Jousse, Marcel - Style Oral Verbo Moteurs

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  • Travaux du Laboratoire danthropologie rythmo-pdagogique de Paris

    Marcel Jousse(1886-1961)

    Professeur dAnthropologie linguistique lcole dAnthropologie

    Directeur du Laboratoire de rythmo-pdagogique de Paris

    tudes de psychologie linguistique :Le Style oral rythmique

    et mnmotechniquechez les Verbo-moteurs

    (1925)

    Un document produit en version numrique par Mme Marcelle Bergeron, bnvoleProfesseure la retraite de lcole Dominique-Racine de Chicoutimi, Qubec

    et collaboratrice bnvoleCourriel: mailto:[email protected]

    Site web: http://www.geocities.com/areqchicoutimi_valin

    Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales"Site web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html

    Une collection dveloppe en collaboration avec la BibliothquePaul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec Chicoutimi

    Site web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm

  • Marcel Jousse, Le Style oral rythmique et mnmotechnique chez les Verbo-moteurs (1925) 2

    Un document produit en version numrique par Mme Marcelle Bergeron, bnvole,professeure la retraie de lcole Dominique-Racine de Chicoutimi, Qubeccourriel: mailto:[email protected] web: http://www.geocities.com/areqchicoutimi_valin

    partir de :

    Marcel JOUSSE (1886-1961)tudes de psychologie linguistique. Le Style oralrythmique et mnmotechnique chez les Verbo-moteurs.

    Une dition lectronique ralise partir du mmoire de MarcelJousse, tudes de psychologie linguistique. Le Style oral rythmique etmnmotechnique chez les Verbo-moteurs (1925). Paris, GabrielBeauchesne, diteur, 1925, 242 pp. Travaux du Laboratoire de Rythmo-pdagogie de Paris. Archives de philosophie, volume II, cahier IV.

    Polices de caractres utilise :

    Pour le texte: Times, 12 points.Pour les citations : Times 10 points.Pour les notes de bas de page : Times, 10 points.

    dition lectronique ralise avec le traitement de textes MicrosoftWord 2001 pour Macintosh.

    Mise en page sur papier formatLETTRE (US letter), 8.5 x 11)dition complte le 4 mai 2004 Chicoutimi, Qubec.

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    Table des matires

    Remerciements lAssociation Marcel Jousse pour leur autorisation

    Travaux du Laboratoire danthropologie rythmo-pdagogique

    Ddicace

    Avant-propos

    I. L'Explosion nergtique et la Psycho-physiologie du Geste

    II. Intervalles entre les Explosions nergtiques : le Rythme physiologique

    III. La Gesticulation rflexe et mimique de la Rception

    IV. La Revivification spontane des Gestes passs

    V. La Revivification volontaire et smiologique des Gestes mimiques

    VI. La Gesticulation smiologique laryngo-buccale

    VII. Le caractre instinctivement concret de la Gesticulation smiologique

    VIII. Le Geste propositionnel

    IX. Attitudes mentales ethniques et Gestes propositionnels : Psychologie de la Traduction

    X. La rptition automatique d'un Geste propositionnel : le Paralllisme

    XI. Le Style oral rythmique

    XII. L'utilisation mnmonique instinctive des Schmes rythmiques

    XIII. Le Style oral Presse vivante pour la Science d'un milieu ethnique

    XIV. Les Compositeurs oraux

    XV. Les facults mnmoniques dans les milieux de Style oral

    XVI. Les procds mnmotechniques l'intrieur du Schme rythmique

    XVII. Les procds mnmotechniques l'intrieur du Rcitatif

    XVIII. Les procds mnmotechniques l'intrieur d'une Rcitation

    Conclusion

    Bibliographie des auteurs cits

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    REMERCIEMENTS

    L'Association Marcel Jousse, par lintermdiaire de son prsident, M. Jean-Ghislaind'Eudeville, nous a gnreusement accorde, le 17 avril 2003, la permission de diffuser, sur le siteinternet Les Classiques des sciences sociales, les uvres de Marcel Jousse publies de son vivant :

    tudes de psychologie linguistique Le style oral rythmique et mnmotechnique chez lesverbomoteurs Revue Archives de philosophie Volume II, Cahier IV 1925

    La pense et le geste. 1 : le geste mimique corporel et manuel. Revue Le manuscritautographe.1927

    tudes sur la psychologie du geste. Les rabbis d'Isral. Les rcitatifs rythmiques parallles. IGenre de la maxime, Spes , Paris, 1930

    Mthodologie de la psychologie du geste. Revue des cours et confrences, n11, 15 mai 1931, p.201-218

    Les Lois psycho-physiologiques du Style oral vivant et leur utilisation philologique.L'Ethnographie n23, 15 avril 1931, p.1-18

    Henri Brmond et la psychologie de la lecture. In memoriam Revue des cours et confrences,dcembre 1933

    Du mimisme la musique chez l'enfant, Geuthner, Paris, 1935

    Mimisme humain et psychologie de la lecture, Geuthner, Paris, 1935

    Mimisme humain et style manuel, Geuthner, Paris, 1936

    Les outils gestuels de la mmoire dans le milieu ethnique palestinien : Le Formulisme aramendes rcits vangliques. L'Ethnographie n30, 15 dcembre 1935, p. 1-20

    Le mimisme humain et l'anthropologie du langage, Revue anthropologique, Juillet-Septembre1936, p.201-215

    Le bilatralisme humain et l'anthropologie du langage, Revue anthropologique, Avril-Septembre1940, p. 2-30

    Judahen, Juden, Judaste dans le milieu ethnique palestinien. L'Ethnographie n38, 1er Janvier-1er Juillet 1946, p.3-20

    Pre Fils et Paraclet dans le milieu ethnique palestinien. L'Ethnographie n39, Anne 1941, p. 3-58

    Les formules targoumiques du Pater dans le milieu ethnique palestinien L'Ethnographie n42,Anne 1944, p. 4-51

    La manducation de la leon dans le milieu ethnique palestinien. Geuthner, Paris, 1950.

    Rythmo-mlodisme et rythmo-typographisme pour le style oral palestinien. Geuthner, Paris, 1952

    [email protected]

    Un grand merci M. Rmy Gurinel, de Nanterre, davoir rendu possible, grce toutes sesdmarches, ce projet de diffusion libre de luvre de Marcel Jousse : ([email protected] )

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    BIBLIOGRAPHIE DES AUTEURS CITS________

    Archives de philosophieRue de Rennes, 117, PARIS-VI

    _______________

    I. Les Archives de Philosophie sont publies par un groupe de professeurs dontle centre de rdaction est la Maison d'tudes Philosophiques, Vals-Prs-Le-Puy(Haute-Loire).

    Pour ce qui est de la rdaction, crire cette adresse, M. le Secrtaire deRdaction des ARCHVES DE PHILOSOPHIE.

    Les Revues d'change et les ouvrages pour compte rendu devront tre envoys cette mme adresse.

    II. Les Archives de Philosophie ne sont pas une revue. Elles n'auront donc pasde priodicit rgulire et se prsenteront sous forme de cahiers contenant soit untravail unique, soit un groupe de travaux sur un mme sujet ou de mme genre. Lenombre de pages de ces cahiers restera indtermin, en dpendance des matires etdes auteurs. Chacun aura sa pagination, son titre et sa table propres ; mais, grce une double pagination, les fascicules seront runis en volumes de 600 pages environavec table gnrale.

    III. Les Archives de Philosophie consacreront tous les ans un cahier spcial l'tude critique des principaux travaux philosophiques de l'anne. Elles signalerontgalement, avec les indications essentielles, tous les ouvrages de philosophie envoys la rdaction.

    Le prix de souscription chaque volume est fix 36 FF pour la France et 50 FFpour l'tranger.

    Pour ce qui concerne les souscriptions et l'administration, s'adresser l'diteurGABRIEL BEAUCHESNE, rue de Rennes, 117, Paris VIe (Compte chque postalNo 3929, Paris).

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    TRAVAUX DU LABORATOIRED'ANTHROPOLOGIE RYTHMO-PDAGOGIQUE

    (crire au Directeur du Laboratoire d'Anthropologie23, rue des Martyrs, Paris 9e)

    Marcel JOUSSE :

    I. Le Mimisme humain et l'Anthropologie du Langage.II. Mimisme humain et Style manuel.III. Le Bilatralisme humain et l'Anthropologie du Langage.IV. Du Mimisme la Musique chez l'Enfant.V. Mimisme humain et Psychologie de la Lecture.VI. Les Lois psycho-physiologiques du Style oral vivant et leur Utilisation

    philologique.VII. Les Outils gestuels de la Mmoire dans le Milieu ethnique palestinien : Le

    Formulisme aramen des Rcits vangliques.VIII. Rythmo-mlodisme et Rythmo-typographisme pour le Style oral

    palestinien.IX. Judhen, Juden, Judaste dans le Milieu ethnique palestinien.X. Pre, Fils et Paraclet dans le Milieu ethnique palestinien.XI. Les Formules targomiques du Pater dans le Milieu ethnique

    palestinien.XII. La Manducation de la Leon dans le Milieu ethnique palestinien.XIII. tudes sur la Psychologie du Geste : Les Rabbis d'Isral. Les Rcitatifs

    rythmiques parallles : Genre de la Maxime.

    XIV. tudes de Psychologie linguistique : Le Style oral rythmique etmnmotechnique chez les Verbo-moteurs.

    XV. Une nouvelle Psychologie du Langage (Leons publies par FrdricLefvre).

    XVI. L'Anthropologie du Geste et les Proverbes de la Terre (Leons publiespar A. Thomas).

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    ARCHIVES DE PHILOSOPHIE

    VOLUME II____

    CAHIER IV

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    Travaux du Laboratoire danthropologie rythmo-pdagogique de Paris

    No XIV

    Marcel JOUSSE

    Professeur dAnthropologie linguistique lcole dAnthropologie

    Directeur du Laboratoire de Rythmo-pdagogie de Paris

    tudes de psychologie linguistique.Le Style oral

    rythmique et mnmotechniquechez les Verbo-moteurs

    PARISGabriel Beauchesne, diteur, 1925.

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    LA MMOIREDE MON MATRE

    DE PHONTIQUE EXPRIMENTALEAU COLLGE DE FRANCE

    M. L'ABB JEAN-PIERRE ROUSSELOTCETTE ESQUISSE

    D'UN TRAVAIL QU'IL ENCOURAGEAEST PIEUSEMENT DDIE

    M. J.

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    Je ne puis m'empcher de regretter que la psychologie linguistique attire si peude gens... Pourtant cette tude, surtout comparative, des formes les plus infimes auxplus raffines, en apprendrait sur le mcanisme de l'intelligence au moins autant qued'autres procds fort rputs. On s'est lanc avec ardeur dans la psychologiephysiologique, en pensant avec raison que, si les faits biologiques, normaux etmorbides, sont tudis par les naturalistes et les mdecins, ils peuvent l'tre aussi parles psychologues, d'une autre manire. Il en est de mme pour les langues : laphilologie compare a son but, la psychologie a le sien. Il est impossible de croire quecelui qui, arm d'une suffisante instruction linguistique, se consacrerait cette tche,dpenserait sa peine en vain.

