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JOSEPH HENRICH : « C’EST LA CULTURE QUI NOUS REND

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ENTRETIEN

JOSEPH HENRICH :

« C’EST LA CULTURE QUI NOUS

REND INTELLIGENTS »Individuellement, l'humain n'est guère supérieur au chimpanzé. Il doit son succèsà son cerveau collectif, au savoir cumulé des milliers de générations précédentes.

Et on sous-estime à quel point cette accumulation a façonné nos gènes.

Joseph Henrich

L'intelligence

collectiveQhbbiciii rHtminw

est devenu LnreiHgenr

LE LIVRE

L'Intelligence collective,traduit de l'anglais par Patrick

Hersant, Les Arènes/Markus

Haller, 2019, 640 p.

L'AUTEUR

Joseph Henrich dirige

depuis 2015 le département

de biologie évolutive humaine

de l'université Harvard. Son

prochain livre, The WEIRDest

People in the Word, suite etcomplément de L'Intelligence

collective, paraîtra en

septembre chez Penguin.Il traite de l'exception que

constituent les sociétés

occidentales, instruites,

industrialisées, riches et

démocratiques, au regard

du reste de l'humanité.

Vôtre ouvrage s'ouvre sur une

affirmation étonnante : la réus

site de l'homme, ce qui a fait

qu'il est devenu l'espèce ultra-

dominante sur Terre, ne tient pas à son

intelligence. En êtes-vous sûr?

Oui, et j’espère en apporter suffisam

ment de preuves dans mon livre ! Je ne nie

pas que l’homme soit intelligent, qu’il soit

doté d’un très gros cerveau. Simplement,

ce très gros cerveau, contrairement à une

idée répandue, ne sert pas prioritairement

à produire une intelligence bmte innée.

Nulle autre espèce n’est parvenue à s’adap

ter à des environnements aussi divers que

nous, mais cette réussite ne doit rien à des

facultés cognitives surpuissantes, acquises

par une évolution purement génétique,

qui nous permettraient de résoudre les

problèmes complexes de façon créative. À

en croire cette approche, qui est celle des

plus grands psychologues évolutionnaires

actuels mais que je ne partage pas, les

humains auraient développé une «intelli

gence improvisationnelle » qui les rendrait

capables de définir des modèles causaux

décrivant la manière dont fonctionne le

monde. Ces modèles nous permettraient

d’inventer des outils, des tactiques et des

stratagèmes ad hoc.

Dans cette perspective, un individu

confronté à une difficulté liée à son en

vironnement - la chasse aux oiseaux, par

exemple - va mettre au travail son gros

cerveau de primate, comprendre que le

bois peut stocker de l’énergie élastique

(modèle causal), puis fabriquer des arcs,

des flèches et des pièges à ressort pour

attraper les oiseaux. Or, selon moi, ce n’est

pas ainsi que nous fonctionnons.

Ne sommes-nous pas néanmoins plus intel

ligents que toute autre espèce?

Lorsqu’on évalue les facultés mentales

des humains et des grands singes en les

confrontant dans des tests, on s’aperçoit

que les seconds font parfois aussi bien,

voire mieux, en matière de mémoire de

travail, de rapidité de l’information et

même dans certains jeux stratégiques

[voir le graphique p. 14]. En fait, dans

bien des contextes, nous commettons des

erreurs logiques systémiques, percevons

des corrélations illusoires, attribuons à

tort une cause à des processus aléatoires

et accordons la même importance à des

échantillons réduits et à des échantillons

très larges.

À cause de ces biais cognitifs, il nous

arrive de faire moins bien que nos cou

sins primates, mais aussi que les oiseaux,

les abeilles ou les rongeurs. Par exemple,

nous souffrons de l’illusion du parieur,

de l’illusion des coûts irrécupérables et

de l’illusion de la série gagnante, parmi

beaucoup d’autres. Les parieurs esti

ment souvent que «leur tour est venu»

de gagner au craps, alors qu’il n’en est

rien; les cinéphiles continuent par

fois de s’infliger des films très mauvais,

alors même qu’ils savent qu’une autre

activité (le sommeil, par exemple) leur

serait plus profitable ; au basket, certains

parieurs sont persuadés que tel joueur

est dans une «série gagnante», alors que

sa série de tirs au panier est conforme à

sa moyenne personnelle. Les rats ou les

pigeons ne souffrent pas de ces illusions

de raisonnement; c’est pourquoi, dans des

circonstances analogues, ils font souvent

des choix plus profitables pour eux.

