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JASON-FINAL2Après avoir marché trois jours, ils sont en fi n recueillis par une caravane qui les amène au Caire. Ces évènements marqueront grandement Saint-Exupéry et inspireront

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EN PRÉAMBULE

Le Petit Prince, de Saint-Exupéry, est un phénomène mondial de la littérature. Traduit dans plus de deux cent dix langues et dialectes, ce conte philosophique destiné aux enfants est, avec L’Étranger de Camus, l’œuvre littéraire de langue française la plus diffusée à travers le monde. La popularité et l’engouement pour le jeune monarque de Saint-Exupéry sont tels que des musées ont été construits en son honneur au Japon et au Maroc, qu’on peut trouver une statue de l’auteur et de son jeune héros à Lyon en France ou à Northport aux États-Unis, sans oublier toutes ces écoles qui, à travers le monde, incluent l’œuvre du Petit Prince dans leur programme pédagogique. «En France, 78 % des enfants (de 6 à 15 ans) connaissent Le Petit Prince et 81 % disent avoir aimé l’histoire. Chez les adultes, le livre arrive troisième dans la catégorie les livres qui vous ont marqués a vie(sources Ipsos 2008, Sofres 2004). »1 Pour constater l’ampleur du phénomène, il est intéressant de noter que Le Petit Prince a été traduit en toba, une langue amérindienne du nord de l’Argentine qui n’avait jusqu’à ce jour accueilli qu’une seule traduction d’une oeuvre étrangère : La Bible.

Au cours des années, depuis sa création en 1943, la carrière du Petit Prince ne s’est pas limitée qu’au domaine littéraire. Cinéma, peinture, illustration, bande dessinée, théâtre, comédie musicale, performance, vidéo d’animation : Le Petit Prince a eu plusieurs vies après sa naissance et nombreux sont les artistes à avoir abordé ce personnage mythique, par le biais d’un art ou d’un autre. En entamant l’écriture de Le Petit Roi, adaptation théâtrale très personnelle du classique de Saint-Exupéry, j’ai à mon tour inscrit mon nom dans cette longue liste de gens qui ont, d’une façon ou d’une autre, adapté Le Petit Prince. Initié il y a quatre ans, ce projet a trop longtemps traîné dans mes tiroirs, de sorte qu’il n’est toujours pas terminé aujourd’hui. Depuis peu, je me suis remis au travail et, n’ayant eu jusque là qu’un exemplaire du Petit Prince et mon dictionnaire comme outils de référence, j’ai décidé d’approfondir ma réfl exion sur l’oeuvre phare de Saint-Exupéry mais aussi également sur le phénomène de l’adaptation. Deux questions seront au centre de cette réfl exion : qu’est-ce que j’adapte et pourquoi je l’adapte ? Le Petit Prince peut très bien vivre sans moi, qu’est-ce qui me pousse à le revisiter ?

Cette recherche se veut donc un outil complémentaire à mon travail de création. Par le biais de ce travail, j’espère pouvoir être alimenté intellectuellement pour débloquer artistiquement. Tout d’abord, je m’intéresserai à la vie de Saint-Exupéry et, plus particulièrement, à la période de son exil aux États-Unis, période pendant laquelle il a composé Le Petit Prince. Qu’est-ce qui a poussé un homme à écrire un tel livre ? Que voulait-il nous transmettre ? Quelles sont les origines du Petit Prince ? Quelle est sa portée philosophique ? Pourquoi cette oeuvre a t’elle eu un tel rayonnement ? Ces questions ont pour but de cerner davantage l’essence de cette oeuvre polysémique, car pour adapter, il faut savoir ce que l’on adapte, savoir d’où l’on part pour pouvoir aller plus loin tout en ayant une balise pour ne pas se perdre en route. Enfi n, dans la deuxième et dernière partie de ce travail, je porterai mon regard sur le phénomène de l’adaptation théâtrale, son histoire, ses contraintes, ses enjeux. Cette partie de la recherche aura pour but de m’aider à trouver réponse à ces quelques questions : Pourquoi adapter ? De quelle manière ? Jusqu’à quel point faut-il rester fi dèle à l’oeuvre originale ? Peut-on tout adapter ? Quels sont les défi s et les enjeux de l’adaptation ? J’ai bon espoir qu’au bout de ce long parcours, je serai inspiré pour continuer mon travail d’écriture.

1 Site www.lepetitprince.com à la rubrique le phénomène de l’œuvre, visitée le 14 octobre 2010 à 18h43

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SAINT-EXUPÉRY : UNE VIE MOUVEMENTÉE

Sans l’ombre d’un doute, le conte pour enfants Le Petit Prince est ce que la postérité retiendra le plus d’Antoine de Saint-Exupéry. Pourtant, la vie trépidante et mouvementée de cette icône de la littérature française pourrait à elle seule constituer une histoire digne de marquer les esprits ou d’inspirer les meilleurs scénaristes d’Hollywood. Né en 1900, à Lyon, Antoine de Saint-Exupéry fut non seulement un auteur majeur de la littérature du XXe siècle, mais il fut également pilote d’avion, inventeur, bricoleur, dessinateur, reporter et scénariste. Saint-Exupéry était aussi militaire. Il fut même, à la fi n de sa vie, commandant de la 1ère escadrille du groupe 2/33, une fl otte aérienne de l’armée française qui eût son rôle à jouer dans la victoire des alliés lors de la seconde guerre mondiale. De l’Afrique septentrionale à la lointaine Asie, des États-Unis d’Amérique à la Cordillère des Andes, Antoine de Saint-Exupéry a eu une vie intense, toujours en mouvement.