    (RIBOT : A, 98 1.) La langue est un systme de signes exprimant des ides, et par l, comparable

    l'criture, l'alphabet des sourds-muets, aux rites symboliques, aux formes depolitesse, aux signaux militaires, etc., etc. Elle est seulement le plus important de cessystmes.

    On peut donc concevoir une science qui tudie la vie des signes au sein de la viesociale ; elle formerait une partie de la psychologie sociale, et par consquent de lapsychologie gnrale ; nous la nommerons smiologie (du grec s_meon, signe ).Elle nous apprendrait en quoi consistent les signes, quelles lois les rgissent.Puisqu'elle n'existe pas encore, on ne peut dire ce qu'elle sera ; mais elle a droit l'existence, sa place est dtermine d'avance. La linguistique n'est qu'une partie decette science gnrale, les lois que dcouvrira la smiologie seront applicables lalinguistique, et celle-ci se trouvera ainsi rattache un domaine bien dfini dansl'ensemble des faits humains.

    (DE SAUSSURE : 33.)

    1 Les noms en PETITES CAPITALES renvoient la bibliographie place la fin du Cahier.

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    Le Style oral rythmique et mnmotechniquechez les Verbo-moteurs

    Avant-propos

    Retour la table des matires

    La Psychologie exprimentale commence prendre contact avec l'Ethnographie,la Linguistique et la Phontique exprimentale. Dans des runions de techniciens,comme celles de la Socit de Philosophie, MM. Brunot, Delacroix, G. Dumas, PierreJanet, Lvy-Bruhl, Mauss, Meillet, Pernot, Piron, Vendryes changent leurs idessur un mme sujet. Des travaux de synthse, comme le Cours magistral sur leLangage et la Pense, profess ces deux dernires annes en Sorbonne, rapprochentles conclusions de ces spcialistes. Le temps semble venu de chercher envisagercertains problmes complexes sous un jour moins rduit.

    Laplace a dit : Les dcouvertes consistent en des rapprochements d'idessusceptibles de se joindre et qui taient isoles jusqu'alors.

    Le prsent fascicule rapprochera simplement des textes de spcialistes, mais en sepermettant d'y introduire, entre crochets [ ], une terminologie unique, indispensable la clart de l'ensemble, sans pourtant trahir la pense des auteurs. Ces citationsvoudraient tre comme l'esquisse, aussi impersonnelle que possible, des tudes dePsychologie exprimentale et ethnique que nous poursuivons depuis dix-huit ans. Nosrecherches ont port sur la Mmoire verbo-motrice rythmique, sur ce que notreProfesseur au Collge de France, M. le Dr Pierre Janet, appellerait la Psychologie dela Rcitation.

    Il va de soi que ce rudimentaire classement de faits n'a aucune vise mtaphy-sique. Contents de fournir aux philosophes et aux psychologues des matriaux qu'ils

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    pourront utiliser de diverses manires sur le terrain spculatif, nous nous sommesborns faire un essai de synthse des donnes positives d'exprience sur le Styleoral, et des interprtations d'ordre exclusivement scientifique qu'en ont proposes lesspcialistes en Linguistique et les matres en Psychologie et en Phontiqueexprimentales. Nous laissons aux philosophes le soin, d'interprter les faits que nousleur livrons et d'en tirer parti dans l'tude de la mmoire et surtout des rapports dulangage avec la pense abstraite pure. Et tout de mme nous laissons aux savants dontnous invoquerons le tmoignage, les vues philosophiques purement phnomnistes ouvolutionnistes qu'ils pourraient entretenir par devers eux et que nous ne saurionsvidemment faire ntres. Nous avons dlibrment exclu de notre perspective toutetude ou conclusion, mtaphysique et critique, qui dpasserait le domaine des faits etcelui des applications la Psychologie linguistique. Nous osons esprer que le lecteurne nous fera pas un reproche de ne pas trouver dans cette tude ce que nous n'avonspas voulu y mettre.

    Nous avons cru bon de faire paratre, avant l'ouvrage dfinitif, un conspectusgnral de notre mthode psycho-physiologique. Les matres, dont nous venons deciter les noms et qui nous devons tant, pourront. ainsi nous aider de leurs lumires etde leurs conseils, avec plus de prcision encore, dans les diverses techniques o nousavons leur emprunter des faits et des lois. La Science s'est faite, de nos jours,tellement complexe que, pour y pousser une pointe sur une zone neuve, il nous faut cequ'il nous a fallu sur les champs de bataille modernes : la liaison des armes.

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    Le Style oral rythmique et mnmotechniquechez les Verbo-moteurs

    - I -

    L'Explosion nergtiqueet la Psycho-physiologie du Geste.

    Retour la table des matires

    La psychologie, en tant que science, ne peut se borner considrer les seulsphnomnes psychiques en soi ; elle est astreinte au devoir de soumettre une recher-che approfondie les modifications physiques du systme nerveux qui accompagnentles oscillations varies de l'nergie, non moins que l'importance de l'nergie dans lavie des organismes (BECHTEREW : 68).

    Une des, plus belles conqutes de la physiologie moderne est assurment d'avoirdmontr que les organismes vivants sont des transformateurs d'nergie. Les tissusemmagasinent cette nergie l'tat potentiel, sous forme de composs chimiques ; ilsla transforment en nergie actuelle de forme diffrente suivant leur spcialisationfonctionnelle. Ainsi dans le muscle, l'nergie chimique se transforme en nergiemcanique, chaleur, lectricit, bruit musculaire ; dans le systme nerveux en nergienerveuse, lectricit, chaleur, etc... (ATHANASIU : 25-26). Si nous cherchons, [eneffet,] comment un corps vivant sy prend pour excuter des mouvements, noustrouvons que sa mthode est toujours la mme. Elle consiste utiliser certaines subs-tances qu'on pourrait appeler explosives et qui, semblables de la poudre canon,

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    n'attendent qu'une tincelle pour dtoner. Je veux parler des aliments, plus particuli-rement des substances ternaires, hydrates de carbone et graisses. Une sommeconsidrable d'nergie potentielle, y est accumule, prte se convertir en mouve-ment. Cette nergie a t lentement, graduellement emprunte au soleil par lesplantes ; et l'animal qui se nourrit d'une plante, ou d'un animal qui s'est nourri d'uneplante, ou d'un animal qui s'est nourri dun animal qui s'est nourri d'une plante, etc.,fait simplement passer dans son corps un explosif que la vie a fabriqu en emma-gasinant de l'nergie solaire. Quand il excute un mouvement, c'est qu'il librel'nergie ainsi emprisonne (BERGSON : B, 14-15).

    Or, dans un corps vivant, nous trouvons partout [et toujours] des mouvements..,et cela ne doit pas surprendre. L'activit motrice est la rponse que l'homme etl'animal font aux excitations [incessantes] qui viennent du dehors ou du dedans (RIBOT : C, 26). , chaque excitation jaillit l'tincelle : l'explosif dtone, et... lemouvement s'accomplit (BERGSON : B, 15). Appelons, si vous le voulez, cesrflexes physiologiques des gestes, sans chercher... dfinir le geste d'une faonprcise. Laissons-lui... le sens tymologique large d'activit corporelle , qu'il offredans des locutions comme gesta Dei per Francos ou comme Chansons degestes (D'UDINE : A, 67-68). Le rire et les larmes, voil [par exemple] deuxgestes... (D'UDINE : A, 4).

    Au commencement tait le Geste (D'UDINE : A, 86). En venant au monde, lenouveau-n est muni d'aptitudes motrices... Il est une machine qui produit des mouve-ments, [qui fait perptuellement des gestes] (RIBOT : C, 2). Toute excitation,[interne ou externe,] dtermine un mouvement (FR : A, 75). Une explosion faittressaillir des pieds la tte. La moindre sensation nous donne une secousse identiquequoique invisible : si nous ne la sentons pas toujours, cela tient ce qu'elle est tropfine ou que notre sensibilit ne l'est pas assez (JAMES : II, 372). Et ce mouve-ment,... auquel paraissent prendre part tous les lments contractiles de l'organisme,...semble constituer essentiellement le caractre objectif de la sensation (FR : A,75). Ce serait une erreur de croire que nos tats affectifs ou reprsentatifs soient pareux-mmes inertes et qu'il faille y ajouter quelque chose pour qu'ils deviennentmoteurs. En d'autres termes, il n'y a pas dans la conscience d'tats qui soientuniquement des constatations ; les tats qui sont des constatations s'accompagnent demouvements, [de gestes], et par suite de tendances ; nous n'avons besoin de rienajouter un tat de conscience pour qu'il soit actif, [gestuel] ; au contraire, lorsque lemouvement n'accompagne pas immdiatement une affection ou une reprsentation,c'est que nous empchons ce mouvement de se produire, nous l'inhibons (LUQUET :84).

    Or, cette inhibition est encore activit motrice . Il convient de faire remar-quer que l'activit motrice n'est pas synonyme de mouvement au sens usuel de cemot. Pour un tat d'immobilit, on peut dpenser autant d'nergie que pour unmouvement dans l'espace ; ex. : tenir le bras tendu et rigide ; la position droite de latte maintenue par la contraction continue des muscles du cou, etc. Ceci dit en passantpour rappeler l'ubiquit des mouvements ; ils forment la trame sur laquelle [et aveclaquelle] la conscience dessine ses broderies (RIBOT : C, 3). Ce n'est donc que parabstraction que dans un phnomne ido-moteur on considre le ct intellectuel sansle ct moteur. La vie intellectuelle n'est pas un empire dans un empire ; elle estimprgne d'tats affectifs qui tendent eux-mmes s'exprimer en mouvements ; ellea donc une tendance constante se jouer extrieurement (LUQUET : 91). Il ne fautpas considrer comme profonde, comme correspondant une ralit vritable, la

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    distinction dans l'me de trois facults. Mme sans donner ce mot le sens abusif etraliste que semblaient lui donner les clectiques, les groupes de phnomnes dontelles sont comme l'tiquette commune ne prsentent pas de caractres nettementtranchs permettant de tracer entre eux une ligne de dmarcation prcise. Il n'y a pasdes phnomnes affectifs qui ne seraient qu'affectifs, des phnomnes reprsentatifsqui ne seraient que reprsentatifs, etc.. mais tout phnomne affectif par exemple esten mme temps reprsentatif et actif. D'une manire gnrale, tout tat de conscienceest la fois affectif, intellectuel et actif ; il n'y a qu'une diffrence de dosage dans lesproportions relatives de ces lments : chaque tat de conscience comprend, outre lephnomne affectif ou reprsentatif ou actif qui est au premier plan, des lmentspsychiques appartenant aux deux autres classes, plus reculs ou moins visibles, maisqui n'en sont pas moins toujours prsents (LUQUET : 82-83).

