James EllroyL.A. ConfidentialTraduit de l’américain

par Freddy MichalskiCollection dirigée

par François Guérif

Rivages/Noir

à Mary Doherty Ellroy

Une gloire qui coûte tout et nesignifie rien.

Steve Erickson

Prologue

21 février 1950Motel en fer à cheval, abandonné, au

pied des collines de San Berdoo. BuzzMeeks était passé à la réception avecquatre-vingt-quatorze mille dollars, dix-huit livres d’héroïne presque pure, unfusil à pompe calibre 10, un 38 spécial,un 45 automatique, et un cran d’arrêt qu’ilavait racheté à un pachuco, à la frontière,juste avant de repérer la voiture garée del’autre côté de la ligne de démarcation :des nervis de Mickey Cohen dans unebanalisée du LAPD, des flics de Tijuanaà l’affût, prêts à lui chouraver un morceau

de ses petites friandises avant d’allerlarguer son cadavre dans la rivière deSan Ysidro.

Ça faisait une semaine qu’il était encavale ; il avait dépensé cinquante-sixbâtons pour rester en vie : les bagnoles,les planques à quatre et cinq mille la nuit– tarif de risque : les tauliers savaient queMickey C. était à ses trousses pour avoirbraqué son grand sommet came et fauchésa poule, et que la police de L.A. voulaitsa peau pour avoir tué un des leurs. Lecontrat Cohen fichait en l’air toutepossibilité de vente directe de sa came –personne ne pourrait fourguer la camelotepar peur des représailles. Le mieux qu’ilpuisse faire, c’était de la refiler aux filsde Doc Engleking. Doc la gèlerait, la

mettrait en sachets, la revendrait plus tardet lui filerait son pourcentage. Doc avaittravaillé avec Mickey, et il avait assez dejugeote pour avoir peur du salopard ; lesfrangins, qui chargeaient quinze sacs pourle coup, l’avaient expédié au motel ElSerrano et mettaient sur pied sa fuite. Cesoir, à la tombée de la nuit, deux hommes– des passeurs de dos mouillés – leconduiraient jusqu’à un champ de fayotsd’où on l’expédierait à Guatemala Cityvia Came Air Service. Il aurait vingt etquelques livres de H qui lui feraient despetits au pays – si lui pouvait faireconfiance aux mecs, et si eux pouvaientfaire confiance aux passeurs.

Meeks largua sa bagnole dans un boisde pins, sortit sa valoche et cadra la

planque :

Le motel avait la forme d’un fer àcheval, une douzaine de chambres quidonnaient toutes à l’arrière sur lescontreforts des collines. Pas d’approchepossible par-derrière.

La cour du motel était gravillonnée,jonchée de brindilles, de débris depapier, de bouteilles de vin vides : çacrisserait sous les pas, le bois et le verrecraqueraient au passage des roues.

Il n’y avait qu’un accès possible – laroute qu’il avait empruntée pour venir –,des éclaireurs auraient à traverser à piedune forêt dense avant de pouvoirl’aligner.

Ils pouvaient aussi l’attendre dans unedes chambres.

Meeks attrapa le calibre 10 etcommença à défoncer les portes à coupsde pied. Une, deux, trois, quatre – toilesd’araignées, rats, salles de bains auxtoilettes bouchées, nourriture pourrie,revues en espagnol. Les passeursutilisaient l’endroit pour abriter leursespingos en route vers les fermesd’esclaves du comté de Kern. Cinq, six,sept ; gros lot sur la dernière : desfamilles de mex blotties sur les matelas,tous morts de trouille devant le Blanc aufusil. « Allons, allons », pour les fairetenir tranquilles. La dernière série dechambres était vide ; Meeks prit samallette, la colla juste à l’entrée de la

chambre 12 : vue dégagée, face et cour,un matelas sur sommier à ressorts quidégueulait son kapok ; pas mal pour sadernière crèche américaine.

Épinglé sur le mur, un calendrier à pin-up ; Meeks passa à avril et chercha lejour de son anniversaire ; un jeudi. Lemannequin avait les dents gâtées, maiselle était pas mal pourtant. Elle luirappela Audrey : ex-effeuilleuse, ex-inamorata de Mickey, son excuse pouravoir tué un flic et mis à mal le marché «H » entre Cohen et Dragna. Il feuilletajusqu’en décembre, rabattit la cote sur seschances de survivre à l’année et se pritune trouille à trembloter de partout, avecune veine qui lui battait le front, tap, tap,tap, et il piqua une suée.

Ça empira – les vraies chocottes.Meeks déposa son arsenal sur le rebordd’une fenêtre et bourra ses poches demunitions : balles pour le 38 et chargeursde rechange pour l’automatique. Il fourrale cran d’arrêt dans sa ceinture, couvrit lafenêtre arrière avec le matelas, entrouvritla fenêtre de façade pour un peu d’air.Une petite brise vint rafraîchir sa suée ; ilregarda des gamins espingos au-dehorsqui se renvoyaient une balle de base-ball.

Il resta là sans bouger. Des dosmouillés vinrent se rassembler dans lacour, doigts pointés sur le soleil commes’ils lisaient l’heure grâce à lui,impatients que le camion arrive – duboulot de forçat, reins cassés, pour troisrepas chauds et une paillasse. Le jour se

mit à baisser ; les ramasseurs de fayots semirent à bavasser ; Meeks aperçut deuxBlancs – un gros lard, un petit sec – quipénétraient dans la cour. Ils firent signedu bras, genre copain-copain ; lesespingos leur rendirent leur salut. Ils neressemblaient pas à des flics ou à desnervis de Cohen. Meeks sortit de lapièce, le calibre 10 planqué dans le dos.

Les deux hommes le saluèrent : grandssourires, l’air franc du collier, on vient enamis. Meeks inspecta la route : uneberline verte garée en travers bloquaitune chose bleu clair, trop brillante pourêtre un morceau de ciel à travers lessapins. Il entrevit un éclair de lumière quise refléta sur une peinture métallisée etpigea d’un coup : Bakersfield, le rencart

avec les mecs qui avaient besoin detemps pour trouver l’argent. Le coupélaqué bleu qui avait essayé de le coincersur la route une minute plus tard.

Meeks sourit : copain-copain, l’airfranc du collier. Le doigt sur la détente.Cadrage du sac d’os : Mal Lunceford,pied-plat du poste de Hollywood – ilvenait toujours reluquer les patineuses audrive in de Scrivner et il se gonflait lapoitrine pour bien montrer ses médaillesde tireur au pistolet. Le gros lard, plusproche, dit : — L’avion est prêt. Il attend.

Meeks fit pivoter le fusil de chasse etlâcha ses coups en arc de cercle. GrosLard se ramassa la chevrotine et décolla,couvrant Lunceford et l’envoyant

valdinguer au sol en arrière. Les dosmouillés s’arrachèrent en débandade ;Meeks rentra dans la chambre au pas decourse et entendit la fenêtre arrière qu’ondéfonçait. Il vira le matelas. Comme descanards à l’arrêt : deux hommes et troiscartouches de triple zéro qui entrent encontact.

Ils volèrent en éclats tous les deux ; leverre et le sang giclèrent sur trois autreshommes qui s’approchaient avecprécaution le long du mur. Meeks bondit,toucha le sol, et fit feu sur trois paires dejambes collées les unes aux autres ; samain libre jaillit et dégagea un revolverdu ceinturon d’un mort.

Cris dans la cour ; bruits de pas de

course sur le gravier. Meeks laissatomber le fusil et se précipita entrébuchant jusqu’au mur. Direction lesmecs descendus, le goût du sang auxlèvres – une balle chacun, dans la tête, àbout portant.

Bruits de pas dans la cour ; deux fusilsà portée de main.

— On l’a eu ! hurla Meeks.

Il entendit des hourras en réponse et vitbras et jambes qui sortaient par la fenêtre.Il ramassa le flingue le plus proche etlaissa cracher, en tir automatique : descibles prises au piège, le plâtre qui voleen éclats, le bois sec qui s’enflamme.

Il enjamba les corps, direction

l’intérieur de la pièce. La porte d’entréeétait restée ouverte ; ses pistolets étaienttoujours posés sur le rebord de la fenêtre.Un bruit bizarre, comme un cognement ;Meeks vit un homme à plat ventre, entrain de le coucher en joue derrière lacaisse du sommier.

Il se jeta au sol, rua d’un coup de piedet rata son coup. L’homme lâcha unecartouche – elle passa près ; Meeksagrippa son cran d’arrêt, bondit, tailla :au cou, au visage, et l’homme qui hurle etqui tire – des ricochets à travers tout.Meeks lui trancha la gorge, rampa jusqu’àl’entrée et referma la porte du bout dupied. Il agrippa ses pistolets et respira,tout bêtement.

Les flammes qui courent, qui cramentles corps, qui cuisent les sapins, avec laporte d’entrée pour seule issue.

Combien d’autres encore, quiattendaient, le doigt sur la gâchette ?

Coups de feu.

En provenance de la cour : du groscalibre qui faisait voler de gros éclats dumur. Meeks s’en prit un dans la jambe ;une balle lui érafla le dos. Il se colla ausol. Les tirs n’arrêtaient pas, la portevola, il se retrouva en plein au beaumilieu du tir croisé.

Fini. Plus de coups de feu.

Meeks glissa ses armes sous sapoitrine et s’étala en croix, modèle

cadavre. Les secondes s’étirèrent ; quatrehommes firent leur entrée, le fusil à lamain. Murmures : « D’la viande froide »« Faut êt’ super prudent » « Connard decinglé de bouseux »… Dans l’embrasurede la porte, pas de Mal Lunceford aveceux, des bruits de pas.

Coups de pied dans les côtes, soufflesrauques, ricanements. Un pied qui seglisse sous lui.

— Connard de gros lard, dit une voix.

Une secousse. Meeks qui tire sur lajambe. L’homme au pied qui bascule enarrière. Meeks roula sur le dos : feuroulant – faible distance – mouche surtoutes les cibles.

Quatre hommes tombèrent au sol ;Meeks eut une vision à l’envers : la courdu motel, Mal Lunceford qui tournaitcasaque. Puis, derrière lui :

— Salut, mon gars.

Dudley Smith franchit les flammes,revêtu d’un grand manteau de pompier.Meeks vit sa valise – quatre-vingt-quatorze bâtons, la came – à côté dumatelas.

— Dud, t’es venu fin prêt.

— Comme les boy-scouts, mon gars.As-tu quelque mot d’adieu à adresser ?

Suicide : braquer un marché avecDudley S. comme chien de garde. Meeksreleva ses armes ; Smith tira le premier.

Meeks mourut – en pensant que le motelEl Serrano ressemblait bien à l’Alamocomme deux gouttes d’eau.

Première partieNoël Sanglant

1

Bud White à l’intérieur d’unebanalisée, à surveiller les clignotementsdu « 1951 » sur l’arbre de Noël del’Hôtel de Ville. Le siège arrière étaitbourré à craquer d’alcool pour la soiréedu poste ; il avait tapé les boutiquierstoute la journée, sans tenir compte desordres de Parker : les hommes mariésavaient le 24 et le jour de Noël libres, lestableaux de service n’affichaient que lescélibataires, la brigade des inspecteursde Central était détachée pour emballerles vagabonds : le chef voulait que lesclodos du coin soient mis au frais, pourqu’ils ne débarquent pas en force à la

petite fête en plein air organisée par lemaire Bowron pour les mômesnécessiteux, avant de s’empiffrer detoutes les gâteries. À Noël dernier, uncinglé de Nègre avait sorti coquette, pissédans une carafe de limonade prévue pourla marmaille d’un orphelinat, et il avaitordonné à Mme Bowron : « Accroche-toi,salope ! » Le premier Noël de William H.Parker comme chef des services depolice de Los Angeles s’était passé àtransporter l’épouse du maire auxUrgences de Central afin de la fairemettre sous calmants, et aujourd’hui, unan plus tard, c’est lui qui payait les potscassés.

La banquette arrière, bourrée decaisses de gnôle, lui mettait le dos en

compote ; Ed Exley, adjoint ducommandant de garde, était du genrebêcheur, à cheval sur le règlement. Ilrisquait de monter sur ses ergots envoyant une centaine de flics en train depicoler dans la salle de revue. Et JohnnyStompanato avait vingt minutes de retard.

Bud enclencha son émetteur-récepteur.Ronronnement habituel : vols à l’étalage,braquage d’un magasin de spiritueux àChinatown. La porte du côté passagers’ouvrit ; Johnny Stompanato se glissa surle siège.

Bud alluma la veilleuse.

— Bonnes fêtes, dit Stompanato. Et oùest Stensland ? J’ai des trucs pour vousdeux.

Bud le reluqua de près. Le garde ducorps de Mickey Cohen était au chômagedepuis un mois : Mickey était au trou pourcrime fédéral, fraude fiscale – trois à septans à McNeil Island. Johnny Stomp seretrouvait à faire ses manucures maison età repasser ses propres futals.

— C’est sergent Stensland. Il est entrain d’emballer les clodos. De toutefaçon, ça rapporte pareil.

— Pas de bol. J’aime bien le style deDick. Vous savez ça, Wendell ?

Johnny le mignon : beau comme unrital, les bouclettes coiffées serrées enbanane. Bud avait entendu dire qu’il étaitmonté comme un âne et qu’il en rajoutaiten se rembourrant le panier.

— Crache ce que tu as.

— Dick est plus doué que vous pourles civilités, officier White.

— T’en bandes pour moi, ou tu veuxseulement qu’on papote ?

— C’est Lana Turner qui m’fait bander; vous, ce qui vous fait bander, c’est lesmaris qui tabassent leurs épouses. Jem’suis aussi laissé dire que vous étiezgentil tout plein avec les dames etqu’vous n’étiez pas trop regardant sur laqualité.

Bud fit craquer ses jointures.

— Et toi, c’qui t’fait vivre, c’est defoutre les autres dans la merde. Toutl’argent que donne Mickey aux bonnes

œuvres ne changera pas ce qu’il est : unfourgueur de came et un maquereau.Alors, c’est pas parce que je trouve quetous les putains de tabasseurs d’épousesl’ont un peu trop belle que ça fait de moiquelqu’un comme toi. Tu piges, connard ?

Stompanato sourit – un rictus nerveux.Bud regarda par la vitre. Un Père Noël del’Armée du Salut empalmait les pièces demonnaie de sa gamelle, l’œil fixé sur lemagasin de spiritueux, de l’autre côté dela rue.

— Écoutez, dit Stomp, vous voulez desrenseignements et j’ai besoin d’argent.Mickey et Davey Goldman sont sous lesverrous, et Mo Jahelka s’occupe de leursaffaires pendant leur absence. Mo, il va à

la pêche au petit, et il a pas de boulotpour moi. Jack Whalen refuserait dem’engager même pour des clopinettes et yavait même pas la queue d’une enveloppede la part de Mickey.

— Pas d’enveloppe ? Mickey étaitrenfloué quand il est tombé. J’ai entendudire qu’il a récupéré la camelote qui a étéchouravée lors de son entrevue avec JackD.

Stompanato secoua la tête.

— Vous avez mal entendu. Mickey a eule braqueur, mais la came resteintrouvable et le mec s’est taillé aveccent cinquante bâtons de pognon deMickey. Alors, officier White, moi, j’aibesoin d’argent. Et si votre caisse noire à

indics n’est pas dans le rouge, je voustrouverai des putains de mecs depremière à cravater.

— Fais ça à la régulière, Johnny. Enplein jour. Deviens un bon Blanc, commeDick Stensland et moi.

Stomp hennit doucement – un petitricanement faiblard.

— Un voleur de clés pour vingt, ou unpiqueur à l’étalage qui tabasse sa femmepour trente. Laissez-vous tenter, le p’titfrisson facile, vite fait, j’ai vu le mec quirepérait chez Ohrbach en venant.

Bud sortit un billet de vingt, et un dedix. Stompanato les lui prit des mains.

— Ralphie Kinnard. C’est un gros lard,

blond, d’environ quarante ans. Il porteune veste en daim et un pantalon deflanelle grise. J’ai entendu dire qu’ilbattait sa femme et qu’il la collait sur letrottoir pour couvrir ses pertes de poker.

Bud nota les informations.

— Joyeuses fêtes, Wendell, ditStompanato.

Bud l’agrippa par sa cravate et tira ;Stomp se fracassa le crâne sur le tableaude bord.

— Bonne année, tête d’huile.

Le magasin Ohrbach était bourré demonde ; les clients assaillaient lescomptoirs et les étalages de vêtements.Bud se fraya un chemin à coups de coudes

jusqu’au niveau 3, terrain de chasse depremière bourre pour le voleur àl’étalage : bijoux et bouteilles d’alcool.

Des présentoirs jonchés de montres ;des queues de trente personnes auxcaisses. Bud traînait ses guêtres à larecherche d’hommes blonds, en se faisantdoubler à gauche, à droite, par des mèresde famille et leurs mômes. Puis – unéclair – un blondin en veste de daim quise faufilait en douce dans les toilettespour hommes.

Bud bouscula du monde avant d’entrerà son tour. Deux vieux schnocks étaientdebout devant leur urinoir ; un pantalonde flanelle grise qui tombe au sol dans lecompartiment des toilettes. Bud

s’accroupit et regarda : le gros lot, encadrant des mains tripotant des bijoux.Les vieux jetons remontèrent leurbraguette et sortirent ; Bud cogna à laporte du cabinet.

— Allez, dehors, c’est la Sainte-Fauche.

La porte s’ouvrit à la volée ; un poingvola. Bud se le prit en plein dans lafigure, heurta un lavabo et trébucha, lenez dans ses menottes, avec Kinnard quiprenait la tangente en quatrième vitesse.Bud se releva et se lança à sa poursuite.

Porte franchie. Bloqué par les clientsdu magasin, Kinnard qui se taille par unesortie latérale. Course poursuite, enavant, puis l’escalier d’incendie

descendu quatre à quatre. Rien sur leparking, pas de voiture qui démarre, pasde Ralphie. Bud courut jusqu’à sa tire,enclencha sa radio : — 4A31…standard… J’appelle.

Grésillements, puis :

— Je vous reçois, 4A31.

— Dernier domicile connu : blanc,sexe masculin, prénom Ralph, nom defamille Kinnard. Je crois qu’ça s’épelleK-I-N-N-A-R-D. Faites vite, hein ?

L’homme accusa réception ; Budbalança des directs : bam-bam-bam-bam-bam. La radio crachota : — 4A31,confirmez votre appel.

— 4A31, terminé.

— Positif sur Kinnard, Ralph Thomas,blanc, sexe masculin, DDN…

— Rien que l’adresse, nom de Dieu,j’vous ai dit…

Le gars du standard l’envoya se fairevoir.

— C’est ton cadeau de Noël, connard.L’adresse, c’est 1486 Evergreen, etj’espère…

Bud coupa la communication et pritplein est, direction City Terrace.Compteur à quatre-vingts, coups deklaxon, Evergreen en trois minutes toutrond. Les blocs qui défilent, le 1200, le1300 ; le 1400 – préfa pour les Vets – luisauta à la figure.

Il se gara, suivit les plaquesindicatrices jusqu’au 1486, un truc en stucavec une luge de Père Noël en néon sur letoit. De la lumière ; une Ford d’avantguerre dans l’allée. Un coup d’œil à labaie vitrée : Ralphie Kinnard en train defaire sa fête à une femme en peignoir.

La femme avait le visage enflé. Trente-cinq ans environ, elle battit en retraitedevant Kinnard, son peignoir s’ouvrit.Les seins étaient meurtris, les côteslacérées.

Bud retourna chercher ses menottes, vitson émetteur-récepteur clignoter etdécrocha : — 4A31 à l’écoute.

— Bien reçu, 4A31, agression surofficier en service. Deux patrouilleurs

agressés devant une taverne au 1990Riverside. Six suspects en fuite. Identifiésà partir de leur plaque d’immatriculation.Les autres unités ont été alertées.

Bud se sentit des fourmis.

— Les nôtres sont amochés ?

— Confirmé. Rendez-vous au 5314,Cinquante-troisième Avenue, LincolnHeights. Appréhendez Dinardo, D-I-N-A-R-D-O, Sanchez, 21 ans, mexicain, sexemasculin.

— Compris. Envoyez une voiture au1486 Evergreen : blanc, sexe masculin,suspect à embarquer. Je n’y serai pas,mais ils le verront. Dites-leur que j’feraile rapport.

— Au placard du poste de Hollenbeck?

Bud confirma, agrippa ses menottes.Retour à la maison, direction le coffret dedistribution électrique, à l’extérieur ; etcoupure de tous les fusibles jusqu’à ceque les lumières s’éteignent. La luge duPère Noël resta éclairée ; Bud attrapa uncordon de liaison et tira. Le panonceautomba au sol : et un renne qui explose !Un !

Kinnard se précipita à l’extérieur, ettrébucha sur Rudolf. Bud lui menotta lespoignets en lui faisant rebondir le visagesur le trottoir. Ralphie hurla et bouffa dugravier ; Bud lâcha son petit baratin àl’usage des tabasseurs d’épouse : — Tu

seras sorti dans un an et demi, et je sauraiquand. Je m’arrangerai pour savoir quiest ton responsable de conditionnelle etj’lui ferai un peu de lèche, j’irai te rendrevisite, pour un petit salut rapide. Tu latouches encore une fois et je l’apprends,et je te colle une violation de parole surle dos, pour viol de gamin. Tu sais cequ’y font aux violeurs de gamins, là-bas,à Quentin ? Hein ? Aussi sûr qu’le papeest un putain de rital !

La lumière revint : l’épouse deKinnard tripatouillait la boîte à fusibles.

— Puis-je aller chez ma mère ? dit-elle.

Bud vida les poches de Ralphie : cléset rouleaux de billets de banque.

— Prenez la voiture et allez vous fairearranger.

Kinnard cracha quelques dents. MmeRalphie attrapa les clés et piqua un biftonde dix.

— Joyeux Noël, hein ? dit Bud.

Mme Ralphie lui souffla un baiser etsortit en marche arrière, écrasant sous sesroues le renne qui clignotait toujours.

Cinquante-troisième Avenue. Code 2 –pas de sirène. Une pie le battit sur le fil,deux bleus et Dick Stensland en sortirentet se regroupèrent.

Bud appuya sur l’avertisseur ;Stensland s’approcha.

— Qui y a là, collègue ?

Stensland montra une cahute du doigt.

— Le mec dont la radio a parlé, p’t-être d’autres. Y’avait p’t-être quatreespingos, et deux Blancs qui ont descendunos gars. Brownell et Helenowski.Brownell a p’t-être le cerveau touché,Helenowski a p’t-être perdu un œil.

— Ça fait beaucoup de peut-être.

Stens puait : Listerine et gin.

— Tu veux chicaner ?

Bud sortit de la voiture.

— Pas de chicaneries. Combien demecs arrêtés ?

— Peau de balle. La première prise estpour nous.

— Alors, dis aux bleus de resterplanqués.

Stens secoua la tête.

— C’est des potes à Brownell. Ilsveulent une part du gâteau.

— Que dalle, c’est pour nous. On lescolle au trou, on rédige le motif, et onsera bons pour la fiesta avant lechangement de poste. J’ai trois affairessur les bras : Walker Black, Jim Bean etCutty.

— Exley est l’adjoint du commandantde poste. C’est un bêcheur et unemmerdeur, et tu peux parier qu’ilappréciera pas qu’on s’imbibe enservice.

— Ouais, et c’est Frieling, le chef deposte, et c’est un putain de poivrotcomme toi. Alors ne t’en fais pas pourExley. Et avant ça, j’ai un rapport àrédiger. Alors, allons-y, un point, c’esttout.

Stens éclata de rire.

— Agression, et coups et blessures surune femme ? C’est quoi, ça, six cent vingtvirgule un dans le code pénal deCalifornie ? Moi, ch’suis un putain depoivrot, et toi t’es un putain de bonSamaritain.

— Ouais, et t’es le plus élevé en grade.Alors quoi, on y va ?

Stens lui fit un clin d’œil ; Bud avança

de flanc jusqu’au porche d’entrée, arme àla main. Il faisait sombre dans la cahute,tous rideaux tirés ; Bud entendit une pubradio : Félix le Chat pour Chevrolet. Dickdéfonça la porte d’un coup de pied.

Hurlements. Un mex et une femme entrain de s’engueuler. Stens qui vise àhauteur de tête ; Bud qui lui bloque lebras. Un couloir, Bud qui se rapproche dela cible, Stens qui souffle comme unasthmatique, à renverser les meubles. Lacuisine, les deux espingouins bloqués enimpasse contre la fenêtre.

Ils se retournent, lèvent les bras : unpetit truand pachuco, une jolie fille,enceinte, de peut-être six mois.

Le garçon embrassa le mur. Une fouille

de pro, c’est Bud qui fit le boulot :papiers d’identité – Dinardo Sanchez –petite monnaie. La fille beuglait à grossanglots ; les sirènes couinèrent audehors. Bud fit pivoter Sanchez, luienvoya un coup de pied dans les couilles.

— Pour nos gars, Pancho. Et tu t’en esbien tiré.

Stens agrippa la fille.

— Va ailleurs, ma jolie, dit Bud. Avantque mon ami ne vérifie ta carte verte La«carte verte» la fit verdir. « Madre mia !Madre mia ! » Stens la poussa vers laporte ; Sanchez gémit. Bud vit un essaimde bleus dans l’allée.

— On les laissera embarquer Pancho.

Stens retrouva un peu de souffle.

— On va le refiler aux potes deBrownell.

Deux flics à l’allure de bleusailleentrèrent ; Bud vit sa porte de sortie.

— Passez-lui les menottes etembarquez-le. Motif : AOS – Agressionsur Officier en Service – et refusd’obtempérer.

Les bleusailles traînèrent Sanchezdehors.

— Toi et les femmes, dit Stens. Après,ce sera quoi ? Les mômes et les chiens ?

Madame Ralphie, couverted’ecchymoses pour Noël.

— J’étudie la question. Allez, viens,faut déménager toute cette gnôle. Soisgentil et je te laisserai la bouteille pourtoi tout seul.

2

Preston Exley tira sur la toile deprotection. Grands ooh ! et ahh ! dans lafoule des invités ; un conseiller municipalapplaudit, renversant son porto flip surune dame patronnesse. Ed Exley se dit :pour un policier, ce n’est pas vraiment làun réveillon de Noël typique.

Il consulta sa montre – 8 h 46. Il devaitêtre de retour au poste à minuit. PrestonExley indiqua la maquette.

Elle occupait la moitié de sa piècerefuge : un parc d’attractions plein demontagnes en carton-pâte, de vaisseauxspatiaux, de villes de l’Ouest sauvage. À

la grille, des personnages de bandedessinée : Moochie Mouse, ScooterSquirrel, Danny Duck – la couvée deRaymond Dieterling –, vedettes duprogramme télévisé, Dream-a-DreamHour (l’Heure de Rêve) et de quantité dedessins animés.

— « Mesdames et messieurs, je vousprésente Dream-a-Dreamland, le Pays deRêve. Il sera bâti par les entreprises deconstruction Exley à Pomona, enCalifornie, et la date d’ouverture estprévue pour avril 1953. Ce sera le parcd’attractions le plus élaboré et le pluscomplet de toute l’histoire, un universautonome où les enfants de tous âgesseront à même d’apprécier pleinement lemessage de joie, de plaisir et de bien qui

est le sceau de Raymond Dieterling, lepère de l’animation moderne. Dream-a-Dreamland mettra en scène tous vospersonnages favoris, et sera le refuge detous les jeunes et de tous ceux dont lecœur est resté jeune.

Ed fixa ses regards sur son père :cinquante-sept ans, l’allure d’un hommede quarante-cinq, flic descendant d’unelongue lignée de flics, en train de pérorerdans une résidence de Hancock Park,avec, à ses pieds, tous ces politiciens quiavaient abandonné leur réveillon de Noëlsur un claquement de ses doigts. Lesinvités applaudirent ; Preston leur indiquaune montagne à la cime enneigée.

— Le monde de Paul, mesdames et

messieurs. Une réplique exacte, àl’échelle, d’une montagne de la SierraNevada. Le monde de Paul vous donnerale frisson dans sa descente en toboggan,et dans le chalet de ski, Moochie, Scooteret Danny interpréteront leurs petitessaynètes pour la joie de toute la famille.Et qui est le Paul de la Montagne ? Paulétait le fils de Raymond Dieterling,décédé tragiquement, encore adolescent,en 1936, englouti par une avalanche aucours d’une randonnée de camping, perdusur une montagne exactement identique àcelle-ci. Ainsi, d’une tragédie est née uneaffirmation d’innocence. Et, mesdames etmessieurs, sur chaque dollar qui seradépensé au monde de Paul, cinq centsiront à la Fondation pour les enfants

polio.

Applaudissements frénétiques. Prestonfit un signe de tête à Timmy Valburn,l’acteur qui interprétait Moochie Mousependant l’Heure de Rêve, et qui grignotaitun morceau de fromage de ses grandesdents de cheval. Valburn donna un coupde coude à l’homme qui était son voisin ;le voisin lui rendit son coup de coude.

Art De Spain attira l’œil d’Ed ;Valburn entama son petit numéro deMoochie. Ed dirigea De Spain endirection du couloir.

— C’est une sacrée surprise, Art.

— Dieterling va en faire l’annoncependant l’Heure de Rêve. Ton père ne t’a

rien dit ?

— Non, et je ne savais pas qu’ilconnaissait Dieterling. L’a-t-il rencontré àl’époque de l’affaire Atherton ? Est-ceque Wee Willie Wennerholm n’était pasl’un des enfants vedettes de Dieterling ?

De Spain sourit.

— À l’époque, je n’étais que lemodeste adjudant de ton père, et je nepense pas que les chemins de ces deuxgrands hommes se soient jamais croisés.Preston connaît les gens, tout simplement.Et, à propos, as-tu repéré l’homme-souriset son pote ?

Ed acquiesça.

— Qui est-ce ?

Rires en provenance de l’antre de sonpère ; De Spain conduisit Ed jusqu’aubureau.

— C’est Billy Dieterling, le fils deRay. Il est cameraman à l’Insigne duCourage, qui glorifie notre bien-aiméLAPD aux yeux de millions detéléspectateurs chaque semaine. Peut-êtrebien que Timmy lui étale un peu defromage sur son machin avant de lui faireun pompier.

Ed éclata de rire.

— Art, tu déconnes !

De Spain se vautra dans un fauteuil.

— Eddie, d’ex-flic à flic, tu dis desmots comme « déconne » et on croirait

entendre un prof d’université. Et tu n’espas vraiment un « Eddie », t’es un «Edmund ».

Ed se carra les lunettes sur le nez.

— Je sens venir les conseilsavunculaires : rester aux Patrouilles,parce que Parker est devenu chef de cettemanière. Grimper les échelons côtéadministration, parce que je n’ai ni laprésence ni l’autorité suffisantes pourcommander.

— Tu n’as aucun sens de l’humour. Ettu ne peux pas te débarrasser de tescarreaux ? Plisse les yeux, fais quelquechose ! Hormis Thad Green, je ne voispas un seul mec du Bureau qui porte deslunettes.

— Seigneur, il te manque, le Service !Je pense que si tu pouvais laisser tomberExley Constructions et tes cinquante milleannuels pour une place comme jeunerecrue au LAPD, tu le ferais.

De Spain alluma un cigare.

— Seulement si ton père venait avecmoi.

— Comme ça ? Tout simplement ?

— Tout simplement. J’étais lieutenantquand Preston était inspecteur, et je suistoujours numéro deux. Ce serait chouettede me retrouver à égalité avec lui.

— Si tu ne connaissais rien au bois decharpente, Exley Constructionsn’existerait pas.

— Merci. Et débarrasse-toi de ceslunettes.

Ed prit en main une photo encadrée :son frère Thomas en uniforme – prise laveille de sa mort.

— Si tu étais une jeune bleusaille, je tebriserais pour insubordination.

— Je le sais, tu le ferais. Qu’as-tuobtenu comme résultats à l’examen delieutenant ?

— Premier sur vingt-trois candidats.J’ai été le plus jeune des candidats desdernières années, c’est moi qui ai servi lemoins longtemps dans le grade de sergent,pour la période de service la plus courte.

— Et tu veux le bureau des inspecteurs

?

Ed reposa la photo.

— Oui.

— Dans ce cas, pour commencer, ilfaut que tu comptes un an minimum pourqu’apparaisse une bonne ouverture ;ensuite, il faut que tu comprennes que cesera probablement une ouverture auxPatrouilles ; et ensuite, il faut que tucomprennes qu’un transfert au Bureauprendra des années et beaucoup de culs àlécher. Tu as vingt-neuf ans, aujourd’hui ?

— Oui.

— Alors, tu seras lieutenant à trente outrente et un ans. Galonnard si jeune, çafait des jaloux. Ed, toute plaisanterie mise

à part, tu n’es pas un mec fait pour ça. Tun’es pas du genre à jouer des poucettes età faire violence. T’es pas Bureau. EtParker, comme chef, a établi un précédentqui autorise les agents des Patrouilles àmonter jusqu’en haut de l’échelle.Penses-y.

— Art, dit Ed, je veux travailler surdes affaires criminelles. J’ai des relationset j’ai été décoré de la DistinguishedService Cross, ce que certainespersonnes pourraient considérer commeune réussite, question poucettes et bras defer. Et je veux – et j’obtiendrai – unenomination au Bureau.

De Spain brossa un peu de cendres surla ceinture de son smoking.

— Un peu fort de la gueule, non, P’titJim ?

Le terme affectueux fit mouche et luiresta sur l’estomac.

— Bien sûr.

— Eh bien… tu es doué, et avec letemps lu pourrais devenir vraiment bon.Et je ne doute pas un seul instant de tesinstincts de tueur, mais ton père étaitquelqu’un d’impitoyable…qui attirait lasympathie. Ce que tu n’es pas ; enconséquence…

Ed serra les poings.

— En conséquence, quoi, oncle Arthur? De flic qui a quitté le Service pour lefric, à flic qui ne ferait jamais ça : quel

conseil vas-tu m’offrir ?

De Spain tiqua.

— Alors, sois sycophante jusqu’aubout, et lèche les hommes bien placés.Baise le cul de William H. Parker, et priepour te trouver à l’endroit où il faut aumoment où il le faut.

— Comme toi et mon père ?

— Touché, P’tit Jim.

Ed regarda son uniforme bleu marineréglementaire, pendu au cintre. Pli rasoir,galons de sergent, une seule barrette.

— Les barrettes dorées sont pourbientôt, Eddie. Et une tresse sur lacasquette. Et si je ne m’intéressais pas àtoi, je ne serais pas là à te tirer sur la

laisse.

— Je sais.

— Et en plus, tu es effectivement unnom de Dieu de héros de la guerre !

Ed changea de sujet.

— C’est Noël. Tu penses à Thomas…

— Je n’arrête pas de penser quej’aurais pu lui dire quelque chose. Iln’avait même pas ouvert le couvercle deson étui.

— Un voleur de sac à l’arraché avecune arme ? Impossible de prévoir.

De Spain éteignit son cigare.

— Thomas était fait pour ça, c’était sanature, et j’ai toujours pensé que ç’aurait

été à lui de m’apprendre des choses.C’est pour ça que j’ai tendance à temettre les points sur les I.

— Il est mort depuis douze ans, et c’estmoi qui l’enterrerai définitivementcomme policier.

— J’oublierai ce que tu viens de dire.

— Non, souviens-t’en. Souviens-toi deça quand je serai au Bureau. Et quandPère va commencer à porter des toasts ausouvenir de Thomas et de Mère, nedeviens pas sentimental. Il estirrécupérable, ensuite, et ça dure desjours.

De Spain se leva, les jouesempourprées. Preston Exley fit son entrée

avec bouteille et ballons à cognac.

— Joyeux Noël, Père, dit Ed, etfélicitations.

Preston servit à boire.

— Merci. Exley Constructions va plusloin que l’autoroute d’Arroyo Seco, enbâtissant un royaume à la gloire d’unrongeur. Et c’est fini, je ne toucherai plusjamais à un morceau de fromage. Untoast, messieurs. Au repos éternel de monfils Thomas et de mon épouse Marguerite,à nous trois réunis ici.

Les hommes burent. De Spain s’occupade resservir, Ed proposa le toast favoride son père : — À la résolution descrimes qui exigent une absolue justice.

Trois verres de plus séchés.

— Père, dit Ed, je ne savais pas que tuconnaissais Raymond Dieterling.

Preston sourit.

— Je le connais comme relationd’affaires depuis des années. Art et moiavons gardé le contrat secret à la requêtede Raymond : il veut l’annoncer à latélévision, au cours d’un de sesprogrammes pour enfants.

— L’as-tu rencontré au cours del’affaire Atherton ?

— Non, et à l’époque, naturellement, jen’étais pas dans les travaux publics.Arthur, as-tu un toast à nous proposer ?

De Spain servit de petites doses.

— À une nomination au Bureau pourcelui qui sera très bientôt lieutenant.

Rires, sous-entendus.

— Joan Morrow, dit Preston, serenseignait sur la vie amoureuse,Edmund. Je pense qu’elle est à croquer.

— Tu t’imagines, une débutante époused’un flic ?

— Non, mais je la verrais bien mariéeà un policier gradé.

— Un chef des inspecteurs ?

— Non, je pencherais plutôt pourquelque chose du genre commandant de ladivision des Patrouilles.

— Père, Thomas allait devenir ton chef

des inspecteurs, mais il est mort. Ne merefuse pas cette possibilité. Ne m’obligepas à faire vivre un de tes vieux rêves.

Preston regarda son fils dans les yeux.

— Tu as fait valoir ton point de vue, jel’accepte, et je te félicite pour avoirparlé. Et je te l’accorde, c’était bien ça,mon rêve, à l’origine. Mais la vérité,c’est que je ne crois pas que tu possèdescet instinct des faiblesses humaines quifait un bon inspecteur.

Son frère : un cerveau de matheux,complètement givré pour les jolies nanas.

— Et Thomas le possédait, lui ?

— Oui.

— Père, ce voleur à l’arraché, je

l’aurais descendu à la seconde où ilaurait mis la main à sa poche.

— Nom de Dieu ! dit De Spain.

Preston lui fit signe de se taire.

— Ça va bien. Edmund, quelquesquestions avant que je retourne auprès demes invités. Un, serais-tu prêt à monterune accusation de toutes pièces en collantdes preuves matérielles factices sur unsuspect dont tu es certain de laculpabilité, afin d’obtenir une inculpationà coup sûr ?

— Il faudrait que je…

— Réponds par oui ou non.

— Je… non.

— Deux, serais-tu prêt à abattre dansle dos des cambrioleurs endurcis etarmés, pour réduire à néant toutepossibilité pour eux d’utiliser des faillesdu système légal et de repartir libres ?

— Je…

— Oui, ou non, Edmund !

— Non.

— Trois, serais-tu prêt à tenterd’obtenir des aveux en passant à tabacdes suspects dont tu saurais qu’ils sontcoupables ?

— Non.

— Et quatre, serais-tu prêt à truquerdes preuves sur les lieux mêmes ducrime, afin d’étayer les hypothèses de

travail d’un procureur de l’accusation ?

— Non.

Preston soupira.

— Alors, pour l’amour du ciel,contente-toi d’affectations où tu n’auraspas à faire ces choix. Utilisel’intelligence supérieure que le Seigneurt’a donnée.

Ed regarda son uniforme.

— J’utiliserai cette intelligence en tantqu’inspecteur.

Preston sourit.

— Inspecteur ou pas, tu as en toi desqualités de persévérance qui manquaientà Thomas. Tu excelleras, mon héros de la

guerre.

Le téléphone sonna ; De Spaindécrocha. Ed pensa à des tranchées jappiégées – et ne réussit pas à croiser leregard de Preston.

— C’est le poste, dit De Spain. Lelieutenant Frieling. Il dit que les cellulesaffichent presque complet. Deux agentsont été agressés au début de la soirée.Deux suspects sont sous les verrous,quatre autres sont en fuite. Il a dit que tudevrais prendre ton poste en avance.

Ed se retourna vers son père. Prestonétait dans la salle, à échanger desplaisanteries avec le maire Bowron enchapeau Moochie Mouse.

3

Un tableau de liège chargé de coupuresde presse : LE CROISÉ DE LA DROGUE

BLESSÉ DANS UNE FUSILLADE.

L’ACTEUR MITCHUM ARRÊTÉ

POUR POSSESSION DE MARIJUANA AUCOURS D’UNE DESCENTE DE POLICE.

Sur le bureau, encadrés, des articles del’Indiscret : LES CAMÉS TREMBLENT LÀ OÙPASSE

LE GRAND FLIC, FLÉAU DES DROGUÉS.

LES ACTEURS SONT D’ACCORD : L’INSIGNEDU COURAGE

DOIT SON AUTHENTICITÉ

À UN CONSEILLER TECHNIQUE AUPARFUM.

L’article sur l’Insigne était illustréd’une photo : le sergent Jack Vincennesen compagnie de la vedette duprogramme, Brett Chase. L’articlen’incluait pas dans ses colonnes lessaletés privées que le rédacteur en chefgardait dans ses dossiers personnels :Brett Chase, le pédophile, avec troisaccusations pour sodomie, étouffées dansl’œuf.

Jack Vincennes regarda autour de lui,la taule des Stups, déserte et sombre.Rien qu’une lumière, celle de son cagibi.Encore dix minutes jusqu’à minuit : ilavait promis à Dudley Smith qu’iltaperait au propre un rapport sur le crime

organisé, pour la division desRenseignements ; il avait promis aulieutenant Frieling une caisse de gnôlepour la fiesta du poste ; Sid Hudgens, del’Indiscret, était censé venir apporter durhum, mais il n’avait pas encore appelé.Le rapport pour Dudley : une fleur qu’illui faisait parce qu’il était à cent motsminute ; la fleur serait repayée lelendemain : rencart à déjeuner avec Dudet Ellis Loew, au Pacific Dining Car, etdu boulot à la clé, du boulot qui lemettrait dans les bons papiers du Bureaudu Procureur. Jack alluma une cigarette etlut.

Pour un rapport, c’était un rapport :onze pages, style très verbeux, trèsDudley. Sujet : les activités de la pègre

de L.A., avec Mickey Cohen hors course,au placard. Jack recomposa et passa à lafrappe.

Cohen était à la prison fédérale deMcNeil Island : trois à sept ans pourfraude fiscale. Davey Goldman, l’hommefric de Mickey, était là aussi : trois à septans pour six inculpations de fraudefiscale. Smith prédisait de possiblesescarmouches entre le mignon de Cohen,Morris Jahelka, et Jack Whalen, «leRégulateur» ; avec le grand patron de lamafia Jack Dragna déporté, c’était lesdeux noms les plus probables à l’horizonpour reprendre en mains les prêtsd’usure, les paris clandestins, laprostitution, et le racket des servicestélégraphiques des résultats des courses.

Smith déclarait que Jahelka présentaittrop peu d’intérêt pour mériter unesurveillance de la police ; apparemment,John Stompanato et Abe Teitlebaum,gorilles en chef de Cohen, se tenaient àcarreau. Lee Vachs, gâchette employéepar Cohen sur contrat, avait monté unracket religieux : il revendait desmédicaments brevetés, qui, une foisingérés, garantissaient des expériencesmystiques.

Jack continua sa frappe. Le cadrage deDud tombait à côté de la plaque : JohnnyStomp et Kikey Teitlebaum étaient destordus par nature, impossible pour eux deredevenir jamais des réglos dans l’âme.

Il engagea une feuille vierge.

Nouveau sujet : conseil de paix Cohen-Dragna, février 50, vingt-cinq livresd’héroïne et cent cinquante bâtonsprétendument volés. Jack avait entendudes bruits : un ex-flic du nom de BuzzMeeks avait braqué le grand sommet ets’était taillé, avant d’aller se fairedescendre du côté de San Bernardino ;des nervis de Cohen et des flics pourrisde L.A. l’avaient tué, sur contrat deMickey : Meeks avait nettoyé Cohenjusqu’à l’os et lui avait baisé sa poule.Ça faisait un bail que la horse étaitcensée avoir disparu. Théorie de Dudley: Meeks avait enterré le pognon et le shit– planque inconnue –, pour se faireabattre ensuite par « une ou plusieurspersonnes inconnues », probablement des

tueurs de Cohen. Jack sourit : si le LAPDétait mouillé dans le carton sur Meeks,Dud n’irait jamais impliquer le Service,même dans un rapport interservice.

Ensuite, résumé de Smith : Mickey C.disparu, les affaires des truandstournaient au ralenti ; le LAPD devraitgarder les yeux ouverts pour repérer lesnouveaux venus qui chercheraient àmettre la main sur les vieux rackets deCohen ; la prostitution débordait sur leslimites du comté, services du shérif, avecl’assentiment des hommes de ce dernier.Jack signa la dernière page : «Respectueusement, lieutenant D.L. Smith.»

Le téléphone sonna.

— Stups, Vincennes.

— C’est moi. T’as faim ?

Jack se retint de piquer une rogne –facile, avec tout ce que Hudgens pouvaitavoir sur lui.

— Sid, t’es en retard. Et la soirée adéjà commencé.

— J’ai trouvé mieux que la gnôle. J’aidu liquide.

— Accouche.

— Accroche-toi : Tammy Reynolds,co-vedette de Hope’s Harvest, « LesMoissons de l’espoir » grande premièredemain, toute la ville est invitée. Un mecque je connais vient de lui vendre descigarettes de hash, inculpation garantie si

tu la pinces. Elle reçoit et elle allume au2245, Maravilla, Hollywood Hills. Tu lapinces, et tu as droit à la première duprochain numéro. Parce que c’est Noël, jelaisse filer le tuyau jusqu’à MortyBendish, du Mirror, comme ça tu aurasaussi droit aux quotidiens. Plus cinquanteau comptant et ton rhum. Alors, c’est pasmoi, le putain de Papa Noël ?

— Des photos ?

— Cinq sur cinq. Tu mets le blazerbleu marine, ça va bien avec tes yeux.

— Cent, Sid. J’ai besoin de deuxpatrouilleurs à vingt pièce, plus un petitquelque chose au commandant de gardedu poste de Hollywood. Et c’est toi quirègles la musique !

— Jack ! C’est Noël !

— Non, c’est une inculpation pourpossession de marijuana.

— Merde ! Une demi-heure ?

— Accroche-toi : vingt-cinq minutes.

— J’y serai, espèce de salopardd’extorsionniste.

Jack raccrocha, marqua son calendrierd’un X. Une journée de plus, pas degnôle, pas de came – quatre ans et deuxmois d’affilée.

Son théâtre n’attendait plus que lui :Maravilla bouclé, deux bleus en uniformeà côté de la Packard de Sid Hudgens, leurvoiture pie sur le trottoir. La rue étaitsombre et rien ne bougeait ; Sid avait fait

installer une lampe à arc. Ils avaient unevue en enfilade sur le boulevard, leChinois de Grauman y compris, superbepour un cliché d’entrée en matière. Jackse gara et s’approcha.

Sid l’accueillit avec du liquide.

— Elle s’est installée dans l’obscuritéet elle se défonce à l’arbre de Noël –Drinamyl –. La porte a l’air bien fragile.

Jack dégaina son 38.

— Dis aux garçons de mettre la gnôledans mon coffre. Tu veux le restau deGrauman en arrière-plan ?

— Ça me plaît, ça ! Jackie, t’es lemeilleur de tout l’Ouest !

Jack le cadra : sec, décharné comme un

épouvantail, quelque part entre trente-cinq et cinquante ans – conservateur desaloperies confidentielles par excellence.Deux solutions : ou bien il était aucourant pour le 24 octobre 47, ou bienpas ; si oui, alors, leur petit arrangementétait un mariage à vie.

— Sid, quand je la ferai sortir par laporte, je ne veux pas de ce nom de Dieude mini-projo dans les yeux. Dis ça à toncameraman.

— Considère que c’est fait.

— Bien, alors tu commences le compteà rebours à vingt.

Hudgens commença le décompte ; Jackmonta le perron et défonça la porte du

pied. La lampe à arc s’alluma, un salonen plein dans le cadre : arbre de Noël, etdeux mômes en sous-vêtements en trainde se peloter.

— Police ! hurla Jack.

Les tourtereaux se gelèrent sur place ;lumière sur un sachet d’herbe bien dodusur le canapé.

La fille se mit à chialer ; le garçonessaya d’atteindre son pantalon. Jack mitun pied sur sa poitrine.

— Les mains, lentement.

Le garçon colla les poignets ; Jack luipassa les menottes d’une main. Les bleusdéboulèrent et firent main basse sur lespreuves matérielles. Jack colla un nom au

petit camé : Rock Rockwell, jeunepremier de la RKO. La fille se mit àcourir ; Jack l’agrippa. Deux suspects aucollet, direction la sortie, et descente duperron.

Hudgens hurla :

— Grauman, pendant qu’on a lalumière !

Jack cadra ses deux suspects : petitsmignons à moitié nus dans leurs sous-vêtements. Explosions d’ampoules deflash ; hurlements de Hudgens : —Coupez ! Emballez !

Les bleus prirent la relève en traînantRockwell et la fille toujours chialantjusqu’à leur rôdeuse. Des fenêtres

s’éclairèrent ; des portes s’ouvrirentdevant des badauds. Jack retourna à lamaison.

Brume de marijuana – quatre ans plustard, le shit avait toujours la même bonneodeur. Hudgens ouvrait les tiroirs, sortaitgodemichés et colliers cloutés. Jacktrouva le téléphone, vérifia le répertoired’adresses pour quelques noms defourgueurs – peau de balle. Une cartetomba du calepin : FLEUR DE LIS – VINGT-QUATRE HEURES SUR VINGT-QUATRE – TOUTCE QUE VOUS DÉSIREZ.

Sid commença à marmonner. Jack remitla carte en place.

— Fais-nous un peu entendre ce que çadonnera.

Hudgens s’éclaircit la gorge :

— C’est le matin de Noël dans la Citédes Anges ; tandis que les bons citoyensdorment du sommeil du juste, les camésrôdent à la recherche de marijuana,l’herbe qui prend ses racines en enfer.Tammy Reynolds et Rock Rockwell,vedettes de cinéma ayant un pied chezHadès s’échangent leur thé de douceurdans la superbe crèche de Tammy, àHollywood, sans savoir qu’ils jouentavec le feu à mains nues, sans gantsd’amiante, sans savoir qu’un homme esten route pour éteindre l’incendie. Iltravaille seul, il est célèbre, il pourchassele crime : Jack Vincennes, le Grand V, lefléau de tous les téteurs d’herbe et desdémons de la came, où qu’ils se trouvent.

Sur un renseignement d’un informateuranonyme, le sergent Vincennes, bla-bla-bla… Ça te plaît, Jackie ?

— Ouais, c’est très fin.

— Non, c’est une diffusion qui sechiffre à neuf cent mille exemplaires ; etelle grimpe. Je crois que je m’arrangeraipour placer que t’as divorcé deux foispasque ta femme ne pouvait plussupporter ta croisade, et que tu dois tonnom à l’orphelinat de Vincennes, Indiana: le Grand Véééé.

Son sobriquet aux Stups : Jack laPoubelle – petit clin d’œil à l’époque oùil avait cravaté Charlie Parker « Yardbird» avant de le balancer dans une poubellepleine d’ordures, à l’extérieur du Klub

Zamboanga.

— Tu devrais battre le rappel pourl’Insigne du Courage. Miller Stanton,c’est un pote à moi ; c’est moi qui aiappris à Brett Chase à jouer un flic. Petiteparenté côté conseiller technique, tu voisle genre de truc.

Hudgens éclata de rire.

— Brett les aime toujours prépubères ?

— Et les négros, ça sait danser ?

— Au sud de Jefferson Boulevarduniquement. Merci pour le coup de main,Jack.

— Pas de problème.

— Je ne blague pas. C’est toujours un

plaisir de te voir.

Putain de cafard, tu vas maintenant mefaire un petit clin d’œil, parce que tu saisque tu peux m’épingler en me caftant àWilliam H. Parker, ce connard de pépé-la-morale, quand tu veux – toutes lesdescentes de 48 avec liquide à la clé –, ett’as probablement arrangé toute ta docpour te tirer de là avec le nez propre etme crucifier…

Hudgens cligna de l’œil.

Jack se demanda s’il avaiteffectivement tout noir sur blanc.

4

La soirée battait son plein : pas uneplace assise dans la salle de revue.

Bar ouvert et gratis : scotch, bourbon,une caisse de rhum rapportée par JackVincennes la Poubelle. La bibine de DickStensland était collée dans le distributeurd’eau fraîche : Old Crow, et lait de poule.Un phonographe crachotait des chants deNoël paillards : Papa Noël et son renne,en train de foutre et de tailler des plumes.La salle était bourrée à craquer : bleus duposte de nuit, brigade de Central –assoiffés d’avoir rameuté les clodos.

Bud observa la foule. Fred Turentine

balançait des fléchettes sur les affiches decriminels recherchés ; Mike Krugman etWalt Dukeshearer jouaient à « Un nom surle négro », à essayer d’identifier lesphotos anthropo de Nègres, à un quart dedollar la devinette. Jack Vincennes buvaitdu soda ; le lieutenant Frieling était dansles vaps à son bureau. Ed Exley essaya decalmer un peu les hommes, abandonna etse remit à son boulot de placard : prendreles coordonnées des prisonniers etclasser les rapports d’arrestation.

Pratiquement tous les présents étaientivres ou faisaient tout pour le devenir.

Pratiquement tous les présentsdiscutaient le coup sur Helenowski etBrownell, sur les tabasseurs de flics déjà

sous les verrous, et sur les deux quicouraient encore.

Bud se tenait près de la fenêtre. Desrumeurs confuses venaient lui titillerl’oreille : Brownie Brownell avait lalèvre arrachée jusqu’au nez, un desrouleurs de saucisses avait arrachél’oreille de Helenowski d’un coup dedents, Dick Stens avait pris le fusil etétait parti à la chasse aux espingos. Ilaccorda quelque crédit à ce dernier bruit: il avait vu Dick chargé d’un fusil àpompe Ithaca, qui partait en direction duparking.

Le bruit se faisait de plus en plusviolent. Bud sortit jusqu’au parking ets’appuya contre une rôdeuse.

Un petit crachin se mit à tomber.Boucan et fracas près de la porte de laprison : Dick Stens était en train defourrer deux hommes à l’intérieur.Hurlements. Bud rabaissa la cote sur leschances de Stens de tirer ses vingt ansjusqu’au bout : avec lui comme chien degarde, un contre un ; sans lui, deux contreun, perdant. Des échos en provenance dela salle de revue : la voix de ténor deDoherty, en train de larmoyer SilverBells.

Bud s’éloigna de la musique – elle lefaisait penser à sa mère. Il alluma unecigarette et pensa à elle de toute façon.

Il avait vu le massacre de ses propresyeux : seize ans, impuissant à l’arrêter.

Son vieux était rentré à la maison ; ilavait dû être convaincu parl’avertissement de son fils : tu touchesMère encore une fois et je te tue.Sommeil ; réveil, menottes aux poignetset aux chevilles : il avait vu le fumierbattre Mère à mort avec un démonte-pneu.Il avait hurlé, la gorge à vif ; il était restédans la pièce avec le corps, toujoursmenotté : une semaine, pas d’eau, fièvreet délire… il avait assisté aupourrissement de sa mère. Un agentl’avait découvert ; les hommes du shérifde L.A. avaient arrêté le vieux. Procès,défense fondée sur des capacités mentalesdiminuées, tractations, accusationramenée à homicide involontaire. Prisonà vie, le vieux libéré sur parole au bout

de douze ans. Son fils – agent WendellWhite, LAPD – décidé à le tuer.

Le vieux était introuvable.

Il avait séché sa conditionnelle. Àrôder dans ses repaires de L.A., Budn’avait rien trouvé. Mais il continuait àchercher, il continuait à s’éveiller au bruitde femmes en train de hurler. Il enquêtaittoujours jusqu’au bout, au moindre cri ;mais ce n’était toujours que des filets debruits, qui partaient en fumée. Une fois, ilavait défoncé une porte et était tombé surune femme qui s’était brûlé la main. Uneautre fois, il était entré de force pourdécouvrir un mari et sa femme en train defaire l’amour.

Le vieux restait introuvable.

Il avait réussi son entrée au Bureau, endoublette avec Dick Stens, son partenaire.Dick lui avait montré les ficelles dumétier. Il avait écouté son histoirejusqu’au bout avant de lui dire de sechoisir ses têtes de Turcs pour régler sescomptes. Papy resterait introuvable, maisà force de cogner sur les tabasseurs defemmes, il réussirait peut-être à se sortirses cauchemars de la tête. Pour sonnuméro un, Bud se choisit un cas depremière bourre : dérouillage domestiqueavec une plaignante qui se prenait desavoinées depuis des lustres, et uncoupable qui était déjà tombé trois fois.Bud avait fait un détour par la prison etavait proposé au mec de se payer un petitpas de tango avec un homme, pour

changer : pas de menottes ; en cas devictoire, il se taillait, libre. Le mec avaitaccepté ; Bud lui avait fracassé le nez etla mâchoire et lui avait éclaté la rate d’uncoup de pied. Dick avait raison : sesmauvais rêves s’étaient arrêtés.

Sa réput’ grandit : le mec le plus dur detout le LAPD.

Il fit tout pour la mériter ; il suivait sesaffaires ; appels d’intimidation si lesfumiers étaient acquittés ; bienvenue ladérouille à leur retour, s’ils étaientcondamnés puis libérés sousconditionnelle. Il s’obligeait à ne pasaccepter de tirer ses coups parreconnaissance et se trouvait des femmesailleurs. Il conservait des listes à jour –

dates des procès et des libérations surparole – et envoyait des cartes postalesaux fumiers dans les fermes-prisons : ils’était retrouvé avec des plaintes sur ledos pour intimidation et usage de la forceet les avait fait sauter à la dure. DickStens avait fait de lui un inspecteurhonnête ; aujourd’hui, c’est lui qui jouaità la nounou avec son professeur : il legardait à peu près sobre en service et leretenait quand il bandait un peu tropd’appuyer sur la gâchette pour le plaisir.Il avait appris à se réfréner et à restermaître de lui ; aujourd’hui, Stens étaitpourri de mauvaises habitudes : picoler àl’œil dans les bars, laisser filer lesbraqueurs en douce en échange detuyaux…

La musique se mit à jouer faux :quelque chose n’allait pas, c’était pasvraiment de la musique. Bud perçut descouinements, des hurlements enprovenance de la prison.

Le bruit doubla, tripla. Bud vit untroupeau en folie, de la salle de revue aubloc des cellules. Un éclair : Stensdevenu cinglé, la gnôle, une fiesta àl’horizon – dérouiller les dérouleurs deflics. Il partit au pas de course et atteignitla porte en bout de sprint.

La passerelle bourrée à craquer, lesportes des cellules ouvertes, deux lignesqui se forment. Exley qui hurle pourramener l’ordre, se frayant un chemindans la cohue pour arriver nulle part. Bud

trouva la liste des prisonniers ; six nomscochés : Sanchez, Dinardo ; Carbijal,Juan ; Garcia, Ezekiel ; Chasco, Reyes ;Rice, Dennis ; Valupeyk, Clinton – lestabasseurs de flics sous les verrous.

Les clodos de la cage à poivrotsencourageaient les hommes.

Stens arriva à la cellule 4 – battantl’air de ses mains garnies de coups-de-poing en laiton.

Willis Tristano épingla Exley contre lemur ; Crum Crumley lui attrapa ses clés.

Les flics s’enfournèrent dans lescellules, l’une après l’autre. Elmer Lentz,éclaboussé de sang, le visage ricanant.

Jack Vincennes à côté du bureau du

commandant de poste – le lieutenantFrieling en train de ronfler à sa table.

Bud déboula en force dans la mêlée.

Il se ramassa des coudes qui sefrayaient un chemin ; les hommes virentqui c’était et ouvrirent un passage. Stensse glissa dans la cellule numéro 3 ; Budpoussa pour entrer. Dick était en train detravailler un pachuco décharné – à coupsde matraque sur la tête ; le môme, àgenoux, crachait ses dents. Bud agrippaStensland ; le mex recracha du sang.

— Hééé, Monsieur White. Ch’teconnais, ‘spèce de pute. T’as tabassé monami Caldo pasqu’il avait dérouillé sapute de femme. C’était qu’une salope, uneputain de radasse, pendejo ! T’as donc

rien dans ton putain de ciboulot ?

Bud laissa partir Stens ; le mex lui fitsigne d’aller se faire foutre, d’un doigt enl’air. Bud l’étendit d’un coup de pied, àplat ventre, avant de le ramasser par lapeau du cou. Acclamations : « Ça, c’t’unmec, pute vierge ! » Bud cogna la tête dupetit tocard au plafond ; un uniforme bleuvint se cogner à lui sans faire de cadeau.Et la voix de gosse de riche d’Ed Exley :— Arrêtez, officier – c’est un ordre !

Le mex lui balança un pied dans lescouilles – d’une jambe qui pendouillait.Bud alla tourner de l’œil dans lesbarreaux ; le môme sortit de la cellule enchancelant, en plein dans Vincennes laPoubelle sidéré – du sang sur son blazer

en cachemire. Il étala le petit tocardd’une gauche-droite ; Exley s’enfuit dubloc des cellules en courant.

Hurlements, cris, gueulantes : plus fortque mille sirènes en code 3.

Stens sortit une pinte de gin. Bud vittous les hommes présents largués dans lesoubliettes de Négroville pour le restantde leurs jours. Debout sur la pointe despieds, un spectacle de première : Exleyen train de vider de la gnôle, à l’abri dansla salle d’archives.

Des voix : « Ça, c’t’un mec, le GrandBud ! » Des visages sur les voix :gauchies, déformées, qui ne cadraientpas. Et Exley qui vidait toujours, M.Régime sec, M. le Grand Témoin en

personne. Bud descendit la passerelle aupas de course et le verrouilla, sous clé, àdouble tour.

5

Enfermé dans une pièce de deux mètrescinquante de côté. Pas de téléphone, pasde fenêtre, pas d’interphone. Des étagèresqui débordaient de formulaires,serpillières, balais ; un évier bouchéplein de vodka et de rhum. La porte étaitd’acier blindé ; le ragoût de gnôle sentaitle vomi. Des cris, des bruits decognements assourdis résonnaient àtravers une ouïe de ventilation.

Ed cogna à la porte – pas de réactions.Il hurla dans la grille d’aération – et sereçut de l’air chaud sur la figure. Il serevit, épinglé au mur, en train de se faire

faire les poches ; par des mecs du Bureauqui s’étaient dit qu’il ne cafterait jamais.Il se demanda ce que ferait son père.

Le temps passa ; le bruit, dans laprison, cessa, s’enflamma à nouveau,cessa, redémarra. Ed cogna la porte – pasde chance. Il se mit à faire chaud dans lapièce, l’air était étouffant, empuanti par lagnôle. Ed sentit Guadalcanal : la planquedevant les japs, les corps empilés au-dessus de lui…

Son uniforme était détrempé. S’ilessayait de faire sauter la serrure, lesballes allaient ricocher sur le blindage etle tuer. Les passages à tabac pouvaientaller très loin : enquêtes des A.I. –Affaires Internes – , plaintes et procès

civils, Grand Jury. Sur accusations debrutalités policières ; des carrièresentières foutues, noyées sous un grandcoup de chasse. Le sergent Edmund J.Exley crucifié parce qu’incapable demaintenir l’ordre. Ed prit une décision :riposte, en utilisant sa cervelle.

Il écrivit au verso de formulairesofficiels du service – version un, la vérité:

Une rumeur avait tout déclenché : JohnHelenowski avait perdu un œil. Lesergent Richard Stensland avait logé RiceDennis, et Valupeyk Clinton – il avait faitpasser le mot. Tout s’était enflammé d’unseul coup, tout de suite : le lieutenantFrieling, commandant de poste, était

endormi, inconscient, ivre mort de toutl’alcool bu en violation du règlementinterservices 4319. Le sergent E.J. Exleyavait pris alors le commandement sansréussir à retrouver ses clés. Le gros de latroupe, parmi tous ceux qui fêtaient leréveillon de Noël au poste, avait envahile bloc des cellules. Les cellules abritantles six prétendus agresseurs avaient étéouvertes au moyen des clés égarées. Lesergent Exley avait tenté de refermerlesdites cellules, mais les passages àtabac avaient déjà commencé, et lesergent Willis Tristano avait maintenu lesergent Exley pendant que le sergentWalker Crumley lui dérobait les doublesde clés qu’il portait à la ceinture.

Le sergent Exley n’avait pas fait usage

de la force pour récupérer les doublesdes clés.

Détails supplémentaires :

Stensland devenu cinglé, des policiersqui frappaient des prisonniersimpuissants. Bud White en train desoulever du sol, d’une main sur la nuque,un homme qui gigotait comme un ver. Lesergent Exley qui ordonne à l’officierWhite d’arrêter, l’officier White quiignore l’ordre donné ; le sergent Exleysoulagé quand le prisonnier se libèreseul, éliminant ainsi la nécessité d’uneconfrontation ultérieure.

Ed fit la grimace et continua à écrire –25/12/51, détails des agressions de laprison de Central. Inculpations probables

par le Grand Jury, conseils de disciplineinterservices – tout le prestige du chefParker ruiné. Du papier neuf, avec àl’idée les témoins déjà en cellules –essentiellement des ivrognes –, et le faitque pratiquement tous les agents jusqu’audernier avaient bu énormément. C’étaienteux les témoins compromis ; lui étaitsobre, non compromis, et il avait fait destentatives, même totalement dépourvuesd’effet, pour maîtriser la situation. Lui,avait besoin d’une porte de sortieélégante ; le Service devait sauver la face; les huiles haut placées seraientreconnaissantes à un homme qui essayaitde contourner la mauvaise presse, quiavait assez de prescience pour la voirvenir et tirait des plans d’avance en

conséquence. Il rédigea la version deux.

Digression à partir de la numéro unavec déplacement de l’action afin delimiter les responsabilités à un nombreplus réduit de policiers : Stensland,Johnny Brownell, Bud White et unepoignée d’autres qui avaient déjà droit àune pension ou qui n’en étaient plus trèsloin : Krugman, Tucker, Heineke, Huff,Disbrow, Doherty – de la vieille viande àjeter en pâture au Bureau du Procureur sila fièvre des inculpations montait trophaut. Point de vue subjectif, taillé surmesure pour cadrer avec ce qu’avaient puvoir les prisonniers de la cage à poivrots,les assaillants qui essayaient de s’enfuirdu bloc des cellules et de libérer d’autresdétenus. La vérité un peu tordue, vrillée

de quelques tours – impossible aux autrestémoins de la désavouer. Ed signa sontexte, et tendit l’oreille vers la grilled’aération, à l’écoute de la version trois.

Elle lui vint petit à petit. Des voixpressaient « Stens » de « se réveiller uncoup » ; White quitta le bloc des cellules,en marmonnant quel gâchis c’était.Krugman et Tucker hurlaient des insultes ;des gémissements leur répondirent. Aucunson ultérieur de White ou de JohnnyBrownell ; Lentz, Huff, Doherty quitraînaient sur la passerelle. Sanglots,Madre mia, encore, encore et encore.

6 h 14 du matin.

Ed rédigea la numéro trois : pas degémissements, pas de madre-mia, les

tabasseurs de flics qui essayaient desoulever les autres détenus. Il se demandacomment son père évaluerait les crimes :agression sur des policiers frères, lesagresseurs démolis… Lequel des deuxcrimes exigeait une absolue justice ?

Il n’entendit plus qu’un filet de bruit enprovenance de l’ouïe de ventilation. Edessaya de dormir, sans y parvenir ; uneclé s’engagea dans la serrure.

Le lieutenant Frieling – pâle ettremblant. Ed le repoussa d’un coup decoude et s’engagea dans le couloir.

Six cellules grandes ouvertes – lesmurs dégoulinants de sang. Juan Carbijalétendu sur sa couchette, une chemise sousla tête, détrempée de rouge. Clinton

Valupeyk lavait le sang qu’il avait sur lafigure avec l’eau des toilettes. ReyesChasco, une contusion géante ; DennisRice tentait de se plier les doigts – bleus,enflés, brisés. Dinardo Sanchez et EzekielGarcia blottis en chien de fusil l’uncontre l’autre à côté de la cage àpoivrots.

Ed appela les ambulances. Les mots«Quartier Prison Générale du comté» lefirent presque vomir.

6

— Tu ne manges pas, mon gars, ditDudley Smith. Une nuit un peu longueavec tes copains t’aurait-elle gâchél’appétit ?

Jack regarda son assiette : T-bone,pommes de terre au four, asperges.

— Je vois toujours grand pour macommande quand c’est le Bureau duProcureur qui ramasse l’addition.

— Où est Loew ? Je veux qu’il voie cequ’il achète.

Smith éclata de rire. Jack reluqua lacoupe du costume : genre sac à patates,

belle tenue de camouflage.

— Ça fait de moi un Irlandais dethéâtre, et ça cache mon 45 automatique,mes coups-de-poing et ma matraque.

— Qu’est-ce que Loew a en tête ?

Dudley consulta sa montre.

— Oui, une bonne demi-heure decivilités devrait suffire comme préludeaux affaires sérieuses en ce jouranniversaire de la naissance de notregrand Sauveur. Mon gars, ce qu’EllisLoew désire, c’est être procureur généralde notre belle ville, puis gouverneur deCalifornie. Assistant du procureur depuishuit ans, il a été candidat au poste deprocureur en 48 et il a perdu. Une

élection secondaire est prévue pour mars53, et Ellis pense qu’il peut la remporter.Il pourfend et pourchasse avec vigueur lalie criminelle, c’est un grand ami duService, et en dépit de sa généalogiehébraïque, j’ai de l’affection pour lui etje suis persuadé qu’il fera un procureursplendide. Et, mon gars, tu peux l’aider àremporter cette élection. Et te faire ainsiun ami inestimable.

Le mex qu’il avait étalé pour le compte– toute l’affaire pourrait se savoir et allerloin.

— Je pourrais bien avoir besoin d’unservice très bientôt.

— Qu’il te rendra du meilleur gré, mongars.

— Il veut qu’je porte ses valoches ?

— « Porteur de valoches » est uneexpression familière que je trouvechoquante, mon gars. « Réciprocitéd’amitiés » me paraît une expression plusappropriée, en particulier au vu dessplendides relations qui sont les tiennes.Mais l’argent est le fondement même desrequêtes de M. Loew, et ce serait d’unegrande négligence de ma part que de nepas en faire état dès le départ.

Jack repoussa son assiette.

— Loew veut que j’aille secouer lesgars de l’Insigne du Courage. Pourcontribution à sa campagne.

— Oui, et le débarrasser de ce torchon

à scandales détestable, le magazinel’Indiscret. Et puisque la réciprocité estnotre mot de passe, il a des services desplus spécifiques à offrir en retour.

— Tels que ?

Smith alluma une cigarette.

— Max Peltz, le producteur duspectacle, a des ennuis avec les Impôtsdepuis des années, et Loew s’assureraque plus jamais, à l’avenir, il n’aura àsubir de nouveaux contrôles. Brett Chase,auquel tu as si brillamment enseigné àmettre en scène un policier, est unpédéraste dégénéré, et Loew ne lepoursuivra jamais en justice. Loewapportera sa contribution en offrant sesdossiers du Bureau du Procureur au

scénariste du programme et tu serasrécompensé de la manière suivante : lesergent Bob Gallaudet, chef de file duBureau du Procureur, suit des cours à lafaculté de droit ; il s’en tire bien etrejoindra les rangs du Bureau duProcureur comme assistant à l’accusation,une fois qu’il sera diplômé. Tu aurasalors l’occasion de le remplacer à sonancien poste – en même temps qu’ungrade de lieutenant. Alors, mon gars, est-ce que ma proposition t’impressionne ?

Jack prit une clope du paquet deDudley.

— Patron, tu sais très bien que je nequitterais les Stups pour rien au monde ettu sais que j’vais répondre oui. Et je

viens juste de comprendre que Loew vamontrer le bout de son nez pour me diremerci, sans même rester pour le dessert.Alors, oui.

Dudley fit un clin d’œil ; Ellis Loewvint se glisser dans le box.

— Messieurs, je suis désolé d’être enretard.

— J’accepte, dit Jack.

— Oh ? Le lieutenant Smith vous adonc expliqué la situation ?

— Il y a des gars, dit Dudley, qui n’ontpas besoin d’explications détaillées.

Loew tripota sa chaînette Phi-Bêta.

— En ce cas, merci, sergent. Et si je

peux vous être d’une aide quelconque, dequelque manière que ce soit, n’hésitezpas à faire appel à moi.

— Je n’hésiterai pas. Un dessert,monsieur ?

— J’aimerais bien rester, mais j’ai desdépositions qui m’attendent. Nousromprons le pain une autre fois, je n’endoute pas.

— Comme vous le désirez, M. Loew.

Loew laissa tomber un billet de vingtsur la table.

— Encore une fois, merci. Lieutenant,je vous verrai bientôt, nous avons àparler. Et, messieurs, joyeux Noël !

Jack acquiesça ; Loew s’éloigna.

— Il y a plus, mon gars, dit Dudley.

— Plus de travail ?

— En quelque sorte. Es-tu chargéd’assurer la sécurité à la réception deNoël chez Welton Morrow cette année ?

Son petit numéro une fois l’an, un billetde cent pour se mélanger aux invités.

— Ouais, c’est ce soir. Est-ce queLoew veut une invitation ?

— Pas vraiment. Tu as rendu un trèsgrand service à M. Morrow, jadis, n’est-ce pas ? Octobre 47 – beaucoup tropgrand.

— Ouais, en effet.

— Et tu es toujours en bons termes

avec les Morrow ?

— Bien sûr, sur des bases de patron àemployé. Pourquoi ?

Dudley éclata de rire.

— Mon gars, Ellis Loew veut uneépouse. De préférence une gentille avecun bon pedigree social. Il a aperçu JoanMorrow à diverses occasions dans lecadre de ses fonctions et elle ne luidéplaît pas. Accepterais-tu de faire leCupidon et de demander à la belle Joance qu’elle pense de cette proposition ?

— Dud, est-ce que tu me demandesd’obtenir un putain de rencart pour lefutur procureur de L.A. ?

— Effectivement, c’est bien ce que je

te demande. Penses-tu que Mlle Morrowpuisse se laisser convaincre ?

— Ça vaut la peine d’essayer. C’estune arriviste et elle a toujours voulu faireun beau mariage. Par contre, un youpin, jene suis pas sûr.

— C’est vrai, mon gars, il y a ça. Maistu aborderas le problème ?

— Naturellement.

— Alors ce n’est plus de notre ressort.Et dans le même genre – cela s’est-il trèsmal passé, au poste, la nuit dernière ?

Enfin, il y arrive.

— Ça s’est très mal passé.

— Penses-tu que toute l’histoire finira

par se calmer ?

— Je ne sais pas. Qu’en est-il deBrownell et Helenowski ? C’est grave, cequ’ils se sont ramassé ?

— Des contusions superficielles, mongars. Je dirais qu’on les a fait payer unpeu cher, avec les intérêts. As-tuparticipé ?

— On m’a frappé, j’ai répondu et jesuis parti. Est-ce que Loew a peur depoursuivre ?

— Il a seulement peur de perdre desamis s’il le fait.

— Il s’est fait un ami aujourd’hui. Dis-lui qu’il est bien détaché du peloton dansla partie qui se joue.

Jack rentra chez lui et s’endormit sur lecanapé. Il dormit jusqu’en fin d’après-midi, et s’éveilla au bruit du Mirroratterrissant sur son perron. En page quatre: SURPRISE DE NOËL POUR LES CO-VEDETTES

DES MOISSONS DE L’ESPOIR.

Pas de photo, mais Morty Bendishavait placé son morceau de choix sur le«Grand V» : « Un de ses nombreuxinformateurs » donnait l’impression queJack Vincennes avait une meute demignons à l’affût, les poches bourrées deson fric à lui – il était bien connu que leGrand V finançait sa croisade anti-camedes deniers de son propre salaire. Jackdécoupa l’article, feuilleta le reste dujournal à la recherche de Helenowski etBrownell, et des tabasseurs de flics.

Rien.

C’était à prévoir : deux flics avec descontusions mineures, c’était de la petitebière, les petits tocards n’avaient pasencore eu le temps de se dégoter unbavard. Jack sortit son registre.

Des pages divisées en trois colonnes :date, numéro du chèque, montant duchèque. Les montants allaient d’un billetde cent sacs à deux bâtons ; les chèquesétaient rédigés à l’ordre de Donald etMarsha Scoggins, de Cedar Rapids, dansl’Iowa. Le bas de la troisième colonneportait le total du moment : 32 350dollars. Jack sortit son livret de banque,vérifia son état de compte et décida queson prochain règlement serait de cinq

cents tout rond. Cent thunes pour Noël.Jolie somme bien rondelette jusqu’à ceque tonton Jack casse sa pipe – et ce neserait jamais assez.

À chaque Noël, il se repassaitl’histoire par le menu – elle commençaitavec les Morrow et ils les voyait àl’époque de Noël ; il était orphelin, ilavait fait des orphelins des mômesScoggins, et Noël était de notoriétépublique une époque de merde pour tousles orphelins. Il s’obligea à reprendretoute l’histoire par le détail.

Fin septembre 1947.

Le vieux chef Worton l’avait convoqué.Karen, la fille de Welton Morrow,fricotait avec une bande de lycéens qui

tâtaient de la dope – ils se procuraientleur shit auprès d’un joueur de saxo dunom de Les Weiskopf. Morrow étaitavocat, il était pourri de fric, et ilcontribuait largement aux appels de fondsdu LAPD ; il voulait qu’on mette lespoucettes à Weiskopf – sans faire devagues.

Jack connaissait Weiskopf : il vendaitdu Dilaudid, se coiffait afro comme lesbougnoules et aimait la connasse jeunette.Worton lui dit qu’un grade était offert à laclé avec le boulot.

Il avait trouvé Weiskopf – au lit avecune rouquine de quinze ans. La filledécampa ; Jack démolit Weiskopf à coupsde crosse, retourna sa crèche et trouva

une malle pleine de boulettes de narcs etde bennies – Benzédrine. Il les emporta –en se disant qu’il revendrait la merde àMickey Cohen. Welton Morrow lui offritle boulot d’homme de la sécurité ; Jackaccepta ; on se dépêcha de virer KarenMorrow en pension. Le grade de Sergentsuivit ; Mickey C. ne se montra pasintéressé par la came – seul le grand «H»avait ses faveurs et le branchait. Jackconserva la malle – et il tapait dedanspour quelques bennies qui lui donnaientle jus nécessaire pour planquer des nuitsdurant. Linda, épouse numéro deux, secassa avec un de ses indics : un joueur detrombone qui vendait de la marie-jeannepour arrondir ses fins de mois. Jackplongea bille en tête dans la malle,

mélangea boulettes de narcs, bennies, etscotch, cravatant la moitié des noms durépertoire des musiciens en vogue dans lesecteur : L’HOMME, ennemi public numéroun de tous les jazzos. Puis ce fut le 24octobre 47.

Il était coincé dans sa bagnole, dévoréde crampes, à planquer dans le parc destationnement du Malibu Rendez-Vous,les yeux fixés sur deux fourgueurs de « H» dans une berline Packard. Pas loin deminuit : il avait bu du scotch, cramé unjoint sur la route, et les bennies qu’ilengloutissait par poignées ne lui faisaientplus d’effet, même avec toute la gnôleavalée. Tuyau sur une revente à minuit :les mecs à «H» et un bougnoule seccomme un coup de trique, deux mètres

dix, un taré de première.

Le moricaud s’était pointé à minuit etquart ; il s’était dirigé vers la Packard etavait empalmé un colis.

Jack trébucha en sortant de la voiture ;le taré se mit à courir ; les mecs à «H»sortirent de la tire, arme au poing. Jack seremit debout en chancelant et dégaina soncalibre ; le taré pivota sur les talons etouvrit le feu ; Jack vit deux silhouettess’approcher, et les identifia commecouvertures du négro ; il vida sonchargeur. Les deux silhouettes tombèrentau sol ; les mecs à «H» firent feu sur lebougnoule et sur lui ; le bougnoule piquadu nez sur une Studebaker 46, Jack allabouffer le ciment et récita son rosaire.

Une balle lui avait déchiré l’épaule ;une autre lui avait éraflé les jambes. Ilrampa sous une voiture ; une chiée depneus se mirent à crisser ; une chiée degens se mirent à hurler. Une ambulance fitson apparition ; une vrille en tenued’adjointe du shérif le chargea sur unchariot. Sirènes, lit d’hôpital, un docteuret la gouine hommasse en train demurmurer sur toute la came dont il étaitchargé – came confirmée par la prise desang. Du temps passé à dormir, d’unsommeil de drogué, un journal sur lesgenoux : TROIS MORTS DANS UNEFUSILLADE À MALIBU

LE FLIC-HÉROS SURVIT.

Les mecs à «H» s’étaient tirés sansproblème – on leur avait collé les morts

sur le dos.

Le bougnoule était mort sur place.

Les silhouettes n’étaient pas lescouvertures du négro – c’étaient M. etMme Harold J. Scoggins, touristes,originaires de Cedar Rapids, Iowa, fiersparents de Donald, 17 ans, et Marsha, 16ans.

Les docteurs n’arrêtaient pas de lereluquer d’un drôle d’air ; il s’avéra quela gouine était Dot Rothstein, cousine deKikey Teitlebaum, relation connue dulégendaire Dudley Smith.

Une autopsie de routine montrerait queles cachous qu’on sortirait des corps deM. et Mme Scoggins provenaient de

l’arme du sergent Jack Vincennes.

Les mômes lui sauvèrent la mise.

Une semaine durant, il sua sa trouille àl’hôpital. Thad Green et le chef Wortonvinrent lui rendre visite ; les mecs desStups firent le détour. Dudley Smith luioffrit sa protection ; il se demanda cequ’il savait au juste de l’affaire. SidHudgens, principal rédacteur de la revuel’Indiscret fit un saut avec une offre à laclé : Jack serait chargé d’embarquer descamés célèbres, l’Indiscret serait partieprenante aux arrestations – et du liquidechangerait discrètement de mains. Ilaccepta – et se demanda ce que Hudgenssavait au juste de l’affaire.

Les mômes ne demandèrent pas

d’autopsie : ils étaient adventistes duSeptième Jour, dans la famille, et lesautopsies étaient sacrilèges. Puisque lecoroner du comté connaissaitparfaitement l’identité du nom de Dieu detueur, il fit expédier M. et Mme Harold J.Scoggins jusqu’en Iowa pour qu’ils soientincinérés.

Le sergent Jack Vincennes tirait sonépingle du jeu – avec les honneurs desjournaux.

Ses plaies se cicatrisèrent.

Il cessa de boire.

Il cessa de prendre de la came etlargua sa malle. Il cocha ses joursd’abstinence sur son calendrier, joua le

jeu avec Sid Hudgens en faisant sa partdu travail, et se bâtit un nom commecélébrité locale. Il rendit service àDudley Smith. M et Mme Harold J.Scoggins brûlaient ses rêves comme unincendie ; il se dit que la gnôle et la cameéteindraient les flammes qui leconsumaient, mais qu’alors il se feraittuer. Sid lui trouva le boulot de«conseiller technique» pour l’Insigne duCourage – à l’époque, rien qu’unprogramme radio. L’argent commença àrouler à flots ; il le dépensait en fringueset en femmes, mais ce n’était pasvraiment le pied qu’il espérait. Les bars,les flags de dopés qu’on faisait cracherétaient d’abominables tentations. Deterroriser les camés l’aida un peu – mais

ça ne suffit pas. Il décida de remboursersa dette aux deux mômes.

Son premier chèque fut de deux cents ;y était jointe une lettre d’« un amianonyme», tout un baratin sur la tragédiedes Scoggins. Il appela la banque unesemaine plus tard : le chèque avait étéencaissé. Il finançait ainsi, depuis cejour-là, ses tours gratuits au manège de lavie ; sauf si Hudgens avait le 24 octobre47 noir sur blanc, il était en sécurité.

Jack sortit sa tenue pour la soirée. Leblazer venait du London Shop – il l’avaitacheté avec le pot-de-vin de Sid pour lecravatage de Bob Mitchum. Lesmocassins à pompons et le pantalon deflanelle grise étaient le produit des

révélations de l’Indiscret sur les liensexistant entre les musiciens de jazz et la«conspiration communiste» – il avait faitcracher des tuyaux sur les cocos à unbassiste qu’il avait cravaté pour sestraces de piqûres. Il s’habilla, s’aspergead’une giclée de Lucky Tiger – TigreChanceux – et prit la route de BeverlyHills.

Une fiesta d’arrière-cour : un demi-hectare couvert d’auvents. Des étudiantsgaraient des voitures ; le buffet affichaitcôtes premières, jambon fumé et dinde ;des serveurs transportaient les hors-d’œuvre ; un arbre de Noël géant dresséen plein air était en train de se fairearroser. Les invités mangeaient sur desassiettes en carton ; des lampes à gaz

illuminaient la pelouse. Jack arriva àl’heure et se mit au boulot.

Welton Morrow lui montra son premierpublic : un groupe de juges de la Coursupérieure. Jack commença à dévider seshistoires : Charlie Parker qui avait essayéde l’acheter avec une pute mulâtresse, lamanière dont il avait résolu l’affaireShapiro : un des faire-valoir de MickeyCohen, une tante, fourguait du nitrated’amyle – avec pour clients des travelosqui faisaient un numéro de strip dans unbar à choutes. Le Grand V à la rescousse: Jack Vincennes, comme un seul homme,avait arrêté une salle entière de fiottesbalèzes qui auditionnaient pour unconcours de sosies de Rita Hayworth.Une salve d’applaudissements : Jack fit la

révérence, vit Joan Morrow près del’arbre de Noël – seule, s’ennuyant peut-être à mourir.

Il s’avança.

— Heureuses fêtes, Jack, dit Joan.

Joliment faite, trente et un ou trente-deux ans. Pas de métier et pas de mariauquel payer tribut : elle offrait la plupartdu temps le spectacle d’une belleboudeuse.

— Salut, Joan.

— Salut toi-même. J’ai lu quelquechose à ton sujet dans le journald’aujourd’hui. Ces personnes que tu asarrêtées.

— Ce n’était rien.

Joan se mit à rire.

— Têêêllement modeste avec ça. Queva-t-il leur arriver ? Rock, c’est quoi sonnom déjà… et la fille, je veux dire.

— Quatre-vingt-dix jours pour la fille,peut-être une année de ferme-prison pourRockwell. C’est ton papa qu’ils devraientengager – il les ferait sortir.

— Tu ne t’en soucies pas vraiment,n’est-ce pas ?

— J’espère qu’ils concilieront unarrangement avec le procureur. Çam’épargnera un rendez-vous au tribunal.J’espère qu’ils passeront quelque tempsderrière les barreaux et qu’ils retiendrontla leçon.

— J’ai fumé de la marijuana une fois, àl’université. Ça m’a donné faim et j’aidévoré une boîte entière de gâteaux ; çam’a rendue malade. Tu ne m’aurais quandmême pas arrêtée, si ?

— Non, tu es trop mignonne.

— Je m’ennuie bien assez pouressayer encore, ça, je peux te le dire.

Son ouverture.

— Où en est ta vie amoureuse, Joanie ?

— Elle n’existe pas. Connais-tu unpolicier du nom d’Edmund Exley ? Il estgrand et il porte des lunettes mignonnescomme tout. C’est le fils de PrestonExley.

Eddie la flèche, raide comme la justice

: le héros de guerre, avec un tisonnierdans le cul.

— Je sais qui il est, mais je ne leconnais pas vraiment.

— Est-ce qu’il n’est pas chou ? Je l’aivu chez son père hier au soir.

— Les flics gosses de riches, c’est desminables, mais je connais quelqu’un debien qui s’intéresse à toi.

— Vraiment ? Qui ça ?

— Un homme du nom d’Ellis Loew. Ilest adjoint du procureur.

Joan sourit, fronça le sourcil.

— Je l’ai entendu qui s’adressait auRotary Club, un jour. N’est-il pas juif ?

— Si, mais regarde ses bons côtés. Ilest républicain et il a de l’avenir.

— Est-il gentil ?

— Bien sûr, c’est la crème deshommes.

Joan donna une pichenette à l’arbre ;des flocons de neige artificielle se mirentà tournoyer.

— Eêêh bien, dis-lui de m’appeler.Dis-lui que je suis prise dans l’immédiatpour quelque temps, mais il peut se mettresur les rangs et attendre son tour.

— Merci, Joanie.

— Merci à toi, Miles Standish –messager romanesque qui parle pour unautre. Écoute, je crois que papa me fait

signe d’aller le rejoindre. Au revoir,Jackie.

Joan décampa au petit trot. Jack seprépara pour une petite démonstration deses talents – peut-être l’affaire Mitchum,la version légère. Une voix douce : — M.Vincennes. Bonjour.

Jack se retourna. Karen Morrow, enrobe de cocktail verte, les épaulesperlées de gouttes de pluie. La dernièrefois qu’il l’avait vue, c’était une fillettetrop grande et trop godiche, forcée dedire merci à un flic qui avait passé àtabac un fourgueur de came. Quatreannées plus tard, ne restait que la tailletrop grande – le reste était le résultatd’une métamorphose, de fillette en

femme.

— Karen, j’ai failli ne pas vousreconnaître.

Karen sourit.

— Je vous dirais bien que vous êtesdevenue très belle, dit Jack, mais vousavez déjà dû l’entendre.

— Pas de votre part.

Jack éclata de rire.

— Comment était l’université ?

— Une épopée, et ce n’est pas unehistoire à vous raconter alors que je gèlelittéralement. J’ai dit à mes parents detenir la réception à l’intérieur,l’Angleterre ne m’a pas immunisée contre

le froid. J’ai un discours tout préparé.Voulez-vous m’aider à aller nourrir leschats du voisin ?

— Je suis de service.

— À bavarder avec ma sœur ?

— Un mec que je connais en pincepour elle.

— Pauvre mec. Non, pauvre Joanie. Etmerde, ça ne se déroule absolument pasainsi que je l’avais prévu.

— Et merde ; dans ce cas, allonsnourrir les chats.

Karen sourit et ouvrit la voie, ladémarche en chaloupe, talons hauts dansl’herbe. Tonnerre, éclair, pluie – Karen sedébarrassa de ses chaussures et courut

pieds nus. Jack la rattrapa sous le porched’entrée de la maison voisine – trempée,prête à rire aux éclats.

Karen ouvrit la porte. La lumière duvestibule était allumée ; Jack la regarda –frissonnante, la chair de poule. Karensecoua ses cheveux pour se débarrasserde la pluie.

— Les chats sont à l’étage.

Jack ôta son blazer.

— Non, je veux entendre votrediscours.

— Je suis sûre que vous savez de quoiil s’agit. Je suis sûre que des tas de gensvous ont déjà dit merci.

— Pas vous.

Karen frissonna.

— Merde. Je suis désolée, mais ça nese déroule pas ainsi que je l’avais prévu.

Jack lui enveloppa les épaules de saveste.

— Vous receviez les journaux de L.A.,là-bas, en Angleterre ?

— Oui.

— Et vous avez lu des choses à monsujet ?

— Oui. Vous…

— Karen, ils exagèrent de temps entemps. Ils inventent.

— Êtes-vous en train de me dire que ceque j’ai lu, c’était des mensonges ?

— Pas vr… non, ce ne sont pas desmensonges.

Karen se détourna.

— C’est bien. Je savais que c’étaitvrai ; alors voici votre discours, et ne meregardez pas, parce que je suis énervée.Un, vous m’avez empêchée de toucher àla drogue en prenant ces cachets. Deux,vous avez convaincu mon père dem’envoyer à l’étranger, où j’ai fait desacrément bonnes études et où j’airencontré des gens charmants. Trois, vousavez arrêté cet homme abominable qui mevendait les cachets.

Jack la toucha, Karen eut unmouvement de recul.

— Non, laissez-moi tout dire. Quatre,ce que je n’allais pas mentionner, c’estque Les Weiskopf donnait des cachetsgratis aux filles si elles acceptaient decoucher avec lui. Père était plutôt chicheavec l’argent qu’il me donnait, et tôt outard je l’aurais fait. Alors voilà – vousavez conservé ma nom de Dieu de vertuintacte.

Jack éclata de rire.

— Suis-je donc votre nom de Dieu dehéros ?

— Oui, et j’ai vingt-deux ans, et je nesuis pas du genre à en pincer pourquelqu’un comme une collégienne.

— Bien, parce que j’aimerais vous

inviter à dîner un de ces jours.

Karen pivota sur les talons. Sonmascara était un désastre ; elle avaitmordillé la plus grande part de son rougeà lèvres.

— Oui. Mère et Père en auront desattaques, mais j’accepte.

— C’est le premier acte stupide que jecommets depuis des années, dit Jack.

7

Un mois de merde.

Bud arracha janvier 1952 de soncalendrier, décompta ses arrestationspour délit majeur : 1er au 11 janvier :zéro – il surveillait les foules sur un lieude tournage. Parker voulait un balèze surplace pour refroidir les fanasd’autographes. 14 janvier : les tabasseursde flics, acquittés de l’accusationd’agression, Helenowski et Brownelljetés en pâture aux lions – l’avocat desespingos les avait fait passer pour lesinstigateurs de toute l’affaire. Menaces depoursuites civiles en suspens ; « trouver

un avocat ? » gribouillé à côté de la date.

16, 19, 22 janvier : dérouilleursd’épouses libérés sur parole, visites debienvenue au bercail. 23 au 25 janvier :planques pour une bande decambrioleurs, lui et Sten sur le terraingrâce à un tuyau de Johnny Stomp, quiparaissait simplement être au parfum ;selon la rumeur, il avait dirigé un racketde chantage. Les affaires tournaientbizarrement au ralenti chez les truands :Stomp raclant les miettes pour restersolvable, Mo Jahelka – chargé desintérêts de Mickey C. – probablementeffrayé de trop faire jouer ses gros bras.Sept arrestations au total, bonne chosepour son quota, mais les journauxs’alimentaient au chambard du poste, sous

l’intitulé «Noël Sanglant». Une rumeuravait fait mouche : le Bureau duProcureur avait contacté Parker, la DAIallait interroger les hommes quibringuaient au réveillon de Noël, leGrand Jury du comté en bavait de lesfaire passer devant lui. D’autres notes surla feuille : « parler à Dick », « avocat??? », « avocat quand ?? »

Dernière semaine du mois – belleblague pour soulager la tension : Dick encongé, en train de se mettre au sec dansun ranch de remise en forme de TwentyNine Palms ; le chef de la brigade croyaitqu’il était parti au Nebraska pour lesfunérailles de son père – les mecs avaientmême fait une collecte pour envoyer desfleurs à une chapelle ardente qui

n’existait pas. Deux petites coches le 29 :deux mecs en violation de conditionnellequ’il avait cravatés grâce à un autre tuyaude Stomp – mais il avait dû leur foutreune branlée de première, il les avaitkidnappés et traînés de la juridiction ducomté à celle de la ville pour que lesmecs du shérif n’aillent pas revendiquerl’arrestation. Le 31 : petit pas de danseavec Chick Nadel, tenancier de bar, quise servait du Moonglow Lounge commed’un entrepôt de recel où il fourguait desappareils volés. Descente improvisée ;Chick avait une tapée de radios bienbrûlantes, il avait cafté les mecs quiavaient braqué le camion : planqués à SanDiego, pas question de les faire tomberau profit du LAPD. Il avait mis Chick au

trou à la place : recel de marchandisesvolées, avec récidive.

Dix arrestations pour délits majeursdans le mois – au moins un nombre à deuxchiffres sur ses tablettes du mois.

De la merde en barre, directo février.

Retour à l’uniforme, six jours à réglerla circulation – une idée de Parker, tout lepersonnel de la division des inspecteurs,par rotation, passait aux Patrouilles unesemaine par an. Par ordre alphabétique :avec son «W», il était bon pour la queuedu paquet. L’oiseau qui se lève tard ratetoujours le ver – il avait plu les six jours.

Inondations, question boulot ; questionsfemmes, la grande sécheresse.

Bud feuilleta son carnet d’adresses.Lorene du Silver Star, Jane du ZimbaRoom, Nancy de l’Orbit Lounge – desnuméros sur le retour. Elles en avaientl’allure : la trentaine bien avancée,affamées – pleines de reconnaissancepour le mec plus jeune qui les traitaitgentiment en leur donnant la sensation quetous les hommes ne sont pas des salauds.Lorene était un gros calibre, les ressortsdu matelas cognaient toujours le plancher.Jane passait des disques d’opéra pourdonner un peu d’atmosphère – on auraitdit une colonie de chats en train de baiser.Nancy biberonnait, à faire la tournée desbars en quête du client. Le genre blasée –à rompre et à mettre le holà encore plusvite qu’il ne le faisait lui-même.

— White, regarde ça.

Bud leva les yeux. Elmer Lentz luimontrait la première page du Herald.Gros titre : LES VICTIMES DE BRUTALITÉSPOLICIÈRES ENGAGENT DES POURSUITES.

Sous-titres :LE GRAND JURY PRÊT À

RECEVOIR LES TÉMOIGNAGES.

PARKER S’ENGAGE À UNE COOPÉRATION

PLEINE ET ENTIÈRE DU LAPD.

— Ça pourrait attirer les ennuis, ditLentz.

— Sans charre, Sherlock, dit Bud.

8

Preston Exley termina sa lecture.

— Edmund, les trois versions sontbrillantes, mais tu aurais dû aller voirParker immédiatement. Maintenant, avectoute cette publicité autour de l’affaire,ton offre de service aura des relents depanique. Es-tu prêt à devenir uninformateur ?

Ed se carra les lunettes sur le nez.

— Oui.

— Es-tu prêt à être méprisé àl’intérieur du Service ?

— Oui, et je suis prêt à accepter toutes

les marques de reconnaissance tangiblesque Parker aura à offrir.

Preston feuilleta rapidement les pages.

— Intéressant. Faire porter la plusgrande part de culpabilité sur deshommes déjà en droit de toucher leurpension est quelque chose de salutaire, etcet officier White paraît un peu effrayant.

Ed en eut des frissons.

— Il l’est. Les Affaires internesm’interrogent demain, et je ne trouveaucun plaisir à leur parler de son numérode voltige avec le Mexicain.

— Par peur des représailles.

— Pas vraiment.

— N’ignore pas ta peur, Edmund. Ceserait une faiblesse. White et son amiStensland se sont mal conduits en faisantmontre d’un mépris ignoble pour lesdirectives du Service, et de touteévidence, ils sont l’un comme l’autre desbrutes épaisses. Es-tu prêt pour tonentrevue avec les A.I. ?

— Oui.

— Ils sont brutaux et méchants.

— Je sais, Père.

— Ils mettront en évidence tonincapacité à faire régner l’ordre, et le faitque tu as laissé ces agents te voler tesclés.

Ed s’empourpra.

— Ça devenait chaotique, et le fait deme battre contre ces hommes n’aurait faitqu’ajouter au chaos.

— N’élève pas la voix et ne te justifiepas. Pas devant moi. Pas devant leshommes des A.I. Cela te fait apparaître…

Une voix qui craque.

— Ne dis pas «faible», Père. N’essaiepas d’établir une comparaison avecThomas. Et ne présume pas de monincapacité à tenir la situation en mains.

Preston décrocha le téléphone.

— Je sais que tu es capable de temaîtriser. Mais es-tu capable de saisir aubond la reconnaissance de Parker, avantmême qu’il ne l’affiche ?

— Père, tu m’as dit un jour queThomas était ton héritier par nature, etque j’étais, moi, ton héritier paropportunisme. Qu’est-ce que cela terévèle ?

Preston sourit et composa un numéro.

— Bill ? Bonjour, c’est PrestonExley… oui, très bien, je te remercie…Non, je n’aurais pas appelé ton numéropersonnel pour ça… non, Bill, c’est ausujet de mon fils Edmund. Il était deservice le soir du réveillon de Noël auposte de Central, et je pense qu’il a desrenseignements précieux à tadisposition… Oui, ce soir ?Certainement, il sera là. Oui, mes amitiésà Helen. Oui, au revoir, Bill.

Ed sentit son cœur qui battait à rompre.

— Retrouve le chef Parker, dit Preston,ce soir à huit heures, au Pacific DiningCar. Il prendra ses dispositions pour quevous puissiez parler dans une pièceprivée.

— Laquelle des trois dépositions dois-je lui montrer ?

Preston lui rendit ses paperasses.

— Des occasions comme celle-ci ne sereproduisent pas très souvent. J’ai eul’affaire Atherton, tu en as eu un avant-goût avec Guadalcanal. Relis l’album defamille, et n’oublie pas ces précédents.

— Oui, mais laquelle des dépositions ?

— À toi de voir. Et je te souhaite bon

appétit au Dining Car. L’invitation à dînerest bon signe, et Bill n’aime pas ceux quichipotent dans leur assiette.

Ed retourna à son appartement. Il lut. Ilse souvint. L’album comportait descoupures de presse disposées par ordrechronologique ; ce que les journaux nedisaient pas s’était imprimé en lettres defeu dans sa mémoire.

1934 – l’affaire Atherton.

Des enfants – mexicains, nègres,orientaux, trois garçons et deux filles –découverts, les corps démembrés. Leurstorses sont retrouvés dans les grandségouts de drainage du bassin de L.A. Lesbras et les jambes sectionnés. Vidés deleurs organes internes. La presse

surnomme le tueur «DocteurFrankenstein». L’Inspecteur Preston Exleydirige l’enquête.

Le sobriquet de Frankenstein lui paraîtapproprié : des cordes de raquette detennis ont été retrouvées sur les lieuxmêmes des cinq crimes, et la troisièmevictime portait aux aisselles des traces depiqûres d’aiguille à repriser. Exley enconclut que le démon est en train derecréer des enfants au scalpel et au pointde suture ; il se met à embarquer tous lespervers, les fêlés, les dérangés duciboulot bons pour l’asile et libérés surparole. Il se demande ce que le tueur ferapour le visage – il l’apprend, une semaineplus tard.

Wee Willie Wennerholm, enfant vedettede l’écurie Raymond Dieterling, estkidnappé dans une salle de cours del’école du studio. Le lendemain, soncorps est retrouvé sur la voie ferrée deGlendale – décapité.

Puis une ouverture : desadministrateurs de l’hôpital d’État desanté mentale de Glenhaven appellent leLAPD : Loren Atherton – attentats à lapudeur avec violences sur enfants etfixation de vampire – a été libéré surparole deux mois auparavant et ne s’estpas encore présenté à son responsable deconditionnelle.

Exley repère Atherton rue de laDébine, chez les cloches : il bosse à

laver les flacons dans une banque desang. Après surveillance, on découvrequ’il vole le sang, le mélange à du vinbon marché et boit le tout. Les hommesd’Exley arrêtent Atherton dans un cinémadu centre – en train de se masturberpendant un film d’horreur. Exley opèreune descente dans sa chambre d’hôtel,découvre un jeu de clés, des clés quiouvrent un garage-entrepôt abandonné. Ils’y rend – et pénètre en enfer.

Un enfant prototype conservé dans laglace sèche : bras de Nègre, jambes degarçon mexicain, torse de Chinois, avecadjonction de parties génitales femelles etla tête de Wee Winnie Wennerholm. Desailes sectionnées sur des oiseaux,suturées sur le dos de l’enfant ; et tous les

accessoires qui traînent à côté : bobinesde films d’horreur, raquettes de tenniséventrées, graphiques de créationd’enfants hybrides, photographiesd’enfants à diverses étapes dudémembrement, un placard-chambre noirerempli de produits de développement etde tirage.

L’enfer.

Atherton avoue les meurtres ; il estjugé, condamné, et pendu à San Quentin.Preston Exley conserve des tirages desphotos de mort ; il les montre à sespoliciers de fils – de sorte qu’ils sachentla brutalité des crimes qui exigent uneabsolue justice.

Ed passa les pages : notice

nécrologique de sa mère, mort deThomas. Hormis les triomphes de sonpère, les seules fois où les Exley avaientfait la une des journaux, c’était àl’occasion d’un décès. Il tomba surl’Examiner : un article sur les filsd’hommes célèbres engagés dans laSeconde Guerre mondiale. C’était pareilau Noël Sanglant : il n’y avait qu’uneseule version.

L’Examiner donnait la version qui luiavait fait gagner sa DSC : le caporal EdExley, unique survivant d’une sectionanéantie au cours d’un combat à l’armeblanche, nettoie trois tranchées rempliesde fantassins japonais, vingt-neuf tués autotal. Si un officier avait été témoin del’exploit, il aurait gagné la Médaille

d’Honneur du Congrès.

Version deux : Ed Exley profite del’occasion d’une charge imminente desJaponais à la baïonnette pour partir enéclaireur. Il lambine et découvre, à sonretour, sa section rayée de la carte, avecune patrouille japonaise qui approche. Ilse cache sous le sergent Peters et lepremière classe Wasnicki, il sent lescorps qui tressautent lorsque les Japonaismitraillent les cadavres ; il mord le brasde Wasnicki, il lui bouffe complètementson bracelet-montre. Il attend lecrépuscule, sanglotant, couvert d’hommesmorts, alimenté par un souffle d’air quicircule par un conduit minuscule entre lescorps. Puis une course de terreur jusqu’auQG du bataillon – course qui s’arrête

brutalement lorsqu’il découvre une autrescène de massacre.

Un petit autel shinto, bien à l’abri aufond d’une clairière couverte d’un filet decamouflage. Des Japonais morts sur despaillasses, verdâtres, comme malades dejaunisse, émaciés. Chaque homme estouvert en deux, du ventre à la cagethoracique ; des sabres sculptés etdécorés avec raffinement, couverts desang séché, soigneusement empilés. Unsuicide de groupe – des soldats trop fierspour risquer la capture ou la mort parmalaria.

Derrière le temple, trois tranchéescreusées dans le sol ; des armes tout àcôté – fusils et pistolets dévorés de

rouille à cause des fortes pluies. Unlance-flammes enveloppé d’une toile decamouflage – en état de fonctionnement.

Il le prit en mains, ne sachant qu’uneseule chose : il ne survivrait pas àGuadalcanal. On l’affecterait à unenouvelle section ; ses petites balades, àlambiner en faux éclaireur, ne tiendraientpas la distance. Il ne pouvait demanderune affectation au QG – son pèreestimerait que c’était de la lâcheté. Il luifaudrait vivre avec le mépris – sescollègues du LAPD, blessés, décorés.

«Les décorations» conduisaient aux«tournées de promotion pour les empruntsmunicipaux» qui conduisaient, elles, droitaux enquêtes et procédures criminelles. Il

vit sa chance.

Il trouva une mitraillette japonaise. Iltraîna les morts par hara-kiri jusqu’auxtranchées, leur plaça des armes inutilesentre les mains, et les disposa face à uneouverture de la clairière. C’est là qu’illaissa tomber la mitrailleuse, canonpointé sur l’ouverture, avec troisdernières balles dans la cartouchière. Ilprit le lance-flammes, crama les Japonaiset le temple au-delà de toute expertisepossible par la médecine légale. Il mitson récit au point et réussit à rejoindre leQG du bataillon.

Des patrouilles de reconnaissanceconfirmèrent le récit : Ed Exley, lecombattant, avec un équipement et des

armes japonais, avait transformé enfriture vingt-neuf de ces petits salopards.

Distinguished Service Cross – laseconde médaille par ordre d’importanceque le pays pouvait vous offrir. Unetournée de promotion à travers tout lepays, un accueil de héros, fêté comme unchampion à son retour au LAPD.

Quelque respect un peu circonspect dela part de Weston Exley.

— Relis l’album de famille. Souviens-toi de ces précédents.

Ed rangea le grand livre, pas très sûrencore de la manière dont il allait jouerle coup pour le Noël Sanglant – maiscertain de ce que le vieux lui signifiait.

Les chances sont toujours faciles àsaisir – c’est par la suite qu’on les paye.

Père, je le sais, je le sais depuis quej’ai ramassé ce lance-flammes.

9

— Si ça passe devant le Grand Jury, çane te retombera pas dessus. Et leprocureur et moi-même allons tout fairepour essayer que ça n’aille pas jusque-là.

Jack fit le décompte des petites faveursen compte : seize bâtons dans la caissenoire de Loew – Miller Stanton lui avaitdonné un coup de main pour passer labrosse à reluire à l’équipe de l’Insignedu Courage. Il avait pressé Brett Chasepersonnellement, d’une petite menacebien nette – des révélations parl’Indiscret sur sa pédérastie – Max Peltzavait craché gros au bassinet – Loew

avait réussi à geler un contrôle despolyvalents. Et petit service de Cupidon –ce soir, le grand homme retrouve JoanMorrow la boudeuse.

— Ellis, je ne veux même pas être citéà comparaître. Demain, j’ai un petitentretien avec les nervis des AffairesInternes, et il est sûr que c’est parti pourle Grand Jury. Alors arrange ça.

Loew joua de sa chaînette Phi-Bêta.

— Jack, un prisonnier t’a agressé, et tuas réagi en conséquence. Tu as le nezpropre. Tu es aussi quelque chose commeun personnage public, et les dépositionspréliminaires que nous avons reçues desavocats des plaignants précisent quequatre des victimes du passage à tabac

t’ont reconnu. Tu déposeras, Jack. Maisrien ne te retombera dessus.

— Je croyais simplement que toutpasserait par toi. Mais si lu me demandesde lâcher le morceau sur mes frèrespoliciers, je plaiderai l’amnésie, putain !Comprende, conseiller ?

Loew se pencha au-dessus de sonbureau.

— Nous ne devrions pas nous disputer,nous réussissons trop bien l’un avecl’autre. C’est l’agent Wendell White et lesergent Richard Stensland qui devraientse faire du souci, pas toi. En outre, letéléphone arabe m’apprend que tu as unenouvelle dame dans ta vie.

— Tu veux dire que Joan Morrow tel’a appris.

— Oui, et franchement, elle et sesparents désapprouvent. Tu as quinze ansde plus que la fille, et ton passé en dentsde scie n’est pas blanc-bleu.

Caddie, moniteur de ski – un mômesorti d’orphelinat doué pour servir lesrichards.

— Joanie t’a offert plus de détails ?

— Seulement que la fille en pince pourtoi à la folie et qu’elle croit tes coupuresde presse. J’ai assuré à Joan que cesarticles étaient vrais. Karen a dit à Joanque jusqu’à présent, tu t’étais comportécomme un homme d’honneur, chose que

j’ai du mal à croire.

— J’espère que ce sera le dernier soiraujourd’hui. Après notre petit rencart endoublette, c’est la soirée de bouclage del’Insigne du Courage et sa réception, etensuite, un interlude intime quelque part.

Loew tortilla la chaînette de son gilet.

— Jack, est-ce que Joan a joué à fairela difficile, ou existe-t-il vraiment tantd’hommes que ça qui lui courent après ?

Jack remua le couteau dans la plaie.

— C’est une môme qui a beaucoup desuccès, mais tous ces mecs vedettes decinéma, c’est que des tuyaux crevés.Reste sur tes positions.

— Des vedettes de cinéma ?

— Des tuyaux crevés, Ellis. Mignons,mais crevés.

— Jack, je veux te remercier pourm’accompagner ce soir. Je suis sûr queKaren et toi vous serez superbes commebrise-glace.

— Alors, on met les voiles.

Chez Don the Beachcomber’s – lesfemmes attendaient dans un box circulairepresque fermé. Jack fit les présentations.

— Ellis Loew, Karen Morrow et JoanMorrow. Karen, ne forment-ils pas uncouple adorable ?

— Bonjour, dit Karen.

Pas de poignée de main – six rencarts,et tout ce qu’elle offrait, c’était des petits

baisers distraits de bonne nuit. Loew étaitassis à côté de Joan, et Joan l’inspectaitsous toutes les coutures – à reniflerprobablement des signes de juiverie.

— Ellis et moi sommes déjà de grandscopains au téléphone. N’est-ce pas ?

— Effectivement.

Loew qui sortait sa voix de tribunal.

Joan termina son verre.

— Comment vous connaissez-vous tousles deux ? La police travaille-t-elle enétroite collaboration avec le Bureau duProcureur ?

Jack étouffa un rire : c’est moi, legarçon de course du petit Juif…

— Nous bâtissons les dossiersensemble, dit-il enfin. Je m’assure despièces à conviction, Ellis poursuit lesméchants.

Un serveur apparut. Joan commanda unpunch des îles. Jack demanda un café.

— Martini au Beefeater, dit Loew.

Karen mit la main sur son verre.

— Alors, à cause de toute cette histoiredu Noël Sanglant, les relations vontdevenir tendues entre la police et lebureau de M. Loew. N’est-ce pas là lerisque ?

Loew riposta vite fait.

— Non, parce que les hommes duLAPD souhaitent voir punir les

responsables avec sévérité. Exact, Jack ?

— Bien sûr. C’est des choses commecelles-là qui entachent la réputation detous les policiers.

Les boissons arrivèrent – Joandescendit son verre en trois gorgées.

— Tu étais sur place, non, Jack ? Papaa dit que tu assistes toujours à la soiréedu poste, tout au moins depuis que taseconde femme t’a quitté.

— Joanie ! dit Karen.

— J’étais là, dit Jack.

— As-tu joué un peu du poing pourfaire justice ?

— À mes yeux, ça n’en valait pas la

peine.

— Tu veux dire que ça n’allait pasfaire la une des journaux ?

— Joanie, tais-toi. Tu es ivre.

Loew tripotait sa cravate ; Karentripotait un cendrier. Joan séchabrutalement le fond de son verre.

— Les abstinents sont toujourstellement portés à tout juger. Tu avaisdéjà l’habitude d’assister à ces soiréesaprès le départ de ta première épouse,n’est-ce pas, sergent ?

Karen agrippa le cendrier.

— Espèce de garce, nom de Dieu !

Joan éclata de rire.

— Si tu veux un policier héros, jeconnais quelqu’un du nom d’Exley qui,lui, au moins, a risqué sa vie pour sonpays. Je te l’accorde, Jack est chouette,mais tu ne vois donc pas ce qu’il est ?

Karen lança le cendrier – il frappa lemur avant de retomber sur les genouxd’Ellis Loew. Loew plongea le nez dansun menu ; Joanie la garce lançait desregards noirs. Jack fit sortir Karen durestaurant.

Direction Variety InternationalPictures, avec Karen qui n’arrêtait pas decasser du sucre sur le dos de Joan. Jackse rangea près du décor de l’Insigne duCourage, d’où s’échappaient desbouffées de musique folk. Karen soupira :

— Mes parents s’habitueront à l’idée.

Jack alluma la veilleuse. La jeune filleavait des cheveux marron foncé coiffés envagues, des taches de rousseur, les dentsqui se chevauchaient légèrement.

— Quelle idée ?

— Eh bien… l’idée que nous sortonsensemble.

— Ce qui n’avance pas très vite,d’ailleurs.

— C’est en partie de ma faute. Pendantun moment tu me racontes des histoiresabsolument merveilleuses, l’instantd’après, tu arrêtes, tout simplement. Je necesse de me demander à quoi tu penses etde me dire qu’il y a tant de choses que tu

n’as pas le droit de me raconter. Ça mefait penser que tu crois que je suis tropjeune, alors je rentre dans ma coquille.

Jack ouvrit la porte.

— Continue à apprendre à meconnaître et tu ne seras plus trop jeune. Etraconte-moi quelques-unes de teshistoires, parce qu’il m’arrive de mefatiguer des miennes.

— C’est un marché ? Mes histoires àmoi après la réception ?

— Marché conclu. À propos, quepenses-tu de ta sœur avec Ellis Loew ?

Karen ne cilla pas.

— Elle l’épousera. Mes parentsfermeront les yeux sur le fait qu’il est juif

parce qu’il est ambitieux et républicain. Iltolérera les scènes que lui fera Joanie enpublic et la frappera en privé. Leursgamins seront un vrai désastre.

Jack se mit à rire.

— Allons danser. Et ne te laisse pasimpressionner par les grandes vedettes,les gens vont croire que tu sors de tacambrousse.

Ils entrèrent bras dessus bras dessous.Karen était émerveillée, les yeux pleinsd’étoiles ; Jack vit l’occasion de conclureen beauté, en raflant son plus gros paquet.

Spade Cooley et ses garçons sur uneestrade d’orchestre, Spade au micro avec,à la guitare basse, Burt Arthur Perkins dit

le «Deuce», la Paire, à cause des deuxannées tirées à la chaîne pour actes contrenature avec des chiens. Spade fumait del’opium ; Deuce se shootait au «H» –petite «cravate» style l’Indiscret quis’annonçait comme possible. Max Peltzaccueillait à bras ouverts l’équipe descameramen ; Brett Chase à ses côtés, entrain de discuter avec Billy Dieterling, lechef cameraman. Les yeux de Billy étaientrivés sur sa chouquette, Timmy Valburn,le Moochie Mouse de l’Heure de Rêve.Des tables dressées contre le mur dufond, chargées de bouteilles d’alcool etde buffets froids. Kikey Teitlebaum étaitlà avec la nourriture – Peltz avaitprobablement chargé son service traiteurde fournir la réception. Johnny

Stompanato avec Kikey, les deux ex-hommes de main de Cohen en grandesconfessions. Tous les membres del’Insigne du Courage, les membres del’équipe technique, acteurs et pique-assiettes habituels, étaient là, à manger, àboire, à danser.

Jack faisait virevolter Karen sur lapiste : tourbillons soutenus au son d’unpot-pourri au tempo rapide, frottis-frottaslorsque Spade passait aux mélodiessucrées. Karen gardait les yeux fermés ;Jack tenait les siens bien ouverts – pourmieux prendre son pied avec l’eau derose. Il sentit une tape sur son épaule.

Miller Stanton demandait à prendre laplace. Karen ouvrit les yeux et eut un

sursaut : une vedette de la télé voulaitdanser avec elle. Jack s’inclina.

— Karen Morrow, Miller Stanton.

Karen hurla pour couvrir la musique.

— Salut ! J’ai vu tous les vieux filmsque vous avez faits avec RaymondDieterling. Vous étiez super !

Stanton lui leva les mains, modèlequadrille.

— J’étais un morveux en ce temps-là !Jack, va voir Max – il veut te parler.

Jack se dirigea vers le fond du décor –un coin paisible, bercé par la musique ensourdine. Max Peltz lui tendit deuxenveloppes.

— Ta prime pour la saison et un grospourliche pour M. Loew. De la part deSpade Cooley.

La mallette de Loew était bien dodue.

— Qu’est-ce qu’il veut, Cooley ?

— Je pencherais pour une assuranceque tu ne viendras pas gêner ses petiteshabitudes.

Jack alluma une cigarette.

— Spade ne m’intéresse pas.

— Y porte pas un nom assez célèbre ?

— Sois gentil, Max.

Peltz se pencha plus près.

— Jack, c’est à toi d’essayer d’être

plus gentil pasque tu commences à avoirmauvaise réput’ dans le milieu du cinéma.Les gens racontent que t’es un emmerdeur,que tu joues pas le jeu. Tu as secoué Brettet son portefeuille pour M. Loew, trèsbien, c’est qu’une nom de Dieu delopette, ça lui pendait au nez. Mais tu nepeux quand même pas mordre la main quite nourrit, pas quand la moitié des gens dumilieu tètent le joint de temps en temps.Contente-toi des bougnoules – ces mecsdu jazz, ça fait de la bonne copie.

Jack reluqua le tableau qu’il avaitdevant les yeux. Brett Chase à frayer avecles célébrités : Billy Dieterling et TimmyValburn – une vraie convention dechouquettes. Kikey T. et Johnny Stomp entrain de ragoter – Deuce Perkins, Lee

Vachs qui venaient se mêler auxpapotages.

— Sérieusement, Jack, dit Peltz. Jouele jeu.

Jack montra les durs de durs.

— Max, ce jeu, c’est toute ma vie. Tuvois ces mecs là-bas ?

— Bien sûr. Qu’est-ce que…

— Max, c’est ce que le Serviceappelle un rassemblement de criminelsconnus. Perkins est un ex-taulard, ilfricote dans les affaires louches et ilbaise les chiens. Abe Teitlebaum est enconditionnelle. Le grand mec avec lamoustache, c’est Lee Vachs, et on estimequ’il a refroidi une dizaine de gus pour

Mickey C. Le macaroni beau gosse, c’estJohnny Stompanato. Ça m’étonnerait qu’ilait déjà trente ans, et il a un casier pourracket long comme ton bras. J’ai pouvoir,conféré par les services de police de LosAngeles, de cravater ces enfoirés sursimple soupçon, et je manque à tous mesdevoirs en ne le faisant pas. Parce que,justement, je joue le jeu.

Peltz brassa l’air de son cigare.

— Alors, continue à jouer, maispianissimo côté gros bras et dur de dur.Et regarde, Miller est à l’affût de ta petitecaille. Seigneur, mais tu les aimes jeunes!

Bruits qui courent : Max se tringle dela minette de lycée.

— Pas aussi jeunes que toi.

— Ha ! Vas-y, chapardeur, piétineur deplates-bandes de mes deux. Ta petite techerche.

Karen près d’une affiche fixée au mur :Brett Chase en lieutenant Vance Vincent.Jack s’approcha ; les yeux de Karens’illuminèrent.

— Mon Dieu, que tout ceci estmerveilleux ! Dis-moi qui sont tous cesgens !

La musique à plein pot – Cooley enroucoulades, Deuce Perkins à fairerésonner sa basse. Jack fit traverser lapiste à Karen, en quelques pas de danse –jusqu’à un coin bourré de projecteurs à

arc. Le petit trou parfait – tranquille, aveccadrage sur toute la bande.

Jack indiqua les interprètes :

— Brett Chase, tu le connais déjà. Il nedanse pas parce qu’il est pédé. Le vieuxmec au cigare, c’est Max Peltz. C’est leproducteur et c’est lui qui met en scène laplupart des épisodes. Tu as dansé avecMiller, tu sais donc qui c’est. Les deuxmecs en maillot de corps, c’est AugieLuger et Hank Kraft – des machinos. Lafille avec la tablette bloc-notes, c’estPenny Fulweider, elle ne pourrait pasarrêter de travailler même si elle levoulait – c’est elle qui a la responsabilitédu script. Tu sais pourquoi les décors duspectacle sont tellement modernistes ? Eh

bien, le mec blond, de l’autre côté del’estrade, c’est David Mertens, ledécorateur. Parfois tu pourrais croirequ’il est ivre, mais ce n’est pas le cas ; ilsouffre d’une forme peu fréquented’épilepsie, et il doit prendre desmédicaments. J’ai entendu dire qu’il a euun accident et s’est fracassé le crâne, cequi a tout déclenché. Il a des cicatricessur le cou, alors c’est peut-être vrai. Àcôté de lui, tu as Phil Shenkel, l’assistantdu metteur en scène, et le mec à côté delui, c’est Jerry Marsalas, l’infirmier quis’occupe de Mertens. Terry Riegert,l’acteur qui joue le rôle du capitaineJeffries, est en train de danser avec cettegrande rouquine. Les mecs, près dudistributeur d’eau fraîche, sont Billy

Dieterling, Chuck Maxwell et DickHarwell, l’équipe des cameramen. Lereste, c’est des rancarts.

Karen le regarda droit dans les yeux.

— C’est ton milieu, et tu l’aimesvraiment. Et tu t’intéresses à ces gens.

— Je les aime bien ; et Miller est unbon ami.

— Jack, tu ne réussiras pas à m’avoir.

— Karen, ici, c’est Hollywood. Etpour quatre-vingt-dix pour cent,Hollywood, ce n’est que fadaises etfutilités.

— Rabat-joie. Je me prépare à prendredu bon temps, alors ne refroidis pas mesenvies.

À le défier.

Jack fit la culbute ; Karen se prêta aubaiser. Ils tâtonnèrent, ils goûtèrent, ilsrompirent le contact au même instant.Jack se dégagea de l’étreinte, la tête luitournait.

Karen laissa ses mains traîner encore.

— Les voisins sont encore envacances. Nous pourrions aller donner àmanger aux chats…

— Ouais… bien sûr.

— Veux-tu aller me chercher un cognacavant que nous partions ?

Jack alla jusqu’à la table du buffet.

— Joli lot, Vincennes, dit Deuce

Perkins. Tu as les mêmes goûts que moi.

Un vanneur sec comme un coup detrique, chemise de cow-boy noire ganséede rose. Avec scs bottes, il arrivaitpresque à un mètre quatre-vingt-quinze ;les mains ôtaient énormes.

— Perkins, tes poules, elles reniflent labouche d’incendie.

— Spade aimerait peut-être pas qu’tum’causes comme tu l’fais. Pas avecl’enveloppe que t’as dans la poche.

Lee Vachs, Abe Teitlebaum qui lesobservaient.

— Pas un mot de plus, Perkins.

Deuce se mit à mâchonner un cure-dent.

— Ta pétasse, elle sait que tu prendston fade à secouer les négros et à les fairecasquer ?

Jack indiqua le mur.

— Remonte tes manches et écarte lesjambes.

Perkins recracha son cure-dent.

— T’es pas assez cinglé pour ça.

Johnny Stomp, Vachs, Teitlebaum –tous les trois à portée d’esgourde.

— Baise le mur, connard.

Perkins se pencha pardessus la table,paumes sur le mur. Jack lui remonta lesmanches – des marques toutes récentes -etlui vida les poches. Le gros lot – une

seringue hypo. La foule qui s’amasse – etJack qui lui fait son numéro.

— Avec les traces de piqûres et cetinstrument, tu es bon pour trois ans à laprison d’État. Crache le morceau sur lemec qui t’a vendu l’hypo et je laisseglisser.

Deuce s’emperla de sueur.

— Balance, en face de tous tes amis, ettu caltes, dit Jack.

Perkins se lécha les lèvres.

— Barney Stinson, garçon de salle à laReine des Anges.

Jack lui balaya les deux jambes dupied.

Perkins atterrit tête la première dans lebuffet froid ; la table s’écrasa au sol.

On entendit la pièce pousser un grossoupir.

Jack prit la direction de la sortie, lesgroupes s’écartaient pour lui laisser lepassage. Karen à côté de la voiture, toutefrissonnante.

— Étais-tu obligé de faire ça ?

Il en avait piqué une suée quitransperçait sa chemise.

— Ouais, j’étais obligé.

— Je voudrais bien ne pas avoir vu ça.

— Moi aussi.

— Je crois que c’est une chose de lire

ces choses-là, les voir, c’est tout à faitdifférent. Voudrais-tu essayer de…

Jack l’enlaça de ses bras.

— Ces choses-là, je les garderaiséparées, loin de toi.

— Mais tu continueras à me racontertes histoires ?

— Non… ouais, bien sûr.

— J’aimerais pourvoir remettre lapendule en arrière, ce soir.

— Moi aussi. Dis-moi, veux-tu mangerquelque chose ?

— Non. Veux-tu toujours aller voir leschats ?

Les chats étaient au nombre de trois –

trois copains bien gentils qui essayèrentde s’emparer du lit pendant qu’ilsfaisaient l’amour. Karen appelait le grisTrottoir, le tacheté, Tigre, et le maigrelet,Ellis Loew. Jack se résigna à leurentourage : ils faisaient glousser Karen, etil se dit que chaque rire repoussait DeucePerkins un peu plus loin dans le passé. Ilsfirent l’amour, ils parlèrent, ils jouèrentavec les chats ; Karen essaya unecigarette – et recracha ses poumons. Ellele supplia de lui raconter des histoires ;Jack emprunta aux exploits de l’agentWendell White et fila des versions plustendres de ses propres affaires : gros brasun minimum et papa gâteau à la tonne – leGrand V au grand cœur qui protégeait lesmômes du fléau de la drogue. Au départ,

les mensonges furent difficiles – mais lachaleur de Karen les rendit de plus enplus faciles. À l’approche de l’aube, lajeune fille s’assoupit ; il ne ferma pasl’œil, avec les chats qui le rendaientcinglé. Il continua à espérer qu’elles’éveillerait, qu’il puisse encore luiraconter des histoires ; l’inquiétudevenait le secouer par petites décharges :jamais il ne réussirait à se rappeler tousses faux rôles, elle le prendrait sur le fait,égaré dans ses mensonges énormes, etc’en serait fini de leur petit marché, ilvolerait en éclats. Le corps de Karen sefit plus chaud avec le sommeil ; Jack sepressa contre elle, tout près. Il s’endormiten remettant de l’ordre dans ses histoires.

10

Un couloir. Quinze mètres de long.Avec des bancs qui s’alignent de chaquecôté : éraflés, poussiéreux, tout justesortis d’un recoin d’entrepôt. Bourré àcraquer : des hommes en civil ou enuniforme, plongés dans leur lecture pourla plupart, des journaux qui hurlaient auNoël Sanglant. Bud pensa à Stens et lui,salis et diffamés en première page :épinglés par les espingos et leurs avocats.Il avait reçu sa convocation pour seprésenter à 4 h du matin, tactique detrouille, du travail des A.I. craché. Dickde l’autre côté du couloir – de retour desa cure sèche, directement à la casserole.

Six interrogatoires des Affaires internespar tête de pipe – aucun des deux n’avaitcafté. Une vraie réunion de Noël, toute labande est là – à l’exception d’Ed Exley.

Le temps passait. Trafic chargé avectous les passages au gril dans la salled’interrogatoire. Elmer Lentz laissatomber une bombe : la radio avait dit quele Grand Jury demandait une comparutiongénérale – tous les agents présents auposte de Central le 25 décembre 1951devaient se présenter pour uneconfrontation, tous en ligne, devant lesprisonniers qui seraient là pour identifierles gros durs. La porte du chef Parkers’ouvrit ; Thad Green sortit dans lecouloir : — Agent White, s’il vous plaît.

Bud s’avança ; Green lui fit signed’entrer. Petite pièce : le bureau deParker, des fauteuils devant le bureau.Pas de souvenirs aux murs, rien qu’unmiroir de couleur grisâtre – peut-être uneglace sans tain. Le chef derrière sonbureau, en uniforme, quatre étoiles d’oraux épaulettes. Dudley Smith dans lefauteuil du milieu ; Green qui s’installe auplus près de Parker. Bud s’installa sur legril – le siège où les trois hommespouvaient le voir.

— Officier, dit Parker, vous connaissezle chef adjoint Green, et je suis sûr quevous avez entendu parler du lieutenantSmith. Le lieutenant fait fonction deconseiller à mes côtés pour la durée de lacrise qui nous occupe.

Green alluma une cigarette.

— Officier, il vous est offert unedernière chance de coopérer. Vous avezété interrogé à plusieurs reprises par lesAffaires Internes, et vous avez persistédans votre refus de coopérer. En tempsordinaire, vous auriez été suspendu duservice actif. Mais vous êtes un policierremarquable, et le chef Parker commemoi-même sommes convaincus que vosactions, au cours de cette soirée, portentrelativement peu à conséquence. Vousavez été provoqué, officier. Vous n’avezpas agi de manière délibérément violente.et gratuite, au contraire de la plupart desaccusés.

Bud commença à parler ; Smith le

coupa court :

— Mon gars, je suis sûr que je parle aunom du chef Parker, aussi prendrai-je laliberté d’exprimer mon point de vue sansdétours. Il est regrettable, nom de Dieu,que les six raclures qui ont agressé nosfrères policiers n’aient pas été abattuessur-le-champ. J’estime, quant à moi, quela violence dont on a fait preuve à leurégard a été légère. Mais, soit dit entreparenthèses, les policiers qui ne saventpas maîtriser leurs pulsions n’ont rien àfaire dans la police, et toutes lescomédies qu’ont monté les gens del’extérieur ont fait des services de policede Los Angeles la risée générale. Cela nepeut être toléré. Les têtes doivent rouler.Nous devons obtenir la coopération de

policiers qui seront nos témoins afin deréparer les dommages causés à la bonneimage du Service – une image qui s’estgrandement améliorée sous la directiondu chef Parker. Nous disposons déjà dutémoignage majeur d’un policier, etl’assistant du procureur Ellis Loew resteferme sur ses positions, à savoir savolonté de ne pas poursuivre d’agents duLAPD, même si le Grand Jury rend desverdicts fidèles à la vérité. Mon gars,êtes-vous prêt à témoigner ? Pour leService, pas pour le procureur.

Bud inspecta le miroir – sans tain, àcoup sûr – et sans doute avec des hotusdu bureau du procureur en train deprendre des notes.

— Non, Monsieur. Je refuse.

Parker parcourut du regard une feuillede papier.

— Officier, vous avez soulevé unhomme par le cou avant d’essayer de luifaire éclater le crâne. C’est très grave,car même si l’on vous a provoqué enparoles, votre geste a marqué bien plusque toutes les brutalités accumulées surles prisonniers. C’est en votre défaveur.Mais on vous a entendu marmonner «C’est une honte, nom de Dieu ! », lorsquevous avez quitté le bloc des cellules, cequi est en votre faveur. Maintenant,comprenez-vous de quelle manière votredéposition comme témoin volontairepourrait faire basculer toutes les

conséquences néfastes entraînées parvotre… démonstration de force pleined’imagination ?

Déclic : c’est Exley, leur mec, c’est luiqui m’a entendu, enfermé à double tourdans le magasin.

— Monsieur, je refuse de témoigner.

Parker passa au rouge pivoine.

— Mon gars, dit Smith, parlons peumais parlons bien. J’admire votre refusde trahir des collègues, et j’ai lesentiment que ce qui se cache derrière,c’est votre loyauté à l’égard de votrepartenaire. C’est un point que j’admiretout particulièrement, et le chef Parkerm’a autorisé à vous proposer un marché.