C’est en 1912, à l’âge de douze ans, que le jeune Saint-Exupéry eût, malgré l’interdiction de sa mère, son baptême de l’air à bord d’un modèle Berthaud-Wroblewski, piloté par Gabriel Wroblewski lui-même. Cette expérience subjugua

le jeune garçon. À partir de ce jour, Saint-Exupéry sût que son destin était dans les cieux : il allait devenir pilote. Deux ans plus tard, un autre événement marqua la vie du jeune Antoine, la remise d’un premier prix de rédaction pour sa première œuvre fi ctive, L’Odyssée d’un chapeau haut de forme. Ce premier succès grisa Saint-Exupéry et pava sans doute le chemin vers une brillante carrière d’auteur qui commença pourtant douze ans plus tard, avec la publication de six fragments de L’Aviateur dans la revue Le Navire d’argent en avril 1926. Récit autobiographique, L’Aviateur est inspiré de la vie de pilote de courrier d’Antoine et des répercussions de ce choix de vie sur sa vie sentimentale. Le manuscrit original de L’Aviateur a été perdu et il est diffi cile de connaître le récit dans son intégralité, mais on sait que cette nouvelle a été l’amorce de la première véritable œuvre d’Antoine de Saint-Exupéry, Courrier Sud, qui a été rédigé un an plus tard alors qu’il était chef d’aéroplace à Cap Juby, dans le sud du Maroc.

Pour les pilotes de courrier employés comme Saint-Exupéry par la compagnie l’Aéropostale, Cap Juby était une escale stratégique pour les trajets de Toulouse à destination de Dakar. Là-bas, l’auteur-pilote se distingue par ses talents diplomatiques en réussissant à nouer des liens solides avec les tribus maures, action qui lui vaut d’être nommé chevalier de la Légion d’Honneur de l’aéronautique civile le 7 avril 1930. C’est dans ses premières années de service au sein de l’Aéropostale que Saint-Exupéry se lie d’amitié avec ses collègues pilotes, Jean Mermoz et Henri Guillaumet, avec qui il connaît de nombreuses aventures. En septembre 1929, il est nommé chef de l’Aeroposta Argentina, à Buenos Aires, où il rejoint ses deux amis et crée, avec eux, la ligne de Patagonie qui relie Commodoro Rivadavia et Punta Arenas, le point le plus méridonal de la Cordillère des Andes. C’est au cours de ce séjour à Buenos Aires que Saint-Exupéry rencontre Consuelo Suncin, la veuve de l’écrivain argentin Gomez Carillo, par l’entremise de l’écrivain Benjamin Crémieux à la fi n de l’été 1930. Quelque mois plus tard, Consuelo Suncin deviendra

Saint-Exupéry et sa femme Consuelo.

Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944) et son petit prince.

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Consuelo de Saint-Exupéry. Le mariage religieux est célébré à Augay, France, le 11 avril 1931, chez une des sœurs d’Antoine. Le mariage civil sera célébré onze jours plus tard, à la mairie de Nice.

Cette même année, Gallimard, le fameux éditeur, qui avait engagé Saint-Exupéry deux ans plus tôt pour la rédaction de sept romans, publie Vol de nuit, la deuxième œuvre de l’auteur qui relate à nouveau ses aventures de pilote. Ce roman remporte le prix Femina (du nom de la revue Femina dirigée par la poétesse Anna de Noaille), un honneur littéraire remis annuellement depuis 1904. La particularité de ce prix est qu’il est déterminé par un jury exclusivement féminin afi n de faire contrepoids au prix Goncourt qui est exclusivement sélectionné par des hommes.

En 1933, toutes les compagnies d’aviation françaises, dont l’Aéropostale, sont regroupées sous Air France où Saint-Exupéry ne parvient pas à se trouver du travail. Il devient alors pilote d’essai sur hydravion et il passe près de mourir dans un accident dans la baie de Saint-Raphaël. C’est un deuxième accident pour Saint-Exupéry qui avait déjà connu l’expérience dix ans plus tôt à Bourget. Mais à une époque où l’aviation en était encore à ses balbutiements, les accidents étaient monnaie courante. Et cet écrasement dans la baie de Saint-Raphaël n’allait pas être le dernier pour Antoine. Deux ans plus tard, alors qu’il travaillait enfi n pour Air France, Saint-Exupéry et son jeune collègue Léon Prévot tentent de relier les capitales Paris et Saïgon dans un raid organisé pour une durée de cinq jours et quatre heures. Partis le 29 décembre 1935, l’avion des deux hommes percute un haut plateau du désert de Lybie et s’écrase le 30 décembre, à 2h 45 du matin. Les deux pilotes sont perdus dans le désert. Après avoir marché trois jours, ils sont enfi n recueillis par une caravane qui les amène au Caire. Ces évènements marqueront grandement Saint-Exupéry et inspireront l’écriture de Terre des Hommes et du Petit Prince.