    Si l'attitude mentale est un fait complexe, synthtique, un systme de phno-mnes divers et d'ordre diffrent (F. PAULHAN : 827), considr objectivement, unindividu n'est qu'un ensemble de mouvements, [de gestes] diversement combins (GODFERNAUX : 5). En certains cas les dispositions d'une personne sont mieuxcomprises par un tmoin un peu avis que par elle-mme. Il est des rires qui prsagentla tempte sans que le rieur s'en rende compte (F. PAULHAN : 827). Le mouve-ment, [la gesticulation,] reste [ainsi] le fait essentiel et les tendances organiques nesont, comme les autres, que des ensembles plus ou moins compliqus de phnomnesmoteurs coordonns (GODFERNAUX : 4-5). Ds lors, il est ncessaire de considrerla psychologie d'une manire particulire, [d'en faire une sorte de Psychologie duGeste].

    Cette science doit devenir plus objective et doit considrer les faits sous leuraspect visuel et auditif de la mme manire que les autres sciences, [aspect prcis etamplifi, s'il y a lieu, par des appareils enregistreurs comme ceux de M. l'abbRousselot]. Elle a alors pour objet l'tude de la conduite, [de la gesticulation] deshommes, l'tude des mouvements [gestuels] partiels, des attitudes gnrales ou desdplacements d'ensemble par lesquels l'individu ragit aux actions que les diversobjets environnants exercent sur lui. La psychologie doit dcrire ces ractions, [cesgesticulations,] les classer et en dcouvrir les lois (JANET : A, 919).

    Sous divers noms, rflexes, rflexes psychiques, tendances, automatismes,instincts, habitudes, systmes psychologiques, complexus, bien des auteurs ont mis envidence l'existence, chez l'individu vivant et pensant, de dispositions ragirtoujours de la mme manire certaines modifications produites. la surface ducorps. Nous appellerons rception cette modification particulire du corps qui sertde point de dpart et action [gestuelle , gesticulation ] l'ensemble des mouve-ments ractionnels.

    Pour caractriser une tendance [gestuelle], il faudrait pouvoir dcrire avec prci-sion les caractres de la rception, sa nature, son intensit, sa complexit, l'endroit ducorps sur lequel elle doit se produire, etc., et l'ensemble des mouvements simples oucomplexes qui constituent l'action, [la gesticulation], en choisissant bien entendu lescas o l'action est particulirement nette et surtout complte (JANET : A, 920).

    Malgr la grande complexit de [la rception] visuelle et la diffrence desthories qui cherchent la saisir tantt d'un ct, tantt d'un autre, la tendance quis'est fait jour [en 1863, chez Stchnoff, puis] chez Wundt, s'affirme de plus en plusdans les travaux d'optique physiologique. Luvre capitale de Bourdon qui en rsume

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    un grand nombre, fait ressortir trs nettement tout ce que les sensations rtiniennesont perdu de leur ancienne importance. Thoriquement on leur reconnat encore uncertain rle, mais les facteurs qui s'y surajoutent, de nature gnralement motrice, lerduisent presque nant. Nous ne parlons pas seulement de la perception de ladistance, ni de la localisation des objets. D'aprs Bourdon, les donnes les pluslmentaires de la grandeur et de la forme sont galement dtermines par desprocessus moteurs, [des gestes oculaires].... L'tude de Bourdon ne laisse plus riensubsister de la vision empirique telle que la comprenait Helmholtz. L'expriencertinienne y est battue en brche sur tous les points et remplace, tant bien que mal,par l'exprience motrice de l'organe visuel.

    Un pas encore plus dcisif dans la mme voie a t fait par le Dr Nuel. S'tantpropos de dcrire le mcanisme de la vision d'une manire purement et exclusi-vement objective, sans le concours de l'introspection, il arrive conclure que chezl'homme les donnes visuelles de la conscience se rattachent uniquement auxmodifications du rflexe crbral par les rflexes oculaires de la direction et de laconvergence. (KOSTYLEFF : B, 21-23 ; A, 121). Les reprsentations visuelles sonttoutes motrices (NUEL : 256).

    Le problme de l'audition est peut-tre encore plus complexe que celui de lavision et, par suite, encore plus loign de la solution dfinitive, mais l aussil'hypothse d'une empreinte priphrique sous forme de rsonance se trouve rem-place par un processus ractif, [une gesticulation auriculaire] (KOSTYLEFF : B, 27). P. Bonnier et Hurst [furent] amens... conclure presque simultanment quel'audition ne se rattache pas un processus molculaire, la rptition des branle-ments ariens, mais a un processus molaire, la mise en mouvement, [ lagesticulation] des organes auriculaires suivie d'une excitation du nerf auditif. Dansson travail capital sur l'audition, M. P. Bonnier rattache la perception sonore un va-et-vient de milieux successifs, petits et suspendus tels que les osselets, leliquide labyrinthique, les tympans cochlaires et la membrane de la fentre ronde,aboutissant une irritation continue de la papille (KOSTYLEFF : A, 124). Iciencore, sous les sensations spcifiques, il y a un ensemble [gestuel] qui leur sert deSoutien (RIBOT : C, 9-3).

    Un mme geste peut tre dclench par diverses excitations. Soit par exempleun mouvement dextension de mon bras. Ce mouvement peut tre... provoqu par unchoc sur le coude ; c'est un rflexe excitation extrieure, analogue au rflexerotulien. Il peut galement faire suite quelque excitation physiologique interne ;j'tendrai alors le bras comme les enfants le font au berceau, et l'on dira que je le fais,comme eux, par dmangeaison de dpenser un trop-plein d'nergies. Il peut aussi treconscutif une [rception externe], comme si je vois un fruit sur le compotier, et ytends la main. Il peut enfin raliser une volont explicite, et alors je meus le brasparce que je veux le faire. En tous ces cas le mouvement est rest physiquement lemme. Dans tous galement,... il a t accompli par [l'explosion], le jeu de forcesinternes dclenches par des excitations ; c'est donc toujours un rflexe. Mais ilconvient de retenir la diversit des stimuli qui provoquent le rflexe : stimulusphysique et externe, stimulus physiologique et interne, stimulus psychologique d'une[rception] ou d'une volition. L'volution de l'activit, [de la gesticulation], se fait,pour une bonne part, grce l'excitation de nos rflexes fondamentaux par des stimulinouveaux et de plus en plus psychologiques (BAUDIN : 535). Le nouveau-n... estune machine qui produit des mouvements, mais leur apparition est primaire. Commeils dpendent des centres infrieurs de l'encphale, ils sont vides de conscience ou

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    tout au moins de connaissance. Plus tard, avec le dveloppement des centres sup-rieurs de l'corce crbrale, l'organisation du systme moteur sera acheve (RIBOT :C, 2-3).

    Nous n'avons envisag jusqu'ici le [geste] rflexe que dans le cas d'un mou-vement simple ou relativement simple. Il y a aussi, et surtout, des mouvementscomposs, qui ne peuvent se concevoir que par des associations de rflexes.Associations simultanes, comme lorsque les mouvements automatiques de la mainentranent ceux des bras et du corps. Associations successives comme lorsque lesrflexes de la salivation entranent ceux de la dglutition, puis ceux de la digestion,puis ceux de l'assimilation, etc. Il y a ainsi des chanes de [gestes] rflexes dans laplupart de nos activits vitales. Ces chanes s'agencent, chez les animaux suprieurs,dans les centres nerveux, qui ne servent pas seulement transformer l'excitation enraction, [en gesticulation], mais encore, et mme davantage, organiser les suitesdes mouvements vitaux. Lencphale, en particulier, est le lieu des associationsphysiologiques de rflexes (BAUDIN : 535-536). Je crois que l'on peut dire en uncertain sens que le cerveau est surtout compos... par l'ensemble des rflexes senso-riels : [gestes oculaires, auriculaires, etc.]... La diffrenciation extrme, la dlicatessedes rceptions, la complexit norme des ractions [gestuelles] nous conduisent concevoir un systme de rflexes et de liaisons extraordinairement compliqu (AUGIER : 50).

    La vie organique est assure par le jeu indfini des [gestes] rflexes organi-ques stimuli intrieurs. C'est par eux que se ralise le dynamisme continu, [lagesticulation perptuelle] des fonctions vitales de l'assimilation et de la dsassi-milation des aliments, de la circulation du sang, etc. Tout se fait par des [gestes]indpendants de notre volont, mais non pas indpendants les uns des autres, ni desncessits organiques. Ils se servent mutuellement d'excitations les uns aux autres : ilsse composent et se suivent au mieux des besoins de la vie. On trouve l le premier casde l'automatisme physiologique, dont la prodigieuse activit du cur, si nergique, siinfatigable, et si bien rythm, nous donne l'exemple le plus clatant (BAUDIN : 536).

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    Le Style oral rythmique et mnmotechniquechez les Verbo-moteurs

    - II -

    Intervalles entre les Explosionsnergtiques :

    le Rythme physiologique.

    Retour la table des matires

    Aucun fait n'est plus familier au physiologiste que le caractre rythmique d'ungrand nombre de gestes physiologiques (BOLTON : 149). Depuis la fin du XIXesicle, depuis le commencement de celui-ci surtout, on parle beaucoup de rythme,constamment, tout propos, et bien souvent hors de propos. On sait vaguement cequ'il peut tre, on le sent plus vaguement encore, et, plus la conception qu'on en ademeure nbuleuse, plus il semble que l'on nourrisse pour lui un respect ml deftichisme. On le considre comme une sorte de divinit tout faire, prte accom-plir tous les miracles, pourvu qu'on invoque son nom : Rythme, Eurythmie sont desmots bien sonnants ; les profrer on s'admire soi-mme et l'on pense aussi sepousser dans l'estime du voisin... Il y a certains vocables venus du grec ou, du latin,qui agissent ainsi, semble-t-on croire, comme le parapharagaramus des magiciens,rien qu' vibrer dans l'air ou tre tracs dans l'espace.

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    Rythmique est de ces mots. Nous voyons peu peu, tous les critiques, toutbout de champ, clbrer le rythme des vers ou de la prose, [du grec du NouveauTestament], de la peinture ou de la sculpture, de la musique ou de l'architecture deleurs contemporains et cela tort et travers ; parfois prcisment quand on se trouveen prsence des uvres les moins rythmes du monde.

    Il faut bien parler, et rythme , comme valeur et comme volume ,donne tout de suite au discours un petit air de comptence. Un cours de culturephysique surtout se croirait dshonor s'il ne s'intitulait rythmique et l'on n'enseigneplus une danse, qu'on ne l'affirme noblement danse rythme .

    Je voudrais bien savoir comment des danses pourraient ne pas l'tre. L'humbleet plbienne polka, avec ses deux croches et sa noire, est la plus rythme de toutes ;et prcisment celles que l'on intitule de la sorte sont gnralement celles quis'loignent le plus d'une cadence simple et facilement perceptible, d'une accentuationfranche et nette...

