageetunepromenadedansdesvasquesdepierreschaudes.—Etmaintenant,ChocolatéTherapy!—C’est-à-dire?—C’esttrèsàlamode,encemoment…—Mmm,c’estbon,lechocolat…—Maisilnes’agitpasdelemanger!C’estluiquimangetonstress…Ericasetouchelesfesses,sepinçantunpeulacuisse.—Etici?Ils’occupedemangerquelquechose,iciaussi?—Ah,non,pourçailfautfaireuntraitementayurvédique…—C’est-à-dire?—C’estvrai,c’estquoi?Ollysourit.—C’estuntraitementquiremonteàlacivilisationindienned’ilyacinqmilleans.Etpourceproblèmequitepréoccupetant…tudevraisfaireunmassageavecgantsdesoie…Maisc’estencoretôt, tun’aspasungrammedecellulite!—Amonavis,tuasdesactionsdansceSpa,tuensaistrop…—Maisnon,c’estmamèrequiatoutessayédanscedomaine…avecdepiètresrésultats,certes,maisellemeraconteçatouslesjours!Unpeuplustard,ellesremontentenvoitureavecSamantha,enrouteversunenouvelleaventure.Lavoitureestgaréeàl’entréeduParcduVeio.Olly,Niki,DilettaetEricasuiventunpetitsentierdanslebois.Entourédebuissons,depins,depalmiers.Etuneprairieàl’anglaise,parfaitemententretenue,avecdes lumières douces, cachées, et une musique douce qui accompagne le frottement léger des plantespliéesparleventtièdedel’été.—Etici,qu’est-cequ’ilya?—Ças’appelleTêteàtête*…—C’est-à-dire?— C’est un petit restaurant qui a une table et une cuisine très exclusives, seulement pour deuxpersonnes…—Maisonestquatre!—Jeleuraifaitfaireuneentorseàlarègle!LesOndess’asseyentàtableetsontaccueilliespardesserveurs.Ellesregardentlacarteetdiscutentdecesplatsextraordinaires.Ollycommandeunexcellentvinàunmaîtred’hôteldiscretquis’estsubitementmatérialiséprèsde leur table.Puis elles commandent àmanger avecplaisir, naviguant entre desplatsitaliens,français,chinois,etmêmearabes.—Non, je vous en prie…Ça, non. Avec toute la bonne volonté dumonde, je ne peux pas…On necommanderiendejaponais,hein?!Nikirit.Ellesrienttoutes.Unpeudedouleurvientd’êtreexorcisée.

—Figurez-vousquesionvientencharmantecompagnie…ehbien,aprèsledînerdansleparc…onpeutaussis’arrêterdansundélicieuxpetitbungalowromantique…—Çaalors!Waouh!—C’estfort…—Moij’ylaisseraisbienOlly…—Oui,maisellerisquedeteledémonter…—Moi,jeleprendraisenlocation,etj’ymettraisDiletta…Etpuis,onluienverraittouslesjoursuntypedifférent,àl’heuredelavisite…ettantqu’ilnesepasserien,ellenesortplus…—Oui,uneprisonérotiqueàl’envers…Dilettalesregarde,hautaine.—Moijerésisteraisquandmême…Puisplusieurs serveursarrivent l’unaprès l’autre, les invitent à se leveret lesenlacent.Olly,Diletta,EricaetNikiseregardent,abasourdies.—Maisqu’est-cequisepasse?Qu’est-cequ’ilsfont?—Bah,jenesaispas…—Oh,maisilsn’auraientpasentendunotreconversation…—Diletta,profites-en,va…Lemaîtred’hôtelapproche.—Excusez-nous,maisnoussommesentraindelancercetteinitiative,cesontdesfreehugs, lescâlinsgratuits…C’estunethérapiecontrelasolitude,lamélancolie,l’ennui,ladépressionetlatristesse…—Vousvousmoquezdenous,ouquoi?—Pas du tout.Cette initiative a été lancée en septembre enAustralie et reprise dans de nombreusesvillesitaliennes,àcommencerparGênesavecRenéAndreani.Noussommesdesfreehuggers,deslibrescâlineurs…Çanousferaittrèsplaisirquevousparticipiezàcetteinitiative…Ollysourit.—Moijesuisdéjàdesvôtres…Mesamiesvousleconfirmeront…jesuisconvaincuedepuistoujoursde la grande force de ces câlins, oui, de ces free hugs…Bien sûr, il me semble plus utile, parfois,commentdire,denepasresteràlasurfacedeschoses,d’allerunpeuplusaufond…Etsurtout,commentdire,dechoisirle«bon»câlin,maiscenesontquedesdétails,finalement…Unpeuplustard,ellesretournentàlaBendeypourundernierrendez-vous,incroyablementamusant.—Jen’ycroispas…—Ehbien,n’ycroispas…—Regarde…EllesentrentdansunepetitesalleaudernierétageduGrandHôtelEden.Etc’estbienvrai.VascoRossiestlà.—Tuycrois,maintenant?—Maiscen’estpaspossible…—C’estl’aftershow,unendroitoùsedétendreaprès leconcert.Pourseulementcinquantepersonnes,dontnous…—Maiscommenttuasfait,Olly?—Jeconnaisundesesgardesducorps…Unfreehugtrèssignificatif...—Olly!—Allez, les filles, je plaisante…Vous avezune trèsmauvaise imagedemoi…Etmaintenant je suis

entréedanslerôle,jelefaisexprès…Maisoùestlavérité,oùestlemensonge?Vasavoir…Et elle s’éloigne avec ses amies joyeuses, amusées, qui regardent leur idole passer entre les tables,chanter unmorceau d’une chanson, boire un verre de quelque chose et ensuite rire avec elles.Vasco.Vascoquienvoiedesmessagesavecsonportableverslesétoiles,quisaitquelsmotsetpourqui…Vascoet savoixunpeu rauque.Maispleinede récits,d’histoires,dedéceptions,de rêvesetd’amour.Cettemêmevoixquit’asuggérédenepaschercherunsensàcettevie.Neserait-cequeparcequecettevien’apasdesens.Ollylesregardedeloin.Ellevoitsesamiesbavarder,curieuses,demanderdesinformations,parleravecluiàbâtonsrompus.Nikisourit.Elles’arrangelescheveux.Elleposeuneautrequestion.Elleestenfindistraite, curieuse, tranquille, elle pense à autre chose. Olly sourit. Elle est heureuse qu’elle soitheureuse.Commeça,ellesesentunpeumoinscoupablepourcequ’elleafait.

111L’hommes’adapteà tout. Il surmonte ladouleur,conclutdeshistoires, recommence,oublie, finitmêmeparatténuer lesgrandespassions.Maisparfois, ilsuffitd’unrienpourcomprendrequecetteporten’ajamaisétéferméeàclé.Alessandrorentrechezlui,posesonsacsurlatable.—Elena,tueslà?—Oui,Alex,jesuislà!Elenaarrive,pressée,etl’embrasserapidement.Puisellesedirigeverslasalledebains.—Excuse-moi,j’étaisentrainderangerdeschosesquej’aiachetées…Alessandroenlèvesavesteetlaposesurledossierd’unechaise.Puisilvaàlacuisine,prendunverre,labouteilledevinblancdanslefrigo,ets’ensertunpeu.Elenasejointàlui.—Alex, tune saispascequim’est arrivéaujourd’hui. J’essayaisde remettreunpeud’ordredans lamaison…—Oui…—Jevoulaisrangerunpeu.Apropos,tuessûrquecettedrôledesculpture,LePoteauetlaVague…–…LaMeretleRocher.Ehbien?—Non,jedisais,tuessûrdevouloirlagarder?—Tumel’asfaitmettresurlaterrasse,enquoielletedérange,là?—Non,cen’estpasqu’ellemedérange,c’estqu’ellen’arienàvoiraveclestyledetoutlereste.—Maisc’estunesculpture!—Oh,dis-moi…maistul’aspayéecher?Parceque,situl’aspayéecher,onlagarde…Alessandronepeutcertainementpasluidirequec’estuncadeau.—Oui…jetedisseulementquejesuisencoreentraindelapayer…—Alorsonpeutpeut-êtrelaremettreausalon.Bon,qu’est-cequejetedisais?…Ahoui,jerangeaisunpeu lamaison, quand jeme suis rappelé que tous lesmeubles du salon devaient encore arriver. J’aiappelélefabricantetj’aiparléàSergio,tutesouviens,levendeur?Biensûrquejem’ensouviens.Maisjenevaisquandmêmepasluidire.Elenacontinue.—Bon,çanefaitrien…Alors,jetedis…Ons’estdisputés,maisalorsdisputés…onahurlépendantplusd’uneheure.Tuterendscomptequeçafaitdesmoisetqu’ilsnenousonttoujoursrienlivré…ettusaiscommentils’estjustifié,levendeur?Quelmenteur,iladitquec’esttoiquiavaittoutannulé.Alessandrofinitsonverreens’étranglantpresque.Elenacontinue,combative.—Maistuterendscompte…Jen’enairieneuàfaire,lesangm’estmontéàlatête.Alors,tusaiscequejeluiaidit?Ahbon?Alors,puisquec’estcommeça,jelesannulepourdebon.Alessandropousseunlongsoupirdesoulagement.Elenas’approchedelui.—Qu’est-cequisepasse?Tuesfâché?Jen’auraispeut-êtrepasdû,onauraitpeut-êtredûenparlerd’abord…maisj’étaisàboutdenerfs…Jen’aimepasqu’onsemoquedemoi.Etpuis,situlesvoulaisvraiment,onvarepasserunecommande,maisailleurs…Alessandropousseunautresoupir,selaissetombersurlecanapéetallumelatélé.—Tuastrèsbienfait…Elenasepostedevantlatélé,lesjambesécartéesetlesmainssurleshanches.—Maisqu’est-cequetufais?

—Jeregardes’ilyaunbonfilm.—Maistuplaisantes,ouquoi?Onestattendusàl’OsteriadelPescc…allez,ilyaPietroetlesautres,etaussideuxnouveauxcouplesd’amis.Onestdéjàenretard.Vatepréparer!Alessandro éteint la télé, se lève et va dans la chambre. Il ouvre l’armoire. Il est indécis. Chemiseblancheounoire.Finalement,ilsourit.Quec’estbon,quandilyaunjustemilieu.Ilenfileunechemisegrise.

112Plustard,aurestaurant.—Vousnousapporterezdesantipastivariés,froidsetchauds.—Vousvoulezaussiunpeudecharcuterie?—Oui,etpuisdescrevettes,aussi,s’ilyena…etunpeudecarpacciod’espadonetdeloup…Leserveurs’éloignejusteaumomentoùarriventAlessandroetElena.—Nousvoilà.Saluttoutlemonde!—Alors,qu’est-cequevousracontiezdebeau?Elenas’assiedentreSusannaetCristina.—Alors,moijevousdistoutdesuitequejemesuisachetélecache-poussièred’étédechezScervino.ilestmagnifique…Camillalaregarde,curieuse.—Combientul’aspayé?—Une bagatelle…mille deux cents euros. C’est cher, mais c’est Alex qui me l’a offert. Il a eu sapromotion,onpeutsepermettrequelquesexcès.—Alors,eneffet,cen’estpascher…Tout le monde rit, continue à parler de nouveaux restaurants, d’amies trahies par leurs maris, d’unnouveaucoiffeur,d’unautrequiafermé,d’unebonneduCap-Vertquichantedanslamaison,d’uneautre,Philippine,quiseréveilletoujoursenretard,etd’unePéruviennequiestunvraicordon-bleu.—Quoiqu’ilensoit,lesItaliennessontimbattables.Seulement,onn’entrouveplus.Moi,parexemple,j’avaismanounou…tunepeuxpassavoir,ellecuisinaitdivinement…Souvenirslointains.Toutdoucement,Alessandroécoute,suitcetteroute.Puisseperd.Revientenarrièredansletemps.Pasbeaucoup.Paris.Il lavoitcourirdanslesrues,mangerdansunpetitrestauranttypiquementfrançais,beaucoupdeconfusionetquelquechoseenplus.Elle.Niki.Qu’est-cequ’ellepeutbienfaire,maintenant.Alessandroregardel’heure.Elledoitêtreentrainderéviser.Ellealebacdansquelquesjours.Ill’imaginechezelle,dans sa chambre, cette chambre qu’il a vue en coup de vent quand il est passé pour un promoteurfinancier.Alessandroritintérieurement.MaisPietros’enaperçoit.—Vousavezvu?Alexsourit.Doncilestd’accordavecmoi…Alessandrorevientimmédiatementàlaréalité.Maintenant.Ici.Commeaspiré.Malheureusement.—Oui,biensûr…biensûr.Elenaintervient,effarée.—Maisbiensûrquoi?Pietroétaitentraindedirequedetempsentempsçafaitdubiend’êtreinfidèleparcequeçaaméliorelesrelationssexuellesdescouplesmariés…—Etmoijedisaisbiensûr,biensûr…pourvousquin’avezplusdebonnesrelations…maistunem’aspaslaisséterminer.Elenaestrassurée.—Ah,bon…Enricoselève.—Bon,c’estànous…onvafumer.Lesautreshommesselèvent,ilssortenttousdurestaurant.Pietros’approched’Alessandro.—Iln’yarienàfaire,hein,tut’entirestoujours…

—Bah, parce que je suis entraîné… toi, tu racontes toujours la même chose, tu passes ton temps àessayerdejustifierl’extra-sexe…—Maisnon,jeneparlepasdeça…Jemedemandeàquoitupensais…Enricointervient.—Jevaisteledire,moi,àquoiilpensait…àlajeunefille,sonamie…—Ah…Celle-là,pasbesoindelatromper…Elleetsescopines,ellesteréduisentencompote,ellessefrottenttellementàtoiquetun’asmêmepluslaforcephysiqued’allervoirailleurs!Alessandrosetait.Pietrorevientàlacharge,curieux.—Tuas eudesnouvelles, tu l’asvue?Amonavis, ellepourrani accepterde tevoirmêmedans tasituation,maintenantquetuesànouveauavecElena.Fais-moiconfiance…Alessandrolepousse.Puissourit.—Maisqui?Jenesaispasdequituparles.—Biensûr,tunesaispasdequijeparle…Lafilleauxjasmins.EnricopoussePietroàsontour.—Allez,arrête…faisattention…Ilindiqueduregarddeuxautresamisàeuxquisontunpeuplusloin.Ilsdiscutentgaiement.—Qui?Eux?Maisilsn’entendentpas…etmêmes’ilsentendaient,ilsnediraientrien.Ilsn’auraientpasintérêt.Vousn’avezpeut-êtrepascompris.Ici,personnen’alaconsciencetranquille.Enricojettesacigarette.—Bon,moijerentre.—OK,nousaussi…Qu’est-cequevousfaites,vousvenez?Lesdeuxautresamislessuivent.Enlesvoyantrevenir,lesfemmesselèventàleurtour.—Changement!Quelquessecondesplustard,ellessontàl’extérieur.Elenas’approchedesdeuxnouvellesamies.—Alors,vousétiezdéjàvenuesdanscerestaurant?Vousavezvucommeonymangebien?—Oui,vraiment…Elles se mettent à bavarder. Un peu plus loin, Cristina s’approche de Susanna et regarde dans leurdirection.—Elenaal’airheureuseetcontente,doncj’airaison…ilneluiaabsolumentriendit.—Illuiapeut-êtredit,ellepourraitêtremaletnepaslemontrer...Susannasecouelatête.—Elle n’en est pas capable. Elena parle beaucoup, on dirait une grande gueule, comme ça,mais enréalitéelleesttrèssensible…—Jesuisdésolée,maisvousn’avezriencompris.Camillas’approcheetlesregardecommesic’étaientdeuxgrandesnaïves.Ellesourit.—Nousavonsdesamisencommun,Elenaetmoi.Jevousassurequec’estlameilleurecomédiennequejeconnaisse.Cedisant,ellesecouelatêteetjettesacigaretteparterre.—Bon,moijerentre,lasuiteadûarriver.Aprèslesplatsviennentlesdesserts.Puislesfruits,lecafé,etunegrappaouundigestif.Toutal’airdesedéroulercommed’habitude.Lemêmerythme.Toum.Toum.Lesmêmesconversations.Toum.Toum.Toum. Mais soudain, tout ralentit. Tout semble terriblement inutile. Alessandro les regarde, regarde

autourdelui.Ilvoittoutlemondeparler,desgensrire,desserveurssedéplacer.Beaucoupdebruit,maisaucunbruitréel.Dusilence.Commes’ilflottait,commes’ilmanquaitquelquechose.Tout.EtAlessandrocomprend.Iladisparu.Cemoteuradisparu,levrai,celuiquifaittoutavancer,quitefaitvoirlaconneriedes gens, la stupidité, la méchanceté, et bien d’autres choses, mais toujours avec le bon degré dedétachement.Cemoteurquitedonnelaforce,larage,ladétermination.Cemoteurquitedonneuneraisonde rentrer chez toi, de chercher un autre grand succès, de travailler, de suer pour atteindre la ligned’arrivée.Cemoteurquidécideensuitedetelaissertereposerentresesbras.Facile.Magique.Parfait.Moteuramour.