Si vous témoignez quant aux actes deDick Stensland et que le Grand Jury rendeun avis de culpabilité, Stensland nepassera pas une journée derrière lesbarreaux s’il est inculpé. Nous avons laparole d’Ellis Loew. Stensland serarenvoyé du Service sans pension, mais onlui réglera sa pension en dessous detable, grâce à des fonds tirés de la Caissedes veuves et orphelins. Mon gars,voulez-vous témoigner ?

Bud fixa ses regards sur le miroir.

— Monsieur, je refuse de témoigner.

Thad Green lui montra la porte dudoigt.

— Soyez demain, à 9 h, à la Division

43, salle du Grand Jury. Préparez-vous àvous aligner avec les suspects, et soyezprêt à témoigner. Si vous refusez detémoigner, vous recevrez une invitationofficielle à comparaître et vous serezsuspendu de tout service actif en attendantvotre passage devant le conseil dediscipline. Sortez d’ici, White.

Dudley Smith sourit – très légèrement.Bud brandit à l’adresse du miroir unmajeur bien raide.

11

Traces et barbouillis sur le miroir sanstain – toutes les expressions ressortaientfloues. Difficile de lire Thad Green.

Parker, très simple – il changeait decouleurs, plus laides les unes que lesautres. Dudley Smith – lexophile àl’accent chantant – trop calculateur pours’en faire une idée. Bud White, tropfacile, beaucoup trop facile : le chef avaitcité, « C’est une honte, nom de Dieu ! » ;une idée soudaine, une grosse bulle deBD qui prend son envol : « C’est EdExley la balance. » Le salut, majeurdressé, n’était que le glaçage de la

friandise.

Ed tapota le microphone ; descrachotements d’électricité statiqueretentirent. Il faisait chaud dans le réduit– mais moins étouffant que dans lemagasin de la prison de Central. Ilrepensa à ces deux dernières semaines.

Il avait joué le jeu avec Parker, d’égalà égal, d’huile à huile, en lui présentantses trois rapports, d’accord pour déposeren tant que témoin clé du Service. Parkeravait jugé brillante son évaluation de lasituation, marque d’un policierexemplaire. Il avait donné la moinscompromettante des déclarations à EllisLoew et à son enquêteur favori du bureaudu procureur, un jeune diplômé de la

faculté de droit, Bob Gallaudet. On avaitfait basculer les responsabilités, plus quede raison, sur le sergent RichardStensland et l’agent Bud White ; moinsque de raison, sur trois hommes dont laretraite était déjà garantie. Récompensedu chef à son témoin exemplaire : untransfert à la brigade des Inspecteurs –énorme promotion. Avec l’examen delieutenant dans la poche, il serait lelieutenant inspecteur E.J. Exley.

Green quitta le bureau ; Ellis Loew etGallaudet firent leur entrée. Loew etParker se mirent à conférer ; Gallaudetouvrit la porte.

— Sergent Vincennes, s’il vous plaît…– crachotements dans le haut-parleur.

Jack la Poubelle : tiré à quatre épinglesdans un costard à rayures blanches. Pasde civilités – il s’installe sur le siègecentral en consultant sa montre. Unéchange de regards – Poubelle, EllisLoew. Parker reluque le nouveau poissondans la nasse. Facile, la lecture – dumépris, pur et simple.

Gallaudet se tenait près de la porte. Ilfumait.

— Sergent, dit Ellis Loew, nous ironsdroit au but. Vous vous êtes montré trèscoopératif avec les A.I., ce qui est envotre faveur. Mais neuf témoins vous ontidentifié comme ayant frappé JuanCarbijal, et quatre ivrognes alors encellule vous ont vu en train de transporter

une caisse de rhum. Voyez-vous, votrenotoriété vous a précédé. Même lesivrognes lisent les feuilles à scandales.

Dudley Smith prit le relais.

— Mon gars, nous avons besoin devotre notoriété. Nous avons notre témoin,une étoile de première grandeur, qui diraau Grand Jury que vous avez frappé pourriposter après avoir été frappé enpremier, puisque c’est probablement lavérité ; les témoignages ultérieurs desprisonniers vous blanchiront. Mais nousavons besoin de vous pour admettre avoirintroduit l’alcool avec lequel les hommesse sont enivrés. Reconnaissez cetteinfraction aux règlements interservices etvous vous en tirerez avec un passage

devant le conseil de discipline. M. Loewnous assure qu’il étouffera touteinculpation criminelle, si besoin était, enla classant sans suites.

La Poubelle ne bougea pas. Edinterpréta les signes : c’est Bud White quia fait entrer la plus grosse part de lagnôle, il a peur de le dénoncer.

— Il faudra qu’il y ait un vasteremaniement au sein du Service, ditParker. Témoignez, et vous recevrez unblâme mineur devant le conseil dediscipline, pas de suspension, pas derétrogradation. Vous vous ferez taper surles doigts, mais je vous garantis unesanction sans grande importance – untransfert à l’administration des Mœurs

pour une année ou à peu près.

De Vincennes à Loew :

— Ellis, est-ce qu’il me reste unemonnaie d’échange avec vous ? Voussavez ce que ça représente, pour moi, detravailler aux Stups ?

Loew tiqua.

— Il ne vous en reste aucune, ditParker, et ce n’est pas tout. Vous serezprésent à la confrontation de demain, dansles rangs des suspects, et nous voulonsque vous témoigniez contre les agentsKrugman et Pratt et le sergent Tucker.Tous les trois peuvent d’ores et déjàprétendre à leur pension. Notre témoinclé répondra à toutes les questions, mais

vous pourrez plaider l’ignorance quant àcelles qui porteront sur les autrespoliciers. Franchement, il nous fautapaiser la volonté publique de voir lesang couler en lui abandonnant quelques-uns des nôtres.

— Mon gars, dit Dudley Smith, jedoute que vous ayez jamais faitstupidement un pas de travers. Necommencez pas aujourd’hui.

— Je témoignerai, dit Jack la Poubelle.

Sourires à la ronde.

— Je prépare votre témoignage endétail avec vous, sergent, dit Gallaudet.Déjeuner au Dining Car. Sur le compte deM. Loew.

Vincennes se leva ; Loewl’accompagna jusqu’à la porte. Desmurmures dans le haut-parleur.

— … et j’ai dit à Cooley que vous nele feriez plus.

— Okay, patron.

Parker fit un signe de tête au miroir.

Ed entra et se dirigea droit sur le gril.

— Mon gars, vous ressemblezbeaucoup au grand homme du moment, ditSmith.

Parker sourit.

— Ed, je vous ai fait regarder lesinterrogatoires parce que votre évaluationde la situation a été très astucieuse.

Quelques dernières réflexions avant votretémoignage ?

— Monsieur, suis-je en droit deprésumer que quelles que puissent êtreles recommandations du Grand Jury,toutes les inculpations demandées seront,ou volontairement retardées à un avenirlointain, ou étouffées par M. Loew aucours de la procédure qui suivra ?

Loew fit la grimace. Ed avait touché auvif, exactement ainsi que l’avait dit sonpère.

— Monsieur, est-ce que je me trompe ?

Loew, très paternaliste :

— Avez-vous suivi les cours de lafaculté de droit, sergent ?

— Non, monsieur.

— En ce cas, votre estimé père vous aété de très bon conseil.

— Non, Monsieur – la voix ferme etassurée – il ne m’a été d’aucun conseil.

— Supposons que vous ayez raison, ditSmith. Supposons que nous portions tousnos efforts vers ce que désirent tous lespoliciers loyaux : pas de frères policiersjugés en public. Cela supposé, queconseillez-vous ?

Le numéro qu’il s’était répété – motpour mot.

— Le public exigera plus que desrecommandations à poursuivre, destactiques d’ajournement ou des

inculpations abandonnées sans suites. Lesconseils de discipline interservices, lessuspensions, et un grand remaniementavec transfert de personnel ne suffirontpas. Vous avez déclaré à l’agent Whiteque des têtes devront rouler. Je suisd’accord ; et pour le prestige personneldu chef comme pour le prestige duService, je pense que nous aurons besoinde verdicts de culpabilité criminelle et depeines de prison.

— Mon gars, je suis choqué par ladélectation avec laquelle vous venez dedéclarer cela.

D’Ed à Parker :

— Monsieur, vous avez repris leService là où l’avaient laissé Horrall et

Worton et vous avez redressé la situation.Votre réputation est exemplaire et leService s’est grandement amélioré. Vouspouvez faire en sorte qu’il le reste.

— Crachez le morceau, Exley, ditLoew. Que pense au juste notre jeuneinformateur policier, que nous devrionsfaire ?

Ed, les yeux rivés sur Parker :

— Annulez les inculpations deshommes qui ont fait leurs vingt ans. Faitesconnaître le remaniement et les transferts,et faites passer le plus gros de la troupeen conseil de discipline avec suspensionsà la clé. Inculpez Johnny Brownell, dites-lui de demander à ne pas comparaître, etobtenez du juge qu’il le laisse en liberté

avec une condamnation avec sursis – l’undes policiers agressés à l’origine étaitson frère. Et inculpez, jugez et condamnezDick Stensland et Bud White. Assurez-vous qu’ils fassent de la prison. Virez-lesdu Service. Stensland est une bruteavinée, White a presque tué un homme, etil a ramené plus d’alcool que Vincennes.Jetez-les aux lions, nom de Dieu !Protégez-vous, protégez le Service !

Silence. Un silence qui dure. Smithl’interrompit.

— Messieurs, je pense que les conseilsde notre jeune sergent sont trop brutaux ethypocrites. Stensland a des tendancesbrutales, mais Wendell White est unpolicier de valeur.

— Monsieur, White est une brutehomicide.

Smith ouvrit la bouche pour parler ;Parker leva la main.

— Je pense que les conseils d’Ed sontà prendre en considération. Épinglez-lesdevant le Grand Jury, demain, fils.Habillez-vous avec élégance, épinglez-les, et emportez le morceau.

— Oui, monsieur, dit Ed.

Il s’obligea à ne pas crier sa joiejusqu’au plafond.

12

Projecteurs, repères de toise : Jack, 1m 78 ; Frank Doherty, Dick Stens et JohnBrownell, les petits, Wilbert Huff et BudWhite au-dessus du mètre 80. De l’autrecôté de la vitre, les connards de la prisonde Central, au coude à coude avec lesflics du procureur qui relevaient lesnoms.

— Profil gauche, couina un haut-parleur.

Six hommes se tournèrent.

— Profil droit, face au mur, face aumiroir, repos, messieurs.

Silence, puis :

— Quatorze identifications chacun,pour Doherty, Stensland, White etBrownell, quatre pour Huff… Oh merde,les haut-parleurs sont branchés !

Stens craqua.

— Va te faire chier, enfoiré, dit FrankDoherty.

White resta sans expression – pareil àlui-même, comme à la ferme-prison, àprotéger Stens des négros.

— Sergent Vincennes, dit la voix duhaut-parleur, salle 114 ; agent White, aurapport, bureau du chef Green. Tous lesautres, rompez.

114 – salle des témoignages devant le

Grand Jury.

Jack avança, derrière les rideaux,jusqu’à la 114. Salle pleine : lesplaignants du Noël Sanglant, Ed Exleydans un costume trop neuf, des filspendant encore aux manches. Les mecs deNoël ricanèrent ; Jack harponna Exley.

— C’est vous le témoin clé ?

— C’est exact.

— J’aurais dû me douter que c’étaitvous. Qu’est-ce que Parker vous balance?

— Me balance ?

— Ouais, Exley. Ce qu’il vousbalance. Le marché, la carotte. Vouscroyez que moi, je témoigne gratis ?

Exley tripatouilla ses lunettes.

— Je ne fais que mon devoir.

Jack éclata de rire.

— Vous ne jouez pas gratis, l’étudiant !Vous vous ramassez quelque chose dansl’affaire, comme ça vous n’aurez pas àfrayer avec tout le bas peuple, tous lesputains de flics qui vont vous en vouloir àmort pour avoir fait votre putain debalance. Et si Parker vous a promis leBureau, faites gaffe. Y a des mecs duBureau qui vont laisser des plumes dansl’histoire, et il va vous falloir bosseravec des amis à eux.

Exley tiqua ; Jack se mit à rire.

— Jolie carotte, je dois l’admettre.

— C’est vous l’expert en carottes. Pasmoi.

— Vous me dépasserez très bientôt engrade, alors il faudrait que je me montregentil. Saviez-vous que la nouvelle petiteamie d’Ellis Loew en pinçait bien pourvous ?

— Edmund J. Exley, en salle, appelaun employé.

Jack lui adressa un clin d’œil.

— Allez. Et coupez les fils quidépassent de votre veste, sinon vous allezressembler à un péquenot.

Exley traversa le couloir – à sepomponner, en tirant sur les fils.

Jack tua le temps – à penser à Karen.

Dix jours depuis la réception : pourl’essentiel, la belle vie, que des numérosgagnants. Il avait dû présenter ses excusesà Spade Cooley ; Welton Morrow luifaisait la gueule ainsi qu’à Karen – maisil y trouvait presque une compensationavec le marché tiédasse Joanie/EllisLoew. Les piaules d’hôtel commençaientà faire. Karen vivait chez elle ; chez lui,c’était le vrai trou. Il négligeait sespaiements aux mômes Scoggins pourpouvoir faire le poids à l’hôtelAmbassadeur. Karen adorait leromanesque de leur liaison illicite ; luil’adorait parce qu’elle adorait ça. Quedes numéros gagnants. Mais Sid Hudgensn’avait pas appelé, et L.A. était à sec :plus un gramme d’héroïne – fini les

pépettes des Stups. Une année àl’administration des Mœurs se profilait àl’horizon, comme la chambre à gaz.

Il se sentait pareil à un combattant prêtà faire le plongeon. Les tarés de Noëlcontinuaient à le dévisager ; le minablequ’il avait tabassé avait une agrafe sur lenez – probablement un truc bidon que sonavocat juif lui avait dit de porter. La portede la salle du Grand Jury était entrouverte; Jack s’avança, il regarda à l’intérieur.

Six jurés à une table, face à la barredes témoins ; Ellis Loew faisant voler sesquestions – Ed Exley à la réception, à labarre.

Il ne jouait pas avec ses lunettes ; iln’hésitait pas à trouver ses mots. Sa voix

était d’une octave plus basse que lanormale – et elle restait toujours égale.Un peu sec, pas du tout le modèle flic, illui restait toujours de l’autorité – et sonminutage était parfait. Loew lui lançaitdes collantes parfaites, de vraies casse-gueule ; Exley savait qu’elles arrivaient,mais jouait à l’étonné. Celui qui l’avaitpris en mains pour la répétition avait faitun putain de boulot, du travail en beauté,de toute première classe.

Jack piocha quelques détails, sentitExley qui cherchait loin : le héros de laguerre – et pas la petite fillette faiblardeau milieu de cellules pleines de grosbras. Loew fit mousser, et les réponsesd’Exley firent mouche, avec brio : il avaitété submergé par le nombre, on lui avait

dérobé ses clés, on l’avait enfermé àdouble tour dans le magasin – et voilà.C’était un homme qui savait qui il était. Ilsavait toute la futilité des héroïsmes bonmarché.

Exley y alla de son baratin : jetant auxlions Brownell, Huff, Doherty. Dans sabouche, Dick Stensland devint le pire despires et il n’eut pas un battement de cilsen balançant Bud White. Jack souritquand il pigea la coupure : tout étaitdétourné dans une direction précise :Krugman, Pratt, Tucker, sûrs de toucherleur retraite, servaient de boucsémissaires – pour son témoignage à lui,Vincennes. Stensland et White – directiontombe-la-ville, bons pour l’inculpation.Quel putain de numéro d’acteur !

Loew demanda une récapitulation.Exley l’obligea : un vrai méli-mélo dejustice. Loew l’excusa ; les juréss’évanouirent presque. Exley quitta le boxdes témoins en boitant – il s’étaitprobablement coincé les guibollespendant son sommeil…

Jack le retrouva à l’extérieur.

— Vous avez été bon. Parker auraitadoré ça.

Exley se dégourdit les jambes.

— Vous croyez qu’il lira les minutes ?

— Il les aura sur son bureau dans dixminutes, et Bud White vous enculera pourça, même si ça doit lui prendre le restantde ses jours. Après la confrontation, il a

été convoqué chez Thad Green, et vouspouvez être sûr que Green l’a suspendu.Vous feriez bien de prier pour qu’ilréussisse à conclure un arrangement etreste dans le Service, parce que celui-là,c’est bien le seul civil qu’il vaut mieux nepas avoir sur le dos.

— Est-ce pour cela que vous n’avezpas dit à Loew qu’il avait introduit laplus grande partie de l’alcool ?

— Jack Vincennes, cinq minutes,retentit la voix de l’huissier.

Jack se rassembla un peu de courage.

— Je balance trois vieux de la vieillequi, dès la semaine prochaine, seront à lapêche en Oregon. À côté de vous, j’ai le

nez propre. Et je me sers de ma cervelle.

— Nous faisons l’un comme l’autre lachose à faire. Seulement, vous, vous vousdétestez en le faisant, et ça, ce n’est pastrès malin.

Jack vit Ellis Loew et Karen au bout ducouloir. Loew s’avança jusqu’à lui— J’aidit à Joan que tu témoignais aujourd’hui,et elle l’a dit à Karen. Je suis désolé,j’avais parlé à Joan en toute confiance.Jack, je suis désolé. J’ai dit à Karenqu’elle ne pourrait pas assister à tontémoignage, et qu’elle devrait écouter auhaut-parleur dans mon bureau. Jack, jesuis désolé.

— Mon petit Juif, il n’y a pas à dire, tusais t’y prendre pour t’assurer un bon

témoin.

13

Bud bichonnait son whisky-soda.

Le boucan du juke-box lui cognait auxoreilles ; il avait la plus mauvaise placede tout le bar – une banquette du fond,près des téléphones. Ses vieillesblessures de football palpitaient – et il enbandait de se faire Exley. Plus d’insigne,plus d’arme, belle cible pour lesinculpations qui dégringolaient – larouquine pas loin de la quarantaineressemblait à ce qu’il avait jamais vu deplus beau. Il prit son verre et s’approchad’elle.

Elle lui sourit. Le roux avait l’air

factice – mais le visage était gentil. Budsourit.

— C’est un Old Fashioned que vousbuvez ?

— Oui, et je m’appelle Angela.

— Moi, c’est Bud.

— Ça n’existe pas, quelqu’un qui estné avec pour nom Bud.

— Quand on vous colle un prénomcomme «Wendell», on recherche unpseudonyme.

Angela éclata de rire.

— Que faites-vous dans la vie, Bud ?

— Disons qu’en ce moment précis, jesuis entre deux boulots.

— Oh ? Et qu’est-ce que vous avezdonc fait ?

SUSPENDU ! PUTAIN DE CONNARD : ÀCHEVAL DONNÉ ON NE REGARDE PAS LABRIDE !

— J’ai refusé de jouer le jeu avec monpatron. Angela, que diriez-vous de…

— Vous voulez dire un conflit syndicalou quelque chose comme ça ?J’appartiens à la Fédération unifiée desprofesseurs, et mon ex-mari était chefd’atelier, inscrit aux Camionneurs. Est-ceque c’est ça que…

Bud sentit une main sur son épaule.

— Mon gars, pourrais-je vousentretenir un instant ?

Dudley Smith ! APPELEZ ÇA LES A.I. ENFILOCHE.

— De cette affaire-ci, lieutenant ?

— Effectivement, celle-là même. Ditesbonsoir à votre nouvelle amie et venezme rejoindre à l’une de ces tables dufond. J’ai dit au barman de baisser lamusique, que nous puissions parler.

Un morceau bondissant se changea ensourdine ; Smith s’éloigna. Un marin avaitmis le grappin sur Angela. Bud se dirigeavers le coin salon.

Douillet, le petit coin. Smith, deuxfauteuils, une table – un journal sur latable, un petit tas pardessous. Bud s’assit.

— Les A.I. me collent au train ?

— Oui, ainsi qu’à tous les autresinculpés probables. C’est une idée devotre copain Exley. Le petit gars a un peul’oreille du chef Parker et il lui a dit quevous et Stensland pourriez être tentés decommettre des actes irréfléchis. Exleyvous a cloué au pilori, mon gars, vous etnombre d’hommes respectables, à labarre des témoins. J’ai lu les minutes.Son témoignage est de la haute trahison,et c’est un affront méprisable à la face detous les policiers honorables.

Stens – terré dans son trou, à picolerjusqu’à plus soif.

— Est-ce que ce journal ne dit pas quenous avons été inculpés ?

— Ne vous précipitez donc pas, mon

gars. J’ai fait usage de la part de l’oreilledu chef qui me reste pour faire levervotre filature, vous êtes donc avec unami.

— Lieutenant, que voulez-vous ?

— Appelez-moi Dudley, dit Smith.

— Dudley, que voulez-vous ?

Ho-ho-ho – belle voix de ténor.

— Mon gars, vous m’impressionnez.J’admire votre refus de témoigner et votreloyauté à l’égard de votre partenaire,pour infondée qu’elle soit. Je vousadmire en tant que policier,particulièrement pour votre adhésion à laviolence lorsqu’elle s’avère uncomplément nécessaire du travail lui-

même, et je suis des plus impressionnéspar votre façon de punir les tabasseurs defemmes. Les haïssez-vous, mon gars ?

Les grands mots – la tête qui lui tourne.

— Ouais, je les hais.

— Et à juste titre, à en juger par ce queje sais de votre passé. Haïssez-vous autrechose avec la même intensité ?

Des poings tellement serrés qu’il enavait les mains douloureuses.

— Exley. Putain d’Exley. Jack laPoubelle, il faudrait qu’il soit là-haut, luiaussi. Dick Stensland est en train de sefaire une cirrhose pasque ces deux-lànous ont balancés.

— Pas Vincennes, mon gars, dit Smith

en secouant la tête. Il a servi de prétexteau Service, et nous avons eu besoin de luipour offrir quelques pièces au bureau duprocureur. Il n’a cafté que des hommesqui avaient fait leurs vingt ans, et c’est luiqui a endossé la responsabilité pourl’alcool que vous avez apporté à lasoirée. Non, mon gars, Jack ne mérite pasvotre haine.

Bud se pencha pardessus la table.

— Dudley, que voulez-vous ?

— Je veux vous éviter une inculpationet je veux que vous repassiez en serviceactif, et je connais un moyen pour quevous y parveniez.

Bud regarda le journal.

— Comment ?

— Travaillez pour moi.

— À faire quoi ?

— Non, d’abord, quelques questionsencore. Mon gars, reconnaissez-vous lanécessité de contenir le crime, de legarder dans ses limites géographiques, ausud de Jefferson, avec l’élément noir ?

— Bien sûr.

— Et pensez-vous qu’il faille autoriserl’existence d’une certaine fraction ducrime organisé afin qu’elle perpétuecertains vices acceptables qui ne font demal à personne ?

— Bien sûr, une façon de défendre lesintérêts de l’électorat. Il faut bien laisser

un peu de mou à la ficelle. Qu’est-ce queça a à voir…

Smith ôta brutalement le journal – uninsigne et un 38 spécial se mirent à luire àla lumière. Bud sentit des picotementssous son crâne.

— Je savais que vous aviez del’influence. Vous avez tout arrangé avecGreen ?

— Oui, mon gars, j’ai tout arrangé –avec Parker. Grâce au morceau d’oreillequ’Exley n’a pas empoisonné. Il a dit quesi le Grand Jury ne délivrait pas unerecommandation à poursuivre contrevous, votre refus de témoignern’entraînerait pas de punition. Etmaintenant, ramassez vos affaires avant

que le propriétaire n’appelle la police.

RAYONNANT – Bud ramassa sesjoujoux.

— Nom de Dieu, ils ne m’ont riencollé sur le dos ?

Ho-ho-ho, ricanant et railleur :

— Mon gars, le chef savait qu’il meproposait un coup risqué, et je suisheureux que vous n’ayez pas lu le FourStars Herald.

— Comment ? dit Bud.

— Pas tout de suite, mon gars.

— Et Dick, alors ?

— C’est fini pour lui, mon gars. Et neprotestez pas, parce que c’était

inévitable. L’accusation a été reconnuevalide, il sera inculpé et il sera balancé.C’est lui le bouc émissaire du Service,sur ordre de Parker. Et c’est Exley qui l’aconvaincu de livrer Dick aux loups. Avecune accusation pour crime, et la prison àla clé.

Il faisait chaud dans la salle, commesur un gril – Bud desserra son nœud decravate et ferma les yeux.

— Mon gars, je trouverai une gentillecouchette à Dick à la ferme-prison. Jeconnais là-bas une adjointe qui peutarranger les choses, et lorsqu’il sortira, jelui garantis qu’il pourra se faire Exley.

Bud ouvrit les yeux ; Smith avait ouvertle Herald en grand. Titre en première :

DES POLICIERS INCULPÉS

DANS LE SCANDALE DU NOËL SANGLANT.

En dessous, une colonne entourée :

Le sergent Richard Stensland reconnucoupable de quatre chefs d’accusation.Trois flics, des vieux de la vieille, Lentz,Brownell, Huff, reconnus coupables avecdeux chefs d’accusation par tête.

Souligné :

L’agent Wendell White, 33 ans, n’a pasreçu d’assignation à comparaître, bienque plusieurs sources du bureau duprocureur aient déclaré que desinculpations pour agression au premierdegré paraissaient imminentes. Ledélégué du Grand Jury a déclaré quequatre des victimes de brutalités

policières sont revenues sur leurstémoignages précédents, selon lesquelsl’officier de police White aurait essayéd’étrangler Juan Carbijal, âgé de 19 ans.Les témoignages ainsi rendus caduquesétaient en directe contradiction avec letémoignage du sergent du LAPD, EdmundJ. Exley, qui avait déposé sous sermentque White avait effectivement tenté deblesser grièvement Carbijal. Letémoignage du sergent Exley ne s’enretrouve pas pour autant entaché,puisqu’il a conduit à des inculpationsprobables contre sept autres officiers depolice ; cependant, bien que les membresdu Grand Jury aient mis en doute lacrédibilité de ces rétractations, ils les ontjugées suffisantes pour rapporter les

demandes d’inculpation issues du bureaudu procureur à rencontre de l’officier depolice White. L’assistant du procureur,Ellis Loew, a déclaré aux journalistes : «Un événement douteux s’est produit, maisje ne connais pas sa nature. Quatrerétractations doivent finalement emporterla décision sur les déclarations d’untémoin unique, fût-ce un témoin aussisuperbe que le sergent Exley, hérosdécoré de la guerre. »

Les lignes se mirent à tourbillonner.

— Pourquoi ? dit Bud. Pourquoi avez-vous fait ça pour moi ? Et comment ?

Smith chiffonna le journal.

— Mon gars, j’ai besoin de vous pour

une nouvelle affectation, et Parker m’adonné le feu vert. C’est un travail decontention, une annexe à la Criminelle.Nous allons l’appeler «Détachement desurveillance», une appellation inoffensivepour une fonction à laquelle peud’hommes sont aptes, mais qui chez vousest innée. C’est un boulot de gros bras, unboulot arme au poing, un boulot quiimplique un minimum de questions devotre part. Mon gars, voyez-vous où jeveux en venir ?

— En Technicolor.

— Vous serez transféré des Inspecteursde Central lorsque Parker fera l’annoncede son remaniement. Acceptez-vous detravailler pour moi ?

— Je serais cinglé de refuser.Pourquoi, Dudley ?

— Pourquoi quoi, mon gars ?

— Vous avez poignardé Ellis Loewdans le dos pour me sortir de la panade,et tout le monde, au Bureau, sait que vouset lui êtes comme les doigts de la mêmemain. Pourquoi ?

— Parce que j’aime votre style, mongars. Cette réponse suffira-t-elle ?

— Je suppose que je devrai m’encontenter. Et maintenant, voyons le«comment».

— Comment quoi, mon gars ?

— Comment vous avez obtenu desespingos qu’ils reviennent sur leurs

déclarations.

Smith déposa sur la table un coup-de-poing américain en laiton : écorné,marqué de sang coagulé.

Calendrier1952

COUPURES DE PRESSEL.A. MIRROR NEWS

19 MARSSCANDALE DES BRUTALITÉS POLICIÈRES :

LA POLICE DISCIPLINE LES SIENS

AVANT QUE LES BREBIS GALEUSES

NE PASSENT EN JUGEMENT

Le chef du LAPD William H. Parkeravait promis qu’il ferait justice, en faisanttoute la lumière – « où que cette enquêtepuisse mener » – dans l’écheveau emmêlédes brutalités policières et des poursuitesen dommages et intérêts, connuaujourd’hui sous le nom de scandale du«Noël Sanglant».

Sept officiers de police ont étéinculpés pour agression criminelle et

voies de fait, suite à leurs actions à laprison de la division de Central, le matinde Noël, l’année dernière. Ces officierssont les suivants : Sergent Ward Tucker,inculpé pour agression au second degré.

Agent Michael Krugman, agression ausecond degré et voies de fait.

Agent Henry Pratt, agression au seconddegré.

Sergent Elmer Lentz, agression aupremier degré et voies de fait.

Sergent Wilbert Huff, agression aupremier degré et voies de fait.

Agent John Brownell, agression aupremier degré et voies de fait avecviolence.

Sergent Richard Stensland, agressionau premier degré, voies de fait avecviolence, violences au premier degré,coups et blessures et violences.

Parker ne s’est pas appesanti sur lesaccusations auxquelles les policiersinculpés auront à faire face, ou sur lesdizaines de plaintes civiles en dommageset intérêts que les victimes de brutalitéspolicières : Dinardo Sanchez, JuanCarbijal, Dennis Rice, Ezekiel Garcia,Clinton Rice et Reyes Chasco, ontdéposées individuellement contre lespoliciers et les services de police de LosAngeles. Il a annoncé que les officiersdont les noms suivent passeraient devantle conseil de discipline interservices.S’ils n’étaient pas lavés de toute

accusation, ils recevraient de sévèressanctions disciplinaires au sein même duService.

Sergent Walker Crumley, sergentWalter Dukeshearer, sergent FrancisDoherty, agent Charles Heinz, agentJoseph Hernandez, sergent WillisTristano, agent Frederick Turentine,lieutenant James Frieling, agent WendellWhite, agent John Heineke et sergent JohnVincennes.

Parker a terminé sa conférence depresse en louant le sergent Edmund J.Exley, l’officier de police de la divisionde Central qui s’est porté volontaire pourtémoigner devant le Grand Jury. « Il afallu un grand courage à Ed Exley pour

faire ce qu’il a fait, a dit le chef. J’ai pourlui la plus grande admiration. »

L.A. EXAMINER

11 AVRIL

ABANDON DESINCULPATIONS

POUR CINQ PRÉVENUS DU «NOËLSANGLANT» PARKER RÉVÈLE LES DÉCISIONS

DES CONSEILS DE DISCIPLINE

Le Bureau du Procureur a annoncéaujourd’hui que cinq des prévenusimpliqués dans le scandale des brutalitéspolicières du «Noël Sanglant» de l’annéedernière ne passeront pas en jugement.Les officiers de police Michael Krugmanet Henry Pratt et le sergent Ward Tucker,tous obligés de démissionner des services

de police de Los Angeles à la suite desordonnances de renvoi rendues à leurencontre, ont vu leurs inculpationsabandonnées, suite à l’absence ou àl’abandon de témoignages valides.L’assistant du procureur, Ellis Loew, quiétait décidé à les poursuivre, a expliqué :« Nombre de témoins mineurs, incarcérésà la prison du poste de Central à Noëldernier, sont introuvables. » Conséquenceliée à cette affaire : le chef du LAPD,William H. Parker, a annoncé les résultatsd’un «remaniement massif’ du personnelde police. Les officiers dont les nomssuivent – inculpés ou non inculpés – ontété reconnus coupables de diversesinfractions aux règlements interservices,par référence à leur comportement au

matin de Noël dernier.Sergent Walter Crumley : six mois de

suspension du service actif, sans solde,transféré à la Division de Hollenbeck.

Sergent Walter Dukeshearer, six moisde suspension du service actif, sanssolde, transféré à la Division de NewtonStreet.

Sergent Francis Doherty, quatre moisde suspension du service actif, sanssolde, transféré à la division de Wilshire.

Agent Charles Heinz, six mois desuspension du service actif, sans solde,transféré au contrôle des «sans domicilefixe» de South Side.

Agent Joseph Hernandez, quatre mois

de suspension du service actif, sanssolde, transféré à la division de laSoixante-dix-septième Rue.

Sergent Wilbert Huff, neuf mois desuspension du service actif, sans solde,transféré à la division de Wilshire.

Sergent Willis Tristano, trois mois desuspension du service actif, sans solde,transféré à la division de Newton Street.

Agent Frederick Turentine, trois moisde suspension du service actif, sanssolde, transféré à la division d’EastValley.

Lieutenant James Frieling, six mois desuspension du service actif, sans solde,transféré au bureau d’instruction de

l’académie du LAPD.

Agent John Heineke, quatre mois desuspension du service actif, sans solde,transféré à la division de Venice. SergentElmer Lentz, neuf mois de suspension duservice actif, sans solde, transféré à ladivision de Hollywood.

Agent Wendell White, pas desuspension, transféré à l’annexe de laCriminelle, détachement de surveillance.Sergent John Vincennes, pas desuspension, transféré à l’administrationdes Mœurs.

L.A. TIMES

3 MAIUN DES ACCUSÉS DU SCANDALE POLICIER

CONDAMNÉ AVEC SURSIS.

L’agent John Brownell, 38 ans, lepremier policier de Los Angeles impliquédans le scandale du «Noël Sanglant» àpasser en jugement, a plaidé coupableaujourd’hui à sa présentation devant letribunal. Il a demandé au juge Arthur J.Fitzhugh de le condamner immédiatementsur les chefs d’accusation dont il estinculpé, à savoir «agression au premierdegré et voies de fait avec violence».

Brownell est le frère aîné de l’agentdes Patrouilles du LAPD Frank D.

Brownell, l’un des deux officiers depolice blessés au cours d’une rixe de baravec six jeunes gens, la veille de Noëldernier. Le juge Fitzhugh, prenant encompte le fait que l’agent Brownell a agià son corps défendant, suite aux tensionspsychologiques dues aux blessures de sonfrère, et qu’il a été rayé des cadres desservices de police de Los Angeles sanspension, a lu le rapport des services demise en liberté conditionnelle du comtéqui recommandait une libération surparole sans période effectived’emprisonnement. Il a ensuite condamnéBrownell à un an à la prison du comté,avec sursis, en lui ordonnant de seprésenter devant l’officier en chef desConditionnelles du comté, Randall

Milteer.

L.A. EXAMINER

29 MAISTENSLAND CONDAMNÉ :

LA PRISON POUR LE POLICIER DE L.A.

… le jury composé de huit hommes etquatre femmes a rendu un verdict deculpabilité à rencontre de Stensland, surquatre chefs d’accusation : agression aupremier degré, voies de fait avecviolence, violences au premier degré etcoups et blessures avec violence.L’inculpation de l’ex-policier trouvait sonorigine dans les mauvais traitements qu’ilétait accusé d’avoir fait subir auxprisonniers de la prison de Central,l’année dernière, au cours du scandale du

«Noël Sanglant». Au cours d’untémoignage acerbe, le sergent E.J. Exley adéclaré que Stensland « s’était déchaînécontre des hommes désarmés ». L’avocatde Stensland, Jacob Kellerman, a mis endoute la crédibilité d’Exley, en déclarantqu’au matin des événements, il était restéenfermé à double tour dans le magasin duposte la majeure partie du temps.Finalement, les jurés ont cru le sergentExley, et Kellerman, citant lacondamnation avec sursis reçue par ledéfendeur du «Noël Sanglant» JohnBrownell, a demandé l’indulgence du jurypour son client. Le juge ne l’a pas suivi.Il a condamné Stensland, déjà rayé descadres du LAPD, à une annéed’emprisonnement à la prison du comté

en le renvoyant en détention provisoiresous la responsabilité des adjoints dushérif qui devront l’escorter jusqu’auWayside Honor Rancho. Alors qu’onl’emmenait, Stensland a hurlé desobscénités à l’égard du sergent Exley,lequel reste injoignable pour apporter sescommentaires.

ARTICLE DE PRESSECAVALCADE WEEK-END

MAGAZINE

L.A. MIRROR

3 JUILLETDEUX GÉNÉRATIONS D’EXLEY SERVENT

POUR LE BIEN DU SUD DE L’ÉTAT

La première chose qui frappe devantPreston Exley et son fils Edmund, c’estqu’ils ne parlent pas comme des flics,même si Preston a servi au sein desservices de police de Los Angelespendant quatorze années, et si son fils faitpartie des rangs du LAPD depuis 1943,peu avant qu’il ne parte à la guerre où il agagné la Distinguished Service Cross surle théâtre du Pacifique. En fait, avant quele clan des Exley eût émigré enAmérique, leur arbre généalogique avait

déjà donné naissance à des générationsd’inspecteurs de Scotland Yard. Letravail de police, c’est une chose que leclan a dans le sang, mais plus encore, ilpossède une volonté farouche de réussir.

Exemple : Preston Exley a passé undiplôme d’ingénieur à l’USC en suivantles cours du soir après des journéespassées à arpenter les quartiersdangereux de ses rondes.

Exemple : feu Thomas Exley, fils aînéde Preston, a obtenu les plus hautesmoyennes en matières théoriques de toutel’histoire de l’académie du LAPD, et lemur du bâtiment administratif del’académie porte une plaquecommémorant son souvenir. Thomas fut

tragiquement tué dans l’exercice dudevoir, peu après avoir obtenu sondiplôme. Exemple complémentaire : lessecondes meilleures moyennes ont étéobtenues par Ed Exley en personne,diplômé avec mention de l’UCLA, à dix-neuf ans, en 1941. Les preuves remontentloin, des générations en arrière : lesExley ne parlent pas comme des flicsparce qu’ils ne sont pas des policierstypiques.

Les deux hommes ont fait récemment laune des journaux. Preston, 58 ans, s’estassocié avec Raymond Dieterling –créateur de bandes dessinées, cinéaste,présentateur et producteur de programmestélévisés de réputation mondiale – pourconstruire Dream-a-Dreamland, le Pays

des Rêves, le parc d’attractionsgigantesque qui est sorti du sol il y a sixmois, et dont la fin des travaux etl’ouverture au public sont prévues pour lafin du mois d’avril de l’année prochaine.Exley père a commencé sa carrière dansles travaux publics après avoir quitté leLAPD, en 1936, emmenant avec lui sonpremier assistant, le lieutenant Arthur DeSpain. Dans sa vaste demeure deHancock Park, Preston Exley s’estentretenu avec le correspondant duMirror, Dick St Germain.

« J’avais un diplôme d’ingénieur, etArt connaissait le bois de construction, a-t-il déclaré. Nous disposions deséconomies d’une vie, l’un et l’autre, etnous avons emprunté à certains

investisseurs indépendants quiappréciaient notre mentalité d’aventuriersaimant le risque. Nous avons démarréExley Constructions en bâtissant desmaisons bon marché, puis des maisons demeilleure qualité, puis des immeubles debureaux, puis l’autoroute d’Arroyo Seco.Nous avons prospéré au-delà de mesrêves les plus fous. Aujourd’hui, àDream-a-Dreamland, tous les doux ettendres rêves de millions de gens sevoient exaucés, sur cent hectares. D’unecertaine manière, il est difficile de fairemieux. »

Exley sourit. « Ray Dieterling est unvisionnaire, dit-il. Dream-a-Dreamlanddonnera aux gens l’occasion de vivredans la vraie vie les mondes si nombreux

qu’il a créés au travers de ses films et deses dessins animés. La montagne qu’ilappelle le monde de Paul en est un parfaitexemple. Paul Dieterling, le fils de Ray,est mort tragiquement, tué dans uneavalanche dans le milieu des années 30.Aujourd’hui, il existera une montagne quisera un témoignage bienveillant à lamémoire du garçon, une montagne quiapportera la joie aux gens, et dont unpourcentage des recettes d’entrée ira àdes œuvres charitables pour enfants. Pourcela aussi, il est difficile de faire mieux.»

Mais essaiera-t-il de faire mieux ?

Exley sourit à nouveau : « Je fais unecommunication devant le Conseil de

l’équipement du comté de Los Angeles etles élus de l’État la semaine prochaine,dit-il. Le sujet portera sur le coût d’unréseau de transport routier par voiesrapides pour le sud de la Californie et surle meilleur moyen de réaliser la liaisonavec le sud de l’État par autoroute.Franchement, je veux obtenir ce marché,et je suis prêt à faire au comté une offrealléchante. »

Et ensuite ?

Exley sourit et poussa un soupir : « Etensuite, il y a tous ces gens de lapolitique qui ne cessent pas de me casserles pieds, dit-il. Ils pensent que je suisfait pour être maire, gouverneur, sénateur,que sais-je encore, même si je me répète

à leur dire que Fletcher Bowron, DickNixon et Earl Warren sont des amis àmoi. »

Mais écarte-t-il l’idée d’une carrièrepolitique ?

« Je n’écarte rien du tout, dit PrestonExley. M’imposer des limites, c’est allercontre ma nature. »

Et, ainsi que l’ont découvert nosreporters, son fils Edmund, aujourd’huisergent inspecteur à la division deHollywood du LAPD, éprouve les mêmessentiments. Récemment, il a fait parler delui pour avoir témoigné dans un procès enrapport avec le scandale policier du«Noël Sanglant». Ed Exley ne voit que duciel bleu à l’horizon – bien qu’il envisage

de faire du travail de police sa seule etunique carrière. S’adressant à notrecorrespondant dans le chalet familial dulac Arrowhead, Exley fils a déclaré : « Jene désire rien d’autre que d’être uninspecteur de valeur, du plus haut grade,confronté au défi de résoudre des affairesintéressantes. Mon père a eu l’affaireLoren Atherton (note : référence aumeurtrier d’enfants de 1934 qui a réclamésix victimes, parmi lesquelles la jeunevedette Wee Willie Wennerholm), etj’aimerais être en position de travaillersur des affaires de cette importance. Il estimportant de se trouver au bon endroit aubon moment, et j’éprouve en moi lebesoin profond de résoudre lesproblèmes et de recréer l’ordre à partir

de situations chaotiques, ce qui est, jecrois, une bonne motivation pour uninspecteur de police. »

Exley se trouvait très certainement aubon endroit au bon moment à l’automnede 1943 lorsque, unique survivant de sasection anéantie après une attaque à labaïonnette, il a, à lui seul, rayé de lasurface de la terre trois tranchées pleinesde fantassins japonais. Il se trouvait aubon endroit au bon moment pour la justicelorsqu’il a courageusement accepté detémoigner contre ses collègues dans lecadre d’un énorme scandale de brutalitéspolicières. Des deux événements, Exleydéclare : « C’est le passé, et aujourd’hui,je travaille à mon avenir. J’acquiers uneexpérience chaque jour plus solide dans

mon travail d’inspecteur à la division deHollywood, et mon père, Art De Spain etmoi-même passons des soirées entières àmettre en scène des pseudo-interrogatoires pour m’aider àperfectionner ma technique lors deprocédures similaires. Mon père veut lemonde, mais tout ce que je veux, c’est ceque ce service de police a à m’offrir demeilleur. » Preston Exley et Ed Exleysurvivent à Thomas et Marguerite (néeTibbetts) Exley, la «matriarche» du clan,qui est décédée d’un cancer il y a six ans.Éprouvent-ils le sentiment d’une pertedans leur vie personnelle ?

Preston a dit : « Seigneur Dieu, oui,chaque jour. Ils sont tous deuxirremplaçables. »

Sur ce sujet, Edmund s’est montré plusréfléchi : « Thomas était Thomas, dit-il.J’avais dix-sept ans lorsqu’il est mort etje n’ai pas l’impression de l’avoir jamaisconnu. Ma mère, c’était différent. Je laconnaissais, elle était gentille, elle étaitbrave, elle était forte, et il y avait quelquechose de triste en elle. Elle me manque, etje pense que la femme que j’épouseraisera probablement quelqu’un comme elle,seulement un peu plus enjouée. »

Deux générations dans le Profil decette semaine : deux hommes qui montentet qui servent le pays, les Terres du Sud,en route vers la réussite.

SUR CINQ COLONNESL.A. TIMES

9 JUILLET

LOEW ANNONCE SACANDIDATURE

AU POSTE DE PROCUREUR

L.A. HERALD EXPRESS

12 SEPTEMBRE

Page mondaine

LOEW – MORROW : MARIAGE DE GALA

TOUT HOLLYWOOD ÉTAIT LÀ,

AINSI QUE JUGES ET AVOCATS

COUPURE DE PRESSEL.A. TIMES

7 NOVEMBREMC PHERSON ET LOEW EN TÊTE DES

CANDIDATS POUR LE POSTE DE PROCUREUR :ILS S’AFFRONTERONT

À L’ÉLECTION DE PRINTEMPS

William McPherson, candidat au postede procureur de Los Angeles pour sonquatrième mandat, affrontera l’ambitieuxEllis Loew, procureur adjoint, au coursde l’élection générale de mars prochain.Les deux collègues sont largement en têted’une liste de huit candidats.

McPherson, 56 ans, a été crédité de 58% des votes ; Loew, 41 ans, en a eu 36%. Leur rival le plus proche était Donald

Chapman, ancien commissaire des parcsde la ville, avec 14 %. Les cinq dernierscandidats, auxquels il n’a jamais étéaccordé de chances sérieuses de gagner,ont été crédités d’un total de 12 % desvoix. McPherson, au cours d’uneconférence de presse prévue de longuedate, a prédit une campagne incertainejusqu’à la dernière minute, en mettantl’accent sur le fait qu’il est un serviteurde l’État conscient de ses devoirs avantd’être un candidat politique. Loew, deson domicile – auprès de son épouse Joan–, s’est fait l’écho de ces sentiments, aprédit sa propre victoire en marsprochain, et a remercié tous ses électeurs– et, en particulier, la communauté desresponsables du maintien de l’ordre –

pour leur soutien.

1953

RAPPORT D’ÉVALUATIONANNUEL DU LAPD

MARQUÉ CONFIDENTIEL

DATE : 3/1/53

CLASSÉ PAR LE LIEUTENANT DUDLEY SMITH

COPIES AUX DIVISIONS PERSONNEL ETADMINISTRATION

2/1/53

RAPPORT D’ÉVALUATION ANNUEL

PÉRIODE DE SERVICE : 4/4/52 – 31/12/52

SUJET : WHITE, WENDELL A., MATRICULE 916

GRADE : OFFICIER DE POUCE (INSPECTEUR)CLASSE : ÉCHELON CIVIL 4

DIVISION : BUREAU DES INSPECTEURS

DÉTACHEMENTS DE SURVEILLANCE

ANNEXÉ À LA CRIMINELLE.

OFFICIER COMMANDANT : LT. DUDLEY L.SMITH, MATRICULE 410

Messieurs,

Ce mémorandum a une double finalité :c’est à la fois le rapport d’évaluation del’officier White et une mise au point surles neuf premiers mois d’existence dudétachement de surveillance. Des seizehommes qui travaillent à la brigade, jeconsidère White comme mon meilleurélément. À ce jour, il s’est montré attentif,consciencieux, et a consacré de longuesheures à sa tâche sans rechigner. Sonregistre de présence est parfait, et il luiest souvent arrivé de travailler deuxsemaines d’affilée, avec des journées dedix-huit heures. White a été transféré à laSurveillance, suite aux retombées des

malheureux incidents du Noël de l’annéedernière, et le chef adjoint Green, citantles quatre plaintes reçues contre lui pourusage excessif de la force, avait montréquelques réticences quant à ce transfert (àsavoir que la propension naturelle à laviolence que manifeste White, ainsi quela nature violente, en puissance, de sanouvelle affectation, s’avéreraientconstituer une combinaison désastreuse).Cela n’a pas été le cas, et je donne sanshésitation à l’officier White un «A» francet net pour toutes les catégories à évaluer.Il a souvent fait montre d’actes debravoure spectaculaires. En guised’illustration de mon propos, j’aimeraisciter plusieurs exemples des capacités etdes réussites de White, bien au-dessus et

au-delà des fonctions de sa charge.

1 – 8/5/52 : Au cours d’une planquedevant un magasin de spiritueux,l’officier White (qui souffre constammentde vieilles blessures de football) apoursuivi un suspect en fuite sur la voiepublique pendant huit cents mètres. Lesuspect a fait feu à plusieurs reprises surl’officier White, lequel n’a pas ripostépar crainte de toucher des civilsinnocents. Le suspect a pris une femme enotage en pointant une arme contre sa tête,tenant ainsi en respect les policiersarrivés en renfort qui avaient rejointl’officier White. Celui-ci s’est alorsengagé dans une contre-allée pendant queses collègues essayaient de calmer lesuspect. Le suspect a refusé de relâcher la

femme et White a tiré et l’a abattu à boutportant. La femme est sortie indemne del’accident.

2 – Exemples multiples : l’une desfonctions essentielles du détachement desurveillance est de retrouver lesprisonniers libérés sur parole à leurretour à Los Angeles et d’essayer de lesconvaincre de leur folie à vouloircommettre des crimes de violence dansnotre cité. Ce travail exige une grandeprésence physique, et l’officier White aété franchement, à de nombreusesreprises, l’instrument d’intimidation qui aconvaincu nombre de criminels endurcisde se conduire docilement pendant leurconditionnelle. Il a consacré une largepart de son temps de repos à filer des

libérés sur parole au passéparticulièrement violent, et il estresponsable de l’arrestation de John «BigDog» Cassese, condamné à deux reprisespour viol et vol à main armée. Le20/7/52, White, alors qu’il surveillaitCassese dans un bar à cocktails, l’asurpris qui se proposait à suborner unemineure pour la prostituer. Cassese atenté de résister à l’arrestation, etl’officier White l’a maîtriséphysiquement. Ensuite, White et les deuxautres officiers de la Surveillance(sergent Michael Breuning, agent R.J.Carlisle) ont longuement interrogéCassese sur ses activités à l’issue de saconditionnelle. Cassese a avoué les violset meurtres de trois femmes (voir

arrestations, Criminelle, rapport 168-Adaté du 22/7/52). Cassese a été jugé,reconnu coupable, et exécuté à SanQuentin.

3 – 18/10/52 : l’officier White,pendant sa surveillance du libéré surparole Percy Haskins, a observé Haskinsen réunion avec deux criminels connus,Robert Mackey et Karl Carter Goff. Lestrois hommes avaient des casiersjudiciaires de longue date pour vols àmain armée. White a eu la sensation qu’uncrime majeur était en préparation, et ils’est fondé sur cette hypothèse pour agir.Il a filé Haskins, Mackey et Goff jusqu’àun magasin, au 1683 S. Berendo. Les troishommes ont attaqué le magasin, et Whitea tenté de les arrêter à leur sortie. Ils ont

refusé de déposer les armes. White a faitfeu et a tué Goff et grièvement blesséMackey. Haskins s’est rendu. Mackey n’apas survécu à ses blessures et Haskins aplaidé coupable sur l’accusation de vol àmain armée avec récidive ; il a étécondamné à la prison à perpétuité.

En résumé, l’officier White s’esttoujours tenu en première ligne, et ledétachement de surveillance lui estredevable d’avoir été l’instrument de sonsuccès éclatant. Je reprendrai monservice effectif à la Criminelle à compterdu 15/3/53 et j’aimerais que l’officierWhite puisse rejoindre les rangs de mabrigade comme inspecteur de laCriminelle à temps complet. Selon moi, ila toutes les caractéristiques pour devenir

un enquêteur criminel de premièregrandeur.

Respectueusement,

Dudley L. Smith, matricule 410.

Lieutenant – Division Criminelle.

RAPPORT D’ÉVALUATIONANNUEL DU LAPD

MARQUÉ CONFIDENTIEL

DATE : 6/1/5381

CLASSÉ PAR LE CAPITAINE RUSSEL MILLARD

COPIES AUX DIVISIONS PERSONNEL ETADMINISTRATION

6/1/53

RAPPORT D’ÉVALUATION ANNUEL

PÉRIODE DE SERVICE 13/4/52 – 31/12/52

SUJET : VINCENNES, JOHN, MATRICULE 2302

GRADE : SERGENT INSPECTEUR (ÉCHELONCIVIL 5) DIVISION : BUREAU DESINSPECTEURS (ADMINISTRATION DES MŒURS)OFFICIER COMMANDANT :

CAP. RUSSEL MILLARD, MATRICULE 5009.

Messieurs,

Évaluation globale D+ pour le sergentVincennes, accompagnée de quelquescommentaires.

A – Comme il ne boit pas, Vincennesest excellent dans toutes les opérationsrelevant d’infractions à la législation surles boissons.

B – Vincennes dépasse les limitesauxquelles il devrait se cantonner pourtout ce qui touche aux stupéfiants. Ilpersiste à vouloir effectuer desarrestations pour possession de droguelorsqu’il en est découvert accessoirementsur les lieux d’un crime relevant del’administration des Mœurs.

C – Mes craintes de le voir négligerson service à l’Ad. Mœurs afin d’assisterson mentor du Bureau, Lt. Dudley Smith,se sont révélées non fondées. Cela est àporter au crédit de Vincennes.

D – La présence de Vincennes nesuscite pas de ressentiment violent du faitde son témoignage dans l’affaire desviolences de Noël, dans la mesure où il aperdu une affectation de choix aux Stupset parce qu’aucun des agents qu’il anommément dénoncés n’est allé en prison.

E – Vincennes me pressecontinuellement de le renvoyer aux Stups.Je ne signerai pas sa demande de transfertavant qu’il ne soit parvenu à mener à bienune enquête majeure à l’Ad. Mœurs –

c’est là une stipulation rigoureuse qui estpratique courante à l’Ad. Mœurs pourtoute demande de transfert. Vincennes afait agir le procureur adjoint Ellis Loew,lequel a fait pression sur moi pour quej’autorise le transfert, et j’ai refusé. Jepersisterai dans mon refus, même si Loewest élu procureur.

F – Il court des rumeurs selonlesquelles Vincennes transmettrait desinformations interservices au torchon àscandale l’Indiscret. Je l’ai averti : nelaissez rien filtrer de nos opérations,sinon j’aurai votre peau.

G – En conclusion, Vincennes s’estrévélé à peine satisfaisant dans sesfonctions d’agent de l’Ad. Mœurs. Son

registre de présences est bon, sesrapports sont bien rédigés (et je lesoupçonne de les gonfler). Il est tropconnu pour travailler chez les preneurs deparis clandestins, et juste à la hauteurpour les ratissages et les rafles deprostituées. Soucieux de respecter sesengagements à la télévision, il n’a pasnégligé pour autant ses devoirs, ce qui esten sa faveur. Dans les mois qui viennent,l’Ad. Mœurs aura probablementl’occasion de mettre fin à un réseau depornographie, et Vincennes aura la chancede faire ses preuves dans cette enquête (etde satisfaire aux stipulations requisespour un transfert). À nouveau, évaluationglobale D +.

Respectueusement,

Russel A. Millard, matricule 5009

Officier Commandant

Administration des Mœurs.

RAPPORT D’ÉVALUATIONANNUEL DU LAPD

MARQUÉ CONFIDENTIEL

DATE : 11/1/53

CLASSÉ PAR LE LIEUTENANT ARNOLDREDDIN COMMANDANT DE LA BRIGADE DESINSPECTEURS DIVISION DE HOLLYWOOD

COPIES AUX DIVISIONS PERSONNEL ETADMINISTRATION

11/1/53

RAPPORT D’ÉVALUATION ANNUEL

PÉRIODE DE SERVICE : 1/3/1952 – 31/12/1952

SUJET : EXLEY, EDMUND J., MATRICULE 1104

GRADE : SERGENT INSPECTEUR (ÉCHELONCIVIL 5) DIVISION : INSPECTEURS (BRIGADEDE HOLLYWOOD) OFFICIER COMMANDANT :LT ARNOLD D. REDDIN MATRICULE 556

Messieurs,

Sur le sergent Exley :

L’homme a de toute évidence lesqualités d’un inspecteur. Il est minutieux,intelligent, il semble ne pas avoir de viepersonnelle et n’est pas avare de sesheures de travail. II n’a que trente ans, etau cours des neuf mois au posted’inspecteur, il a amassé un tableaud’arrestations remarquable, avec un tauxde condamnation de 95 % des criminelsarrêtés (pour l’essentiel, des délitsmineurs sur des biens de propriété). Sesrapports sont concis et fouillés.

Exley a du mal à opérer avec despartenaires et il travaille bien enindividuel, aussi l’ai-je laissé conduire

ses interrogatoires seul. C’est uninterrogateur hors pair et il est parvenu, àmon avis, à recueillir des aveuxmiraculeux (sans faire usage de sa forcephysique). C’est très bien à tous points devue, et ma note d’évaluation globale seraun «A» franc.

Mais il est détesté sans exception partous ses collègues, à la suite du rôle dedénonciateur qu’il a joué dans le grandremaniement de Noël. Et il est méprisépour avoir en conséquence obtenu uneaffectation au Bureau. (Il semble que cesoit de notoriété publique qu’il ait réussià gagner le Bureau des inspecteurs à lasuite de ses dénonciations.) En outre,Exley n’aime pas faire usage de sa forcesur les suspects, et bon nombre des

hommes de la brigade le considèrentcomme un lâche.

Exley a réussi son examen de lieutenantavec des notes remarquables, et unepossibilité de promotion va probablementse faire jour pour lui. J’estime qu’il est àla fois trop jeune et trop inexpérimentépour devenir lieutenant inspecteur, etqu’une telle promotion susciterait degrands ressentiments. Je pense qu’il seraitun chef unanimement détesté.

Respectueusement,

Lt Arnold Reddin, matricule 556

COUPURES DE PRESSE

L.A. DAILY NEWS

9 FÉVRIERC’EST OFFICIEL : LE ROI

DES TRAVAUX PUBLICSEXLEY

CHARGÉ DE LA CONSTRUCTION

DESSUPERAUTOROUTESDE LIAISON

AVEC LE SUD DE L’ÉTAT

Aujourd’hui, la Commission desautoroutes des Trois-Comtés a annoncéque Preston Exley, ex-livreur de journauxde San Francisco et ancien flic de L.A.,serait chargé de construire le réseaud’autoroutes qui reliera Hollywood àL.A. centre ville, le centre ville à SanPedro, Pomona à San Bernardino, et labaie Sud à la vallée de San Fernando.

« Les détails seront donnésultérieurement, a annoncé Exley partéléphone au journal. Je tiendrai uneconférence de presse télévisée demain, àlaquelle assisteront également desreprésentants du gouvernement de l’Étatet de la commission des Trois-Comtés. »

REVUE L’INDISCRET

NUMÉRO DE FÉVRIER 1953

UN MOMENT DE REPOS

PENDANT LA CAMPAGNE

LE PROCUREUR DE L.A.

SE PREND DU BONTEMPS

AVEC DE LA MINETTE CUIVRÉE !!!

Par Sidney Hudgens

Bill McPherson, procureur de la villede Los Angeles, les aime grandes et

minces, tout en jambes, les seins généreuxet la mine piquante, et la peau sombre,bronzée et colorée. De Sugar Hill deHarlem à Nègreville de L.A., le bonépoux de 57 ans, père de troisadolescentes, est connu comme le loupblanc, un vrai papa gâteau qui aime àdistribuer généreusement les beaux billetsverts de sa caisse noire dans les coinschauds et sombres, là où les verres sontbien grands et le jazz bien cool, où lafumée des joints se presse comme nuagesd’orages, où les idylles Blancs-Noiresrythment le be-bop au tam-tam de jungled’un saxo ténor gémissant.

Tu piges, toi, le mec à la coule ?McPherson, engagé dans une campagnepour sa réélection – le combat de sa vie

politique contre l’embastilleur decriminels numéro un Ellis Loew –, abesoin de moments de détente. Rejoint-illa piscine du Jonathan Club et ses colletsmontés ? Non. Emmène-t-il sa famillechez Mike Lyman ou au Pacific DiningCar ? Non. Où va-t-il donc ? Au dancingdu Strutter’s, à Nègreville.

T’es à la coule ? Tu sais que ça remuebien, au sud de Jefferson. Là-bas, c’est unautre monde, bien différent du nôtre. Tu tefais boucler les cheveux – fer à friser etminivagues –, tu te trouves un costardmauve en rayonne et nylon bien luisant, eten avant pour le voyage fantastique aupays des peaux noires. C’est ce que fait leprocureur McPherson – tous les jeudissoirs. Mais parlons faits. Marion

McPherson, hausfrau à la patience à touteépreuve de notre Bill Nègreville, croitque Billy Boy passe ses soirées du jeudià regarder les poids coq se défoncer decoups jusqu’à la folie à l’OlympicAuditorium. Elle se goure. Le MéchantBilly, ce qu’il cherche à l’envi, aux soirsde ses jeudis, c’est l’amour passion, pasla mutilation.

Fait numéro un : Bill McPherson est unhabitué de la Casbah de Minnie Roberts,le plus flambard des boxons de couleurde tout le quartier sud de L.A. T’es à lacoule, mec ? T’appelles ça des allusions? Mais on s’est laissé dire qu’il aime lesbains de lait à trente-cinq dollars, servisavec force caresses par deux mignonnesfaçon Congo et plus que rondelettes. Fait

numéro deux : on a vu McPherson écouterCharlie «Bird» Parker (camé notoire) à lasalle de jeux de Tommy Tucker, auseptième ciel sur son nuage grâce aupunch planteur bien servi de la maison.Son rencart, ce soir-là, était une certaineLynette Brown, âge : dix-huit ans, petitedélicieuse bien bronzée avec deuxarrestations par la brigade des mineurspour possession de marijuana. Lynette adéclaré à un correspondant secret del’Indiscret : « Bill les aime bien noires.Y dit : «Une fois que t’as goûté, plusmoyen de retourner». Le jazz, ça le botte,et il aime sur la piste quand ça frotte. Yest vraiment marié, vous croyez ? C’estvraiment lui, l’procu du district ? »

Mon coco, pour sûr que c’est lui. Mais

pour combien de temps encore ? Il resteun paquet de jeudis d’ici le jour del’élection. Le Méchant Billy, Billy Be-Bop, sera-t-il capable de réfréner sesnoirs instincts jusque-là ?

Souviens-toi, cher lecteur, c’est ici quetu l’as entendu pour la première fois –silence et discrétion, vite fait, bien fait,ça ne sera pas répété, et très «Indiscret»!

L.A. HERALD EXPRESS

1ER MARSLE POLICIER DU NOËL SANGLANT

SUR LE POINT D’ÊTRE LIBÉRÉ DE PRISON

Le 2 avril, Richard Alex Stenslandquittera Wayside Honor Rancho enhomme libre. Condamné l’année dernièresur quatre inculpations d’agression avecviolences à la suite du scandale desbrutalités policières du «Noël Sanglant»de 1951, il sortira de prison, ex-flic àl’avenir incertain.

L’ancien partenaire de Stensland,l’officier de police Wendell White, aparlé au Herald. Il a déclaré : « Ce fut un

coup de pas de veine, le hasard, ce p…de truc de Noël. J’étais là, et ç’aurait puêtre moi le mec balancé. Ce fut Dick,pourtant. Il a fait de moi un bon flic. Jesuis en dette avec lui là-dessus et ça merend cinglé de voir ce qui lui est arrivé.Je suis toujours l’ami de Dick et jeparierais qu’il lui reste encore des tasd’amis dans le Service. »

Et aussi parmi la population civile,semble-t-il. Stensland a déclaré à unreporter du Herald, qu’à sa libération, ilira travailler pour Abraham Teitlebaum,propriétaire du Casse-Graine d’Abe,magasin traiteur de Los Angeles Ouest.Interrogé pour savoir s’il gardait rancuneà ceux qui l’ont envoyé en prison,Stensland a dit : « J’en veux à une seule

personne. Mais je suis trop respectueuxdes lois pour régler mes comptes avecelle. »

L.A. DAILY NEWS

6 MARSÉLECTION DU PROCUREUR :

LE SCANDALETRANSFORME UNE

COURSE SERRÉE EN RAZ DE MARÉE

On s’attendait à un duel serré jusqu’àla dernière minute : procureur titulaire dela ville William McPherson, contreassistant du procureur, Ellis Loew ; levainqueur devant occuper sa charge pourles quatre années à venir après sonélection comme meilleur combattantcontre le crime pour tout le sud de l’Etat.

Les deux hommes ont fait campagne surles grands thèmes mis en jeu : commentrépartir au mieux le budget de la justicede la municipalité, comment combattre lecrime de la manière la plus efficace.Ainsi qu’on pouvait s’y attendre, les deuxhommes ont prétendu l’un comme l’autreêtre celui qui combattrait le crime avec leplus de rigueur. Les autorités chargées ducontrôle de l’ordre public ont considéréque McPherson avait manqué d’énergiecontre les criminels et qu’il étaitglobalement trop libéral, aussi ont-ellesapporté leur soutien à Loew. Lesorganisations syndicales avaient, elles,choisi de soutenir le candidat sortant.McPherson ne changea pas ses batterieset resta sur ses positions de statu quo,

jouant de sa personnalité et de soncharme face à Loew qui s’essayait aunuméro de jeune empêcheur de tourner enrond, tout feu, tout flammes, sans yparvenir : il offrait de lui une image tropthéâtrale, prêt à tout pour une voix. Ce futune campagne de gens de bonnecompagnie jusqu’à ce que le numéro defévrier de la revue l’Indiscret ne tombedans les kiosques.

La plupart des gens, face à l’Indiscretet autres feuilles à scandales, ne prennentpas toutes leurs déclarations au pied de lalettre. Ils en prennent et en laissent, maisnous étions en période électorale. Unarticle a prétendu que le procureurMcPherson, heureux époux depuis vingt-six ans, courait la prétentaine avec de

jeunes Négresses. Le procureur a ignorél’article, qui s’accompagnait dephotographies de lui en compagnie d’unejeune fille noire, prises dans une boîte denuit du quartier sud-central de LosAngeles. Mme McPherson n’a pas ignorél’article : elle a déposé une demande endivorce. Ellis Loew n’a pas fait état del’article durant sa campagne, et pourtantMcPherson a commencé sa dégringoladedans les sondages. Puis, trois jours avantl’élection, les adjoints du shérif ont faitune descente au Lilac View Motel, sur leSunset Strip, suite au coup de téléphoned’un «informateur anonyme» qui leuravait transmis le renseignement, unrendez-vous galant, tombant sous le coupde la loi, dans la chambre 9. Les galants

en question se sont avérés être leprocureur McPherson et une jeuneNégresse prostituée âgée de quatorze ans.Les adjoints ont arrêté McPherson sur lacharge de viol et détournement demineure et ont entendu la confession deMarvell Wilkins, mineure, déjà arrêtéedeux fois pour racolage.

Elle leur a dit que McPherson l’avaitramassée sur South Western Avenue en luioffrant vingt dollars pour une heure deson temps, avant de la conduire au LilacView. McPherson a plaidé l’amnésie. Ilse souvenait d’avoir bu «plusieursMartini» au cours d’une réunion-dîneravec des militants au restaurant du PacificDining Car, avant de reprendre sa voiture.Il ne se souvenait plus de rien après cela.

Le reste est devenu histoire : journalisteset photographes sont arrivés au LilacView Motel peu après les adjoints dushérif, McPherson a fait la une desjournaux, et le mardi, Ellis Loew a été éluprocureur de la ville par une majoritéécrasante.

Il y a là, apparemment, quelque chosede louche. Les torchons à scandales nedevraient pas dicter les tendances descampagnes électorales, bien que jamais,au Daily News (partisan reconnu deMcPherson), nous n’accepterions que soitlimité leur droit de publier toutes lessaletés qu’ils désirent. Nous avons essayéde localiser Marvell Wilkins, maisdepuis sa libération la fille semble avoirdisparu de la surface de la terre. Sans

vouloir en donner d’ordre, nous, du DailyNews, demandons au nouveau procureurélu Loew de prendre l’initiative d’uneenquête du Grand Jury sur cette affaire, neserait-ce que pour pouvoir prendre lesfonctions de sa nouvelle charge dans uneatmosphère dégagée de toute ambiguïté.

Deuxième partieLe massacre du Hibou de

Nuit

14

La salle de brigade pour lui tout seul.

Au rez-de-chaussée, un pot pour fêterun départ en retraite – on ne l’avait pasinvité. Le rapport des crimes de lasemaine à lire, à résumer, avant del’épingler au tableau d’affichage –personne ne faisait le boulot, toussavaient qu’il faisait ça à merveille.Bourrage de crâne et grand battage dansles journaux sur l’ouverture de Dream-a-Dreamland – les hommes du poste luicouinaient et vagissaient Moochie Mouseaux oreilles, jusqu’à lui donner la nausée.Spade Cooley le pervers rôdait dans les

couloirs. Minuit, et pas la moindre enviede sommeil – Ed lut et tapa à la machine.

9/4/53 : un voleur à l’étalage travestiavait frappé dans quatre magasins deHollywood Boulevard, estropiant deuxvendeurs par des atémis de judo.

10/4/53 : un placeur du restaurantchinois de Grauman poignardé à mort pardeux individus blancs, de sexe masculin –il leur avait dit d’éteindre leurscigarettes. Suspects toujours en fuite ; lelieutenant Reddin disait qu’il manquaitencore d’expérience pour s’occuper d’unhomicide – on ne lui avait pas confié leboulot.

11/4/53 : une pile de délits criminels –à plusieurs reprises au cours des deux

semaines qui avaient précédé, une flopéede jeunes Nègres avaient été aperçus entrain de tirer en l’air des coups de fusilde chasse dans les collines de GriffithPark. Pas d’identification, les mômesconduisaient un coupé Mercury decouleur pourpre, des années 48-50.

11/4 – 13/4/53 : cinq cambriolages enplein jour, domiciles privés, au nord duboulevard, vol de bijoux. Personned’affecté à l’enquête pour l’instant. Edprit note : foncer sur place sans prévenir,passer à la poudre d’empreintes avantqu’on ne colle des traces de doigts à tousles points d’accès. Aujourd’hui on était lequatorze – il pourrait peut-être encore luirester une chance.

Ed boucla son travail. La salle debrigade vide le rendit heureux ; personnen’était là pour le haïr, un grand espacetout vide, rempli seulement de bureaux etde classeurs. Des formulaires officielssur les murs – des espaces vides qui seremplissaient à chaque nouvellearrestation, à chaque nouvelinterrogatoire, comme des encochessuccessives. Les aveux pouvaient resterde véritables énigmes, rien d’autre que laconfession pure et simple d’un crime.Mais si l’on entortillait le bonhomme dela bonne manière – en l’« aimant» et en le«haïssant» exactement avec l’intensitérequise –, alors il vous racontait deschoses – des petits détails – quirecréaient ainsi une réalité qui venait

étayer votre affaire et vous offrait autantd’arguments supplémentaires pourcirconvenir le suspect. Art De Spain etson père lui avaient enseigné la manièrede trouver le point délicat. Ilspossédaient des caisses entières devieilles transcriptions en sténo : violeursde gamins, braqueurs, tout un assortimentde racailles qui étaient passées auxaveux. Art utilisait le coup du lapin – pluspour la menace, en fait, que pour le geste.Preston Exley frappait rarement – ilconsidérait que, dans ce cas, c’est lecriminel qui l’emporte sur le policier. Enoutre, ça fait désordre.

Preston et Art lui lisaient des réponseselliptiques et lui faisaient deviner lesquestions ; ils lui faisaient des comptes

rendus détaillés d’expériencescriminelles courantes – autant de coins àenfoncer pour déclencher le flot desaveux. Ils lui avaient démontré que leshommes possèdent des niveaux defaiblesse acceptables parce que d’autreshommes ferment les yeux sur elles, et desniveaux de faiblesse sources de grandehonte, quelque chose qu’il faut cacher àtout le monde, sauf à un confesseur expertdans son domaine. Ils avaient affûté soninstinct pour qu’il cherche la jugulairedes faiblesses. Et son instinct s’étaitaiguisé au point qu’il ne supportait pas,quelquefois, de se regarder dans uneglace.

Les séances duraient tard – deux veufs,un homme jeune et sans femme. Art avait

un faible pour les meurtres en série – ilavait fait revenir Preston, à maintesreprises, sur l’affaire Atherton : lesenlèvements atroces et horribles, lesdépositions des témoins. Preston s’étaitprêté au jeu en offrant des interprétationspsychologiques, mais à contrecœur – ilvoulait que son affaire, son heure degloire, restât intacte et intouchée,complète, dans sa mémoire. Ils avaientétudié à la loupe les anciennes affairesd’Art – et c’est lui qui avait moissonné larécolte des efforts de trois espritsremarquables : aveux immédiats, 95 % decondamnations. Mais jusqu’à présent,toute l’énergie qui le poussait à fairecraquer les criminels et à les amener auxaveux n’avait pas encore été mise au défi

– encore moins rassasiée.

Ed descendit au parc de stationnement.Le besoin de sommeil se faisait sentir.

« Coin coin », derrière lui, des mainsle firent pivoter.

Un homme avec un masque de mardi-gras – Danny Duck. Une gauche-droite fitsauter ses lunettes ; un coup de poing auxreins le jeta au sol. Des coups de pieddans les côtes l’obligèrent à se rouler enboule.

Ed se serra tout entier en boule dure etse prit quelques coups de chaussure auvisage. Une ampoule de flash éclata ;deux hommes s’éloignèrent ; le premierfaisait coin-coin, le second riait. Faciles

à identifier : le hennissement de DickStensland et la claudication de BudWhite, avec son passé de footballeur. Edcracha le sang et se jura de les fairepayer.

15

Russ Millard s’adressait à la brigade 4de l’Ad. Mœurs – sujet : la pornographie.

— Messieurs, du porno à images, enlivres. On en a découvert des tasrécemment, saisis sur les lieux de crimescomme preuves matérielles accessoires :les prises portaient sur les stupéfiants, lesparis clandestins et la prostitution.Normalement, ce type de marchandise estfabriqué au Mexique, ce n’est donc pasde notre juridiction. Normalement c’estun des à-côtés du crime organisé, parceque la grande pègre dispose de l’argentnécessaire à la fabrication ainsi que des

circuits nécessaires pour en assurer ladistribution. Mais Jack Dragna a étédéporté, Mickey Cohen est en prison, etde toute façon, beaucoup trop puritainpour la chose ; et Mo Jahelka est en trainde lâcher pied maintenant qu’il est seul.Les photos de cul ne sont pas dans lestyle de Jack Whalen – il est book avanttout et il cherche à mettre la main sur uncasino de Vegas. Et la marchandise qui afait surface est de trop bonne qualité pourles imprimeries de la région de L.A. LesMœurs de Newton Street ont fait unedescente chez les imprimeurs, ils ont lenez propre, ils ne disposent toutsimplement pas de l’équipement ni despossibilités de fabriquer des revues decette qualité. Mais les décors, en arrière-

plan des photographies, indiquent larégion de L.A. : on peut voir ce quiressemble aux collines de Hollywood parcertaines fenêtres, sur les clichés ; etl’ameublement de beaucoup des endroitsutilisés ressemble aux appartements bonmarché typiques de Los Angeles. Doncnotre boulot est de remonter la piste deces saletés jusqu’à la source et d’arrêterceux qui les ont fabriquées et distribuées,et ceux et celles qui ont posé sur lesphotos.

Jack grommela : la Grande Rigoladede 1953 sur les «bouquins à branlette».Les autres mecs donnaient l’impressionde brûler tous de foutre les pattes sur lesrevues cochonnes, peut-être bien pour enréchauffer leurs épouses. Millard avala

une digitaline.

— Les inspecteurs de Newton Streetont interrogé tous les présents au coursdes descentes où la marchandise a faitsurface, et tous ont nié en être lespossesseurs. Personne, parmi lepersonnel des imprimeries, ne sait où ellea été fabriquée. On a montré les revuesaux mecs du Bureau et aux brigades desMœurs de notre poste, et l’identificationdes acteurs a donné zéro : personne n’areconnu personne. Alors, messieurs, àvous de chercher.

Henderson et Kifka avaient la maintendue, Stathis donnait l’impressiond’être prêt à baver. Millard fit passer lecul en images.

— Vincennes, y a-t-il un endroit oùvous préféreriez vous trouver en cemoment ?

— Ouais, capitaine. À la division desStupéfiants.

— Oh ? Et un autre endroit ?

— Peut-être bien à asticoter les putesavec la deuxième brigade.

— Menez à bien une enquêted’importance, sergent. J’aurais grandplaisir à signer votre demande pour vousvoir partir d’ici.

Ooh !!! Ahh !!! Caquetis de canard !!!Ooh la la la !!!

Trois hommes secouèrent la tête :

— Non.

Jack attrapa les bouquins.

Sept revues, papier couché depremière qualité, couvertures noires, sanssignes distinctifs, seize pages parmagazine : photos couleur, et noir etblanc. Deux revues à moitié déchirées,clichés explicites : hommes et femmes,hommes et hommes, filles et filles. Grosplans de pénétrations : normales, pédés,gouines avec godes. À travers lesfenêtres, sur les photos, le panneau deHollywood ; des clichés de baise sur deslits de bat-flanc, des piaules bon marché :des murs avec motifs décoratifs de stuc,et, sur la table, le réchaud qui va avectoutes les crèches pour célibataires de

L.A. Idem pour les clichés, aveccostumes et femmes à poil – pourtant, lesmodèles n’étaient pas des camées auxyeux vitreux, mais des jeunes mômes,bien faites et agréables à regarder – nuesou déguisées : robes élisabéthaines,kimonos japonais. Jack replaça ensembledes parties de revues déchirées. Bingo :Bobby Inge – un prostitué de sexemasculin qu’il avait agrafé pourpossession de joints – en train de taillerune plume à un mec en corset à baleines.

— Des visages familiers, Vincennes ?dit Millard.

Une piste.

— Rien, cap. Mais où avez-voustrouvé ces machins tout déchirés ?

— On les a retrouvés dans unepoubelle, à l’arrière d’un immeuble deBeverly Hills. La gérante, une vieilledame du nom de Loretta Downey, les atrouvés et a appelé les services de policede Beverly Hills. Ils nous ont appelés.

— Vous avez l’adresse de l’immeuble?

Millard consulta un formulaired’enregistrement des preuves matérielles.

— 9849 Charleville. Pourquoi ?

— Je me suis simplement dit que jeprendrais bien cette partielà du boulot. Jeconnais pas mal de monde à BeverlyHills.

— On vous appelle bien «Poubelle»,

non ? Très bien, suivez la piste côtéBeverly Hills. Henderson, vous et Kifka,vous essayez de me localiser lespersonnes arrêtées citées dans lesdescriptifs des lieux des crimes, et vousessayez à nouveau de découvrir où ils ontpu trouver la marchandise – je vousdonne les copies carbones dans uneminute. Dites-leur qu’il n’y aura pasd’inculpation complémentaire s’ilsacceptent de parler. Stathis, faites passerces saletés dans les magasinsd’accessoires et de costumes, et voyez sivous pouvez trouver des recoupementsavec des articles de leurs inventaires,puis retrouvez-moi ceux qui ont loué lescostumes que les… participants avaientrevêtus. Essayons cette manière-là

d’abord – s’il faut passer en revue toutesles photos du fichier criminel pouridentification, on perdra une semaineentière, nom de Dieu ! Rompez,messieurs. Roulez, Vincennes. Et ne vouslaissez pas égarer sur des voies degarage. Ici, c’est les Ad. Mœurs, pas lesStups.

Jack roula : sommiers, casier de BobbyInge, une piste bien chaude et bien riche :Beverly Hills, aller voir la vieille peau,essayer de dénicher ce qu’il pouvait et seconcocter une direction de recherchesbien brûlante qui lui dirait ce qu’il savaitdéjà – Bobby Inge était coupabled’association de malfaiteurs et dedistribution de marchandises obscènes,de quoi le coffrer pour crime au premier

degré. Bobby balancerait ses co-vedetteset les mecs qui avaient pris les clichés –et une justification de transfert, une, uneaffaire importante résolue, dans la poche.

La journée était fraîche, avec un petitvent ; Jack emprunta Olympic, directionplein ouest. Il mit la radio ; un programmed’infos recevait Ellis Loew au micro :restrictions de crédits au bureau duprocureur. Ellis ronronnait ; Jack tournale bouton – pour couper court au souvenirde Bill McPherson. Il attrapa un air deBroadway, vif et enjoué, qui nel’empêcha pas de penser à McPherson.

L’Indiscret avait été son idée :McPherson aimait la chatte de couleur,Sid Hudgens adorait monter le coup aux

baiseurs de bougnoules. Ellis Loew étaitau courant, il avait été parfaitementd’accord, considérant que c’était là uneautre faveur en garantie. L’épouse deMcPherson avait demandé le divorce ;Loew était satisfait – il avait pris la têtedans les sondages. Dudley Smith voulaitplus – et c’est lui qui avait arrangél’entôlage et le flag.

Facile, la manœuvre :

Dot Rothstein connaissait une fille decouleur qui était en taule à la prison pourmineurs pour racolage. Dot et la filleremettaient le couvert chaque fois que lamôme faisait un séjour au placard. Dotavait réglé la musique ; Dudley et sonnervi numéro un Mike Breuning avaient

arrangé le coup de la piaule au LilacView Motel : le plus célèbre baisodromede tout le Sunset Strip, territoire ducomté, là où un procureur de la ville encalcif, le pantalon aux chevilles, ne seraitrien de plus qu’un autre gugusse.McPherson assistait à une soirée auDining Car ; Dudley avait placé MarvellWilkins dehors – quatorze ans, la peaunoire, une vraie diablesse. Breuning avaitalerté le shérif de Hollywood Ouest et lesjournalistes ; le Grand V avait collé del’hydrate de chloral dans le dernierMartini de McPherson. M. Procu avaitquitté le restaurant dans les vaps ; il avaitzigzagué pendant un bon kilomètre avantde se ranger au croisement de Wilshire etAlvarado et de tomber dans les pommes.

Breuning lui collait derrière avec l’appât: Marvell en robe de cocktail. Breuningavait pris le volant de la Caddy deMcPherson, embarqué Bill le Vilain et lafille à leur nid à galipettes – le reste étaithistoire politique.

Ellis Loew n’avait pas été mis aucourant – il s’était dit qu’il avaitsimplement eu de la chance. Dot avaitexpédié Marvell à Tijuana, tous fraispayés – grâce à l’argent qu’elle avaitécrémé sur le budget de la prison pourfemmes. McPherson avait perdu sonépouse et son boulot ; son inculpationpour viol et détournement de mineureavait été abandonnée – impossible deremettre la main sur Marvell. Un déclicse fit chez le Grand V.

Déclic : une faveur de merde quipassait à l’as. La raison : octobre 47, DotRothstein dans l’ambulance – elle savait,et Dudley savait aussi probablement.S’ils étaient au courant, il fallait jouer lejeu de sorte que les autres ne sachent pas– de sorte que Karen ne sache pas.

Cela faisait des années qu’il étaitboulonné à son socle de héros ; d’unecertaine manière, son numéro était devenuréalité. Il avait cessé d’envoyer del’argent aux mômes Scoggins, arrêtant sadette définitivement à quarante bâtons – ilavait besoin de liquide pour ses sortiesavec Karen, sa présence à ses côtésremettait en perspective, juste un peu plusloin, le Malibu Rendez-Vous. JoanMorrow-Loew restait toujours garce avec

lui ; Welton et sa vieille dame d’épousel’acceptaient à contrecœur – et Karenl’aimait avec une intensité qui faisaitpresque mal. Il avait mal, aussi, de bosserà l’Ad. Mœurs – le boulot était barbant,un vrai somnifère, et il se remontait à lacame chaque fois qu’il pouvait s’enprocurer une dose. Sid Hudgensn’appelait plus aussi souvent – il n’étaitplus flic aux Stups aujourd’hui. Aprèsl’entôlage de McPherson, il s’était sentiheureux – il ne savait pas s’il pourraitencore remettre sur pied un entubagemonté de toutes pièces.

Karen vivait ses propres mensonges deson côté – ça faisait sonner plus vrai sonnuméro de héros. Donation de papa, fricet actions, piaule de plage réglée par

papa, études supérieures. Petite aventureen dilettante : il avait trente-huit ans, elleen avait vingt-trois ; quand le momentserait venu, elle comprendrait bien. Ellevoulait l’épouser ; il résistait : EllisLoew dans la belle famille, et il seretrouvait aux ordres, porteur de valisejusqu’à ce qu’il casse sa pipe. Il savaitpourquoi son rôle de héros marchait sibien : Karen était le public qu’il avaittoujours voulu impressionner. Il savait cequ’elle pouvait encaisser comme cequ’elle ne pouvait pas ; l’amour qu’elleavait pour lui avait mis en forme sesnuméros d’acteur, de sorte que tout ce quilui restait à faire, c’était de jouer nature –en gardant certains secrets bien cachés.

La circulation coinça ; Jack prit au

nord sur Doheny, puis à l’ouest surCharleville. Le 9849 – une Tudor à unétage – à un bloc de Wilshire. Jack segara en double file et se mit à inspecterles boîtes aux lettres.

Six orifices de boîtes : LorettaDowney, et cinq autres noms – trois M. etMme, un homme, une femme. Jack notales noms, avança jusqu’à Wilshire et setrouva une cabine téléphonique. Appelsaux Sommiers et aux Renseignements duSCG ; deux attentes. Pas de casierscriminels aux noms des locataires ; undossier de PV remarquable : ChristineBergeron, la «Mademoiselle» des boîtesaux lettres, quatre condamnations pourconduite dangereuse, pas de retrait depermis. Jack réussit à obtenir d’autres

tuyaux de l’employé : la femme était âgéede trente-sept ans, elle avait donnécomme professions actrice et serveuse dedrive in, et, en juillet 52, elle travaillaitau drive in de Stan, à Hollywood.

L’instinct parla : les serveuses de drivein et les patineuses ne vivent pas àBeverly Hills ; peut-être que ChristineBergeron ne se contentait pas de patiner,mais se payait aussi quelques enfiladespour couvrir le loyer. Jack retourna au9849 et frappa à la porte marquée«Gérant».

Une vieille peau vint ouvrir.

— Oui, jeune homme ?

— Police de L.A., m’dame, dit Jack en

lui sortant sa plaque. C’est à propos desrevues que vous avez trouvées.

La vieille plissa les yeux derrière desverres en culs de bouteille.

— Feu mon mari aurait fait justice lui-même. M. Harold Downey ne toléraitaucunement les saletés.

— Est-ce vous en personne qui aveztrouvé ces revues, Mme Downey ?

— Non, jeune homme, c’est ma femmede ménage. C’est elle qui les a déchiréesavant de les jeter à la poubelle, là où jeles ai trouvées. J’ai interrogé Eula à cesujet après avoir appelé la police deBeverly Hills.

— Où Eula avait-elle trouvé ces

revues ?

— Eh bien… je… je ne sais pas si jedois…

Changement de batteries.

— Parlez-moi de Christine Bergeron.

Haro sur le baudet !

— Cette femme ! Et ce garçon qu’elle a! Je ne sais lequel des deux est pire !

— Est-ce une locataire difficile,m’dame ?

— Elle reçoit des hommes à touteheure du jour et de la nuit. Elle fait dupatin à roulettes sur le plancher en tenuede serveuse, serrée et collante commetout ! Elle a un fils qui est un bon à rien et

qui ne va jamais à l’école ! Dix-sept ans,toujours à manquer la classe, et ilfréquente des piliers de bar et des traîne-savates !

Jack lui tendit une photoanthropométrique de Bobby Inge ; lavieille se la colla contre les lunettes.

— Oui, c’est bien là l’un des bons àrien d’amis de Daryl, je l’ai vu quitraînait ses guêtres par ici une douzainede fois. Qui est-ce, dites ?

— M’dame, Eula a-t-elle trouvé cesrevues dégoûtantes dans l’appartementBergeron ?

— Eh bien…

— M’dame, est-ce que Christine

Bergeron et le garçon sont chez eux en cemoment ?

— Non, je les ai entendus partir il y aquelques heures. J’ai l’oreille fine, celacompense ma pauvre vue.

— M’dame, si vous me laissez entrerdans leur appartement et que je découvred’autres livres cochons, vous pourrieztoucher une récompense.

— Eh bien…

— Avez-vous les clés, m’dame ?

— Naturellement que j’ai les clés, jesuis la gérante. Aussi vais-je vous laisserjeter un coup d’œil, à la condition quevous me promettiez de ne pas toucher etqu’il n’y ait pas de prélèvement d’impôts

sur ma récompense.

Jack récupéra ses clichés.

— Tout ce que vous voulez, m’dame.

La vieille femme monta l’escalierjusqu’aux appartements du premier étage.Jack suivit ; mamy déverrouilla latroisième porte du couloir.

— Cinq minutes, jeune homme. Etrespectez le mobilier, c’est mon beau-frère qui est le propriétaire del’immeuble.

Jack entra. Salon bien rangé, plancherrayé – probablement des traces de patinsà roulettes. Ameublement de qualité,usagé, mal entretenu. Murs nus, pas detélé, deux photos encadrées sur une table

basse – des clichés style publicité.

Jack les inspecta de près ; la vieillemadame Downey le collait de près. Deuxcadres en étain assortis – deux personnes,belles et bien habillées.

Une jolie femme – cheveux clairscoiffés à la page, une petite étincelleracoleuse dans le regard. Un garçonmignon qui ressemblait exactement à lafemme – extra blond, de grands yeuxstupides.

— Est-ce là Christine et son fils ?

— Oui, et ça forme un duo bienséduisant, je leur accorde ça. Jeunehomme, quel est le montant de cetterécompense dont vous avez parlé ?

Jack l’ignora ; direction la chambre :fouille des tiroirs, du placard, sous lematelas. Pas de livres de cul, pas decame, rien de bizarroïde – quelquesdéshabillés, les seules merdes à valoir lecoup de blair.

— Jeune homme, vos cinq minutes sontterminées. Et je veux un engagement écritcomme quoi je recevrai cetterécompense.

Jack se retourna tout souriant.

— Je vous l’enverrai par courrier. Etj’ai encore besoin d’une minute ou deuxpour jeter un œil à leur carnet d’adresses.

— Non ! Non ! Ils pourraient revenir àtout moment ! Je veux que vous partiez

sur le champ !

— Rien qu’une minute, m’dame !

— Non ! non, non ! Allez, sortez, toutde suite !

Jack se dirigea vers la porte. La vieillepie lui dit :

— Vous me rappelez ce policier de latélé, dans cette émission si célèbre.

— Je lui ai appris tout ce qu’il sait.

Ça prenait forme, vite fait, bien fait.

Bobby Inge crache le morceau sur lesfourgueurs de photos de cul, accepte detémoigner pour l’accusation, avec unepetite collante d’immoralité pour lui etDaryl Bergeron : le môme était mineur et

Bobby était un homo notoire, avec uncasier plein de condamnations. Emballerle paquet, bien serré, sans failles : aveux,localisation des suspects, une liasse depaperasses pour Millard. Le célèbreGrand V met un terme aux activités ducélèbre réseau de saletés pornos etretourne aux Stups en héros.

Retour sur Hollywood, un détour par ledrive in de Stan – Christine sur sespatins, à servir ses ragoûts aux voitures.La moue boudeuse, l’allure provocante –presque un modèle de racoleuse, peut-être du genre à poser avec une pine dansla bouche.

Jack se rangea et lut le dossier deBobby Inge. Deux mandats de recherche

de première : contravention et refus decomparaître à une assignation enconditionnelle. Dernière adresse connue :1424 Nord Hamel, Hollywood Ouest – lecœur de Lavender Gulch – coin desrencontres homo. Lieux de fréquentationconnus, trois bars à pédés – la Planque àLeo, le Chevalier en Armure, la Salle deJeux de B.J. –, tous les trois sur SantaMonica Boulevard tout proche. Jack roulajusqu’à Hamel Drive, les menottes sortieset ouvertes.

Bungalows sur cour, en retrait du Strip; plates-bandes du comté – «Inge – Apt 6»sur la boîte aux lettres. Jack trouva lapiaule, frappa, pas de réponse.

— Bobby, hé, mon canard !

Petit trille en voix de fausset – ça mordtoujours pas. Porte fermée, rideaux tirés –un silence de mort dans tout le coin ; Jackretourna à la voiture et prit au sud.

Le quartier des bars à choutes : lespetits coins préférés d’Inge serépartissaient sur deux blocs. La Planqueà Leo : fermée jusqu’à 4 h. Le Chevalieren Armure, vide. Le barman essaya de levamper : « Bobby qui ? » – comme s’il nesavait pas. Jack s’attaqua à B.J. et saSalle de Jeux.

Vinyl imitation velours partout – murs,plafond, boxes jouxtant une petite estraded’orchestre. Des tantouzes au bar ; lebarman renifla le flic, direct. Jacks’avança et lui présenta ses clichés,

étalés sur le comptoir.

Le barman les ramassa.

— C’est Bobby quelque chose. Il vientici souvent.

— Tous les combien ?

— Oh, disons, plusieurs fois parsemaine.

— Après-midi ou soirée ?

— Les deux.

— Quand est-il venu pour la dernièrefois ?

— Hier. En fait, c’était à peu près àcette heure-ci. Êtes-vous…

— Je vais aller m’installer dans un de

ces boxes, là-bas, et je vais l’attendre.S’il se pointe, ne parlez pas de moi. Vousavez compris ?

— Oui. Mais regardez, vous m’aveznettoyé toute la piste, il ne reste plus unchat.

— Décomptez ça de votre feuilled’impôts.

Le barman gloussa ; Jack alla jusqu’àun box, près de l’estrade d’orchestre. Pasd’obstacle dans le champ de vision :porte d’entrée, porte de derrière et bar. Ilétait à l’abri dans l’obscurité. Il observa.

Rituels de cour pédé avantl’accouplement.

Regards, tête à tête, et sortie. Un miroir

au-dessus du bar : les choutes pouvaients’inspecter de près et en détail, avant dese croiser du regard et de disparaître.Deux heures, un demi-paquet decigarettes – pas de Bobby Inge.

Son estomac grommelait ; il avait lagorge à vif ; les bouteilles du bar luisouriaient. Mort d’ennui. Impossible derester sur place : à 4 h, il irait à laPlanque à Leo.

3 h 53 – Bobby Inge fit son entrée.

Il s’installa sur un tabouret ; le barmanlui servit un verre. Jack s’avança.

Le barman, mort de trouille, les yeuxaffolés, les mains tremblantes. Ingepivota.

— Police, dit Jack. Mains sur la tête.

Inge balança son verre. Jack goûta lewhisky ; le scotch lui brûla les yeux. Ilcligna des paupières, trébucha, ets’effondra au sol complètement aveuglé.Il essaya de recracher le goût d’alcool desa bouche, se leva, retrouva la vue,encore floue – Bobby Inge avait disparu.

II courut dehors. Pas de Bobby sur letrottoir, une berline qui brûlait de lagomme. Sa propre bagnole à deux blocsde là.

Et l’alcool qui le martyrisait.

Jack traversa la rue, jusqu’à unestation-service. Il se rendit aux toilettespour hommes et jeta son blazer à la

poubelle. Il se lava le visage, barbouillasa chemise de savon et tenta de vomir legoût de gnôle – pas moyen. Un peu d’eausavonneuse dans le lavabo – il avala, segargarisa, eut un haut-le-cœur et vomit.

Sur la bonne voie : son cœur arrêta sesdérapages, les jambes se firent plusfermes. Il ôta son étui d’épaule,l’enveloppa de serviettes en papier etretourna à la voiture. Il vit une cabinetéléphonique, et passa le coup de fil auflair. Sid Hudgens décrocha.

— L’Indiscret, silence et discrétion,vite fait, bien fait, ça ne sera pas répété.

— Sid, c’est Vincennes.

— Jackie, t’es revenu aux Stups ? J’ai

besoin d’articles.

— Non, j’ai quelque chose sur le feumais avec l’Ad. Mœurs.

— Quelque chose de bon ? Avecvedettes et célébrités à la clé ?

— Je ne sais pas si c’est bon, mais siça devient bon, c’est pour toi.

— On dirait que tu es à courtd’haleine, Jackie. T’as fait une partie dejambes en l’air ?

Jack toussa – des bulles de savon.

— Sid, je suis sur la piste de livrespornos. Des trucs avec des photos. Desclichés de baise, mais les participants neressemblent pas à des shootés et ils sontdéguisés, et des costumes pas bon

marché. C’est bien foutu, comme truc, etj’ai pensé que tu pourrais peut-être enavoir entendu parler.

— Non. Non, j’ai entendu que dalle.

Trop rapide, pas assez incisive, laréplique de chute.

— Que sais-tu d’un mec qui seprostitue, du nom de Bobby Inge, oud’une femme du nom de ChristineBergeron ? Elle patine dans un drive in,et elle vend peut-être son cul pourarrondir ses fins de mois.

— Jamais entendu parler d’eux, Jackie.

— Merde. Sid, que sais-tu desrevendeurs de porno indépendants engénéral ? Qu’est-ce que tu peux me dire

là-dessus ?

— Jack, je sais que c’est merdique etsecret, et que j’en sais rien. L’embêtantavec les secrets, Jack, c’est que tout lemonde en a, y compris toi. Jack, je teparlerai plus tard. Appelle-moi quand tuauras du travail.

Déclic : la ligne fut coupée.TOUT LE MONDE A DES SECRETS, Y

COMPRIS TOI.

Sid n’était pas tout à fait Sid, saréplique de sortie n’était pas tout à fait unavertissement.

PUTAIN ! EST-IL AU COURANT ?

Jack longea le drive in de Stan,toujours tremblant, toutes vitres baissées

pour éliminer l’odeur de savon. ChristineBergeron introuvable sur les lieux. Retourau 9849 Charleville, toc-toc à la porte deson appartement – pas de réponse. Un jeuentre le verrou et l’huisserie. Il donna unepoussée ; la porte s’ouvrit.

Une traînée de vêtements sur leplancher du salon. Disparue, la photoencadrée.

Direction la chambre. La trouille, sonarme était dans la voiture.

Commodes et tiroirs vides, lit sansdraps ni couvertures. Direction la sallede bains.

Dentifrice et Kotex renversés dans ladouche. Des étagères de verre fracassées

dans le lavabo.

Fuite précipitée – style tangente enaccéléré, quinze minutes.

Retour à Hollywood Ouest – et vite. Laporte de Bobby Inge céda facile ; Jackentra, arme à la main.

Nettoyage par le vide numéro deux – etdu boulot mieux fait.

Salon bien propre, salle de bainsvirginale, et dans la chambre, des tiroirsde commode vides. Une boîte de sardinesdans le freezer. La poubelle de la cuisinepropre, garnie d’un sac en papier toutneuf.

Jack retourna la piaule sens dessusdessous : salon, chambre, salle de bains,

cuisine : les rayonnages par terre, lestapis arrachés, les toilettes en morceaux.Il s’arrêta. Un éclair : les poubelles,pleines, qui garnissaient les deux côtés dela rue.

C’était là-bas, ou alors c’était disparu.

Disons une heure vingt depuis sabousculade avec Inge ; ce fumier n’auraitpas été se précipiter bille en tête dans saturne. Il s’était probablement tenu àl’écart de la rue, avant de rentrer mollo, àvitesse de croisière, et de risquer ledéménagement avec la voiture garée dansl’allée. Il devait se dire que la cravateremontait à ses vieux avis de rechercheou que c’était à cause de sa magouilledans le porno ; il savait qu’il avait la

poulaille aux fesses et qu’il ne pouvaitpas se faire prendre avec du matérielpornographique à son domicile. Il nepouvait pas courir le risque de letransporter jusqu’à sa voiture : lesrisques de se faire alpaguer étaient tropgrands. Le ruisseau ou les ordures, sur ledessus des poubelles, juste sous lecouvercle, et peut-être de la nouvellechair fraîche à identifier pour le GrandJack Poubelle.

Jack se retrouva sur le trottoir à viderles poubelles – devant une bande demômes ricanants. Une, deux, trois, quatre,cinq – encore deux avant le coin. Pas decouvercle sur la dernière, et du beaupapier noir glacé qui en ressortait.

Jack fonça tout droit.

Trois canards de baise juste sur ledessus. Jack les agrippa et retourna à lavoiture au pas de course. Coup d’œil vitefait, les mômes avec des yeux comme dessoucoupes devant le pare-brise. Lesmêmes arrière-plans, toujoursHollywood, Bobby Inge avec des garçonset des filles, des petits mignons inconnusen train de s’envoyer en l’air. À la moitiéde la troisième revue, des clichés à enperdre la boule.

Des orgies, des enfilades en chaînes,trou à trou, une douzaine de personnes surle sol recouvert de courtepointes. Desmembres sectionnés : giclures rougesjaillissant de bras, de jambes. Jack plissa

les paupières à s’en faire mal aux yeux ;le rouge était de l’encre de couleur, lesphotos trafiquées, les amputations étaientdes faux, le sang d’encre coulait en petitstourbillons gracieux.

Jack tenta le coup des identifications ;la perfection de l’obscénité le distrayait ;des nus coulants d’encre, pas un seulvisage connu avant la dernière page :Christine Bergeron et son fils en train debaiser, debout sur leurs patins plantés surun plancher en bois dur tout rayé.

16

Une photographie glissée dans sa boîteaux lettres : le sergent Ed Exleysanguinolent et terrifié. Pas de texte auverso, inutile : Stensland et White avaientle négatif, leur assurance qu’iln’essaierait jamais de se les faire.

Ed, seul dans la salle de brigade, 6 hdu matin. Les points de suture au mentondémangeaient ; impossible de mangeravec ses dents branlantes. Une bonnetrentaine d’heures depuis l’événement –ses mains en tremblaient encore.

Œil pour œil.

Il n’avait rien dit à son père ; il ne

pouvait courir le risque ignominieuxd’aller voir Parker ou les AffairesInternes. Se venger de Bud White neserait pas facile facile : c’était le protégéde Dudley Smith, Smith venait de luitrouver une place à la Criminelle et il sele façonnait pour en faire son gros bras enchef. Stensland était plus vulnérable :bien qu’en conditionnelle, il travaillaitpour Abe Teitlebaum, ex-homme de mainde Cohen. Un poivrot, qui n’attendait quede retourner au trou.

Œil pour œil – la revanche était enmarche.

Deux hommes du shérif, achetés etréglés : un petit plongeon dans le legs quelui avait laissé sa mère. Une double

filoche aux trousses de Dick Stens, deuxhommes qui allaient fondre sur leur proieau plus petit foirage dans saconditionnelle.

Œil pour œil.

Ed se mit aux paperasses. Son estomacgrommelait : pas de nourriture, despantalons qui flottaient, glissant sous lepoids de son étui. Une voix sortit de laboîte à caquets : une voix forte, effrayée.

— Appel à la brigade ! Cafète duHibou de Nuit, un – huit – deux – quatre,Cherokee ! Homicide multiple ! Voir leshommes de patrouille ! Code trois !

Ed se cogna les genoux en se levant.Pas d’autre inspecteur du service – c’était

à lui.

Voitures de patrouille sur Hollywoodet Cherokee ; des bleus en traind’installer des chevaux de frise autour dela scène du crime. Pas de flics en civil envue – peut-être qu’il pourrait être lepremier.

Ed se rangea, éteignit sa sirène. Unhomme de patrouille courut jusqu’à lui.

— Y a un tas de monde au tapis, y en amême, c’est peut-être des femmes. Je lesai trouvés : je me suis arrêté pour un café,et j’ai vu cette pancarte bidon sur laporte, «Fermé pour maladie». Mec,jamais il ferme, le Hibou de Nuit. Ilfaisait sombre à l’intérieur et j’ai comprisque c’était un truc pas net. Exley, c’est

pas votre secteur, y a pas, c’est un trucpour les mecs du centre, alors…

Ed le repoussa sur le côté, et se frayaun chemin jusqu’à la porte. Ouverte.Dessus, une pancarte : «Fermé pour causede maladie». Ed pénétra à l’intérieur etmit en mémoire.

Un intérieur rectangulaire, une pièce enlong. Sur la droite : une filée de tables,quatre chaises chaque. Mur latéralcouvert de papier peint à motif ; deshiboux qui clignaient de l’œil, perchéssur des pancartes de rues. Sol en linoléumà carreaux ; vers la gauche, un comptoir –une douzaine de tabourets. Un passage deservice derrière, la cuisine dans le fondavec, sur l’avant, un poste de cuisson :

friteuses, spatules sur crochets, une plate-forme pour déposer les assiettes. Surl’avant gauche, une caisse enregistreuse.

Ouverte, vide – des pièces de monnaiesur le petit napperon à côté.

Trois tables en désordre : nourriturerenversée, assiettes retournées, bacs àserviettes et plats cassés au sol. Sur lelino, des traînées qui conduisaient à lacuisine ; un escarpin à haut talon prèsd’une chaise cul pardessus tète.

Ed entra dans la cuisine. De lanourriture à moitié cuite, des plats brisés,des poêles par terre. Un coffre mural sousle comptoir du cuisinier – ouvert, quicrachait ses pièces. Des traînées qui secroisaient et se recoupaient avec d’autres

marques de traînées, des barbouillissombres de talons noirs qui se terminaientà la porte d’une pièce frigo de plain-pied.

Porte entrouverte, cordon débranché dela prise – pas d’air frais pour laconservation. Ed ouvrit.

Des corps – un empilement de corpsdétrempés de sang sur le sol. Cervelle,sang et chevrotines sur les murs. Du sangsur cinquante centimètres de large quis’écoulait dans une rigole. Des dizainesde cartouches de fusil de chasse flottantdans le sang.

DE JEUNES NÈGRES AU VOLANT DECOUPÉS MERC POURPRES 48-50 QU’ON AVAITVUS EN TRAIN DE TIRER EN L’AIR AU FUSILDE CHASSE DANS LES COLLINES DE GRIFFITHPARK À PLUSIEURS REPRISES CES DEUX

DERNIÈRES SEMAINES.

Ed eut un haut-le-cœur, essaya dedénombrer les corps.

Pas de visage reconnaissable. Peut-êtrecinq morts, et tout ça pour la caisseenregistreuse, le butin du coffre et cequ’ils avaient sur eux…

— Putain de bordel de merde !

Une bleusaille – pâle, presque verte.

— Combien d’hommes à l’extérieur ?dit Ed.

— Je… Je sais pas. Des tas.

— Ne soyez pas malade, rassembleztout le monde et commencez lequadrillage. Il faut savoir si l’on a vu un

certain modèle de voiture dans lesenvirons, ce soir.

— M… m… m’sieur, y a un homme dubureau des Inspecteurs qui veut vous voir.

Ed sortit. Le jour se levait : premièreslueurs de l’aube sur la populacerassemblée. Les hommes de patrouilleretenaient les journalistes ; des essaimsde badauds s’accumulaient. Lesavertisseurs beuglaient ; des motosvenaient se mettre de la partie ; les charsà viande froide étaient bloqués par lafoule. Ed chercha les huiles du regard ; ilse fit bousculer par une ruée dejournalistes qui hurlaient leurs questions.

Repoussé du trottoir, épinglé contreune voiture de patrouille. Et les ampoules

de flash pop-pop-pop – il tourna la têtede manière à masquer ses contusions. Desmains solides vinrent l’agripper.

— Rentrez à la maison, mon gars. Onm’a donné le commandement.

17

Premier rassemblement général detoute l’histoire du Bureau – jusqu’audernier inspecteur du centre ville, debout,prêt à l’appel. La salle de briefing duchef bourrée jusqu’au plafond.

Thad Green, Dudley Smith à côté d’unmicro sur pied ; en face d’eux, leshommes que démangeait l’envie d’y aller.Bud chercha Ed Exley – une occasion derepérer l’étendue de ses blessures. Pasd’Exley – et une rumeur qui tombe à l’eau: elle disait que c’était lui le premier àavoir reçu l’appel pour le Hibou de Nuit.

Smith attrapa le micro :

— Les gars, vous savez tous pourquoivous êtes ici. Toute hyperbole mise àpart, comme le «Massacre du Hibou deNuit», nous avons devant nous un crimerévoltant qui exige une solution rapide etbrutale. La presse et le public l’exigerontde nous, et puisque nous disposons d’oreset déjà de pistes solides, c’est ce quenous leur offrirons.

« Il y avait six personnes exécutéesdans cette glacière, trois hommes et troisfemmes. J’ai parlé au propriétaire duHibou de Nuit, et il m’a dit que trois descadavres correspondent probablement àPatty Chesimard et Donna De Luca, sexeféminin, race blanche, respectivementserveuse du dernier poste et caissière, etGilbert Escobar, sexe masculin, mexicain,

cuisinier et plongeur. Les trois autresvictimes – deux hommes, une femme –étaient très certainement des clients. Lacaisse enregistreuse et le coffre étaientvides, les sacs à mains comme les pochesdes victimes ont été nettoyéscomplètement, ce qui signifie que le volétait de toute évidence le mobile. Le SIS– Service d’Investigation Scientifique –est en train de faire ses analyses et sesprélèvements – pour l’instant, ils n’ontrien trouvé que des empreintes de doigtsgantés de caoutchouc sur la caisseenregistreuse et le placard réfrigéré.L’heure du décès des victimes est encoreinconnue, mais le nombre restreint declients et une autre piste que nouspossédons donnent 3 h du matin comme

heure de la tuerie. Au total, quarante-cinqcartouches tirées – fusil de chasseRemington, calibre 12 – et retrouvéesdans le compartiment réfrigéré. Celacorrespond à trois hommes avec desfusils à pompe, avec chargeurs de cinqcartouches, et tous ont rechargé par deuxfois. Je n’ai pas besoin de vous dire quequarante des cartouches tirées l’ont été enpure perte – purement gratuit, les gars.Nous sommes confrontés ici à des bêtessauvages, purement et simplement, desanimaux fous furieux.

Bud regarda autour de lui. Toujours pasd’Exley ; une centaine d’hommesprenaient des notes. Jack Vincennes dansun coin, sans calepin. Thad Green prit larelève.

— Pas de traces de sang conduisant àl’extérieur. Nous espérions retrouver desempreintes de pas qui nous auraient servià éliminer les suspects, mais nous n’enavons pas trouvé. Ray Pinker, du SIS, ditque le travail de labo prendra au moinsquarante-huit heures. Le coroner déclareque l’identification des clients victimessera extrêmement difficile à cause del’état des corps. Mais nous disposonsd’une piste, effectivement, une pistebrûlante, très brûlante.

« La division de Hollywood aenregistré un total de quatre plaintes à cesujet, alors ouvrez vos oreilles. Ces deuxdernières semaines, des jeunes Nègres envoiture ont été vus en train de déchargerleurs fusils de chasse dans les airs, sur

les hauteurs de Griffith Park. Ils étaienttrois au total, et les fusils étaient desfusils à pompe. Les salopards n’ont pasété appréhendés, mais des témoinsoculaires ont identifié leur véhicule : uncoupé Mercury, modèle 1948 à 1950 decouleur pourpre. Il y a seulement uneheure de cela, l’équipe de quadrillage dulieutenant Smith a trouvé un témoin : unvendeur de journaux qui a aperçu uncoupé Merc pourpre, années 48-50, garéen face du Hibou de Nuit la nuit dernièreaux environs de 3 h du matin.

Un brouhaha emplit la pièce : ungrondement sonore. Green, du geste,demanda le calme.

— C’est de mieux en mieux, alors

écoutez bien. Il n’y a pas de Mercurypourpre de 48 à 50 sur la liste desvoitures volées, aussi paraît-il peuprobable que nous ayons affaire à unvéhicule dérobé, et le SCG de l’État nousa donné une liste de toutes les Mercury de48 à 58 immatriculées dans l’État. Lepourpre a été une couleur originale surles modèles coupés des années 48 à 50, etces modèles avaient la faveur des Nègres.Il en existe plus de seize centsd’immatriculés, appartenant à des Nègres,dans l’État de Californie ; et enCalifornie du Sud, il y en a très peu dontle propriétaire soit un Blanc. Dans lecomté de L.A., cent cinquante-six sontimmatriculés à des Nègres, et vous êtesici presque une centaine au total. Nous

avons dressé une liste : adresses,domicile et lieu de travail. La brigade deHollywood fait des recoupements avecles casiers judiciaires. Je veux cinquanteéquipes de deux hommes. Trois noms àaller secouer par équipe. On est en traind’installer une ligne téléphoniquespéciale au poste de Hollywood, aussi, sivous avez besoin de renseignements surles adresses passées ou les relationsconnues, vous pouvez appeler là-bas. Sivous avez des suspects qui brûlent,amenez-les ici, à la mairie. Nous avonspréparé une série de sallesd’interrogatoire, et nommé unresponsable chargé de diriger lesinterrogatoires. Le lieutenant Smithdélivrera les affectations dans une

seconde, et le chef Parker voudrait vousdire un mot. Avant cela, des questions ?

Un homme hurla :

— Monsieur, qui conduit lesinterrogatoires ?

— Le sergent Ed Exley, dit Green,brigade de Hollywood.

Sifflets, huées, boo !!!

Parker s’avança jusqu’au micro.

— Cela suffit. Messieurs, allez-y etattrapez-les. Faites usage de toute la forcenécessaire.

Bud sourit. Le message en clair : tuezles négros, net et sans bavures.

18

Liste de Jack :

George PDP Yelburton, nègre,masculin, 9781 South Beach ; LeonardTimothy Bidwell, nègre, masculin, 10062South Duquesne ; Dale WilliamPritchford, nègre, masculin, 8211, SouthNormandie.

Partenaire provisoire de Jack : sergentCal Denton, brigade des Escroqueries,ancien gardien du pénitencier d’État duTexas.

La voiture de Denton, jusqu’àNègreville, et la radio qui bourdonne, du

baratin sur le «Massacre du Hibou deNuit». Denton ronronnait : LeonardBidwell combattait jadis chez leswelters, il l’avait vu tenir dix roundscontre Kid Gavilan – dur à cuire, commebougnoule. Jack ruminait ses espoirs deretour aux Stups : Bobby Inge, ChristineBergeron disparus, pas de piste porno desmecs des autres brigades. Les photosd’orgie – belles, en un sens. Et sespropres pistes, ses pistes privées, foutuesen l’air par des mal blanchis cinglés quiavaient descendu six personnes pour deuxcents sacs. Il sentait toujours le goût de lagnôle, il avait toujours à l’oreille la voixde Sid Hudgens : « Nous avons tous nossecrets. »

D’abord, visite aux indics : les siens,

ceux de Denton. Étals de cireurs dechaussures, salles de billard, salons decoiffure, églises – boutiques – à graisserla patte, à forcer la main, à questionnerles informateurs. Valse lente et réponsesfumeuses à Nègreville – baratin, méli-mélo déformé, la voiture pourpre, lesfusils – la racaille défoncée au Tokay et àla lotion capillaire – quatre heurespleines pour rien, pas un nom valable,retour aux noms de la liste.

9781 Beach – une cabane en cartongoudronné, avec une Merc de 48 pourpresur la pelouse. La voiture n’avait plus deroues, l’essieu rouillé s’enfonçait dansl’herbe. Denton se rangea.

— C’est peut-être leur alibi. Peut-être

qu’ils ont foutu la tire en l’air après lecoup du Hibou de Nuit pour qu’on croiequ’ils ne pouvaient aller nulle part.

Jack la montra du doigt.

— Il y a des mauvaises herbes qui ontpoussé autour des garnitures de frein.Personne n’a conduit ce truc-là jusqu’àHollywood la nuit dernière.

— Tu crois ?

— Je crois.

— T’es sûr ?

— Ouais, je suis sûr.

Denton emmena sa charrette jusqu’àl’adresse de South Duquesne – une autreturne en carton goudronné. Dans l’allée,

une Mercury pourpre – une vraie chiottede bougnoule, avec passages de roueélargis, bavette, et «Païens Pourpres» surune plaque du capot. Boulonné sous leporche : un ensemble grand sac etpunching-ball.

— C’est ton welter, dit Jack.

Denton sourit ; Jack s’avança, appuyasur la sonnette. Des aboiements àl’intérieur – de véritables hurlements demonstre. Denton se tenait de flanc :l’allée en enfilade, un œil sur la porte.

Un Nègre vint ouvrir : maigre etnerveux, un pedzouille l’air pas commodequi retenait un mastiff. Le chien grogna.L’homme dit : — C’est-y pasque j’ai pasréglé la pension alimentaire ? C’t’une

infraction policière maintenant, nom deDieu ?

— Êtes-vous Leonard Timothy Bidwell?

— C’est exact.

— Et c’est votre voiture, dans l’allée ?

— C’est exact. Et si vous êtes de lapolice et en train de faire d’la récup’ debagnoles par ici, vous vous êtes gouré decoin pasque ma mignonne, elle est régléejusqu’au dernier cent, à la régulière,grâce à ma bourse pour avoir perdu cont’Johnny Saxton, malgré tous mes efforts.

Jack montra le chien du doigt.

— Rentrez-le dans la maison et fermezla porte, sortez et mettez vos mains sur le

mur.

Bidwell s’exécuta, ultra mollo ; Jack lepassa à la fouille et le retourna. Dentons’approcha.

— Fils, t’aimes les pompes calibre 12?

Bidwell secoua la tête.

— C’est quoi qu’vous dites ?

Jack changea de sujet.

— Où étiez-vous la nuit dernière à 3 hdu matin ?

— Ici même, dans mon pieu.

— Tout seul ? Si vous avez tiré votrecrampette, vous avez du bol. Dites-moique vous avez du bol avant que mon

copain ne fasse la gueule.

— J’ai la garde de mes deux mômespour la s’maine. Y z’étaient avec moi.

— Sont-ils là ?

— Ils dorment.

Denton le titilla de son aiguillon, uncanon de revolver dans les côtes.

— Fils, tu sais ce qui s’est passé lanuit dernière ? Du méchant gri-gri, etc’est pas des craques. Tu possèdes unfusil de chasse, fils ?

— Mec, j’ai pas l’usage d’un putain defusil de chasse.

Denton enfonça l’arme plus fort.

— Fils, t’avise pas d’user de gros mots

avec moi. Et maintenant, avant qu’onfasse sortir tes petits négrillons, tu vas medire à qui tu as prêté ta voiture la nuitdernière !

— Mec, je passe pas ma tire àpersonne !

— Alors, à qui t’as prêté tes fusils àpompe calibre 12 ? Fils, crache lemorceau, j’écoute.

— Mec, j’vous ai d’jà dit qu’j’avaispas de fusil !

Jack intervint.

— Parlez-moi des Païens Pourpres.Est-ce que c’est un groupe de mecs quiaiment les voitures pourpres ?

— Mec, c’est rien qu’un nom pour

notre club. Moi, j’ai une voiture pourpre,y a d’aut’ gars du club qui en ont aussi.Mec, c’est quoi, tout ça ?

Jack sortit sa feuille du SCG – sa listede tous les proprios de Merc.

— Leonard, avez-vous lu les journaux,ce matin ?

— Non, mec, qu’est-ce…

— Sssh. Vous écoutez la radio ou vousregardez la télévision ?

— J’ai ni l’un ni l’autre. Qu’est-ceque…

— Sssh. Leonard, nous sommes à larecherche de trois mecs de couleur quiaiment bien faire péter leurs fusils, etd’une Merc comme la vôtre, une 48,49 ou

50. Je sais que vous ne feriez de mal àpersonne, je vous ai vu combattre contreGavilan et j’aime votre style. Noussommes à la recherche de mecs, desmauvais. Des mecs avec une voiturecomme la vôtre, des mecs qui pourraientpeut-être bien appartenir à votre club.

Bidwell haussa les épaules.

— Pourquoi devrais-je vous aider ?

— Parce que sinon, je lâche la bride àmon collègue.

— Ouais, et après je vais me retrouvercomme une putain de balance à cause devous.

— Non, pas de balance, vous n’avezpas besoin de dire quoi que ce soit.

Regardez simplement ceci et montrez dudoigt. Tenez, lisez vous-même la liste.

Bidwell secoua la tête.

— C’est des mauvais, alors autantqu’j’vous dise. Sugar Ray Coates, y vit àl’hôtel Tevere, sur la Quatre-vingt-seizième et Central. Y conduit un coupé49, une superbe charrette. Il a deux potes,Leroy et Tyrone. Y z’habitent près de lamairie. Sugar, il adore faire la fête àcoups de fusil, j’ai entendu dire qu’yprend son fade à abattre des chiens. Il aessayé d’entrer dans mon club, mais nousl’avons refusé pasque c’est qu’uneraclure, un bon à rien pur et simple.

Jack consulta sa liste – gros lot surCoates, Raymond, PDP, 9611 South

Central, chambre 114. Denton avait sortisa propre liste.

— À deux minutes d’ici. On décarre,on pourrait bien y être les premiers.

Héros, en gros titres.

— Allons-y.

Hôtel Tevere : au-dessus d’une laverieautomatique, accès par escalier, en formede L. Denton s’engagea en douceur dansle parc de stationnement : Jack vit unevolée de marches – un seul étage dechambres, une entrée grande ouverte.

L’escalier, l’entrée – un petit couloir,des portes d’allure fragile. Jack sortit sonfeu ; Denton dégaina deux calibres : un38, un automatique fixé à la cheville. Ils

comptèrent les numéros des chambres ;arriva le 114. Denton recula ; leurs deuxjambes partirent au même instant. Laporte vola hors de ses gonds devant unspectacle net et sans bavures : un mômede couleur qui bondissait hors de son lit.

Le môme leva les bras. Denton souritet l’aligna ; Jack bloqua son tir, deuxcoups de gâchette réflexes déchirèrent leplafond. Jack se précipita dans la pièce ;le môme essaya de courir ; Jack l’épinglaà coups de crosse sur le crâne. Plus derésistance. Denton lui menotta les mainsderrière le dos. Jack enfila deux coups depoings en laiton et serra les doigts : —Leroy, Tyrone. Où ?

Le môme recracha des dents.

— Un-deux-un, lâcha une bouche ensang.

Denton le souleva par les cheveux.

— Putain, t’avise pas de le tuer ! ditJack.

Denton cracha à la figure du môme ;des cris retentirent dans l’entrée. Jacksortit au pas de course, tourna le viragedu L. Arrêt en dérapage face au 121.

Une porte fermée. Un bruit énorme enarrière-plan – pas moyen de se payer uncoup d’esgourde. Jack cogna du pied ; lebois éclata ; la porte s’ouvrit en couinant.Deux hommes de couleur à l’intérieur –un endormi sur un lit pliant, l’autre entrain de ronfler sur un matelas.

Jack entra. Des sirènes vrombissaienttout près. Le môme du matelas remua –Jack le calma d’un coup sur le crâne ettabassa l’autre salopard avant qu’il ait pubouger. Les sirènes couinèrent avant demourir. Jack vit une boîte sur lacommode.

Des cartouches de fusil de chasse :chevrotine double zéro, calibre 12,Remington. Une boîte de cinquante. Iln’en restait presque plus.

19

Ed passa rapidement en revue lerapport de Jack Vincennes. Thad Greenl’observait ; son téléphone décrochécontinuait à sonner.

Solide et concis – Poubelle savait yfaire pour rédiger un bon topo vite fait.

Trois Nègres en cellule : Raymond«Sugar Ray» Coates, Leroy Fontaine,Tyrone Jones. Soignés pour blessuresreçues en résistant à l’arrestation ;balancés par un autre Nègre qui avaitdécrit Coates, le fusil toujours à portée demain, comme aimant canarder les chiens.Coates était sur la liste du SCG ;

l’informateur déclarait qu’il marchaitavec deux autres hommes – « Tyrone etLeroy » – qui vivaient aussi à l’hôtelTevere. Tous trois avaient été arrêtés ensous-vêtements ; Vincennes les avaitremis entre les mains d’agents en voiturede patrouille, arrivés sur les lieux suiteaux coups de feu tirés, et il avait fouilléles chambres à la recherche de preuvesmatérielles. Il avait trouvé une boîte decinquante cartouches de Remington,calibre 12, chevrotine double zéro, dontune quarantaine manquaient – mais pas defusils, pas de gants en caoutchouc, pas devêtements tachés de sang, pas de grossesquantités de liquide ou de monnaie, et pasd’autres armes. Seuls vêtements dans leschambres : des T-shirts sales, des

caleçons et des vêtements sortis droit dupressing sous leurs enveloppes decellophane. Vincennes avait inspectél’incinérateur, à l’arrière de l’hôtel ; ilétait en marche ; le gérant lui avaitdéclaré qu’il avait vu Sugar Coateslarguer une cargaison de vêtements dansl’appareil, approximativement à 7 h cematin-là. Vincennes déclarait que Jones etFontaine donnaient l’impression d’êtreivres ou sous l’influence de stupéfiants –ils avaient continué à dormir en dépit descoups de feu et du chambard général quiavaient accompagné l’arrestation et larésistance de Coates. Vincennes avait ditaux derniers hommes de patrouillearrivés de rechercher la voiture deCoates – elle ne se trouvait pas dans le

parc de stationnement et restaitintrouvable dans un rayon de trois blocs.On avait diffusé un ARTU – Avis deRecherche à Toutes les Unités. Vincennesprécisait que les mains et les bras destrois suspects puaient le parfum – un testà la paraffine ne serait pas concluant.

Ed reposa le rapport sur le bureau deGreen.

— Je suis surpris qu’il ne les ait pastués.

Le téléphone sonna – Green le laissasonner.

— De cette façon-ci, il se gagnera plusde titres dans les journaux. Il couche avecla belle-sœur d’Ellis Loew. Et si les

bamboulas se sont inondé les paluches deparfum pour tourner un test à la paraffine,c’est Jack qu’on peut remercier – c’est luiqui a donné ce petit renseignement àl’Insigne du Courage. Ed, êtes-vous detaille pour ça ?

L’estomac d’Ed fit un bond.

— Oui, monsieur, je le suis.

— Le chef voulait que Dudley Smithtravaille avec vous, mais je l’aiconvaincu de n’en rien faire. Aussi bonqu’il soit, l’homme est absolumentincontrôlable quand il s’agit de gens decouleur.

— Monsieur, je sais combien c’estimportant

Green alluma une cigarette.

— Ed, je veux des aveux. Quinze descartouches que nous avons récupérées auHibou de Nuit portent une encoche aupoint de contact du chien ; si noustrouvons les armes, nous avons réglél’affaire. Je veux l’emplacement où sontcachés les fusils, l’emplacement de lavoiture, et des aveux avant l’audiencepréliminaire. Nous avons soixante-douzeheures avant la présentation au juge. D’icilà, je veux que tout soit réglé et emballé.Sans bavures.

Des faits concrets.

— Les mômes ont un casier ?

— Conduite dangereuse, violation de

domicile et effraction pour tous les trois,dit Green. Deux casquettes pourvoyeurisme pour Coates et Fontaine. Etils ne sont pas des mômes : Coates avingt-deux ans, les autres vingt. C’est unaller simple pour la chambre à gaz,purement et simplement.

— Et la piste côté Griffith Park ? Deséchantillons de cartouches à comparer,des témoins qui ont vu les mecs déchargerleurs fusils ?

— Les échantillons de cartouchespourraient servir de bonnes preuvesd’appui, si nous pouvons les trouver et siles Noirs n’avouent pas. Le gardien duparc qui a logé les plaintes descend icipour une tentative d’identification. Ed,

Amie Reddin dit que vous êtes lemeilleur interrogateur qu’il ait jamais vu,mais vous n’avez jamais travaillé surquelque chose d’aussi…

Ed se leva.

— Je le ferai, et j’y arriverai.

— Fils, si vous y arrivez, c’est maplace que vous occuperez un jour.

Ed sourit – ses dents branlantes luifaisaient mal.

— Que vous est-il arrivé à la figure ?dit Green.

— J’ai trébuché en pourchassant unvoleur à l’étalage. Monsieur, qui a parléaux suspects ?

— Rien que le docteur qui les aarrangés un peu. Dudley Smith voulaitque Bud White passe en premier, mais…

— Monsieur, je ne pense pas…

— Ne m’interrompez pas, j’étais sur lepoint de vous dire que j’étais d’accordavec vous. Non, je veux des aveuxvolontaires, ce qui exclut White. Vouspassez en premier pour les trois. Vousserez observé à travers les sans tain, et sivous avez besoin d’un compère pourjouer au méchant-gentil, touchez votrecravate. Nous serons en groupe à écouterà un haut-parleur extérieur, et unmagnétophone sera en train de tourner.Les trois hommes sont dans des piècesséparées, et si vous voulez leur jouer le

coup l’un contre l’autre, vous savez surquel bouton appuyer.

— Je les briserai, dit Ed.

Son théâtre : un couloir à côté descellules de la Criminelle. Trois cagibistout prêts – miroir en façade, haut-parleurs branchés : un déclicd’interrupteur, et une filée de suspectspouvaient entendre leurs collègues secafter les uns les autres. Les pièces : descarrés, deux mètres sur deux, tablessoudées au sol, fauteuils boulonnés. Dansla 1, la 2, et la 3 : Sugar Coates, LeroyFontaine, Tyrone Jones. Liste descondamnations collée au mur, àl’extérieur. Ed mémorisa dates,emplacements, relations connues. Une

inspiration profonde pour éliminer letrac… porte n°1.

Sugar Ray Coates menotté à un fauteuil,vêtu de bleus du comté un peu larges.Grand, teint clair – presque mulâtre. Unœil fermé, paupière enflée ; lèvresboursouflées et fendues. Nez écrasé –points de suture aux deux narines.

— On dirait bien qu’on s’est faittabasser, l’un comme l’autre, dit Ed.

Coates loucha de côté – un seul œil,mort de trouille. Ed dégrafa les menottes,balança cigarettes et allumettes sur latable. Coates s’assouplit les poignets. Edsourit.

— On t’appelle Ray Sugar à cause de

Ray Robinson ?

Pas de réponse.

Ed prit le second fauteuil.

— On dit que Ray Robinson estcapable de balancer une succession dequatre directs en une seconde. Je ne lecrois pas moi-même.

Coates leva les bras – ils retombèrent,impuissants ; des poids morts. Ed ouvritle paquet de cigarettes.

— Je sais, ça coupe la circulation. Tuas vingt-deux ans, n’est-ce pas, Ray ?

Coates, la voix éraillée :

— Et pis quoi encore ?

Ed inspecta sa gorge : meurtrie, des

marques de doigts.

— L’un des policiers s’est-il amusé àjouer à l’étouffoir avec toi ?

Pas de réponse.

— Le sergent Vincennes ? Le mec sapémilord ?

Silence.

— Pas lui, hein ? C’était Denton ? Ungros mec, avec un accent traînant duTexas ; on dirait Spade Cooley, à la télé.

L’œil valide de Coates tiqua.

— Ouais, je compatis, dit Ed. Ce mec,le Denton, c’est un taré de choix. Tu voisma figure ? Denton et moi, on s’est payéun ou deux rounds.

Ça mord toujours pas.

— Nom de Dieu de Denton ! SugarRay, toi et moi, on ressemble à Robinsonet La Motta après le dernier combatqu’ils ont fait ensemble.

Toujours rien à l’hameçon.

— Alors, comme ça, tu as vingt-deuxans, exact ?

— Mec, pourquoi vous demandez ça ?

Ed haussa les épaules.

— Rien que pour avoir les détails bienau point. Leroy et Tyrone ont vingt ans,impossible de les faire griller pour unecondamnation à la peine capitale. Ray, tuaurais dû faire ton petit coup il y a deuxans de ça. T’aurais eu perpète, un petit

passage chez les Mineurs, transfert àFolsom, grand, costaud et adulte. Tu teserais trouvé une choute, tu te seraisdéfoncé un peu avec de la bonne bibinede taulard.

«Choute» fit mouche : les mains deCoates tressautèrent. Il prit une cigarette,alluma, toussa.

— Je fricote pas avec les choutes.

— Je sais ça, fils, dit Ed d’un sourire.

— Ch’uis pas ton fils, putain deblandin. C’est toi la choute.

Ed éclata de rire.

— Tu connais la chanson, je doisl’admettre. Tu as fait de la prison pourdélinquance juvénile, tu sais que je suis

le flic gentil mec qui essaie de te faireparler. Ce salopard de Tyrone, j’ai faillile croire. Denton a dû me faire sauterquelques circuits dans la caboche.Comment ai-je pu me laisser prendre à uncoup pareil ?

— Et pis quoi, mec ? Quel coup tuveux dire ?

— Rien, Ray. Changeons de sujet.Qu’as-tu fait des fusils de chasse ?

Coates se frotta le cou – mainstremblantes.

— Quels fusils ?

Ed se pencha plus près.

— Les pompes que toi et tes amisdéchargiez dans Griffith Park.

— Ch’ais rien de rien sur des fusils.

— Tu ne sais pas ? Leroy et Tyroneavaient une boîte de cartouches dans leurchambre.

— C’est leurs avaires.

Ed secoua la tête.

— Ce Tyrone, c’est une sale tête decochon. Tu as connu le camp des mineursde Casistas avec lui, non ?

Un haussement d’épaule.

— Et pis quoi encore ?

— Rien, Ray. Je réfléchissais juste àhaute voix.

— Mec, pourquoi tu parles de Tyrone ?Les avaires de Tyrone, c’est ses avaires.

Ed mit la main sous la table et trouvale contacteur audio de la pièce 3.

— Sugar, Tyrone m’a dit que tu avaisfait la choute, là-bas, à Casistas. Tun’arrivais pas à t’en tirer tout seul, alorstu t’es trouvé un grand Blanc costaud pourveiller sur toi. Il a dit qu’on t’appelait«Sugar», tellement tu faisais ça avecdouceur.

Coates cogna la table. Ed mit lecontact.

— Y dit quoi, Sugar ?

— Y dit que j’encaissais ! Tyrone, lui,il enfilait ! Mec, putain, c’était moil’emmancheur de première de tout ledortoir ! C’est Tyrone la choute ! Tyrone y

se fait enfiler pour des barres de chocolat! Tyrone adore ça !

Contact coupé.