À cette époque, Saint-Exupéry commence à travailler comme reporter. En 1935, il est engagé pour Paris-Soir et fait une série de six articles à Moscou qui feront sensation. L’année suivante, il est envoyé à Barcelone pour couvrir la guerre civile espagnole : le reporter sera révolté par les scènes de guerre fratricide dont il est témoin. Cette même année 1936, Saint-Exupéry est bouleversé par la disparition en mer de son collègue et ami Mermoz. La vie de pilote est décidément une vie risquée, où l’on joue sa vie à chaque instant, où tout ne tient qu’à un fi l. Mais il est si grisant à la fois de voler, de maîtriser le ciel, d’avoir le monde devant soi. Au fond de lui, malgré les risques et les diffi cultés inhérentes à ce mode de vie peu orthodoxe, l’auteur de Courrier Sud et de Vol de nuit sait qu’il ne pourra jamais remettre en cause son désir de piloter.

En 1937, Saint-Exupéry retourne en Espagne, à Madrid, où il assiste à la guerre civile du côté républicain en compagnie de l’auteur américain Ernest Hemmingway. Cet épisode de sa vie le marquera profondément. Le marquera aussi, à la fi n de cette même année, une courte visite en Allemagne où Saint-Exupéry découvre le nazisme, une idéologie dont il faut, selon lui, se méfi er. Fait intéressant au cours de cette année 1937, l’auteur-pilote ajoute à son curriculum le titre d’inventeur. En deux mois (novembre et décembre), Saint-Exupéry réalise quatre brevets d’invention liés à l’aviation. À la fi n de sa vie, il aura en tout créé quatorze brevets (système de freinage, méthodes de repérage par ondes électromagnétiques, systèmes de sustentation et de propulsion, etc.) et certaines de ses idées se retrouvent aujourd’hui encore dans des modèles d’avions américains. Cette inventivité de l’auteur du Petit Prince n’est pas pour étonner ceux qui l’ont connu très jeune. Déjà enfant, Saint-Exupéry s’amusait à concevoir une bicyclette à voile avec propulsion à vapeur et s’ingéniait de jour en jour à créer des choses les plus improbables les unes que les autres. Saint-Exupéry est un bricoleur et un homme habile de ses mains. Il a un don inouï pour concevoir des avions en papier et il est reconnu pour son habilité à manier les cartes (il était magicien à ses heures). Notons également que Saint-Exupéry a aussi touché au cinéma en signant en 1936 une adaptation cinématographique de Courrier Sud et en créant le scénario d’Anne-Marie en 1937.

Le 15 février 1938, Saint-Exupéry est victime d’un quatrième accident au cours d’un raid devant relier New York à la Terre de feu. Il est hospitalisé pendant plus d’un mois, victime de sept fractures du crâne, dans

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un hôpital de Guatemala City. Au cours du printemps de cette même année, Saint-Exupéry entame l’écriture de Terre des Hommes, qui sera publié en février 1939. Le roman, publié par Gallimard, recevra le Grand prix du roman de l’Académie Française et le National Book Award aux Etats-Unis (où le roman porte le nom de Wind, sand and stars). Antoine de Saint-Exupéry devient alors une étoile montante de la littérature. Mais 1939 est surtout l’année où débuta le seconde guerre mondiale. Mobilisé à Toulouse comme instructeur, Saint-Exupéry réussit à entrer dans le groupe de reconnaissance 2/33 où il accomplit plusieurs missions dangereuses contre l’aviation allemande, notamment la bataille d’Arras en 1940 qui lui inspire le roman Pilote de guerre (publié trois ans plus tard). Saint-Exupéry est d’ailleurs décoré de la Croix de guerre avec palmes pour cette bataille. Mais les forces nazies d’Hitler parviennent à envahir la France et l’Armistice est signée par Pétain. Saint-Exupéry est démobilisé, retourne à Agay auprès de sa femme et commence à écrire Citadelle qui est son grand projet littéraire, son projet de vie, une tentative de synthèse de toute sa philosophie, de toutes ses idées, de ses pensées les plus profondes sur l’humanité et son devenir. Ce grand roman en chantier l’accompagnera jusqu’à la fi n de sa vie et deviendra son œuvre posthume, inachevée.

En novembre 1940, Saint-Exupéry apprend la disparition en mer de Guillaumet. C’est la goutte qui fait déborder la tasse. Démoralisé par la capitulation française et scandalisé par l’Occupation, en confl it perpétuel avec sa femme Consuelo, Saint-Exupéry décide de tout quitter et embarque dans le 21 décembre sur le Siboney, en partance pour New-York. Dix jours plus tard, il arrive dans la Grosse Pomme où commence sa période d’exil.

C’est lors de son exil à New York, de 1941 à 1943, qu’Antoine de Saint-Exupéry a écrit Le Petit Prince. Le conte a été publié simultanément en France et aux États-Unis le 6 avril 1943.