113Les jours passent lentement, l’un après l’autre, tous égaux. Ces jours étranges dont on ne se rappellemêmepasladate.Quand,pendantuninstant,tucomprendsquetun’esplusvivant.Cequiestentraindet’arriver,c’estlepire.Tusurvis.Maispeut-êtrequ’iln’estpasencoretroptard.Etpuis,unsoir.Cesoir-là.Soudain.Vivreànouveau.—Ouf,ilfaitchaud…maistun’aspaschaud,Alex?Elenasetourneverslui.Alessandroconduittranquillement,lafenêtreouverte.—Non,ilfaitchaudmaisilyadel’air.—Voilà…maisjevoudraisquetufermes,çamedérange.Jesuisalléecetaprès-midichezlecoiffeur,jevaisêtretoutedécoiffée…Tuaslaclim,non,alorsmets-la!Alessandropréfèrenepasdiscuter.Ilremontelavitreetallumelaclim.Ilrèglelethermostatsur23.—C’estencoreloin,chezlesBettaroli?—Onestpresquearrivés.Elenaregardeparlafenêtreetvoitunfleuriste.—Arrête-toilà,onvaacheterunbouquet,quelquechose,onnepeutpasarriverlesmainsvides.Alessandros’arrête.Elenadescendde laMercedeset s’adresseàun jeuneMarocain.Ellemontredesfleurs,demandelesprix.Puis,encoreindécise,elleoptepourunautrebouquet.Alessandroéteintlaclim.Ilbaisselavitreetallumelaradio.Commeparmagie,unmorceausetermineetunautrecommence.Etpas n’importe quel morceau. She’s the one… Alessandro s’enfonce dans son siège. Un sourirenostalgiques’emparesoudaindelui.Whenyousaidwhatyouwannasay…Andyouknowthewayyouwannasayit…You’llbesohighyou’llbeflying…RobbieWilliamscontinuedechanter.Maisqu’est-cequejeveux,moi…ilserappelleleurpremièrerencontre.Elleétendueparterre.Lui,inquiet,sortantdesavoiture…Puiselleouvrantlesyeux.Leregardant.Souriant.Lamusiquecontinue…Iwashershewasme…Wewereone…wewerefree…Cemoment-là.Lamagied’unenuitdedébutd’été.Chaud.Froid.Lentement,leverres’embue.Etenbas,surlavitre,uncœurréapparaît…Cecœur.L’espaced’uninstant,c’est comme si Niki le dessinait à nouveau. Avec ses mains, avec son sourire. Comme cette fois-là.Commeelleavait fait, ce jouroù ilsavaient fait l’amour.Aprèsavoirmis sespieds sur le tableaudebord.Aprèsavoirsoupiré.Cemoment-là.—Allez!Nedessinepassurlavitre,çanes’enlèverajamais.—Oh!lala,qu’est-cequetueslourd!Moijelefaisquandmême…Etelleavaitriànouveau.Puisellemitsamainpourqu’ilnevoiepas.Etelleavaitdessinécecœursurla vitre. Et elle avait écrit à l’intérieur. La voilà. Cette petite inscription aussi réapparaît. « Alex etNiki…4ever.»Parcequecertaineschosesnes’effacentjamais.Ellesreviennent.Commelamaréehaute.Nikietsonsourire.Nikietsajoie.Sonbonheur.Sonenviedevivre.Nikifemme,enfant.Niki.JusteNiki.Lafilleauxjasmins.Nikimoteuramour.Justeàcemoment-là,Elenaremontedanslavoiture.—J’aiprisça…jetrouvaisçajoli.Çacoûtaitpluscherquelereste,maisaumoinsonferaboneffet.Alessandrolaregarde,maisilnelavoitpas.Ilnelavoitplus.—Moijenevienspasàlafête.—Quoi ? Comment ça, tu ne viens pas ?Qu’est-ce que tu as, tu esmalade ? Il s’est passé quelquechose?Tuasoubliéquelquechoseàlamaison?

—Non.Jenet’aimeplus.Silence.Puissavoix.—Maisqu’est-cequeçaveutdire,qu’est-cequeçaaàvoir,làtoutdesuite,quetunem’aimesplus…tuterendscomptedecequetuesentraindemedire?—Oui, jem’en rendsparfaitementcompte,malheureusement jenem’en rendscomptequemaintenant.J’auraisdûtelediretoutdesuite.Elenasemetàparler,parler,parler.MaisAlessandron’entendpas.Ilmetlemoteurenmarche.Baisselavitre.Etsourit.Ildécidequ’ilveutêtreheureux,totalementheureux.Pourquoiilneleseraitpas…quileluiinterdit?IlsetourneversElenaetluisourit.Oùestleproblème?Toutestsisimple.Siclair.—J’enaimeuneautre.Là,Elenasemetàhurler,etAlessandromontelevolumepournepasl’entendre.Ellecouperageusementla musique. Elle continue avec ses cris, ses mots, ses insultes. Tandis qu’Alessandro conduittranquillement,regardedevantluietvoitenfinlaroute.Iln’entendpaslesraisons,lesmots.Iln’entendmêmepluslescris.Enfin,iln’écouteplusquelamusiquedesoncœur.Puisils’arrêted’uncoup.Elenaleregarde.Ellenecomprendpas.—NoussommesarrivéschezlesBettaroli.Elena descend, abasourdie. Elle claque très fort la portière. Avec rage. Avec une violence inédite.Méchamment, comme si elle voulait la décrocher de laMercedes.EtAlessandro repart. Il a plein dechosesà faire,maintenant. Il rentrechez lui, severseunverredevin,metunpeudemusique.Puis ilallumesonordinateur.Jeveux trouverunhôteldans lecoin,pouravoir lapaixdans les joursàvenir.Puis,quandElenaaura repris toutessesaffaires, je reviendrai ici.Soudain, ilestcurieuxdesavoir siquelqu’unluiaécrit.Peut-êtreelle.Ilrelèvesonmail.Troismessages.Deuxspams,etunmessaged’unexpéditeurqu’ilneconnaîtpas:vraiami@hotmail.com.Curieux,ill’ouvre.Cen’estpasunepub.C’estunevraielettre.D’uninconnu.

Cher Alessandro, je sais que parfois on ne devrait pas s’immiscer dans la vie des autres, ondevraitn’enêtrequesimplespectateur,surtoutsionn’estpastrèsintime…maismoij’aimeraisêtretonami,vraiment,ton«vraiami».Jecroisquetuesfondamentalementbonetquetabontépourraittepousserànepasfairelesbonschoix.Parfois,onpenseànotreviecommesielleétaitlaréponsequirassurelesautres.Onfaitdeschoixpourleurplaire,pourapaisernotresentimentde culpabilité, pour chercher l’approbation de quelqu’un. Sans comprendre que le seulmoyend’êtreheureuxestdechoisircequ’ilyademeilleurpournous-mêmes.

Alessandrocontinueàlirelemail,curieuxetenmêmetempsinquietdecetteincursioninattenduedanssavie.

Donc,avantquetupuissesrenonceràquelquechosepournepasblesserquelqu’un,jevoudraisquetulisescettelettrequejet’aienvoyée.

Alessandrocontinueà lire.Uneautre lettre.Maisellen’estpasd’unvraiami.Elleestd’unepersonnequ’ilconnaîtvraiment.Etbien.Oudumoins,qu’ilpensaitconnaîtrebien.Iln’auraitjamaispususpecterça.Illit,toutdoucement,etn’encroitpassesyeux.Mais,motaprèsmot,ilcommenceàtoutcomprendre,às’expliquerenfinlepourquoidepetiteschosesquiluisemblaientabsurdesauparavant.

114Nuit.Nuitnoire.Nuitdesurprises.Nuitabsurde.Nuitdedoucevengeance.Alessandroestassisausalon.Ilentendlebruitdelaclédanslaserrure.IlenlèveleChampagneduseauavec la glace et s’en verse un peu. Il reste assis, la regarde entrer. Elena pose son sac sur la table.Alessandroallumelalumière.Elleprendpeur.—Ah,tuesréveillé…jepensaisquetuseraisparti…ouquetudormirais.Alessandrolalaisseparler.Elenas’arrêteetleregardedanslesyeux.Déterminée.—Tuasquelquechoseàmedire?AlessandrosirotetranquillementsonChampagne.—Bon,alorsvuquetun’asrienàmedire,c’estmoiquivaisparler...tuesunvraisalaud.Parcequetum’asfait…Elenadéverseuneséried’insultes,derage,d’absurditésetdeméchanceté.Alessandrosourit, la laisseparler.Puis,d’uncoup,ilselèveetvaprendresurlatableunefeuillepliéeendeux.Il l’ouvre.Elenas’arrête.—Qu’est-cequec’estqueça?—Unmail.Quim’estarrivéilyaquelquesjours.Mais,malheureusement,jenel’aivuquecesoir.—Qu’est-cequeçapeutmefaire,àmoi…—Atoi,peut-êtrerien,parcequetulesaisdéjà.Amoi,beaucoup,parcequejenelesavaispas.Jenel’auraisjamaisimaginé,d’ailleurs.Danscemail,ilyaunelettredetoi.—Demoi?Elenapâlit.—Oui,detoi.Jetelalis.Aucasoùtunet’ensouviendraispas…Alors.«Monamour.Cematinjemesuis réveillée, j’avais rêvéde toi. J’étaisencore toutexcitéeenrepensantàcequenousavonsfait.Etsurtout,çam’exciteàmourirdesavoirque tuesen réunionavec lui.Tupourraspasser,àmidi? J’aienviede…»Alessandros’interrompt.Ilbaisselafeuille.—Ça, je saute, parce que c’est une série de cochonneries…voilà, je reprends là. « J’espère que tugagneras,commeçaturesterasàRomeetonpourraêtreensemble…Parceque,avectoi,Marcello,jemesens…»Alessandroposelafeuillesurlatable.—MaisMarcello,cejeunecrétinquiauraitdûprendremaplace…ilaperdu.IlafiniàLugano,etparhasard,àl’improviste…pouf,commec’estbizarre…aprèssondépart,tuasréapparudansmavie…tuyasréfléchi,etétrangement,aprèssadéfaite,tuasdécidédem’épouser…Elenaestpétrifiée.Alessandrosourit,prenduneautregorgéedeChampagne.—Etmoiquiavaisdumalàtedirequejenet’aimaisplus.Ilselève,passeàcôtéd’elle,puisouvrelaportedelasalledebainsetprenddeuxvalises.Ilouvrelaportedel’appartementetlesmetsurlepalier.—J’aipristoutcequiétaitàtoi,etaussiquelquescadeauxettoutcequipouvaitd’unemanièreoud’uneautremefairepenseràtoi.Livres,stylos,parfum,savons,tasses…Jevoudraisquetufassescommelesféesdesfilms,quetudisparaissespourtoujours.Alessandroclaquelaporte.Puisilfermeàdoubletouretlaisselaclédanslaserrure.Ensuite,ilreprendlabouteilledeChampagne,metlamusiqueàfondetvadanssachambre.Plusheureuxquejamais.Jen’aimêmepasàmechercherd’hôtel.Maintenant,ilnemeresteplusqu’àcomprendrequiestce«vraiami»,

etsurtout…sijepeuxencorerécupérermesjasmins.

115DevantchezAlaska.OllysautedanslesbrasdeNiki.—Merde!J’airéussi,j’airéussi!Jesensquej’airéussi!Jel’aieumonbac!—Maislesrésultatsnesontquedansunmois.—Oui,maisj’ycrois,etpuisj’essayedevousporterbonheur,àvousaussi.—Tuesfolle,commeçatuvasnousporterlapoisse!—Lesfilles…onpartbientôt…Ericas’approcheavecunecarte,l’ouvre.—Alors,jevousmontre.OnprendletrainàlagaredeRome,trèstôt.—Aquelleheure?—Àsixheures.—Maisiln’yenavaitpasunplustard…—Detoutefaçon,tupeuxdormir,dansletrain…—Etpuis,tuastouteslesvacancespourrécupérer…—Bah,moi,envacances,jevoudraisfaireautrechose…—Olly,çasuffit!—Vousvoulezjeteruncoupd’œil…alors,ensuite,àPatras,onprendlecaretonlongelacôtejusqu’àAthènes.Ilyapleind’endroitsmagnifiques.ARhodes,ilyalaplagedeLindos,ilparaîtqu’elleesttrèsbelle,pleinedejolispetitscoins…Etpuis,Mykonos,plageetvienocturne.Santorin,avecsonvolcanetsescouchersdesoleilcélèbresdanslemondeentier.Ios,appeléel’îledel’amour,maisaussil’îledesfollesnuitsde laChora,alias« thevillage».Etpuis,moi jeveuxabsolumentvoirAmorgos, oùLucBessonatournéLeGrandBleu.Dilettaregardesontéléphoned’unairrêveur.Nikis’enaperçoit.—Qu’est-cequetufais?—Filippovientdem’envoyerunmessage.Qu’ilestromantique.—Qu’est-cequ’ilt’écrit?Faisvoir.Ollyessayedeluiarracherletéléphone.MaisDilettaestplusrapide,ellesetournedel’autrecôté.Ollylaprendparlebrasetinsiste.—Lâche-le!Nikiintervient.— Allez, laisse-la tranquille ! On a compris, on a compris… mais au moins, raconte-nous un peucomment il est ! Pardon, hein, mais nous on s’inquiète pour toi depuis des lustres, et maintenant, aumeilleurmoment…tunousexclus.Dilettareprendsontéléphoneetlit,ànouveaurêveuse.«JevoudraisêtretouteslesOndesetpartiravectoi…»—Quelsalaud!—Ilestgonflé!—Oui…maislesOndes,c’estnous,unpointc’esttout!Justeàcemoment-là,unevoixs’élève.—Biensûr!LesOndessontparfaites,uniques…etsurtoutfidèles.Surleborddelaroute,appuyéàunpoteautordu,Fabio.Avecunami,undeces types inutilesavecqui il traîned’habitude. Jeandéchiré,blouson Industriecologiche

déchiré,chaussuresentoiledéchirées,mêmesonT-shirtestdéchiré.—Attention,levoici!DilettasuitErica.—Oui,ilaparlé…FabioFobia,l’hommedesgrandesvérités.Legourou.—Vousavezentendu,maintenantmondisquepasseàlaradio.Nikiintervient.—Biensûr…tut’esfaitundisquetoutseul.Tuasfaitdépenserpleind’argentàtonpèreettuasforcétonloserdecopainquibosseàRadioAzzurra24àlepasserdetempsentemps.—Monamin’estpasunloser.—Peut-être…maistoutleresteestvrai.—Ehbien?Qu’est-cequ’ilyademal?Nikisoupire.—Rien…Laissetomber.Plutôt,onpourraitsavoircequetuesvenufaire?Çanet’apassuffi,cequetuasfaitàmonami?Tuasapportélapreuvedecequejet’aitoujoursdit…—Quoidonc?—Quej’avaisraison,tupeuxécriretoutesleschansonsquetuveux,maisilyacertaineschosesqu’onnepeutdirequ’aveclecœur.Utiliserlaviolencepourreconquérirunefille…quelpoètetufais…Nikis’approchedeluietleregardeméchamment.—Aveccetteconnerie,tut’esgrillé.Tunem’aurasplusjamais,mêmepascommeamie.Fabiorecule.—Qu’est-cequeçapeutmefaire.Jepeuxtoutavoirdelavie,moi.Pascommecevieux…celui-là,ilt’atrouvée,etilnetelâchepasparcequ’ilapeur.Lesannéespassent.D.saitqueseschancesdiminuent.Niki regarde ses amies. Elles la regardent. Elles se taisent toutes. SeuleOlly a l’air nerveuse. Fabiocontinue.—QuandjepensequejemesuismêmefaituneOnde…Nikileregarde,étonnée.—Oui,çadoittesemblerbizarre…maisj’ai«surfe»avecunedetesfidèlesamies.Nikilesregardetoutes.Diletta.Erica.Olly.Elles’arrêteunpeupluslonguementsurcettedernière.Ollybaisselesyeux.Elleal’airgênée.Fabios’enaperçoit.—Bravo,Niki…tuascompris…Quandtuveux,tucomprendsleschosestouteseule.OllyregardeNiki.Unregardtriste.Désolé.Ellecherchedel’aidedanslesyeuxdesonamie.—Nelecroispas,Niki.C’estunsalaud,ilveutnousmonterl’unecontrel’autre…Fabiosouritets’assied.—Biensûr…biensûr.C’estdesconneries.Tuveuxquejeteracontelesdétails,Niki?Tuveuxquejeteparledetoussesgrainsdebeauté,enparticulierunqu’elleadansunendroitbizarre…Outupréfèresquejeteparledesontatouage,quejetedisecommentetoùûest?Ollycontinue.—Nelecroispas,Niki,jet’enprie.C’estsaparolecontrelamienne.Ilasuparquelqu’und’autre,pourmontatouage.Ilveutjustenousfairedumal.Nikilèvelamain.—OK,OK…Maintenant,çasuffit,Fabio.Va-t’en.Quoiqu’ilsesoitpassé,tunem’intéressesplus.Etsiças’estpassé,c’estencoremieux.Çanefaitqueconfirmercequejepensais…Fabioselèveetlaregarde.—C’est-à-dire?Nikisourit.—Que tu es un salaud… tu esméchant, inutile, tu ne fais quedumal, tu es unparasite, tu vis la vie

commesic’étaituneguerre.Commeceuxquidisentqueplusonad’ennemis,plusonad’honneur…Maistusaisquoi?C’estfacile,desefaireunennemi.Etmêmetrèsfacile…Ilsuffitd’êtresalaud.Exactementcommetoi.Levraihonneur,c’estdesefaireunami,tudoistefaireapprécier,aimer,estimer,tedonner,êtreloyal…c’estbeaucoupplusdifficile,plusfatigant…Elles’approched’Ollyetluisourit.–…maisc’estaussibeaucoupplusbeau.Fabiosecouelatête.Ilmontederrièresonamisursonscooter.—Allez,onsecasse.Ellessonttropdébiles.C’estlefestivaldesbonssentimentsetdel’hypocrisie,ici.Nikisourit.—Maisalors,tuvoisquetunecomprendsvraimentrien…Nous,nousnesommespasdébiles…NoussommeslesOndes.