— Ray, changeons de sujet. Pourquoipenses-tu que toi et tes amis soyez en étatd’arrestation ?

Coates tripota le paquet de cigarettes.

— Une plainte de rien du tout, peut-être pour avoir déchargé des armes à feuà l’intérieur des limites de la ville, desclopinettes, quoi. Qu’est-ce qu’y dit d’ça,Tyrone ?

— Ray, Tyrone a dit des tas de choses,mais passons au plat de résistance. Oùétais-tu à 3 h du matin, la nuit dernière ?

Coates enchaîna un nouveau clope à

son mégot.

— J’étais dans ma piaule. Je dormais.

— Étais-tu camé ? Tyrone et Leroydevaient l’être, ils étaient dans les vapspendant que les policiers t’arrêtaient.Jolis complices que tu as là. Tyrone tetraite de tantouze, ensuite lui et Leroyroupillent pendant que tu te fais tabasserpar un connard au cerveau fêlé. Je croyaisque vous, les gens de couleur, vous vousserriez les coudes. T’étais-tu bourré decame, Ray ? Tu n’arrivais pas à encaisserce que tu avais fait, alors tu t’es trouvé dela came et…

— Encaissé quoi ? C’est quoi que tuveux dire ? Tyrone et Leroy, c’est eux quijouent au con avec leurs pastilles, pas

moi !

Ed mit le contact à la 2 et à la 3.

— Ray, tu as protégé Tyrone et Leroy,là-bas, à Casistas, ce n’est pas vrai ?

Coates recracha en toussant un grosnuage de fumée.

— Sûr que je l’ai fait, sans déconner.Tyrone y largue sa pastille à qui mieuxmieux ; et Leroy, y a tellement la trouillequ’y a presque été se jeter du toit et y apicolé à pus voir clair avec la gnôledégueu. Ces négros qu’y ont jamais quittéleur trou, y z’ont pas pus de cervellequ’un putain de clebs.

Contact coupé.

— J’ai entendu dire que tu tirais sur les

chiens.

Un haussement d’épaules.

— Les chiens, ç’a pas de raison devivre.

— Oh ? C’est ce que tu penses desgens également ?

— Mec, qu’est-ce tu racontes ?

Contact.

— Ben, c’est bien ce que tu ressens àl’égard de Leroy et Tyrone ?

— Et merde, Leroy et Tyrone y sontpresque trop bêtes pour continuer à vivre.

Contact coupé.

— Ray, où sont les fusils que vous

avez déchargés dans Griffith Park ?

— Ils… Je… Je possède pas de fusil.

— Où est ton coupé Mercury 1949 ?

— Il est… juste à l’abri. Un coin sûr.

— Allons, Ray. Une caisse aussi impecque celle-là ? Où est-elle ? Une charrettebelle comme ça, moi, je me la garderaissous clé, à double tour.

— J’ai dit qu’elle était à l’abri !

Ed claqua la table, les deux paumes àplat.

— L’as-tu vendue ? Larguée ? C’est unvéhicule criminel, qui a transporté descriminels. Ray, ne crois-tu pas… ?

— J’ai pas commis aucun crime !

— À d’autres, mon gars ! Où est lavoiture ?

— Je dis rien !

— Où sont les fusils ?

— Je dis… je sais pas.

— Où est la voiture ?

— Je dis rien !

Ed tambourina sur la table.

— Pourquoi, Ray ? Tu as des fusils etdes gants de caoutchouc dans le coffre ?Tu as des portefeuilles et des sacs àmains, et t’as du sang sur toutes lesbanquettes ? Écoute, espèce de fils depute taré, j’essaie de t’épargner unvoyage jusqu’à la chambre à gaz comme à

tes deux potes – ils n’ont pas l’âge, ilssont mineurs, mais pas toi, et il va falloirtrouver quelqu’un à frire pour tout ça…

— Je sais pas de quoi vous parlez !

Ed soupira.

— Changeons de sujet.

Coates alluma une nouvelle cigarette.

— J’aime pas tes sujets.

— Ray, pourquoi brûlais-tu desvêtements à 7 h ce matin ?

Coates se mit à trembler.

— C’est quoi, ça ?

— Voilà ce que c’est. Toi, Leroy etTyrone avez été arrêtés ce matin. Aucun

de vous n’avait avec lui les vêtements dela veille. On t’a vu brûler un gros tas devêtements à 7 h. Ajoute cela au fait que tuas caché la voiture que toi-même, Tyroneet Leroy avez utilisée pour vous baladerla nuit dernière. Ray, ça ne s’annonce pastrès bien, mais si tu me fournis quelquechose de sérieux pour le procureur, çafera très bien pour moi et je dirai alors :« Sugar Ray ne s’est pas conduit ensalopard comme ses choutes departenaires. » Ray, offre-moi un petitquelque chose.

— Quel genre, puisque ch’uis innocentde tout le baratin que vous me cassez lesoreilles avec.

Ed enclencha la 2 et la 3.

— Eh bien, tu as dit des choses pasgentilles sur Leroy et Tyrone ; àt’entendre, c’est des camés. Essayons çapour changer : où trouvent-ils leurcamelote ?

Coates baissa les yeux au sol, le regardfixe.

— Le procureur déteste les fourgueursde came, dit Ed. Et tu as rencontré JackVincennes, le Grand V ?

— Putain de cinglé, ç’ui-là.

Ed éclata de rire.

— Ouais, Jack a ses petits côtés fêlé.Personnellement, je pense que celui quiveut se ruiner la vie avec des stupéfiantsdevrait en avoir le droit, nous sommes

dans un pays libre. Mais Jack est copain-copain avec le nouveau procureur, et lesfourgueurs de came, ça les fait bander,l’un comme l’autre. Ray, donne-moiquelque chose à refiler au procureur. Rienqu’un petit truc.

Coates fit signe d’un doigt en crochet ;Ed laissa les contacteurs enclenchés et sepencha en avant. Sugar Ray, un murmurede voix : — Roland Navarette, y vit surBunker Hill. Y tient une planque pour lesmecs en fuite de conditionnelle, et y venddes diables rouges – du Seconal – , et ça,c’est pas pour ce putain de procureur,c’est pasque Tyrone, y a ouvert sa putainde grande gueule.

Contact coupé.

— Très bien, Ray. Tu viens de me direque Roland Navarette vend desbarbituriques à Leroy et Tyrone. Commeça, on a un peu avancé. Et tu es mort detrouille à en chier dans le froc, tu sais quec’est un coup à aller à la chambre à gaz ettu ne m’as même pas demandé de quoi ils’agissait. Ray, tu te promènes avec unebelle pancarte de coupable autour du cou.

Coates fit craquer ses jointures ; sonœil valide jeta un éclair avant de vaciller.Ed éteignit le micro.

— Ray, changeons de sujet.

— Qu’est-ce que tu dirais du base-ball, enfoiré ?

— Non, parlons un peu de fesse. T’es-

tu envoyé en l’air la nuit dernière, ou bient’es-tu aspergé de tout ce parfum pourfaire foirer un test à la paraffine ?

Tremblements, les vraies chocottes.

— Où étais-tu la nuit dernière à 3 h dumatin ? dit Ed.

Pas de réponse. Les tremblementsredoublent.

— Touché au vif, Sugar Ray ? Parfum? Femmes ? Même un tas de merdecomme toi doit bien avoir quelquesfemmes qui comptent dans sa vie. Tu asune mère ? Des sœurs ?

— Mec, t’avise pas de parler d’mamère !

— Ray, si je n’étais pas au courant, je

dirais que tu es en train de protéger lavertu de quelque douce jeune fille. C’étaitelle ton alibi, et tu étais au pieu avec elle,quelque part. Mais Tyrone et Leroy ont lemême parfum sur les paluches, et jeparierais que ça n’a pas été une séance debaise en équipe, je parierais que tu as étémis au courant des tests à la paraffine aucamp pour mineurs, je parierais qu’il tereste juste assez d’honnêteté pour te sentirun peu coupable d’avoir tué trois femmesinnocentes.

— J’AI PAS TUÉ PERSONNE !

Ed sortit l’édition du matin du Herald.

— Patty Chesimard, Donna De Luca etune troisième non identifiée. Lis çapendant que je vais prendre l’air. Lorsque

je reviendrai, tu auras l’occasion de meparler de tout ça et d’arriver à un accordqui pourrait tout simplement te sauver lavie.

Coates, Chocotte-Ville – bourré detics, les bleus détrempés. Ed lui balançale journal à la figure et sortit.

Thad Green dans le couloir ; DudleySmith, Bud White au poste d’écoute.Green dit : — Nous avons eu uneidentification visuelle par le gardien duparc, c’était bien eux les mecs de GriffithPark. Et vous avez été superbe.

Ed sentit l’odeur de sa propre sueur.

— Monsieur, Coates a été accrochéquand j’ai parlé de femmes. Je le sens.

— Moi aussi, alors continuez.

— Avons-nous retrouvé les armes ou lavoiture ?

— Non, et la brigade de la Soixante-dix-septième Rue est en train de secouerles puces à leurs parents et leurs RC –leurs Relations Connues. Nous les aurons.

— Je veux attaquer Jones ensuite.Voulez-vous faire quelque chose pour moi?

— Dites.

— Préparez Fontaine. Ôtez-lui lesmenottes et faites-lui lire le journal de cematin.

Green montra le miroir de la 3.

— Lui va craquer bientôt. Salopard defaux-jeton !

Tyrone Jones – en larmes, une flaquede pisse sur le sol près du fauteuil. Eddétourna ses regards.

— Monsieur, demandez au lieutenantSmith de lire l’article au micro, lentementet clairement, en particulier le passagesur la voiture repérée près du Hibou deNuit. Je veux que ce mec soit à point pourlâcher le morceau.

— C’est comme si c’était fait, ditGreen.

Ed regarda Tyrone Jones plus en détail: la peau sombre, gras à lard, marqué depetite vérole. En train de chialer –

menotté, soudé au sol.

Coup de sifflet dans le couloir. DudleySmith se mit à parler dans un microphone– ses lèvres bougeaient sans bruit. Ed sefixa sur Jones.

Le môme se tordit, gonfla la poitrine,rua des fers, comme dans cet extrait defilm qu’on leur avait montré à l’académie: un mauvais fonctionnement de la chaiseélectrique et une dizaine de déchargesavant que l’homme ne grille pour de bon.Deuxième coup de sifflet, un bruit aigudans le couloir. Jones s’affala, jambesmolles, menton sur la poitrine.

Ed fit son entrée.

— Tyrone, Ray Coates a craché le

morceau sur toi. Il a dit que le Hibou deNuit, c’était ton idée, il a dit que l’idéet’est venue au cours d’une balade àGriffith Park. Tyrone, raconte-moi un peu.Je pense que c’est l’idée de Ray. C’est luiqui t’a obligé à participer. Dis-moi où setrouvent les armes et la voiture et jepense que nous pourrons te sauver tapeau.

Pas de réponse.

— Tyrone, c’est un coup à aller à lachambre à gaz. Si tu refuses de parler, tuseras mort dans six mois.

Pas de réponse. Jones garda la têtebaissée.

— Fils, tout ce que tu as à faire, c’est

me dire où se trouvent les armes etindiquer l’endroit où Sugar a laissé lavoiture.

Pas de réponse.

— Fils, ça peut être terminé dans uneminute. Tu parles, et je te fais transférerdans une cellule protégée. Sugar nepourra pas t’avoir, Leroy ne pourra past’avoir. Le procureur acceptera de teprendre comme témoin à charge. Tun’iras pas à la chambre à gaz.

Pas de réaction.

— Fils, six personnes sont mortes et ilfaut que quelqu’un paie. Ça peut être toiou ça peut être Ray.

Pas de réponse.

— Tyrone, il t’a traité de pédé. Il t’atraité de choute et d’homo. Il a dit que tute laissais enf…

— J’AI PAS TUÉ PERSONNE !

D’une voix forte – Ed faillit en faire unbond en arrière.

— Fils, nous avons des témoins. Nousavons des preuves. Coates est en cemoment en train de passer aux aveux. Ildit que c’est toi qui as réglé tous lesdétails. Fils, sauve ta peau. Les armes, lavoiture. Dis-moi où elles se trouvent.

— J’ai pas tué personne !

— Sssh ! Tyrone, sais-tu ce que RayCoates a dit de loi ?

Jones releva la tête.

— Ch’ais qu’y ment.

— Je pense moi aussi qu’il a menti. Jene pense pas que tu sois pédé. Je penseque c’est lui le pédé parce qu’il détesteles femmes. Je pense qu’il a bien aimé ça,tuer ces femmes. Je pense que tu ne tesens pas bien au…

— On a pas tué aucune femme !

— Tyrone, où étais-tu la nuit dernière à3 h du matin ?

Pas de réponse.

— Tyrone, où Sugar Ray a-t-il caché savoiture ?

Pas de réponse.

— Tyrone, pourquoi avez-vous tous les

trois caché les fusils dont vous vous êtesservi pour tirer dans Griffith Park ? Nousavons un témoin qui vous a identifiés.

Pas de réponse. Jones laissa baller satête, les yeux fermés, dégoulinant delarmes.

— Fils, pourquoi Ray a-t-il brûlé lesvêtements que vous portiez la nuitdernière ?

Jones couinait maintenant – ungémissement d’animal.

— Ils portaient des traces de sang,n’est-ce pas ? Tu as tué six personnes,nom de Dieu et tu t’es fait éclabousser !C’est Ray qui a fait le nettoyage, c’est luiqui a effacé les traces, c’est lui qui a

caché les fusils, c’est lui le chef, il donneles ordres depuis l’époque où tu vendaiston trou de balle à Casistas. Accouche,nom de Dieu !

— ON A PAS TUÉ PERSONNE ! CH’UIS PASUN PUTAIN DE PÉDÉ !

Ed se mit à tourner autour de la table –le pas rapide, le débit lent.

— Voici ce que je pense. Je pense quele chef, c’est Sugar Ray ; Leroy, ce n’estrien d’autre qu’un bon à rien, c’est toi legros lard que Sugar aime bien mettre enboîte. Vous avez tous fait de la prisonpour mineurs ensemble ; toi et Sugar Ray,vous vous êtes fait coincer pour avoirmaté. Sugar aimait bien regarder lesfilles, et toi, tu aimais bien regarder les

garçons. L’un comme l’autre, vous aimezbien reluquer les Blancs, parce que, pourles gens de couleur, c’est ça, le fruitdéfendu. Vous aviez vos calibre 12 àpompe, vous aviez votre Merc 49 à lafrime, et vous aviez un peu de barbitosachetés à Roland Navarette. Vous étiezmontés à Hollywood, un territoire deBlancs bien blancs. Sugar te mettait enboîte en disant que tu étais une tante, toi,tu lui répondais toujours que c’était justeparce qu’il n’y avait pas de fillesdisponibles. Sugar te dit : « Prouve-le,prouve ! » et tous les trois vouscommencez à vous payer des jetons. Çavous monte à la tête, vous planez très hautavec la came, il est tard, c’est la nuit, et iln’y a rien à voir, tous ces gentils Blancs

ont tiré leurs rideaux. Vous passez à côtédu Hibou de Nuit, et là, à l’intérieur, il ya tous ces beaux gentils Blancs – etputain, ça, c’en est trop à encaisser.Pauvre gros tas de choute, le Tyrone, ilprend la direction des opérations. Ilentraîne ses gars à l’intérieur du Hibou deNuit. Il y a six personnes là – et troisd’entre elles sont des femmes. Vous lesentraînez dans le compartiment à viande,vous vous servez dans la caisseenregistreuse, et vous obligez le cuisinierà ouvrir le coffre. Vous leur prenez leursportefeuilles et leurs sacs et vous vousaspergez les mains de parfum. Sugar dit :« Touche les minettes, la choute.Prouvenous que t’es pas pédé. » Tu n’yarrives pas et tu commences à tirer et tous

les autres se mettent à tuer et tu adores çaparce qu’au bout du compte, tu n’es riend’autre qu’une pauvre petite tante denégro gras à lard et…

— NON ! NON NON NON NON NON NON !

— Si ! Où sont les armes ? Bordel, tuvas avouer, tu vas nous remettre lespièces à conviction, sinon, putain, c’est àla chambre à gaz que tu te retrouves !

— Non ! Pas tué personne !

Ed frappa la table.

— Où as-tu largué la voiture ?

Jones secoua la tête en tous sens, lasueur gicla.

— Pourquoi as-tu brûlé les vêtements ?

Pas de réponse.

— D’où venait le parfum ?

Pas de réponse.

— Est-ce que Sugar et Leroy ontd’abord violé les femmes ?

— Non !

— Oh ? Tu veux dire, vous êtes passésà trois ?

— On a pas tué personne ! On étaitmême pas là !

— Où étiez-vous ?

Pas de réponse.

— Tyrone, où étiez-vous la nuitdernière ?

Jones se mit à sangloter ; Ed l’agrippaaux épaules.

— Fils, tu sais ce qui va arriver si tune parles pas. Alors pour l’amour du ciel,reconnais ce que tu as fait.

— Tué personne. Aucun de nous. Étaitmême pas là.

— Fils, tu l’as fait.

— Non !

— Fils, tu l’as fait, alors raconte.

— On l’a pas fait !

— Tais-toi, maintenant. Raconte, toutsimplement – gentiment et lentement.

Jones commença à bafouiller. Eds’agenouilla à côté du fauteuil et écouta.

Il entendit : — S’il vous plaît, mon Dieu,je voulais tout simplement perdre monpucelage » ; il entendit : « On voulait paslui faire du mal, pourquoi on devraitmourir » ; il entendit : « Pas le droit denous punir pour ce qu’on a pas fait », «P’t-êt’ qu’el’ s’en remettra, elle meurt pascomme ça, je meurs pas pasque ch’uispas pédé. »

Ed se sentit bourdonner, chaiseélectrique avec un panneau accroché au-dessus : ILS NE SONT PAS COUPABLES.

Jones se laissa glisser dans une rêverie: « Jésus, Jésus, Jésus, Père divin… »

Ed entra au cagibi numéro 2.

Rance : sueur, fumée de cigarette.

Leroy Fontaine, costaud, foncé, cheveluredéfrisée, les pieds sur la table. Ed dit : —Sois plus intelligent que tes amis. Mêmesi tu l’as tuée, ce n’est pas aussi graveque de tuer six personnes.

Fontaine tordit le nez, bandé depansements étalés sur la moitié de safigure.

— Ces conneries dans le canard, c’estpas des conneries.

Ed ferma la porte, il avait peur.

— Leroy, il vaudrait mieux qu’elle sesoit trouvée avec toi à l’heure présuméede la mort, selon le coroner.

Pas de réponse.

— Était-ce une racoleuse ?

Pas de réponse.

— L’as-tu tuée ?

Pas de réponse.

— Tu voulais que Tyrone se fassedépuceler, mais les choses sont alléestrop loin. Ce n’est pas vrai ?

Pas de réponse.

— Leroy, si elle est morte et si c’étaitune fille de couleur, tu peux passer unarrangement avec l’accusation. Si c’étaitune Blanche, tu pourrais peut-être encoreavoir ta chance. Souviens-toi, nouspouvons te coller le Hibou de Nuit sur ledos, et nous avons de quoi faire tenirl’accusation. À moins que tu ne réussissesà me convaincre que tu te trouvais

ailleurs, en train de faire quelque chosed’illégal, nous t’épinglerons pour ce quiest dans le journal.

Pas de réponse. Fontaine se curait lesongles avec une pochette d’allumettes. «

Un gros mensonge :

— Si vous l’avez kidnappée et si elleest toujours en vie, il n’y a pas violation«petit Lindbergh». Ce n’est pas uneaccusation capitale.

Pas de réponse.

— Leroy, où sont les armes et lavoiture ?

Pas de réponse.

— Leroy, est-elle toujours en vie ?

Fontaine sourit. Ed sentit un frissonglacé lui courir sur l’échine.

— Si elle est toujours vivante, c’estelle votre alibi. Je ne veux pas te tromper,ça pourrait être très méchant :enlèvement, viol, agression. Mais si tut’élimines maintenant de l’affaire duHibou de Nuit, tu nous feras gagner dutemps et le procureur appréciera le geste.Laisse-toi aller, Leroy. Rends-toi serviceet lâche le morceau.

Pas de réponse.

— Leroy, on peut voir ça de deuxmanières. Je crois que vous avez enlevéune fille sous la menace d’une arme. Vousl’avez fait saigner dans la voiture, alorsvous avez caché la bagnole. Elle a saigné

sur vos vêtements, alors vous avez brûléles vêtements. Vous vous êtes retrouvésaspergés de son parfum. Si vous n’êtespas responsables du Hibou de Nuit, je nevois pas pourquoi vous avez caché lesfusils, peut-être avez-vous cru qu’ellepourrait les identifier. Fils, si cette filleest vivante, c’est la seule chance qui vousreste.

— Ch’crois qu’elle est vivante, ditFontaine.

Ed s’assit.

— Tu crois ?

— Ouais, ch’crois.

— Qui est-elle ? Où est-elle ?

Pas de réponse.

— Est-ce une fille de couleur ?

— C’t’ une mex.

— Comment s’appelle-t-elle ?

— Je sais pas… le genre étudiantesalope.

— Où l’avez-vous ramassée ?

— Je sais pas… quèq’ part dans l’EastSide.

— Où l’avez-vous agressée ?

— Je sais pas… un vieux bâtiment,quèq’ part sur Dunkirk.

— Où sont la voiture et les armes ?

— Je sais pas. Sugar, y s’en estoccupé.

— Si vous ne l’avez pas tuée, pourquoiCoates a-t-il caché les fusils ?

Pas de réponse.

— Pourquoi, Leroy ?

Pas de réponse.

— Pourquoi, fils ? Dis-moi.

Pas de réponse.

Ed frappa la table.

— Dis-moi, nom de Dieu !

Fontaine frappa la table – plus fort !

— Sugar, il l’a fourrée avec les fusils.Il a peur qu’c’est des preuves !

Ed ferma les yeux.

— Où est-elle en ce moment ?

Pas de réponse.

— L’avez-vous laissée dansl’immeuble ?

Pas de réponse.

Les yeux ouverts.

— L’avez-vous laissée à un autreendroit ?

Pas de réponse.

L’esprit qui avance par bonds ; aucundes trois n’avait de liquide sur lui,cherche l’argent comme preuve, l’argentplanqué quand Sugar a brûlé lesvêtements.

— Leroy, l’avez-vous vendue àd’autres ? Vous avez ramené des potes

dans le bâtiment sur Dunkirk ?

— On… l’a… on l’a prom’née.

— Où ça ? Dans les piaules de tesamis ?

— C’t’ exact.

— Jusqu’à Hollywood ?

— On a pas tiré sur les gens !

— Prouve-le, Leroy. Où étiez-vous, lesmecs, à 3 h du matin ?

— Mec, j’peux pas le dire.

Ed claqua la table.

— Alors tu vas griller pour le Hiboude Nuit !

— On est pas coupables !

— À qui avez-vous revendu la fille ?

Pas de réponse.

— Où est-elle en ce moment ?

Pas de réponse.

— Avez-vous peur des représailles ?Vous avez bien laissé la fille quelquepart, exact ? Leroy, où l’avez-vouslaissée, avec qui l’avez-vous laissée,elle est votre seule chance de ne pasentrer dans cette putain de chambre àgaz !

— Mec, ch’peux pas l’dire, Sugar, y vam’tuer !

— Leroy, où est-elle ?

Pas de réponse.

— Leroy, tu acceptes de témoigner àcharge et tu sortiras des années avantSugar et Tyrone.

Pas de réaction.

— Leroy, je te trouverai une cellulepour toi tout seul, là où personne nepourra te faire de mal.

Pas de réaction.

— Fils, il faut que tu me dises. Je suisle seul ami que tu aies.

Pas de réaction.

— Fils, ça ne peut pas être aussi graveque la chambre à gaz. Dis-moi où setrouve la fille.

La porte s’ouvrit avec fracas. Bud

White entra et balança Fontaine contre lemur.

Ed se figea.

White sortit son trente-huit, dégagea lebarillet, laissa tomber les balles au sol.Fontaine tremblait de la tête aux pieds ;Ed était toujours figé comme un bloc deglace. White reclaqua le barillet enposition et fourra le canon dans la bouchede Fontaine.

— Une sur six. Où est la fille ?

Fontaine mordit l’acier ; White écrasala gâchette par deux fois : deux clics,deux percussions à vide. Fontaines’affaissa au sol. White dégagea lerevolver et retint Fontaine par les

cheveux.

— Où est la fille ?

Ed était toujours figé. White appuya surla détente – un autre petit clic. Fontaine,les yeux comme des billes.

— S… S… Sylvester F… Fitch, un-zéro-neuf, et Avalon, maison grise aucoin, s’il vous plaît, me faites pas de mal,me…

White sortit en courant.

Fontaine s’évanouit.

Des bruits d’émeute dans le couloir.

Ed essaya de se relever. Ses jambesrefusaient de le porter.

20

Quatre voitures à la queue leu leu :deux pie, deux banalisées. Les sirènesqu’on arrête à huit cents mètres du but ;une arrivée en douceur jusqu’à la maisongrise du coin.

Dudley Smith conduisait la rôdeuse detête ; Bud roulait d’une main tout enrechargeant son calibre. Quatre voituresen encerclement : les pie dans l’allée,Mike Breuning et Dick Carlisle garéscôté rue, canons pointés sur la porte de lamaison grise.

— Patron, il est pour moi, dit Bud.

— Splendide, mon gars, dit Dudley

avec un clin d’œil.

Bud passa par-derrière – l’allée, laclôture sautée d’un bond. Porche arrière :une porte à moustiquaire, un crochet surœilleton. Il fit sauter la fermeture à l’aidede son canif et entra sur la pointe despieds.

Ténèbres, formes obscures : machine àlaver, porte à persienne, des rais delumière à travers les interstices.

Bud essaya la porte – déverrouillée –doucement, pour l’ouvrir. Couloir :reflets de lumière en provenance de deuxpièces latérales. Sous ses pas, un tapis ;de la musique pour couvrir son approche.Il avança sur la pointe des pieds jusqu’àla première chambre, et entra en pivotant.

Une femme nue étendue en croix sur unmatelas, attachée avec des cravates, unecravate dans la bouche. Bud passa à lachambre suivante, sans précautions.

Un gros mulâtre à une table, nu, en traind’engloutir des Rice Krispies de chezKellog’s. Il reposa sa cuillère, leva lesbras.

— Non, m’sieur, j’veux pas d’ennuis…

Bud l’abattit d’une balle dans la figure,dégaina un deuxième calibre – pan-pansur la ligne de tir du mulâtre. L’hommetomba au sol, mort, les bras en croix – dusang suintait d’un beau point d’impact.Bud lui mit le second calibre dans lamain ; la porte de devant s’ouvrit,défoncée. Il vida les Rice Krispies sur le

macchabée et appela une ambulance.

21

Jack regarda Karen dans son sommeil,oubliant leur querelle comme une chosedu passé.

Des photos dans les journaux avaienttout déclenché : le Grand V avait agrafétrois salopards de couleur – suspects du«crime du siècle» de L.A. ; Dentontraînait Fontaine par le blair ; le Grand Vtenait les deux autres d’un bras passéautour du cou à les étouffer. Karen luiavait dit qu’ils la faisaient penser auxScottsboro Boys. Jack avait répondu qu’illeur avait sauvé leurs misérables vies,mais que, maintenant qu’il savait qu’ils

avaient violé en bande une Mexicaine, ilregrettait de ne pas avoir laissé Dentonles tuer sur place. La dispute s’étaitenvenimée à partir de là.

Karen dormait en chien de fusil commepour s’éloigner de lui – roulée en bouleserrée comme si elle craignait qu’il ne lafrappât. Jack l’observa tout en s’habillant; ses dernières quarante-huit heures luirevinrent en force.

Le Hibou de Nuit n’était plus sonaffaire, retour à l’Ad. Mœurs. Lesinterrogatoires d’Ed Exley avaienttimidement innocenté les Nègres – enattendant les réponses de la femme dontils avaient abusé. Bud White avait fait unpetit numéro de roulette russe – les trois

s’étaient fermés comme des huîtres.Jusque-là, il n’existait aucun moyen desavoir s’ils avaient eu le tempsd’abandonner la femme, de roulerjusqu’au Hibou de Nuit, de retourner àNègreville et de violer en série. Peut-êtreque Coates ou Fontaine avaient laissé lafille sous la responsabilité de Jones avantd’aller tirer leurs macchabées avecd’autres complices. Pas de veine pour lesfusils, toujours introuvables, et la Mercpourpre de Coates était toujoursmanquante. Rien dans leur chambred’hôtel du butin du restaurant ; les débrisretrouvés dans l’incinérateur étaient bientrop brûlés pour une analyse de traces desang sur le tissu. Le parfum sur les mainsavait fait lamentablement foirer un test

tardif à la paraffine. Énorme pression auBureau : résoudre cette putain d’affaireau plus vite.

Le coroner essayait d’identifier lesclients victimes ; travail sur empreintesdentaires et recoupements du signalementavec les bulletins de personnes disparues,puis convocations. Identifiés : cuistotplongeur, serveuse, caissière ; rien pourl’instant sur les trois clients, les autopsiesn’avaient révélé aucune violence sexuellesur les femmes. Peut-être queCoates/Jones/Fontaine n’étaient pas lesgâchettes responsables. Dudley Smith à latête de l’enquête – ses hommes coinçaientà tour de bras les voleurs à main armée,les libérés sur parole des asiles dedingues, tous les tarés de L.A. avec un

casier, connus pour aimer flinguer. Levendeur de journaux qui avait repéré laMerc pourpre garée en face du Hibou deNuit avait été réinterrogé ; il disaitmaintenant que ç’aurait pu être une Fordou une Chevy. Vérification desimmatriculations de Ford et de Chevy ; etmaintenant le gardien du parc qui avaitidentifié les bougnoules disait qu’iln’était plus sûr. Ed Exley avait dit àGreen et Parker qu’on avait peut-êtreplacé la voiture de couleur pourpre àproximité du Hibou de Nuit pour faireporter le chapeau aux négros ; Dudleyavait ricané avec dédain – pouh ! –devant la théorie, en disant que ce n’étaitprobablement qu’une coïncidence. Uneaffaire, un truc sûr, dont l’écheveau

s’éclaircissait… pour aboutir à une chiéede nouvelles possibilités.

Couverture de presse énorme – SidHudgens avait déjà appelé, zéro sur lesobscénités avec sa petite fraise desnobinard, rien, du genre «Nous avonstous nos petits secrets.» Une versionhéroïque des arrestations pour cinquantetalbins – Sid avait raccroché vite fait.

Le Hibou de Nuit lui avait coûté unejournée sur les revues obscènes. Il avaitvérifié les affichages du tableau de lasalle de brigade : aucune piste, aucun desautres gars n’avait essayé de remonter lapiste des merdes. Il avait de son côtérendu un rapport bidon : rien surChristine Bergeron et Bobby Inge, rien

sur les autres revues qu’il avait trouvées.Rien sur ses rêves de dégueulasseries : sadouce et tendre Karen en pleine orgie.

Jack embrassa Karen sur la nuque, enespérant qu’elle se réveillerait avec unsourire.

Pas de veine.

Quadrillage d’abord.

Charleville Drive, questions, pas deveine : aucun des locataires del’immeuble de Christine n’avait entendula femme et son fils déménager ; personnene savait rien sur les hommes qu’ellerecevait. Les immeubles voisins, idem,même chose qu’en face. Jack appela lelycée de Hollywood Hills, apprit que

Daryl Bergeron séchait de manièrechronique, qu’il n’avait pas assisté à unseul cours de la semaine ; le proviseuradjoint dit que le garçon ne se mêlait pasaux autres, et ne faisait pas d’ennuis –jamais il n’était à l’école pour avoir lapossibilité de faire des ennuis. Jack ne luidit pas que Daryl était trop fatigué pourfaire des ennuis à quiconque : baiser samère en patins à roulettes, ça vous fatigueun môme.

Appel suivant : le drive in de Stan. Legérant lui répondit que Chris Bergeronavait pris la direction de taille-la-villedeux jours avant, deux secondes aprèsavoir reçu un coup de fil. Non, il neconnaissait pas l’identité ducorrespondant ; oui, il passerait un coup

de bigo au sergent Vincennes si elleréapparaissait ; non, Chris ne fraternisaitpas indûment avec les clients, pas plusqu’elle ne recevait de visiteurs pendantson service à roulettes.

Direction Hollywood Ouest.

Domicile de Bobby Inge,conversations, locataires et voisins.Bobby payait son loyer à temps,s’occupait de ses affaires, personne nel’avait vu déménager. La tapette del’appartement voisin déclara qu’il jouaitsur plusieurs tableaux, qu’il ne voyaitpersonne en particulier. Quelques bottesbien senties : «livres cochons», «ChrisBergeron», «ce petit tordu de Daryl» – latapette le reluqua froidement, un vrai

marbre.

Hollywood Ouest terrain mort – aprèsla Salle de Jeux de B.J., Bobby ne selaisserait pas surprendre dans le coin desbars à tantes. Jack se tapa un hamburger,consulta la collante d’Inge – sa liste decondamnations –, pas de RC sur lafeuille. Il étudia son paquet de torchonsde cul privés : impossible de seconcentrer, sans cesse distrait par lescontradictions des photos.

Modèles séduisants, décors merdiques.Superbes costumes qui vous faisaientregarder à deux fois des dégueulasserieshomo. Plans artistiques d’orgies, sangd’encre, corps liés sur des couvre-lits,clichés qui vous obligeaient à plisser les

yeux pour y voir des formes féminines,masquées, indéfinies par le trop pleind’actes explicites – toutes ces foliesinvraisemblables d’organes sexuelsaccumulés donnaient envie de voir lesfemmes nues et entières. Toute cettemerde était de la pornographie fabriquéepour faire de l’argent – mais quelquepart, dans le processus, on sentait la patted’un artiste.

Tempête sous un crâne.

Jack roula jusqu’à un bazar à centballes, acheta ciseaux, Scotch, bloc àdessin. Il se mit au travail dans la voiture: découpe des visages dans les revues,fixation sur papier à l’adhésif, hommes etfemmes séparés, doublettes placées côte

à côte pour rendre l’identification plusfacile. Direction le centre ville, jusqu’auBureau, pour recoupements : clichés decul contre photos anthropo de Blancs.Quatre heures à plisser les yeux, lespaupières qui tirent ; identification : zéro.Direction le poste de Hollywood ; leuralbum des Mœurs, séparé, un nouveauzéro ; l’annexe du shérif de Hollywooddonna le numéro trois. Bobby Inge mis àpart, ses beautés pornos étaient vierges,pas de casier judiciaire.

4 h 30 de l’après-midi. Jack sentitvaciller bon train le reste de sespossibilités. Une nouvelle idée prit larelève : vérifier Bobby Inge auprès duSCG ; repasser Chris Bergeron au tamis –vérification complète de tous les

dossiers. Inge aux Sommiers une nouvellefois – mise à jour de sa collante.

Il trouva une cabine, passa ses coupsde fil. Bobby Inge avait le nez propre auSCG : pas de citation à comparaître, pasde passage au tribunal. Dossier completde la Bergeron : dates des procès-verbaux, noms des garants pour sescautions. Remise à jour pour Ingeseulement, aux Sommiers, un rapport delibération sous caution vieux d’un an. Unnom recoupait les deux dossiersBergeron-Inge.

Libération sous caution pour Inge –accusé de racolage –, avance de lasomme par Sharon Kostenza, 1649, NorthHavenhurst, Hollywood Ouest. La même

femme avait réglé une caution deBergeron pour conduite dangereuse.

Jack rappela les Sommiers et donnaSharon Kostenza et son adresse pourvérification – pas de casier judiciaire enCalifornie. Il dit à l’employé de vérifierles listes pour les 48 états ; cela prit unbon dix minutes.

— Désolé, sergent. Rien du tout à cenom-là.

Retour au SCG ; surprise de taille :personne du nom de Sharon Kostenza nepossédait ou n’avait jamais possédé unpermis de conduire californien. Jack serendit à North Havenhurst – l’adresse du1649 n’existait pas.

Neurones sous tension : Bobby Ingeprostitué, Kostenza qui règle sa cautionpour une inculpation de michetonnage,des michetons qui utilisent des pseudos,des michetons qui posent pour des photospornos. North Havenhurst, quartier deboxons de longue date.

Il se mit à frapper aux portes.

Une douzaine d’entrevues vite fait ; destuyaux sur les baisoirs tout proches. Deuxsur Havenhurst : le 1611 et le 1564.

6 h 10 de l’après-midi.

Le 1611 ouvert à la clientèle ; le patronreluqua froidement Sharon Kostenza,Bobby Inge, les Bergeron. Idem pour lesvisages découpés dans les revues de

baise ; les filles qui marnaient dans lataule ne donnèrent pas plus signe dereconnaissance. La maquerelle du 1564coopéra : les noms et les visages, c’étaitdu chinois pour elle et ses putes.

Un nouveau hamburger, retour àl’annexe de Hollywood Ouest. Revue dedétail dans le dossier des pseudos : uneautre piste qui lui claque entre les doigts,une autre impasse.

7 h 20 – plus d’autre nom à vérifier.Jack roula jusqu’à North Hamel et serangea, avec, plein cadre, la porte del’appartement de Bobby Inge.

Il fixa ses regards sur la cour. Pas depiétons, circulation au ralenti – le Stripne commencerait pas à remuer avant

quelques heures. Il attendit : à fumer, desphotos pornos plein la tête.

À 8 h 46, passage en douceur d’unedécapotable de lopette – se traînantlentement au bord du trottoir. Vingtminutes plus tard – même opération. Jackessaya de lire les numéros des plaques –que dalle, trop sombre. Une idée au bol :il cherche des lumières aux fenêtres. S’ilcherche celles de l’appartement deBobby, il a gagné.

Il pénétra dans la cour ; coup de bolquestion témoins – personne. Lesbracelets crantés des menottes firentsauter la porte, dents d’acier contre boisbon marché. Il tâtonna à la recherche d’unéclairage, bascula l’interrupteur.

Toujours le même salon complètementnettoyé ; la piaule dans le même état dedésordre. Jack s’assit près de la porte etattendit.

Des minutes d’ennui mortel s’étirèrent– quinze, trente, une heure. Des coups à lavitre de la fenêtre de devant.

Jack se baissa : la porte, à hauteur desyeux. Il imita l’intonation maniérée d’unhomo :

— C’est ouvert.

Un petit mignon entra en roulant deshanches.

— Merde, dit Jack.

Timmy Valburn – alias Moochie Mouse–, la coquine de Billy Dieterling.

— Timmy, bordel, qu’est-ce que tufous ici ?

Valburn prit une pose alanguie, hancheen avant, pas trace de crainte.

— Bobby est un ami. Il ne consommepas de stupéfiants, si c’est là la raison deta présence. Et est-ce que ce n’est pas unpetit peu loin de ta juridiction ?

Jack referma la porte.

— Christine Bergeron, DarylBergeron, Sharon Kostenza. Des amis àtoi ?

— Je ne connais pas ces noms. Jack,de quoi s’agit-il ?

— À toi de me le dire, cela fait desheures que tu essaies de trouver assez de

cran pour venir frapper. Commençons paroù se trouve Bobby.

— Je ne sais pas. Serais-je ici si jesavais où…

— Tu michetonnes avec Bobby ? Il y aquelque chose entre vous ?

— Ce n’est qu’un ami.

— Billy est-il au courant pour toi etBobby ?

— Jack, tu es ignoble. Bobby est unami. Je ne pense pas que Billy sache quenous sommes amis, mais nous sommesamis, et rien d’autre.

Jack sortit son calepin.

— Aussi, je suis sûr que vous avez des

tas d’amis communs.

— Non. Range ça, parce que je neconnais aucun des amis de Bobby.

— Très bien, alors, où l’as-turencontré ?

— Dans un bar.

— Le nom du bar.

— La Planque à Leo.

— Billy sait que tu chasses le minetderrière son dos ?

— Jack, ne sois pas ignoble. Je ne suispas quelque criminel que tu puisses giflerà tour de bras. Je suis un citoyen qui peutte dénoncer pour être entré par effractiondans cet appartement.

Changement de sujet.

— La pornographie. En images, enrevue, du cul normal et homo. C’est tontruc, Timmy ?

Une petite étincelle dans le regard, pasvraiment un soupçon.

— C’est comme ça que tu prends tonpied ? Toi et Billy, vous emmenez desmerdes comme ça au lit avec vous ?

Pas de réaction.

— Ne sois pas ignoble, Jack. Ce n’estpas ton genre, mais sois gentil. Rappelle-toi ce que je représente pour Billy,rappelle-toi ce que Billy représente pourle spectacle qui t’offre cette célébritépour laquelle tu es prêt à ramper.

Rappelle-toi les gens que connaît Billy.

Jack se mit en mouvement, mollo,super mollo : revues pornos et portraitsdécoupés sur une chaise, lampeapprochée pour un peu de lumière.

— Regarde ces photographies. Si tureconnais quelqu’un, dis-le-moi. C’esttout ce que je désire.

Valburn leva les yeux au ciel puisregarda. D’abord les visages collés sur lafeuille : perplexe, curieux. Face auxrevues de cul costumé – une expressionnonchalante, le pédé raffiné. Jack étaittout prêt, à l’affût, les yeux sur ses yeux.

En final, la revue d’orgies. Timmy vitl’encre, le sang factice, et continua à

regarder. Jack aperçut une veine de soncou qui faisait des heures sup. Valburnhaussa les épaules.

— Non, je suis désolé.

Plutôt coriace à déchiffrer – un acteurde talent.

— Tu n’as reconnu personne ?

— Non, personne.

— Mais tu as reconnu Bobby ?

— Naturellement, puisque je leconnais.

— Mais personne d’autre ?

— Jack, vraiment.

— Personne de familier ? Personne

que tu aurais rencontré dans les bars queton espèce fréquente ?

— Mon espèce ? Jack, il n’y a pasencore assez longtemps que tu suces à laroue de ce milieu pour oser appeler unchat un chat en restant malgré tout gentil ?

Laisse filer.

— Timmy, tu caches bien ce que tupenses. Peut-être qu’il y a trop longtempsque tu joues Moochie Mouse ?

— À quel genre de pensées fais-turéférence ? Je suis un acteur, alors dirige-moi dans la bonne direction.

— Pas des pensées, des réactions. Tun’as même pas eu un battement de cildevant certains des trucs les plus bizarres

qu’il m’ait été donné de voir après quinzeannées de boulot de flic. De l’encrerouge, des petites merdes recherchéesd’artiste, qui giclent des corps d’unedouzaine de personnes en train de baiseret de sucer. C’est des trucs de tous lesjours pour toi ?

Haussement d’épaules pleind’élégance.

— Jack, je suis très Hollywood. Je medéguise en rongeur pour distraire etamuser les enfants. Rien ne me surprendplus dans cette ville.

— Je ne suis pas certain d’avaler ça.

— Je te dis la vérité. Je ne connaisaucune des personnes qui sont sur ces

photos, et je n’avais jamais vu ces revuesauparavant.

— Les gens de ton espèce connaissentdes gens qui connaissent des gens. Tuconnais Bobby Inge, et il était sur cesphotos. Je veux voir ton petit carnet noir,tes adresses.

— Non, dit Timmy.

— Si, dit Jack. Sinon, j’offre àl’Indiscret un petit sujet d’article sur toiet Billy Dieterling, les deux âmes sœurs.L’Insigne du Courage, l’Heure de Rêveet les pédés. Ça te plaît comme tiercégagnant ?

Timmy sourit.

— Max Peltz te virerait si tu le faisais.

Il veut que tu sois gentil. Alors soisgentil.

— Tu as ton petit carnet sur toi ?

— Non. Jack, n’oublie pas qui est lepère de Billy. Souviens-toi de toutl’argent que tu pourras te faire dansl’industrie après ton départ en retraite.

Il faisait la gueule maintenant, et voyaitpresque rouge.

— Passe-moi ton portefeuille.Exécution. Sinon je perds mon sang-froidet je te colle contre le mur.

Valburn haussa les épaules et sortit unportefeuille. Jack repéra ce qu’ilcherchait : cartes avec numéro d’appel,noms et numéros sur des bouts de papier.

— Je veux que tu me les rendes.

Jack lui rendit le portefeuille – allégé.

— Bien sûr, Timmy.

— Tu vas tout faire foirer en beauté unjour, Jack. Le sais-tu ?

— C’est déjà fait, et ça m’a rapportéde l’argent. Rappelle-toi bien ça si tudécides de me cafter à Max.

Valburn sortit – avec élégance.

Des levés dans les bars à tantes ;prénoms, numéros de téléphone. Uncarton avait l’air familier : FLEUR DE LIS –VINGT-QUATRE HEURES SUR VINGT-QUATRE –TOUT CE QUE VOUS DÉSIREZ : HO-01239.Pas d’inscription au verso – Jack sedémena les méninges. Impossible de

trouver le joint.

Nouveau plan : appeler les numéros, sefaire passer pour Bobby Inge, quelquesperches à tendre sur les bouquins de cul –et voir qui mord à l’hameçon. Resterplanqué dans la piaule, voir qui appelleou se pointe : du boulot de longuehaleine.

Jack appela : Ted – DU 6831 : ligneoccupée. Geoff – CR 9640 : l’hameçon nemord pas devant un petit : « Salut, c’estBobby Inge » maniéré. Bing – AX 6005 :pas de réponse. Retour à Ted : « Bobbyqui ? Je suis désolé, mais je ne crois pasvous connaître. » Jim, Nat, Otto : pas deréponses. Il n’arrivait toujours pas àplacer la carte familière. En dernier

ressort : un coup de bigo, sur la ligne dela police, à la Pacific Coast Bell.

Dring, dring.

— Mlle Sutherland à l’appareil.

— Je suis le sergent Vincennes, duLAPD. J’ai besoin d’un nom et d’uneadresse à partir d’un numéro detéléphone.

— Ne possédez-vous pas un annuaireinversé, sergent ?

— Je me trouve dans une cabinetéléphonique, et ce numéro que je veuxvérifier est Hollywood 01239.

— Très bien. Ne quittez pas.

Jack ne quitta pas ; la femme revint en

ligne.

— Ce numéro n’est pas affecté. Bellcommence seulement à attribuer desnuméros à cinq chiffres, et celui-ci necorrespond à aucun abonné. Franchement,il ne le sera peut-être jamais, car lechangement de numérotation se fait trèslentement.

— Vous êtes certaine de cetteinformation ?

— Naturellement que j’en suis sûre !

Jack raccrocha. Première idée àl’esprit : une ligne clandestine. Lesbookmakers avaient ça – des mecssoudoyés à PC Bell truandaient les ligneset empêchaient l’affectation de certains

numéros. Service téléphonique gratuit,aucun moyen pour les services de policed’utiliser des enregistrements commepreuves à charge, impossibilitéd’identifier les appels reçus.

Un appel réflexe : la ligne de police duSCG.

— Oui ? Qui demande ?

— Sergent Vincennes, LAPD.Uniquement une adresse, pour Timothy V-A-L-B-U-R-N, masculin, blanc, entre vingt-cinq et trente ans. Je crois qu’il habitedans le district de Wilshire.

— Je note. Restez en ligne, s’il vousplaît.

Jack resta en ligne ; l’employé revint.

— C’est bien Wilshire. 432, SouthLucerne. Dites, Valburn, ce n’est pas lemec souris de l’émission de Dieterling ?

— Si.

— Ben… euh… pourquoi êtes-vousaprès lui ?

— Possession de fromage decontrebande.

Chez la Souris, une vieille demeure destyle provincial français, avec desafféteries d’argent neuf – projecteurs,massifs taillés en forme – Moochie et lereste des ouailles de Dieterling. Deuxvoitures dans l’allée : la décapotable quirôdait sur Hamel, la Packard Caraïbes deDieterling – élément inamovible du parc

de l’Insigne du Courage.

Jack planqua devant la crèche, latrouille au ventre : les pédés avaient debien trop bonnes relations pour passer àla casserole, tout son boulot sur lesrevues pornos se retrouvait dansl’impasse. TOUT CE QUE VOUS DÉSIREZrestait la seule tangente éventuelle àl’impasse. Il pouvait jouer franc-jeu avecTimmy et Billy, il pouvait les secouer etmettre les poucettes à leurs contacts : desgens qui connaissaient des gens quiconnaissaient Bobby Inge – qui savait quifabriquait les merdes. Il laissa la radioronronner en sourdine ; une série dechansons d’amour l’aida à mettre leschoses au clair.

Il voulait remonter la piste de cessaletés parce que, pour une part, il sedemandait comment il était possible quequelque chose pût être à la fois si laid etsi beau, alors que, d’autre part, il étaittout simplement remonté par le spectacle.

Il commença à se tortiller, impatient depasser à l’action. Une voix rauque desoprano le chassa de sa voiture.

L’allée à remonter, en longeant lesprojecteurs. Des fenêtres fermées,rideaux ouverts. Il regarda.

Camelote Moochie Mouse en pagaille,pas de Timmy ni de Billy. Bingo devant ladernière fenêtre : une engueulade detourtereaux paniqués.

L’oreille à la vitre – il n’entendit quedes murmures. Une portière de voitureclaqua ; un carillon de porte tinta. Uncoup d’œil à l’intérieur – Billy qui sedirige vers le devant de la maison.

Jack continua sa surveillance. Timmyparadait, caracolant, mains aux hanches ;Billy ramena un grand balèze à biscotos.Monsieur Muscle déposa ses gâteries :flacons de pilules, un sachet transparentplein d’herbe. Jack sprinta en directionde la rue.

Une berline Buick au bord du trottoir –plaques avant et arrière couvertes deboue. Les portes, fermées – au choix,casser le carreau ou rentrer les pochesvides.

Jack défonça du pied la vitre latéraledu conducteur. Du verre sur son butinposé sur le siège avant – un seul sachet depapier marron.

Il l’attrapa et courut jusqu’à sa voiture.

La porte de Valburn s’ouvrit.

Jack mit la gomme sur la route – est surla Cinquième, zigzags jusqu’à Western etun grand parc de stationnement illuminé.Il déchira le sachet.

De l’absinthe – 90 de titre surl’étiquette –, liquide vert et visqueux.

Hashish.

Photos glacées en noir et blanc : desfemmes en masques d’opéra en train detailler des pipes à des chevaux.

TOUT CE QUE VOUS DÉSIREZ.

22

— Ed, dit Parker, vous avez étéremarquable l’autre jour. Je désapprouvel’intrusion de l’agent White, mais je nepeux pas me plaindre des résultats. J’aibesoin d’hommes brillants comme vouset… d’hommes directs comme Bud. Et jevous veux tous les deux sur le Hibou deNuit.

— Monsieur, je ne pense pas queWhite et moi, nous puissions travaillerensemble.

— Ce ne sera pas la peine. DudleySmith dirige l’enquête, et White lui ferason rapport directement. Deux autres

hommes, Mike Breuning et Dick Carlisle,travailleront avec White – à Dudley dedéfinir de quelle manière. La brigade deHollywood sera également sur l’affaire,sous les ordres du lieutenant Reddin, quifera son rapport à Dudley. Nous avonsfait affecter des contacts dans chaqueDivision, et tous les hommes du Bureausont en train de se faire régler les petitsservices rendus en mettant leursindicateurs au travail. Le chef Green ditque Millard veut être détaché des Ad.Mœurs pour diriger la partie avec Dud ;ça aussi, c’est une possibilité. Cela nousfait vingt-quatre hommes à plein temps.

— Que dois-je faire, plus précisément?

Parker lui montra un diagramme del’affaire sur un tableau-chevalet.

— Un, nous n’avons pas retrouvé lesfusils ni la voiture de Coates, et jusqu’àce que la fille que ces brutes ont agresséeles blanchisse sur leur emploi du temps,nous devrons continuer à présumer qu’ilssont toujours nos suspects numéro un.Depuis la petite sortie de White, ils ontrefusé de parler, et ils sont incarcérés surles accusations d’enlèvement et de viol.Je pense…

— Monsieur, je serais heureux detenter ma chance une nouvelle fois aveceux.

— Laissez-moi terminer. Deux, nousn’avons toujours pas identifié les trois

autres victimes. Doc Layman fait desheures supplémentaires, et nous recevonsjusqu’à quatre cents appels par jour degens angoissés par la disparition d’êtreschers. Il y a une petite chance,éventuellement, que toute cette affaire nesoit pas simplement une série de meurtresaprès cambriolages, et s’il s’avère quec’est le cas, je veux que vous vousoccupiez de cet aspect-là. Dès cet instant,vous ferez la liaison avec le SIS et lebureau du procureur, et avec les contactsauprès des Divisions. Je veux que vousrepreniez tous les rapports de terrain àl’issue de chaque journée afin d’en faireune évaluation, et qu’ensuite vous veniezme faire part de vos réflexionspersonnelles. Je veux des rapports écrits

quotidiens avec copies pour le chefGreen et moi-même.

Ed essaya de ne pas sourire – lespoints de suture de son menton lui furentd’un grand secours.

— Monsieur, quelques réflexions avantde poursuivre ?

Parker bascula sa chaise en arrière.

— Naturellement.

Ed fit le décompte de ses arguments.

— Un, que diriez-vous de fairerechercher pour comparaison les douillesdes cartouches tirées à Griffith Park ?Deux, si la fille blanchit nos suspectsquestion emploi du temps, que faisait lavoiture pourpre en face du Hibou de Nuit

? Trois, quelles sont nos chances deretrouver la voiture et les armes ? Quatre,les suspects ont déclaré qu’ils avaient enpremier lieu emmené la fille dans unimmeuble de Dunkirk. Quel type depreuves avons-nous récupéré là-bas ?

— Bonnes questions. Mais un,comparer les douilles risque de nousmener très loin, sans garantie de succès.Avec des armes à chargement par laculasse, les munitions ont pu être éjectéesdans la voiture que ces salopardsconduisaient, les rapports sur lesincidents les localisent très vaguement,Griffith Park, ce n’est que des collines,nous avons eu de la pluie et des couléesde boue ces deux dernières semaines, etle gardien du parc ne sait pas très bien où

il en est pour l’identification des troisdétenus. Deux, le vendeur de journaux quia identifié la voiture près du Hibou deNuit déclare maintenant que c’était peut-être une Ford ou une Chevy. C’est devenuun vrai cauchemar que de vérifier lesimmatriculations. Si vous pensez qu’onavait placé la voiture là volontairement,comme preuve à charge, je crois quant àmoi que ça n’a pas beaucoup de sens –comment pouvait-on savoir que c’était làqu’il fallait la laisser ? Trois, la brigadede la Soixante-dix-septième Rue est entrain de démolir tout le quartier sudbrique par brique pour mettre la main surles armes et la voiture, nom de Dieu ! Ilsfont leur fête à toutes les RC, le grand jeu,quoi. Et quatre, il y avait du sang et du

sperme sur tout le matelas, dansl’immeuble de Dunkirk.

— Nous en revenons toujours à la fille,dit Ed.

Parker prit un formulaire de rapport.

— Inez Soto, âge : vingt et un ans.Étudiante à l’université. Elle est à laReine des Anges, et elle a reprisconscience ce matin, elle était soussédatifs.

— Quelqu’un lui a-t-il déjà parlé ?

— Bud White l’a accompagnée jusqu’àl’hôpital. Personne ne lui a adressé laparole depuis trente-six heures, et je nevous envie pas votre travail.

— Monsieur, puis-je mener cette

entrevue seul ?

— Non. Ellis Loew veut poursuivrenos trois gars pour un «petit Lindbergh» –enlèvement et viol. Il veut qu’ils passentà la chambre à gaz pour ça, ou pour leHibou de Nuit, ou les deux. Et il désire laprésence d’un enquêteur du procureur, etd’une femme agent. Vous devez retrouverBob Gallaudet et une adjointe du shérif àla Reine des Anges dans une heure. Il estinutile que je vous rappelle que les suitesde l’enquête seront déterminées par ceque Mlle Soto vous dira.

Ed se leva.

— Officieusement, de vous à moi,considérez-vous que les hommes decouleur soient coupables ?

— Je n’en suis pas sûr, monsieur.

— Pour l’instant, vous les avezblanchis. Croyiez-vous que j’allais vousen vouloir pour cette raison ?

— Monsieur, l’un comme l’autre nousvoulons une absolue justice. Et vous aveztrop d’affection pour moi.

Parker sourit.

— Edmund, ne vous appesantissez passur ce qu’a fait White l’autre jour. Vousen valez une douzaine comme lui. Il a tuétrois hommes dans l’exercice de sesfonctions, mais ce n’est rien du toutcomparé à ce que vous avez accomplidurant la guerre. Souvenez-vous-en.

Gallaudet le retrouva à l’extérieur de

la chambre de la fille.

Le couloir puait le désinfectant – odeurfamilière, sa mère était morte à l’étageau-dessous.

— Salut, sergent.

— Appelez-moi Bob. Ellis Loew vousadresse ses remerciements. Il craignaitque les suspects ne soient battus à mort etqu’il ne lui reste personne à poursuivre.

Ed éclata de rire.

— Il se pourrait qu’on les blanchissepour le Hibou de Nuit.

— Je m’en fiche, et Loew également.«Petit Lindbergh» plus viol, c’estpassible de la peine de mort. Loew veutvoir ces mecs dans le trou, moi aussi, et

vous aussi une fois que vous aurez parlé àla fille. Alors voici la question à milledollars : sont-ils coupables ?

Ed secoua la tête.

— En me fondant sur leurs réactions, jepencherais pour non. Mais Fontaine adéclaré qu’ils ont baladé la fille.«Revendue», c’est l’expression qui l’afait réagir. Je crois que les coupablespourraient être Sugar Coates et une petitebande ramassée sur le tas, peut-être deuxdes mecs auxquels ils ont vendu la fille.Au moment de leur arrestation, aucun destrois n’avait d’argent sur lui, et d’un côtécomme de l’autre – Hibou de Nuit ou violde groupe –, je pense que l’argent estplanqué quelque part, couvert de sang –

tout comme les vêtements ensanglantésque Coates a brûlés.

Gallaudet poussa un sifflement.

— Nous avons donc besoin de ladéposition de la fille sur l’emploi dutemps et l’identité des autres violeurs.

— Exact. En outre, nos suspects sesont fermés comme des huîtres, et BudWhite a tué l’unique témoin qui aurait punous aider.

— Ce White, c’est une sale brute, non? N’ayez pas l’air aussi effrayé ! Avoirpeur de lui signifie qu’on est saind’esprit. Allez, venez, allons discuteravec notre jeune dame.

Ils pénétrèrent dans la chambre. Une

matrone des services du shérif bloquaitl’accès au lit – grande, grasse, lescheveux courts plaqués et brillantinés.Gallaudet dit :

— Ed Exley, Dot Rothstein.

La femme eut un signe de tête ets’écarta.

Inez Soto.

Les yeux au beurre noir, le visagetailladé et meurtri. Chevelure sombrerasée jusqu’au front, agrafes. Tuyaux dansles bras, tuyaux sous les draps. Jointuresouvertes, ongles cassés – elle s’étaitbattue ! Ed revit sa mère : chauve, trentekilos, dans un poumon d’acier…

— Mlle Soto, dit Gallaudet, voici le

sergent Exley.

Ed se pencha pardessus la rambarde dulit.

— Je regrette que nous ne puissionspas vous laisser plus de temps pourrécupérer, et j’essaierai d’être aussi brefque possible.

Inez Soto le dévisagea – le regardsombre, les yeux injectés de sang. La voixrâpeuse :

— Je refuse de regarder de nouvellesphotographies.

— Mlle Soto a identifié Coates,Fontaine et Jones à partir de photo del’identité judicaire, dit Gallaudet Je lui aidit que nous pourrions peut-être avoir

besoin d’elle pour identifier les autres àpartir de registres de photos de l’identité.

Ed secoua la tête.

— Cela ne sera pas nécessaire dansl’immédiat. Pour l’instant, Mlle Soto, j’aibesoin que vous vous souveniez de lachronologie de ce qui vous est arrivé il ya deux nuits de cela. Nous pouvonsprocéder très lentement, et pour lemoment nous n’entrerons pas dans lesdétails. Lorsque vous serez mieuxreposée, nous pourrons reprendre depuisle début. Prenez tout votre temps, je vousprie, et commencez par le moment où cestrois hommes vous ont enlevée.

Inez se redressa sur ses oreillers.

— Ce n’était pas des hommes.

Ed agrippa les barreaux du lit.

— Je sais. Et ils seront punis pour cequ’ils vous ont fait. Mais avant depouvoir faire cela, nous avons besoin derenseignements, pour éliminer ouconfirmer leur culpabilité dans un autrecrime.

— Je veux les voir morts. J’ai entendula radio. Je veux les voir morts pour ça !

— Nous ne pouvons pas faire cela,sinon, les autres, ceux qui vous ont fait dumal, seront en liberté. Il faut que nousfassions les choses correctement.

Un murmure rauque.

— Correctement ! Cela signifie que six

Blancs ont plus d’importance qu’uneMexicaine de Boyle Heights. Ces bêtesm’ont déchirée, et ils m’ont fait ça dans labouche. Ils m’ont enfoncé des armes dansle corps. Ma famille pense que je l’aibien cherché parce que j’ai refuséd’épouser un cholo stupide quand j’avaisseize ans. Je ne vous dirai rien, cabron !

— Mlle Soto, dit Gallaudet, le sergentExley vous a sauvé la vie !

— Il a ruiné ma vie ! L’officier Whitem’a dit qu’il avait innocenté les negritosd’une accusation de meurtre ! Le héros,c’est l’officier White – c’est lui qui a tuéle fils de pute qui m’a prise par le cul !

Inez éclata en sanglots. Gallaudetdonna le signal de tout arrêter. Ed

descendit jusqu’à la boutique de cadeaux– trajet familier, sa ronde de mort. Desfleurs pour le 875 : de gros bouquetspleins de couleur, tous les jours.

23

Bud prit son service en avance ettrouva un mémo sur son bureau.

19.4. 53

Mon gars,

Le travail d’écriture n’est pas ton fort,mais j’ai besoin de toi pour vérifier desdossiers pour moi (à savoir : le DrLayman a identifié les trois clientsvictimes) ; utilise la procédure habituelleque je t’ai enseignée, mais consulte toutd’abord le bulletin n°11 au tableaud’affichage de la brigade : on y trouveune remise à jour complète de l’affaireainsi que le détail des charges qui

incombent aux autres policiers chargés del’enquête, ce qui t’évitera de te lancerdans des tâches gratuites et superflues.

1 – Susan Nancy Lefferts, B, F, DDN29/1/22, casier judiciaire vierge. Née àSan Bernardino, arrivée récemment à LosAngeles. Travaillait comme vendeuse auBullock’s de Wilshire (vérification desantécédents affectée au sergent Exley).

2 – Delbert Melvin Cathcart, alias«Duke», le «Duc», B, M, DDN 14/11/14.Deux condamnations pour viol, trois ans àSan Quentin – Trois arrestations pourproxénétisme, pas de condamnation(identification difficile : marques deblanchisserie et comparaison desmensurations avec celles des archives de

la prison nous ont finalement livré notrebonhomme). Pas de trace d’employeurconnu, dernier domicile connu : 9819Vendome, district de Silverlake.

3 – Malcolm Robert Lunceford, alias«Mal», B. M, DDN 12/6/12. Pas dedernier domicile connu, travaillait commeagent de sécurité à l’agence de l’HommeFort, 1680 Cahuenga Nord. Ancien agentdu LAPD (agent de patrouille), affecté àla division de Hollywood la majeurepartie de ses onze années de carrière.Viré pour incompétence en 6/50. Connupour être un habitué du petit matin duHibou de Nuit. J’ai consulté la fichepersonnelle de Lunceford et j’en aiconclu que l’homme était une hontecomme policier (rapports d’évaluation D

sans ambiguïté de la part de tous ses OC– Officiers Commandants. Vérifie tout cequi existe sur lui dans les dossiers duposte de Hollywood (Breuning et Carlisleseront là pour faire tes petites courses sibesoin est). Résumé : je continue à penserque les Nègres sont nos hommes, mais lecasier criminel de Cathcart et le statutd’ex-policier de Lunceford impliquentqu’on ne saurait se contenter devérifications superficielles de leursantécédents. Je veux que tu sois monordonnance pour cette tâche, excellentbaptême du feu pour toi aux fonctionsd’un véritable inspecteur de laCriminelle. Retrouve-moi ce soir (9 h 30)au Pacific Dining Car. Nous discuteronsboulot ainsi que de ce qui s’y rapporte.

D.S.

Bud consulta le tableau d’affichageprincipal. Du Hibou de Nuit, en veux-tu,en voilà : rapports de terrain, rapportsd’autopsie, résumés. Il trouva le bulletinn°11 et le feuilleta.

Six employés des Sommiers détachéspour vérifier les casiers criminels et lesimmatriculations de voitures ; la brigadede la Soixante-dix-septième Rue quiretournait tout bougnoule-ville à larecherche des fusils et de la Merc deCoates. Breuning et Carlisle quidérouillaient les fêlés connus pour aimerla gâchette ; toute la zone, aux alentoursdu Hibou de Nuit, passée au ratissageneuf fois de suite sans qu’apparaisse le

moindre témoin oculaire. Les bronzésrefusaient de parler aux hommes duLAPD, aux enquêteurs du bureau duprocureur, et à Ellis Loew lui-même. InezSoto refusait de coopérer pour éclaircirle cadrage horaire ; Ed Exley avaitbousillé une séance d’interrogatoire, endisant qu’il faudrait la traiter avec desgants de velours.

En bas du tableau : les dossiers«LAPD personnel» de MalcolmLunceford. Mauvaises nouvelles –Lunceford le parasite, toujours à piquerdes repas gratis, généralissime del’incompétence. Un dossier d’arrestationsignoble et puant ; cité pour négligence etabandon de poste à trois reprises.Diffusion d’une demande d’informations

interservices ; quatre agents qui avaienttravaillé avec Lunceford avaient répondu.Rapineur et clown : «Mal» buvait enservice, agrafait les racoleuses pour sefaire tailler des pipes, essayait de fairecasquer les commerçants de Hollywoodpour son «service de protection» à sesheures de repos – ils le laissaient dormirdans leurs magasins lorsqu’il seretrouvait à la rue pour non-paiement deson loyer. Une plainte de trop, etLunceford s’était retrouvé balancé en juin50 ; les quatre agents qui avaient réponduavaient déclaré qu’il était peu probablequ’il fût une victime désignée d’avanceau Hibou de Nuit : en tant que policier, ilfréquentait les cafés ouverts la nuit –habituellement pour rapiner un peu de

bouffe ; il se trouvait probablement auHibou de Nuit à 3 h du matin parce qu’ilétait accro à Lucy la Douce – lamarijuana – et qu’il dormait dans lesfossés, alors que le Hibou de Nuit avaitl’air chaleureux et confortable.

Bud roula jusqu’au poste deHollywood – avec Inez dans la tête,accompagnée par Dudley et Dick Stens.Question tripes : elle avait essayé de selibérer de son chariot à coups de griffespour s’attaquer au cadavre de SylvesterFitch sanglé sur un lit de camp de lamorgue ; elle avait hurlé : « Je suis morte! Je veux les voir morts ! » Il s’étaitdépêché de l’emmener jusqu’àl’ambulance, avait fauché morphine etseringue, et lui avait refilé une dose

pendant que personne ne regardait. Elleaurait dû en avoir fini avec le plus dur –mais le plus dur était encore à venir.

Exley allait l’interroger, il allait luifaire cracher les plus petits détails,l’obliger à regarder les photos d’obsédéssexuels jusqu’à ce qu’elle craque. EllisLoew voulait un dossier impeccable etimparable – ce qui signifiait desidentifications de témoins en public, destémoignages devant la cour. Inez Soto : lepremier témoin à faire la une duprocureur le plus ambitieux qui eûtjamais vu le jour – tout ce qu’il pouvaitfaire, c’était aller la voir à l’hôpital, dire« Salut », et essayer d’atténuer les coups.Une femme pleine de courage qu’onbalançait dans les pattes d’Ed Exley – de

la pâtée pour un chien sans couilles.

D’Inez à Stens.

Belle revanche : les masques de DannyDuck, Exley qui geignait, et la photocomme garantie. Dick toujours remonté –il voulait encore du sang : il y avaitgoûté, il savait qu’il était toujours fin prêtpour la baston. Son boulot de traiteurchez Kikey T. sentait le faisandé, lebouiboui était connu pour tous lesestampeurs qui y traînaient leurs guêtres,une violation de conditionnelle luipendait au nez. Du Stens craché, à dormirdans la bagnole, à picoler, à flamber – laprison lui avait appris que dalle.

Bud coupa au nord sur Vine ; lesrayons du soleil éclairèrent son reflet

dans le pare-brise. Sa cravate tranchaitsur le reste : écussons du LAPD et lechiffre 2 en motif. Les 2 représentaientles hommes qu’il avait tués ; il allaitdevoir s’en faire confectionner quelquesnouvelles, avec des 3 en motif, pourSylvester Fitch. L’idée de Dudley : unesprit de corps pour la Surveillance.Petit truc chic, devant lequel les femmesfrissonnaient de plaisir. Dudley, c’était lepied – plein la gueule, et plein la tête.

Il était en dettes, plus avec Dudleyqu’avec Dick Stens : le bonhomme avaitgelé toute l’histoire du Noël Sanglant, illui avait obtenu la Surveillance, puis laCriminelle. Mais lorsque Dudley Smithvous emmenait à ses basques, on luiappartenait – et il en avait tellement plus

sous le crâne que les autres : on n’étaitjamais sûr de ce qu’il voulait de vous, oude la manière dont il se servait de vous –on y perdait son latin avec toutes sesconneries et ses préciosités de langage.Ça ne vous restait pas vraiment surl’estomac, mais ça se sentait. Ça vousfichait la trouille de voir à quel pointMike Breuning et Dick Carlisle luiavaient abandonné leurs âmes. Dudleyétait capable de vous plier, vous mettreen forme, vous tordre, vous tourner, vouscommander d’un doigt – sans jamais vousfaire sentir que vous n’étiez qu’un tasd’argile à modeler, stupide. Mais il vousfaisait toujours savoir une chose : il vousconnaissait mieux que vous ne vousconnaissiez vous-même.

Impossible de se garer dans la rue –pas une place libre. Bud alla se rangertrois blocs plus loin et remonta à piedjusqu’à la salle de brigade. Pas d’Exley,toutes les tables occupées, des hommesau téléphone, en train de prendre desnotes. Un tableau d’affichage géant pourle Hibou de Nuit – quinze centimètresd’épaisseur de paperasses. Deux femmesà une table ; derrière elles, un standard ; àleurs pieds, une pancarte :«Sommier/SCG Renseignements» ; Buds’approcha et parla au-dessus dubrouhaha des téléphones.

— Je suis sur Cathcart pourvérification, et je veux tout ce que vouspouvez m’avoir, les relations connues,tout le tremblement. Ce clown s’est fait

pincer par deux fois pour détournementde mineure. Je veux tous les détails aucomplet sur les plaignantes, plus leursadresses actuelles. Il a été cravaté troisfois comme barbeau, sans suites, et jeveux que vous vérifiiez auprès de toutesles brigades des Mœurs, ville et comté,pour savoir s’il a un casier chez eux. Sic’est le cas, je veux le nom des fillesqu’il drivait. Si vous obtenez des noms,trouvez les DDN et passez-les en vérif’auprès des Sommiers, du SCG, desLibertés conditionnelles ville et comté, etde la prison pour femmes. En détail. Vousavez pigé ?

Les filles s’attaquèrent au standard ;Bud s’attaqua au tableau d’affichage : unfeuillet intitulé «Victime Lunceford». Une

remise à jour : un agent de la brigade deHollywood avait parlé au patron deLunceford à l’agence de l’Homme Fort.Faits nouveaux : Lunceford était client duHibou pratiquement toutes les nuits –après avoir débauché de son poste 6 h-21h dans l’immeuble de la librairiePickwick ; Lunceford était l’exemple typedu gardien de sécurité poivrot qui n’estpas autorisé à porter une arme à laceinture ; on ne lui connaissait pasd’ennemis, pas d’amis non plus, pas depetites amies, il n’était pas liant avec sescollègues de l’Homme Fort, et il dormaitsous une canadienne derrière leHollywood Bowl. On avait inspecté latente et établi l’inventaire : un sac decouchage, quatre uniformes de l’Homme

Fort, six bouteilles de moscatel OldMonterey.

Adios, connard – tu t’es retrouvé où ilne fallait pas quand il ne le fallait pas.Bud consulta le dossier d’arrestations deLunceford : dix-neuf à son actif en onzeannées de vie de flic, tous des criminelsmineurs, la vengeance comme mobile netenait pas, à éliminer ; en tuer six pour enavoir un : difficile de faire tenir la route àun mobile pareil. Toujours pas d’Exley,pas de Breuning ni de Carlisle. Bud serappela le mémo de Dudley : vérifier lesarchives du poste, rechercher tout ce quiétait classé sous Lunceford.

Le pari valait la peine : fichesd’interrogatoires de terrain, classées par

nom d’agent. Bud se rendit dans la piècedes archives, tira le tiroir «L» – pas dechemise pour Lunceford, agent, Malcolm.Une heure à vérifier des erreurs declassement, de A à Z – zéro. Pasd’interrogatoires de terrain – bizarre –peut-être que Mal le Poivrot n’avaitjamais classé ses fiches de terrain.

Presque midi, déjà, l’heure d’allermanger un morceau – un sandwich,quelques mots à Dick. Carlisle etBreuning firent leur apparition – à traînerleurs guêtres en sirotant un café. Bud setrouva un téléphone libre et passa un coupde grelot à ses indics.

Tucker le Serpent avait entendu quedalle ; idem pour Fats Rice et Johnny

Stomp. Jerry Katzenbach lui dit quec’était les Rozenberg – ils avaientcommandité le dérouillage du couloir dela mort, c’est eux qui l’avaient faitretomber à la shooteuse. Une fille desSommiers s’approcha.

Elle lui tendit une feuille arrachée à uncalepin.

— Il n’y a pas grand-chose. Rien surles RC de Cathcart, presque pas dedétails mis à part sa fiche criminelle. Jen’ai pas pu trouver grand-chose sur lesplaignantes des détournements demineures, excepté qu’elles avaientquatorze ans, qu’elles étaient blondes etqu’elles travaillaient chez Lockheedpendant la guerre. Je pencherais pour des

filles de passage, sans domicile fixe. LesMœurs de Central et du shérif avaient undossier sur Cathcart, avec une liste deneuf filles soupçonnées de prostitution.J’ai poursuivi mes recherches. Deux sontmortes de syphilis, trois étaient mineureset ont quitté l’État selon la règle envigueur pour les prostituées, et je n’airien pu obtenir sur deux autres. Les deuxdernières sont sur cette page. Cela voussera utile ?

— Oui, ça me servira, merci, dit Buden faisant signe à Breuning et Carlisled’approcher.

L’employée s’éloigna ; Bud consulta safeuille ; deux noms étaient entourés : Jane(alias «Feather») Royko, Cynthia (alias

«Cindy la Pécheresse») Benavides.Dernières adresses connues, lieux defréquentation : des piaules sur Poinsettiaet Yucca, des bars à cocktail.

Les gros bras de Dudley approchèrent.

— Ces deux noms, ici, dit Bud.Ramenez-les moi, vous voulez bien ?

— C’est d’la connerie, toutes cesvérifications d’antécédents, faut paspousser quand même. Moi, je dis qu’c’estles bougnoules.

Breuning attrapa la feuille :

— Dudley dit de le faire, on le fait.

Bud inspecta leurs cravates – cinqmorts au total. Breuning le Gros, Carlislele Mince – d’une certaine manière, on

aurait dit des parfaits jumeaux.

— Alors, faites-le, hein ?

Le Casse-Graine d’Abe, stationnementinterdit, le tour du bloc. La Chevy deDick sur l’arrière, des bouteilles de gnôlevides sur le siège : violation deconditionnelle numéro un. Bud se trouvaune place, revint à pied et regarda par lafenêtre : Stens sifflait le Manieschewitz àla régalade, en train de raconter desconneries avec d’ex-taulards – LeeVachs, Deuce Perkins, Johnny Stomp. Unmec genre flic mangeait au comptoir : unebouchée, un regard à l’assemblée decriminels, une autre bouchée – unevéritable horloge.

Retour au poste de Hollywood – en

faisant la gueule de se voir encore jouer àla nounou.

On l’attendait : Breuning et deux nanasmodèle radasse, qui se fendaient lapêche, à suer dans le cagibi. Bud tapotasur la vitre ; Breuning sortit.

— Qui est qui ? dit Bud.

— La blonde, c’est Feather Royko. Hé,tu connais celle de l’éléphant qui est bienmonté ?

— Que leur as-tu dit ?

— Je leur ai dit que c’était un contrôlede routine sur les antécédents de DukeCathcart. Elles ont lu les journaux, alorselles n’ont pas été surprises. Bud, c’estles négros. Y vont griller pour la

gonzesse mex, Dudley nous fait toute cettecomédie rien que parce que Parker veutavoir quelque chose à montrer, une bellevitrine, et il prête l’oreille à ce que luiraconte ce salopard d’Exley, ce mômeavec toutes ses prét…

Des doigts durs sur la poitrine.

— Inez Soto, c’est pas une gonzesse, etpeut-être bien que c’est pas lesbougnoules. Alors toi et Carlisle, faitesun peu votre boulot de policiers.

Une carpette, le Breuning, quis’éloigna en traînant des pieds tout enlissant sa chemise. Bud entra dans lecagibi. Les putes n’avaient pas l’airterrible : une blonde oxygénée, unerouquine au henné, trop de maquillage et

trop de kilomètres au compteur.

— Alors, comme ça, vous avez lu lesjournaux ce matin ? dit Bud.

— Ouais, dit Feather Royko. PauvreDukey.

— À vous entendre, on peut pas direque vous le pleurez à chaudes larmes.

— Dukey, c’était Dukey. C’était unminable, mais il ne frappait jamais. Sontruc, c’était les burgers au chili, et leHibou de Nuit en avait des bons. Unchiliburg de trop, RIP Dukey.

— Alors, comme ça, les filles, vousavalez ce truc sur le cambriolage dontparlent les journaux ?

Cindy Benavides acquiesça.

— Bien sûr, dit Feather. C’est bien cequi s’est passé, non ? Je veux dire, vousn’êtes pas de cet avis ?

— Probablement. Parlons des ennemis.Duke en avait ?

— Non. Dukey, c’était Dukey.

— Combien d’autres filles faisait-ilmarner ?

— Rien que nous deux. On est lesrestes maigrelets de l’écurie de merde duDukey.

— Je me suis laissé dire que Dukeavait drivé jusqu’à neuf filles, à uneépoque. Que s’est-il passé ? Une rivalitéentre barbeaux ?

— M’sieur, Dukey, c’était un rêveur. Il

aimait bien les jeunesses pour son usagepersonnel, et il aimait bien driver desjeunettes. Les jeunettes, ça s’ennuie viteet ça se taille, sauf si leur mec devientméchant. Dukey pouvait devenir méchantavec les autres mecs, mais jamais avecles femmes. RIP Dukey.

— Alors Duke devait certainementavoir autre chose sur le gaz. Deux nanasn’auraient pas suffi à tout couvrir.

Feather se mit à écailler son vernis àongles.

— Dukey était remonté à bloc sur unnouveau projet, un nouveau plan. Vouscomprenez, il avait toujours un projet ouun autre en cours. C’était un rêveur. Et sesprojets, ça le rendait heureux, et il avait

l’impression que les quelques piécettesque Cindy et moi on lui ramenait, c’étaitpas si mal.

— Vous a-t-il donné des précisions ?

— Non.

Cindy avait sorti le bâton de rouge,elle s’en barbouillait une nouvelle tartine.

— Cindy, il vous a dit quelque chose ?

— Non… – un petit couinement.

— Rien sur des ennemis éventuels ?

— Non.

— Et sur ses petites amies ? Il avaitune petite jeunette en tète ces temps-ci ?

Cindy attrapa un mouchoir en papier,

épongea le trop plein.

— N… non.

— Feather, vous avalez ça ?

— Je crois que Dukey avait personneen vue. Peut-on partir maintenant ? Jeveux dire…

— Allez. Il y a une station de taxis plushaut dans la rue.

Les filles sortirent en vitesse ; Bud leurlaissa de l’avance et courut jusqu’à savoiture. Jusqu’à Sunset, face à la stationde taxis ; deux minutes à attendre. Cindyet Feather approchaient.

Deux taxis séparés, destinationsdifférentes. Cindy se dirigea plein nordsur Wilcox, peut-être direction chez elle –

5814 Yucca. Bud prit un raccourci. Letaxi apparut exactement dans les temps.Cindy marcha jusqu’à une De Soto verteet prit en direction de l’ouest. Budcompta jusqu’à dix et suivit.

Jusqu’à Highland, puis Cahuenga Passjusqu’à la Vallée, ouest sur VenturaBoulevard. Bud colla de près ; Cindyroulait vite, file du milieu. Braquage dedernière minute pour se ranger contre letrottoir, près d’un motel ; des chambres encercle autour d’une piscine à l’eautrouble.

Bud freina, fit demi-tour et se mit enobservation. Cindy se dirigea vers unechambre du côté gauche, frappa. Une fille– blonde, une quinzaine d’années – la fit

entrer. Une jeunesse – modèledétournement de mineure style DukeCathcart.

Surveillance à distance, à tout reluquer.

Cindy sortit dix minutes plus tard –vroum – demi-tour, direction retour versHollywood. Bud frappa à la porte de lafille.

Elle vint ouvrir – les yeux humides.Une radio beuglait : «Massacre du Hiboude Nuit», «Le crime du siècle pour tout lesud de l’État». La fille réussit à fixer sonregard.

— Êtes-vous de la police ?

Bud acquiesça.

— Petite, quel âge as-tu ?

La mise au point dérailla – le regarddevint flou.

— Petite, comment t’appelles-tu ?

— Kathy Janeway. Kathy, avec un K.

Bud referma la porte.

— Quel âge as-tu ?

— Quatorze ans. Pourquoi les hommesvous demandent-ils toujours ça ?

Un accent traînant de la prairie.

— D’où viens-tu ?

— Nord Dakota. Mais si vous merenvoyez, c’est simple, je m’enfuirai ànouveau.

— Pourquoi ?

— Vous voulez que je vous fasse ça enVista Vision ? Duke dit qu’y a des tas demecs qui prennent leur panard comme ça.

— Ne joue pas à la petite dure dedures, d’accord ? Je suis de ton côté.

— C’est la meilleure !

Bud passa la chambre en revue. Oursen peluche, revues de ciné, bloused’écolière sur la coiffeuse. Pas defringues de pute, pas d’attirail pour lacame.

— Est-ce que Duke était gentil avec toi?

— Il ne m’obligeait pas à faire ça avecd’autres mecs, si c’est ce que vous voulezdire.

— Tu veux dire que tu ne le faisaisqu’avec lui ?

— Non, je veux dire que mon papa mel’a fait, et qu’y a cet autre mec qui m’aobligée à le faire avec des mecs, maisDuke m’a rachetée à lui.

Intrigue de barbeaux.

— Comment s’appelle le mec enquestion ?

— Non ! Je ne vous le dirai pas et vousne pouvez pas m’obliger, et pis d’abord,j’ai oublié.

— Lequel des trois, petite ?

— Je ne veux pas le dire.

— Chut. Ainsi donc, Duke était gentil

avec toi ?

— Arrêtez de me faire chut. Duke,c’était un gros nounours, tout ce qu’ilvoulait, c’était dormir dans le même litque moi et jouer aux cartes. C’est si malque ça ?

— Chérie…

— Mon papa était pire ! Mon oncleArthur était mille fois pire.

— Chut, maintenant, hein ?

— Vous ne pouvez pas m’obliger !

Bud lui prit les mains.

— Que voulait Cindy ?

Kathy se dégagea.

— Elle m’a dit que Duke était mort, ceque sait n’importe quel imbécile qui a uneradio. Elle m’a dit que Duke avait dit ques’il lui arrivait quelque chose, il faudraitqu’elle s’occupe de moi, et elle m’adonné dix dollars. Elle a dit que la policelui cherchait des ennuis. J’ai dit : « Dixdollars, c’est pas grand-chose », et elles’est sentie insultée et elle m’a hurlédessus. Et comment saviez-vous queCindy était passée ici ?

— Aucune importance.

— Le loyer, ici, c’est neuf dollars parsemaine et je…

— Je te donnerai un peu d’argent enplus si tu…

— Jamais Duke ne s’est montré aussiradin avec moi !

— Kathy, tais-toi maintenant et laisse-moi te poser quelques questions et peut-être qu’on pourra retrouver les mecs quiont tué Duke. D’accord ? Hein ?

Soupir de môme.

— Okay, d’accord, demandez-moi.

Bud, mollo.

— Cindy a dit que Duke lui avaitdemandé de s’occuper de toi s’il luiarrivait quelque chose. Crois-tu qu’ilpensait que quelque chose allait luiarriver ?

— Je ne sais pas. Peut-être.

— Pourquoi peut-être ?

— P’t-êt’ pasque Duke était nerveuxces temps derniers.

— Pourquoi était-il nerveux ?

— Je ne sais pas.

— Lui as-tu demandé la raison ?

— Il a dit : « que les affaires ».

« Remonté à bloc sur un nouveau plan», avait dit Feather de Cathcart.

— Kathy, est-ce que Duke était en trainde mettre un nouveau truc sur pied ?

— Je sais pas, Duke disait que lesfilles ont pas besoin de parler boutique.Et je sais qu’il m’a laissé plus qu’unmisérable billet de dix dollars.

Bud lui remit une carte du Bureau.

— C’est mon numéro de travail. Tum’appelles, hein ?

Kathy s’empara d’un panda en peluchesur le lit.

— Duke était tellement désordonné,c’était un gros malpropre, mais ça m’étaitégal. Il avait un sourire mignon et unecicatrice mignonne comme tout sur lapoitrine, et il ne me hurlait jamais dessus.Mon papa et oncle Arthur me hurlaienttoujours dessus, alors Duke ne le faisaitjamais. C’était pas gentil, ça, non ?

Bud la laissa en lui pressant la main.Arrivé à mi-chemin de la rue, il l’entenditqui sanglotait.

Retour à la voiture, les méninges enaction sur le personnage Cathcart et cequ’il en avait appris. Disons que le«nouveau numéro» de Duke et lesintrigues de barbeaux c’était des peut-êtrebien fragiles. Disons les chiliburgers duHibou de Nuit : à 99 %, sûr et certain quec’était là l’encre qui avait servi à remplirson arrêt de mort. Un barbeau quidétournait les mineures et un ex-flic filouet parasite comme victimes – bizarre –mais bien dans la note pour le circuitd’Hollywood Boulevard à 3 h du mat.Disons que Dudley avait du pain sur laplanche – peut-être que Cindy était auparfum pour autre chose que le liquidequ’elle lâchait avec difficulté. Il pourraitlui jouer le coup en force, lui faire sortir

l’argent, dénicher quelques ragots demaquereaux, boucler l’affaire côtéCathcart et demander à Dud de l’expédierà Nègreville. Simple – Cindy était Dieusait où, et Kathy le faisait danser commeune marionnette ; le sauveur qui n’avaitnulle part où aller. Il y eut un déclic :quelque chose manquait sur les bulletins,rien sur un contrôle de l’appartement deCathcart. Peut-être une chance d’y trouverle carnet à putes de Duke – des pistespossibles sur son nouveau numéro et surle maquereau auquel il avait rachetéKathy – une bonne manière de tuer letemps.

Bud franchit Cahuenga. Il vit uneberline rouge qui traînait sur ses arrières– il croyait l’avoir vue près du motel. Il

accéléra, fit un passage près de la crèchede Cindy – pas de De Soto verte, pas deberline rouge. Il se dirigea versSilverlake, un œil sur le rétroviseur. Pasde voiture en filoche – rien que sonimagination.

Le 9819 Vendome avait l’air vierge –appartement-garage à l’arrière d’unepetite maison en stuc. Pas de journalistes,pas de cordon pour délimiter les lieux ducrime, personne du coin en train deprendre le soleil. Bud fit sauter la portede la main.

Piaule typique de célibataire :combinaison salon chambre à coucher,salle de bains, kitchenette. Un coup delumière pour un inventaire rapide – à la

manière que Dudley lui avait enseignée.

Un lit pliant en position basse.Paysages marins bon marché sur les murs.Une commode, un placard de plain pied.Pas de porte à la salle de bains ou à lakitchenette – net, propre. La piaule toutentière était propre comme un sou neuf –ce qui ne cadrait pas avec Kathy : « Dukeétait tellement désordonné, c’était un grosmalpropre. »

Fureter à la recherche de détails – unautre truc de Dudley. Un téléphone surune table basse ; inspecter les tiroirs :crayons, pas de carnet d’adresses, pas derépertoire de putes.

Une pile d’annuaires à pages jaunes –un mélange : comté de L.A., comté de

Riverside, comté de San Bernardino,comté de Ventura. San Berdoo était leseul utilisé – pages chiffonnées, reliurecraquée. Inspecter les pages froissées :marques visibles sur les listesd’imprimeries. Un rapport possible,probablement rien du tout : la victimeSusan Lefferts, native de San Berdoo.

Bud laissa fureter ses regards, clic,clic, clic. Salle de bains et cuisineimmaculées ; chemises soigneusementpliées sur la commode. Une moquettepropre, un peu crasseuse seulement dansles coins. Clic final : la crèche avait étévisitée, inspectée, nettoyée – peut-êtremême retournée par un pro.

Il fouilla le placard : vestes et

pantalons qui glissaient de leurs cintres.Cathcart possédait une garde-robe chic –quelqu’un avait essayé ses fringues, oualors c’était ça le vrai Duke – lemalpropre de Kathy – et le retourneur depiaule ne s’était pas préoccupé de sesvêtements.

Bud inspecta la moindre poche, lemoindre habit : peluches, petite monnaie,rien de bien brûlant. Clic : un test pourtester le retourneur. Il descendit à savoiture, sortit sa mallette à preuves, passasa poudre : la commode était sûre deporter des empreintes. Un clic de plus :résultat sous la poudre, des marquesd’essuyage. Pas d’erreur, la piaule avaitété essuyée de toutes les empreintes parun professionnel.

Bud remballa, sortit et se tortura lesméninges un peu plus. Clic : guerre desbarbeaux, déclic : Duke Cathcart avaitdeux nénettes dans son écurie, et pasassez d’estomac pour forcer unenymphette de quatorze ans – côté barbeau,c’était un vrai désastre. Bud essaya defaire cliquer la piaule de Duke retournéeavec le Hibou de Nuit – ça ne collait pas,ça ne s’emboîtait pas ; la cote desbougnoules restait toujours élevée. Si lafouille de la piaule était parlante, larattacher au «nouveau plan» de Cathcart –c’était Feather Royko qui avait mis ça surle tapis – elle s’en sortait avec le nezpropre, autant que Cindy la Pécheresseavait le sien douteux et pas très net.Cindy, la suivante sur la liste – et elle

devait de l’argent à Kathy.

Le crépuscule s’installait. Bud roulajusqu’à la crèche de Cindy et vit la DeSoto verte. Des gémissements sortaientd’une fenêtre entrouverte – il remontal’ouvrant, et se glissa à l’intérieur d’unbond.

Un couloir sombre ; humpf – humpf –humpf une porte plus loin. Buds’approcha et regarda. Cindy et un groshomme en chaussettes écossaises, un litsur le point de s’effondrer. Le pantalon deGros Lard accroché à la poignée de laporte – Bud soutira un portefeuille, levida et sifflota.

Cindy cria ; Gras du Bide continua àpomper.

— ESPÈCE DE MERDEUX ! cria Bud.QU’EST-CE QUE TU FAIS AVEC MA POULE ?

Les choses s’accélérèrent.

Gros Lard sortit en courant en se tenantla pine ; Cindy plongea sous les toiles.Bud vit un sac à main, le retourna etattrapa l’argent. Cindy hurla, bon gré, malgré. Bud donna un coup de pied dans lelit.

— Les ennemis de Duke. Accouche, etje ne t’agrafe pas.

Cindy sortit la tête.

— Je… sais… rien…

— Je t’en foutrai, rien ! Essayons ça :quelqu’un est entré chez Duke, tu medonnes un suspect.

— Je… sais… pas.

— Dernière chance. Tu n’as pas toutdit au poste. Feather, elle, a été réglo. Tues allée au motel de Kathy Janeway et tului as refilé un bifton de dix commecarotte. Qu’est-ce que tu sais et que tun’as pas voulu dire ?

— Écoutez…

— Crache.

— Cracher quoi ?

— Crache sur le nouveau plan de Dukeet sur ses ennemis. Dis-moi qui étaitl’ancien barbeau de Kathy.

— Je ne sais pas qui était son barbeau.

— Alors crache le morceau aux deux

autres questions.

Cindy s’essuya le visage – barbouilléde rouge à lèvres, dégoulinant demaquillage.

— Tout ce que je sais, c’est qu’y avaitun mec qui faisait la tournée des bars àcocktails, y baratinait les filles, et y secomportait comme Duke. Vous savez, lesmêmes blagues, les mêmes plaisanteriesvite fait, du vrai Dukey craché. J’aientendu dire qu’il essayait de se trouverdes filles pour travailler pour lui, à lademande, sur rendez-vous téléphoné. Ilm’a pas parlé, ni à Feather ; tout ça, c’estdéjà du réchauffé, ça a peut-être deuxsemaines.

Clic : «le mec» était peut-être le

retourneur de piaule, «le mec» qui avaitessayé les vêtements de Cathcart.

— Continue sur le sujet.

— C’est tout ce que j’ai entendu, etc’est comme ça, exactement, que je l’aientendu.

— À quoi le mec ressemblait-il ?

— Je sais pas.

— Qui t’a parlé de lui ?

— Je sais même pas, c’était rien quedes filles qui papotaient à la table d’àcôté dans ce nom de Dieu de bar.

— Très bien, doucement. Le nouveauplan de Duke. Crache un peu là-dessus.

— M’sieur, c’était rien qu’un autre des

rêves foireux de Dukey.

— Alors pourquoi ne m’en as-tu riendit avant ?

— Vous connaissez le vieux proverbe :«On dit pas de mal des morts» ?

— Ouais. Tu connais les vrilles de laprison des femmes ?

Cindy soupira.

— Dukey, rêve foireux numéro sixmille – fourgueur de livres de cul. C’estpas la plus belle, ça ? Dukey a dit qu’ilallait fourguer ces saletés un peu bizarres.C’est tout ce que je sais, on a eu deuxsecondes de conversation sur le sujet etc’est tout ce que Duke a dit. J’ai pasinsisté parce que je sais reconnaître un

rêve foireux quand j’en vois un. Etmaintenant, est-ce que vous voulez sortird’ici ?

Des bruits de couloir, au Bureau, riende précis : l’Ad. Mœurs qui travaillaitsur la pornographie.

— Quel genre de saletés ?

— M’sieur, je vous ai dit que je saispas, c’était rien qu’une conversation dedeux secondes.

— Tu vas rendre à Kathy l’argent queDuke t’a laissé ?

— Bien sûr, mon bon Samaritain. Dixpar-ci, dix par-là. Si je lui donnais toutl’argent d’un coup, elle claquerait tout, detoute manière, à des revues de cinéma.

— Je pourrais revenir.

— J’attends, en retenant mon souffle.

Bud roula jusqu’à une boîte aux lettreset fit partir le liquide en livraisonspéciale : Kathy Janeway, Orchid ViewMotel, beaucoup de timbres et un petitmot amical. Plus de quatre cents dollars –une petite fortune pour une môme.

7 h – du temps à tuer avant de retrouverDudley. Direction le Bureau – le tueur detemps –, l’Ad. Mœurs, le tableau de lasalle de brigade.

Brigade n° 4 au boulot sur le porno –Kifka, Henderson, Vincennes, Stathis –quatre hommes sur la piste des livres defesses, aucune ouverture en vue au

rapport. Personne à l’horizon, il pourraitrepasser au matin, de toute façon, c’étaitprobablement rien du tout. II alla jusqu’àla Criminelle et appela le Casse-Grained’Abe.

— Abe, répondit Stens.

— Dick, c’est moi.

— Oh ? On se renseigne sur moi,monsieur l’agent ?

— Dick, arrête.

— Non, je suis sérieux. T’es un hommeà Dudley maintenant. Peut-être que Dudn’aime pas les gens auxquels je fourguemon bœuf en boîte. Peut-être que Dudveut des tuyaux, il croit que je vaisaccepter de te parler. C’est plus comme si

t’étais ton propre mec.

— T’as bu, collègue ?

— Je bois casher maintenant. Dis ça àExley. Dis-lui que Danny Duck veut faireun tour de piste avec lui. Dis-lui que j’ailu des choses sur son vieux et sasaloperie de Dream-a-Dreamland. Dis-luique je viendrai peut-être à l’ouverture :Danny Duck sollicite la présence dec’t’enfoiré de sergent Ed Exley pour uneputain de nouvelle danse.

— Dick, tu ne sais plus ce que turacontes !

— Va te faire foutre. Une nouvelledanse, j’ai dit ; Danny Duck va luibousiller ses lunettes et lui déchirer sa

putain de gorge.

— Dick, nom de Dieu !

— Eh, va te faire mettre ! J’ai lu lesjournaux, j’ai vu le personnel sur le coupdu Hibou de Nuit. Toi, Dudley S., Exley,le reste des bandeurs de Dudley – Putain,mais tu as pour collègue l’enfoiré qui m’aenvoyé au trou, tu suces et tu tètes lamême vache à lait, alors si tu…

Bud balança le téléphone par lafenêtre. Il descendit au parc destationnement en donnant des coups depied aux objets – puis son Super Plan lefrappa à son tour.

Il aurait dû être balancé pour le NoëlSanglant.

Dudley lui avait sauvé la peau.

Jusqu’ici, c’était Exley le héros duHibou de Nuit – laissez faire : ce seraitlui qui renverrait Inez en enfer.

Bizarre, l’affaire, côté Cathcart, ellepourrait bien prendre de l’ampleur, bienau-delà d’une bande de cambriolospsycho. Mais c’est lui, Bud, qui pourraitrésoudre l’affaire, couper l’herbe sous lepied d’Exley, et se goupiller un moyend’aider Stens à s’en sortir. Ce quisignifiait : Pas de tuyaux aux Ad. Mœurssur les pistes du porno.

Pas d’indices ni de preuves pourDudley. Les garder pour soi.

SE CONDUIRE EN INSPECTEUR, PAS ENCASSEUR DE CRÂNES. SEUL, SANS PERSONNE.

Il se donna des tripes en se répétantdes litanies d’ivrogne :

C’est plus comme si t’étais ton propremec.

C’est plus comme si t’étais ton propremec.

C’est plus comme si t’étais ton propremec.

Il avait la trouille.

Il était en dette avec Dudley.

Il était en train de doubler le seulhomme sur terre à être plus dangereux quelui-même.

24

Ray Pinker guidait Ed à travers leHibou de Nuit, pas à pas : reconstitutiondes meurtres.

— Bim, bam, je parierais que ça s’estpassé comme ça. D’abord, les trois mecsentrent, et sortent leurs armes. Un hommese prend la caissière, le gars de la cuisineet la serveuse. Le mec frappe Donna DeLuca de la crosse de son fusil – elle estdebout près de la caisse enregistreuse :nous avons retrouvé une parcelle de soncuir chevelu au sol. Elle lui donnel’argent et l’argent de son sac à main ; illa fait avancer ainsi que Patty Chesimard

jusqu’à la glacière, et se récupère GilbertEscobar dans la cuisine, en chemin.Gilbert résiste – remarque les traces detraînée, les casseroles et les poêles parterre. Un coup sur la tête – bim, bam –,cette petite flaque de sang que tu voisentourée de craie. Le coffre-fort est bienexposé sous le comptoir du cuistot, l’undes trois employés l’ouvre, remarquetoutes les pièces de monnaie qui ontglissé. Bim, bam, Gilbert résiste encoreun peu, un nouveau coup de crosse,remarque le cercle marqué A-1 au sol :on a trouvé là trois dents en or, on les arécupérées, et elles correspondent àGilbert Luis Escobar. Les marques detraînée commencent ici, le vieux Gil acessé de lutter, bim, bam, le suspect

numéro un place les victimes un, deux ettrois à l’intérieur de la réserve.

Retour au restaurant proprement dit –toujours sous scellés, trois nuits postmortem. Les chalands se pressaient auxfenêtres ; Pinker poursuivit : — Entre-temps, les flingueurs deux et troisrassemblent les victimes quatre à six. Lesmarques de traînée qui retournent à laréserve, ainsi que les plats et lanourriture renversés parlent d’eux-mêmes. Il est bien possible que tu nepuisses pas le voir tellement le linoléumest sombre, mais il y a du sang sous lesdeux premières tables : Cathcart etLunceford, assis chacun de leur côté,deux coups de crosse. Nous savons qui setrouvait assis là grâce aux groupes

sanguins. Cathcart s’effondre près de latable numéro deux, Lunceford près de latable un. Maintenant…

Ed l’interrompit.

— As-tu passé les plats à la poudrepour confirmation supplémentaire ?

Pinker acquiesça.

— Des traces et des barbouillis, deuxempreintes valables sur des platsretrouvés sous la table de Lunceford.C’est comme ça que nous l’avonsidentifié – nous avons trouvé lacorrespondance dans la série qui avait étéprise lorsqu’il s’est engagé au LAPD.Cathcart et Susan avaient les mainsarrachées, impossible de faire le moindre

recoupement, et leurs plats étaient detoute manière trop barbouillés. Nousavons identifié Cathcart à partir d’unexamen dentaire partiel et de sesmensurations, sur son dossier deprisonnier ; Lefferts grâce à un dentairecomplet. Tu vois la chaussure, sur le sol ?

— Oui.

— Eh bien, après étude destrajectoires, on dirait que Leffertsessayait de rejoindre Cathcart à la tabled’à côté en battant des bras, et pourtantils étaient installés séparément. Unepanique incontrôlée, de toute évidence,elle ne le connaissait pas. Elle s’est miseà hurler, et l’un des flingueurs lui a fourrédans la bouche une liasse de serviettes en

papier qu’il a prises dans cet étui. DocLayman a retrouvé une grosse boulette depapier dans la gorge à l’autopsie, il pensequ’elle a pu avoir un haut-le-cœur etqu’elle s’est étouffée juste avant que necommence la fusillade. Bim, bam,Cathcart et Lefferts sont traînés jusqu’à laréserve, Lunceford marche jusque-là, lepauvre connard pense probablement quece n’est rien d’autre qu’un braquage. À laréserve, on prend les sacs et lesportefeuilles – nous avons retrouvé uneparcelle du permis de conduire de GilbertEscobar, flottant dans le sang justederrière la porte, à côté de six boulettesde coton saturées de cire. Les flingueursont eu assez de cervelle pour se protégerles oreilles.

Ce dernier point ne cadrait pas : sesmecs de couleur étaient bien tropimpétueux.

— On ne croirait pas qu’il y avaitassez d’hommes pour faire le boulot.

Pinker haussa les épaules.

— Ça a marché. Es-tu en train desuggérer qu’une ou plusieurs des victimesconnaissaient un ou plusieurs des tueurs ?

— Je sais, c’est peu probable.

— Désires-tu voir la réserve ? C’estmaintenant ou jamais, nous avons promisau propriétaire qu’il pourrait récupérer laplace.

— Je l’ai vue, cette nuit-là.

— J’ai vu les photos. Seigneur,impossible de dire que c’était des êtreshumains. Tu es chargé de vérifier lesantécédents de Lefferts, exact ?

Ed regarda par la fenêtre ; une joliefille lui fit signe, chevelure sombre, latine– elle ressemblait à Inez Soto.

— Exact.

— Et alors ?

— Alors, j’ai passé une journée entièreà San Bernardino et je n’ai abouti nullepart. La femme vivait avec sa mère, quiétait à moitié sous calmants et qui arefusé de parler. J’ai parlé aux gens qui laconnaissaient, et ils m’ont dit que SueLefferts était une insomniaque chronique

qui passait ses nuits à écouter la radio.On ne se souvient pas de lui avoir connudes petits amis récemment, et elle n’ajamais eu d’ennemis. J’ai inspecté sonappartement de L.A., et ça correspondaitexactement à ce qu’on pouvait attendred’une vendeuse âgée de trente et un ans.Une des personnes de San Berdoo m’a ditqu’elle avait un peu la cuisse légère, uneautre a dit qu’elle avait fait de la dansedu ventre dans un restaurant grec àplusieurs reprises pour la rigolade. Riende suspect.

— On en revient toujours aux Nègres.

— Ouais, effectivement.

— Rien sur la voiture et les armes ?

— Non, et la Soixante-dix-septièmeRue fait les poubelles et les grillesd’égout à la recherche des sacs et desportefeuilles. Et je connais une façon deprocéder qui pourrait faire gagnerénormément de temps à l’enquête.

Pinker sourit.

— Fouiller Griffith Park pourretrouver les douilles marquées ?

Ed se tourna vers la fenêtre – la fillemodèle Inez n’était plus là.

— Si nous localisons ces douilles,alors c’est les Nègres en détention ou unautre trio.

— Sergent, c’est aller loin, très loin,sans garantie de résultats.

— Je sais, et je suis prêt à aider.

Pinker consulta sa montre.

— Il est 10 h 30. Je retrouverai lesrapports de main courante sur lesfusillades, j’essaierai de localiser lesemplacements et je te retrouverai demainà l’aube avec une équipe de sapeurs.Disons le parking de l’observatoire ?

— J’y serai.

— Faut-il que j’obtienne l’autorisationdu lieutenant Smith ?

— Fais-le simplement parce que je t’aidit de le faire, okay ? Je travailledirectement sous les ordres de Parker, là-dessus.

— Le parc, à l’aube, en ce cas. Mets-

toi des vieux vêtements, ce sera un boulotdégueulasse.

Ed mangea chinois sur Alvarado. Ilsavait pourquoi il se dirigeait par là : laReine des Anges n’était pas loin, peut-être qu’Inez Soto était réveillée. Il avaitappelé l’hôpital ; Inez se remettaitrapidement, sa famille n’était pas venuela voir, sa sœur avait appelé, disant quemaman et papa la rendaient responsabledu cauchemar – des vêtementsprovocants, une conduite peu discrète.Elle pleurait car ses animaux en peluchelui manquaient ; il en fit monter unassortiment par la boutique de cadeaux –présents pour apaiser sa conscience – illa voulait comme premier témoin dans sapremière grande affaire criminelle. Et il

voulait tout simplement lui plaire, ilvoulait la voir désavouer ses paroles : «C’est l’officier White, le héros ! »

Il recula encore, avec une dernièretasse de café. Points de suture et passagechez le dentiste – ses blessures secicatrisaient, n’avaient plus grandeimportance ; les images de sa mère etd’Inez vinrent se fondre ensemble. On luiavait fait un rapport : Dick Stens traînaitses guêtres avec des voleurs à mainarmée connus, il plaçait des paris chezles books, touchait son salaire en liquide,et fréquentait les bordels. Une fois queses hommes l’auraient pris en flag, lamain dans le sac, ils appelleraient laConditionnelle du comté et arrangeraientune arrestation.

Ce qui faisait un peu pâlot à côté du «C’est l’officier White, le héros », et InezSoto avec assez de feu en elle pour lehaïr.

Ed régla l’addition et se dirigea vers laReine des Anges.

Bud White était sur le chemin de lasortie.

Ils se croisèrent près de l’ascenseur.White fut le premier à en placer une.

— Oubliez un peu votre carrière etlaissez-la dormir.

— Que faites-vous ici ?

— Je ne cherche certainement pas àessayer de tirer les vers du nez à untémoin. Laissez-la tranquille, vous

l’aurez, votre chance.

— Ce n’est qu’une simple visite.

— Elle voit clair en vous, Exley. Vousne pouvez pas l’acheter avec des ours enpeluche.

— Ne voulez-vous pas voir toute cetteaffaire mise au clair ? Ou vous sentez-vous tout simplement frustré qu’il ne vousreste plus personne à tuer ?

— Belles paroles pour une balancefouille-merde et lèche-cul !

— Vous êtes venu ici pour vousenvoyer en l’air ?

— En des circonstances différentes, jevous aurais fait votre fête pour ça.

— Tôt ou tard, Stensland et vous, jevous démolirai.

— Ça marche dans les deux sens.Héros de guerre, hein ? Tous ces japs ontdû vous la bailler belle, rien que pourvous faire plaisir.

Ed tiqua.

White fit un clin d’œil.

Des tremblements dans tout le corps,jusqu’à la chambre d’Inez. Ed regardaavant de frapper à la porte.

Inez était réveillée, elle lisait unerevue. Des animaux en peluche jonchaientle sol ; un autre personnage sur le lit :Scooter Squirrel en guise de repose-pieds. Inez l’aperçut.

— Non, dit-elle.

Les meurtrissures avaient pâli, lestraits de son visage revenaient, en plusdur.

— Non quoi, Mlle Soto ?

— Non, je me refuse à tout reprendreavec vous.

— Pas même quelques questions ?

— Non.

Ed rapprocha une chaise.

— Vous ne paraissez pas surprise deme voir ici si tard.

— Je ne le suis pas, vous êtes du genretout en finesse – Elle indiqua les animaux– Est-ce que le procureur vous a

remboursé pour tout ça ?

— Non, c’était de ma poche. EllisLoew vous a-t-il rendu visite ?

— Oui, et je lui ai dit « non ». Je lui aidit que ces trois putes de négrillonsm’avaient promenée, qu’ils avaient prisl’argent des autres putes avant de melaisser avec cette pute de négrillon quel’officier White a tué. Je lui ai dit que jen’arrive pas à me souvenir, ou que je neme souviendrai pas, ou que je ne veux pasme souvenir de détails supplémentaires,il peut faire son choix, et voilà, c’est tout,absolutamente tout.

— Mlle Soto, je suis simplement venuvous dire bonjour.

Elle lui éclata de rire à la figure.

— Vous voulez le reste de l’histoire ?Une heure après ça, mon frère Juanappelle pour me dire que je ne peux pasrentrer à la maison, que j’ai déshonoréma famille. Puis M. Loew la pute appelleet me dit qu’il peut me mettre à l’hôtel sije coopère, tous frais payés ; puis la fillede la boutique de cadeaux m’apportetoutes ces putes de bestioles en me disantque c’est un cadeau du gentil policier àlunettes. J’ai été à l’université, pendejo.Vous me croyez incapable de suivrel’enchaînement des événements ?

Ed indiqua Scooter Squirrel.

— Vous ne l’avez pas jeté, celui-là ?

— Il est spécial.

— Aimez-vous les personnages deDieterling ?

— Et alors, si je les aime !

— Je demandais, c’est tout. Et oùplacez-vous Bud White dans votre chaîned’événements ?

Inez fit bouffer ses oreillers.

— Il a tué un homme pour moi.

— Il en a tué un pour lui-même.

— Et cette pute, cet animal est mort,c’est tout. L’officier White passesimplement me dire bonjour. Il me dit deme méfier de vous et de M. Loew. Il medit que je devrais coopérer, mais il

n’insiste pas. Il vous hait, Monsieur Tout-En-Finesse. Je le sais.

— Vous êtes quelqu’un d’intelligent,Inez.

— Vous voulez dire « pour uneMexicaine », je sais.

— Non, vous vous trompez. Vous êtesintelligente tout court. Et vous vous sentezseule, sinon vous m’auriez demandé departir.

Inez jeta violemment sa revue.

— Et alors, si je le suis !

Ed ramassa le magazine. Des pagescornées : un article sur Dream-a-Dreamland.

— Je vais recommander qu’on vouslaisse le temps de vous remettre, etrecommander également que vous soyezautorisée à déposer par écrit lorsque toutce gâchis passera devant la cour. Si nousobtenons suffisamment de témoignagescorroborant d’autres sources que vous surle Hibou de Nuit, il se pourrait même quevous n’ayez pas à déposer du tout. Et jene reviendrai plus si vous ne le désirezpas.

Elle le fixa droit dans les yeux.

— Je n’ai toujours nulle part où aller.

— Avez-vous lu l’article surl’ouverture de Dream-a-Dreamland ?

— Oui.

— Avez-vous remarqué le nom dePreston Exley ?

— Oui.

— C’est mon père.

— Et alors ? Je sais que vous êtes unfils de riche, qui claque son fric enpeluches. Et alors ? Où irai-je ?

Ed empoigna la barre du lit.

— J’ai un chalet à Lac Arrowhead.Vous pouvez vous installer là-bas. Je nevous toucherai pas, et je vous emmèneraià l’ouverture de Dream-a-Dreamland.

Inez se toucha la tête.

— Et mes cheveux, alors ?

— Je vous trouverai un joli chapeau.

Inez se mit à sangloter, en serrantcontre elle Scooter Squirrel.

Ed retrouva les hommes du génie àl’aube ; tout groggy de rêves : Inez,d’autres femmes…

Ray Pinker avait apporté des torches,des pelles, des détecteurs de métaux ; ilavait fait diffuser un appel au public parla division Communications : ondemandait aux témoins éventuels descoups de fusils tirés dans Griffith Park dese faire connaître pour identifier lestireurs. Les emplacements notés dans lesrapports de main courante avaient étéquadrillés : des flancs de colline abrupts,envahis de broussailles. Les hommesbêchèrent, arrachèrent, balayèrent le

terrain avec leurs engins qui faisaient tic,tic, tic ; ils trouvèrent des pièces demonnaie, des boîtes de conserve, unrevolver de calibre 32. Les heuress’accumulèrent, le soleil cognait. Edtravailla dur, à respirer la poussière,risquant l’insolation. Ses rêvesréapparurent, en cercles qui revenaienttous à Inez.

Anne, du quadrille de l’écoleMarlborough ; ils avaient fait ça dans uneDodge de 38, et il s’était cogné lesjambes contre les portes. Penny, de saclasse de biologie à l’UCLA : groggy depunch dans le bâtiment de sa fraternitéétudiante, un petit accouplement rapided’arrière-cour. Une filée de filles facilestrès patriotes, au cours de sa tournée

électorale ; une affaire d’une nuit avecune femme plus âgée qui travaillait austandard de la division de Central. Ilavait du mal à se rappeler leurs visages ;il essayait… et il revoyait sans cesse Inez– Inez sans contusions, Inez sans sablouse d’hôpital. La tête lui tournait, lachaleur lui donnait des vertiges, il étaitsale, il était épuisé – mais il se sentaitbien. D’autres heures passèrent, iln’arrivait plus à penser aux femmes ou àautre chose.

Le temps qui passe encore, des cris auloin, une main sur son épaule.

Ray Pinker tenant entre les doigts deuxdouilles de cartouche de fusil et la photodes marques d’un percuteur sur un culot.

Correspondance parfaite : deux marquesde percussion identiques sur la surface.

25

Deux jours qu’il avait mis la main surFleur de Lis – impossible de direjusqu’où il pourrait conduire ça.

Deux jours, un suspect : Lamar Hinton,âge : 26 ans, arrêté pour agression etextorsion, une condamnation pouragression à main armée, deux ans àChino, libéré sur parole en mars 51.Emploi actuel : installateur de téléphonechez PC Bell – son responsable deconditionnelle le soupçonnait detravailler au noir à installer desdérivations pour des lignes de parisclandestins. Identification sur photos

anthropométriques : Hinton était lemonsieur Muscle de chez Timmy Valburn.

Deux jours, pas d’ouverture pour sortirde l’impasse. Une affaire résolue luigagnerait son ticket de retour aux Stups, etrésoudre cette affaire-ci, ça voulait direValburn et Billy Dieterling commetémoins matériels – deux homos bienplacés qui pourraient très bien tirer lachasse sur sa carrière hollywoodienne.

Deux jours à tourner des pages – toutesles approches, même les plus détournées,avaient été couvertes. Il avait vérifié lesrapports d’enquêtes accessoires ouparallèles, parlé avec les inculpés endétention – de nouvelles négations –personne n’acceptait de reconnaître qu’il

avait acheté les saletés.

Une journée de gâchée ; rien à l’Ad.Mœurs pour le diriger sur d’autres pistes: Stathis, Henderson, Kifka, zéro aurapport, et Millard essayait de co-dirigerle Hibou de Nuit – il n’avait pas la tête àla pornographie.

Deux jours écoulés. Au milieu de lajournée numéro deux, il avait frappé fort– trafic de lignes clandestines et monsieurMuscle.

Pas de numéro de téléphone enregistrépour Fleur de Lis ; un peu de gymnastiquecérébrale et il avait mis un nom sur uneassociation toute personnelle – à savoirla première fois qu’il avait vu la carte devisite.

Tilt :

Veille de Noël 51, juste avant le NoëlSanglant. Sid Hudgens avait organisé uncravatage de fumeurs de joints, lui-mêmeavait agrafé deux camés à herbe et avaittrouvé la carte dans leur piaule, sanspenser à plus.

Sid la Frayeur : « On a tous ses petitssecrets, Jack. »

Il avait malgré tout continué de l’avant,poussé par ce désir souterrain : il voulaitsavoir qui fabriquait les saloperies – etpourquoi. Il s’était pointé au bureau del’emploi de PC Bell, et avait recoupé lesdossiers du personnel avec un descriptifphysique jusqu’à ce qu’il tombe surLamar Hinton – tilt, tilt, tilt, tilt, tilt.

Jack regarda autour de lui dans la sallede brigade – les hommes discutaient tousdu Hibou de Nuit, Hibou de Nuit, Hiboude Nuit… et le Grand V, à la chasse auxbouquins à ne lire que d’une main.

Les photos d’orgie.

Vertige.

En chasse, Jack !

Itinéraire de Hinton : de Gower à LaBrea, de Franklin au HollywoodReservoir. Ses installations de la matinée: Creston Drive, North Ivar. Jack trouvaCreston sur sa carte routière. Collines deHollywood, une route en montée, en cul-de-sac.

Il roula jusque-là et vit le camion du

téléphone, garé près d’une imitation decastel français. Lamar Hinton sur unpoteau, de l’autre côté de la rue, énormeet monstrueux à la lumière du jour.

Jack se gara, inspecta le camion, laporte de chargement grande ouverte.Outils, annuaires, albums de SpadeCooley – pas de sachet marron à l’alluresuspecte. Hinton fixa Jack du regard ;Jack s’avança, plaque de police en avantHinton descendit lourdement le long dupoteau : un mètre quatre-vingt-dix facile,blond, muscles sur muscles.

— Z’êtes de la Conditionnelle ?

— Services de police de Los Angeles.

— Alors ça concerne pas ma

conditionnelle ?

— Non, cela concerne votrecoopération éventuelle afin d’éviter uneviolation de conditionnelle.

— Que faites…

— Votre responsable de conditionnellen’approuve pas vraiment le type deboulot que vous faites, Lamar. Il penseque vous pourriez bien vous mettre àtrafiquer les lignes.

Hinton fit rouler ses muscles : cou,bras, poitrine.

— Fleur de Lis, dit Jack, «Tout ce quevous désirez». Vous ne désirez pas vousretrouver en violation de conditionnelle,vous parlez. Vous ne parlez pas, alors

retour à Chino.

Un dernier roulé de muscles.

— Vous êtes entré dans ma voilure sansautorisation.

— Un vrai petit Einstein. Etmaintenant, il vous reste assez de cervellepour devenir indicateur ?

Hinton bougea ; Jack mit la main surson arme.

— Fleur de Lis. Qui dirige, commentça marche, qu’est-ce que vous fourguez.Dieterling et Valburn. Racontez et jedisparaîtrai de votre existence dans cinqminutes.

Monsieur Muscle se mit à réfléchir à laquestion : son T-shirt se gonfla et se mit à

faire des faux plis. Jack sortit une revuede baise – une photo d’orgie étalée engrand.

— Association de malfaiteurs dans lebut de distribuer du matérielpornographique, possession et vente destupéfiants prohibés. J’en ai assez pour terenvoyer à Chino jusqu’en soixante-dix,bordel ! Alors, est-ce que c’est toi qui asdistribué ces saloperies pour Fleur de Lis?

Hinton laissa pendouiller sa tête.

— Ou… ou… ouais.

— Intelligent, ce petit. Et maintenant,qui les a fabriquées ?

— Je… je… je sais pas. Vraiment,

honnête, juré, je s… sais…

— Qui a posé ?

— Je s… sais pas, j’ai j… juste fait lalivraison.

— Billy Dieterling et Timmy Valburn.Vas-y.

— R… rien que des cl… clients. Despédés, vous savez, ils aiment faire dessoirées entre tantes.

— C’est tout bon, mon garçon, alorsvoici la grande question. Qui…

— Monsieur l’agent, s’il vous plaît,ne…

Jack sortit son 38, l’arma.

— Tu veux prendre le prochain train

pour Chino ?

— N… non.

— Alors réponds-moi.

Hinton se retourna, agrippa le poteau.

— P… Pierce Patchett. C’est lui quidirige l’affaire. C’est… c’est une sorted’homme d’affaires régulier.

— Description, numéro de téléphone,adresse.

— Il peut avoir la cinquantaine à peuprès. Je… je crois qu’il vit à… B…Brentwood et je connais pas son n…numéro pasque ch’uis p… payé par cou…courrier.

— Un peu plus de détails sur Patchett.

Allez.

— II… il fait le mac papa gâteau avecdes filles déguisées et maquillées envedettes de ciné. II… il est riche. Je…j’l’ai rencontré qu’une fois.

— Qui vous a présentés ?

— Ce mec, y s’appelle Ch… Chester,je le voyais souvent à m… m… MuscleBeach.

— Chester qui ?

— Je sais pas.

Hinton : les muscles qui se roulent enboule, bandés comme un arc – Jack se dit,encore quelques secondes à le chauffer etil va craquer.

— Qu’est-ce qu’il fourgue d’autre,Patchett ?

— D… des tas de g… garçons et defilles.

— Et par l’intermédiaire de Fleur deLis ?

— T… tout ce que vous d… désirez.

— À part le côté vente de revues, quoid’autre, plus précisément ?

La gueule plus que la trouille.

— Garçons, filles, gnôle, came, livresde photos, des trucs sado-maso !

— Doucement, doucement. Qui d’autrefait les livraisons ?

— Moi et Chester. Il travaille de jour.

J’aime pas…

— Où habite Chester ?

— Je sais pas !

— Doucement, doucement. Des tas degens avec des tas d’argent utilisent lesservices de Fleur de Lis, exact ?

— E… exact.

Les disques, dans le camion.

— Spade Cooley ? Il est client ?

— N… non, j’ai juste des albumsgratuits pasque je fais la fête avec cemec, Burt Perkins.

— T’es tout à fait du genre à leconnaître, bordel ! Les noms de quelquesclients. Allez !

Hinton s’agrippa au poteau. Chez Jack,l’éclair : si le monstre se retourne, sixballes de 38 ne suffiront pas.

— Travailles-tu ce soir ?

— Ou… oui.

— L’adresse.

— Non… S’il vous plaît.

Jack le passa à la fouille : portefeuille,petite monnaie brillantine, une clé avecbreloque. Il tint la clé en l’air ; Hintoncogna de la tête bam bam bam : du sangsur le poteau.

— L’adresse et je disparais.

Bam – bam : du sang sur le front dumonstre.

— 5261 B Cheramoya.

Jack laissa tomber les merdouillesprises dans les poches.

— Tu ne te montres pas ce soir. Tuappelles ton responsable deconditionnelle et tu lui dis que tu m’asaidé, tu lui dis que tu veux te faireramasser pour une infraction, qu’il temette au frais quelque part. Tu as le nezpropre dans cette affaire, et si j’arrivejusqu’à Patchett, je ferai comme si c’étaitquelqu’un des revues pornos qui m’avaitbalancé le tuyau. Et si jamais tu nettoiesla place, alors, putain, t’es bon pourChino !

— M… mais vous m’… m’avez dit…

Jack courut à sa voiture et écrasa lechampignon. Hinton déchiquetait lepoteau à mains nues.

Pierce Patchett, cinquante balais et desplumes, « une sorte d’homme d’affairesrégulier ».

Jack trouva une cabine et appela lesSommiers et le SCG. Positif : PierceMorehouse Patchett, DDN 30/6/02,Grosse Pointe, Michigan. Pas de casierjudiciaire, 1184 Gretna Green,Brentwood. Trois infractions mineures àla circulation depuis 1931.

Pas grand-chose. Sid Hudgens suivantsur la liste – qu’il aille se faire foutreavec ses soupçons sur le porno. Ligneoccupée, un coup de grelot à Morty

Bendish, au Mirror.

— Bureau de la ville, Bendish.

— Morty, c’est Jack Vincennes.

— Le Grand V ! Jack, quand retournes-tu à la brigade des Stups ? J’ai besoin dequelques bonnes histoires de came.

Morty voulait des trucs choisis.

— Aussitôt que je n’aurai plus sur ledos Russ Millard l’immaculé, et que jelui aurai résolu une affaire. Et toi, tu peuxm’aider.

— Continue à parler, je suis tout ouïe.

— Pierce Patchett. Ça te dit quelquechose ?

— De quoi s’agit-il ? dit Bendish en

poussant un sifflement.

— Je ne peux pas encore te le dire.Mais si ça débouche sur lui, tu asl’exclusivité.

— Tu me tuyauterais avant de tuyauterSid ?

— Ouais. Maintenant, c’est moi quisuis tout ouïe.

Un nouveau sifflement.

— Il n’y a pas grand-chose, mais cequ’il y a, c’est du premier choix. Patchettest un grand mec, beau et élégant, peut-être cinquante balais, mais il en paraîttrente-huit. Il y a peut-être vingt-cinq ansqu’il est installé à L.A. C’est un genred’expert en judo ou jiujitsu, c’est un

chimiste par profession ou alors il a faitdes études de chimie à l’université. Ilvaut une cargaison de biffetons, et je saisqu’il prête de l’argent à des hommesd’affaires à trente pour cent d’intérêt, etavec une participation dans leursentreprises. Je sais que c’est lui qui aavancé le pognon pour financer des tas defilms pardessous la table. Intéressant,hein ? Maintenant, qu’est-ce que tu dis deça : la rumeur veut qu’il lui arrive, detemps à autre, de se renifler de l’héroïneavant d’aller se remettre à sec dans laclinique de Terry Lux. Pour tout dire, enrésumé, il est ce qu’on pourrait avoirenvie d’appeler un drôle de coco plein depouvoir qui tire les ficelles sans être vu.

Terry Lux – chirurgien plastique des

vedettes, patron d’une clinique de remiseà neuf : gnôle, séjour pour camés,avortements, avec ersatz d’héroïnedisponible pour cure de détox – les flicsregardaient de l’autre côté : Terrysoignait les politicards de L.A. à l’œil.

— Morty, c’est tout ce que tu as ?

— Ça te suffit pas ? Écoute, tout ce quej’ai pas, c’est peut-être Sid qui l’a.Appelle-le, mais souviens-toi que j’ail’exclusivité.

Jack raccrocha, appela Sid Hudgens.Sid répondit :

— L’Indiscret. Silence et discrétion.Vite fait, bien fait, ça ne sera pas répété.

— C’est Vincennes.

— Jackie ! Tu as quelques bons tuyauxsur le Hibou de Nuit pour le Sid ?

— Non, mais je garderai les oreillesouvertes.

— Quelques tubes des Stups, alors ? Jeveux sortir un numéro spécial camés surles musiciens de jazz bronzés et lesvedettes de cinéma, et peut-être faire lerapport avec les cocos. Tout ce tintouinsur les Rozenberg, ça fait bouillir lepublic, ils cavalent comme s’ils avaientun thermomètre dans le cul. Ça te plaît ?

— C’est mignon. Sid, as-tu entenduparler d’un homme du nom de PiercePatchett ?

Silence. Les secondes qui s’égrenaient

se faisaient longues. Du Sid craché,beaucoup trop craché.

— Jackie, tout ce que je sais sur lebonhomme, c’est qu’il est très riche, et ceque j’appellerais «jour et nuit». Il est paspédé, il est pas coco, y connaît personneque je pourrais utiliser dans ma quêtepour quelques ragots de premièregrandeur. Où as-tu entendu parler de lui ?

Il racontait des craques – ça se sentait.

— Par un fourgueur de livres de cul.

Craquements d’électricité statique – larespiration qui saute, une bouffée d’airtrop rapide.

— Jack, le porno, c’est de la crotte etc’est crade, c’est rien que pour les

coincés de la braguette qui sont pascapables de tirer leur crampe. Laisse çaet écris-moi quand tu auras trouvé duboulot, pigé ?

Il raccroche – bang ! – comme uneporte qui claque et vous coupebrutalement de tout ; une dernièreréplique qui ne se recoupe avec rien. Jackprit la route du Bureau, avec, gravé sur laporte qui venait de se refermer, MALIBURENDEZ-VOUS.

Les cellules de l’Ad. Mœurs étaientvides, seuls Millard et Thad Greenconféraient mystérieusement près desvestiaires. Jack consulta le tableaud’affectations – toujours pas de nouvellespistes – et fit le détour jusqu’à la salleaux fournitures, illico-presto. Pas de

verrou mis – facile de faire sauter leloquet. À l’affût : les huiles discutaient duHibou de Nuit.

— Russ, je sais que tu es partant. MaisParker veut Dudley.

— Il démarre trop vite quand il s’agitde Nègres, Chef. Nous le savons, l’uncomme l’autre.

— Tu ne m’appelles «chef » quelorsque tu veux quelque chose, capitaine.

Millard éclata de rire.

— Thad, les hommes du génie ontretrouvé à Griffith Park des douilles quicorrespondent, et j’ai entendu dire que laSoixante-dix-septième Rue avait mis lamain sur les portefeuilles et les sacs à

main. Est-ce que c’est vrai ?

— Oui, il y a une heure de ça, dans unégout. Pleins de sang coagulé, toutes lesempreintes effacées. Mêmes groupessanguins que ceux des victimes, d’aprèsle SIS. C’est les mecs de couleur, Russ,je le sais.

— Je ne pense pas que ce soit ceux quisont en détention. Tu les vois partir aprèsune séance de viol dans le quartier sud,puis emmener la fille en balade pour queleurs copains abusent d’elle, et ensuite,refaire tout le trajet jusqu’à Hollywoodpour faire leur coup au Hibou de Nuit ?Avec deux d’entre eux qui planent bienhaut à cause de tous les barbituriquesavalés ?

— Ça fait un bout de chemin, jel’admets. Il faut cravater le deuxièmegroupe de violeurs et obliger Inez Soto àparler. Jusqu’ici elle a refusé. Mais EdExley la travaille de près, et Ed Exley esttrès doué.

— Thad, je ne mettrai pas mon orgueilpersonnel dans la balance. Je suiscapitaine, Dudley est lieutenant. Nouspartagerons le commandement.

— Ton cœur me tracasse.

— Une crise cardiaque vieille de cinqans ne fait pas de moi un infirme.

Green se mit à rire.

— J’en parlerai à Parker. Seigneur, toiet Dudley… quelle belle paire !

Jack avait trouvé ce qu’il cherchait : unmouchard téléphonique portatif, avecécouteur et magnéto. Il l’emporta vite faitpar une porte latérale ; pas de témoins.

Au crépuscule, Cheramoya Avenue,Hollywood, à un bloc de Franklin. 5621 :un bâtiment Tudor, quatre appartements,deux crèches au premier, deux au rez-de-chaussée. Pas de lumières – trop tardprobablement pour choper «Chester»,l’homme de jour. Jack appuya sur levibreur marqué B – pas de réaction.L’oreille collée à la porte, à l’écoute –pas de bruits réguliers. La clé dans laserrure.

Gros lot : un regard lui confirme queHinton a joué le jeu réglo – pas de

nettoyage. Une putain d’Utopie pourpervers – du sol au plafond, des étagèresbourrées à craquer de petites gâteries.

Marie-jeanne : en feuilles, enbourgeons premier choix. Pilules –bennies, panaché de barbitos : diablesrouges, jaunes, paradis bleu. Came sousnoms de marques, laudanum, mélanges àbase de codéine, des noms de fabriquepour attirer l’œil : «Rêve en Scope»,«Soleil de Hollywood», «Lune de Mars».Absinthe, alcool pur en pintes, bouteilles,magnums, éther, pilules d’hormones.Enveloppes : cocaïne, héroïne. Bobinesde films, titres de cul : M. Grosse Pine,Amour anal, Baise de groupe, Violeur delycéennes, Viol-Club, Vierge qui suce,Passion Nègre, Baise-Moi ce soir, Susie

et son petit trou à délices, Garçonsd’amour. On tronche au vestiaire,Sucettes jusqu’à plus soif, Jésus enfile lepape, Le Paradis des suceurs de pines,Les Empaffeurs rencontrent les béliers,Rex Rottweiler le Rondin. Vieuxbouquins de cul, sortis de TJ : desfemmes en train de téter des pines, desgarçons qui sucent des garçons, grosplans sur des culs en défonce. Un peupoussiéreux – rien de ce qu’il cherchait ;des espaces vides le long des étagères,peut-être que le bon porno, son porno àlui, se trouvait empilé là. À qui lechapeau ? Lamar, qui a nettoyé ça enparticulier ? Pourquoi ? Le reste desmerdes qu’il y avait là suffisait à vouscoller en taule jusqu’à l’an 2 000. Des

photos – du genre clichés d’espion – desvedettes de cinéma, des vraies,complètement à poil. Lupe Velez, GaryCooper, Johnny Weismuller, CaroleLandis, Clark Gable, Tallulah Bankead entrain de bouffer de la chatte, des cadavresen position de 69 sur des paillasses demorgue. Une photo couleur : JoanCrawford et un figurant du nom de O.K.Freddy, originaire de Samoa et réputépour être bien monté, en train de baiser.Godemichés, colliers à chien, chaînes,fouets, capsules de nitrite d’amyle,culottes, soutiens-gorge, anneaux de pine,cathéters, lavements, escarpins de lézardnoir à talons de douze centimètres, et unmannequin de femme recouvert d’unetoile – plaques de placo, lèvres en

caoutchouc, toison pubienne collée, et lacramouille fabriquée à partir d’un tuyaud’arrosage.