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L’EXIL ET LA NAISSANCE DU PETIT PRINCE

Antoine de Saint-Exupéry s’installe donc à New-York, en janvier 1941. Grâce à son succès Wind, sand and stars, l’auteur est accueilli comme une star, mais Saint-Exupéry se sent perdu, sans boussole. Il s’est enfui de sa femme avec qui il est en brouille. De plus, il est mis au ban de la communauté française à New York puisqu’il ne prend parti ni pour de Gaulle ni pour Vichy. Malgré tout, il a de nombreuses relations, dont Ingrid Bergman, Marlene Dietrich, Greta Garbo, Jean Renoir et Alfred Hitchcock. Après quelques mois, malheureux, il supplie sa femme de venir le rejoindre, conscient du mal qu’il lui a fait en l’abandonnant. Mais dès son arrivée à New-York, Consuelo est forcée de vivre dans un hôtel. Saint-Exupéry a du mal à concilier sa vie d’artiste bohème avec ses amantes et son désir d’une vie conjugale avec sa femme. Le torchon brûle entre les deux époux

Antoine reste très préoccupé par la situation dans son pays et c’est pourquoi il se tient beaucoup au Café Arnold, un lieu de prédilection pour lui car s’y retrouve la communauté française vivant à New-York. Antoine amuse la galerie et est très gai, mais parfois peut devenir silencieux et mélancolique. Il fait souvent des dessins, dont celui d’un petit garçon qui se peaufi ne de plus en plus. En voyant ces dessins, son éditeur américain, Eugene Reynal, lui propose d’écrire un conte pour enfants. Saint-Exupéry est enchanté par l’idée et s’attelle à l’écriture du Petit Prince. L’auteur décide, en écrivant, de réaliser les illustrations de son conte et s’achète une boîte d’aquarelle.

Tout en écrivant Le Petit Prince, Saint-Exupéry poursuit la rédaction de Citadelle. En comparant les deux œuvres, on remarque de nombreuses similitudes, comme si les deux récits se répondaient l’un et l’autre. Selon Alain Vircondelet, auteur de La véritable histoire du Petit Prince, une biographie de Saint-Exupéry au moment de son exil, le conte pour enfant de Saint-Exupéry pourrait être considéré comme un résumé poétique et naïf de Citadelle. Dans les deux récits, composés dans des moments de trouble et d’exil, il est question d’un monde meilleur à bâtir, avec le regard de l’amour et la volonté d’engagement envers son prochain :

« La violence du nazisme, les nations déchirées par les guerres civiles, dont celle d’Espagne qu’il a couvert et celle qui divisait présentement les Français, le persuadaient que c’était du côté de l’enfance, des vertus simples de la famille et de la terre que pouvait être l’espérance et que se trouvait le salut.» 2

En 1942, une rencontre inspirante pour l’auteur : un petit enfant joue avec des cailloux au parc, en se faisant croire qu’il s’agit de bateaux. Saint-Exupéry dira : «Si l’enfant était aussi sûr de son histoire de bateaux, c’est qu’il avait été conduit par son esprit d’enfance qui a raison de tout, qui fait tout accepter et rend au réel sa part invisible de rêve et d’imaginaire.» Hasard ? Cette même année, Saint-Exupéry s’amusait à lancer des avions en papier à partir du sommet de l’Empire State Building.

Plusieurs personnes se sont vantés d’être à l’origine du récit, mais s’il y a une personne, selon Alain Vircondelet, qui a bien infl uencé Antoine de Saint-Exupéry lors de l’écriture du Petit Prince, c’est bien Consuelo, sa femme. La première fois qu’elle a vu les dessins du jeune héros, Consuelo s’est tout de suite reconnue. Cheveux à la garçonne en bataille, foulard noué, c’était le portrait craché de Consuelo que l’on peut voir sur des photographies prises en 1930, alors qu’elle et Antoine se sont connus. Le petit prince serait-il cet enfant qu’Antoine et elle n’ont jamais eu ? De plus, toujours selon Vircondelet, comment ne pas voir un lien entre la rose et Consuelo ? Cette Consuelo, cette femme au caractère piquant, « ce petit volcan », comme la surnommait Antoine, qu’il a abandonné en s’enfuyant très loin mais pour fi nalement découvrir que sa place était auprès d’elle, c’est bien sûr la rose et Antoine, lui, est le petit prince. Au cours de l’écriture du Petit Prince d’ailleurs, Consuelo se rapproche de son mari qui consent à la laisser vivre dans le même immeuble que lui, mais pas dans la même

2 La véritable histoire du Petit Prince, Alain Vircondelet, Paris : Flammarion, 2008. p. 58

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chambre encore. Consuelo est enchantée par le conte de son mari et s’entiche du petit prince. Saint-Exupéry et son épouse se retrouvent peu à peu et décident de s’installer à Northpoint, dans une maison de campagne. Antoine appelle cette maison la maison du petit prince. C’est une nouvelle étape dans la vie du couple, une renaissance qui est liée au désir de Saint-Exupéry de vivre de pureté, de fi délité et de responsabilité, comme son jeune héros.

Un désir pourtant le ronge, celui de rejoindre et défendre sa patrie contre l’envahisseur. Il veut faire la guerre car cette guerre est nécessaire pour tout homme désirant vivre dans un monde libre et juste. Malgré sa vie confortable avec sa femme et ses nombreux amis en Amérique, Saint-Exupéry veut partir et agir. Il quitte fi nalement les États-Unis pour rejoindre et défendre sa patrie, le 20 avril 1943, deux semaines exactement après la parution offi cielle du Petit Prince (publié simultanément en anglais sous le nom de The Little Prince). Commandant de l’unité 2/33, Saint-Exupéry se bat avec courage pendant plus d’un an mais le 31 juillet 1944, alors qu’il était en mission de reconnaissance, l’avion de l’auteur (probablement touché par un tir ennemi) disparaît en haute mer. La disparition mystérieuse d’Antoine de Saint-Exupéry ressemble étrangement à la mort onirique du petit prince, son jeune héros mordu par le serpent, ce qui ajoute au mythe de l’écrivain.