116Unesemaineplustard.Toutestplusclairetmêmelecielsembleplusbleu.Lasecrétaireentredanslebureaud’Alessandro.—Ilyacemonsieurpourvous.—Merci…faites-leentrer.Alessandros’assiedàsonbureau.Ilsouritenlevoyantentrer.TonyCosta.Ilal’airplusmincequeladernièrefoisqu’ill’avu.—Vousavezmaigri.— Oui, ma femme m’a mis au régime. Alors, voici ce que vous m’avez demandé. J’ai réussi à meprocurerlesnotes,ellesonttouteseuleurbac.Maisaucuned’ellesneconnaîtencorelesrésultats.NikiCavalliaeu80/100.Bien,penseAlessandro.Ellevaêtrecontente,elles’attendaitàmoins,etenplusjenel’aipasaidée.—Sonnumérodeportableachangé,maisjen’aipasencoretrouvélenouveau.Ellepartdansdeuxjoursavecsesamies…TonyCostafeuillettesonbloc-notes.—Voilà,aveclesOndes,c’estcommeçaqu’elless’appellent,etellesvontenGrèce.Santorin,Rhodes,MikonosetIos.Tonyreposesonbloc-notes.—C’estcettedernièrequivousintéresse,onl’appellel’îledel’amour.Alessandrosourit.—Merci.Combienjevousdois?— Rien. L’avance me suffit. C’était un travail trop simple. Alessandro accompagne Tony Costa àl’ascenseur.—J’espèrevousrevoirunjourpourd’autresraisons.Vousm’êtessympathique.—Merci,vousaussi.Alessandro attend que les portes de l’ascenseur se referment. Puis il retourne dans son bureau. Justequandilvafermerlaporte,AndréaSoldiniarrive.—Alex!Maisilnefallaitpas…Alessandrovas’asseoirdanssonfauteuiletsourit.—Tuparles…cen’estpasgrand-chose.—Tuappellesçapasgrand-chose?Tum’asfaitunsuperbecadeau!UnMacintochMacWritePro,superrapide,enplus!Mais…pourquoi?—Jevoulaisteremercier,Andréa…Tum’asbeaucoupaidé.—Moi?Maislesidéessontvenuesdetoi,cesphotos,leslogan,cettefille!Nikiestparfaite!Tuasvulespanneaux?Ilssontentraindeperfectionnerlescouleurspourl’Italie,maisjesuissûrqu’ilsserontmagnifiques.C’estunepubsimpleetgéniale.—Oui,àl’étrangerellemarchetrèsbien.Onverraquandellesortiraici.—Tudistrèsbien,àl’étranger?Ilparaîtquelesbonbonsontdéjàinondélemarchéinternational.Ilsontcartonnépartout!Tuascartonné.—Quoiqu’ilensoit,cen’estpaspourçaquejevoulaisteremercier,ouplutôt,pourçaaussi…

—Etpourquoi,alors?—Jet’aioffertcetordinateurpourm’acquitterdumailquetum’asenvoyé…monami.Oumieux:«vraiami».AndréaSoldininesaitplusoùsemettre.—Maismoi…—Çan’apasétédifficile.TuconnaissaisMarcello.Tuas travailléavecElena.Tuavaisaccèsàsonordinateur.Etsurtout,Nikit’étaitsympathique…Lemailaétéenvoyéàvingtheuresquarante-cinqd’unordinateurdenotrecompagnie.L’autrejour,àcetteheure-là,ilnerestaitquetoietLeonardo.Etlui,jenecroispasqu’ilpenseàmonbonheur.Donc…c’étaittoi.—Jen’auraispasdû?— Tu plaisantes ? Avant, je me sentais coupable, et maintenant je suis heureux… Profite de tonordinateur!Etpuis,jet’enprie,quoiquisepasse,situveuxêtremon«vraiami»…nem’envoieplusdemail!—OK,chef.Alors,ilyaautrechosequejedoistedire.Alessandroleregarde,perplexe.—Jedoism’inquiéter?—Non.Jenecroispas…Oudumoinsj’espère.Tuterappellesl’histoireduraccourci?Lapersonnedustaffadversequim’informaitsurleursidées?—Oui.Etalors?—Jecroisquejemedoisdeteledire.C’étaitAlessia.Ellepréféraittevoirgagner,mêmesiellepartaitàLuganoetqueturestaisàRome.—Jenem’yattendaispas.Commentelleva?—Mieux…AndréaSoldiniestunpeugêné.—Ons’estmisensemble…—Génial!Alessandroselèvedesonfauteuiletleserredanssesbras.—Tuvoisqu’ilyadesgensquit’apprécient?!

117Etencoreuneautrenuit.Nuitnoire.Nuitdegensheureux.Nuitdelumières,desons,deklaxons,defête.Nuitquifinittroptôt.Nuitquin’enfinitplus.Déception.Amertume.Tristesse.Désespoir.Tropdechosespourlesmettredansuneseulenuit.Jenecomptepas.Jenecomptepas.Pourelle,jenecomptepas,jen’ai jamais compté.Mauro file sur son scooter. Sans casque.Sans lunettes. Sans rien.Larmes.Et passeulementàcauseduvent.Merde,merde,merde.Laseulepoésiequ’ilsoitcapabledecomposer,laseulerime,laseulemusiquefacileàjouer,simple,commesabanlieue.Musiquederageetdedouleur.Musiquedemald’amour. Il file et il ne sait pasoù aller. Il pleure, sanglote et n’apashonte.Avance, scooter,avance.Jeveuxenfinir.Ilcontinue,prendlepériph,continueàseperdredansunevillequ’ilnesentplussienne,quineluiappartientpas.Pourquoi,merde,pourquoi?Jesuistropmal.Trop.Putain,Paola.Tuesunevraiesalope.Uneénormesalope.Etdans ledésespoir, lapensée laplusstupide, laplusbasse, laplusenfantine.Cesjours-ci,letypen’apaspulatoucher.Elleavaitsestrucs.Ilrit.Piètreconsolation.Ilse sent un peu plus serein, en conduisant dans la nuit. Il sort du périph. Puis ralentit un peu. Il faitzigzaguerlescootersurleborddelaroute,àdroiteetàgauchedelaligneblanchequichevaucheunepetitemarchecrééeparl’asphaltetoutjusterefait.Lescootermonteetdescendsurlespavés.Tintintin.Lebruitdespneussurcescaillouxrehaussés,etpuisdenouveaulesilencedugrisdel’asphalteneuf.Etpuisdenouveautintintin.Etainsidesuite,petitjeumétropolitainstupidedequin’apasenviedepenser.Nepaspenser.Mauroinspireunboncoup,puiscrachetoutl’airverslehaut,parlabouche.Etuneautreinspiration,encorepluslongue,plusquelapremière,etdenouveauexpirerl’air.Voilà.Ilsesentmieux.Oui,ilsesentmieux.Ilcontinueàconduire.Prendlepont.Deuxprostituéessontplantéesauboutdelarue.Elles viennent vers lui. L’une d’elles a une jupe très courte devant, elle luimontre son pubis nu.Quelquesrarespoilssous la lumièredu lampadaire.Fatiguésderespirer lapollution.L’autre,perchéesur des talons hauts, laqués rouges, se tourne et se penche en avant pour luimontrer ses fesses nues,blanches,fermes.Maurotourne,passetoutprèsd’elles,essayedeleurdonneruncoupdepied.Commeça,pourrire.Mais lesdeuxPolonaisesnecomprennentpascegenredeblagues.Elles l’insultentdansleurlangue.L’uned’ellesramasseuncaillouetlelanceverslui.Rien.Ciblemanquée.Ilfinitsurleborddelaroute.Mauroseditqu’ellesn’ontsûrementpaspasséleurenfanceàfairedestirsàLunaPark.Luisi… Il s’entraînait avec l’argent de son père à envoyer une stupide balle de ping-pong dans un pottransparent.Sitoutallaitbien,ilrentraitàlamaisonavecunsachetd’eauetunpoissonrougededans.Quisenoyaitdans les toilettesune semaineplus tard.Mauro faituneembardée,puis tourneetdescenddupont, disparaissant dans la nuit. Les deux prostituées restent dans le froid, devant un feu qui s’éteintlentement,enattendantunautreclientàquivendreunpeudesexe,dansl’espoird’unvraiamour.Parcequelevraiamour,toutlemondelecherche.Sansdevoirlevendrenil’acheter.Maispeut-êtrequ’ilnepasserajamaisparici.Maurosouritenretournantverschezlui.Merde,cettebrunequim’amontrésoncul,jemelaseraisbienfaite.Ellem’aexcité.C’estquej’aipasunrond,putain.Etilretombedansledésespoir.Imagesconfuses.Paola.Paolaquand il l’a connue.Paola à une fête.Paolaqui se déshabille.Paolaqui rit. Paola et sapremière fois. Paola avec lui, sous la douche, ce jour où il n’y avait personne chez elle. Paola à lamontagne, leurs seules vacances. Ces petites vacances. Petites vacances d’un jour dans une chambred’hôtel.Aveccecouplefriquéquifaisaitdusnow-board,luibeaucoupplusâgéqu’elle.Duvinblanc.Etledînersouslesétoiles.Paola.Oùellepeutêtre,maintenant?Oùellesera,demain?Oùellesera,dansmavie?Ilsesentànouveaudésespéré.Ilseperd.Pense,serappelle,sourire.Iln’aplusdelarmes.Etpresque plus d’essence, non plus.Merde,mais j’en aimis quand ? Il y avait un plein, tout à l’heure.

Soudain,ilserendcomptequ’ilestarrivéenbasdechezlui.Maisiln’apasenviedemonter.Ilapeurque quelqu’un soit encore debout. Peur qu’on lui pose des questions, de devoir donner des réponses.Alors, avec les quelques gouttes qui lui restent, il continue à rouler. Il s’arrête un peu plus loin. Ildescend,accrochelescooteretsedirigeverslepub.Leseulquiresteouvertjusquetard,danslecoin.Mais qu’est-ce que je dis. Il est encore tôt, ce soir.Mauro regarde samontre. Il est onze heures. Jepensaisqu’ilétaitplustard.Lesnuitsquifontmalpassentlentement.Ilpousselaportedupub.Unemainseposesursonépaule.—Oh,qu’est-cequetufaisici?Gino,laChouette,apparaîtdevantlui.—Oh,putain,tum’asfichuunedecestrouilles…—Onentre?Onboitunverre,jet’offrecequetuveux,commeaubonvieuxtemps.LaChouette leprendpar lebras, le traîneà l’intérieur et le fait asseoir,presquede force, surundestabouretsdufond.Puisilselaissetombersurunautretabouret,enfacedeMauro,etlèveimmédiatementlamainpoursefairevoirdelafillederrièrelebar.—Qu’est-cequetuveux?Mauro,timide.—Jenesaispas.Unebière.—Maisnon,onsefaitunwhisky,iciilsenontdubon.Ils’adresseàlafille.—Eh,Mary,tunousapportesdeuxverresdecequej’aibuhiersoir?Bienservis,hein?Faispaslaradine…etsansglace.Puisils’approchedeMauro,lesbrasenavant,poséssurlapetitetableenbois.—Oh,hiersoirjemesuisdescendutouteunebouteille.PuisilsetourneànouveauversMary.—J’aiattenduqu’ellefinisseetjel’airaccompagnéechezelleaveclavoitured’hier…LaChouette s’approchedeMauro et fait ungeste avec les doigts de lamain, les fait tourner sur eux-mêmes,commepourdirequ’ill’apiquée.—Ons’estarrêtésenbasdechezelle.Oh,etbencommej’avaislatrouillequelespouletsrepèrentlabagnole,etpuisàcausedelabouteilledewhisky,etbenilm’afaitunemauvaiseblague,l’amiJoe.LaChouettesetoucheentrelesjambes.—Alors,j’aiprisunautrepetitcoup…etaprès,laplusbellebaisedesdeuxdernièresannées.Acemoment-là,Maryarriveavecdeuxverresetlabouteille.—Maisnebuvezpastrop,hein.ElleregardeGinoetluisourit.—Çanefaitpasdubien,deboire…LaChouetteluisourit.—Maisfinalement,çafaitaussidubien,non?Marysourit,secouelatêteets’éloignedanssajupemoulante,unpeuennage,uneceintureàlatailleetlescheveuxrelevéspardespetitschouchous.Mais,surtout,aveclacertituded’êtreregardée.LaChouetteprendsonwhiskyavecsamaindroiteetposelagauchesurlebrasdeMauro,puisfaitdesmouvementsdehautenbasavecsatête.—Jecroisquejevaisluimettreuneautrecorrection,cesoir.Puisilboitunegorgée,latêteenarrière.Maisils’aperçoitqueMauro,lui,n’apasencoretouchéàsonverre.Bien.Ilnebougepas.Tranquille.Troptranquille.Unpeuabattu.—Oh,maisqu’est-cequet’as?

LaChouetteluimetunemainderrièrelatêteetlaluisecoue.—Alors?T’esdevenumuet?Qu’est-cequet’as,dis-leàpapa.Putain,cequet’esmou!Qu’est-cequet’as,onabutétonchat?Mauroresteimpassible.Puisilprendleverre,leporteàseslèvres,yréfléchituninstant,puisprendunelonguegorgée.Quandilrabaisselatête,ilplisselesyeux.—Ah,maisc’estfort!LaChouetteacquiesce.—Ilestpasfort,ilestbon.Alors,onpeutparler,maintenant?Qu’est-cequit’arrive?Mauroprenduneautregorgéedewhisky.—Maisrien…Paola.—Ah,tacopine.Jetel’avaisdit,elleaimeleconfort,celle-là.—Tum’asportélapoisse.—Non.Tutel’esportéetoutseul.Touteslesfillesveulentduconfort.Surtout…—Surtout?–…quandellessontbelles.Yatoujoursquelqu’unquiattendpourleurdonnerduconfort.Maurosetait.—Ettusaiscequec’est,leproblème?—Non,c’estquoi?—C’estqu’elleslesaventtrèsbien.LaChouetteacquiesce, secoue la tête,puisprendunegrandegorgée.Mauro le regardeet l’imite.Unelonguegorgée,jusqu’aubout,sanss’arrêter.LaChouetteleregardeavecadmiration.—Ouah,çat’aplu,hein?Maurosecouefortlatête,l’agite,commepourselibérerdequelquechosequiluiestrestéentraversdelagorge.—J’aileremèdepourtoi,fais-moiconfiance…LaChouetteprenddessousdanssapoche.Iltrouvedixeurosetlesjettesurlatable.—C’est-à-dire?demandeMauro.— Le raccourci pour lui payer du confort. Tu verras, en deux soirs, tu la chopes à nouveau, tonamoureuse…Mauroestindécis.IlregardelaChouettedroitdanslesyeux.—Tucrois?—Jenecroispas,c’estmathématique.Maistudoisveniravecmoi.LaChouette se lève, se dirige vers les toilettes.Mauro le suit. L’autre ferme la porte derrière lui ets’appuiecontreelle,pourêtresûrquepersonnen’entre.—Tiens.Ilsortunsachettransparentdelapochedesonjean.Ilestpleindepoudreblanche.—Cequ’iltefaut,c’estunelignedecoke.J’tel’offrecommebaptême.LaChouettedécrochelemiroirdumuretleposesurlelavabo.—J’t’aimêmetrouvéunnom.FauconPèlerin.LaChouetteetleFauconPèlerin.Çateplaît?—Oui.Maisqu’est-cequ’ondoitfaire?LaChouettesepenchesurlemiroiretaspireunelignedecokeavecunbilletdevingteurosroulé.

—Facile.Tiens,lesclésdemamoto.J’aiundouble.Tudoism’accompagnerchercherunevoiturechezuneamie,etpuisturentrescheztoiavecmamoto.Etmoijepasselaprendredemainmatin.Facile,non?Maurosourit.—Trèsfacile.Gino,laChouette,passelesvingteurosroulésàMauro.—Onyva,Faucon,plustôtonyest,plustôtonafini.Maurosepencheet fait luiaussidisparaîtreune ligneblanche. Il se relève,et lenez luipiqueencorequandilentendlaChouettedire:—Etimaginequ’avecçatutefaiscinqmilleeuros.Tuvaspouvoirleluipayer,sonconfort,àtaPaola.Ilssortentdestoilettes,tousdeuxétonnammentjoyeux.LaChouettesaluelafillederrièrelebaravecunepetitepromessedanslesyeux.—Ciao,Mary,àplustard.Sijefinistôt,jerepasse…Etilluifaitunclind’œil.Al’extérieur,ilserreMaurodanssesbras.—Oui,jerepasse,etjeterepassecommehier.Iléclatederire.—Onyva,Faucon.Ilsdisparaissentsurlagrossemoto,endirectionducentre-ville.