Jack trouva la salle de bains et pissa uncoup. Un miroir lui renvoya son image,vieillie, étrange. Il se mit au travail etbrancha un magnéto sur le téléphone ;puis il feuilleta les vieilles revuespornos.

Matériel bon marché, probablement defabrication mex : coiffures d’espingos surdes modèles maigres et camés. Vertiges :il se sentit la tête tourner, comme aprèsune bonne dose de came. Toute cetteschnouff, sur les étagères, le faisait baver; il se mit à coller Karen au milieu desphotos. Il arpenta la pièce, fit résonner un

vide sous ses pieds, souleva le tapis.Gros lot sur une mignonne petite planquebien cachée : en sous-sol, avec desmarches qui s’enfonçaient dans un espacenoir et vide.

Le téléphone sonna.

Jack enclencha l’écoute et décrocha :

— Salut. Tout ce que vous désirez –Imitation de Lamar Hinton.

Clic, on raccroche, il n’aurait pas dûutiliser le slogan. Une demi-heures’écoula – le téléphone sonna.

— Salut, c’est Lamar – L’air de rien.

Une pause, clic.

Des clopes à la chaîne – la gorge qui

brûle. Le téléphone sonna.

Essaie de marmonner.

— Ouais ?

— Salut, c’est Seth, à Bel-Air. Ça tedirait de nous amener quelque chose ?

— Bien sûr.

— Disons une cruche de jus de ver.Fais-ça vite et tu te feras un jolipourboire.

— Euh… redonnez-moi l’adresse siouplaît, v’ voulez bien ?

— Qui pourrait oublier une crèchecomme la mienne ? C’est au 941Roscomere ; et ne traîne pas en route.

Jack raccrocha. Dring dring à nouveau.

— Ouais ?

— Lamar, dis à Pierce que j’ai besoinde… Lamar, est-ce que c’est toi, mongarçon ?

SID HUDGENS !

— Lamar – un tremblement dans lavoix.

— Euh, ouais. Qui c’est ?

Clic.

Jack appuya sur «replay». Hudgensparla. Petit à petit, Jack comprit.

SID CONNAISSAIT PATCHETT, SIDCONNAISSAIT LAMAR, SID CONNAISSAIT LERACKET FLEUR DE LIS.

Le téléphone sonna – Jack l’ignora.Taille-la-Ville – une main sur le magnéto,

essuyer le combiné, essuyer toutes lessaloperies qu’il avait touchées. Directionla porte, la nausée aux lèvres – l’air de lanuit lui mit les nerfs à vif.

Il entendit une voiture vrombir.

Un premier coup abattit la fenêtre defaçade ; deux autres balles s’écrasèrentsur la porte.

Jack dégaina et fit feu – la voiture quise taille, tous feux éteints.

Maladroit ! Deux balles frappèrent unarbre et firent gicler le bois. Encore troiscoups, ratés, la voiture qui s’éloigne enzigzags. Des portes qui s’ouvrent – destémoins.

Jack prit sa bagnole – dérapage, fiasco

sur toute la ligne, tous feux éteints jusqu’àFranklin et son flot de voitures.Impossible de cadrer la bagnole destireurs ; trop sombre, feux éteints, toutesles voitures autour de lui se ressemblaient: élancées, luisantes, ne cadrant pas. Unecigarette le fit ralentir. Il se dirigea toutdroit à l’ouest, vers Bel-Air.

Roscomere Road : toute en lacets, uneroute en côte, des résidences bordées depalmiers. Jack trouva le 941 et se rangeadans l’allée.

Allée en demi-cercle, avec au centreune grosse maison pseudo-espagnole, deplain-pied et toit bas d’ardoises. Desvoitures à la queue leu leu – une Jag, unePackard, deux Caddies, une Rolls. Jack

sortit – personne ne lui sauta sur lecolback. Il se plia en deux et releva lesnuméros des plaques.

Cinq voitures : de la tire de classe, pasde paquets Fleur de Lis sur les siègesmoelleux et sélects. La maison : fenêtresilluminées, tourbillons de rideaux desoie. Jack remonta l’allée et jeta un œil.

Il sut qu’il n’oublierait jamais lesfemmes.

Une, presque Rita Hayworth à laGilda. Une, presque Ava Gardner en robedu soir vert émeraude. Un sosie de BettyGrable – maillot de bain à paillettes, basà résille. Des hommes en smokingvenaient se mélanger – de vieux débris endécor de fond. Il n’arrivait pas à détacher

ses regards des femmes.

Illusion étonnante. Hinton à propos dePatchett : « Il fait le mec papa gâteauavec des filles déguisées et maquillées envedettes de cinéma ». « Maquillées » neleur enlevait rien, c’était là des femmeschoisies, cultivées, mises en valeur parun expert. Étonnant.

Veronica Lake traversa la lumière. Sonvisage n’était pas aussi ressemblant, maison sentait couler en elle toute la grâced’un félin. Les hommes de fond de décorvinrent s’agglutiner autour d’elle.

Jack se colla plus avant contre la vitre.Vertiges. Les photos de cul, ces femmesen chair et en os ; Sid, cette porte qui sereclaque, qui se ferme, cette petite

phrase…

Il rentra à la maison. La tête lui tournaitde plus en plus : à cran, rageur, énervé,excité. Il trouva une carte de l’Indiscretsur sa porte, avec, au bas, écrit à l’encre,«Malibu Rendez-Vous».

Il vit les titres sur cinq colonnes :LE CROISÉ DE LA CAME EN PLEINE

DÉFONCE

ABAT DES CITOYENS INNOCENTS !

UNE CÉLÉBRITÉ DE LA POLICE

INCULPÉE POUR MEURTRES !

LA CHAMBRE À GAZ

POUR LE CÉLÈBRE GRAND V !

SA JEUNE ET RICHE PETITE AMIE

LUI FAIT SES ADIEUX

DANS LE COULOIR DE LA MORT !

26

Une entrée bras dessus bras dessous –Inez dans sa plus belle robe, voilée pourcacher ses contusions. Ed avait sorti soninsigne – ils purent ainsi éviter lesjournalistes. Le personnel en chargealignait les invités sur plusieurs rangs –Dream-a-Dreamland était ouvert aupublic.

Inez était sidérée ; son souffle courtgonflait sa voilette. Ed regardait, au-dessus, en dessous, autour de lui – tout luirappelait son père, jusqu’au plus petitdétail.

Une allée promenade superbe – Grand

Rue, USA, 1920 –, fontaines à limonade,bastringues à cinq sous, figurants dansants: le flic sur sa ronde, un vendeur dejournaux jonglant avec des pommes, desingénues dans un pas de charleston. Lefleuve Amazone : crocodiles à moteur,barques d’excursion pour la jungle.Montagnes à dôme neigeux ; vendeurs à lasauvette proposant des casquettes àoreilles de souris. Le monorail deMoochie Mouse, des îles tropicales – deshectares et des hectares de magie.

Ils prirent le monorail – premièrevoilure, premier trajet. À toute vitesse, onse retourne, on remonte sur la droite –Inez défit sa ceinture en gloussant. Letoboggan du Monde de Paul ; déjeuner :hot-dogs, cônes de neige, boulettes de

fromage Moochie Mouse.

En avant pour l’»Idylle du Désert»,«Danny et sa Maison de Jeux», uneexposition sur les voyages dans l’espace.Inez semblait se fatiguer, gorgéed’excitation. Ed bâilla – sa courte nuit dela veille se faisait sentir.

Une plainte tardive était tombée auposte : fusillade sur Cheramoya,responsables en fuite. Il avait dû serendre sur les lieux : un immeubled’appartements, le rez-de-chaussée cribléd’impacts de balle. Bizarre : douilles de38 et de 45 récupérées sur les lieux, unsalon couvert de rayonnagescomplètement vides, à l’exception d’unattirail de sado-masochiste, et pas de

téléphone. Impossible de remonterjusqu’au propriétaire de l’immeuble : legérant déclarait qu’on le réglait parcourrier, en bons de caisse ; il avait unepiaule à l’œil et un billet de cent parmois, alors il était content et ne posait pasde questions – il était même incapable demettre un nom sur un seul des locatairesde la crèche. L’état de l’appartementindiquait un nettoyage par le vide vite fait– mais personne n’avait rien vu. Quatreheures à rédiger le rapport – quatreheures volées au Hibou de Nuit.

L’exposition était d’un ennui mortel –petite concession à la «culture». Inezindiqua les toilettes. Ed sortit.

Sur l’allée promenade, circuit organisé

pour les VIP, Timmy Valburnchaperonnait les grosses légumes. Lapremière page du Herald lui sauta à lafigure : DREAM-A-DREAMLAND, LE HIBOUDE NUIT, comme si rien d’autre n’avaitd’importance.

Il avait essayé de réinterroger Coates,Jones et Fontaine, ils ne lui avaient paslâché une seule parole. Des témoinsoculaires avaient répondu à l’appel pouridentification des tirailleurs de GriffithPark, ils avaient été incapables dereconnaître les trois détenus. Ils disaientqu’ils « n’arrivaient pas à être tout à faitsûrs ». Les vérifications des véhiculesavaient été étendues aux Ford et Chevy48-50 – rien de brûlant pour l’instant.Grosses manœuvres d’influence pour le

commandement de l’affaire : le chefParker soutenait Dudley Smith, ThadGreen poussait Russ Millard en avant.Fusils introuvables, pas la moindre tracede la Merc de Sugar Ray. Lesportefeuilles et sacs à main des victimesavaient été retrouvés dans un égout, àquelques blocs de l’hôtel Tevere –combiner ça avec les douilles retrouvéesà Griffith Park et qui correspondaient, eton obtenait ce que les journaux nesignalaient pas : Ellis Loew en train deforcer la main à Parker pour que cedernier lui force la main, à lui, Ed : «Pour l’instant, nous ne disposons que depreuves indirectes, alors débrouillez-vous pour que votre protégé Exleycontinue à travailler cette Mexicaine. On

dirait qu’il réussit à entrer dans ses petitspapiers, faites en sorte qu’il laconvainque de participer à une séanced’interrogatoire sous sodium Penthotal,qu’on se trouve quelques bons petitsdétails bien juteux côté «petit Lindbergh»,et qu’on cadre en temps réel une fois pourtoutes les événements du Hibou de Nuit. »

Inez s’assit à côté de lui. Devant eux,un beau paysage : l’Amazone, desmontagnes de plâtre.

— Vous allez bien ? dit Ed. Voulez-vous rentrer ?

— Ce que je voudrais, c’est unecigarette, alors que je ne fume même pas.

— Alors ne commencez pas. Inez…

— Oui, j’irai dans votre chalet.

Ed sourit.

— Quand avez-vous pris cette décision?

Inez remonta son voile sous sonchapeau.

— J’ai vu un journal dans la salle debains ; Ellis Loew jubilait à mon propos.Il avait l’air heureux, alors je me suis ditque j’allais reprendre mes distances.Vous savez, je ne vous ai jamais remerciépour le chapeau.

— Ce n’est pas la peine.

— Si, j’y tiens, parce que je suisnaturellement mal embouchée quand ils’agit d’anglos qui me traitent avec

gentillesse.

— Si vous attendez une belle répliquede chute, il n’y en aura pas.

— Si, il y en a une. Et trèsofficiellement, une nouvelle fois : je nevous dirai rien, je refuserai de regarderles photos, et je ne témoignerai pas.

— Inez, j’ai déposé unerecommandation demandant qu’on vouslaisse vous reposer pour le moment.

— « Pour le moment», c’est une bellechute ; l’autre chute à l’histoire, c’est quevous en pincez pour moi, ce qui n’est pasun problème, parce qu’il m’est déjàarrivé en mon temps d’avoir meilleurefigure et qu’il n’y a pas un Mexicain qui

voudrait d’une fille mexicaine qui s’estfait violer à la file par une bande deputasses négros, même si je n’ai jamaiseu de faible pour les Mexicains, de toutesfaçons. Vous savez ce qui me fiche latrouille, Exley ?

— Je vous l’ai déjà dit, c’est Ed.

Inez leva les yeux au ciel.

— J’ai un taré de frère qui s’appelleEduardo, alors je vous appellerai Exley.Vous savez ce qui me fiche la trouille ?Ce qui me fiche la trouille, c’est que jeme sens bien aujourd’hui parce que cetendroit ressemble à un rêve merveilleux ;mais je sais qu’inévitablement, les chosesvont redevenir réellement atroces parceque ce qui est arrivé a cent fois plus de

réalité que tout ceci. Vous comprenez ?

— Je comprends. Pour le moment,cependant, vous devriez essayer de mefaire confiance.

— Je n’ai pas confiance en vous,Exley. Pas «pour le moment», peut-êtremême jamais.

— Je suis le seul en qui vous puissiezavoir confiance.

Inez fit retomber son voile.

— Je n’ai pas confiance en vous parceque vous ne les haïssez pas pour ce qu’ilsont fait. Peut-être le croyez-vous, maisvous servez votre propre carrière dans lemême temps. L’officier White, lui, il leshait. Il a tué un homme qui m’avait fait du

mal. Il n’est pas aussi brillant que vous,alors je peux peut-être lui faire confiance.

Ed tendit la main. Inez esquiva.

— Je veux les voir morts.Absolutamente muerto. Comprende ?

— Je comprende. Et comprende-vousque votre bien-aimé officier White n’estqu’une satanée bon Dieu de brute ?

— Seulement si vous comprende quevous êtes jaloux de lui. Regardez, ohSeigneur !

Ray Dieterling et son père. Ed se leva ;Inez se leva, des étoiles dans les yeux.

— Raymond Dieterling, mon filsEdmund, dit Preston. Edmund, veux-tunous présenter cette jeune dame ?

Inez, directement à Dieterling :

— Monsieur, c’est un plaisir de vousrencontrer. Je suis… oh, je suissimplement une de vos grandes fans…

Dieterling lui serra la main.

— Merci, ma chère. Et votre nom ?

— Inez Soto. J’ai vu… oh, je suissimplement une de vos grandes fans.

Dieterling sourit. Un sourire triste,l’histoire de la fille faisait la une de tousles journaux. Il se tourna vers Ed : —Sergent, c’est un plaisir.

Une bonne poignée de mains.

— Monsieur, c’est un honneur. Et mesfélicitations.

— Je vous remercie, et je partage cesfélicitations avec votre père. Preston, tonfils a l’œil, pour les dames, qu’en dis-tu ?

Preston se mit à rire.

— Mlle Soto, Edmund a rarement faitpreuve d’autant de goût.

Il tendit à Ed un morceau de papier.

— Un agent du shérif a appelé à lamaison. Il te cherchait. J’ai pris lemessage.

Ed empocha le papier. Inez rougit autravers de son voile. Dieterling sourit.

— Mlle Soto, avez-vous appréciéDream-a-Dreamland ?

— Oui. Oh, Seigneur, oui !

— J’en suis heureux, et je veux quevous sachiez qu’un bon travail vousattend ici quand vous le désirez. Tout ceque vous avez à faire est de dire oui !

— Merci, merci, monsieur.

Inez toute chancelante. Ed la soutint etregarda son message : «Stensland enbamboche au Raincheck Room, 3871West Gage ; rassemblement de criminels,resp. de conditionnelle alerté, vousattendons.»

Keefer.

Les deux associés s’éloignèrent aprèsune révérence ; Inez leur fit signe de lamain.

— Je vous ramène, dit Ed, mais j’ai un

petit détour à faire en premier.

Ils retournèrent à L.A. ; la radiomarchait et Inez rythmait la mesure sur letableau de bord. Ed se faisait son cinéma: Stensland écrasé, démoli, en quelquesrépliques à l’emporte-pièce bien senties.Une heure jusqu’au Raincheck Room. Edse gara derrière une banalisée du shérif.

— Je n’en ai que pour quelquesminutes. Vous restez ici, d’accord ?

Inez acquiesça. Pat Keefer quitta le bar; Ed sortit de la voiture et siffla.

Keefer s’approcha ; Ed l’éloignad’Inez.

— Est-il toujours là ?

— Ouais, beurré comme un coing.

J’étais sur le point de tout abandonner, jene vous attendais plus, vous savez.

Une allée sombre près du bar.

— Où est l’homme de laConditionnelle ?

— Il m’a dit de l’embarquer, noussommes sur la juridiction du comté. Sespotes sont partis, il ne reste plus que lui.

Ed montra l’allée.

— Sortez-le avec les menottes.

Keefer retourna à l’intérieur ; Edattendit près de la porte qui donnait surl’allée. Des cris, des bruits sourds, DickStens sorti de force, à la dure : puant,complètement débraillé. Keefer lui tira latête en arrière ; Ed se mit à le frapper

jusqu’à ce que ses bras n’en puissentplus. Stens s’écroula au sol avec deshaut-le-cœur ; Ed lui donna un coup depied dans la figure et s’éloigna. Inez avaitvu.

— C’est l’officier White, la brute ?dit-elle.

27

Bud offrit du café à la femme : qu’elles’en aille, et qu’il aille voir Stens auplacard.

Carolyn quelque chose. Elle avait l’airpas mal, à l’Orbit Lounge, mais lalumière du matin lui rajoutait dix ans. Ill’avait levée sur le coup, en un éclair : ilvenait d’apprendre, au sujet de Dick ; s’iln’arrivait pas à se trouver une femme,c’est Exley qu’il allait trouver pour letuer. Elle n’avait pas été mal au lit – maisil avait été obligé de penser à Inez pourse remonter d’un peu d’enthousiasme – ils’était senti minable, il y avait une chance

sur un milliard qu’Inez accepte jamais defaire ça par amour. Il avait cessé depenser à elle – le reste de la nuit s’étaitpassé en baratin minable et brandy.

— Je crois que je devrais y aller, ditCarolyn.

— Je te passerai un coup de fil.

La sonnette retentit.

Bud raccompagna Carolyn à la porte.De l’autre côté de la moustiquaire :Dudley Smith et un inspecteur de WestValley, Joe Di Cenzo.

Dudley sourit, Di Cenzo eut unhochement de tête. Carolyn s’esquiva –comme si elle savait ce qu’il en était. Budcadra la pièce de devant : canapé déplié,

une bouteille, deux verres.

Di Cenzo indiqua le lit du doigt :

— Voici son alibi, et de toutes façons,je ne pensais pas que c’était lui qui avaitfait ça.

Bud referma la porte.

— Fait quoi ? Patron, qu’est-ce que çaveut dire ?

Dudley soupira.

— Mon gars, je crains d’être le porteurde mauvaises nouvelles. La nuit dernière,une jeune gamine du nom de KathyJaneway a été découverte dans sachambre d’hôtel, violée et battue à mort.On a retrouvé ta carte dans son sac. C’estle sergent Di Cenzo qui a été le premier

sur les lieux, il savait que tu étais un demes protégés et il m’a appelé. Je me suisrendu sur les lieux du crime, et j’ai trouvéune enveloppe adressée à Mlle Janeway ;j’ai immédiatement reconnu ton écritureplutôt informe. Explique-toi avecconcision, mon gars, le sergent Di Cenzodirige l’enquête et il veut te voir éliminécomme suspect.

Coup au corps – la petite Kathy entrain de sangloter. Bud aligna sesmensonges, très direct : — Je travaillaissur les antécédents de Cathcart et une desracoleuses qui travaillaient pour Cathcartm’a dit que la môme Janeway était ladernière poulette en date de Cathcart,mais qu’il ne la maquait pas. J’ai parlé àla môme, mais elle ne savait rien qui

valait la peine d’être mis au rapport. Ellem’a dit que la racoleuse gardait pour elledu liquide qui venait de Cathcart, maisqu’elle ne voulait pas lâcher le paquet. Jelui ai secoué les puces et j’ai portél’argent à la môme.

Di Cenzo secoua la tête.

— C’est dans vos habitudes de secouerles racoleuses ?

Dudley soupira.

— Bud est un sentimental et un faiblequand il s’agit de personnes du sexe, et jetrouve son compte rendu plausible dansles limites de la limite en question. Mongars, qui était cette «racoleuse» que tu asmentionnée ?

— Cindy Benavides, alias «Cindy laPécheresse».

— Mon gars, tu n’as jamais fait lemoindre état de cette personne dans aucundes rapports que tu as rendus. Lesquelsont été plutôt réduits à leur plus simpleexpression, oserais-je ajouter.

Mensonges : pas un mot sur le porno,la fouille de la crèche Cathcart, le macqui avait vendu Kathy à Duke.

— Je ne pensais pas que c’étaitimportant.

— Mon gars, c’est un témoinaccessoire du Hibou de Nuit. Et ne t’ai-jepas enseigné à être minutieux dans tesrapports ?

Une vraie furie maintenant – avecKathy sur une paillasse de la morgue.

— Si, vous me l’avez appris.

— Et plus précisément, qu’as-tuaccompli depuis celle entrevue à dînerque nous avons eue – au cours de laquelletu aurais dû me signaler l’existence deMlle Janeway et de Mlle Benavides ?

— Je suis toujours en train de vérifierles RC de Lunceford et Cathcart.

— Mon gars, les relations connues deLunceford n’ont strictement rien à voiravec cette enquête. As-tu appris autrechose sur Cathcart ?

— Non.

De Dudley à Di Cenzo :

— Mon gars, es-tu convaincu que Budne soit pas ton homme ?

Di Cenzo sortit un cigare.

— Je suis convaincu. Et je suis aussiconvaincu qu’il n’est pas le plusintelligent des êtres humains à respirersur cette terre. White, balancez-moi unpetit os à ronger. Que pensez-vous de lafille ?

La berline rouge, le motel, Cahuenga.

— Je ne sais pas.

— Réponse succincte. Joe, veux-tubien me laisser quelques minutes seul àseul avec mon ami, si cela ne te dérangepas ?

Di Cenzo sortit, tirant sur son cigare ;

Dudley s’appuya contre la porte.

— Mon gars, tu ne peux pas tepermettre de secouer les prostituées pourde l’argent, afin de régler de jeunesmaîtresses qui ne sont pas en âge. Jecomprends ton attachement sentimentalaux femmes, et je sais que c’est là unecomposante essentielle de ta persona depolicier, mais il est impossible de tolérerune implication personnelle aussipoussée. Aussi donc, dès cet instant, tu esrelevé des enquêtes sur Cathcart etLunceford et tu retournes t’occuper ducôté Nègreville de l’affaire. Le chefParker et moi-même sommes convaincusque les trois Nègres détenus sont noscoupables, ou, à tout le moins, qu’un autregroupe de mal blanchis est responsable.

Nous n’avons toujours pas les armes ducrime, pas le moindre indice sur lavoiture de Coates, et Ellis Loew désiredes preuves supplémentaires pour uneprésentation devant le Grand Jury. Notredouce et belle Mlle Soto se refuse àparler, et je crains qu’il ne nous faillefaire pression sur elle pour qu’elleaccepte de prendre du Penthotal etd’endurer une séance d’interrogatoire.Ton travail consiste à vérifier lesdossiers et à interroger les obsédéssexuels nègres. Nous avons besoin deretrouver les hommes que nos troishérétiques ont laissé abuser de Mlle Soto,et je pense que le travail est tout à faitdans tes cordes. Veux-tu faire cela pourmoi ?

Des grands mots – et d’autres coups aucorps.

— Bien sûr, Dud.

— Bien, mon gars. Tu prends tonservice au poste de la Soixante-dix-septième Rue et tu me fais des rapportsplus détaillés.

— Bien sûr, patron.

Smith ouvrit la porte.

— Je t’ai soumis à cette réprimandeavec beaucoup d’affection, mon gars. Lesais-tu ?

— Bien sûr.

— Splendide ! Tu occupes nombre demes pensées, mon gars. Le chef Parker

m’a donné son approbation sur unenouvelle mesure de contention du crime,et j’ai déjà engagé Dick Carlisle et MikeBreuning. Une fois que nous aurons misun terme au Hibou de Nuit, je vais tedemander de te joindre à nous.

— Ça me paraît bien, patron.

— Splendide ! Et ? mon gars ? Je suissûr que tu sais que Dick Stensland a étéarrêté et qu’Ed Exley a une part deresponsabilité dans l’arrestation. Jet’interdis d’exercer des représailles. Est-ce que tu comprends ?

La berline rouge, appelons ça un peut-être.

La crèche de Cathcart, retournée de

fond en comble, nettoyée, essuyée, sesvêtements passés à la fouille ?????

Cindy la Pécheresse : le rêve foireuxde Duke, fourgueur de camelote porno.

Feather Royko sur Duke : «Complètement remonté sur un nouveauplan. »

Le mec imitation Dukey qui essayait derecruter des filles, catégorie «B».Passage et vérif’ à l’Ad. Mœurs : zéro surl’histoire du porno de leur côté. Jack V. laPoubelle, champion du rapport gonflé,avait demandé un transfert d’affectationau Hibou de Nuit – en disant que leboulot était dégueulasse. Dernier résuméde Russ Millard, OC : tintin pour ceboulot-là – ça ne prend pas avec moi.

Il avait menti à Dudley et c’était passéà l’as.

S’il avait craché le morceau sur lapetite Kathy aux Mineurs, elle serait entrain de lire une revue de films dans uncoin.

LE MAC QUI L’AVAIT VENDUE AU DUKE : «CE MEC M’OBLIGEAIT À LE FAIRE AVECD’AUTRES MECS. »

EXLEY EXLEY EXLEY EXLEY EXLEY EXLEYEXLEY…

La collante de Cindy la Pécheresse –une liste de quatre bars à putes où elletraînait ses guêtres. D’abord sa piaule –pas de Cindy. Le Nid de Hal, LeMoonmist Lounge, La Luciole, LeCinnabar du Roosevelt – pas de Cindy.Souvenir d’un vieux flic des Mœurs : les

putains se rassemblaient au drive in deTiny Taylor – les patineuses leurrepéraient leurs michés. Direction chezTiny : la De Soto de Cindy de sortie – là-dehors, avec un plateau-repas accroché àla portière.

Bud se gara à côté d’elle. Cindyl’aperçut, vira son plateau, remonta savitre. Whamm ! La De Soto en marchearrière. Bud sprinta, fit sauter le capot,arracha le distributeur – la voiture cala,moteur éteint.

Cindy descendit sa vitre :

— Vous avez volé mon argent ! Vousm’avez gâché mon déjeuner !

Bud laissa tomber une thune sur ses

genoux.

— Le déjeuner, c’est moi qui régale.

— Monsieur l’important ! Monsieur leGrand Seigneur !

— Kathy Janeway s’est fait violer etbattre à mort. Accouche sur le mec qui lamaquait, accouche sur ses michés.

Cindy posa la tête sur le volant. Leklaxon retentit ; elle se redressa, pâle,sans larmes.

— Dwight Gilette. C’est un genre demec de couleur, qui pourrait passer pourblanc. Je ne sais rien de ses anciensmichés.

— Gilette conduit une voiture rouge ?

— Je ne sais pas.

— T’as une adresse ?

— J’ai entendu dire qu’il vit dans unlotissement, dans le coin d’Eagle Rock.C’est Blancs seulement, alors il joue lejeu comme Blanc. Mais je sais qu’il nel’a pas tuée.

— Comment es-tu sûre ?

— C’est une tapette. Il prend grandsoin de ses mains, et jamais il n’enfileraitle bout dans une fille.

— Quoi d’autre ?

— Il porte un couteau. Ses fillesl’appellent «Lame Bleue» pasque sonnom, c’est Gilette.

— Tu n’as pas l’air surprise que Kathyse soit fait allonger de cette façon ?

Cindy se toucha les yeux – secs commela pierre.

— Elle est née pour ça. Dukey l’avaitramollie, et elle a arrêté de haïr les mecs.Encore quelques années et elle auraitcompris. Merde, j’aurais dû mieux latraiter.

— Ouais. Moi aussi.

Eagle Rock, vérification aux Sommiers: Dwight Gilette, alias «Lame», alias«Lame Bleue», 3245 Hibiscus, ensembleimmobilier d’Eagle Aerie. Sixarrestations pour incitation à la débauche; pas de condamnation, enregistré comme

de race blanche, sexe masculin ; si c’étaitun bronzé, il passait la barrière avecclasse. Bud trouva le lotissement, la rue,des cubes confortables en stuc. Hibiscus,dessus du panier : un point de vue surL.A. la brumeuse.

3245 : peinture abricot, flamants enacier sur la pelouse, une berline bleuedans l’allée. Bud remonta jusqu’à laporte, appuya sur la sonnette : tintementde carillons et clochettes.

Un mulâtre vint ouvrir. La trentaine,petit, dodu, pantalons et chemise de soieavec col à la Mr B. : — J’ai entendu laradio, alors j’ai pensé que vous pourriezbien venir faire un saut par ici. La radio adit minuit, et j’ai un alibi. Il habite à un

bloc d’ici et je peux le faire venir tootsweet. Kathy était une gentille môme et jene sais pas qui ferait une chose commeça. Et d’habitude, est-ce que vous nevenez pas à deux, chez les gens ?

— Z’avez fini ?

— Non. Mon alibi, c’est mon avocat, ilhabite toujours à un bloc d’ici, et il esttrès bien placé dans l’Associationaméricaine pour les libertés civiques.

Bud le repoussa dans la maison d’uncoup d’épaule, et sifflota.

Le paradis de la chouchoute : tapisépais, statues de dieux grecs. Nusmasculins sur le mur, peints sur fond develours floqué.

— Mignon, dit Bud.

Gilette montra le téléphone.

— Deux secondes, sinon j’appelle monavocat.

Sans prévenir, vite et direct :

— Duke Cathcart. Tu lui as venduKathy, exact ?

— Kathy était obstinée, Duke m’a faitune offre. Duke est mort au cours de cettechose abominable, le Hibou de Nuit ;alors ne me dites pas que vous mesoupçonnez de ça.

Pas de soupçon.

— J’ai entendu dire que Duke fourguaitdes livres obscènes. T’as entendu parler

de ça ?

— Les livres obscènes, c’est déclassé,et la réponse est non.

Toujours pareil. Pas de soupçon.

— Donne-moi quelques tuyauxboutique sur Duke. Qu’as-tu entendu ?

Gilette se posa, la hanche arquée :

— J’ai entendu dire qu’un mec posaitdes questions sur Duke, tout à fait lui,Duke craché ; peut-être qu’il pensait luifaucher son écurie, encore qu’il ne luirestait pas grand-chose comme écurie, àce que j’ai entendu dire. Maintenant,voulez-vous, je vous prie, me laissertranquille avant que j’appelle mon ami ?

Le téléphone sonna. Gilette alla

jusqu’à la cuisine et décrocha le combiné.Bud entra lentement. Bel équipement :Frigidaire, cuisinière à plaquesélectriques à plein régime : œufs, eaubouillante, ragoût.

Gilette fit des bruits de baiser dansl’appareil et raccrocha.

— Vous êtes toujours là ?

— Jolie crèche, Dwight. Les affairesmarchent bien.

— Les affaires sont excellentes, mercibeaucoup.

— Bien. J’ai besoin de tuyaux sur lesanciens michés de Kathy, alors, allonge-moi ton petit carnet à putes.

Gilette enclencha un interrupteur au-

dessus de l’évier. Un moteur se mit àvrombir : Gilette fourra ses épluchuresdans l’orifice du broyeur à ordures. Budreleva l’interrupteur.

— Ton carnet à putes.

— Non, nein, niet et jamais.

Bud le crocheta dans le bide. Giletteroula sous le coup, attrapa un couteau etbalaya l’air. Bud esquiva d’un pas decôté et lui allongea un coup de pied dansles couilles. Gilette se cassa en deux ;Bud actionna l’interrupteur de lapoubelle. Le moteur se mit à couiner ;Bud fourra la main du pédé toujoursarmée du couteau dans l’orifice de ladescente d’ordures.

SCREEEE – l’évier recracha sang et os.Bud retira violemment la main, moins lesdoigts – SCREEEE cinquante fois plus fort.Les moignons sur les plaques chauffantes,les moignons qui grésillent, dans le bac àglace.

— PUTAIN, TU ME LA DONNES, CETTESALOPERIE DE CARNET ! au milieu d’unechambre d’écho qui répercutait lesSCREEEEEEEE.

Gilette, les yeux revenant en place :

— Tiroir… près de la télé…ambulance.

Bud le laissa choir et courut au salon.Tiroirs vides. Retour à la cuisine : Giletteau sol, à bouffer du papier.

Une main en étranglement : Giletterecracha une page à demi mâchonnée.Bud ramassa la boulette de papier etsortit en trébuchant de la cuisine, l’odeurde chair brûlée le faisait gerber. Il lissala feuille : noms, numéros de téléphone –barbouillis, deux noms lisibles : LynnBracken, Pierce Patchett.

28

Jack était assis à son bureau, à faire ledécompte de ses mensonges.

Au boulot : une filée de rapports cul-de-sac, plus les zéros régul’ des autresmecs de la brigade ; total, le coup de bol: Millard voulait larguer l’affaire desrevues pornos. Côté service – ça necomptait pas vraiment pour desmensonges –, il avait passé une journéeentière à courir après des noms, àrechercher les proprios des voitures deBel-Air. Quatre noms étaient sortis. Pasde bol dans une agence de mannequinsspécialisée dans les sosies de vedettes,

aucune des filles ne ressemblait d’assezprès à ses beautés. Restait à mettre lesnoms de côté et à compter une journéepour des prunes ; à cause de Sid Hudgens,toute poursuite devenait lettre morte. Ilvoulait tout simplement revoir lesfemmes, et rajouter ça à tous sesmensonges à Karen.

Ils avaient passé la matinée à sonappartement de la plage. Karen voulaitfaire l’amour ; il l’avait refroidie avecdes conneries : il était distrait, il avaitdemandé à être détaché au Hibou de Nuit,car la justice avait tellementd’importance. Karen avait essayé de ledéshabiller ; il lui avait dit qu’il avaitmal au dos ; il n’avait pas dit qu’il n’étaitpas intéressé parce que tout ce qu’il

voulait, c’était se servir d’elle, lui fairefaire ça avec d’autres femmes, recréerses scénarios de livres de cul. Son plusgros mensonge : il ne lui avait pas ditque, finalement, il avait mis les piedsdans la merde et que ça ne lui avait pasporté chance, qu’il avait joué une partiequi lui était revenue dans la figure, avecpour seule ouverture la chambre à gaz, etque son billet de retour au bercail desStups portait marqué : « Adios, meschéris ». Parce qu’elle – Karen –remonterait au 24 octobre 47 en luiassociant tous ses autres mensonges, etque son personnage soigneusementconstruit de Grand V, le gentil mec,descendrait en flammes de son piédestal.

Il ne lui avait pas dit qu’il était terrifié.

Elle n’avait rien perçu – la façade étaittoujours solide.

D’autres façades tenaient bon – du bol,pur et simple.

Sid n’avait pas appelé, son Indiscretmensuel était tombé en temps prévu – pasde petite note, quelques «sinuations» surMax Peltz et la chatte adolescente – riende bien effrayant. Il vérifia le rapport surla fusillade de Fleur de Lis : Ed Exley, lebrillant petit, avait chopé l’appel. Exleydécontenancé : pas de cadrage sur leslocataires de la crèche point de chute,tous les rayonnages nettoyés – restaientquelques petites merdes sado-maso – lereste des saloperies avait dû finir dans letrou. Responsable de tout le tremblement

– Lamar Hinton – un coup pour rien –parce que le Grand V avait larguél’affaire, le Grand V avait une nouvellemission.

Sid Hudgens connaissait PiercePatchett et Fleur de Lis ; Sid Hudgensconnaissait le Malibu Rendez-Vous. Sidavait un paquet de dossiers privés pleinsde saloperies et bien planqué. Boulot duGrand V : retrouver son propre dossier,le détruire.

Jack vérifia sa listed’immatriculations, des noms face auxphotos du SCG.

Seth David Krugliak, proprio de larésidence de Bel-Air – gras, huileux,avocat de l’industrie du cinéma. Pierce

Morehouse Patchett, le patron de Fleur deLis – M. Débonnaire. Charles WalkerChamplain, banquier d’investissement –crâne rasé, barbichette. Lynn MargaretBracken, vingt-neuf ans – Veronica Lake,pas de casier.

— Salut, mon gars.

Jack pivota sur les talons.

— Dud, comment vas-tu ? Qu’est-cequi t’amène à l’Ad. Mœurs ?

— Une discussion avec Russ Millard,qui partage maintenant le Hibou de Nuitavec moi. Et sur ce sujet, j’ai entendu quetu voulais en être.

— Tu as bien entendu. Peux-tu donnerle coup de pouce ?

Smith lui passa une feuille ronéo.

— C’est fait, mon gars. Tu es chargé dete joindre au groupe qui recherche lavoiture de Coates. Tous les garages dansle rayon délimité sur cette page doiventêtre contrôlés, avec ou sans leconsentement des propriétaires. Tucommences immédiatement.

Une copie carbone d’une carte : tout lequartier sud de L.A. quadrillé rue par rue.

— Mon gars, j’ai besoin d’un servicepersonnel.

— Vas-y, dis.

— Je veux que tu gardes Bud White enfiloche. Il s’est retrouvé personnellementimpliqué dans l’assassinat malheureux

d’une enfant prostituée, et j’ai besoinqu’il retrouve sa stabilité. Acceptes-tu dete coller à lui de nuit, splendide filocheurque tu es ?

Bud le Méchant – toujours un faiblepour les paumés.

— Bien sûr, Dud. Où prend-il sonposte ?

— Au poste de la Soixante-dix-septième Rue. On l’a affecté au cravatagedes mal blanchis avec casiers d’obsédéssexuels. Il est de jour au Soixante-dix-septième, et ce sera aussi ton point dechute : c’est là que tu pointeras.

— Dud, tu me sauves la vie.

— Voudrais-tu préciser ta pensée, mon

gars ?

— Non.

29

Mémo

De : chef Parker.

À : chef serv. Green, Cap. R. Millard,Lt Smith, Sgt E. Exley.

Conférence : bureau du chef – 16 h –23/4/53.

Objet : interrogatoire du témoin InezSolo.

Petite note de son père : « Elle estmerveilleuse et Ray Dieterling a un grandfaible pour elle. Mais c’est un témoinmatériel et elle est mexicaine, et je teconseille de ne pas trop t’attacher à elle.

Et en aucun cas, tu ne dois te mettre à lacolle avec elle. Le concubinage est contreles règles du Service et ta carrièrepourrait sérieusement se trouvercompromise si tu étais avec uneMexicaine. »

Parker donna le coup d’envoi.

— Ed, dans l’affaire du Hibou de Nuit,les coupables possibles se réduisentaujourd’hui aux Nègres actuellement endétention, ou à quelque autre banded’hommes de couleur. On dit aussi quevous êtes maintenant très proche de lafille Soto. Le lieutenant Smith et moi-même estimons impératif qu’elle subisseun nouvel interrogatoire pour mettre auclair, une fois pour toutes, la question des

horaires des meurtres, donner ou non unalibi aux trois détenus, et identifier lesautres personnes qui l’ont agressée. Nouspensons que le Penthotal est le meilleurmoyen d’obtenir des résultats, et lePenthotal agit bien mieux lorsque le sujetest favorable. Nous voulons que vousconvainquiez Mlle Soto de coopérer. Ellea probablement confiance en vous, ce quidonnera du poids à votre demande.

Inez après l’épisode Stensland :choquée comme après un déluge debombes, tout juste capable de déménagerà Arrowhead.

— Monsieur, je pense que toutes lespreuves dont nous disposons jusqu’àprésent ne sont qu’indirectes. Je pense

que nous devrions obtenir de nouveauxtémoignages qui confirmeraient notrethéorie avant que j’approche Mlle Soto,et je veux essayer d’interroger à nouveauCoates, Jones et Fontaine.

Smith éclata de rire.

— Mon gars, ils ont refusé de vousadresser la parole l’autre jour, et ils ontmaintenant un avocat coco qui leurconseille de rester muets. Ellis Loew veutfaire une présentation au Grand Jury –Hibou de Nuit et «petit Lindbergh» –, etvous pouvez lui faciliter les choses. Lesgants de velours ne nous ont menés nullepart jusqu’à présent avec notre belle etdouce demoiselle Soto, et il est temps quenous cessions de la dorloter.

Russ Millard :

— Lieutenant, je suis d’accord avec lesergent Exley. Si nous maintenons notrepression sur le quartier sud, nous allonsretrouver des témoins du viol et peut-êtremettre la main sur la voiture de Coates etles armes du crime. Mon instinct me ditque les souvenirs que la fille peut garderde cette nuit-là risquent d’être bien tropembrouillés pour nous être de quelqueutilité, et si nous l’obligeons à s’ensouvenir, l’expérience risquerait deruiner sa vie plus qu’elle n’a déjà étéruinée. Pouvez-vous vous représenterEllis Loew en train de la malmener faceau Grand Jury ? Pas très joli, non ?

Smith éclata de rire – directement à la

figure de Millard.

— Capitaine, vous avez grenouillé trèsdur pour partager ce commandement avecmoi, et maintenant vous faites montred’une sensiblerie de pleurnicheuse. Ceciest un meurtre de masse, brutal, et ildemande à être résolu vite et fort, ce n’estpas une soirée pour jeunes étudiantes. EtEllis Loew est un homme de loi brillant etplein de compassion. Je suis sûr qu’iltraiterait Mlle Soto avec délicatesse.

Millard avala un cachet qu’il fit passerd’un verre d’eau.

— Ellis Loew est un bouffon, prêt àtout pour faire la une, ce n’est pas unpolicier, et ce n’est pas dans sesattributions que de pousser à la roue dans

cette enquête.

— Beau capitaine, je considère cetteappréciation comme relevant presque dela sédition dans ses…

Parker leva la main.

— Messieurs, suffit. Thad, voulez-vousemmener le capitaine Millard et lelieutenant Smith dans le couloir boire unetasse de café pendant que je m’entretiensavec le sergent ici présent ?

Green fit sortir les deux hommes.

— Ed, dit Parker, Dudley a raison.

Ed resta silencieux. Parker lui indiquadu doigt une pile de journaux.

— La presse et le public exigent qu’on

fasse justice. Nous ferons très piètrefigure si nous n’éclaircissons pas cetteaffaire très vite.

— Je sais, monsieur.

— Êtes-vous attaché à cette fille ?

— Oui.

— Vous savez que, tôt ou tard, il luifaudra coopérer ?

— Monsieur, ne la sous-estimez pas. Àl’intérieur, elle est faite d’acier.

Parker sourit.

— Alors, voyons de quel acier vousêtes fait. Convainquez-la de coopérer, etsi nous obtenons suffisamment deconfirmations pour convaincre Ellis

Loew qu’il a entre les mains une affairede Grand Jury à rameuter les foules, jevous fais sauter un échelon sur la liste despromotions. Vous deviendrezimmédiatement lieutenant inspecteur.

— Avec un commandement ?

— Arnie Reddin part à la retraite lemois prochain. Je vous donnerai labrigade des inspecteurs de Hollywood.

Ed se sentit parcouru de picotements.

— Ed, vous avez trente et un ans. Votrepère n’est pas devenu lieutenant avantl’âge de trente-trois ans.

— Je réussirai.

30

La patrouille des Pervers :

Cleotis Johnson, obsédé sexuelreconnu, pasteur de l’Église épiscopaleméthodiste de Sion de New Bethel,possédait un alibi pour la nuit del’enlèvement d’Inez Soto : il se trouvaitdans le placard à poivrots de la Soixante-dix-septième Rue. Davis Walter Bush,obsédé sexuel reconnu, alibi confirmé parune demi-douzaine de témoins : ilsavaient tous participé à une partie decraps qui avait duré toute la nuit, dans lefoyer de l’Église épiscopale méthodiste

de Sion, à New Bethel. Fleming PeterHanley, obsédé sexuel reconnu, avaitpassé cette nuit-là aux Urgences deCentral : un travelo lui avait mordu lapine, et une équipe de toubibs, en salled’urgence, avait travaillé dur pour luisauver l’organe afin qu’il puisse cochersur ses tablettes quelques condamnationssupplémentaires pour sodomie avecviolences.

La patrouille des Pervers, un coup defil à l’hôpital d’Eagle Rock : DwightGilette avait réussi à atterrir là-bas. Toutbaignait : la tapette ne lui avait pasclaqué entre les doigts.

Quatre autres obsédés avec alibis ; unpassage à la prison du palais de justice.

Stens en plein délire, shooté à la gnôlemaison – un gardien lui avait filé uncocktail de jus de chiotte. Bavasseries :Ed Exley, Danny Duck, en train debourrer Ellis Loew.

La maison, une douche, vérif’ SCG :Pierce Patchett, Lynn Bracken. Coup defil à un pote, aux Affaires Internes duposte de West Valley. Résultat positif :pas de plainte de Gilette ; trois hommessur le meurtre de Kathy.

Nouvelle douche – il sentait encore sursa peau l’odeur de sa journée.

Bud se dirigea vers Brentwood.Objectif : aller serrer Pierce MorehousePatchett ; casier judiciaire vierge –étrange pour quelqu’un dont on retrouve

le nom dans le carnet à putes d’unmaquereau. 1184 Bretna Green, résidenceespagnole digne d’une radasse : du rosepartout, du carrelage partout.

Il se gara et remonta à pied. Leslumières du porche s’allumèrent : cadragediscret sur un homme dans un fauteuil. Ilcorrespondait au descriptif du SCG surPatchett et donnait l’impression d’unechiée d’années de moins que sa DDN.

— Êtes-vous officier de police ?

Il portait ses menottes crochetées dansle ceinturon.

— Ouais. Êtes-vous Pierce Patchett ?

— C’est bien moi. Venez-vous mesolliciter pour les œuvres de la police ?

La dernière fois, vos gens sont venus àmon bureau.

Des yeux en tête d’épingle – peut-êtreen train de flotter après une dose decame. Des muscles de culturiste, unechemise collante pour les mettre envaleur. La voix égale et douce – il donnaitl’impression de passer son temps assisdans l’obscurité à attendre la visite desflics.

— Je suis inspecteur à la Criminelle.

— Oh ? Qui a été assassiné, etpourquoi croyez-vous que je puisse vousaider ?

— Une fille du nom de Kathy Janeway.

— Ce n’est là qu’une demi-réponse,

monsieur…

— Agent White.

— M. White, en ce cas. Une nouvellefois, pourquoi croyez-vous que je puissevous aider ?

Bud approcha un fauteuil.

— Connaissiez-vous Kathy Janeway ?

— Non. A-t-elle prétendu me connaître?

— Non. Où étiez-vous la nuit dernièreà minuit ?

— J’étais ici, je recevais. S’il fallaiten arriver à l’épreuve de force – chose,qui, je l’espère, ne se produira pas –, jevous fournirai une liste des invités.

Pourquoi vou…

Bud l’interrompit.

— Delbert Cathcart, dit «Duke».

Patchett soupira.

— Je ne le connais pas non plus. M.White…

— Dwight Gilette, Lynn Bracken.

Grand sourire.

— Oui, je connais ces personnes.

— Ouais ? Alors, ne vous arrêtez pas.

— Permettez-moi de vous interrompre.L’une d’elles vous a-t-elle donné monnom ?

— J’ai secoué Gilette pour son carnet

à putes. Il a essayé d’avaler une page quiportait votre nom ainsi que celui de cettefemme, Bracken. Patchett, pourquoi unmac de merde posséderait-t-il votrenuméro de téléphone ?

Patchett se pencha en avant.

— Vous préoccupez-vous de détailscriminels accessoires au meurtre Janeway?

— Non.

— En ce cas, vous ne devez pas voussentir obligé d’en faire état.

Le salopard avait de la classe.

— C’est exact.

— Alors écoutez soigneusement, car je

ne le dirai qu’une seule fois, et si c’estrépété, je le nierai : je dirige des call-girls, Lynn Bracken en est une. J’airacheté Lynn à Gilette il y a quelquesannées, et si Gilette a essayé d’avaler lepapier portant mon nom, c’est parce qu’ilsait que je déteste et que je crains lapolice, et qu’il a pensé – à juste titre –que je l’écraserais comme un insecte sij’estimais qu’il avait mis la police surmes traces. Quant à mes filles, je lestraite très bien. J’ai moi-même des fillesadultes, et j’ai perdu une petite fille, toutbébé, encore au berceau. Je n’aime pasl’idée que l’on fasse souffrir des femmes,et en toute franchise, je possède unegrande fortune pour satisfaire mescaprices. Est-ce que cette Kathy Janeway

a eu une mort douloureuse ?

Battue à mort, sperme dans la bouche,dans le rectum, dans le vagin.

— Ouais, très douloureuse.

— Alors retrouvez son assassin, M.White. Réussissez, et je vous offrirai unebelle récompense. Si cela va à rencontrede vos principes moraux, je ferai don del’argent à une œuvre charitable de lapolice.

— Je vous remercie, mais c’est non,merci.

— Contre vos principes ?

— Je n’ai pas de principes. Parlez-moide Lynn Bracken. Elle faisait la rue ?

— Non, à la demande, au coup de fil.Gilette l’abîmait avec des clients malchoisis. À ce propos, moi, je suis trèspointilleux sur le choix de ceux aveclesquels mes filles font affaire.

— Vous l’avez donc rachetée à Gilette?

— C’est tout à fait exact.

— Pourquoi ?

Patchett sourit.

— Lynn ressemble vraiment beaucoupà l’actrice Veronica Lake, et j’avaisbesoin d’elle pour garnir mon petitstudio.

— Quel «petit studio» ?

Patchett secoua la tête.

— Non. J’admire l’élégance de vosingérences et je crois percevoir que vousvous présentez au mieux de vos capacités,mais c’est tout ce que je vous dirai. J’aicoopéré, et si vous insistez, je vous feraifaire la connaissance de mon avocat.Maintenant, désirez-vous l’adresse deLynn Bracken ? Je doute qu’elle sachequoi que ce soit sur feu Mlle Janeway,mais si vous le voulez, je l’appelleraipour lui dire de coopérer.

Bud montra la maison.

— J’ai son adresse. Vous avez obtenula vôtre en drivant des call-girls ?

— Je suis un financier. J’ai un diplôme

supérieur de chimie, j’ai travaillé commepharmacien pendant plusieurs années, etj’ai investi avec sagesse. Je pense que lemot qui me résume le mieux, c’est«homme d’entreprise». Et ne venez pasm’asticoter avec de l’argot criminel, M.White. Ne me faites pas regretter d’avoirété franc avec vous.

Bud cadra le personnage. Deux contreun qu’effectivement il jouait franc-jeu,avec l’idée que les flics sont des insectesavec lesquels le franc-jeu prend,quelquefois.

— Okay, alors je vais me dépêcher deconclure.

— Faites, je vous prie.

Calepin sorti.

— Vous avez dit que Gilette maquaitLynn Bracken, exact ?

— Je n’aime pas le mot «mac», maisc’est exact.

— Okay. En existe-t-il d’autres, parmivos filles, qui aient été maquées rue oumaquées téléphone ?

— Non, toutes nos filles sont desmannequins ou des jeunes femmes quej’ai sauvées du désespoir de Hollywood,ce brise-cœur.

Changement de programme.

— Vous ne lisez pas les journaux, exact?

— Correct. J’essaie d’éviter lesmauvaises nouvelles.

— Mais vous avez entendu parler dumassacre du Hibou de Nuit ?

— Oui, parce que je n’ai pas choisi derésider au fond d’une caverne.

— Ce mec, le Duke Cathcart, étaitl’une des victimes. C’était un mac, etrécemment un mec a posé beaucoup dequestions à son sujet, essayant d’obtenirdes filles qu’elles acceptent de bosserpour lui au téléphone. Mais Gilette amaqué Kathy Janeway pour le travail derue, et vous le connaissez. Je suis en trainde penser que vous avez peut-êtreéventuellement été en affaires avecd’autres personnes qui pourraient

éventuellement me tuyauter sur ce mec.

Patchett croisa les jambes, s’étira.

— Ainsi vous pensez que «ce mec»pourrait bien avoir tué Kathy Janeway ?

— Non, je ne le crois pas.

— Ou bien vous pensez qu’il estderrière toute cette histoire du Hibou deNuit. Je croyais que les assassinsprésumés étaient de jeunes Nègres. Surquel crime enquêtez-vous, M. White ?

Bud agrippa son fauteuil, le tissu sedéchira. Patchett leva les mains, paumesen avant.

— La réponse à vos questions est non.Dwight Gilette est la seule personne decette engeance à qui j’aie jamais eu

affaire. La prostitution de bas étage n’estpas ma spécialité de prédilection.

— Et les cambrios ?

— Cambrios ?

— Vol avec effraction, violation dedomicile. L’appartement de Cathcart a étéretourné, et tous les murs essuyés.

Patchett haussa les épaules.

— M. White, vous me parlez chinois.Je ne comprends tout simplement pas dequoi vous voulez parler.

— Ouais ? Alors que diriez-vous duporno ? Vous connaissez Gilette, Gilettevous a vendu Lynn Bracken, Gilette avendu Kathy Janeway à Cathcart, Cathcartétait censé mettre sur pied une affaire de

porno.

«Porno» avait fait mouche – de petiteslueurs indécises dans le regard.

— Ça vous dit quèqu’ chose ?

Patchett prit un verre et fittourbillonner les glaçons.

— Rien du tout, et vos questionss’éloignent de plus en plus du sujet. Votreapproche a manifesté une certainenouveauté, aussi l’ai-je tolérée. Maisj’arrive à bout de patience et jecommence à penser que les motifs devotre présence ici sont d’une confusionabsolue.

Bud se leva en faisant la gueule : pasde prise sur le bonhomme.

— L’une de vos tangentes vous estdevenue une affaire personnelle, n’est-cepas ?

— Ouais.

— Si c’est la fille Janeway, j’étaissincère pour ce que j’ai dit. Il se peut queje suborne des jeunes femmes en leurfaisant exercer des activités illicites,mais elles reçoivent de très bellescompensations, je les traite très bien, et jem’assure que les hommes auxquels ellesont affaire les traitent avec tout le respectqui leur est dû. Bonne nuit, M. White.

Sujets de réflexion pour le trajet :comment Patchett avait-il pu voir clair enson jeu si vite ? Est-ce que son petitnuméro d’escamotage de preuves avait

fait long feu ? Dudley soupçonneux, auparfum, sachant jusqu’où il irait pourfaire du mal à Exley.

Lynn Bracken vivait sur Nottingham,non loin de Los Feliz ; il trouva l’adressefacile – un triplex style moderne.

Des lumières colorées s’échappaientdes fenêtres. Il regarda avant de sonner.

Rouge, bleu, jaune : des silhouettestraversèrent les faisceaux de couleur. Budassista à son petit show de cul personnel.

Un double craché de Veronica Lake,nue, sur la pointe des pieds : mince, lapoitrine généreuse, blonde – coiffée à lapage, une coupe parfaite. Un hommebougeait en elle, le corps tendu comme un

arc, se ramassant pour la pénétrer mieux.

Bud observait ; les bruits de la ruedisparurent. Il effaça la présence del’homme et étudia la femme : chaquepouce de son corps, sous toutes lesnuances de lumière.

Il reprit le volant jusqu’à la maison, nevoyant rien – rien, sinon elle.

Inez Soto sur le pas de sa porte.

Bud s’approcha.

— J’étais chez Exley, à LacArrowhead, dit-elle. Il avait dit quej’étais libre, que je ne lui devais rien,puis il s’est montré et m’a déclaré qu’ilfallait que je prenne cette drogue pourm’obliger à me souvenir. Je lui ai

répondu non. Saviez-vous que vous étiezle seul Wendell White de tout l’annuairede Central ?

Bud lui redressa son chapeau etreplaça un morceau de voile sous le chef.

— Comment êtes-vous arrivéejusqu’ici ?

— J’ai pris un taxi. Une centaine desdollars d’Exley, comme ça, au moins, ilest bon à quelque chose. Officier White,je ne veux pas me souvenir.

— Poupée, c’est pourtant ce que vousfaites déjà. Venez, je vais vous trouver unendroit où dormir.

— Je veux rester avec vous.

— Tout ce que j’ai, c’est un canapé-lit.

— Ça m’ira très bien. Je me dis qu’ilfaudra bien qu’il y ait à nouveau unepremière fois.

— Laissez ça de côté et trouvez-vousun étudiant.

Inez se leva.

— Je commençais à lui faire confiance.

Bud ouvrit la porte. La première chosequ’il vit fut le lit : une vraie poubelle,grâce à Carolyn ou à Dieu sait qui. Inezs’effondra dessus ; quelques secondesplus tard, elle dormait. Bud la borda, ets’allongea dans le couloir avec sa vestepour oreiller. Le sommeil fut long à venir– il ne cessait de se repasser sa longue etétrange journée. Il sombra, Lynn Bracken

devant les yeux ; vers le lever du jour, ilremua et découvrit Inez blottie en chiende fusil contre lui.

Il la laissa rester.

31

Il savait qu’il rêvait, il savait qu’il nepouvait pas s’arrêter. Il tressaillait àchaque nouveau passage de la scène qu’ilse rejouait.

Inez au chalet : « Lâche », «Opportuniste », « Vous servir de moi pourfaire avancer votre carrière ». Sa salvede sortie : « L’officier White vaut dixhommes comme vous, il en a moitiémoins dans le crâne, et il n’a pas unegrosse légume pour papa. » Il l’avaitlaissée partir, avant de se lancer à sapoursuite : retour à L.A., cahute de lafamille Soto. Trois frères pachucos

s’étaient montrés véhéments et décidés ;le vieux Soto avait fourni l’épitaphe : «Cette fille-là, je l’ai plus. »

Le téléphone sonna. Ed roula sur lecôté, et attrapa le combiné.

— Exley.

— C’est Bob Gallaudet. Félicite-moi.

Ed repoussa ses rêves au loin.

— Pourquoi ?

— J’ai réussi l’examen du barreau, cequi fait de moi à la fois un avocat et unenquêteur du bureau du procureur. Ça net’impressionne pas ?

— Félicitations, mais tu ne m’as pasappelé à 8 h du matin pour me dire ça ?

— Tu as parfaitement raison, alorsouvre tes oreilles. Hier au soir, un hommede loi du nom de Jacob Kellerman aappelé Ellis Loew. Il représente deuxtémoins, deux frères, qui déclarent qu’ilspeuvent apporter la preuve qu’il y a eucontact entre Duke Cathcart et MickeyCohen. Ils disent qu’ils peuvent apporterla solution du Hibou de Nuit Ils ont sur ledos des mandats de recherche prioritairespour avoir fourgué de la Benzédrine àL.A., et Ellis Loew leur donne l’immunitélà-dessus, plus une possibilité d’immunitépour toute accusation d’association demalfaiteurs qui pourrait éventuellementapparaître du fait de leurs liens avecl’affaire du Hibou de Nuit. Nous avonsune réunion au Mirimar Hotel dans une

heure – les frères et Kellerman, et toi,moi, Loew et Russ Millard. Dudley S. n’ysera pas, ordre de Thad Green – il aestimé que Russ Millard était mieuxadapté à la situation.

Ed sortit du lit d’un bond.

— Qui sont les frères en question ?

— Peter et Baxter Englekling. T’en asentendu parler ?

— Non. Est-ce un interrogatoire ?

Gallaudet se mit à rire.

— Qu’est-ce que tu adorerais ça ! Non.Kellerman va lire une déclaration touteprête, puis nous discutons le coup avecLoew pour savoir s’il faut les laisserdéposer pour l’accusation, et nous

reprenons à partir de là. Je te ferai untopo. Parc de stationnement du Mirimardans quarante-cinq minutes ?

— J’y serai.

Quarante-cinq, pas une de plus, pas unede moins. Gallaudet le retrouva dans lehall d’entrée – pas de poignée de main,droit au but : — Tu veux savoir ce qu’ona ?

— Vas-y.

Ils commencèrent à marcher.

— Ils nous attendent, sténo y compris ;et ce qu’on a, c’est Pete et BaxEnglekling, trente-six et trente-deux ans –basés à San Bernardino… des quasi-truands, c’est comme ça que tu les

qualifierais, je crois. Ils ont tous les deuxfait de la maison de redressement pouravoir fourgué de la marie-jeanne ; çaremonte aux années 40, et mis à part lesmandats pour revente de bennies, ils ontgardé le nez propre. Ils sont légalementpropriétaires d’une imprimerie à SanBerdoo, une affaire tout à fait régulière ;c’est ce que tu appellerais des petitsarrangeurs de génie ; mais feu leur père,c’était vraiment quelque chose. Écoute ça: il était professeur de chimie àl’université, et une sorte de pionnier dansle domaine de la pharmacologie ; il a misau point les premiers médicamentspsychotropes. Impressionnant, t’esd’accord ? Et maintenant, écoute ça :papy, qui a passé l’arme à gauche durant

l’été 50, mettait au point des mixtures decame pour les truands de la vieille école– et Mickey C. était son protecteur àl’époque où il faisait le garde du corps.

— Ça ne va pas être triste. Mais toi, tuvois Cohen responsable pour le Hibou deNuit ? Il est en prison, première chose.

— Exley, pour moi, je vois les mecs decouleur actuellement détenus. Lesgangsters ne tuent jamais des citoyensinnocents. Mais franchement, Loew aimebien l’idée de truands mêlés à ça. Viens,ils attendent.

Direction la suite 309 ; la réunionprenait place dans un petit salon. Unelongue table – Loew et Millard face àtrois hommes : un avocat entre deux âges,

des presque jumeaux en salopette – lecrâne qui se dégarnit, les yeux enamandes, les dents en chicots. Une sténoprès de la porte de la chambre à coucher,penchée sur sa machine, prête à démarrer.

Gallaudet apporta des fauteuils. Edsalua les présents d’un signe de tête ets’assit à côté de Millard. L’homme de loiconsulta ses papiers : les frèresallumèrent des cigarettes.

— Pour les archives officielles, ditLoew, il est 8 h 53, le 24 avril 1953. Sontprésents : moi-même, Ellis Loew,procureur pour la ville de Los Angeles, lesergent Bob Gallaudet du bureau duprocureur, le capitaine Russ Millard et lesergent Ed Exley des services de police

de Los Angeles. Jacob Kellermanreprésente Peter et Baxter Englekling,témoins potentiels de l’accusation dansl’affaire des homicides multiplesperpétrés au café du Hibou de Nuit le 14avril de cette année.

M. Kellerman lira une déposition touteprête que lui ont donnée ses clients. Ilssigneront de leurs initiales latranscription de la sténographe. Enremerciement de cette dépositionvolontaire, les services du procureurabandonnent le mandat criminel 16114,daté du 8 juin 1951, établi à l’encontre dePeter et Baxter Englekling. S’il advenaitque cette déposition aboutisse auxarrestations des responsables deshomicides mentionnés ci-dessus, il sera

accordé à Peter et Baxter Engleklingl’immunité contre toute poursuite relevantde l’affaire susdite, jusques et y comprisles accusations de complicité,d’association de malfaiteurs, et touteinfraction ou crime mineur y afférent. M.Kellerman, vos clients comprennent-ilsles termes de ce qui vient d’être énoncé ?

— Oui, M. Loew.

— Comprennent-ils qu’il leur seraéventuellement demandé de se soumettreà un interrogatoire, une fois la lecture deleur déposition terminée ?

— Oui.

— Lisez la déposition, maître.

Kellerman mit ses verres de lecture.

— J’ai éliminé du texte les familiaritésles plus imagées de Peter et Baxter, j’airemis au propre leur langue et leursyntaxe, que cela soit entendu, je vousprie.

Loew tira sur son gilet.

— Nous sommes capables depercevoir la chose. Continuez, je vousprie.

Kellerman se mit à lire :

— Nous, Peter et Baxter Englekling,jurons que cette déposition est la vérité.À la fin du mois de mars de cette année,approximativement trois semaines avantles meurtres du Hibou de Nuit, nousavons été contactés au siège légal de

notre entreprise, l’imprimerie SpeedyKing – le Roi de la vitesse – à SanBernardino. L’homme qui s’est adressé ànous était un certain Delbert «Duke»Cathcart, qui nous a déclaré avoir obtenunos noms par «M. XY», une connaissancequi remontait à nos années de jeunesse enmaison de redressement. M. XY avaitinformé Cathcart que nous dirigions uneimprimerie disposant d’une presse offsetà grande vitesse de notre propreconception, ce qui était exact. M. XYavait également déclaré à Cathcart quenous étions toujours intéressés par,ouvrez les guillemets, «quelques thunesvite fait», fermez les guillemets, ce quiétait exact aussi.

Gloussements.

Ed écrivit : «Vict. Susan Lefferts de S.Berdoo – lien possible ?»

Loew dit :

— Continuez, M. Kellerman. Noussommes tous capables de rire et depenser en même temps.

Kellerman :

— Cathcart nous a montré desphotographies de gens engagés dans desactes sexuels explicites, dont certainsétaient de nature homosexuelle. Certainesdes photographies étaient, ouvrez lesguillemets, «fesse, flou et art foireux»,fermez les guillemets. C’est-à-dire : desgens déguisés en costumes colorés, avecdes rajouts à l’encre rouge sur certains

des clichés. Cathcart a déclaré qu’il avaitentendu dire que nous étions à même defabriquer très rapidement des revues dehaute qualité, genre magazine de luxe, etnous avons répondu que c’était exact.Cathcart a également déclaré qu’uncertain nombre de revues de ce type avaitdéjà été fabriquées, qui utilisaient lesphotographies obscènes, et il nous adonné le prix de revient de la fabrication.Nous savions que nous étions capables deproduire ces revues à un huitième de ceprix de revient.

Ed passa une note à Millard : «Est-ceque l’Ad. Mœurs ne travaille pas sur uneaffaire de pornographie ?» Les frèressouriaient d’un air suffisant ; Loew etGallaudet murmuraient. Millard passa un

petit mot en retour : «Si – une équipe de 4hommes, aucune piste. La piste desbouquins («les costumes bizarres» de ladéposition) est froide – on laisse tomber.En plus, aucun des rapports de terrainenregistrés jusqu’à présent n’établit deliens entre Cathcart et la pornographie.»

Kellerman avala une gorgée d’eau.

— Cathcart nous a alors déclaré qu’ilavait entendu dire que feu notre père,Franz «Doc» Englekling, était l’ami deMeyer Harris «Mickey» Cohen, truand deLos Angeles, actuellement incarcéré aupénitencier de McNeil Island. Nousavons répondu que c’était vrai. Cathcartnous a alors exposé l’essentiel de saproposition. Il a dit que la distribution

des livres pornographiques allait devoirêtre, ouvrez les guillemets, «très serrée»,fermez les guillemets, parce que les,ouvrez les guillemets, «bizarros», fermezles guillemets, qui avaient pris lesphotographies et exécuté le travail deretouche donnaient l’impression d’avoirbeaucoup de choses à cacher. Il n’a pasprécisé sa pensée plus avant. Il a dit qu’ilavait accès à un réseau de, ouvrez lesguillemets, «riches pervers», fermez lesguillemets, qui étaient prêts à payerd’importantes sommes pour les ouvragesen question, et il nous a proposé de mettreen fabrication, ouvrez les guillemets,«des saloperies normales à la baise-et-suce», fermez les guillemets, que l’onpourrait distribuer en grandes quantités.

Cathcart a prétendu avoir accès à, ouvrezles guillemets, «des listes de vente parcorrespondance», fermez les guillemets,concernant, ouvrez les guillemets, «descamés et des putains», fermez lesguillemets, qui serviraient de modèles, etconcernant aussi, ouvrez les guillemets,«des call-girls classe», fermez lesguillemets, qui pourraient éventuellementposer pour le coup si leur, ouvrez lesguillemets, «cinglé de papa gâteau»,fermez les guillemets, était d’accord. Unenouvelle fois, Cathcart ne s’est étendu suraucune des choses qu’il avançait, pasplus qu’il n’a fait état de noms ou delieux.

Kellerman tourna la page.

— Cathcart nous a dit qu’il serait à lafois fournisseur, chercheur de nouveauxtalents et intermédiaire. Nous serionschargés de la fabrication des ouvrages.Nous devions également rendre visite àMickey Cohen à McNeil Island, et obtenirde lui qu’il dégage des fonds pour quel’affaire puisse démarrer. Nous devionsaussi solliciter ses conseils sur la mise enplace d’un système de distribution. Enéchange de ce qui précède, Cohenobtiendrait un, ouvrez les guillemets,«chouette», fermez les guillemets,pourcentage sur l’affaire.

Ed fit passer une note : «Pas de nomsauxquels se raccrocher – c’est troppratique.» Millard murmura : «Et leHibou de Nuit n’est pas dans le style de

Mickey.» Bax Englekling gloussa ; Peterse cura les oreilles d’un crayon.Kellerman poursuivit : — Nous avonsrendu visite à Mickey Cohen dans sacellule de McNeil, approximativementdeux semaines avant les meurtres duHibou de Nuit. Nous lui avons proposél’idée. Il a refusé de nous aider, et s’estmis très en colère lorsque nous lui avonsdit que l’idée avait été conçue par DukeCathcart, auquel il a fait référence sousles termes de, ouvrez les guillemets, «unconnard notoire connu pour sauter lesfillettes», fermez les guillemets. Enconclusion, nous croyons que ce sont destireurs à la solde de Mickey Cohen quiont perpétré le massacre du Hibou deNuit, pour assouvir sa haine pour Duke

Cathcart, un stratagème où il a fallu tuersix personnes pour en avoir une. Uneautre possibilité est que Cohen ait parlédu projet proposé par Cathcart aux autresprisonniers, et que le rival de Cohen,Jack Whalen «le Régulateur», en ait euvent : comme ce dernier cherche toujoursde nouveaux rackets à investir, il aassassiné Cathcart, et cinq clients depassage pour noyer le poisson. Nousavons la conviction que si les meurtresdevaient être le résultat de conflits etd’épreuves de force liés à lapornographie, nous pourrions bien nousretrouver victimes à notre tour. Nousjurons que cette déposition estl’expression de la vérité et qu’elle n’a étéétablie sous aucune contrainte, physique

ou morale.

Les frères applaudirent.

— Mes clients attendent vos questions,dit Kellerman.

Loew indiqua la chambre à coucher.

— Après que j’aurai consulté mescollègues.

Ils pénétrèrent dans la chambre ; Loewferma la porte.

— Conclusions ? Bob, à vous deparler.

Gallaudet alluma une cigarette.

— Mickey Cohen, en dépit de sesnombreux défauts, n’assassine pas lesgens par simple susceptibilité, et Jack

Whalen ne s’intéresse qu’au racket desjeux. Je crois leur histoire, mais tout ceque nous avons déterré sur Cathcart le faitapparaître comme un débile pathétiquequi serait incapable de mettre sur piedune chose de cette envergure. Je dirais aumieux que c’est du tangent, del’accessoire. Je continue de penser quec’est les négros, les coupables.

— Je suis d’accord. Capitaine, votreopinion.

— Un des scénarios possibles me plaîtbien, dit Millard – avec des réservesmajeures. Peut-être bien que Cohen aparlé de l’histoire au pénitencier deMcNeil, on en a eu vent à l’extérieur etquelqu’un a pris le relais à partir de là.

Mais si ce contrat avait des liens avec leporno, alors les Englekling auraient été,soit descendus, soit contactés. Je dirigeune enquête à l’Ad. Mœurs sur des revuespornos en circulation, elle dure depuisdeux semaines, et ma brigade n’a rienentendu à ce sujet et s’est heurtée à unesuccession d’impasses. Je pense qu’Ed etBob devraient aller discuter avecWhalen, puis prendre l’avion jusqu’àMcNeil et parler à Mickey. J’interrogerailes raclures d’à côté et je vais discuteravec mes hommes de l’Ad. Mœurs. J’ailu tous les rapports de terrain que m’ontfourni tous les hommes sur le Hibou deNuit, et pas une seule fois il n’est faitmention de pornographie. Je crois queBob a raison. Ce que nous avons là, c’est

une tangente.

— Absolument d’accord. Bob, vous-même et Exley, allez voir Cohen etWhalen. Capitaine, aviez-vous mis deshommes capables sur votre affaire ?

Millard sourit.

— Trois hommes capables, et JackVincennes la Poubelle. Ne le prenez pasmal, Ellis. Je sais qu’il fréquente la sœurde votre épouse.

Loew piqua un fard.

— Exley, avez-vous quelque chose àajouter ?

— Bob et le capitaine ont couvert lespoints que je désirais soulever, mais il ya deux choses que je voudrais mentionner.

Un, Susan Lefferts était originaire de SanBerdoo. Deux, si ce n’est pas les Nègresdétenus ou un autre groupe de gens decouleur, alors la voiture aperçue près duHibou de Nuit avait été placée làdélibérément, et nous avons affaire à uneconspiration d’envergure énorme.

— Je pense que nous tenons nosassassins. Et, à ce propos, faites-vous desprogrès avec Mlle Soto ?

— J’y travaille.

— Travaillez plus. Les bons effortssont pour les petits élèves, ce qui compte,c’est les résultats. Au travail, messieurs.

Ed retourna à son appartement pourchanger de vêtements avant le saut

jusqu’à McNeil. Il trouva un mot sur saporte.

Exley,

Je continue à penser que vous êtes toutce que j’ai dit que vous étiez, mais j’aiappelé la maison et parlé à ma sœur, etelle a dit que vous étiez passé, et qu’àl’évidence vous vous faisiez du soucipour mon bien-être. Alors je retire un peude mes réserves. Vous avez été gentilavec moi (lorsque vous ne recherchiezpas des ouvertures possibles ou que vousne tabassiez pas les gens), et c’est peut-être vrai que je suis moi-même uneopportuniste et que je me contente de meservir de vous pour trouver un toitjusqu’à ce que j’aille mieux et que je

puisse accepter l’offre de M. Dieterling.Alors, puisque je vis dans une maison deverre, il serait bon que je ne vous lancepas de pierres. C’est tout ce que je suiscapable de vous offrir comme excuse,vous n’en aurez pas d’autres, et jepersisterai à refuser de coopérer. Voussaisissez le tableau ? M. Dieterling, c’estdu sérieux, pour le boulot à Dream-a-Dreamland ? Je vais faire quelquescourses aujourd’hui avec le reste del’argent que vous m’avez donné. Lorsqueje suis très occupée, j’y pense moins. Jeviendrai ce soir. Laissez une lumièreallumée.

Inez.

Ed se changea puis scotcha son double

de clé sur la porte. Il laissa une lumièreallumée.

32

Jack dans sa voiture, attendantd’entamer la filoche de Bud. Les mainsdéchirées, les vêtements raidis de fruitsécrasés – un poste passé à forcer desportes de garage, avec des mal blanchispleins d’entrain qui jouaient àl’embuscade jap’ sur les équipes derecherche – tirs du toit, touche au but, etcavale. Pas de bol pour la Merc deCoates ; et la bombe amorcée par Millardcontinuait ses explosions ; un coup dechance qu’il ait eu la nouvelle partéléphone – sinon il en aurait chié dansson froc.

— Vincennes, deux témoins ontcontacté Ellis Loew. Ils ont dit que DukeCathcart était impliqué dans une sorte degrand projet, pas encore mis à exécution,pour fourguer les obscénités qu’onrecherche. À mon avis, il n’y a pas derapport avec le Hibou de Nuit, mais avez-vous quelque chose de neuf là-dessus ?

— Non, avait-il dit.

Il avait demandé si les autres mecs dela brigade avaient trouvé le filon.

— Non, avait dit Millard.

Il n’avait pas dit que tous ses rapportsn’étaient que des conneries. Il n’avait pasdit qu’il se fichait complètement qu’onexpédie le sac de nœuds porno et le

Hibou de Nuit jusqu’à la planète Mars. Iln’avait pas dit qu’il n’aurait pas le reposfacile avant que le dossier de SidHudgens soit entre ses mains et que lesnégros tètent le gaz empoisonné –coupables ou non.

Les yeux rivés sur la porte arrière dufrigo : les bleus y amenaient les vicelardspar paquets. À l’intérieur, Bud White – àl’œuvre au tuyau de caoutchouc. La nuitprécédente, il avait foiré sa filoche –Dudley avait fait la gueule. Ce soir, ilresterait collé à ses talons, puis directionSid Hudgens ; et effacer à jamais leMalibu Rendez-Vous.

White sortit. Bonne lumière, Jack vitdu sang sur sa chemise. Il mit le contact,

attendit.

33

Pas de lumières de couleur – lumièreblanche derrière des rideaux tirés. Budappuya sur la sonnette.

La porte s’ouvrit – Lynn Bracken àcontrejour.

— Oui ? Êtes-vous le policier dontPierce m’a parlé ?

— C’est exact. Patchett vous a-t-il ditle sujet de ma visite ?

Elle tint la porte ouverte.

— Il a dit que vous n’en étiez pas toutà fait sûr vous-même, il m’a recommandéd’être sincère et de coopérer avec vous.

— Vous faites tout ce qu’il vous dit ?

— Oui.

Bud entra.

— Les toiles sont de vraies toiles, ditLynn, et je suis une prostituée. Je n’aijamais entendu parler de Kathy je ne saisplus qui, et Dwight Gilette n’abuseraitjamais sexuellement d’une femme. S’ildevait en tuer une, il utiliserait le couteau.J’ai entendu parler de cet homme, DukeCathcart ; pour l’essentiel, c’était unperdant qui avait un faible pour ses filles.Et c’est là toutes les informations dignesd’intérêt que je possède.

— Vous avez terminé ?

— Non. Je n’ai aucune information sur

les autres filles de Dwight, et tout ce queje connais de l’histoire du Hibou de Nuit,c’est ce que j’en ai lu dans les journaux.Satisfait ?

Bud faillit éclater de rire.

— Vous et Patchett avez eu une vraiepetite discussion. Vous a-t-il appelée, hiersoir ?

— Non, ce matin. Pourquoi ?

— Aucune importance.

— C’est bien : officier White, n’est-cepas ?

— C’est Bud.

Lynn rit.

— Bud, croyez-vous ce que Pierce et

moi vous avons dit ?

— Ouais, pour l’essentiel.

— Et vous connaissez la raison pourlaquelle nous nous prêtons à vos caprices?

— Vous utilisez encore des motscomme ça, et ça pourrait me rendrevraiment furieux.

— Oui. Mais, vous connaissez laraison ?

— Ouais, je la connais. Patchettcontrôle et dirige des putes, et peut-êtremême d’autres trucs en supplément. Vousne voulez pas que je le signale.

— C’est exact. Nos raisons sontégoïstes, aussi nous coopérons.

— Vous voulez un conseil, MlleBracken ?

— C’est Lynn.

— Mlle Bracken, voici mon conseil.Continuez à coopérer. Et bordel demerde, n’essayez pas de m’acheter ou deme menacer, ou alors Patchett et vous,vous allez vous retrouver dans la merdejusqu’au cou !

Lynn sourit, Bud comprit le sourire –Veronica Lake dans un navet qu’il avaitvu, où Alan Ladd revient de la guerrepour retrouver sa salope d’épousetrucidée.

— Voulez-vous un verre, Bud ?

— Ouais, scotch nature.

Lynn alla dans la cuisine et revint avecdeux verres pas très tassés.

— Font-ils des progrès, surl’assassinat de la fille ?

Bud descendit sa dose.

— Trois hommes sont dessus. C’estune affaire de sexe, alors ils ramassenttous les pervers habituels. Ils vont fairedu boulot correct et honnête pendant unequinzaine, puis ils laisseront filer.

— Mais vous, vous ne le laisserez pasfiler.

— Peut-être, peut-être que non.

— Pourquoi vous sentez-voustellement concerné ?

— C’est de l’histoire ancienne.

— De l’histoire ancienne etpersonnelle ?

— Ouais.

Lynn sirota son verre.

— Je demandais, c’est tout. Et l’affairedu Hibou de Nuit ?

— Ça en revient aux neg… aux mecsde couleur que nous avons arrêtés. C’estun putain de gros foutoir.

— Vous dites souvent «putain» ?

— Vous êtes putain, vous baisez pourle fric.

— Il y a du sang sur votre chemise.Est-ce là partie intégrante de vos

fonctions ?

— Ouais.

— Aimez-vous cela ?

— Lorsqu’ils le méritent.

— Vous voulez dire, les hommes quifont du mal aux femmes ?

— Et intelligente avec ça.

— Le méritaient-ils, aujourd’hui ?

— Non.

— Mais vous l’avez fait malgré tout ?

— Ouais, tout comme vous avez baiséune demi-douzaine de mecs aujourd’hui.

Lynn éclata de rire.

— En fait, il y en a eu deux. Entre

nous, avez-vous passé Dwight Gilette àtabac ?

— Tout à fait entre nous, je lui aifourré la main dans un broyeur à orduresménagères.

Pas de sursaut, pas de réaction àretardement.

— Avez-vous aimé ça ?

— Eh bien… non.

Lynn toussa.

— Je me conduis bien mal, pour unehôtesse. Voudriez-vous vous asseoir ?

Bud s’assit sur le sofa ; Lynnégalement, à une longueur de bras de lui.

— Les inspecteurs de la Criminelle

sont différents. Vous êtes le premierhomme que je rencontre depuis cinq ansqui ne m’ait pas dit en moins d’uneminute que je ressemble à Veronica Lake.

— Vous êtes mieux que Veronica Lake.

Lynn alluma une cigarette.

— Merci. Je ne le répéterai pas à ladame de vos pensées.

— Comment savez-vous qu’une dameoccupe mes pensées ?

— Votre veste est un vrai torchon etpue le parfum.

— Vous vous trompez. C’est moi quidis passe à une passe, c’est comme çaque je refuse les avances.

— Ce que…

— Ouais, ce que je fais rarement,bordel ! Continuez à coopérer, MlleBracken. Parlez-moi de Pierce Patchett etde son racket.

— Entre…

— Ouais, entre nous.

Lynn tira sur sa cigarette, sirota un peude scotch.

— Eh bien, en mettant de côté ce qu’ila fait pour moi, Pierce est un homme de laRenaissance. Il se mêle un peu de chimie,il connaît le judo, il prend soin de soncorps. Il adore avoir de belles femmesqui lui soient redevables. Il a connu unmariage raté, il a eu une fille qui est

morte très jeune. Il est très honnête avecses filles, et il ne nous permet derencontrer que des hommes riches et bienélevés. Alors appelez ça le complexe dusauveur. Pierce adore les belles femmes.Il adore les manipuler et faire de l’argentsur leur dos, mais là aussi il y a uneaffection véritable. Lorsque j’ai rencontréPierce pour la première fois, je lui ai ditque ma petite sœur avait été tuée par unchauffard ivre. Il s’est réellement mis àpleurer. Pierce Patchett est un hommed’affaires dur et intransigeant, et, oui, ildirige des call-girls. Mais c’est unhomme bien.

Ça sonnait juste.

— Quoi d’autre Patchett a-t-il à son

arc ?

— Rien d’illégal. Il monte desentreprises, en affaires et pour le cinéma.Il conseille ses filles dans le domaine desaffaires.

— Le porno ?

— Seigneur, pas Pierce. Il aime lefaire, pas le regarder.

— Ou le vendre ?

— Oui, ou le vendre.

Presque trop glissé, trop facile –comme si Patchett était en train de snoberle porno avec mépris par besoin d’un boncoup de blanc.

— Je commence à penser que vous êtes

en train de me berlurer, à me jeter votrepoudre aux yeux. Blanc comme neige,hein ? Y doit bien y avoir un vrai vicelarddans l’histoire. Jouer au papa gâteau,c’est une chose, mais à vous entendre, cemec, putain, mais c’est Jésus !Commençons par Patchett et son «petitstudio».

Lynn éteignit sa cigarette.

— Supposez que je ne veuille pasparler de ça ?

— Supposez que je vous abandonne,vous et Patchett, à l’administration desMœurs ?

Lynn secoua la tête.

— Pierce pense que vous menez votre

propre petite vendetta personnelle, et quevotre meilleur intérêt, c’est de l’éliminercomme suspect pour ce qui vous concerne– quelle que soit la nature de votreenquête –, et de vous taire sur sesentreprises. Il pense que vous ne ledénoncerez pas, et que ce serait stupidede votre part de le faire.

— Stupide, c’est mon deuxièmeprénom. Quoi d’autre Patchett a-t-il entête ?

— Il attend que vous parliez argent.

— Je ne secoue pas pour le fric.

— Alors, pourquoi ?

— Peut-être que je suis un putain decurieux.

— Qu’il en soit ainsi. Savez-vous quiest le Dr Terry Lux ?

— Bien sûr, il dirige une boîte de curepour toxicos à Malibu. Il est pourrijusqu’à la moelle.

— Correct sur les deux plans, et c’estaussi un chirurgien esthétique.

— II a fait une opération plastique surPatchett, exact ? Personne ne peut paraîtreaussi jeune à son âge.

— Je ne sais rien sur ce point. Ce quefait effectivement Terry Lux, c’estmodifier les filles pour le petit studio dePierce. Il y a Ava, Kate, Rita, Betty.Comprenez Gardner, Hepburn, Hayworthet Grable. Pierce trouve des filles qui

ressemblent moyennement à des actricesde cinéma, Terry exécute des opérationsde chirurgie plastique pour arriver à uneressemblance exacte. Appelons-les lesconcubines de Pierce. Elles couchentavec Pierce et des clients sélectionnés –des hommes qui peuvent l’aider à monterdes contrats d’affaires et desfinancements de films. C’est pervers ?Peut-être. Mais Pierce prélève une partdes gains de ses filles qu’il investit à leurprofit. Il leur fait quitter la «vie» à trenteans – sans exception. Il n’accepte pas queses filles prennent des stupéfiants, et iln’abuse pas d’elles ; et je lui doisbeaucoup. Votre mentalité de policierpeut-elle comprendre ces contradictions ?

— Putain de Christ ! dit Bud.

— Non, M. White : Pierce MorehousePatchett.

— Lux vous a retaillée pour vous faireressembler à Veronica Lake ?

Lynn se toucha les cheveux.

— Non, j’ai refusé. Pierce a adoré mongeste. En réalité, je suis brune, mais toutle reste, c’est moi.

— Et quel âge avez-vous ?

— J’aurai trente ans le mois prochain,et j’ouvrirai une boutique de vêtements.Vous voyez à quel point le temps changeles choses ? Si vous me rencontrez dansun mois, je ne serai plus putain. Je seraiune brunette qui ne ressemblera plustellement à Veronica Lake, et une

commerçante.

— Seigneur Jésus !

— Non. Lynn Margaret Bracken.

Trop rapide – presque un bafouillis :— Écoutez, je veux vous revoir.

— Me demandez-vous un rendez-vous?

— Ouais, parce que je ne peux pas mepermettre les tarifs que demande Patchett.

— Vous pourriez attendre un mois.

— Non, c’est impossible.

— Cessons de parler boutique, en cecas. Je ne veux pas devenir une suspecte.

Bud cocha l’air d’une marque, comme

après un contrôle, rayant Patchett pourKathy et le Hibou de Nuit.

— Marché conclu.

34

La cellule de Mickey Cohen.

Gallaudet s’esclaffa : lit couvert develours, étagère de velours floqué,coiffeuse avec siège en velours floqué.Bouche de chauffage à air chaud dans lemur – État de Washington, encore frais enavril. Ed était fatigué : ils avaient parlé àJack Whalen «le Régulateur», l’avaientéliminé comme suspect, et avaientparcouru mille six cents kilomètres enavion. 1 h du matin – deux flics en traind’attendre un truand psychopathe, enretard à cause d’une partie de cartes qui aduré. Gallaudet flatta de quelques tapes le

bouledogue de compagnie de Cohen :Mickey Cohen Jr, très classe en chandailde velours floqué. Ed consulta ses notessur Whalen.

Divagations d’un moulin à paroles –impossible de lui clouer le bec. Whalenavait ricané devant la théorie Englekling,et s’était mis à digresser sur le crimeorganisé à L.A.

Les activités de la pègre tournaient auralenti depuis que Mickey C. avait atterriau trou. Opinion du spécialiste : le Mick,côté pouvoir, à sec ; son fric planqué dansles banques suisses – du liquide pour sereconstruire. Morris Jahelka, sous-fifrede Cohen, avait obtenu un fief – il l’avaitclaqué vite fait, mauvais investissements,

pas de pognon pour payer ses hommes demain. Whalen avait déclaré que lui, s’ensortait bien, et avait offert sa théorie surCohen.

Il avait l’impression que Mickeyrépartissait toutes ses franchises – parisclandestins, prêts d’usure, came etprostitution – par petits lots, pointilleuxsur le choix des candidats ; une foislibéré sur parole, il rassemblerait tousses petits lots, récupérerait le fric que lesmecs de ses franchises avaient investi, etil rebâtirait. Whalen fondait sa théorie surle pif : Lee Vachs, ex-gâchette de Cohen,paraissait être rentré dans le rang descaves ; Johnny Stompanato et AbeTeitlebaum, idem – deux bons à rienincapables de marcher droit. À vue de

nez, tous les trois étaient encore dansl’arnaque – peut-être qu’ilssauvegardaient les intérêts de Cohen.

Le chef Parker – craignant que la Mafiane vienne empiéter sur le territoire, vuque les affaires tournaient au ralenti –venait de mettre en champ un nouveaufront de défense contre les gros bras del’extérieur. Dudley Smith et deux de sesnervis avaient ouvert boutique dans unmotel de Gardena : ils tabassaient lestruands, les laissant à moitié morts, etleur volaient leur fric pour donations auxœuvres charitables de la police, avant deles remettre dans le bus, le train oul’avion pour les réexpédier d’où ilsétaient venus – le tout vite fait, bien fait,et en toute discrétion.

Whalen avait conclu :

On l’autorisait, lui, à fonctionner parcequ’il fallait bien que quelqu’un assure lesservices de jeux et de paris, sinon ungroupe de cinglés indépendants allaitcommencer à tirailler et foutre la merde àL.A. «Contention» – le mot était deDudley S. – disait clairement ce qu’ilvoulait dire : les autorités de la policesavaient que lui, Whalen, ne tirait quepour riposter, qu’il jouait le jeu. L’idéeque lui ou Mickey avaient pu fairemitrailler six personnes à cause de revuesde branlette n’était que des conneriespures et simples. Pourtant, les chosesétaient trop calmes, il se tramait desmerdes quelque part, c’était inévitable.

Mickey Cohen Jr jappa ; Ed leva lesyeux. Mickey Cohen entra, tenant uneboîte de biscuits pour chiens.

— J’ai jamais tué un homme, dit-il, quiméritait pas de mourir selon les règlesqui sont les nôtres. J’ai jamais distribuéde saloperies obscènes à des fins demasturbation, et j’ai accepté une entrevueavec Pete et Bax Englekling uniquementpar affection pour feu leur père, que Dieuait son âme, même si c’était un putain deboche. Je n’ai pas tué de badaudsinnocents parce que c’est une mitzvah –une bonne action – de ne pas le faire, etparce que j’adhère aux dixcommandements, sauf quand c’estmauvais pour les affaires. Le gardien-chef Hopkins m’a dit pourquoi vous êtes

ici, et je vous ai fait attendre parce quevous devez être des innocents sanscervelle pour croire que j’aie pu exécuterun coup de folie aussi vicieux et aussistupide, alors que c’est évident, c’est dutravail de schwartzes stupides. Maispuisque Mickey Jr vous aime bien, jevous accorderai cinq minutes de montemps. Viens voir papa, bubeleh !

Gallaudet s’esclaffa. Cohens’agenouilla au sol et mit un biscuit danssa bouche. Le chien courut jusqu’à lui,attrapa le biscuit et embrassa Cohen.Mickey câlina la bête : Cohen Jr couinaavant de pisser. Ed vit un homme sur lapasserelle : Davey Goldman, chefcomptable de Mickey, en séjour à McNeil pour ses propres magouilles avec

les impôts.

Goldman s’éloigna discrètement.

— Mickey, dit Bob Gallaudet, lesfrères Englekling ont prétendu que vousavez piqué une furie lorsqu’ils vous ontdit que Duke Cathcart était derrière leuridée.

Cohen recracha des miettes de biscuit.

— L’expression «lâcher la soupape»vous est-elle familière ?

— Oui, dit Ed, mais les autres noms,alors ? Est-ce que les Englekling ontmentionné d’autres noms à part Cathcart ?

— Non, et Cathcart, je ne l’ai jamaisrencontré personnellement. J’ai entendudire qu’il avait un casier pour

détournement de mineures, alors, c’est là-dessus que je l’ai jugé. La Bible dit : «Ne juge pas, de crainte d’être jugé toi-même », et comme j’accepte volontiersd’être jugé, je me dis : « Vas-y, juge, ôMickeyeur ! »

— Avez-vous conseillé les frèresd’une manière quelconque sur la mise enplace d’un système de distribution ?

— Non ! Que Dieu et mon bien-aiméMickey Jr en soient les témoins, non !

Gallaudet :

— Mick, voici la question clé : avez-vous parlé de la proposition aux autresprisonniers ? Qui d’autre était au courant?

— Je n’ai rien dit à personne ! Lesbouquins branlette, c’est un péché et c’estminable ! J’ai même chassé Davey quandces deux frères meshugeneh – cinglés –sont venus me rendre visite ! Davey, c’estmes oreilles, ça vous montre combien jerespecte la vertu cardinale deconfidentialité.

— Ed, dit Gallaudet, j’ai appelé RussMillard pendant que tu discutais avec legardien. Il a dit qu’il avait vérifié avecses mecs de l’Ad. Mœurs cette histoirede pornographie, et qu’ils n’ont rientrouvé. Pas de Cathcart, pas de piste pourles revues. Russ a repris tous les rapportsde terrain du Hibou de Nuit et il n’a riensignalé. Ed, Susie Lefferts, originaire deSan Berdoo, ce n’est rien qu’une

coïncidence. Cathcart serait incapable demettre sur pied une affaire de revuespornos, même s’il essayait. Toutel’affaire se résume aux frères Engleklingqui ont vu là un moyen de marchandagepour se laver de quelques vieux mandats,et à un chien qui fait son numéro.

Ed acquiesça. Mickey Cohen Sr pritMickey Cohen Jr dans ses bras.

— Pères et fils sont un bon sujet deréflexion, une nourriture pour l’esprit, unvéritable festin, n’est-ce pas ? Monrejeton canin et moi, comme le vieux DocFranz et ses raclures de bidet de fils etleurs chicots avariés. Franz était un géniede la chimie, il a fait de grandes chosespour les débiles mentaux baveurs. Quand

on m’a volé une cargaison de «gros H», ya un moment de ça, j’ai pensé à Franz ; età la manière, si j’avais eu son cerveau aulieu du génie poétique qui est le mien,dont j’aurais fabriqué ma propre petitepoudre blanche pour la revendre. Rentrezà la maison, gamins. Les livres sales nevont pas vous mener au coupable dansvotre affaire de meurtre. C’est lesschwartzes, c’est ces putains deschwoogies !

35

Des bouteilles : whisky, gin, cognac.Des enseignes qui clignotaient : Schlitz,Pabst Blue Ribbon. Des marins quidescendaient leurs bières glacées, desmecs heureux en train de s’allumer àpicoler. La crèche de Hudgens à un blocde là – la gnôle lui donnerait les tripesnécessaires. Il le savait déjà avant defiler Bud White – maintenant il avaitmille raisons de passer à exécution.

— Dernière tournée, hurla le barman.

Jack sécha sa limonade et appuya leverre contre sa nuque. Sa journée vint luien refiler un coup – une nouvelle fois.

Millard avait dit que Duke Cathcartétait impliqué dans une magouille pourfourguer ses revues pornos.

Bud White rend visite à Lynn Bracken,l’une des putes sosies. Il reste deuxheures avec elle ; la pute le raccompagnesur le pas de la porte. Il filoche BudWhite, et commence à penser preuves :White connaît Bracken, elle connaîtPierce Patchett, lequel connaît Hudgens.Sid est au courant du Malibu Rendez-Vous ; Dudley Smith aussi, probablement.La raison du Grand Dud pour la filoche :White avait perdu les pédales après lezigouillage d’une racoleuse.

Pulsations des marques de bière enmonstres de néon. Coups-de-poing en

laiton dans la voiture, le mec Sid pourraitbien se dégonfler, et lui refiler sondossier.

Jack se dépêcha : direction chezHudgens, pas de lumières allumées, laPackard de Sid contre le trottoir. La porte– coup-de-poing en laiton sur lesjointures en guise de heurtoir.

Trente secondes – rien. Jack essayad’ouvrir – pas moyen – un coup d’épaulesur l’huisserie. La porte s’ouvrit dans unclaquement.

Cette odeur.

Ralenti ; mouchoir sorti, arme à lamain, coude sur le mur – l’interrupteur,pas d’empreintes. L’interrupteur qui

bascule, la lumière qui s’allume.

Sid Hudgens en morceaux sur le sol –un tapis détrempé, complètement noir ; leplancher, un miroir de sang visqueux.

Bras et jambes sectionnés, séparés dutorse à des angles invraisemblables.

Fendu en deux depuis le pubis, le blancdes os transparaissant à travers le rouge.

Meubles classeurs cul pardessus têtederrière lui – des chemises en vrac sur uncoin de tapis propre.

Jack se mordit les bras pour tuer seshurlements.

Pas de traces de sang. Conclusion : letueur est sorti par la porte de derrière.Hudgens nu, couvert de sang rouge-noir.

Les membres arrachés du torse, des filetsdégoulinants d’hémoglobine aux points desectionnement, des tourbillons commedans ses livres de baise recoloriés àl’encre.

Jack se dépêcha.

Autour de la maison, l’allée. La portede derrière entrouverte, déversant salumière. À l’intérieur, un sol humide etluisant d’eau – pas d’empreintessanglantes, piste effacée. Il entra, trouvades paquets de sacs d’épicerie sousl’évier. À pas chancelants jusqu’au salon.Toutes les saletés des classeurs : deschemises, des chemises, encore deschemises – un, deux, trois, quatre, cinqsacs – deux voyages jusqu’à sa voiture.

Une rue tranquille de L.A. à 2 h 20 dumatin. «Calme-toi», à coup de baratin.

Cinquante milliards de personnesavaient des mobiles. Personne ne savaitqu’il avait vu les livres maquillésd’encre. Les mutilations, on n’en tiendraitpas compte – rien qu’un truc de psycho.

Il fallait qu’il trouve son dossier.

Jack éteignit les lumières, scia la ported’entrée à l’aide de ses menottes – qu’ilscroient que c’est un cambrioleur. Ildécolla, pas de destination, rien qu’unvolant entre les mains.

Le volant, et rien d’autre, le fatiguavite. Il trouva une rue pleine de motels etune crèche où les draps n’avaient pas le

temps de refroidir : Chez Oscar, auSleepytime Lodge, la Pension du BonDodo.

Il régla une semaine de loyer, traîna sessacs dans la piaule, prit une douche etrenfila ses vêtements rassis. Un vraipalace à cafards, avec bestioles etgraillons sur le mur, au-dessus du lit. Il serenifla : toujours l’odeur de rassis qui sefaisait fétide. Il verrouilla la porte et semit à fouiner dans ses ragots et sescancans.

De vieux numéros de l’Indiscret,coupures de presse, documents de policefauchés. Dossiers : Montgomery Cliftcomme la plus petite pine de Hollywood,Errol Flynn agent nazi. Une perle à faire

du bruit : Flynn et un écrivain homo dunom de Truman Capote. Des cocos, dessympathisants coco, des célébritésbaiseuses de bougnoules – de JoanCrawford à l’ancien procureur BillMcPherson. Du camé à foison : dessaloperies sur Charlie Parker, AnitaO’Day, Art Pepper, Tom Neal, BarbaraPayton, Gail Russell. Des articles nonexpurgés de l’Indiscret : DES LIENSEXISTENT ENTRE

LA MAFIA ET LE VATICAN.

LITURGIE LAVANDE : «ROCK» HUDSON

NE SERAIT-IL PAS «ROCKETTE» ?

ALERTE AUX CAMÉS :

ATTENTION AUX TÉTEURS

D’HERBE DE HOLLYWOOD.

Des dossiers complets, trop insipidespour faire partie du magot planqué parHudgens – cocos, pédés, gouines,dopailleurs, satyres, nymphos, misogynes,politicards achetés par les truands.

Rien sur le sergent Jack Vincennes.

Rien sur l’Insigne du Courage – unedes grosses fixations de Hudgens – ilsavait pourtant que Sid possédait undossier sur Brett Chase.

Bizarre.

Encore plus bizarre : l’Indiscret avaitfait une campagne pour salir Max Peltz –et il n’y avait rien sur lui.

Rien sur Pierce Patchett, Lynn Bracken,Lamar Hinton, Fleur de Lis.

Jack mesura sa pile de saloperies. Jolitas – disons que le tueur a dû voler desdossiers, mais s’il en a pris, il en a paspris beaucoup – le tas, à ses pieds,donnait l’impression qu’il aurait bourrétous les classeurs à craquer.

ALIBI.

Jack fourra ses dossiers dans leplacard. «Ne pas déranger» sur la porte.Retour à son appartement.

5 h 10 du matin.

Sous le heurtoir de la porte : «Jack –n’oublie pas notre rencart jeu.» «Jackchéri – tu hibernes ? XXXX – K.» Ilentra, s’empara du téléphone et composale 888.

— Police. Les Urgences.

Un accent traînant de mec à la coule.

— Mec, je veux signaler un meurtre,qu’on m’ pend’ si j’mens.

— Monsieur, est-ce sérieux ?

— Ouais, qu’on…

— Quelle est votre adresse, monsieur ?

— Mon adresse, c’est nulle part, maisj’allais cambrioler quand j’ai vu le corps.

— Monsieur…

— 421 South Alexandria, z’avez noté ?

— Monsieur, où êtes…

Jack raccrocha, se dévêtit et s’étenditsur le lit. Petit décompte : vingt minutes

pour les bleus en uniforme, dix pouridentifier Hudgens. Ça glandouille avantde piger que c’est du gros : appel à laCriminelle. Le réceptionniste de servicese dit : «de la grosse légume», et faitsortir du lit un mec réputé pour lesaffaires maousses. Thad Green, RussMillard, Dudley S. – ils penseraient tousau Grand V pronto – son téléphonesonnerait dans moins d’une heure.

Jack resta étendu là – à mouiller desueur une paire de draps propres. Dringdring – à 6 h 58.

Jack, dans un bâillement :

— Ouais.

— Vincennes, c’est Russ Millard.

— Ouais, Cap. Quelle heure est-il ?Que se…

— Aucune importance. Savez-vous oùhabite Sid Hudgens ?

— Ouais, quelque part côté ChapmanPark. Cap, qu’est…

— 421, South Alexandria. Tout desuite, Vincennes !

Coup de rasoir, douche, vêtementssecs. Quarante minutes jusqu’aux lieux ducrime – une chiée de bagnoles de flics surla pelouse de Hudgens. Des hommes de lamorgue chargés de sacs plastique – sanget morceaux de corps humain.

Jack se gara sur la pelouse. On fitsortir une civière à roulettes : une

boucherie enveloppée de draps. RussMillard près de la porte ; deux nouveauxarrivants – Don Kleckner, Duane Fisk –dans l’allée. Des hommes de patrouillerepoussaient les spectateurs avec forcegestes : une foule de journalistes occupaitle trottoir. Jack s’avança jusqu’à Millard.

— Hudgens ? – pas trop choqué, levrai pro.

— Oui, votre copain. Un petit peudéchiqueté, je le crains. C’est uncambrioleur qui l’a signalé au poste. Ilétait sur le point de se faire la maison, etil a vu le corps. Il y a des marques depince sur le jambage, alors je marche. Neregardez pas à l’intérieur si vous avezmangé.

Jack regarda. Du sang séché, lescontours d’une silhouette marqués àl’adhésif blanc : bras, jambes, torse – desmarques aux points de sectionnement.

— Quelqu’un le haïssait, dit Millard.Vous voyez les tiroirs là-bas ? Je penseque le tueur l’a descendu pour sesdossiers. J’ai fait appeler l’éditeur del’Indiscret par Kleckner. Il va ouvrir lebureau et nous donner des exemplairesdes sujets récents sur lesquels Hudgenstravaillait.

Le vieux Russ voulait un commentaire.Jack se signa : première fois depuisl’orphelinat, putain, mais d’où est-ce queça lui était revenu ?

— Vincennes, vous étiez son ami. Que

pensez-vous ?

— Je pense que c’était une ordure !Tout le monde le haïssait ! Vous avez toutL.A. comme suspects !

— Du calme, allons, du calme. Je saisque vous avez laissé filtrer desinformations jusqu’à Hudgens, je sais quetous les deux, vous étiez en affaires. Sicette histoire n’est pas définitivementréglée d’ici quelques jours, il me faudraune déposition.

Duane Fisk en train de baratiner MortyBendish – paris ouverts sur un scoop duMirror.

— Je lâcherai le morceau ; qu’est-ceque vous croyez que je vais faire,

entraver le déroulement d’une enquêteofficielle ?

— Votre sens du devoir est admirable.Maintenant, parlons un peu de Hudgens.Filles, garçons, qu’est-ce qu’il aimait ?

Jack alluma une cigarette.

— Il aimait la saloperie. C’était unnom de Dieu de dégénéré. Peut-être qu’ilse paluchait Popaul en regardant sonpropre torchon de nom de Dieu de merde,je ne sais pas.

Don Kleckner s’avança jusqu’à eux, unexemplaire de l’Indiscret ouvert en grand:

UN PONTE DE LA TÉLÉ AIME RELUQUER

ET PLUS ENCORE !!!

IL ADORE LES JEUNES ADOS

COMME CADEAUX !!!

— Capitaine, j’ai acheté ça au kiosqueà journaux du coin. Et l’éditeur m’a ditque Hudgens avait une sacrée dent contrel’Insigne du Courage.

— Voilà qui est intéressant. Don, vouscommencez le quadrillage. Vincennes,approchez !

Direction la pelouse.

— Ça en revient toujours à des gensque vous connaissez, dit Millard.

— Je suis flic et je suis surHollywood. Je connais des tas de gens, etje sais que Max Peltz aime la minettejeunette. Et alors ? Il a soixante ans et ce

n’est pas un tueur.

— Nous déciderons de cela cet après-midi. Vous quadrillez sur le Hibou deNuit, exact ? Pour mettre la main sur lavoiture de Coates ?

— Ouais.

— Alors, retournez-y pour l’instant, etprésentez-vous au rapport, au bureau, à 2h. Je vais demander à certainsparticipants de l’Insigne du Courage dese présenter pour un interrogatoireamical. Vous pouvez mettre de l’huiledans les rouages.

Bill Dieterling, Timmy Valburn – «LesGens qu’IL Connaissait» – Le cercle serefermait.

— -Bien sûr. Je serai là.

Morty Bendish le rejoignit au pas decourse.

— Jackie, est-ce que ça veut dire queje vais avoir toute l’exclusivité,maintenant ?

Cassage de portes de garages, avec lesnégros qui balançaient des fruits – sonvrai travail l’attendait à son retour àl’hôtel. L’idée le frappa alors qu’il sedirigeait vers Nègreville.

Il coupa à l’est et se gara près du FlushRoyal. La Buick de Claude Dineenmontée sur chandelles – il étaitprobablement en train de vendre sa merdedans les toilettes pour hommes.

Jack entra. Glace et silence : le GrandV était synonyme d’ennuis. Le barman luiservit un double Old Forester. Jack ledescendit d’un coup – cinq ans casher quipassaient à l’as. La rincette le réchauffa.Il ouvrit la porte des toilettes d’un coupde pied.

Claude Dineen en train de se charger.

Jack l’étala d’un coup de pied, facecontre terre, arracha la shooteuse qu’ilavait dans le bras. Fouille, pas derésistance – Claude était au huitième ciel.Gagné : Benzédrine en papier alu. Ilavala une dose à sec, vira la seringuedans les toilettes et tira la chasse.

— Je suis revenu, dit-il.

Il arriva au motel remonté au poil, enforme pour étudier les solutionspossibles. Deuxième tour de manège surtous les dossiers.

Rien de nouveau ne lui sauta à la figure; son flair le tarabusta sur un point :Hudgens ne gardait pas ses «dossiers»secrets à la maison. Si le tueur l’avaitdescendu pour un dossier bien particulier,il l’avait d’abord torturé pour enconnaître l’emplacement. Le tueur n’avaitpas piqué un tas de dossiers – lesclasseurs ne pouvaient guère contenirplus que ce lui-même avait pris. Ledossier de Sid sur le Grand V étaittoujours introuvable – si le tueur letrouvait, il pourrait le garder, comme ilpourrait le jeter.

Un bond en avant : liaisonHudgens/Patchett ; et la liaison, c’était lesrackets porno/filles. En mettant de côté lerapport Cathcart/Hibou de Nuit : Millardet Exley y voyaient un règlement decomptes – Whalen et Mickey C. pasd’accord, Cathcart n’avait jamaisdémarré son plan porno. Rapport deMillard : les frères Englekling nesavaient pas qui avait pris les photos ;Cathcart avait mis la main sur certainsdes livres de cul, et son plan lui étaitmonté à sa cervelle de moineau. Ça misde côté, voici ce qui lui restait : BobbyInge, Christine et Daryl Bergeron –disparus. Lamar Hinton, le tireurprobable de la planque Fleur de Lis –sans l’ombre d’un doute, disparu aussi.

Timmy Valburn, client de Fleur de Lis,que lui-même avait alpagué – et lien avecBilly Dieterling – un cameraman del’Insigne du Courage – : attrape-le aucours de la séance d’interrogatoire deMillard – mais reste calme là-dessus.Disons que Timmy a dit à Billy qu’il s’estfait pincer, et que Billy était là quand ilavait démoli la voiture de Hinton : gardeton sang-froid, les pédés ont une chiée detrucs à perdre, en admettant les liens quiles unissent à Fleur de Lis – ce dont RussMillard ignore jusqu’à l’existence.

Tempête sous un crâne, cigarettes à lachaîne.

Les mutilations du corps de Hudgenscorrespondaient aux poses retouchées à

l’encre dans les revues de baise qu’ilavait trouvées à l’extérieur de la crèchede Bobby Inge. Aucun autre flic n’avaitvu ces livres-là en particulier – Millardavait jeté un œil au macchabée et collécomme étiquette «amputation pure etsimple» sur les membres sectionnés.

Hudgens l’avait averti de laissertomber Fleur de Lis. Lynn Bracken étaitune des putains de Patchett – peut-êtrequ’elle connaissait Sid.

L’atout dans sa manche : Dudley Smithlui avait demandé de filer Bud White. Saraison : White commençait à jouer aufranc-tireur sur un meurtre de racoleuse.Bracken était une racoleuse, Patchettdirigeait des racoleuses. Mais : Dudley

n’avait pas fait état de liens possiblesavec le Hibou de Nuit ou lapornographie – Patchett, Bracken, lesimages cochonnes, Fleur de Lis, et tousles putains d’autres trucs étaientprobablement pour lui du chinois – lamagouille Englekling frères/Cathcartmise à part, les livres cochons, Patchett,Bracken, Fleur de Lis, Hudgens, rien detout ça n’était apparu dans le tasincroyable des paperasseries inter-divisions affichées au tableau.

Sur son nuage : Benzédrine pluslogique de flic. 11 h 20 – du temps à tueravant le bureau. Deux pistes sérieuses –Pierce Patchett, Lynn Bracken.

Bracken était plus près.

Jack alla jusqu’à l’appartement deBracken et s’installa derrière la voiturede Lynn. Je lui donne une heure,j’improvise si elle sort.

Les heures Benzédrine s’écoulèrent ; laporte de Bracken restait fermée. 12 h 33 –un môme balance un journal contre laporte. Si Morty Bendish a sorti sonhistoire en quatrième vitesse, et si lemôme vient de jeter le Mirror…

La porte s’ouvrit ; Lynn Brackenramassa le journal, et rentra dans lamaison en bâillant. Le petit livreur passaà côté de lui en coup de vent, les sacs dejournaux bien visibles : Los AngelesMirror News. Sois là-dedans, Morty.

Bang ! – Bracken reclaqua la porte et

courut à sa voiture. Elle mit plein gaz etvira à l’ouest sur Los Feliz. Jack luicompta deux secondes d’avance et se mità la filer.

Sud-ouest, Los Feliz jusqu’à Western,puis Sunset, Sunset en enfilade – à vingtkilomètres au-dessus de la limite. Parisouverts : une visite à Patchett sur un coupde trouille, elle ne voulait pas se servirdu téléphone.

Jack fit une boucle au sud, prit unraccourci et arriva au 1184 Gretna Greenavec de la gomme sur le bitume. Uneénorme résidence espagnole, une énormepelouse en façade – Lynn Bracken nes’était pas encore montrée.

Le cœur qui dérape : il avait oublié le

prix qu’on paye, à avaler des bennies. Ilse gara, inspecta la maison : personnedehors ou aux alentours. Jusqu’à la porte,plié en deux pour passer sur le côté – etse trouver quelques fenêtres.

Fermé partout. Sur l’arrière, unjardinier au travail – impossible de fairele tour sans être vu. Une porte de voitureclaqua ; Jack courut jusqu’à une fenêtrede façade : fermée, un jour entre lesrideaux, par où il pourrait essayer de voirquelque chose.

La sonnette retentit ; Jack plissa lesyeux. Patchett alla jusqu’à la porte,l’ouvrit. Lynn Bracken lui fourra lejournal dans les mains – gros plan sur unduo paniqué : mouvements de lèvres

muettes, et peur très grande. Jack collaune oreille contre la vitre – tout ce qu’ilentendit, ce fut son cœur qui cognait. Pasbesoin de bande son : ils n’étaient pas aucourant de la mort de Sid, ils ont pourtantla trouille, ils ne l’ont pas tué.

Ils entrèrent dans la pièce voisine –rideaux bien tirés, aucune chance de voirou d’écouter. Jack courut à sa voiture.

Il arriva au bureau avec dix minutes deretard. Le placard de la Criminelle étaitplein à craquer ; rien que l’Insigne duCourage : Brett Chase, Miller Stanton,David Mertens, le décorateur, et JerryMarsalas son infirmier – serrés sur unlong banc. Debout : Billy Dieterling,l’équipe des cameramen, et une demi-

douzaine d’hommes à mallettes, desavocats, pas de doute. Le groupe avaitl’air nerveux ; Duane Fisk et DonKleckner allaient et venaient, bloc-pinceà la main. Pas de Max Peltz, pas de RussMillard.

Billy D. lui jeta un regard noir ; lereste de la troupe le salua de la main.Jack leur rendit leurs saluts ; Kleckner lerepéra vite fait :

— Ellis Loew veut vous voir. Boxnuméro six.

Jack s’avança. Loew avait le regardfixé sur un miroir, sur le mur du fond – undétecteur de mensonge, et son équipementde l’autre côté du miroir. L’heure était àla détection : Millard interrogeait Peltz ;

Ray Pinker aux commandes de l’appareil.

Loew remarqua sa présence.

— Je préférerais que Max n’ait pas àsubir cette épreuve. Pouvez-vous arrangerça ?

On protège un donateur – caisse noireoblige.

— Ellis, je ne peux rien marchanderavec Millard. Si l’avocat de Max lui aconseillé de le faire, il faudra qu’il lefasse.

— Est-ce que Dudley peut arranger ça?

— Dudley non plus ne peut rienmarchander avec Millard, Millard est uncœur pur. Et avant que vous ne le

demandiez : je ne sais pas qui a tué Sid,et je m’en fiche. Est-ce que Max a unalibi ?

— Oui, mais d’un genre qu’ilpréférerait ne pas utiliser.

— Quel âge a-t-elle ?

— Bien jeune. Est-ce que…

— Oui, Russ le poursuivrait pour ça.

— Seigneur, tout ça pour une ordurecomme Hudgens !

Jack éclata de rire.

— Maître, l’un de ses petits ragotsvous a fait élire.

— Oui, on ne choisit pas sescompagnons de lit en politique, elle vous

offre parfois d’étranges alliances, mais jedoute fort qu’on le pleure. Vous savez,nous n’avons rien. J’ai parlé aux avocatsque vous avez vus, et ils m’ont tousassuré que leurs clients avaient des alibissolides. Ils feront leurs dépositions etseront éliminés comme suspects, le restede l’équipe de l’Insigne du Courage aurades alibis, et nous n’aurons plus que lereste de Hollywood à interroger.

Une ouverture.

— Ellis, vous voulez un conseil ?

— Oui, donnez-moi donc votre pointde vue de cynique, en la circonstance.

— Laissez l’affaire mourir de sa bellemort. Mettez le paquet sur le Hibou de

Nuit, c’est ça que le public veut voiréclairci. Hudgens était une merde ;l’enquête, ce sera de la merde au grandjour, et nous ne trouverons jamais letueur. Laissez mourir.

La porte s’ouvrit ; Duane Fisk mit lesdeux pouces vers le sol :

— Pas de chance, M. Loew. Des alibisbien francs, et on dirait qu’ils tiennent. Lecoroner évalue l’heure de la mort deHudgens entre minuit et une heure dumatin, et ces gens-là étaient trop visiblesailleurs. Nous allons rechercher destémoignages de confirmation, mais jepense que c’est dans le lac.

Loew acquiesça ; Fisk sortit.

— Laissez tomber.

Loew sourit.

— Quel est votre alibi ? Étiez-vous aulit avec ma belle-sœur ?

— J’étais au lit, seul.

— Je ne suis pas surpris – Karen a ditque vous vous faisiez rare et lunatiqueces temps-ci. Vous avez l’air à cran, Jack.Avez-vous peur que votre arrangementavec Hudgens ne vienne à être connu ?

— Millard veut une déposition, je luien ferai une. Sid et moi en frères de lamême loge, vous avalez ça ?

— Bien sûr. Au même titre que DudleySmith, moi-même, et plusieurs autresenfants de chœur bien connus. Vous avez

raison pour Hudgens, Jack. J’en toucheraiun mot à Bill Parker.

Bâillement – le jus des bennies nefaisait plus effet.

— C’est une affaire perdue d’avance,et vous ne voulez ni instruire, ni requérir.

— C’est exact, puisque la victime aeffectivement facilité mon élection, et ilaurait pu laisser trace du fait que vousavez laissé transpirer jusqu’à lui desinformations sur les, entre guillemets,«désirs foncés» de M. McPherson.Jack…

— Ouais, je sentirai le vent etj’ouvrirai l’œil, et si votre nom apparaîtsur le papier, je le détruirai.

— C’est bien. Et si je…

— Ouais, il y a quelque chose. Suivezde près les rapports d’enquête. Sidgardait secrets quelques dossiers de sessaletés et si votre nom doit se trouverquelque part, c’est là. Et si j’ai un tuyausur l’endroit, je serai sur place, uneallumette à la main.

Loew, pâle :

— Marché conclu, et je parlerai àParker cet après-midi.

Ray Pinker tapota sur le miroir, etpressa un graphique contre la vitre : deuxtracés jumeaux d’aiguilles enregistreuses– pas de fluctuations désordonnées.Sortie du haut-parleur :

— Non coupable, mais pas moyen pourson alibi. Était-il en flagrant délit ?

Loew sourit. Russ Millard, haut et clairdans le haut-parleur :

— Au travail, Vincennes. Quadrillagede bloc pour le Hibou de Nuit, si vousvous souvenez. Votre ridicule spectacletélévisé n’a toujours rien donné pourl’instant, et je veux une déposition parécrit de vos tractations avec Hudgens.Pour 8 h demain matin.

Nègreville lui faisait de grands signes.

Au sud jusqu’à la Soixante-dix-septième. Jack avala une nouvelle rouléed’amphèts et prit sa carte de quadrillage ;le sergent de service lui avait dit que les

bamboulas devenaient de plus en plusenragés, des agitateurs cocos les avaientexcités comme des malades avec leursconneries ; nouvelles attaques etprojections d’ordures, les mecs chargésdes garages marchaient maintenant partrois : un inspecteur, deux hommes depatrouille, par équipes, de chaque côté dela rue. Rendez-vous avec ses mecs sur laCent-seizième et Wills – depuis midi, ilsétaient un de moins.

Les bennies firent leur effet – Jackretrouva la pêche. Il roula jusqu’à 116 etWills : une rangée de cahutes enparpaings aux fenêtres garnies de carton.Des chemins de terre, une brigade àbicyclette, des mômes de couleur quifaisaient provision de fruits. Ses mecs

étaient devant : deux gars des patrouillesà gauche, deux bleus et un civil à droite.Armés : cisailles, carabines. Jack se gara,et rejoignit l’équipe de gauche pour enfaire un trio.

Du travail merdique, purement etsimplement.

Un coup à la porte, obtenir lapermission de fouiller le garage. Troisquarts des mecs du coin faisaientl’endormi ou celui qui ne comprend pas ;retour au garage, cisailler le verrou,ouvrir la porte. L’équipe de droite nedemandait rien – ils arrivaient cisaillesen avant, lambinaient un peu, brandissantleur quincaillerie en direction des mômesà bicyclette. Les mômes, côté gauche,

essayaient de prendre un air méchant ; ungamin balança une tomate au-dessus deleurs têtes. Les bleus firent feu au-dessusde sa tête – descendant une cage àpigeons et déchiquetant un palmier.Garage poussiéreux après garagepoussiéreux après garage poussiéreux –pas de Merc 49 immatriculée DG 114.

Le soir tombant, un bloc de maisonsabandonnées – fenêtres en morceaux etpelouses en jungles sauvages. Jackcommençait à se sentir tocard : mal auxdents, ratés, et secousses au palpitant etdans la poitrine. Il entendit deshurlements de rebelle de l’autre côté dela rue ; l’équipe du côté droit lâcha descoups de feu. Il regarda ses partenaires –et ils se bougèrent le cul fissa jusqu’à

l’autre côté.

Le saint Graal les attendait dans ungarage infesté de rats : une Merc 49pourpre, une charrette de bougnoulejusqu’au trognon. Plaque de CalifornieDG 114 – au nom de Raymond «SugarRay» Coates.

Deux hommes de patrouille firentjaillir les bouteilles.

Deux mômes à bicyclette se mirent àbaragouiner : la peinture, du tonnerre, unchat blanc se traînait dans l’allée.

Les mecs du côté gauche se lancèrentdans une danse pour la pluie.

Jack plissa les yeux devant une vitrelatérale de la tire. Trois fusils à pompe

sur le sol, entre les sièges : gros canon,probablement du calibre 12.

Hurlements à rendre sourd, grandestapes dans le dos, poignées de main àvous écraser les phalanges. Les mômes semirent à hurler en accompagnement ; undes flics de patrouille leur laissa téter labouteille. Jack avala une grosse gorgée,vida son arme sur un lampadaire, et fitmouche avec son dernier coup. Whoopie,hurlements de rebelles en révolution ;Jack laissa les mômes jouer à dégainervite avec son calibre déchargé. SidHudgens lui bourdonnait dans la tête – ille chassa en avalant une grosse dose.

36

Salon privé au Pacific Dining Car.Dudley Smith, Ellis Loew, et Bud en faced’eux. Les mains pleines d’ampoules :trois jours de travail au tuyau ; lesobsédés sexuels se mélangeaient, tousflous dans sa tête.

— Mon gars, dit Dudley, nous avonsretrouvé la voiture et les fusils il y a uneheure. Pas d’empreintes, mais l’un despercuteurs correspond parfaitement auxculots marqués des douilles retrouvées auHibou de Nuit. Nous avons sorti les sacset les portefeuilles des victimes d’unegrille d’égout, près de l’hôtel Tevere, ce

qui signifie que nous sommes sacrémentprès d’avoir une affaire sans faille. MaisM. Loew et moi-même voulons tout letremblement. Nous voulons des aveux.

Bud repoussa son assiette. On enrevenait aux Nègres, encore et toujours –plus qu’à faire une croix pour se payerExley.

— Alors vous remettez le brillantjeune homme sur le coup avec les négros?

Loew secoua la tête.

— Non, Exley est trop mou. Je veuxque vous et Dudley les interrogiez, àl’intérieur de la prison, demain matin.Ray Coates est à l’infirmerie pour une

infection à l’oreille, mais ils le relâchentpour le remettre avec les autres demainmatin. Je veux vous voir tous les deux,vous et Dud, en pleine forme, sur place,tôt le matin ; disons 7 h.

— Et Carlisle et Breuning ?

Dudley se mit à rire.

— Mon gars, ta présence est bien pluseffrayante. Ce travail a pour nom«Wendell White» en toutes lettres, aumême titre qu’une autre affectation quej’ai démarrée récemment. Et quit’intéressera.

— Officier, dit Loew, jusqu’ici, cetteaffaire a été l’affaire d’Ed Exley, maisvous pouvez maintenant en partager la

gloire. Et je vous accorderai une faveuren retour.

— Ouais ?

— Oui. Dick Stensland a sur le dos uneinculpation pour violation deconditionnelle avec six chefsd’accusation. Faites ce travail etj’abandonnerai quatre des accusationsavant de le présenter devant un jugecoulant. Il ne sera pas condamné à plus dequatre-vingt-dix jours.

Bud se leva.

— Marché conclu, M. Loew. Et mercipour le dîner.

Dudley rayonnait.

— À te revoir demain 7 h, mon gars. Et

pourquoi nous quittes-tu si brusquement,est-ce un rencart brûlant qui t’attend ?

— Ouais, Veronica Lake.

Elle ouvrit la porte, Veronica de la tèteaux pieds : robe du soir à sequins, mècheblonde sur un œil.

— Si vous aviez appelé d’abord, je neserais pas apparue aussi ridicule.

Elle était à cran. La teinture n’allaitplus : la couleur était inégale, sombre à laracine des cheveux.

— Un mauvais rencart ?

— Un banquier d’investissement dontPierce souhaite obtenir des services.

— Vous avez bien fait semblant ?

— Il était tellement occupé à ce qu’ilfaisait que je n’ai même pas eu à fairesemblant.

Bud éclata de rire.

— Une fois la trentaine passée, vous neferez plus ça que pour le frisson, riend’autre.

Lynn rit, toujours à cran, au point peut-être de le toucher la première, rien quepour s’occuper les mains.

— Si les hommes n’essaient pas d’êtreAlan Ladd, ils pourront peut-êtreretrouver la vraie Lynn Margaret.

— Ça vaut le coup d’attendre ?

— Vous savez bien que oui, et vousêtes en train de vous demander si Pierce

m’a demandé d’être réceptive.

Aucune répartie ne lui vint à l’esprit.

Lynn lui prit le bras.

— Je suis contente que vous ayezpensé à ça, et je vous aime bien. Etpendant que vous allez m’attendre dans lachambre, je vais aller me nettoyer, et medébarrasser et de Veronica et de cebanquier d’investissement.

Elle vint à lui, nue, brune, les cheveuxencore humides. Bud s’efforça d’allerlentement, de prendre le temps de sesbaisers, comme si c’était une femmesolitaire qu’il voulait aimer à mort. Lynnlui cassa sa manière de faire ; en luirendant ses baisers, et par ses

attouchements. Bud ne pouvaits’empêcher de penser qu’elle faisaitsemblant – il se précipita pour la goûter,afin d’être sûr.

Lynn gémit, posa les mains de Bud surses seins, et lui mit en branle le rythme deses doigts. Bud suivit ses indications etadora la voir haleter, et jouir, et jouirencore. C’était vrai – si vrai qu’il s’enoublia lui-même – il entendit quelquechose comme : « En moi, s’il te plaît, enmoi. » Il se fit durcir en se frottant sur lelit, la pénétra, et garda les mains sur sesseins, comme elle le lui avait montré. Duret fort en elle – il ne se laissa aller qu’àl’instant où les jambes de Lynn se mirentà battre, et ses hanches à le repousserpour le chasser des draps – puis son

visage se trouva pressé contre sescheveux mouillés, leurs bras verrouillésles serrant l’un contre l’autre.

Ils se reposèrent, ils parlèrent. Lynn luiraconta son journal : mille pages quiremontaient jusqu’au lycée de Bisbee enArizona. Bud se laissa aller sur le Hiboude Nuit, son boulot de gros bras dulendemain matin – comme des canardstirés sur l’eau, quelque chose qu’il nepourrait plus encaisser bien longtemps.L’expression de Lynn disait : « Alors,laisse tomber, tout simplement. » Iln’avait pas de réponse à ça, aussi se mit-il à baratiner sur Dudley, sur la fille quien pinçait pour lui, violée, un vraidésespoir, sur son espoir de voir leHibou de Nuit prendre une autre direction

de manière qu’il puisse s’en servir pourabattre ce mec qu’il haïssait. Lynnrépondit avec des petites caresses ; Budlui dit qu’il laissait de côté pour lemoment la petite Kathy refroidie – c’étaittrop facile de devenir cinglé pour unechose pareille – aussi cinglé que pour sonnuméro avec Dwight Gilette. Lynnl’interrogea sur sa famille ; il lui dit : « Jen’en ai pas. » Il passa en revue sonenquête hors la loi : Cathcart, sa piaulefouillée et nettoyée, son rêve porno, lespages jaunes de San Berdoo ouvertes àl’intitulé imprimeries ; clic, ça collaitavec les frères Englekling et leur marchéavec le procureur, puis déclic en sensinverse, retour aux connards de couleurqu’ils avaient au frigo. Il savait qu’elle

savait l’essentiel : il se sentait frustréparce qu’il n’était pas aussi intelligentque ça, il n’était pas vraiment inspecteurde la Criminelle – il n’était que le mecqu’on fait venir pour foutre aux autresmecs une trouille à ne plus pouvoir enchier. Au bout d’un moment, sonbavardage s’épuisa de lui-même – Bud sesentit agité, et il faisait la gueule contrelui-même pour avoir trop craché tropvite. Lynn sembla percevoir lechangement : elle se pencha sur lui et lerendit cinglé avec sa bouche. Bud luicaressa les cheveux, encore un peuhumides, content qu’elle n’ait pas étéobligée de faire semblant avec lui.

37

Preuves – les affaires des victimesretrouvées près de l’hôtel Tevere ; ladécouverte de la Merc de Coates et desfusils ; la vérification par le labo duflingue qui avait tiré les munitionsbizarrement marquées. Aucun Grand Juryau monde ne refuserait une mise enaccusation pour meurtre au premierdegré. L’affaire du Hibou de Nuit étaitréglée.

Ed à sa table de cuisine, en train derédiger un rapport : dernier résumé pourParker. Inez dans sa chambre, sa chambreà elle ; maintenant ; il n’arrivait pas à

trouver le cran de lui dire : « Laissez-moisimplement coucher avec vous, nousverrons bien comment ça marchera, nousnous veillerons l’un l’autre. » Elle avaitété d’humeur changeante – à lire deslivres sur Raymond Dieterling, à setrouver le cran d’aller lui demander unboulot. La nouvelle sur les fusils ne luiavait été d’aucun secours – même si çasignifiait pour elle «pas de témoignage».Preuve – à l’extérieur, ses blessuress’étaient cicatrisées, la douleur physiquen’était plus là pour la distraire. Sanscesse, elle avait la sensation que tout sereproduisait.

Le téléphone sonna ; Ed se saisit del’appareil. Déclic supplémentaire – Inezvenait de décrocher dans la chambre.

— Allô ?

— Russ Millard, Ed.

— Capitaine, comment allez-vous ?

— C’est Russ à partir du grade desergent, fils.

— Russ, avez-vous eu la nouvelle,pour la voiture et les fusils ? Le Hibou deNuit, c’est de l’histoire passée.

— Pas exactement, et c’est pour ça quej’appelle. Je viens de parler à unlieutenant du shérif que je connais, ungars du bureau des prisons. Il m’a ditqu’il a entendu des bruits : Dudley Smithfait venir Bud White pour obtenir desaveux de nos garçons en les passant àtabac. Demain matin, tôt. Je les ai fait

déménager dans un autre bloc de cellulesoù on ne peut pas les atteindre.

— Seigneur Jésus !

— Le Sauveur, en effet. Fils, j’ai unplan. Nous arrivons tôt, nous lesconfrontons aux nouvelles preuves quenous avons, et nous essayons d’obtenirdes aveux légaux. Vous jouerez leméchant, je ferai le sauveur.

Ed se carra les lunettes sur le nez.

— Quelle heure ?

— Disons 7 h ?

— Très bien.

— Fils, ça signifie se faire un ennemide Dudley.

La ligne de la chambre se coupa sur undéclic.

— Qu’il en soit ainsi. Russ, je vousverrai demain.

— Dormez bien, fils. J’ai besoin quevous ayez l’esprit alerte.

Ed raccrocha.

Inez dans l’embrasure de la porte,vêtue du peignoir d’Ed – énorme sur elle.

— Vous ne pouvez pas me faire ça.

— Vous ne devriez pas écouter autéléphone.

— J’attendais un coup de fil de masœur. Exley, vous ne pouvez pas.

— Vous vouliez les voir dans la

chambre à gaz, c’est là qu’ils vont. Vousne vouliez pas témoigner, je doutemaintenant que vous ayez à le faire.

— Je veux qu’on leur fasse mal. Jeveux qu’ils souffrent.

— Non. Ce n’est pas bien. Ceci est uneaffaire qui exige une absolue justice.

Elle éclata de rire.

— L’absolue justice vous va aussi bienqu’à moi ce peignoir, pendejo !

— Vous avez ce que vous vouliez, Inez.Contentez-vous de cela et occupez-vousde vivre.

— Vivre, quelle vie ? Vivre avec vous? Vous ne m’épouserez jamais, vous êtessi plein de déférence, toujours autour de

moi, que j’ai envie de hurler ; et chaquefois que je réussis à me convaincre quevous êtes un mec plutôt bien, dans lefond, vous faites quelque chose et j’enarrive à me dire : « Madre mia, commentpuis-je être aussi stupide ? » Etmaintenant, vous me refuseriez cela ?Cette toute petite chose ?