Il n’y eut rien qu’un éclair jaune près de sa che-ville. Il demeura un instant immobile. Il ne cria pas. Il tomba doucement comme tombe un arbre. Ça ne fit même pas de bruit, à cause du sable.

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page 8UN CONTE PHILOSOPHIQUE

Quand il a choisi le conte pour enfant Le Petit Prince de Saint-Exupéry comme sujet de thèse de philosophie, Jean-Philippe Ravoux a tout d’abord dû essuyer les réticences de plusieurs de ses pairs face à ce projet original, qualifi é de peu sérieux et peu prometteur, mais la rigueur de sa recherche et la profondeur de son analyse ont tôt fait de faire taire ses détracteurs. Le résultat? Donner un sens à l’existence ou pourquoi Le Petit Prince est le plus grand traité de métaphysique du XXe siècle, un essai foisonnant et inspiré où est scrutée l’œuvre phare de Saint-Exupéry par la lunette de la philosophie et de la métaphysique. Dès la première page, le ton de l’essai est donné :

«Depuis soixante ans, on a beaucoup écrit à propos du Petit Prince : on a glosé sur sa genèse, on a essayé d’identifi er le modèle de chaque personnage, on a organisé des controverses pour savoir s’il s’agit d’un conte pour enfants ou d’un livre pour adultes, on s’est interrogé sur les raisons qui ont présidé au choix des dessins ou sur celles qui ont fait le succès du livre (…) mais fort curieusement, personne n’a vraiment cherché à mettre en évidence la signifi cation profonde de cette merveilleuse allégorie.»3

Original, l’auteur propose dans cette analyse un rapprochement entre la structure du Petit Prince et celle du Discours de la Méthode de Descartes, deux œuvres qui sont liées par un même point de fuite : le doute. Il faut comprendre ici le doute non pas comme un simple jeu de l’esprit, mais plutôt comme un regard neuf, dépouillé de

certitude, comme celui de l’enfant qui découvre quelque chose pour la première fois. Mais ce regard serait, en même temps, un regard mature, doté «d’un jugement formé et d’une raison maîtrisée (…) avec la volonté, non pas d’entendre les raisons des autres, mais de s’ingénier, par soi-même, à découvrir les vraies raisons des choses.»4

Le doute, tel qu’entendu dans le sens cartésien, est présent tout au long du Petit Prince, notamment dans le cheminement spirituel de l’aviateur qui, au contact du petit prince, quitte peu à peu l’esprit obtus des grandes personnes pour approcher peu à peu de «l’essentiel qui est invisible pour les yeux. » Ce n’est pas par hasard si l’aviateur retrouve la vérité du regard de l’enfance dans le désert, lieu de solitude et d’introspection qui symbolise ici le nécessaire isolement demandé pour une véritable réfl exion. Il faut sortir hors de soi, hors de tout, pour regarder autrement et pour «accéder à un langage capable de dire la vérité des choses plutôt que de répéter des croyances et des certitudes illusoires.»5 Ces croyances et ces certitudes illusoires sont incarnées par les personnages que rencontrent le petit prince lors de son voyage vers la Terre: le roi, le vaniteux, le businessman, le buveur, l’allumeur de réverbère et le géographe. Pour Ravoux, ces personnages représentent tout ce qui empêche l’homme d’avoir ce regard neuf et ingénu sur le monde :

«Au lieu de ruminer obscurément les élucubrations de notre esprit hantées par nos souvenirs et emportées par nos désirs, il faut vouloir briser la carapace qui nous sépare du monde et des hommes (…) les adultes ignorent ce qui importe réellement au profi t des illusions de leur désir, leur ignorance et leur aveuglement viennent de ce qu’ils

3 Donner un sens à l’existence ou pourquoi Le Petit Prince est le plus grand traité de métaphysique du XXe siècle, Jean-Phi-lippe Ravoux, Paris : Robert Laffont 2008, p. 114 Ibid, p. 125 Ibid p. 42

Le doute, tel qu’entendu dans le sens carté-sien, est présent tout au long du Petit Prince.

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page 9regardent le monde avec des idées préconçues, des préjugés et des théories et non une intelligence éclairée par l’attention de l’amour.»6

Les illusions et les obsessions sont multiples : l’aveuglement du pouvoir pour le pouvoir (le roi) quand on ne se soucie de l’autre que par intérêt, l’égocentrisme (le vaniteux) où rien n’existe en dehors de soi, la passion excessive (le buveur), la fascination de l’argent comme une fi n en soi (le businessman), la fi délité à soi-même et le risque de l’habitude (l’allumeur de réverbère) ou encore l’intellectualisation à outrance au détriment de l’expérience (le géographe). Une leçon que donne Le Petit Prince selon Ravoux, c’est que l’épanouissement de l’homme passe par une sublimation des passions par la raison. Cette idée prend toute sa signifi cation dans cet extrait du Discours de la Méthode de Descartes :