Comment expliquez-vous alors l'extraor

dinaire réussite de l'espèce humaine?

Par la culture, dans un sens très large.

J’entends par là tous les savoirs relatifs à la

Pi T / Di

Pour Joseph Henrich, les humains sont programmés pour avoir foi dans le savoir

qu'on leur transmet. Ici, dans un lycée professionnel des Pyrénées-Orientales.chasse, à la fabrication d’outils, au pistage,

aux plantes comestibles et à la maîtrise du

feu, mais aussi le langage, qui n’a cessé de

s’enrichir et de gagner en efficacité au fil

des millénaires, l’écriture, la lecture, les

chiffres arabes, le zéro indien, le calen

drier grégorien, les cartes géographiques,

la distinction des couleurs, les horloges,

les fractions, la gauche et la droite, les

normes sociales, etc.

Voici ma conviction : ce n’est pas parce

que notre espèce est intelligente que nous

disposons de ces outils, de ces concepts,

de ces savoir-faire et de ces méthodes;

c’est parce que nous avons culturellement

développé un large répertoire d’outils, de

concepts, de savoir-faire et de méthodes

que nous sommes intelligents. C’est la

culture qui nous rend intelligents.

Ce point est essentiel: l’innovation,

quelle soit technique ou conceptuelle, est

souvent due au hasard, au bricolage, et

elle précède en général la compréhension

du modèle causal qui la rend possible. On

commence par fabriquer un arc ou une

sarbacane avant de comprendre les prin

cipes de l’air comprimé ou de l’énergie

élastique. Mais le plus important est que

ces savoirs vont être transmis, améliorés,

complétés au fil des générations.

En quoi consiste exactement cette trans

mission des savoirs culturels ?

Imaginons qu’un de nos lointains an

cêtres invente une baguette pour extraire

des termites d’une termitière. Rien de

bien impressionnant: les chimpanzés

modernes en sont capables. Mais, dans

le cas du chimpanzé, l’histoire s’arrêtera

là. La grande spécificité humaine est queles générations ultérieures ne vont pas

reprendre à zéro l’ensemble du proces

sus. On peut imaginer que deux des reje

tons de la génération suivante imitent le

vieux pêcheur de termites, parce qu’ils

ont constaté son succès. Or, ce faisant,

l’un d’eux croit comprendre, à tort, que

la baguette utilisée par son modèle était

aiguisée (en réalité, elle s’est juste cassée

bizarrement quand le vieux chimpanzé

l’a prélevée sur un arbre). À la troisième

ou quatrième génération, un individu

plonge sa baguette aiguisée dans une

vieille termitière abandonnée. Par hasard,

elle transperce un rongeur qui s’était ins

tallé là après le départ des termites. D’un

coup, la «baguette à termites» devient

une «baguette de fouille multiusage »,

qui permet à ce chanceux de multiplier

ses sources de nourriture en plongeant

son outil dans toutes sortes de cavités. Il

rencontre un tel succès qu’il ne tarde pas

à être imité...

Le savoir s’accumule ainsi au fil des

générations et, au bout du processus, on

finit par envoyer des fusées sur la Lune.

C’est ce que j’appelle l’accumulation

culturelle. C’est elle qui est responsable

de la taille de nos cerveaux: nous sommes

des machines à emmagasiner du savoir

culturel.

Vous avez parlé d'imitation. Quel rôle joue-

t-elle exactement dans votre théorie ?

Elle est ce qui permet d’apprendre

des autres. Et l’apprentissage cultu

rel est d’autant plus efficace que cette

imitation est aveugle, c’est-à-dire que

l’homme tend non seulement à imi

ter, mais à sur-imiter. Lorsqu’on

PLUS SOCIAL QU’INTELLIGENT

Performance moyenne de chimpanzés, d'orangs-outans et de bébés

à l'issue de quatre séries de tests cognitifs.