Ed lui montra son rapport.

— Des dizaines d’hommes ont bâti cedossier. Ces porcs seront morts avantNoël – Todos, Inez, absolutamente !N’est-ce pas suffisant ?

Elle rit, plus fort.

— Non. Dix secondes, et puis ilss’endorment. Six heures durant, ils m’ont

battue, ils m’ont baisée, ils m’ont enfoncédes trucs dans le corps. Non, ce n’est passuffisant !

Ed se leva.

— Alors vous allez laisser Bud Whitemettre notre dossier en péril ? Inez, c’estEllis Loew, probablement, qui a arrangéça. Il pense à une présentation devant leGrand Jury avec un dossier en béton, et àun procès de deux jours où il occuperaitle devant de la scène la moitié du temps.Rien que pour cela, il accepterait decompromettre tout ce qu’il a déjà. Soyezintelligente et reconnaissez-le.

— Non, c’est vous qui reconnaissezque la magouille est en place. Lesnegritos meurent parce que c’est dans le

cours des choses. Je ne suis plus qu’untémoin dont personne n’a plus besoin,alors peut-être bien que, demain,l’officier White donnera quelques coupspour me faire justice.

Ed serra les poings.

— White est une brute, une honte pourla police ; c’est un fumier, un fils de putecoureur de jupons !

— Non, c’est simplement un mec quiappelle un chat un chat et qui n’y regardepas à six fois avant de traverser une rue.

— C’est de la merde. Mierda !

— Alors, il est ma mierda. Exley, jevous connais. Vous vous fichez carrémentde la justice, il n’y a que vous qui vous

intéresse. Demain, vous allez faire çauniquement pour faire du mal à l’officierWhite, et vous allez faire ça uniquementparce que vous savez qu’il sait ce quevous êtes. Vous me traitez comme si vousvouliez m’aimer, et après, vous ne medonnez rien, si, de l’argent et desrelations, que vous possédez à la pelle etqui ne vous manqueront pas. Vous neprenez aucun risque pour moi, etl’officier White risque son estupido devie et ne pèse pas les conséquences. Etquand j’irai mieux, vous voudrez mebaiser et m’installer quelque part où vousn’aurez pas à être vu du public avec moi,ce qui me révolte. Et s’il n’y a pasd’autre raison pour que j’aime cetestupido d’officier White, c’est au moins

parce qu’il a assez de jugeote pour savoirqui vous êtes.

Ed s’avança jusqu’à elle.

— Et qu’est-ce que je suis ?

— Rien qu’un lâche modèle courant.

Ed leva le poing, puis eut un gestebrutal pour se reprendre quand il vit Inezreculer. Inez ôta son peignoir. Ed regarda,détourna ses regards – en direction dumur et de ses médailles militaires souscadre. Une cible : il les balança à traversla pièce. Ça ne suffit pas. Il visa lafenêtre, prit de l’élan, et rata son coup,touchant les doubles-rideaux molletonnés.

38

Jack s’éveilla, des images obscènesdevant les yeux.

Karen au milieu de photos d’orgie –Veronica Lake en train de lui fairel’amour. Du sang : clichés de baise à laplace des clichés du coroner, de bellesfemmes baignant dans le rouge. Lapremière chose qu’il vit de la réalité, cefut le lever du jour – puis la voiture deBud White garée près de la crèche deLynn Bracken.

Lèvres gercées, les os douloureux de latête aux pieds. Il avala ses derniersbennies, et rameuta à sa mémoire ses

dernières réflexions d’avant le trou noir.

Rien dans les dossiers, Patchett etBracken ses seules et uniques pistes pourHudgens. Patchett avait des domestiquesà demeure. Bracken vivait seule – il lacoincerait une fois que White aurait quittéson lit.

Jack se creusa les méninges pour unrapport de filature – des mensonges pourentuber Dudley Smith. Une porte claqua –comme un coup de feu. Bud White allajusqu’à sa voiture.

Jack se colla nez contre siège. Lavoiture s’éloigna ; quelques secondes, unautre claquement de porte en coup de feu.Un regard rapide : une Lynn Brackenbrune de sortie.

Direction sa voiture, jusqu’à Los Feliz,puis direction est. Jack suivit : file dedroite, à lambiner derrière elle.Circulation matinale bien maigre ; disonsque la femme était trop distraite pour lerepérer.

Toujours plein est, entrée dansGlendale. Au nord sur Brand, coup devolant jusqu’au trottoir, arrêt face à unebanque. Jack se rangea au coin de la rue,à un endroit d’où il pourrait la surveiller– magasin en coin, épicerie, cartons delait empilés à côté de la porte.

Il s’accroupit, observa le trottoir. LynnB. parlait à un homme : nerveux, petitmec tout tremblotant. Il ouvrit la banqueet la pressa d’entrer ; une Ford et une

Dodge étaient rangées plus loin –impossible de repiquer les numéros desplaques. Lamar Hinton sortit, chargé deboîtes.

Des dossiers, des dossiers, desdossiers – ça ne pouvait être que ça.

Bracken et le gugusse de la banquetraînaient des boîtes, course jusqu’à laDodge et la Packard de Lynn. Le petitcomique verrouilla la banque, monta dansla Ford et fit demi-tour, direction le sud ;Hinton et Bracken se collèrent au train –deux voitures séparées, direction le nord.

Tic tac tic tac, les secondes – Jackcompta dix, se lança à leur poursuite.

Il les rattrapa en moins de deux

kilomètres – se faufilant, recollantdoucement avant de se laisser distancer ànouveau – Glendale centre ville, puis aunord, direction les collines. Lacirculation diminua ; Jack se trouva unendroit de surveillance, une vue biennette de la route de côte en lacets. Il segara et observa : les voitures continuèrentà monter, prirent un embranchement,disparurent.

Il suivit leur itinéraire jusqu’à une airede camping – tables de pique-nique,fosses à barbecue. Deux voitures derrièreune rangée de pins ; Bracken et Hinton entrain de décharger des boîtes – monsieurMuscle avec un bidon d’essence qui sebalançait à son petit doigt.

Jack largua sa bagnole, et se faufiladerrière des buissons de petits pins.Bracken et Hinton virèrent leur cargaisonde papiers dans un grand trou à charbonde bois. Ils lui tournèrent le dos ; Jackpiqua un sprint pour s’approcher, courbéen deux.

Ils revinrent avec une nouvellecargaison ; Bracken briquet sorti, Hintonles bras chargés. Jack se redressa : coupde pied dans les couilles, gauche-droite,droite-gauche, cinglant le visage de sonarme. Hinton alla au sol et laissa tomberses papiers ; Jack lui brisa les bras –genou en appui aux coudes, traction auxpoignets.

Hinton devint tout blanc – l’effet de

choc qui arrivait.

Bracken tenait le bidon d’essence et unbriquet.

Jack se mit devant la fosse à barbecue,le 38 armé.

Égalité.

Lynn souleva le bidon, bouchon ouvert,qui déversait ses vapeurs d’essence. Clic– une flamme au briquet. Jack se mit enposition de tir – le visage de Lynn enplein dans sa ligne de mire.

Égalité.

Hinton essaya de ramper. La mainarmée de Jack commença à trembler.

— Sid Hudgens, Patchett et Fleur de

Lis. C’est soit moi, soit Bud White ; etmoi, on peut m’acheter.

Lynn éteignit la flamme, laissaretomber le bidon.

— Et Lamar ?

Hinton : raclant la terre de ses doigtsen crachant le sang. Jack baissa son arme.

— Il vivra. Et il m’a tiré dessus,maintenant, nous sommes quittes.

— Il ne vous a pas tiré dessus.Pierce… je sais simplement qu’il n’a pastiré.

— Alors c’est qui ?

— Je ne sais pas. Vraiment. Et Pierceet moi, nous ne savons pas qui a tué

Hudgens. Nous avons appris la nouvellepar les journaux, hier.

La fosse – les chemises sur le charbonde bois.

— Les saletés privées de Hudgens,exact ?

— Oui.

— C’est ça, continuez sur votre lancée.

— Non, parlons plutôt de votre prix.Lamar a parlé de vous à Pierce, et Piercea compris que c’était vous, le policier quirevient toujours dans les pages destorchons à scandales. Ainsi donc, commevous le dites, on peut vous acheter.Maintenant, à quel prix ?

— Ce que je veux se trouve dans ces

dossiers.

— Et que…

— Je suis au courant pour vous et lesautres filles que dirige Patchett. Je saistout sur Fleur de Lis et les merdes querefourgue Patchett, y compris les livresobscènes.

Pas un battement de cil – la fille avaitpris un visage de pierre.

— Quelques-unes de vos revues pourmecs comportaient des photos retouchéesà l’encre. Rouge, comme le sang. J’ai vudes clichés du corps de Hudgens. On l’adécoupé en morceaux pour que çacorresponde à ces photos.

Le visage de pierre tint bon.

— Alors maintenant, vous allez medemander de vous parler de PiercePatchett.

— Ouais, et de celui qui a trafiqué lesphotos des revues.

Lynn secoua la tête.

— Je ne sais pas qui a fabriqué cesrevues, et Pierce non plus. Il les aachetées en gros à un riche Mexicain.

— M’est avis que je ne vous crois pas.

— Ça m’est égal. Désirez-vous del’argent, en plus ?

— Non, et je parie que celui qui a prisces photographies a tué Hudgens.

— Peut-être que quelqu’un s’est excité

à partir des photos et l’a tué. Dans unsens comme dans l’autre, est-ce que celavous intéresse ? Peut-être pourrais-jeparier que Hudgens avait des choses survous, et que c’est ces choses qui sontderrière tout ça ?

— Intelligente, la dame ! Et moi, jeparie que Patchett et Hudgens ne jouaientpas au golf ni…

Lynn l’interrompit :

— Pierce et Sid envisageaient demettre sur pied une affaire ensemble. Jene vous en dirai pas plus.

Chantage – ça ne pouvait être que ça.

— Et ces dossiers servaient à ça ?

— Pas de commentaire. Je n’ai pas

regardé les dossiers. Nous sommes dansune impasse, restons-en là en nousassurant que personne ne soit blessé.

— Alors racontez-moi ce qui s’estpassé à la banque.

Lynn observa Hinton qui essayait deramper.

— Pierce savait que Sid conservait sesdossiers privés dans des coffres de dépôtde cette agence de la B. of A. Lorsquenous avons lu qu’il avait été tué, Piercese dit que la police allait localiser lesdossiers. Vous comprenez, Sid avait desdossiers sur les affaires de Pierce – desaffaires que des policiers rigoureuxréprouveraient. Pierce a soudoyé ledirecteur afin de nous permettre d’avoir

ces dossiers. Et nous voici.

Jack sentit le papier, le charbon debois.

— Vous et Bud White ?

Lynn serra les poings et les pressacontre ses jambes.

— Il n’a rien à voir avec tout ça.

— Dites-moi quand même.

— Pourquoi ?

— Parce que je vous vois mal, tous lesdeux, comme le couple choc de l’année1953.

Un sourire venu des profondeurs denulle part – Jack faillit sourire en retour.

— Nous allons faire un marché, n’est-ce pas ? dit Lynn. Une trêve ?

— Ouais, un pacte de non-agression.

— Alors incluez-y ceci. Bud a contactéPierce, alors qu’il enquêtait sur lemeurtre d’une jeune fille du nom de KathyJaneway. Il avait obtenu le nom de Pierceet le mien d’un homme qui avait connu lafille. Naturellement, ce n’était pas nousqui l’avions tuée, et Pierce ne voulait pasrecevoir la visite de la police. Il m’a ditd’être gentille avec Bud… et maintenant,je commence à bien l’aimer. Et je ne veuxpas que vous lui disiez quoi que ce soitsur tout ça. S’il vous plaît…

Même suppliante, elle avait de laclasse.

— Marché conclu, et vous pouvez direceci à Patchett : le procureur pense quel’affaire Hudgens est perdue d’avance. Enroute pour le tiroir aux oubliettes, et si jetrouve ce que je désire dans ce tas,aujourd’hui il ne s’est rien passé.

Lynn sourit – cette fois, il lui rendit sonsourire.

— Allez vous occuper de Hinton.

Elle alla jusqu’à lui. Jack plongea dansles chemises, trouva des noms, continua àfouiller. Un flot de T, une tapée de V, legros lot : «Vincennes, John».

Comptes rendus de témoins oculaires :des caves de sortie ce soir-là sur laplage. De braves gens qui l’avaient vu

trouer la carcasse de M. et Mme HaroldJ. Scoggins, de braves gens qui en avaientparlé à Sid contre argent comptant, debraves gens qui n’avaient rien dit aux«autorités» de peur de se «retrouverimpliqués».

Résultats de l’analyse sanguine que Sidavait – en le soudoyant – convaincu ledocteur chargé de l’examen de supprimer: le Grand V, chargé à bloc de marie-jeanne, de benzédrine et d’alcool. Sapropre déclaration dans l’ambulancealors qu’il était camé jusqu’aux yeux : ilavait avoué une douzaine d’extorsions defonds. Preuve définitive : Jack V. avaitdescendu deux citoyens innocents devantle Malibu Rendez-Vous.

— J’ai ramené Lamar à ma voiture. Jele conduirai à l’hôpital.

Jack se retourna.

— C’est trop beau pour être vrai.Patchett a des copies, exact ?

Ce sourire, encore une fois.

— Oui, pour cette affaire avecHudgens. Sid lui avait donné des copiesde tous les dossiers, excepté les dossiersqui concernaient Pierce en personne.Pierce voulait les copies comme policesd’assurance. Je suis sûre qu’il ne faisaitpas confiance à Sid, et puisque nousavons ici tous les dossiers de Hudgens, jesuis sûre que les dossiers de Pierce sontlà-dedans.

— Ouais, et vous avez une copie dumien.

— Oui, M. Vincennes. Effectivement.

Jack essaya de singer ce sourire :

— Tout ce que je sais sur vous,Patchett, ses rackets et Sid Hudgens vaaller dans une déposition, copiesmultiples pour multiples coffres dedépôt. S’il m’arrive quelque chose, à moicomme aux miens, elles vont droit auLAPD, au bureau du procureur et au L.A.Mirror.

— Match nul, alors. Voulez-vouscraquer l’allumette ?

Jack refusa d’une courbette. Lynnaspergea les dossiers et les enflamma. Le

papier se mit à grésiller, en boules de feu– Jack resta à fixer le brasier jusqu’à ceque ses yeux le piquent.

— Rentrez dormir, sergent. Vous avezune mine épouvantable.

Pas à la maison – chez Karen.

Il roula jusque-là, à moitié dans lesvaps, gonflé à bloc. Il commençait àsentir la boucle se refermer : demauvaises dettes qui s’étaient malréglées, solde de tout compte, retour à lacase départ, à neuf. L’idée lui vint, toutcomme lui était venue l’idée de secouerClaude Dineen. Il ne prononça pas lesparoles, il ne répéta rien à l’avance. Ilmit la radio afin de garder à l’idée toutesa fraîcheur.

Un journaliste à la voix sévère :

« … et le quartier sud de Los Angelesest aujourd’hui le centre de la plus vastechasse à l’homme de toute l’histoire de laCalifornie. Nous répétons : il y a uneheure et demie, juste après le lever dujour, Raymond Coates, Tyrone Jones etLeroy Fontaine, accusés d’assassinat dansl’affaire du massacre du Hibou de Nuit,se sont échappés de la prison du palais dejustice, au centre ville de Los Angeles.Tous trois avaient été transférés dans unbloc de cellules à sécurité minimum envue d’un second interrogatoire. Ils se sontéchappés en nouant ensemble leurs drapsde lit et en sautant d’une fenêtre dudeuxième étage. Voici, enregistrésimmédiatement après l’évasion, les

commentaires du capitaine RussellMillard des services de police de LosAngeles, coresponsable de l’enquête surle Hibou de Nuit : « Je… j’assume lapleine responsabilité de cet incident.C’est moi qui ai ordonné que les troissuspects soient placés en détention dansune unité à sécurité minimale. Je… tousles efforts seront mis en œuvre pourcapturer les évadés avec toute la célériténécessaire. Je… »

Jack éteignit la radio. Compte soldé :la carrière de Russ Millard le Juste.Compte ouvert : le Bureau tout entier tirédu lit pour mettre le filet en place. Ilbâilla le reste du chemin jusque chezKaren, et appuya sur sa sonnette envoyant double.

Karen ouvrit la porte.

— Chéri, où étais-tu passé ?

Jack cueillit les bigoudis qu’elle avaitsur les cheveux.

— Veux-tu m’épouser ?

— Oui, dit Karen.

39

Ed, en planque sur la Première etOlive. En renfort, le fusil de son père ; àl’origine, un coup de flair qu’il serepasse dans la tête.

Sugar Ray Coates : « RolandNavarette, y vit sur Bunker Hills. Tientune planque pour violateurs deconditionnelle. »

Un tuyau balancé dans un murmure : leshaut-parleurs ne l’avaient pas capté,douteux que Coates se souvienne d’avoirdit ça. Sommiers, photo de Navarette parl’identité, adresse : un meublé à mi-chemin sur Olive, à huit cents mètres de

la prison du palais de justice. Évasion aulever du jour – impossible pour euxd’arriver à Nègreville sans avoir été vus.En toute logique, tous les quatre devaientêtre armés.

La trouille au ventre – comme àGuadalcanal en 43.

Hors-la-loi – il n’avait pascommuniqué la piste.

Ed roula jusqu’au milieu du bloc. Unevictorienne à bardeaux, quatre étages,peinture écaillée. Il franchit les marchesd’un bond, vérifia les boîtes aux lettres :R. Navarette, 408.

Entrée, la veste autour du fusil. Un longcouloir, un ascenseur à façade de verre,

des escaliers. En avant dans l’escalier –il ne sentit plus son poids sur lesmarches. Palier du quatrième – personneen vue. Jusqu’au 408. La veste tomba parterre.

Les hurlements d’Inez lui donnèrent lapêche nécessaire – il défonça la porte dupied.

Quatre hommes en train de manger dessandwiches.

Jones et Navarette à une table,Fontaine par terre. Sugar Coates près dela fenêtre, en train de se curer les dents.

Pas d’armes en vue. Personne nebouge.

Des bruits bizarres – « Vous êtes en

état d’arrestation » – étranglés. Joneslève les bras. Navarette met les mains enl’air. Fontaine croise les mains sur lanuque.

— Alors, t’as perdu ta langue, nom deDieu ! Le chat te l’a bouffée, fillette ? ditSugar Ray.

Ed appuie sur la gâchette – une fois,deux fois –, la chevrotine fit sauter lesdeux jambes de Coates. Recul, Ed enappui contre la porte, qui vise. Fontaineet Navarette se levèrent en hurlant ; EdÉCRASA la gâchette, et les fit voler enmorceaux d’une seule décharge. Recul, unmauvais tir, la moitié du mur du fonddégringole.

Le sang giclait, épais – Ed trébucha,

s’essuya les yeux. Il vit Jones près del’ascenseur.

Il courut à sa poursuite : glissa,trébucha, se rattrapa. Jones appuyait surles boutons, hurlant des prières – àquelques centimètres de la vitre : « S’ilvous plaît Jésus… » Ed visa à boutportant, écrasa par deux fois. Verre etchevrotine lui firent sauter la tête quivola.

Ferme sur ses jambes, maintenant,qu’ils aillent se faire foutre, tous cescivils en train de hurler autour de lui.

Ed descendit l’escalier en courant ettomba sur une foule : bleus, flics en civil.Des mains lui tapaient dans le dos ; deshommes crièrent son nom. Une voix toute

proche :

— Millard est mort. Crise cardiaqueau bureau.

40

Enterrement sous la pluie. Servicefunèbre autour de la tombe : panégyriquede Dudley, un prêtre pour les dernièresparoles.

Tous les hommes du Bureau étaientprésents : ordres de Thad Green. Parkeravait convoqué la presse ; petitecérémonie après la mise en terre de RussMillard. Bud observa Ed Exley quiréconfortait la veuve – son meilleur profildevant les objectifs.

Une semaine d’appareils photo et degros titres :

ED EXLEY, LE PLUS GRAND HÉROS DE L.A.

L’HOMME FORT DE LA SECONDE GUERRE.

L’HOMME QUI A MASSACRÉ LESMASSACREURS

DU HIBOU DE NUIT

ET LEUR COMPLICE.

Ellis Loew avait déclaré à la presseque les trois hommes avaient avoué avantqu’ils ne s’évadent – personne ne fitremarquer que les Nègres étaient sansarmes. Ed Exley était devenu quelqu’un.

Le baratin du prêtre commença às’enfler et à ronfler. La veuve se mit àpleurer. Exley passa un bras autour de sesépaules. Bud s’éloigna.

Éclairs et tonnerre, la pluie quiredouble – Bud s’abrita dans la chapelle.Tout était prêt pour la soirée de Parker :

lutrin, chaises, table garnie desandwiches. De nouveaux éclairs – Budregarda par la fenêtre et vit le cercueiltoucher terre. De poussière en putain depoussière.

Stens avait pris six mois, les racontarsvoulaient qu’Exley et Inez en pincent l’unpour l’autre : tu tues quatre bougnoules ettu te ramasses la fille.

Le cortège funèbre s’avança – EllisLoew glissa et tomba sur les fesses. Budse mit à penser à des trucs chouettes :Lynn, West Valley chargé du meurtre deKathy. Ce n’était pas le moment deréfléchir aux dégueulasseries.

Entrée dans la chapelle : on largueimpers et parapluies, on se précipite sur

les sièges. Parker et Exley se placèrentprès du lutrin. Bud se vautra dans unfauteuil, à l’arrière de la salle.

Journalistes, blocs-notes. Au premierrang : Loew, la veuve Millard, PrestonExley – Dream-a-Dreamland à la une del’info.

Parker parla dans le micro :

— L’occasion est solennelle, l’heureest au chagrin. Nous pleurons un hommebon et gentil, nous pleurons un policierfervent. Sa disparition ne laisse que desregrets. La perte du capitaine Millard estune perte pour Mme Millard, pour lafamille Millard et pour nous tous iciréunis. Ce sera une perte difficile àsupporter, mais nous la supporterons. Il

existe un passage dont je me souviens,d’une page des annales de la littérature.Ce passage dit : « Si Dieu n’existait pas,comment pourrais-je être capitaine ? »,c’est Dieu qui nous guidera au travers denotre chagrin devant la disparition deRuss Millard. Le Dieu qui a permis àRuss Millard de devenir capitaine, Soncapitaine.

Parker sortit un petit coffret de velours:

— Et la vie continue, au-delà de ceuxqui nous quittent. La perte d’un policiersplendide coïncide avec la naissanced’un autre grand policier. Edmund J.Exley, sergent détective, a accumulé lesprouesses au cours des dix années

passées dans les services de police deLos Angeles, dont trois ont été consacréesau service de l’armée des États-Unis. EdExley a reçu la Distinguished ServiceCross pour sa bravoure et sa vaillancesur le théâtre du Pacifique, et la semainedernière, il a fait montre d’un couragespectaculaire dans l’exercice de sesfonctions. C’est un honneur pour moi quede lui offrir la plus haute distinctionhonorifique que puissent lui accorder lesservices de police : notre médaille de laVaillance.

Exley s’avança. Parker ouvrit lecoffret, sortit un médaillon doré accrochéà un ruban de satin bleu et le lui suspenditautour du cou. Les deux hommes seserrèrent la main – Exley avait les larmes

aux yeux. Les ampoules de flashcrépitaient, les journalistes grattaient, pasd’applaudissements. Parker tapota lemicro.

— La médaille de la Vaillance est unetrès haute marque d’estime, mais il ne s’yassocie aucune implication pratique pourla vie quotidienne. Toutes conséquencesspirituelles mises à part, cette distinctionn’apporte pas en récompense, aurécipiendaire, une occasion particulièrede se confronter à un bon travail depolice et à ses difficultés. Aujourd’hui, jevais user d’une prérogative liée à mafonction de chef, prérogative rarementutilisée, en récompensant Ed Exley par letravail. Je l’élève au rang de capitaine,soit deux grades au-dessus du sien, et je

lui assigne les fonctions de commandantdivisionnaire sans affectation, desservices de police de Los Angeles,fonction qu’exerçait précédemment notrebien-aimé collègue Russ Millard.

Preston Exley se leva, les civils selevèrent, les hommes du Bureau selevèrent ; comme un seul homme – ThadGreen leur fit signe de ses deux poucesdressés. Applaudissements épars,cérémonie sans éclat. Ed Exley se tenaitdroit comme un cierge ; Bud resta vautrédans son fauteuil. Il sortit son arme,l’embrassa, et souffla au sortir du canonun imaginaire panache de fumée.

41

Noces de gala sur la pelouse, servicereligieux presbytérien – le vieux Morrowavait fait les choses en grand, et avaitréglé l’addition. 19 juin 1953 : le GrandV se passe la bague au doigt.

Témoin : Miller Stanton ; témoin de lamariée : Joanie Morrow – beurrée aupunch champagne. Dudley Smith, le hérosde la réception – récits, petites histoireset chansons celtes. Parker et Green étaientvenus à la requête d’Ellis Loew ; EdExley, le Capitaine gamin, avait fait sonapparition. Les relations du cercle socialdes Morrow avaient complété la liste des

invités – et avaient rempli à craquerl’énorme arrière-jardin du vieux Welton.

Serment de mariage pour solde de toutcompte. De mauvaises dettes qui seréglaient bien : un calendrier de jours toutneufs, sa «déposition d’assurance sur lavie» planquée dans les salles des coffresde quatorze banques différentes. Sermentd’un marié mort de trouille : il avait dû serequinquer pour avoir la pêche à l’autel.

Parker avait enterré l’assassinat deHudgens. Bracken et Patchett avaient jouéle pat. Dudley avait annulé sa filature deWhite, il avait marché pour ses rapportsbidons : pas de Lynn, pas de White à fairede nuit la tournée des bars. Il avaitplanqué devant la maison de Lynn pendant

deux jours, tout donnait à penser que çamarchait bien entre elle et Bud – lequelétait toujours une poire.

Tout comme lui.

Le ministre du culte prononça lesparoles consacrées ; ils prononcèrent lesparoles consacrées – Jack embrassa samariée. Embrassades, tapes dans le dos –ils se retrouvèrent séparés à cause de tousleurs admirateurs. Parker réussit à sortirquelques paroles chaleureuses ; Ed Exleyétait dans la foule, pas de trace de saMexicaine. Des surnoms maintenant : «Edle Fusil», «Eddie la Gâchette», le «PlusGrand Héros de L.A.» – sourires àl’adresse d’un flic garçon de course quiépousait au-dessus de sa condition.

Jack se trouva un coin au-dessus de lapiscine – une petite montée avec unebelle vue. Deux invités ressortaient du lot: Karen, Exley. Une justice à rendre à cedernier : il avait saisi l’occasion, donnédu service une image de témérité. Luin’aurait pas eu assez de cran pour ça – oude furie.

Exley. White. Lui-même.

Jack fit le décompte des petits secrets,ceux qui lui étaient propres, ce quipouvait en subsister à cette frontière où lapornographie venait toucher un affairisteen scandales de toutes sortes, et frôlerlégèrement le massacre du Hibou de Nuit.Il songea à Bud White, à Ed Exley. Iladressa au ciel une prière de mariage : le

Hibou de Nuit mort et enterré, des billetsde passage – sains et saufs – pour deshommes impitoyables et amoureux.

Calendrier1954

COUPURES DE PRESSEL.A. HERALD EXPRESS

16 JUINUN EX-POLICIER ARRÊTÉ POUR

ÉQUIPÉE MEURTRIÈRE ET VOL !

Richard Alex Stensland, 40 ans, ancieninspecteur de la police de Los Angeles etaccusé dans le scandale policier du«Noël Sanglant» de 1951, a été arrêté tôtce matin et inculpé : six chefsd’accusation pour vol à main armée, etdeux pour meurtre au premier degré. Ontété arrêtés avec lui, dans sa planque dePacoïma : Dennis Burns dit «la Fouine»,43 ans, et Lester John Miciak, 37 ans. Lesdeux hommes ont été inculpés de quatrechefs d’accusation pour vol à main

armée, et de deux pour meurtre aupremier degré.

Le raid qui a conduit à l’arrestationétait conduit par le capitaine Edmund J.Exley, commandant divisionnaire sansaffectation des services de police de LosAngeles, actuellement en poste à la têtede la division cambriolages du LAPD.Assistaient le capitaine Exley, lessergents Duane Fisk et Donald Kleckner.Exley, dont le témoignage au cours duscandale du Noël Sanglant avait expédiéStensland en prison en 1952, a déclaréaux journalistes : « Des témoins oculairesont identifié les trois hommes surphotographies. Nous avons toutes lespreuves concluantes que ces hommes sontresponsables des braquages de six

magasins de spiritueux du centre de LosAngeles, y compris le cambriolage desSpiritueux de Sol, dans le district deSilverlake, le 9 juin. Le propriétaire dece dernier magasin ainsi que son fils sontmorts par balles durant le cambriolage, etdes témoins oculaires ont reconnu avoirvu Stensland et Burns sur les lieux ducrime. L’interrogatoire détaillé dessuspects commencera très bientôt, et nousespérons pouvoir à cette occasion tirer auclair de nombreux autres cambriolagesnon résolus. »

Stensland, Burns et Miciak n’ont offertaucune résistance pendant leurarrestation. Ils ont été emmenés à laprison du palais de justice, où il a fallumaîtriser Stensland pour l’empêcher

d’attaquer le capitaine Exley.

SUR CINQ COLONNESL.A. MIRROR NEWS

21 JUINSTENSLAND AVOUE.

IL DÉCRIT UN RÈGNE DE TERREUR

OÙ LE VOL ÉTAIT ROI

L.A. HERALD EXPRESS

23 SEPTEMBRE

CONDAMNATION DESTUEURS

DES MAGASINS DE SPIRITUEUX

PEINE DE MORT POUR L’EX-POLICIER

COUPURES DE PRESSEL.A. TIMES

11 NOVEMBRESTENSLAND EXÉCUTÉ

POUR LES MEURTRES

DES MAGASINS DE SPIRITUEUX

LE TUEUR ÉTAIT UN ANCIEN POLICIER

À 10 h 03 hier matin, RichardStensland, 41 ans, ancien membre desforces de police de Los Angeles, est mortdans la chambre à gaz de la prison de SanQuentin pour les meurtres de Salomon etDavid Abramowitz commis le 9 juin. Lesmeurtres avaient eu lieu à l’occasion duhold-up d’un magasin de vente d’alcool.Stensland a été reconnu coupable etcondamné le 22 septembre. Il a refusé de

faire appel de son jugement.

L’exécution s’est déroulée sans heurts,bien que Stensland eût l’air ivre. Présentsparmi les membres de la presse et lesautorités de la prison se trouvaient deuxinspecteurs du LAPD : le capitaineEdmund J. Exley, responsable de lacapture de Stensland, et l’agent WendellWhite, ancien partenaire du tueurcondamné. L’agent White a rendu visite àStensland dans sa cellule du couloir de lamort la veille de l’exécution et il a passéla nuit en sa compagnie. Le gardien-chefadjoint B.D. Terwilliger a nié que l’agentWhite ait fourni des boissons alcooliséesà Stensland, et que White ait assisté àl’exécution en état d’ivresse. Stensland aagressé verbalement l’aumônier de la

prison qui était présent, et ses dernièresparoles furent des obscénités à l’adressedu capitaine Exley.

1955

MAGAZINE L’INDISCRET

NUMÉRO DE MAI 1955QUI A TUÉ SID HUDGENS ?

La justice, dans la cité des Angesdéchus, nous fait penser à une réplique dePorgy and Bess, le show sépia es-péché-ial. Pareille à un homme, c’est «une chosequi va qui vient». Comme dans l’exemplesuivant : si vous avez des relations et quevous contribuez à la caisse noire de cediable de procureur Ellis Loew, et sivous vous faites assassiner – tueur,prends garde ! Le chef de la police deL.A., William H. Parker, n’épargnera niefforts ni argent pour dénicher le monstrequi vous a mis dans le train de nuit pourle Grand Adios. Mais si vous êtes un

journaliste de combat qui écrit pour cemagazine et que vous vous faites hachermenu en portions de Canigou dans votrepropre salon – tueur, réjouis-toi !!! – Lechef Parker et ses mongoliensmoralisateurs, misanthropes et minablesresteront sur leurs chaises, les mains(calleuses et marquées à forced’empalmer les pots-de-vin) dans lespoches, à siffloter «la justice, ça va, çavient» pendant que le tueur siffle l’air deDixie.

Il y a maintenant deux ans que SidHudgens a été tailladé à mort dans sonsalon de Chapman Park. Il y a deux ans decela, le LAPD avait les mains (aux doigtsagiles, toujours moites de se laisserarroser) pleines de l’abominable affaire

de meurtres du Hibou de Nuit, laquelle setrouva résolue lorsque l’un de sespoliciers (à l’ambition forcenée,opportuniste) prit la loi entre ses propresmains et fusilla les fusilleurs en lesenvoyant au grand Au Revoir. On affectaau meurtre de Sid Hudgens deux nullardsd’inspecteurs avec, pour tous les deux, untotal de «zéro» homicide mené à bien.Naturellement, ils ne trouvèrent pas le oules tueurs, et passèrent la majeure partiede leurs journées ici, dans les bureaux del’Indiscret, à chercher leurs indices enlisant des numéros anciens, à s’empiffrerde café et de beignets, et à reluquer lescharmantes assistantes de rédaction quis’agglutinent dans les couloirs del’Indiscret ; cela parce que nous savons,

nous, où les cadavres sont enterrés…

Nous, à l’Indiscret, nous sommes enprise directe sur le pouls qui bat au cœurde la cité des Anges déchus, et nousavons enquêté sur la mort du gars Sid denotre côté. Cela ne nous a conduits nullepart, et nous posons les questionssuivantes aux services de police de LosAngeles : L’appart’ de Sid a été dévasté.Qu’est-il arrivé aux dossiers réservés,ultra-secrets et ultra-Indiscrets que legars Sid était censé conserver – aucontenu trop brûlant pour que même nouspuissions le publier ?

Pourquoi le procureur Ellis Loew, quidoit son élection pour une grande part àun article de l’Indiscret qui a dévoilé au

grand jour les peccadilles de sonadversaire en titre, ne nous renvoie-t-ilpas l’ascenseur en usant de son pouvoirlégal pour obliger le LAPD à pourchasserl’assassin de Sid ?

John «Jack» Vincennes, la célébrité, lefameux fléau des camés, le Grand V enpersonne, était un ami proche de Sid etavait été à l’origine de nombre descroisades de ce dernier sur les dangers etles menaces des stupéfiants. PourquoiJack (extrêmement lié à Ellis Loew : nousne prononcerons pas le terme de «garçonde course», mais nous nous accordons laliberté de le penser) n’enquête-t-il passur le meurtre, de son propre chef et paramitié pour son pote bien aimé, le garsSid ? Pour l’instant, questions sans

réponses – à moins que vous, publiclecteur, ne fassiez tollé. Retrouvez lesderniers développements dans lesnuméros à venir – et n’oubliez pas, cherslecteurs : c’est ici que vous l’avezentendu en premier : silence et discrétion,vite fait, bien fait, ce ne sera pas répété,et très Indiscret.

MAGAZINE L’INDISCRET

NUMÉRO DE DÉCEMBRE 1955

LA JUSTICE SOUSSURVEILLANCE

ATTENTION AU CARTEL LOEW-VINCENNES!!!

Nous avons assez longtemps tournéautour du pot, cher lecteur. Dans notrenuméro de mai, nous avons tenu àmarquer le second anniversaire dumeurtre de Sid Hudgens, rédacteurchampion de l’Indiscret. Nous avonsamèrement regretté le fait que son meurtrerestât non résolu à ce jour ; nous avonsgentiment sollicité les services de police

de Los Angeles, le procureur Ellis Loewet son beau-frère par alliance, le sergentdu LAPD Jack Vincennes, de fairequelque chose ; nous avons posé quelquesquestions pertinentes, et nous n’avons pasobtenu la moindre réaction. Sept mois sesont écoulés sans que justice ait été faite,alors voici quelques questionssupplémentaires : Où sont donc lesdossiers secrets de Sid Hudgens, auxpéchés si spéciaux et si spectaculaires –les dossiers au contenu trop brûlant pourque même le bouillant Indiscret ose ymettre le doigt ?

Le procureur Loew a-t-il étouffél’enquête sur le meurtre de Hudgensparce que le gars Sid, croisé s’il en était,avait récemment publié un petit exposé

sur le producteur et metteur en scène del’Insigne du Courage, Max Peltz, et surses penchants pour les jeunesadolescentes, sachant que Peltz avaitcontribué (une somme à cinq chiffres !) àla campagne pour l’élection de Loewcomme procureur, en 53 ?

Loew a-t-il ignoré nos demandesréitérées pour que justice fût faite parcequ’il est trop occupé à tout mettre enœuvre pour être fin prêt pour sacampagne de réélection du printemps1957 ? Est-ce que Jack Vincennes – celuique nous n’appellerons pas «Garçon decourses» – est à nouveau en train depressurer les Hollywoodiens et lesHollywoodiennes pour qu’ils apportentleur contribution au beau-frère Ellis, ce

qui expliquerait qu’il soit dansl’incapacité d’enquêter sur la mort dugars Sid ?

Quelques petites choses encore sur leGrand V, le Grand Homme :

Vincennes, le roi des pourchasseurs decame, tète-t-il de la bouteille en sequerellant avec sa riche femme-enfantbien plus jeune que lui, laquelle l’apersuadé d’abandonner sa bien aiméedivision des Stups, mais se rongeaujourd’hui les sangs à le voir s’engagerdans ses nouvelles œuvres, l’aléatoiredétachement de surveillance du LAPD ?

Cher lecteur, de quoi donner à réfléchir– et titiller gentiment une justice quiprend son temps. La quête de justice pour

Sid Hudgens continue. Souviens-t’en,cher lecteur, c’est ici que tu l’as entenduen premier : silence et discrétion, vitefait, bien fait, ce ne sera pas répété, ettrès Indiscret.

1956

MAGAZINE L’INDISCRET

NUMÉRO D’OCTOBRE 1956

Rubrique «Le Crime sousSurveillance»

TRUAND-VILLE À LA FÊTE :

COHEN BIENTÔT LIBÉRÉ SUR PAROLE.

FESTIN APRÈS FAMINE

AVEC LE RETOUR DU MICKEYEUR ?

Toi, cher lecteur, tu ne l’auras pasremarqué puisque tu es un citoyenrespectueux des lois, qui fais confiance àl’Indiscret pour te tenir au courant dessombres côtés de cette vie si es-péché-iale. Cette publication a été accusée depécher par cynisme, mais nous péchonsaussi par sincérité dans notre désir de te

tenir informé des périls du crime,organisé ou autre, ce qui expliquepourquoi ce périodique t’offrepériodiquement une rubrique sur «leCrime sous surveillance». Ce mois-ci,nous offrons un pot-pourri palpable etpénétrant centré sur les activitésdélictueuses de la gent truandière de L.A.,ou plutôt leur absence, en focalisant tousnos feux sur Meyer Harris Cohen,actuellement incarcéré, aussi connu sousles noms du Mickeyeur misanthrope,l’ineffable, l’inimitable Mickey C.

Le Mick s’est retiré au pénitencierfédéral de McNeil Island pour y jouird’un repos bien mérité, depuis novembre1951, et il devrait bénéficier d’uneliberté conditionnelle dans le courant de

l’année prochaine, certainement avant lafin de 1957. Vous connaissez tous Mickeyde réputation : c’est ce petit monsieur,propre sur lui, toujours tiré à quatreépingles, qui a régné sur les rackets deL.A. de 45 à 51, jusqu’à ce que TontonSammy ne le fasse tomber au trou pourfraude fiscale. Grand pourvoyeur et grandamateur de la une des journaux, c’est unmacher, disons-le, c’est un mensch, unhomme, un vrai. Et il se retrouve àMcNeil, à se geler les fesses dans unecellule de rupin, de l’aveu général, avecson bouledogue préféré Mickey Cohen Jrqui lui tient les pinceaux bien au chaud,tandis que son grand argentier DaveyGoldman, lui aussi condamné pour fraudefiscale, réchauffe de son côté une autre

cellule, un peu plus loin dans le couloir.Les activités de L.A. Truand-Ville –connaissent ? apprécient ? supportent –un étrange calme plat depuis que Mickeya emballé calcifs et pyjamas pour l’hôteldu Repos. Nous, à l’Indiscret, quisommes dans le secret des dieux, nousabreuvant à des sources de l’intérieur quine sauraient se nommer, avons une théorieà avancer sur tout ce tremblement.Approche plus près, cher lecteur : silenceet discrétion, ce ne sera pas répété, ettrès Indiscret.

Novembre 51 : adios Mickey, emballeta brosse à dents et n’oublie pas d’écrire.Avant de prendre le McNeil IslandExpress, le Mickeyeur informe sonnuméro deux, Morris Jahelka, que lui

(Mo) restera patron titulaire du RoyaumeCohen, que Cohen a réparti en «prêts àlongs termes», auprès de divers hommesd’affaires non-criminels et parfaitementréguliers auxquels il a accordé saconfiance, afin que lesdits prêts soientgérés en toute tranquillité par des grosbras inconnus à la ville, sur la base d’untaux d’activité radicalement réduit.Mickey peut peut-être apparaître commeun bouffon vicieux et méchant, mais lepetit garçon de Mme Cohen a de la têtesur ses épaules simiesques. Es-tu toujourssur notre longueur d’ondes, cher lecteur ?Oui ? Bien. Alors approche encore un peuplus près.

Mickey se languit dans sa cellule,vivant en prisonnier une vie de nabab, et

le temps passe. Le Mick perçoit deshonoraires, pourcentage que lui reversentses «détenteurs de franchises», qui sontdirectement versés sur des comptesbancaires suisses ; lorsqu’il sera mis enliberté conditionnelle, il recevra des«honoraires de restitution» et retrouverale royaume Cohen sur un plateau. Ilreconstruira son empire du mal, et lesbeaux jours seront revenus.

Tel est le pouvoir de Mickey C.l’ubiquiste que, pendant plusieurs années,pas l’ombre d’un petit gangsterprésomptueux n’est venu déranger leronronnement de ses rackets ensiestés –Jack Whalen «le Régulateur», cependant,truand et joueur bien connu, d’unemanière ou d’une autre a connaissance du

plan Mickey : laisser roupiller le chienqui dort pendant qu’il est au trou, avec labienveillance de la police, reconnaissanteà Mickey de pouvoir se tourner lespouces sans nid de truands à investir àcoups de Forces Spéciales. Whalenn’attaque pas le royaume diminué deCohen – il se contente de bâtir unroyaume rival, strictement book et parisclandestins, sans crainte de représailles.

Entre-temps, qu’est-il donc advenu decertains des nervis les plus importants duMickeyeur ? Eh bien, Mo Jahelka, leblafard-blême, établit des duplicatas deslivres qu’il tient pour les franchisés, enpur génie des chiffres qu’il est, et DaveyGoldman, toujours au gnouf avec sonpatron, promène Mickey Cohen Jr dans la

cour de McNeil Island. Abe Teitlebaum,nervi aux gros bras de Cohen, ex-propriétaire d’un magasin de traiteuroffre des sandwiches graisseux aux nomsde comédiens du Borchtch Belt, et LeeVachs, monsieur Pic-à-Glace-dans-l’Oreille, vend ses spécialitéspharmaceutiques. Notre favori desmisanthropes de Mickey, JohnnyStompanato (quelquefois connu sous lenom d’»Oscar» à cause de la taille de sonappendice digne d’être nominé),entretient avec amour une passionbrûlante – et qui dure – pour Lana Turner,tout en étant revenu, semble-t-il, à sesmanières de faire pré-cohenniennes : ildirige des rackets spécialisés dans lechantage et l’extorsion de fonds.

Considérant pour acquis le fait queWhalen et Mickey n’entreront pas encollision à la libération du Mick, tout al’air de marcher comme sur des roulettes; ça baigne, non ? Truand-Ville, bien soustous rapports ?

Peut-être pas !

Exemple : en août 1954, John FisherDiskant, prétendu détenteur d’unefranchise de Cohen, a été abattu par armeà feu au sortir d’un motel de Culver City.Pas de suspect, pas d’arrestation, étatactuel de l’enquête : le dossier repose auservice des affaires non classées desservices de police de Culver City.

Exemple : mai 1955 : deux prétenduspatrons de prostitution de Cohen, tous

deux détenteurs de franchises – NathanJanklow et George Palevsky –, sontabattus par arme à feu au sortir de laTorch Song Tavern – la taverne de laChanson d’Amour –, à Riverside. Pas desuspect, pas d’arrestation, état actuel del’enquête : le shérif du comté deRiverside déclare que l’affaire estclassée pour cause de manque depreuves.

Exemple : juillet 1956 : Walker TedTurow, trafiquant de drogue connu qui arécemment manifesté son désir de «fourguer la horse à grande échelle etdevenir un racketteur de première bourre», a été découvert abattu dans son appartde San Pedro. Vous avez deviné : pasd’indices, pas de suspect, pas

d’arrestation, état actuel de l’enquête à ladivision maritime de Los Angeles :affaire non classée, mais ce n’est pas lapeine de retenir son souffle.

Et maintenant, vous pigez, vous, lesmecs au parfum : les quatre péquenots –liés ou sur le point de l’être, au mondedes truands – ont été abattus par troisgroupes de truands. Il n’y a pas eud’enquêtes dignes de ce nom pour lesquatre assassinats parce que les servicesd’enquête respectifs ont estimé que lesvictimes étaient des moins que rien dontla mort ne méritait pas qu’on leur rendîtjustice. Nous aimerions pouvoir dire queles rapports de balistique indiquent queles balles provenaient des mêmes armespour les trois fusillades, mais ce n’est pas

le cas – bien que des pistolets équipés desilencieux aient été utilisés par trois foispar les tueurs en question. À l’Indiscret,nous savons qu’aucun effort interservicesn’a été mis en œuvre pour capturer lestueurs. En fait, nous sommes les premiers,à l’Indiscret, à établir un lien théoriqueentre les quatre crimes. Tsk, tsk. Noussavons effectivement que Jack Whalen etses factotums les plus importants ont desalibis aussi serrés qu’une pince de crabesur sa proie, pour les périodes desmeurtres. Nous savons que Mickey C. etDavey G. ont été interrogés et qu’ils n’ontaucune idée de l’identité des vilains.Fascinantes, toutes ces intrigues, pas vrai,cher lecteur ? Jusqu’ici, aucunmouvement déclaré ne s’est manifesté

visant à s’emparer du royaume siesteuxde Cohen, mais nous avons eu vent que lemignon de Mickey, Morris Jahelka, a faitses malles et a déménagé en Floride, latrouille aux méninges…

Et le Mickeyeur qui doit bientôt êtrelibéré sur parole ? Qu’adviendra-t-il pourlui, alors ?

Souviens-t’en, cher lecteur, c’est icique tu l’as vu en premier. Silence etdiscrétion, vite fait, bien fait, ce ne serapas répété, et très Indiscret.

1957

RAPPORTCONFIDENTIEL DULAPD

ÉTABLI PAR LA DIVISION

DES AFFAIRESINTERNES

EN DATE DU 10/2/57.

OFFICIER ENQUÊTEUR : SGT D.W. FISK,MATRICULE 6129, D.A.I.

SOUMIS À LA REQUÊTE

DU CHEF ADJOINT THAD GREEN, CHEF DESINSPECTEURS.

SUJET : WHITE, WENDELL A., DIVISIONCRIMINELLE.

Monsieur,

Lorsque vous avez pris l’initiative decette enquête, vous avez déclaré avoir étésurpris par le succès de l’agent White –lequel a réussi l’examen de sergent avecdes notes remarquables, après deuxtentatives infructueuses et neuf années auBureau –, en particulier à la lumière de larécente promotion du lieutenant DudleySmith au grade de capitaine. J’ai effectuéune enquête approfondie sur l’agentWhite et j’ai ainsi eu connaissance denombreux éléments contradictoires quidevraient vous intéresser. Puisque vousconnaissez déjà le dossier de White –états de services et arrestations -je me

concentrerai exclusivement sur lesditséléments.

1 – White, qui n’est pas marié et quin’a pas de famille proche, est intimementlié, même si leurs relations sontsporadiques, à une dénommée LynnMargaret Bracken, âgée de 33 ans, depuisplusieurs années. La rumeur, non étayéepar les dossiers de police, veut que cettefemme, propriétaire de la boutique demode Veronica, à Santa Monica, soit uneex-prostituée.

2 – White, qui est entré à la Criminellegrâce au Lt Smith en 1952, n’estnaturellement pas devenu, aujourd’hui,l’enquêteur talentueux que le capitaineSmith prétendait qu’il deviendrait. Le

travail effectué par White en 1952-1953,sous les ordres du Lt Smith, audétachement de surveillance, est devenu,bien sûr, légendaire, avec, à l’actif deWhite, deux hommes abattus dansl’exercice de ses fonctions. Depuis qu’ila abattu, en avril 1953, le suspectSylvester Fitch, mêlé accessoirement àl’affaire du Hibou de Nuit, White a servisous les ordres du Lt/Cap. Smith sansdistinction particulière. Cependant (faitplutôt surprenant), il n’a pas été déposécontre lui de plainte pour usage de laforce ou brutalités (voir les états deservice de White de 1948 à 1951 pour lesplaintes précédemment abandonnées). Ilest avéré que, pendant ces années etjusqu’au printemps de 1953, White

rendait visite aux libérés sur parolecondamnés pour violences sur leursépouses et qu’il les agressait verbalementet/ou physiquement. Il est établi, etprouvé, que ces attaques illégales ne sesont pas reproduites depuis presquequatre ans. White reste toujours unepersonnalité explosive et versatile(comme vous le savez, il a reçu un blâmedu service pour avoir fracassé des vitresà coups de poing dans le quartier descellules de la Criminelle lorsqu’il aappris que son ancien partenaire, le SgtR.A. Stensland, avait été condamné àmort), mais on sait qu’il lui est arrivéd’éviter de travailler avec la brigadeantigang du Lt/Cap. Smith au point derendre les rapports difficiles avec Smith,

son mentor au Bureau. Parlant de lanature violente de cette affectation, Whitea été cité en train de déclarer : « Je n’aiplus assez d’estomac pour des trucscomme ça. » Intéressant, au vu des étatsde service et de la réputation passés deWhite.

3 – Au printemps de 1956, White ademandé neuf mois de congé maladie etde vacances cumulés lorsque le Cap. E.J.Exley a pris son tour de service en tantque commandant de la Criminelle (unehaine connue de tous existe entre White etle Cap. J. Exley, dont l’origine remonte àl’affaire des brutalités policières de Noël1951). Pendant cette période, dégagé deservice actif, White (dont les résultats àl’académie indiquent une intelligence

seulement moyenne et une alphabétisationen dessous de la moyenne) a suivi lescours de criminologie et de médecinelégale de l’USC ; il a présenté et a réussi(à ses propres frais) l’examen duséminaire du FBI, sur les «Procéduresd’Investigation Criminelle» à Quantico,en Virginie. White avait échoué à deuxreprises à l’examen de sergent avant des’embarquer dans ces nouvelles études,et, à son troisième essai, il a réussi avecun score de 89 %. L’affectationcorrespondant à son nouveau gradedevrait lui être attribuée avant la fin del’année civile 1957.

4 – En novembre 1954, R.A. Stenslanda été exécuté à San Quentin. White asollicité et obtenu la permission

d’assister à l’exécution. Il a passé la nuitqui a précédé l’exécution dans le couloirde la mort à boire avec Stensland. (Onm’a dit que le gardien-chef adjoint avaitfermé les yeux sur cette infraction aurèglement de la prison en considérationdu statut d’ex-policier de Stensland.) LeCap. Exley a également assisté àl’exécution, et nous ne savons pas si lui etWhite ont eu des mots avant ou aprèsl’événement.

5 – J’ai gardé le point le plusintéressant pour la fin. II est intéressant ence sens qu’il illustre la tendancecontinuelle (voire croissante) de White às’impliquer personnellement dans desaffaires concernant des femmes battues et(maintenant) assassinées ; à savoir :

White a manifesté une curiosité qui n’étaitpas de mise dans un grand nombre demeurtres de prostituées, meurtres qui,selon lui, sont liés : ces meurtres ont eulieu en Californie et en divers endroits del’ouest du pays au cours de ces dernièresannées. Les noms des victimes, DDD etlocalisations géographiques des crimessont les suivants : Jane Mildred Hamsher-08/03/51 – San Diego, Calif.

Kathy PDP Janeway – 19/04/53 – LosAngeles.

Sharon Susan Palwick – 29/08/53 –Bakersfield, Calif.

Sally PDP DeWayne – 02/11/55 –Needles, Arizona

Chrissie Virginia Renfro – 16/07/56 –San Francisco, Calif.

White a déclaré à divers officiers de laCriminelle qu’il avait la conviction quedes analogies dans les preuvesmatérielles indiquaient un seul et mêmeassassin. Il a fait le déplacement (à sespropres frais) jusqu’aux villes citées ci-dessus où les crimes ont eu lieu.Naturellement, les inspecteurs auxquelsWhite s’est adressé l’ont pris pour uncasse-pieds et se sont montrés réticents àpartager avec lui les renseignements dontils disposaient. On ne sait pas s’il a faitdes progrès dans la résolution desaffaires mentionnées. Le Lt J.S. Di Cenzo,commandant de brigade du poste de WestValley a déclaré qu’à son avis, la fixation

de White sur les assassinats deracoleuses remonte à l’époque del’affaire du Hibou de Nuit, lorsque Whites’était trouvé personnellement impliquédans le meurtre d’une jeune prostituée(Kathy Janeway) qu’il connaissait.

6 – En résumé, une enquêtesurprenante. Personnellement, j’admirechez White son esprit d’initiative et sapersistance à vouloir passer sergent, et sa(néanmoins malencontreuse) ténacité dansle domaine des homicides de prostituées.Une liste des références des personnesinterrogées suivra dans un mémo séparé.

Respectueusement,

SGT D.W. Fisk. 6129 – D.A.I.

RAPPORTCONFIDENTIEL DULAPD

ÉTABLI PAR LA

DIVISION DESAFFAIRES INTERNES

EN DATE DU 11/03/57.

OFFICIER ENQUÊTEUR : SGT. DONALDKLECKNER, MATRICULE 688, D.A.I.

SOUMIS À LA REQUÊTE

DE WILLIAM H. PARKER, CHEF DE LAPOLICE.

SUJET : VINCENNES, JOHN, SERGENT,DÉTACHEMENT DE SURVEILLANCE.

Monsieur,

Vous avez souhaité, au vu de ladétérioration des capacités en serviceactif du sergent Vincennes, que j’étudiel’opportunité de lui offrir la possibilitéde faire valoir ses droits à une retraiteanticipée pour incapacité à assumer lestensions de sa fonction, et ce avant que levingtième anniversaire de son affectationau LAPD n’arrive à son terme en mai1958. J’estime cette mesure pour l’instantinappropriée. C’est un fait, Vincennes estde toute évidence alcoolique ; c’estégalement un fait, son alcoolisme lui acoûté son travail à l’Insigne du Courageet, en conséquence, une petite fortune au

LAPD sur le plan promotionnel. C’esttoujours un fait, à quarante-deux ans, ilest trop âgé pour être affecté à desfonctions de haut risque comme ledétachement de surveillance. Pour ce quiest de la détérioration reconnue de sescapacités en service actif, celles-ci ne sedétériorent que parce que Vincennes aété, à ses jours de gloire au sein de ladivision des Stupéfiants, un policiertéméraire et inspiré. Des entrevues quej’ai conduites, j’arrive à la conclusionqu’il ne boit pas en service et que ladétérioration de sa performance peut serésumer au mieux par «mollesse, paresseet mauvais réflexes». En outre, s’iladvenait que Vincennes refusât uneproposition de départ en retraite, je pense

que le conseil des pensions luiapporterait son soutien. Monsieur, je saisque vous considérez Vincennes comme undéshonneur pour la police. Je suisd’accord avec vous, mais je vous prie deprendre en considération ses liens avec leprocureur Loew. Le Service a besoin deLoew pour l’instruction des affaires quilui sont proposées, ainsi que votre nouvelassistant en chef, le capitaine Smith, vousle dira. Vincennes continue à solliciterdes fonds et à faire le garçon de coursepour Loew, et si Loew était réélu, ainsiqu’il est attendu, la semaine prochaine, ilintercéderait très probablement en safaveur si vous faisiez pression pourchasser Vincennes du Service. Marecommandation est la suivante :

conservez Vincennes à la Surveillancejusqu’en mars 1958, date à laquelle il estprévu un nouveau tour de commandement,officiers de remplacement compris.Affectez-le alors à des tâches sansimportance au sein d’une division depatrouilles jusqu’à l’échéance de sondépart à la retraite, le 15/05/58. À cemoment-là, Vincennes, humilié par unretour au service en uniforme, pourraittrès certainement être persuadé de seséparer du Service dans les meilleursdélais.

Respectueusement,

Donald J. Kleckner. D.A.I.

SUR CINQ COLONNESL.A. TIMES

15 MARSLOEW RÉÉLU DANS UN RAZ DE MARÉE

PROCHAINE ÉTAPE : LE CAPITOLE ?

COUPURES DE PRESSE

L.A. TIMES

8 JUILLETMICKEY COHEN BLESSÉ AU COURS D’UNE

AGRESSION DANS LA COUR DE SA PRISON

Les autorités de la prison fédérale deMcNeil Island ont annoncé hier que lesdeux truands Meyer Harris «Mickey»Cohen et David «Davey» Goldman ontété blessés au cours d’une brutaleagression en plein jour. Cohen etGoldman, dont la libération sur parole estprévue pour septembre, assistaient à unmatch de balle molle dans la cour de laprison, lorsque trois assaillants

encapuchonnés et brandissant barres defer et «lames» de fabrication maison leursont tombés dessus. Goldman a étépoignardé par deux fois dans l’épaule etfrappé férocement sur la tête, et Cohens’en est sorti avec des blessuressuperficielles et quelques points desuture. Les médecins de la prison ontdéclaré que Goldman souffrait deblessures graves et qu’il avait peut-êtresubi des lésions cérébrales irréparables.Les agresseurs se sont enfuis, et uneenquête d’envergure est en cours pourdécouvrir leurs identités. L’administrateurde McNeil, R.J. Wolf, a dit : « Nouspensons que c’est ce qu’on appelle un«contrat de mort», passé de l’extérieuravec des prisonniers actuellement

incarcérés. Tous les efforts nécessairesseront mis en œuvre pour aller jusqu’aufond de cet «incident». »

MAGAZINE L’INDISCRET

NUMÉRO D’OCTOBRE 1957MICKEY COHEN DE RETOUR À L.A. !

EST-CE QUE SON BON VIEUX TEMPS

ET TOUS SESMALHEURS

SONT REVENUS POUR TOUJOURS ?

C’était le truand le plus haut en couleurque la cité des Anges déchus ait jamaisvu, ô Toi qui es au parfum – et assister àson numéro au Mocambo ou au Troc,c’était comme reluquer papa Stradivariusen train de se tailler un crin crin dans untronc d’arbre. Il te sortait ses vannes

écrites spécialement pour lui par DaveyGoldman, te glissait des enveloppes biendodues aux garçons de course desservices du shérif et te guinchait quelquesmesures coquines du Lindy Hop avec sapoule Audrey ou les autres petites caillesavenantes qui roulaient des hanches dansle coin. Tous les regards se portaient sursa table, et les dames passaientdiscrètement en revue son premier gardedu corps Johnny Stompanato en sedemandant : « Est-il vraiment si gros queça ? » Sycophantes, faire-valoir, pisse-chaud, minables, tocards et lèche-bottesen général venaient se coller auMickeyeur pour s’en repartirrécompensés de plaisanteries, d’une tapedans le dos, ou d’une poignée de main. Le

Mick avait un faible pour les mômesestropiés, les chiens errants, l’Armée duSalut et l’Appel aux Juifs unifiés. LeMick dirigeait également les parisclandestins, les prêts usuraires, le jeu, lesrackets de prostitution et de came, et iltuait une douzaine de personnes enmoyenne par an. Personne n’est parfait,n’est-ce pas, Toi qui es au parfum ? Toi,tu laisses tes rognures d’ongles de piedsur le sol de la salle de bains, Mickey,lui, expédie les gens par train de nuit,direction Tranche-la-Ville.

Tu piges, Toi qui es au parfum ? Il y ades gens qui ont aussi essayé de tuerMickey !!! Un mensch comme lui ? Non!!! Ce n’est pas vrai !!! Si, mon coco, çate revient toujours à la figure. Le

problème, c’est que le Mick a plus devies que le félin du proverbe : il aesquivé les bombes, les balles et ladynamite, pendant que ceux quil’entouraient tombaient raides morts ; il asurvécu à six années au pénitencier deMcNeil Island, jusqu’à une récenteattaque à la saccagne et à la barre de fer –et maintenant, le voici de retour ! SyDevore – attention, prépare-toi – leMickeyeur sera partant pour quelquesdouzaines de costards flambant neufs, ennylon-rayonne bien luisant : vendeuses decigarettes du Mocambo et du Trocadero,soyez prêtes à quelques billets de centcomme pourboires. Mickey et sonentourage descendront bientôt sur leSunset Strip et – très Indiscret – oui,

mesdames, Johnny Stompanato est bienaussi gros que ça, mais il n’a d’yeux quepour Lana Turner, et on raconte que lui etLana ne se font plus simplement du pied,depuis un moment…

Mais retour au Mickey C. Les lecteursenthousiastes de l’Indiscret sesouviendront de notre numéro d’octobre56, et de la rubrique «Crime soussurveillance» où nous nous étions laissésaller à spéculer sur le calme plat àTruand-Ville depuis que le Mick étaittombé au trou. Eh bien, quelques mortstoujours non éclaircies se sont bienproduites ; et quant à cette attaque à lasaccagne/barre de fer qui a blesséMickey et transformé son compère DaveyGoldman en légume, eh bien… on n’a

jamais retrouvé les prisonniersagresseurs encagoulés qui avaient essayéd’envoyer Mickey et son homme àTranche-la-Ville…

Les enfants, appelez ça unavertissement : c’est un mensch, il faitcouleur locale comme c’est pas possible,c’est le merveilleux, le malicieux, lepernicieux Mickeyeur. Il a la peau dure,pasque c’est les passants innocents quiencaissent le plomb qui porte sonadresse. Mickey est de retour, et il sepourrait bien que son ancienne bande soiten train de se reconstituer. Toi qui es auparfum, quand tu feras la tournée desclubs sur le Sunset Strip, scintillant detous ses péchés, porte un gilet pare-ballesau cas où Meyer Harris serait assis dans

le coin.

L.A. HERALD EXPRESS

10 NOVEMBRE

COHEN LE TRUANDSURVIT

À UN ATTENTAT À LA BOMBE

Une bombe a explosé tôt ce matin sousle domicile de Mickey Cohen, le truandrécemment remis en libertéconditionnelle. Cohen et son épouseLavonne n’ont pas été blessés, mais labombe a effectivement détruit une piècegarde-robe qui abritait trois cents descostumes faits sur mesure de Cohen. Lebouledogue de Cohen, qui dormait nonloin de là, a été soigné pour une queue

brûlée à l’hôpital vétérinaire de Westsideavant de pouvoir regagner son domicile.Cohen, «introuvable», s’est refusé à toutcommentaire.

LETTRE CONFIDENTIELLE,

ADDENDA AU RAPPORT D’ENQUÊTE

HORS SERVICES DE POLICE,

DEMANDE SUR TOUS

LES NOUVEAUX ARRIVANTS

AU POSTE DECOMMANDANT

DE LA DIVISION DES AFFAIRES INTERNES,SERVICES DE POLICE DE LOS ANGELES, À LAREQUÊTE DU CHEF WILLIAM H. PARKER.

29/11/57

Cher Bill,

Seigneur, nous avons été sergentsensemble ! À croire qu’un milliond’années se sont écoulées, et tu avaisraison : j’ai effectivement savourél’occasion de reprendre brièvement ducollier et de jouer à nouveau au détective.Je me suis senti légèrement perfide àquestionner des officiers de police dansle dos d’Ed et de Preston, mais encoreune fois, tu avais raison : en premier lieu,par ta politique globale d’évaluation – endehors de tout service de police – de tousles nouveaux chefs des A.I., et, en secondlieu, en choisissant un ex-policierfavorable à Ed Exley pour allerinterroger des collègues policiers surl’homme en question. Bon Dieu, Bill,nous adorons Ed l’un comme l’autre. Ce

qui me rend d’autant plus heureux det’annoncer que, enquête fondamentalemise à part (c’est bien le Bureau duProcureur qui la mène, non ?) je n’ai rienque des points positifs à te soumettre.

J’ai parlé à un certain nombred’hommes du bureau des inspecteurs etd’agents en uniforme. Il en ressort unconsensus dans les opinions : Ed Exleyest très bien respecté. Certains agents ontconsidéré qu’il avait agi de manière peujudicieuse en abattant les suspects duHibou de Nuit ; la plupart ont estimé quec’était courageux, et quelques-uns ontjugé son geste, un acte d’éclatintentionnel. Quoi qu’il en soit, en ce quiconcerne Ed Exley, c’est ce qui restegravé dans la mémoire des gens ; son

action a en outre largement éclipsé lessentiments contraires qu’il avait faitnaître en acceptant de jouer le rôle dedénonciateur dans l’affaire du NoëlSanglant. La promotion de deux grades,de sergent à lieutenant, a donné naissanceà de grands ressentiments, mais onconsidère qu’il a montré le meilleur delui-même au poste de commandant sansaffectation : il a dirigé sept divisions enmoins de cinq ans, établi de nombreuxcontacts de valeur, et gagné généralementle respect des hommes qui ont servi sousses ordres. Ta crainte première : que sanature profonde – « il n’est pas l’un desnôtres » – provoque la colère lorsqu’onapprendrait qu’il allait diriger les A.I.,paraît jusqu’ici non fondée. On entend

dire qu’Ed prendra la direction des A.I.au début de 58, et l’on estime – c’est unfait tacite mais acquis – qu’il exercera sacharge avec vigueur et rigueur. Je mehasarderai à penser que sa réputation desévérité et d’intelligence dissuaderanombre de flics potentiellement véreux etles encouragera à suivre la voie étroite etsans détours, et à s’y tenir.

On sait également qu’Ed a réussil’examen pour être promu au graded’inspecteur divisionnaire et qu’il estpremier sur la liste des promotions. C’estici qu’apparaissent quelques faussesnotes. On estime, de l’avis général, queThad Green prendra sa retraite dans lesannées qui viennent et que le choixpourrait bien se porter sur Ed pour le

remplacer comme chef des inspecteurs.La grande majorité des hommes aveclesquels je me suis entretenu ont émisl’opinion que le capitaine Dudley Smith,plus âgé, beaucoup plus expérimenté etdonnant plus une image de chef, devraitavoir la place. Quelques observationspersonnelles pour contrecarrer le rapportextérieur : 1 – Ed entretient des rapportsphysiques intimes avec Inez Soto, mais jesais qu’il n’irait jamais violer lesrèglements interservices en en faisant saconcubine. Inez est une super-môme, àpropos. Elle est devenue une excellenteamie de Preston, Ray Dieterling et moi-même, et son travail de relationspubliques pour Dream-a-Dreamland estpresque génial. Elle est mexicaine, et

alors ?

2 – J’ai parlé d’Ed aux sergents desA.I. Fisk et Kleckner : tous deux onttravaillé sous ses ordres auxCambriolages, sont de jeunes gars dugenre d’Exley, droits et honnêtes, et sontpositivement en extase à l’idée que leurhéros soit sur le point de devenir leurofficier commandant 3 – En tantqu’individu qui connaît Ed Exley depuisqu’il est enfant, et en tant qu’ex-policier,je dirai officiellement ceci : il est aussidoué que son père, et je serais prêt àparier que si tu faisais faire un décompte,tu t’apercevrais qu’il a résolu plusd’affaires importantes que n’importe quelautre inspecteur du LAPD n’en a jamaisrésolu. Je suis également prêt à parier

qu’il est au courant de ce petit stratagèmeaffectueux monté à ton initiative : tous lesbons flics ont leurs réseaux derenseignements.

Je terminerai par une requête. Je songeà écrire un livre de souvenirs sur lesannées que j’ai passées dans le Service.Me serait-il possible d’emprunter ledossier de l’affaire Loren Atherton ? Sansque Preston et Ed le sachent, s’il te plaît– je ne veux pas qu’ils se mettent à croireque je ne me sens plus, l’âge avançant.

J’espère que ce petit addenda te rendraservice. Mes amitiés à Helen, et merci dem’avoir offert l’occasion de rejouer auflic.

Amicalement

Art De Spain.

AVIS DE TRANSFERT AULAPD

1 – Agent Wendell A. White, divisionCriminelle, affecté à la brigade desinspecteurs du poste de Hollywood (avecle grade de sergent) ; date d’effet :2/1/58.

2 – Sergent John Vincennes,détachement de surveillance, affecté auxpatrouilles de la division de Wilshire. Àprendre effet lorsqu’un officier seraaffecté à son remplacement, mais pas plustard que le 15/3/58.

3 – Capitaine Edmund J. Exley, affectéà titre définitif et permanent :

commandant, division des AffairesInternes, date d’effet 2/1/58.

Troisième partieAffaires internes

42

Le Dining Car avait une gueule de boisde premier de l’an : guirlandes de papiercrépon qui pendouillaient, panneaux«1958» qui perdaient leurs paillettes. Eds’installa dans son box favori : le salonen spectacle, et son image dans le miroir.Il nota l’heure et le jour – 3 h 24 del’après-midi, le 2 janvier 58. QueGallaudet arrive donc en retard –n’importe quoi, pour que l’instant dureplus longtemps.

Dans une heure, la cérémonie : lecapitaine E.J. Exley prend ses fonctions àun poste permanent – commandant de la

division des Affaires Internes. Gallaudetapportait les résultats de son évaluationhors service de police – le Bureau duProcureur avait examiné sa viepersonnelle à la loupe. Il passeraitl’examen avec succès – sa viepersonnelle était propre comme un souneuf, et le fait d’avoir expédié les mecsdu Hibou de Nuit ad patres avait faitpasser à l’as son caftage du NoëlSanglant – il le savait depuis des années.

Ed sirota son café, les yeux sur lemiroir. Son reflet dans la glace : unhomme à un mois d’avoir trente-six ans,qui en faisait quarante-cinq. Cheveuxblonds qui grisonnaient, rides deréflexion sur le front. Inez disait que sesyeux se faisaient plus petits et plus froids,

que ses montures de métal lui donnaientun air dur. Il lui avait dit que dur valaitmieux que mou – les capitaines gaminsont besoin d’aide. Elle avait ri – c’était ily a quelques années, lorsqu’ils riaientencore.

Il resitua la conversation : fin 54, Inezen analyse de détail : « Tu es un morbidedépravé, à vouloir assister à la mort dece Stensland ! » Une année et demie aprèsle Hibou de Nuit ; aujourd’hui, ça faisaitquatre ans et neuf mois. Un regard dans lemiroir, un droit qu’il revendiquait sur cesannées – et sur ce qu’il avait partagé avecInez.

Ses meurtres avaient chassé Bud White: quatre morts en éclipsaient une seule.

Ces premiers mois, elle avait été à lui,totalement : il avait fait ses preuves selonles exigences qu’elle avait posées. Il luiavait acheté une maison, plus bas dans lebloc ; elle adorait la gentillesse de leursrelations sexuelles ; elle avait accepté laproposition d’emploi de Ray Dieterling.Dieterling était tombé amoureux d’Inez etde son histoire : une belle femme victimed’un viol et abandonnée par sa famille.L’histoire coïncidait avec ses proprespertes – une fois divorcé, une fois veuf,son fils Paul tué dans une avalanche, sonfils Billy homosexuel. Ray et Inezdevinrent père et fille – collègues, amissincères. Preston Exley et Art De Spainavaient rejoint Dieterling dans sonadmiration – un cercle de durs à cuire, et

une femme à laquelle ils étaientreconnaissants de l’occasion de semontrer tendres et gentils.

Inez choisissait ses amitiés dans unroyaume de rêves et de fantaisie : lesbâtisseurs, la seconde génération – BillyDieterling, Timmy Valburn. Petite cliquebavarde et papoteuse : ils se faisaient lesinterprètes des commérages deHollywood, et se moquaient des petitesfaiblesses des mâles. Le mot «homme»les faisait crouler de rire. Ils raillaient lespoliciers et jouaient aux charades dansune maison achetée par le capitaine EdExley.

Tous les mérites en revenaient à Inez.

Après la tuerie, il avait eu des

cauchemars : étaient-ils innocents ? Unefurie d’impuissance avait fait tressauterson doigt sur la gâchette ; la résolutiondramatique de l’affaire avait donné une sibelle image du Service que des détailsinsignifiants comme «non armés» et «nondangereux» ne remonteraient jamais à lasurface pour le démolir. Inez avait apaiséses craintes en lui disant que les violeursl’avaient conduite à la maison deSylvester Fitch au milieu de la nuit, etl’avaient laissée là – se donnant ainsi letemps de faire leur descente au Hibou deNuit. Elle n’en avait jamais rien dit à lapolice parce qu’elle ne voulait pasrefaire le décompte des chosesparticulièrement horribles que Fitch luiavait faites. Il en avait été soulagé : dans

sa furie, des morts coupables venaientétayer la Justice dans ses œuvres.

Inez.

Le temps avait passé, le feu avait perdude sa chaleur – la douleur d’Inez etl’héroïsme d’Ed ne pouvaient suffire à lesalimenter. Inez savait qu’il nel’épouserait jamais : un flic haut gradé,une épouse mexicaine – suicide d’unecarrière. L’amour d’Ed ne tenait que pardes fils ; Inez se fit de plus en pluslointaine – en pratique, maîtresseoccasionnelle. Deux personnes nées dumoule d’événements extraordinaires,avec le concours d’acteurs puissantstoujours présents : les morts du Hibou deNuit, Bud White.

Le visage de White dans la chambreverte : de la haine pure pendant que DickStensland tétait le gaz. Un regard à DickyStens en train de mourir, un regard de soncôté, les paroles n’étaient pasnécessaires. Demande de congés cumulésacceptée, de sorte qu’ils n’aient pas àtravailler ensemble lorsque lui avait prisla direction de la Criminelle. Il avaitsurpassé son frère, il s’était rapproché deson père. Ses états de service pour lesaffaires résolues étaient stupéfiants : enmai, il serait inspecteur divisionnaire,dans quelques années il serait sur lesrangs, avec Dudley Smith, pour le postede chef des inspecteurs. Smith s’étaittoujours tenu à distance respectueuse delui en lui manifestant un respect prudent

sous des formes de mépris – et Dudleyétait l’homme le plus craint de tout leLAPD. Savait-il que son rival n’avaitpeur que d’une seule et unique chose : unevengeance perpétrée par un flic/thug sansassez de cervelle pour avoir del’imagination ?

Le bar se remplissait : employés duprocureur, quelques femmes. La dernièrefois avec Inez s’était mal passée – elles’était simplement prêtée au service decelui qui payait l’hypothèque. Ed sourit àune femme de grande taille – elledétourna la tête.

— Félicitations, cap’. Tu as le nezaussi propre qu’un boy-scout.

Gallaudet s’assit – tendu, nerveux.

— Alors, pourquoi as-tu l’air aussisinistre ? Allez, Bob, nous sommescollègues.

— Toi, tu as le nez propre, mais on aplacé Inez sous surveillance rapprochéependant deux semaines, rien que laroutine. Ed… oh, eh merde, elle coucheavec Bud White.

La cérémonie – un grand brouillardconfus.

Parker fit un discours : les policiersétaient sujets aux mêmes tentations queles civils mais ils avaient besoin demaîtriser leurs instincts les plus bas dansune plus large mesure afin de servird’exemples moraux à une société sapéede plus en plus par l’influence

envahissante du communisme, du crime,du libéralisme et de la turpitude moralegénérale. Un exemple d’une droituremorale exceptionnelle était nécessairepour prendre la direction d’une Divisionqui servait de garant de la moralitépolicière, et le capitaine Edmund J.Exley, héros de guerre, héros de l’affairedes meurtres du Hibou de Nuit, était cethomme-là.

Il fit un discours en personne : un peude verbiage supplémentaire sur lamoralité ambiante. Duane Fisk et DonKleckner lui souhaitèrent bonne chance ;à travers son brouillard, il lut à traverseux : ils voulaient les postes d’adjoints auchef. Dudley Smith cligna de l’œil, facileà déchiffrer : « C’est moi qui serai notre

prochain chef des inspecteurs – pas toi. »Quelques excuses au moment de prendrecongé, qui prirent des siècles – il arrivachez elle, le brouillard se dissipait, viteet fort.

6 h – Inez rentrait aux environs de 7 h.Ed s’introduisit dans la maison, etattendit, toutes lumières éteintes.

Les minutes tirèrent en longueur ; Edobserva le mouvement des aiguilles de samontre – 6 h 50 – une clé dans la porte.

— Exley, tu boudes ? J’ai vu ta voituredehors.

— Pas de lumières. Je ne veux pas voirton visage.

Des bruits – des clés qui cliquètent, un

sac qui tombe par terre.

— Et je ne veux pas voir toutes cesfolles de pédales de Dreamland que tu ascollées sur les murs.

— Tu veux dire les murs de la maisonque tu as payée ?

— C’est toi qui l’as dit, pas moi.

Des sons : Inez qui s’appuie contre laporte.

— Qui t’a dit ?

— Ça n’a pas d’importance.

— Vas-tu ruiner sa carrière à cause deça ?

— Sa carrière ? Non, il n’existe aucunmoyen pour que je puisse le faire sans me

faire apparaître encore plus stupide queje ne l’ai été. Et tu peux prononcer sonnom.

Pas de réponse.

— Depuis combien de temps ?Combien de coups de queue derrière mondos ?

Pas de réponse.

— Combien de temps, puta ?

Inez soupira.

— Quatre ans peut-être. De temps àautre, ce n’était pas régulier, quand nousavions chacun besoin d’un ami.

— Tu veux dire quand tu n’avais pasbesoin de moi ?

— Je veux dire quand je me sentaisépuisée à force d’être traitée comme unevictime de viol. Lorsque j’étais terrifiéepar ce que tu étais prêt à faire pourm’impressionner.

— Je t’ai sortie de Boyle Heights et jet’ai offert une vie, dit Ed.

— Exley, tu as commencé à me fairepeur. Je voulais juste être une fille quisort avec un gars, et ça, Bud me l’adonné.

— Ne t’avise pas de prononcer sonnom dans cette maison.

— Tu veux dire dans ta maison ?

— Je t’ai offert une vie honnête. Tu enserais encore à aplatir les tortillas sur une

pierre, si je n’avais pas été là.

— Querido, tu te transformes enméchant avec tant de facilité.

— Combien d’autres mensongesencore, Inez ? Combien d’autresmensonges à part lui ?

— Exley, restons-en-là, il faut rompre.

— Non, donne-moi la liste.

Pas de réponse.

— Combien d’hommes encore ?Combien de mensonges encore ?

Pas de réponse.

— Dis-moi.

Pas de réponse.

— Saloperie de pute, après tout ce quej’ai fait pour toi. Dis-le-moi !

Pas de réponse.

— Je t’ai laissée te lier d’amitié avecmon père. Preston Exley est ton ami àcause de moi. Combien d’autres hommesas-tu baisés derrière mon dos ? Combiend’autres mensonges après tout ce que j’aifait pour toi ?

Inez, d’une petite voix :

— Tu ne veux pas le savoir.

— Si je le veux, saloperie de pute !

Inez se dégagea de la porte.

— Voici le seul mensonge qui compte,et il est tout entier pour toi, pour toi seul.

Même mon petit Bud, mon petit sucred’orge ne le connaît pas, alors j’espèreque tu vas te sentir spécial.

Ed se leva.

— Les mensonges ne me font pas peur.

— Tu as peur de tout, dit Inez enéclatant de rire.

À son tour, pas de réponse.

Inez, calme :

— Les negritos qui m’ont fait maln’auraient pas pu tuer les gens du Hiboude Nuit, parce qu’ils sont restés avec moitoute la nuit. Je ne les ai jamais perdus devue. J’ai menti parce que je ne voulaispas que tu te sentes dégueulasse d’avoirtué quatre hommes pour moi. Et tu veux

savoir ce que c’est, le gros, l’énormemensonge ? C’est toi et ta sacro-sainteabsolue justice.

Ed la repoussa pour sortir, les mainscollées aux oreilles pour en étouffer lesrugissements. Ténèbres au-dehors,froideur – il vit Dick Stens sanglé à mortsur son fauteuil.

43

Bud inspecta sa nouvelle plaque :«Sergent», là où il y avait eu «Policier».Il posa les pieds sur le bureau, et dit aurevoir à la Criminelle.

Son cagibi était un foutoir – cinqannées et leur poids en papier. Dudleyavait dit que le transfert à la brigade deHollywood était simplement temporaire –son grade de sergent avait choqué leshuiles. Thad Green l’avait dans lecollimateur pour son numéro de boxe surles fenêtres : Dick Stens en route pour lachambre verte, crochets gauche/droitedans la vitre. Juste retour des choses : il

n’était jamais devenu un crack desenquêtes criminelles parce que les seulesaffaires qui lui importaient étaient soitclassées soit larguées aux chiottes.Cafard du muté : abandonner le QG dubureau, ça voulait dire, fini d’être lepremier sur les lieux quand on avaittrouvé un corps – une bonne manière pourlui de se tenir au parfum sur l’affaireKathy Janeway et toute la filée deracoleuses zigouillées qu’il savait s’yrattacher.

Des trucs à emporter avec lui :

Sa nouvelle plaque d’identité –«Sergent Wendell White» ; unephotographie de Lynn : brune, salut à laVeronica Lake.

Une photo de la brigade antigang : luiet Dud au Victory Motel. Les petitesgâteries de la brigade antigang : coups-de-poing en laiton, matraque à billes deroulements – il les laisserait peut-êtrederrière lui.

Les trucs qu’il gardait sous clé :

Ses diplômes, FBI et cours demédecine légale ; legs de Stensland : sixbâtons venant de sa part du cambriolage.Les dernières paroles de Dick – un petitmot qu’un garde lui avait fait passer.

Partenaire,

Je regrette le mal que j’ai fait. Jeregrette en particulier tous les gens à quij’ai fait du mal quand j’étais policier

parce qu’ils étaient sur mon chemin quandje me sentais méchant, et les mecs deNoël, et l’homme du magasin d’alcool etson fils. C’est trop tard pour changer toutça. Alors, tout ce que je peux faire, c’estdire, je suis désolé, ce qui ne veut pasdire grand-chose qui en vaille la peine.J’essaierai d’accepter mon châtimentcomme un homme. J’arrête pas de penserque ç’aurait pu être toi au lieu de moi quiaies fait ce que j’ai fait, que c’était rienqu’un coup de hasard, comme à la courtepaille, et je sais que p’t-être tu auraispensé la même chose. Je voudrais bienqu’être désolé, ça puisse compter pluspour des mecs comme toi et moi. J’aipayé les violons et j’ai choisi mamusique, et tout ça ; mais à cause d’Exley,

le morceau ne s’est pas arrêté, il a obligéles violons à continuer alors qu’il n’avaitpas à le faire ; et si j’avais une dernièrerequête à présenter, c’est que tu lui fassespayer son écot. Et ne sois pas stupide etne fais pas quelque chose de lourdinguecomme j’aurais fait. Sers-toi de tacervelle et de cet argent que je t’ai dit oùtrouver, et fais-lui sa fête, un bon coupdans le cul de la part du sergent DickStens. Bonne chance, partenaire. J’arrivepas bien à croire que quand tu liras ça, jeserai mort.

Dick

À double tour dans le tiroir du bas.

Son dossier sur Janeway et lesracoleuses refroidies, son dossier

personnel sur le Hibou de Nuit – duclassique, comme dans les livres, commeil avait appris à l’école.

Deux affaires qui prouvaient qu’il étaitun véritable enquêteur ; le coup que Dickvoulait porter à Ed Exley. Il les sortit etles relut de bout en bout – de vraiesrédactions d’étudiant.

La piste Janeway et sa filée demeurtres.

Lorsque les choses s’étaient tasséesavec Lynn, il s’était mis en quête de trucspour se remonter. La chasse aux femmesne l’avait pas arrêté – idem pour sonhistoire par intermittence avec Inez. Ilavait foiré l’examen de sergent par deuxfois, s’était offert des études avec le fric

planqué par Dick, et avait travaillé à mi-temps à la brigade antigang : on attendaux gares ferroviaires, aux garesroutières, aux aéroports, on amène lesracketteurs en puissance au VictoryMotel, on leur pète la gueule, et on lesraccompagne aux gares ferroviaires, auxgares routières et aux aéroports. Dudappelait ça «contention» ; lui appelait çatrop dur à encaisser si on voulait seregarder dans une glace. Les affairesimportantes ne lui tombaient jamais dansl’assiette, à la Criminelle : Thad Greenles gardait sous le pied et y affectaitd’autres hommes. Ses cours lui avaientappris des choses intéressantes sur lamédecine légale, la psychologie et lesprocédures criminelles – il décida

d’appliquer ce qu’il avait appris à unevieille affaire qui mijotait toujours danssa mémoire : le meurtre de KathyJaneway.

Il avait lu le dossier de l’affaire, établipar Joe Di Cenzo : pas de piste, pas desuspect, éliminée comme meurtre sexueloccasionnel. Il avait lu la reconstitutiond’après l’autopsie : Kathy battue à mort,le visage défoncé ; un homme avec desbagues aux deux mains. Sperme –l’homme était B+ – dans la bouche, dansle rectum, dans le vagin – troiséjaculations séparées, le fumier avait prisson temps. Il avait eu un éclair, renforcédans sa conviction par des précédents :un monstre sexuel comme celui-là ne secontente pas de tuer une seule fois avant

de se remettre à se tourner les pouces.

Il s’était mis à fouiller la paperasse –chose qu’il détestait jusque-là.

Pas d’affaires similaires résolues ou ensuspens, dans les dossiers du LAPD oudes services du shérif – l’enquête lui prithuit mois. Il réussit à avoir accès àd’autres services de police – avecl’argent de Stens comme cagnotte. Zéropour le comté d’Orange, zéro pour lecomté de San Bernardino ; quatre mois deboulot, et une affaire qui correspond –services de police de San Diego : JaneMildred Hamsher, 19 ans, racoleuse,DDD 8/3/51, même travail au corps etmême viol à trois voies ; pas d’indices,pas de suspect, affaire classée.

Il avait lu les dossiers du LAPD et duSDPD pour les MO et n’avait abouti nullepart. Il se rappela que Dudley l’avaitaverti de laisser tomber l’affaire Janeway– et qu’il s’était fichu de sa poire parcequ’il devenait cinglé quand il tombait surdes histoires de femmes tabassées. Ilavait continué malgré tout : gros lot sur letéléscripteur, demande adressée à troisÉtats : Sharon Susan Palwick, 20 ans,racoleuse, DDD 24/8/53, Bakersfield,Californie. Même topo : pas de suspect,pas de piste, affaire classée. Dud n’avaitjamais mentionné le téléscripteur – s’ilsavait qu’il existait.

Il s’était rendu à Diego et Bakersfield– il avait lu des dossiers, et cassé lespieds aux inspecteurs chargés des

affaires. L’enquête les ennuyait à mourir –ils l’avaient envoyé balader. Il avaitessayé de reconstituer l’événement, lieuxet horaires : qui se trouvait dans cesvilles aux dates des meurtres. Il avaitvérifié les vieux registres de passagers –train, bus et avion –, sans trouver aucunnom se recoupant, et avait fait diffuserdes demandes de renseignements partéléscripteur dans trois États, sur les MOdes tueurs, demandant à être prévenu sison tueur refaisait des siennes avec lemême MO. Aucune réponse à sa demanded’infos ; au fil des années, on lui avaitsignalé trois cadavres : Sally PDPDeWayne, 17 ans, racoleuse, Needles,Arizona, 2/11/55 ; Chrissie VirginiaRenfro, 21 ans, racoleuse, San Francisco,

14/7/56 ; Maria PDP Waldo, 20 ans,racoleuse, Seattle, il y avait deux mois decela, le 28/11/57. Les avis d’informationavaient été logés en retard, mêmesrésultats : peau de balle. Toutes lesdirections possibles, toutes ses approchesd’écolier couvertes – pour rien. KathyJaneway et cinq autres prostituéesviolées, battues à mort – affaires nonclassées, pour lui seulement.

Un dossier en cul-de-sac de 116 pagesà emporter à la brigade de Hollywood –son affaire en propre, pour l’instant aurebut.

Et son affaire numéro un – des pages etdes pages qu’il ne cessait de consulter etreconsulter. L’affaire de Dick Stens : des

clous pour le cercueil d’Ed Exley. Il enavait la chair de poule rien qu’à enprononcer le nom.

L’affaire du Hibou de Nuit.

De reprendre le meurtre Janeway luiavait tout ramené en mémoire : le rapportDuke Cathcart/livres obscènes, lespreuves dissimulées, des tuyaux depremière main, rien que pour baiserExley. Le moment ne lui était pasfavorable à l’époque : il n’en avait pasassez sous la casquette pour continuerl’enquête, les négros s’étaient échappés,Exley les avait descendus. L’affaire duHibou de Nuit était classée – oubliés,tous ses petits à-côtés un peu bizarres.Les années avaient passé ; il était revenu

sur le meurtre Janeway, avait découvertune filée de meurtres semblables. Et lapetite Kathy lui faisait penser Hibou deNuit, Hibou de Nuit, Hibou de Nuit.

Les méninges à l’œuvre :

Retour en 53 : Dwight Gilette et CindyBenavides – RC de Kathy Janeway – luiavaient déclaré qu’un mec quiressemblait à Duke Cathcart parlait depiquer à Cathcart son écurie de barbeau.Quelle «écurie de barbeau» ? Duken’avait que deux pétasses à l’époque,mais on l’avait entendu dire qu’il voulaitse lancer dans le biz de cul – d’abord, ilavait cru à un rêve foireux de la bouched’un rêveur foireux de première classe –mais l’affirmation s’était trouvée

confirmée lorsque les frères Engleklingavaient fait leur apparition et avaientraconté leur histoire comme quoi Cathcartles avait approchés en leur proposant unmarché : eux imprimaient les obscénités,lui les distribuait, et c’était à eux decontacter Mickey Cohen pour lefinancement.

On passe aux faits :

Il s’était rendu dans la piaule de Dukeaprès le Hibou de Nuit. Elle avait éténettoyée, toutes les empreintes essuyées ;on avait passé au peigne fin les vêtementsde Duke ; les pages jaunes de SanBernardino avaient servi et étaientcornées – en particulier les pages portantsur les imprimeries. Pete et Bax

Englekling étaient propriétaires d’uneimprimerie à San Berdoo ; Susan NancyLefferts, victime du Hibou de Nuit, étaitoriginaire de San Berdoo.

On passe au rapport du coroner :

Le pathologiste chargé de l’examenavait fondé son identification du corps deCathcart sur deux choses : fragments deprothèses de dents comparés au dossierdentaire de la prison où Cathcart avait étéincarcéré, et monogramme «D.C.» sur laveste de sport du macchabée. Lesprothèses étaient d’un modèle standarddans les prisons de Californie –n’importe quel ex-taulard qui avait fait unséjour dans le système pénitentiaire d’étataurait pu avoir du plastique de ce genre-

là dans la bouche.

On passe à ses tuyaux de premièremain :

Kathy Janeway avait mentionné unecicatrice «toute mignonne» sur la poitrinede Duke. Il n’était fait aucun état de cettecicatrice dans le rapport d’autopsie deDoc Layman – et la poitrine de Cathcartn’avait pas été déchiquetée par lachevrotine des fusils. Le plus beau del’histoire : le macchabée du Hibou deNuit avait été mesuré à 1 m 70 ; lesignalement de Cathcart, dans son dossierde prisonnier, lui donnait 1 m 74.

Conclusion :

Un imposteur se faisant passer pour

Cathcart avait été tué au Hibou de Nuit.

On passe à :

Revues de cul.

Cindy Benavides avait déclaré queDuke s’apprêtait à les fourguer. L’Ad.Mœurs enquêtait sur les bouquinsobscènes, à l’époque – il avait lu tous lesrapports de la quatrième brigade –, ettous les enquêteurs avaient signalé : « Pasde piste. » Russ Millard était mort, tout letintouin sur les bouquins de baise étaitretombé aux oubliettes. Les frèresEnglekling avaient raconté leur histoirecomme quoi Duke Cathcart les avaitcontactés pour les revues obscènes, puisleur visite à Mickey Cohen en prison, etson refus de banquer pour financer

l’affaire. Ils croyaient que Cohen avaitcommandité les exécutions du Hibou deNuit à cause de principes morauxcomplètement fêlés – idée absurde – maisqui sait si un genre de complot sur leHibou de Nuit n’avait pas démarré avecle Mick ? Exley avait remis un rapportdisant que lui et Bob Gallaudet avaientdiscuté de cette possibilité, mais c’est àce moment-là que les bougnouless’étaient échappés – et on leur avait collésur le dos le Hibou de Nuit.

On passe à :

Sa théorie.

Et si Cohen avait raconté à un connardde prisonnier quelconque le planCathcart/Englekling – ou alors, si son

homme de paille Davey Goldman l’avaitfait ? Supposons que le connard ait étélibéré sur parole, et qu’il ait commencé àraconter qu’il voulait chourer l’écurie duDuke, alors qu’en fait il se donnait ducran pour parfaire son imposture en sefaisant passer pour le Duke ? Et s’il avaittué Duke, volé ses vêtements et atterri auHibou de Nuit par hasard – parce queDuke fréquentait l’endroit ou, plusprobablement – dans le cadre d’unesorte de rendez-vous criminel qui auraitmal tourné ? Les tueurs qui partent,reviennent avec des fusils, et font voleren morceaux le pseudo-Cathcart et cinqclients de passage innocents pourdonner toutes les apparences d’uncambriolage ?

Jusque-là, une faille dans sa bellethéorie :

Il avait vérifié les dossiers deslibérations conditionnelles de McNeil :n’avaient été relâchés que des Nègres,des Latins, et des Blancs trop gros ou troppetits pour être le pseudo-Cathcart, entrele moment de l’entrevue de Cohen avecles frères Englekling et le coup du Hiboude Nuit. Mais Cohen aurait pu discuter dela proposition de Cathcart sur le réseauporno, il aurait pu y avoir des fuites àl’extérieur, le mec qui se faisait passerpour Cathcart, mais, putain, il aurait puêtre éliminé dix fois !

Théories sur théories accumulées,théories qui prouvaient qu’il en avait

assez dans le crâne pour se qualifierd’enquêteur criminel :

Admettons que la tuerie du Hibou deNuit soit née des suites d’un conflit sur leporno. Cela voulait dire que les Nègresétaient innocents, que les véritablestueurs avaient délibérément placé lesfusils dans la voiture de Ray Coates – cequi signifiait que la Merc pourpresignalée devant le Hibou de Nuit n’étaitqu’une coïncidence – les tueurs n’auraientpas pu savoir que les trois moricaudsavaient été vus en train de décharger leursfusils dans Griffith Park et qu’ilsdeviendraient naturellement les premierssuspects. D’une manière ou d’une autre,les tueurs avaient retrouvé la voiture deCoates avant le LAPD – et y avaient

planté les fusils, nettoyés de toutes leursempreintes. Ça aurait pu se passer d’unedemi-douzaine de façons.

1 – Coates, en prison, aurait pu dire àun avocat où la voiture était planquée ;les tueurs ou leur homme de pailleauraient pu contacter l’avocat pourobtenir le renseignement – comme ilsauraient pu l’obliger de force àconvaincre Coates de parler.

2 – Les Nègres auraient pu cracher lemorceau à l’un de leurs compatriotesprisonniers – voire à un mouton planté làpar les tueurs.

3 – Sa théorie favorite, parce que laplus simple : les tueurs s’étaient montrésplus intelligents que le LAPD, ils avaient

fouillé les garages de leur côté, eninspectant en premier les garages situésderrière les maisons abandonnées –pendant que la police choisissait de toutquadriller.

Ou alors les Blancs-Blancs avaientparlé à d’autres prisonniers, qui avaientété libérés et s’étaient fait contacter parles tueurs ; ou encore – mais c’était peuprobable – un indic à eux chez les flicsles avait prévenus que le quadrillage parbloc touchait à sa fin. Impossible de toutvérifier : la prison du palais de justiceavait fait détruire tous les dossiers de1935 à 1955 pour dégager un espace destockage supplémentaire.

Ou alors les Nègres étaient réellement

coupables.

Ou alors c’était un autre groupe de malblanchis quelconques en virée, habitués àdécharger leurs flingues à Griffith Park,qui avait tué six personnes au Hibou deNuit. Leur Ford/Chevy/Merc n’avaitjamais été retrouvée parce que la peinturepourpre, c’était un boulot maison, jamaisrépertorié sur les fiches du SCG.

Les méninges en ébullition, de la partd’un mec qui n’avait jamais pensé qu’ilpossédait un cerveau digne de ce nom – etpour lui, un gang de Nègres responsablede tous ces macchabées, ça ne cadraitpas, parce que…

Les frères Englekling avaient venduleur imprimerie au milieu de 54 avant de

disparaître de la surface de la terre. Deuxans auparavant, il avait fait diffuser unedemande de localisation : aucun résultat,aucun résultat positif dans sa chasse auxcadavres répertoriés à travers tout l’État ;que dalle sur les frères, pas demacchabée qui pourrait être le vrai DukeCathcart. Et – six mois auparavant,enquêtant à San Berdoo, il était tombé surune piste brûlante.

Il avait retrouvé à San Berdoo un mecdu cru, qui avait vu Susan Nancy Leffertsavec un homme correspondant ausignalement de Duke Cathcart – deuxsemaines avant les meurtres du Hibou deNuit. Il lui avait montré quelques photosde Cathcart, des clichés de l’identité ;l’homme avait dit : « C’est assez

ressemblant, mais pas le cigare. » Lareconstitution, par le labo, du Hibou deNuit voyait Susan Nancy qui « battait desbras » pour essayer de toucher l’hommeassis à la table voisine : Duke Cathcart,en fait celui qui se faisait passer pour lui,qu’elle était censée ne pas connaître.Pourquoi s’étaient-ils installés à destables différentes ? Le bouquet : il avaitessayé d’interroger la mère de SueLefferts, une occasion de se faire une idéeneuve du petit ami. Elle avait refusé deparler.

Pourquoi ?

Bud emballa ses affaires : mémentos,cinq kilos de paperasses. Pour l’instant,situation bloquée – pas de nouvelle piste

sur les putes, le Hibou de Nuit mort etenterré jusqu’à ce qu’il aille asticoterMickey Cohen. Direction la sortie etl’ascenseur – adiós, Criminelle.

Ed Exley passa près de lui, et ledévisagea.

Il est au courant pour Inez et moi.

44

En planque : un magasin, le Ranch deHank, Cinquante-deuxième et Central.Une pancarte au-dessus de la porte :«Chèques de l’assistance socialeacceptés». 3 Janvier, jour de repos – lesporteurs de chèques attendaient de lesencaisser en jouant au craps sur letrottoir. La brigade de surveillance 5avait eu un tuyau – une gonzesse anonymeavait annoncé que son petit ami et sonpote allaient braquer le magasin, ellefaisait la gueule au petit ami parce qu’ilavait bourré sa frangine à elle. Jack dansla voiture de pointe, en train de surveillerla porte, le sergent John Petievich garé

sur la Cinquante-deuxième – ilronchonnait comme s’il voulait tuerquelque chose.

Déjeuner : Fritos, vodka pure. Jackbâilla, s’étira, rabattit les cotes : Aragoncontre Pimentel : ce que voulait EllisLoew – il était censé le retrouver à unesoirée politique le même soir. La vodkalui brûlait l’estomac ; son envie de pisserlui montait à la gorge.

Coups de klaxon – son signal.Petievich lui montra le trottoir. DeuxBlancs entraient dans le magasin.

Jack traversa la rue. Petievichs’approcha. Cadrage de la porte d’entrée,un coup d’œil à l’intérieur. Lescambrioleurs devant le guichet

d’encaissement des chèques, le dos à laporte. Le flingue à une main, l’autrepleine d’argent.

Pas de propriétaire. Pas de clients. Unregard en coin direction le bout ducouloir – sang et cervelle sur le mur.SILENCIEUX – UN HOMME EN COUVERTUREARRIÈRE. Jack abattit les braqueurs dansle dos.

Petievich hurla ; bruits de pas vers laporte du fond ; Jack tira à l’aveuglette, selança en chasse. Des bouteilles sebrisèrent au-dessus de sa tête : coups defeu à l’aveuglette, avec silencieux – pasde bruit, impacts étouffés. Petievich tira,fit sauter la porte – un homme traversaitl’allée au pas de course, Jack vida soncalibre ; l’homme sauta une clôture. Des

cris en provenance du trottoir ;acclamations des joueurs de craps. Jackrechargea, sauta la clôture et atterrit dansune arrière-cour. Un doberman bondit surlui en grognant, furieux, la gueule ouvertedevant le visage de Jack – qui l’abattit àbout portant. Le chien dégueula le sang ;Jack entendit des coups de feu, vit laclôture exploser.

Deux bleus en uniforme arrivèrent encourant dans la cour. Jack laissa tomberson arme ; ils tirèrent quand même – enéventail – et firent sauter des piquets declôture. Jack leva les bras :

— Officier de police ! Officier depolice ! Policier !

Ils s’approchèrent lentement, le

passèrent à la fouille – de la bleusaille deflic, peau de pêche, pas de poil aumenton. Le plus grand des deux mômestrouva ses papiers d’identité :

— Hé, Vincennes ! Vous étiez unegrosse légume dans le temps, non ?

Jack l’étala froidement – un genou dansles noisettes. Le môme alla au sol ;l’autre resta bouche bée, estomaqué.

Jack partit à la recherche d’un endroitoù il pourrait boire.

Il se trouva un rade à juke-box,commanda ses petits coups en série. Deuxdoses mirent fin à ses tremblements ; deuxde plus le changèrent en porteur de toasts.

Aux hommes que je viens de tuer ;

désolé, mais vraiment, je suis plus douépour abattre les civils désarmés. On meforce la main pour que je prenne maretraite, alors j’ai pensé que je me feraisbien un carton sur une paire de mecsvraiment méchants avant de terminer mesvingt ans.

À mon épouse : tu croyais avoir épouséun héros, mais tu as grandi et tu ascompris que tu t’étais trompée.Maintenant tu veux aller à la fac de droitet devenir avocate comme papa et Ellis.Pas de problème pour le pognon : papa aacheté la maison, papa te revalorise tonmariage, papa paiera tes frais descolarité. Quand tu liras le journal et quetu verras que ton mari a troué la peau àdeux méchants cambrioleurs, tu vas croire

que c’est là les premières encoches à lacrosse de son arme. Faux – en 47, Jack, legrand croisé de la came, a envoyé dansl’autre monde deux innocents ; son grandsecret, celui qu’il a presque envied’étaler au grand jour, rien que pourredonner un peu de vie et de jus à sonmariage.

Jack descendit trois doses de plus. Ilretourna là où il revenait toujours quandil s’était collé une certaine quantité demerde dans les veines – retour à 53 et auxrevues obscènes.

Côté chantage, il se sentait à l’abri :ses dépositions comme assurance, lemeurtre de Hudgens enterré – l’Indiscretavait ressuscité l’affaire, pour n’aboutir

nulle part. Patchett et Bracken nel’avaient jamais contacté – ilspossédaient la copie carbone du dossierde Sid sur le Grand V et ils avaient tenuleur part du contrat. Il avait entendu direque Lynn et Bud White, ça marchaittoujours ; disons que la pute intelligenteet Patchett étaient devenus des souvenirs– de mauvaises nouvelles qui remontaientà ce mauvais printemps sanglant. Ce quile poussait, c’était les livres obscènes.

Il les gardait dans un coffre de dépôt. Ilsavait que c’était là, il savait que çal’excitait – sachant que s’il se prenait àles aimer, ses engagements de mariageseraient bons pour la poubelle. Il s’étaitjeté dans le mariage, lui bâtissant desmurs pour les protéger, elle et lui, de ce

printemps-là. Une longue suite dejournées sobres avait été un secours ; lemariage avait été un secours. Rien de cequ’il avait fait n’avait changé le cours deschoses – Karen avait simplement apprisqui il était.

Elle l’avait vu tabasser Deuce Perkins; il disait «négro» en face des parents deKaren. Elle avait compris que sesexploits de presse étaient des mensonges.Elle l’avait vu ivre, ou qui faisait lagueule. Il haïssait les amis de sa femme ;son seul et unique ami – Miller Stanton –avait disparu de la circulation quand lui-même avait foiré son boulot à l’Insignedu Courage. Il avait fini par s’ennuyeravec Karen, avant de courir jusqu’à sesrevues obscènes, qui l’avaient rendu

cinglé.

Il avait à nouveau essayé d’identifierles modèles – toujours rien. Il s’étaitrendu à Tijuana, où il avait achetéd’autres livres de baise – rien. Il s’étaitremis à la recherche de ChristineBergeron : impossible de remettre lamain sur elle ; il avait fait diffuser desavis de recherche par téléscripteur qui luiavaient rapporté que dalle ; pas moyend’obtenir le vrai truc – il avait décidé defaire semblant.

Il s’était payé des racoleuses, il avaitsecoué des call-girls. Il les avaitarrangées pour qu’elles ressemblent auxfilles de ses livres. Il les avait fait monterà trois et quatre à la fois, chaînes de

corps sur courtepointes. Il les avaitdéguisées, il avait réglé leurchorégraphie. Il leur avait fait singer lespositions des photos, avait pris sespropres clichés, et avait réussi àretrouver quelque chose ; il lui arrivaitparfois de penser aux photosensanglantées et il se piquait une trouille :les correspondances étaient parfaitespour des meurtres par mutilation.

Les femmes en chair et en os ne luiprocuraient jamais le même frisson queses photographies ; la peur l’empêchaitd’aller jusqu’à Fleur de Lis – de remonterdroit à la source. Il ne réussissait pas àcomprendre la peur de Karen – pourquoielle ne l’avait pas quitté.

Un dernier verre – adieu auxmauvaises pensées.

Jack se nettoya et retourna à sa voiture.Plus d’enjoliveurs, balais d’essuie-glacebrisés. Ruban délimitant les lieux ducrime autour du Ranch de Hank, deuxvoitures pie sur le parking. Pas de note deblâme sur le pare-brise – les vandalesl’avaient probablement dérobée.

Il débarqua alors que la fiesta battaitson plein : Ellis Loew, une suite bourréede grosses légumes républicaines. Desfemmes en robes de cocktail ; deshommes en complets sombres. Le GrandV : chinos – toile de coton kaki – ,chemise sport éclaboussée de sang dechien.

Jack fit signe à un garçon, et attrapa unMartini sur son plateau. Desphotographies encadrées, sur les murs, luiattirèrent l’œil.

Progression d’une carrière politique :revue des juristes de Harvard, l’électionde 53, un cliché à faire hurler dans leschaumières : Loew en train de déclarer àla presse que les tueurs du Hibou de Nuitavaient avoué avant leur évasion. Jackéclata de rire, renversa le gin et faillits’étrangler avec son olive. Derrière lui :— Tu t’habillais de meilleure façon, parle passé.

Jack se retourna.

— Par le passé, j’étais quelque chosecomme une grosse légume.

— As-tu une excuse qui justifierait tonallure ?

— Ouais, j’ai tué deux hommesaujourd’hui.

— Je vois. Rien d’autre ?

— Si, je les ai abattus dans le dos ; j’aiaussi allumé un clebs et je suis parti avantl’arrivée de mes supérieurs. Et voici undernier flash d’information : j’ai bu.Ellis, ça commence à sentir le réchauffé,alors venons-en au fait Qui veux-tu quej’aille toucher ?

— Jack, parle moins fort.

— Qu’est-ce que c’est, patron ? LeSénat ou le Capitole ?

— Jack, ce n’est pas le moment de

discuter de ça.

— Bien sûr que si. Dis la vérité. Tu teprépares pour les élections de 60 ?

Loew, en douce, avec discrétion :

— Très bien, c’est le Sénat. J’avaiseffectivement quelques services àdemander, mais ton état présent interditque tu ailles en faire la demande. Nous endiscuterons lorsque tu seras en meilleureforme.

Un public, maintenant : la suite toutentière.

— Allez, tu sais que je meurs d’enviede faire le garçon de course pour toi. Quidois-je aller secouer en premier ?

— Sergent, parlez moins fort.

Élève un peu cette voix :

— Enfoiré, je te chie là où tu respires.J’ai collé Bill McPherson au trou pourtoi, je l’ai cueilli à froid et mis au lit aveccette fille de couleur. Putain, mais jemérite bien de savoir quel sera leprochain à qui tu voudras que je passe lespoucettes !

La voix de Loew, un murmure rauque :

— Vincennes, vous êtes viré !

Jack lui balança le gin à la figure.

— Seigneur, putain, mais je l’espère !

45

« … et nous sommes bien plus que lesexemples moraux dont le chef Parker aparlé l’autre jour. Nous sommes la lignede démarcation entre le travail de policeancien et le nouveau, l’ancien système depromotion par protection et defonctionnement par intimidation, et unsystème nouveau qui voit le jour : uncorps de police d’élite qui affirme sonautorité avec impartialité au nom d’unejustice sévère et sans préjugés, qui punitavec sévérité et rigueur morale ceux dessiens qui seraient compromis dans unmanquement aux exigences moralesélevées qu’un corps d’élite demande à

ses membres. Et finalement, nous sommesaussi les garants de l’image publique desservices de police de Los Angeles.Sachez cela lorsque vous lirez lesplaintes interservices déposées contrevos collègues policiers et que vouséprouverez le désir violent d’êtrecharitables. Sachez cela lorsque je vousaffecterai à une enquête sur un hommeavec lequel vous aurez jadis travaillé etque vous avez apprécié. Sachez que nousincombe la charge sévère d’une absoluejustice, quel qu’en soit le prix. »

Ed fit une pause et regarda ses hommes: vingt-deux sergents, deux lieutenants.

« Passons maintenant aux réalitéspratiques, messieurs. Sous mon

prédécesseur, le lieutenant Phillips et lelieutenant Stinson avaient la charge desuperviser les enquêtes de terrain demanière autonome. À partir de cet instant,j’assurerai personnellement lecommandement direct des opérations deterrain, et les lieutenants Phillips etStinson me serviront d’adjoints exécutifsen alternance. Toutes les plaintesdéposées, toutes les demandes derenseignements passeront d’abord parmon bureau. J’en évaluerai la teneur etdéciderai des affectations à faire selonles cas. Le sergent Kleckner et le sergentFisk seront mes assistants personnels, etnous nous réunirons quotidiennement, tousles matins à 7 h 30. Lieutenant Stinson etlieutenant Phillips, retrouvez-moi, s’il

vous plaît, dans mon bureau dans uneheure, afin que nous discutions de la priseen charge par moi-même des enquêtes encours. Messieurs, rompez. »

Les participants se dispersèrent ensilence ; la salle de revue se vida. Edrepassa son discours dans sa tête,cherchant les expressions clés. « Absoluejustice » fit mouche, avec la voix d’InezSoto.

Vider les cendriers, réaligner leschaises, ranger le tableau d’affichage.Déplier les fanions près du lutrin, vérifierqu’ils ne soient pas poussiéreux. Retour àson discours, la voix de son père : « …en manquement aux exigences moralesélevées qu’un corps d’élite demande à

ses membres. » Deux jours auparavant,son discours aurait été l’expression de lavérité. La réflexion d’Inez Soto l’avaittransformé en mensonge.

Fanions à franges dorées.Opportunisme plaqué or. il avait tué ceshommes dans une furie d’homme faible.La furie prenait tout son sens : c’était lestueurs du Hibou de Nuit ; une absoluejustice, entre des mains téméraires. Il enavait déformé la signification pour étayerl’opinion que le public avait de lui : tu esle plus grand héros de L.A., tu es en routepour les sommets et au-delà. Bellevengeance pour Bud White, trop stupidepour en saisir le sens : le simple faitd’être cocu, et quelques paroles d’unefemme, et le voilà qui arpentait le

sommet, des mensonges sous chaque pas,se débattant pour trouver un moyen derendre réelle sa gloire rassise.

Ed pénétra dans son bureau : propre,net – rien à remettre en ordre. Des avis deplaintes sur sa table – il s’installa, se mitau travail.

Jack Vincennes dans le pétrin jusqu’aucou.

3/1/58 : au cours d’une planque avec ledétachement de surveillance, Vincennesavait tiré et tué deux voleurs à mainarmée – deux flingueurs qui avaientassassiné trois personnes dans uneboutique du quartier sud. Vincenness’était lancé à la poursuite du troisièmeflingueur/voleur, l’avait perdu, était

tombé sur deux policiers des patrouillesqui ne savaient pas qu’il était officier depolice. Les policiers avaient fait feu surlui, le prenant pour un des membres de labande de cambrioleurs ; Vincennes avaitlaissé tomber son arme et accepté de selaisser fouiller – pour ensuite agresserl’un des policiers et abandonner les lieuxdu crime avant l’arrivée de la Criminelleet du coroner. Le troisième suspect étaittoujours en fuite. Vincennes s’était alorsrendu à une réunion politique enl’honneur du procureur Ellis Loew – sonbeau-frère par alliance. Sous l’emprisesupposée de la boisson, il avait agresséLoew verbalement avant de lui lancer unverre à la figure – au vu et au su de tousles invités.

Ed feuilleta rapidement le dossierpersonnel de Vincennes. Date d’effet desa pension : mai 58 – salut, Jack laPoubelle – tu es passé près. Des liassesde rapports de l’époque de la Brigadedes stups : minutieux, détaillés, au pointd’être un peu gonflés. Entre les lignes :Vincennes bandait dur pour lescontrevenants à la législation sur la came– les gagne-petit, en particulier lescélébrités de Hollywood et les musiciensde jazz – ce qui apportait de l’eau aumoulin d’une vieille rumeur : il appelaitl’Indiscret pour que le canard assiste àses cravatages, et pour se mettre ainsi dupognon dans les poches. Vincennes avaitété transféré à l’administration desMœurs dans le cadre des mutations du

Noël Sanglant ; une autre liasse derapports : opérations sur les infractions àla législation sur les jeux et les boissons ;aucun zèle, des tas de rapports gonflés demots creux. Affectations de l’Ad. Mœurs– printemps 53 : Russ Millardcommandait la Division ; enquête sur lapornographie à la même époque que leHibou de Nuit. Et une grosse anomalie :chargé de rechercher l’origine de revuespornos, Vincennes avait à maintesreprises signalé « pas de piste » avec lecommentaire que les autres hommesaffectés à la même tâche revenaientégalement les mains vides, et enproposant par deux fois l’avis quel’enquête devrait être abandonnée.

Comportement contradictoire au

personnage du Grand V.

Le porno était venu effleurer l’enquêtedu Hibou de Nuit.

Ed se mit à réfléchir au passé.

Les frères Englekling, Duke Cathcart,Mickey Cohen. Le porno éliminé commepiste valable côté Hibou de Nuit – troisNègres morts, affaire classée.

Ed relut le dossier une nouvelle fois.Des années de rapports gonflés, une seuleaffectation sans traces écrites. Vincennesétait retourné aux Stups en juillet 53 – ils’était alors remis à ses pratiques dejadis, et les avait poursuivies sansdésemparer jusqu’à la fin de son tour deservice à la Surveillance.

Une grosse anomalie dans le temps.

Coïncidant avec le Hibou de Nuit.

Printemps 53. Un autre événement lié :Sid Hudgens avait été assassiné àl’époque – crime non résolu. Ed appuyasur l’interphone.

— Oui, Capitaine ?

— Susan, trouvez-moi – mis à part lesergent Vincennes – les noms des hommesqui étaient affectés à la quatrième brigadede l’administration des Mœurs en avril1953. Trouvez les noms et ce qu’ils sontdevenus.

Une demi-heure pour les résultats.Sergent George Henderson, agent ThomasKifka, retraités ; sergent Lewis Stathis en

poste aux Fraudes et Escroqueries. Edappela son OC ; Stathis fit son entrée dixminutes plus tard.

Forte carrure, grand, voûté. Nerveux –un passage au gril par les A.I., sorti denulle part, c’était le truc à vous mettre lesfoies. Ed lui indiqua une chaise.

— Monsieur, ceci concerne… ditStathis.

— Sergent, ceci n’a rien à voir avecvous. Ça concerne un officier de policeavec lequel vous avez travaillé à l’Ad.Mœurs.

— Mon capitaine, mon service à l’Ad.Mœurs remonte à des années.

— Je sais, de la fin 51 jusqu’à la fin de

l’été 53. Vous avez été muté juste commeje venais de prendre mon tour decommandement. Sergent, avez-voustravaillé en collaboration étroite avecJack Vincennes ?

Stathis sourit.

— Pourquoi ce sourire ? dit Ed.

— Eh bien, j’ai lu dans le journal queVincennes s’était fait ces deux braqueurs,et il y a des bruits de couloir au bureau :on dit qu’il s’est taillé des lieux sansprévenir. C’est une grosse infraction aurèglement, alors je souriais pasque jem’étais dit que ce serait le mec de l’Ad.Mœurs qui vous intéressait.

— Je vois. Et avez-vous travaillé en

étroite collaboration avec lui ?

Stathis secoua la tête.

— Jack était strictement du genre solo.Vous savez, il aimait faire sa musique toutseul. Nous avons parfois travailléensemble dans le cadre d’enquêtescollectives, mais c’était tout.

— Votre brigade a été chargée d’uneenquête sur des revues pornos auprintemps 53, vous en souvenez-vous ?

— Ouais, ç’a été un gâchis de tempsmonumental. Des livres de fessedégoûtants, une perte de temps.

— Vous avez vous-même déclaré « pasde piste ».

— Ouais, comme la Poubelle ou les

autres mecs. Russ Millard a obtenu d’êtrecoresponsable du Hibou de Nuit, et lafarce des livres de fesses est tombée àl’eau.

— Vous souvenez-vous d’avoir vuVincennes se conduire bizarrementpendant cette période ?

— Pas vraiment. Je me souviens qu’ildébarquait dans la salle de brigade à desheures bizarres et que lui et Russ Millardne s’aimaient pas. Comme je l’ai dit,Vincennes était un solitaire. Il ne s’étaitpas vraiment fait des potes à la brigade.

— Vous souvenez-vous que Millard aitdemandé des choses bien particulières àla brigade lorsque deux imprimeurs sontvenus fournir des renseignements sur les

obscénités en circulation ?

Stathis acquiesça.

— Ouais, quelque chose qui avaitrapport avec le Hibou de Nuit et quin’avait pas tourné comme prévu. Nousavons tous dit au vieux Russ que la filièredes livres de fesses était impossible àremonter, quoi qu’on fasse.

Une intuition qui tombait à l’eau.

— Sergent, à l’époque, tout le serviceavait la fièvre à cause du Hibou de Nuit.Pouvez-vous vous rappeler la manièredont Vincennes avait réagi à ça ?N’importe quel détail sortant del’ordinaire.

— Monsieur, puis-je y aller carrément

?

— Bien sûr.

— Eh bien, alors je vous répondrai quej’ai toujours pris Vincennes pour un flicminable, de petite envergure, qui d’unemanière ou d’une autre, touchait desenveloppes. Cela posé, je me souviensqu’il était, disons, un peu nerveux àl’époque où on bossait pour les livres defesses. Pour ce qui est du Hibou de Nuit,je dirais que ça l’ennuyait mortellement.Il a participé à l’arrestation des mecs decouleur, il était là quand nos gars onttrouvé la voiture et les fusils, il avaittoujours l’air de s’ennuyer autant.

Ça le reprenait une nouvelle fois – pasde faits concrets, rien que son instinct.

— Sergent, réfléchissez : lecomportement de Vincennes à l’époquedu Hibou de Nuit et de l’enquête sur lapornographie. Tout ce qui, chez lui,sortait de l’ordinaire. N’importe quoi.Réfléchissez.

Stathis haussa les épaules.

— Y a peut-être un truc, mais je nepense pas que ça vaille…

— Dites-le quand même.

— Eh bien, à l’époque, Vincennesoccupait le cagibi voisin du mien, etparfois il m’arrivait de l’entendre assezclairement. J’étais à mon bureau et j’aientendu une partie d’une conversation,entre lui et Dudley Smith.

— Et alors ?

— Alors ? Smith a demandé àVincennes de prendre Bud White enfilature. Il a dit que White s’était retrouvépersonnellement impliqué dansl’homicide d’une racoleuse, et il nevoulait pas le voir commettre un acteirréfléchi.

Des picotements sous la peau.

— Qu’avez-vous entendu d’autre ?

— J’ai entendu Vincennes quiacceptait, et le reste s’est perdu dans lebrouhaha.

— Cela se passait pendant l’enquête duHibou de Nuit ?

— Oui, monsieur. Exactement en plein

dedans.

— Sergent, vous souvenez-vous queSid Hudgens, l’homme du torchon àscandale, s’est fait tuer à peu près à cettepériode-là ?

— Ouais, un «non-résolu».

— Vous souvenez-vous d’avoir entenduVincennes en parler ?

— Non, mais la rumeur disait que lui etHudgens étaient copains.

Ed sourit.

— Sergent, je vous remercie. Tout celaétait strictement officieux, et je ne veuxpas que vous répétiez notre conversation.Comprenez-vous ?

Stathis se leva.

— Je ne le répéterai pas, mais je mesens désolé pour Vincennes. J’ai entendudire qu’il arrivait au bout de ses vingt ansdans quelques mois. Peut-être qu’il s’estcarapaté pasque de tuer les braqueurs, çalui est monté à la tête ?

— Bonne journée, sergent, dit Ed.

Une chose du passé, mais une chosequi n’allait pas.

Ed s’assit, la porte ouverte. Desfanions galonnés d’or juste à l’extérieur –les occasions venaient frapper à sa porte.

Vincennes savait peut-être des chosessur Bud White.

Instincts : Poubelle, la trouille au

ventre, au printemps 53.

Rapprocher la «farce des livres defesses» du Hibou de Nuit.

L’accusation d’Inez Soto – il avait tuétrois innocents.

Et s’il donnait sa chance à Vincennesdans l’enquête des A.I.…

Ed appuya sur l’interphone :

— Susan, passez-moi le procureurLoew.

46

— J’ai mes propres problèmes qui mepréoccupent, dit Mickey Cohen. Lasaloperie d’affaire du Hibou de Nuit etles saloperies de livres dégoûtants, j’enai pas plus entendu parler que de laBible, un autre des livres que je n’aijamais lus. Tout ce tintouin m’a ennuyé àmourir il y a cinq ans de ça, etaujourd’hui, avec le recul, c’est encoreplus minable. J’ai mes propresproblèmes, comme de m’occuper de monpauvre bébé.

Bud regarda. Un bouledogue au cul enlambeaux près de la cheminée du

Mickeyeur – sifflant comme unasthmatique, la queue dans une attelle.

— Voici Mickey Cohen Jr, dit Cohen.Mon héritier, qui n’appartient plus pourtrès longtemps au monde canin. Unattentat à la bombe en novembre, voilà àquoi il a survécu, ci ça n’a pas été le caspour un bon nombre de mes complets dechez Sy Devore. Sa pauvre petite queueest restée infectée depuis ce jour-là et il aun appétit de dyspeptique. Les flics quiviennent ressusciter les vieux chagrins, çan’est pas bon pour sa santé.

— M. Cohen…

— J’aime les hommes qui s’adressentà moi avec tout le respect desconvenances. Comment avez-vous dit que

vous vous appeliez, déjà ?

— Sergent White.

— Sergent White alors, je vousrépondrai que ma vie est un grand chagrinsans fin. Je suis comme Jésus, votresauveur goy, je porte le poids du mondesur mes épaules. Quand j’étais en prison,ces saloperies de truands m’attaquent,moi et mon homme, Davey Goldman.Davey se retrouve avec la cervellebrouillée, il est libéré sur parole, et ilcommence à se balader en public avec laqueue qui pendouille ; elle est grosse, jene lui reproche pas de faire sa pub, maisles flics de Beverly Hills, y z’ont pasl’esprit aussi éclairé, et il se retrouve àfaire ses quatre-vingt-dix jours

d’observation chez les givrés deCamarillo. Comme si ça suffisait pascomme chagrin que votre Jésus yiddishest obligé de subir, alors imaginez-vousque pendant que j’étais en prison,quelques collègues à moi quis’occupaient de mes intérêts se sont faitdessouder par des inconnus. Etmaintenant, mes petits gars de jadisrefusent de se regrouper avec moi commepar le passé. Seigneur Dieu ! Kikey T.,Lee Vachs, Johnny Stompanato.

Lui couper le sifflet et sa tirade avec.

— Je connais Johnny Stomp.

Cohen sauta au plafond.

— Saloperie de Johnny ! Judas, celui

de la Bible best-seller, c’est ça, sondeuxième prénom ! Lana Turner, c’est saJézabel et pas sa Marie-Madeleine, sapine le conduit à se traîner aux pieds desa belle comme une lavette, on dirait unebaguette de sourcier. Je vous l’accorde, ilest encore mieux monté que Davey G.,mais, par le saint Jésus, je l’ai sorti del’ornière en l’empêchant de devenir unextorqueur de bas étage et j’en ai fait mongarde du corps. Et aujourd’hui, il refusede se résigner à l’engagement, il préfères’empiffrer de graisse chez ce putain detraiteur de Kikey et faire copain-copainavec Deuce Perkins qui, je l’ai su debonne bouche, joue à cache-cache lesalami avec des membres de la coteriecanine. Avez-vous bien dit que vous vous

appelez White ?

— C’est exact, M. Cohen.

— Wendell White ? Bud White ?

— C’est moi.

— Mon petit gars, pourquoi ne m’as-turien dit ?

Cohen Jr pissa dans la cheminée.

— Je ne pense pas que vous ayezentendu parler de moi, dit Bud.

— J’ai entendu, répété et déformé. Onentend des choses. On entend dire que tues le gars de Dudley Smith. On entenddire que toi, le Dudleyeur et deux autresde ses petits musclés, vous avez bataillédur pour la démocratie en veillant à la

sécurité de L.A. pendant ce qu’on aappelé la grande sécheresse du crime. Unmotel à Gardena, les rognons travaillés àpetits coups de matraque, va va va voom.Peut-être bien que maintenant, peut-êtreque si j’arrive à récupérer mes petits garsde jadis – l’un qui s’empiffre de graisseet l’autre qui fricote avec les enculeurs dechiens –, je pourrais redémarrer lesaffaires. Je devrais me montrer gentilavec toi, pour te renvoyer la balle, à toi etau Dudleyeur. Alors, c’est quoi, ce coupde réchauffé pour le Hibou de Nuit ?

Son petit numéro – au point :

— J’ai appris que les frères Engleklingvous avaient rendu visite à McNeil etqu’ils vous avaient parlé de la

proposition de Duke Cathcart. Je pensaisque vous, ou Davey Goldman, aviez pu endiscuter entre vous ou avec d’autres enprison, et que c’est comme ça quel’information s’est transmise à l’extérieur.

— Nix, dit Mickey. Pas possible,pasque je l’ai jamais dit à Davey. C’estvrai, je suis célèbre pour mes réunionsd’affaires en cellule, mais y a pas uneseule âme sur terre à qui je l’aie dit.C’est ce que j’ai dit à ce mec, Exley,quand on a taillé le bout de gras sur lesujet y a des années. Et voici ensupplément un éclairage de la situationoffert par le Mickeyeur. Réflexion faite,je considère que les livres cochons sontdes articles à haut bénéfice qui méritentque l’on tue des spectateurs innocents

uniquement au cas où existerait déjà aupréalable un marché à haut bénéfice bienétabli. Laisse tomber ce putain de Hiboude Nuit : ces schwartzes que le petithéros a dessoudés ont porté le chapeau, etc’est probablement eux qui avaient fait leboulot, de toute façon.

— Je ne pense pas que Duke Cathcartait été tué au Hibou de Nuit, de toutefaçon. Je pense que c’est un mec qui sefaisait passer pour lui. Je pense que lemec a tué Cathcart, qu’il a pris sonidentité et qu’il a atterri au Hibou deNuit. Je pense que toute l’affaire adémarré là-bas, à McNeil.

Cohen leva les yeux au ciel.

— Pas avec moi, en tout cas, mon petit

gars, pasque je l’ai dit à personne, etj’arrive pas à me représenter Pete et Baxs’arrêtant en chemin et répandant la bonnenouvelle dans la cour de la prison. Oùhabitait-il, ce clown de Cathcart ?

— Silverlake.

— Alors, va creuser les collines deSilverlake. Peut-être que tu y trouveras unnouveau cru de cadavre.

Un éclair – San Berdoo, la mère deLefferts devant sa crèche – ses yeux quisautaient sans arrêt jusqu’à une chambrerajoutée à la maison.

— Merci, M. Cohen.

— Oublie cette saloperie de Hibou deNuit, dit Cohen.

Cohen Jr prit l’entre-deux de Bud pourcible.

San Bernardino, Hilda Lefferts. Ladernière fois, elle l’avait viré pronto ;cette fois-ci, il attaquerait sur le petitcopain : on avait vu Susan Nancy avec unmec correspondant au signalement deDuke Cathcart – insister, faire ça àl’intimidation.

Deux heures de trajet. L’autoroute deSan Berdoo fonctionnerait bientôt – untrajet réduit de moitié. D’Exley senior,passons à junior. Le lâche était au courantpour lui et Inez, son regard de l’autre jourétait parlant comme un livre ouvert. L’uncomme l’autre, ils attendaient leur heure.Mais si la balle tombait dans son camp, il

frapperait plus fort. Jamais Exley ne lecadrerait comme ayant assez de cervellepour frapper malin.

Hilda Lefferts vivait dans une masure :une cabane en bardeaux avec rajout enparpaings. Bud s’approcha, inspecta laboîte aux lettres. Bonne matièred’intimidation : chèque de pension dechez Kaiser, chèque de la sécuritésociale, chèque de la caisse d’aide ducomté. Il appuya sur la sonnette.

La porte s’ouvrit d’un cran. HildaLefferts regarda pardessus la chaîne desécurité.

— J’vous l’ai d’jà dit, et j’vais vousl’répéter. Je ne suis pas preneuse pourvot’ marchandise, alors laissez ma pauvre

fille reposer en paix.

Bud présenta les trois chèques enéventail.

— La caisse d’aide du comté m’a ditde bloquer ça jusqu’à ce que vouscoopériez. Pas crachette, pas pépettes.

Hilda couina quelque chose. Bud fitsauter la chaîne, entra. Hilda battit enretraite.

— S’il vous plaît. J’ai besoin de cetargent.

Les sourires de Susan Nancy vousaccueillaient de haut sur les quatre murs :poses de vamp sur piste de boîte de nuit.

— Alors, soyez gentille, hein ? ditBud. Vous vous souvenez de ce que j’ai

tenté de vous demander la dernière fois ?Susan avait un petit ami ici à San Berdoo,juste avant qu’elle parte pour L.A. Vousaviez l’air d’avoir peur quand je vous enai parlé la première fois, vous avez l’aird’avoir peur aujourd’hui. Allons. Cinqminutes sur le sujet et je disparais. Etpersonne saura.

Hilda, les regards en va-et-vient :chèques, chambre rajoutée.

— Personne !

Bud allongea le Kaiser Gypsum.

— Personne. Allons. Je vous donnerailes deux autres quand vous aurez parlé.

Hilda s’adressa directement à sa fille –les photographies près de la porte.

— Susie, tu m’as dit que tu avaisrencontré l’homme dans un bar àcocktails et je t’ai dit que je n’approuvaispas ta conduite. Tu as déclaré que c’étaitquelqu’un de gentil qui avait payé sa detteà la société, mais tu n’as pas voulu medire son nom. Un jour, je t’ai vue aveclui, et tu l’as appelé Don ou Dick ou Deanou Dee, et il a dit : « Non, Duke – Faut t’yhabituer. » Puis un jour que j’étais sortie,la vieille Mme Jensen, la voisine d’àcôté, t’a vue avec cet homme, ici, à lamaison, et elle a cru entendre duboucan…

Trouve le joint : «a payé sa dette à lasociété» égale «ex-taulard».

— Avez-vous jamais appris le nom de

cet homme ?

— Non. J’ai…

— Est-ce que Susan connaissait deuxfrères du nom d’Englekling ? Ils vivaientici, à San Bernardino.

Hilda plissa les yeux devant la photo.

— Oh, Susie. Non, je ne crois pasconnaître ce nom-là.

— Le petit ami de Susan a-t-il jamaismentionné le nom de Duke Cathcart ouune affaire de pornographie ?

— Non ! Cathcart était le nom d’unedes personnes tuées là où Susie est morte,et Susie était une fille bien qui ne seserait jamais prêtée à des saletés.

Bud allongea la caisse d’aide ducomté.

— Doucement, maintenant. Parlez-moide ce boucan.

Hilda, les larmes aux yeux :

— Je suis rentrée le lendemain et j’aicru voir du sang séché sur le sol de monnouveau cabanon ; je venais de le faireconstruire avec l’argent de la policed’assurance de mon mari. Susan etl’homme sont revenus et ils avaient l’airnerveux. L’homme est allé se faufiler enrampant sous la maison, et il a appelé unnuméro de téléphone de Los Angeles ;puis lui et Susan sont partis. Une semaineplus tard, elle se faisait tuer… et… je…eh bien, j’ai cru que cette attitude

suspecte signifiait que les meurtres… j’aisimplement pensé à des conspirations etdes représailles, et quand cet hommecharmant qui est devenu un héros sicélèbre est venu me rendre visitequelques jours plus tard, il enquêtait surle passé de Susan, j’ai simplement riendit.