    Aucune activit de la matire ne peut chapper au rythme (DUDINE : B, 54-55, 60). Dans la nature physique, les phnomnes prennent trs souvent, sinonuniversellement, la forme rythmique. Il y a un retour [mathmatiquement] priodiqued'un certain phnomne, quelquefois accompagn par d'autres, et qui se poursuit sanscesse. Soit dans le vaste champ de l'univers, soit sur la terre, le mouvement estgnralement priodique. La lumire, la chaleur, le son et probablement l'lectricit,se propagent sous la forme de vagues. HERBERT SPENCER a trait ce sujet dans sesPremiers Principes (215 et suiv.) au long et au large et a laiss peu de chose ajouter.Quoiqu'il ne le dise pas en termes aussi formels, il semble bien considrer larythmicit comme la seule forme possible de l'activit : le mouvement continu est uneimpossibilit (BOLTON : 146-147). Le rythme sous toutes ses formes remonte[ainsi] sans aucun doute un premier principe, unique et universel (VERRIER : A, II,69).

    Si nous nous levons de l'existence inorganique la vie organique et anime, lerythme nous y apparat comme une condition essentielle, rythme intensif [des explo-sions successives de]... l'nergie vitale [qui] s'lve et s'abaisse par vagues gales [oudu moins quivalentes] (VERRIER : A, II, 70). En physiologie, la rythmicitsignifie, en effet, l'alternance [non plus mathmatiquement, mais, pourrait-on dire,vitalement] rgulire de priodes d'activit et des priodes de repos ou de moindreactivit... (BOLTON : 149). Il faut, ici surtout, rappeler une notion de mthodeimportante dans les tudes de psychologie. On s'est mis en tte bien souvent que lapsychologie devait devenir tout fait scientifique, qu'il fallait changer absolumentl'ancienne philosophie et adopter des mesures mathmatiques comme on le fait enastronomie. Je crois qu'il y a l un grand malheur et, au fond, une grande erreur : lesphnomnes que nous avons tudier dans l'univers ne sont pas du tout identiques lesuns aux autres. Si ces phnomnes taient identiques, il n'y aurait partout qu'une seuleet mme science. Les sciences se sont distingues les unes des autres par desncessits pratiques ; il a t impossible d'tudier la biologie de la mme manire quel'astronomie, parce que, que nous le voulions ou non, les tres vivants ne secomportent pas devant nous exactement comme des plantes. Il y a des diffrencesdans les faits (JANET : B).

    Or, comme l'observation attentive de la nature donne toujours au del de nosesprances (ROUSSELOT : B, 7), observons attentivement ces diffrences dans les

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    faits . L'tre vivant est une machine, [mais une machine vivante], une machine quiaccumule des forces et qui dpense ses forces. Mais il faut des rgulations de ladpense des forces (JANET : B). La cellule nerveuse se les donne elle-mme : ilfaut reconnatre que la tendance des mouvements l'alternance priodique a desracines profondes dans le mtabolisme la fois matriel et dynamique des cellulesvivantes, dont on pourra, si l'on veut, rattacher le rythme au rythme universel deSpencer ou d'Aristote. Voici, cet gard, ce qui doit se passer dans l'organisme. Dansl'tat normal d'quilibre, le procs mtabolique est autonome, et dj priodique. S'ilintervient un stimulant exceptionnel, la dsassimilation augmente, entranant uneperte d'nergie, une diminution de la facult de se dtriorer, et, par suite, de l'excita-bilit, et produisant mme de l'intoxication, tous phnomnes qui caractrisent lafatigue. Cependant, par un mcanisme de dfense, la dsassimilation provoque spon-tanment des procs compensatoires d'assimilation, surtout la faveur des pauses,quand il y en a ; parfois mme cette rcupration est plus grande que la perte subie.Cest ainsi que l'activit alternante se dfend contre la fatigue (LANDRY : 57).

    Ces priodes d'explosion nerveuse suivies de repos peuvent se succder de trsbrefs intervalles, comme dans le cas d'une contraction clonique du muscle, ou detrs grands intervalles... , (BOLTON : 149) suivant l'chelle de nos gestes micros-copiques ou macroscopiques . Comme mouvements, corporels, [comme gestes], iln'y a pas seulement ceux des bras ou des jambes ; notre physionomie, par exemple,l'expression de notre visage, [est] rgie par un rythme beaucoup plus subtil. plusforte raison, au fur et mesure que [lon] passe du domaine moteur apparent dans ledomaine moteur intrieur , dans les gesticulations microscopiques de nos tatsd'me , la priode des rythmes s'abrge normment (DUDINE : A, 97). Plu-sieurs des gesticulations des organes vitaux les plus importants sont nettementrythmiques et peuvent servir de type tous les rythmes physiologiques. Nous pou-vons citer, entre autres, le pouls, la respiration. Ce sont des gesticulations involon-taires (BOLTON : 149). Le systme nerveux [activant ces gestes] est susceptibled'une certaine tension statique qu'il ne peut dpasser sans qu'il se produise unedcharge (FR : A, 108).

    Notre organisme, form ainsi d'une infinit de rythmes automatiques priodicitdiverse, ressemble un peu cette estrade o voluent les lves de Jaques-Dalcroze : Les enfants, repartis en quatre groupes, se sont couchs sur le plancher. La musiqueva reprendre, avec des rythmes diffrents, mais chacun des groupes est affect unrythme spcial. Le premier devra prter attention aux mlodies en blanches (2 temps),le deuxime celles en noires (1 temps), le troisime celles en croches (un demi-temps), le quatrime ce rythme spcial appel par Jaques le sautill , et constitupar une croche pointe suivie d'une double croche (3/4 de temps et 1/4 de temps. Cerythme rappelle assez celui d'une balle de caoutchouc qui, aprs une longuetrajectoire, a un court rebondissement).

    Le piano commence jouer un air lent en blanches. Aussitt, de la massecouche, un groupe s'lve, et, dans ses volutions, se met dessiner le rythmepesant. Mais, au sein du motif musical attard et rampant, voil qu'un autre plus vif,en noires, s'agite, peu peu se dgage, un nouveau groupe a surgi, marche pas pluspresss, hache la scne dans tous les sens, et semble, de son mouvement nouveau etimprvu, faire rentrer dans la terre le groupe des blanches mal dgrossies. Ilsmarchent toujours ; mais la musique s'impatiente. Soudain sur ces tres encore troplents tombe une pluie de croches : elle les cingle, les abat comme des insectes, et, enmme temps, suscite une nue de nouveaux-venus, lgers, et, dans leur course rapide,

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    touchant peine le sol. Mais alors, sur eux, retentit comme une trombe le rythmemartel du sautill ; ils disparaissent leur tour, et la scne est couverte d'enfantsexcutant des sauts fantastiques, sorte de danse de faunes, et comme le premierpressentiment d'une volont libre et capricieuse aprs la monotonie des rythmesrguliers. Le rythme est plusieurs fois modifi, et, chaque changement, le groupeappropri surgit, et un autre disparat , (BERTEVAL : 125). Ainsi dansent en nous,mais simultanment, toutes nos gesticulations rflexes.

    Cette danse existe chez tous les tres vivants et sera d'autant plus parfaite chezl'homme qu'il se rapprochera de l'animal, c'est--dire que sera carte l'activitsuprieure de l'esprit, perturbatrice des oprations automatiques. Cette influence per-turbatrice, c'est l'attention [volontaire] que nous dfinirons une force de tension .Cette force a, chez chacun de nous, une quation personnelle, de sorte qu'en dernireanalyse, c'est le degr de puissance de l'attention qui viendrait dterminer le rythmed'ondulation, [d'explosion] de la cellule nerveuse [dans une systmatisation ges-tuelle] (BOS : 289). Mais l aussi, l surtout,

    Chassez le naturel, il revient au galop.

    Au cours de l'tude exprimentale tendue, faite par Margaret Keiver aulaboratoire de Meumann, Zurich, en vue de dterminer l'influence du rythme sur letravail corporel et spirituel, on a choisi, comme travaux presque exclusivementcorporels, le travail ergographique et la reproduction d'un signe graphique dter-min... Le projet de l'auteur tait de comparer ces divers genres de travail avec ousans rythme. Les expriences ergographiques n'ont donn aucun rsultat, car lessujets, non habitus pourtant l'ergographe, ont tout de suite fait des mouvementssuivant un rythme spontan, ce qui rendait toute comparaison impossible. dire vrai,il en est presque de mme dans les autres expriences : tantt les mouvements sontrgls par les battements d'un mtronome, tantt ils sont libres, [donc perturbs parl'attention volontaire]. Mais dans le second cas, on observe que les sujets suivent unrythme spontanment choisi. Par suite, les expriences permettent de voir seulementsi le rythme impos par le mtronome [extrieur] est plus favorable au travail que lerythme naturel [du mtronome intrieur] (FOUCAULT : A, 673-674). Lesexpriences d'Awramoff sur le travail ergographique, les mouvements tant libres,montrent [galement] que chaque sujet choisit spontanment son rythme et y demeurepassablement fidle (FOUCAULT : B, 443). Cette explosion nerveuse, laquelleviennent se subordonner priodiquement les gestes intermdiaires, n'est pas spcialeaux mouvements simples et rguliers. Les gesticulations complexes nous prsententaussi partout de semblables groupements. Les lettres de l'alphabet crites sparmentavec une plume, des syllabes et des mots taps la machine crire et, mieux quetout, des mots prononcs nous font prendre sur le vif cette subordination d'une sriede gestes qui utilisent l'nergie nerveuse d'une explosion (STETSON : 296-297). Lavoix est le rsultat de la lutte qui s'exerce certains points dtermins entre lesorganes de la parole et la pousse de l'air chass par les poumons. Il est donc naturelque nous observions... la colonne d'air qui est employe pour chaque son et pour unmme son dans les diffrentes places qu'il peut occuper dans les groupes vocaux,[dans les gestes laryngo-buccaux].

    N'aurait-elle d'autre intrt que celui de mieux faire connatre le mcanisme, [lagesticulation] de la parole, cette tude mriterait notre attention. Mais elle a un intrt

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    qui dpasse les limites d'une simple description : elle nous fournit des donnes pourjuger du travail relatif, [de l'nergie nerveuse] qu'exige la production des sons.

    ...Rien n'est moins fixe que le volume d'air que nous employons dans la parole.Il varie... dans chaque individu suivant le degr de force, [d'nergie nerveuse] qu'ildonne sa parole tant pour le chuchotement que pour la voix haute...

    Les sinuosits des tracs de la colonne d'air parlante suffiraient presque euxseuls pour dcomposer tous les sons qui entrent dans un groupe. Image fidle de lamarche du souffle, elles traduisent tous les mouvements, les accroissements, les arrtssoutenus, les diminutions momentanes et les interruptions compltes... Mais le plusgrand intrt que prsente l'tude du souffle mis pour les groupes de sons rside dansla recherche de l'accent d'intensit, [de l'instant de l'explosion nergtique]. Lestracs, en effet, nous permettent de le dcouvrir. Si nous mettons des groupes com-poss d'une mme syllabe rpte, et que nous frappions d'une intensit, [d'uneexplosion nergtique] voulue l'une d'elles, les tracs montrent... que c'est cettesyllabe qui est produite par la colonne d'air la plus considrable et la plus rapide.

    Cette constatation faite, il ne reste plus qu' comparer entre elles les syllabes degroupes forms de la mme faon et prononcs l'ordinaire, d'abord isolment,ensuite dans des phrases ayant un sens.

