Karapa 3_juin2014

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  • KARAPA 3Revue dAnthRoPologie des socits AmRindiennes Anciennes,

    dhistoiRe et dARchologie coloniAle du bAssin AmAzonien et du PlAteAu des guyAnes

    Juin 2014

  • 2KARAPA 3Revue dAnthRoPologie des socits AmRindiennes Anciennes,

    dhistoiRe et dARchologie coloniAle du bAssin AmAzonien et du PlAteAu des guyAnes

    ditrice du numro: Catherine LosierConception de la couverture: Catherine LosierRelecture: Catherine Losier, Claude Coutet, Nathalie Cazelles, Grald Migeon Infographie: Catherine LosierCoordination: Catherine Losier

    Responsabilit des auteurs:Les auteurs sont responsables de leurs contributions, en particulier de leurs citations et rfrences. Lorigine des figures, tableaux, etc. doit tre indique dans le manuscrit.Un manuscrit propos la revue ne doit pas tre soumis en mme temps une autre revue, ni avoir t publi prcdemment.Les avis exprims nengagent que la responsabilit des auteurs des textes.

    @ 2014 Association AIMARARmire-Montjoly, Siret: 43189562200022

    www.archeoaimara.net

  • 3KARAPA 3Revue dAnthRoPologie des socits AmRindiennes Anciennes,

    dhistoiRe et dARchologie coloniAle du bAssin AmAzonien et du PlAteAu des guyAnes

    Table des maTires

    diTorial 4Catherine Losier

    la caracTrisaTion Techno-sTylisTique de la cramique de TradiTion arauquinode en Guyane: une approche eThnoarcholoGique de la cramique amrindienne 6Claude Coutet

    ossemenTs eT perles en coquillaGe des spulTures prcolombiennes de yalimapo (awala-yalimapo) 21Claude Coutet, Thomas Romon et Nathalie Serrand

    archoloGie eT GoloGie : GisemenT, caracTrisaTion du maTriel liThique eT chane opraToire 35Herv Thveniaut, Grald Migeon

    le choc microbien dans les Guyanes 52Nadir Boudehri, Philippe Esterre et Grald Migeon

  • 4KARAPA 3Revue dAnthRoPologie des socits AmRindiennes Anciennes,

    dhistoiRe et dARchologie coloniAle du bAssin AmAzonien et du PlAteAu des guyAnes

    diTorial

    Cre en 2011, la revue Karapa Revue danthropologie des socits amrindiennes anciennes, dhistoire et darchologie coloniale du bassin amazonien et du plateau des Guyanes en est son troisime numro. Lobjectif de cette publication est de mettre la disposition du public et des chercheurs les rsultats des travaux concernant larchologie et lanthropologie de la Guyane dans un format attrayant et aisment accessible puisque la revue est distribue en format .pdf. Depuis 2012, lassociation AIMARA est responsable de la publi-cation de cette revue. Pour la premire fois, AIMARA a assur toutes les tapes devant mener la ralisation de ce priodique : de la relecture des textes la diffusion, en passant par linfographie et le montage de la maquette.

    Aprs un premier numro qui faisait ltat de la pratique de larchologie amrin-dienne en Guyane, tout en prsentant quelques recherches indites. Le deuxime numro tait consacr larchologie de la priode coloniale et contemporaine. Ltat des lieux de larchologie des priodes postcolombiennes en Guyane de mme que dans les Antilles franaises a t ralis dans une introduction crite par Danielle Bgot.

    Lexemplaire qui vous parvient aujourdhui est le troisime numro de la revue. Il est en majorit consacr ltude des socits amrindiennes prcolombiennes, mais un article fait une incursion vers la priode du Contact entre Amrindiens et Europens. Au contraire, du premier numro qui jetait les bases de la pratique de larchologie amrindienne en Guyane, cette nouvelle dition prsente quatre tudes originales portant sur des thmes varis tels la cramique ou encore le paludisme.

    crit par Claude Coutet, le premier article de ce numro concerne la caract-risation de la cramique de tradition arauquinode trouve en Guyane. La voie emprunte par lauteure pour arriver documenter cette cramique est celle de lanalyse des traces laisses sur les poteries par les gestes techniques raliss pendant leur fabrication. laide de photographies, lauteure documente les tapes menant la ralisation dun objet et les macrotraces que les potires laissent sur celui-ci en le faonnant. Cette recension des macrotraces a men la mise sur pied dun rfrentiel des traces identifies sur les objets trouvs en cours de fouilles. Les analyses ont permis didentifier des diffrences dans les techniques de fabrication au sein de la tradition arauquinode.

  • 5Le deuxime article crit par Claude Coutet, Thomas Romon et Nathalie Serrand est une incursion dans les pratiques funraires des communauts amrin-

    diennes habitant la rgion dAwala-Yalimapo, entre 1 000 et 1 400 apr. J.-C.. Les archologues dcrivent les trois spultures dposes dans des urnes de mme que les deux spultures en fosse qui ont t trouves sur le site. Une analyse anthropologique des restes humains de lurne Tukuwali 2 a t ralise et le mobilier funraire a aussi fait lobjet dune tude. Cet article permet de mieux comprendre les modes dinhu-mation pratiqus par les communauts installes sur la cte de la Guyane.

    Les auteurs Herv Thveniaut et Grald Migeon, dans le troisime article de la revue, se sont attards faire un lien entre les diffrents contextes gologiques de la Guyane et lutilisation des gisements ou des affleurements par les populations amrindiennes, pensons aux sauts o ils polissent des outils lithiques, aux plans verticaux qui servent de support des ptroglyphes ou encore, aux creux ou cavernes qui peuvent servir de spulture ou dabri. Ils sattardent particulirement la description de la chane opratoire des haches polies, une entreprise quils ont ralis, surtout, partir de la collection archologique du saut Mapaou. Cet article est abondamment illustr par des photos de haches, de polissoirs et dautres objets en pierre. De plus, les auteurs ont la dlicatesse de prsenter en annexe les datations radiocarbone des haches guyanaises, un service quils rendent la communaut scientifique.

    Le quatrime et dernier article traite de la gense du Monde moderne et de la rencontre initiale entre les explorateurs europens et les communauts amrindiennes. Plus prcisment, par lutilisation de diverses sources (archives, chroniques et livres de mdecine), Nadhir Boudehri, Philippe Esterre et Grald Migeon documentent larrive du paludisme en Guyane et son effet sur les populations. Ils concluent que ds les premiers projets de colonisation du territoire entrepris au dbut du XVIIe sicle, la maladie se rencontrait dj en Guyane. Par la suite, ils analysent la baisse dmographique enregistre dans les communauts amrindiennes.

    Karapa 3 est riche dides et dinformations indites. Les chercheurs qui ont particip ce numro nous prsentent des recherches qui traitent de plusieurs aspects de la vie matrielle, symbolique et mme microbienne des communauts amrindiennes dont les descendants peuplent encore aujourdhui la Guyane. La pertinence de ces recherches tiendra en haleine autant les lecteurs de la communaut archologique que le public intress au pass guyanais. Je vous invite dcouvrir ce nouveau numro de Karapa, tout en vous souhaitant bonne lecture.

    Catherine LosierCherCheure postdoCtoraLe Luniversit des antiLLes et northwestern university

  • 8toute priode historique 7, a montr, par lin-vestissement des archologues, par limplication des conservateurs rgionaux darchologie, tout ce quelle pouvait apporter de significatif cette reconstitution toujours, cependant, en passant par la case histoire.

    Les bilans scientifiques du Service Rgional dAr-chologie ne laissent dailleurs aucun doute sur ces rapports obligatoires entre les deux disci-plines : celui de 1999, prsentant les oprations de recherche programme sur les habitations j-suites des XVIIe et XVIIIe sicles, commenait par signaler que larchologie ven[ait] complter les donnes des tudes darchives8. Lopration de prospection-inventaire du Bas-Oyapock, conduite par Sylvie Jrmie (AFAN, puis INRAP9) en 1997 na t mene quaprs dpouillement des sources r-alises par N. Mingaud aux Archives dOutre-Mer Aix-en-Provence (CAOM, aujourdhui ANOM)10; les oprations de recherche programme thma-tique sur les habitations11 des jsuites des XVIIe et XVIIIe sicles, dues Yannick Le Roux, Natha-lie Cazelles et Rginald Auger, se sont appuyes, comme le soulignait le conservateur rgional de larchologie Grald Migeon dans la prface qui ouvre louvrage consacr Loyola (2009)12, sur les importantes recherches en archives de Y. Le Roux, Cayenne, Aix-en-Provence et Rome. Lhistoire et archologie des habitations de la Comt, o lon retrouve encore les jsuites, traites par Egl Barone-Visigalli, Kristen Sarge et Rgis Verwimp (2010), font galement la part belle aux inven-

    7 Penna (Maria-Teresa), citant Robert Schuyler (1970), dans LAr-chologie historique aux Etats-Unis, op. cit., p. 35.

    8 DRAC Guyane, SRA, 2002, p. 13 (Jos Thomas).

    9 LAFAN(Association pour les fouilles archologiques nationales) a t remplace en 2001 par ltablissement public de lINRAP (Institut national de recherches archologiques prventives).

    10 DRAC Guyane, SRA, 2000, Bilan scientifique 1997, p. 7.

    11 Le terme dhabitation dsigne dans les terres amricaines de colonisation franaise (Guyane, Petites Antilles, Saint-Domingue, Louisiane mais aussi Qubec) un tablissement agricole fond par les colons euro-pens; tropicalis, le terme ne sentend plus, jusqu labolition dfini-tive de lesclavage, en 1848, outre terres, btiments et cultures, quavec les esclaves attachs la proprit.