Humains Chimpanzés Orangs-outans

Espace Quantités

Source : Joseph Henrich, L'Intelligence collective.

Causalité Apprentissagesocial

montre à des humains et à des

chimpanzés un modèle qui effectue,

pour obtenir une récompense, toute une

série de gestes, dont certains parfaite

ment inutiles, les humains vont, par la

suite, imiter y compris ces gestes inutiles

alors que les chimpanzés, là encore plus

«intelligents» que nous, vont en faire

l’économie.

Mais à quoi cela nous sert-il d'imiter

aveuglément?

Eh bien, à ne pas avoir à reprendre à

chaque génération l’ensemble du proces

sus d’accumulation culturelle. À partir

d’un certain stade se sont constitués

des ensembles d’outils culturels trop

élaborés pour qu’un individu ou un

groupe puissent les mettre au point au

cours d’une vie. Dans bien des cas, les

individus ne savent pas comment fonc

tionnent leurs pratiques, ni même quelles

«accomplissent» quelque chose. Sous

les climats chauds, les amateurs de plats

épicés ne savent pas que leurs recettes à

l’ail et au piment protègent leur famille

des agents pathogènes présents dans la

viande. Ayant culturellement hérité de

ces goûts et recettes, ils ont foi dans la

sagesse accumulée par les générations

précédentes.

Je développe dans mon livre l’exemple

spectaculaire du manioc. Les racines de

cette plante contiennent du cyanure.

Or, dans les Amériques, des sociétés qui

s’en nourrissent depuis des millénaires

ne présentent aucun cas d’intoxication.

Pourquoi ? Parce quelles ont mis au point

des techniques complexes de transforma

tion, comportant des étapes nombreuses

et qui peuvent paraître fastidieuses : on

gratte, on râpe et enfin on lave les ra

cines pour séparer les fibres, l’amidon

et le liquide quelles contiennent. Une

fois isolé, ce liquide est mis à bouillir

et transformé en boisson ; les fibres et

l’amidon sont mis de côté pendant deux

jours supplémentaires avant d’être cuits

au four et consommés. Un individu peut

être tenté de simplifier cette longue pro

cédure et se contenter, par exemple, de

faire bouillir le manioc. Or, si cela réduit

l’amertume et empêche les symptômes

aigus (tels la diarrhée, les maux d’estomac

et les vomissements), cela n’élimine pas

suffisamment le cyanure et on s’expose à

une intoxication chronique.

Souvent, la plupart voire la totalité

des individus qui manifestent un grand

savoir-faire dans l’application de ces pra

tiques adaptatives ne savent ni comment

ni pourquoi elles fonctionnent. Cette

opacité causale de nombreuses adap

tations culturelles a eu des effets très

importants sur notre psychologie : nous

sommes programmés pour avoirfoi dans

le savoir qu’on nous transmet.

En général, dans nos sociétés modernes, leconformisme n'est pas considéré comme

une qualité. Vous semblez pourtant leprésenter comme une spécificité de notre

espèce et la condition de notre réussite...

Aborder l’apprentissage culturel dans

la perspective évolutionnaire signifie

que les individus vont extraire des idées

et des comportements des générations

précédentes. Pour ce faire, il existe plu

sieurs astuces. L’une d’elles consiste à

copier les individus qui ont le plus de

succès et jouissent du plus grand pres

tige. Une autre astuce consiste à imiter

le comportement le plus répandu au

sein du groupe. Cela s’explique par le

fait que, au cours de l’évolution, la pra

tique la plus répandue s’est, la plupart

du temps, révélée la plus adaptée. C’est

une heuristique rapide et efficace pour

arriver à la bonne réponse. Copier la

majorité est souvent une attitude intel

ligente. Cela vous épargne une grande

partie du prix de l’expérimentation et

des échecs.

Dans votre livre, vous parlez très souvent de

«Rubicon évolutionnaire». Qu'entendez-vous parlé?