    Examinons d'abord les groupes artificiels. Ce sont ceux qui prsentent lacombinaison la plus simple, et o, pour diffrencier des syllabes intentionnellementgales, agissent seules, les lois de notre organisme, [les explosions, automatiques del'nergie nerveuse].

    [Soit par exemple :] papapapapapapa... Dans les groupes de plus de quatresyllabes, sur 15 cas : - - 14 fois, les atones tant sensiblement gales 11 fois, lapnultime plus faible 4 fois, l'initiale ayant t la plus intense 6 fois ; 1fois ; sur 8 cas : 3 fois, - avec la pnultime la plus faible 4, fois, - avec l'initiale la plus faible 1 fois.

    J'ai encore relev : -

    avec l'intensit croissantjusqu' la 3e syllabe,

    - - -

    la 5e tant plus faible que la 4e,

    -

    les 5e et 6e syllabes tant gales.

    Dans une srie d'missions que l'on croit gales, le souffle, [ou mieux lagesticulation qui le commande,] obit donc une loi rythmique suivant laquelle uneffort succde en gnral une relche, [une simple utilisation de l'nergie projete,jusqu' ce que l'puisement complet fasse sentir le besoin d'une autre explosion. Del,]... nous avons... dans les groupes de deux syllabes, sur 155 cas : 125 fois, 30 fois. Mais il faut noter que cette dernire forme n'est frquente qu' certains jours :5 fois sur 7 la fin d'une sance (juillet 1889), 7 fois sur 20 et 6 fois sur 30 (dcembre

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    1890). Elle concorde avec un moment de fatigue, o l'organisme puis ne peut plusdisposer d'nergie pour le geste initial qu'en en faisant immdiatement exploser] (ROUSSELOT : B, 61-72. Cf. JANET : B).

    La tendance l'isochronisme , si attentivement tudie par M. Verrier, ne sefera donc sentir rellement qu' partir de

    16 [450]la premire explosion, de la premire pulsation intensive du rythme organique

    qui contracte les muscles et fait instinctivement frapper du pied ou battre des mains : les intervalles ou units rythmiques, [les coups de pied, (mot grec)] les mesures,commencent l. Le peu d'nergie dont disposait auparavant l'organisme a amorc legeste : cette amorce de geste, c'est l'anacruse (VERRIER : B, 295 ; A, I, 191).

    With h/awk and h/orse and h/unting-sp/ear Intervalles... en cs : 57,5 56,8 60,0

    Si nous exprimons la dure [des intervalles d'explosion] en fonction de leurunit, nous trouvons... en nombres ronds :

    1 1 1 (VERRIER : A, III, 215-216).

    Nous avons bien, ici, comme pour les doigts du dactylographe, comme pour leslves de Jaques-Dalcroze, une danse, danse de l'appareil moteur de la respiration etde tous les muscles de l'articulation verbale,... expression de cette harmonie profondeet de ce besoin gnral et mystrieux de l'alternance, des pousses, des retenues et desretours, qui appartient tout notre systme nerveux moteur (VERRIEST : 136). Oncomprend que d'Homre Lucien et Plutarque, tous les crivains de la Grceconfondent dans une mme appellation les danseurs proprement dits, les joueurs deballe, les acrobates, les femmes qui marchent sur les mains, etc. Le (mot grec) ( -danseurs) prend ainsi une acception trs tendue. Cela tient ce que le rythme,intervenant comme rgulateur, s'appliquait aux jeux aussi bien qu' la danse, auxexercices de la palestre comme aux volutions savantes des Churs.

    Les rameurs qui, sur les galres, manuvrent en cadence, suivant le rythme queleur marque la flte du triraulte, les ouvriers de l'arsenal qui travaillent au son desfifres, l'orateur qui scande ses priodes et ses gestes, sont tous, dans une certainemesure, des danseurs, si l'on prend le mot dans le sens trs large qu'il avait chez lesGrecs. La puissance du rythme on pourrait dire la croyance au rythme tait siuniversellement accepte, que la Grce faisait parler ses oracles en [rythme, on verrapourquoi plus loin,] et que plusieurs fois, dans le cours de son histoire, elle a ralis lalgende de la lyre d'Amphion : paminondas fit construire les murailles de Messneau son des fltes botiennes qui jouaient les airs fortement rythms de Sakadas et dePronomos ; Lysandre fit dmolir les murs du Pire au son de la flte (EMMANUEL :275). De nos jours encore, dans les pays d'Orient, en Afrique et en Asie, c'est[instinctivement] en mesure, pour allger la fatigue de ces longs et pnibles travaux,qu'on moud le bl dans les moulins main, qu'on pile le couscous ou le pilau, qu'oncharge les chameaux, qu'on pousse la rame les barques pesantes, qu'on porte lepalanquin (VERRIER : A, II, 78). Nous l'avons vu plus haut, une explosion

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    [sonore] fait tressaillir des pieds la tte. La moindre sensation nous donne unesecousse identique quoique invisible : si nous ne la sentons pas toujours, cela tient ce qu'elle est trop fine ou que notre sensibilit ne l'est pas assez (JAMES : II, 372). La diffusion nerveuse est comparable la propagation du courant lectrique travers un rseau de fils conducteurs. Si, en certains points des fils, se trouvent desmoteurs, ils sont actionns en une certaine mesure ds que le courant d'nergiepntre dans le rseau. Il en va de mme du courant nerveux provoqu parl'excitation ; peine introduit dans le rseau nerveux, il s'y rpand de toutes parts,actionnant les organes et les viscres auxquels aboutissent les filets nerveux. Etcomme la plus infime partie de l'organisme est relie par des nerfs au systme ner-veux central, on peut hardiment dire que toute excitation tend mettre en mouvement dans des limites indfiniment variables l'organisme tout entier (BOURGUS etDENRAZ : 7-8).

    Puisque toute [rception] tend branler tout l'organisme, on peut la considrercomme... [un dtonateur], comme une dynamognie (8).

    tymologiquement dynamognie signifie cration ou acquisition de force. Nousprenons ce mot dans le sens de dgagement ou d'occasion de dgagement de forcedans l'individu. Donc, ne pas confondre la dynamognie avec l'augmentation de laprovision d'nergie qui rsulte, par exemple, de la nutrition. La dynamognie dgagement d'nergie est un accroissement momentan, mais en fin de compte uneconsommation d'nergie.

    [Sans doute],... des excitations... partent continuellement des divers points ducorps (tant ceux de l'intrieur muscles, vaisseaux, glandes, viscres, etc. que ceuxen contact avec l'extrieur piderme, tympan, rtine, fosses nasales, etc.) (7). Maisc'est la rception sonore en particulier [qui] dynamognise l'organisme. Les effetsdynamognes des [rceptions] sonores ont fait l'objet d'expriences tout faitconcluantes... Comme la dynamognisation des muscles entrane toutes sortes deconsquences dans les organes et les vaisseaux qu'ils rgentent, on ne s'tonnera pasd'apprendre que le bruit du tambour prcipite l'coulement d'une veine ouverte, ainsique l'a constat Haller ; ni qu'un sujet tant tendu puis endormi sur une planche bascule, le bruit d'une chaise remue lgrement suffise pour faire affluer le sang son cerveau, et pencher la bascule du ct de la tte pendant plusieurs minutes(exprience de Mosso) (8). La [rception] sonore, en dynamognisant l'organisme,exalte toutes ses activits, augmente en quelque sorte sa capacit vitale [etintellectuelle]. La conscience ressent globalement tous ces profits sous l'espce deplaisir. Le plaisir n'est autre chose que la conscience d'une dynamognie (9).

    Aussi, chez tous les peuples qui n'ont pas perdu leur spontanit naturelle, quine sont pas, comme nous, des dissocis, sans tre pour cela des primitifs, mot quidoit disparatre du vocabulaire de tout savant (MAUSS), pour s'exciter la tche,on accompagne et on renforce presque toujours le rythme du travail en chantantquelque chanson approprie cette tche et adapte ce rythme. Chaque genred'occupation a donc sa chanson, qui ne pourra servir pour un autre de rythmediffrent (VERRIER : A, II 78). L encore, dans cet immense laboratoire ethnique,sans avoir besoin du long et minutieux travail de MM. Mller et Schumann, [on ainstinctivement constat] que le rythme a une influence marque sur la mmorisa-tion ; cette conclusion [des expriences des deux psychologues], comme beaucoupd'autres conclusions donnes par la psychologie exprimentale, n'est [donc] pasabsolument neuve ; on sait depuis toujours que [certaines phrases fortement

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    rythmes]... se retiennent plus aisment que la prose [de la conversation, moinsnettement rythme, elle] (VAN BIERVLIET : 27). Selon la mthode de l'Orient,...l'enfant... rpte en cadence avec ses petits camarades [la rcitation de ces phrases],jusqu' ce qu'il les sache par cur (RENAN : 31, B). Certes, c'est bien l'Orient,cette gesticulation, ces cris, ces balancements, ces phrases obstinment rptes sur lemme rythme monotone (THARAUD : 771), mais c'est aussi, nous le verrons, ladidactique profondment, universellement conforme aux lois de l'organisme humain,lois dissocies chez l'adulte civilis [dont] les mouvements, qu'entrane le rythmedynamognique [et mnmonique, sont] inhibs par des habitudes d'ducation et latyrannie des convenances (BOURGUS et DENRAZ : 20). Ce que l'on ignorait [ausujet du rythme], c'est l'importance de cet adjuvant de la mmoire. Les travaux depsychologie exprimentale sont surtout des analyses quantitatives, et dterminentexactement, permettent d'exprimer en chiffres l'importance de chacun des facteurs quijouent un rle dans la vie intellectuelle (VAN BIERVLIET : 27). Il reste [donc]certain que la tendance au rythme est une manifestation primaire du cerveau humain,manifestation qui plonge ses racines dans la vie organique elle-mme. Aussi biencette tendance doit-elle tre l'une des dernires disparatre sous l'influence d'unedchance ou d'une volution incomplte de l'esprit, [ce rgulateur et perturbateurvolontaire des explosions nergtiques] (ANTHEAUME et DROMARD : 160). Le rledu rythme dans la traduction des excitations psychiques qui ne sont point domptespar la volont consciente peut se dduire de la verve de certains ivrognes et desaffirmations spontanes de divers alins... Le rythme se prsente d'ailleurs commeune expression courante, fondamentale mme, de la vie des dgnrs. Les mouve-ments strotyps, se rptant suivant un rythme plus ou moins rgulier et monotone,constituent toute l'activit motrice de quelques idiots. La prdominance des facultsexigeant des dispositions rythmiques est relate dans tous les ouvrages sur lesarrirs. La notion de la cadence musicale est souvent la seule persistante chez cesmalheureux : un bruit cadenc reprsente pour eux la sensation de luxe par excellenceet rsume tout le domaine de l'art (161). Tous ceux qui visitent, mme la hte,un asile d'alins, remarquent la frquence des chants, des cris [scands], et

    Voci alte e fioche e suon di man con elle (Dante).