118Cesoir-là,ilssortenttouslesquatre.Enrico,Pietro,Alessandro,etmêmeFlavio,quiabizarrementeulapermission.Ilspassentunefollesoirée,commeçan’étaitpasarrivédepuislongtemps.IlsvontauF.I.S.H.,unrestaurantViadeiSerpenti,commandentde l’excellentpoissonetboivent lemeilleurvin. Ilsseracontentpleindechoses,seconfessentdespetitesvérités.—Etdonc,c’esttonassistantquit’aenvoyécemailaveclalettred’Elenaàcejeunot!Pietrosecouelatête.—Jetel’avaisdit…lesfemmessonttoutesdestruies!Etvous,quin’êtesjamaisd’accordavecmoi…c’estunemissionéducative,cequejefais,moi…—Oui,éducativedetonfifre!Alessandroseverseàboire.—Tusais,pendantuninstant,j’aicruquec’étaittoi,l’amantd’Elena…Pietroleregarde,atterré.—Moi?Maiscommenttuaspupenserça?!Plutôtquedefaireuntrucpareilàl’und’entrevous…jevous jure, je vous jure que je ferais la chose qu’il m’est le plus difficile d’imaginer… Voilà, jepréféreraisencoredevenirgay!Etvoussavezcombiençaseraitdur,n’est-cepas?Pietros’arrête.Ils’assombrit.Ilvidesonverred’untrait,puisleposesurlatable,bruyamment.—Susannaadécouvertquejel’avaistrompée,elleveutmequitter.Jesuisdétruit.Flavioleregarde.—Tuauraispuimaginerqu’elleallaitledécouvrir,tôtoutard.Tuenasfaitdebelles.Tuascouchéavectouteslesfemmesquipassaient.Alessandroluimetunemainsurl’épauleetdemande:—Maiscommentellel’adécouvert?Elleareçuunmail,elleaussi,parhasard?—Non,ellem’avudanslarue.Entraind’embrasserunefille.—Ouais,maistuesfou.—Oui,jesuisfou…etjesuisfierdemafolie!Etpuis,cen’estpastout,maispendantqu’onattend…jevaismêmeallermefumerunecigarette!Quivientavecmoi?—Moi,jeviens…Enricoselèveàsontour.—OK,nousonvousattend…maisnerestezpastroplongtemps…—Pasdeproblème…PietroetEnricosortentdurestaurant.Pietroallumelacigaretted’Enrico,puislasienne,etsouritàsonami.—Alors…—Alorsquoi?—Tuvois,j’avaisraison,onabienfaitdenepasdireàAlexqu’onavaitvuElenaembrassercejeunotdanscerestaurant…Sonassistants’enestchargé…Enricohausselesépaules.—C’étaitunhasard…AlexetElenaauraientpuseremettreensemble,arriverdenouveauaumariage,etsemarierpourdebon,cettefois…Etsiensuiteçan’avaitpasmarché?Alorstuteseraissenticoupabledet’enêtrelavélesmains…—Cen’étaitpasmondevoirdeparleretdedéciderpoureux…

—Pourmoi,enrevanche,c’estunequestionderesponsabilité…C’esttropfaciledetoujourslaisserlesautresprendrelesdécisions.Imaginecommeçaauraitétédifférentsiàl’époquecetypes’enétaitlavélesmains…— Tu es excessif… tu ressors cette vieille histoire, maintenant. Il me semble qu’à l’époque laresponsabilitéétaitunpeudifférente,non?Moijedisaisjustequ’onn’étaitpaspressés,qu’onpouvaitattendre…quepeut-êtreleschosesauraientpuseréglersansquenotreamitiésoitmiseenjeu.Eteneffet,çaaétélecas.Jepensequeçan’auraitpasfaitplaisiràAlexd’apprendrecettenouvelleparnous.Qu’onluicassesonrêve.Lesamis,c’estcommeuneîleàl’abridescourants…—Ouais…Apropos…ilfaitfroid,moijerentre.Enricojettesacigaretteparterreetl’éteint.—Etpuis,j’aiunenouvelleàannoncer.—Bonne?—Excellente…Allez,dépêche-toi,jet’attendsàl’intérieur.Pietrosourit.Iltireunedernièrebouffée.Ilesttranquille,serein.Pour lui,c’était lebonchoix.Nepas raconteravoir rencontréElenaetMarcellodansce restaurant. Iléteintsacigaretteparterre,puisilvaretrouversesamis.MaismêmePietronesaitpascombienlechoixd'Alessandroétaitlebon.Donnerounepasdonnerunetournurepersonnelleauxévénements.Unvraidilemme.Maisunechoseestcertaine:sicedossierrougen’avaitpasétébrûlé,aujourd’huicettediscussionsijoyeuseetcordialeentreEnricoetPietron’auraitplusétépossible.Pouruneseuleetuniqueraison.Enricon’aurait jamaispupartager sa femmeavecpersonne.Encoremoinsavecunami.MêmeaussisympathiquequePietro.Danslerestaurant,Enricointerromptlaconversationgénérale.—Lesgars,j’aiquelquechoseàvousdire.Camillaattendunbébé!—Non!C’estsuper!—Fantastique!Alessandroprendlasituationenmain.—Garçon…apportez-nous toutdesuiteunebouteilledeChampagne!Et toi,Pietro,soisgai,merde!Essayedereprendreconfiance.Tuvasvoir,tuvaslareconquérir,Susanna…Enricosourit,embrasseFlavio.—Ettoi?Tun’asrienànousdire?—Si…Ilsesertunverredevin,enattendantleChampagne.—J’aiviréCristinadelamaison.Ellem’avaitvraimentcassélescouilles.—Quoi?Jenetecroispas.Sesamisenrestentsansvoix,anéantis.Flaviolesregardel’unaprèsl’autre,puissourit.— Ensuite, elle est revenue. Elle était calmée. Depuis, ça va vraiment mieux. Maintenant, je ne mesentiraipluscoupabled’allerjoueraufoot,denepasrangermesaffairesouderesterunedemi-heuresurlecanapéànerienfaire.Enplus,elleestplusaffectueuseavecmoi.Etpuis,jesortiraiplussouventavecvous…doncattention,jevaisvoussurveiller.Pietroluitapedansledos.—Jesuisvraimentheureux!Tuauraisdûfaireçaplustôt…Flavioleregardedetravers.—Bah…mieuxvauttardquejamais,non?—Situsorsavecnousetquetunoussurveilles,Susannaseraplustranquille,etmoijepourraifairetout

cequejevoudrai!—Ah,non!Pasquestion…attention,jeluiraconteraitout!LabouteilledeChampagnearrive.—Allez,trinquons…Pietroladébouche,enversedanslesquatreverrespuislèvelesien.—Alors,àl’amitiéentrenous,qu’ellenefinissejamais!AAlessandroquiaeulecouragededouterdemoi,justementluiquinenousdonneaucunegarantiesurlefaitqu’iln’estpasgay…—Moi,gay?—Biensûr!PlaquerunebombecommeNiki…situn’espasgay…alorsquil’est?!Allez,courage,Alex…C’estlebonsoirpourfairetoncomingout.Ouvre-toiànous…onsechargeradetereboucher.Toutlemonderit.—Quelsbourrinsvousfaites!Blagueàpart,moij’aiuneidée…etilfautsedépêcher.Nikipartdemain.IlscontinuentàboireduChampagne,tandisqu’Alessandroracontesonidée,etilss’amusentcommedesfous.Maisilfautquandmêmeducouragepourpasseràl’action.Alorsilscommandentaussidelagrappaetdurhum.Etpuis,tantqu’ilsysont,duwhisky,aussi.Bref,àlafinilssonttousivres.Envoiture.Atmosphèretrèséthylique.—Lentement,lentement,valentement…—Pluslentementqueça…etjerecule.Alessandro,plussaoulquelesautres,garelaMercedessurlepontdeCorsoFrancia.D’abord,ilssontpassésaubureaucherchercedontilsavaientbesoin,etilsontfaitunsacréraffutquandlegardienn’apasvoululeslaissermonterparcequ’ilsétaientivres.MaisPietroesttrèsfort,danscescas-là.Ilsaitboireunebonnebouteille,maisilsaitaussi«huiler»ungardien.Bref,finalementilsontréussi.Etlesvoilàenplacepourlagrandeidéed’Alessandro.Flavioestinquiet.—Lesgars,onapresquequaranteans,jevousenprie,allonsnous-en…—MaisFlavio,c’estçaquiestbeau!Ilsdescendenttousdelavoitureetmontentsurlepont.Alessandrotrébuchesurlagrossemarche,trophautepourlui,etsurtoutpoursontauxd’alcoolémie.Iltombe,maisserelève.Ilramasselapetitebomberougeetregardeautourdelui.—Chut…Enricol’aide.—Viens,montelà-dessuspourécrire.—Ilnevapastomberdupont?—Maisnon!Jevaistrèsbien!Pietros’approchedelui.—Alors,tuasdécidécequetuveuxécrire?Tuasunephrase?Alessandrosourit,toujoursaussisaoul.—Biensûr…depuisquejeteconnais,j’aiétél’hommeleplusheureuxdumonde,etensuite…Flaviol’interrompt.—Eh,maistuessurunpontavecunebombedepeintureàlamain.Tudoisécrireunephrase,pasunpoème!—C’estvrai,tuasraison…Alessandrosetientàlui.—Tuveuxdire,commecettephrasequ’onvoitunpeupartout,«Toietmoi…troismètresau-dessusduciel»…—Maiscelle-làtoutlemondel’adéjàutilisée.Tuesuncréatif,toi.

—C’estsûr,venantdetoions’attendàmieux!Quelquechosedesimple,maisquifassemouche.Alessandros’enflamme.—Jel’ai!J’yvais.—Sûr?—Oui.Alessandrogrimpe,montesurlepontprendlabombeetsemetàécrire.«Aime-moi,f…»Mais, justeàcemoment-là,desphareséclairentAlessandroet tous lesautres.«Attention.»Unevoixmétalliquesortd’unmégaphone.«Nebougezpas.Lesmainsbienenvue.Nebougezpas.»Alessandroessayedesecouvrirlesyeux,puisillesvoit.Iln’ycroitpas.Cen’estpaspossible.C’esteux!Lesdeuxcarabiniers.SerraetCarretti.—Allez,descendezdelà.Alessandro,Enrico,FlavioetPietrolesrejoignent.—Excusez-nous,onfaisaitjusteuneblague…—Biensûr,biensûr…donnez-nousvospapiers.PuisSerraregardeAlessandro.—Toujoursvous,hein…—Mais…moi…nepensezpasça…—Vousêtesivre,enplus.Écoute-moiça,iln’arrivepasàparler…Flavioessayedesejustifier.—Moijen’aipasbugrand-chose…—Oui,oui,maintenantvousvenezavecnousauposte.Ilsmontentdanslavoituredescarabiniers,l’unsurl’autre,enselamentant.—Aïe…nepoussezpas,çafaitmal.—Pourunefoisquejesors,jemefaisarrêter.Qu’est-cequejevaisluidire,àCristina?—Quetuporteslapoisse.Serrasetourneverseux.—Onpeutsavoircequevousétiezentraind’écrire?Alessandro,toutfier,répond:—Jevoulaisécrire:aime-moi,filleauxjasmins!Voilà,c’était…pourelle,quiest…moteuramour.Serraregardesoncollègue.—Lafilleauxjasminsquiestmoteuramour?Maisqu’est-cequ’ilraconte?Carrettihausselesépaules.—Laissetomber…Ilssonttousbourrés.Alessandroluitapesurl’épaule.—Jenesuispasbourré.Enfin,si,jesuisbourré,maisjesuistrèslucide,c’estvousquinecomprenezpas…Jevoulaisécrirecettephrasepour lui fairecomprendreàquelpointellecompte,parcequ’ellepart,demainellepartenGrèce,vouscomprenez?Surl’îledel’amour…etsiellerencontrequelqu’un,hein?Ellepourraitrencontrerquelqu’unenGrèceparcequ’ellenesaitpasàquelpointellecomptepourmoi,parcequ’elleveutm’oublier…Etçaseradevotrefautesiçaarrive…vouslesavez,non…siçaarrive,moijevousdénonce…espècedesalauds!Etilnesaitpasquecettephrase,mêmes’ilestbourré,luivaudrauneplainteetunenuitauposte.

119Nuit.Nuitdenuages.Nuitobscure.Nuitcoquine.Elenavientdesortirduthéâtre.Unspectacleamusant,pleindejeunesacteurs,dontcertainsonfaitdespubs dans son agence. Ils ne pouvaient pas ne pas l’inviter. Elle a rapporté plus d’argent à leurcompagniequedeuxsaisonsconsécutivesdanslemeilleurthéâtredeRome.Elenaarrivechezelle.ElledescenddesaBMWIndividualSérie6Coupé,couleurbleuonyxmétallique,flambantneuve.Ilvaverslaporte.Elleaàpeineletempsdeglisserlaclédanslaserrureetdelaretirerqu’ellesesenttiréeversl’intérieur,traînéedanslehalld’entrée.Ellefinitparterre,dansl’escalier,prèsde l’ascenseur.Elle seprend lespiedsdans lepaillassonde ladamede l’appartementn°1, cellequicuisine toujours des oignons. Mais, ce soir, il n’y a aucune odeur, aucun bruit, trop de silence. LaChouetteetleFauconPèlerinsejettentsurelle.—Chut,tais-toi,pasunmot,sorstoutdesuitelesclésdetavoiture.LaChouetteluimetunemainsurlabouche,tandisqueMaurolareconnaîtsoudain.C’estelle,lafilleducasting,cellequiétaitdanslapiècevitrée,quiavaitmesphotosdanslesmainsetquilesadéchirées,quinem’apasvoulu.Elena le regarde. Elle voit de la méchanceté dans ses yeux. Elle plisse les siens pour essayer decomprendrequelquechose.Qu’est-cequejeluiaifait,àcetype?Onseconnaît?Quic’est?Pourquoiiln’arrêtepasdemefixer?Terrorisée,n’ycomprenantplusrien,ellemordtrèsfortlamaindelaChouetteetsemetàhurler.—Al’aide,àl’aide,aidez-moi!LaChouettehurleàsontouretagitesamaindanslesairs,pourtenterd’atténuerladouleurdelamorsure.Pour touteréponse,commefroidevengeance, ilmetunedroiteàElena,enpleinvisage.Elle tombeenarrièreetsecognelatêtecontrelamarche.Uninstantdesilence.Toutestcommesuspendu.Mauroalaboucheouverte.Ilestparalysé.LaChouettelepousse.—Oh,Faucon,qu’est-cequetufous,tudors?Prendssonsac,vite,onsecasse.Mauro ramasse le sac. Il regardeElenaunedernière fois.Elle est allongéepar terre sur lesmarches,immobile.Maurolafixe,mortdepeur.Desportescommencentàs’ouvrir,onentenddesverroustourner.Desgensréveilléspar lesbruits,par lescrisd’Elena.Mauros’enfuitdanslanuit,montesurlagrossemoto,allumelemoteuretpartsurleschapeauxderoue.LaChouettefouilledanslesac,trouvelesclés,démarrelaBMWetseperddanslanuit.

120Lelendemainmatin,chacunearborantfièrementlesnouvellesRayBanqueDilettaleuraoffertesàtoutes,ellespartent.Untaxilesemmèneàlagare.Lejourselève.Sacsàdosremplis,T-shirtsnumérotés,un,deux,troisetquatre…avecunepetiteondebleue.Nikienremetunàchacuneensouriant.Elleaaussidessinéunpetitcœurrouge.Ericaaachetéungrandcarnetenmoleskine.—Eh, les filles,ça,c’est le journaldeborddesOndes…Pourcommencer,sur lapremièrepage, j’aidéjàécritunegrandenouvelle.J’aiquittéGiorgio.—Nooon!—Jen’ycroispas!—Tuplaisantes!Cen’estpaspossible.Ericafaitsignequesi.—Etcen’estpastout.Jevaisfairedesravages.Jevaisrattraperletempsperdu.Jevaismettrelefeu.Surchaquepage,ilyauraunnomdifférent…Ellescourentsurlequai,montentdansletrainets’installentdansleurcompartiment.Elless’enfermentàl’intérieur. Elles ont encore des choses à se raconter et à inventer, à rêver ensemble. Elles rient etplaisantent.Leurtraindémarretoutjuste.Maiselles,ellessontdéjàparties.—J’aisommeil.Ilesttroptôt.Jevaisarriveravecdescernes.—Maisqu’est-cequetuvoulais?Tusais,letrainpourBrindisi,onnepouvaitpasleprendreàmidi,onauraitratélebateau!—Ilyadesavions,non?Làçavaprendredessiècles.—Ouais,biensûr,lesavions!Maisonaletemps,nous,qu’est-cequipresse?C’estnotrevoyagedebac, tu comprends?Lebac ! Il faut le sentir, le renifler, levivre, le souffrir.Etpuis, tun’espasuneprincesse,toi…—Si,uneprincesseaupetitpois!—Ericaaraison.NoussommeslesOndes.Sacàdosetpasbeaucoupd’argentenpoche.—Onprendquoi,commebateau?—HellenicMediterraneanLines.J’airéservélepont,hein?C’estmieuxquelesfauteuilsinconfortablesquines’allongentpas.Detoutefaçon,onadestapisdesoletdessacsdecouchage.—Super,Erica!—Ets’ilpleut?demandeDiletta.—Tutemouilles!luirépondOlly.OubientuasamenétonFilippopourteprotéger?—Non,ilestchezlui,tulesais,etilmemanquedéjà…—Oooh!Maintenantellevanousfaireunetêtedetroispiedsdelongpendanttoutlevoyage…Onnevapastelevoler,soistranquille.Filippinoestàlamaison,ilt’attend.—Idiote!NikiremetlesécouteursdesoniPod.Ellen’apasenlevéseslunettes,bienqu’ilsoittôtetquelesoleilnesoitpasaveuglant.ElleatéléchargéquasimenttoutBattistidepuisiTunes.Cesmotsfontmal,maisellene peut pas s’en passer. Parfois, la douleur t’absorbe tellement que spontanément tu as envie del’alimenter.Lepaysagedéfileparlesfenêtres.Commelessouvenirsdanssoncœur.Ericaluitapesurlajambe.—Eh,tudors?Oh,laGrècenousattend!Pourdeuxcélibatairesdepuispeucommenous,çavaêtrela