C’est le moment où nous avons franchi

le seuil de non-retour de l’accumulation

culturelle, où notre espèce est devenue

tellement dépendante de ce savoir quelle

ne serait plus capable de survivre si, pour

une raison ou une autre, il disparaissait.Ma thèse est qu’à un stade relativement

précoce de notre histoire (peut-être dès

l’époque où est née notre genre Homo, il

y a deux millions d’années) nous avons

franchi ce Rubicon et que, à partir de

là, l’évolution culturelle est devenue le

premier moteur de l’évolution génétique

de notre espèce.

Cette interaction entre évolution

culturelle et évolution génétique a créé

un processus autocatalytique, car il pro

duit le carburant qui le propulse. Une

fois que les informations culturelles ont

commencé à s’accumuler et à produire

des adaptations culturelles, la principale

pression de sélection génétique a veillé

à améliorer les facultés psychologiques

permettant d’acquérir, de stocker, de trai

ter et d’organiser ce savoir. Et, à mesureque l’évolution génétique a perfectionné

nos cerveaux et nos facultés d’apprentis

sage auprès d’autrui, l’évolution culturelle

a spontanément produit des adaptations

culturelles plus nombreuses et plus utiles.

Vous voulez dire que la culture a une

influence sur nos gènes ? Cela ne va-t-il pas

à l'encontre des théories les plus établies ?

Effectivement, la théorie courante

de l’évolution humaine raconte une

tout autre histoire que la mienne. Elle

postule une longue période devolution

génétique, plutôt monotone, menant à

une brusque explosion de l’innovation et

de la créativité il y a cent mille, cinquante

mille ou dix mille ans, selon les auteurs.

Après quoi l’évolution génétique semble

s’arrêter pour céder la place à une évolu

tion culturelle.

Autrement dit, quand ces approches

évolutionnaires veulent bien admettre

l’existence même de la culture ou de l’évo

lution culturelle, celles-ci sont présentées

comme des phénomènes relativement

récents, tout juste en mesure de modi

fier à la marge une nature humaine aussi

riche que vaste, mais qui serait apparue

au terme de processus évolutionnaires

purement génétiques. Bien entendu, elles

omettent de prendre en compte certaines

influences mineures de la culture sur la

biologie (comme le mariage monogame,

qui fait baisser le taux de testostérone)

ou certaines boucles de rétroaction, rares

et récentes, qui montrent comment des

pratiques culturelles ont entraîné des

mutations génétiques (la consommation

de lait de vache, par exemple, conduisant

chez certaines populations à une tolé

rance plus grande au lactose).

Mais tout cela n’est rien : ce que ces

approches dépassées ne permettent pas

de comprendre, c’est que l’évolution

culturelle est bien la force centrale qui

guide l’évolution génétique humaine

depuis des centaines de milliers d’années,

voire davantage, selon moi.

En quoi, concrètement, nos pratiques cultu

relles modifient-elles nos gènes?

Un des exemples faciles à comprendre

est celui du feu. Sa maîtrise, qui a per

mis de cuire les aliments, a eu un impact

énorme sur notre système digestif, beau

coup plus réduit que celui des autres pri

mates de notre taille. D’une façon géné

rale, l’évolution génétique de nombre

de nos traits spécifiques - gros cerveau,

enfance prolongée, côlon raccourci, petit

estomac, dents minuscules, ligament de

la nuque, longues jambes, pieds voûtés,

mains habiles, os légers, corps adipeux

- a été guidée par l’évolution culturelle

cumulative, c’est-à-dire par les différents

outils, armes, concepts et institutions que

nous avons inventés au cours de notre

longue histoire.

Pour prendre un autre exemple, celui

du langage, il est évident que c’est l’éla

boration, touche après touche, de sys

tèmes de communication de plus en plus

perfectionnés qui a créé des pressions de

sélection, incitant nos gènes à faire de

nous de meilleurs communicants. Ces

pressions évolutionnaires génétiques ont

modelé notre anatomie et notre psycho

logie : elles ont abaissé notre larynx pour

élargir notre registre vocal, libérer notre

langue et améliorer sa dextérité, blanchi la

zone entourant notre iris (la sclérotique)

pour révéler la direction de notre regard,

et nous ont dotés d’une capacité innée

d’imitation vocale et d’un désir d’utiliser

des indices de communication - désigner

du doigt ou fixer du regard, par exemple.

Pourquoi sommes-nous la seule espèce à

avoir franchi le Rubicon évolutionnaire?