Chair de poule : le petit ami de SusieLefferts égale celui qui se faisait passerpour Cathcart. «Le boucan» : le petit amitue Cathcart – probablement venu à SanBerdoo pour parler aux Englekling. Susieau Hibou de Nuit, sur place poursurveiller une sorte d’entrevue, avec lepetit ami jouant Cathcart – ce quisignifiait que les tueurs n’avaient jamaisvu le véritable Cathcart face à face.

LE PETIT AMI EN TRAIN DE RAMPER SOUSLA MAISON.

Bud prit le téléphone : l’opératrice,puis un numéro de L.A. : Renseignementsde police chez PC Bell. Un employé vinten ligne : — Oui, qui demande ?

— Sergent White, LAPD. Je me trouveà San Bernardino, à Ranchview – 04617.J’ai besoin d’une liste de tous les appelseffectués sur Los Angeles à partir de cenuméro, disons du 20 mars au 12 avril1953. Vous avez noté ?

— Je vous suis, dit l’employé – Lessecondes qui passent, plus de deuxminutes, l’employé à nouveau en ligne –Trois appels, sergent. 2 avril et 8 avril,tous pour le môme numéro, 40-21118.

C’est un téléphone payant, au coin deSunset et Las Palmas.

Bud raccrocha. Des appels à unecabine située à huit cents mètres du Hiboude Nuit ; mise en place du marché àpasser, ou du rencart – extra prudente.

Hilda déchiquetait des Kleenex. Budvit une torche sur une table basse. Ill’attrapa et partit au pas de course.

Dehors, direction le cabanon rajouté,un vide sanitaire sur les fondations – ilallait passer juste. Au sol, en dessous, enavant.

Saleté, tas de bois empilés, un long sacen toile de jute devant lui. Odeur deboules à mites et de pourriture. En appui

sur les coudes jusqu’au sac – naphtalineet pourriture, de plus en plus fort. Ildonna un coup dans le sac, vit exploserune nichée de rats.

Tout autour de lui, des rats, aveugléspar la lumière.

Bud déchira la toile de jute. Un coupde torche à l’intérieur, des rats, un crânecouvert de matière desséchée. La torcheau sol – à deux mains dans le sac – rats etboules à mites dans la figure. Ladéchirure, énorme, un trou de balle dansle crâne ; sortant d’une manche, une mainde squelette – DC sur la flanelle.

Il sortit en rampant, avala l’airgoulûment. Hilda Lefferts était là, quil’attendait. Ses yeux disaient : « S’il te

plaît, mon Dieu, pas ça. »

Air pur ; lumière pure du jour, presqueaveuglante. La lumière blanche lui fournitl’idée – son coup de surin dans le dosd’Exley.

Une fuite jusqu’à un torchon àscandales. Un mec de la Rumeur luidevait – torchon coco, leur cœur saignaitpour les cocos et les bougnoules, ilsdétestaient les flics.

Hilda, sur le point de chier dans sespantalons : — Est-ce… qu’il… y avaitquelque chose là-dessous ?

— Rien, sauf quelques rats. Je veuxque vous vous mettiez à l’abri, malgrétout. Je vais vous ramener quelques

photos de l’Identité à regarder.

— Puis-je avoir ce dernier chèque ?

L’enveloppe – parsemée de crottes derats.

— Tenez. Avec les compliments ducapitaine Exley.

47

Une belle petite salle d’interrogatoire– pas de fauteuils boulonnés au sol, pasd’odeur de pisse. Jack regarda Ed Exley.

— Je savais que j’étais dans la merde,mais je ne pensais pas relever du grandchef en personne.

— Vous vous demandez probablementpourquoi vous n’avez pas été suspendu,dit Exley.

Jack s’étira. Son uniforme lui frotta lapeau – il ne l’avait pas revêtu depuis1945. Exley avait l’air d’un spectre – lapeau sur les os, les cheveux gris, desverres sans monture qui vous révélaient

un regard brutal.

— Je me demandais. Je me risquerais àdire qu’Ellis a réfléchi à deux fois sur laplainte qu’il a déposée. Mauvaisepublicité et tout le tremblement.

Exley secoua la tête.

— Loew considère que vous êtes unboulet à traîner pour sa carrière et sonmariage. Vous avez abandonné les lieuxdu crime et agressé ce policier ; c’estamplement suffisant pour garantir unesuspension et une destitution.

— Ouais ? Alors pourquoi n’ai-je pasété suspendu ?

— Parce que pour le moment j’aiintercédé en votre faveur auprès de Loew

et du chef Parker. D’autres questions ?

— Ouais, où sont le magnéto et lasténo ?

— Je n’en ai pas voulu.

Jack redressa sa chaise.

— Capitaine, que voulez-vous au juste?

— Je vous renverrai la balle là-dessus.Voulez-vous voir votre carrière auxtoilettes avant qu’on tire la chasse dessus,ou préféreriez-vous tirer vos derniersmois à l’aise avant d’encaisser votrepension ?

Facile : le visage de Karen quand il luiavait appris.

— Okay, je suis partant. Et maintenant,que voulez-vous ?

Exley se rapprocha.

— Au printemps 53, votre ami etrelation d’affaires Sid Hudgens a étéassassiné, et deux inspecteurs qui se sontoccupés de l’enquête sous les ordres deRuss Millard m’ont dit que vous aviezparlé d’« ordure» et que vous étiezvisiblement très agité le matin où l’on adécouvert son corps. C’est pendant celaps de temps que Dudley vous ademandé de filer Bud White, et vous avezaccepté. Et pendant ce laps de temps,l’affaire du Hibou de Nuit battait sonplein, et vous avez travaillé à l’Ad.Mœurs à une enquête sur la pornographie

; dans le cadre de cette enquête, lesrapports que vous remettiez de manièrerépétée aboutissaient tous à «pas depiste». Alors que, de longue date, votretechnique favorite était de bourrer tousles rapports que vous rédigiez de vent etde baratin. Pendant cette période, deuxhommes, Peter et Baxter Englekling, sesont présentés spontanément pour seproposer de témoigner pour l’accusation,sur un prétendu lien existant entre lapornographie et le Hibou de Nuit. RussMillard vous a interrogé à ce sujet, vousavez joué le jeu avec votre réponsehabituelle, «pas de piste». Tout le tempsqu’a duré l’enquête sur les revuesobscènes, vous avez demandé avecinsistance, à plusieurs reprises, qu’on

laisse tout tomber. Ces deux mêmesinspecteurs, les sergents Fisk et Kleckner,ont surpris une conversation où vouspressiez Ellis Loew de mettre la pédaledouce sur l’enquête Hudgens, et l’un devos collègues de l’Ad. Mœurs serappelle vous avoir vu d’une nervositétout à fait inhabituelle pendant toutel’enquête sur le trafic d’obscénités ; enoutre, vos périodes d’absence à la sallede brigade étaient anormalement longues.Remettez-moi tout ça ensemble et faites-m’en un tout, vous voulez bien, Jack ?

Coupable. Dix chefs d’accusation aumoins – il sut qu’il était bouche bée,ébaubi, clignant des yeux, à se tortillersur sa chaise.

— Putain… mais… comment…vous…

— Ça n’a pas d’importance.Maintenant, passons à votre interprétationde ce que je désire.

Jack retrouva un peu de souffle.

— Okay. D’accord, j’ai bien filé BudWhite. Dud craignait qu’il ne perde lespédales à cause d’une radasse qui s’étaitfait descendre, pasque White était dugenre à dérailler quand il s’agissait deminettes. Okay, je l’ai bien filé, mais jen’ai rien dégoté qui vaille la peine d’êtresignalé. Vous et White, vous vous haïssez,tout le monde sait ça. Vous vous ditesqu’un jour ou l’autre il essaiera de vousavoir pour ce que vous avez fait à Dick

Stensland, et vous m’arrangerez le coupauprès de Loew et de Parker en échangede quelques tuyaux bien dégueulasses surlui. C’est bien ça que vous voulez ?

— Disons que ça en fait vingt pourcent, et offrez-moi quelque chose quevous aurez appris sur White.

— Tel que ?

— Tel que lui et les femmes ?

— White aime les femmes, mais cen’est pas une info de dernière minute.

— La D.A.I. a effectué une«personnelle» sur White après sa réussiteà l’examen de sergent. Selon le rapport, ilvoyait une femme du nom de LynnBracken. Est-ce que White la connaissait

déjà en 53 ?

Jack haussa les épaules.

— Je ne sais pas. Je n’ai jamaisentendu ce nom-là.

— Vincennes, c’est écrit sur votrevisage que vous mentez, mais laissons lafille Bracken de côté, elle ne m’intéressepas. White voyait-il Inez Soto à l’époqueoù vous lui colliez au nain ?

Il faillit éclater de rire.

— Non, pas pendant que je lui filais letrain. Est-ce que c’est ça qui voustravaille à ce point-là ? Vous pensez queWhite et votre…

Exley leva la main.

— Je ne vais pas vous demander sivous avez tué Hudgens. Je ne vais pasvous demander de me donner le sens desévénements de ce printemps, pas pourl’instant, en tout cas, et peut-être jamais.Donnez-moi simplement votre opinion surun point. Vous étiez plongé jusqu’au coudans cette histoire de revues obscènes etvous étiez aussi sur le Hibou de Nuit. Àvotre avis, est-ce que les trois Nègressont coupables des meurtres ?

Jack se recula – il fallait fuir ces yeux-là.

— Y a des points qui clochent là-dessus, je le savais bien, à l’époque. Sice n’était pas les trois que vous vous êtesfaits, alors, c’était peut-être d’autres

bougnoules, c’est possible ; peut-êtrequ’ils savaient où Coates avait caché lavoiture et que c’est eux qui ont placé làles fusils. Peut-être bien que c’est lié auxrevues pornos. Ça vous tracasse ? Cesnégros ont violé votre nana, alors ce quevous avez fait, c’était bien. Où voulez-vous en venir, capitaine ?

Exley sourit. Jack pigea la coupure : unhomme, le pied dans le vide, en train desautiller sur l’autre jambe.

— Capitaine, où voul…

— Non, mes motifs ne regardent quemoi, mais voici ce que je pense, enpremier lieu. D’une manière ou d’uneautre, Hudgens était lié aux revuesobscènes, et il avait un dossier sur vous.

C’est pour ça que tout ce foutoir vous aretourné à ce point.

Sables mouvants :

— Ouais, j’ai fait un truc vraimentmoche une fois. Vous savez… et merde, jeme dis… parfois, je me dis que je mefiche pas mal si quelqu’un le découvre,maintenant.

Exley se leva.

— J’ai déjà arrangé le problème desplaintes déposées contre vous. Il n’y aurapas de conseil de discipline, pasd’accusation. Selon les termes del’accord que j’ai passé avec le chefParker, il est stipulé que vous prendrezvolontairement votre retraite au mois de

mai. Je lui ai dit que vous seriezd’accord, et je l’ai convaincu que vousméritiez votre pension dans sonintégralité. Il n’a pas mis mes motivationsen doute, et je ne veux pas que vous lesmettiez en doute non plus.

Jack se leva.

— Et le marché ?

— Si jamais le Hibou de Nuit revientau grand jour, vous et tout ce que voussavez, vous m’appartenez.

Jack lui tendit la main.

— Seigneur, pour un fils de pute, vousêtes devenu froid comme une lame.

CalendrierFévrier-Mars 1958

COUPURES DE PRESSE

LA RUMEUR MAGAZINE

NUMÉRO DE FÉVRIER 1958MASSACRE DU HIBOU DE NUIT :

A-T-ON TUÉ LE BON CLIENT ?

LE MYSTÈRE S’ÉPAISSIT…

Vous vous souvenez du tintamarre duHibou de Nuit, n’est-ce pas ? Le 4 avril1953, trois tueurs, armés de fusils dechasse, ont pénétré au Hibou de Nuit, uncafé gentillet, non loin de HollywoodBoulevard, à Los Angeles l’ensoleillée :ils ont volé et assassiné trois employés ettrois clients et se sont enfuis avec un butin

estimé à trois cents tickets, ce qui, divisépar six, revient à environ cinquante sacspour une vie. Les services de police deLos Angeles se sont jetés dans la batailleavec une ardeur et un entraincaractéristiques, ont arrêté trois jeunesNègres en les soupçonnant d’avoircommis les meurtres, et aussi d’avoirenlevé et violé une jeune Mexicaine. LeLAPD n’était pas convaincu que les troisNègres en question : Raymond «SugarRay» Coates, Tyrone Jones et LeroyFontaine, aient effectivement commis lesmeurtres du Hibou de Nuit, mais il étaitconvaincu que les trois jeunes gensavaient violé Inez Soto, 21 ans, étudianteà l’université. L’enquête sur le Hibou deNuit s’est poursuivie, avec beaucoup de

publicité en accompagnement, et degrosses pressions sur le LAPD pourrésoudre le «crime du siècle» de L.A.

Pendant deux semaines, le LAPD asuivi des pistes infructueuses avant dedécouvrir les armes des meurtres àl’intérieur de la voiture de Ray Coates,retrouvée dans un garage abandonné dusud de Los Angeles. Peu de temps après,Coates, Jones et Fontaine s’enfuyaient dela prison du palais de justice…

Entre alors en scène un jeuneinspecteur de police : le sergent EdmundJ. Exley, du LAPD. Héros de la SecondeGuerre mondiale, diplômé de l’UCLA,dénonciateur de ses collègues flics aucours du scandale des brutalités

policières de 1951 connu sous le nom de«Noël Sanglant», et fils du ponte destravaux publics Preston Exley,constructeur du monumental Dream-a-Dreamland de Raymond Dieterling, ainsique de l’ensemble du système autoroutierde tout le sud de la Californie. Le mystères’épaissit…

Argument : le sergent Ed Exley étaitamoureux de la victime du viol, InezSoto.

Argument : le sergent Ed Exley aretrouvé Raymond Coates, Tyrone Joneset Leroy Fontaine, et les a abattus à l’aide– justice poétique – d’un fusil de chasse.Argument : le sergent Ed Exley a étépromu (de deux grades d’un seul coup !!!)

au rang de capitaine une semaine plustard, énorme récompense pour sarésolution – par le fil de l’épée – d’uneaffaire que le LAPD avait besoin derésoudre illico-presto afin de perpétuersa réputation (peut-être gonflée ?).

Argument : le capitaine Ed Exley (filsde riche auquel sa mère, aujourd’huidécédée, a laissé une fortune privéeimportante) est vite devenu très copain-copain avec Inez Soto et lui a acheté unemaison non loin de chez lui, dans le mêmebloc que son appartement. Argument :nous, à la Rumeur, savons de source trèsautorisée que Raymond Coates, LeroyFontaine, Tyrone Jones et l’homme quileur donnait refuge – Roland Navarette –n’étaient pas armés lorsqu’Ed Exley le

héros les a descendus… et aujourd’hui,presque cinq ans après les meurtres duHibou de Nuit, le mystère s’épaissit ànouveau…

Il est vrai que la Rumeur est un gagne-petit parmi ceux que la presse des gensbien-pensants appelle «le journalisme desfeuilles à scandale». Nous n’avons pas latoute-puissance de l’Indiscret, nous nesommes pas installés à New York, etnotre secteur, c’est d’abord la côte Est.Mais cela ne nous empêche pas d’avoirnos sources à L.A., parmi lesquelles unprivé toujours en croisade qui souhaiterester anonyme. Cet homme est obsédépar le Hibou de Nuit depuis des années :il a enquêté sur l’affaire en détail et a misà jour quelques révélations surprenantes.

Cet homme, que nous appellerons le privéX, a parlé aux correspondants de laRumeur et leur a révélé les chosessuivantes : Argument privé : au cours del’enquête sur le Hibou de Nuit, deuxfrères, Peter et Baxter Englekling,directeurs d’une imprimerie de SanBernardino, en Californie, se sontprésentés de leur propre initiative auxautorités pour leur exposer par le détailla manière dont l’une des victimes duHibou de Nuit, Delbert «Duke»Cathcart, les avait contactés avec l’idéede faire imprimer du matérielpornographique ; ils ont ensuite émis lathéorie que les meurtres du Hibou de Nuitétaient le résultat de conflits sous-jacentsau cœur de la pègre des pornographes. Le

LAPD a doucement rigolé devant lathéorie des frères, dans son empressementà coller le crime sur le dos des Nègres, etne voilà-t-il pas aujourd’hui que lesEnglekling semblent avoir disparu de lasurface de la terre.

Argument privé : Mme Hilda Lefferts,mère de Susan Nancy Lefferts, une desvictimes du Hibou de Nuit, née et élevéeà San Bernardino, a raconté au privé Xque juste avant les meurtres, sa fille avaitun mystérieux petit ami à l’identitéinconnue, qui ressemblait énormément àDuke Cathcart. Elle l’a même entendu quidisait à Susan Nancy : « Appelle-moiDuke. Faut t’y habituer !!!! » MmeLefferts n’a pas été capable d’identifierl’homme à partir de photos de l’identité

appartenant à la collection personnelle duprivé X. X a alors développé ce que nouspensons être une X-cel-lente et X-citantethéorie.

Argument de la théorie X : nouspensons que X, le petit ami mystère, a tuéDuke Cathcart dans sa tentative pours’emparer de son affaire de pornographie; il s’est fait passer pour Duke Cathcart eta atterri au café du Hibou de Nuit pourune transaction avec les trois hommes quiont perpétré le massacre. Susan Nancyétait assise tout près afin de voir son petitami défendre son bifteck. Le privé X nousoffre comme preuves les incontournablesindices suivants : Mme Lefferts a déclaréque X, le petit ami, ressemblait à s’yméprendre à Duke Cathcart.

Le corps reconnu pour celui deCathcart était en trop piteux état pour êtrecorrectement identifié. L’identificationfinale du coroner s’est fondée sur uneprothèse dentaire partielle que l’on areconstituée et comparée au dossierdentaire de Cathcart conservé dans lesarchives de la prison – pourtant d’autresdossiers donnaient à Cathcart une taillede 1 m 70, alors que le corps découvertau Hibou de Nuit était de 1 m 74. L’undans l’autre, une preuve irréfutable quec’est un imposteur, et non Duke Cathcart,qui a été tué au café du Hibou de Nuit…

Xtrapolations X-citantes qui, nous ensommes convaincus, conduiront àquelques révélations Xtrêmementintéressantes, de même qu’elles X-

aspéreront les services de police de LosAngeles, à la gâchette toujours facile, etpeut-être X-onéreront les trois Nègresaccusés à tort des meurtres du Hibou deNuit. À la Rumeur, nous demandonsinstamment au bureau du procureur deLos Angeles d’X-humer les corps desvictimes du Hibou de Nuit ; nous X-communions le capitaine Ed Exley pouravoir assassiné de sang-froid quatrevictimes de la société, et nous adressonsune pétition Xpresse au LAPD : rachetezvos injustices passées au nom de laJustice ! Il faut rouvrir l’affaire du Hiboude Nuit !!!

SAN FRANCISCOCHRONICLE

27 FÉVRIERLA POLICE DÉCONCERTÉE

PAR LA TUERIE DE GAITSVILLE.

Gaitsville, Cal., 27 février 1958.

Un double meurtre bizarre effraie lescitoyens de Gaitsville, une petite villesituée à cent kilomètres au nord de SanFrancisco – et déconcerte les hommes dushérif du comté de Marin.

Il y a deux jours, les corps de Peter etBaxter Englekling, 41 et 37 ans, ont étédécouverts dans leur appartement, contigu

à l’imprimerie où ils étaient tous deuxemployés comme compositeurslinotypistes. Les deux frères, selon lespropres termes du lieutenant EugeneHatcher – services du shérif du comté deMarin –, étaient « des personnagesdouteux avec des relations criminelles. »Le lieutenant a prudemment avancéquelques détails au reporter duChronicle, George Woods.

— Les deux frères Englekling avaientun casier judiciaire pour infractions à lalégislation sur les stupéfiants, a déclaré lelieutenant Hatcher. C’est un fait qu’ilsn’ont rien eu à se reprocher depuis uncertain nombre d’années, mais c’étaitmalgré tout des personnages douteux. Parexemple, ils travaillaient à l’imprimerie

sous des identités d’emprunt. Jusqu’àprésent, nous ne possédons aucun indice,mais nous pensons avoir affaire à unscénario de tortures pour recherche derenseignements.

Les frères Englekling travaillaient àl’imprimerie Rapid Bob sur East VerdugoRoad, à Gaitsville, et ils vivaient dansl’immeuble voisin. Leur employeur,Robert Dunkquist, 53 ans, connaissait leduo sous les noms de Pete et Bax Girard,et il a découvert leurs corps mardi matin.« Pete et Bax travaillaient pour moidepuis un an et ils étaient réglés commedes horloges. Lorsqu’ils ne se sont pasprésentés au travail mardi, j’ai comprisque quelque chose n’allait pas. En plus,l’atelier avait été dévasté et je voulais

qu’ils m’aident à trouver les responsablesdu saccage. »

Les frères Englekling, dont lesvéritables identités ont été établies grâceà une vérification de leurs empreintesdigitales obtenues par téléscripteur, ontété tués par arme à feu, et le lieutenantHatcher est certain que l’assassin a utiliséun revolver de calibre 38 équipé d’unsilencieux. « Notre spécialiste enbalistique a découvert des copeauxmétalliques sur les balles sorties descorps des victimes. C’est l’indicationqu’on a utilisé un silencieux, et celaexplique aussi pourquoi les voisins n’ontpas signalé les coups de feu. »

Le lieutenant Hatcher s’est refusé à

révéler l’état actuel de son enquête, maisil a indiqué qu’on est en train de mettre enœuvre toutes les techniques et approcheshabituelles en matière d’investigationcriminelle. Il a déclaré que les deuxvictimes avaient été torturées avant d’êtreabattues, mais il s’est refusé à décrirel’état des lieux. « Nous désironsconserver cette information secrète, a-t-ildit. Parfois il arrive que des fous en malde publicité avouent être les auteurs decrimes comme celui-ci, même s’ils ne lesont pas commis. Garder des détailssecrets aide à faire le partage entre lescoupables et les innocents. »

On ne connaît pas de famille à Peter etBaxter Englekling et leurs corps sont pourl’instant conservés chez le coroner de la

ville de Gaitsville. Le lieutenant Hatchera demandé expressément à tous ceux quiseraient susceptibles d’avoir desrenseignements sur les homicides decontacter les services du shérif du comtéde Marin.

SAN FRANCISCO EXAMINER

1er MARSLES VICTIMES D’UN MEURTRE

ASSOCIÉES À UN CRIME CÉLÈBRE

DE LOS ANGELES

Peter et Baxter Englekling, les deuxvictimes d’un meurtre perpétré àGaitsville, en Californie, le 26 février,avaient été témoins matériels dans lafameuse affaire des meurtres du Hibou deNuit qui s’étaient produits à Los Angelesen avril 1953, a révélé aujourd’hui lelieutenant Eugène Hatcher des services dushérif du comté de Marin.

« Nous avons obtenu un tuyau anonymeà ce sujet hier », a déclaré le lieutenantHatcher à l’Examiner. Un homme asimplement téléphoné le renseignementavant de raccrocher. Nous avons vérifiél’information auprès du bureau duprocureur de L.A., lequel a reconnu quec’était vrai. Je ne pense pas que cela aitquelque chose à voir avec notre affaire,mais j’ai néanmoins appelé les servicesde police de Los Angeles pour leurdemander leur avis. Je me suis faitenvoyer sur les roses, alors, je dis, qu’ilsaillent se faire voir ! »

L.A. DAILY NEWS

6 MARSLE HIBOU DE NUIT RESSUSCITÉ

SCANDALE ! DE NOUVELLES RÉVÉLATIONS:

TOUT INDIQUE QUE CESONT

DES INNOCENTS QUI ONT ÉTÉ TUÉS.

C’est une histoire laide et sale. LeDaily News, qui reconnaît être le seuljournal de Los Angeles orienté dans sesopinions, et le seul journal de tout le sudde la Californie à se qualifier lui-mêmede «déterreur d’ordures et de scandales»,

ne fait pas la fine bouche devant de telleshistoires. Cette histoire crève l’imagehéroïque d’un homme que beaucoupconsidèrent comme un parfait exemple derectitude morale pour ce qui est de la loiet de l’ordre ; lorsque les héros sont bâtisavec des pieds d’argile, nous autres, auDaily News, nous pensons qu’il est denotre devoir d’exposer leurs défauts auregard du public. Les problèmes soulevéssont d’importance, aussi remarquablesque le crime qui les a générés ; c’est doncen toute connaissance de cause que nousnous lançons à cor et à cri dansl’exhumation de ce scandale. Ce cor et cecri : l’affaire des meurtres de l’infâmeHibou de Nuit – six personnes, volées etbrutalement abattues jusqu’à ce que mort

s’en suive dans un café de Hollywood enavril 1953 – a été résolue incorrectement,et c’est la Justice qui en a payé le prix.Nous voulons une réouverture del’affaire, nous voulons qu’une vraiejustice soit faite.

Raymond Coates, Leroy Fontaine etTyrone Jones – vous souvenez-vous deces noms ? C’était trois jeunes Nègres,criminels et agresseurs sexuels, c’estvrai, qui ont été entôlés par les servicesde police de Los Angeles. Arrêtés peuaprès les meurtres du Hibou de Nuit, ilsont offert un alibi d’enfer : ils nepouvaient pas avoir commis les meurtresparce qu’ils participaient à l’enlèvementet au viol par la bande au complet d’unejeune femme du nom d’Inez Soto. Ils ont

abusé de Mlle Soto dans un immeubleabandonné de Los Angeles Sud, puis ilsont avoué l’avoir conduite à différentsendroits où ils l’ont «revendue» à leursamis pour qu’ils abusent d’ellesexuellement. Ils ont laissé Mlle Sotosous la garde d’un dénommé SylvesterFitch, qu’un officier de police du LAPD aabattu en venant délivrer la courageusejeune femme.

Mlle Soto a refusé de coopérer àl’enquête de police, laquelle concentrait àl’époque tous scs efforts sur un impératif: établir le lieu où se trouvaient Coates,Jones et Fontaine à l’heure des meurtresdu Hibou de Nuit. Se trouvaient-ils avecelle et les autres prétendus violeurs (dontaucun, à l’exception de Fitch, n’a jamais

été identifié) ? Avaient-ils eu le tempsnécessaire pour se rendre en voiture dusud de Los Angeles à Hollywood etcommettre les meurtres du Hibou de Nuitavant de revenir faire subir de nouveauxsévices à Mlle Soto ? Était-elle restéeconsciente tout au long de cetteaccumulation de choses dégradantesqu’on lui a imposées ? Questions sansréponse jusqu’à aujourd’hui. L’enquêtepolicière s’est alors scindée en deuxdirections : recherche de preuves afin deconfirmer Jones, Coates et Fontaine dansleur rôle de tueurs ; recherche de preuvesplus générales, procédure policièrehabituelle, fondée sur l’hypothèse que lestrois jeunes n’étaient coupables qued’enlèvement et de viol, mais non de

meurtre. Mlle Soto a persisté dans sonrefus de coopérer. Les deux directionsd’enquête sont devenues lettre mortelorsque Coates, Jones et Fontaine se sontéchappés de prison et ont été abattus parnotre héros déjà cité : le sergent du LAPDEdmund Exley.

Étudiant à l’université, héros de laSeconde Guerre mondiale, fils del’illustre Preston Exley, Ed Exley a utilisél’affaire du Hibou de Nuit commetremplin pour son ambition personnelleimpitoyable. Il a été promu au grade decapitaine à l’âge de 31 ans, et à la date dela rédaction de cet article, il ne lui faudraplus longtemps pour devenir inspecteurdivisionnaire contrôleur – à 36 ans, leplus jeune de l’histoire du LAPD. On dit

de lui qu’il serait un candidat républicainpotentiel à un poste politique, presqueaussi souvent qu’on le dit de son roi dubâtiment de père. Quelques bruitspersistent à son sujet : que les hommesqu’il a tués étaient désarmés, que leprocureur Ellis Loew a complètementimaginé les aveux du Hibou de Nuit queCoates, Jones et Fontaine auraientprétendument confessés avant leurévasion. Ce que l’on ne sait pas, engénéral, c’est qu’Ed Exley était amoureuxd’Inez Soto et qu’il a fermé les yeux surson manque de coopération pendantl’enquête, avant de lui acheter une maisonet d’avoir avec elle des relations intimesdepuis maintenant près de cinq ans.

Et aujourd’hui, deux événements

récents ont fait exploser l’affaire duHibou de Nuit au grand jour.

En 1953, deux hommes, deux frères,s’étaient présentés spontanément commetémoins matériels avec desrenseignements sur les meurtres du Hiboude Nuit. Ces hommes, Peter et BaxterEnglekling, avaient assuré qu’un complotsur la pornographie était à l’origine dumassacre du café, selon un projetconcocté par une des victimes, l’ex-prisonnier Delbert «Duke» Cathcart. LeLAPD avait choisi d’ignorer cetteinformation. Puis presque cinq ans plustard, Peter et Baxter ont été atrocementassassinés dans la petite ville deGaitsville, au nord de l’État. Cesassassinats, qui ont eu lieu le 25 février,

sont pour l’instant non résolus, avec uneabsence totale d’indices. Mais unequestion restée longtemps insoluble étaitsur le point de trouver sa réponse.

Au pénitencier de San Quentin, unprisonnier nègre du nom d’Otis JohnShortell a lu dans un journal de SanFrancisco un compte rendu del’assassinat des frères Englekling danslequel il était fait état des liens ténus quiexistaient entre ces deux personnes etl’affaire du Hibou de Nuit. L’article a faitréfléchir Otis John Shortell. Il a demandéune audience au gardien-chef adjoint et afait des aveux surprenants.

Otis John Shortell, actuellement enprison pour une accumulation de

condamnations pour vol qualifié devoitures, et désireux de toute évidenced’obtenir une réduction de peine enrécompense pour sa coopération, a avouéqu’il était l’un des hommes auxquelsCoates, Fontaine et Jones avaient«revendu» Inez Soto. Il se trouvait encompagnie de Mlle Solo et des troisjeunes Nègres entre 2 h 30 et 5 h du matinle jour des meurtres du Hibou de Nuit,pendant la période exacte où cesmeurtres ont eu lieu. Il a déclaré augardien qu’il ne s’était jamais proposéd’innocenter les trois accusés de peurd’être à son tour accusé de viol. Il aajouté que Coates avait une grossequantité de stupéfiants dans sa voiture :c’est la raison pour laquelle il n’a jamais

voulu révéler son emplacement à lapolice.

Shortell a justifié ses aveux tardifs parune récente conversion à l’Églisechrétienne de la Pentecôte, mais lesautorités de la prison se sont montréesdubitatives. Shortell a demandé par écritde subir dans sa cellule le test dudétecteur de mensonge afin de prouver lavéracité de ses dires, et on lui a donc faitpasser une série de quatre examens,lesquels se sont avérés concluants.L’avocat de Shortell, Morris Waxman, aadressé des copies sous seing privé descomptes rendus du passage au détecteurde mensonge, au Daily News et au LAPD.Nous avons publié cet article. Que fera leLAPD ?

Nous dénonçons l’injustice de lajustice des armes. Nous dénonçons lesmotivations d’Ed Exley, l’homme qui apressé la gâchette. Nous défionsouvertement les services de police de LosAngeles de procéder à la réouverture dudossier des meurtres du Hibou de Nuit.

COUPURE DE PRESSEL.A. TIMES

11 MARSHARO SUR LE HIBOU DE NUIT !

Un fatras d’événements sans relationapparente, et l’incendie déclenché etattisé par une série d’articles du LosAngeles Daily News sont en train de fairepression sur les services de police de LosAngeles pour qu’ils procèdent à laréouverture de l’enquête sur les meurtresdu Hibou de Nuit de 1953.

Le chef du LAPD, William H. Parker, aqualifié cette controverse de «pétardmouillé». « Tout ça, ce n’est que du vent.Le témoignage d’un criminel dégénéré etun double meurtre qui n’a rien à voir dans

l’histoire ne constituent pas des raisonssuffisantes pour rouvrir une affairerésolue avec succès cinq ans auparavant.J’ai soutenu les actions du capitaine EdExley en 1953 et je les soutiensaujourd’hui. »

Le chef Parker fait allusion auxmeurtres, le 25 février, de Peter et BaxterEnglekling, témoins matériels de lapremière enquête sur le Hibou de Nuit,ainsi qu’au récent témoignage d’unprisonnier incarcéré à San Quentin, OtisJohn Shortell, qui a prétendu se trouveren compagnie des trois meurtriersprésumés à l’heure du massacre du Hiboude Nuit. Citant les tests passés en cellulepar Shortell devant le détecteur demensonge, son avocat Morris Waxman a

déclaré : « Les détecteurs ne mentent pas.Otis est un homme très religieux qui porteun lourd fardeau de culpabilité pour nes’être pas fait connaître afin de disculperdes innocents, il y a cinq ans ;aujourd’hui, il veut que justice soit faite.Il a offert aux trois victimes aujourd’huidécédées un alibi confirmé par ledétecteur de mensonge, et il veut que lesvéritables meurtriers soient punis. Jecontinuerai à faire tout le bruit possibleautour de cette affaire jusqu’à ce que leLAPD accepte de faire son devoir enrouvrant l’affaire. »

Steven Erickson, rédacteur en chef duLos Angeles Daily News, se fait l’écho dumême sentiment : « Nous avons planténos crocs dans quelque chose

d’important. Nous n’allons pas lâcherprise. »

SUR CINQ COLONNESL.A. DAILY NEWS

14 MARSJ’ACCUSE :

LE LAPD ESSAIE D’ÉTOUFFER SON RÔLE

DANS L’AFFAIRE DU HIBOU DE NUIT.

L.A. DAILY NEWS

15 MARSLETTRE OUVERTE À EXLEY LA GÂCHETTE.

L.A. TIMES

16 MARSL’AVOCAT D’UN CONDAMNÉ SOUMET UNE

PÉTITION AU PROCUREUR GÉNÉRAL

DE L’ÉTAT POUR UNE RÉOUVERTURE DU

DOSSIER DU HIBOU DE NUIT

L.A. HERALD EXPRESS

17 MARS

PARKER DEVANT LAPRESSE :

LE HIBOU DE NUIT EST UNE AFFAIRERÉGLÉE.

L.A. DAILY NEWS

19 MARSLES CITOYENS DEMANDENT JUSTICE …

MANIFESTATIONS DEVANT LE LAPD.

L.A. HERALD EXPRESS

20 MARSPARKER ET LOEW SUR LE GRIL.

LE HIBOU DE NUIT EST UN BARIL DEPOUDRE

DIT LE GOUVERNEUR KNIGHT.

L.A. MIRROR NEWS

20 MARSLE SALAIRE DE LA MORT…

PHOTOS EXCLUSIVES DU NID D’AMOUR

D’EXLEY ET SOTO.

L.A. EXAMINER

20 MARSLES STANDARDS DE LA POLICE ENVAHIS…

LES CITOYENS S’EXPRIMENT

SUR LE HIBOU DE NUIT.

L.A. TIMES

20 MARS

PARKER SOUTIENT EXLEY

ET NE RECULE PAS D’UN POUCE :

PAS DE RÉOUVERTURE DU DOSSIER

DU HIBOU DE NUIT

L.A. DAILY NEWS

20 MARSLA JUSTICE DOIT PRÉVALOIR !

DEMANDONS DES COMPTES À LA POLICE !

IL FAUT ROUVRIR LE DOSSIER

DU HIBOU DE NUIT !

AUJOURD’HUI !

Quatrième partieDestination morgue

48

Le téléphone sonna : vingt contre unpour la presse. Ed décrocha malgré tout.

— Oui ?

— Bill Parker, Ed.

— Comment allez-vous, monsieur ? Etmerci pour cette déclaration au Times.

— J’étais sincère, fils. Nous allonscourber l’échine et laisser passer ça à ladure. Comment Inez prend-elle tout ça ?La publicité, je veux dire.

— Mon père m’a dit qu’elle était chezRay Dieterling, à Laguna. Et nous avonsrompu il y a quelques mois. Simplement,

ça n’allait plus entre nous.

— Je suis désolé. Mais Inez est unefille qui a du cran. Comparé à ce qu’ellea déjà subi, ce qu’elle connaîtaujourd’hui, c’est du gâteau.

Ed se frotta les yeux.

— Je ne suis pas sûr que l’histoire setasse.

— Je pense que si. La police deGaitsville se refuse à coopérer sur leshomicides des Englekling, et le Nègre deSan Quentin, comme témoin, c’est zéro.Son test au détecteur de mensonge paraîtvalable, mais son avocat, c’est un bavardde premier plan qui s’intéresseuniquement à faire sortir son client de…

— Monsieur, tout cela mis à part, je nepense pas que les hommes que j’ai tuéssoient responsables du Hibou de Nuitet…

— Ne m’interrompez pas et ne venezpas me dire que vous êtes d’une naïvetéassez suicidaire pour penser que laréouverture de l’affaire fera le plus petitbien à quiconque. Pour l’instant, j’attendsque cela passe, et le procureur général deSacramento attend que cela passe. Lamauvaise publicité, les pétitions pour lajustice et toutes les choses du mêmeacabit finissent toujours par atteindre unmaximum, puis par passer.

— Et si ce n’est pas le cas ?

Parker soupira.

— Si le procureur général ordonne uneenquête spéciale dirigée par les servicesde l’État, je déposerai une ordonnance duLAPD contre lui afin d’avoir préemptiongrâce à une enquête conduite par nosservices. J’aurai le soutien total d’EllisLoew sur cette stratégie – mais celapassera.

— Je ne suis pas certain de le vouloir,dit Ed.

49

Service brigade antigang : chambre 6,Victory Motel – Bud, Mike Breuning, etun mec de Frisco menotté sur le gril – JoeSifakis, tombé trois fois pour prêtsd’usure, piqué dans un train à UnionStation. Breuning le travaillait au tuyau ;Bud observait.

Quatorze cents dollars sur la commode– donation aux œuvres charitables de lapolice. Sur le gril : un baratin sur taille-toi-de-ma-ville, plein pot – prochaineétape : du boulot pour le dentiste. Budconsulta sa montre – 4 h 20 – Dudley étaiten retard. Sifakis hurla.

Bud se rendit dans la salle de bains.Quatre murs d’obscénités : petitescomptines dégueulasses, certaines avecdes dates. Certaines marquées 53 – ilsongea tout de suite au Hibou de Nuit. Latrouille au ventre. Le Hibou de Nuitrefaisait la une sur tous les fronts, Dudvoulait méchamment discuter le coupavec lui. Il ouvrit le robinet du lavabo –pour couvrir les hurlements. Il passa enrevue sa filée de tuyaux sur le Hibou deNuit pour la lester et n’y trouva pas lamoindre faille.

Personne ne savait que c’était lui quiavait rencardé la Rumeur – si les grosseslégumes avaient été au courant, il enaurait entendu parler – et le macchabéede Cathcart se trouvait toujours sous la

maison Lefferts. Personne ne savait quec’était lui qui avait fourni le tuyau auxservices du shérif de Gaitsville sur lesliens qui rattachaient les Englekling auHibou de Nuit. Des ouvertures par purcoup de bol : les frangins morts, lebougnoule à San Quentin – probablementrégule comme alibi. Il avait le nez proprepour toutes les preuves qu’il avaitescamotées en 53 – si Dudley avait unevague idée qu’il gardait pour lui certainesinfos, probable qu’à son avis ça devait serelier à sa fixation sur la liquidation deKathy. Dud était responsable de l’enquêtesur le Hibou de Nuit, il voudraitcertainement voir tout le chambard passer– une réouverture de l’affaire, et ilapparaîtrait comme un comparse pas très

fufute en soutien – second rôle aux côtésd’Ed Exley, le héros pas très fufute.Parker essayait de mettre le holà à uneréouverture, cote défavorable : cinqcontre un, cinq contre un qu’Exleysortirait de là sentant…

Sifakis hurla – la porte trembla.

Bud plongea la tête dans le lavabo.Gribouillis à côté du miroir : MegGreunwitz baise bien – AX-74022. Nomsde filles sur les murs ; la semainedernière, les hommes du shérif de L.A.avaient emballé une nouvelle racoleusemorte ; ajoute ça à la liste : Lynette EllenKendrick, 21 ans, DDD 17/3/58. Battue,lacérée à coups de chevalière, viols àtrois trous – les flics du comté refusaient

de donner l’heure de…

Sifakis se mit à baragouiner. La sallede bains devint trop étouffante pour ytenir.

Bud sortit. Sifakis, à dégoiser, àbalancer en pleine frénésie : — … et jesais des choses, j’entends des choses.Vous pigez la coupure, comme avec leMick ; maintenant qu’il est dehors, lachasse est ouverte. Ça roulait pas desmasses quand il était au trou, c’étaitbizarre, les affaires au ralenti ; mais y aces équipes de flingueurs qui ontdescendu les mecs qui tenaient sesfranchises, au Mick, puis y a les mecs enfrancs-tireurs, trois gâchettes, pan, pan,pan, ils ont viandé les hommes à Mickey ;

et y a ces mecs qui essaient de luichouraver les secteurs qu’il avait refilésaux autres. Avant, tout le monde avait durespect pour Dud S. comme arbitre, maisaujourd’hui, nom de Dieu, y fait plus rien.Vous voulez cravater une gagneuse ? Hein? Hein ? Vous voulez un bon tuyau surun…

Breuning donnait l’impression des’ennuyer. Bud sortit dans la cour :mauvaises herbes, clôture en barbelés.Quatorze chambres vides – le LAPDavait acheté la propriété pour presquerien.

— Mon gars !

Dudley sur le trottoir. Bud alluma unecigarette, s’approcha.

— Mon gars, je suis désolé d’être enretard.

— Ça n’a pas d’importance, vous avezdit que c’était grave.

— Oui, absolument. Apprécies-tu aumoins la brigade de Hollywood, mon gars? Est-elle à ta convenance ?

— Je préférais la Criminelle.

— Splendide, je veillerai à ce que tu yretournes très bientôt. Et t’es-tu délectéau spectacle de l’ami Exley qui se faittourner en ridicule par le quatrièmepouvoir, la Presse toute-puissante ?

La fumée le fit tousser.

— Ouais, bien sûr. C’est pas de veinequ’on ne rouvre pas l’affaire, comme ça,

il ne saurait vraiment plus où donner dela tête. C’est pas que je voudrais voir queça vous retombe dessus, pourtant.

Dudley éclata de rire.

— Je vois très bien les conflitsinhérents à cette perspective. Etj’éprouve personnellement un certainsentiment d’ambivalence, en particulierdepuis qu’une petite poulette deSacramento m’a informé que le procureurgénéral allait bientôt faire pression pourla réouverture de l’affaire. Si les chosesvenaient à tourner à l’aigre, Ellis Loew aune ordonnance toute prête, aussi je pensequ’il est sage de présumer que le Hiboude Nuit, et c’est regrettable, va nousréatterrir bien brûlant dans l’assiette.

Luttes politiques intestines, mon gars. LesDémocrates cocos ont pris le parti desbougnoules accusés injustement, et ils ontl’intention d’en faire un point fort de leurcampagne pour les primaires ; et le PG –Procureur Général – républicain aesquivé l’offensive et contre-attaqué.Mon gars, possèdes-tu desrenseignements sur le Hibou de Nuit quetu ne m’aurais pas communiqués ?

Prêt et préparé.

— Non.

— Ah, splendide ! En ce cas, ceci étantréglé, j’ai une tâche prévue pour toi, cesoir, ici, au Victory. Il nous faut fairepasser sur le gril un homme physiquementimposant et très musclé, et franchement,

Mike et Dick manquent de la présencenécessaire pour l’impressionner demanière convaincante. Le monde est petit,mon gars – je pense que ce gars a connunotre ami Duke Cathcart en 53. Peut-êtrepourra-t-il éventuellement nous offrirquelques renseignements sur l’objet de tafixation, Kathy Janeway. Le destin de labelle et douce Kathy te préoccupe-t-iltoujours, mon gars ?

Bud déglutit – à sec.

— Mon gars, oublie que je t’ai posé laquestion. Des fixations comme celle-làsont comme les prostituées – ellespeuvent s’amender, mais il leur restetoujours quelque chose de leurs anciennesmanières de faire. Ce soir à 10 h, mon

gars. Et sois de bonne composition. J’aipour toi, en projet, un travail qui n’entrepas dans le cadre du programme, untravail qui devrait rallumer l’étincelle detes anciennes habitudes bien effrayantes.

Bud cligna des yeux.

Dudley sourit, et se dirigea vers lachambre 6.

Prostituée égale Lynn. La vanneJaneway égale, combien au juste ?

Joe Sifakis hurla – à travers les quatremurs, jusqu’au bout de la cour.

50

Gallaudet lui glissa les nouvelles : leBureau du Procureur général était décidéà appuyer une demande de réouverture :financement d’État, enquête d’État. EllisLoew était décidé à torpiller leur enquête– LAPD, retour du Hibou de Nuit. L’heurede battre le rappel de toutes ses troupes.

Ed dans un café de La Brea. AttendantJack Vincennes, dossiers sur la table :Hibou de Nuit, notes sur l’affaireHudgens.

Point coché : l’homme de San Quentindisait-il la vérité ? Oui, trèsprobablement – quels qu’aient été ses

motifs.

Point coché : les meurtres desEnglekling se rattachaient-ils au Hibou deNuit ? Impossible de répondre jusqu’à ceque les services du shérif de Marinacceptent de partager leurs informations.

Point coché : la voiture pourpre prèsdu Hibou de Nuit. Une intuition : c’étaitun véhicule innocent ; les véritablestueurs avaient suivi la publicité faiteautour de l’affaire, localisé la voiture deCoates avant le LAPD, et placé les fusilsde chasse à l’intérieur. Cela signifiait –chose stupéfiante – qu’ils avaientvolontairement placé les douillesretrouvées à Griffith Park. Les archivesde la prison du palais de justice – années

35 à 55 – avaient été détruites. Si lestueurs avaient glané leurs renseignementsgrâce à un contact de la prison, ils’avérerait très probablement impossiblede retrouver le contact en question.Demander à Kleckner et Fisk d’enquêterpar le détail sur toutes les possibilitéslogiques se rapportant à la voiturepourpre et aux fusils de chasse.

Point coché : la victime MalcolmLunceford, exagent du LAPD et garde desécurité poivrot. Se rattachait-il d’unemanière ou d’une autre à l’association demalfaiteurs qui s’est terminée par lemassacre du Hibou de Nuit ? Réponse :peu probable – c’était un habitué connu etreconnu de longue date du Hibou de Nuit,toujours là de nuit, et tard.

Ed sirota son café, et pensa POUVOIR.Abus de pouvoir : la D.A.I. étaitautonome, à l’intérieur comme àl’extérieur du Service ; il avait demandéà Fisk et Kleckner d’œuvrer en vue d’uneréouverture possible – celle du LAPD oula sienne. Vincennes avait reconnu avoirfilé Bud White – et menti sur le fait queWhite avait connu sa petite amiesporadique – Lynn Bracken – pendant leprintemps 53. Lynn Bracken avait étéplacée sous surveillance à distance ; Fiskavait simplement remis un rapport.

Le bruit courait que la femme était uneex-prostituée ; elle possédait avec unassocié une boutique de vêtements àSanta Monica. Son associé : PierceMorehouse Patchett, âgé de cinquante-six

ans. Kleckner avait réussi à obtenir unrapport financier : Patchett en ressortaitcomme un investisseur aisé connu pourmaquereauter des call-girls qu’ilproposait à ses relations d’affaires. Leplus beau de l’affaire, côté finances.

Patchett était propriétaire d’unimmeuble à Hollywood. Une fusilladebizarroïde y avait eu lieu – cadrant enplein avec les heures du Hibou de Nuit.C’est lui en personne qui avait prisl’appel et était arrivé sur les lieux enpremier : pas de suspect appréhendé,équipement sado-masochiste dansl’appartement du rez-de-chaussée cribléde balles. Le gérant avait prétendu ne pasconnaître le propriétaire de l’immeuble –il était payé par courrier, et il soupçonnait

une compagnie prête-nom de lui réglerson chèque. Il connaissait le prénom dulocataire de l’appartement – Lamar – « ungrand blond costaud ». Le gérant rendaitLamar responsable de la fusillade ; unrapport de suivi de la Division deHollywood déclarait que l’on n’avait pasrevu Lamar depuis l’incident. Incidentclos.

Poubelle était en retard. Passage auxnotes sur l’affaire Hudgens.

Une boucherie abominable, pas devéritable suspect, Hudgens haï de touscôtés. Enquête sans grand brillant – unmoment, Max Peltz et l’équipe del’Insigne du Courage avaient eu chaud.L’Indiscret avait publié un article

«exposant» Peltz et sa passion lubriquepour les jeunes adolescentes. Peltz s’étaitsoumis au détecteur de mensonge, le restede l’équipe avait fourni des alibis. Entreles lignes : Parker considérait que lavictime était une ordure et il avait envoyépromener toute l’affaire.

Toujours pas de Poub. Ed feuilleta lachemise alibis.

Max Peltz au beau milieu d’undétournement de mineure – lourdementimpliqué, pas de chef d’accusation contrelui. Penny Fulweider, la script-girl, chezelle avec son mari ; alibi de BillyDieterling : Timmy Valburn. DavidMertens le décorateur – homme maladifsouffrant d’épilepsie et autres petits maux

–, alibi : Jerry Marsalas, son infirmier àdomicile. Brett Chase, la vedette, à uneréception ; idem pour Miller Stanton, co-vedette. Rien sur toute la ligne – mais lamort de Hudgens devait jouer un rôlecentral pour le printemps 53 deVincennes.

Poubelle s’avança et s’assit. Pas deprélims.

— Vous battez le rappel des troupes ?

— Je rencontre Parker demain. Je suissûr qu’il va annoncer la réouverture del’affaire.

Vincennes éclata de rire.

— Alors ne prenez pas un air aussisinistre. Si vous êtes assez cinglé pour le

vouloir, alors, au moins, ayez l’airheureux.

Ed plaça six douilles de pistolet sur latable.

— Trois d’entre elles proviennent dustand de tir à la cible où vous vous êtesentraîné la dernière fois. Les trois autres,je les ai récupérées dans un casier àpreuves de la division de Hollywood.Marques et rayures identiques. Avril 53,Jack. Vous vous souvenez de cettefusillade, sur Cheramoya ?

Poub agrippa la table :

— Continuez.

— Pierce Patchett est propriétaire decet immeuble de Cheramoya, et ses droits

de propriété sont bien cachés. On atrouvé sur les lieux du matériel sado-maso, et Patchett est une RC de LynnBracken, la petite amie de Bud White,que vous avez nié connaître. À l’époque,vous travailliez sur un trafic porno àl’Ad. Mœurs, et le porno comme le sado-maso sont à mettre dans le même panier.La dernière fois que nous avons discuté,vous avez reconnu que Hudgens avait undossier sur vous, et que c’était la raisonpour laquelle vous étiez complètementpaumé à l’époque. Sautons maintenant auxconclusions ; un saut hasardeux, jel’avoue, alors n’hésitez pas à me corrigersi je me trompe. Bracken et Patchettétaient des RC de Hudgens.

Vincennes enfonça ses doigts dans le

bois – la table se mit à branler.

— Ainsi donc vous êtes un enfoiréintelligent. Et alors ?

— Alors, est-ce que Bud Whiteconnaissait Hudgens ?

— Non, je ne pense pas…

— Qu’est-ce que White sait surPatchett et Bracken ?

— Je ne sais pas. Exley, écoutez…

— Non, c’est à vous d’écouter. Et vousrépondez à ma question. Avez-vous mis lamain sur le dossier que Hudgens avait survous ?

Poubelle, en pleine suée.

— Ouais, je l’ai eu.

— Par qui ?

— La femme Bracken.

— Comment avez-vous réussi àl’obtenir d’elle ?

— En la menaçant d’une dépositionécrite. J’ai rédigé une déposition sur elleet Patchett, tout ce que j’ai réussi àrassembler sur eux. J’ai fait des copiescarbones et je les ai planquées dans descoffres de banques.

— Et vous…

— Ouais, je les ai toujours. Et eux onttoujours un carbone sur moi.

Petite devinette de bon ton.

— Et Patchett fourguait les revues

pornos auxquelles vous donniez la chasse?

— J’ai les dépositions et les livres.Vous les voulez, vous me faites sautermon recel de preuves. Et je veux être parmoitié dans la prise du Hibou de Nuit.

— Un tiers. Il est impossible derésoudre l’affaire sans White.

51

Chambre 6 au Victory. Dudley, et unconnard tout en muscle enchaîné au gril.Dot Rothstein en train de reluquerPlayboy. Bud l’observa qui se rinçaitl’œil sur les nanas dévêtues : une vrilleflicarde en combinaison d’aviateur dechez Hugues Aircraft.

Dudley feuilleta le casier judiciaire dubonhomme.

— Lamar Hinton, âge : trente et un ans.Une condamnation pour agression à mainarmée, anciennement employé à lacompagnie des téléphones, soupçonnéd’avoir installé des lignes clandestines

pour les books de Jack Whalen «leRégulateur». En violation deconditionnelle depuis avril 1953. Mongars, je pense, sans risque d’erreur, qu’onpeut parler de toi comme d’un complicedu crime organisé, en conséquencequelqu’un qui a besoin qu’on luiréapprenne les bonnes manières qui ontcours dans une société policée.

Hinton se lécha les lèvres ; Dudleysourit.

— Tu as accepté de nous suivre sanstapage, ce qui est à ton crédit. Tu n’as pascommencé à nous faire danser sur l’air detes droits civiques, ce qui, puisque tu n’enas plus, est un bon gage de tonintelligence. De mon côté, mon travail

consiste à décourager et contenir en seslimites le crime organisé de Los Angeles,et je me suis aperçu que la force physiquejouait souvent un rôle de mesure depersuasion des plus efficaces. Mon gars,je vais poser des questions, tu yrépondras. Si je suis satisfait de tesréponses, le sergent Wendell Whiterestera assis dans son fauteuil. Etmaintenant, pourquoi as-tu violé taconditionnelle en avril 1953 ?

Hinton bégaya. Bud frappa du reversdes deux mains – les yeux sur le mur pourne pas être obligé de voir.Gauche/droite/gauche/droite/gauche/droite – Dot lui lança le signald’arrêter.

Cessez-le-feu.

— Une petite admonestation pour temontrer de quoi le sergent White estcapable, dit Dudley. Et maintenant, àpartir de cet instant, je m’accommoderaide ton bégaiement. Te rappelles-tu laquestion ? Pourquoi as-tu violé taconditionnelle en avril 1953 ?

Bé-bég-bégaiement – Hinton, les yeuxfermés, plissés, verrouillés.

— Mon gars, nous attendons.

— F-f-f-f-fa-fa-fallait qu’ch-ch-ch’quitte la v-la ville.

— Ah, splendide. Et peut-on savoir cequi a précipité ce besoin de partir ?

— D-des-des ennuis d’f-d’f-d’femmes.

— Mon gars, je ne te crois pas.

— La-la-la v-vé-vérité.

Dudley hocha la tête. Bud frappa desmains en revers – retint ses coups,pseudo-pleine puissance.

— Ce garçon pourrait se ramasser destas de chagrineries, dit Dot. Allez, monmignon, facilite-toi les choses. Avril 53.Pourquoi t’es-tu taillé de la ville ?

Bud entendit Breuning et Carlisle dansla pièce d’à côté. La question le frappabrutalement : avril 53 – le Hibou de Nuit.

— Mon gars, j’ai surestimé lapuissance de ta mémoire, alors permets-moi de t’aider à la rafraîchir. PiercePatchett. Tu étais en relation avec lui à

l’époque, n’est-ce pas ?

Bud, des frissons glacés : recel depreuves, il ne devrait pas savoir quePatchett existe…

Hinton sursauta, se débattit.

— Ah, splendide, je pense que nousavons touché au vif du nerf.

Dot soupira.

— Seigneur, de tels muscles ! Jedevrais posséder de tels muscles.

Dudley ricana.

Arrête les frissons : il est partant pourla réouverture – peut-être que Hintoncollabore au truc. S’il était au courant demon petit numéro de retenue de preuves

à la source, je ne serais pas ici.

Dot frappa Hinton, à la matraque : braset jambes. Monsieur Muscle encaissa,stoïque : pas de geignements, pas desupplications.

Dudley se mit à rire.

— Mon gars, tu possèdes un seuil dedéplaisir très élevé. Commente-moi cequi suit, je te prie : Pierce Patchett, DukeCathcart et la pornographie. Sois bref,sinon le sergent White mettra ce seuil àl’épreuve.

Hinton, sans bégaiement.

— Va te faire foutre, espèce de fumierd’irlandais.

Ho, ho, ho.

— Mon gars, on te prendrait pour unvrai Jack Benny. Wendell, montre à notrecomplice du crime organisé ton opinionsur les numéros de comédie àl’improviste.

Bud attrapa la matraque de Dot :

— Que cherchez-vous, patron ?

— Pleine, entière et docilecoopération.

— Est-ce que c’est le Hibou de Nuit ?Vous avez dit Duke Cathcart.

— Je veux pleine, entière et docilecoopération sur tous les sujets. As-tu desobjections sur ce point ?

— White, contentez-vous d’y aller, ditDot. Seigneur, c’est moi qui devrais

posséder de tels muscles !

Bud s’approcha.

— Laissez-moi le jouer solo. Rien quedeux minutes.

— Un retour à tes bonnes vieillesméthodes, mon gars ? Il y a un momentque tu n’as pas manifesté de réelenthousiasme pour ce genre de travail.

— J’vais lui laisser croire qu’il peutm’avoir, avant d’le larder, murmura Bud.Vous et Dot, vous attendez dehors, okay ?

Dudley acquiesça, fit sortir Dot. Budbrancha la radio, une pub, des affaires àfaire dans les voitures d’occase chezYeakel Olds.

Hinton fit tinter ses chaînes :

— Va te faire foutre, que l’irlandaisaille se faire foutre, et que ce camion degousse aille se faire foutre !

Bud se rapprocha une chaise.

— Je n’aime pas ce genre de truc,alors tu es bien gentil et tu me donnesquelques réponses en supplément et jedirai au gars de te laisser te tailler. T’aspigé ? Pas de cravate pour taconditionnelle ?

— Va te faire foutre.

— Hinton, je pense que tu connaisPierce Patchett, et peut-être bien que tuconnais Duke Cathcart. Tu peux me direquelques trucs, des petits à-côtés et je…

— Va enculer ta mère.

Bud balança Hinton et son fauteuil àtravers la pièce. Le gril atterrit sur le côté– les lames du siège volèrent en éclats.Les rayonnages s’effondrèrent – la radiose brisa en vomissant des crachotements.

Bud redressa le fauteuil d’une main.Hinton inonda son froc. Bud s’entenditqui disait quelque chose, d’une voixétrange à l’accent chantant.

— Donne-moi quelques tuyaux sur lesbarbeaux, mon gars. Cathcart, unbougnoule du nom de Dwight Gilette – ilsont drivé cette fille, Kathy Janeway, tousles deux. Elle s’est fait rétamer et jen’aime pas ça. Tu as des renseignementssur eux, mon gars ?

Les yeux dans les yeux – ceux de

Hinton, grands, grands. Pas debégaiement, ne fous pas cet enfoiréd’animal en boule.

— Monsieur, j’avais simplement unboulot de chauffeur pour M. Patchett, moipis ce mec, y s’appelle Chester Yorkin.Tout ce qu’on faisait, c’était livrer ces…ces trucs illégaux… et Cathcart, lui, j’leconnais ni d’Ève ni d’Adam. J’ai entendudire que Gilette, c’était une tante, toutc’que ch’sais, c’est qu’y rameutait lesradasses pour les soirées de SpadeCooley. Vous voulez des tuyaux sur Spade? Je sais qu’y tète l’opium, c’est un vraide vrai dégénéré de camé. Il tourne à l’ElRancho en ce moment, vous l’agrafez.Mais je connais pas de tueurs de radasseset je connais pas de fille Kathy Janeway.

Bud secoua le fauteuil – Hintoncontinua à s’allonger :

— Monsieur, Patchett, y dirige descall-girls. De la fesse de première, etarrangée pour ressembler à des vedettesde ciné. Sa préférée, c’était une connassesuperbe, Lynn, e’ ressemblait à…

Bud attaqua, droit à la figure. La figurevira au rouge, des costauds sebousculèrent sur lui – des bras autour deson corps – des bras qui le soulèvent. Leplafond qui fond sur lui, tourbillons destuc craquelé qui virent au noir.

Questions et réponses à travers le noir,cris et gémissements à travers une gaze –un mur qui contient les visages en arrière.Des livres de cul, Cathcart, Pierce P. –

impossible de tout piger, ça n’arrive pasjusqu’à lui. Un effort pour entendre LynnBracken, rien qui vient sur le nom, le noirqui devient d’autant plus noir. MickeyCohen, 53, et pourquoi tu t’étais taillé – ildéchira la gaze pour atteindre ce nom-là.Des hurlements qui le firent s’enfoncerplus encore dans la douceur dans lalangueur – avec des clichés de Lynn toutautour de lui.

Lynn blonde et putain, Lynn brune etelle-même. Lynn sur ses relations avecInez : « Sois gentil avec elle et épargne-moi les détails. » Lynn en train de rédigerson journal, et lui qui avait les foies en lelisant parce qu’il savait qu’elle le battaità plate couture. Lynn qui pensait avecdeux longueurs d’avance sur lui, allant et

venant au hasard de sa vie pendant que luiallait et venait au hasard de la sienne. Etcette gaze noire qui battait, qui palpitait –questions-réponses. Noir le silence, et lestourbillons de stuc craquelé quiredeviennent plus clairs.

Chambre 7 au Victory : des lits pourles mecs de la brigade antigang. La portede la 6 grande ouverte.

Bud roula de sa couchette, se remitdebout. Sa tête cognait, sa mâchoire luifaisait mal, il avait déchiqueté sonoreiller, à vouloir fouir toujours plusprofond. Direction la 6, à l’intérieur, unvrai carnage : le gril, du sang sur lesmurs. Pas trace de Hinton, de Dot, deDudley, ni de ses gars – 1 h 10 du matin –

pas moyen de mettre en ordre lesquestions et les réponses.

Il rentra chez lui, la tête chancelante,trop esquinté pour penser. Il déverrouillasa porte en bâillant – le point lumineux auplafond s’éclaira. Quelque chose,quelqu’un l’agrippa.

Menottes sur ses poignets – Ed Exley,Jack Vincennes – nets et clairs, face à lui.Un regard latéral pour vérifier : Fisk etKleckner – les merdeux des A.I. – qui luiépinglaient les bras.

Exley le gifla. Fisk l’agrippa par lecou, pressa un doigt sur la carotide.

Une chemise cartonnée dans la figure.

Exley :

— Les A.I. ont fait sur toi une enquêtequand tu es devenu sergent, nous sommesdonc déjà au courant pour Lynn Bracken.En 53, Vincennes t’avait collé au train, etil t’a mis ici, noir sur blanc, avecBracken et Pierce Patchett, dans sadéposition. Tu as cuisiné Patchett surl’homicide de Kathy Janeway, et on teretrouvait partout sur le Hibou de Nuit,comme une vraie plaie. J’ai besoin de ceque tu sais, et si tu refuses de coopérer, jeferai immédiatement démarrer unenouvelle enquête des A.I. sur tes recelsde preuves. Le Service a besoin d’unbouc émissaire pour le Hibou de Nuit.C’est de l’histoire ancienne – je suis tropprécieux pour qu’on me fasse porter lechapeau. Si tu refuses de coopérer,

j’utiliserai jusqu’à la plus petite parcellede mon pouvoir pour te démolir.

L’étranglement se relâcha – Bud essayade se libérer. Kleckner et Fisk luiretombèrent dessus.

— Fumier, putain, je te tuerai !

Exley se mit à rire.

— Je ne le pense pas, et si tu joues lejeu, tu y gagnes : ton recel de preuvespasse à l’as, tu as une part de la prise, etun petit cadeau pépère – agent de liaisonpour toutes ces racoleuses trucidées quit’intéressent tant.

La gaze noire qui retombait.

— Lynn ?

— C’est elle notre première clienteaux interrogatoires – avec Penthotal. Sielle a le nez propre, elle est libre.

Il n’est pas au courant pour la Rumeur,et j’ai toujours le macchabée de SanBerdoo. Bud cligna de l’œil.

— Toi et moi. Quand ce sera terminé.

52

Impossible de dormir – impossible àcause de la déposition de Vincennes. Uncoup de fil de réveil dont il se serait bienpassé : un journaliste, à 6 h du matin. Ettoujours le même tabac avec les infos dela radio : spéculation sur une réouverturede l’affaire, un mano-a-mano avec sonpère – le système autoroutier presqueachevé, et le héros du Hibou de Nuit,aujourd’hui un vaurien ; piquets demanifestants sur les parkings – des mecsdu genre coco qui demandaient justice.

Tôt encore – pour la plus importanteréunion de sa carrière.

La salle de conférence de Parker étaitprête – blocs-notes sur la table. Edécrivit « Patchett », « Bracken », «marché Patchett-Hudgens : extorsion ? » ;il souligna « les photos pornographiquescorrespondent aux mutilations deHudgens » – demander à Vincennes derapporter les livres pornos au bureau. Lacontribution de White : « Patchett branchéporno en 53 » : « Patchett et Englekling –père et frangins – passé chimie » ; «piaule de Duke Cathcart fouillée, pagesjaunes de San Berdoo (ateliersd’imprimerie) marquées ». White gardaittoujours des choses pour lui – il le savait.

Déposition – souligné : « Patchettimpliqué (par le biais du racket Fleur deLis) dans la distribution (contrôlée) de

porno – porno que l’Ad. Mœursrecherchait en 53, porno dont Cathcartavait parlé autour de lui pour un nouveausystème de distribution, porno relié auxmutilations du corps de Hudgens. »

Conclusion :

Une succession dense de conspirationscriminelles vieilles d’au moins cinq ans,avec pour résultat pas moins de quatre, etpeut-être même une douzaine de crimesmajeurs.

Le défilé des autres présentscommença – Parker, Dudley Smith, EllisLoew. Signes de tête, et bien vite assis.

— Nous rouvrons, dit Parker. Lebureau du PG veut usurper notre boulot,

mais Ellis a déposé contre eux uneordonnance d’abus de pouvoir, ce quidevrait nous faire gagner deux semaines.Nous avons deux semaines pour éclaircirl’affaire et regagner le respect que nousavons perdu. Nous disposons de deuxsemaines avant que Sacramento nedébarque ici et ne fasse de nous la riséedu public. Je veux voir cette affairerésolue, sans la moindre faille légale, etle dossier entre les mains du Grand Jurysous douze jours. Comprenez-vous,messieurs ?

Hochements de tête tout autour.

— Je suis personnellement dans uneposition difficile ici, dit Ellis Loew,puisque Coates, Jones et Fontaine sont

effectivement passés aux aveux devantmoi. À la réflexion, je dois admettre quec’était des garçons stupides et naïfs,psychologiquement prédisposés à êtreinfluencés, aussi…

Smith l’interrompit.

— Ellis, le sang a coulé sous les pontsdepuis. Nous nous sommes simplementtrompés de mecs de couleur, ce n’étaitpas ceux qui avaient tiré au fusil dansGriffith Park. Les véritables coupables,c’est quelques petits coqs intelligents deNègreville qui savaient où Coates avaitplanqué sa voiture et sont allés y placerles fusils. Des gars qui connaissaient bienNègreville et qui nous ont devancés pourl’emplacement de la voiture. La voiture

pourpre aperçue près du Hibou de Nuitn’était qu’une coïncidence dont les tueursont tiré parti. Je pense que la voiture deGriffith Park était volée ou venait d’unautre État ; en tout état de cause, je nepense pas qu’il faille travailler dans cettedirection. Il nous faut recommencer àretourner tout le quartier sud une nouvellefois.

Ed sourit – la tactique de Smith faisaitle jeu de son propre plan.

— Pour l’essentiel, je suis d’accord, etj’ai affecté un de mes hommes des A.I. àla vérification des anciennesimmatriculations. Mais est-ce que nousn’allons pas un peu trop vite ? Nefaudrait-il pas d’abord établir une chaîne

de commandement ?

Loew toussota.

— Ed, je pense que votre gested’abattre ces démons était un geste noble,quelles qu’en aient été les motivations.Mais je pense que vous donner lecommandement ne ferait tout simplementqu’accroître le ressentiment de la presseet du public. Je pense que vous devriezoccuper un rôle subsidiaire dans cetteenquête.

Scandale, en pleine figure.

— Je suis fatigué de jouer au méchantdans les infos de 6 h et je suis fatigué devoir ma vie sexuelle dans les journaux. Jesuis aussi le meilleur inspecteur du…

Parker l’interrompit.

— Vous êtes le meilleur inspecteur quenous possédions, et je comprends quevous ayez besoin de vous refaire. MaisEllis a raison, tout cela vous est troppersonnel. J’ai donné le commandement àDudley. Il recrutera une équipe parmi lesgens de la Criminelle et diverses autresbrigades et il reprendra à partir de là.

— Et moi ? Est-ce que j’ai un morceaude l’affaire ?

Parker acquiesça.

— Je vous donnerai tout ce que vousvoulez, si c’est raisonnable.

Le coup de grâce.

— Je veux la possibilité de rassembler

mes propres preuves avec l’autonomiedont disposent les A.I. Je veux pouvoirutiliser mes deux aides personnels auxA.I. et deux officiers de mon choix qui meserviront d’enquêteurs de terrain.

— Cela me convient. Dudley ?

— Oui, je pense que c’est honnête.Mon gars, qui aviez-vous en tête commeenquêteurs ?

— Jack Vincennes et Bud White.

Smith faillit en rester bouche bée.

— Étranges compagnons de lit, ditParker, mais il est vrai que toute l’affaireest étrange. Douze jours, messieurs. Pasune minute de plus.

53

Jack se réveilla sur le canapé etrédigea un petit mot pour Karen.

Ma douce,

Ce n’est que justice, et pis, ouais, j’aitout foiré avec Ellis. Mais ce nom deDieu de canapé depuis deux mois, cen’est pas juste et si le Service est capablede me pardonner, tu devrais pouvoir enfaire autant toi aussi. Il y a six semainesque je n’ai pas bu un verre, ce que tusaurais si tu consultais le calendrier, àcôté de mon placard. Je ne m’attends pasà ce que tu penses que ça règle tous lesproblèmes entre nous, mais accorde-moi

le bénéfice de faire des efforts. Je feraiun effort. Tu veux aller à la fac de droit,super, mais je te parie que tu détesterasça. En mai, je prendrai ma retraite, peut-être que je me trouverai un boulot commechef de la police dans un bled proched’une bonne fac de droit. Je ferai uneffort, mais à toi de me donner un peu demou parce que ce numéro de glaçoniceberg finit par me rendre complètementcinglé, parce qu’on vient de me détacherà nouveau au travail en civil sur quelquechose qui est très important pour moi. Jetravaillerai probablement tard, la semainequi vient, mais j’appellerai et je passerai.

J.

Il s’habilla, attendit la sonnerie du

téléphone. Café dans la cuisine. Un petitmot de Karen.

J.

J’ai été garce ces temps derniers. Jesuis désolée et je pense qu’on devraitessayer de régler certains problèmes. Tudormais lorsque je suis rentrée, sinon jet’aurais invité dans la chambre.

XXXXX K.

P.S. : Au travail, une fille m’a montrécette revue et j’ai pensé que tu pourraisêtre intéressé. Je sais que tu connais cetExley dont parle l’article qui, en tout cas,se rapporte parfaitement à ce qu’il y a eudans les journaux ces temps derniers.

Sur la table, la Rumeur : Jack feuilleta

la revue et tomba sur une double pageconsacrée au Hibou de Nuit.

Un truc bien racoleur :LE PRIVÉ EN CROISADE.

L’USURPATEUR DE DUKE CATHCART.

Spéculations sur le porno. Ed Exleyvilipendé, fusillé à boulets ardents – lagrosse haine pour Exley. Cadrage éclair :le «Privé» Bud White saccage Exley. Unnuméro de février en vente en janvier,sorti avant que les frères Englekling ne sefassent régler leur compte et que lebronzé de San Quentin n’allonge cet alibi.Distribution sur la côte est, etprobablement impossible de trouver letorchon à L.A. Exley et les grosseslégumes ne pouvaient pas l’avoir vu –

sinon lui en aurait entendu parler.

Le téléphone sonna. Jack l’attrapa :

— Exley ?

— Oui, et vous êtes officiellementdétaché. White a parlé à Lynn Bracken.Elle a accepté de passer au Penthotal, etje veux que vous nous l’ameniez. Elleattendra au restaurant chinois, en face dubureau, dans une heure. Retrouvez-la là-bas et amenez-la aux A.I., et si elle a unavocat avec elle, débarrassez-vous-en.

— Écoutez, je suis tombé sur quelquechose et je pense que vous devriez levoir.

— Contentez-vous de m’amener lafemme.

Cinq ans d’écoulés depuis l’épisodedes dossiers brûlés – Lynn Bracken entrain de siroter son thé chez Al Wong.Jack l’étudia à travers la fenêtre.

Toujours aussi impressionnante, à vouscouper le souffle. Brune aujourd’hui,environ trente-cinq ans, une beauté quiattirait les regards. Elle le vit. Jack sesentit les chocottes : son dossier.

Elle sortit.

— Je ne voulais pas de tout ce quiarrive, dit Jack.

— Vous avez laissé faire. Et vousn’avez pas peur de tout ce que je sais survous ?

Quelque chose coinçait ; elle était trop

calme, cinq minutes avant de passer sur legril.

— J’ai un capitaine qui veille sur moi,et il me fiche la trouille. Si ça venait àsortir, je parie qu’il l’étoufferait.

— Ne prenez donc pas de paris quevous ne soyez à même de couvrir. Et jen’accepte de faire tout ça que parce queBud m’a dit qu’il pourrait souffrir si je nele faisais pas.

— Qu’est-ce que Bud vous a ditd’autre ?

— Des choses pas reluisantes sur votreimpressionnant capitaine. Pouvons-nous yaller ? Je voudrais en terminer au plusvite.

Ils traversèrent la rue, et empruntèrentl’escalier qui conduisait au bureau. Fiskles attendait devant les A.I. ; il lesconduisit dans le bureau d’Exley. Unattirail à faire peur : capitaine Ed laFrayeur, Ray Pinker, un bureau couvert dematériel médical – flacons, seringues. Undétecteur de mensonge – en soutien au casoù le jus de vérité échouerait.

Pinker remplit une hypo. Exley indiquaun fauteuil à Lynn.

— S’il vous plaît, Mlle Bracken.

Lynn s’assit. Pinker lui passa untampon sur le bras gauche, installa ungarrot. Exley, très service-service : — Jene sais pas ce que Bud White vous araconté, mais pour l’essentiel, ceci

concerne une enquête où se retrouventimpliquées plusieurs conspirationscriminelles associées. Si vous nousfournissez des renseignements valables,nous sommes prêts à vous accorderl’immunité pour toutes les chargescriminelles dont vous seriez susceptibled’être accusée.

Lynn serra le poing.

— Je peux difficilement mentir. Peut-on en finir au plus vite, s’il vous plaît ?

Pinker lui prit le bras et fit la piqûre.Exley enclencha un appareil enregistreur.Les yeux de Lynn se firent rêveurs – pastout à fait gaga sous Penthotal. Exleyparla dans un micro qu’il tenait à la main.

— Témoin Lynn Bracken, 22 mars1958. Mlle Bracken, voulez-vousdécompter, je vous prie, à partir de cent ?

Déjà la voix traînante et pâteuse.

— Cent, quatre-vingt-dix-neuf, quatre-vingt-dix-huit, quatre-vingt-dix-sept,quat’-vingt-six…

Pinker contrôla les yeux, hocha la tête.Jack s’empara d’un fauteuil. Toujourstrop calme – il le sentait, comme un goûtsur la langue.

Exley toussota.

— 22/3/58, sont présents en compagniedu témoin, moi-même, capitaine EdmundExley, le sergent Duane Fisk, le sergentJohn Vincennes, et Ray Pinker, chimiste

au laboratoire médico-légal. Duane,prenez en sténo.

Fisk prit un bloc-notes.

— Mlle Bracken, quel âge avez-vous ?dit Exley.

— Trente-quatre ans.

La voix traînante, légèrement pâteuse.

— Et votre profession ?

— Femme d’affaires.

— Êtes-vous propriétaire de laBoutique de Veronica, à Santa Monica ?

— Oui.

— Pourquoi avez-vous choisi le nomde Veronica ?

— Une plaisanterie personnelle.

— Soyez plus précise.

— C’est un nom de mon ancienne vie.

— Plus précisément ?

Sourire rêveur.

— J’ai été une prostituée, apprêtée etmaquillée pour ressembler à VeronicaLake.

— Qui vous a convaincue de vousprêter à cela ?

— Pierce Patchett.

— Je vois. Est-ce que Pierce Patchett atué un homme du nom de Sid Hudgens, enavril 1953 ?

— Non. Je veux dire, je ne sais pas.Pourquoi aurait-il fait ça ?

— Savez-vous qui était Sid Hudgens ?

— Oui. Il écrivait dans un torchon àscandale.

— Patchett connaissait-il Hudgens ?

— Non. Je veux dire, s’il l’avaiteffectivement connu, il me l’aurait dit, unhomme aussi célèbre.

Mensonge – impossible qu’elle soitcomplètement sous l’emprise du produit.Elle devait savoir qu’il savait qu’ellementait – elle pensait qu’il la couvriraitpour se protéger lui-même.

Exley :

— Mlle Bracken, savez-vous qui a tuéune fille du nom de Kathy Janeway auprintemps de 1953 ?

— Non.

— Connaissez-vous un homme du nomde Lamar Hinton ?

— Oui.

— Développez, s’il vous plaît.

— Il travaillait pour Pierce.

— En quelle qualité ?

— Comme chauffeur.

— Et c’était quand ?

— Il y a plusieurs années.

— Savez-vous où est Hinton

aujourd’hui ?

— Non.

— Développez votre réponse, s’il vousplaît.

— Non, il est parti, je ne sais pas où ilest allé.

— Hinton a-t-il essayé de tuer lesergent Jack Vincennes en avril 1953 ?

— Non.

Elle lui avait déjà dit « Non » àl’époque.

— Qui donc a essayé de le tuer ?

— Je ne sais pas.

— Qui d’autre a travaillé ou travaille

comme chauffeur pour Patchett ?

— Chester Yorkin.

— Développez, s’il vous plaît.

— Chet, Chester Yorkin, il vit quelquepart à Long Beach.

— Pierce Patchett suborne-t-il lesfemmes pour les inciter à la prostitution ?

— Oui.

— Qui a tué les six personnes du caféle Hibou de Nuit, en avril 1953 ?

— Je ne sais pas.

— Pierce Patchett vend-il diversarticles illégaux par l’intermédiaire d’unservice connu sous le nom de Fleur de Lis?

— Je ne sais pas.

Énorme mensonge. Trahie par sonvisage : des veines battaient.

— Est-ce que le Dr Terry Lux pratiquedes opérations de chirurgie plastique surles prostituées de Patchett afind’accroître leur ressemblance avec desvedettes de cinéma ?

Les veines qui se détendent – lisses.

— Oui.

— Est-ce qu’en fait, Patchett est delongue date un fournisseur de call-girls àtarifs élevés ?

— Oui.

— Est-ce que Patchett a distribué de la

pornographie – coûteuse et artistementfabriquée – au printemps de 1953 ?

— Je ne sais pas.

Les jointures toutes blanches. Jackattrapa un bloc-notes et écrivit : «Patchettgénie chim. L.B. ment, et je pense qu’elleest sous came pour contrer les effets duPenthotal. Faites une prise de sang.»

— Mlle Bracken, est-ce…

Jack lui passa le mot. Exley leparcourut, le passa à Pinker. Pinker fixaun garrot.

— Mlle Bracken, est-ce que Patchettpossède des dossiers secrets volés à SidHudgens ?

— Je ne sais…

Pinker agrippa le bras de Lynn, enfonçala seringue. Lynn eut un sursaut ; Exleyl’agrippa. Pinker enleva l’aiguille ; Exleyépingla Lynn contre son bureau. Elle sedébattit et se mit à ruer – Fisk passaderrière elle et la menotta. Elle crachaitmaintenant – elle atteignit Exley auvisage. Fisk la fit sortir de force dans lecouloir.

Exley s’essuya le visage – rouge, leteint brouillé.

— Je n’en étais pas sûr moi-même. Jepensais que peut-être elle se mélangeaitles idées.

Jack lui tendit la Rumeur.

— Je savais mieux que vous comment

elle allait répondre. Capitaine, vousdevriez jeter un coup d’œil à ceci.

À vous donner les foies : ce visagerouge, ces yeux. Ed lut l’article, déchirale torchon en deux.

— C’est White qui a fait ça. Vous allezà San Berdoo et vous voyez la mère deSue Lefferts. Je m’en vais faire craquercette putain.

Direction San Berdoo, en pleineagitation avec les diapos qui défilent :Exley en train de faire craquer cetteputain. «Hilda Lefferts» dans l’annuaire ;trajet ; la maison : bardeaux blancs, uneannexe en parpaings.

Une mamie en train d’arroser la

pelouse. Jack se rangea, recolla àl’adhésif l’article déchiré de la Rumeur.La vieille le vit et prit la fuite, – directionla porte, au pas de course.

Il courut.

— Laissez ma Susie reposer en paix !couina-t-elle.

Jack lui fourra la Rumeur dans lafigure.

— Un policier de L.A. vous a parlé,exact ? Un costaud d’environ quarante ans? Vous lui avez dit que votre fille avait unpetit ami qui ressemblait à Duke Cathcart,juste avant le Hibou de Nuit. Il lui avaitdit : « Habitue-toi à m’appeler Duke. »Le policier vous a montré des photos de

l’identité judiciaire et vous n’avez pasréussi à reconnaître le petit ami. Est-ceque ça, c’est vrai ? Lisez et dites-moi.

Elle lut, vite, plissant les yeux à lalumière du soleil.

— Il a dit qu’il était policier, pasdétective privé. Les photos qu’il m’amontrées, c’était des photos du genrepolice, et ce n’est pas de ma faute si jen’ai pas réussi à identifier le galant deSusie. Et je veux déclarer officiellementque Susie était vierge lorsqu’elle estmorte.

— M’dame, je suis sûr qu’elle…

— Et je veux aussi déclarerofficiellement que ce policier ou je sais

pas quoi a inspecté le dessous de lanouvelle aile de ma maison et qu’il n’y arien trouvé de travers. Jeune homme, vousêtes policier, n’est-ce pas ?

Jack secoua la tête – l’impressiond’avoir le cerveau embourbé.

— Chère madame, qu’est-ce que vousme racontez ?

— Je vous raconte que monsieurPolicier Détective Privé ou je sais pasquoi est allé ramper sous ma maison, il ya deux mois de ça ou à peu près, parceque je lui avais dit que le galant de Susieavait fait la même chose tout de suiteaprès le chambard qu’ils avaient fait aveccet autre gars, juste avant le truc du Hiboude Nuit, et que vous et les vôtres arrêtez

pas de me tourmenter avec, puissent Susieet les autres victimes reposer en paix !Tout ce qu’il a trouvé, c’est des rats, pasle moindre signe d’infraction, et puisvoilà.

Et puis voilà.

Mamie indiqua un vide sanitaire au rasdu sol – et puis voilà.

Putain, ça ne pouvait pas être ça ! BudWhite n’avait pas assez de cervelle pourlaisser en attente une carte maîtresse decette envergure.

Jack prit une torche et passa en-dessous – Hilda Lefferts resta là à leregarder, et puis voilà. Poussière,pourriture, puanteur des boules à mites –

l’éclair de la torche sur la saleté, les rats,les yeux des rats qui luisaient. Toile àsac, boules à mites, os desséchés et peaumomifiée, un crâne avec un trou entre lesdeux yeux.

54

Ed observait Lynn Bracken à travers lemiroir sans tain.

Kleckner était en train de l’interroger,le numéro du gentil-gentil réglé par leméchant en personne – lui-même. Elleavait reçu une nouvelle injection dePenthotal ; Ray Pinker analysait son sang.Trois heures de cellule et elle ne s’étaittoujours pas effondrée – elle mentaittoujours avec élégance.

Ed enclencha le haut-parleur.

Kleckner :

— Je ne dis pas que je ne vous crois

pas, je dis tout simplement que monexpérience de policier m’a montré queles barbeaux détestent les femmes,d’habitude, alors je ne suis pas preneurdu Patchett grand philanthrope.

— Il faut prendre son passé enconsidération, le fait qu’il a perdu unepetite fille au berceau. Je suis certaineque votre mentalité de policier vouspermet de saisir une relation de cause àeffet, même si vous-même ne pouvezl’accepter.

— Parlons un peu de ce passé, dans cecas, Vous avez décrit Patchett comme unfinancier bien installé à L.A. depuis unetrentaine d’années. Vous avez dit qu’ilmontait des affaires, alors soyez plus

précise sur les affaires en question.

Lynn soupira – pur panache.

— Des affaires de financement defilms, des affaires immobilières, desaffaires de construction. En voici unepetite pour vous, les fans de cinéma dupublic qui m’écoutez. Pierce m’a dit qu’ilavait financé quelques uns des premierscourts métrages de Raymond Dieterling.

Tout dans l’intimité : le maquereau dela petite amie de Bud White connaissaitle grand ami de Preston Exley. Klecknerchangea de bande. Ed étudia la putain.

Elle était belle – en grande partieparce qu’elle n’était pas une beautéparfaite. Le nez était trop pointu ; elle

avait des rides sur le front. Épauleslarges, grandes mains – de forme trèsbelle, d’autant plus étonnantes qu’ellesétaient grosses. Des yeux bleus quidevaient probablement se mettre à danserquand un homme disait ce qu’il fallait ;elle pensait probablement que Bud Whitepossédait comme une intégrité primitive,et elle le respectait parce qu’il n’essayaitpas de l’impressionner par des dons qu’iln’avait pas. Elle s’habillait de vêtementsdiscrets parce qu’elle savait qu’ilsferaient d’autant plus d’impression sur lesgens qu’elle voulait impressionner ; ellepensait que les hommes sont tous desfaibles, du moins pour la plupart, et ellefaisait confiance à son intelligence pourfranchir tous les obstacles. Des

suppositions qui conduisaient Ed toutdroit à son intuition : en associant sonintelligence avec l’antidrogue qu’elleavait dans le sang, on obtenait un témoinimmunisé contre le Penthotal, qui simulaitavec impunité – et élégance.

— Capitaine, on vous appelle autéléphone. C’est Vincennes.

Fisk tenait le téléphone, cordon étiré aumaximum. Ed prit l’appareil.

— Vincennes ?

— Ouais, et écoutez bien, pasque cetorchon à scandale, il était bien casher, ety a bien plus.

— White ?

— Ouais, c’est White le pseudo-privé,

et il a questionné la vieille dame Leffertsil y a deux mois, à peu de chose près.Elle lui a raconté l’histoire du petit amide sa fille qui ressemblait à DukeCathcart et d’un autre gugusse.

— Quoi ?

— Écoutez bien. Deux semaines avantle Hibou de Nuit, un voisin a vu Susie etle petit ami seuls à la maison ; ils se sontmis à se disputer avec un autre mec. On avu ramper le petit ami sous la maison, unpeu plus tard ce jour-là. Maintenant,lorsque White a questionné la vieilledame, il a appelé PC Bell et a demandéune vérification de leurs registres pourles appels avec préavis de la maison àL.A., de la mi-mars à la mi-avril 53. J’ai

fait la même chose et j’ai obtenu troisappels avec préavis, tous les trois pourune cabine de Hollywood, non loin duHibou de Nuit. Si vous croyez que ça,c’est brûlant, att…

— Nom de Dieu !

— Capitaine, écoutez – White est alléramper sous la maison avant de raconter àmamy qu’il n’y avait rien là-dessous. J’ysuis allé et j’ai trouvé un macchabée,enveloppé dans des boules à mites pourcouvrir la puanteur, et un putain de troudans la tête, un impact de balle. J’ai faitmonter Doc Layman à San Berdoo. Il arapporté le dossier dentaire de DukeCathcart de la prison, la copie du bureaudu coroner. La correspondance est

parfaite. La première identification étaitfoireuse, à partir d’un fragment deprothèse, exactement comme le disaitl’article. Putain, je n’arrive pas à croireque White ait pu mettre tout ça ensemblepour finalement laisser tout simplement lemacchabée sur place. Capitaine, vousêtes toujours là ?

Ed agrippa Fisk.

— Où est Bud White ?

Fisk eut l’air effrayé.

— J’ai entendu dire qu’il était partidans le nord avec Dudley Smith. Lesservices du shérif de Marin ont décidé delâcher le morceau sur les Englekling.

Retour à la Poubelle.

— L’article disait que la femme avaitvu des clichés.

— Ouais, White avait rapportéquelques photos marquées «bureau desArchives d’État». Nous savons l’uncomme l’autre que les séries de clichésde l’État sont tirées clair, alors, je diraisque White ne voulait pas l’amener icipour consulter nos livres. De toute façon,elle n’a pas réussi à identifier le petitami, et si le petit ami était l’un desmacchabs du Hibou de Nuit, nousl’aurons, pasque Nort Layman, en 53, luia sorti des fragments de prothèse ducrâne. Je l’amène ici ? Je lui montre noslivres ?

— Faites-le.

Fisk raccrocha le téléphone. RayPinker s’approcha – avec une feuilled’analyses chimiques.

— Prestilphyozine, Capitaine. C’estune drogue antipsychotique expérimentaleextrêmement rare, utilisée pourtranquilliser les malades mentauxviolents. Un professionnel a refilé ça ànotre belle amie, parce que seul un propouvait savoir que ce composé dephyozine avait toutes les chances decontrecarrer les effets du Penthotal.Patron, vous feriez bien de vous asseoir,on dirait que vous êtes sur le pointd’avoir une crise cardiaque.

Patchett, le chimiste de génie ; le pèredes frères Englekling : un chimiste qui

avait mis au point des composésantipsychotiques. La putain de Bud White,de l’autre côté de la vitre – elle étaitseule maintenant avec un magnéto quitournait.

Ed entra.

— Encore vous ? dit Lynn.

— Oui.

— N’êtes-vous pas tenu de m’inculperou de me relâcher ?

— Pas avant soixante-huit heures.

— N’êtes-vous pas en train de violermes droits constitutionnels ?

— Nous ne tenons pas compte desdroits constitutionnels dans cette affaire.

— Cette affaire ?

— Ne jouez pas à la demeurée. Cetteaffaire, c’est Pierce Patchett distributeurde pornographie, y compris des livresdont les photographies correspondentexactement aux mutilations perpétrées surla victime d’un meurtre, à savoir sonancien «partenaire» Sid Hudgens. Cetteaffaire, c’est celle des victimes du Hiboude Nuit, dont on suppose qu’elles sontliées à une association de malfaiteurs quienvisageait de distribuer cettepornographie, avec votre ami Bud Whitequi garde pour lui des preuves majeuressur l’identité réelle de la victime. Je saisque White vous a dit de coopérer, et quevous vous êtes présentée ici sousl’influence d’une drogue qui devait

contrecarrer les effets du Penthotal. Celajoue contre vous, mais vous pouvezencore vous épargner, ainsi qu’à White,beaucoup d’ennuis en coopérant.

— Bud est assez grand pour se prendreen charge. Et vous avez un airépouvantable. Vous avez le visage toutrouge.

Ed s’assit, éteignit le magnétophone.

— Vous n’avez même pas la sensationd’être droguée, n’est-ce pas ?

— Je me sens comme si j’avais prisquatre Martinis, et quatre Martinis ne fontque me rendre d’autant plus lucide.

— Patchett vous a envoyée ici sansavocat pour gagner du temps, je le sais

bien. Il sait que l’on vous a convoquéedans le cadre de la réouverture du Hiboude Nuit, il sait donc qu’il est lui-même untémoin matériel, pour le moins.Personnellement, je ne le vois pas entueur. Je connais beaucoup de choses desdiverses entreprises de Patchett, et vouspouvez lui épargner une quantité d’ennuisen coopérant avec moi.

Lynn sourit.

— Bud a dit que vous étiezremarquablement intelligent.

— Qu’a-t-il dit d’autre ?

— Que vous étiez un homme de colèreet de faiblesse, en lutte avec votre père.

Laisse passer.

— Alors, concentrons-nous sur monintelligence. Patchett est chimiste, et c’estpeut-être chercher un peu loin, mais jeparie qu’il a étudié sous la direction deFranz Englekling, un pharmacologue qui amis au point des drogues semblables aucomposé antipsychotique que vous adonné Patchett afin de combattre les effetsdu Penthotal. Englekling avait deux fils,qui ont été assassinés dans le nord de laCalifornie le mois dernier. Ces deuxhommes se sont présentés à la police lorsde la première enquête bâclée sur leHibou de Nuit, et ils ont fait état d’un,ouvrez les guillemets, «cinglé de papagâteau», fermez les guillemets, qui avaitaccès à des tas de, ouvrez les guillemets,«call-girls de haut-vol», fermez les

guillemets. De toute évidence, Patchett aété en rapport avec un soi-disantdistributeur de porno du nom de DukeCathcart, l’une des victimes prétenduesdu Hibou de Nuit. De toute évidence,Patchett est présent partout dans cettehistoire, et il est partant pour de grosennuis dont il n’a aucun besoin et quevous pouvez m’aider à lui faire éviter.

Lynn alluma une cigarette.

— Ainsi donc, vous êtes très, trèsintelligent.

— Oui, et je suis un excellentenquêteur, avec pour base de travail cinqannées de preuves accumulées qui n’ontpas vu le jour. Je suis au courant del’épisode des dossiers brûlés, je suis au

courant du plan d’extorsion que Patchettse proposait de mettre sur pied avecHudgens. J’ai lu la déposition grâce àlaquelle Vincennes a pu traiter avec vous,et je sais tout des diverses entreprises dePatchett, y compris Fleur de Lis.

— Ainsi vous vous fondez surl’hypothèse que Pierce possède desrenseignements très compromettants pourVincennes.

— Oui, que le procureur et moi-mêmeallons étouffer dans un but de protection,afin de sauvegarder la réputation desservices de police de Los Angeles.

Trouble et agitation chez Lynn : ellelaissa tomber sa cigarette, tripota sonbriquet.

— Vous et Patchett, vous ne pouvez pasgagner, dit Ed. J’ai douze jours à madisposition pour régler cette histoire, et sije n’y parviens pas, je me mettrai enquête d’inculpations accessoires. Il y en aau moins une demi-douzaine que je peuxcoller sur le dos de Patchett, et croyez-moi, si je ne réussis pas à résoudre cetteaffaire, je ferai tout ce que je pourrai afinde me donner le plus beau rôle possible.

Lynn le dévisagea. Ed lui rendit sesregards, avec la même fixité.

— C’est Patchett qui vous a fabriquée,n’est-ce pas ? Vous étiez une fille àpompons dans la claque de Bisbee, enArizona, et vous étiez une putain. Il vousa enseigné la manière de vous habiller, de

parler et de réfléchir, et je suis trèsimpressionné par les résultats. Mais j’aidouze jours devant moi avant qu’on tire lachasse sur ma vie, et si je n’arrive pas àce que je veux, je vais vous faire tombertous les deux, Patchett et vous.

Lynn enclencha le magnétophone :

— Enregistrement officiel, la putain dePierce Patchett vous parle. Je n’ai paspeur de vous et je n’ai jamais tant aiméBud White. Cela me rend heureuse desavoir qu’il a gardé des preuves pour luiafin de l’emporter sur vous, et vous êtesstupide de le sous-estimer. J’ai étéjalouse lorsqu’il couchait avec Inez Soto.Mais aujourd’hui, je respecte le bon sensde cette pauvre petite qui a abandonné un

lâche moral pour un homme.

Ed appuya sur «Effacement», «Stop»,«Lecture».

— Enregistrement officiel : il restesoixante-sept heures et mon prochaininterrogatoire ne sera pas aussi cordial.

Kleckner ouvrit la porte et lui passaune chemise cartonnée.

— Capitaine, Vincennes vientd’amener la femme Lefferts. Ils sont entrain de vérifier les photos de criminels,et il a dit que vous vouliez ça.

Ed sortit de la pièce. Chemise épaisse– obscénités sur papier glacé.

Revues du dessus : jolies mômes, actesexplicites, déguisements colorés.

Quelques unes des têtes avaient étéretaillées à ras avant d’être recollées –d’après les termes de la déposition, Jackavait essayé d’identifier les modèles àpartir de clichés anthropométriques, en sedisant que tondre les coiffures luifaciliterait la tâche. Des trucslaids/précieux/prétentieux – exactementce qu’en avait dit Poubelle.

Les livres du dessous – couverturesnoires, sans rien – trouvaille de Poubelledans la boîte à ordures. Premiers clichésretouchés à l’encre – du rouge en reliefs’écoulant des membres sectionnés, lesposeurs enchaînés l’un à l’autre, orifice àorifice. Correspondance avec l’homicidede Hudgens : un garçon étendu bras encroix, en synchro parfaite avec les

instantanés de la scène du crime.

Au-delà de l’étonnement – etquiconque avait posé pour les photosobscènes avait tué Hudgens.

Ed passa au dernier livre. Arrêt brutal.Glace. Un joli garçon, nu, bras écartés –de l’encre/sang gouttant de son torse.Familier, trop familier ; ça ne venait pasd’un cliché Coroner de Hudgens. Il tournales pages et tomba sur un dépliant :garçons, filles, membres désaxés qui setouchaient, reliés les uns aux autres pardes motifs à l’encre.

ET IL SUT.

Il prit le couloir en courant jusqu’à laCriminelle, trouva leurs dossiers de1934, trouva «Atherton, Loren 187 PC

(multiples)». Trois chemises épaisses,puis les photos – prises par le monstreFrankenstein en personne.

Des enfants, immédiatement après leurdémembrement.

Leurs bras, leurs jambes, simplementdisposés comme ressortant des torses.

Papier ciré blanc sous les corps.

Peinture, au doigt et au sang, autour deleurs membres, rouge sur blanc, motifsdécoratifs complexes identiques à ceuxdes clichés pornographiques retouchésd’encre ; et positionnement des membressectionnés identique au découpage deHudgens.

Ed s’écrasa les doigts en reclaquant le

classeur. Direction Hancock Park, code 2.

Réception à la résidence de PrestonExley : valets qui rangent les voitures,musique en provenance de l’arrière de lamaison – probablement une fiesta dans laroseraie. Ed entra par la porte de devantet s’arrêta net – la bibliothèque de samère avait disparu.

En remplacement : un long espace oùune maquette attirait tous les regards –des longueurs d’autoroutes au-dessus devilles en papier mâché. En périphérie,indicateurs de direction – le systèmeautoroutier dans son intégralité. Uneperfection – qui le fit sortir brutalementde sa brume de photos dégueulasses. Desnavires dans le port de San Pedro, les

montagnes de San Gabriel, des autosminuscules sur l’asphalte. Le plus grandtriomphe de Preston Exley à la veille deson achèvement.

Ed poussa une voiture – de l’océanjusqu’aux contreforts des collines. Lavoix de son père : — J’aurais pensé quetu serais de service à Central Sud,aujourd’hui.

Ed se retourna.

— Quoi ?

— J’aurais pensé, dit Preston ensouriant, que tu serais en train de racheterta récente mauvaise presse.

Passages du coq à l’âne – les photosAtherton lui revinrent.

— Père, excuse-moi, mais je ne saispas de quoi tu parles.

Preston éclata de rire.

— Nous nous sommes vus si rarementces temps derniers que nous en avonsoublié les convenances.

— Père, il y a quelque chose…

— Je suis désolé, je faisais référence àla déclaration de Dudley Smith auHerald, aujourd’hui. Il a dit que lanouvelle enquête après réouverture secentrait sur le quartier sud, que vousrecherchiez une autre bande de Nègres.

— Non, ce n’est pas de cette façon queça marche.

Preston posa une main sur son épaule.

— Tu as l’air effrayé, Edmund. Tu n’aspas l’allure d’un policier haut gradé, et tun’es pas venu ici pour jouir de la petitefête de fin des travaux.

La main était chaleureuse.

— Père, à l’extérieur du Service, qui avu les vieilles photographies Atherton ?

— À moi de dire « Quoi » à mon tour.Tu veux parler des photographies dudossier ? Celles que je t’ai montrées,ainsi qu’à Thomas, il y a des années ?

— Oui.

— Fils, de quoi parles-tu ? Cesphotographies sont des preuves du LAPD,sous scellés, elles n’ont jamais étédiffusées, ni dans la presse, ni dans le

public. Et maintenant, dis-moi…

— Père, le Hibou de Nuit se rattacheaccessoirement à plusieurs autres crimesmajeurs, et les bandes nègres n’ont rien àvoir là-dedans. L’un d’eux est…

— Alors justifie de tes preuves ainsique je te l’ai appris. J’ai eu des affairescomme…

— Personne n’a jamais eu une affairecomme celle-ci, je suis meilleurenquêteur que tu ne l’as jamais été, etjamais je n’ai eu une affaire commecelle-là.

Preston pressa de ses deux mains. Edsentit ses épaules s’engourdir.

— Je suis désolé pour tout ça, mais

c’est vrai, et j’ai un homicide avecmutilation vieux de cinq ans rattaché auHibou de Nuit qui le dit. La victime a étédécoupée de manière identique auxvictimes de Loren Atherton, et demanière identique à des photographiespornographiques retouchées en relief, àl’encre rouge, et liées accessoirement auHibou de Nuit. Ce qui signifie deuxchoses : soit que quelqu’un a vu lesphotos Atherton et est parti de là, soit quetu as eu le mauvais suspect en 34.

L’homme ne cilla même pas.

— Loren Atherton était coupable, au-delà de toute controverse, avecvérification par témoins oculaires etaveux. Toi et Thomas avez vu ses

photographies, et je doute trèssérieusement que ces photographies aientjamais quitté la prison de la Criminelledu centre ville. À moins que tu ne fassesl’hypothèse d’un policier assassin, ce queje trouve absurde, alors, la seuleexplication, c’est qu’Atherton a montréles photographies à une ou plusieurspersonnes avant son arrestation. Toi, tun’as pas eu les bonshommes qu’il fallaitdans ton affaire de gloire – je n’ai pascommis cette erreur. Réfléchis avantd’élever la voix contre ton père.

Ed recula – ses jambes frôlèrent lamaquette, arrachant un morceaud’autoroute.

— Accepte mes excuses, et je devrais

te demander conseil au lieu d’être encompétition avec toi. Père, y a-t-il quoique ce soit de l’affaire Atherton dont tune m’aies pas parlé ?

— Excuses acceptées, et non, il n’y arien. Toi, Art et moi, nous avons reprisl’affaire de façon permanente pendantnotre période de séminaires, et je peuxespérer que tu la connaisses aussi bienque moi.

— Atherton avait-il le moindrecomplice ?

Preston secoua la tête.

— Non, et j’insiste sur ce point. C’étaitl’exemple même du psychotique solitaire.

Une profonde inspiration.

— Je veux parler à Ray Dieterling.

— Pourquoi ? Parce que l’un de sesenfants vedettes a été tué par Atherton ?

— Non. Parce qu’un témoin a identifiéDieterling comme RC d’un criminel, liéaccessoirement au Hibou de Nuit.

— Il y a combien de temps de ça ?

— Une trentaine d’années.

— Le nom de cette personne ?

— Pierce Patchett.

Preston haussa les épaules.

— Je n’ai jamais entendu parler de luiet je ne veux pas que tu ailles embêterRaymond. Non, et j’insiste sur ce point,une relation vieille de trente ans ne

justifie pas qu’on aille embêter un hommede la stature de Ray Dieterling. C’est moiqui poserai la question à Ray à son sujetet je te ferai mon rapport. Cela suffira-t-il?

Ed regarda la maquette. Commehypnotisé : L.A. grandie, énorme,contenue par Exley Constructions. Lesmains de son père, qui se faisaient doucesmaintenant : — Fils, tu es arrivé très loinet tu as gagné mon respect à tous égards.Tu as dérouillé à cause d’Inez et de ceshommes que tu as tués, et je pense que tune te laisses pas abattre, en faisant preuvede beaucoup de courage. Pour l’instant,cependant, je veux que tu réfléchisses àceci. L’affaire du Hibou de Nuit t’aconduit au poste qui est le tien

aujourd’hui, et une résolution rapide del’affaire après sa réouverture te garderaton poste. Les enquêtes sur des homicidesaccessoires, malgré le désir irrésistiblequi t’y porte, pourraient gravement tedistraire de ton objectif premier, et enconséquence détruire ta carrière. S’il teplaît, souviens-toi de cela.

Ed serra les mains de son père.

— Absolue justice. Tu te souviens decela ?

55

Les lieux des deux crimes sous scellés– l’atelier d’imprimerie, la piaule d’àcôté. Un homme du shérif de Marin – ungros mec du nom de Hatcher et un mec dulabo qui parlait non-stop.

Lieu du crime n°1 : l’arrière-salle del’imprimerie Rapid Bob. Bud gardaitDudley dans sa ligne de mire non-stop,avec retours en arrière sur le baratin queDud lui avait servi :

— Nous pensions que tu allais le tuer,alors nous t’avons arrêté. Je suis désolési nous nous sommes conduits de manièrefâcheuse, mais tu ne nous as pas laissé

une seconde de répit. Hinton est enrelation avec des gens très dangereux, etje m’expliquerai sur ce point en tempsutile.

Il n’avait pas insisté. Dud pourrait bienavoir des trucs sur lui.

Lynn en préventive.

La gifle qu’avait reçue Exley en pleinefigure.

L’homme du labo indiquait desclasseurs aux étagères vidées au sol.

— … Okay, le devant de la boutiqueavait l’air au poil ; alors notre client nes’en est pas trop soucié. Nous avonsretrouvé des mégots de cigarette ici, deuxmarques différentes, alors admettons que

les Englekling travaillaient tard.Admettons que notre client ait forcé laserrure de la porte de devant avant des’avancer sur la pointe des pieds et decoincer les deux frangins. Empreintes degant sur les jambages de la porte decommunication, alors ça confirme. Ilentre, il oblige nos deux gars à ouvrir lesclasseurs que je vous ai montrés, il netrouve pas ce qu’il veut. Il se met à fairela gueule et vire les étagères par terre ;des empreintes de gant sur la quatrièmeétagère du haut indiquent un droitier detaille moyenne. Les frères ouvrent lesboîtes qu’on a renversées – nous avonstout un tas d’empreintes brouillées quiindiquent que Pete et Bax étaient déjà unpeu paniqués à ce moment-là. Ainsi, notre

client n’a de toute évidence pas trouvé cequ’il voulait, et il a fait traverser l’allée ànos deux gars jusqu’à leur appartement.Messieurs, suivez-moi.

Sortie par la porte, une allée àtraverser. Le mec du labo portait unetorche. Bud resta en arrière.

Fier comme Artaban de sa Lynn –convaincu qu’elle était capable de battrele sérum de vérité rien qu’avec sacervelle.

Dud avait probablement ses pistes à luigrâce à ses propres taupes – mais ilcontinuait à parler des négros.

— Remarquez la terre sur l’allée, ditl’homme du labo. Le matin de la

découverte des corps, notre équipe detechs a découvert et photographié troisséries d’empreintes de pas trop peuprofondes pour qu’on puisse en faire desmoulages. Deux séries marchant devantune série unique, ce qui indique qu’ilsavançaient sous la menace d’une arme.

Direction les bungalows, avec cour àvoiture. Dudley muet comme une carpe –dans l’avion, il avait à peine parlé.

Est-ce que la Rumeur ferait mouche ?

Jouer le coup du macchab sous lamaison contre Exley. COMMENT ?

Adhésif sur la porte – Hatcher ledécolla. L’homme du labo ouvrit avec unpasse. De la lumière à l’intérieur – Bud

s’y faufila en premier.

Un vrai carnage – avec toutes lesmarques du passage du labo.

Taches de sang sur le sol moquetté –marquées à l’adhésif. Tubes de verre parterre – entourés, ensachés de plastiquetransparent. Éparpillés : négatifs photo –par douzaines -zones craquelées, brûlées.Chaises retournées, une commoderenversée, un canapé déchiré crachant soncapitonnage. Enfoncé dans la déchirure laplus importante : un sachet plastiqueétiqueté «héroïne».

Le mec du labo reprit son topo :

— Ces tubes contiennent des produitschimiques que nous avons identifiés

comme étant des droguesantipsychotiques. Les négatifs étaientpour la plupart trop tachés et trop flouspour être identifiés, mais nous avons puvoir que c’était pour la plupart desphotographies pornographiques. Lesclichés étaient presque tous brûlés pardes produits chimiques pris dans leréfrigérateur de la cuisine ; nos deux garspossédaient un vrai trésor en solutionscorrosives. Ici je ferai une hypothèse :Peter et Baxter Englekling ont été torturésavant d’être abattus par balles – ça, nousle savons. Je pense que le tueur leur amontré chaque négatif individuellement etleur a posé des questions, avant de lesbrûler – ainsi que les clichés. Quecherchait-il ? Je ne sais pas, peut-être

qu’il voulait identifier les figurants de laphoto. Nous avons retrouvé une loupesous le canapé, alors je pencherai pourcette théorie-là. Remarquez aussi lesachet plastique marqué «héroïne» quiressort du canapé, et dont le contenu a,bien sûr, été mis sous clé. Quatre sachetsau total dans une petite cachette bientranquille. Le tueur a laissé derrière luiune petite fortune en came facile àrevendre.

Direction la cuisine, encore pluschaotique, frigo ouvert – dégorgeant detubes, de bouteilles marquées desymboles chimiques. En tas près del’évier : quelque chose qui ressemblait àdes plaques de presse à imprimer.

Le tech montra le foutoir du doigt :

— Une autre hypothèse, messieurs.Dans mon rapport sur les lieux du crime,vous noterez que j’ai établi une liste depas moins de vingt-six substanceschimiques différentes trouvées sur leslieux. Le tueur a torturé Pete et BaxEnglekling avec des produits chimiques,et il savait quel produit chimique étaitsusceptible de corroder la peau. Jequalifierais cette méthode de torture uneoccasion du moment, aussi je parieraisque notre homme a un passé d’ingénieur,de médecin ou de chimiste. Et maintenant,la chambre à coucher.

Bud songea : PATCHETT.

Retour à la chambre, gouttelettes de

sang au sol sur le trajet. Une petite pièce,un abattoir de 3,5 m sur 3,5 m.

Les silhouettes délimitées de deuxcorps – une sur le lit, une sur le sol ; dusang séché à l’intérieur des deuxcontours. Une corde à linge étendueautour des pieds du lit, d’autres zonestendues de corde au sol ; des cerclesmarqués à l’adhésif sur les draps, le sol,une table de nuit. Un impact de ballecerclé sur un mur ; affichage d’indices surun tableau de liège : de nouveaux négatifsbrûlés.

Monsieur Labo :

— Rien que des empreintes de gant etles empreintes des Englekling sur lesnégatifs, nous les avons tous passés à la

poudre avant de replacer la plupartd’entre eux à leurs endroits d’origine.Ceux qui sont affichés ont été trouvés ici,dans la chambre, et c’est ici, comme vousle voyez, que la séance de tortures et lesmeurtres ont eu lieu. Maintenant, cespetits cercles, sur le lit et ailleurs,indiquent les sections d’épiderme dutorse, des bras et des jambes des frèresEnglekling que l’on a brûlées ; et si vousregardez le sol de près, vous pourrez voirdes parcelles de moquette brûlée là oùsont tombées des gouttelettes de produitscorrosifs. Les deux hommes ont étéabattus chacun par deux balles tirées d’unrevolver de calibre 38 équipé d’unsilencieux. Des filaments bizarres qu’on arécupérés sur les balles indiquent un

silencieux et expliquent pourquoi on n’aentendu aucun des coups de feu. L’impactde balle, sur le mur, est notre seule pisteréelle, et il est facile de reconstituer cequi s’est passé. Bax Englekling s’estlibéré de ses liens, s’est emparé del’arme et a tiré, blessant le tueur avantque celui-ci récupère l’arme et l’abatte.La balle que nous avons sortie du murportait, collés sur elle, des lambeaux dechair et des poils de bras gris appartenantà un Blanc, ainsi que du sang du groupeO+. Les deux Englekling étaient AB, noussavons donc que le tueur a été touché. Lesgouttes de sang qui conduisent au salon, etles négatifs qu’il a emportés pour lesétudier indiquent que la blessure n’étaitpas grave. L’équipe du lieutenant Hatcher

a trouvé une serviette trempée de sang O+dans un égout de la rue ; c’est ce qui lui aservi de garrot. Ma dernière hypothèseest que ce salopard bandait vraiment durpour ces négatifs.

Hatcher prit la parole.

— Et nous n’avons rien. Nous avonsquadrillé deux douzaines de fois, nousn’avons pas trouvé de témoin oculaire, etces satanés frangins n’avaient pas uneseule RC sur laquelle nous ayons pumettre la main. Nous avons fait lesbureaux de docteurs, les urgences, lesgares, les aéroports et les gares routièrespour savoir si l’homme blessé avait étérepéré et nous n’avons rien trouvé. Si lesfrères avaient un carnet d’adresses, il a

été volé. Personne n’a rien vu ni rienentendu. Comme le dit mon copain-la-science, notre mec devait vraiment triquercomme un malade pour ces négatifs, quipourraient bien – et j’insiste sur le«pourraient» – avoir quelque chose à voiravec le fait que nos victimes s’étaientprésentées d’elles-mêmes dans l’affairedu Hibou de Nuit qui vous occupait il y ades années de ça. Ils avaient bien unethéorie sur des livres cochons à l’époque,exact ?

— En effet, dit Dudley, mais leurthéorie était sans fondement.

— Et les journaux de L.A. ont dit quevous veniez de rouvrir l’affaire ?

— Oui, c’est tout à fait exact.

— Capitaine, je regrette que nousn’ayons pas décidé de coopérer avecvous plus tôt, mais laissons ça de côté.Avez-vous quelque chose à m’offrir survos nouvelles ouvertures dans cetteaffaire, quelque chose que je puisseutiliser ?

Dudley sourit.

— Le chef Parker m’a autorisé à meprocurer une copie du dossier de votreaffaire afin de la consulter. Il a dit que sije trouvais des preuves qui révèlent unlien avec nos homicides, il voustransmettra une transcription dutémoignage de 1953 des frèresEnglekling.

— Dont vous dites qu’il se rapporte à

la pornographie, ce qui est aussi, nomd’un chien, le cas pour notre affaire.

Dudley alluma une cigarette.

— Oui, si elle ne se rapporte pas aumoins autant à l’héroïne.

Hatcher renâcla.

— Capitaine, si notre client était aussiremonté que ça sur la blanche, il auraitvolé le morceau qu’on avait planqué dansle canapé.

— C’est vrai, ou alors notre tueur étaitsimplement un psychopathe l’écume auxlèvres qui a eu une réaction depsychopathe devant les négatifs, pour desraisons insondables qui lui sontparticulières. Franchement, le côté

héroïne de l’affaire m’intéresse. Avez-vous la preuve effective que les deuxfrères la revendaient ou la fabriquaient ?

Hatcher secoua la tète.

— Je n’en ai aucune, et pour ce quiconcerne notre affaire, je ne pense pasque ça colle. Avez-vous eu quelque chosesur la pornographie depuis la réouverturede l’enquête ?

— Non, pas pour l’instant. Unenouvelle fois, lorsque j’aurai lu votredossier, je reprendrai contact.

Hatcher – prêt à exploser :

— Capitaine, vous avez fait tout cechemin pour vos preuves, et vous n’avezrien à m’offrir en échange ?

— Je suis venu ici à la demandeexpresse du chef Parker, qui vous certifieune coopération pleine et entière au casoù votre affaire exigerait un échange debons procédés.

— Belles paroles, sahib, mais que jen’aime pas entendre !

Ça devenait méchant. Dudley nebroncha pas, affichant toujours un grandsourire de commande. Bud sortit etavança jusqu’au bord du ruisseau, où il secolla sans broncher contre leur voiture delocation.

La trouille au ventre, prêt à passer àl’ATTAQUE.

Dudley sortit ; Hatcher et l’homme dulabo verrouillèrent l’atelier

d’imprimerie.

— Je ne vous suis plus du tout, cestemps derniers, patron, dit Bud.

— Et depuis quand, mon gars ?

— Commençons par la nuit dernièreavec Hinton.

Dudley éclata de rire.

— La nuit dernière, tu t’es retrouvébien cruel, comme par le bon vieuxtemps. Cela m’a réchauffé le cœur etconvaincu que le travail hors enquête queje t’ai prévu reste dans tes possibilités.

— Quel travail ?

— En temps et en heure.

— Qu’est-il arrivé à Hinton ?

— Nous l’avons libéré après un justechâtiment, et terrifié par le sergentWendell White.

— Ouais, mais pourquoi le passiez-vous sur le gril ?

— Mon gars, tu as tes petits secretshors enquête, j’ai les miens. Noustiendrons bientôt une séance pourclarifier les choses.

À L’ATTAQUE.

— Non. Je veux simplement savoir oùnous en sommes l’un et l’autre sur leHibou de Nuit. Maintenant. Tout de suite.

— Edmund Exley, mon gars. C’est làque nous en sommes, l’un et l’autre.

— Quoi ? – mort de trouille, de la tête

aux pieds.

— Edmund Jennings Exley – Il est taraison d’être depuis le Noël Sanglant, etc’est lui la raison pour laquelle tu ne medis pas certaines choses. Je t’aime, aussije respecte tes omissions. Alors offre-moiton amour en retour et respecte monmanque de clarté pour les douze jours àvenir, et tu le verras détruit.

— Qu’allez-vous – une petite voix demôme.

— Tu ne lui as jamais reconnu aucuncrédit, alors je vais te mettre les pointssur les I. En tant qu’homme, il est moinsque négligeable, mais en tantqu’enquêteur, il me dépasse, même moi,et de beaucoup. Voilà. Que Dieu et toi-

même soyez témoins de mon éloge d’unhomme que je méprise. Et maintenant,accepteras-tu mes omissions – comme jerespecte les tiennes ?

Finie, dépassée, l’ATTAQUE.

— Non. Contentez-vous de me dire,bordel de merde, ce que vous voulez queje fasse ! Expliquez-moi, tout simplement.

Dudley éclata de rire, sourit.

— Ne fais rien pour le moment, écoute,c’est tout. J’ai découvert que Thad Greenva partir pour prendre en charge la policedes frontières à la fin de ce printemps.Notre nouveau chef des inspecteurs seraou Edmund Exley ou moi-même. Sonnouveau poste de contrôleur-inspecteur

plein d’avenir permet à Exley de garderla corde dans la course, et c’est le favoride Parker en personne. J’envisaged’utiliser certains aspects des preuvesque nous avons mutuellement gardéespar-devers les autres afin de résoudre leHibou de Nuit, une fois la frénésie passée; cela fera de moi le nouvel homme detête, et je profiterai de l’occasion pourruiner Exley. Mon gars, supporte-moipatiemment encore quelques jours et je tegarantis ta propre vengeance personnelle.

Les marchés avec Exley et Dudley,contre Exley.

Sans conteste.

Finie, dépassée l’ATTAQUE : les miettesqu’il avait crachées à Exley, la promesse

d’Exley – le boulot de liaison, lesracoleuses trucidées.

— Patron, est-ce qu’il y a une carottepour moi dans l’histoire ?

— Mise à part la chute de notre ami ?

— Ouais.

— Et en échange de révélationsintégrales ? Bien au-delà de ce que tu asoffert à Exley comme ta part de l’accordpour devenir enquêteur de terrain ?

Pute vierge, tout ce que savait cethomme !

— Exact.

Ho ho ho.

— Mon gars, tu es dur en affaires, mais

est-ce que les renseignements spéciaux duchef des inspecteurs te suffiront ? Disons,un droit de regard sur les 187 PC,juridictions variées ?

Bud tendit la main.

— Affaire conclue.

— Reste loin d’Exley et offre-toi unesuperbe chambre toute propre au Victory– je passerai te rendre visite dans un jourou deux.

— Prenez la voiture, j’ai une affaire àrégler à Frisco d’abord.

Il claqua quarante sacs pour un taxi,franchit le Golden Gate, allure decroisière, bien chargé en adrénaline.Double jeu : un mauvais marché pour

survivre, puis un marché gagnant pour lavictoire – de la dernière à la premièredivision. Exley avait des gens en placequi le tuyautaient de l’intérieur, et le tristeJack Poubelle ; Dudley avait despouvoirs en place qui frisaient ladémence. Volte-face : il avait menti àDudley pour réduire Exley en cendres.Cinq ans plus tard, l’homme vient se fairerégler l’addition : oubliés les mensonges,deux flics, une seule torche pour lagrande crame. San Francisco brillant detoutes ses lumières dans le lointain, et lavoix de Dudley Smith : « EdmundJennings Exley ». Des frissons plein lapeau rien qu’à prononcer le nom.

Pont franchi, arrêt à la cabinetéléphonique. Appel à longue distance : le

numéro de Lynn, dix sonneries, pas deréponse. 9 h 10 du soir, un coup de tracsir– elle aurait dû être revenue du bureauavant la tombée de la nuit.

La ville à traverser avant de se fairedéposer : services de police de SanFrancisco, QG de la division desInspecteurs. Bud épingla sa plaque etentra.

Criminelle – troisième étage – desflèches peintes sur le mur indiquaient lechemin. Des marchent qui craquent, uneénorme baie vitrée pour la salle debrigade. Calme des postes de nuit : deuxhommes près de la cafetière.

Ils s’approchèrent. Le plus jeuneindiqua sa plaque.

— L.A. hein ? Ch’peux vous aider ?

Bud sortit ses papiers d’identité.

— Vous avez un vieux 187, tout pareilà ce qu’un pote à moi du shérif de L.A. aeu. Il m’a demandé de venir consultervotre dossier de l’affaire.

— Bon, le capitaine n’est pas ici pourl’instant. Peut-être que vous devriezessayer au matin.

Le plus vieux des deux inspecta sespapiers d’identité.

— C’est vous le mec que ça travaillequand c’est des tapins qui trinquent. Lecapitaine a dit que vous arrêtiez pas devenir et que vous étiez un enquiquineur depremière. Qu’est-ce qui se passe, z’en

avez une nouvelle ?

— Ouais, Lynette Ellen Kendrick,comté de L.A., la semaine dernière.Allez, dix minutes sur le dossier et vousne m’aurez plus dans les pieds.

Le jeune mec :

— Hé, vous pigez pas, ou quoi ? S’ilvoulait que vous voyiez le dossier, lecapitaine y vous aurait envoyé uneinvitation.

Le vieux :

— Le capitaine, c’est un nullard. Quelest le nom de votre victime, et sa DDD ?

— Chrissie Virginia Renfro, 16 juillet56.

— Très bien, je vais vous dire cequ’on va faire. Vous allez dans la salled’archives, après le coin, vous voustrouvez le classeur des non-résolus de 56,et vous cherchez les R. Vous ne sortezrien d’ici, et vous vous tirez des pattesavant que Junior ici présent ne se prenneune migraine. Pigé ?

— Pigé.

Photographies d’autopsie : orificesdéchirés, gros plans du visage – de labouillie, plus vraiment un visage, desfragments de bagues enchâssés dans lespommettes. Clichés au grand angle : lecorps, découvert dans la piaule deChrissie – une turne en face de l’hôtel St-Francis.

Rapports d’interrogatoires de pervers– rafle des vicelards du coin, question-réponse, relâchés pour manque depreuves. Baiseurs au pied, barbeauxsadiques ; le mac de Chrissie en personne– en tôle à la prison ville de Friscopendant que Chrissie se faisait descendre.Renifleurs de culottes, violeurs, michésréguliers de Chrissie – tous avec un alibijusqu’aux oreilles, pas de recoupementsavec des noms vus dans les autresdossiers qu’il avait lus.

Rapports de quadrillage : péquenots ducru, clients du St-Francis. Six paumésavec casier, un vrai carton.

16/7/56 : un chasseur du St-Francisdéclare aux inspecteurs avoir assisté au

dernier spectacle de Spade Cooley dansla salle du Lasso de l’hôtel, avant de voirChrissie Virginia Renfro, vacillante – «peut-être camée » – qui rentrait dans sonimmeuble.

Ça accroche – Bud s’assit, immobile,et tournent les méninges.

Prends Lynette Ellen Kendrick, DDD lasemaine dernière, comté de L.A. Prendsune balance qui n’a rien à voir là-dedans– Lamar Hinton, en train de cafter tout cequi bouge. Accroche : Dwight Gilette –ex-barbeau de Kathy Janeway – quifournissait des putes pour les soirées deSpade Cooley. Spade était fumeurd’opium, un «dégénéré de camé». Spadeétait à L.A., il jouait à l’El Rancho Klub

sur le Strip – à deux kilomètres de lapiaule de Lynette Kendrick.

Premier sac de nœuds : Spade nepouvait pas avoir de casier, impossiblede vérifier son groupe sanguin – il faisaitpartie des «volontaires de police» dushérif Biscailuz – un truc de relationspubliques : impossible d’être membreavec une feuille jaune.

Continue à t’accrocher, vérifie lerapport du légiste, «Contenu du systèmesanguin». Page 2, un vrai boulot – «nourriture en cours de digestion, sperme,une quantité importante d’opiumnarcotique dispersée dans la nourriture,présence confirmée par résidusgoudronneux dans les dents».

Bud lança les bras au ciel – comme s’ilpouvait franchir les limites du toit pourfaire descendre la lune. Il cogna leplafond, et revint sur terre, plongé dansses réflexions – ce n’était pas un boulot àjouer en solo ; il se planquait loind’Exley, et Dudley s’en fichait toutsimplement. Il vit un téléphone, sauta auplafond et redescendit avec le nom d’unpartenaire.

Ellis Loew – les meurtres sexuels lefaisaient baver.

Il agrippa le téléphone.

56

Hilda Lefferts tapota un cliché del’identité.

— Là, c’est lui, le galant de SusanNancy. Vous voulez bien me ramener à lamaison maintenant ?

Le gros lot – genre dur à cuirerondelet, véritable sosie de DukeCathcart. Dean PDP Van Gelder, BM,DDN 4/3/21 – 1 m 71 – 78 kg, yeuxbleus, cheveux bruns. Un séjour au troupour vol à main armée – juin 42 – dix àvingt ans, libéré de Folsom en juin 52,minimum de la peine accompli jusqu’aubout – pas de conditionnelle. Pas d’autre

arrestation – à porter au crédit de lathéorie de Bud White – Van Gelder avaiteu son compte au Hibou de Nuit.

— C’est ça, Dean, dit Hilda. SusanNancy l’appelait «Dean», mais il a dit : «Non, habitue-toi à m’appeler Duke. »

— Vous êtes sûre ? dit Jack.

— Oui. Je suis sûre. Après six heurespassées à regarder ces photographiesabominables, vous me demandez si jesuis sûre ? Si j’avais voulu mentir,j’aurais indiqué quelqu’un d’autre il y ades heures. S’il vous plaît, monsieurl’agent. D’abord vous retrouvez uncadavre sous ma maison, ensuite vous mesoumettez à cette séance de photos.Voulez-vous, s’il vous plaît, me ramener

chez moi maintenant ?

Jack secoua la tête en signe de refus.Creuse-toi la cervelle : qui ? De VanGelder à Cathcart et au Hibou de Nuit.Une hypothèse, une vraie cavalerie, avaitun sens – des frères Englekling jusqu’àCathcart, avec un petit frôlement du côtéde Mickey Cohen – au trou à l’époque, en53. Il décrocha le téléphone, composa le0.

— Standard.

— Standard, c’est une urgence, affairede police. J’ai besoin d’être mis encommunication avec un responsableadministratif du pénitencier de McNeil,Puget Sound, Washington.

— Je vois. Votre nom ?

— Sergent Vincennes. Services depolice de Los Angeles. Dites-leur quej’enquête sur un homicide.

— Je vois. Les lignes jusqu’à l’Etat deWashington sont…

— Merde. Je suis à Madison 60042 –Voulez-vous…

— J’essaie de passer votre appel toutde suite, monsieur.

Jack raccrocha. Quarante secondes àl’horloge du mur…

— Dring, dring.

— Vincennes.

— Gardien-chef adjoint Cahill, à

McNeil. Ça concerne un homicide ?

Hilda Lefferts faisait la moue – Jackdétourna la tête.

— Ouais, et je n’ai besoin que d’uneseule réponse. Vous avez un crayon ?

— Bien sûr.

— Okay. J’ai besoin de savoir si unBlanc, sexe masculin, du nom de DeanVan Gelder, deux mots séparés pour lenom de famille, a rendu visite à unprisonnier de McNeil, disons, entrefévrier et avril 1953. Tout ce dont j’aibesoin, c’est un oui ou un non, et les nomsdes prisonniers auxquels il a rendu visite.

Soupir.

— Très bien. Ne quittez pas. Ça peut

prendre un moment.

Jack ne quitta pas, décomptant lesminutes – Cahill revint en ligne douzebonnes minutes plus tard.

— Réponse positive. Dean Van Gelder,DDN 4/3/21, a rendu visite au prisonnierDavid Goldman à trois occasions :27/3/53, 1/4/53 et 3/4/53. Goldman étaità McNeil pour fraude fiscale. Peut-êtreavez-vous entendu…

Rajoute Davey G. dans la série –l’homme de Mickey Cohen. Rajoutes-y ladernière visite de Van Gelder – deuxsemaines avant le Hibou de Nuit. Enmême temps, les frères Engleklingvenaient faire de la lèche à Mickey – lerencart où ils avaient craché le morceau

sur le plan porno. L’homme de la prisoncontinuait à jacasser – Jack lui raccrochaau nez. L’affaire du Hibou de Nuitcommençait à être ébranlée.

57

Ed raccompagna Lynn Bracken chezelle, dernière tentative avant de faireprocéder à son arrestation. Elle avaitprotesté, avant d’accepter : sa journée desérum de vérité, d’antidote etd’intimidation l’avait marquée – elleavait l’air rétamé, épuisé. Disons qu’elleétait intelligente, forte, et à l’épreuve desproduits chimiques ; elle n’avait rienlâché, rien que des miettes sur PiercePatchett – quel qu’ait été le moyen qu’elleavait utilisé. Patchett savait qu’il nepouvait passer pour un blanc-bleu, mêmeaprès avoir été blanchi ; Lynn avait refilésa petite histoire de call-girls – et

Patchett devait avoir des avocats toutprêts, au cas où les miettes conduiraient àdes inculpations. Le jour numéro un de laréouverture était une pure folie : DudleySmith remonté à Gaitsville pendant queses flics sans loi secouaient Nègreville ;Vincennes et son cadavre sous la maison,et sa toute récente trouvaille sur Dean VanGelder – visiteur de Davey Goldman àMcNeil avant le Hibou de Nuit. BudWhite en cavale, avant la découverte destuyaux refilés à la Rumeur – il avait étéstupide de lui accorder une seconde deconfiance. Tout ça, il était capable del’encaisser : il était enquêteurprofessionnel et il avait l’habitude duchaos.

Mais l’affaire Atherton, et son père qui

se mettait dans le circuit, c’était une autrepaire de manches. Il se sentait maintenantsuspendu, un instinct tout simple leguidait et le poussait : le Hibou de Nuitavait une vie autonome au-delà du vouloirde n’importe quel enquêteur – et commela volonté de faire connaître son horreurau monde ; que lui, Ed Exley, soit là ounon à fouiller en quête de preuves, qu’ilsoit capable de mettre ses plans sur piedou qu’il se contente de s’accrocher pourassister en simple spectateur.

Il avait un plan pour s’attaquer àBracken et Patchett.

Lynn envoyait des ronds de fumée parla fenêtre.

— Encore deux blocs et vous tournez à

gauche. Vous pouvez vous arrêter là, jesuis juste près du coin.

Ed freina un peu court.

— Une dernière question. Au bureau,vous avez sous-entendu que vous saviezque Patchett et Sid Hudgens envisageaientde mettre sur pied un racket d’extorsion.

— Je ne me souviens pas d’avoirsouscrit à cette déclaration.

— Vous ne l’avez pas dénoncée.

— J’étais fatiguée et j’en avais assez.

— Vous avez souscrit à cetteaffirmation, de manière implicite. Et c’estdans la déposition de Jack Vincennes.

— Alors peut-être que Vincennes a

menti sur ce point. Il a été une véritablecélébrité. Ne voyez-vous pas égalementce qu’il y a de théâtral en lui ; unvéritable acteur qui se mettrait lui-mêmeen scène ?

Une ouverture.

— Si.

— Et pensez-vous que vous puissiezlui faire confiance ?

Dégoulinant de contrariété feinte.

— Je ne sais pas. C’est lui, mon pointfaible.

— Nous y voilà. M. Exley, allez-vousm’arrêter ?

— Je commence à croire que cela ne

servirait à rien. Qu’a ajouté Whitelorsqu’il vous a dit de vous présenterpour interrogatoire ?

— Uniquement de me mettre à table.Lui avez-vous montré la déposition deVincennes ?

La vérité – pour qu’elle soitreconnaissante.

— Non.

— J’en suis heureuse, car je suis sûrequ’elle est pleine de mensonges.Pourquoi ne la lui avez-vous pas montrée?

— Parce que c’est un enquêteur auxcapacités limitées, et moins il en sait,mieux c’est. Il est aussi le protégé d’un

policier rival, lequel est égalementchargé de l’affaire, et je ne voulais pasvoir White lui retransmettre desrenseignements.