    12 Migeon (Grald), dans Le Roux (Yannick), Auger (Rginald), Ca-zelles (Nathalie), Loyola. Les jsuites et lesclavage, Qubec, Presses de luniversit de Qubec, 2009.

    taires darchives et la cartographie ancienne13. Et lArchologie et histoire du Sinnamary du XVIIe au XXe sicle dOlivier Puaux et Michel Philippe, parue plus prcocement (1997), ne rservait pas, mme avec un ordre invers, la part du pauvre lhistoire14. Quant lambitieux programme de prospection-inventaire du Bas-Approuague, conduit depuis 2009 par Damien Hanriot et Phi-lippe Goergen, avec Nathalie Cazelles, une de ses grandes forces rside dans le recours un grand nombre de dpts darchives, en Guyane, en France et Londres.

    La cause donc est entendue. Mais pourquoi ce lien systmatique ? Si les informations que livrent les sources crites (textes, mais aussi cartographie et iconographie), limites en ce qui concerne nos exemples la priode moderne et contemporaine, sont toujours capitales, cest parce quelles jouent un triple rle. La cartographie offre parfois le seul moyen de donner une mmoire ce qui a totale-ment disparu du paysage. Dune autre manire, les textes proprement dits peuvent fournir des lments irremplaables la comprhension dun site : dates-cl, descriptions, volution, tats suc-cessifs. Cest bien pour cette raison que dans telle ou telle thmatique faisant lobjet dune opra-tion archologique (habitations, monde urbain, comme par exemple ltude trs rcente dEric Gassies et de Fabrice Casagrande sur lancienne douane de Cayenne15) les recherches historiques ne se sparent pas du travail de terrain ; elles le prcdentet laccompagnent. Mais au-del de ces micro-histoires, de ces histoires (au pluriel) de taille rduite, lhistoire (au singulier) donne sens ce qui existe sur le terrain en lui faisant prendre sa place dans un systme global qui en facilite lin-telligibilit condition, la rserve est de taille, nous y reviendrons, de ne pas confondre systme global et rptition lidentique dun modle unique, condition encore de pas croire que sans lhistoire il ne peut pas y avoir constitution de systme signifiant.

    13 Barone-Visigalli (Egl) [ dir.], Histoire et archologie de la Guyane franaise. Les jsuites de la Comt. Guyane, Ibis Rouge Editions, 2010.

    14 Paris, Ed. de la Maison des Sciences de lHomme, 1997.

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    toute priode historique 7, a montr, par lin-vestissement des archologues, par limplication des conservateurs rgionaux darchologie, tout ce quelle pouvait apporter de significatif cette reconstitution toujours, cependant, en passant par la case histoire.

    Les bilans scientifiques du Service Rgional dAr-chologie ne laissent dailleurs aucun doute sur ces rapports obligatoires entre les deux disci-plines : celui de 1999, prsentant les oprations de recherche programme sur les habitations j-suites des XVIIe et XVIIIe sicles, commenait par signaler que larchologie ven[ait] complter les donnes des tudes darchives8. Lopration de prospection-inventaire du Bas-Oyapock, conduite par Sylvie Jrmie (AFAN, puis INRAP9) en 1997 na t mene quaprs dpouillement des sources r-alises par N. Mingaud aux Archives dOutre-Mer Aix-en-Provence (CAOM, aujourdhui ANOM)10; les oprations de recherche programme thma-tique sur les habitations11 des jsuites des XVIIe et XVIIIe sicles, dues Yannick Le Roux, Natha-lie Cazelles et Rginald Auger, se sont appuyes, comme le soulignait le conservateur rgional de larchologie Grald Migeon dans la prface qui ouvre louvrage consacr Loyola (2009)12, sur les importantes recherches en archives de Y. Le Roux, Cayenne, Aix-en-Provence et Rome. Lhistoire et archologie des habitations de la Comt, o lon retrouve encore les jsuites, traites par Egl Barone-Visigalli, Kristen Sarge et Rgis Verwimp (2010), font galement la part belle aux inven-

    7 Penna (Maria-Teresa), citant Robert Schuyler (1970), dans LAr-chologie historique aux Etats-Unis, op. cit., p. 35.

    8 DRAC Guyane, SRA, 2002, p. 13 (Jos Thomas).

    9 LAFAN(Association pour les fouilles archologiques nationales) a t remplace en 2001 par ltablissement public de lINRAP (Institut national de recherches archologiques prventives).

    10 DRAC Guyane, SRA, 2000, Bilan scientifique 1997, p. 7.

    11 Le terme dhabitation dsigne dans les terres amricaines de colonisation franaise (Guyane, Petites Antilles, Saint-Domingue, Louisiane mais aussi Qubec) un tablissement agricole fond par les colons euro-pens; tropicalis, le terme ne sentend plus, jusqu labolition dfini-tive de lesclavage, en 1848, outre terres, btiments et cultures, quavec les esclaves attachs la proprit.

    12 Migeon (Grald), dans Le Roux (Yannick), Auger (Rginald), Ca-zelles (Nathalie), Loyola. Les jsuites et lesclavage, Qubec, Presses de luniversit de Qubec, 2009.

    taires darchives et la cartographie ancienne13. Et lArchologie et histoire du Sinnamary du XVIIe au XXe sicle dOlivier Puaux et Michel Philippe, parue plus prcocement (1997), ne rservait pas, mme avec un ordre invers, la part du pauvre lhistoire14. Quant lambitieux programme de prospection-inventaire du Bas-Approuague, conduit depuis 2009 par Damien Hanriot et Phi-lippe Goergen, avec Nathalie Cazelles, une de ses grandes forces rside dans le recours un grand nombre de dpts darchives, en Guyane, en France et Londres.

    La cause donc est entendue. Mais pourquoi ce lien systmatique ? Si les informations que livrent les sources crites (textes, mais aussi cartographie et iconographie), limites en ce qui concerne nos exemples la priode moderne et contemporaine, sont toujours capitales, cest parce quelles jouent un triple rle. La cartographie offre parfois le seul moyen de donner une mmoire ce qui a totale-ment disparu du paysage. Dune autre manire, les textes proprement dits peuvent fournir des lments irremplaables la comprhension dun site : dates-cl, descriptions, volution, tats suc-cessifs. Cest bien pour cette raison que dans telle ou telle thmatique faisant lobjet dune opra-tion archologique (habitations, monde urbain, comme par exemple ltude trs rcente dEric Gassies et de Fabrice Casagrande sur lancienne douane de Cayenne15) les recherches historiques ne se sparent pas du travail de terrain ; elles le prcdentet laccompagnent. Mais au-del de ces micro-histoires, de ces histoires (au pluriel) de taille rduite, lhistoire (au singulier) donne sens ce qui existe sur le terrain en lui faisant prendre sa place dans un systme global qui en facilite lin-telligibilit condition, la rserve est de taille, nous y reviendrons, de ne pas confondre systme global et rptition lidentique dun modle unique, condition encore de pas croire que sans lhistoire il ne peut pas y avoir constitution de systme signifiant.

    13 Barone-Visigalli (Egl) [ dir.], Histoire et archologie de la Guyane franaise. Les jsuites de la Comt. Guyane, Ibis Rouge Editions, 2010.

    14 Paris, Ed. de la Maison des Sciences de lHomme, 1997.

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    Karapa, vol. 3, juin 2014

    sentent un lment fondamental dans llaboration de ce quon appelle les cultures archologiques4 . Par ailleurs, on sait quil est gnralement imprudent de faire correspondre ces cultures des entits socio-culturelles, homognes dans lespace et dans le temps. Et, dans cette logique, on a souvent t tent dexpliquer les variabilits cramiques repres dans les assemblages en termes vnementiels : lhypothse la plus courante, face un changement stylistique observ, tant larrive dune nouvelle population (Gelbert 2003).

    Au-del de cette premire utilisation du vestige cramique, des modles thoriques, considrant la cramique comme troitement lie lenvironne-ment et/ou lorganisation socio-conomique et culturelle des socits, ont t proposs. Parmi ces modles, on a vu se dvelopper, partir de la fin des annes 1970, la notion de style technologique ou technique (Lechtman 1977) qui place le style dans un schma plus large que celui dfini par les seuls traits morpho-stylistiques. Ce dernier ne se rduit plus aux lments visibles de lartefact, mais concerne tout le processus de manufacture. La fabrication dun objet doit tre pense comme une succession de choix, conscients et inconscients, qui dcouleraient tant dune recherche de performances que des valeurs sociales et idologiques des artisans (Lemonnier 1986 ; Gosselain et Livingstone Smith 1995 ; Sillar 1996 ; 2000).

    Les recherches dOlivier Gosselain (1992 ; 1995 ; 2000 ; 2002), traitant des traditions potires du Cameroun mridional, vont largement contribuer la mise en valeur de lanalyse du style technique et faire de la reconstitution des chanes opratoires un outil privilgi pour la reconnaissance des identits sociales. Selon ce chercheur, les choix technologiques

    4 Le terme de culture (archologique) se dfinit selon les mmes critres que la tradition mais sur une chelle spatio-temporelle moindre.

    la caracTrisaTion Techno-sTylisTique de la cramique de TradiTion arauquinode en Guyane:

    une approche eThnoarcholoGique de la cramique amrindienne

    CLaude Coutet, assoCiation aiMara

    La cramique par sa production, son utilisation, son style, sa symbolique et aussi, sa prennit constitue un sujet de recherche privilgi pour larchologie en gnral et larchologie amazonienne en particulier. En Guyane, les sols acides conservant trs peu dlments organiques, le matriel cramique est lun des vestiges les mieux prservs. Il est donc essentiel dlargir au mieux les mthodes danalyse de ce matriau afin den extraire un maximum dinfor-mations.