À la fin de mon livre, je propose un

scénario vraisemblable : nous descendons

de primates terrestres. Or, au sol, les indi

vidus peuvent avoir les deux mains libres

et jouissent souvent d’un meilleur accès

à de nombreuses ressources telles que

les insectes (termites et fourmis, par

exemple), les fruits à coque, les pierres,

les roseaux, les herbes, l’eau, etc. Ils sont

plus susceptibles d’élaborer des outils.

Par ailleurs, la terrestrialité expose les

grands singes à un danger accru en rai

son des prédateurs.

Nos ancêtres ont dû réagir en for

mant des groupes plus larges - l’union

fait la force. Cette stratégie défensive a

sans doute eu des effets secondaires : les

groupes élargis ont produit des outil

lages, des compétences et des corpus de

savoir-faire acquis à la fois plus riches et

plus complexes, car ces groupes produi

saient, diffusaient et préservaient davan

tage d’innovations et d’idées.

Enfin, les modèles mathématiques des

processus évolutionnaires montrent que

la dépendance à l’apprentissage social est

plus forte que la dépendance à l’appren

tissage individuel quand l’environnement

devient moins stable. Or, il y a trois mil

lions d’années, le climat est devenu de

plus en plus variable et, jusqu’à il y a en

viron dix mille ans, il s’est mis à présenter

une structure cyclique systématique. Il y

a tout lieu de penser que les fluctuations

climatiques ont renforcé les pressions de

sélection favorisant l’apprentissage social,

au cours d’une période où les forêts, les

lacs, les savanes et les bois n’ont cessé de

s’étendre et de se réduire tour à tour.

Pourquoi insistez-vous tant sur la sociabilité

de notre espèce ?

Parce que notre capacité à former des

groupes plus importants que les autres

primates est la condition de l’accumu

lation culturelle. Les progrès ont plus de

chance de se produire et risquent moins

de se perdre au sein d’un groupe large.

Admettons qu'il faille en moyenne mille

vies à un individu solitaire pour inventer

(par hasard ou en réfléchissant) l’empen

nage des flèches. La probabilité qu’au

moins un individu dans un groupe de

dix invente l’empennage au cours de sa

vie est donc de 1 %. En moyenne, donc, il

faudra cent générations (soit deux mille

cinq cents ans) à un groupe de 10 indi

vidus pour inventer l’empennage. Mais,

dans un groupe de 10000 cerveaux, une

génération devrait suffire (plus précisé

ment, la probabilité sera de 99,995 %).

Voilà pourquoi l’évolution culturelle

est plus rapide dans les groupes plus

larges. Encore faut-il, bien sûr, que ces

groupes soient assez interconnectés : si

chaque individu fonctionne comme une

île sociale, dissimulant ses inventions aux

yeux de tous les autres, certains auront

beau fabriquer des outils un peu plus effi

caces, leurs améliorations disparaîtront à

leur mort et aucun outil élaboré ne sera

jamais mis au point. On constate qu’un

degré élevé de collaboration est plus im

portant pour la réussite d’un groupe que

l’intelligence exceptionnelle de tel ou tel

individu qui le compose.

C’est d’ailleurs ce qui explique le

triomphe de nos ancêtres sur leurs

proches cousins néandertaliens. Ces

derniers, dotés d’un cerveau un peu

plus gros que le nôtre, étaient peut-être

individuellement plus intelligents que

nous. Mais, moins interconnectés que

Sapiens sapiens et évoluant en groupes

moins larges, ils disposaient d’un cerveau

collectif moindre.

Ce qui fait notre force, c’est notre cer

veau collectif. Nous sommes intelligents,

certes, mais ce n’est pas parce que nous

nous tenons sur les épaules de géants -

ni parce que nous sommes nous-mêmes

des géants. Nous nous tenons sur les

épaules d’une immense pyramide de

hobbits. Les hobbits grandissent certes

un peu à mesure que la pyramide s’élève,

mais ce qui nous permet de projeter nos

regards au loin, c’est bien le nombre de

hobbits et non la haute taille de tel ou

tel d’entre eux. m

— Propos recueillis par Baptiste Touverey.