«(…) la différence qui est entre les plus grandes âmes et celles qui sont basses et vulgaires consiste, principalement, en ce que les âmes vulgaires se laissent aller à leurs passions et ne sont heureuses et malheureuses que selon que les choses qui leur surviennent sont agréables ou déplaisantes; au lieu que les autres ont des raisonnements si forts et si puissants que, bien qu’elles aient aussi des passions, et même souvent de plus violentes que celles du commun, leur raison demeure néanmoins toujours la maîtresse et fait que les affl ictions mêmes servent et contribuent à la parfaite félicité dont elles jouissent dans cette vie.»7

Pour l’auteur, Le Petit Prince est une «allégorie où l’on discerne la volonté de faire comprendre aux enfants qu’ils peuvent atteindre la vraie dignité de l’homme s’ils savent continuer à regarder les choses avec la simplicité de leur coeur»8 , mais c’est aussi «un livre pour les grandes personnes qui ont oublié qu’elles ont d’abord été des enfants.»9 Par un retour à l’esprit d’enfance, les adultes sont invités à un engagement dans une existence partagée avec les autres, pleine d’authenticité et d’amour, sans porter attention aux apparences et en prenant le temps d’aller à la rencontre de son prochain.

« (…) un conte qui veut nous faire comprendre que si le monde est affreusement noir en dessus – le monde des adultes qui ont oublié leur enfance et demeurent aveuglés par les apparences et les représentations illusoires – il est miraculeusement pur en dessous si l’amour nous fait voir les relations essentielles.»10

Un autre thème abordé par Jean-Philippe Ravoux est celui de l’incommunicabilité des consciences, surtout entre la conscience de l’enfant et celle de l’adulte. Ce problème est illustré dès le premier chapitre du Petit Prince lorsque l’aviateur enfant tente de montrer ses dessins aux adultes qui ne distingue pas d’éléphant mangé par un boa, mais plutôt un chapeau. Par un esprit trop logique (d’une raison dénuée d’amour) enfermé dans le diktat des apparences, l’adulte ne comprend plus l’esprit poétique et émerveillé de l’enfant. Pour Ravoux (et Saint-Exupéry), le problème de l’incommunicabilité des consciences ne peut se régler que par l’apprivoisement, tel que démontré dans Le Petit Prince. Entendons ici apprivoisement par «une disponibilité qui nous permet d’aller à la rencontre des autres, au-delà des préjugés et des apparences, une ouverture d’esprit qui a besoin de temps pour recevoir et comprendre.»11 L’idée d’aller à la rencontre de l’autre est très importante puisque «le sens des choses dépend de l’attention que l’on porte aux autres et du dialogue qui est bien au-delà du vent des paroles.»12 Ainsi, on pourrait dire que Le Petit Prince invite à l’altruisme, à l’empathie et au désir de l’amitié, qualités qui font naître les vraies richesses, celles que l’on ne peut voir qu’avec le coeur.

6 Ibid note 3, p. 447 Ibid, p.1468 Ibid, p. 189 Ibid, p. 6510 Ibid p. 6611 Ibid, p. 12012 Ibid p. 134

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page 10PETITE HISTOIRE DE L’ADAPTATION

L’adaptation théâtrale de récits non-dramatiques a été pratiquée dès les origines du théâtre, en Grèce antique, quand les dramaturges tragiques Eschyle, Sophocle et Euripide transposèrent pour la scène des récits où étaient racontés les grands mythes fondateurs de leur civilisation. Elle a été également pratiquée au Moyen-âge, avec les Mystères et le théâtre religieux, qui mettaient en scène des passages de l’Évangile et l’histoire des martyrs et des saints. Mais ce n’est qu’à partir du XVIe et du XVIIe siècle que l’on retrouvera des traces écrites de dramaturgies inspirées par des récits non-dramatiques. En Espagne, Calderòn de la Barca (1600-1681) et William Shakespeare (1564-1616), en Angleterre, sont des exemples de dramaturges qui ont usé du procédé d’adaptation pour signer certaines de leurs œuvres dramatiques. Mais au XVIIe siècle, la mise en place de normes inspirées par des modèles littéraires antiques (dont La Poétique d’Aristote qui prône les unités

de lieu, de temps et d’action) infl uence la manière d’écrire des auteurs de l’ère classique et les genres de la tragédie (à l’image de Sophocle et Euripide) et de la comédie (inspirée de Terence et Plaute) deviennent les modèles du théâtre nouveau.

Au cours du XVIIIe siècle, malgré une certaine place laissée à Calderòn et Shakespeare, la dramaturgie européenne demeure dans l’ensemble « sous le poids d’une tradition classique crispée sur la notion de genre »13 et reste attaché au modèle aristotélicien du « bel animal » qui se veut « totalité harmonieuse, organique, régie par la loi de la causalité.»14 Mais plus le siècle avance, moins le public, qui s’embourgeoise et se modernise, se sent concerné par les sujets dépassés incarnés par de vieilles fi gures héroïques. En ce siècle des Lumières, le théâtre classique s’essouffl e, se sclérose en répétant les formes anciennes, et des hommes comme Diderot (1713-1784) et Beaumarchais (1732-1799) en France puis des romantiques allemands comme Leissing (1729-1781) ou Goethe (1749-1832) profi tent de la crise de la forme dramatique classique pour penser un type de théâtre nouveau, le drame, qui est une hybridation de la tragédie et de la comédie et qui est aussi plus fl exible dans sa forme et ses règles. Fini les histoires de roi et de dieux, place à l’homme

bourgeois, à l’homme psychologique, à l’homme social, au héros républicain. Le drame se veut une représentation plus fi dèle de

la réalité, plus directe.