    En Guyane franaise, les traditions1 cramiques Polychrome2 et Arauquinode3 sont les mieux connues et reprsentes. Cependant, la dfinition de la seconde et sa reconnaissance sur le littoral de Guyane ont t remises en cause (Hildebrand 1999). Pour Matthieu Hildebrand, la tradition Arauquinode est une construction archologique, fonde sur des chantil-lonnages trop rduits, issus de fouilles limites et sans datation valable. Le seul point commun lensemble des assemblages cramiques concerns consisterait en des traits dcoratifs basiques dont les caractris-tiques ne seraient pas suffisamment discriminatoires (incisions, ponctuations, models-appliqus).

    conTexTe Thorique: la reconnaissance du sTyle Technique

    En effet, traditionnellement, larchologue classe le mobilier cramique partir de ses traits morpho-sty-listiques et des caractristiques de pte (couleurs, dgraissants). Les ensembles ainsi dfinis repr-

    1 Une tradition culturelle est le rassemblement de plusieurs cultures archologiques ayant des traits similaires (cramique, modes dhabitat, dagriculture, coutumes funraires, idologie, etc.). Ainsi, une tradition peut avoir une large diffusion tant gographique que temporelle (Willey et Phillips 1958).

    2 La tradition Polychrome se diffuse, probablement partir de lle de Marajo, le long de lAmazone et jusqu lle de Cayenne, entre 400 et 1600 apr. J.-C.

    3 La tradition Arauquinode a t reconnue du Moyen Ornoque lle de Cayenne entre 500 et 1600 apr. J.C.

  • 9Arrtons-nous dabord sur limportance du glo-bal. Larchologie coloniale de Guyane est la face matrielle, redevenue comprhensible, parfois tout simplement visible, de ce que lon a appel la suite de lanthropologue amricain Charles Wagley lAmrique des plantations, Plantation America 16. Larchologie des habitations, ce terme que les Amriques franaises, continentales et insulaires, ont prfr celui de plantations17, ramne ce qui a t au cur des premiers em-pires coloniaux europens dans ces rgions. Lex-ploitation des terres tropicales ou quinoxiales, tourne vers les cultures dexportation requises par les mtropoles doutre-Atlantique, a entrain lasservissement des populations locales, amrin-diennes, et la mise en esclavage dAfricains livrs aux Amriques par les cargaisons de la trait n-grire. Tout ce systme na donc vcu que par le commerce le projet de recherche conduit par Catherine Losier sur Le rseau commercial guya-nais : tude archologique de lacquisition des biens de consommation trouvs sur les sites de la Guyane au cours de lAncien Rgime colonial18 en a fait dailleurs sa cl de vote. Ce commerce sest appuy sur la mise en valeur de terres, qui comme aux Antilles, soprait par lintermdiaire des habitations, que celles-ci, suivant les poques et les lieux, aient cultiv le roucou (cest surtout vrai de la Guyane), la canne sucre, le cacao, lin-digo ou le caf. Quel est lapport de lhistoire dans ce domaine? Elle permet de comprendre lunit conomique et sociale que constituait une ha-bitation, sa culture matrielle19, la fois par les monographies ou les synthses labores par les chercheurs, mais aussi, quand les sources an-ciennes sont suffisamment riches, de savoir quoi correspondait un moment donn un exemple

    16 Caribbean Studies, 1957, trad. franaise dans Benoit (Jean), Les Socits antillaises: tudes anthropologiques, Publ. Centre de recherches carabes; consultable en ligne sur classiques.uqac.ca.

    17 Bgot (Danielle) (dir.), La plantation coloniale esclavagiste, XVIIe- XIX- sicles, Actes du 127e congrs des soc. historiques et scientifiques, paris, CTHS,2008, p. 13-43.

    18 Losier (Catherine), Rapport dactivit de la campagne danalyse de la culture matrielle des sites Picard, Loyola et Poulain, 2008, universit de Laval (Canada) et SRA de la Guyane.

    19 Le Roux (Yannick), Lhabitation guyanaise sous lAncien Rgime. Etude de la culture matrielle, thse de doctorat, Paris, EHESS, 1994, 863 p.

    particulier, prcis, dhabitation. Les inventaires, qui petit petit sortent des diffrents dpts darchives, tablis le plus frquemment lors dune mutation de proprit (vente, dcs, squestre ), permettent par la description souvent mi-nutieuse des biens didentifier les diffrents l-ments qui les ont constitues. Pour les sucreries, qui ont laiss le plus de traces reprables sur le terrain en raison dun recours parfois important la maonnerie, ce sera la nature et la fonction des diffrents vestiges, quils aient appartenu au ple domestique de lexploitation (maison de matre, cuisine, cases ngres), ou sa partie manufacturire, moulin(s) pour broyer la canne, sucrerie, purgerie et tuve si lhabitation a produit du sucre blanc, vinaigrerie sil y a eu fa-brication de tafia.

    Ranon de cette visibilit souvent plus grande des habitations-sucreries (surtout quand leurs vestiges ont t dbroussaills!), les habitations exploitant dautres cultures que la canne sucre, dont on sait limportance quelles ont jou pour la Guyane, avant et aprs labolition de lesclavage, nont sans doute pas la reprsentativit quelles possdaient autrefois. mme si des inventaires systmatiques comme celui conduit dans la com-mune de Rmire leur accordent toute leur va-leur20. Ajoutons, l aussi pour dmontrer toute limportance dune mise en perspective compara-tiste, que si Loyola et Saint-Rgis, au XVIIIe sicles, accumulent les belles ralisations en pierre, une sucrerie plus tardive comme Petit Cayenne (le de Cayenne), cotonnerie et sucrerie, mise en vente partir de 1817, montre quil nen tait pas toujours de mme. Avec ses 1.000 ha et ses 157 esclaves, son moulin eau (mais nous ne connais-sons pas la date prcise de sa construction) et sa sucrerie sont de charpente et bardeaux, voire, pour le moulin, mme pos partie sur de la ma-onnerie, de charpente et fourches en terre21.Encore convient-il de ne pas perdre de vue les li-mites de ce dcryptage, bien moins vident dans

    20 Rmire : Les habitations coloniales (XVIIe-XIXe sicles) , DAC Guyane, 2011.

    21 Archives dpartementales (AD) Guyane, Feuille de la Guyane, mai, aot et novembre 1823 (p. 143, 282, 453), expropriation force.

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    Arrtons-nous dabord sur limportance du glo-bal. Larchologie coloniale de Guyane est la face matrielle, redevenue comprhensible, parfois tout simplement visible, de ce que lon a appel la suite de lanthropologue amricain Charles Wagley lAmrique des plantations, Plantation America 16. Larchologie des habitations, ce terme que les Amriques franaises, continentales et insulaires, ont prfr celui de plantations17, ramne ce qui a t au cur des premiers em-pires coloniaux europens dans ces rgions. Lex-ploitation des terres tropicales ou quinoxiales, tourne vers les cultures dexportation requises par les mtropoles doutre-Atlantique, a entrain lasservissement des populations locales, amrin-diennes, et la mise en esclavage dAfricains livrs aux Amriques par les cargaisons de la trait n-grire. Tout ce systme na donc vcu que par le commerce le projet de recherche conduit par Catherine Losier sur Le rseau commercial guya-nais : tude archologique de lacquisition des biens de consommation trouvs sur les sites de la Guyane au cours de lAncien Rgime colonial18 en a fait dailleurs sa cl de vote. Ce commerce sest appuy sur la mise en valeur de terres, qui comme aux Antilles, soprait par lintermdiaire des habitations, que celles-ci, suivant les poques et les lieux, aient cultiv le roucou (cest surtout vrai de la Guyane), la canne sucre, le cacao, lin-digo ou le caf. Quel est lapport de lhistoire dans ce domaine? Elle permet de comprendre lunit conomique et sociale que constituait une ha-bitation, sa culture matrielle19, la fois par les monographies ou les synthses labores par les chercheurs, mais aussi, quand les sources an-ciennes sont suffisamment riches, de savoir quoi correspondait un moment donn un exemple

    16 Caribbean Studies, 1957, trad. franaise dans Benoit (Jean), Les Socits antillaises: tudes anthropologiques, Publ. Centre de recherches carabes; consultable en ligne sur classiques.uqac.ca.

    17 Bgot (Danielle) (dir.), La plantation coloniale esclavagiste, XVIIe- XIX- sicles, Actes du 127e congrs des soc. historiques et scientifiques, paris, CTHS,2008, p. 13-43.

    18 Losier (Catherine), Rapport dactivit de la campagne danalyse de la culture matrielle des sites Picard, Loyola et Poulain, 2008, universit de Laval (Canada) et SRA de la Guyane.

    19 Le Roux (Yannick), Lhabitation guyanaise sous lAncien Rgime. Etude de la culture matrielle, thse de doctorat, Paris, EHESS, 1994, 863 p.

    particulier, prcis, dhabitation. Les inventaires, qui petit petit sortent des diffrents dpts darchives, tablis le plus frquemment lors dune mutation de proprit (vente, dcs, squestre ), permettent par la description souvent mi-nutieuse des biens didentifier les diffrents l-ments qui les ont constitues. Pour les sucreries, qui ont laiss le plus de traces reprables sur le terrain en raison dun recours parfois important la maonnerie, ce sera la nature et la fonction des diffrents vestiges, quils aient appartenu au ple domestique de lexploitation (maison de matre, cuisine, cases ngres), ou sa partie manufacturire, moulin(s) pour broyer la canne, sucrerie, purgerie et tuve si lhabitation a produit du sucre blanc, vinaigrerie sil y a eu fa-brication de tafia.