— Voulez-vous parler de Dudley Smith?

— Oui. Vous le connaissez ?

— Non, mais Bud parle de lui souvent.Je pense qu’il a peur de lui, ce quisignifie que Dudley doit être un sacrébonhomme.

— Dudley est brillant et pervertijusqu’à la moelle, mais je suis meilleurque lui. Écoutez, il est tard.

— Puis-je vous offrir un verre ?

— Pourquoi ? Vous m’avez craché à la

figure, aujourd’hui.

— Eh bien, étant donné lescirconstances.

Le sourire qu’elle lui adressait luirendit son sourire facile.

— Étant donné les circonstances, unverre.

Lynn sortit de la voiture. Ed l’observaqui se déplaçait : hauts talons et unejournée de merde – elle avait les piedsqui ne touchaient plus terre. Elle leconduisit jusqu’à son immeuble,déverrouilla la porte du rez-de-chausséeet alluma la lumière.

Ed entra. Exquis – les tissus, lesœuvres d’art. Lynn se débarrassa de ses

chaussures en marchant et servit descognacs ; Ed s’installa sur un canapé – enpur velours.

Lynn vint le rejoindre. Ed prit sonverre, avala une gorgée. Lynn mit sesmains en coupe autour de son verre.

— Savez-vous pourquoi je vous aiinvité à venir chez moi ?

— Vous êtes trop intelligente pourtenter de passer un marché à l’arraché,alors je dirai que vous êtes toutsimplement curieuse à mon sujet.

— Bud vous hait plus qu’il ne m’aime,moi ou qui que ce soit d’autre. Jecommence à voir pourquoi.

— Je ne désire pas vraiment avoir

votre opinion.

— Ce n’était pas pour amener uncompliment.

— Une autre fois, d’accord ?

— Je changerai de sujet en ce cas.Comment Inez Soto prend-elle toute cettepublicité ? On ne parle que d’elle dansles journaux.

— Elle le prend assez mal, et je neveux pas parler d’elle.

— Cela vous exaspère que j’en sachetant à votre sujet. Vous n’avez pas lesrenseignements qu’il vous faudrait pourlutter.

Enfoncer le coin plus avant.

— J’ai la déposition de Vincennes.

— Dont je vous soupçonne de douterde la véracité.

Vitesse supérieure, virement de bord.

— Vous avez déclaré que Patchett avaitfinancé quelques films de jeunesse deRaymond Dieterling. Pouvez-vouspréciser votre pensée sur ce point ?

— Pour quelle raison ? Parce quevotre père est associé à Dieterling ? Vousvoyez les inconvénients qu’il y a à être lefils d’un homme célèbre ?

Pas de soupçon, une simple petitetouche, d’une pointe de bistouri.

— Rien qu’une question de policier.

Lynn haussa les épaules.

— Pierce a mentionné ce détail enpassant, il y a plusieurs années.

Le téléphone sonna – Lynn l’ignora.

— Je peux vous dire que vous nevoulez pas parler de Jack Vincennes, ditLynn.

— Je peux vous dire que c’est lecontraire pour vous.

— Je n’ai pas vu grand-chose sur luidans les journaux ces temps derniers.

— C’est parce qu’il a jeté tout ce qu’ilavait dans la cuvette et tiré la chassepardessus. L’Insigne du Courage, sonamitié avec Miller Stanton, tout, en unmot. Le fait que Sid Hudgens se soit fait

assassiner ne l’a pas aidé, puisquel’Indiscret devait la moitié des saletésqu’il publiait aux descentes que faisaitVincennes.

Lynn sirota son cognac.

— Vous n’aimez pas Jack.

— Non, mais il y a une partie de sadéposition que je crois absolument.Patchett a les copies des dossiers privésde Sid Hudgens, y compris une copied’un dossier sur Vincennes en personne.Cela pourra vous être utile, alorsreconnaissez-le.

Si elle mordait, elle commenceraitmaintenant.

— Je ne veux pas le reconnaître, et la

prochaine fois que nous aurons uneentrevue, j’aurai un avocat à mes côtés.Mais je peux vous dire que je croissavoir ce qu’un tel dossier contiendrait.

Premier coin de force en position.

— Et alors ?

— Eh bien, je pense que l’année, c’est1947. Vincennes s’est trouvé impliquédans une fusillade sur la plage. Il étaitsous l’influence de stupéfiants et il a tuédeux innocents, mari et femme. Ma sourcea vérifié et il y a des preuves, jusqu’autémoignage d’un adjoint de l’ambulanceet à une déclaration, authentifiéeofficiellement, du docteur qui a soignéJack pour ses blessures. Ma sourcedispose des résultats d’analyses

sanguines qui montrent la présence dedrogue dans le sang de Jack, et desdépositions de témoins oculaires qui nese sont pas fait connaître. Est-ce que c’estlà des renseignements que vous iriezsupprimer pour protéger un collègue,capitaine ?

Le Malibu Rendez-Vous : l’heure degloire de la Poubelle. Le téléphone sonna– Lynn laissa filer.

— Seigneur Jésus ! dit Ed.

Nul besoin de feindre.

— Oui. Vous savez, quand je lisaisquelque chose sur Vincennes, je me disaistoujours qu’il devait avoir quelque raisontrès obscure pour persécuter les drogués,

aussi n’ai-je pas été surprise quand j’aidécouvert cela. Et, capitaine ? Si Pierceavait effectivement possédé des copies dedossiers, je suis sûre qu’il les auraitdétruites.

Son dernier coup à l’hameçon sonnaitfaux. Ed s’en servit au rebond pour placerun mensonge.

— Je sais que Jack adore la came, il ya des années que le bruit en court aubureau. Et je sais que vous mentez ausujet des dossiers, et je sais queVincennes ferait n’importe quoi pourrécupérer celui qui le concerne. Vous etPatchett ne devriez pas le sous-estimer.

— De la même manière que vous avezsous-estimé Bud White ?

Le sourire de Lynn éclaira son visagecomme une cible – il crut une secondequ’il allait la frapper. Elle rit avant qu’ilpût le faire ; il se pencha et l’embrassa aulieu de la frapper. Lynn, d’abord, serecula, puis lui rendit son baiser ; ilsroulèrent au sol en se dépouillant de leursvêtements. Le téléphone sonna. Ed ledécrocha d’un coup de pied.

Lynn tira Ed en elle ; ils roulèrent, ilsbougèrent, ils firent tomber le mobilier.Ce fut terminé aussi vite que ça a avaitcommencé – il sentait Lynn qui cherchaità atteindre l’orgasme. À quelquessecondes d’intervalle, pas mal, repos. Etpuis son histoire, qu’il étala, entrecoupéede soupirs, comme un fardeau trop lourdà porter.

Jack Vincennes le flic pourri, camé,trop difficile à tenir. Il ferait n’importequoi pour récupérer son dossier, il fallaitqu’il récupère ce dossier. Le capitaineE.J. Exley se devait de l’utiliser pour toutce qu’il savait – mais Vincennes étaitcamé jusqu’aux yeux, bouffé par la gnôle,et il piquait contre lui des coups defolie…

58

Bud arriva à L.A. à l’aube, par le busde minuit au départ de Frisco. Sa ville luiparut étrange, nouvelle – comme toutesles choses de sa vie, maintenant.

Il prit un taxi et somnola ; il ne cessaitde s’éveiller en sursaut au son d’EllisLoew : « On dirait une affaired’importance, mais les homicidesmultiples, c’est délicat, et Spade Cooleyest un personnage bien connu. Je vaismettre une équipe du bureau du procureurlà-dessus. Vous restez en dehors del’enquête pour l’instant. » Lynn enpassant ; ses coups de fil, le téléphone

décroché, contact impossible. Étrange,mais lui ressemblant tout à fait –lorsqu’elle avait envie de dormir, elleavait envie de dormir.

Il n’arrivait pas à croire à toutes leschoses de sa vie, c’était tout simplementtrop étonnant, nom de Dieu !

Le taxi le déposa. Il trouva un mot sursa porte : «Sergent Duane W. Fisk» en en-tête.

Sgt White,

Le capitaine Exley veut vous voirimmédiatement (en rapport avec lemagazine la Rumeur et un cadavre sousune maison). Présentez-vousimmédiatement au rapport aux A.I. à votre

retour à L.A.

Bud éclata de rire, emballa quelquesaffaires dans un sac : des vêtements, sesdossiers planqués – les assassinats detapineuses, le Hibou de Nuit – il suffisaità Dudley de demander. Il balança le motdans les toilettes et pissa dessus.

Il roula jusqu’à Gardena, et s’installaau Victory : une chambre aux drapspropres, une plaque chauffante, pas detaches de sang sur les murs. Aux chiottes,le sommeil – il se prépara du café, et autravail.

Tout ce qu’il savait de Spade Cooley –une demi-page toute rédigée.

Cooley était un bouseux de

l’Oklahoma, violoneux/chanteur, un mecsec comme une trique, la quarantaineavancée. Il avait eu deux disques àsuccès, son spectacle télé avait, pendantun moment, très bien marché. Songuitariste bassiste, Burt Arthur Perkins,alias «Deuce», avait fait un séjour aupénitencier pour sodomie sur des chiens,et on disait de lui qu’il avait une chiée deRC chez les truands.

Sur l’enquête proprement dite :

Lamar Hinton avait dit que Spadefumait l’opium. Spade avait joué àFrisco, dans les salons du Lasso – justeen face de l’endroit où Chrissie Renfroavait trouvé la mort. Chrissie était morteavec de l’opium dans le sang. Spade

jouait actuellement à l’El Rancho Klub deL.A., près de l’appartement de LynetteEllen Kendrick. Lamar Hinton avait ditque Dwight Gilette – l’ancien barbeau deKathy Janeway – fournissait en putainsles soirées de Cooley.

Tout en preuves indirectes – mais ça seresserrait.

Un téléphone scellé au mur – Budl’attrapa et appela le bureau du coronerdu comté.

— Analyses médicales, Jensen.

— Sergent White pour le docteurHarris. Je sais qu’il est occupé, maisdites-lui que ce n’est qu’une petite chose.

— Ne quittez pas, s’il vous plaît, clic,

clic, clic : — Sergent, qu’est-ce quec’est, cette fois ?

— Un détail, dans votre rapportd’autopsie.

— Vous n’êtes même pas policier ducomté.

— Contenu stomacal et analysesanguine de Lynette Kendrick. Allez, hein?

— C’est facile, parce que Kendrick aremporté la palme du meilleur estomac lasemaine dernière. Vous êtes prêt ?Sperme, saucisses de Francfort avecchoucroute, frites, Coca-Cola et opium.Seigneur Jésus, quel dernier repas !

Bud raccrocha. Ellis Loew lui avait dit

de rester en dehors. Kathy Janeway luiavait dit : « VAS-Y ! »

Il roula jusqu’au Strip, et fit coller leMO.

D’abord, l’El Rancho Klub, fermé ;SPADE COOLEY ET SON GROUPE COW-BOYRYTHMIQUE, SUR SCÈNE, TOUS LES SOIRS.Photo publicitaire près de la porte :Spade, Deuce Perkins, trois autres mecs,genre péquenot sudiste ; pas de doigtslourdement bagués. Un tampon au bas ducliché : «Représentés par Nat PenzlerAssociés, 653 Nord La Cienega, LosAngeles».

De l’autre côté de la rue : la Hutte àHot-Dogs, au menu, hot-dogs, choucrouteet frites. Descente du Strip, côté Crescent

Heights, lieu d’exercice célèbre destapineuses. Un bon kilomètre et demijusqu’à Melrose et Sweetzer,l’appartement de Lynette Kendrick.

Facile :

Spade l’avait levée tard dans la soirée,pas de témoin. Il fournissait la bouffe etla came, et avait suggéré une petite nuitbien pépère avant d’emmener Lynettechez elle. Ils s’étaient défoncés, avaientcassé la graine – Spade l’avait tabassée àmort, et violée par trois fois post-mortem.

Bud fit un crochet au sud vers LaCienega – 653. Une maison à charpenteen A, en séquoia, avec «Nat PenzlerAssoc.» à côté de la boîte aux lettres. Il

poussa la porte ; à l’intérieur, une fillefaisait du café.

Bud entra.

— Oui, que puis-je pour vous ? dit lafille.

— Le patron est là ?

— M. Penzler est au téléphone. Je peuxvous aider ?

Une porte de communication – «N.P.»sur une plaque en laiton. Bud poussa laporte ; un vieil homme hurla : — Hé ! Jesuis en communication ! Qui êtes-vous,vous êtes le percepteur ? Hé, Gail !Donnez une revue à ce gugusse !

Bud sortit sa plaque. L’hommeraccrocha le téléphone, et se recula de

son bureau.

— Vous êtes Nat Penzler ? dit Bud.

— Appelez-moi Natsky. Cherchez-vous un imprésario ? Je pourrais voustrouver un rôle de truand. Vous avez cetteallure d’homme de Neandertal qui a lacote en ce moment.

Laisse filer.

— Vous êtes l’agent de Spade Cooley,exact ?

— Exact. Vous voulez vous joindre àl’orchestre de Spade ? Spade, c’est ungagneur, mais la schwartze qui me sert defemme de ménage chante mieux que lui,alors peut-être que je peux vous trouverun petit boulot, au moins comme videur à

l’El Rancho. Et y a d’la fesse, dansl’coin, p’tit gars. Un taureau comme vous,coquette, vous pourriez vous la défoncer,à sec, à l’eau, à la vapeur, vite fait, viteenvoyé.

— Z’avez fini, papy ?

Penzler piqua un fard.

— M. Natsky, pour vous, le Caverneux.

Bud referma la porte.

— J’ai besoin de consulter la liste desengagements de Cooley, en remontantjusqu’en 51. Vous voulez faire ça, gentil-gentil ou pas ?

Penzler se leva, bloquant l’accès à sesclasseurs.

— La représentation est terminée,Godzilla ! Je ne divulgue jamais derenseignements sur nos clients, mêmesous la menace d’une citation àcomparaître. Alors cassez-vous vite faitet revenez déjeuner un de ces jours,disons la semaine des quatre jeudis.

Bud arracha le cordon du téléphone dumur ; Penzler ouvrit le tiroir supérieur.

— Pas de brutalités, s’il vous plaît,l’homme des cavernes ! Mon meilleuroutil de travail, c’est ma figure !

Bud feuilleta les chemises, tomba sur«Cooley, Donnell Clyde» et posa lesfeuilles sur le bureau. Une photo atterritsur le sous-main : Spade, quatre baguespour dix doigts. Feuilles roses, feuilles

blanches, puis feuilles bleues – archivesd’engagements agrafées par année.

Penzler resta là à marmonner. Bud fitcorrespondre les dates.

Janet Mildred Hamsher, 8/3/51, SanDiego – Spade y était, à la Sky Room del’El Cortez. Avril 53, Kathy Janeway,groupe Cow-Boy rythmique au BidoLito’s – au sud de L.A. ; Sharon, Sally,Chrissie, Virginia, Maria et Lynette :Bakersfield, Needles, Arizona, Frisco,Seattle, retour à L.A. ; changements depersonnel enregistrés sur les quittancesde paiement : Deuce Perkins à la basse laplupart du temps, batteurs et saxos quiallaient et venaient, Spade Cooleytoujours là, chef de groupe, dans les

villes et aux dates des DDD.

Des feuilles bleues dégoulinantes – sapropre sueur.

— Où réside l’orchestre ?

— Au Biltmore, dit Penzler, mais vousne l’avez pas appris de Natsky.

— C’est une bonne chose, pasque ça,c’est du meurtre au premier degré, et queje ne suis pas passé ici.

— Je suis comme le Sphinx, je vous lejure. Mon Dieu, Spade et son équipe deraclures. Seigneur, vous savez combien ila fait, brut, l’année dernière ?

Il appela Ellis Loew pour lui refiler sanouvelle piste ; Loew sauta au plafond :— Je vous ai dit de rester en dehors de ça

! J’ai trois hommes civilisés sur l’affaire,et je leur dirai ce que vous avez trouvé,mais restez en dehors de ça et reprenez leHibou de Nuit, est-ce que vouscomprenez ce que je dis ?

Il comprenait, mais Kathy Janewaycontinuait à lui dire : « VAS-Y ! »

Le Biltmore.

Il s’obligea à rouler doucement pours’y rendre ; il se rangea près de l’entréede derrière, demanda poliment auréceptionniste où se trouvaient M. Cooleyet ses gens.

— Suite El Presidente, neuvième étage,dit le réceptionniste.

— Merci, répondit-il, avec un tel

calme que tout se mit à défiler au ralenti :il crut une seconde qu’il était en train denager.

L’escalier, ce fut comme une nage àcontre-courant – la petite Kathy continuaità lui répéter : « TUE-LE ! » La suite :double porte, avec en filigrane doré,aigles et drapeaux américains. Il secouala poignée, les portes s’ouvrirent.

Un endroit classe et stylé transformé encrèche à clodos – trois péquenots dansles vaps, sur le sol. Bouteilles de gnôlevides, cendriers renversés, pas de Spade.

Portes de communication – derrièrecelle de droite, on entendait du bruit. Budla défonça d’un coup de pied.

Deuce Perkins au lit à regarder desdessins animés – Bud dégaina son arme.

— Où est Cooley ?

Perkins se colla un cure-dent dans labouche.

— En virée, à picoler, et c’est là aussique je me rends. Vous voulez le voir,passez ce soir à l’El Rancho. Y a deschances pour qu’il se montre.

— Putain, mais c’est lui qui dirige.

— La plupart du temps. Mais cestemps derniers, Spade s’est montréd’humeur changeante, alors, ch’prends saplace. Ch’chante aussi bien et j’ai uneplus belle gueule, alors ça sembledéranger personne. Et maintenant, vous

voulez bien partir d’ici et me laissertranquille, que j’apprécie mon spectacle ?

— Où est-il en train de picoler ?

— Rangez votre arme, junior. Le pireque vous pourrez lui coller sur le dos,c’est un non-paiement de pensionalimentaire, et Spade finit toujours parpayer, tôt ou tard.

— Que dalle, c’est d’un meurtre aupremier qu’il s’agit, et j’ai entendu direqu’il aime l’opium.

Perkins recracha son cure-dent :

— Qu’est-ce que vous avez dit ?

— Des tapineuses. Spade, il les aimejeunes ?

— Il aime pas les tuer, y joue juste àcache-cache quéquette comme vous etmoi.

— Où est-il ?

— Mec, je suis pas une balance.

Deux revers de la main, canon depistolet en avant – Perkins hurla, crachades dents.

La télé résonna plus fort : des mômesen train de piailler pour les cornflakes dechez Kellogg’s. Bud éteignit l’écran d’uneballe.

Deuce cracha le morceau :

— Faites le tour des bouis-bouis à op’de Chinatown, et laissez-moi tranquille,putain de bordel !

Kathy dit : « TUE-LE ! »

Bud pensa à sa mère, pour la premièrefois depuis des années.

59

— Je l’ai déjà dit à votre capitaineExley, dit le docteur ; je lui ai déclaréqu’une entrevue avec M. Goldmans’avérerait très probablement inutile –c’est simple, l’homme n’a plus salucidité, les trois quarts du temps.Cependant, comme il a insisté pour vousexpédier jusqu’ici, je vais reprendre, unenouvelle fois.

Jack regarda autour de lui. Camarilloétait sinistre : des tarés partout, desœuvres d’art de taré sur les murs.

— Vous voulez bien ? Le capitaine veutune déposition de lui.

— Eh bien, il aura de la chance s’il enobtient une. En juillet dernier, M.Goldman et son collègue Mickey Cohenont été attaqués à coups de couteau et detuyau dans la prison de McNeil Island.Apparemment les agresseurs n’ont pas étéidentifiés, et Cohen s’en est tirérelativement sans dommages alors que M.Goldman a subi de graves lésionscérébrales. Les deux hommes ont étélibérés sur parole à la suite de ça, l’annéedernière, et M. Goldman a commencé à secomporter de manière tout à faitimprévisible. Fin décembre, il a étéarrêté pour avoir uriné sur la voiepublique à Beverly Hills, et le juge aordonné qu’il soit placé sous observationpour quatre-vingt-dix jours. Il est chez

nous depuis Noël, et nous venonsd’obtenir qu’il reste ici pour une nouvellepériode de quatre-vingt-dix jours.Franchement, nous ne pouvons rien enfaire, et le seul point mystérieux, c’estque M. Cohen lui a rendu visite et a offertde transférer M. Goldman dans un centrede traitement privé à ses propres frais,mais que M. Goldman a refusé ; on auraitdit qu’il était terrifié par Cohen. N’est-cepas là quelque chose de bizarre ?

— Peut-être pas. Où est-il ?

— De l’autre côté de cette porte. Soyezgentil avec lui, s’il vous plaît. Cet hommea été un gangster, mais aujourd’hui, cen’est plus qu’un être humain bien triste.

Jack ouvrit la porte. Petite pièce

capitonnée : Davey Goldman sur un longbanc capitonné. Il avait besoin d’un coupde rasoir ; il puait le Lysol. Davey, lamâchoire pendante, en train de reluquerun National Geographic.

Jack s’assit à ses côtés – Goldman serecula.

— Cet endroit, c’est une vraie merde,dit Jack. Tu aurais dû laisser Mickey tetirer d’ici.

Goldman se cura le nez, avala sacrotte.

— Davey, t’es au rencard, côté Mickey?

Goldman lui tendit sa revue – desNègres tout nus brandissant des lances.

— Mignon, et quand ils se mettront àmontrer des Blancs tout pareils, jem’abonnerai. Davey, tu te souviens demoi ? Jack Vincennes ? J’ai travaillé auxStups du LAPD et on se croisait souventsur le Strip.

Goldman se gratouilla les couilles. Ilsourit, sourire basse tension, personne àla maison.

— Est-ce que tu joues un numéro ?Allez, Davey. Toi et le Mick, ça remonteà loin. Tu sais qu’il s’occuperait bien detoi.

Goldman écrasa un cloporte invisible.

— Plus maintenant.

La voix d’un homme qui n’est plus là –

personne ne pourrait feindre ça aussibien.

— Dis, Davey, qu’est-ce qui est arrivéà Dean Van Gelder ? Tu te souviens delui, il venait te rendre visite à McNeil.

Goldman se cura le nez et s’essuya lesdoigts sur ses pieds.

— Dean Van Gelder, dit Jack. Il t’arendu visite à McNeil en 53, exactement àla même époque où ces deux mecs, Peteet Bax Englekling, sont venus rendrevisite à Mickey. Aujourd’hui, tu as peurde Mickey, et Van Gelder a trucidé unmec du nom de Duke Cathcart, et il s’estfait trucider à son tour au cours du putainde massacre du Hibou de Nuit, célèbredans le monde entier. Il ne te reste pas un

bout de cervelle pour me parler de ça ?

Pas l’ombre d’une lumière qui se seraitmise à clignoter.

— Allez, Davey. Dis-le moi, tu tesentiras plus aussi triste après. Parle unpeu à tonton Jack.

— Dutchman ! Putain de Dutch !Mickey devrait savoir me faire mal, maisy sait pas. Hub rachmones – ayez pitié –,Meyer, hub rachmones, Meyer HarrisCohen te absolvo mes péchés !

La bouche seule parlait – le reste del’homme était comme mort.

Jack essaya d’y voir clair : Van Gelderle Dutchman, du yiddish au latin, quelquechose comme une trahison.

— Allez, vas-y, continue. Confesse-toiau père Jack, et moi, j’arrangerai tout.

Goldman se cura le nez ; Jack lebouscula.

— Allez !

— Dutchman a tout foiré !

????? – peut-être bien – un contrat surDuke Cathcart, départ la taule.

— Foiré quoi ? allez, vas-y !

Goldman, litanie d’un mec qui n’estpas là :

— Les gars des franchises ont eu leurstrois gâchettes blip blip blip. Les affairesau ralenti, putain, c’est pas du rififi.Mickey y pense qu’il aura le connard,

mais c’est le Chat irlandais qui a eu lesalopard et Mickey y se ramasse que lesos, pas de petit trésor, c’est de la viandefroide pour le monstre miaou. Hubrachmones Meyer, je pourrais te faireconfiance, pas à eux, tout ça c’est gelé,mais pas pour nous, te absolvo…

?????????? – Qui sont les mecs dont tuparles ?

Goldman se mit à fredonner un air,complètement faux, un air familier. Jackreconnut la mélodie : « Take the «A»train. «Prends le train «A».

— Davey, parle-moi.

Davey chanta.

— Bumpa-bump bump bump bump

bump bump bump bump bump le p’tittrain cul-cul bump bump bump bumpbump le p’tit train cul-cul.

??????????????? – pire encore, commes’il avait l’intérieur du cerveaucapitonné.

— Davey, parle, c’est tout !

Baratin de fêlé :

— Bzz, bzz, bzz, la petite mouche quiparle et qui écoute, Betty, Benny lamouche à l’écoute, Barney la mouche.Hub rachmones Meyer mon cher ami.

?????????? pour donner peut-être bienquelque chose :

Les Englekling avaient vu Cohen dansla cellule de ce dernier, et l’avaient

baratiné sur le plan porno de DukeCathcart. Mickey avait juré qu’il nel’avait dit à âme qui vive. Goldman avaitdécouvert la chose, et avait décidé demettre la main sur le rachat sans y êtreinvité : il avait envoyé Dean Van Gelderdescendre Cathcart – ou peut-être pouravoir sa part du gâteau dans l’affaire,contre argent comptant – ???????? –comment – ???????? AVAIT-IL PLACÉ UNMOUCHARD DANS LA CELLULE DE COHEN ?

— Davey, parle-moi du mouchard !

Goldman se mit à fredonner In theMood.

Le docteur ouvrit la porte.

— C’est terminé, officier. Vous avezsuffisamment embêté cet homme.

Exley donna son aval par téléphone :un voyage jusqu’à McNeil pour essayerde trouver trace d’un appareillaged’écoute, un mouchard, dans l’anciennecellule de Cohen. L’aéroport du comté deVentura était à quelques kilomètres – ilallait devoir prendre l’avion jusqu’àPuget Sound, et ensuite un taxi jusqu’aupénitencier. Bob Gallaudet aurait faitvenir sur place un homme du bureau desprisons pour faire la liaison –l’administration de McNeil avait dorlotéCohen, elle avait probablement encaissédes pots-de-vin pour services rendus. Ilétait tout à fait possible qu’elle n’acceptepas de coopérer sans se faire pousser.Exley avait qualifié l’hypothèse dumouchard de théorie un peu tirée par les

cheveux ; il avait fulminé contrel’absence de Bud White. Fisk et Klecknerétaient partis à sa recherche, le salopardétait probablement en fuite, après sonarticle de la Rumeur et le corps de SanBerdoo – Fisk lui avait laissé un mot, enfaisant état de la découverte du cadavre.Parker avait déclaré que Dudley étudiaitle dossier de l’affaire Englekling et qu’ilferait son rapport bientôt ; Lynn Brackenrefusait toujours de livrer certainsrenseignements.

— Que faisons-nous à ce sujet ? ditJack.

— Le Dining Car à minuit, dit Exley.Nous en discuterons.

Ed le capitaine Frayeur avait coupé là ;

mauvais présage.

Jack se rendit à Ventura, prit son avion– Exley avait téléphoné d’avance, réglantson billet. Une hôtesse lui offrit desjournaux ; il attrapa un Times et un DailyNews et se mit à lire Hibou de Nuit.

Les gars de Dudley retournaient toutNègreville en embarquant tous les Nègresconnus pour leur casier, toujours à larecherche des bons connards qui avaientjoué du fusil à Griffith Park. Conneries,purement et simplement : ceux qui avaientplanqué volontairement les armes dans lavoiture de Ray Coates avaient été aussiplacer les douilles correspondantes dansle parc, en refilant à la presse des tuyauxpour permettre de retrouver l’endroit –

seuls des pros avaient assez de cervelleet de couilles au cul pour faire une chosepareille. Mike Breuning et Dick Carlisleétaient en commandement au poste de laSoixante-dix-septième Rue – la brigadetout entière et vingt hommessupplémentaires détachés de laCriminelle travaillaient sur l’affaire.Impossible que des cinglés de négrossoient coupables – ça commençait àprendre la même allure qu’en 1953,encore une fois. Le Daily News montraitles photos : Central Avenue bourrée debougnoules en train de défiler, pancarte àla main ; la maison qu’Exley avaitachetée à Inez Soto. Un cliché depremière dans le Times – Inez devant lamaison de Ray Dieterling, à Laguna, en

train de se protéger les yeux des éclairsde flash.

Jack poursuivit sa lecture.

Le Bureau du Procureur général del’État avait rendu publique unedéclaration : Ellis Loew les avait jouésen déposant une ordonnance depréemption, mais ils étaient toujoursintéressés par l’affaire et interviendraientlorsque l’ordonnance viendrait àexpiration – à moins que le LAPD n’aitrésolu le gâchis du Hibou de Nuit à lasatisfaction du Grand Jury du comté deLos Angeles en un laps de tempsconvenable. Le LAPD avait fait unedéclaration à la presse : une petitemerveille, bourrée de détails sur le viol

de groupe perpétré sur Inez Soto en 1953,accompagnée par un compte rendu quivous réchauffait le cœur sur la manièredont le capitaine Ed Exley l’avait aidée àrebâtir sa vie. Le paternel d’Exley avaitdroit à un traitement de première : leDaily News faisait jouer la fin destravaux de l’ensemble autoroutier deCalifornie du Sud et faisait état d’unerumeur qui venait récemment de voir lejour : le Grand Preston allait bientôtannoncer sa candidature à la course auposte de gouverneur, à peine deux mois etdemi avant les primaires républicaines :l’annonce d’avant-dernière heure étaitdélibérée, stratagème destiné à profiterde tout le bruit qu’allait faire l’ouverturedes nouvelles autoroutes au public. De

quelle manière la mauvaise presse de sonfils allait-elle affecter ses chances ?

Jack évalua ses propres chances.C’était reparti avec Karen, parce qu’ellevoyait qu’il faisait des efforts ; lameilleure manière pour lui de rester dansla course était de se tirer, ses vingt ansaccomplis, de se prendre sa pension et dequitter L.A. Les deux mois à venirallaient être un vrai sprint à esquiver lesballes : la réouverture, et ce que Patchettet Bracken avaient sur lui. Impossibled’établir une cote – comme sprinter, ilavait la trouille et il était fatigué – et ilcommençait à se sentir vieux. Exley aussiavait des idées de sprint derrière la tête –les rencarts à dîner tardifs n’étaient passon style. Il était possible que Bracken et

Patchett concluent un marché avec tout cequ’ils savaient sur lui, et il était possibleque Parker écrase le coup pour protégerle Service. Mais Karen serait mise aucourant, et ce qui restait de leur mariagepasserait aux oubliettes – parce qu’elleavait déjà du mal à encaisser l’idéequ’elle avait épousé un poivrot et ungarçon de course. «Meurtrier» était uneballe qu’ils ne pourraient esquiver, nil’un ni l’autre.

Trois heures de vol, trois heures detension et de réflexions. L’avion atterrit àPuget Sound ; Jack prit un taxi jusqu’àMcNeil.

Laid : un monolithe gris sur une île derochers gris. Murs gris, brouillard gris,

barbelés en bordure d’une eau grise. Jacksortit, arriva à la cabane du garde ; lepréposé de la grille contrôla son identité,hocha la tête. Les grilles d’aciercoulissèrent dans le roc.

Jack entra. Un petit homme sec etnerveux l’attendait dans le passage.

— Sergent Vincennes ? Je suis l’agentGoddard, bureau des prisons.

Une poignée de main franche.

— Exley vous a-t-il dit de quoi ils’agit ?

— Bob Gallaudet m’a mis au courant.Vous êtes sur le Hibou de Nuit et desaffaires d’associations criminelles qui ysont liées. Vous pensez que la cellule de

Cohen a peut être été mise sur écoute.Nous sommes à la recherche de preuvespour étayer cette théorie, dont je ne croispas qu’elle soit tellement tirée par lescheveux.

— Pourquoi ?

Ils avancèrent sous les rafales de vent.Goddard parlait fort pour couvrir le bruitdes rafales.

— Cohen a eu ici un traitement royal,Goldman aussi. Privilégiés jusqu’autrognon, visites illimitées, et des gardienspas très regardants sur ce qu’on leuramenait dans leurs quartiers ; alors unmouchard aurait bien pu y être installé.Pensez-vous que Goldman ait essayé dedoubler Mickey ?

— Quelque chose comme ça.

— Eh bien, c’est possible. Ils avaientdes cellules à deux portes l’une del’autre, dans un bloc que Mickey avaitexigé, parce que la moitié des cellulesavaient la plomberie hors d’usage et qu’ilétait impossible d’y loger desprisonniers. Vous verrez, j’ai fait évacuertoute la rangée et tout est bouclé.

Postes de contrôle, les blocs decellules – des galeries sur six étagesreliées par des passerelles. Des voléesde marches jusqu’à un couloir – huitcellules vides. Goddard dit :

— Le salon du dernier étage.Tranquille, sous-peuplé, et une belle sallede jour pour que nos garçons puissent

jouer aux cartes. Nous avons uninformateur ici : il a dit que Cohen avaitson mot à dire sur les prisonniers qu’onamenait jusqu’ici. Pouvez-vous vousimaginer le culot ?

— Seigneur, dit Jack, vous êtes doué.Et rapide.

— Eh bien, Exley et Gallaudet sont deshommes de poids, et les autorités enplace n’ont pas eu le temps de sepréparer. Et maintenant, regardez lespetits joujoux que j’ai apportés.

Sur la table de la salle de jour :pinces-monseigneur, ciseaux, burins,maillets, une longue et mince perche avecun crochet à une extrémité. Sur unecouverture : un magnétophone, un

entrelacs de fils.

— D’abord, nous retournons cettegalerie de fond en comble. J’admets quec’est viser un peu loin, mais j’ai apportéun magnétophone au cas où noustrouverions des bandes.

— Je dirais que c’est un peut-être.Goldman et Cohen ont été libérés surparole à l’automne dernier, mais ils sesont fait suriner en juillet et Davey a lacervelle qui se mélange. Je pense que sic’est lui qui était à l’écoute, alors peut-être qu’il avait le cerveau trop brouillépour avoir récupéré la machine.

— Assez de parlotes. On creuse.

Ils creusèrent.

Goddard tendit un cordeau de laconduite de chauffage de la cellule deCohen à la conduite de chauffage de lacellule de Goldman, traça une ligne surles plafonds des deux cellules qui lesséparaient et commença à sonder avecburin et maillet. Jack dégagea une plaquede protection qui couvrait la conduite surle mur de Cohen et sonda l’intérieur de lagaine grâce à la perche à crochet. Rienque du vide entre parois métalliques, pasde câble à l’intérieur. Frustrant : c’étaitpourtant l’endroit logique pour planquerun microphone. La conduite déversait sonair chaud en ronflant ; Jack changead’avis, il faisait froid dans l’État deWashington, le chauffage devait êtrebranché une trop grande partie de l’année,

noyant toutes les conversations sous lebruit. Il inspecta les murs et le plafond àla recherche d’autres canalisations – rien,puis la zone autour de la grille deventilation. Juste à côté de la plaque deprotection, de l’enduit de rebouchageappliqué irrégulièrement et parsemé detrous d’épingle ; il écrasa son mailletjusqu’à ce que la moitié du murdégringole et qu’il libère, pendouillant àun câble, un petit microphone couvertd’enduit. Sur une secousse, il lâcha lecâble qui s’enfonça droit dans le mur.Cinq secondes plus tard, Goddard étaitlà, le câble à la main – attaché à unmagnétophone recouvert de plastique.

— À mi-chemin entre les cellules, unepetite cachette, juste à côté de la grille de

ventilation. Écoutons ça, hein ?

Ils firent la manœuvre dans la salle dejour. Goddard raccorda sa machine,changea les bobines, pressa les boutons –bande magnéto sur magnéto.

Crépitements, un chien qui jappe. « Là,là, bubeleh » – la voix de Cohen.

— Ils l’ont laissé garder un chien danssa cellule, dit Goddard. Y a qu’enAmérique, hein ?

Cohen : « Arrête de te lécher leschnitzel, mon petit ange. » De nouveauxjappements, un long silence, un bruit decoupure.

— Je repérais les tempsd’enregistrement. Micro déclenché à la

voix. Cinq minutes et il se coupeautomatiquement.

Jack se brossa le plâtre des mains.

— Comment faisait Goldman pourentrer et changer la bande ?

— Il devait avoir un truc avec uncrochet au bout, comme la perche que jevous ai donnée. La grille de sa gaine dechauffage n’était pas fixée, nous savonsdonc que quelqu’un fouinait par là-bas.Seigneur, ce truc est resté là combien detemps ? Goldman devait avoir quelqu’unpour l’aider, ce n’est pas une opérationpour un seul homme.

Un autre clic, une voix inconnue : «Pour combien ? Je demanderai à un

gardien de placer le pari. » Cohen : «Mille sur Basilio, ce petit rital est unvicieux. Et passez par l’infirmerie et allezvoir Davey. Seigneur, un nom de Dieu denavet, voilà ce que ces casseurs degueules ont fait de lui ! Je jure de vivreassez longtemps pour les voir transformésen purée de légumes. » Des voix qui sechevauchent, marmonnements, Mickey quiroucoule, son chien qui jappe.

Repérer l’époque et le moment :Goldman et Cohen s’étaient fait attaquer ;Mickey avait engagé un pari, très tôt, surle combat Robinson-Basilio, enseptembre dernier ; il devaitprobablement être sorti lors du match – ilallongeait avant que la cote nedégringole.

Clic de démarrage, clic d’arrêt,quarante-six minutes de Mickey, et aumoins deux autres hommes en train dejouer aux cartes, à marmonner, à tirer lachasse. La bande était presque terminée ;clic d’arrêt, clic de démarrage, et ceputain de chien qui hurlait.

Mickey : « Six ans et dix mois ici, etdire que je perds le redoutable cerveaude Davey juste avant de partir ! Rentrer àla maison avec tous ces ennuis. MickeyJr, cesse de te lécher la berloque, espècede fageleh. »

Une voix inconnue : « Trouve-lui unechienne, il n’aura plus à le faire. »

Cohen : « Mon Dieu, être si preste et sibien monté, comme Heifez au violon avec

son braquemard, voilà ce qu’il est, cechien, et pardessus le marché, il est montécomme Johnny Stompanato. Et en parlantde marché, j’ai lu la rubrique de HeddaHopper et je vois que le Johnny, c’estLana Turner qui le fait marcher, ça fait silongtemps qu’il a un grand faible, elledoit avoir le con comme du chinchilla. »L’homme à la voix inconnue partit d’ungrand rire. Cohen : « Ça suffit comme ça,espèce de lèche-cul, gardes-en un peupour Jack Benny. Johnny, j’en ai besoinmaintenant, Johnny, je ne peux pas mettrela main dessus pasqu’y joue à enterrer letracassin avec les vedettes de cinéma.Mes mecs des franchises se fontzigouiller l’un après l’autre et j’ai besoinde Johnny pour qu’il se colle le nez au

vent pour savoir qui, mais ce putain deconnard de truand rital à grosse pine estintrouvable ! Je veux qu’on zigouille cesempaffés ! Je veux que les merdaillonsqui ont fait du mal à Davey quittent leurrésidence sur cette terre ! »

Mickey, la quinte de toux. Voixinconnue : « Et Lee Vachs et AbeTeitlebaum ? Tu pourrais les mettre sur lecoup ? » Cohen : « Quel nullard tu peuxfaire comme confident ! Mais aux cartes,tu te débrouilles comme un chef. Non,Abe s’est bien trop ramolli pour jouer lesgros bras, il s’est goinfré de trop de larddans son magasin de traiteur, et le lard, çate bouche les artères qui inspirent legrabuge, et Lee Vachs aime trop la mortpour agir avec discernement. Lana, elle

doit quand même avoir une sacréecramouille, du vrai cachemire. » Labande arriva à sa fin.

— Il est incontestable que Mickey a dustyle quand il parle, dit Goddard, maisqu’est-ce que tout ça est censé avoir àvoir avec l’affaire du Hibou de Nuit ?

— Que diriez-vous de «rien du tout» ?

60

Un mur entier de son cagibi étaitmaintenant un graphique : Hibou de Nuitet participants aux affaires annexes, tousreliés par des lignes horizontales, deslignes verticales les rattachant à unegrande plaque de carton découpée ensections de renseignements – événementschoisis dans la déposition de Vincennes.Ed rédigeait des notes en marge ; le coupde fil de son père lui résonnait toujoursaux oreilles comme une défaite : «Edmund, je suis candidat au poste degouverneur. Ta notoriété toute récentepeut m’avoir fait du tort, mais laissonscela de côté. Je ne veux pas voir l’affaire

Atherton ressuscitée dans la presse, noirsur blanc, et rattachée accessoirement àtes diverses affaires, et je ne veux pasqu’on ennuie Ray Dieterling. Je veux quetu fasses passer toutes tes demandes derenseignements qui touchent à ces diverspoints directement par moi, et entre nousdeux, nous trouverons une solution. »

Il avait accepté. Ça lui était resté entravers de la gorge. Il avait l’impressiond’être traité comme un enfant – toutcomme de coucher avec Lynn Bracken luiavait donné l’impression d’être putassier.Et il y avait trop de Dieterling quiressurgissaient de son graphique.

Ed croisa ses lignes.

Sid Hudgens relié au porno à l’encre

que Vincennes avait trouvé en 53 ; leporno relié à Pierce Patchett. Une ligneen direction de Christine Bergeron, sonfils Daryl et Bobby Inge, modèles pornosqui avaient disparu, et leur disparitionavait presque coïncidé avec le Hibou deNuit. Demander à Fisk et Kleckner defaire partir de nouveaux avis derecherche contre eux ; essayer d’identifierles autres modèles – une fois de plus.Mettre de côté la ligne qui reliait leporno/Hudgens à l’affaire Atherton,l’ancien inspecteur-contrôleur PrestonExley ferait discrètement sa petiteenquête lorsqu’on le lui demanderait.

Une ligne théorique – de PiercePatchett à Duke Cathcart. Lynn Brackenavait nié le fait, mensonge : selon la

déposition de Vincennes, Patchettfourguait la camelote porno que Cathcartenvisageait de distribuer – mais qui lafabriquait ? De Hudgens à Patchett etBracken : le marchand de saletés en grosétait terrifié à l’idée que Vincennesvienne fureter du côté de Fleur de Lis ;Lynn avait dit à Jack que Patchett etHudgens étaient partants pour un numéroen duo, et maintenant, elle le niait, autremensonge. Il avait besoin d’un autregraphique, rien que pour répertorier lesmensonges, noir sur blanc – il n’avait pasde pièce assez grande pour le contenir.

D’autres lignes encore :

De Davey Goldman à Dean VanGelder, à Duke Cathcart, et à Susan

Nancy Lefferts – ligne incompréhensible,jusqu’à ce que Vincennes soit venu aurapport à son retour de McNeil Island ; etBud White – de toute évidence il seplanquait –, qu’il soit interrogé sur lespreuves éventuelles qu’il aurait pusupprimer. Lignes professionnelles –Patchett, les frères Englekling et leur pèrepossédaient tous un passé de chimistes ;Patchett, à la réputation de renifleurd’héroïne, avait des contacts, via lachirurgie plastique, avec le Dr Terry Lux,propriétaire d’un sanatorium gnôle etcame. Le rapport de Dudley Smith àParker disait que Pete et Bax Engleklingavaient été torturés à mort au moyen deproduits chimiques corrosifs, pas d’autresdétails supplémentaires. Conclusion : le

maillon pour déchiffrer toutes les lignesd’interconnections ne pouvait être quePatchett – ses putes, ses modèles pornos ;Patchett, le seul moyen d’accès àl’homme qui avait fabriqué le pornosanglant, tué Hudgens, et constitué laligne ultime qui remontait jusqu’en 1934,et jusqu’à l’affaire qui avait fait la gloirede son propre père.

Trop de lignes à ignorer.

Patchett avait banqué pour les premiersfilms de Dieterling. Billy, le fils deDieterling, et son petit ami TimmyValburn utilisaient Fleur de Lis ; Valburnétait une RC de Bobby Inge. Billytravaillait à l’Insigne du Courage,premier collimateur de l’enquête sur

l’homicide Hudgens. La co-vedette del’Insigne du Courage, Miller Stanton,était un des enfants vedettes de Dieterlingà peu près à la même époque que WeeWillie Wennerholm, l’enfant assassiné –par Loren Atherton ? Lignes de coupe,comme des balafres – d’Atherton auporno et à Hudgens ; des lignes decoïncidence trop pratiques pour ne pasentailler la loyauté familiale – dix-septans après Atherton, Preston Exleyconstruit Dream-a-Dreamland.

Gouverneur Exley – chef desinspecteurs Exley.

Ed songea à Lynn, retrouva son goût,frissonna. Un bond rapide jusqu’à InezSoto – une nouvelle ligne à utiliser.

Il partit pour Laguna Beach

Des essaims de journalistes : perchésprès de leurs voitures, jouant aux cartessur la pelouse de Ray Dieterling. Ed serangea sur le côté du bloc, remonta àpied, sprinta.

Ils le virent et se mirent en chasse. Ilréussit à gagner la porte. Il fit claquer leheurtoir. La porte s’ouvrit – droit surInez.

Elle reclaqua la porte, la verrouilla.Ed pénétra dans le salon – Dream-a-Dreamland lui sourit de tous côtés.

Camelote et pacotille, statues deporcelaine : Moochie, Danny, Scooter.Photos murales : Dieterling et des enfants

infirmes.

Chèques annulés enchâssés sousplastique – six chiffres pour combattre lesmaladies infantiles.

— Tu vois, j’ai de la compagnie.

Ed se tourna pour lui faire face.

— Merci de m’avoir laissé entrer.

— Ils te traitent de bien pire façon quemoi, alors je me suis dit que j’étais endette envers toi.

Elle était pâle.

— Merci. Et tu sais que ça passera,tout comme la dernière fois.

— Peut-être bien. Tu as l’air mal foutu,Exley.

— Les gens n’arrêtent pas de me direça.

— Alors peut-être que c’est vrai.Écoute, si tu veux rester et parler unmoment, très bien, mais s’il te plaît, neparle pas de Bud ou de toute la mierdaqu’il y a en ce moment.

— Je n’en avais pas l’intention, maisparler pour ne rien dire n’a jamais éténotre fort.

Elle s’avança jusqu’à lui. Ed l’enlaça ;elle lui attrapa les bras et se repoussaloin de lui. Ed essaya de sourire.

— J’ai vu quelques cheveux gris.Quand tu auras mon âge, tu serasprobablement aussi grise que je le suis.

Ça te va comme ça, s’il faut parler pourne rien dire ?

— C’est vraiment rien, et je peux fairemieux. Preston est candidat au poste degouverneur, à moins que son célèbre filsne ruine toutes ses chances. C’est moi quicoordonnerai sa campagne.

— Gouverneur Papa. A-t-il dit que jelui ruinerais ses chances ?

— Non, parce qu’il n’a jamais rien ditde méchant sur toi. Essaie simplement defaire ton possible pour ne pas le blesser.

Des journalistes à l’extérieur – Ed lesentendit rire.

— Je ne veux pas non plus que Pèresoit blessé. Et tu peux m’aider à faire en

sorte que ça n’arrive pas.

— Comment ?

— Un service. Un service entre toi etmoi, personne d’autre ne doit savoir.

— Quoi ? Explique-toi.

— C’est très compliqué, et ça impliqueRay Dieterling. Connais-tu le nom dePierce Patchett ?

Inez secoua la tète.

— Non, qui est-ce ?

— C’est un investisseur, si l’on peutdire, c’est tout ce que je peux te révéler.J’ai besoin de toi parce que tu as tesentrées à Dream-a-Dreamland ; afin devérifier les liens financiers pouvant

exister entre lui et Dieterling. Vérifiejusqu’à la fin des années 50, trèsdiscrètement. Veux-tu faire cela pour moi?

— Exley, ça ressemble fort à uneaffaire de police. Et qu’est-ce que tout çaa à voir avec ton père ?

Un mouvement de recul : en train dedouter de l’homme qui l’avait informé.

— Père pourrait avoir des ennuis avecle fisc. J’ai besoin que tu vérifies lesregistres financiers de Dieterling pourvoir si son nom y est mentionné.

— Des ennuis graves ?

— Oui.

— Vérifier jusqu’aux environs des

années 50 ? Lorsqu’ils ont commencé àmonter le projet de Dream-a-Dreamland ?

— Non, remonte jusqu’à 1932. Je saisque tu as vu les livres comptables desProductions Dieterling, et je sais que tupeux le faire.

— Avec des explications qui suivront ?

Recul encore plus fort.

— Le jour de l’élection. Allez, Inez. Tul’aimes presque autant que je l’aime.

— Très bien. Pour ton père, alors.

— Pas d’autres raisons ?

— Très bien, pour tout ce que tu as faitpour moi, et pour les amis que tu m’asdonnés. Et si cela te paraît cruel, je suis

désolée.

Une horloge Moochie Mouse tinta dixheures.

— Il faut que j’y aille, j’ai une réunionà L.A., dit Ed.

— Passe par-derrière. Je crois quej’entends encore les vautours.

Ses mouvements de recul se réglèrentpendant le trajet de retour.

Appelons ça procédure d’éliminationstandard : si son père connaissait bieneffectivement Ray Dieterling à l’époquede l’enquête sur l’affaire Atherton, ilavait une raison valable pour ne pas enfaire état, il se sentait probablement gênéde passer des marchés d’affaires avec un

homme qu’il avait jadis rencontré de prèsdans le cadre d’une enquête sur unmeurtre monstrueux. Preston Exley avaitla conviction que les policiers qui se lientd’amitié avec des civils influents se fontainsi les ennemis du concept d’uneabsolue et impartiale justice : et s’il avaitle sentiment de n’être pas à la hauteur deses propres principes, il étaitcompréhensible qu’il ne voulût pas que lefait en fût connu.

Problème réglé avec amour et respect

Ed arriva au Dining Car en avance ; lemaître d’hôtel lui dit que son invitél’attendait. Il retourna à son box favori –un petit recoin niché derrière le bar.Vincennes était là, tenant une bobine de

bande magnétique à la main.

Ed s’assit.

— C’est une bande qui provient d’unmouchard ?

Vincennes fit glisser la bande.

— Ouais. Elle est pleine de Mickey C.en train de déblatérer sur des trucs quin’ont rien à voir avec le Hibou de Nuit.Manque de bol, mais je pense que nouspouvons considérer Davey comme celuiqui a trahi Mickey, et je pense qu’il a dûentendre les Englekling proposer à Mickle marché Cathcart. Il a bien aimé ça et aenvoyé Van Gelder aux trousses de Duke.Et c’est le plus loin que je puisse allerdans mes hypothèses.

L’homme avait l’air crevé.

— Beau travail, Jack. Vraiment, je suissincère.

— Merci, et le petit coup du prénom,j’apprécie, j’apprécie beaucoup.

Ed prit un menu, et vida le contenu deses poches sous le menu.

— Il est minuit et je ne suis plus enveine de subtilités.

— Vous êtes en train de mettre quelquechose sur pied. Qu’avez-vous tiré deBracken ?

— Rien que des mensonges. Et vousavez raison, sergent.

La piste McNeil est terminée pour

l’instant.

— Alors ?

— Alors, demain, j’attaque Patchett. Jeverrouille les A.I. pour en empêcherl’accès à Dudley et ses hommes, et je faisamener Terry Lux, Chester Yorkin et tousles larbins de Patchett sur lesquels Fisk etKleckner auront pu mettre la main.

— Ouais, et en ce qui concerneBracken et Patchett ?

Ed vit Lynn toute nue.

— Bracken a essayé de marchanderpour se sortir de votre déposition. Ellevous a cafté pour votre petite équipée duMalibu, j’ai joué du renseignement contreelle, comme d’un appât.

Poub se plaqua la tête contre ses deuxpoings serrés.

— Je lui ai dit que vous feriezn’importe quoi pour récupérer lesdossiers. Je lui ai dit que vous aimieztoujours la came avec passion et que vousétiez en compte avec quelques bookies.Vous êtes bon pour un conseil dediscipline et vous voulez mettre la mainsur les rackets de Patchett.

Vincennes releva la tête – pâle,marquée par les jointures de ses poings.

— Alors dites-moi que vous allezarranger le coup du dossier et de soncontenu.

Ed souleva le menu. En dessous :

héroïne, Benzédrine, cran d’arrêt,automatique 9 mm.

— Vous allez cravater Patchett et lefaire cracher. Il se fait des lignesd’héroïne, alors vous lui en offrez un peu.Si vous désirez des trucs pour vouschauffer et vous remonter, vous les avez.Vous allez après Patchett pour récupérervotre dossier et pour découvrir qui afabriqué le porno au sang et tué Hudgens.Je mets un scénario au point, vous l’aurezd’ici demain soir. Vous allez faire chierde trouille le Patchett et vous allez fairetout ce qu’il y a à faire pour nous obtenirce que nous voulons tous les deux. Je saisque vous êtes capable de le faire, alors nem’obligez pas à vous menacer.

Vincennes sourit. Il avait failli toucherla corde sensible – le célèbre Grand V dubon vieux temps.

— Supposez que ça tourne mal…

— Alors, tuez-le.

61

Les vapeurs d’opium lui cognaient latête ; les vannes chinetoques le cognaientencore pire : « Spade pas ici, ma maison,elle a protection police, je paye, je paye !» Oncle Ace Kwan l’avait envoyé à FatDewey Shin, qui l’avait envoyé surAlameda vers toute une série de fumeries.– Spade était passé, mais Spade n’étaitplus là, « Je paye ! Je paye ! », essayezoncle Minh, oncle Chin, oncle Chan. Lecircuit de Chinatown, il lui avait fallu desheures pour s’y retrouver, à traîner sesguêtres d’ennemi en ennemi. Oncle DannyLao avait sorti le fusil ; il l’avaitdésarmé, assommé, sans pour autant

réussir à lui faire cracher le morceau.Spade était passé, il n’était plus là – ets’il se prenait encore une seule boufféed’op’, il savait qu’il allait se rouler enboule dans un coin pour mourir, ou semettre à tirer. Chute finale, toute enfinesse : il retournait tout Chinatown à larecherche d’un homme du nom de Cooley.

Pour l’instant, fini Chinatown.

Bud appela le Bureau du Procureur,refila au chef de la brigade ses dernièrespistes sur Perkins/Cooley ; l’hommebâilla tout le long, mit fin à l’appel, mortd’ennui. Direction le Strip : sur scène, legroupe Cow-Boy rythmique, pas deSpade, personne ne l’avait vu depuisdeux jours. Clubs de hillbilly, bars, boîtes

de nuit – pas la moindre trace de DonnellClyde Cooley. Putain, 1 h du mat, nullepart où aller, sauf chez Lynn – « Où étais-tu passé ? » et un lit.

La pluie se mit à tomber – une averse.Bud se mit à compter les feux rouges desvoitures pour rester éveillé : petits pointsrouges, qui l’hypnotisaient. Il arriva àNottingham Drive presque mort –vertiges, les membres engourdis.

Lynn était sur son perron, à regarder lapluie. Bud courut jusqu’à elle ; elle luiouvrit les bras. Il glissa, et se rétablit ense raccrochant à son corps.

Elle recula.

— J’étais soucieux, dit Bud. Je n’ai

pas arrêté de t’appeler la nuit dernièreavant que les choses ne deviennentcomplètement dingues.

— Comment ça, dingues ?

— Demain matin ; l’histoire est troplongue pour la raconter maintenant.Comment ça…

Lynn lui effleura les lèvres.

— Je leur ai raconté des choses que tuconnais déjà sur Pierce, et avec la pluie,tout a commencé à se mélanger dans matête et j’ai songé à leur en dire plus.

— Plus de quoi ?

— Je pense que c’est terminé avecPierce. Demain matin, chéri. Nos deuxhistoires respectives pour le petit

déjeuner.

Bud se pencha sur la rambarde duperron. Des éclairs illuminèrent la rue –et les larmes séchées sur le visage deLynn.

— Ma douce, qu’y a-t-il ? Est-ce quec’est Exley ? Est-ce qu’il s’est obstiné àvenir fouiner jusqu’ici ?

— C’est bien Exley, mais ce n’est pasce que tu crois. Et je sais pourquoi tu lehais à ce point.

— Que veux-tu dire ?

— Qu’il est exactement le contraire detout ce qui est bon en toi. Il me ressemblebeaucoup plus.

— Je ne pige pas.

— Eh bien, c’est cette crédibilité qu’ila en étant aussi calculateur. J’aicommencé par le haïr parce que tu lehais, puis je me suis rendue compte decertains points au sujet de Pierce,simplement parce qu’il est l’homme qu’ilest. Il m’a dit des choses qu’il n’était pasobligé de me dire, et j’ai été surprise parmes propres réactions.

De nouveaux éclairs – Lynn avait l’airhorriblement triste.

— Par exemple ? dit Bud.

— Par exemple, Jack Vincennes est entrain de devenir cinglé et il a une sorte devendetta contre Pierce. Et je m’en ficheun peu, moitié moins que je ne le devrais.

— Comment en es-tu arrivée à temontrer si amicale avec Exley ?

Lynn éclata de rire.

— In vino veritas. Tu sais, mon chéri,tu as trente-neuf ans et je ne cessed’attendre que tu t’épuises, au bout ducompte, à être celui que tu es.

— Je suis épuisé ce soir.

— Ce n’est pas ce que je voulais dire.

Bud alluma la lumière sous le porche.

— À toi de me dire ce qui s’est passéentre toi et Exley.

— Nous avons parlé, c’est tout.

Son maquillage portait des traînées delarmes – c’était la première fois qu’il la

voyait sans beauté.

— Alors, parle-moi de ce que vousavez dit.

— Demain matin.

— Non, maintenant.

— Chéri, je suis aussi fatiguée que toi.

Un demi-sourire timide suffit.

— Tu as couché avec lui.

Lynn détourna le regard. Bud la frappa– une fois, deux fois, trois fois. Lynn seprêtait à ses coups, visage droit. Budcessa lorsqu’il vit qu’il ne pourrait pas lafaire craquer.

62

D.A.I. – bourrée.

Chester Yorkin, l’homme de livraisonde Fleur de Lis, collé dans le box n°1 ;dans le 2 et le 3 : Paula Brown etLorraine Malvasi, les putains de Patchett– Ava Gardner, Rita Hayworth. LamarHinton, Bobby Inge, Christine Bergeron etfils n’avaient pas pu être localisés ; idempour les modèles pornos – Fisk etKleckner n’avaient pas réussi à lesrepérer malgré des recherches pousséesdans les albums de l’identité. Dans le box4 : Sharon Kostenza, de son vrai nomMary Alice Mertz, facile à repiquer à

partir de la déposition de Vincennes – lafemme qui avait autrefois fait libérerBobby Inge de prison contre caution etqui avait versé une somme en garantiepour Chris Bergeron. Dans le box n° 5 :le Dr Terry Lux, et son avocat – le GrandJerry Geisler.

Ray Pinker prêt avec son antidote –jusqu’à présent, les nouveaux poissons dela nasse n’avaient pas l’air drogués.

Deux agents montaient la garde devantla salle de brigade – interrogatoires enprivé – autonomie stricte des A.I.

Kleckner et Fisk passaient au grilMertz et la pseudo Ava – armés de copiesdes dépositions, de photos pornos, d’unrésumé de l’affaire. Yorkin, Lux et la

fausse Rita en attente, à battre la semelle.

Ed travaillait dans son bureau :troisième version du scénario pourVincennes. Une idée ne cessait de letarabuster : si Lynn Bracken avait toutrapporté à Patchett, ce dernier auraitdégagé tout son petit monde de lacirculation avant que la police ne puisseles emmener au poste – à la manière dontInge, Bergeron et fils avaient disparu toutde suite, juste avant le Hibou de Nuit.Deux possibilités là-dessus : elle jouaitle coup à sa manière, ou alors leur séancede jambes en l’air lui avait mélangé lespédales, et elle jouait l’attente pouressayer de voir ce qui allait en sortir.Solution la plus probable – la dernièrefois que cette femme s’était mélangé

quelque chose, c’était à sa naissance.

Il avait toujours son goût sur les lèvres.

Ed traça des lignes sur le papier. Inezqui devait contrôler les liens existantentre Dieterling, Patchett et son père –cette idée le faisait toujours grimacer.Deux hommes des A.I. recherchaientWhite – appréhendez le salopard etfaites-le craquer. Billy Dieterling etTimmy Valburn en attente d’interrogatoire– en gants de velours, ils avaient prestigeet pouvoir. Une ligne jusqu’au meurtre deHudgens et le «numéro» Hudgens/Patchett– la déposition de Vincennes disait queles dossiers de Hudgens sur l’Insigne duCourage manquaient à l’époque de samort : chose bizarre, le spectacle télé

était une fixation chez Hudgens. Lesmembres de l’équipe de l’Insigne duCourage avaient tous des alibis pourl’heure du meurtre. Mais une nouvellelecture de tout le dossier méritait d’êtretentée.

La moitié de tout ce fouillis d’affairesemmêlées disait : chantage.

Une ligne jusqu’à un élément extérieur– Dudley Smith, tellement impatient decoffrer vite fait des coupables àNègreville que ça lui montait à la tête.Une ligne jusqu’à une rumeur qui courait :Thad Green allait prendre en charge lapolice des frontières US dès le mois demai. Une ligne théorique : Parker allaitchoisir son nouveau chef des inspecteurs

uniquement sur la base du Hibou de Nuit– lui ou Smith. Dudley pourrait peut-êtrelui renvoyer White dans les pieds pourcasser son autonomie : enchevêtrer toutesses lignes afin de garder son affaireparfaitement étanche.

Kleckner entra dans le bureau.

— Monsieur, la femme Mertz refuse decoopérer. Tout ce qu’elle accepte de dire,c’est qu’elle vit sous le pseudonyme deSharon Kostenza et qu’elle règle lescautions de tous les gens de Patchettlorsqu’ils se font incarcérer pour desmotifs extérieurs à lui. Personne n’ajamais été arrêté pour avoir travaillépour lui, ça, nous le savons. Elle ditqu’elle ne peut pas identifier les gens sur

les photos, et c’est motus et bouchecousue pour tout le côté chantage del’affaire, que je lui ai présentée commevous me l’avez demandé. Elle est restéeimpassible sur le Hibou de Nuit – et je lacrois.

— Relâchez-la, je veux qu’elle aillejusqu’à Patchett et sème la panique.Qu’est-ce que Duane a tiré d’AvaGardner ?

Kleckner lui passa une feuille depapier.

— Des tas de choses. Voici les pointsessentiels, et il a enregistré toute laconversation sur bande.

— Bien. Allez me ramollir un peu

Yorkin pour moi. Apportez-lui une bièreet faites la nounou.

Kleckner sortit en souriant. Ed lut lemémo de Fisk.

Témoin Paula Brown 25/3/58

1 – Le témoin a révélé les noms denombreux clients des call-girls et prost.mâles de P.P. (détails à suivre dans mémoséparé et sur bande).

2 – Impossible ident. gens sur photos(paraît sincère).

3 – A mordu à l’hameçon chantage :

a – P.P. donnait à ses filles et prost.mâles des primes pour obtenir de leursclients qu’ils révèlent des détails intimesde leurs existences.

b – P.P. ordonne à ses prost. de quitterle métier à 30 ans (apparemment uneobsession chez lui).

c – Sur rendez-vous de prostitution àdomicile, P.P. demandait aux prost. delaisser portes et fenêtres ouvertes pourpermettre à des hommes avec appareilphoto de prendre des clichéscompromettants. Les prost. faisaient aussides moulages à la cire des serrures chezcertains clients riches.

d – P.P. faisait appel à un chirurgienplastique renommé (T. Lux de tteévidence) pour retailler ses prost. mâleset femelles et les faire ressembler à desvedettes de ciné, et pour se faire plus depognon.

e – Prost. mâles faisaient chanter lesclients homosexuels mariés etpartageaient le fric avec P.P.

f – Non intéressée par les quest. surHibou de Nuit (de tte évidence, ne saitrien de répréhensible).

Perversion étonnante et pleined’audace.

Ed se dirigea vers les cagibis depassage au gril, inspecta les miroirs. Fisket la pseudo Ava en train de parler ;Kleckner et Yorkin en train de boire de labière. Terry Lux qui lisait une revue,Jerry Geisler fumasse. Lorraine Malvasiseule dans un nuage de fumée. Perversionétonnante et pleine d’audace – la femmeavait le visage de Rita Hayworth

jusqu’aux plus petits détails, jusqu’à lacoiffure sortie tout droit de Gilda.

Il ouvrit la porte. Rita/Lorraine seleva, s’assit, alluma une cigarette. Ed luitendit le mémo de Fisk.

— Lisez ceci, je vous prie, MlleMalvasi.

Elle lut en mâchonnant son rouge àlèvres.

— Et alors ?

— Alors, confirmez-vous ceci ou non ?

— Alors, j’ai droit à un avocat…

— Pas avant soixante-douze heures.

— Vous pouvez pas me garder ici aussilongtemps.

«Pouvez pas» – un mauvais accentnew-yorkais.

— Pas ici, mais nous pouvons vousgarder à la prison pour femmes.

Lorraine se mordit un ongle, le sangcoula.

— Vous pouvez pas.

— Bien sûr que je peux. SharonKostenza est en détention préventive, ellene peut donc pas payer votre caution.Pierce Patchett est sous surveillance, etvotre amie Ava vient juste de nous lâcherce que vous avez lu. Elle a été lapremière à parler, et tout ce que je veuxde vous, c’est que vous remplissiezquelques blancs.

Petit sanglot.

— Je peux pas.

— Pourquoi ?

— Pierce a été trop gentil pour…

Couper court.

— Pierce est fini. Lynn Bracken aaccepté de témoigner contre lui. Elle esten détention pour sa protection ; je peuxaller la voir pour obtenir les réponses, oum’épargner tous ces embêtements en vousles demandant.

— Je peux pas.

— Vous pouvez et vous le ferez.

— Non, je peux pas.

— Vous feriez bien, pourtant, sinonvous êtes complice pour onze chefsd’accusation majeurs dans la seuledéclaration de Paula Brown. Avez-vouspeur des gouines de la prison ?

Pas de réponse.

— Vous devriez, mais les gardiennessont pires. De grosses vrilles bienbaraquées, avec des matraques. Voussavez ce qu’elles font avec ces…

— Très bien très bien très bien ! Trèsbien, je parlerai.

Ed sortit un bloc-notes, nota «Chrono».

Lorraine :

— Ce n’est pas de la faute de Pierce.C’est ce mec qui l’a obligé.

— Quel mec ?

— Je sais pas – vraiment, pour de vrai,je sais pas.

«Chrono» souligné.

— Quand avez-vous commencé àtravailler pour Patchett ?

— Quand j’avais vingt et un ans.

— Donnez-moi l’année.

— 1951.

— Et il a demandé à Terry Lux de vousopérer ?

— Oui ! Pour me faire plus belle !

— Doucement, s’il vous plaît. Il y aune seconde, vous avez dit qu’un mec…

— Je sais pas qui est ce mec ! Je peuxpas vous dire ce que je sais pas.

— Chut, s’il vous plaît. Voyons, vousavez confirmé la déclaration de PaulaBrown et vous avez dit qu’un «mec»,dont vous ignorez l’identité, a usé demoyens de coercition pour obligerPatchett à participer aux activitésd’extorsion détaillées dans cettedéclaration. Est-ce que c’est exact ?

Lorraine éteignit sa cigarette, en allumaune nouvelle.

— Oui. Extorsion c’est commechantage, n’est-ce pas ? Alors oui.

— Quand, Lorraine ? Savez-vousquand ce «mec» a contacté Patchett ?

Elle compta sur ses doigts.

— Il y a cinq ans, en mai.

«Chrono» souligné en plus gros.

— C’est-à-dire en mai 1953 ?

— Ouais, pasque mon père est mort cemois-là. Pierce nous a convoquées, nous,les filles, et il a dit que nous devions lefaire ; lui ne voulait pas, mais le mec letenait par vous savez quoi. Il a pas dit lenom du mec et je pense pas qu’aucune desfilles le sache non plus.

«Chrono», un mois après le Hibou deNuit.

— Réfléchissez vite, Lorraine. Lemassacre du Hibou de Nuit. Vous voussouvenez ?

— Quoi ? Y a des gens qui se sont faitdescendre, non ?

— Aucune importance. Qu’est-ce quePatchett a dit d’autre lorsqu’il vous aconvoquées ?

— Rien.

— Rien d’autre sur Patchett et lesextorsions ? Rappelez-vous, je ne vousdemande pas si vous avez participé àcela. Je ne vous demande pas de vousincriminer.

— Eeeh bien, peut-être trois mois ou àpeu près avant ça, j’ai entendu Veronica –je veux dire Lynn – et Patchett quidiscutaient. Il lui a dit que lui et le garsde la revue à scandales qui s’est fait tuer

après allaient diriger cette affaire depresse-citron et c’est Pierce qui lerenseignerait sur nos clients et leurspetits… vous savez, euh, leurs petitsfétiches secrets, et le gars menacerait lesclients de parler d’eux dans l’Indiscret.Vous comprenez, payez, sinon, vous vousretrouvez dans la revue à scandales.

Confirmation de la théoried’extorsion. Un coup d’instinct : à uncertain niveau, Lynn jouait le jeu, ellen’avait pas dit à Patchett de se tenir prêt –jamais il n’aurait laissé embarquer tousces gens.

— Lorraine, est-ce que le sergentKleckner vous a montré des photospornographiques ?

Acquiescement de la tête.

— Je lui ai dit et je vous le dis. Jeconnais personne parmi ces gens, et cesphotos me fichent la nausée.

Ed sortit – Duane Fisk dans le couloir.

— Beau travail, monsieur. Quand vousl’avez amenée sur le «gars», je suisretourné auprès d’Ava. Elle a confirmé, etconfirmé que l’identité lui était inconnue.

Ed hocha la tête.

— Dites-lui que Rita et Yorkin ont étéplacés sous les verrous, puis relâchez-la.Je veux qu’elle retourne auprès dePatchett. Comment ça va pour Kleckneravec Yorkin ?

Fisk secoua la tête.

— Ce client est un dur. Il défie presqueDon de le faire parler. Hé, où est doncBud White, maintenant qu’on a besoin delui ?

— Amusant, mais n’insistez pas trop.Et dans l’immédiat, je veux que vousemmeniez déjeuner Lux et Geisler. Luxest ici volontairement, alors, soyez gentil: dites à Geisler qu’il s’agit là d’uneaffaire d’homicides multiples aveccrimes associés, et dites-lui que Luxobtiendra l’immunité pleine et entière surles crimes accessoires pour sacoopération, ainsi qu’une promesse écriteet signée qu’il ne témoignera pas devantla cour. Dites-lui que tout a déjà étérédigé ; s’il demande à vérifier, qu’ilappelle Ellis Loew.

Fisk acquiesça et repartit pour le box5. Ed jeta un œil au miroir du 1.

Chester Yorkin faisait le malin devantla glace : grimace, geste obscène dudoigt. Maigrelet, la banane dégoulinantede brillantine lui tombant sur les yeux.Meurtrissures sur les bras – peut-êtred’anciennes marques d’aiguilles.

Ed ouvrit la porte.

— Eh, je vous connais, dit Yorkin. J’ailu des trucs sur vous.

Confirmation des marques – tissucicatriciel sur les bleus.

— On a parlé de moi dans lesjournaux.

Gloussements.

— C’est la meilleure, et elle date pasd’hier, kemo sabe. Quelque chosecomme, vous avez dit : « Je frappe jamaisles suspects pasque ça rabaisse le flic auniveau du criminel. » Voulez connaître maréponse ? Je cafte jamais, pasque lesflics, c’est tous des empaffés et ilsprennent leur panard à faire parler lesmecs.

— T’as fini ? – réplique favorite deBud White.

— Non. Ton père, y se le fait refilerdans le cul par Moochie Mouse.

Les foies, mais il y alla malgré tout –un coup de coude à la glotte. Yorkin eutun haut-le-cœur ; Ed passa derrière lui, lemenotta et le balança au sol.

Les foies, mais les mains fermes :regarde, Pa, j’ai pas peur.

Yorkin battit en retraite dans un coin.

Les foies, une autre attaque à la Bud leMéchant : une chaise, un swing avec élan,la chaise qui s’écrase sur le mur juste au-dessus de la tête du suspect. Yorkinessaya de fuir en gigotant ; Ed le renvoyaà son coin. Doucement, maintenant : nelaisse pas ta voix se casser, ne laisse pastes yeux se radoucir derrière leurs verres.

— Tout. Je veux tout savoir sur leporno et les autres merdes que tu fourguespar l’intermédiaire de Fleur de Lis. Tout.Tu commences par les marques que tu assur les bras et pourquoi un hommeintelligent comme Patchett fait confiance

à un camé comme toi. Et tu veux savoirune bonne chose, là, tout de suite –Patchett est fini et je suis le seul quipuisse te proposer un marché. Est-ce quetu me comprends ?

Yorkin remua la tête : « oui oui oui ».

— Pilote d’essai ! J’ai plané pour lui !Pilote d’essai !

Ed défit ses menottes.

— Répète ça encore une fois.

Yorkin se frotta le cou.

— Cobaye.

— Quoi ?

— Je l’ai laissé tester sa horse surmoi. Ici et là, une petite dose à chaque

fois.

— Recommence depuis le début.Lentement

Yorkin toussa.

— C’est Pierce qui a récupérél’héroïne volée il y a des années au coursde la réunion Cohen-Jack Dragna. Cemec, Buzz Meeks, il en a laissé un peuaux mecs Englekling, Pete et Bax, rienqu’un échantillon, et ils ont donné ça àleur père, qui était quelque chose commeune grosse tête en chimie. Il a été le profde Pierce à l’université, et il lui a refiléle paquet de shit et il est mort, d’une crisecardiaque ou quelque chose comme ça.L’autre mec, je ne sais pas son nom, alorsme demandez pas, il a tué Meeks ou

quelque chose comme ça. Il s’estrécupéré le reste du shit, pour un total dedix-huit livres. Depuis des années, Piercemet au point des mélanges à partir dutruc. Il veut fabriquer le moins cher, leplus sûr et le meilleur. J’ai simplement…j’ai juste pris quelques doses deshooteuse pour les tests.

Recoupement de lignes absolumentétonnantes.

— Tu faisais bien des livraisons pourFleur de Lis, il y a cinq ans de ça, exact ?

— Exact, ouais, c’est sûr.

— Toi et Lamar Hinton ?

— J’ai pas vu Lamar y a des années,vous pouvez pas me coller les merdes de

Lamar sur le dos.

Ed s’empara de la chaise restante et labrandit comme une arme.

— Je n’en ai pas envie. Donne-moi uneréponse, et si la réponse me plaît, je seraien dette avec toi, et je t’en devrai unebelle. C’est un essai, et toi tu es piloted’essais, alors tu devrais t’en tirer sansproblème. Qui a tiré sur Jack Vincennesdevant la planque de Hollywood en 53 ?

Yorkin se fit tout petit

— C’est moi. Pierce m’a dit de ledescendre. J’aurais pas dû faire ça à côtéde la planque. J’ai foiré le coup et Piercea fait la gueule.

Patchett épinglé : tentative de meurtre

sur un officier de police.

— Qu’est-ce qu’il t’a fait pour ça ?

— Il m’a testé, quèq’chose de méchant.Il m’a donné tous ses mauvais mélangesqu’il devait éliminer il a dit. Il m’a obligéà décoller et à me payer ces putains demauvaises planantes.

— Donc, tu le hais à cause de ça.

— Mec, Pierce, il est pas comme lesgens normaux. Je le hais, mais y me botteen même temps.

Ed repoussa sa chaise.

— Te souviens-tu de la fusillade duHibou de Nuit ?

— Sûr, y a des années de ça. Qu’est-ce

que ça à voir ?

— T’occupe pas, voici ce qui estimportant. Si tu éclaircis ma lanterne là-dessus, je te donnerai une garantie écrited’immunité et je te mettrai en préventivepour te protéger jusqu’à ce que Patchettsoit tombé. Le porno, Chester. Tu terappelles ces livres d’orgie que Fleur deLis distribuait, il y a des années de ça ?

Yorkin secoua la tête en signe de oui.

— L’encre qui imitait le sang, sur lesphotos, tu te souviens de çà ?

Yorkin sourit – soucieux de plaire, unevraie balance.

— Ch’uis bien au courant. Pierce, y vatomber pour de bon ?

Dix heures jusqu’au déclenchement deson scénario.

— Peut-être cette nuit.

— Alors qu’il aille se faire foutre pourtous ces mauvais voyages !

— Chester, raconte-moi ça, doucement.

Yorkin se leva, essayant de chasser lescrampes de ses jambes.

— Vous savez pas la plus belle avecPierce ? Il racontait tout le temps plein detrucs à côté de moi pendant que jeplanais, comme si j’étais inoffensif,comme si je pouvais rien me rappeler dece qu’y disait.

Ed sortit son calepin :

— Essaie de me dire ça dans l’ordre.

Yorkin se frotta la gorge, toussota.

— Okay. Pierce, il avait une trouped’anciennes filles qu’il avait lâchées, etça se passait à l’époque où on refilait lesrevues de photos. Y a un mec, je sais passon nom, il a réussi à convaincrecertaines des filles et leurs mectons deposer pour les photos. Il en a fait deslivres et il est allé voir Pierce pour setrouver l’argent pour distribuer lesbouquins à grande échelle, vouscomprenez, il avait promis à Pierce unepart du fric. Pierce, il a bien aimé l’idée,mais il voulait pas exposer les filles ouleurs mectons. Il a racheté un pacson debouquins au mec pour les faire distribuer

par l’intermédiaire de Fleur de Lis, vousvoyez, il appelait ça une distribution àpetite échelle, genre marché à l’essai, ys’disait que comme ça, y pourrait suivreles bouquins à la trace.

Recoupement de vieilles lignes : lapetite distribution n’était pas si petite queça, l’Ad. Mœurs avait récupéré desexemplaires bazardés – Vincennes surl’affaire.

— Continue, Chester.

— Eh bien, le mec qui a fabriqué lestrucs de photos, il a réussi à tirer les versdu nez à Pierce d’une manière ou d’uneautre pour des infos sur les frèresEnglekling, le fait qu’ils avaient un atelierd’imprimerie et qu’ils étaient toujours à

court d’argent. Il s’est trouvé un hommede paille, et l’homme de paille, il acontacté les deux frères. Vous voyez, unplan pour fabriquer les merdes en série etles revendre.

L’homme de paille : Duke Cathcart.Des lignes en zigzag de Cohen aux deuxfrères, des deux frères à Patchett, retoursur une tangente : Mickey à McNeilIsland – puis Goldman et Van Gelder.Une ligne de l’héroïne à lapornographie.

— Chester, comment sais-tu tout ça ?

Yorkin se mit à rire.

— J’avais comme qui dirait décollésur une grande ligne, et Pierce, lui, il était

peinard de son côté, avec cette bonnevieille horse bien blanche et bien sûre quilui sortait des narines. Et il me racontaitses salades en m’enguirlandant, comme siy parlait à une espèce de klebs.

— Alors Patchett et le porno, c’est fini,exact ? Tout ce qui l’intéresse, c’est defourguer l’héroïne ?

— Que dalle ! Ce mec, là, qui a amenéles dix-huit livres à Pierce, y a desannées de ça ? Et ben, le porno, ça le faitbander, il en redemande. Il a des listes deplein de riches pervers, et plein decontacts en Amérique du Sud. Lui etPierce, ils n’ont pas touché aux photosd’origine pendant des années, puis ils ontfait fabriquer des nouveaux bouquins je

sais pas où. Ils ont planqué toute cettemerde, quelque part, dans un entrepôtquelconque, je sais pas où, ils attendentpour démarrer. Je pense que Pierceattendait que les choses se tassent un peu.

Pas de recoupement de nouvelleslignes. Une expression fit son chemin enlui : motivation d’intérêt. Lapornographie en elle-même étaithasardeuse ; vingt livres d’héroïneredistribuée, ça signifiait des millions.

— Un p’tit truc encore, dit Yorkin, aucas où ça vous démangerait pour merégler le coup. Pierce, y s’est fait faire uncoffre-fort piégé à côté de sa maison. Il adu fric, de la came, toutes sortes de trucsplanqués là-dedans.

Ed continua à penser ARGENT.

— Hé, parlez-moi, dit Yorkin. Vousvoulez l’adresse du nouveau point dechute ? 8819 Linden, Long Beach. Exley,parlez-moi !

— Un steak, dans ta cellule, Chester.Tu l’as bien mérité.

Des lignes toutes fraîches – Eds’empara des résumés de Fisk et deKleckner, y ajouta les révélations deYorkin et Malvasi.

Héroïne et pornographie reliées – «LeMec» qui avait fabriqué les livres de culégale le tueur de Sid Hudgens, avec DukeCathcart comme homme de paille – tuépar Dean Van Gelder, meurtre sur

commande ou simplement envisagé parDavey Goldman – qui avait été mis aucourant de la proposition porno par lemouchard placé dans la cellule deMickey Cohen. Cohen omniprésent –l’héroïne qu’on lui avait volée avaitatterri à la fois chez les Englekling etchez l’« homme» qui avait apporté àPatchett les dix-huit livres de H à traiter,l’« homme» qui adorait également lapornographie et avait convaincu Patchettde fabriquer de nouveaux livres à partirde prototypes de 1953. Un coup d’instinct: Cohen, et ça remontait à huit ans, était leM. Jobard de toute l’affaire, en prisoncomme en liberté, point de focalisationqui ne jouait pas ses propres cartes danstout ce fatras d’affaires entremêlées. Une

ligne jusqu’à une conclusion : lesmeurtres du Hibou de Nuit étaient aumoins l’œuvre de semi-professionnels,une tentative pour mettre la main sur lesrackets – héroïne et pornographie – dePierce Patchett. Cathcart, en essayant defourguer le porno en solo, se trouvait aucentre des meurtres. Avait-il essayé detromper sur l’importance de son rôle lesgens qu’il ne fallait pas, ou est-ce que lestireurs avaient délibérément descenduVan Gelder, sachant ou ne sachant pasqu’il se faisait passer pour Cathcart ?Nouvelles lignes jusqu’à des intrigues ducrime organisé, au minimum des semi-pro, avec toutes les directions pègre,disparues ou hors d’état de fonctionner :Franz Englekling et fils – morts, Davey

Goldman – légume, Mickey Cohen –l’esprit complètement brouillé par tout cequi se passait autour de lui. Une lignequestion : qui avait réglé leur compte àPete et Bax Englekling ? Une ligne terreur: Loren Atherton, 1934. Comment était-cepossible ?

Fisk frappa à la porte.

— Monsieur, je viens de ramener Luxet Geisler.

— Et ?

— Et Geisler m’a donné unedéclaration toute prête.

— Lisez-la.

Fisk sortit une feuille.

« Concernant mes relations avec PierceMorehouse Patchett, je soussigné,Terence Lux, docteur en médecine, offrela déclaration qui suit, dûmentauthentifiée. À savoir : mes relationsavec Pierce Patchett sont professionnelles: c’est-à-dire, j’ai exécuté nombred’opérations de chirurgie plastique surnombre de relations des deux sexes dususdit, parfaisant des ressemblancesexistantes pour aboutir à desressemblances exactes de plusieursacteurs et actrices célèbres. Des rumeurssans fondement soutiennent que Patchettemploie ces jeunes personnes à des finsde prostitution, mais je n’ai aucunepreuve concluante que cela soiteffectivement la vérité. Fait sous serment,

» et cætera…

— Pas suffisant, dit Ed. Duane, vousemmenez Yorkin et Rita Hayworth del’autre côté de la rue et vous les placez encellule. Complicité et assistance àcriminel, et laissez en blanc les datesd’arrestation. Autorisez-les à passer uncoup de fil chacun, puis descendez à LongBeach et investissez le 8819 Linden.C’est un point de chute de Fleur de Lis etje suis sûr que Patchett l’a nettoyé, maisfaites-le quand môme. Si vous trouvezl’endroit vierge, flanquez la crèche enl’air et laissez la porte ouverte.

Fisk déglutit.

— Euh… monsieur ? La flanquer enl’air, et pas de date d’incarcération pour

nos suspects ?

— Flanquez-la en l’air. Faites unedéclaration. Et ne discutez pas mesordres.

— Euh, oui, monsieur, dit Fisk.

Ed ferma la porte, sonna Kleckner.

— Don, faites entrer le Dr Lux et M.Geisler.

— Oui, monsieur, d’une voix forte dansl’interphone. En chuchotant : ils font lagueule, capitaine. Je pensais que vousaimeriez le savoir.

Ed ouvrit la porte. Geisler et Luxs’avancèrent – l’allure bourrue.

Pas de poignées de main.

— Franchement, dit Geisler, cedéjeuner n’a même pas commencé àcouvrir une heure des honoraires que jevais demander au Dr Lux. Je trouvedéplorable qu’il soit venu ici de sapropre volonté et qu’on l’ait fait attendresi longtemps.

— Acceptez mes excuses, dit Ed avecun sourire. J’accepte la déclarationofficielle que vous avez rédigée et je n’aipas vraiment de questions à poser au DrLux. J’ai simplement un service à luidemander et une faveur importante à luiaccorder en échange. Et adressez-moivotre facture, M. Geisler. Vous savez queje peux me le permettre.

— Je sais que votre père le peut.

Continuez, je vous prie. Jusqu’ici, vousm’intéressez.

De Ed à Lux :

— Docteur, je connais les gens quevous connaissez et vous connaissez lesgens que je connais. Et je sais que vousvous occupez du traitement demorphinomanes tout à fait légalement.Aidez-moi, et je vous offre la garantie demon amitié.

Lux se cura les ongles d’un scalpel.

— Le Daily News dit que vous n’êtesplus dans la course.

— Il se trompe. Pierce Patchett etl’héroïne, docteur. Je me contenterai derumeurs et je ne vous demanderai pas

quelles sont vos sources.

Geisler et Lux se mirent enconciliabule – un pas dans le couloir,murmures. Ce fut Lux qui rompit lepremier.

— J’ai entendu dire que Pierce est enrapport avec des gens très méchants quiveulent contrôler tout le marché del’héroïne à Los Angeles. C’est unchimiste de première grandeur, voussavez, et il y a des années qu’il met aupoint un mélange spécial – hormones,molécules antipsychotiques, unedécoction étonnante. J’ai entendu direqu’elle reléguait l’héroïne au rang de pasgrand-chose, et j’ai entendu dire qu’elleétait prête à être fabriquée et vendue. Un

bon point pour moi, capitaine. Jerry,prenez cet homme au mot et envoyez-luima facture.

Semi-pro ou pro – toutes ses nouvelleslignes disaient clairement HÉROÏNE. Edappela Bob Gallaudet, et laissa unmessage à sa secrétaire : solutionpossible en vue pour le Hibou de Nuit –appelez-moi. Une photo, sur son bureau,l’attira comme un aimant : Inez et sonpère à Arrowhead. Il appela LynnBracken.

— Allô ?

— Lynn, c’est Exley.

— Seigneur ! Bonjour.

— Tu n’es pas allée voir Patchett,

n’est-ce pas ?

— Croyais-tu que j’allais le faire ?Est-ce que tu faisais tout pour que j’yaille ?

Ed retourna la photographie sur sonbureau.

— Je veux que tu quittes L.A. pour unesemaine environ. J’ai une maison à LakeArrowhead, tu peux t’y installer. Pars cetaprès-midi.

— Est-ce que Pierce…

— Je te le dirai plus tard.

— Viendras-tu me voir ?

Ed consulta le scénario préparé pourVincennes.

— Aussitôt que j’aurai mis quelquechose en route. As-tu vu White ?

— Il est venu, il est reparti, et je nesais pas où il se trouve. Est-ce qu’il vabien ?

— Oui. Non, merde, je ne sais pas.Retrouve-moi chez Fernando, sur le lac.C’est juste à côté de chez moi. Disons sixheures ?

— J’y serai.

— Je pensais qu’il aurait fallu teconvaincre un peu plus.

— Je me suis déjà convaincue de tasde choses. Le fait de quitter la ville lesrend simplement plus faciles.

— Pourquoi, Lynn ?

— Disons que la fête est finie, à monidée. Crois-tu que refuser d’ouvrir labouche soit un acte héroïque ?

63

Bud se réveilla au Victory. Crépusculeà la fenêtre – il avait dormi la moitié dela nuit et tout le jour. Il se frotta les yeux ;immédiatement, il se retrouva avecl’image de Spade Cooley arrimée à lui. Ilsentit la fumée de cigarette, et vit Dudleyassis près de la porte.

— Mauvais rêves, mon gars ? Tu t’esun peu débattu.

Cauchemar : Inez traînée dans la bouepar la presse, sa faute – ce qu’il avait faitpour épingler Exley.

— Mon gars, dans ton sommeil, tum’as rappelé mes filles. Et tu sais que tu

ne comptes pas moins pour moi ?

Ses draps étaient trempés de sueur.

— Où en est le boulot ? Quelle est lasuite ?

— La suite, tu écoutes. Il y a longtempsque je participe à la contention descrimes violents, de sorte que moi-mêmeet quelques collègues pourrions peut-êtreun jour jouir d’une participation auxbénéfices, et ce jour-là arrivera bientôt.En tant que collègue, tu recevras une trèsbelle part. Nous aurons entre nos mainsdes moyens splendides, mon gars.Imagine les moyens de maintenir lessaloperies de négros au grand calme, etextrapole à partir de ce point. S’y trouveimpliqué un Italien récalcitrant auquel tu

as eu affaire par le passé, et je pense quetu peux nous être particulièrement utilepour le faire marcher droit.

Bud s’étira, fit craquer ses jointures.

— Je parlais de la réouverture. Allezdroit au but, okay ?

— Edmund Jennings Exley, et c’estaussi droit que je peux l’être. Il essaie deprouver certaines choses détestablescontre Lynn, mon gars. Un peu de sel qu’ilrajoute sur toutes les vieilles blessuresqu’il t’a faites.

Bourdonnant comme un câble à hautetension.

— Vous étiez au courant, pour nousdeux. J’aurais dû le savoir.

— II est vraiment très très peu dechoses que je ne sache pas, et rien que jene ferais pour toi. Exley le lâche a touchéaux deux seules femmes que tu aiesjamais aimées, mon gars. Pense à lui fairemal à ton tour, de splendide façon.

64

Ils firent l’amour tout de suite. Edsavait qu’il leur faudrait parler s’ils ne lefaisaient pas, et Lynn donnaitl’impression de partager la mêmesensation. Le chalet sentait le moisi, le litn’était pas fait – encore rance de ladernière fois avec Inez. Ed garda lalumière allumée : plus il en verrait, moinsil penserait. Cela l’aida pendant l’acte : ildécompta les taches de rousseur de Lynnpour s’empêcher d’arriver à l’orgasme.Lents à se mouvoir, l’un et l’autre, commepour compenser leur roulade du canapé,la première fois. Lynn portait des tracesde coups ; Ed sut qu’elles venaient de

Bud White. Dans leur numéro de corderaide, ils se comportèrent avec tendresse; le long enlacement qui suivit leur futcomme le règlement de tous leursmensonges. Lorsqu’ils se mettraient àparler, ils ne s’arrêteraient plus. Ed sedemanda lequel des deux dirait BudWhite le premier.

Ce fut Lynn. Bud avait été la chevilleouvrière qui l’avait convaincue de mentirà Patchett : l’enquête de police était uneplaisanterie, ils se raccrochaient à desbouts de ficelle. White était au courantdes faits les moins graves relevés contrePatchett, et elle avait peur que Bud n’aitdes ennuis si Pierce décidait de riposter.Pierce pourrait même essayer d’acheterson amitié, il croyait que tout le monde

avait son prix, il ne savait pas que sonWendell à elle ne pouvait pas s’acheter.Bud l’avait fait réfléchir, et plus elleréfléchissait, plus elle avait mal ; uncertain capitaine de la police en traind’embrasser une certaine ex-putain, auseul instant où elle l’aurait permis, ne fitqu’ajouter à la sensation que la fête étaitfinie. Pierce m’a faite, mais au fond delui, il est mauvais ; si je le lâchais, alorspeut-être que je réussirais à retrouvercertaines des bonnes choses qu’il a tuéesen moi. Ed fit la grimace en entendant lesparoles de Lynn, sachant qu’il ne pourraitpas lui rendre son innocence – JackVincennes allait maintenant entrer dans lapartie, nu, sans protection, sans rien ; luiqui avait compté sur Lynn pour pousser

Patchett à paniquer, dépassé et inutile,Fisk, démolissant le point de chute à lahache de sapeur, dépassés et inutiles, lesgens de Patchett, qu’il avait fait arrêter etpasser au gril. Lynn accueillit son silencepar des mots encore – des extraits de sonjournal, étalage au grand jour, sonstratagème, sa déclaration à elle auxamants d’un jour. Drôle, triste – anciensmichés tournés en ridicule, un monologuesur les tapineuses à roulettes des drive in,qui le fit presque rire. Lynn sur Inez etBud White – il l’avait aimée, ici et là, etla plupart du temps de loin, parce que lafurie d’Inez était pire que la sienne, ellele vidait, une nuit par-ci, une nuit par-là,c’est tout ce qu’il était capabled’encaisser. Pas de jalousie – alors sa

propre jalousie jaillit au jour, et forçapresque Ed à hurler ses questions :héroïne et extorsion, perversité d’uneaudace surprenante, qu’en sais-tu, au juste? Le cadeau qu’elle lui fit l’en empêcha ;des mains douces sur sa poitrinel’obligèrent à se libérer, à se vider dansune parité d’innocence avant qu’il nerecommence à interroger ou à mentir, rienque pour avoir quelque chose à dire.

Il remonta droit à sa famille, spirale entourbillon, du présent au passé. Eddie, legarçon à sa maman ; Thomas, la merveilledes merveilles, la gigue qu’il avaitdansée lorsque son frère avait bloqué sixballes. Policier patricien, descendantd’une longue lignée de détectives deScotland Yard. Inez, quatre hommes tués

par faiblesse ; Dudley Smith qui endevenait cinglé de mettre la main sur unbouc émissaire convenable qu’EllisLoew et le chef Parker pourraientéventuellement accepter comme panacée.Ruée précipitée, tête baissée, jusqu’auGrand Preston Exley dans toute sa gloireopiniâtre, et la manière dont les photospornographiques rehaussées d’encre enrelief conduisaient à un marchand descandales aujourd’hui mort, des enfantsdécoupés vifs, et son père et RaymondDieterling vingt-quatre annéesauparavant. Ruée, tête baissée, jusqu’à cequ’il ne reste plus rien à dire et que Lynnlui ferme les lèvres d’un baiser, et qu’ils’endorme en touchant les meurtrissuresqu’elle portait.

65

Le Grand V, flic pourri – à porter aucrédit d’Exley : il savait choisir sesinterprètes. Son coup de fil de contactavait été synchro avec la descente sur laplanque – Patchett avait dit : « Oui, jevous verrai. Onze heures ce soir – etvenez seul. »

Il portait un enregistreur pardessus ungilet pare-balles.

Il portait sur lui un sachet d’héroïne, uncran d’arrêt, un 9 mm automatique.

Il avait viré la Benzédrine d’Exleydans les toilettes, une source de pépinsdont il n’avait pas besoin.

Il s’avança, appuya sur la sonnette – letrac, tout le long.

Patchett ouvrit la porte. Des yeux entêtes d’épingles, comme l’avait dit Exley– un camé du blair.

Jack, selon le scénario :

— Salut, Pierce – dégoulinant demépris.

Patchett ferma la porte. Jack lui jeta lacame à la figure. Elle toucha son but ettomba au sol.

Impro.

— Juste une offre de paix. Pas aussichouette que la merde que vous aveztestée sur Yorkin, de toute manière.Saviez-vous que mon beau-frère est

procureur de la ville ? Je vous l’offre enprime si nous arrivons à un marché.

Patchett :

— Où avez-vous eu ça ? Calme, lacame qui lui bourrait les narines luipermettait de ne pas montrer sa peur.

Jack sortit le couteau, et se gratta lecou de la lame. Il sentit une coupure, etlécha le sang de son doigt – un oscar pourle psycho.

— J’ai secoué quelques négros. Vousêtes au courant de tout ça, non ?L’Indiscret me faisait mousser dans letemps. Vous et Sid, ça remonte à loin,alors vous devriez être au courant.

Nulle trace de peur.

— Vous m’avez créé des ennuis, il y acinq ans. J’ai toujours cette copiecarbone sur vous, et je pense qu’il estjuste de dire que vous avez rompu votrepart du marché. Je présume que vous avezmontré votre déposition à vos supérieurs.

Numéro au couteau : la pointe de lalame sur la paume, une petite pousséepour la retirer. Encore du sang, unetouche essentielle selon Exley.

— Vous êtes bien loin pour moi, côtéservice de renseignements. Je suis aucourant de l’héroïne que vous avezrécupérée du sommet came Cohen-Dragnaet de ce que vous êtes en train d’en faire.Je suis au courant du porno que vousfourguiez en 53, et je suis au courant dans

le détail de toutes vos manœuvresd’extorsion avec vos putains. Et tout ceque je veux, c’est mon dossier etquelques renseignements. Vous me donnezça et je ferai dérailler tout ce que lecapitaine Exley aura mis en route.

— Quels renseignements ?

Retour au scénario, mot à mot :

— J’avais passé un marché avecHudgens. Le marché, c’était la destructionde mon dossier et dix plaques en liquideen échange de saloperies bien juteusesque je connais sur les grosses légumes duLAPD. Je savais que Sid allait travailleravec vous dans une opération dechantage, et j’avais déjà écrasé le coupsur Fleur de Lis – vous savez que c’est

vrai. Sid s’est fait tuer avant que je puisserécupérer l’argent et le dossier, et jepense que c’est le tueur qui a les deux.J’ai besoin de cet argent, pasqu’on est entrain de me virer avec pertes et fracas duService avant que je puisse toucher mapension, et le fumier qui m’a truandé, jeveux le voir mort. Ce n’est pas vous quiaviez fabriqué le porno à l’époque, en53, mais celui qui l’a fait a tué Sid et m’avolé. Donnez-moi le nom et je suis àvous.

Patchett sourit. Jack sourit – un derniercoup de poussette avant de passer autravail à coups de crosse.

— Pierce, le Hibou de Nuit, c’étaitporno et héroïne – les vôtres. Vous voulez

tomber pour ça ?

Patchett sortit un calibre, tira sur Jackpar trois fois. Claquements assourdis dusilencieux – les balles fracassèrent lebouton d’enregistrement et rebondirentsur le gilet.

Trois autres balles – deux dans le gilet,une qui rate.

Jack se fracassa dans une table, seredressa, l’arme en ligne de mire. Laculasse qui coince, Patchett sur lui, deuxcoups de percuteur à vide, près, très près.Patchett dans la figure, le couteau sorti,un coup à l ‘aveuglette, un hurlement – lalame avait touché.

La main gauche de Patchett clouée à la

table. Un nouveau hurlement, sa maindroite tendue, en arc – une aiguille quisortait. L’aiguille prête à piquer, ellepique, décollage pour un coin chouette.Des fusils qui tirent. «Non, Abe, non,Lee, non !» Flammes, fumée, roulade pours’éloigner du désastre, qu’il puisse vivrepour goûter encore à l’aiguille, et peut-être revoir le drôle de bonhomme avec samain épinglée d’une saccagne à la table.

66

L’horloge qu’il avait dans la tête étaitbigrement foireuse, sa montre avait cesséde fonctionner – il n’était pas sûr d’être àmercredi ou jeudi. Scs «révélations» surle Hibou de Nuit lui avaient bouffé unesoirée tout entière – Dudley étaittellement en avance sur lui qu’il n’avaitmême jamais pris de notes. L’hommel’avait quitté à minuit, remonté à bloc pardes paroles intrépides, pas de rencartpour la prochaine valse du flic aux grosbras. Dud avait rencart avec Exley :régler le Hibou de Nuit et ruiner sacarrière, Bud White le Méchant passait ensecond : « Pense à lui faire mal, de

splendide façon. » Meurtre : impossiblede penser à autre chose – juste prix àpayer pour Lynn ; tuer un capitaine duLAPD, c’était ça le ressort de sonhorloge qui sautait de partout – encore untour d’horloge, un tour de temps faussé, etil le ferait. À un moment, tôt le matin, ilfut assailli par Kathy Janeway. Kathytelle qu’elle était alors. Elle lui offrit unrendez-vous choisi pour les petites heuresblêmes du petit matin – avec l’homme quil’avait assassinée.

Et Spade Cooley lui fit faux bond.

Il passa au Biltmore, discuta avec legroupe Cow-Boy rythmique – Spaden’était toujours pas là, Deuce Perkinsétait parti en bringue de son côté.

L’employé de nuit du Bureau duProcureur l’envoya paître – étaient-ilsseulement sur l’affaire ? Une autredescente à travers Chinatown, un sautjusqu’à son appartement – deux triquesdes A.I. garées juste devant. Un repasenglouti vite fait à un étal à burgers,l’aube qui commençait à poindre, une pilede Herald qui lui apprit que c’étaitvendredi. Hibou de Nuit sur cinqcolonnes : les bougnoules râlaient auxbrutalités policières, le chef Parkerpromettait justice.

Il se sentait fatigué l’espace d’uneseconde, remonté à bloc la suivante. Ilessaya de mettre sa montre à l’heure de laradio ; les aiguilles se coincèrent ; ilbalança par la fenêtre une Gruen de cent

dollars. Fatigué, il voyait Kathy ;remonté, il voyait Exley et Lynn. Il serendit à Nottingham Drive pour inspecterles voitures.

Pas de Packard blanche – et Lynn segarait toujours à la même place.

Bud fit le tour du bâtiment – aucunsigne de la Plymouth bleue d’Exley. Unevoisine rentrait son lait.

— Bonjour, dit-elle. Vous êtes l’ami deMlle Bracken, n’est-ce pas ?

La vieille fouine – Lynn disait qu’ellereluquait dans les chambres à coucher.

— C’est exact.

— Eh bien, comme vous le voyez, ellen’est pas ici.

— Ouais, et vous ne savez pas où elleest ?

— Eh bien…

— Eh bien quoi ? L’avez-vous vueavec un mec ? Grand, à lunettes ?

— Non. Et changez de ton, jeunehomme. Eh bien quoi, en effet.

Bud lui colla sa plaque.

— Eh bien quoi, belle dame ? Z’alliezme dire quelque chose.

— Avant que vous ne fassiezl’impudent, j’allais vous dire où MlleBracken est allée. Je l’ai entendue quiparlait au gérant, hier soir. Elledemandait des indications sur la route àprendre.

— Pour aller où ?

— À Lake Arrowhead, et je vousl’aurais dit si vous ne vous étiez pasmontré impudent.

La maison d’Exley, Inez lui en avaitparlé, un chalet, drapeaux au vent :Amérique, État, LAPD. Bud roula jusqu’àArrowhead, longea le lac, vitesse decroisière, trouva l’endroit : bannièresflottant au vent, pas de Plymouth bleue.La Packard de Lynn dans l’allée.

Un bond jusqu’au perron ; un sautjusqu’en haut des marches. Bud fracassaune vitre du poing, fit sauter le loquet dela porte. Aucune réaction au bruit – rienqu’une pièce sentant le moisi, décoréestyle pavillon de chasse provincial.

Il pénétra dans la chambre à coucher.Ça puait la sueur, des taches de rouge àlèvres sur le lit. Il creva les oreillers enduvet à coups de pied, vira le matelas,aperçut dessous une reliure de cuir. LesLettres écarlates de Lynn, pas de doute –il y avait des années qu’elle parlait deson journal.

Bud s’en empara, prêt à le déchirer –le long de la reliure, comme son vieuxtruc de l’annuaire. L’odeur l’arrêta – s’ilne regardait pas, c’est qu’il était lâche.

Saut jusqu’à la dernière page. Écriturede Lynn, énergique, encre noire, le styloen or qu’il lui avait offert.

26 mars 1958

De nouveaux détails sur E.E. Il vientde partir et je voyais bien qu’il étaitcontrarié par tout ce qu’il m’avait dit lanuit dernière. Il avait l’air vulnérabledans la lumière du matin, cherchant lasalle de bains à tâtons sans ses lunettes.Je plains Pierce pour le malheur d’avoircroisé la route d’un homme aussiessentiellement effrayé et inflexible. E.E.fait l’amour comme mon Wendell, commes’il voulait que cela ne cesse jamais,parce que, quand ce sera terminé, il luifaudra retourner à ce qu’il est. C’est peut-être le seul homme que j’aie jamaisrencontré qui soit aussi compromis que je

le suis moi-même, qui soit aussiintelligent, circonspect et prudent au pointque vous voyez toujours ses petitsrouages qui fonctionnent : à cause decela, vous en arrivez à souhaiter depouvoir lui parler uniquement dans lenoir, là où ses qualités vous paraîtrontmoins complexes. Il est tellementintelligent et pragmatique qu’il faitparaître W.W. infantile à côté de lui,puéril, et donc moins héroïque qu’il nel’est en réalité. Et considérant sondilemme, ma trahison de l’amitié et dusoutien de Pierce me paraît moinsfranchement puérile. Cet homme vittellement dans l’obsession d’être en detteavec son père, et depuis si longtemps,qu’au fond de lui, cette obsession centrale

doit influencer la moindre des sesinitiatives, et pourtant, il persiste toujoursà prendre des initiatives, ce qui mestupéfie. E.E. n’est pas vraiment entrédans les détails, mais pour l’essentiel, ilapparaîtrait que certains des livrespornographiques les plus recherchés quePierce vendait il y a cinq ans, portent desmotifs, sur les clichés, qui correspondentaux mutilations du corps de Sid Hudgenset aux blessures des victimes d’unassassin du nom de Loren Atherton,lequel a été arrêté par Preston Exley dansles années 30. P.E. doit bientôt annoncersa candidature au poste de gouverneur, etE.E. considère aujourd’hui que son père arésolu l’affaire Atherton de manièreincorrecte ; il a laissé sous-entendre qu’il

soupçonne P.E. d’avoir noué des relationsd’affaires avec Raymond Dieterling àl’époque de cette affaire (l’une desvictimes d’Atherton était l’un des enfantsvedettes de Dieterling). Autre pointcrucial aussi étrange : E.E., monpragmatiste très intelligent, voit en sonpère un tel exemple de moralité et un telparangon d’efficacité qu’il est terrifié àl’idée d’accepter, comme relevant d’uncomportement humain tout à faitacceptable, une incompétence normale etla sauvegarde raisonnable de ses propresintérêts. Il craint que la résolution desenquêtes «concomitantes au Hibou deNuit» qu’il dirige ne révèle au monde lafaillibilité de P.E., et ne détruise seschances de devenir gouverneur. De toute

évidence, il est encore plus effrayé àl’idée de devoir accepter son pèrecomme mortel, chose particulièrementdifficile puisque ce dernier ne s’estjamais accepté comme tel. Mais il va del’avant dans ses enquêtes ; au fond de lui-même, il paraît tout à fait déterminé.

Malgré tout l’amour que j’ai pour lui,dans la même situation, mon Wendell secontenterait d’abattre toutes les personnesimpliquées avant de partir à la recherchede quelqu’un d’un peu plus intelligentpour faire le tri entre les corps, commecet Irlandais si courtois, Dudley Smith,qu’il cite toujours. Je reviendrai sur toutceci et les problèmes qui s’y rattachentaprès une promenade, un petit déjeuner ettrois tasses de café bien fort».

Il se mit alors à tout déchirer – le longde la reliure, par le travers, réduisant enmiettes cuir et papier.

Le téléphone. D.A.I. direct – Dring,dring.

— Affaires internes, Kleckner.

— C’est White. Passez-moi Exley.

— White, vous avez des en… – Uneautre voix en ligne – Ici Exley. White, oùêtes-vous ?

— Arrowhead. Je viens de lire lejournal de Lynn et j’ai découvert toutel’histoire sur votre vieux, Atherton etDieterling. Toute la putain d’histoire. Jesuis en train de courser un suspect, etquand je l’aurai trouvé, ce sera papa aux

infos de dix heures.

— Je ferai un marché avec vous.Écoutez simplement.

— Jamais.

Retour à L.A., tournée habituelle deSpade : Chinatown, le Strip, le Biltmore,son troisième circuit depuis qu’il avaitperdu la notion du temps. Les chinetoquescommençaient à ressembler au groupeCow-Boy rythmique, les mecs de l’ElRancho avaient les yeux qui se bridaient.À chaque endroit où Spade traînait sesguêtres, triple vérification, tout trois fois– sauf son agent, qu’il n’avait bousculéqu’à une seule occasion.

Bud se rendit chez Nat Penzler

Associés. La porte de communicationétait ouverte. M. Natsky dégustait unsandwich. Il mordit une fois, et dit : —Oh merde !

— Spade a largué son spectacle. Il doitvous coûter de l’argent.

Penzler libéra une main derrière sonbureau.

— L’Homme des Cavernes, si voussaviez tous les malheurs que me causentmes clients.

— Ça n’a pas l’air de vous préoccupertant que ça.

— Les mauvais numéros, ça réapparaîttoujours.

— Savez-vous où il est ?

Penzler leva la main.

— Je dirais qu’il est sur la planètePluton, à traîner dans le coin avec sonpote Jack Daniels.

— Que faisiez-vous avec votre main ?

— Je me grattais les couilles. Vousvoulez le boulot ? Ça paie cinq cents sacsla semaine, mais vous devez reverser dixpour cent à votre agent.

— Où est-il ?

— Il est quelque part pas loin de nullepart que je sache. Venez me voir lasemaine prochaine, et écrivez-moi quandvous aurez de la cervelle.

— C’est comme ça, hein ?

— Caverneux, si je savais, est-ce queje cacherais des choses à un balèzecomme vous ?

Bud le vira de son fauteuil d’un coupde pied. Penzler tomba au sol ; le fauteuilpivota et se renversa. Bud mit la mainsous le bureau, et sortit un paquetenveloppé d’une ficelle. Un pied sur letas, un coup sec sur le nœud – deschemises noires de cow-boy, toutespropres.

Penzler se releva.

— Lincoln Heights. Le sous-sol dechez Sammy Ling, et ce n’est pas Natskyqui vous l’a dit.

Ling’s Chow Mein : une gargote sur

Broadway en remontant de Chinatown.Places de parking sur l’arrière ; uneentrée par-derrière, sur la cuisine. Pasd’accès extérieur au sous-sol,crachotements de vapeur en provenanced’une ouïe d’aération, sous le niveau dusol. Bud fit le tour de la place, entenditdes voix qui sortaient de la gaine. Latrappe d’accès devait se trouver dans lacuisine.

Il se trouva un bout de chevron dans leparking et entra par derrière. Deux bridésen train de faire frire de la viande, unvieux débris en train de dépiauter uncanard. Repérage de la trappe, facile :soulever la paillasse près du four.

Ils le repérèrent. Les jeunes

chinetoques se mirent à barboter ; Papa-San leur fit signe de se taire, Bud tenditson insigne.

Le vieux se frotta les doigts.

— Je paye ! Je paye ! Je paye ! Vouspartir !

— Spade Cooley, Papa. Vousdescendez et vous lui dites que Natsky aamené le linge. Chop, chop !

— Spade, y paye ! Vous laissertranquille ! Je paye je paye !

Les mômes tournèrent autour de lui.Papa-San le menaça de son tranchet.

— Vous partir, maintenant ! Partez,maintenant ! Je paye !

Bud fixa une ligne sur le sol. Papa lafranchit.

Bud balança son bâton. Papy se leramassa à hauteur de la ceinture. Il allas’écraser sur le fourneau, le visage touchale brûleur, les cheveux prirent feu. Lesmômes chargèrent ; Bud leur chopa lesjambes d’un seul coup. Ils tombèrent ausol en s’emmêlant bras et jambes – Budleur fracassa les côtes. Papy plongea latête dans l’évier, chargea, le visage toutnoir, comme calciné.

Balayage aux genoux. Papa tomba ausol, le tranchet toujours collé à la main.Bud mit le pied dessus, fit craquer lesdoigts. Papa se laissa aller à hurler. Budle traîna jusqu’au four, et vira la paillasse

à coups de pied. Trappe ouverte d’unetraction, traîner le vieux en bas.

Fumées : opium, vapeur. Bud réduisitPapa-San au silence, d’un coup de pied.À travers les fumées : des téteurs de camesur des matelas.

Bud se fraya un chemin à coups degodasse. Que des chinetoques – ilsgrommelèrent, frappèrent, avant deretéter, direction le pays des rêves.Fumée : dans la figure, dans le nez, dansles poumons car il haletait. Vapeurcomme un fanal lumineux : une piaulesauna dans le fond.

Il défonça la porte. Une brume devapeur : Spade Cooley, nu, trois fillesnues. Gloussements, bras et jambes de

traviole – une orgie sur un banc carrelétout glissant Spade tellement enchevêtréau milieu de ses femmes qu’il étaitimpossible de l’aligner proprement.

Bud appuya sur l’interrupteur du mur.La vapeur cessa, la brume mourut d’elle-même. Spade jeta un regard. Bud dégainason arme.

« TUE-LE ! »

Cooley bougea le premier : unbouclier, deux filles pressées serré contrelui. Bud avança – tirant bras et jambes,des ongles lui labourant la figure. Lesfilles glissèrent, tombèrent et trébuchèrentpour finir par sortir par la porte.

— Jésus Marie Joseph ! dit Spade.

De la fumée plein le corps, en train delui concocter son petit territoire de rêvespersonnels. Les derniers sacrements, fairedurer le moment.

— Kathy Janeway, Jane MildredHamsher, Lynette Ellen Kendrick,Sharon…

Cooley hurla :

— NOM DE DIEU, MAIS C’EST PERKINS !

Déclic de l’instant – Bud vit son arme,gâchette à moitié enfoncée. Destourbillons de couleurs tout autour de lui ;Cooley se mit à parler comme unemitraillette.

— J’ai vu Deuce avec la dernièrenana, cette Kendrick. Ch’savais qu’y

aimait bien faire du mal aux radasses, etquand la dernière nana est apparue morteà la télé, j’lui ai posé la question. Deuce,ça lui a plu de me foutre une trouille detous les diables, alors je me suis tiré icipour une virée. M’sieur, y faut qu’vousm’croyiez.

Éclairs de couleurs : Deuce Perkins,vicelard jusqu’à la moelle. Une couleurqui clignote – turquoise, les mains deSpade : — Ces bagues, où tu les as eues ?

Cooley se mit une serviette sur lescuisses.

— Deuce, c’est lui qui les fait. Ilemmène toujours du matos de bricolagesur la route. Ça fait des années qu’y faitdes vannes pas claires là-dessus,

comment elles te lui protègent les mainsquand y fait du boulot intime, aujourd’huije sais c’qu’y veut dire.

— L’opium. Peut-il en avoir ?

— Ce connard de bouseux, y m’volema merde ! M’sieur, y faut qu’vousm’croyiez.

Ça venait.

— Les dates des meurtres te placentaux endroits qu’il faut pour faire letravail. Rien que toi. Tes listesd’engagements montrent qu’il y a toujoursdes nom de Dieu de mecs différents quivoyagent avec toi, alors comment…

— Deuce, il est mon manager de routedepuis 49, il voyage toujours avec moi.

M’sieur, y faut qu’vous m’croyiez.

— Où est-il ?

— Je sais pas.

— Petites amies, potes, d’autrespervers comme lui. Accouche !

— Cette ordure de fils de pute, il a pasd’ami que je connaisse, excepté ceconnard de rital Johnny Stompanato.M’sieur, y faut qu’vous m’cr…

— Je te crois. Tu crois que je te tueraisi tu le préviens et qu’il prend peur ?

— Jésus soit loué. Je le crois !

Bud s’enfonça dans la fumée. Leschinetoques étaient toujours dans lesvaps, Papa respirait à peine.

Les Sommiers, sur Perkins :

Pas de condamnation en Californie,propre côté conditionnelle de l’Alabama– il avait passé deux ans, 44 à 46, à lachaîne, au pénitencier, pour sodomie suranimaux. Musicien sans domicile fixe,pas d’adresse connue répertoriée.Confirmation de Johnny Stompanatocomme RC – idem Lee Vachs et AbeTeitlebaum – tous des tarés de truands.Bud raccrocha, se rappela uneconversation avec Jack Vincennes – ilavait bousculé Deuce au cours d’unesoirée de l’Insigne du Courage – Johnny,Teitlebaum et Vachs étaient là avec lui.

Gants de velours : Johnny avait été sonindic, Johnny le haïssait, Johnny le

craignait.

Bud appela le SCG, obtint le numérode téléphone de Stomp – dix sonneries,pas de réponse. Pas de réponse à deuxautres coups de fil : le groupe Cow-Boyrythmique au Biltmore, l’El Rancho.Prochaine étape : la boutique de traiteurde Kikey Teitlebaum – Kikey et Johnnyétaient comme deux doigts de la main.

Course direction Pico, à se nettoyer latête des vapeurs d’op. À cran sur une idéefixe, de plus en plus forte : se prendrePerkins seul, le tuer. Ensuite, Exley.

Bud se rangea, regarda par la fenêtre.Un après-midi tranquille, le filon au bout– Johnny Stomp et Kikey T. à une table.

Il entra. Ils le repérèrent, se mirent àmurmurer. Des années qu’il ne les avaitpas vus – Abe était plus gras, Stomptoujours aussi faux-jeton de rital.

Kikey fit un signe. Bud attrapa unechaise et s’approcha.

— Wendell White, dit Stomp. Commentça gaze, pays ?

— Y a de l’eau dans le gaz. Et avecLana Turner, ça gaze ?

— Y a plus de gaz que d’eau. Qui t’adit ?

— Mickey C.

Teitlebaum éclata de rire.

— Doit avoir un trou comme le tunnel

de la Troisième Rue. Johnny part pourAcapulco avec elle ce soir, et moi, je mecolle sous les draps avec Tristounette lesCinq Doigts. White, qu’est-ce qui t’amèneici ? Je t’ai pas vu depuis l’époque oùDick Stens travaillait pour moi.

— Je cherche Deuce Perkins.

Johnny joua à tap tap sur la table.

— Alors va voir Spade Cooley.

— Spade sait pas où il est.

— Alors pourquoi me le demander àmoi ? Mickey t’a dit que Deuce et moi onest proches ?

Pas la question rituelle : pourquoiveux-tu le voir ? Et Kikey la GrandeGueule était bien trop tranquille.

— Spade m’a dit que toi et lui, vousétiez des connaissances.

— Connaissances, c’est exact. On s’enretourne, pays, alors je te dirai que j’aipas vu Deuce depuis des années.

Changement de ton et de baratin.

— T’es pas mon pays, espèced’enfoiré de rital.

Johnny sourit, peut-être soulagé, leurvieux numéro de flic/indic reparti pour untour. Un regard à Kikey-le gros mec, l’airde péter de trouille.

— Abe, t’es bien copain avec Perkins,exact ?

— Que dalle. Deuce, il est trop givrépour moi. C’est juste un mec à qui on dit

salut une fois, un putain de soir de cafard.

Mensonge – le casier de Perkins disaitle contraire.

— Alors peut-être que je me mélange.Je sais que vous êtes potes avec LeeVachs, et j’ai entendu dire que lui etDeuce sont copains comme cochons.

Kikey se mit à rire – trop fabriqué.

— Quel baratin. Johnny, je crois quenotre ami Wendell se mélange vraiment.

— Comme l’eau et l’huile, ces deux-là,dit Stomp. Copains comme cochons ?Quelle rigolade.

À défendre Vachs sans aucune raison.

— C’est vous la vraie rigolade, les

mecs. Je m’étais dit que vous m’auriezcuisiné recta sur le motif.

Kikey repoussa son assiette.

— Ça peut te venir à l’idée qu’on s’enfout, tout simplement ?

— Ouais, mais vous êtes du genre àtailler le bout de gras et à colporter lespetits ragots du téléphone arabe.

— Alors taillons le gras.

Un bruit courait : Kikey avait tabasséun mec à mort parce qu’il l’avait traité deyoupin.

— Je veux bien tailler le gras, il faitbeau, et je n’ai rien d’autre à faire que deme coller de près à un rital huileux et à unyoupin gras à lard.

Abe : ho ho ho, qui lui calotte le bras :oh toi, le môme !

— T’es un chiant. Alors pourquoi tuveux Deuce ?

Bud lui rendit sa calotte, dur et fort :

— C’est pas tes putains d’oignons,p’tit Juif – changement de ton et de sujet,direction Johnny : qu’est-ce que tu faismaintenant que Mickey n’est plus dans lacourse ?

Tap-tap-tap – un petit doigt bagué surune bouteille de Schlitz.

— Rien qui pourrait t’intéresser. J’ailes choses bien en main, je contiens, alorsne t’en fais pas. Et toi, que fais-tu ?

— Je suis sur la réouverture du Hibou

de Nuit.

Johnny tap-tapota trop fort – sabouteille faillit basculer. Kikey, quidonnait dans le pâlot : — Tu crois pasque Deuce Perkins…

— Allez, Abe, dit Stompanato. Deucesur le Hibou de Nuit, quelle rigolade !

— Faut qu’j’aille pisser, dit Bud enallant aux toilettes.

Il ferma la porte, compta jusqu’à dix, etl’ouvrit d’un cran. Les petites merdesbavassaient à plein tube. Abe s’essayaitla figure avec une serviette de table. Queles morceaux se mettent en place.

Tilt : Deuce sur le Hibou de Nuit.

Jack V. avait repéré Vachs, Stomp,

Kikey et Perkins à une soirée – peut-êtreun an avant le Hibou de Nuit.

Un cravatage par la brigade antigang,Joe Sifakis avait balancé le tuyau : desgangs de trois gâchettes descendaient lesnervis des franchises de Cohen, les nervisfrancs-tireurs. Le Victory Motel luibourdonnait dur aux oreilles.

Bud repéra l’élément au vol, laissatomber, récupéra.

«Je contiens»

Le grand mot favori de Dudley :«contention».

Son baratin au motel : «contenir»,«participation aux bénéfices», «un Italienrécalcitrant auquel tu as eu affaire par le

passé» – Johnny Stomp, ancien indic, quile détestait. Dud brûlant de connaître«toutes ses révélations» ; le cravatage deLamar Hinton – le secouer pour desrenseignements sur le Hibou de Nuit, DotRothstein présente, cousine de KikeyTeitlebaum.

Bud se lava la figure, et retournaauprès d’eux, calme.

— Elle était bonne ? dit Stomp.

— Ouais, et tu as raison. Je veuxDeuce pour une histoire de vieuxmandats, mais j’ai comme une intuitionsur le Hibou de Nuit.

Calme, le Johnny :

— Oh, ouais ?

Calme, Kikey :

— Des nouveaux bougnoules, exact ?Tout c’que ch’sais, j’le lis dans lesjournaux.

Bud :

— Peut-être, mais si c’était pasquelques nouveaux négros, alors lavoiture pourpre près du Hibou de Nuit aété déposée là délibérément. Prenez soinde vous, les mecs. Si vous voyez Deuce,dites-lui de m’appeler au bureau.

Johnny le Calme : tap-tap-tapota.

Kikey le Calme : toussa, piqua unesuée.

Bud le Calme, plus aussi calme :direction la sortie, vers la voiture, le coin

de la rue jusqu’à une cabine téléphonique.Numéro de la police, chez PC Bell, uneputain d’attente, qui dure.

— Euh, oui, qui demande ?

— Sergent White, LAPD. Repérage etmise sur écoute.

— Pour quand, sergent ?

— Pour tout de suite. Prioritéhomicide, lignes privées et téléphonespayants d’un restaurant. C’est tout desuite.

— Une seconde, s’il vous plaît.

Déclics de changement de poste – uneautre femme :

— Sergent, que désirez-vous

exactement ?

Bud, calme envolée :

— Le Casse-Graine d’Abe, sur Pico etVeteran. Tous les appels qui partent, surtous les téléphones, pendant le nom deDieu de quart d’heure qui vient. Ma belle,ne traînez pas sur ce coup-ci !

— Nous ne pouvons pas, en fait, mettresur écoute de notre propre initiative,officier.

— Alors rien que les correspondants,nom de Dieu !

— Eh bien, s’il s’agit effectivementd’une priorité homicide. Quel est votrenuméro en ce moment ?

Bud lut le numéro de la cabine.

— Granite-48112.

Brouhaha.

— Quinze minutes, alors. Et laprochaine fois, laissez-nous un peu demarge de manœuvre.

Bud raccrocha – Dudley DudleyDudley Dudley Dudley – moment difficileinterrompu par drrrrring. Il attrapa letéléphone, s’emmêla les mains, le nichaau creux de son épaule.

— Ouais ?

— Deux appels – Un à Dunkirk 324758– une Mlle Dot Rothstein est l’abonnée.Le second à Axminster 46811, résidenced’un certain M. Dudley L. Smith.

Bud laissa tomber le combiné.

L’employée continua à bavasser d’unendroit calme et sûr, de ces endroits qu’ilne verrait plus jamais – plus de Lynn,plus de sécurité derrière une plaque depolice.

Le capitaine Dudley Liam Smithresponsable du Hibou de Nuit.

67

Jack Vincennes se confessa.

Il confessa avoir mis en cloque unefille à l’orphelinat Saint-Anatole, avoirtué M. et Mme Harold J. Scoggins. Ilconfessa avoir entôlé Bill McPhersongrâce à une petite Négresse qui avait lefeu aux fesses, avoir collé de la dope surCharlie Parker, avoir secoué et cravatédes camés pour l’Indiscret. Il essaya desauter du lit et de lever les mains pourfaire son chemin de croix. Il marmonnaquelque chose comme : « hub rachmones,Mickey, et bump bump bump bump lepetit train cul-cul ». Il confessa avoir

tabassé des camés, avoir fait le garçon decourse pour Ellis Loew. Il supplia sonépouse de lui pardonner d’avoir baisédes putains qui ressemblaient aux femmesdes revues obscènes. Il confessa qu’ilaimait la came et qu’il n’était pas digned’aimer Jésus.

Karen Vincennes était à ses côtés etsanglotait : elle ne pouvait plus écouter,et pourtant il le fallait. Ed essaya de lafaire sortir – elle ne se laissa pas faire. Ilavait appelé le bureau, une fois sortid’Arrowhead ; Fisk lui avait communiquéla nouvelle : Pierce Patchett tué parballes la nuit précédente, sa résidencecomplètement cramée, ne restaient quedes cendres. Des pompiers avaientdécouvert Vincennes dans le jardin, sur

l’arrière – asphyxié par la fumée, giletpare-balles déchiré. Ils l’avaient emmenéaux Urgences de Central, un docteur luiavait fait une prise de sang. Résultats :Poubelle planait en vol d’essai, grâce àun composé de drogues antipsychotiqueset d’héroïne. Il vivrait, tout irait bien –lorsque son organisme aurait évacuél’overdose.

Une infirmière épongea le visage deVincennes ; Karen déchiquetait sesKleenex. Ed consulta le mémo de Fisk :«Appel d’Inez Soto. Pas d’info sur aff.R.D. – R.D. se méfie des questions ??? –elle a été énigmatique. D.W.»

Ed roula le papier en boule et le jeta.Vincennes avait joué le coup sans

protection – pendant que lui était au pieuavec Lynn. Quelqu’un avait tué Patchett,les abandonnant tous deux pour qu’ilscrament.

Cramés tout comme Exley père et fils –et c’est Bud White qui tenait la torche.

Il n’arrivait pas à regarder Karen.

— Capitaine, j’ai quelque chose.

Fisk dans le couloir. Ed s’approcha, etl’éloigna de la porte.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Nort Layman a terminé l’autopsie.Cause de la mort de Patchett : cinq ballesde 30-30 tirées par deux fusils différents.Ray Pinker a procédé à des tests debalistique et a trouvé une correspondance

avec un vieux bulletin de renseignementsdu comté de Riverside. Mai 55, nonrésolu, pas de piste, j’ai vérifié. Deuxhommes descendus à la sortie d’unetaverne. Ça avait l’air d’un règlement decompte entre truands.

Tout en revenait à l’héroïne.

— C’est tout ce que vous avez ?

— Non. Bud White a démoli unefumerie à Chinatown et a tabassé troisChinois qu’il a laissés pour presquemorts. Il est arrivé en posant desquestions, leur a collé son insigne et estdevenu cinglé. L’un d’eux a identifié saphoto personnelle. Thad Green a mis lesA.I. sur l’affaire, et c’est moi qui ai prisle message. Mandat d’arrêt, monsieur ? Je

sais que vous voulez l’avoir, et le chefGreen a dit que c’était votre décision.

Ed faillit en rire.

— Non, pas de mandat d’arrêt.

— Monsieur ?

— J’ai dit non, alors on arrête là. Etvous et Kleckner, faites la chose suivantepour moi. Contactez Miller Stanton, MaxPeltz, Timmy Valburn et Billy Dieterling.Faites-les venir à mon bureau ce soir, àhuit heures, pour interrogatoire. Dites-leur que c’est moi l’officier responsablede l’enquête, et que s’ils ne veulent pasde publicité, qu’ils n’amènent pas leursavocats. Et trouvez-moi le dossier de laCriminelle sur la vieille affaire Loren

Atherton. Faites mettre les scellés,sergent. Je ne veux pas que vous leregardiez.

— Monsieur…

Ed fit demi-tour. Karen dansl’embrasure de la porte, larmes séchées.

— Croyez-vous que Jack ait fait toutesces choses ?

— Oui.

— Il ne doit pas savoir que je sais.Voulez-vous me promettre de ne pas luidire ?

Ed acquiesça, regarda dans lachambre. Le Grand V suppliait pourrecevoir la communion.

68

Une salle de dossiers du bâtimentprincipal du SCG – des boîtes empilées àhauteur d’épaule. Recherche deconfirmations – fouille en solo : ledernier calme de Johnny et de Kikey,c’était trop. Fouille dans les cartons,dehors, on y revient, on y retourne – ilplanait si haut qu’il n’arrivait pas àréfléchir et à reluquer les dossiersd’immatriculation en même temps.

Cadrage des gâchettes du Hibou deNuit : Stomp, Teitlebaum et Lee Vachs ;cadrage des mêmes, comme le gang deflingueurs qui avait descendu les truands

francs-tireurs à la redresse et lesfranchiseurs de Cohen. Deuce Perkinsfaisait partie de la bande – les autres nesavaient pas qu’il tabassait à mort lesracoleuses – ils auraient pris ça pour untruc merdique d’amateur et ne l’auraientpas toléré. Dudley était le chef – il nepouvait pas être autre chose. Tout son trucsur des propositions de boulot n’étaitqu’une tentative pour essayer de lerecruter ; le cravatage de Lamar Hinton,c’était Dud qui gelait les petites brèchesencore ouvertes côté Patchett ; cadrage dePatchett et Smith : des RC, en quelquesorte ; cadrage Hinton : mort, Breuning etCarlisle membres du gang. «Contenir»,«contenus», «contention», «participationaux bénéfices». Traduction : Dudley qui

essaie de prendre le contrôle des racketsde L.A. – en épinglant le Hibou de Nuitsur un nouveau groupe de bougnoules.

Bud plongea dans les boîtes :immatriculations de voitures, début avril53. L’écolier qui réfléchit : il se dit que lavoiture repérée près du Hibou de Nuitavait été plantée là délibérément ; lesfusils trouvés dans la voiture de Coates,les douilles de Griffith Park, deux indicesmontés de toutes pièces – les tueurssuivaient l’affaire, un coup de bol pour laMerc, et ils avaient trouvé desbougnoules pour porter le chapeau. Faux– des conspirateurs du LAPD étaient dansle coup. Ils lisaient les rapportscriminels, avaient été branchés sur ungroupe de mal blanchis qui fêtaient ça à

coups de fusil – à eux d’endosser laculpabilité – ils s’étaient dit que lespoliciers qui procéderaient à l’arrestationallaient les tuer. Affaire classée.

Alors ils s’étaient trouvé une voiturequi correspondait au descriptif de lascène du meurtre. Ils s’étaient assuréqu’elle soit bien repérée près du Hiboude Nuit. Ils ne voulaient pas voler unevoiture – des flics ne pouvaient courir lerisque de se faire cravater la nuit. Ilsn’avaient pas acheté de voiture pourpre –ils avaient acheté une bagnole de couleurdifférente et l’avaient fait repeindre.

Bud continua ses recherches. Aucunelogique dans le foutoir des dossiers : desMerc, des Chevy, des Caddy ; L.A.,

Sacramento, Frisco ; celui qui avaitimmatriculé la voiture n’aurait pas utiliséun faux nom. Un coup de bol pour lui latrace des immatriculés, DDN etsignalement, donnés par fiches attachéesaux copies carbones de la facture d’achatoriginale. Procédure par élimination,comme il l’avait appris à l’école : Mercde 48-50, acheteurs de Californie du Sud,signalement correspondant à Dudley,Stomp, Vachs, Teitlebaum, Perkins,Carlisle et Breuning. Des heures depioche, un tas gros comme ça – puis undossier bizarre ; il chauffait.

Coupé Merc, peinture d’apprêt grise,acheté le 10 avril 1953. Immatriculation :Margaret Louise March, B, F, DDN23/7/18, bruns et bruns, 1 m 78. Adresse

du propriétaire de la carte grise : 1804Oxford Est, Los Angeles. Numéro detéléphone : Normandie 32758.

De chaud à brûlant – signalement de laGrosse, Dot Rothstein. Oxford suivait unaxe nord-sud – et non est-ouest. Appelchez Dot à partir du Casse-Graine – DU –32758 – cette connasse de gouine avaitcollé son propre numéro sur un centraldifférent.