    (LOMBROSO : 341).C'est le balancier du rythme de la vie abandonn lui-mme. Nous pourrons

    [donc] substituer la phrase clbre de Hans de Blow : Au commencement tait leRythme , [non seulement] la formule la fois plus prcise et plus gnrale : Aucommencement tait le Geste (D'UDINE : A, 86), mais l'expression de la synthsevivante :

    Au commencement tait le Geste rythmique.

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    - III -

    La Gesticulation rflexe et mimiquede la Rception.

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    toute rception, en prsence d'un objet, notre corps tout entier [ragit par unegesticulation plus ou moins visible] et prend une attitude qui l'imite (WUNDT. Cf.DELACROIX : A, 6). Ces jeux de nerfs... ont une importance dont nous pouvons peine saisir la porte. Leur dmonstration jette, un jour imprvu sur la physiologie descentres nerveux et de l'appareil moteur. notre insu, tout ce que nous voyons seprojette instantanment dans notre musculature (VERRIEST : 46). Le spectateur dessances d'escrime suit chaque mouvement d'attaque et de dfense et chacun de cesmouvements passe, comme un clair, dans sa propre musculature. Tout son corps estparcouru d'ondes motrices ; c'est lui-mme qui lutte, qui attaque, qui pare, qui vaincou succombe. Les sensations associes d'aise et de bien-tre dans les mouvementsjustes, d'embarras et de peine dans les mouvements faux, s'veillent en lui au mmetitre que dans les lutteurs eux-mmes (44). Lorsque notre il suit le jeu mimiqued'un acteur sur la scne, tous les mouvements que fait celui-ci se projettent dans notrepropre corps avec une intensit variable d'aprs notre excitabilit individuelle etd'aprs notre tat momentan d'excitation (45). Le degr de dynamognie, [quiaccentue plus ou moins la gesticulation mimique rflexe], ne dpend pas seulement,

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    [en effet], du degr d'excitation, mais aussi, et en une trs notable partie, du degrd'excitabilit, autrement dit d'irritabilit, de sensibilit de l'organisme excit. Ladynamognie semble tre un phnomne complmentaire de l'excitabilit. Un orga-nisme est d'autant plus dynamogne qu'il est plus excitable. Et comme d'autre part, ilest d'autant plus excitable qu'il est plus en dficit, plus appauvri, plus menac, nousarrivons cette conclusion premire vue bizarre, que l'organisme est d'autant plussusceptible de dynamognie qu'il est plus appauvri... Jusque dans le domaine desvgtaux cette corrlation semble se vrifier. Des sensitives, nourries dans un terraingras, deviennent si peu irritables qu'elles ne ragissent mme pas des coups debton ; celles, au contraire, qui sont nourries dans un terrain maigre et se trouvent, parconsquent, en dficit constant, deviennent extrmement irritables, et dynamognesau point de se replier ds qu'on chuchote dans leur voisinage (BOURGUS etDENRAZ : 8-9). Nous connaissons le genus irritabile vatum dont lun a dit :

    Mon me aux mille voix que le Dieu que j'adoreMit au centre de tout comme un cho sonore.

    Nous trouverons, au cours de cette tude, des tempraments de Rythmeurs dontl'allure dynamognies extrmes est prcisment dtermine par une sensibilit trsveille due l'appauvrissement accidentel ou la dbilit congnitale de leurorganisme. Les adeptes de Lombroso auront rflchir sur ce point : qu'une certainedbilit physiologique, en dveloppant d'autant l'excitabilit, est capable de produiredes dynamognies plus fortes peut-tre que ne le peut l'nergie propre d'un organismerichement constitu. Au lieu de disqualifier la nervosit du gnie, ne faudrait-ilpas y voir, au contraire, un type d'humanit future, physiologiquement appauvrie etpsychologiquement resplendissante, [vibrante] (BOURGUS et DENRAZ : 9). M'tant mis l'cole de M. Dalcroze, je puis affirmer exprimentalementaujourd'hui, dit M. J. DUDINE, que non seulement nous pouvons danser tous lesrythmes macroscopiques d'un morceau de musique, mais qu'en cultivant en fonctionde la musique notre sens des attitudes segmentaires, nous pouvons encore traduire, aumoyen de celles-ci, jusqu'aux modifications rythmiques trs petite chelle , quicaractrisent les rsonances de nos tissus collodaux sous l'empire de nos diversesactivits sensorielles. Finalement j'en arrive mme considrer le tempramentcrateur comme une fonction de cette facult imitatrice : TOUT GNIE ARTISTIQUE ESTUN MIME SPCIALIS (A, XVI-XVII). C'est ainsi que, lorsque le jeu de l'acteur estpuissant, l'identification du spectateur avec lacteur et par lui avec le hros du dramedevient complte. C'est cette projection [gestuelle] qui se trouve la base de nosmotions sensibles les plus profondes (VERRIEST : 45).

    Par l s'explique la spontanit de la gesticulation et de la mimique, quel'ducation nous amne refrner, et qui ne sont que des ralisations immdiates [derceptions], d'ides en mouvements. Par l s'explique surtout la toute-puissance del'imitation... [Chez l'enfant, la rception] s'achve automatiquement en ralisation.Ainsi refait-il spontanment ce qu'il voit faire ; ... il y a de la mimique et de la repro-duction mcaniques la base de la plupart de ses imitations (BAUDIN : 562).

    Ces tendances imitatrices ne se manifestent clairement au dehors qu' la condi-tion que l'impression... puisse agir sans contrainte (FINNBOGASON : 42), et si,comme l'ont fait remarquer Ch. Bell, Darwin, etc., les enfants expriment [les rcep-tions et] les motions avec une nergie extraordinaire, c'est parce qu'ils ragissent

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    exclusivement et sans correction l'excitation actuelle (FR : A, 93). L'ducationtend refrner nos tendances imitatrices, et, en effet, elles se manifestent plusfortement chez les enfants que chez les adultes (FINNBOGASON : 43). Il estcertain... que toute l'ducation mondaine, que le raffinement de la civilit sinon de lacivilisation moderne tendent attnuer l'intensit, l'amplitude et la frquence desgestes d'expression spontans. Henri, ne montre pas du doigt les objets ni surtout lespersonnes que tu veux dsigner ! Je t'en prie, Marthe, ne ris pas si fort ; c'estinconvenant ! Fernand, ne saute pas ainsi pour faire voir que tu es content de tabicyclette ; remercie ton oncle sans pousser toutes ces exclamations ! Suzanne, monenfant, ne cours pas comme cela ! tu es trop grande, je t'assure. Tu peux bienadmirer ce tableau, Franois, sans lever les bras au ciel. Voyons, Louise, nem'embrasse pas dans la rue ; tu n'as plus dix ans, tout de mme ! Que signifient ceslarmes, Marcel ? un homme ne doit pas pleurer. Voil des phrases que nous enten-dons chaque jour et nous voyons les personnes qui se prtendent le plus volues affecter volontiers une impassibilit motrice aussi complte que possible, qui setraduit par des attitudes guindes, par des volutions saccades, quand l'immobilitleur devient impossible et, pour ainsi dire, par une moue constante de tout le corps,qui les rend peut-tre fort distingues mais parfaitement inexpressives, moroses,ennuyeuses... (DUDINE : B, 13-14).

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    - IV -

    La Revivification spontanedes Gestes passs.

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    Toute rception, interne ou externe, dclenche donc dans l'organisme uncomplexus dont les lments kinesthsiques, [gestes oculaires, auriculaires, manuels,etc.,] forment la portion stable, rsistante... Ils assurent la permanence. Quand nosexpriences, [nos gesticulations] passes sont ensevelies en nous et pourtantsubsistent et mme agissent (les faits le prouvent) que peut-il rester d'elles sinon laportion qui en est le tissu de soutien , celle qui se passe le plus aisment de laconscience ? C'est elle, [c'est cette infinit d'anciens gestes tendus sous le seuil de laconscience et se dclenchant les uns les autres], qui rend possible la [revivification]totale des tats passs et de leurs multiples rapports (RIBOT : C, 19 ; DRAGHICESCO :333). Nous emploierons, aprs DRAGHICESCO, ce terme de Revivification et celui deReviviscence au lieu d'Imagination et Image : Il est indispensable de renoncer lancienne thorie des images et de leurs centres. On a fait de ces lments desgroupes de clichs immuables dont la conception, purement thorique d'ailleurs,n'claircit en rien le mcanisme de la pense. Les images n'existent pas. Ce terme doitdisparatre de notre langue (MOUTIER : 248). Les phmres images motrices, lesdernires venues, ont entran avec elles, dans leur chute rapide, toute l'inutile

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    construction de l'Imagerie. Car l'activit motrice, [la gesticulation perptuelle,macroscopique ou microscopique, ] pntre la psychologie tout entire (RIBOT : C,1) du compos humain. Aristote l'a dit depuis longtemps, mais naturellement avecl'une de ces mtaphores visuelles si dangereuses en psychologie scientifique coutumires aux Hellnes dont la gesticulation oculaire, hypertrophie par les clairssoleils de l'Attique, favorisa tellement la transposition du vocabulaire grec sur lemode lumineux (Cf. CROISET : I, 12) : citation grecque Ce qu'on pourrait,croyons-nous, sympathiquement traduire sans trahir : Chez l'homme, il n'est pointde pense qui ne soit incarne dans un lment moteur, ractionnel ou reviviscent ,cette motricit affectant d'ailleurs plus ou moins fortement et consciemment telle outelle partie de l'organisme. Aristote, en effet, s'est avr, dans l'ensemble,psychologue trop prudemment perspicace et mme, avant la lettre, exprimental, pourqu'on le souponne de s'tre arrt une de ces gnralisations exclusives que le DrSAINT-PAUL a justement signales M. EGGER a fait, le premier, une descriptionscientifique du verbo-auditif, [type d'homme qui, pour penser, se sert, non pasexclusivement, mais plus aisment, de gestes verbaux auriculaires]. Il me parat justede lui donner acte de la conviction, dans laquelle il persiste, d'avoir port laconnaissance des savants non pas un procd endophasique particulirement not parcertains sujets, mais bien, en faisant connatre la parole intrieure, d'avoir nonc uneloi de valeur gnrale, actuellement applicable tous les hommes normaux, sansdistinction (100-101)... L'ouvrage de M. STRICKER est le chef-d'uvre de l'observa-tion introspective. Il est indniable que son auteur, en l'crivant, a parfois cru noterdes faits d'une valeur gnrale, et non pas seulement faire connatre un type [verbo-moteur] dont ne relvent qu'un certain nombre de personnes... Il est juste dereconnatre que M. STRICKER emploie la forme personnelle et ne dcrit gnralementque ce qui le concerne ; la lecture de son ouvrage donne nanmoins l'impressionformelle qu'il considre, comme applicables tous, beaucoup des phnomnes qu'il aobservs sur lui d'une faon si remarquable (118). [Avant l'arrive de moninstitutrice], avoue ingnument Helen KELLER, quand je dsirais de la crme glace,que j'aimais beaucoup, je sentais sur ma langue un got dlicieux (que, soit dit enpassant, je n'ai jamais retrouv depuis), et, dans ma main, la poigne de la glacire ; jefaisais le geste, et ma mre comprenait que je voulais de la crme glace. Je pensais etje dsirais avec mes doigts, et si j'avais fait un homme j'aurais certainement plac soncerveau et son me dans le bout de ses doigts (KELLER : 99). Ainsi donc, sous ladiversit du vocabulaire, tous reconnaissent la prsence et la ncessit des lmentsmoteurs dans la constitution de tous nos tats de conscience (RIBOT : C, 19) ; et si tous ces tats psychologiques sont susceptibles de [revivification] (REY : 74), cetterevivification possible d'une rception est, gnralement, en raison directe de sacomplexit et des lments moteurs qu'elle contient (RIBOT : C, 25). On peutadmettre avec Herbart que tous [les gestes] ont une tendance se conserver, subsister dans la conscience, et qu'ils ne rencontrent en cela d'obstacle que dansl'apparition d'autres [gestes] ayant la mme tendance ; tous ils reviennent d'eux-mmes, ds qu'ils ne sont plus refouls par les autres (REY : 74), de mme qu'unressort de montre enroul sur lui-mme se dtend aussitt qu'on cesse de lecomprimer. Le rveil est une reproduction de ce genre, puisqu'on retrouve de suite les[reviviscences] du jour prcdent, ds que l'influence d'arrt, exerce par le sommeil,n'existe plus. Mme lorsqu'une [gesticulation] parait entirement oublie, il ne fautpas la considrer pour cela comme tout fait disparue ; elle [est tendue] sous le seuilde la conscience, et, si l'occasion s'en prsente, peut revenir la lumire (HFFDING : 186).