    Ranon de cette visibilit souvent plus grande des habitations-sucreries (surtout quand leurs vestiges ont t dbroussaills!), les habitations exploitant dautres cultures que la canne sucre, dont on sait limportance quelles ont jou pour la Guyane, avant et aprs labolition de lesclavage, nont sans doute pas la reprsentativit quelles possdaient autrefois. mme si des inventaires systmatiques comme celui conduit dans la com-mune de Rmire leur accordent toute leur va-leur20. Ajoutons, l aussi pour dmontrer toute limportance dune mise en perspective compara-tiste, que si Loyola et Saint-Rgis, au XVIIIe sicles, accumulent les belles ralisations en pierre, une sucrerie plus tardive comme Petit Cayenne (le de Cayenne), cotonnerie et sucrerie, mise en vente partir de 1817, montre quil nen tait pas toujours de mme. Avec ses 1.000 ha et ses 157 esclaves, son moulin eau (mais nous ne connais-sons pas la date prcise de sa construction) et sa sucrerie sont de charpente et bardeaux, voire, pour le moulin, mme pos partie sur de la ma-onnerie, de charpente et fourches en terre21.Encore convient-il de ne pas perdre de vue les li-mites de ce dcryptage, bien moins vident dans

    20 Rmire : Les habitations coloniales (XVIIe-XIXe sicles) , DAC Guyane, 2011.

    21 Archives dpartementales (AD) Guyane, Feuille de la Guyane, mai, aot et novembre 1823 (p. 143, 282, 453), expropriation force.

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    Karapa, vol. 3, juin 2014

    amrindiennes au cours des cinq derniers sicles, il semblait fort probable que les chanes opratoires mises en uvre par les potires contemporaines soient similaires celles de la priode prcolombienne. Par ailleurs, lunicit du milieu naturel (le littoral de Guyane) limite les changements de ressources et doutils. Largile employe est extraite sur la zone ctire et les outils traditionnels, toujours utiliss, sont fabriqus partir de matriaux naturels : calebasse, bambou, galet, graine et mme, plumes.

    En outre, la technique du montage au colombin la plus commune dans les Guyanes demande peu dinvestissement lors de lapprentissage (Ptrequin et Ptrequin 1999). Jean de la Mousse dans la relation de son second voyage (dans Collomb 2006 [1684]) justifie sa longue description du savoir-faire potier kalina par la simplicit de sa mise en uvre qui pourrait tre utile quelque chose (2006 [1684] : 53). La consquence directe de cette facilit est ladoption rapide de cette technique (Ptrequin et Ptrequin 1999) et la large diffusion spatiale qui en dcoule.

    Il existe dj des donnes exprimentales et ethno-graphiques autorisant la reconnaissance gnrale de certaines techniques et mthodes de faonnage ou de finition (Rye 1981 ; Rice 1987 ; Huysecom 1994 ; Gelbert 1994, 2003). Toutefois, la construction dun rfrentiel de macrotraces se fondant sur le travail actuel de la poterie en Guyane navait pas encore t ralise.

    Ainsi, partir de mes observations ethnographiques, jai pu commencer constituer un rfrentiel de macrotraces de faonnage et de traitement de surface, probablement non exhaustif, mais permettant de mieux apprhender les chaines opratoires et leurs variantes en contexte archologique. Cette mthode a t teste sur neuf sites du littoral de Guyane dans le cadre de ma recherche doctorale (Coutet 2011). Jai pu, grce ces analyses, avancer des hypothses concernant lorganisation socio-culturelle des cultures archologiques Thmire et Barbakoeba (tradition Arauquinode) sur lesquelles nous reviendrons dans la seconde partie de cet article.

    seffectu[ent] sous le poids dhabitudes socialement acquises, culturellement surdtermines et potentiel-lement investies de sens (Gosselain 2002 : 10). Il soutient que les tapes les plus discrtes de la fabrica-tion de lartefact sont le fait de gestes, extrmement stables dans le temps, rsultats dautomatismes acquis par apprentissage (Gosselain 2000). Ces habitudes, la fois, sociales et techniques, correspondent des traditions qui, si on les considre en relation avec les styles formels et ornementaux, peuvent tmoigner didentits culturelles.

    Aussi, afin de mieux percevoir dans leurs diff-rences et leurs points communs les diffrentes cultures prsentes sur le littoral guyanais durant le premier millnaire (entre 300 et 1700 apr. J.-C. selon les cultures slectionnes) et de tenter dapprhender leur organisation socio-culturelle, jai choisi de mint-resser la technologie cramique amrindienne. Pour cela, la premire tape a t la constitution dun rfrentiel des macrotraces de gestes et doutils laisss par lartisan au cours de la fabrication des pots.

    la consTiTuTion dun ouTil: le rfrenTiel de macroTraces

    En sappuyant sur les recherches qui ont construit le cadre thorique et mthodologique de ltude de la technologie cramique, lanalyse macroscopique des traces de faonnage et de finition laisses lors de la fabrication des poteries permet, avec laide dun rfrentiel, de reconstituer des chaines opratoires anciennes. Ce rfrentiel ne peut tre ralis que par lobservation des traditions potires contemporaines. Pour ce faire, jai travaill auprs de potires kalina et pahikweneh (palikur) la poterie tant une activit essentiellement fminine.

    Les Kalina (groupe linguistique Caribe) sont reconnus pour la qualit de leur cramique depuis le XIXe sicle. Il existe encore une vingtaine de potires kalina dans louest de la Guyane. En revanche, la poterie des Pahikweneh (groupe linguistique Arawak) est peu peu tombe en dsutude jusqu sa rcente valorisation au sein dune cooprative artisanale.

    Olivier Gosselain (2002 : 11) estime que le caractre routinier, spcialis et peu visible des comportements techniques leur assure la fois une plus grande stabilit travers lespace et le temps . Aussi, malgr les mutations culturelles subies par les socits

  • 8toute priode historique 7, a montr, par lin-vestissement des archologues, par limplication des conservateurs rgionaux darchologie, tout ce quelle pouvait apporter de significatif cette reconstitution toujours, cependant, en passant par la case histoire.

    Les bilans scientifiques du Service Rgional dAr-chologie ne laissent dailleurs aucun doute sur ces rapports obligatoires entre les deux disci-plines : celui de 1999, prsentant les oprations de recherche programme sur les habitations j-suites des XVIIe et XVIIIe sicles, commenait par signaler que larchologie ven[ait] complter les donnes des tudes darchives8. Lopration de prospection-inventaire du Bas-Oyapock, conduite par Sylvie Jrmie (AFAN, puis INRAP9) en 1997 na t mene quaprs dpouillement des sources r-alises par N. Mingaud aux Archives dOutre-Mer Aix-en-Provence (CAOM, aujourdhui ANOM)10; les oprations de recherche programme thma-tique sur les habitations11 des jsuites des XVIIe et XVIIIe sicles, dues Yannick Le Roux, Natha-lie Cazelles et Rginald Auger, se sont appuyes, comme le soulignait le conservateur rgional de larchologie Grald Migeon dans la prface qui ouvre louvrage consacr Loyola (2009)12, sur les importantes recherches en archives de Y. Le Roux, Cayenne, Aix-en-Provence et Rome. Lhistoire et archologie des habitations de la Comt, o lon retrouve encore les jsuites, traites par Egl Barone-Visigalli, Kristen Sarge et Rgis Verwimp (2010), font galement la part belle aux inven-

    7 Penna (Maria-Teresa), citant Robert Schuyler (1970), dans LAr-chologie historique aux Etats-Unis, op. cit., p. 35.

    8 DRAC Guyane, SRA, 2002, p. 13 (Jos Thomas).

    9 LAFAN(Association pour les fouilles archologiques nationales) a t remplace en 2001 par ltablissement public de lINRAP (Institut national de recherches archologiques prventives).

    10 DRAC Guyane, SRA, 2000, Bilan scientifique 1997, p. 7.

    11 Le terme dhabitation dsigne dans les terres amricaines de colonisation franaise (Guyane, Petites Antilles, Saint-Domingue, Louisiane mais aussi Qubec) un tablissement agricole fond par les colons euro-pens; tropicalis, le terme ne sentend plus, jusqu labolition dfini-tive de lesclavage, en 1848, outre terres, btiments et cultures, quavec les esclaves attachs la proprit.

    12 Migeon (Grald), dans Le Roux (Yannick), Auger (Rginald), Ca-zelles (Nathalie), Loyola. Les jsuites et lesclavage, Qubec, Presses de luniversit de Qubec, 2009.

    taires darchives et la cartographie ancienne13. Et lArchologie et histoire du Sinnamary du XVIIe au XXe sicle dOlivier Puaux et Michel Philippe, parue plus prcocement (1997), ne rservait pas, mme avec un ordre invers, la part du pauvre lhistoire14. Quant lambitieux programme de prospection-inventaire du Bas-Approuague, conduit depuis 2009 par Damien Hanriot et Phi-lippe Goergen, avec Nathalie Cazelles, une de ses grandes forces rside dans le recours un grand nombre de dpts darchives, en Guyane, en France et Londres.

    La cause donc est entendue. Mais pourquoi ce lien systmatique ? Si les informations que livrent les sources crites (textes, mais aussi cartographie et iconographie), limites en ce qui concerne nos exemples la priode moderne et contemporaine, sont toujours capitales, cest parce quelles jouent un triple rle. La cartographie offre parfois le seul moyen de donner une mmoire ce qui a totale-ment disparu du paysage. Dune autre manire, les textes proprement dits peuvent fournir des lments irremplaables la comprhension dun site : dates-cl, descriptions, volution, tats suc-cessifs. Cest bien pour cette raison que dans telle ou telle thmatique faisant lobjet dune opra-tion archologique (habitations, monde urbain, comme par exemple ltude trs rcente dEric Gassies et de Fabrice Casagrande sur lancienne douane de Cayenne15) les recherches historiques ne se sparent pas du travail de terrain ; elles le prcdentet laccompagnent. Mais au-del de ces micro-histoires, de ces histoires (au pluriel) de taille rduite, lhistoire (au singulier) donne sens ce qui existe sur le terrain en lui faisant prendre sa place dans un systme global qui en facilite lin-telligibilit condition, la rserve est de taille, nous y reviendrons, de ne pas confondre systme global et rptition lidentique dun modle unique, condition encore de pas croire que sans lhistoire il ne peut pas y avoir constitution de systme signifiant.