fête!—Oui,oui,etmoijevousemmèneàl’abordage!Ollydansesursonsiège.—Allez!Oh,j’aiditallez!Ellesemetàcrier.Uncoupleâgésetourneetlaregarde.Nikifaitundemi-sourire,pournepasdécevoirsesamies.Maisensuiteelleregardeànouveaudehors,encherchantdesdistractionsquin’arriventpas.Letrainavancevite,lesoleilselève.Parfumdevacances,deliberté,delégèreté.Maisçaauraitdûêtredifférent. Ça aurait pu être différent.Mes amies sont heureuses. Elles ont toutes trouvé leur route, ouquittélamauvaise.Ellessaventtoutesoùaller.Moi,jemelaisseporter.Maisc’estpeut-êtrecommeçaqueçamarche,quandtutesensmal.«Avoirdansleschaussuresl’envied’avancer.Avoirdanslesyeuxl’enviederegarder.Maisrester…prisonnierd’unmondequinenouslaissequerêver,querêver…»Une nuit sur le bateau. Lamer, les vagues, le courant. Et ce sillage qui s’éloigne. Et les pensées quin’arriventpasàprendrelelarge.Nikiestappuyéeauparapet.Desjeunesgenspassent.Quelqu’un,surunevieillechaiselonguetoutimprégnéedesel,litunvieuxromandeStephenKing,quelqu’und’autreledernierJefferyDeaver.Thriller.Terreur.Peur.Nikisourit,puisregardeànouveaulamer.Ellen’apasbesoind’unlivrepouravoirpeur.Elleseserreforttouteseule.Ellesesentseule.Ellevoudraittellementarrêter cette larme.Ellevoudraitnepas avoir aimé.Ellevoudrait nepas aimer encore.Mais ellen’yarrivepas.Etcettelarmetombe,plongedanslamerbleue,saléecommeelle.Nikirit touteseule.Ellerenifle.Essayedenepaspleurer.Elley arrive, unpeu.Lesvacances commencent.Allez, bon sang…Cettedouleurn’apasdutoutl’intentiondes’arrêter.Midi.Ollyvientderangersonsacdecouchageetbayeauxcorneilles,aussiloinquesamâchoireleluipermet.Puiselleselèveetregardeleportquiapproche.— Eh, tu m’expliques comment tu as réussi à dormir jusqu’à maintenant ? Les gens te marchaientquasimentdessus.—Etalors?Jet’aiditquej’avaissommeil.Etpuis,onnousvoledutemps.Tunem’avaispasditqu’ilyavaituneheuredeplus,ici.Voleurs.Tumefaisleveràl’aube,tumefais…Quoiqu’ilensoit,j’aiagi.—Dansquelsens?—Hiersoir,pendantquevousavezfaitlesfrileusesetquevousêtesalléesdormirdanslecouloir,moij’aifaitlaconnaissancedecetype…Ollyindiqueungarçon,unpeuplusloin,appuyécontreleparapetdupont.Acôtédelui,surunechaiselongue,unénormesacàdosbleu.—IlestdeMilan, ilfaitsesétudesà l’Institutpolytechnique.Superbeau.Ilvaretrouversesamisquisontdéjàpartis,luiilavaitunexamen.Jeluiaiditqu’onallaitàRhodesetjeluiaidonnémonnumérodeportable.Commeçaonpourraseretrouver.—Borda.—Borda?— Oui, hier soir, pendant qu’on faisait les frileuses dans le couloir, on a rencontré deux types deFlorence.Ilsdisentcommeçaquandilsepassequelquechose:borda.—Ah.Etcommentilsétaient?—Bof.Unpasmal,maisl’autreétaitplutôtunecopieantipathiquedeDannydeVito.—Unrêve…

—Allez,viens,ilsontdéjàappelépourdescendre.Nikimet son sac sur sondos, tandisqueDiletta faitdesacrobatiespourprendre sonportabledans lapochedesonjean.Enfin.Ellel’ouvreetlitlemessagequivientd’arriver.«Salutmabelle,commentçava?Tusaisquejet’aimeetquetumemanques?Dépêche-toiderevenir,qu’onparteenEspagne…»Dilettasouritetenvoieunbaiseràl’écrandutéléphone.Ollylavoit.—Çacommencebien!Allez,lesOndes,onyva.Ellesemetàcourir,passeàcôtédugarçondeMilan,quiluisouritet luifaitsigneavecl’indexdelamaindroitepourdire«ons’appelle».Erica,DilettaetNikilasuivent.Ellesdescendentdubateau.Unefouledetêtes,decasquettes,demanchescourtes,desacsàdos,devalisescolorés,devoixetdesonssedéverse sur le quai de Patras, avant de s’éparpiller. Saluts, au revoir, rendez-vous de gens qui seconnaissaient déjà ou qui se sont rencontrés pendant la nuit sur le bateau. Un labrador court partout,commefou,jusqu’àcequ’unpetitgarçonaillelechercheretletraîneparsoncollier.—Eh,ilyaunmagasin,là.Onvas’acheterdelacrèmebronzante?Jel’aioubliée.—Non,onfaitunpetittour,d’abord.Etpuis,ondoitprendrelebus.Enattendant,regarde:ça,c’estlemontPanathénien.—Quellebarbe,Erica.Ondiraituneprofenvoyagescolaire!Ondoit,ondoit!Lemont,lemont!Onestenvacances!Sansdoutelesmeilleuresvacancesdenotrevie!Nikiregardeautourd’elle.Adroiteduquai,ilyaungrandparking.Unpeuplusloin,unpetitbar.—Allez,onvasebaladerunpeu.LesOndesmarchentdanslafoule.Petitesruellesétroites,circulationintense,etpuismonter,descendre,rire, s’arrêter devant une vitrine.Ensuite, l’amphithéâtre, la forteresse, l’Horloge, le quartier dePsilaAlonia,d’oùonvoit toutelamerIonienne.Nikisesentbizarre,Dilettapassesontempsàenvoyerdestextos, Erica essaye de lire un peu le guidemais personne ne l’écoute, et Olly parle à tous les gensqu’ellecroise,plusoumoins.Légèrefoliedecesvacancesensemble.Enviedenouveauté.Defolies,denon-temps. De liberté. De totale grande liberté. Et puis Niki. Envie de… Nostalgie et tristesse. Lesouvenird’unamourfort.Etbeau.Decesamoursquidurentetqu’onn’arrivepasàeffacerdu toutautout.Et une autre semaine. Climat doux, chaud mais pas trop. Agréablement estival. Niki est assise à laterrassed’unbar,entouréepardesmursblancs typiques.Ellemangeunyaourtetobserve lesgensquipassent.—Maistusaisqu’ilyapleindestarsquiviennentici?C’estgénial!—Etpuis,Mykonosestvraimentjolie,avectoutescesruelles,lespubs,lesboîtes,lesmagasinstoujoursouverts!Jevaism’yinstaller!—Avant,onl’appelaitlacapitaleestivaledesgays,j’adore,c’estlapatriedelatolérance!—Oui,maisilyaaussideshétérosnotoires!Ethier,surlaplage?!CestypesdeMilansontsuper!Niki,tuaschopéleplusbeau!Emmanueleestcanon!—Olly,moi je n’ai chopé personne !C’est toi qui as fait des ravages.Mais tu te rends compte que,depuis qu’on est parties, sans compter leMilanais du bateau, tu en as déjà eu trois ? ! Le blond deNaples,l’autredeRavennequiressemblaitàClarkdansSmallville,etpuisl’étranger…—Oui!LeFrançaistoutmignonquit’aoffertdelalavande!—Benoui.Aquoiçasert,lesvacances?Etpuis,allez,qu’est-cequetuattends?Ilbavedevanttoi,cetype!Detoutefaçon,cesoironseretrouveenboîte,jesuiscurieusedevoircequetuvasfaire.Bon,

c’estsûr,aprèsleventqu’ils’estprishiersoir…lepauvre…—Lepauvre…jenepouvaispas,jen’avaispasenviedel’embrasser.Les jasmins.La terrasse.Lanuit.Lessourires.C’estcequeNikiapenséquandcebeaugarçon,aprèsmillecompliments,s’estapprochédeses lèvres…Etellen’apaspu.Ellen’apasvoulu.Ellen’apasréussi.Alorselleluiasourietelles’estéloignée,enluifaisantunelégèrecaressesurlajoue.—Quelgâchis!—Mais,demain,onretourneàSuperParadiseBeach?demandeDilettaenécrivantuntexto.—Non,j’aimeraisbienalleràEliàBeach.Ilyaunepetitecriquetranquille,etensuiteunchemindanslesrochersquimèneàParangaBeach.Tusais,Niki,ilsfontdusurf,là-bas.Tupourraisessayer,non?—Jenesaispas,Erica,jeverraidemain.Maisçameva,d’allerlà-bas.—Oh,demainon louedesscooters.J’enaimarredeshorairesdebus,aumoinsonpourraresterà laplagejusqu’àl’heurequ’onveut.Ollys’approchedeDiletta.—QuandonrevientàRome,jevaisvoircesalaudd’Alexetjeluicasselagueule.Regardedansquelétatilnousl’amise,dit-elletoutbasenindiquantNiki.—C’estvrai.Maisonnevapaslaissertomber.—Onvaprendreunedouche?crieOllyenselevantdesachaise.Etsefairebellespourlasoirée?J’aitoutpréparé!C’estlegrandsoir.Jemesuisrenseignée.ApéritifchezAgari,unbarenpierreoùiln’yapas grand monde mais où les serveurs sont tous canons, et pour deux consommations ils t’offrent latroisième.Sionsedébrouillebien,onpourramêmeavoirdescocktails.—Borda!—Ensuite,oniramangersurleport,àLittleVenice.C’estpleindebars!Onymangemieuxquedanslesrestaurants.Saladede feta,pitagyros, laversiongrecquedukebab,avecsauce tsatzikietpaprika !Etpuis,moijereprendsunemoussaka,c’esttropbon!Detoutefaçon,cen’estpasl’activitéphysiquequimanque,pourbrûlertoutça.—Borda!disentlesOndesencœur.—Etpuis,onvadanser!D’abordauScandinavian,etensuiteilyaunefêteauborddelapiscineduParadise!OnéconomisequinzeeuroschacuneparcequelestypesdeMilan,avecquionarendez-vouslà-bas, connaissent quelqu’un. Ensuite, le Cavo Paradiso nous attend…C’est là qu’on finit la nuit…MusiquehousepourexorcisercecrétindeFobia,etpuisl’endroitestmagnifique.Discothèqueenpleinairsurunefalaise.Quandlesoleilselève,tuvoislesgensdanserauxpremièreslueursdel’aube!Alors,vousêtesprêtes?!—Ouiiii!LesOndeslèventleursbrasaucieletcrient,heureuses.Nikifaituneffortpourseréjouir,elleaussi.Etelles s’envontdans les ruellesnoiresdemonde,vers leurappartement.Elleabandonneun instant sespensées.Cesouvenircontinu.Cettemaréed’amourqui tropsouvent, sans raison, la submerge.Elle selaisse aller avec ses amies les Ondes. Elle les enlace, elles marchent bras dessus bras dessous, enchantonnantetenmarchantenrythme.Uneautresemaine.Unsouriresincèreapparaîtentrelesridessombresetbrûléesparlesoleildesvisagesdesanciensquidescendent la ruellepavéevers laplace.Niki sourit àune femmequi tisseunpanier,entouréedescouleursdesbougainvilliers.La lumièreestaveuglante, réfléchiepar lesmursblancs.Lecielestbleuetpur.LesOndesviennentdedescendreducar,aprèsavoirparcouruuneroutetortueuseet

panoramique, avecOlly qui s’accrochait au bras deDiletta à chaque virage. Erica a déjà défini leurpremièreétape,lemonastèredelaPanagiaHozoviotissa.Ilfautbienuneheurepourygrimper,maiscelavautlapeine.Unmillierdemarchescreuséesdanslafalaiseàpicsurlamer.—Maisvousêtesfolles,ouquoi?—Oui.Allez,courage,onyva.Erica,NikietDiletta,énergiques,montentsans tropdemal.Ollyresteà la traîneets’arrête toutes lesdeuxminutes,avecl’excused’admirerlavue.Detempsàautre,quelquesoliviersoffrentunpeud’ombre.Enhautdelamontée,encastrédanslamontagneàtroiscentsmètresd’altitude,levoilà.Blanc,luiaussi,comme tout le reste, lemonastère a l’air d’une forteresse. Desmoines anachorétiques accueillent lestouristes, en observant comment ils sont habillés. L’un d’entre eux offre immédiatement aux filles delonguesjupesàfleurs,ensouriant.—C’estquoi,ladernièremodegrecque?Vousauriezunparéo,aussi?!Bleu,parexemple?—Olly!Unpeuderespect…c’estpourentrer.C’estunlieudeprière,etnousonestàmoitiénues.Ollyfaitunegrimaceetmetlajupe.Puisellesentrentensilence.Surprise,lesmoinesarriventavecdesverresàlamain.—Qu’est-cequec’est?ditOllyenenlevantsajupe.Ilsnousdroguent?—Non, répondErica, c’est le loukoum,unedouceur aumiel. Ils tedonnent çapour te remettrede lamontée.—C’estaphrodisiaque?—Oui,pourlesdents.—Etmaintenant?—Maintenant,rien.Profitedupaysage…Lamer,toutautour,estunvéritablespectacle.Nikiobserveensilence.—Àquoitupenses?luidemandeDiletta.—Àlachansond’Antonacci.—Laquelle?–…Certevolteguardoilmare,questoetemomovimento,madueocchisonopochiperquestoimmensoecapiscodiesseresolo.Epasseggiodentro ilmondoemiaccorgocheduegambenonbastanopergirarloerigirarlo…(«Parfoisjeregardelamer,cemouvementéternel,maisdeuxyeuxsontpeupourcette immensité, et je comprendsque je suis seul. Jemepromènedans lemondeet jem’aperçoisquedeuxjambesnesuffisentpaspourleparcourirencoreetencore…»)Dilettaneditrien.Puisunbiparrivesursonportable.ElleregardeNiki,unpeugênée.—Excuse-moi…Niki l’observe tandis qu’elle prend son téléphone dans la poche de son short, l’ouvre et lit.Un petitsourire,presqueretenu,luiilluminelevisage.—C’estFilippo?demandeNiki.—Oui…maiscen’estrien,ilditjustequ’ilvaàl’entraînement…—Nemenspas…Jesuisheureusepourtoi,tusais.Cen’estpasparcequejesuismalquejen’arrivepasàêtrecontentequemesamiessoientamoureuses…–…Ilditqu’ilm’aimeetqu’ilm’attend.Nikiluisourit,puiss’approched’elleetlaserredanssesbras.

—Jet’adore,championne.Ollyarrive.—Jepeuxmejoindreàvous?NikietDilettasetournent.—Maisoui,viens!—Moiaussi!Ericas’approcheelleaussi,etcetteaccoladedevientplusforte,lesymboledel’amitiéquilesliepourtoujours.LesOndesuniesdevantlamer.—Etmaintenant?—Aseulementquatrekilomètres,ilyaKatapola.—Seulement?Moijeprendsdesbonbonnesd’oxygène…—Allez,onyva,ilyadespetitesmaisonsàpicsurlamer,despêcheurs,onpourrapeut-êtrefaireuntouràdosd’âne !Etpuis, ilya laplaged’AgiosPanteleimon.Allez,çaseraunpeu fatigant,mais leguideditquecesontdesendroitsmagnifiques…—Onyva!Elless’élancentsurlesentieretdescendentjusqu’àlamer.Ellesposentleurssacsàdossurlesableetachètentunepastèqueàunvendeurambulantquilagardeaufraisdanssonvieuxtriporteurpleindeglace.Elles se déshabillent et se jettent à l’eau. Elles s’éclaboussent. Ensuite, elles coupent la pastèque engrandes tranches, la dévorent, se lamettent sur la tête. Puis elles retournent dans l’eau chaude, avectoujourscespetitscasquessucréssur la tête,etbavardent jusqu’aucoucherdusoleil.Belles, simples,heureuses, abandonnées.Fatiguées,maisd’une fatigue saine, cellequi teprendquand tu fais cequi teplaît,quandtutesensbien,quandtuesentouréedegensquetuaimes.Ensuite,encorequelquesjoursetquelquesautresaventuresdontsesouvenir.Amettredecôté,pourquandilyenaurabesoin…Etpuis,retouràlamaison.Rome.