Ces dans ce contexte qu’est apparu le roman, genre littéraire qui sera très prisé au XIXe siècle (au détriment de la poésie, genre noble jusqu’alors) puisque l’alphabétisation croissante des populations fera en sorte que la littérature ne sera plus seulement l’apanage des nobles et des aristocrates, mais aussi celui des masses. Le roman, encore plus libre dans sa forme que le drame puisque nullement contraint aux impératifs de la scène, devient la forme artistique par excellence pour représenter le réel. Le théâtre, infl uencé par l’écriture romanesque, passe du dramatique vers l’épique, mouvance qui atteindra son apogée au milieu du XXe siècle avec le théâtre brechtien, mais d’une toute autre manière.

Le genre romanesque contribue à la fi n du XIXe siècle à l’avènement d’une nouvelle esthétique, le

13 Roman, théâtre, cinéma : Adaptations, hybridations et dialogue des arts, Muriel Plana, Collection Amphi-lettres, dirigée par Colette Becker, Bréal Éditions, France, 2004 : p. 1114 Ibid, p. 11

William Shakespeare 1564-1616

Calderòn de la Barca1600-1681

Aristote infl uence l’ère

classique

Denis Diderot (1713-1784) est un des précurseurs du drame.

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naturalisme, dont le plus grand représentant au théâtre est le metteur en scène André Antoine (1858-1943). À l’instar du drame, le naturalisme se veut une recherche de la vérité, un désir d’imiter la vie sur scène, comme dans un roman. Mais ce qui manque à l’écriture dramatique, qui est cantonnée dans les dialogues et les didascalies, c’est la part descriptive de l’écriture romanesque. Pour composer avec cette part manquante, un nouveau métier est né, celui du metteur en scène, qui a pour mission de montrer cette part descriptive, c’est à dire tout ce que le dialogue ne dit pas, et ce, toujours dans un souci de réalisme et de vérité. Mais malgré tous les artifi ces, même en érigeant un quatrième mur pour rendre l’illusion encore plus totale, l’école naturaliste ne parvient pas tout à fait à réaliser ses aspirations esthétiques avec l’art théâtral qui demeure un art factice. Il faudra attende l’avènement du cinéma pour que le genre romanesque et l’esthétique naturaliste trouvent leur art de prédilection. « Naturellement réaliste, le cinéma pourra adapter le roman avec beaucoup plus de fi délité et d’effi cacité que le théâtre.»15

Avec ce nouveau joueur, les praticiens du théâtre perdent la chasse-gardée de la représentation et n’ont d’autres choix que de redéfi nir leur art. C’est ainsi que sont apparus de nouveaux genres, intimement liés avec l’époque qui les a produit : théâtre surréaliste, dadaïste, épique, de l’absurde, d’intervention, de performance, gestuel, politique… Au XXe siècle, il n’y a plus de grandes théories qui régissent l’Art et la notion de différenciation des genres est de plus en plus fl oue. L’Art est hétérogène et en constant mouvement, au fi l des modes et de l’air du temps, dans ce siècle qui aura vu mourir les grandes idéologies. Une fois la frontière des genres franchie, les différents arts peuvent s’infl uencer les uns les autres, se croiser, se toucher, se superposer. Que ce soit le roman qui va à la rencontre du cinéma, le cinéma qui va vers théâtre ou le théâtre vers le roman, le phénomène de l’adaptation est devenu, au cours du XXe siècle, une réalité artistique et culturelle qui est toujours aujourd’hui bien présente.

15 Ibid note 13, p. 16

L’avènement de la mise en scène avec André Antoine1858-1943

Avec l’avènement du cinéma, les praticiens du théâtre perdent la chasse-gardée de la représentation et n’ont d’autres choix que de redéfinir leur art.

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POURQUOI ADAPTER ?

Qu’est-ce qui pousse les praticiens du théâtre à adapter des récits non-dramatiques quant on sait qu’il y a autant de dramaturges que de dramaturgies variées ? Pour Louise Vigeant, auteure de l’article Le théâtre : avec ou sans drame»16, le désir d’adapter est un choix bien personnel :

« C’est le désir de s’approprier quelque chose avec lequel on a des affi nités (…) Somme toute, il s’agit le plus souvent d’un geste de soulignement, pour reprendre à son propre compte certains propos, pour marquer son adhésion et son désir d’entretenir avec eux un réel dialogue.»17

Rodrigue Villeneuve, théoricien du théâtre québécois, abonde dans le même sens :

« Adapter, c’est seulement vouloir partager une expérience de lecture. Ça n’obéit à aucune autre nécessité que de faire entendre un texte, ce texte-là, avant n’importe quel autre. (…) Adapter, ce n’est pas transformer, c’est transporter un texte d’un lieu à un autre, où il a des chances, momentanément, d’être mieux entendu.»18

Si, de nos jours, se créent dans nos théâtres de plus en plus d’adaptations et de moins en moins de textes de création, c’est non seulement parce que le théâtre de création est une aventure plus risquée fi nancièrement, mais aussi parce que le metteur en scène retrouve avec l’adaptation plus de libertés, plus de pouvoir. Lorraine Pintal, metteure en scène québécoise, va, à ce propos, d’un commentaire éclairant :