    13 Barone-Visigalli (Egl) [ dir.], Histoire et archologie de la Guyane franaise. Les jsuites de la Comt. Guyane, Ibis Rouge Editions, 2010.

    14 Paris, Ed. de la Maison des Sciences de lHomme, 1997.

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    toute priode historique 7, a montr, par lin-vestissement des archologues, par limplication des conservateurs rgionaux darchologie, tout ce quelle pouvait apporter de significatif cette reconstitution toujours, cependant, en passant par la case histoire.

    Les bilans scientifiques du Service Rgional dAr-chologie ne laissent dailleurs aucun doute sur ces rapports obligatoires entre les deux disci-plines : celui de 1999, prsentant les oprations de recherche programme sur les habitations j-suites des XVIIe et XVIIIe sicles, commenait par signaler que larchologie ven[ait] complter les donnes des tudes darchives8. Lopration de prospection-inventaire du Bas-Oyapock, conduite par Sylvie Jrmie (AFAN, puis INRAP9) en 1997 na t mene quaprs dpouillement des sources r-alises par N. Mingaud aux Archives dOutre-Mer Aix-en-Provence (CAOM, aujourdhui ANOM)10; les oprations de recherche programme thma-tique sur les habitations11 des jsuites des XVIIe et XVIIIe sicles, dues Yannick Le Roux, Natha-lie Cazelles et Rginald Auger, se sont appuyes, comme le soulignait le conservateur rgional de larchologie Grald Migeon dans la prface qui ouvre louvrage consacr Loyola (2009)12, sur les importantes recherches en archives de Y. Le Roux, Cayenne, Aix-en-Provence et Rome. Lhistoire et archologie des habitations de la Comt, o lon retrouve encore les jsuites, traites par Egl Barone-Visigalli, Kristen Sarge et Rgis Verwimp (2010), font galement la part belle aux inven-

    7 Penna (Maria-Teresa), citant Robert Schuyler (1970), dans LAr-chologie historique aux Etats-Unis, op. cit., p. 35.

    8 DRAC Guyane, SRA, 2002, p. 13 (Jos Thomas).

    9 LAFAN(Association pour les fouilles archologiques nationales) a t remplace en 2001 par ltablissement public de lINRAP (Institut national de recherches archologiques prventives).

    10 DRAC Guyane, SRA, 2000, Bilan scientifique 1997, p. 7.

    11 Le terme dhabitation dsigne dans les terres amricaines de colonisation franaise (Guyane, Petites Antilles, Saint-Domingue, Louisiane mais aussi Qubec) un tablissement agricole fond par les colons euro-pens; tropicalis, le terme ne sentend plus, jusqu labolition dfini-tive de lesclavage, en 1848, outre terres, btiments et cultures, quavec les esclaves attachs la proprit.

    12 Migeon (Grald), dans Le Roux (Yannick), Auger (Rginald), Ca-zelles (Nathalie), Loyola. Les jsuites et lesclavage, Qubec, Presses de luniversit de Qubec, 2009.

    taires darchives et la cartographie ancienne13. Et lArchologie et histoire du Sinnamary du XVIIe au XXe sicle dOlivier Puaux et Michel Philippe, parue plus prcocement (1997), ne rservait pas, mme avec un ordre invers, la part du pauvre lhistoire14. Quant lambitieux programme de prospection-inventaire du Bas-Approuague, conduit depuis 2009 par Damien Hanriot et Phi-lippe Goergen, avec Nathalie Cazelles, une de ses grandes forces rside dans le recours un grand nombre de dpts darchives, en Guyane, en France et Londres.

    La cause donc est entendue. Mais pourquoi ce lien systmatique ? Si les informations que livrent les sources crites (textes, mais aussi cartographie et iconographie), limites en ce qui concerne nos exemples la priode moderne et contemporaine, sont toujours capitales, cest parce quelles jouent un triple rle. La cartographie offre parfois le seul moyen de donner une mmoire ce qui a totale-ment disparu du paysage. Dune autre manire, les textes proprement dits peuvent fournir des lments irremplaables la comprhension dun site : dates-cl, descriptions, volution, tats suc-cessifs. Cest bien pour cette raison que dans telle ou telle thmatique faisant lobjet dune opra-tion archologique (habitations, monde urbain, comme par exemple ltude trs rcente dEric Gassies et de Fabrice Casagrande sur lancienne douane de Cayenne15) les recherches historiques ne se sparent pas du travail de terrain ; elles le prcdentet laccompagnent. Mais au-del de ces micro-histoires, de ces histoires (au pluriel) de taille rduite, lhistoire (au singulier) donne sens ce qui existe sur le terrain en lui faisant prendre sa place dans un systme global qui en facilite lin-telligibilit condition, la rserve est de taille, nous y reviendrons, de ne pas confondre systme global et rptition lidentique dun modle unique, condition encore de pas croire que sans lhistoire il ne peut pas y avoir constitution de systme signifiant.

    13 Barone-Visigalli (Egl) [ dir.], Histoire et archologie de la Guyane franaise. Les jsuites de la Comt. Guyane, Ibis Rouge Editions, 2010.

    14 Paris, Ed. de la Maison des Sciences de lHomme, 1997.

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    2. Montage au colombin sur plaque

    Le premier colombin est alors soud la circonf-rence de ce disque. Sur le matriel archologique, la jonction entre cette plaque de fond et le premier colombin est souvent visible (figure 2). De plus, il sagit dune zone de fracture frquente.

    reconnaissance des macroTraces phase par phase

    phase 1 : bauChage du rCipient

    Il est trs difficile de reprer les attributs diagnostiques du montage au colombin sur les poteries actuelles. Le faonnage effectu avec soin ne permet pas d'obser-ver les traces dcrites dans la littrature (Rye 1981 ; Rice 1987 ; Balfet et al. 1989) :- Variations d'paisseurs de la paroi sur l'axe vertical comme horizontal. La surface du pot est marque d'ondulations horizontales rgulires.- Sillons profonds entre deux colombins, lorsque les jonctions entre colombins sont mal colmates.- Fractures au niveau de la jonction des colombins. Leurs formes sont diffrentes selon la mthode d'adjonction des colombins (concave/convexe, en biseau, plat...).- Des fractures verticales marquant le point de collage entre les deux extrmits du colombin.

    Toutefois, ces attributs sont courants dans les assem-blages archologiques que jai tudis.

    1. Raclage avec une estque de calebasse bord dentel

    Pour fabriquer un rcipient, la premire opration consiste prparer le fond. Dans tous les cas contem-porains, il sagit dune boule de pte aplatie en forme de disque par modelage. Une fois la forme circulaire obtenue, le fond est aminci par raclage : dabord, laide dune estque de calebasse dentele laisse de larges sillons parallles, courbes ou rectilignes suivant les mouvements de la potire (figure 1). Jai pu remarquer ces traces, gnralement effaces par un second raclage l'estque plane (calebasse ou bambou), sur des poteries de forme ferme et dont le fond navait pas fait lobjet dun second raclage (avec un outil bord plan).

    Figure 1 Raclage du fond avec un morceau de calebasse dentel.

    phase 2 : prforMage du rCipient

    3. Raclage avec une estque de calebasse bord plan et courbe

    Le raclage avec le bord plan et courbe dune estque de calebasse est reconnaissable la formation de larges plages parallles, profil concave, stries de tranes peu profondes. L'interruption du geste laisse des sillons verticaux, empreinte de la tranche de l'outil (tableau 1). Ces macrotraces de raclage la calebasse sont similaires aux attributs diagnostiques du raclage dcrit par Rye (1981).

    4. Maintien de la paroi interne lors de la mise en forme de la paroi externe du rcipient

    Des empreintes de doigts ou un bosselage rsultant du maintien de la paroi lors de sa mise en forme externe peuvent apparatre sur les rcipients ferms (leur surface interne n'tant pas toujours rgularise) (figure 3).

    5. Raclage la baguette de bambou

    Le raclage la baguette de bambou suit, le plus souvent, un mouvement vertical. L'utilisation de cet outil laisse de larges bandes parallles parcourues de sillons plus ou moins profonds, rsultats de l'arrache-ment de particules non plastiques (tableau 1). Ces traces sont gnralement oblitres par l'opration

    Figure 2 Montage du premier colombin

  • 9Arrtons-nous dabord sur limportance du glo-bal. Larchologie coloniale de Guyane est la face matrielle, redevenue comprhensible, parfois tout simplement visible, de ce que lon a appel la suite de lanthropologue amricain Charles Wagley lAmrique des plantations, Plantation America 16. Larchologie des habitations, ce terme que les Amriques franaises, continentales et insulaires, ont prfr celui de plantations17, ramne ce qui a t au cur des premiers em-pires coloniaux europens dans ces rgions. Lex-ploitation des terres tropicales ou quinoxiales, tourne vers les cultures dexportation requises par les mtropoles doutre-Atlantique, a entrain lasservissement des populations locales, amrin-diennes, et la mise en esclavage dAfricains livrs aux Amriques par les cargaisons de la trait n-grire. Tout ce systme na donc vcu que par le commerce le projet de recherche conduit par Catherine Losier sur Le rseau commercial guya-nais : tude archologique de lacquisition des biens de consommation trouvs sur les sites de la Guyane au cours de lAncien Rgime colonial18 en a fait dailleurs sa cl de vote. Ce commerce sest appuy sur la mise en valeur de terres, qui comme aux Antilles, soprait par lintermdiaire des habitations, que celles-ci, suivant les poques et les lieux, aient cultiv le roucou (cest surtout vrai de la Guyane), la canne sucre, le cacao, lin-digo ou le caf. Quel est lapport de lhistoire dans ce domaine? Elle permet de comprendre lunit conomique et sociale que constituait une ha-bitation, sa culture matrielle19, la fois par les monographies ou les synthses labores par les chercheurs, mais aussi, quand les sources an-ciennes sont suffisamment riches, de savoir quoi correspondait un moment donn un exemple

    16 Caribbean Studies, 1957, trad. franaise dans Benoit (Jean), Les Socits antillaises: tudes anthropologiques, Publ. Centre de recherches carabes; consultable en ligne sur classiques.uqac.ca.