121Presqueunmoisplustard.Les parents deNiki sont en voiture, arrêtés à un feu rouge. Tous deux la bouche ouverte. Tous deuxincapablesdedireunmot.Sur laplace, ilyaunesériedepanneauxpublicitairesgigantesques.Etsurchaquepanneau,Niki.Nikiquidortsurleventre,Nikiquidortlesfessesenl’air,unbrasparterre,etenfinNikiquivientdeseréveiller, lescheveuxemmêlésetunpetitpaquetàlamain.Ellesourit.«Tuveuxrêver?PrendsLaLune.»RobertosetourneversSimona,encoreabasourdi.—Maisellel’afaitequand,Niki,cettepubpourcesbonbons?SimonaessayederassurerRoberto.Elledoitàtoutprixdonnerl’impressionqu’elleetNikisedisentencoretout.—Oui,oui,ellem’enavaitparlé…maisjen’avaispascomprisquec’étaitaussigrand!LepèredeNikiredémarre,pastrèsconvaincu.—Elles sont bizarres, ces photos. Elles n’ont pas l’air construites, on dirait qu’elles sont… volées,voilà, comme si elles avaient été prises chez quelqu’un. Ils l’ont bien étudiée. On dirait qu’elle dortvraiment.Etensuite,qu’ellevientdese réveiller.C’est lemêmevisagequeceluique jevois tous lesdimanchesmatindepuisdix-huitans…Simonasoupire.—Oui,ilssontvraimentforts.Robertolaregardeànouveau,unpeuplusconvaincuetheureux.—Ettucroisqu’elleestbienpayée,pourcettepublicité?—Oui,jecroisqueoui…—Commentça,jecroisqueoui…Vousn’avezpasparlédeça?—Mais,monamour,jen’aipasenvied’êtretropsursondos.Sinon,ellenemeraconteplusrien.—Ahoui…tuasraison.Quandilsarriventenbasdechezeux,unesurpriseencoreplusgrandelesattend.Alessandroest là.Ilattend.Simonalereconnaîtetessayedetrouverunmoyendepréparersonmari.—Monamour…—Qu’est-cequ’ilya,montrésor?Ilfautacheterdulait?J’aioubliéquelquechose?—Non…Tuvois,cejeunehomme…ElleindiqueAlessandro.—Oui.Etalors?—C’est le fauxpromoteur financierdont je t’avaisparlé.Etsurtout, ilestcequicompte lepluspourNiki,encemoment.—Lui?!Robertosegare.—Oui.Peut-êtrequetuaurasdumalàl’admettre,maisilauncertaincharme…—Ehbien,jedoisdirequ’illecachebien.—Toujoursaussispirituel.Laisse-moiparler,vuquejeleconnais.Attends-moiàlamaison.Robertotirelefreinàmain,coupelemoteur.—Oui…maisçanevapasfinircommedansLeLauréat,àl’envers?

—Crétin!Simonaluidonneuncoup.Ellelepoussehorsdelavoiture.Robertodescend,marcheàcôtéd’elle,ilsarriventdevantAlessandro.Robertol’ignore,passedevantluietmonteàl’appartement.Simonas’arrêtedevantlui.—J’aicompris,vousavezréfléchietvousvoulezmefairefaireuninvestissementbizarre…Alessandrosourit.—Non. Jevoudrais faire savoirquelquechoseàNiki. Je saisqu’elle rentredemain.Est-cequevouspouvezluidonnerça?Alessandroluidonneuneenveloppe.Simonalaprend,laregardeetyréfléchit.—Çavaluifairemal?Alessandroneditrienpendantunmoment,puisilsourit.—J’espèrevraimentquenon.Jevoudraisqueçalafassesourire…—Moiaussi.Vraiment.Etmonmariencoreplus.Puis,sanslesaluer,elles’enva.AlessandroremontedanssaMercedesets’éloigne.Simonarentreàlamaison.Robertovientverselle.—Alors,qu’est-cequ’ilvoulait?—Ilm’adonnéça.Elleposel’enveloppesurlatable.Robertolaprend,tentedelireàcontre-jour.—Onnevoitrien.Ilregardesafemme.—Moi,jel’ouvre.—Roberto,iln’enestpasquestion.—Alors,metsdel’eauàbouillir.Simonaestétonnée.—Tuasdéjàfaim?Tuveuxdîner?Maisilestseptheuresetdemie.—Non,jeveuxouvrirl’enveloppeavecdelavapeur.—Maisoùtuasapprisça?—DansDiabolik,ilyabienlongtemps…—Alors,jemedemandecombiendelettresàmoituasouvertes.—Peut-êtreune…maisonn’étaitpasmariés.—Jetedéteste!Qu’est-cequ’ilyavait,dedans?—Rien.C’étaitunefacture.—J’espèreaumoinsquetul’aspayée!—Non,c’étaitlafactured’uncadeaupourmoi…—Jetedétestedoublement!Robertoregardeànouveaul’enveloppe.Illatourneentresesmains.—Écoute,moijel’ouvre.—Pasquestion!Tafillenetelepardonneraitjamais.Ellen’auraitplusconfianceentoi.—Oui,maiselleauraconfianceentoi,quimel’avaisinterdit.Moijeluidiraiquetunevoulaispasqueje l’ouvre, qu’on s’est disputés… et toi tu gagneras plein de points ! On fait comme les policiersaméricainspendantlesinterrogatoires,tufaislagentilleetmoileméchant.Maisaumoins,commeça,onsauracequ’illuidit…

Simonaarrachel’enveloppedesmainsdeRoberto.—Non,tafilleadix-huitans,elleestmajeure.Elleestsortieparcetteporteetellereviendratouteslesfoisqu’elleenauraenvie.Maisc’estsavie.Avecsessourires.Sesdouleurs.Sesrêves.Sesillusions.Sespleurs.Etsesmomentsdebonheur.—J’aicompris,maisjevoudraisseulementsavoirsicettelettreseradouloureusepourelle…Simonaprendlalettreetlametdansuntiroir.—Elle l’ouvrira elle-mêmequand elle rentrera, et elle sera heureuse qu’on l’ait respectée.Elle serapeut-être heureuse de ce qu’elle lira, aussi. Dumoins j’espère.Maintenant, je vais aller préparer ledîner…Simonaretourneàlacuisine.Robertos’assiedsurlecanapéetallumelatélé.Illuicrie:—Voilà:c’estce«dumoinsj’espère»,quim’inquiète.

122—Eh,maisqu’est-cequetufais?—Jesuisvenuchercherquelquesaffaires.Desdocumentsquejeneveuxpaslaisseraubureau.Leonardoluisourit.—Ecoute,Alex,jen’aijamaisétéaussiheureux…AuJapon,ilsontreconfirmésurtoutelaligne.EttusaisquelaFranceetl’Allemagnenousontdemandésaussi?—Ah,oui?Alessandro continue à prendre des feuilles dans les tiroirs. Il les parcourt. Inutiles. Il les jette à lapoubelle.—Oui.Ilsontdéjàpréparétoutledossier.Ondoitfaireunecampagnesurunnouveauproduit,quisortiradansdeuxmois…Unelessiveauchocolat…maisquisentlamenthe!Uneidéeabsurde,àmonavis…Maisjesuissûrquetusaurascommentlafaireaccepterpartonplusgrandami:lepeuple.Alessandro prend les derniers documents et se relève. Il fait une légère flexion vers l’arrière en semettantlesmainsdansledos.Leonardos’enaperçoit.Ilsourit.—L’âge,hein…Maistuasquandmêmefiniparbattrecejeunot.Tiens,voicilesdétails,jet’ailaissélerestedeladocumentationsurtonbureau…—Jecroisqu’ilvafalloirqueturappelleslejeunotdeLugano…—Commentça?Qu’est-cequetuveuxdire?Leonardoleregardeenécarquillantlesyeux.—Quejem’envais.—Quoi?Ont’aoffert,unnouveauposte,hein?!Dansuneautreboîte?Dis-moiquic’est?LaButch&Butch,c’estça?Dis-moiquic’est,jelesmassacre.Alessandroleregardetranquillement.Leonardosecalme.—OK,réfléchissons.Nous,onpeuttepayerplus.Alessandrosouritetpassedevantlui.—Jenecroispas.—Commentça,jeveuxvoir!Donne-moilechiffre.Alessandros’arrête.—Tuveuxconnaîtrelechiffre?—Oui.Alessandrosourit.—Bon.Iln’yapasdechiffre.Jeparsenvacances.Malibertén’apasdeprix.Ilvaversl’ascenseur.Leonardoluicourtaprès.—Ah,maisalorsc’estdifférent.Onpeutenparler.Ilestinutilequejerappellecejeunot…Qu’est-cequisepasse,tuesfâché?—Non,pourquoi?J’aigagné…— Ah, oui, oui, bien sûr… Bon, j’ai une idée. Pendant que tu pars, je charge Andréa Soldini decommenceràs’occuperdetout.Qu’est-cequetuendis?—Bien,çamefaitplaisir…Etsurtout,jedoistedirequejesuistrèscontentd’unechose…Leonardoleregardeaveccuriosité.—Quoi?—Quetutesoisrappelésonnom.AlessandroappuiesurleboutonRDC.Leonardosourit.

—Mais bien sûr… comment je pourrais l’oublier… Il est très fort. Au dernier moment, Alessandrobloquelaporte.—Ah,écoute,jecroisaussiquetudevraislaisserAlessiaresteràRome.Nel’envoiepasàLugano.Elleestprécieuse,ici,fais-moiconfiance.—Biensûr, tuplaisantes?!C’estcommesiellen’était jamaispartie…Maisdis-moiplutôt…Quandest-cequeturentres,toi?—Jenesaispas…—Maisoùtuvas?—Tunecomprendraispas…—Ah,j’aicompris…C’estcommecettepubdutypeaveclacartedecréditquiseretrouvetoutnusuruneîledéserte…—Leonardo…—Oui?—Cen’estpasunepublicité.C’estmavie.PuisAlessandrosourit.—Tumelaissespartir,s’ilteplaît?—Biensûr,biensûr…Leonardolibèrelesportesdel’ascenseur,quisefermentlentement.—Moijeresteici,jet’attends…Reviensvite.Puisilsepencheetcriedanslafente:—Tusais…tuesirremplaçable!

123Niki tourne la clédans la serruredechezelle.RobertoetSimonaentendent cebruit familier. Ils sontheureux et souriants, curieux et amusés de tout ce qu’elle leur raconte, des lieux, des anecdotes, desaventures de leur jeune fille tout juste majeure. Belle, bronzée, un peu amaigrie… mais surtoutincroyablementmûrie.—Vousnepouvezpassavoircequ’afaitOlly.Elleabucommeuntrouàunefêtesurlaplage,unerave,quiaduré jusqu’aumatin.Et jepensequ’elleaprisquelquechose,aussi.Elleaétémalpendantdeuxjours.Elleneserappelaitplusrien.Mêmepasquionétait.RobertoetSimonaécoutent,terrorisés,enfaisantsemblantderien,essayantmêmed’avoirl’airamusé.—Etpuis,EricaaeuunehistoireavecunAllemand,unesortedeHulkblond.Elleaditqu’ellevoudraitalleràMunich,ceweek-end.Diletta,elle,étaitpriseenotageparsonportable.Jenesaispascombiendefois elle a appeléFilippo.Etquandçaneprenait pasouqu’ellen’avait plusde crédit, elle faisait laqueuependantdesheurespourappelerd’unfixe.Unpremieramourquilarendtotalementdépendante.Jevousjure,ellenousracontaittouslesjourscequ’ilss’étaientdit,lesmessagesenvoyésetreçus,quellebarbe!Uneneverendingstory!Simonalaregarde.—Ettoi?—Oh,moi…moi jemesuisamusée,c’étaitbien, trèsbien.Tranquille.Maman,regardeceque jemesuisacheté.Nikisortdesonsacàdosunechemiseblanche,toutefroissée,avecuncolenVetdespetitespierreslelongdel’encolure.Ellelametcontreelle.—Çateplaît?Jenel’aipaspayéecher.—Oui,c’estjoli!MaisSimonan’apasletempsderépondrequeNikicourtdenouveauverssonsacàdos.—J’aiaussidescadeauxpourvous.Unparéopourmaman…etpourtoi,papa,dessandalesencuir!Robertolesprend.—Ellessontmagnifiques…merci.Maisc’estquelletaille?Nikileregarde,contrariée.—Tataille,papa,quarante-trois!—Ah,ellesavaientl’airpetites.Simonaselèveetouvreletiroir.—Nousaussi,nousavonsquelquechosepourtoi.Ellesortl’envelopped’Alessandro.Nikireconnaîtimmédiatementl’écriture.—Excusez-moi.Ellevadanssachambre,fermelaporteets’assiedsurlelit.Elletourneetretournel’enveloppeentresesmains,puisfinitparl’ouvrir.«Salut,doucefilleauxjasmins…»Ellecontinueàlire,ensouriant,parfoisémue,d’autrefoisriant.Ellelit,sourit.Elleserappelledeslieux,desfaits,desphrases.Elleserappelledesbaisersetdessaveurs.Etbeaucoup plus. A la fin de la lettre, elle n’a plus de doutes. Elle sort de sa chambre, va au salonretrouver ses parents. Roberto et Simona sont assis sur le canapé, Ils essayent de s’occuper, de sedistraire,d’unemanièreoud’uneautre.Simonafeuilletteunerevue,Robertoregardelescouturesdesessandales,lesétudieavectellementd’attentionqu’ondiraitqu’ilveutmonteruneusinepourfabriquerlesmêmes.Simonalavoitentrer.Ellefermesarevueet tented’êtretactique,commesicettelettren’avait

pasgrandeimportance.Maisellemeurtdecuriosité,elledonneraittoutpoursavoircequ’ellecontenait.Ellefaitunpetitsourire,pournepasêtretropenvahissante.—Toutvabien,Niki?—Oui,maman.Nikis’assiedenfaced’eux.—Maman,papa,ilfautquejevousparle…Ellecommence.Ellenes’arrêteplus.Sesparentsécoutentensilencecetteespècedefleuve, touteslesraisonspourlesquellesilsnepeuventabsolumentpasluidirenon.—Voilà.J’aifini.Alors,qu’est-cequevousenpensez?RobertoregardeSimona.—Jetel’avaisdit,qu’onauraitdûouvrircettelettre…

124Souslelavaboblanc,àgenoux,lesmainssurlescarrelagesfroidsdelasalledebains.Ilfaitchaud.Ilessuiesonfrontperlédesueuraveclamanchedesonblouson.PuisilvoitunepairedeConversearrêtéesàquelquespasdelui.Lejeuneplombiersortdesouslesiphon.EtOllyluisourit.—Tuveuxdel’eau?UnCoca?Uncafé?Unthé?Elle voudrait faire un peu commeTessMcGill, la jeune secrétaire entreprenante deKatherine ParkerdanslefilmWorkingGirletdireaussi…«moi?»,maisçaluisembleunpeudéplacé.Lejeuneplombiers’assiedparterre,s’appuieaulavaboetluisourit.—UnCoca,merci.Illaregardesortir.Elleaunejupecourte,unT-shirtcourt,deschaussettescourtes.Toutestcourt,saufsesjambes.Trèslongues.Etpuis,elleestgentille.Qu’est-cequeçapeutluifaire,àunefillecommeelle,deveniricidemanderàuntypecommemoisij’aienviedeboirequelquechose.Ollyrevient.—Tiens,j’aimisunerondelledecitron.Jel’aicoupéeavecmonpetitcouteau…Ollyleluimontre.—Ilteplaît?C’estunArresoja,uncouteausarde,trèscoupant,c’estunartisandeFluminimaggiorequilesfait.Trèsrare.Lejeuneplombierleprendetleregarde.Ollycontinuesadescription.—Tuvois,lalameestmarquetéeavecunaigleetlemancheestencornedecerf.Lejeuneplombierl’ouvre.—Ilestbeau.PuisilboitunegorgéedeCoca.Ilavraimentsoif.Ilfaittrèschaud,là-dessous.Ollys’assiedsurleborddelabaignoire.Ellecroiselesjambes,ungenousurl’autre,commeçaonnepeutpasvoirsaculotte.Lejeuneplombierlaregarde.Pendantuninstant,ilypense,etilesttoutgêné.Maisçanedurequ’uninstant.—Merci.—Oh,derien.Aufait,d’habitude,c’estunautreplombierquivientcheznous.Commentçasefaitqueçasoittoi,aujourd’hui?Çanemedérangepasdutout,hein,maisjemedemandais.Lejeuneplombiercontinuededévisserletuyausouslelavaboetadumalàparler.—Celuiquivenaitavant,c’estmonfrère.Maintenant,ontravailleensemble.Çanefaitpaslongtemps,enfait…Bon,j’aipresquefini.—Jenevoulaispastepresser!—Voilà.Le jeune plombier enlève le tube et le renverse dans la petite bassine, où tombent un peu d’eau etbeaucoupdecheveux.Maispasseulement.Tin.Unbruitsourdsurleplastiquebleu.—Tuvois?J’airéussi.Ellenes’estpasperdue,tabague.LejeuneplombierlapasseàOlly,quisourit.Ilremonteletubeetleserrefortavecunecléanglaise.—Voilà,c’estfait.Ilsortdesouslelavabo,toutensueur.Ilregardesamontre.—Tuasvu?Vingtminutes,çanem’apasprislongtemps…—Non.Tuesunmagicien!Moiquipensaisnepluslarevoir…Lejeuneplombierlaregarde.Puisilsepencheetrouvrel’eausous

lelavabo.Ildécidedeselancer.Enplus,delà-dessous,ellenepeutpasvoirsonvisage.Aupire,ellenemerépondpas.—Tuauraiseudesproblèmesavectonpetitami,hein?—Mais non, avecmamère, au pire ! C’est elle quime l’a offerte pourmon bac… J’ai eu 78/100,inespéré…Surtoutpourelle.Pourunefois,elleadécidédemerécompenser.Sijel’avaisperdue,çaseseraitmalpassé.Jel’imaginedéjà:Olimpia,tun’asderespectpourriennipersonne,tuperdstout!Tusaiscombiendetempsçam’aprispourtefairefairecettebaguesurmesure,pourtrouverquelquechosequipuisseteplaire?Lejeuneplombiersouritetregardelabague.—C’estvraiqu’elleestbelle.—C’estlamêmequecellequeportaitParisHiltonsurladernièrephotoavecsondernierpetitcopain.Maisàmonavismamèreafaitàl’économie,jenepensepasquelesdiamantssoientceuxdel’original!—Elleaétégentilled’ypenser,quandmême.—Oui.Lejeuneplombierchargesacaisseàoutilssursonépauleetvaverslaporte.Ollyl’accompagne.—Mercipourtout,dit-elleenluimontrantlabague.—Jet’enprie.MercipourleCoca.—Tuplaisantes?Ah,aufait…Ollys’arrêteetmetlamainsursonfront.—Zut,j’allaisoublier,jetejure!Combienjetedois?Lejeuneplombieryréfléchituninstant.Justeuninstant.Puisilsecouelatête.—Maisrien,allez,çavacommeça.Çam’aprisquevingtminutes.— Tu plaisantes ? Pas question. Ton frère demandait cent euros rien que pour le déplacement. Si tucontinues,jenet’appelleplus,jenem’adresseplusqu’àlui.Lejeuneplombiermetsesmainsdanssespoches.—OK,maisjustecinquanteeuros.Ilsortsacartedevisite.—Etpromets-moiquetum’appellerasmoi,pasmonfrère.Jeteferaifairedeséconomies,promis.Ollyregardelacarte.Lenomdefamilleavantlenom.SabatiniMauro.Etpuis,ilyaunplombierdessinécommeundessinanimé.Elleréussitànepasrire.—Tuesplussympaquetonfrère.Maisneluidispas,hein?Justeàcemoment-là,lamèred’Ollyarriveàlaporte.Enlavoyantaveccegarçon,habilléenbleudetravailetportantunecaisseàoutils,elles’inquiète.—Olly,qu’est-cequisepasse?—Maisrien,maman,pourquoiilfauttoujoursquetut’inquiètes?Monamiestpassémedirebonjour,jenel’avaispasvudepuislesvacances…Ollyfaitunclind’œilàMauro.—Bonjour,madame.—Bonjour,excusez-moi,jepensais…non,rien,jenepensaisàrien.—Maman,jeluiaimontrélabaguequetum’asofferte,ill’atrouvéemagnifique.Maurosourit.—Oui,elleestdetrèsbongoût.OndiraitunpeucelledeMlleHilton.