« La création a ses exigences. Il y a le respect de l’auteur, il y a des concessions, il y a des discussions parfois douloureuses, il y a des compromis… C’est tout ça une création. Après un certain nombre d’années, on plafonne! Je pense qu’on va prendre des vacances quand on fait une adaptation (…) on redécouvre une certaine liberté d’action qui élargit nos horizons et nous fait revenir à l’inédit mieux préparés, mieux armés.»19

Ce que les metteurs en scène vont chercher dans les textes non-dramatiques, ce n’est pas « ce qui est le plus théâtralisable, c’est-à-dire l’action ou l’histoire, mais plutôt les sensations, les portraits, les symboles, les images, la poésie…»20 Toujours selon Louise Vigeant, l’adaptation est avant tout une « lecture », donc une interprétation d’une œuvre originale : « Ce qu’elle propose, c’est, avec des signes qui lui sont propres, une actualisation des mots de l’auteur dans le sens très performatif du terme… une production, une invention de sens. (…) Il n’y a jamais, dans une œuvre, un sens latent à dévoiler, mais toujours un sens à produire»21 Ainsi, le travail d’écriture que demande l’adaptation exige à la fois une vision inspirée de l’œuvre antérieure et un regard neuf sur celle-ci; d’où, comme le nomme Antoine Lazaridès, « l’essentielle infi délité»22 de l’adaptateur qui doit faire sien l’œuvre adaptée pour éviter de n’en créer qu’un inutile écho.

16 Le théâtre : avec ou sans drame, Louise Vigeant, Cahiers de théâtre Jeu # 53, Montréal Quinze 1989, pp. 27 à 3217 Ibid, p. 2918 Les entraves nécessaires, Rodrigue Villeneuve, Cahiers de théâtre Jeu # 96, Montréal Quinze 2000, p.15419 « Madame Louis 14 », solo périlleux : entretien avec Lorraine Pintal, Louise Vigeant, Cahiers de théâtre Jeu # 53, Montréal Quinze 1989, p.7720 Ibid note 16, p. 2921 Ibid note 16, p. 3022 Dans l’antre de Dionysos, Alexandre Lazaridès, Cahiers de Théâtre Jeu # 59, Montréal Quinze, 1989, p.33

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La question de la fi délité à l’œuvre originale est d’importance. Jusqu’à quel point un artiste peut-il prendre des libertés en adaptant ? Interrogé à ce sujet après la création de L’Odyssée (2000), une adaptation théâtrale librement inspirée de l’œuvre d’Homère, Alexis Martin (coauteur avec Dominic Champagne) donne son avis sur la question :

« Le respect de l’œuvre originale est, à mon sens, plus que l’absolue fi délité, l’indice d’une adaptation réussie. Car une adaptation, ce n’est pas une copie, c’est une œuvre de création, qui possède sa temporalité propre.»23

Le passage d’un récit littéraire à la scène est une raison pour laquelle la fi délité absolue n’est pas tout à fait possible, car « dans le passage de l’horizontalité de la lecture à la verticalité de la parole scénique, il y a obligatoirement l’interrogation, l’interprétation et la transformation matérielle du texte.»24 Ainsi, adapter un récit non-dramatique vers le théâtre, c’est essayer de trouver une façon de le mettre en scène, de lui insuffl er une théâtralité.

EN CONCLUSION

En écrivant le Petit Prince, Antoine de Saint-Exupéry a lancé un appel à l’amitié et au retour à l’esprit d’enfance qui, seuls, peuvent mener à la véritable essence des êtres, celle qu’on ne peut voir qu’avec le cœur. Cet appel, lancé dans une des époques les plus sombres de l’histoire de l’humanité, est toujours un vibrant cri d’actualité en cette ère de plus en plus individualiste où les petits rois règnent en nombre. Même si mon adaptation, Le Petit Roi, se veut une image inversée de l’œuvre originale, je ne dois pas perdre de vue ce message essentiel de Saint-Exupéry et ma pièce se doit d’en être l’écho. Car à l’instar d’Alexis Martin, je suis d’avis que tout adaptateur doit avoir le souci de respecter l’œuvre qu’il adapte, sans pour autant en être le copieur servile.

La vie d’Antoine de Saint-Exupéry m’a grandement inspiré. L’engagement de cet homme au service de sa patrie et prêt au sacrifi ce de sa propre vie pour protéger son idéal d’un monde meilleur ne peut que forcer l’admiration. En continuant l’écriture du Petit Roi, je ne pourrai m’empêcher d’avoir une pensée pour l’auteur du Petit Prince. Cette recherche m’a d’ailleurs convaincu de la nécessité de lire les autres œuvres de Saint-Exupéry, notamment Citadelle qui me semble maintenant un incontournable pour approfondir ma réfl exion sur la philosophie de l’auteur. Grâce à cette recherche, je me sens maintenant plus armé pour retourner à l’écriture de mon adaptation. Vivement la fi n de session et les vacances de Noël!

23 De l’art de couronner les chefs-d’œuvre, Marcel Goulet, Cahiers de Théâtre Jeu # 96, Montréal Quinze, 2000, p.11724 L’adaptation, cet obscur objet de théâtre, Irène Sadawska-Guillon, Cahiers de Théâtre Jeu #59, Montréal Quinze, 1989, p. 92

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