    17 Bgot (Danielle) (dir.), La plantation coloniale esclavagiste, XVIIe- XIX- sicles, Actes du 127e congrs des soc. historiques et scientifiques, paris, CTHS,2008, p. 13-43.

    18 Losier (Catherine), Rapport dactivit de la campagne danalyse de la culture matrielle des sites Picard, Loyola et Poulain, 2008, universit de Laval (Canada) et SRA de la Guyane.

    19 Le Roux (Yannick), Lhabitation guyanaise sous lAncien Rgime. Etude de la culture matrielle, thse de doctorat, Paris, EHESS, 1994, 863 p.

    particulier, prcis, dhabitation. Les inventaires, qui petit petit sortent des diffrents dpts darchives, tablis le plus frquemment lors dune mutation de proprit (vente, dcs, squestre ), permettent par la description souvent mi-nutieuse des biens didentifier les diffrents l-ments qui les ont constitues. Pour les sucreries, qui ont laiss le plus de traces reprables sur le terrain en raison dun recours parfois important la maonnerie, ce sera la nature et la fonction des diffrents vestiges, quils aient appartenu au ple domestique de lexploitation (maison de matre, cuisine, cases ngres), ou sa partie manufacturire, moulin(s) pour broyer la canne, sucrerie, purgerie et tuve si lhabitation a produit du sucre blanc, vinaigrerie sil y a eu fa-brication de tafia.

    Ranon de cette visibilit souvent plus grande des habitations-sucreries (surtout quand leurs vestiges ont t dbroussaills!), les habitations exploitant dautres cultures que la canne sucre, dont on sait limportance quelles ont jou pour la Guyane, avant et aprs labolition de lesclavage, nont sans doute pas la reprsentativit quelles possdaient autrefois. mme si des inventaires systmatiques comme celui conduit dans la com-mune de Rmire leur accordent toute leur va-leur20. Ajoutons, l aussi pour dmontrer toute limportance dune mise en perspective compara-tiste, que si Loyola et Saint-Rgis, au XVIIIe sicles, accumulent les belles ralisations en pierre, une sucrerie plus tardive comme Petit Cayenne (le de Cayenne), cotonnerie et sucrerie, mise en vente partir de 1817, montre quil nen tait pas toujours de mme. Avec ses 1.000 ha et ses 157 esclaves, son moulin eau (mais nous ne connais-sons pas la date prcise de sa construction) et sa sucrerie sont de charpente et bardeaux, voire, pour le moulin, mme pos partie sur de la ma-onnerie, de charpente et fourches en terre21.Encore convient-il de ne pas perdre de vue les li-mites de ce dcryptage, bien moins vident dans

    20 Rmire : Les habitations coloniales (XVIIe-XIXe sicles) , DAC Guyane, 2011.

    21 Archives dpartementales (AD) Guyane, Feuille de la Guyane, mai, aot et novembre 1823 (p. 143, 282, 453), expropriation force.

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    Arrtons-nous dabord sur limportance du glo-bal. Larchologie coloniale de Guyane est la face matrielle, redevenue comprhensible, parfois tout simplement visible, de ce que lon a appel la suite de lanthropologue amricain Charles Wagley lAmrique des plantations, Plantation America 16. Larchologie des habitations, ce terme que les Amriques franaises, continentales et insulaires, ont prfr celui de plantations17, ramne ce qui a t au cur des premiers em-pires coloniaux europens dans ces rgions. Lex-ploitation des terres tropicales ou quinoxiales, tourne vers les cultures dexportation requises par les mtropoles doutre-Atlantique, a entrain lasservissement des populations locales, amrin-diennes, et la mise en esclavage dAfricains livrs aux Amriques par les cargaisons de la trait n-grire. Tout ce systme na donc vcu que par le commerce le projet de recherche conduit par Catherine Losier sur Le rseau commercial guya-nais : tude archologique de lacquisition des biens de consommation trouvs sur les sites de la Guyane au cours de lAncien Rgime colonial18 en a fait dailleurs sa cl de vote. Ce commerce sest appuy sur la mise en valeur de terres, qui comme aux Antilles, soprait par lintermdiaire des habitations, que celles-ci, suivant les poques et les lieux, aient cultiv le roucou (cest surtout vrai de la Guyane), la canne sucre, le cacao, lin-digo ou le caf. Quel est lapport de lhistoire dans ce domaine? Elle permet de comprendre lunit conomique et sociale que constituait une ha-bitation, sa culture matrielle19, la fois par les monographies ou les synthses labores par les chercheurs, mais aussi, quand les sources an-ciennes sont suffisamment riches, de savoir quoi correspondait un moment donn un exemple

    16 Caribbean Studies, 1957, trad. franaise dans Benoit (Jean), Les Socits antillaises: tudes anthropologiques, Publ. Centre de recherches carabes; consultable en ligne sur classiques.uqac.ca.

    17 Bgot (Danielle) (dir.), La plantation coloniale esclavagiste, XVIIe- XIX- sicles, Actes du 127e congrs des soc. historiques et scientifiques, paris, CTHS,2008, p. 13-43.

    18 Losier (Catherine), Rapport dactivit de la campagne danalyse de la culture matrielle des sites Picard, Loyola et Poulain, 2008, universit de Laval (Canada) et SRA de la Guyane.

    19 Le Roux (Yannick), Lhabitation guyanaise sous lAncien Rgime. Etude de la culture matrielle, thse de doctorat, Paris, EHESS, 1994, 863 p.

    particulier, prcis, dhabitation. Les inventaires, qui petit petit sortent des diffrents dpts darchives, tablis le plus frquemment lors dune mutation de proprit (vente, dcs, squestre ), permettent par la description souvent mi-nutieuse des biens didentifier les diffrents l-ments qui les ont constitues. Pour les sucreries, qui ont laiss le plus de traces reprables sur le terrain en raison dun recours parfois important la maonnerie, ce sera la nature et la fonction des diffrents vestiges, quils aient appartenu au ple domestique de lexploitation (maison de matre, cuisine, cases ngres), ou sa partie manufacturire, moulin(s) pour broyer la canne, sucrerie, purgerie et tuve si lhabitation a produit du sucre blanc, vinaigrerie sil y a eu fa-brication de tafia.

    Ranon de cette visibilit souvent plus grande des habitations-sucreries (surtout quand leurs vestiges ont t dbroussaills!), les habitations exploitant dautres cultures que la canne sucre, dont on sait limportance quelles ont jou pour la Guyane, avant et aprs labolition de lesclavage, nont sans doute pas la reprsentativit quelles possdaient autrefois. mme si des inventaires systmatiques comme celui conduit dans la com-mune de Rmire leur accordent toute leur va-leur20. Ajoutons, l aussi pour dmontrer toute limportance dune mise en perspective compara-tiste, que si Loyola et Saint-Rgis, au XVIIIe sicles, accumulent les belles ralisations en pierre, une sucrerie plus tardive comme Petit Cayenne (le de Cayenne), cotonnerie et sucrerie, mise en vente partir de 1817, montre quil nen tait pas toujours de mme. Avec ses 1.000 ha et ses 157 esclaves, son moulin eau (mais nous ne connais-sons pas la date prcise de sa construction) et sa sucrerie sont de charpente et bardeaux, voire, pour le moulin, mme pos partie sur de la ma-onnerie, de charpente et fourches en terre21.Encore convient-il de ne pas perdre de vue les li-mites de ce dcryptage, bien moins vident dans

    20 Rmire : Les habitations coloniales (XVIIe-XIXe sicles) , DAC Guyane, 2011.

    21 Archives dpartementales (AD) Guyane, Feuille de la Guyane, mai, aot et novembre 1823 (p. 143, 282, 453), expropriation force.

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    8. Brunissage au galet ou la graine

    Le brunissage a pour effet de tasser et d'orienter les particules d'argile dans un mme sens (figure 6). Il en rsulte une alternance de facettes parallles, mates et brillantes (cf. Rye 1981). Plus la matire est sche, plus la brillance est accentue (cf. Rice 1987). consis-tance cuir, les facettes peuvent rester tout fait mates (tableau 1).

    de lissage mais, sur du matriel archologique, on ne peut exclure dobserver de telles traces.

    6. Rabotage l'estque de calebasse

    Le rabotage la calebasse intervient lorsque la pte atteint une consistance appele consistance cuir (figure 4). Les traces sont comparables celles du raclage l'estque de calebasse bord plan et courbe (plages concaves, stries parallles). Mais, suivant le degr de schage de la pte, cette opration provoque des craquelures plus ou moins importantes (tableau 1).