Et elle s’était acheté de la peinturepourpre.

Bud poussa un hourrah, boxa en l’air,cogna dans les caisses. Deux affairesréglées en une seule journée – siquelqu’un voulait bien le croire. Tous finprêts, et personne à tuer. Pour Dudley,

faisceau de présomptions – pas depreuves directes. Dudley trop bien placépour tomber, personne pour y attacherl’importance que lui y attachait. Personne.

Excepté Exley.

69

En planque devant la maison quil’avait vu grandir. Il ne pouvait entrer etinterroger son père ; il ne pouvait pas luidemander son aide. Il ne pouvait pas direà cet homme qu’il avait confié des secretsà une femme – et offert à un ennemi brutalles moyens de commettre un parricide. Ilavait emporté avec lui le dossier Atherton– il ne contenait rien qu’il ne sût déjà,l’homme qui avait fabriqué le porno et tuéSid Hudgens était intrinsèque auxmeurtres Atherton, c’était peut-être letueur en personne – des vérités quePreston Exley contesterait par orgueil etfierté. Il ne pouvait pas entrer ; il ne

pouvait s’empêcher de penser. Il fit ledécompte de ses souvenirs, en lieu etplace.

Son père avait acheté la maison poursa mère ; il l’avait fait en réalité pourflatter son amour-propre – les Exleyavaient fui la classe moyenne avecgrandeur. Jamais ils n’avaient eud’illuminations de Noël sur la pelouse –Preston Exley disait que ça faisaitringard. Thomas était tombé des balcons– et il avait eu assez de classe pour nepas pleurer. Son père lui avait donné uncoup de pouce pour sa soirée de retour dela guerre – seuls avaient été invités lemaire, le conseil municipal et deshommes du LAPD, qui pourraient l’aiderdans sa carrière.

Art De Spain se dirigea vers sa voiture– l’allure fragile, des pansements sur unbras. Ed le regarda s’éloigner – l’hommede confiance de son père, son oncle deHollande. Souvenir : Art avait dit qu’iln’avait pas l’étoffe d’un inspecteur.

La maison était froide etimpressionnante. Ed retourna à l’hôpital.

Poub était debout, il faisait sadéposition à Fisk. Ed observait de laporte.

— … et je jouais mon rôle, suivant lestermes du scénario d’Exley. Je ne mesouviens pas exactement de ce que j’aidit, mais Patchett a sorti une arme et a tirésur moi. Le flingue merdique que m’avaitdonné Exley s’est enrayé, et Patchett m’a

collé un coup de seringue. Puis j’aientendu des coups de feu et «Non, Abe,non, Lee, non». Et maintenant, vous ensavez autant que moi.

Du couloir, une voix forte :

— Abe Teitlebaum, Johnny Stompanatoet Lee Vachs. C’est eux, le Hibou de Nuit.Rajoutez dans le tas Deuce Perkinscomme membre du gang, et soyez prêt àfaire dans le froc quand je vous aurai ditce que j’ai d’autre.

Ed sentit sa sueur, son haleine. Whitele poussa à l’intérieur de la chambre –fermement, sans trop de brutalité.

— Mettons nos histoires de côté pourun moment. Avez-vous entendu ce que j’ai

dit ?

Les noms se mirent en place : destruands aux gros bras, une liaison pas simauvaise que ça jusqu’à HÉROÏNE. Whiteavait l’air d’un fou – débraillé, un vraifanatique.

— Monsieur, voulez-vous que je…demanda Fisk.

Ed eut un geste des épaules – Whitelaissa tomber les mains, juste au signal.

— Deux minutes, capitaine.

La trouille au ventre – conduis-toi encapitaine.

— Duane, allez vous prendre un café.White, faites que ça m’intéresse avant queje ne vous emmanche pour les Chinois.

Fisk sortit.

— Jack, vous restez, dit Ed. White, àvous ; faites que ça m’intéresse.

White ferma la porte. Vêtementssouillés, mains barbouillées d’encre.

— Heureux que j’aie entendu la radioqui parlait de toi, Poubelle. Je ne savaispas que tu étais ici, j’aurais peut-êtremême essayé de tout faire moi-même.

Vincennes, sur le lit, l’air pastranquille.

— Faire quoi ? Abe, Lee. Tu cadresTeitlebaum et Vachs pour Patchett,explique-toi.

— Vous avez suivi Crim 101 –première année de criminologie –, White,

dit Ed. Faites comme si vous rédigiez unrapport circonstancié et chronologique.

White sourit – du plus pur kamikaze.

— Y a des années que je colle à lapiste d’une série de meurtres deracoleuses. Ç’a commencé avec la fille,Kathy Janeway. Elle s’est fait rétamer en53, exactement à l’époque du Hibou deNuit. C’était la petite amie de DukeCathcart.

Ed acquiesça.

— Je connais l’histoire. Les A.I. vousont passé au crible quand vous avezréussi l’examen de sergent

— Ah ouais ? Ce que vous ne savezpas, c’est qu’il y a quelques jours, mon

affaire a éclaté. Je croyais que mon tueur,c’était Spade Cooley – son groupe s’esttrouvé dans toutes les villes où desracoleuses se sont fait descendre, et trèsprécisément aux DDD. Je me trompais.Cooley a cafté le nom du vrai tueur – BurtArthur Perkins.

Vincennes prit la parole :

— Ça colle pour moi, Deuce commetueur de femmes. Il est foireux jusqu’à lamoelle.

— Tu devrais le savoir, dit White,pasque Cooley a dit qu’il était pote avecJohnny Stompanato, et vers 52, par là, tum’as dit que tu l’avais cravaté alors qu’iltraînait avec Johnny Stomp, Kikey T. etLee Vachs. Cooley m’a dit que Johnny et

Deuce étaient copains comme cochons,alors je me suis mis à la recherche deJohnny.

— Très bien, dit Ed, vous êtes alléjusqu’à Stompanato.

White alluma une cigarette.

— Que dalle – maintenant, je vais vousapprendre que Dudley Smith m’utilisedans sa brigade antigang pour jouer lesgros bras, et que ça remonte à des années.Vous savez comment y cause :«contention», c’est un de ses motsfavoris. Contenir le crime, contenir ci,contenir ça. Il y a un moment qu’il tourneautour du pot pour me proposer un boulotextérieur, et l’autre soir, il a dit que jepourrais lui être utile en gardant un œil

ouvert sur cet «Italien récalcitrant» qui apeur de moi, pour qu’il marche droit.Johnny Stomp a peur de moi – il a étémon indic et je le faisais marcher auknout. Vous savez que c’est Dud, le soi-disant «pacificateur des truands» ? Ehbien, l’autre soir, lui, Carlisle et Breuningont travaillé au corps ce mec, le LamarHinton, au Victory, c’était censé être unboulot de la brigade antigang. Conneries– tout ce que Dudley lui a demandé, c’estdes trucs sur le Hibou de Nuit – le porno,et Pierce Patchett.

Ed, les yeux comme des soucoupes –ça ne peut être que ça.

— Alors, vous êtes allé voirStompanato pour trouver Perkins.

— Exact. J’arrive chez Kikey letraiteur, et Johnny est là avec Kikey.J’interroge Johnny sur Deuce, et Johnny,soupçonneux, fait l’innocent. Kikeyencore plus innocent, ils mentent tous lesdeux et y m’disent que Deuce est rienqu’une putain d’enfoirée de relation. Ilsnient que Deuce est copain commecochon avec Vachs, alors que je sais lecontraire, nom de Dieu ! Johnny utilise lemot «contention», ce qui n’est pas duvocabulaire de Johnny. De vraisinnocents, tous ces mecs, et je laissetomber en passant que je suis sur laréouverture du Hibou de Nuit, et ils enpissent presque de rire, Deuce et leHibou de Nuit, ho, ho, ho. Je les quitte, jevais jusqu’à une cabine et je demande à

PC Bell de mettre sur écoute, pendantquinze minutes, tous les appels qui partentdu traiteur. Deux coups de fil – un à DotRothstein, la bonne copine de Dudley etla cousine de Kikey, un chez Dudley, àdomicile.

— Putain de bordel de Dieu ! ditVincennes.

Ed eut un geste, un sursaut, vers sonarme – mauvais choix. White était flic.

— Donnez-moi confirmation.

White jeta sa clope par la fenêtre d’unepichenette.

— Crim 101. Les négros n’ont pascommis les meurtres, alors Dud et sabande collent une voiture à côté du Hibou

de Nuit. Je passe au SCG et je vérifie lesimmatriculations d’avril 53, cette fois àdes noms de Blancs. Dot Rothstein aacheté une Merc 48, peinture d’apprêtgrise, le 10 avril. Un faux nom, uneadresse bidon, mais cette connasse sanscervelle a utilisé les véritables chiffresde son propre numéro de téléphone.

Vincennes avait l’air hagard, choquécomme après une explosion. Ed remontaune de ses lignes pour s’empêcher dehurler « DUDLEY ! »

— Juste avant le Hibou de Nuit, il étaittard, je travaillais au poste deHollywood. Spade Cooley jouait au rez-de-chaussée pour un départ à la retraite,et j’ai vu Burt Perkins qui errait dans les

couloirs. Essayez la théorie suivante :Mal Lunceford, agent des patrouilles duLAPD. Appelons-le victime oubliée duHibou de Nuit, et rappelez-vous qu’il atravaillé à la division de Hollywoodpresque toutes les années qu’il a passéesdans le Service. Maintenant, est-ce qu’undes flingueurs avait une dent contreLunceford ? Est-ce que Perkins ensupprimait les traces écrites dans lesdossiers, ce soir-là au poste ? Est-ce queles conspirateurs savaient que Luncefordétait un habitué du Hibou de Nuit, et ont-ils mis sur pied l’élimination de Cathcartou de son imposteur de manière à luirégler son compte, à lui aussi ?

— Dudley m’avait mis sur lavérification des antécédents de

Lunceford, répondit White, probablementparce qu’il croyait que j’allais tout foirer.Je suis allé vérifier les anciens IT deLunceford, et je n’ai pas réussi, nom deDieu, à en trouver un seul. Ça marchepour moi, cette théorie.

DUDLEY – dépassés les hurlements. Edréussit à les contenir.

— Fisk m’a parlé de Patchett, ditVincennes, comment il avait récupérél’héroïne du sommet came Cohen-Dragna,comment lui et le salopard inconnu – detoute évidence, Dudley – se préparaient àla refourguer. Maintenant, je saispersonnellement que Dud a fait le gardedu corps lors de la transaction ; et il y ades années de ça, il y a eu une rumeur qui

a un peu couru – que c’était Dud le chefdu groupe qui avait tué Buzz Meeks, lemec qui avait braqué le sommet. Fisk adit que Patchett avait récupéré la plusgrande partie de la horse blanche quiavait été fauchée, un peu des frèresEnglekling et du père, un peu du salopard– qui est Dud, de toute évidence. Okay, ceque je pense, c’est : est-ce que Lunceforda pu faire partie de ce groupe de chasse ?Est-ce que c’est à ce moment-là queDudley a eu la came ?

White secoua la tête – des trucs toutnouveaux pour lui.

— Rencardez-moi là-dessus, parce quej’ai une piste qui colle. Dud était en trainde parler de ses conneries de contention,

et il a dit quelque chose à propos demaintenir les négros au grand calme, cequi, pour moi, veut dire héroïne.

— Pour l’instant, disons que ce côté-làest couvert, dit Ed. Jack, reprenez envoyant l’aspect Goldman/Van Gelder del’affaire. Remettez toutes les piècesensemble avec les nouvelles pistes quenous possédons.

Poub se leva, s’appuyant fermement surla barre du lit.

— Okay, disons que Davey G. étaitdans le coup, avec Dudley, Stompanato,Vachs et Dot. Comment l’un d’eux a-t-ilpu faire confiance à un psycho commeDeuce, je ne sais pas, mais on s’en fout.De toutes manières, ils conspirent tous

contre Mickey C. ; White, tu n’es pas aucourant de ça, mais Goldman possédait unmouchard dans la cellule de Mickey, àMcNeil. Je parie que Dudley et ses amisétaient dans le coup avec Davey depuis ledébut, mais on s’en fout, la manière dontc’est arrivé ; Davey avait entendu lesfrères Englekling approcher Mickey avecle plan porno de Duke Cathcart.

Ed leva la main.

— Chester Yorkin a déclaré quel’homme qui a amené à Patchett le plusgros de l’héroïne – disons par hypothèseque c’est Dudley – bandait pour le pornoet, je cite : « Il avait des contacts enAmérique du Sud et des listes d’adressesde pervers. » Je me suis toujours

interrogé sur les bénéfices de lapornographie, et maintenant, les contactsde Dudley font que ça paraît plusfaisable.

— Laissez-moi continuer, ditVincennes. Dud a travaillé à l’OSS auParaguay après la guerre, et en 39 ou àpeu près, il a dirigé l’Ad. Mœurs ; alorsje sais qu’il les a, ses contacts, maislaissons ça pour l’instant. Ce que nousavons pour le moment, c’est Goldman quiva voir Smith et Stompanato avec lesinfos sur le plan porno. Tout le monde, etDud en particulier, apprécie l’idée, et ilsdécident de mettre la main sur le racket.De son propre chef, peut-être un double-jeu, je ne sais pas, Davey envoie DeanVan Gelder, son visiteur de prison, pour

discuter avec Cathcart. Van Gelderdécide de s’emparer du racket de prostitsde Duke et du projet porno, à lui tout seul.Il a été vu par Davey face à face, mais leshommes de l’extérieur de la prison nel’avaient jamais vu. Il s’est dit qu’ilressemblait à Cathcart, qu’il pourraitdonc se faire passer pour lui et conclureson propre marché. Avant que lechangement d’identité ne soit découvert,il serait bien trop dans les petits papiersdes hommes de l’extérieur pour queDavey se soucie de ce qu’il avait fait.Alors Van Gelder s’est déplacé jusqu’àSan Berdoo pour être plus près des frèresEnglekling. Il est tombé amoureux de SueLefferts et a descendu Duke. Ilconnaissait le nom d’au moins un des

hommes de l’extérieur, il les a appelésd’une cabine téléphonique, à partir dudomicile des Lefferts, et a demandé unrencart. Il a joué au dur en suggérant unendroit public, il s’est dit que Suepourrait s’asseoir tout près et qu’il seraiten sécurité. L’un des mecs de l’extérieur afait le rapprochement entre Lunceford etle Hibou de Nuit et a dit, c’est là qu’on seretrouve. Dud ou bien l’un de ses mecs aapproché Patchett juste avant le Hibou deNuit et lui a dit de colmater les petitesfuites de son côté. Patchett ne savait pasexactement ce qui allait se passer, mais ils’est débrouillé pour faire quitter la villeà Chris Bergeron et son fils, et BobbyInge, juste comme je commençais à mettrele nez dans le réseau porno pour l’Ad.

Mœurs.

C’est l’air même qui rafraîchissait lapièce. Ed sentait que chaque nouveau motajoutait une bouffée de chaleur à latempérature.

— Laissez-moi établir un début dechronologie, en commençant juste aprèsque Van Gelder, sous le nom de Cathcart,contacte les hommes de l’extérieur.Maintenant, nous savons que Dudleyadore la pornographie, nous savons qu’ila en planque dix-huit livres de H depuisle marché Cohen-Dragna. Essayez cettethéorie-ci : il pénètre dans l’appartementde Cathcart et découvre quelque chosequi le conduit à Patchett, quelque chosequi comprend la mention de son passé de

chimiste et de ses rapports avec le vieuxdocteur Englekling. Il se rend chezPatchett, conclut un marché – traiter etdistribuer l’héroïne, fourguer le porno. Ilest stupéfait de découvrir que Patchett aréfléchi à la question dans les mêmestermes et qu’il a déjà en sa possessionune partie de la horse de Doc Englekling.Maintenant, Dudley veut voir Cathcartéliminé et Mal Lunceford réduit ausilence – quelles que soient ses raisons –et il veut que Patchett soit rempli deterreur. Il est policier, et il est au courantdes Nègres qui ont déchargé leurs fusilsdans Griffith Park. Il organise le rencartdu Hibou de Nuit, sachant que Luncefords’y trouvera, et Jack a raison – il s’estmontré ambigu, mais il a dit à Patchett de

colmater ses fuites. Allant de l’avant,l’enquête s’élargit plus que Dudley nel’escomptait – parce que les Nègres ne sefont pas tuer au cours de l’arrestation, etqu’ils ne passent pas aux aveux. Il metWhite sur Cathcart – enquête sur sesantécédents – et il ne sait probablementpas que Perkins a tué la fille Janeway,mais il a averti White de ne pas se laisserentraîner pour des motifs personnels, parprincipe – il voulait que White reste àl’écart et qu’il ne fasse pas un éventuellien entre Cathcart et le Hibou de Nuit.

Tous les regards sur Bud White. Lefanatique.

— Okay, Dudley m’a mis sur l’enquêteCathcart parce qu’il croyait que j’allais

foirer. Mais j’ai inspecté la piaule deDuke, et j’ai vu qu’on y avait essuyétoutes les empreintes, et j’ai pensé quequelqu’un avait essayé ses vêtements. Lesmecs de Dudley avaient nettoyé la place,mais ils n’avaient pas touché auxannuaires, et j’ai pu voir qu’on avaitconsulté les listes d’imprimeries de SanBerdoo. Et maintenant, j’ai une théorie.Quand j’étais sur la vérif’ de Cathcart,j’ai rencontré Kathy Janeway dans unmotel de la Vallée. Deux jours plus tard,elle est violée et tuée. Lorsque j’ai quittéle motel, j’ai cru que j’étais filé, puis j’aioublié ce détail. Je pense que la filoche,c’était Deuce Perkins. Je pense que Dudavait mis une filoche sur toutes les RC deCathcart, rien que pour être tenu au

courant de l’enquête, ce qui expliquepourquoi et comment il a toujours été sibien au courant de tous les trucs que j’aitoujours gardés secrets. Comme ça,Deuce, cet enfoiré de violeur psycho, voitKathy et craque pour elle. Peut-être queDudley savait qu’il l’avait tuée, peut-êtrepas. D’une manière comme d’une autre,putain, il paye !

Vincennes alluma une cigarette, toussa.

— Nous n’avons pas de preuves, maisj’ai d’autres trucs qui collent avec lereste. Un, Doc Layman a sorti cinq ballesde 30-30 de Patchett, et il a dit qu’ellescorrespondaient à un non-résolu, unrèglement de compte du comté deRiverside. Lorsque Davey Goldman s’est

mis à bavasser sans queue ni tête àCamarillo, il a parlé de trois gâchettes. Ila bavassé autre chose, et ça n’arrête pasde me trotter dans la tête, mais ça n’a pasde sens. Exley, avez-vous écouté cettebande que j’ai découverte à McNeil ?

Ed acquiesça.

— Vous aviez raison. Rien de bienmarquant, rien qu’un passage sur desrèglements de compte.

— Il y a eu un paquet de non-résolusde la pègre, dit White. Je le sais,pasqu’un suspect a craché quelquestangentes sur le sujet au cours d’uneséance de la brigade antigang. Toujourstrois gâchettes, les franchiseurs de Cohen,et des truands francs-tireurs qui se font

dessouder. De l’argent facile :Stompanato, Vachs et Teitlebaumgardaient la situation en bon ordre, pourla conditionnelle de Mickey C. Ilsvoulaient que les choses soient biencalmes pour leur entreprise de contention,et ils se disaient qu’une fois Mickey sorti,ils sentiraient bien le vent venir et ledessouderaient, ou bien se serviraient delui. Je parie pour le dessoudage. Ils ontfait tabasser et suriner Cohen et Goldmanquand ceux-ci étaient en prison – un vraicalvaire pour le Davey. La maison deMickey a sauté dans une explosion etMickey a survécu, il peut parler. Ils vontle dessouder avant qu’il soit longtemps etils vont se mettre à contenir quelquechose de bien, pasque Dud, c’est bien

monsieur Brigade Antigang et que Parkerlui a donné son putain de – c’est quoi lemot ? – de mandat ? – pour prévenirl’arrivée des gros bras de l’extérieur.Putain, mais vous pouvez croire unechose pareille ?

Poub éclata de rire, – Splendide, mongars, splendide ! Et tous les règlements decompte, c’était autant de pavés en moinssur la route de Dud pour aller fourguerl’héroïne de Patchett. Il a obtenu lecommandement de la réouverture afin depouvoir se trouver de nouveaux pigeons,et il est décidé à fourguer la horse. Il aplanqué le porno et il a pas avertiPatchett de l’enquête parce qu’il avaitdéjà en projet de le tuer. Il a pas touché àLynn Bracken, parce qu’il s’est dit que

Patchett la gardait dans le noir pour tousses trucs les plus méchants. Il l’a laissése présenter pour l’interrogatoire parcequ’il s’est dit qu’elle retarderait d’autantla part de l’enquête dont Exley a lacharge.

— Lynn Bracken.

Ed fit la grimace, et se dirigea vers laporte.

— Et nous ne savons toujours pas qui afabriqué les obscénités, et tué Hudgens oules frères Englekling ; et ça ne ressemblepas à un boulot de pro. White, vous êtesmonté à Gaitsville avec Dudley, et il aremis un rapport à l’eau de rose sur…

— C’était encore un boulot de psycho.

De l’héroïne partout, et le tueur l’asimplement laissée là. Il a torturé lesdeux frères avec des produits chimiqueset a fait brûler un paquet de négatifs declichés pornos avec des solutionscorrosives. Le tech du labo a dit qu’ilpensait que le tueur essayait d’identifierles personnages des photos. Les machinschimiques m’ont fait penser à Patchett,mais alors j’ai réfléchi qu’il devait déjàconnaître les gens qui étaient sur lesphotos. Je ne pense pas vraiment que leurhéroïne se rattache à notre héroïne, lesfrères étaient des trafiquants de came,par-ci, par-là, de temps à autre, depuisdes années. Chimistes et trafiquants dedrogue, et si Patchett avait voulu leurcame, il l’aurait volée. Je pense que les

frères se sont fait tuer par quelqu’un, jene sais pas qui, qui n’est pas au centre detout ce foutoir.

Poub poussa un soupir.

— Il n’y a aucune preuve. Patchett ettoute la famille Englekling sont morts, etDud a probablement tué Lamar Hinton.Vous n’avez rien trouvé au point de chutede Fleur de Lis, et le petit numérod’acteur de White avec Stompanato etTeitlebaum signifie que maintenant,Dudley est alerté et qu’il s’occupe de sespropres fuites. Je ne pense pas que nousayons grand-chose comme affaire.

Ed étudia la question en détail.

— Chester Yorkin m’a dit que Patchett

avait un coffre piégé à l’extérieur de samaison. La maison est sous bonne gardeen ce moment, la brigade de L.A. Ouest aune équipe là-dessus. Dans un jour oudeux, j’irai relever les gardes. Il pourraitbien y avoir quelque chose dans le coffrepour clouer Dudley au pilori.

— Bon, et alors, maintenant, quoi ? ditWhite. Pas de preuves, et Stompanatopart pour Acapulco aujourd’hui avecLana Turner. On fait quoi ?

Ed ouvrit la porte – Fisk était dehorsen train de boire un café.

— Duane, reprenez contact avecValburn, Stanton, Billy Dieterling et Peltz.Changez le rendez-vous : centre ville, à 8h. Appelez l’hôtel et préparez trois suites

; appelez Bob Gallaudet et dites-lui dem’appeler ici – dites-lui que c’est urgent.

Fisk se mit en quête d’un téléphone.

— Vous attaquez direction Hudgens, ditVincennes.

Ed se détourna de White.

— Réfléchissez. Dudley est policier.Nous avons besoin de preuves, et il sepeut que nous les obtenions ce soir.

— Je me charge de Stanton. Nousavons été bons amis.

Faire le joint – un môme vedette deDieterling, Preston Exley.

— Non… Je veux dire, vous sentez-vous en mesure de le faire ?

— C’est aussi mon affaire, capitaine.Je suis arrivé jusqu’ici après tout cechemin, et j’ai affronté Patchett pourvous, et nom de Dieu, j’ai failli être tué !

Soupeser le risque.

— Très bien, vous vous chargez deStanton.

Poub se frotta le visage – pâle, pasrasé.

— Est-ce que je… je veux dire, quandKaren était ici et que j’étaisinconscient… est-ce que je…

— Elle ne sait rien que vous ne vouliezqu’elle sache. Maintenant, rentrez chezvous, je veux parler à White.

Vincennes sortit – vieilli de dix ans en

un jour.

— Le côté Hudgens de l’affaire, c’estdes conneries. Maintenant, c’est Dudley àplein.

— Non. D’abord, nous gagnons un peude temps.

— À protéger Papa ? Seigneur, quandje pense que j’étais stupide avec lesfemmes !

— Réfléchissez, c’est tout.Réfléchissez à ce que Dudley représente,et à ce que signifie le faire tomber.Réfléchissez, et je ferai un marché avecvous.

— Je vous ai dit jamais.

— Celui-ci vous plaira. Vous ne dites

rien pour mon père et l’affaire Atherton etje vous laisserai Dudley et Perkins.

White éclata de rire.

— Les deux prises ? Elles sont à moi,de toute façon.

— Non. Je vous laisserai les tuer.

70

Difficile à encaisser, la règle d’Exley :on ne frappe pas, Billy et Timmy sont tropbien placés pour accepter le passage àtabac. Difficile à encaisser, l’hôtel, legentil et le méchant – ils auraient dû êtreen train de travailler Dudley au corps auVictory. Bob Gallaudet se chargeait deMax Peltz, Poubelle faisait passer MillerStanton sur le gril. Gallaudet avait eu letopo par Exley – tout sauf ce qui touchaità Atherton. Il pensait pouvoir poursuivreDudley Smith, Exley ne lui dit pas queDud et Deuce Perkins, c’était réglé. Ceputain d’Exley n’avait pas voulu le lâcherune seconde – il lui avait passé la revue

de détail, pas à pas, de chaque pièce del’affaire, comme s’ils étaient descollègues qui pouvaient se faireconfiance. Les morceaux de l’affaire tousrassemblés faisaient un ensemblestupéfiant, Exley avait un putain decerveau qui le stupéfiait – mais il étaitstupide s’il ne comprenait pas une chose :après Dudley et Deuce, Preston E. était lesuivant sur la liste. Facile : Dick Stensn’aurait pas voulu qu’il en fût autrement.

Bud observait – la porte de la salle debains entrebâillée.

Les pédés étaient assis côte à côte ; M.le Gentil avançait sur la pointe des pieds.Oui, ils achetaient de la came à Fleur deLis ; oui, ils connaissaient Pierce Patchett

«socialement».

Oui, Pierce reniflait le «H», « nousavons entendu des rumeurs selonlesquelles il vendait des livrespornographiques – mais jamais nousn’avons satisfait à de telles pratiques. »Gants de velours : les choutes croyaientque la raison de ce traitement royal, àl’hôtel, était que Pierce se soit faitdessouder. Jamais le capitaine Exley neserait méchant – Preston Exley étaitcandidat au poste de gouverneur, et RayDieterling jetait dans la balance un appuifinancier important.

Exley, la voix forte :

— Messieurs, il existe un vieilhomicide qui pourrait éventuellement se

rattacher au meurtre Patchett.

Bud fit son entrée. Ed dit :

— Voici le sergent White. Il a quelquesquestions à vous poser, ensuite, je penseque nous en aurons terminé avec cettehistoire.

Timmy Valburn soupira.

— Eh bien, cela ne me surprend pas.Miller Stanton et Max Peltz ne sont pasloin, et la dernière fois que la police nousa interrogés tous ensemble, ce fut lorsquecet homme abominable, ce Sid Hudgens,a été tué. Cela ne me surprend pas, quantà moi.

Bud se prit une chaise.

— Pourquoi avez-vous dit

«abominable» ? L’avez-vous tué ?

— Oh, sergent, vraiment. Est-ce quej’ai l’air de ressembler à un tueur, à vosyeux ?

— Ouais. Un mec qui gagne sa vie àjouer la souris, ça doit être capable den’importe quoi.

— Sergent, vraiment.

— En plus, vous n’avez pas étéconvoqué pour l’histoire Hudgens. Billyvous en a parlé ? Petite confidence surl’oreiller, peut-être ?

Billy Dieterling à Exley :

— Capitaine, je n’apprécie pas le tonde cet homme.

— Sergent, faites cela proprement.

Bud éclata de rire.

— C’est la poêle qui se moque duchaudron, mais on s’en tape. Vous avezété l’alibi l’un de l’autre pour Hudgens,et aujourd’hui, cinq ans plus tard, vousêtes encore l’un à l’autre un alibi pour lemeurtre de Patchett. Ça me paraît foireux.La manière dont je vois les tantouzesc’est qu’y sont pas capables de partagerle même lit pendant cinq minutes, encoremoins pendant cinq ans.

— Vous êtes un animal, dit Valburn.

Bud sortit une feuille du dossier.

— Alibis pour l’affaire Hudgens. Vouset Billy au lit ensemble, Max Peltz en

train de fourrer de la chatte adolescente,Miller Stanton à une réception où votrepédale de pote Brett Chase se trouvecomme par hasard lui aussi. Jusqu’àprésent, on a pour l’Insigne du Courageune véritable équipe de bons Américainspure souche. David Mertens, ledécorateur, lui, il est à la maison avec soninfirmier, alors que peut-être, lui aussi,c’est une choute. Ce que je veux…

Exley, au signal :

— Sergent, surveillez votre langage etvenez-en au fait.

Valburn bouillait de colère ; Billy D.faisait semblant de s’ennuyer. Maisquelque chose, dans la dernière vanne,l’avait titillé – son regard allait et venait

du gentil au méchant.

— Le problème, c’est que Sid Hudgenstriquait dur pour l’Insigne du Courage àl’époque où il s’est fait tuer. Patchett sefait tuer cinq ans plus tard, et lui etPatchett étaient associés. Les homos qu’ya ici, ils sont tous les deux liés àl’Insigne du Courage et ils se sontallongés avec des détails intimes sur lesrackets de Patchett. Capitaine, quand çaavance et ça balance, quand ça jacte et çajaspine comme un palmipède à deuxpattes, alors, c’en est un – c’est pas unesouris.

— Coin-coin, imbécile, dit Valburn.Capitaine, voulez-vous dire à cet hommeà qui il a affaire ?

Exley, sévère :

— Sergent, ces messieurs ne sont passuspects. Ils se sont présentésvolontairement.

— Et merde, monsieur, moi, je voispas la différence.

Exley, exaspéré :

— Messieurs, pour en terminer unebonne fois pour toutes, répondez ausergent, s’il vous plaît. Est-ce que l’un oul’autre, vous connaissiez Sid Hudgenspersonnellement ?

Deux signes «non» de la tête. Budexplosa – petit trait poétique d’Exley : —Quand ça couine comme une souris dansun bruit de froufrous, alors, c’est que

c’est une souris pédé. Capitaine,réfléchissez. Ces mecs ont acheté de lacame à Fleur de Lis, et ils ont reconnuqu’ils savaient que Patchett reniflait lahorse et fourguait de la pornographie. Ilssont au parfum des rackets de Patchett,mais ils prétendent qu’ils ignoraient quePatchett et Hudgens étaient associés. Ceque je suggère, c’est qu’on leur exposeles petites entreprises de Patchett et qu’onvoie ce qu’ils savent.

Exley leva les bras – feignantl’impuissance.

— Encore quelques questions précises,en ce cas, messieurs. Une nouvelle fois,rien de ce que vous avouerez d’illégal nesera pris en compte – et ne sortira de

cette pièce. Comprenez-vous, sergent ?

Putain, quelle intelligence : les amenerpetit à petit sur le fabricant de pornosanglant. Poub avait dit que Timmy s’étaitmontré effrayé par ce genre de littérature– il lui en avait montré en 53. Etreconnaître qu’Exley avait des couilles –plus ils s’approchaient du porno, plusprès ils arrivaient de son vieux etd’Atherton.

— Okay, monsieur.

Timmy et Billy échangèrent un regard :le regard de gens bien gentils en train dese faire sermonner par la valetaille. Exleypigea la coupure et transmit : — Et,sergent – c’est moi qui poserai lesquestions.

— Oui, monsieur. Vous, les mecs, ditesla vérité. Je saurai si vous mentez.

Exley soupira.

— Rien que quelques questions.D’abord, saviez-vous que Patchettfournissait des call-girls à ses relationsd’affaires ?

Deux «oui» de la tête.

— Il drivait aussi des garçons, dit Bud.Les mecs, vous avez déjà payé pour de lanouvelle marchandise ?

Exley :

— Plus un mot, sergent.

Timmy se glissa plus près de Billy.

— Je ne commettrai pas l’indignité de

fournir une réponse à cette question.

— Vous êtes mignons, dit Bud avec unclin d’œil. Si jamais je me retrouve autrou, j’espère que vous serez dans macellule.

Billy mima le geste de cracher parterre. Exley roula les yeux au ciel –Seigneur, sauvez nous de ce païen.

— Avançons. Aviez-vous connaissanceque Patchett utilisait les services d’unchirurgien esthétique pour modifier paropération chirurgicale ses prostituées afinqu’elles ressemblent à des vedettes decinéma ?

— Oui, dit Timmy.

— Oui, dit Billy.

Exley sourit comme s’il s’agissaitd’une chose de tous les jours.

— Aviez-vous également connaissanceque ces prostitués, mâles et femelles,étaient impliqués dans d’autres activitéscriminelles sous les ordres de Patchett ?

Les amener petit à petit jusqu’à«extorsion», l’association Patchett-Hudgens. Exley lui avait racontél’histoire : Lorraine/Rita avait dit que«Ce mec» avait obligé Patchett à serrerses «clients», exactement au moment oùPatchett s’apprêtait à s’associer avecHudgens – immédiatement après lesmeurtres du Hibou de Nuit. Tempête sousun crâne à l’horizon – peut-être unrapport qui ramenait à Dudley.

— Répondez au capitaine, tas demerde !

— Ed, obligez-le à cesser, dit Billy.Vraiment, tout ceci est allé suffisammentloin.

Bud éclata de rire.

— Ed ? Oops, j’oubliais : patron ?Votre papa est copain avec son papa.

Exley se mit en boule pour de bon –piqua un fard, tremblant.

— White, fermez-la.

Les choutes adorèrent ça – sourires,petits rires crétins.

— Messieurs, répondez à la question,je vous prie, dit Exley.

— Soyez plus précis, dit Timmy, enhaussant les épaules. Quelles «autresactivités criminelles» ?

— Le chantage, plus précisément.

Deux jambes frôleuses qui s’écartent,d’un spasme – Bud saisit le geste net etclair. Exley toucha sa cravate : « FONCEZ !»

Tempête sous un crâne : «Ce mec»égale Johnny Stomp – Johnny Stomp, vieilartiste du racket, pas de moyensd’existence visibles. Crim 101 – LorraineMalvasi avait dit que les poucettes sur lesclients avaient cessé en mai 53 – la bandede Dudley avait déjà fait équipe avecPatchett.

— Ouais, chantage. Les gus mariés, lesvicelards et les pédés sont prédisposés àça. C’est comme un risque à courir dansl’exercice de leurs fonctions. Z’êtes déjàfait mettre les poucettes par un de voscompagnons de jeux ?

Au tour de Billy de rouler les yeux auciel.

— Nous ne fréquentons pas lesprostitués – mâles ou femelles.

Bud rapprocha sa chaise :

— Eh bien, votre petit sucre d’orge iciprésent était une relation connue d’untapineur pédé bien connu, du nom deBobby Inge. Si ça cancane comme uncanard, c’est que c’est un canard. Alors

coin-coin, et lâchez le morceau sur ceuxqui vous ont serrés pour du fric.

Exley, sévère :

— Messieurs, connaissez-vous lesnoms des prostitués particuliers dePatchett ?

Billy entra dans la danse, très missMec :

— C’est une brute nazie, nous n’avonspas à répondre à ses questions.

— Des queues ! Vous traînez vos fessesdans les égouts, normal que vous tombiezsur quelques rats. Jamais entendu parlerd’un mignon petit lot du nom de DarylBergeron ? Jamais été obsédé par unefemme au point de se faire sa mère ?

Daryl l’a fait – Jack Vincennes laPoubelle a un bouquin porno avec desphotos où ils sont tous les deux en trainde baiser sur des patins à roulettes. Vousflottez dans les égouts accrochés à unesucette, saloperies de fumiers de pédésalors…

Valburn :

— Ed, obligez-le à cesser !

Exley :

— Sergent, suffit !

Bud, en plein vertige, comme s’il avaitun homme à l’intérieur de la tête qui luisoufflait ses répliques : — Allez audiable ! Ces tarés sont mouillés dans tousles trucs de Patchett. L’un est une vedette

de la télé, l’autre a un papa célèbre. Deuxlopettes pleines de fric juste à point,putain, pour qu’on les presse comme descitrons. Ça vous paraît pas intelligent,c’que j’viens d’dire ?

Exley – RESTEZ TRANQUILLE – un doigtsur le col.

— Le sergent White a là un argument,bien que je doive vous présenter mesexcuses pour sa manière de l’exprimer.Messieurs, à titre d’information : l’un devous deux a-t-il eu connaissance deprojets d’extorsion auxquels auraient étémêlés Pierce Patchett et ses prostitués ?

— Non, dit Timmy Valburn.

— Non, dit Billy Dieterling.

Bud s’apprêtait à murmurer quelquechose. Exley se pencha en avant.

— L’un d’entre vous a-t-il jamais étémenacé de chantage ?

Deux autres «non» – deux pédales entrain de suer, dans une belle pièce bienfraîche. Bud murmura : « JohnnyStompanato ».

Les tantouzes se figèrent.

— Des saletés sur l’Insigne duCourage. Est-ce que c’est ça qu’il voulait?

Valburn se mit à parler – Billy leréduisit au silence. Exley : DOUCEMENT.

L’homme à la tête en vertiges dit : «non ».

— Possédait-il des informationsdégueulasses sur votre père, le grandRaymond Dieterling ? Ce salopard ?

Exley lança le signal «coupez».L’homme aux vertiges montra son visage :Dick Stens en train de téter le gaz.

— Des saloperies. Wee WillieWennerholm, Loren Atherton et lesmeurtres des gamins. Votre père.

Billy se mit à trembler, indiqua Exley :

— Son père !

Regards figés, dans quatre directions –interrompus par les sanglots de Valburn.Billy l’aida à se redresser, l’enlaça.

— Sortez, dit Exley. Maintenant. Vousêtes libres de partir.

Il avait l’air plus triste que fou furieuxou même effrayé.

Billy aida Timmy à sortir. Bud allajusqu’à la fenêtre. Ed s’avança, parladans un micro manuel : — Duane :Valburn et Dieterling vont sortir. Vous etDon, filez-les.

Bud le cadra – un peu plus grand quelui, la moitié de sa carrure. Quelquechose le poussa à dire : — Je n’auraispas dû faire ça.

Exley regarda par la fenêtre.

— Ce sera bientôt terminé. Tout seraterminé.

Bud regarda dans la rue. Fisk etKleckner se tenaient près de la porte ; les

pédés arrivèrent sur le trottoir en courant.Les hommes des A.I. se mirent à leurpoursuite – un bus les bloqua. Le buspassa – plus de Billy ni de Tommy. Fisket Kleckner étaient là dans la rue, l’air dedeux imbéciles.

Exley se mit à rire.

Quelque chose poussa Bud à rire aussi.

71

Ils passaient la revue des souvenirs dubon vieux temps ; Stanton buvait lepétillant de l’hôtel. Jack mit tout sonbaratin sur la table : Patchett/Hudgens, leporno, l’héroïne, le Hibou de Nuit. Ilvoyait bien que Miller savait quelquechose ; il voyait bien qu’il voulait cracherle morceau.

Petites touches du passé : comment ilavait appris à Miller à interpréter un rôlede flic ; comment il avait emmené Millerà Central Avenue pour aller tirer un coup,pour finir par agrafer Art Pepper.Gallaudet passa la tête à la porte, dit que

Max Peltz était propre – les histoires deMax lui prirent encore une heure. Millercommença à avoir la larme à l’œil – 58serait la dernière saison de son spectacle.Trop bête qu’ils aient perdu le contact,mais le Grand V était devenu trop cinglédans ses actes, un paria dans l’industrie.White et Exley en train de se disputerdans la pièce voisine – Jack coupa courtet passa aux choses sérieuses.

— Miller, y a-t-il quelque chose que tumeures d’envie de me dire ?

— Je ne sais pas, Jack. C’est du vieux,et réchauffé.

— Tout ce gâchis remonte à loin. Tuconnaissais Patchett, n’est-ce pas ?

— Comment sais-tu ça ?

— La force de l’habitude, le flair. Et ledossier du capitaine disait que Patchettavait banqué quelques vieux films deDieterling.

Stanton inspecta son verre – vide.

— Okay, je connaissais Patchett, et çaremonte à loin. C’est une longue histoire,et je ne vois pas comment elle peut serattacher à ce qui t’intéresse.

Jack entendit la porte latérale frottersur la moquette.

— Tout ce que je sais, c’est que tumeures d’envie de tout dire depuis quej’ai prononcé le nom de Patchett.

— Nom d’un chien, je ne me sens pas

flic, quand tu es là ! Je me sens comme unacteur avec du ventre, et sur le point deperdre sa série télévisée.

Jack détourna les yeux – donne du mouau bonhomme.

— Tu sais que c’était moi, le petitmôme rondelet et joufflu des feuilletonsde Dieterling, il y a bien longtemps ?Willie Wennerholm, Wee Willie, c’étaitlui la grande vedette. Je voyais souventPatchett à l’école du studio, et je savaisqu’il devait être une des relationsd’affaires de Dieterling, parce que notreprécepteur avait un faible pour lui et avaitdit à tous les mômes qui il était.

— Et puis ?

— Et puis Wee Willie a été kidnappé àl’école et découpé en morceaux par le«monstre Frankenstein». Tu connaisl’affaire, elle a été célèbre. La police acoffré ce mec, Loren Atherton. Elle a ditqu’il avait tué Willie et tous les autresenfants. Jack, c’est ici le morceaudifficile.

— Alors dis-le vite.

Très vite.

— M. Dieterling et Patchett sont venusme voir. Ils m’ont donné destranquillisants, et ils m’ont dit de venirjusqu’au poste de police, avec un garçonplus âgé que moi. J’avais quatorze ans, legarçon plus âgé, peut-être dix-sept.Patchett et M. Dieterling m’ont fait la

leçon, et nous sommes allés au poste.Nous avons parlé à Preston Exley, àl’époque il était inspecteur. Nous luiavons raconté ce que Patchett et M.Dieterling nous avaient dit de raconter –que nous avions vu Atherton qui traînaitdu côté de l’école du studio. Nous avonsidentifié Atherton, et Exley nous a crus.

Une pause d’acteur.

— Nom de Dieu, et puis ? dit Jack.

Plus lentement.

— Je n’ai jamais revu le garçon plusâgé, et je n’arrive même pas à mesouvenir de son nom. Atherton a étéreconnu coupable et exécuté, et on ne m’apas demandé de témoigner à son procès.

Ça devait se passer en 39, juste dans ceseaux-là. Je faisais encore partie del’écurie Dieterling, mais j’étais l’ingénugarçon. M. Dieterling a emmené son petitcontingent d’acteurs du studio àl’ouverture de l’autoroute d’Arroyo Seco,uniquement pour une apparitionpublicitaire. Preston Exley – c’étaitmaintenant un entrepreneur d’envergure –et lui ont coupé le ruban. J’ai entendu M.Dieterling, Patchett et Terry Lux, tu saisqui, en train de bavarder.

Aiguilles, fourmis et picotements.

— Miller, continue, dépêche !

— Je n’oublierai jamais ce qu’ils ontdit, Jack. Patchett a dit à Lux : « J’ai lesdrogues chimiques qu’il faut pour

l’empêcher de faire mal à quiconque, etvous, vous lui avez changé la figure. »Lux a dit : « Et je lui trouverai quelqu’unqui s’occupera de lui. » M. Dieterling –je n’oublierai jamais le son de sa voix – adit : « Et j’ai offert à Preston Exley unbouc émissaire qui l’a convaincu au-delàde Loren Atherton. Et je pense que cethomme me doit trop de choses pour mevouloir du mal. »

Jack se toucha pour se rassurer – ilcroyait avoir cessé de respirer. Des bruitsde respiration derrière lui. Regard surExley et White, dans l’embrasure de laporte – debout, tout près l’un de l’autre,pétrifiés.

72

Maintenant toutes ses lignes serecoupaient dans l’encre.

Mutilations à l’encre rouge – unencrier qui dégorgeait le sang.Personnages de dessins animés sous unchapiteau, avec Raymond Dieterling,Preston Exley, une équipe de criminelsvedettes. Couleurs d’encre : rouge, vertpour l’argent des pots-de-vin. Noir pourle deuil – tous les acteurs de second planaujourd’hui morts. White et Vincennessavaient, ils le diraient probablement àGallaudet – il les avait virés de l’hôtel entoute conscience. Il pouvait avertir ou ne

pas avertir son père, la fin serait lamême. Il pouvait continuer ou rester assisdans cette pièce et assister, sur l’écran detélévision, au spectacle de sa vie quiexplosait en fumée.

De longues heures s’étaient passées –il n’arrivait pas à tendre la main vers letéléphone. Il alluma la télé, vit son pèreau milieu d’une cérémonie d’autoroute,enfonça le canon de son arme dans sabouche pendant que l’homme débitait sesniaiseries. La gâchette à moitié enfoncée– fondu enchaîné sur une publicité. Il ôtaquatre balles du revolver, fit tourner lebarillet, mit le canon contre sa tête. Ilécrasa la gâchette par deux fois,chambres vides, il n’arrivait pas à croireà ce qu’il avait fait. Il balança son flingue

par la fenêtre – un poivrot s’en emparasur le trottoir et tira dans les nuages. Il rit,sanglota, et se cogna aux meubles jusqu’àl’évanouissement.

D’autres heures encore, qui passent, àne rien faire.

Le téléphone sonna – Ed fouetta l’aircomme un aveugle pour s’en saisir.

— Euh… oui ?

— Capitaine, z’êtes là ? C’estVincennes.

— Je suis là. Qu’est-ce que c’est ?

— Je suis au bureau avec White. Nousvenons d’entendre un appel et nous avonssauté dessus. 2206 North NewHampshire, domicile de Billy Dieterling.

Billy et un «non-identifié», masculin ;morts. Fisk roule déjà sur le coup. Cap,vous êtes là ?

Non non non… Oui.

— Je pars… Je serai là-bas.

— Ça va. Et, à propos, White et moi,nous n’avons pas répété à Gallaudet ceque Stanton m’a dit. Ch’pensais que vousdeviez le savoir.

— Merci, sergent.

— Remerciez White. C’était lui quidevait vous poser problème.

Fisk le retrouva là-bas – une imitationTudor éclairée de phares – pies etvoitures du labo de la Crim’ sur lapelouse.

Ed courut sur les lieux ; Fisk lui parlaiten sténo :

— Voisine a entendu cris ; attendu unedemi-heure avant d’appeler. Elle a vu unhomme sortir en courant, monter dans lavoiture de Billy Dieterling, et s’envoler.Il a enfoncé un arbre plus loin sur le bloc,est sorti et s’est mis à courir. J’ai notéson signalement : blanc, masculin, laquarantaine, taille moyenne. Monsieur,serrez les dents.

Ampoules de flash à l’intérieur.

— Mettez les scellés ici dit Ed. Pas deCriminelle, pas de flics de poste. Pas dejournalistes, et je ne veux pas que le pèrede Dieterling découvre la chose.Demandez à Kleckner de sceller la

voiture, et allez me récupérer TimmyValburn. Trouvez-le. Tout de suite !

— Monsieur, ils nous ont faussécompagnie. Je ne me sens pas à mon aise,c’est comme si c’était de notre faute.

— Ça n’a aucune importance, faitesseulement ce que je vous ai dit.

Fisk courut jusqu’à sa voiture ; Edentra et regarda.

Billy Dieterling sur un canapé blancdétrempé de rouge. Un couteau dans lagorge ; deux couteaux dans l’estomac.Son scalp sur le sol, cloué à la moquettepar un pic à glace. À quelques mètres delà : un Blanc, la quarantaine – vidé de sesentrailles, éviscéré, des couteaux dans les

joues, deux fourchettes dans les yeux. Descachets de drogue qui trempaient dans lesang, sur le sol.

Pas de profanations artistementexécutées – son homme était maintenantau-delà de ça.

Ed pénétra dans la cuisine. De Patchettà Lux, en 39 : « J’ai les drogueschimiques qu’il faut pour l’empêcher defaire du mal à quiconque, et vous lui avezchangé la figure. » Placards vidés ;fourchettes et cuillères sur le sol. RayDieterling 39 : « Un bouc émissaire qui leconvainc. » Empreintes de pas, entrant,sortant – son homme avait fait plusieursvoyages pour faire plus décoratif. Lux : «Je lui trouverai quelqu’un qui s’occupera

de lui. » Un morceau de scalp dansl’évier. « Preston Exley, c’étaitmaintenant un entrepreneur de grandeenvergure. » Une empreinte de mainsanglante sur le mur, boulot passionnel depsycho, le plus beau programme de tousles temps pour Crim 101.

Ed plissa les yeux devant l’empreinte –crêtes et spirales étaient pleinementvisibles. Moment d’oubli de psycho : sonhomme avait appuyé la main à cet endroitpour y laisser son imprimatur.

Retour au salon. Jack Poubelle aumilieu d’une demi-douzaine de techs dulabo. Lumière désagréable des ampoulesde flash, pas de Bud White.

— L’autre homme est Jerry Marsalas,

dit Poub. Il est infirmier, et en quelquesorte celui qui s’occupe de ce mec del’équipe de l’Insigne du Courage. DavidMertens, le décorateur. Très tranquille,comme gars, il souffre d’épilepsie ouquelque chose comme ça.

— Des cicatrices de chirurgieplastique ?

— Des cicatrices de greffes sur tout lecou et le dos. Je l’ai vu un jour sans sachemise.

Des essaims de techs dans la place –Ed conduisit Vincennes dehors, sur leperron. Air frais, lumière, lumière de tousles phares.

— Mertens a l’âge qui convient pour

être le garçon plus âgé dont parlaitStanton, dit Poub. Lux l’a charcuté, ce quiexplique que Miller n’ait pas pu lereconnaître sur le plateau. Toutes cesgreffes qu’il a dans le dos, il est possiblequ’on l’ait charcuté des tas de fois.Seigneur, cette expression que vous avezsur le visage. Vous allez aller jusqu’aubout ?

— Je ne sais pas. Je veux encore unejournée pour voir ce qu’on peut trouversur Dudley.

— Et voir si White va essayer de voussuriner dans le dos. Il aurait pu racontertoute l’histoire à Gallaudet, et il ne l’apas fait.

— White est aussi cinglé que n’importe

qui, dans cette histoire.

Poub éclata de rire.

— Ouais, comme vous. Patron, si vouset Gallaudet voulez que tout ce foutoirsoit réglé en bonne et due forme, vousferiez bien de mettre ce garçon sous lesverrous. Il est parti pour tuer Dudley etDeuce, et croyez-moi, il le fera.

— Je lui ai dit qu’il pouvait, dit Ed enéclatant de rire.

— Vous le laisseriez faire ?

Pas plus loin, coupe-le là.

— Jack, faites ceci : mettez-vous enplanque devant chez Mertens et voyez sivous pouvez trouver White. Puis…

— Il est à la poursuite de Perkins,comment…

— Essayez juste de le trouver. Et avecou sans lui, retrouvez-moi au domicile deMickey Cohen demain à neuf heures.Nous allons le serrer un peu sur Dudley.

Vincennes regarda autour de lui.

— Je ne vois personne de laCriminelle ici.

— C’est vous et Fisk qui avez prisl’appel, comme ça, la Criminelle n’estpas au courant. Je peux garder l’affaireétouffée sous couverture A.I. pendant,disons, vingt-quatre heures. C’est tout ànous jusqu’à ce que la presse l’apprenne.

— Pas d’ARTU sur Mertens ?

— Je rappelle en service la moitié desA.I. C’est un psycho, un cas clinique.Nous l’aurons.

— Supposez que je le trouve. Vous nevoulez pas qu’il se mette à raconter savie, pas avec votre père dedans ?

— Prenez-le vivant. Je veux lui parler.

— Comme cinglé, dit Vincennes, Whiten’a rien à vous envier.

Ed mit les scellés.

Il appela le chef Parker, dit qu’il avaitun double homicide en rapport avec lesA.I. et qu’il gardait secrètes les identitésdes victimes. Il réveilla cinq hommes desA.I., les mit au courant pour DavidMertens, et les envoya quadriller pour

lui. À la voisine qui avait passé l’appel,il fit prendre un sédatif, puis il la mit aulit en lui faisant promettre de ne pasrévéler le nom de Billy Dieterling à lapresse. La presse arriva – il les apaisa depropos lénifiants, avec John Doe –inconnu au bataillon – comme identité dela victime, et les renvoya à leurs articles.Il alla jusqu’au bout du bloc et examina lavoiture – Kleckner faisait le chien degarde : une Packard Caraïbes, les rouesavant sur le trottoir, le pare-choc enfoncédans un tronc d’arbre. Siège duconducteur, tableau de bord et levier devitesse – ensanglantés ; des empreintes demains parfaites à l’extérieur du pare-brise. Kleckner déshabilla la voiture deses plaques ; Ed lui dit de ramener la

voilure à la maison et de la planquer, puisde se joindre à ceux qui quadrillaient.Appels de courtoisie à partir d’unecabine : commandant de nuit du poste deRampart, légiste de service à la morgueville. Un mensonge : Parker voulaitmettre l’étouffoir sur les meurtres pendant24 heures – aucune déclaration à lapresse, pas de diffusion des rapportsd’autopsie – 3 h 40 du matin, pas degrosse légume de la Criminelle sur leslieux du crime – Parker lui avait donnécarte blanche.

Scellés.

Ed retourna à la maison. Tranquille –pas de journalistes, pas de curieux.Silhouettes à l’adhésif – pas de cadavres.

Techs qui passaient la poudre, emballagedes indices sous sachets. Fisk dansl’embrasure de la cuisine – l’air nerveux.

— Monsieur, j’ai Valburn. Inez Sotoest avec lui. Je suis descendu à Lagunasur une intuition. Vous m’aviez dit queMlle Soto le connaissait.

— Que vous a dit Valburn ?

— Rien. Il a dit qu’il ne parlerait qu’àvous. Je lui ai appris la nouvelle, et il aépuisé toutes ses larmes pendant tout letrajet. Il a dit qu’il était prêt à faire unedéclaration.

Inez entra. L’incarnation du chagrin, lesongles rongés jusqu’au sang.

— Je te rends responsable de tout ça.

Je te rends responsable d’avoir pousséBilly à ça.

— Je ne vois pas ce que tu veux dire,mais je suis désolé.

— Tu m’as fait espionner Raymond. Etmaintenant, tu as fait ça.

Ed fit un pas vers elle. Elle le gifla, lefrappa.

— Laissenous tous en paix !

Fisk se saisit d’elle, et la fit sortir.Gentiment – la main douce, la voix basse.Ed emprunta le couloir et inspecta leschambres.

Valburn dans le petit cagibi, en traind’ôter des photos du mur. Les yeuxbrillants, tout voilés, la voix trop sonore.

— Si je continue à m’occuper, tout irabien.

Une photo de groupe quitta le mur.

— J’ai besoin d’une déclarationcomplète.

— Oh, vous en aurez une.

— Mertens a tué Hudgens, Billy etMarsalas, plus Wee Willie et les autresenfants. J’ai besoin du pourquoi. Timmy,regardez-moi.

Timmy décrocha une photo encadrée.

— Nous étions ensemble depuis 1949.Nous avons eu nos petits péchés dejeunesse, mais nous sommes toujoursrestés ensemble et nous nous sommestoujours aimés. Ne me faites pas de

discours sur votre volonté de capturer letueur, Ed. Je ne pourrais simplement pasle supporter. Je vous dirai ce que vousdésirez savoir, mais essayez de ne pasêtre déclassé.

— Timmy.

Valburn lança le cadre contre le mur.

— David Mertens, maudit sois-tu !

Verre en morceaux. La photo atterrit,cliché apparent : Raymond Dieterlingtenant un encrier.

— Commencez par la pornographie.Jack Vincennes vous en a parlé il y a cinqans, et il a pensé que vous n’aviez pastout dit.

— Est-ce que c’est un nouveau

troisième degré ?

— Faites que ça n’en soit pas un.

Timmy rectifia l’alignement d’une pilede cadres.

— C’est Jerry Marsalas qui a fait créerces étranges… cochonneries par David.Jerry était quelqu’un de très mauvais etde très méchant. Il était le compagnon deDavid depuis des années et il réglait lesdosages des drogues qui le gardaient…relativement normal. Parfois, ilaugmentait et diminuait ses dosages etobtenait de David qu’il exécute deschoses artistiques et commerciales, rienque pour pouvoir garder l’argent.Raymond payait Jerry pour s’occuper deDavid. Il avait obtenu à David son emploi

à l’Insigne du Courage, de sorte queBilly puisse également s’occuper de lui –Billy dirigeait l’équipe des cameramendepuis le tout premier épisode de lasérie.

— Ne vous laissez pas emporter parvotre élan, dit Ed. Où Marsalas etMertens trouvaient-ils les modèles ?

Timmy serra les photos contre sapoitrine.

— Fleur de Lis. Marsalas utilisait sesservices depuis des années. Il s’offraitdes call-girls quand il était renfloué, et ilconnaissait nombre des anciennes fillesde Patchett, et nombre de… personnessexuellement aventureuses dont les filleslui avaient parlé. Il avait découvert que

beaucoup de clients de Fleur de Lisavaient un penchant pour la pornographiede spécialité, et il avait convaincucertaines des anciennes filles de Patchettde le laisser faire le voyeur à certaines deleurs soirées sexuelles. Jerry prit desphotos, David prit des photos, et Jerryaccrut la consommation de drogue deDavid et l’obligea à faire le travail deretouche sur les photos. Le sang d’encre aété entièrement l’idée de David. Jerry aengagé un directeur de studio d’art pourfaire des livres à partir des photos, et ilest allé les montrer à Pierce. Vous suivez? Je ne sais pas ce que vous, vous savez.

Ed sortit son calepin.

— Miller Stanton nous a donné

quelques détails de fond. Patchett etDieterling étaient associés, à l’époquedes meurtres Atherton, et vous savez quepour moi, c’est Mertens le coupable.Continuez, tout simplement. Si j’ai besoind’éclaircir un point, je vous le dirai.

— Très bien, en ce cas, dit Timmy. Aucas où vous ne le sauriez pas, il y avaitdes similitudes entre les photos à l’encreet les blessures des victimes d’Atherton.Pierce ne le savait pas quand il a vu leslivres, je crois qu’il n’y a eu que despoliciers à voir les photos de l’identité. Ilne savait pas non plus que David Mertensétait la nouvelle identité du tueur deWennerholm, aussi, lorsque Marsalas amis sur pied son projet de revente deslivres et s’est rendu chez Pierce pour le

financement, ce dernier a simplement cruqu’il s’agissait de livres cochons quicompromettaient ses prostitués et leursclients. Il a refusé la proposition deMarsalas, mais il a effectivement achetéquelques livres pour les revendre parl’intermédiaire de Fleur de Lis. PuisMarsalas est allé contacter ce DukeCathcart, et il s’est rendu auprès de cesgens, les frères Englekling. Ed, votre M.Fisk a sous-entendu que tout cela était liéà l’affaire du Hibou de Nuit, mais je ne…

— Je vous le dirai plus tard. Vousparliez de la situation de début 53, etjusqu’ici, je vous suis. Racontezsimplement les choses dans l’ordre.

Timmy reposa ses photos.

— Alors Patchett a contacté SidHudgens. Lui et Hudgens allaient êtreassociés dans une entreprise d’extorsionde fonds dont je ne sais rien, et Pierce aparlé à Hudgens de Marsalas et de sonporno. Il avait fait faire une enquête surMarsalas et il savait que c’était unhabitué du plateau de l’Insigne duCourage, ce qui a intéressé Hudgens,lequel avait toujours désiré obtenir desrévélations sur le spectacle pourl’Indiscret. Pierce a donné à Hudgensquelques-uns des livres qu’il avaitconservés sans les passer par Fleur deLis, et Hudgens a contacté Marsalas. Il aexigé des renseignements sur les vedettesdu spectacle et a menacé Jerry d’exposerau grand jour son trafic porno s’il refusait

de coopérer. Jerry lui a donné quelquespetites choses anodines sur Max Peltz, etpeu de temps après, elles ont étépubliées. Puis Hudgens a été assassiné, etnaturellement, ce fut Jerry qui mit Davidsur le coup. Il diminua ses dosages dedrogue et le rendit complètement fou.David est retombé dans ses vieilles…dans la manière dont il avait tué lesenfants. Marsalas a fait cela parce qu’ilcraignait que Hudgens ne continue à luiextorquer des renseignements. Il est partiavec David, et il a volé les dossiers deHudgens sur l’Insigne du Courage, ycompris un dossier incomplet queHudgens possédait sur lui et David. Je nepense pas qu’il ait su que Piercedisposait déjà des copies des dossiers

que lui et Hudgens pensaient utiliser pourleur entreprise de chantage ou que Pierceconnaissait la banque où Hudgensconservait à l’abri les originaux de sesdossiers.

Trois questions clés qui demandaientréponse ; mais d’abord quelquesconfirmations.

— Timmy, lorsque Vincennes vous ainterrogé, il y a cinq ans, vous vous êtescomporté de manière suspecte. Saviez-vous à l’époque que Mertens fabriquait leporno ?

— Oui, mais je ne connaissais pas lavéritable identité de David. Tout ce queje savais, c’est que Billy gardait un œilsur lui, je n’ai donc rien dit à Jack.

Question numéro un :

— Comment savez-vous tout ça ? Toutce que vous m’avez dit…

Les yeux de Timmy se voilèrent ànouveau :

— J’ai tout découvert cette nuit. Aprèsl’hôtel, Billy a voulu se faire expliquertoutes les insinuations de cet abominablepolicier sur Johnny Stompanato. Billyconnaissait l’essentiel de l’histoiredepuis des années, mais il voulait savoirle reste. Nous sommes allés chezRaymond, à Laguna. Raymond était aucourant des développements les plusrécents par Pierce, et il a raconté à Billytoute l’histoire. Je me suis contentéd’écouter.

— Et Inez était là.

— Oui, elle a tout entendu. Elle rejettela faute sur vous, mon mignon. La boîtede Pandore et tout ça.

Elle savait, son père savaitprobablement aussi. Révélation de toutel’affaire au grand jour, pour ainsi dire, oupresque.

— Ainsi donc, c’est Patchett quifournissait la drogue grâce à laquelleMertens se tenait docile depuis desannées.

— Oui, physiologiquement parlant,c’est un malade. Il a périodiquement desinflammations du cerveau, et c’est à cesmoments-là qu’il est le plus dangereux.

— Et Dieterling lui a obtenu un emploià l’Insigne du Courage, de façon queBilly puisse veiller sur lui.

— Oui. Après le meurtre de Hudgens,Raymond a appris les mutilations par lesjournaux et il s’est dit qu’ellesressemblaient à celles des meurtresd’enfants. Il a contacté Patchett, dont ilsavait qu’il était en bons termes avecHudgens. Raymond a révélé l’identité deDavid à Pierce, et Pierce s’est montréterrifié. Raymond avait peur d’éloignerDavid de l’emprise de Jerry, et il a verséà Jerry de véritables fortunes pour qu’ilgarde David sous drogues.

Question clé numéro deux :

— Vous attendez cette question, Timmy.

Pourquoi Ray Dieterling s’est-il donnétout ce mal pour David ?

Timmy retourna une des photos – Billy,et son visage de lourdaud.

— David est le fils illégitime deRaymond. C’est le demi-frère de Billy, etregardez-le. Lux l’a si souvent charcuté ;il est si laid à côté de mon tendre Billy,que c’en est presque insupportable àregarder.

Le voilà qui repartait vers le chagrin –Ed coupa court avant qu’il ne disjoncte.

— Que s’est-il passé cette nuit ?

— Cette nuit, Raymond a mis Billy aucourant de tout, en remontant jusqu’à SidHudgens – il ne savait rien de tout cela.

Billy m’a demandé de rester avec Inez àLaguna. Il m’a dit qu’il allait faireéchapper David de la maison de Jerry etle sevrer des drogues. Il a dû essayer dele faire, et Marsalas a dû exercer desreprésailles. J’ai vu ces cachets, par terreet… oh, Seigneur, David a dû devenircomplètement fou ! Il ne pouvait pas fairela différence entre ce qui était bien et cequi était mal, et juste…

Trois :

— À l’hôtel, vous avez réagi au nomde Stompanato. Pourquoi ?

— Il y a des années que Stompanatofait chanter les clients de Pierce. Il m’asurpris avec un autre homme, et c’est parmoi qu’il a appris une partie de l’histoire

de Mertens. Pas grand-chose, juste queRaymond payait pour qu’on s’octupe deDavid. C’é… c’était avant que je sache.Stompanato a préparé un dossier poursaigner Raymond à blanc. Il a menacéBilly par des petits mots qu’il lui aadressés, mais je ne pense pas qu’il sachequi est David. Billy essayait deconvaincre son père de le faire tuer.

Le soleil darda ses rayons par lafenêtre – ils frappèrent Timmy alors queses larmes se remettaient à couler. Iltenait la photo de Billy, une main sur levisage de David.

73

Un dur des A.I. vint le relever à 7 h –faisant la gueule parce qu’il était en trainde dormir, affalé dans l’embrasure de laporte, arme dégainée. La maison étaitrestée vierge – David Mertens, le cingléassoiffé de sang, ne s’était pas montré. Lemec des A.I. lui apprit que Mertenscourait toujours ; ordres du capitaineExley : retrouvez-les, lui et Bud White,chez Mickey Cohen, à neuf heures. Jackse dépêcha jusqu’à un téléphone, joua uncoup au flair.

Appel au bureau – Dudley Smith en«congé exceptionnel pour affaire de

famille». Breuning et Carlisletravaillaient «hors frontières de l’État» –le lieutenant de la brigade de la Soixante-dix-septième était provisoirement lepatron du Hibou de Nuit. Coup de bigo àla prison principale des femmes :l’adjointe Dot Rothstein en «congéexceptionnel pour affaire de famille». Lecoup de flair : ils n’avaient de solide quedes théories, les dernières petites fuites,côté Dudley, étaient en train de se fairecolmater.

Jack retourna à la maison, en essayantde se débarrasser d’un rêve : lesdivagations de Davey Goldman lelégume. «Le Dutchman» égale Dean VanGelder, «le Chat irlandais», Dudley. «Lesgars des franchises ont eu leurs trois

gâchettes blip blip blip» – appelons çales flingueurs – Stompanato, Vachs,Teitlebaum – en train de descendre lestruands. «Bump bump bump bump bumpbump bump le p’tit train cul-cul» –??????? Truc de cinglé – peut-être bienque la came de Patchett opérait encore unpeu de vaudou.

La voiture de Karen n’était pas là. Jackentra, vit un assortiment sur la table basse– tickets d’avion, un petit mot.

J.

Hawaii, et note la date. Le 15 mai, lejour où tu deviendras officiellementretraité. Dix jours et dix nuits pour refaireconnaissance. Ce soir, dîner. J’ai réservéchez Perino, et si tu es encore de service,

appelle-moi, que je puisse annuler.

XXXXX K.

P. S : Je sais que tu te poses desquestions, alors je vais te dire. Quand tuétais à l’hôpital, tu as parlé pendant tonsommeil. Jack, je connais le pire de ceque je pourrai jamais connaître, et jem’en fiche. Nous n’avons pas à endiscuter. Jamais. Le cap. Exley t’aentendu, et je ne pense pas qu’il s’ensoucie, lui non plus. (Il n’est pas aussimauvais que tu le disais.) Des tas de X

K.

Jack essaya de pleurer – pas moyen. Ilse rasa, se doucha, enfila un pantalon etsa plus belle veste de sport – pardessus

une chemise hawaïenne. Il partit pourBrentwood en songeant que tout, autourde lui, lui paraissait nouveau.

Exley sur le trottoir, tenant à la main unmagnétophone. Bud White sur le perron –les A.I. avaient dû le retrouver. Jack sedit, un trio partant.

White s’approcha.

— Je viens de parler à Gallaudet, ditExley. Il a dit que sans preuves concrètes,nous ne pouvons pas aller chez Loew.Mertens et Perkins sont toujours en fuite,et Stompanato est à Mexico avec LanaTurner. Si Mickey ne nous apprend riende solide, alors je vais directement chezParker. Je divulgue tout sur Dudley.

De l’embrasure de la porte :

— Allez-vous entrer ou non ? Vousvoulez me chercher des ennuis, alors quece soit à l’intérieur !

Mickey Cohen en peignoir et kippa.

— Dernier appel pour venir mechercher des noises ! Vous venez ou non ?

Ils montèrent. Cohen ferma la porte,montra du doigt un petit cercueil doré.

— Feu mon héritier canin, MickeyCohen Jr. Distrayez-moi de mon véritablechagrin, putains de flics goyishe ! Leservice funéraire se tient aujourd’hui àmont Sinaï. J’ai soudoyé le rabbin pourqu’il offre à mon bien-aimé un départd’humain. Les nullards des pompes

funèbres croient qu’ils incinèrent un nain.Parlez-moi.

Exley prit la parole.

— Nous sommes venus vous apprendrequi tuait vos gens des franchises.

— Quels «gens des franchises» ?Poursuivez dans cette veine et il mefaudra me protéger derrière le cinquièmeamendement. Et qu’est-ce que c’est quece zimbreck à bande que vous tenez ?

— Johnny Stompanato, Lee Vachs, etAbe Teitlebaum. Ils font partie d’unebande, et c’est eux qui ont l’héroïne quevous avez perdue au cours de la réunionavec Jack Dragna en 50. C’est eux quituent vos gens des franchises, et ils ont

essayé de vous faire tuer, vous et DaveyGoldman, à McNeil. Ils ont fait sautervotre maison et ils vous ont raté, mais tôtou tard, ils arriveront à leurs fins.

Cohen éclata immédiatement de rire.

— Je vous l’accorde, ces vieuxcopains à moi ont été absents de ma vie etils ne sont guère prêts à se laisserconvaincre de venir me rejoindre. Maisils n’ont pas l’intelligence suffisante pourdéconner avec le Mickeyeur et réussir.

— Davey Goldman travaillait poureux, dit White. Ils l’ont trahi quand ils ontessayé de vous liquider tous les deux àMcNeil.

— Non ! – Mickey Cohen, livide –

Non ! Jamais, en six mille millénaires,Davey ne me ferait une chose pareille !Jamais ! C’est d’une sédition, de la mêmecatégorie que le communisme, que vousme parlez !

— Nous avons les preuves, dit Jack.Davey avait mis votre cellule sur écoute.C’est comme ça qu’ils ont eu vent desfrères Englekling et de Dieu sait quoid’autre encore.

— Mensonges ! Combinez Davey avecles autres et vous n’avez toujours pas lapointure suffisante pour venir déconneravec moi !

Exley tripatouilla le magnéto –défilement de la bande. Brrr, brrr, « MonDieu, être si preste et si bien monté,

comme Heifetz au violon avec sonbraquemart, voilà ce qu’il est, ce chien, etpardessus le marché, il est montécomme… »

Cohen sauta au plafond :

— Non ! Non ! Personne au monden’est capable de m’enfoirer de cettemanière !

Exley pressa les boutons. Lecture : «Lana, elle doit quand même avoir unesacrée cramouille. » – arrêt – lecture –une partie de cartes, un bruit de chassed’eau. Mickey envoya un coup de pieddans le cercueil.

— D’accord ! Je vous crois !

— Maintenant, vous savez pourquoi

Davey n’a pas voulu que vous le mettiezen maison de repos.

Cohen s’essuya le visage de sa kippa.

— Pas même Hitler est capable dechoses pareilles. Qui pourrait être aussiintelligent et aussi impitoyable ?

— Dudley Smith, dit White.

— Oh, par le Christ ! Lui, je pourraisle croire. Non… dites-moi, devant feumon bien-aimé, vous plaisantez ?

— Un capitaine du LAPD ? C’estsérieux, Mick.

— Non, ça, je ne le crois pas. Donnez-moi la preuve, donnez-moi unejustification.

— Mickey, à vous de nous en donnerune, dit Exley.

Cohen s’assit sur le cercueil.

— Je crois savoir qui a essayé de nousliquider, Davey et moi, au pénitencier.Coleman Stein, George Magdaleno et SalBonventre. Ils sont en route pour SanQuentin, un ramassage de condamnésdans les autres prisons. Quand ilsarriveront, vous pourriez leur parler etleur demander qui a placé l’enchère surmoi et Davey. J’allais les liquider, maisje n’ai pas réussi à obtenir un tarifintéressant, c’est des vrais voleurs, cestueurs des prisons.

Exley remballa son magnétophone.

— Merci. Quand le bus arrivera, nousserons là.

Cohen gémit.

— Kleckner m’a laissé un mémo, ditWhite. Kikey et Lee Vachs sont censés seretrouver chez le traiteur ce matin. Ce quej’en dis, c’est qu’on les agrafe.

— C’est d’accord. On fait ça, ditExley.

74

Au Casse-graine d’Abe : tabléespleines, Kikey T. à la caisseenregistreuse. White se colla contre lafenêtre.

— Lee Vachs, à une table à droite.

Ed mit la main à son étui – vide – sonpetit numéro de suicidé. Poubelle ouvritla porte.

Carillons. Kikey jeta un œil, passa lebras sous la caisse. Ed vit Vachs quimettait la main au flingue, avec le gestede lisser son pantalon. Éclair de métal àhauteur de la taille.

Les gens mangeaient, parlaient, lesserveuses circulaient. Poub avança versla caisse ; White reluqua Vachs. Éclair demétal qui remonte de dessous la table.

Ed entraîna White au sol.

Kikey et Vincennes ouvrirent le feu.

Tir croisé – six balles – la fenêtredégringola, Kikey fit mouche sur une pilede boîtes de conserves. Hurlements,panique, tirs à l’aveuglette – Vachs tirantcomme une furie en direction de la porte.Un vieil homme tomba au sol, crachant lesang ; White se releva en ouvrant le feu :cible mouvante – Vachs qui se faufilaitvers l’arrière, direction la cuisine. Unflingue de rechange dans le ceinturon deWhite – Ed se releva tant bien que mal,

s’en empara.

Deux gâchettes braquées sur Vachs. Edfit feu – Vachs pivota sur lui-même en setenant l’épaule. White manqua sa cible ;Vachs s’emmêla les pieds, tomba, rampa,se releva – son arme braquée sur la têted’une serveuse.

White marcha sur lui. Vincennescontourna par la gauche ; Ed contournapar la droite. Vachs fit sauter la cervellede la fille à bout portant.

White tira. Vincennes tira. Ed tira.Cible intacte – c’est le corps de la femmequi avait encaissé leurs balles. Vachs serecula à petits pas. White fonça au pas decourse ; Vachs essuya des débris decervelle sur sa figure. White déchargea

son arme – tir à la tête, toutes les balles.

Des hurlements, une ruée effrénée versla porte, un homme défonçait les échardesde la fenêtre. Ed courut jusqu’aucomptoir, bondit par dessus.

Kikey au sol, dégouttant de sang par lesblessures qu’il portait à la poitrine. Ed seposa juste devant son visage.

— Donne-moi Dudley. Donne-moiDudley pour le Hibou de Nuit !

Bruits de sirènes. Ed se pencha, lamain en coupe autour de l’oreille.

— Splendide. Par Dieu, mon gars !

Encore plus près.

— Qui s’est fait le Hibou de Nuit ?

Gargouillements de sang.

— Moi. Lee. Johnny Stomp. Deuceconduisait.

— Abe, donne-moi Dudley.

— Splendide, mon gars !

Bruits violents de sirènes. Cris,martèlements de pas.

— Le Hibou de Nuit. Pourquoi ?

Kikey cracha le sang après une quintede toux.

— Came. Livres pornos. Cathcartdevait y passer. Lunceford dans le groupequi avait pris la came. Y traînait auHibou. Des IT sur Stomp, alors Deuce lesa piqués. L’homme avait dit faire peur à

Patchett. Une pierre deux coups, Duke etMal. Mal voulait du fric, il avait reconnule chef de groupe.

— Donne-moi Dudley. Dis que DudleySmith était ton complice.

Vincennes s’accroupit. Le restaurantrésonnait d’un million de voix. Du sangsur le comptoir. Ed songea à DavidMertens. Éclair – l’école du studioDieterling – à deux kilomètres de lamaison de Billy D.

— Abe, il ne peut plus te faire de mal.

Abe commença à s’étouffer.

— Abe…

— Peut mal aussi, peut aussi.

Il s’en allait – Poub lui claqua lapoitrine.

— Saloperie, donnenous quelque chose!

Kikey marmonna, détacha une étoiled’or de son cou.

— Mitzvah. Johnny veut sortir lesprisonniers. Train Q. Dot a des fusils.

Vincennes, l’air hagard :

— C’est un train, pas un bus ! Untentative d’évasion, un coup de force.Davey G. était au courant, il divaguait.Exley, le petit train cul-cul, le train Q, deQuentin. Cohen a dit que les mecs ducontrat, à la prison, sont dedans.

Ed tâtonna en tous sens, pigea.

— À VOUS D’APPELER !

Poub sortit en courant. Ed se leva,respira le chaos : flics, débris de verre,une ambulance en marche arrière àtravers la fenêtre, en train de charger descorps. Bud White en train de hurler desordres, une petite fille, dans sa robeéclaboussée de sang, mangeait un beignet.

Poub revint – encore plus hagard :

— Le train a quitté L.A. il y a dixminutes. Trente-deux prisonniers dans unwagon, et le téléphone de bord ne marchepas. J’ai appelé Kleckner et je lui ai ditde trouver Dot Rothstein. C’était un coupmonté, Capitaine. Kleckner n’a jamaislaissé de mémo à White – ça ne pouvaitêtre que Dudley.

Ed ferma les yeux.

— Exley…

— Très bien, vous et White, vousrejoignez le train. Je téléphonerai auxservices du Shérif et à la patrouille del’autoroute en leur demandant de mettreen place une déviation.

White s’approcha, fit un clin d’œil àEd.

— Merci pour le coup de pouce, dit-ilavant de marcher sur la figure de Kikey T.jusqu’à ce que dernier cesse de respirer.

75

Ils retrouvèrent une escortemotocycliste qui leur ouvrit la voie àtoute blinde sur l’autoroute de Pomona.Moitié de la course sur des voiessurélevées : on voyait les voies deCalifornia Central, un seul train sedirigeant au nord – transport demarchandises, chargement de prisonniersdans la troisième voiture – fenêtresbarrées, portes en acier blindé. Rues ensurface dans les faubourgs de Fontana –jusqu’aux collines qui jouxtaient les voies– et une petite armée qui attendait à piedd’œuvre.

Neuf rôdeuses, seize hommes avecmasques à gaz et fusils anti-émeute.Tireurs d’élite dans les collines, deuxmitraillettes, trois mecs avec grenadesfumigènes. Au bord de la courbe – ungrand cerf sur les rails.

Un adjoint leur tendit fusils et masquesà gaz :

— Votre copain Kleckner a appelé leposte de commandement en disant que lafille Rothstein était MAA dans sonappartement. Elle s’est pendue, ou alorsquelqu’un l’a pendue. D’une manièrecomme d’une autre, il faut supposerqu’elle a réussi à faire monter les fusils.Il y a quatre gardiens et une équipe de sixhommes à bord de ce train. Nous nous

tenons prêts avec les fumigènes et nousdemandons le mot de passe – chaquetransport de prisonniers en a un. On nousenvoie le bon : nous envoyons unavertissement et nous attendons. Pas lebon mot de passe : nous entrons.

Le sifflement d’un train retentit.Quelqu’un hurla :

— Maintenant !

Les tireurs d’élite se mirent à l’abri.Les gazeurs se collèrent au sol. L’équipeaux fusils courut derrière une rangée depins. Bud se trouva un arbre tout près.Jack se trouva un arbre à côté de lui.

Le train aborda la courbe – les freinsse mirent en action, étincelles sur les

rails. La locomotive s’arrêta – le nez surl’obstacle. Mégaphone :

— Services du shérif ! Identifiez-vouspar le mot de passe !

Silence – dix bonnes secondes. Budreluqua la fenêtre de la locomotive –éclair de toile bleue.

— Services du shérif ! Identifiez-vouspar le mot de passe !

Silence – puis une imitation de crid’oiseau.

Les gazeurs visèrent les fenêtres – lesgrenades brisèrent les vitres, passèrententre les barreaux. Les porteurs demitraillette donnèrent l’assaut à la voiture3 – deux chargeurs pleins firent voler la

porte. Des hommes en kaki la franchirenten courant. Un tireur d’élite en descenditun.

— Non, c’est les nôtres, hurlaquelqu’un.

Les flics envahirent les wagons –masque sur la figure, fusil de chasse à lamain.

— Ils ne sont pas dans celui-ci, ditJack en agrippant Bud.

Bud démarra en courant, sauta sur lemarchepied de la voiture 4. Il ouvrit laporte – un gardien mort à l’intérieur. Desprisonniers qui courent en tous sens.

Bud tira, éjecta, tira – trois hommesqui tombent, un qui pointe une arme de

poing. Bud éjecta, tira, rata – une caisseexplosa tout près de l’homme. Jack bonditsur le marchepied – le prisonnier écrasala gâchette. Jack prit la balle en pleinefigure, avant de tournoyer et de tombersur les rails.

Le tireur prit la fuite. Bud éjecta – plusde cartouches. Il laissa tomber le fusil,dégaina son 38 – un, deux, trois, quatre,cinq, six coups – six coups dans le dos, iltuait un mort. Bruits à l’extérieur de lavoiture – des prisonniers sur les voies,près du corps de Poubelle. Des adjointsderrière eux, à courte distance, quitiraient – chevrotines et sang, du noir etdu rouge qui volaient.

Une bombe fumigène explosa – Bud

entra dans la voiture 5 au pas de course,toussant et hoquetant. Fusillade : desBlancs en bleu en train d’abattre deshommes de couleur en bleu, des gardes enkaki qui tiraient sur les uns et les autres.Il bondit du train, courut vers les arbres.

Cadavres sur les voies.

Prisonniers récupérés, assis en canard.

Bud atteignit les pins, arriva à savoiture. Contact. Il écrasa le champignon,et passa pardessus les voies en raclant lesessieux sur les rails. Direction le fossé encontrebas, chassant de l’arrière, les pneusqui dérapent sur le gravier. Un homme degrande taille debout près d’une voiture.Bud le reconnut et se dirigea droit sur lui.

L’homme se mit à courir. Bud fitdéraper la voiture et l’arrêta par letravers. Il sortit – groggy, sanglant, ilavait heurté le tableau de bord. DeucePerkins s’approcha en tirant.

Bud en prit une dans la jambe, une dansle flanc. Deux balles qui ratent, une dansl’épaule. Un nouveau raté – Perkins laissatomber son arme, sortit un couteau. Budvit les doigts pleins de bagues.

Deuce le poignarda. Bud sentit sapoitrine qui se déchirait, il essaya deserrer les poings, n’y parvint pas. Deucese pencha sur lui, visage en avant, etricana – Bud lui colla son genou dans lescouilles et lui sectionna le nez d’un coupde dents. Perkins hurla ; Bud lui mordit le

bras, l’écrasa de tout son poids.

Ils firent la culbute. Perkins poussaitdes cris d’animal. Bud tira sur la tête –une secousse violente – et il sentit le brasqui s’arrachait de son articulation.

Deuce laissa tomber son couteau. Budle ramassa – aveuglé par les baguestueuses de femmes. Il laissa retomber lecouteau, et martela Perkins à mort, de sesdeux mains blessées.

76

La propriété de Patchett en ruines – unhectare de suie et de débris. Bardeaux surla pelouse, palmier calciné dans lapiscine. La maison, un tas de gravats –stuc effondré, cendres détrempées.Essayer de trouver un coffre piégé aumilieu d’un périmètre de dix milliards decentimètres carrés.

Ed chassa les gravats à coups de pied.David Mertens était là, présent – il fallaitqu’il fût là, ça concordait trop bien.

Plancher effondré au milieu des blocsdes fondations – du bois de charpente àdébarrasser. Empilages de bois, tas de

tissus détrempés – pas de lueursmétalliques révélatrices. Une semaine detravail à dix hommes, un tech pourdésamorcer le piège. Direction le jardin.

Un perron de ciment à l’arrière de lamaison – une dalle avec, dessus, desmeubles complètement cuits. Du bétonmassif – pas de fissures, pas de rainures,pas d’accès bien visible à une cache decoffre-fort. Le bâtiment de la piscine, luiaussi, à l’état de tas de gravats.

Du bois entassé sur un mètre de haut –trop de travail si Mertens se trouvait là.Un tour de la piscine – fauteuils calcinés,plongeoir. Une goupille de grenadeflottant dans l’eau.

Ed donna un coup de pied dans le

palmier flottant. Débris de porcelainedans les palmes ; éclats de grenadeenfoncés dans le tronc. À plat ventre, entrain de lorgner : des cachets dans l’eaude la piscine, petits carrés noirs quiressemblaient à des capsules dedétonateur. En bout du petit bassin, desmarches de plâtre déchiquetées – treillismétallique visible, encore des cachets.Inspection de la pelouse – de l’herbehyper-calcinée courait de la piscine à lamaison.

L’accès au coffre. Sécurité pargrenades et dynamite. Les flammesavaient fusé jusqu’au terminus,déconnectant le piège – seulement uneéventualité.

Ed sauta dans l’eau, et s’attaqua auplâtre : pilules et bulles d’air remontèrenten surface. Il arrachait à deux mains –plâtre, eau, bulles, une porte métalliquepivotante. Éruption de pilules, chemisesde carton sous plastique, plastiquerecouvrant poudre blanche et argentliquide. Des quantités, des quantités enquantités – puis plus rien, rien qu’ungrand trou noir. Trempé des pieds à latête. Jusqu’à la voiture, au pas de course– le soleil cognait – il était presque seclorsqu’il eut fini de charger le contenu dela planque. Un dernier voyage, au cas oùLUI aurait été LÀ : dernier écopage depilules venues des profondeurs du grandbain.

Le chauffage de la voiture le revigora.

Il se rendit à l’école Dieterling, sauta laclôture.

Pas de bruit. Samedi – pas de cours.Terrain de jeux caractéristique – paniersde basket-ball, terrain de balle douce enlosange. Moochie Mouse partout – despanneaux de basket aux repères desbases.

Ed se dirigea vers le périmètre declôture – le raccourci le plus prochejusqu’à la maison de Billy Dieterling.Lambeaux de peau sur les maillons dechaîne – prises de main pour monter etsauter. Taches sombres sur l’asphaltegrisâtre – du sang, une piste facile.

À travers le terrain de jeux, une voléede marches qui descend jusqu’à la porte

de la chaufferie. Du sang sur la poignée,une lumière à l’intérieur. Il sortit ladeuxième arme de Bud White et entra.

David Mertens – qui frissonnait dansun coin. Il faisait chaud dans la pièce –l’homme suait sous ses vêtementsensanglantés. Il montra les dents, tordit labouche en un cri strident. Ed lui jeta despilules.

Il les attrapa, les avala par poignées.Ed visa sa bouche, ne put se résoudre àpresser la détente. Mertens le fixait desyeux. Il se passa quelque chose d’étrange,le temps passant – le temps n’intervintpas, il les laissa tranquilles. Mertenss’endormit, les lèvres retroussées sur lesgencives. Ed regarda son visage, essaya

de retrouver en lui quelque furie. Il ne puttoujours pas se résoudre à le tuer.

Le temps refit son apparition : demauvaise manière. Procès, audiencespsychiatriques, Preston Exley vilipendépour avoir laissé ce monstre en liberté.Le temps qui pressait de toutes ses forcessur la détente – il ne put toujours pas serésoudre à le tuer.

Ed souleva l’homme et le porta jusqu’àsa voiture.

Sanatorium Pacifique – MalibuCanyon. Ed dit au garde de l’entrée defaire venir le Dr Lux – le capitaine Exleyvoulait régler ses vieilles dettes.

Le garde lui indiqua un emplacement

de parking. Ed se rangea, arracha lachemise de Mertens. Sordide – l’hommen’était qu’une immense cicatrice.

Lux arrivait. Ed sortit deux sacs depoudre, deux liasses de billets de milledollars. Il les plaça sur le capot,descendit les glaces arrière.

Lux s’approcha, inspecta la banquettearrière.

— Je reconnais ce travail. C’estDouglas Dieterling.

— Comme ça, tout simplement ?

Lux tapota la poudre.

— La propriété de feu Pierce Patchett? Ne nous laissons pas emporter,capitaine. Aux dernières nouvelles, vous

n’aviez rien d’un scout morveux. Et puis-je savoir ce que vous souhaitez ?

— Qu’on s’occupe de cet homme pourle restant de ses jours, en quartier isolé.

— Je trouve cela acceptable. Est-ce dela compassion, ou le désir d’épargner laréputation de notre futur gouverneur ?

— Je ne sais pas.

— Réponse qui ne sied guère à unExley. Appréciez les jardins, capitaine.Mes infirmiers feront le nettoyage, ici.

Ed marcha jusqu’à une terrasse,regarda l’océan. Du soleil, des vagues –peut-être quelques requins en chasse. Uneradio s’alluma derrière lui : « … ainsidonc, quelques informations

supplémentaires sur cette tentatived’évasion avortée du train des prisons.Un porte-parole de la patrouille del’autoroute a déclaré aux journalistes quele nombre des morts se monte maintenantà vingt-huit chez les prisonniers, et à septchez les gardiens et les mécaniciens.Quatre adjoints du shérif ont été blessés,et le sergent Jack Vincennes, célèbrepolicier de Los Angeles et ancienconseiller technique du spectacle télévisél’Insigne du Courage, est mort sous lesballes. Le partenaire du sergentVincennes, le sergent Wendell White, duLAPD, est dans un état critique à l’hôpitalgénéral de Fontana. White s’était lancé àla poursuite de l’homme chargé derécupérer les prisonniers évadés et

l’avait tué ; l’homme a été identifiécomme étant Burt Arthur «Deuce»Perkins, musicien et artiste de boîte denuit, qui avait des liens avec la pègre.Une équipe de médecins s’efforce en cemoment de sauver la vie du vaillantpolicier, bien qu’on ne lui donne guère dechances de s’en sortir. Le capitaineGeorge Rachlis de la patrouille desautoroutes californiennes qualifie cettetragédie… »

L’océan se voila à travers ses larmes.White lui fit un clin d’œil et dit : « Mercipour le coup de pouce. » Ed se retourna.Le monstre, la came, l’argent – disparus.

77

La planque de la piscine : vingt et unelivres d’héroïne, 871 400 dollars, copiesdes dossiers de saletés de Sid Hudgens.Y compris : photos de chantage, tracesécrites des entreprises criminelles dePierce Patchett. Le nom «Dudley Smith»n’apparaissait pas – pas plus que lesnoms de John Stompanato, Burt ArthurPerkins, Abe Teitlebaum, Lee Vachs, DotRothstein, ou du sergent Mike Breuning,et de l’agent Dick Carlisle. ColemanStein, Sal Bonventre, George Magdaleno– tués au cours de l’attaque. DaveyGoldman réinterrogé à l’hôpital d’État deCamarillo – il n’avait pas réussi à faireune déclaration cohérente. Le bureau du

coroner du comté de Los Angeles avaitconclu pour Dot Rothstein à une mort parsuicide. David Mertens était enfermé enquartier isolé au Sanatorium Pacifique.Les familles des trois citoyens innocentstués au Casse-Graine d’Abe avaientpoursuivi le LAPD en justice pourimprudence et risques inutiles. Latentative d’évasion reçut une couverturejournalistique à l’échelle nationale et futdénommée le «Massacre des ToilesBleues». Les prisonniers survivantsavaient déclaré aux inspecteurs du shérifque des dissensions parmi les détenusarmés s’étaient soldées par le fait que lesfusils avaient changé de mains – bientôt,tous les prisonniers s’étaient retrouvéslibres. Les tensions raciales s’étaient

enflammées, faisant avorter la tentatived’évasion avant l’arrivée des autorités.

Jack Vincennes reçut la médaille de laValeur du LAPD à titre posthume. Pas unseul homme du LAPD ne fut invité àl’enterrement – la veuve avait refusé uneaudience au capitaine Exley.

Bud White refusait de mourir. Il restaiten réanimation à l’hôpital général deFontana. Il avait survécu à un chocintense, un traumatisme neurologique, et àla perte de la moitié de son sang. LynnBracken restait auprès de lui. Il nepouvait pas parler, réagissait auxquestions par signes de tête. Le chefParker lui avait offert la médaille de laValeur. White avait libéré un de ses bras

d’une gouttière de traction et lui avaitrenvoyé la médaille dans la figure.

Dix jours s’étaient écoulés.

Un entrepôt de San Pedro fut réduit encendres – on y découvrit quelques restesde livres pornographiques. Lesinspecteurs qualifièrent l’incendie de«criminel, exécuté par desprofessionnels» et signalèrent : «pas depiste». Le bâtiment était la propriété dePierce Patchett. Chester Yorkin etLorraine Malvasi furent réinterrogés. Ilsn’offrirent aucun renseignement marquantet furent relâchés.

Ed Exley brûla l’héroïne, garda lesdossiers et l’argent.

Son rapport final sur le Hibou de Nuitomit de faire état de Dudley Smith et dufait que David Mertens, maintenantl’objet d’un avis de recherche à toutes lesunités pour les meurtres de Sid Hudgens,Billy Dieterling et Jerry Marsalas, étaitégalement le boucher qui avait mis àmort, en 1934, Wee Willie Wennerholm etcinq autres enfants. Le nom de PrestonExley ne fut jamais prononcé, dans aucuncontexte.

Le chef Parker tint une conférence depresse. Il annonça que l’affaire du Hiboude Nuit avait été résolue – correctement,cette fois. Les tueurs en étaient BurtArthur «Deuce» Perkins, Lee Vachs,Abraham «Kikey» Teitlebaum – avec,pour mobile, la volonté d’abattre Dean

Van Gelder, ancien condamné, qui sefaisait passer pour Delbert «Duke»Cathcart, avec lequel il avait d’abord étéidentifié, à tort. Les meurtres avaient étéconçus comme une tactique de terreur, unetentative pour s’emparer du royaume duvice que dirigeait Pierce MorehousePatchett, lui-même victime d’un meurtrerécent. Le bureau du procureur général del’État avait examiné les 114 pages durapport résumé du capitaine Exley, etavait annoncé qu’il était satisfait. EdExley eut une nouvelle fois l’honneurd’avoir résolu l’affaire des meurtres duHibou de Nuit. Il fut promu au graded’inspecteur contrôleur au cours d’unecérémonie télévisée.

Le lendemain, Preston Exley annonça

qu’il demanderait l’investiture du partirépublicain pour l’élection au poste degouverneur. Il arriva au premier rang d’unsondage d’opinion effectuéprécipitamment.

Johnny Stompanato revint d’Acapulcoet s’installa au domicile de Lana Turner, àBeverly Hills. Il resta là, ne se risquantjamais au-dehors, objet d’unesurveillance constante dirigée par lessergents Duane Fisk et Don Kleckner. Lechef Parker et Ed Exley se référaient à luicomme à leur «addendum» au Hibou deNuit – le meurtrier toujours en vie à jeteren pâture au public maintenant que cedernier était un peu calmé par la mort desautres tueurs. Lorsque Stompanatoquitterait Beverly Hills pour Los Angeles

proprement dite, il serait arrêté. Parkervoulait une belle arrestation, bien propre,en première page, la limite territoriale dela ville une fois franchie – il était prêt àattendre pour cela.

L’affaire du Hibou de Nuit et lesmeurtres de Billy Dieterling et de JerryMarsalas continuèrent à faire parlerd’eux. Nul ne se hasarda à les rattacher.Timmy Valburn se refusa à toutcommentaire. Raymond Dieterling remitun communiqué à la presse exprimant sonchagrin pour la perte de son fils. Il fermaDream-a-Dreamland pour une période dedeuil d’un mois. Il resta isolé de tousdans sa maison de Laguna Beach, avecpour seule compagnie, celle de sonassistante et amie Inez Soto.

Le sergent Mike Breuning et l’agentCarlisle restèrent en congé exceptionnel.

Le capitaine Dudley Smith resta aucentre de la première page pendant toutela série des conférences de presse et desréunions LAPD/ Bureau du Procureur quisuivirent la réouverture de l’affaire. Cefut lui qui porta les toasts au cours de lasoirée surprise organisée par Thad Greenen l’honneur de l’inspecteur Exley. Il neparut en aucune manière troublé de savoirque Johnny Stompanato était toujours enliberté, soumis à surveillance vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et donc àl’abri de toute tentative d’assassinat. Il neparaissait pas se tracasser à l’idée queStompanato pût être arrêté dans un avenirproche.

Preston Exley, Raymond Dieterling etInez Soto ne prirent aucun contact avecEd Exley pour le féliciter pour sapromotion et pour le renversement desituation qui effaçait sa mauvaise presse.

Ed savait qu’ils savaient. Il présumaitque Dudley savait. Vincennes mort, Whiteluttant pour vivre, seuls lui et BobGallaudet savaient – et Gallaudet nesavait rien se rapportant à son père et àl’affaire Atherton.

Ed voulait tuer Dudley sans hésitation.

Gallaudet dit : « Tuez-vous plutôtvous-même, c’est exactement cela quevous feriez. »

Ils décidèrent de jouer l’attente, de

faire ça dans les règles.

Bud White rendit l’attenteinsupportable.

Il avait des tubes dans les bras, desattelles aux doigts. Sa poitrine étaitsuturée de trois cents points. Les ballesavaient fracassé les os, déchiré lesartères. Il avait une plaque de métal dansla tête. Lynn Bracken le soignait – elleétait incapable d’affronter le regard d’Ed.White ne pouvait pas parler – il étaitdouteux qu’il pût jamais parler dansl’avenir. Ses yeux étaient éloquents :Dudley. Votre père. Qu’allez-vous faire àleur sujet ? Il essayait sans cesse de fairele V de la victoire. Trois visites, etfinalement, Ed comprit : le Victory Motel,

QG de la brigade antigang.

Il se rendit sur place. Il trouva desnotes détaillées de White, toute sonenquête sur les meurtres de prostituées.Les notes étaient celles d’un homme àl’intelligence limitée qui essaierait dedécrocher les étoiles, pour y parvenir, leplus souvent. Limites dépassées par unefurie dont l’intelligence était tout entièredans son obstination. Absolue justice –anonyme, sans grade et sans gloire. Unesimple ligne sur les frères Engleklingsuffit à lui faire comprendre que leurtueur courait toujours. Chambre 11 duVictory Motel – Wendell «Bud» White vutel qu’en lui-même pour la première fois.

Ed sut pourquoi il l’avait envoyé là –

et il suivit la piste.

Une vérification auprès de lacompagnie du téléphone, une entrevue – iln’en fallut pas plus. Confirmation, avecune épigraphe à bâtir dessus : «Absoluejustice». Les informations télévisées luiapprirent que Ray Dieterling traversaitchaque jour Dream-a-Dreamland à pied –à soulager ses malheurs dans un royaumede rêve complètement désert Il offrirait àBud White une journée entière de sajustice.

Vendredi Saint, 1958. Les informationsdu matin montrèrent Preston Exley quientrait à l’église épiscopale Saint-James.Ed se rendit à l’hôtel de ville, jusqu’aubureau d’Ellis Loew.

Encore trop tôt – pas de réceptionniste.Loew à son bureau en train de lire. Edfrappa à la porte. Loew leva les yeux.

— Inspecteur Ed. Prenez une chaise.

— Je resterai debout.

— Oh ? Vous êtes là en service ?

— En quelque sorte. Le mois dernier,Bud White vous a appelé de SanFrancisco et vous a appris que SpadeCooley était un criminel sexuel. Vousavez répondu que vous alliez mettre uneéquipe du Bureau du Procureur surl’affaire, chose que vous n’avez pas faite.Cooley avait contribué à votre caissenoire par des donations d’un montantsupérieur à quinze mille dollars. Vous

avez appelé l’hôtel Biltmore de chezvous, à Newport, et vous avez parlé à undes musiciens du groupe de Cooley. Vouslui avez dit de prévenir Spade et lesautres mecs qu’un flic complètementcinglé allait passer et leur chercher desennuis. White a serré Deuce Perkins, levéritable tueur. Perkins l’a envoyé auxtrousses de Spade, il pensaitprobablement que White allait tuer cedernier et lui permettre ainsi d’échapperà cette accusation. Perkins a été prévenupar vous et a pris la fuite. Il est restéplanqué assez longtemps pour transformerWhite en légume.

Loew, très calme :

— Vous ne pouvez rien prouver de tout

ça. Et depuis quand vous préoccupez-vous à ce point de White ?

Ed déposa une chemise cartonnée surle bureau :

— Sid Hudgens possédait un dossiersur vous. Contributions obtenues par laforce, inculpations criminellesabandonnées contre de l’argent. Ilpossédait noir sur blanc tous les détailsde l’entôlage de McPherson, et PiercePatchett possédait de vous unephotographie où vous étiez en train desucer la pine d’un prostitué mâle.Démissionnez de vos fonctions, sinon toutcela sera rendu public.

Loew – blanc comme un linge.

— Je vous entraînerai dans ma chute.

— Faites donc. Le voyage me feraitplaisir.

Il vit le spectacle depuis l’autoroute :le pays des fusées et le monde de Paulcôte à côte – un vaisseau spatial quisortait de la montagne comme uneexcroissance, un grand parc destationnement vide. Il prit la routenormale jusqu’à la grille, montra sonécusson de police au garde. L’hommeacquiesça, et ouvrit la grille.

Deux silhouettes arpentaient,nonchalantes, la Grande Promenade. Edse gara et s’avança jusqu’à elles. Toutétait silencieux à Dream-a-Dreamland, unsilence où l’on aurait entendu voler une

mouche.

Inez le vit – pivota, une main sur lebras de Dieterling. Échange de murmures; Inez s’éloigna. Dieterling se retourna :

— Inspecteur ?

— M. Dieterling.

— C’est Ray. Et je serais tenté de vousdemander ce qui vous a retenu silongtemps.

— Vous saviez que je viendrais ?

— Oui. Votre père n’était pas d’accordet a poursuivi ses projets, mais je n’étaispas dupe. Et je vous suis reconnaissant del’occasion qui m’est offerte de parler ence lieu.

Le monde de Paul en face d’eux –neige factice qui les aveuglait presque.

— Votre père, Pierce et moi-mêmeétions des rêveurs, dit Dieterling. Lesrêves de Pierce étaient malsains, lesmiens étaient gentils et bons. Les rêves devotre père étaient impitoyables – toutcomme, je le soupçonne, le sont lesvôtres. Il faudrait que vous sachiez celaavant de me juger.

Ed s’appuya contre une rambarde, ets’installa. Dieterling s’adressa à samontagne.

1920.

Sa première épouse Margaret était

morte dans un accident d’automobile –elle lui avait donné un fils, Paul. 1924 –sa seconde épouse, Janice, donnanaissance à un autre fils, Billy. Alorsqu’il était marié à Margaret, il avait euune liaison avec une femme très perturbéedu nom de Faye Borchard. Elle lui avaitdonné un fils, Douglas, en 1917. Il luioffrit de l’argent pour qu’elle gardesecrète l’existence du garçon – il était àl’époque un jeune metteur en scène quimontait, il voulait une vie dégagée detoutes complications et il était prêt àpayer pour cela. Seuls lui et Faye étaientau courant de tous les détails des originesde Douglas – Douglas connaissait RayDieterling comme un ami très gentil.

Douglas grandit avec sa mère ;

Dieterling leur rendait fréquemmentvisite, sa vie séparée entre deux familles: son épouse Margaret morte, ses fils Paulet Billy bien à l’abri avec lui-même etson épouse Janice – une femme triste quifinit par divorcer de lui.

Faye Borchard buvait du laudanum.Elle faisait regarder à Douglas desdessins animés pornographiques queRaymond fabriquait pour de l’argent,dans le cadre d’un projet de PiercePatchett – du liquide qui servirait àfinancer leurs entreprises légales. Lesfilms étaient d’un érotisme horrifiant – ilsmettaient en scène des monstres volantsqui violaient et tuaient. L’idée venait dePatchett – il avait mis ses fantasmes nésdes stupéfiants sur le papier, et avait

tendu un encrier à Ray Dieterling.Douglas devint obsédé par le vol dans lesairs et les possibilités sexuelles qui endécoulaient.

Dieterling adorait son fils Douglas –malgré ses furies et ses accès decomportement bizarre. Il méprisait sonfils Paul – qui était chiche, tyrannique,stupide. Douglas et Paul étaient d’uneressemblance étonnante.

Ray Dieterling devint célèbre ;Douglas Borchard devint sauvage. Ilvivait avec Faye, regardait lescauchemars en dessins animés de sonpère – des oiseaux qui arrachaient lesenfants des cours de récréation –fantasmes de Patchett peints sur pellicule.

Il grandit et devint un adolescent quivolait, torturait les animaux, et partaitpour des fugues vers les spectacles destrip-tease du quartier de la débine. C’estlà qu’il rencontra Loren Atherton –l’homme du mal s’était trouvé uncomplice.

Atherton était obsédé par ledémembrement ; l’obsession de Douglasétait le vol dans les airs. Ils partageaientle même intérêt pour la photographie,étaient sexuellement excités par lesenfants. Naquit alors chez eux l’idée decréer des enfants selon leurs propresspécifications.

Ils se mirent à tuer, et à bâtir desenfants hybrides, photographiant

l’avancement de leurs travaux. Douglastua des oiseaux pour se procurer des ailesà adapter à leurs créations. Ils eurentbesoin d’un beau visage ; Douglassuggéra celui de Winnie Wennerholm – ceserait un gentil coup de chapeau au gentil«oncle Ray» – dont les premiers ouvragesl’avaient tellement fasciné. Ils enlevèrentWee Winnie et le charcutèrent.

Les journaux avaient appelé le tueurd’enfants le «monstre Frankenstein» – ilétait admis qu’il n’existait qu’un seulmeurtrier. L’inspecteur Preston Exleycommandait l’enquête de police. Il appritl’existence de Loren Atherton, en libertéconditionnelle, connu pour brutalités surenfants. Il arrêta Atherton, découvritl’abattoir de son garage-entrepôt, sa

collection de photographies. Athertonavoua les crimes, et dit qu’ils avaient étéson œuvre à lui seul ; il n’impliqua pasDouglas et fit état de son désir de mourircomme le «roi de la mort». La presse netarit pas d’éloges sur l’inspecteur Exley,et se fit l’écho de son appel : ondemandait aux citoyens possédant desrenseignements sur Atherton de seprésenter comme témoins.

Ray Dieterling rendit visite à Douglas.Seul dans sa chambre, il découvrit unemalle pleine d’oiseaux charcutés, lesdoigts d’un enfant gardés dans la glace. Ilcomprit immédiatement.

Et se sentit responsable – ses petitesobscénités faciles à coups de fric avaient

engendré un monstre. Il interrogeaDouglas et apprit que celui-ci avait peut-être été aperçu à l’école, à peu près aumoment où Wee Willie se faisait enlever.

Mesures de protection :

Un psychiatre – dont il acheta lesilence – examina Douglas ; diagnostic :personnalité psychotique, à laquellevenaient s’ajouter des déséquilibres dansla chimie du cerveau. Remède : desdrogues adaptées, données à vie, pour legarder docile. Ray Dieterling était l’amide Pierce Patchett – chimiste quitravaillait sur de telles drogues. Piercepour la protection intérieure – Terry Lux,ami de Pierce, pour l’extérieur.

Lux retailla à Douglas un tout nouveau

visage. L’avocat d’Atherton gagnait dutemps pour le procès. Preston Exleycontinuait à chercher des témoins – aidépar les journaux et la télévision. RayDieterling sentit le vent de la panique –avant d’échafauder un plan risqué.

Il donna des drogues à Douglas et aujeune Miller Stanton. Il leur fit la leçonpour qu’ils déclarent avoir vu LorenAtherton, et seulement lui, enleverWinnie Wennerholm – ils avaient eu peurde se faire connaître jusque-là – craignantque le «monstre Frankenstein» nes’empare d’eux. Les garçons racontèrentleur histoire à Preston Exley ; il les crut ;ils identifièrent le monstre. Atherton nereconnut pas le visage de son ami,modifié par la chirurgie.

Deux années s’écoulèrent. LorenAtherton fut jugé, reconnu coupable,exécuté. Terry Lux retailla le visage deDouglas – détruisant toute ressemblanceavec le jeune témoin. Douglas vivait soussédatifs, fournis par Pierce Patchett, dansune chambre d’un hôpital privé – sous lagarde d’infirmiers. Ray Dieterling devintencore plus célèbre. Puis Preston Exleyvint frapper à sa porte.

Les nouvelles qu’il apportait : unejeune fille, aujourd’hui, plus âgée, s’étaitprésentée. Elle avait vu Paul, le fils deDieterling, en compagnie de LorenAtherton – à l’école, le jour où Winnieavait été enlevée.

Dieterling savait que c’était en réalité

Douglas – tant sa ressemblance avec Paulétait grande. Il offrit à Exley uneimportante somme d’argent pourrenoncer. Exley prit l’argent, puis tenta dele lui rendre. Il dit : « Justice. Je veuxarrêter ce garçon. »

Dieterling vit son empire ruiné. Il vitPaul, sa mesquinerie et sa stupidité,innocentées. Il vit Douglas, d’une manièreou d’une autre, capturé – détruit pourtoute la douleur que l’art de son pèreavait fait naître. Dieterling insista pourqu’Exley conserve l’argent – Exley neprotesta pas – et lui demanda s’iln’existait pas d’autre moyen.

Exley lui demanda si Paul étaitcoupable.

Raymond Dieterling dit : « Oui. »

Preston Exley dit : « Exécution. »

Raymond Dieterling fut d’accord.

Ils emmenèrent Paul camper dans laSierra Nevada. Preston Exley attendait.Ils mirent un somnifère dans le repas dugarçon ; Exley l’abattit pendant sonsommeil et l’enterra. Le monde crut quePaul avait trouvé la mort dans uneavalanche – le monde crut le mensonge.Dieterling crut qu’il allait haïr cethomme. Le prix de la justice sur sonvisage lui fit comprendre qu’il n’étaitqu’une victime de plus. Ils étaientmaintenant liés par un secret en partage.Preston abandonna le travail de policepour construire des immeubles grâce à

l’argent de Dieterling. Lorsque ThomasExley avait été tué, c’est Ray Dieterlingqu’il avait appelé en premier. Ensemble,ils avaient construit à partir du poids deleurs morts.

Dieterling termina son récit :

— Et voici ma conclusion, tout ceci,ma fin heureuse plutôt pathétique.

Montagnes, fusées, rivières – ellesparaissaient toutes sourire.

— Mon père n’a jamais su, pourDouglas ? Il a toujours cru que Paul étaitcoupable ?

— Oui. Me pardonnerez-vous ? Aunom de votre père.

Ed sortit une petite broche. Des

feuilles de chêne dorées – l’Insigned’inspecteur divisionnaire de PrestonExley. Une seconde main – Thomasl’avait eu le premier.

— Non. Je vais soumettre un rapportau Grand Jury du comté, demandant quevous soyez inculpé et poursuivi pour lemeurtre de votre fils.

— Une semaine pour mettre mesaffaires en ordre : où pourrais-jem’enfuir, célèbre comme je suis ?

— Oui, dit Ed avant de marcher verssa voiture.

Plus de maquette d’autoroute – à saplace, des affiches de campagne. Art DeSpain déballait des brochures – plus de

pansement au bras – une cicatrice deballe, comme dans les livres.

— Salut, Eddie.

— Où est Père ?

— Il sera là bientôt. Et félicitationspour ta promotion de divisionnaire.J’aurais dû t’appeler, mais on ne sait plusoù donner de la tête par ici.

— Père ne m’a pas appelé non plus.Vous faites tous semblant de croire quetout va bien.

— Eddie…

Un renflement sur la hanche gauched’Art – il portait toujours un feu.

— Je viens de parler à Ray Dieterling.

— Nous pensions que tu ne le feraispas.

— Donne-moi ton arme, Art.

De Spain la lui tendit, crosse en avant.Filetage pour silencieux, balles de cal.38, S. et W.

— Pourquoi ?

— Eddie…

Ed éjecta les balles.

— Dieterling m’a tout raconté. Et àl’époque, tu étais l’exécutif de père.»

L’homme eut un regarni fier.

— Tu connais mon MO, P’tit Jim.C’était pour Preston. J’ai toujours été sonloyal adjudant.

— Et tu étais au courant pour PaulDieterling.

De Spain reprit son arme.

— Oui, et je sais depuis des annéesqu’il n’était pas le véritable assassin.Vers 48 ou à peu près, j’ai eu un tuyau,selon lequel le môme se trouvait ailleursà l’heure de l’enlèvement deWennerholm. Je ne savais pas si lesraisons qui avaient conduit Ray àabandonner ainsi Paul à Exley étaientlégitimes ou non, et je ne pouvais pasbriser le cœur de Preston en lui disantqu’il avait tué un garçon innocent. Je nepouvais pas compromettre son amitiépour Ray – ça lui aurait simplement faittrop mal. Tu sais à quel point l’affaire

Atherton m’a toujours obsédé. Il atoujours fallu que je sache qui avait tuéces mômes.

— Et tu ne l’as jamais découvert.

— Non, dit De Spain en secouant latête.

— Passe aux frères Englekling, dit Ed.

Art ramassa une affiche : Preston surfond d’armatures d’immeubles.

— Je visitais le bureau. Je sais quec’était en 53, dans ces eaux-làexactement. J’ai vu ces photos sur letableau de l’Ad. Mœurs. Les modèlesétaient jolis, et ça ressemblait à uneenfilade de clichés de revues pornos. Lescadrages me firent penser aux photos

qu’avait prises Loren Atherton, et jesavais que seuls Preston, moi et quelquesautres policiers les avions vues. J’aiessayé de remonter jusqu’à l’origine deces clichés et je n’ai abouti à rien.Quelque temps plus tard, j’ai entenduparler des frères Englekling qui avaientfait un témoignage sur des revuespornographiques dans le cadre del’enquête du Hibou de Nuit, mais vousn’avez pas orienté vos recherches de cecôté-là. Je me suis dit que les frèresétaient une piste, mais je n’ai pas réussi àles trouver. À la fin de l’année dernière,on m’a informé qu’ils travaillaient dansune imprimerie, près de Frisco. Je suisallé là-bas pour leur parler. Tout ce queje voulais, c’était découvrir qui fabriquait

ces revues pornos.

Les notes de White : «horriblementtorturés».

— Rien que pour leur parler ? Je saisce qui s’est passé là-bas.

Un air de défi plein d’une fierté atroce.

— Ils ont pris ça pour une tentative derançonnement. Ça a mal tourné. Ilsavaient quelques vieux négatifs pornos, etj’ai essayé d’obtenir qu’ils identifient lesgens. Ils avaient de l’héroïne et desdrogues antipsychotiques. Ils ont ditqu’ils connaissaient un papa gâteau quiallait fourguer un mélange de horse sur lemarché, un mélange qui allait mettre lefeu aux poudres, mais qu’eux pouvaient

faire encore mieux. Ils se sont moqués demoi, m’ont traité de papy. J’avais en têtel’idée qu’ils devaient savoir quifabriquait le porno. Je ne sais pas… Jesais que je suis devenu cinglé. Je croisque j’ai cru alors qu’ils avaient tué tousces enfants. Je crois que j’ai cru qu’ilsvoudraient faire du mal à Preston, d’unefaçon ou d’une autre. Eddie, ils se sontmoqués de moi. Je me suis dit que c’étaitdes trafiquants de came, je me suis ditqu’à côté de Preston, ils n’étaient rien. Etle vieillard que tu as en face de toi les aéliminés tous les deux.

Il avait déchiqueté l’affiche, en petitsmorceaux.

— Tu as tué deux hommes pour rien.

— Pas pour rien. Pour Preston. Et je tesupplie de ne pas le lui dire.

« Rien qu’une victime de plus » – peut-être la victime que la justice laisse passerentre les mailles de ses filets.

— Eddie, il ne doit pas savoir. Et il nedoit pas savoir que Paul Dieterling étaitinnocent. Eddie, s’il te plaît.

Ed le repoussa et traversa la maison.Les tapisseries de sa mère le firent penserà Lynn. Son ancienne chambre le fitpenser à Bud et Jack. Il éprouvait unesensation de dégoût devant cette maisonobscène – achetée, payée, réglée enargent sale. Il descendit l’escalier, vit sonpère dans l’embrasure de la porte.

— Edmund ?

— Je t’arrête pour le meurtre de PaulDieterling. Je repasserai dans quelquesjours pour t’emmener.

L’homme ne bougea pas d’un pouce.

— Paul Dieterling était un tueurpsychopathe qui méritait amplement lechâtiment que je lui ai fait subir.

— Il était innocent. D’une manièrecomme de l’autre, c’est un meurtre aupremier degré.

Pas l’ombre d’un remords. Unerectitude inflexible, inamovible, stoïque,intraitable.

— Edmund, tu es très ébranlé en cemoment.

Ed passa à côté de lui – ses adieux :

— Maudit sois-tu pour l’hommeindigne que tu as fait de moi.

Direction le centre ville jusqu’auDining Car : endroit plein de lumière etde gens agréables. Gallaudet au bar, entrain de siroter un Martini.

— Mauvaises nouvelles, pour Dudley.Tu n’as aucune envie d’entendre ça ?

— Ça peut difficilement être pire quecertaines des choses que j’ai entenduesaujourd’hui.

— Ouais ? Eh bien, Dudley est librecomme l’air. Il n’y a plus rien contre lui.La fille de Lana Turner vient depoignarder Johnny Stompanato. Putain de

«mort à l’arrivée» ! Fisk était en planquede l’autre côté de la rue et il a vu lecamion à viande froide et les hommes duposte de Beverly Hills emmener Johnny.Plus de témoin contre Dudley, plus depreuves contre Dudley. Splendide, mongars !

Ed attrapa le Martini, le sécha d’uncoup.

— Qu’il aille se faire foutre, le Dudley! J’ai une chiée de pognon de Patchett enréserve, et ce putain d’empafféd’irlandais, je le ferai cravater même sic’est le dernier putain de truc que jefasse. Mon gars !

Gallaudet éclata de rire.

— Puis-je faire une remarque,inspecteur ?

— Bien sûr.

— Chaque jour qui passe, turessembles un peu plus à Bud White.

CalendrierAvril 1958

COUPURES DE PRESSEL.A. TIMES

12 AVRIL

EXAMEN DU DOSSIER

DE L’AFFAIRE DU HIBOU DE NUIT :

AFFAIRE CLASSÉE, DÉCLARE LE GRANDJURY

Presque cinq ans jour pour jour aprèsle crime, la ville et le comté de LosAngeles ont fait leurs adieux officiels au«Crime du siècle» de toute la Californiedu Sud, l’abominable affaire du Hibou deNuit Le 16 avril 1953, trois tireurspénétraient dans le café du Hibou de Nuit,sur Hollywood Boulevard, et abattaientau fusil de chasse trois employés et trois

clients jusqu’à ce que mort s’ensuive. Lemobile présumé était le vol, et lessoupçons vinrent bientôt se porter surtrois jeunes Nègres, qui furent arrêtéscomme suspects des meurtres. Les troishommes, Raymond Coates, Tyrone Joneset Leroy Fontaine, se sont alors échappésde prison et ont été abattus en tentant derésister, au cours de leur arrestation. Toustrois avaient prétendument avoué leurscrimes au procureur Ellis Loew justeavant leur évasion, et l’affaire a étéconsidérée comme résolue et doncclassée.

Quatre ans et dix mois plus tard, unprisonnier de San Quentin, Otis JohnShortell, s’est présenté spontanémentavec des renseignements qui ont conduit

nombre de personnes à croire que lestrois jeunes gens étaient innocents desmeurtres du Hibou de Nuit. Shortell adéclaré qu’il se trouvait en présence deCoates, Jones et Fontaine alors qu’ilsétaient occupés à violer en groupe unejeune femme, exactement à l’heure dumassacre du café. Le témoignage deShortell, appuyé par des tests au détecteurde mensonge, a soulevé l’opinionpublique qui a demandé la réouverture del’enquête.

La clameur publique s’est trouvéealimentée par les meurtres, le 25 février,de Peter et Baxter Englekling. Les deuxfrères, condamnés pour trafic destupéfiants, étaient des témoins matérielsdans le cadre de l’enquête du Hibou de

Nuit de 1953 : ils avaient affirmé, àl’époque, que les meurtres tiraient leurorigine d’un tissu de complots criminelsimpliquant la distribution de matérielspornographiques. Les meurtres Engleklingn’ont pas été résolus. Pour reprendre lesparoles du lieutenant Eugene Hatcher,membre des services du shérif du comtéde Marin : « Absolument aucune piste.Mais nous ne relâchons pas nos efforts. »

L’enquête sur le Hibou de Nuit a étérouverte, et est alors apparu au grand jourun lien avec la pornographie. Le 27 mars,un riche financier, Pierce MorehousePatchett, était découvert tué par balles àson domicile de Brentwood ; deux joursplus tard, la police abattait et tuaitAbraham Teitlebaum, 49 ans, et Lee Peter

Vachs, 44 ans, ses assassins présumés. Lemême jour eut lieu l’abominable«Massacre des Toiles Bleues». Parmi lescriminels morts, on relevait le nom deBurt Arthur «Deuce» Perkins, chanteur deboîte de nuit, lié au monde de la pègre. Ila été admis que Teitlebaum, Vachs etPerkins étaient les assassins du Hibou deNuit. Le capitaine du LAPD, DudleySmith, a apporté quelques précisions : «Les meurtres du Hibou de Nuit tiraientleur origine d’une machinationsplendidement orchestrée qui avait pourdessein la distribution d’ordurespornographiques abominables etdestructrices d’âmes. Teitlebaum, Vachset Perkins avaient le projet de tuer unclient du Hibou de Nuit, Delbert «Duke»

Cathcart, revendeur indépendant derevues pornographiques, et de s’emparerpar la même occasion du racketpornographique de Pierce Patchett. Hélas,c’est en réalité un certain Dean VanGelder, criminel se faisant passer pourCathcart, qui se trouvait sur les lieux à laplace de Cathcart. L’affaire des meurtresdu Hibou de Nuit restera dans lesmémoires comme le témoignage descaprices cruels du destin, et je suisheureux de dire qu’elle a finalement étérésolue. »

Puis le capitaine, aujourd’huiinspecteur contrôleur, Edmund Exley, àqui revient le crédit d’avoir résolul’affaire du Hibou de Nuit après saréouverture, a déclaré que l’affaire avait

bien été finalement résolue, en dépit de larumeur qui avait couru, selon laquelle unquatrième membre du complot auraitsoudainement trouvé la mort, alors mêmequ’il était sur le point d’être arrêté. «C’est une absurdité », a déclaré Exley. «J’ai présenté au Grand Jury du comté unrésumé détaillé de l’affaire, et j’ai moi-même témoigné longuement devant sesmembres. Ils ont accepté mesconclusions. C’est terminé. »

Mais ce fut très chèrement payé. Lechef des inspecteurs du LAPD, ThadGreen, qui doit bientôt cesser sesfonctions pour assurer le commandementde la police des frontières US, a déclaré :« En termes de dépenses engagées quantau nombre d’heures d’enquête par homme

cumulées, l’affaire du Hibou de Nuit estsans égale. Ce fut une affaire comme onn’en rencontre qu’une fois dans sonexistence, et le prix qu’il a fallu payerpour la résoudre est très, très élevé. »

L.A. MIRROR NEWS

15 AVRILSTUPÉFACTION GÉNÉRALE

DEVANT LA DÉMISSION DE LOEW : LEMONDE DE LA JUSTICE

EN EFFERVESCENCE

Les spéculations vont bon train parmiles représentants de la justice : pourquoile procureur de Los Angeles Ellis Loewa-t-il démissionné de ses fonctions, dansla journée d’hier, réduisant ainsi à néantune brillante carrière politique ? Loew,49 ans, a annoncé sa démission au coursde sa conférence de pressehebdomadaire, invoquant l’épuisementpsychologique et le désir de reprendre

ses fonctions d’avocat à titre privé. Sescollaborateurs proches ont qualifié ladémission soudaine du procureurd’événement stupéfiant et imprévisible.Le Bureau du Procureur est sidéré : EllisLoew paraissait heureux, en pleine forme,et en parfaite santé.

Robert Gallaudet, responsable desinstructions criminelles, nous a déclaré :« Écoutez, je suis sidéré, et en général, jene suis pas du genre. Quelles sont lesmotivations cachées d’Ellis ? Je ne saispas, demandez-lui. Et lorsque le conseilmunicipal nommera un procureurintérimaire, j’espère que ce sera moi. »

Une fois que les ondes de choc sefurent apaisées, ce fut le tour des éloges

venues de toutes parts. Le chef du LAPD,William H. Parker, a décrit Loew commeun «ennemi vigoureux et juste descriminels», et l’adjoint de Parker, lecapitaine Dudley Smith, a dit : « Ellisnous manquera. Il était un défenseursplendide de la justice. » Le gouverneurKnight et le maire Norris Poulson ontadressé des télégrammes à Loew, luidemandant de reconsidérer sa position. Ila été impossible de joindre Loew pourqu’il commente sa décision.

L.A. HERALD EXPRESS

19 AVRILSUICIDES À DREAM-A-DREAMLAND :

LE CHAGRIN ET

LA STUPÉFACTION CONTINUENT

On les a découverts ensemble àDream-a-Dreamland, qui était fermétemporairement au public en signe dedeuil, à la suite de la mort du fils d’ungrand homme : Preston Exley, 64 ans,ancien membre de la police de LosAngeles, maître d’œuvre célèbre ethomme politique néophyte ; Inez Soto,directrice de publicité du complexed’attractions le plus célèbre du monde, ettémoin clé de l’abominable affaire de

meurtres du Hibou de Nuit ; et RaymondDieterling, 66 ans, père de l’animationmoderne, le génie qui a pratiquement crééle dessin animé moderne sous les formesqu’on lui connaît, l’homme qui a bâtiDream-a-Dreamland en hommage à sonenfant tragiquement disparu. Le mondetout entier, et Los Angeles en particulier,ont exprimé leur douleur et leurstupéfaction.

On les a découverts la semainedernière, ensemble, sur la GrandePromenade de Dream-a-Dreamland. Il n’yavait pas de lettre, mais le coroner ducomté a rapidement exclu toute hypothèsede meurtre pour conclure à des morts parsuicide. Le moyen utilisé : les troispersonnes avaient ingéré des doses

mortelles d’une drogue antipsychotiquetrès rare. L’information a été accueilliepar de nombreuses expressions dechagrin – le président Eisenhower, legouverneur Knight et le sénateur WilliamKnowland ont été parmi ceux qui ontexprimé leurs condoléances aux famillesdes trois disparus. Exley et Dieterling ontlaissé des fortunes : le magnat dubâtiment a laissé par testament sonroyaume d’entreprises de construction àson adjoint de la première heure Art DeSpain, et sa fortune, estimée à dix-septmillions de dollars, à son fils Edmund,policier de Los Angeles. Dieterling alaissé ses plus que vastes holdings enfidéicommis sous administration légale,avec ordre de répartir les liquidités et les

bénéfices à venir de Dream-a-Dreamlandà diverses institutions charitables pourenfants. Une fois connu le détail desdispositions légales, à peine apaisés lechoc et le chagrin de la population, lessuppositions se sont mises à faire ragequant aux raisons des suicides.

Mlle Soto avait eu une liaisonromanesque avec le fils de Preston Exley,Edmund, et se trouvait ces derniers tempstrès abattue, suite à la publicité qui avaitété récemment faite sur ses implicationsdans l’affaire du Hibou de Nuit. RaymondDieterling était désemparé des suites del’assassinat récent de son fils William.Preston Exley, de son côté, avaitrécemment célébré son plus grandtriomphe, l’achèvement du système

autoroutier de Californie du Sud, et ilvenait d’annoncer sa participation à lacourse pour le poste de gouverneur. Unsondage d’opinion, réalisé peu de tempsavant sa mort, le donnait gagnant, avectoutes les chances de remporterl’investiture républicaine. Il semble qu’iln’existe pas de raison logique pour quecet homme ait décidé d’en finir avec lavie. Les personnes les plus proches dePreston Exley – son fils Edmund et ArthurDe Spain – se sont refusés à toutcommentaire.

Des lettres de sympathie, des bouquetsde fleurs, en hommage, ont inondéDream-a-Dreamland et le domicile dePreston Exley à Hancock Park. Lesdrapeaux sont en berne à travers tout

l’État de Californie. Hollywood pleure ladisparition d’un colosse de l’industrie dufilm. Le simple mot «pourquoi» resteprésent sur des millions de lèvres.

Preston Exley et Ray Dieterling étaientdes géants, Inez Soto était une jeunefemme pleine de cran qui n’avait pas eude chance et qui était devenue leur prochecollaboratrice et leur amie. Avant leurmort, tous trois avaient ajouté descodicilles à leurs testaments, déclarantqu’ils voulaient être rendus à la merensemble. Cérémonie qui eut lieu hier,dans la plus grande simplicité, sansservice religieux et sans personnalitésextérieures. Le chef de la sécurité deDream-a-Dreamland s’était occupé desdernières dispositions, et il s’est refusé à

révéler l’endroit où reposent maintenantles corps. Le mot «pourquoi ?» continue àrester présent sur des millions de lèvres.

Le maire Norris Poulson ne sait paspourquoi. Mais il nous offre unpanégyrique de circonstance : « Trèssimplement, ces deux hommessymbolisaient l’accomplissement d’unevision – la vision de Los Angeles, villed’enchantement, d’une qualité de vie auquotidien très élevée. Plus quequiconque, Raymond Dieterling etPreston Exley ont personnifié les rêvessplendides et bons qui ont bâti cette cité.»

Cinquième partieLorsque vous ne serez plus

là

78

Ed en uniforme d’apparat bleu marine.

Parker sourit, épingla les étoiles d’orsur ses épaulettes.

— Chef adjoint Edmund Exley. Chefdes inspecteurs, services de police deLos Angeles.

Applaudissements, éclats des flashes.Ed serra la main de Parker, inspecta lafoule. Politiciens, Thad Green, DudleySmith. Lynn au fond de la salle.

De nouveaux applaudissements, unerangée de mains à serrer. Le mairePoulson, Gallaudet, Dudley.

— Mon gars, vous vous êtes acquittéde votre tâche de façon splendide. Je suisimpatient de servir sous vos ordres.

— Merci, capitaine. Je suis sûr quenous passerons de splendides momentsensemble.

Dudley lui adressa un clin d’œil.

Le conseil municipal défila ; Parkerconduisit la foule jusqu’auxrafraîchissements. Lynn resta dansl’embrasure de la porte.

Ed s’approcha.

— Je ne peux pas y croire, dit Lynn.J’abandonne une grosse légume avec dix-sept millions de dollars pour un invalideet sa pension de retraité. L’Arizona,

l’amour. L’air est bon pour les retraités,et je ne m’y perdrai pas.

Elle avait vieilli, ce dernier mois – debelle à élégante.

— Quand ?

— Tout de suite, avant que je nerevienne sur ma décision.

— Ouvre ton sac.

— Quoi ?

— Fais-le, c’est tout.

Lynn ouvrit son sac – Ed y laissatomber un paquet plastique.

— Dépense-le très vite, c’est del’argent sale.

— Combien ?

— Suffisamment pour t’acheterl’Arizona. Où est White ?

— Dans la voiture.

— Je te raccompagne.

Ils délaissèrent la réception,descendirent une volée de marches. LaPackard de Lynn était rangée surl’emplacement réservé au commandant deposte, une citation à comparaître sur lepare-brise. Ed la déchira avant deregarder sur la banquette arrière.

Bud White. Un appareillageorthopédique sur les jambes, la tête raséeet suturée. Plus d’éclisses aux mains –elles donnaient une impression de force.

Une bouche garnie de fils d’acier, qui luidonnait l’air d’un maboul.

Lynn se tenait à quelques pas. Whiteessaya de sourire, grimaça. Ed dit : — Jete jure que j’aurai Dudley. Je te jure queje le ferai.

White s’empara de ses mains et serrajusqu’à ce qu’ils grimacent de douleurl’un et l’autre.

— Merci pour le coup de pouce, ditEd.

Un sourire, un rire – que Bud essaya defaire jaillir au travers de ses fils. Ed luitoucha le visage.

— Tu as été ma rédemption.

Des bruits de réception à l’étage –

Dudley Smith qui riait.

— Il faudrait qu’on parte, maintenant,dit Lynn.

— Ai-je jamais été dans la course ?

— Il est des hommes qui gagnent lemonde, il en est d’autres qui gagnentd’ex-racoleuses et un voyage en Arizona.Tu es des premiers, mais par Dieu, je net’envie pas le sang que tu as sur laconscience.

Ed lui embrassa la joue. Lynn s’installadans la voiture, remonta les vitres. Budpressa les mains sur le carreau.

Ed toucha l’extérieur du carreau, deses paumes moitié plus petites que cellesde Bud. La voiture avança – Ed courut

avec elle, mains contre mains. Un viragedans la circulation, un coup d’avertisseuren guise d’au revoir Des étoiles d’or.Seul, avec ses morts.

Table of ContentsPrologue