Lamèresecouelatête.—Eneffet,c’estlamême.Elleentredansl’appartementavecsescourses.—Aurevoir…Ollys’approchedeluietl’embrassesurlajoue.Mauroresteunmomentinterdit.—Tusais,jenesuispascertainequemamèren’estpasentraindesurveiller.Elles’approchedesonoreilleetluidittoutdoucement.—Onpourraitpeut-êtres’appelerdetempsentemps…sinon,ellecomprendraquej’aimenti.Maurosourit.—Biensûr,pournepasqu’elletegrille…Ollyvaàlacuisine.Samèreestentrainderangerlescourses.—Tiens,prendsça,mets-leenbas.Samèreluipassedesdétergents.—Jet’aiachetélesyaourtsquetuvoulais.—Merci…Samèrefinitdeviderlessacs.—Tusais,c’estdrôle.Tonamiressemblecommedeuxgouttesd’eauauplombierquivienttoujourscheznous.Pendantunmoment,j’aicruquequelquechoses’étaitcassédanslasalledebains,ouquetuavaisencorefaitdestiennes.—Maisnon.Celadit,tuasraison,illuiressemble,moiaussij’yaipensé.Elleregardeànouveausabague.—Merci,maman,elleestmagnifique!—Jesuisheureusequ’elleteplaise.Elless’embrassent.Samèrelaserredanssesbraspuisl’écartéetlaregarde.—Espéronsjustequetunelaperdraspas,commetufaisd’habitude.Ollys’appuiecontresapoitrine,commeçafaittrèslongtempsqu’ellen’avaitpasfait.—Maman,maisnon,soistranquille.Puiselleregardesabagueencoremouillée.«Informationsradio.Bonaprès-midi.Cematin,lescarabiniersontréussiàdéjouerunimportanttraficdestupéfiants. Alertés par le va-et-vient continu au domicile d’un couple de personnes âgées, ils fontirruptionàl’aube.M.AldoManettietsafemmeontététrouvésenpossessiondeplusdequinzekilosdecocaïne.Lesdeuxépouxontétéarrêtés.Depuisdenombreusesannées,ilsfournissaientendroguetoutlequartierTrieste,leNomentanoetquelquesfaubourgsduSalarieFootball.Encoreunrachatpourla…»Elle,maisplusdanssachambreindigo.Lemomentestvenudelerestituer.Elleesttropcurieuse.Etaufond,c’estaussiunebonneaction…Lafillemetsonclignotant.Larouteestmaléclairéemaiselleréussitquandmêmeàlirelenom.ViaAntonelli.Oui,çadevraitaller,parlà.Ellecontinueàconduire.Dupetitlecteurde savoiture sanspermis sortent lesbonsmots, aubonmoment.«La spécialitédu jour est lesourirequetumefais.Dansunmondedépouillé,ilsedistingueplusquejamais.Ilfaitressortirlescôtésobscursdel’hypocrisieetgrimpeauxmurscommedelaglycine…»Ellesouritetseregarde.Oui,cetterobe luivavraimentbien.Legris et lebleu l’ont toujoursmise envaleur.Un stop.Puis elle tourneà

droite.«Etpourmoi,quidésormaisvivaisdansledésenchantement.Commeunpharequis’estallumé,lesourirequetumefais.»SacréEros.Çadevraitêtretoutprès.Maisoùilsontmisleursbureaux,ceux-là?Espéronsqu’ilyaitencorequelqu’un,ilesthuitheures.Jesuistoujoursenretard.Elleprenduneruepleine d’immeubles du XIXe siècle. Elle ralentit et regarde les numéros. Cinquante. Cinquante-deux.Cinquante-quatre.Voilà. Cinquante-six. Elle s’arrête et se gare, un peu en biais.De toute façon, cettevoitureestpetite,c’estcommeuneSmart.Avantd’enleverlaclé,lesdernièresparolesdelachanson.«Iltefallait,toi,pourdébusquermonâme,iltefallait,toi,quiouvresdeplusenplus…unnouvelâge.»Unnouvelâge.Oui,c’estcommeçaquejemesens,Éros.Elledescend,prendlesacetfermelavoiture.Ellemontesurletrottoirets’approchedesinterphones.Ellelitlesnoms.Giorgetti.Danili.Benatti…Voilà.Ellesonne.Etpendantqu’elleattend,soncœurbatfort.—Oui,quiestlà?Elleestsurpriseparlavoixcriarde.Elles’approchedel’interphone.—Eh,oui,c’estmoi…C’est-à-dire…jecherchaisStefano,s’ilestlà.—Oui,ilvientdesortirdubureau.Ildescend.Sivousattendez,vousallezlevoir.Ah.Bien.Jen’aimêmepasbesoindemonter.C’est-à-dire,ildescend.Etilvamevoir.Ilnesaitmêmepasquijesuis!Qu’est-cequejeluidis?Commentjememets?Jambesdroites?Oubienjem’adosseàlavoiture,unpeuplusenpose?Oubien je tiens lesacdevantmoi,desdeuxmains,genre« tiens, lepaquet»?Non,Uvautmieuxque…Ellen’apasletempsdefinir.Unjeunehommepastrèsgrand,vêtud’unevestelégèreenlin,ouvrelaporteetlarefermederrièrelui.Lorsqu’illèvelatête,Uaperçoitunefille avec une robe très courte, gris et bleu, qui regarde en l’air. On dirait qu’elle parle toute seule.Stefanofaitunedrôledegrimacedesurprise,puisfaitminedes’enaller.Ellebaisselatête,leregarde.Silence.—Excuse-moi!Stefanoseretourne.—Oui?C’estàmoiquetuparles?—Iln’yaquetoi,ici!Neserais-tupasStefano,parhasard?—Oui,pourquoi?—C’estàtoi!Elleluitendlesacavecl’ordinateur.—Amoi?Qu’est-cequec’est?Stefanos’approche,prend le sac, l’ouvreen le tenantenéquilibresur songenouplié.Puis sonvisagechanged’uncoup.—Non!Jen’ycroispas!Maisc’estmonportable!Tunepeuxpassavoir!Ilyauntasdetrucsquejen’avais pas sauvegardés ! Çam’a pris un temps fou, j’aimême dû réécrire certaines choses. Ça faitlongtempsquejel’aiperdu!C’est-à-dire,jenel’aipasperdu,onmel’avolé!—Biensûr,situlelaissessurunepoubelle,qu’est-cequetuespères?Qu’unéboueurtelerapporte,oubienunchaterrant?!Stefanolaregarde.—Maisquitues,toi,commenttuasfait…—Lechat.Jesuislechatquiestpasséparlàcesoir-làetquil’atrouvé.Puisjel’aiallumé.Tun’avaismêmepasdemotdepasse.C’estabsurde!Toutlemondepeutliretesdocuments.Trèsrisqué!—Jen’enmetspasparceque,distraitcommejesuis,jel’oublietoujours…

—Jevaist’endonnerunfacile:Erica.—Erica?—Oui,enchantée.Elleluitendlamain.—Tunepeuxpasl’oublier!C’estlenomdetonangegardien.Stefanoestencoreétonné,maisilfinitparsourire.Ericacontinue.—Écoute,qu’est-cequetufaismaintenant?Ilestpresqueneufheures.Tutravaillesbeaucoup,hein?—Oui,dernièrementj’avaispleindechosesàfinirpourlamaisond’édition.Qu’est-cequejefais…Jevaismanger,commetoutlemonde.J’aiunedecesfaims!—Moiaussi!Silence.—Bon,biensûr,situesmarié,fiancé,maqué…tum’arrêtestoutdesuite.Jecomprendrais…Oubien,situpensesquejesuisuneobsédéequivateviolerdèsqu’onaurafaitcentmètres.Jetecomprendraiaussi.Silence.—Maisqu’est-cequeturacontes?Maqué…Maisnon…Quivoudraitdemoi?!Ilrit.Unsourirequ’Erican’ajamaisvu.Unsouriredelunelointaine,demerquivaetquivient,detouscesmotsqu’illuiaditslessemainesprécédentes.Unbeausourire.—Allez,jetesuisredevable.Tuasraison.Onmangeensemble?Çateva,unepizza?Jenepeuxpasmepermettreplus!—Etsijeteviole?—Bah,jefaistouslesmatins…des«lardominaux»!Tucroisquejepourraimedéfendre?!Ericarit.—Tuesàpied?—Non,j’aimavoiture.—Laisse-laici,c’estunquartiertranquille.Çateditdemarcher?C’estunebellesoiréeetilyaunepizzeriatoutprèsd’ici.—OK.Ilss’éloignent.—Eh,écoutecommeelleestbelle,jel’écoutaisenvenantici…Ericaluipassel’écouteurdesoniPod.Stefanosel’installeavecpeine.Puisilsemetàmarcheraurythmedelamusique.—Eh,pasmaldutout,vraiment.Tusais,moijen’écoutequeduclassique…—C’estvrai?J’aimeraisbienapprendreàenécouter,çam’al’airsi…—Vieux?—Non,pasvieux,mais…bizarre…Difficile!C’est-à-dire.peut-être...pourmoi,àcomprendre…Stefanosourit.—Jesuissûrquetut’ensortiraistrèsbien…Maisc’estqui,eux?—LesDireStraits…Moneyfornothing…—Ah,oui,jelesconnais.Ellesourit.Etluiaussi,pendantquecommenceSultansofSwing.Ilscontinuentcommeça.Commetouteslespremièresfois.Etlemondeautoursembles’arrêterpourleslaisserpasser,pourlesvoirs’éloignerensemble,versunsimpledîner,quiannoncetantdenouvelleschosesàraconter.

« Etmaintenant, cinéma.Hier, le nouveau film du réalisateur PieroCaminetti est sorti dans plusieurssalles.DanslagrandesalleducinémaAdriano,oùlesacteursétaientprésents,àlafindelaprojectionlepublicalonguementsifflélajeuneactricedébutante,PaolaPelliccia.Soninterprétationaétéjugéepeucrédible, parfaitement à côté du rôle. Le personnage principal, en revanche, interprété par le célèbreacteur…»Mêmeville.Unpeuplusloin,unpeuplustard.Dehors,lesvoiturespassentàtouteallure.Maisonentendà peine le bruit de la circulation.Ou dumoins, c’est ce qu’il lui semble.Une chanson sort des haut-parleurs,justeaubonvolume.KnownofearI’llstillbeheretomorrow,bendmyearI’mnotgonnagoaway.Youarelovesowhydoyoushedatear,knownofearyouwillseeheavenfromhere…Ellenelaconnaissaitpas.Maiselleestbelle.Oui,jen’auraipaspeur,parcequetuserasencorelàdemain.N’aiepaspeur,tuverrasleparadisd’ici…Illaprendparlamain.—Maisilsnesontpaslà,tesparents?—Non.Ledimanche,ilsvonttoujoursdînerdehors,etpuisaucinéma.—Frères,sœurs?—Tusaisbienquejesuisfilsunique.Illuiserredélicatementlamain.—Viens.Jetemontre.Il ouvreuneporte couleur noyer qui donne sur unegrandepièce lumineuse, pleinede livres. Il ne luidonnepas le tempsdedemander«Tu lisbeaucoup?»,parcequ’il luioffreune réponse encoreplusimportante.Unbaiserlong,intense,profondl’emporte.Etcettechambresembleunemerquisebalancel’été,uncielquiobservedeuxnuagesblancs secouriraprès.RobbieWilliamspasse sur lachaînedusalon…etondiraitleventquandilparledesarbresetlessecoue,racontantlesendroitslointains,qu’ilvientdevisiter…Wearelovedon’tletitfallondeafears.Nowit’sclear,wehaveseenheavenfromhere…Leparadisestsimplementlachambreàcoucherd’ungarçonquijoueaubasketetquiachaquematinunepenséegentillepourelle,unepenséeaugoûtdecéréalesetfruitsdesbois.Leparadisest lacouverturebleueetlégèred’ungrandlitquilesaccueillecommeunpétalequitombeparmilesvagues.Etelleselaisseporter,douceetunpeueffrayée,maisheureused’êtrelà,d’avoiracceptécevoyagequ’ilssontsurlepointdefaireensemble.Sanspartir.Sansbagages.Sanscartesniplans.Parceque,enamour,lesroutesetlespaysagessontunedécouvertecontinue.Parcequepersonnenetelesenseigne.Oupeut-être que si. C’est sa respiration qui te guide. Il te dit où tourner. Où ralentir. Où t’arrêter… Et puisrepartir,sanspeur.Filippolaregarde,allongée,magnifique.Etilluisemblen’avoirjamaisvuautantdelumière arriver de deux yeux. Il lui semble que la vie a soudain un sens et que tout ce qu’il a faitjusqu’ici, il l’afaitpourenarriverlà.Danscenouveauparadis,destinationbonheur.Cettechambre.Ils’approchedoucementetlacaresse,ilentendsarespirationdevenirpluslenteetplusprofonde,apeurée,petiteondeperduedanscettemersurlaquelleilss’embarquent.—Moi…jenel’aijamaisfait,luisusurre-t-elleàl’oreille.—Moinonplus.—C’esttapremièrefois?—Oui…avectoi.C’estpeut-êtrevrai.Oupeut-êtrepas.Maisilestsibeaudecroireaubonheur.Etcetteréponseenvautcent,mille, ellevaut toutunpasséqu’iln’importeplusdeconnaître.Parceque,quand tu fais l’amouraveclapersonnequetuaimes,c’esttoujourslapremièrefois,c’esttoujoursundépart.Dilettaleregarde

etleserretrèsfort.Ellesesentprotégée,accueillieetaimée.Alors,celitdevientunbateauaumilieudesvagues.Desvaguescalmes,légères,desvaguesquibercent.Desvaguesquinefontpaspeur.Desvaguesversunenouvelleîle,déserte,justepoureux.«Faitdivers.LejeuneGinoBassani,plusconnuparsonsurnomdelaChouette,aétégrièvementblessélorsd’unéchangedecoupsdefeu.Ilavaitdéjàétéarrêtépourvoldevoitureset traficdestupéfiants.Cettefois,ilatentéuncouptropgrospourluiens’introduisant…»Plus tard.Laphotod’unegrande falaise fouettée par lamer est accrochée entre la porte et l’armoire.Diletta la regarde. Elle sourit. Filippo lui caresse les cheveux, les dégage, libère son visage. Puisl’embrassedoucementsurlajoue.—Tuesmagnifique.Aprèsl’amour.—Toiaussi.Tuasvu?—Quoi?—Lesrochers.Filipposetourneetregardeluiaussilaphoto.—Oui,c’estunephotoquej’aifaitequandjesuisalléenBretagne,l’étédernier.Tusais,onl’appelleleRoyaumeduvent.Tupeuxfairelaroutedesphares,deBrestàOuessant,enpartantdeceluideTrézien,àPlouarzel.Maismoi, cequim’aplu, c’est les falaises.Solides, fortes, toujours à repousser lamer etfinalement…enfaisanttotalementpartie.Unautrebaiserlégersurceslèvresrouges,douces,sentantencorel’amour.—Tuyasdéjàpensé?Lesrochersrésistentauxvagues,ausel,auvent,maisse laissentmodeler, ilschangent de forme, avec le temps ils deviennent lisses, ils perdent leurs angles, on dirait qu’ils sontmous…Dilettas’appuiecontrelui.—Lesvaguesetlesrochers…commel’amourentrelesgens.Onserencontre,onsechoisit,onpartenpleinemer…Filippoprendsonvisagedanssesmains.—Ettoi,petitevague,tut’eslaisséaimer…Ilss’enlacent.Puiselleleregarde,seserrefortcontrelui.Etsourit,cachéeentresesbras.—J’aiattendulongtempsparcequej’avaispeur…Jevoudraistellementavoirétéstupide.Nemefaispasavoirraison.—Tuasété intelligentedem’attendre…Etd’avoirpeur.Maismaintenant, tuseraisstupidedenepasvivrenotrebonheur.«L’étatducélèbrechanteurFabioFobiasembleraitstationnaire.Ilaétéimpliquédansunerixedansuncentre social sur la Tiburtina. A la fin de son concert, une jeune fille n’aurait pas apprécié soncomportementinsistant.Unebagarreadoncéclatéentrelechanteuretlejeunehommequiaccompagnaitla jeune fille, qui a eu le dessus. Fabio Fobia est encore hospitalisé. Nous diffusons maintenant unmorceaudesonderniersingle,quiestarrivéenfinaleduconcoursdesjeunesvoixdeVillaSantaMaria,danslesAbruzzes:"Pardonne-moisijemesuistrompé,jemesouviensdetoutcequetum’asoffert.Unsourire.Unbaiser.Unvoyagejamaiscommencé"…»