    Figure 3 Maintien de la paroi en plaant la main lintrieur du pot

    Figure 4 Rabotage de la paroi du pot laide dune estque de calebasse

    phase 3 : finitions

    7. Lissage avec la face convexe de l'estque de calebasse

    Le lissage la calebasse entrane la formation de fines stries superficielles et parallles (figure 5). On observe des particules de pte non tasses, laissant par endroit des reliefs granuleux.

    Figure 5 Lissage de la paroi avec la face convexe du morceau de calebasse

    Figure 6 Brunissage de la surface du vase avec un galet lisse

    9. Brunissage sur matire sche rhumidifie (galet).

    Si les particules non plastiques sont grossires, des stries partant dans des directions alatoires peuvent se former (tableau 1).

    10. Engobage

    En Guyane, hier comme aujourdhui, lengobe est gnralement rouge ou blanc. Il est appliqu au pinceau moderne ou au coton. Lutilisation de ce dernier laisse voir des sillons parallles et relativement profonds que lon retrouve souvent sur les tessons archologiques (tableau 1).

  • 8toute priode historique 7, a montr, par lin-vestissement des archologues, par limplication des conservateurs rgionaux darchologie, tout ce quelle pouvait apporter de significatif cette reconstitution toujours, cependant, en passant par la case histoire.

    Les bilans scientifiques du Service Rgional dAr-chologie ne laissent dailleurs aucun doute sur ces rapports obligatoires entre les deux disci-plines : celui de 1999, prsentant les oprations de recherche programme sur les habitations j-suites des XVIIe et XVIIIe sicles, commenait par signaler que larchologie ven[ait] complter les donnes des tudes darchives8. Lopration de prospection-inventaire du Bas-Oyapock, conduite par Sylvie Jrmie (AFAN, puis INRAP9) en 1997 na t mene quaprs dpouillement des sources r-alises par N. Mingaud aux Archives dOutre-Mer Aix-en-Provence (CAOM, aujourdhui ANOM)10; les oprations de recherche programme thma-tique sur les habitations11 des jsuites des XVIIe et XVIIIe sicles, dues Yannick Le Roux, Natha-lie Cazelles et Rginald Auger, se sont appuyes, comme le soulignait le conservateur rgional de larchologie Grald Migeon dans la prface qui ouvre louvrage consacr Loyola (2009)12, sur les importantes recherches en archives de Y. Le Roux, Cayenne, Aix-en-Provence et Rome. Lhistoire et archologie des habitations de la Comt, o lon retrouve encore les jsuites, traites par Egl Barone-Visigalli, Kristen Sarge et Rgis Verwimp (2010), font galement la part belle aux inven-

    7 Penna (Maria-Teresa), citant Robert Schuyler (1970), dans LAr-chologie historique aux Etats-Unis, op. cit., p. 35.

    8 DRAC Guyane, SRA, 2002, p. 13 (Jos Thomas).

    9 LAFAN(Association pour les fouilles archologiques nationales) a t remplace en 2001 par ltablissement public de lINRAP (Institut national de recherches archologiques prventives).

    10 DRAC Guyane, SRA, 2000, Bilan scientifique 1997, p. 7.

    11 Le terme dhabitation dsigne dans les terres amricaines de colonisation franaise (Guyane, Petites Antilles, Saint-Domingue, Louisiane mais aussi Qubec) un tablissement agricole fond par les colons euro-pens; tropicalis, le terme ne sentend plus, jusqu labolition dfini-tive de lesclavage, en 1848, outre terres, btiments et cultures, quavec les esclaves attachs la proprit.

    12 Migeon (Grald), dans Le Roux (Yannick), Auger (Rginald), Ca-zelles (Nathalie), Loyola. Les jsuites et lesclavage, Qubec, Presses de luniversit de Qubec, 2009.

    taires darchives et la cartographie ancienne13. Et lArchologie et histoire du Sinnamary du XVIIe au XXe sicle dOlivier Puaux et Michel Philippe, parue plus prcocement (1997), ne rservait pas, mme avec un ordre invers, la part du pauvre lhistoire14. Quant lambitieux programme de prospection-inventaire du Bas-Approuague, conduit depuis 2009 par Damien Hanriot et Phi-lippe Goergen, avec Nathalie Cazelles, une de ses grandes forces rside dans le recours un grand nombre de dpts darchives, en Guyane, en France et Londres.

    La cause donc est entendue. Mais pourquoi ce lien systmatique ? Si les informations que livrent les sources crites (textes, mais aussi cartographie et iconographie), limites en ce qui concerne nos exemples la priode moderne et contemporaine, sont toujours capitales, cest parce quelles jouent un triple rle. La cartographie offre parfois le seul moyen de donner une mmoire ce qui a totale-ment disparu du paysage. Dune autre manire, les textes proprement dits peuvent fournir des lments irremplaables la comprhension dun site : dates-cl, descriptions, volution, tats suc-cessifs. Cest bien pour cette raison que dans telle ou telle thmatique faisant lobjet dune opra-tion archologique (habitations, monde urbain, comme par exemple ltude trs rcente dEric Gassies et de Fabrice Casagrande sur lancienne douane de Cayenne15) les recherches historiques ne se sparent pas du travail de terrain ; elles le prcdentet laccompagnent. Mais au-del de ces micro-histoires, de ces histoires (au pluriel) de taille rduite, lhistoire (au singulier) donne sens ce qui existe sur le terrain en lui faisant prendre sa place dans un systme global qui en facilite lin-telligibilit condition, la rserve est de taille, nous y reviendrons, de ne pas confondre systme global et rptition lidentique dun modle unique, condition encore de pas croire que sans lhistoire il ne peut pas y avoir constitution de systme signifiant.

    13 Barone-Visigalli (Egl) [ dir.], Histoire et archologie de la Guyane franaise. Les jsuites de la Comt. Guyane, Ibis Rouge Editions, 2010.

    14 Paris, Ed. de la Maison des Sciences de lHomme, 1997.

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    toute priode historique 7, a montr, par lin-vestissement des archologues, par limplication des conservateurs rgionaux darchologie, tout ce quelle pouvait apporter de significatif cette reconstitution toujours, cependant, en passant par la case histoire.

    Les bilans scientifiques du Service Rgional dAr-chologie ne laissent dailleurs aucun doute sur ces rapports obligatoires entre les deux disci-plines : celui de 1999, prsentant les oprations de recherche programme sur les habitations j-suites des XVIIe et XVIIIe sicles, commenait par signaler que larchologie ven[ait] complter les donnes des tudes darchives8. Lopration de prospection-inventaire du Bas-Oyapock, conduite par Sylvie Jrmie (AFAN, puis INRAP9) en 1997 na t mene quaprs dpouillement des sources r-alises par N. Mingaud aux Archives dOutre-Mer Aix-en-Provence (CAOM, aujourdhui ANOM)10; les oprations de recherche programme thma-tique sur les habitations11 des jsuites des XVIIe et XVIIIe sicles, dues Yannick Le Roux, Natha-lie Cazelles et Rginald Auger, se sont appuyes, comme le soulignait le conservateur rgional de larchologie Grald Migeon dans la prface qui ouvre louvrage consacr Loyola (2009)12, sur les importantes recherches en archives de Y. Le Roux, Cayenne, Aix-en-Provence et Rome. Lhistoire et archologie des habitations de la Comt, o lon retrouve encore les jsuites, traites par Egl Barone-Visigalli, Kristen Sarge et Rgis Verwimp (2010), font galement la part belle aux inven-

    7 Penna (Maria-Teresa), citant Robert Schuyler (1970), dans LAr-chologie historique aux Etats-Unis, op. cit., p. 35.

    8 DRAC Guyane, SRA, 2002, p. 13 (Jos Thomas).

    9 LAFAN(Association pour les fouilles archologiques nationales) a t remplace en 2001 par ltablissement public de lINRAP (Institut national de recherches archologiques prventives).

    10 DRAC Guyane, SRA, 2000, Bilan scientifique 1997, p. 7.

    11 Le terme dhabitation dsigne dans les terres amricaines de colonisation franaise (Guyane, Petites Antilles, Saint-Domingue, Louisiane mais aussi Qubec) un tablissement agricole fond par les colons euro-pens; tropicalis, le terme ne sentend plus, jusqu labolition dfini-tive de lesclavage, en 1848, outre terres, btiments et cultures, quavec les esclaves attachs la proprit.

    12 Migeon (Grald), dans Le Roux (Yannick), Auger (Rginald), Ca-zelles (Nathalie), Loyola. Les jsuites et lesclavage, Qubec, Presses de luniversit de Qubec, 2009.

    taires darchives et la cartographie ancienne13. Et lArchologie et histoire du Sinnamary du XVIIe au XXe sicle dOlivier Puaux et Michel Philippe, parue plus prcocement (1997), ne rservait pas, mme avec un ordre invers, la part du pauvre lhistoire14. Quant lambitieux programme de prospection-inventaire du Bas-Approuague, conduit depuis 2009 par Damien Hanriot et Phi-lippe Goergen, avec Nathalie Cazelles, une de ses grandes forces rside dans le recours un grand nombre de dpts darchives, en Guyane, en France et Londres.

    La cause donc est entendue. Mais pourquoi ce lien systmatique ? Si les informations que livrent les sources crites (textes, mais aussi cartographie et iconographie), limites en ce qui concerne nos exemples la priode moderne et contemporaine, sont toujours capitales, cest parce quelles jouent un triple rle. La cartographie offre parfois le seul moyen de donner une mmoire ce qui a totale-ment disparu du paysage. Dune autre manire, les textes proprement dits peuvent fournir des lments irremplaables la comprhension dun site : dates-cl, descriptions, volution, tats suc-cessifs. Cest bien pour cette raison que dans telle ou telle thmatique faisant lobjet dune opra-tion archologique (habitations, monde urbain, comme par exemple ltude trs rcente dEric Gassies et de Fabrice Casagrande sur lancienne douane de Cayenne15) les recherches historiques ne se sparent pas du travail de terrain ; elles le prcdentet laccompagnent. Mais au-del de ces micro-histoires, de ces histoires (au pluriel) de taille rduite, lhistoire (au singulier) donne sens ce qui existe sur le terrain en lui faisant prendre sa place dans un systme global qui en facilite lin-telligibilit condition, la rserve est de taille, nous y reviendrons, de ne pas confondre systme global et rptition lidentique dun modle unique, condition encore de pas croire que sans lhistoire il ne peut pas y avoir constitution de systme signifiant.