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    Ce premier degr d'activation [d'un geste] peut tre appel l'tat de latence :c'est l'tat dans lequel sont les tendances qui existent dans l'individu sous forme dedispositions de certains actes, mais qui ne dterminent pas actuellement l'apparitionde ces actes un degr perceptible, [mme avec l'aide d'appareils enregistreurs etamplificateurs]. Il ne faut pas croire cependant qu'une tendance l'tat latent soitidentique une tendance nulle ou une tendance disparue compltement (JANET :A, 923). Or, nous ne pouvons dire d'aucune [gesticulation passe] qu'elle aitcompltement disparu de la conscience (HFFDING : 187).

    Un second degr d'activation est plus important : il est caractris par ce fait quela tendance en se ralisant prend la forme de pense intrieure. D'ordinaire, unetendance, [une gesticulation], en se ralisant, donne naissance une action quimodifie assez l'attitude et le mouvement des membres pour que ceux-ci dterminentdes ractions chez les autres hommes spectateurs ou auditeurs... On dit alors que latendance, [la reviviscence gestuelle], se manifeste par des actions perceptibles, qu'elleest extrieure. Mais la mme tendance peut se raliser d'une autre manire, enmodifiant si peu les attitudes et les mouvements des sujets que les assistants nedistinguent rien et ne peuvent pas ragir cette action qui n'a t ni perceptible, niextrieure. Cependant cette action, [cette reviviscence gestuelle] a t assez forte pourfaire natre dans le sujet lui-mme des ractions tout fait analogues aux prc-dentes... Ces ractions du sujet lui-mme ses propres actions constituent desphnomnes bien connus : ce sont les phnomnes de la conscience, qui peuventd'ailleurs apparatre propos d'actions compltes, perceptibles galement aux autreshommes. Mais ce qui caractrise la pense intrieure, c'est que ces ractions, [cesgesticulations] de conscience sont les seules que l'action insuffisamment dveloppe,[reviviscente], puisse dterminer.

    Il y a tous les intermdiaires possibles entre les actions extrieures [ougesticulations pousses] et ces actions dites intrieures [ou gesticulations esquisses].[Ainsi, pour la gesticulation laryngo-buccale], les malades nous montrent tous lesintermdiaires entre la parole haute voix, la parole chuchote, le murmure, le fr-missement des lvres et de la langue, enfin la parole en apparence tout faitintrieure. Dans ce dernier cas, se pose un problme important..., le problme de lanature des rceptions qui permettent ces actions si minimes de dterminer lesractions de la conscience. Un autre problme curieux consiste se demander sitoutes les tendances, [toutes les gesticulations] sont galement capables de prendrecette forme de la pense intrieure, [d'esquisse gestuelle consciente]. Il est probableque cela est possible pour un grand nombre d'entre elles, sauf, peut-tre, pour les pluslmentaires... Les souvenirs... ne sont que des [reviviscences gestuelles, desrcitations plus ou moins incompltes de rceptions passes] que nous nous faisons nous-mmes (JANET : A, 923-925). Ainsi, quand nous faisons repasser devantnotre esprit une scne dramatique dont nous avons t tmoins, nous la jouons, ouplus exactement nous la rejouons. De mme] quand nous la racontons... Les enfants,certaines personnes, miment [visiblement] tous leurs rcits, si insignifiants qu'ilssoient, et nous ferions comme eux si nous nous laissions aller, si la crainte de paratrevulgaires, les habitudes de l'ducation, ne nous immobilisaient, ne nous figeaient enpartie, ne modraient l'clat de notre voix, ne tempraient l'ardeur et l'exubrance denos gestes.

    Nous sentons encore la force impulsive des [reviviscences] alors que nous n'ycdons pas... Ce ne sont pas seulement les reviviscences-souvenirs], ce sont les [revi-viscences composites] que l'esprit construit [avec les fragments des gesticulations

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    passes]..., qui retentissent ainsi dans l'organisme ou se traduisent au dehors par desactes. Nous ne ressuscitons pas seulement... les motions autrefois ressenties avecleurs accompagnements physiologiques et physiques [se dclenchant en leur ordrepremier], nous suscitons encore, [par combinaisons nouvelles de gestes anciens], desmotions nouvelles, des troubles physiologiques profonds, sans prcdents dansnotre vie passe (DUGAS : A, 93-94).

    Nous avons, [en effet], parl jusqu'ici de la [revivification] comme si elle taitexclusivement et surtout reproductrice. En ralit, elle est essentiellement cratrice[ou mieux lectivement abrviatrice et combinatrice] et se montre telle toujours et dsl'origine (196). Une personne qui aurait la facult fcheuse. de tout retenir, quiserait capable de restaurer intgralement le pass, serait absorbe par ce pass, n'enpourrait rien distraire, rien extraire (DUGAS : A, 205). Si, pour atteindre [et fairejouer les reviviscences d']un souvenir lointain, il nous fallait suivre la srie entire destermes [gestuels oculaires, auriculaires, manuels, etc.], qui nous en sparent, lammoire serait impossible, cause de la longueur de l'opration, [de la gesticu-lation] (RIBOT : B, 45). Le Dr Leyden, [par exemple],... pouvait rpter trsexactement un long Act du Parlement ou quelque document semblable qu'il n'avait luqu'une fois. Un ami le flicitant de ce don remarquable, il rpondit que, loin d'tre unavantage, c'tait souvent pour lui un grand inconvnient. Il expliqua que, lorsqu'ilvoulait se rappeler un point particulier dans quelque chose qu'il avait lu, il ne pouvaitle faire qu'en se rptant lui-mme la totalit du morceau depuis le commencement,jusqu' ce qu'il arrivt au point dont il dsirait se souvenir (ABERCROMBIEN cit parRIBOT : B, 45).

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    - V -

    La Revivification volontaire etsmiologique des Gestes mimiques.

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    Les actes, [les gestes d'un tre] vivant, une fois accomplis, tendent s'imitereux-mmes et se recommencer automatiquement (BERGSON : B, 25-26). Cet auto-matisme sert expliquer chez l'homme toutes les activits irrflchies etincontrles, qui ne sont toujours, quant leurs mcanismes, que des activits anima-les. Il rend donc compte d'un trs grand nombre [de nos gesticulations reviviscentesesquisses ou pousses] (BAUDIN : 563). Mais, un moment donn, chez l'homme,apparat la volont proprement dite ou la fonction de direction de l'action par lapense rflchie. [Elle] ralise ses fins et ses plans en se soumettant toute l'instrumen-tation... des rflexes. Elle... ne cre pas de mouvements nouveaux, mais dispose detous les mouvements. Elle a son service tout l'automatisme physiologique (moinscelui de la vie organique, qui lui chappe normalement), et tout l'automatismepsychologique, l'un et l'autre soumis sa libert. Il lui revient de dclencher et dediriger toutes nos [gesticulations]. Mais finalement tout ce qu'elle veut s'excute pardes muscles et des nerfs ; c'est pourquoi son action n'est qu'une manipulation derflexes, merveilleusement multiplis et agencs mesure que s'enrichit la vie. Elleen joue comme [un danseur de ses figures de danse] et compose avec elles [les

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    combinaisons chorgraphiques] des actions qu'elle a conues et dcides (536-537).Aussi l'imitation volontaire de nos propres rflexes, de nos propres mouvements[ractionnels mimiques] et de nos propres attitudes naturelles est-[elle devenuenormalement, universellement], une des lois les plus gnrales [de la smiologie,c'est--dire] de l'expression sociale des motions [et de nos diffrentes attitudesmentales correspondantes], et cette imitation [smiologique] devient trs viteautomatique par l'habitude (DUMAS : 639 ; DE SAUSSURE : 33). La plupart desexpressions [gestuelles], qu'elles s'expliquent par la psychologie, la physiologie ou lamcanique, sont [en effet] devenues des [gesticulations smiologiques] en ce sens quenous les utilisons sans cesse dans la vie sociale pour exprimer des sentiments, [desattitudes mentales], que nous ressentons l'tat faible ou que nous ne ressentons pasdu tout. Le premier rsultat de la vie sociale consiste, sur ce point, faire un signe,[un geste smiologique], de ce qui n'tait qu'un mouvement [ractionnel] pour lanature ; c'est ainsi que les choses se sont manifestement passes pour le sourire ; durflexe facial de la satisfaction et de la joie nous avons fait le sourire conventionnelque nous utilisons comme un geste [smiologique] ; c'tait l'origine une simpleraction mcanique, mais, comme cette raction lgre se produit le plus souvent sousl'influence de la joie, nous en avons fait, par la simple imitation de nous-mmes, lesigne volontaire, [le geste smiologique] de cette motion, [de cette attitudementale] (DUMAS : 638).

    On peut trouver, dans la vie sociale, bien d'autres exemples de cette transfor-mation des rflexes naturels en [gesticulation smiologique] d'abord volontaire puishabituelle, tels la contraction du frontal, signe naturel de l'attention et volontairementreproduite... lorsque nous voulons [faire le geste smiologique :] couter ; l'abaisse-ment des commissures labiales, signe naturel de la tristesse et volontairementreproduit lorsque nous voulons exprimer le dsappointement (639). De mme, simuler la dgustation et faire la grimace : mauvais ; passer rapidement la main surson front avec un haussement d'paules : oublier ; tenir la main sur son cur (gesteuniversel) : aimer (RIBOT : A, 51).