Leserveurarriveavecdeuxpizzasmarinara fumantes. Il adéjàapportédeuxbières fraîches.Erica leregarde.—Ilfautquejet’avouequelquechose.—Dis-moi.—Tuécristropbien.Tum’astenucompagnie,pendanttoutescessemaines.J’ailucequ’ilyavaitdanstonordinateur.—Allez!C’estvrai?—Çat’embête?—Mais non. Au fond, quand on écrit, c’est pour être lu, tôt ou tard. Et tant mieux si c’est par uneétrangère!—C’estdrôle,parcequemoij’ail’impressiondeteconnaîtredepuistoujours.Parcequejet’ailu.—Qu’est-cequiteplaît,enparticulier?—Mais…parexemple,beaucoupdepassagesdudossierqui s’appelle«Martin».C’est tonnomdeplume,pasvrai?C’estbeau.Voilà,làtuasécritdeschosesvraimentbelles…jelesaimêmerecopiéesdansmonagenda.Ilyaladernièrephrase,cellequidit:«Àl’instantoùjesus,jecessaidesavoir.»C’estmagnifique!Stefanosetait.Mangeunpeudepizza.Maisilaunedrôled’expression.Ericacontinue.—Etpuis,ilyacetautredossier,celuiquis’appelle«Lederniercoucherdesoleil».Là,jedoisdirequetuasdonnélemeilleur.Ilyadespassagessuperbes!Maistunel’aspasencorefini,celui-là,n’est-cepas?Stefanoarrêtedemanger.Ilposesafourchettedanssagrandeassietteblanche.Ilprendsonbocketboitunegorgéedebière.Puisilsemetàrire.—Qu’est-cequ’ilya,qu’est-cequej’aidit?—Non,rien…c’estquec’estdrôle!—Quoi?—Alors.Martinn’estpasmonnomdeplume.C’estpourMartinEden.Etcequetuasludansledossier,c’estmatraductionduromandeJackLondonquiportecetitre.Silence.–…Maisc’estcequ’onnousfaisaitlireàl’école…—Oui,c’estça…Ilsensortentunenouvelleversion,etj’aiétéchoisipourletraduire.Ettoi…Ehbien,heureusement,tum’assauvé,jen’auraisjamaisréussisitunem’avaispasrendul’ordinateuravectoutletravailquej’avaisdéjàfait.—Maisc’estvraimentJackLondon?—Vraimentvraiment.Etjevaisaussifairelesuivant,LeVagabonddesétoiles.—Pffjecroismêmequej’ailuMartinEden…Silence.—Alors,cetautreromanaussi,ilestdeJackLondon?—Non.—D’unamiàtoi,alors.—Non.

—D’undesauteursdelamaisond’édition?—Non.Ilestdemoi.Silence.—Tutemoquesdemoi?—Non,vraiment,ilestdemoi.Ettueslapremièrepersonnequil’alu…—Allez!Maistuestropfort!Ericaabatsesmainssurlatable,sifortquelesautresclientsdelapizzeriaseretournent.—Tuesunmythe!Tuécristropbien!Tuesmonécrivainpréféré!Elleprendsonverreetlelèveversleciel.Stefanosouritetl’imite.Lesverressetouchentetserepoussentjoyeusement.—Al’hommeauxmotsjustes!Etellenesaitpasencorecombiencetoastestréel.

125Alessandromarchesurlaplage,souriant.—Bonjour.MaisM.Winspeare ne veut rien savoir. Ça fait plus de trois semaines qu’ils se rencontrent tous lesmatins durant leurs promenades respectives, mais que ce monsieur ne répond jamais à son bonjour.Alessandronedésespèrepas.Ilcontinue,commeça,commeilaapprisàvivre.Cenesontpaslesautresquidoiventnouschangerdanscequinoussemblejuste,etsurtoutdanscequ’onfaitavecplaisir.Entoutcas, cet endroit est vraiment beau. Elle avait raison, la fille aux jasmins. Alessandro souritintérieurement,enregardantauloinverslamer.Quelquesbateauxpassentlelongdelaligned’horizon.Alessandrosecouvrelesyeuxavecsamain.Ilessayederegarderencoreplusloin.Peut-êtrequ’ilyaunferryquiarrive,uneinscriptionàlire,quelquechosequipuissefairesourire.Puisilrenonce.Non.Ilssont trop au large.Alors il regarde autour de lui. Les rochers, le pré vert quimonte de la falaise, lephare…L’îleBleue.Elle est encoreplusbellequecequ’il avaitvu sur Internet.Niki.Niki et son rêve.Fairependantunesemainelegardiendephare.Alessandrosouritetretourneverslamaison.Lesrêvesexistentpourqu’onessayedelesréaliser.Etchaquejour,onsedit:oui,jeleferaidemain.Maismaintenant?Dequoiest-cequ’onvit,maintenant…ilprend laplanchequ’ilaapportéeet la jetteà l’eau. Il s’étenddessuset faitquelquesbrasses.Ils’éloignevitedelacôte.Ilposelescoudessurlaplancheetregardesidesvaguesarrivent.Voilà,celle-làpourraitêtrebonne.Iltournesurlui-mêmeetessayedefairequelquesbrasses.Rien.Lavaguepasseendessous.Ill’aperdue.Rien.Illaisseànouveausesjambestraînerdansl’eauets’allonge sur la planche. Quand même, maintenant que j’y pense, j’en ai pris une, il n’y a pas silongtemps.C’étaitquand?Ilyaaumoinsdixjours.Jel’aiprise,penseAlessandro,jesuismontédessusetj’aipresqueréussiàmemettredeboutsurlaplanche.Maisc’étaitunetroppetitevague,jesuistombé.Alessandroregardeànouveauverslelarge.Rienàfaire.Iln’yapasdemer,aujourd’hui.Alorsilrevientverslarive,remetlaplanchedanssacabine,prendunegrandeserviettebleueetsesècherapidement.Ilse frotte fort pour essayerd’enlever le sel et le froidde lamerde l’îleduGiglio.Brrr.Voilà.Çavamieux.Jemesensplustonique.Alessandros’assiedsurunrocher,ouvresonsacàdos.Ilyprendlelivrequ’ils’estachetéetlefeuillette.Unmanueldesurf.Commentdevenirsurfeurendixleçons.Ilcontientdes explications sur comment les surfeurs célèbres se mettent debout sur leur planche juste au bonmomentpourprendredesvaguesd’aumoinsquatremètres.Etpuisdesphotos.Oui,maisellesn’arriventjamais, ces vagues. Alessandro referme le livre. Elles n’arrivent jamais… Peut-être que j’ai de lachance. Il remet sonsweat-shirtbleuetdescendauvillage.Enfin,descend…Iln’ya jamaisquedeuxcentsmètres.—Bonjour,madameBrighel.—Bonjour,monsieurBelli,toutvabien?—Oui,merci…etvous?—Trèsbien,merci.Jevousaimisdecôtéunbartoutfrais,despatatesetdescourgettes,commevousm’avezdemandé.Jemesuisaussipermisdevousgarderquelquesoursins.Vousvoulezunesoupeauxoursins,monsieurBelli?—Pourquoipas?Jelagoûteraivolontiers.Alessandros’assieddanslapetiteauberge,commeillefaitdésormaisdepuisplusdequinzejours.—Voilàvotreverredevinblanccalifornien,etunpeudemoussedethonsurdupaingrillé.

MmeBrighelsenettoielesmainssurletablierqu’elleporteautourdelatailleetluisourit.—Ça,vousl’aimez,mamousse,hein?Depuisquevousl’avezgoûtée,vousenvouleztouslesjours…—Ellemeplaîtparcequevouslafaitesdevosmains,etavecamour…Etjenevoispaspourquoi,quandontrouvequelquechosequinousplaît,ondevraitl’abandonner…—Jesuisd’accordavecvous,monsieurBelli.Alessandro boit un peu de vin et sourit intérieurement. Je n’aurais pas pume la poser plus tôt, cettequestion?Bon…Nedésespéronspas…—Bon,moij’yretourne,monsieurBelli…Vousvoulezautrechose,tantquejesuisàlacuisine?—Non,madameBrighel.Maisprenezvotretemps…Unpeuplustard,ellerevientàlatableavecunesurprise.— Tenez, je veux vous faire goûter ces crevettes crues. Mon mari, M. Winspeare, vient de me lesapporter.Ilvousaditbonjour,aujourd’hui?Alessandroboitencoreunegorgéedevin,puiss’essuielabouche.—Non,madameBrighel.—Ah…maisjesuissûrequeçaarrivera.—J’espère.L’important,commepourtout,c’estdenepasêtrepressé.MmeBrighels’arrêtedevantlatableetessuiesesmainsnoueuses,encorepleinesdel’eaudescrevettesqu’ellevientd’écaler.—Oh,j’aimevotrephilosophie.Oui,tôtoutard,çaarrivera.Ilnefautpasêtrepressé…C’esttrèsjuste,cequevousdites.Elleretourneàlacuisine.Alessandroétaleunpeudemoussesurlepaingrillé.Oui,nepasêtrepressé…Puis ilgoûteunecrevette.Délicieuse. Ilse lèche lesdoigtset lesnettoieavecsaserviette. Ilprend leverre de vin frais et boit une gorgée. C’est vrai, pourquoi être pressé ? J’ai quitté mon travail pourquelquetemps.J’aibesoindetemps.Jen’avaisplusdevieàmoi.Leonardo,quandjeluiaidit,s’estmisà rire. Puis, quand il a compris que j’étais sérieux, il s’est fâché. Ilm’a dit : «Deux autres grandescampagnespublicitairevontdémarrer,Alex,ellesn’attendentquetoi…»Maisilyajusteunpetitdétail,cher Leonardo :moi, je ne les attends pas.Moi j’attends de recommencer à vivre, dem’émouvoir ànouveau,derire,deblaguer,decourir,degoûterchaqueseconde,derespirerletemps,jusqu’aubout,cetempsquejeveuxvivresanshâte.Oui.J’attendscemoteuramour,jet’attendstoi,Niki.Soudain,ilestassailliparundoute.Etsisesparentsneluiavaientpasdonnél’enveloppe?Ets’ilsl’avaientdéchirée,avec son billet pour venir ici ?Et s’ils ne lui avaient rien dit ?Moi je suis là, au large, sur l’île duGiglio,àcinquanteminutesduportSantoStefano,àenvirontroisheuresdeRome,loindetoutetdetous,sanstravailmaisànouveauavecmavie.Maisellen’estpaslà,elle.Jesuisseul.Gardienduphare.AvecMmeBrighel quimeprépare d’excellents petits repas,M.Winspeare qui pour l’instant nemedit pasbonjour,etuneplanchedesurfquineveutpassurferavecmoidessus.Sanshâte…Espérons.Unautrejourestentraindepasser.Alessandro regarde le soleil qui se colore lentement de rouge.Cettemouette qui passe au loin, et unnuageléger,unpeuplusloin,seul,immobile.Puis, soudain. Pon pon. Pon pon.Unklaxon.Et juste après, sortant du virage, une vieilleVolkswagenCabrioletbleucielmonte lacôteencahotant.Ellea l’air tranquille, sûred’elle,exactementcomme lajeunefillequilaconduit.Elleaunchapeausurlatête,unbéretbasque,maisceslongscheveuxchâtains,libresetsauvages,etcesourireamusénelaissentaucundoute.Niki.Alessandro se lève et court à sa rencontre.Niki fait encorequelquesmètres, puis freinebrusquement,

faisantcalerlavoiture.—Eh,maistul’aspassé,tonpermis,ouiounon?—Oui,maisilmeresteencorequelquescours.Tusais,quelqu’unm’alaisséetomber.Alessandrosourit,puisregardesamontre.—Çafaitvingtetunjours,huitheures,seizeminutesetvingt-quatresecondesquejet’attends.—Etalors?Moiçafaitplusdedix-huitansquejet’attends,etjenemeplainspas.Elledescenddelavoiture.Ilssonttoutproches,surlaroute.Lesoleilrougeestentraindedisparaîtrederrièrecethorizonlointain,faitdemer.Alessandroluisourit,prendsonvisagedanssesmains.Nikiluirendsonsourire.—Jevoulaisvoircombiendetempsmétaiscapabledem’attendre.—Sij’avaisétésûrqu’unjourtuarriverais,j’auraisaussiput’attendretoutelavie.Nikis’écarte,seglissedanslaCoccinelleetappuiesurunbouton.Lamusiquepart.She’stheoneremplitl’air.Nikisouritencoreplus.—Voilà,onreprendd’ici.Onenétaitrestésoù?—Là…Il l’embrasse longuement.Avecpassion,avecamour,avecespoir,avecamusement,avecpeur.Peurdel’avoirperdue.Peurque,mêmeaprèsavoirlusalettre,ellenesoitjamaisarrivée.Peurquequelqu’und’autrel’aitemportée.Peurquesoncapriceluisoitpassé.Ilcontinueàl’embrasser.Lesyeuxfermés.Heureux.Sanspeur,maintenant.Etavecamour.MmeBrighelsortdel’aubergeavecuneassiettepleinedesoupechaude.Maisellenetrouvepersonneàlatable.—Mais,monsieurBelli…Puis elle les voit, sur le bord de la route, perdus dans ce baiser. Alors elle sourit. Son mari, M.Winspeare,arriveàsescôtés.Ilobservelascène,luiaussi,etsecouelatête.Alessandros’éloigneunpeudeNiki,laprendparlamain.—Viens…Ilscourentverslephare,passentdevantMmeBrighel.—Onrevientbientôt,préparezpourdeux…Puisils’arrête.—Aufait,voiciNiki.Ladamesourit.—Enchantée!Ilslesaluent,luiaussi.—Voilà,monsieurWinspeare,jevousprésenteNiki.Etpourlapremièrefois,M.Winspeareémetundrôledegrognement.—Grunf…Quipeuttoutvouloirdire,ourien.Peut-êtrequ’ilétait justeentraindes’étrangler.Maispeut-êtrequec’estunpremierpas.NikietAlessandrocourentjusqu’auphare.—Voilà,çac’estlacuisine,çac’estlesalon,etça…—Eh…maisqu’est-cequec’est?—Tuasvu?J’aiaussiapportéuneplanchepourtoi…

—Commentça,aussi?—Oui,j’enaiunepourmoi.—Ettuasréussiàt’enservir?—Non.Maismaintenantquetueslà…—Alors,toituterminesmesleçonsdeconduite,etmoijecommencecellesdesurf.—OK.Ilsmontentlepetitescalier.—Ça,c’estlachambre.Avecvuesurlamer…Ici,ilyaunpetitbureau,etlà,enhautdel’escalier,ilyalephare…Ilsmontentlesmarchesquatreàquatre,sortentsurlaterrasse.Ilssonthauts,plushautsquetoutlereste.Unventchaud,légercaresselescheveuxdeNiki.Alessandrolaregardescruterlelarge.Cenuage,quisemblaitsilointoutàl’heure,estmaintenanttoutproche.Etpuis,lamouettepasseànouveau.Ellefaituneespècedepetitegrimace,commesiellelessaluait,pascommeM.Winspeare.Etellecontinuesonvol,elleplanepourchercheruncourantfacile.Plusloin,àl’horizon,onvoitletoutdernierquartierdesoleil.Encorechaud,rouge.Maisildisparaît.AlorsNikifermelesyeux.Ellerespireprofondément,trèsprofondément.Elleseremplitdelamer,duvent,dubruitdesvagues,decepharedontelleatantrêvé…Alessandros’enaperçoit.Ill’enlacedoucementpar-derrière.Nikiselaissealler.Elleposelatêtecontresonépaule.—Alex…—Oui.—Promets.—Quoi?—Ceàquoijepense.Alessandrosepencheenavant.Nikialesyeuxfermés.Maisellesourit.Ellesaitqu’illaregarde.AlorsAlessandrolaserreunpeuplusfort.Etilsourit,luiaussi.—Oui,jetelepromets…monamour.