    D'une faon gnrale, on peut dire que la mimique volontaire [smiologique]imite la mimique rflexe avec plus ou moins de succs (DUMAS : 639). Nous revi-vons, nous rcitons gestuellement l'action dans ses grandes lignes. Nos [revivis-cences] daction efficaces aboutissent [donc], sauf inhibition, la production de celangage gesticulatoire qui a jou un si grand rle dans l'enfance de chacun de nous etdans l'enfance de l'humanit (DUPRAT : 826). Le geste, [en effet], nous montre merveille... cette progression du langage naturel au langage artificiel. Au plus basdegr, la gesticulation confuse et violente qui exprime l'intensit de l'motion ; au-dessus encore les mouvements dj prcis et significatifs par lesquels nous esquissonsinstinctivement une action ; au-dessus encore les mouvements simplifis et intellec-tualiss, par lesquels nous ragissons nos reprsentations. On peut distinguer desgestes indicateurs (la prhension s'affaiblit jusqu' l'indication), des gestes imitateurs,comme lorsque la main dessine ou figure l'objet que nous nous reprsentons :(limitation peut du reste porter sur un lment seulement de l'objet ou de la per-sonne ; ainsi le geste d'enlever son chapeau pour dsigner l'homme) ; et des gestes quisont l'abrviation de mouvements plus complexes, qui ne sont, en somme, qu'unmoment de l'action qui s'adresse l'tre ou la chose que l'on veut dsigner (ainsilorsque l'Indien, pour signifier l'eau, met sa main en forme de coupe) ; ... le gesteglisse ainsi de l'action rellement accomplie, ou commence, la reprsentation del'action ou de l'objet par un double intermdiaire : l'imitation de l'objet ou de l'action :l'abrviation de l'action, le choix d'un de ses moments constitutifs ; et cette

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    reprsentation, naturelle l'origine car il est naturel, [nous l'avons vu plus haut],lorsque nous [ragissons une rception], que... nous prenions une attitude songard, [une attitude qui l'imite] devient conventionnelle au moment o [les gestes]cessent, d'exprimer immdiatement ce qu'ils entendent exprimer. Le sourd-muet nonduqu forme son langage, [sa gesticulation smiologique], en dsignant par un gestele trait le plus saillant et le plus imitable de l'objet [rappelons-nous la crme glaced'Helen Keller] : le geste en se rduisant, en se simplifiant, n'est plus comprhensibleque par une convention qui exige un apprentissage (DELACROIX : A, 2-3). Il n'estplus la raction mimique instinctive et intuitive de l'organisme humain unerception : il a besoin d'une explication tymologique qui y ramne.

    Sans doute, c'est toute notre attitude qui imite l'action ou l'objet : dans le sujetconnaissant est engendre une [mimique] de l'objet connu, c'est--dire que le sujet quiconnat revt une certaine ressemblance avec son objet. La philosophie scolastiquepose.., comme un premier axiome, que c'est par cette assimilation que se forme touteconnaissance (KLEUTGEN : I, 130). Omnis cognitio fit secundum similitudinemcogniti in cognoscente (S. THOMAS : Cont. Gent. I. II, c. LXXVII). Or, il estimpossible que l'intelligence s'approprie l'objet selon son tre physique ; elle ne peutdonc le possder qu'en l'imitant, [en le mimant] et en le reproduisant en elle-mmed'une manire qui rponde sa propre nature, ou en l'engendrant en quelque sorte denouveau (KLEUTGEN : I, 30). Toute ressemblance ne rend pas une chose [lamimique] d'une autre ; cette dnomination est rserve la ressemblance qui estforme dans l'intention d'imiter ou de reproduire une autre chose. Or, la ressemblancede celui qui connat avec l'objet connu... est... [une mimique] et cela par sa nature, carelle est engendre dans le principe connaissant pour imiter ou reproduire l'objet connuet se l'approprier en quelque sorte (32). Man wird das, was man sieht ! [Ondevient ce qu'on voit !] s'crie, [dans la Judith de Friederich Hebbel], Holopherne quise perd dans la contemplation de la belle Judith. Mais ce n'est pas seulement le beauqui peut avoir cette puissance transformatrice sur le spectateur. Son contraire en estaussi capable, comme l'expriment bien, [dans le Prometheus unbound de Shelley], lesparoles de Promthe la vue des Furies :

    Whilst I behold such execrable shapesMethinks I grow like what I contemplateAnd laugh and stare in loathome sympathy.

    galement caractristiques sont les paroles de Gthe Eckermann proposdes moutons du peintre animaliste Roos La peur me prend toujours quand je voisces btes. Leur tat born, sourd, rveur et bant, me gagne par sympathie ; on apeur de devenir une bte, et l'on croirait presque que l'artiste lui-mme en tait une (FINNBOGASON : 45). Au mme degr que l'on russit [automatiquement ou volon-tairement] reproduire une mine, une attitude, une inflexion de voix donnes,l'apparence et l'tat du corps tout entier se transforment d'une certaine faon... (44). C'est qu'il ne s'agit pas [seulement] du systme nerveux. On a exagr en rattachantla psychologie l'tude du cerveau. Depuis prs de cinquante ans, on nous parle tropdu cerveau : on dit que la pense est une scrtion du cerveau, ce qui n'est qu'unebtise, ou bien que la pense est en rapport avec les fonctions du cerveau. Il arriveraune poque o l'on rira de cela : ce n'est pas exact. Ce que nous appelons la pense,les phnomnes psychologiques, n'est la fonction d'aucun organe particulier : ce n'estpas plus la fonction du bout des doigts que ce n'est la fonction d'une partie ducerveau. Le cerveau n'est qu'un ensemble de commutateurs, un ensemble d'appareils

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    qui changent les muscles qui sont excits. Ce que nous appelons ide, ce que nousappelons phnomnes de psychologie, c'est une conduite d'ensemble, tout l'individupris dans son ensemble. Nous pensons avec nos mains aussi bien qu'avec notrecerveau, nous pensons avec notre estomac, nous pensons avec tout : il ne faut passparer l'un de l'autre. La psychologie, c'est la science de l'homme tout entier : ce n'estpas la science du cerveau : c'est une erreur physiologique qui a fait beaucoup de malpendant trs longtemps (JANET : B). Vous voyez que je pense l-dessus commesaint Thomas , nous disait notre savant matre du Collge de France, dans unentretien personnel, aprs le Cours auquel nous avons emprunt les phrases prc-dentes stnographies. Et saint Thomas pensait l-dessus comme Aristote, avons-nous rpondu ; le corps et l'me pour l'un comme pour l'autre, ne constituant bienrellement qu'un tre ; ce qui prouve que l'tude exprimentale des faits nous ramnetous la philosophia perennis.

    Cette plasticit [totale, gestuelle et intellectuelle], qui permet de devenir autretout en restant soi-mme, caractrise le connaissant ; l'on comprend, ds lors,comment, [par la rception et] par la connaissance, [la gesticulation ractionnelle et]l'intelligence se dveloppent dans la ligne mme de l'tre , chaque co-principe ducompos humain mimant sa manire dans l'attitude mentale la forme suivantlaquelle son tre s'panouit (AUBRON : 31). Cognitio omnis fit per hoc quodcognitum est aliquo modo in cognoscente, scilicet secundum suam similitudinem.Nam cognoscens in actu [secundo] est ipsum cognitum in actu. Oportet igitur quodsensus corporaliter et materialiter recipiat similitudinem rei quae sentitur. Intellectusautem recipit similitudinem ejus quod intelligitur, incorporaliter et immaterialiter (STHOMAS : De anima, II, lect. 12). La connaissance a eu lieu per hoc , c'est--diremoyennant cela ; elle suppose la prsence du connu dans le connaissant, leur fusion,leur unit, le fait que le second est devenu le premier, s'est assimil lui : touteschoses qui se trouvent accomplies par la rception de l'espce (DE TONQUDEC : 58-59), par l'imitation en miroir, esquisse ou pousse.

    Pourtant, si c'est tout l'tre organique et spirituel qui reoit, mime et reproduit,corporaliter et incorporaliter, l'observation attentive va nous rvler, chez le non-dissoci et chez l'enfant, l'importance de la main en particulier, de la main habitue tout faire et par consquent tout reprsenter (DELACROIX : A, 4). Nonseulement la main, [par ses gestes], est aussi facile reconnatre que le visage, maisencore elle rvle ses secrets plus ouvertement et plus inconsciemment ; chacun estmatre de sa propre attitude ; la main seule chappe cette autorit ; elle flchit etdevient nonchalante quand l'esprit est abattu et dprim, les muscles se tendent quandle cerveau est excit ou le cur content (KELLER : 22) ; instinctivement, chezl'homme, les mouvements de ses mains et sa pense sont insparables (Cf. LVY-BRUHL : 179). Mme parmi nous, adultes ultra-civiliss, si l'on demande quel-qu'un ce que c'est qu'une crcelle.... sa main fait peu prs infailliblement le geste dela tourner. Ainsi encore quand il s'agit d'expliquer l'ide d'un escalier tournant, d'unespirale, etc. (BAUDIN : 562). Amplificateur extrmement sensible des gestesmicroscopiques reviviscents, le geste de la main plonge, [en effet],.. dans la penseen train de se faire (DELACROIX : 11, 4).

    Aussi, Grando remarquait, et d'autres l'ont fait depuis, que les sourds-muets l'tat natif, mis en prsence les uns des autres, se comprennent facilement. Il adnombr une longue srie de notions qu'ils manifestent par leur mimique et leursgestes, et beaucoup de ces expressions [gestuelles] sont identiques dans tous les pays.Les enfants d'environ sept ans qui n'ont pas encore t duqus, se servent d'une

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    quantit tonnante de gestes et de mines trs rapides pour communiquer entre eux. Ilsse comprennent naturellement avec beaucoup de facilit. Nul ne leur enseigne lespremiers signes, qui sont, en grande partie, des mouvements imitatifs (RIBOT : A,49). Parmi les divers caractres d'un objet, le sourd-muet en choisit un, [instinc-tivement et le plus saillant], qu'il simule par un geste et qui reprsente l'objet total (51).

    Par consquent, ce systme smiologique doit tre en substance le mme surtoute la surface du globe, et cette assertion est confirme par tous ceux qui l'ontpratiqu et tudi (RIBOT : A, 60). Non seulement cet emploi spontan, naturel ,des gestes, intellectuel et non motionnel, qui traduit des ides, non des senti-ments , existe chez les sourds-muets, mais il est plus rpandu qu'on ne le croit chezles peuples [encore spontans]. Il a t observ en des rgions trs distinctes de notreglobe : chez les indignes du nord et du sud de l'Amrique, chez les Boschimans, etc.Il est un moyen de communication entre des tribus qui ne parlent pas la mmelangue ; souvent mme, [on le verra plus loin], il est un auxiliaire indispensable pources idiomes indigents (59). Dans ces socits, en effet, [le systme smiologiquegestuel] est en usage, au moins dans certaines circonstances, et l o il est tomb endsutude, des vestiges tmoignent qu'il a srement exist. Bien souvent, d'ailleurs, ilest employ sans que les explorateurs s'en aperoivent soit que les indignes ne s'enservent pas devant eux, soit que le fait chappe leur attention. Un d'en