    13 Barone-Visigalli (Egl) [ dir.], Histoire et archologie de la Guyane franaise. Les jsuites de la Comt. Guyane, Ibis Rouge Editions, 2010.

    14 Paris, Ed. de la Maison des Sciences de lHomme, 1997.

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    Karapa, vol. 3, juin 2014

    partir de lbauchage du rcipient jusquau dernier traitement de surface effectu.

    Le tableau ci-aprs rpertorie lensemble des macrotraces rencontres et les attributs diagnostiques permettant de les identifier sur le matriel archolo-gique.

    Tableau rfrenTielLes traces laisses sur la poterie peuvent potentielle-ment apparatre toutes les phases de sa manufac-ture. Cependant, dans la plupart des cas, les traces des premires oprations (bauche, mise en forme) sont occultes par les oprations successives de finition du pot. Sur la vaisselle ancienne, on peut toutefois compter sur des pots moins soigns que dautres laissant encore apparatre les macrotraces de leur faonnage. Le rfrentiel se constitue donc

    MACROTRACES OPRATION OUTIL PROBABLE

    Facettes mates parallles sub-parallles.

    Brunissage sur surface humide

    Galet ou graine dure

    Alternance de facettes brillantes et mates, parallles sub-parallles.

    Brunissage sur surface consistance cuir

    Galet ou graine dure

    Surface brillante traverse de stries de direction alatoire.

    Brunissage sur surface sche

    Galet ou graine dure

    Surface brillante et unie.

    Polissage Galet ou graine dure

    Surface violace (fond naturel apparaissant en dessous).

    Vernissage ?

    Surface de couleur parcourues de stries parallles et profondes.

    Engobage Pinceau de poils ? ou de fibre?

    Empreintes de doigts et bosses sur la paroi interne.

    Maintien de la paroi pendant le raclage de la surface externe

    Plages profil concave ou rectiligne parsemes de sillons profonds et irrguliers et/ou de craquelures.

    Rabotage Calebasse ou baguette de bambou

    Fines stries parallles.

    Lissage Calebasse

    MACROTRACES OPRATION OUTIL PROBABLE

    Empreintes de doigts.

    Pincement/tirement

    Sillons en U parallles.

    Raclage Calebasse dentele

    Fines stries parallles incluses lintrieur de plages concaves, parfois entrecoupes perpendiculairement par un sillon.

    Raclage Calebasse

    Bandes parallles parcourues de sillons irrguliers.

    Raclage Baguette de bambou

    Empreintes de doigts et bosses sur la paroi interne.

    Maintien de la paroi pendant le raclage de la surface externe

    MACROTRACES OPRATION OUTIL PROBABLE

    Fissures entre deux plaques.

    Base faonne partir deux plaques modeles.

    Colombin enroul en spirale.

    Base faonne au colombin.

    Fissures la jonction des colombins.

    Montage au colombin.

    Ondulations sur laxe verticale.

    Montage au colombin.

    Adjonction des colombins : plat, plat rebord, concave/convexe, en pointe.

    Montage au colombin.

    MACROTRACES OPRATION OUTIL PROBABLE

    Fissures entre deux plaques.

    Base faonne partir deux plaques modeles.

    Colombin enroul en spirale.

    Base faonne au colombin.

    Fissures la jonction des colombins.

    Montage au colombin.

    Ondulations sur laxe verticale.

    Montage au colombin.

    Adjonction des colombins : plat, plat rebord, concave/convexe, en pointe.

    Montage au colombin.

    Tableau 1 Macrotraces

  • 9Arrtons-nous dabord sur limportance du glo-bal. Larchologie coloniale de Guyane est la face matrielle, redevenue comprhensible, parfois tout simplement visible, de ce que lon a appel la suite de lanthropologue amricain Charles Wagley lAmrique des plantations, Plantation America 16. Larchologie des habitations, ce terme que les Amriques franaises, continentales et insulaires, ont prfr celui de plantations17, ramne ce qui a t au cur des premiers em-pires coloniaux europens dans ces rgions. Lex-ploitation des terres tropicales ou quinoxiales, tourne vers les cultures dexportation requises par les mtropoles doutre-Atlantique, a entrain lasservissement des populations locales, amrin-diennes, et la mise en esclavage dAfricains livrs aux Amriques par les cargaisons de la trait n-grire. Tout ce systme na donc vcu que par le commerce le projet de recherche conduit par Catherine Losier sur Le rseau commercial guya-nais : tude archologique de lacquisition des biens de consommation trouvs sur les sites de la Guyane au cours de lAncien Rgime colonial18 en a fait dailleurs sa cl de vote. Ce commerce sest appuy sur la mise en valeur de terres, qui comme aux Antilles, soprait par lintermdiaire des habitations, que celles-ci, suivant les poques et les lieux, aient cultiv le roucou (cest surtout vrai de la Guyane), la canne sucre, le cacao, lin-digo ou le caf. Quel est lapport de lhistoire dans ce domaine? Elle permet de comprendre lunit conomique et sociale que constituait une ha-bitation, sa culture matrielle19, la fois par les monographies ou les synthses labores par les chercheurs, mais aussi, quand les sources an-ciennes sont suffisamment riches, de savoir quoi correspondait un moment donn un exemple

    16 Caribbean Studies, 1957, trad. franaise dans Benoit (Jean), Les Socits antillaises: tudes anthropologiques, Publ. Centre de recherches carabes; consultable en ligne sur classiques.uqac.ca.

    17 Bgot (Danielle) (dir.), La plantation coloniale esclavagiste, XVIIe- XIX- sicles, Actes du 127e congrs des soc. historiques et scientifiques, paris, CTHS,2008, p. 13-43.

    18 Losier (Catherine), Rapport dactivit de la campagne danalyse de la culture matrielle des sites Picard, Loyola et Poulain, 2008, universit de Laval (Canada) et SRA de la Guyane.

    19 Le Roux (Yannick), Lhabitation guyanaise sous lAncien Rgime. Etude de la culture matrielle, thse de doctorat, Paris, EHESS, 1994, 863 p.

    particulier, prcis, dhabitation. Les inventaires, qui petit petit sortent des diffrents dpts darchives, tablis le plus frquemment lors dune mutation de proprit (vente, dcs, squestre ), permettent par la description souvent mi-nutieuse des biens didentifier les diffrents l-ments qui les ont constitues. Pour les sucreries, qui ont laiss le plus de traces reprables sur le terrain en raison dun recours parfois important la maonnerie, ce sera la nature et la fonction des diffrents vestiges, quils aient appartenu au ple domestique de lexploitation (maison de matre, cuisine, cases ngres), ou sa partie manufacturire, moulin(s) pour broyer la canne, sucrerie, purgerie et tuve si lhabitation a produit du sucre blanc, vinaigrerie sil y a eu fa-brication de tafia.

    Ranon de cette visibilit souvent plus grande des habitations-sucreries (surtout quand leurs vestiges ont t dbroussaills!), les habitations exploitant dautres cultures que la canne sucre, dont on sait limportance quelles ont jou pour la Guyane, avant et aprs labolition de lesclavage, nont sans doute pas la reprsentativit quelles possdaient autrefois. mme si des inventaires systmatiques comme celui conduit dans la com-mune de Rmire leur accordent toute leur va-leur20. Ajoutons, l aussi pour dmontrer toute limportance dune mise en perspective compara-tiste, que si Loyola et Saint-Rgis, au XVIIIe sicles, accumulent les belles ralisations en pierre, une sucrerie plus tardive comme Petit Cayenne (le de Cayenne), cotonnerie et sucrerie, mise en vente partir de 1817, montre quil nen tait pas toujours de mme. Avec ses 1.000 ha et ses 157 esclaves, son moulin eau (mais nous ne connais-sons pas la date prcise de sa construction) et sa sucrerie sont de charpente et bardeaux, voire, pour le moulin, mme pos partie sur de la ma-onnerie, de charpente et fourches en terre21.Encore convient-il de ne pas perdre de vue les li-mites de ce dcryptage, bien moins vident dans

    20 Rmire : Les habitations coloniales (XVIIe-XIXe sicles) , DAC Guyane, 2011.

    21 Archives dpartementales (AD) Guyane, Feuille de la Guyane, mai, aot et novembre 1823 (p. 143, 282, 453), expropriation force.

    9

    Arrtons-nous dabord sur limportance du glo-bal. Larchologie coloniale de Guyane est la face matrielle, redevenue comprhensible, parfois tout simplement visible, de ce que lon a appel la suite de lanthropologue amricain Charles Wagley lAmrique des plantations, Plantation America 16. Larchologie des habitations, ce terme que les Amriques franaises, continentales et insulaires, ont prfr celui de plantations17, ramne ce qui a t au cur des premiers em-pires coloniaux europens dans ces rgions. Lex-ploitation des terres tropicales ou quinoxiales, tourne vers les cultures dexportation requises par les mtropoles doutre-Atlantique, a entrain lasservissement des populations locales, amrin-diennes, et la mise en esclavage dAfricains livrs aux Amriques par les cargaisons de la trait n-grire. Tout ce systme na donc vcu que par le commerce le projet de recherche conduit par Catherine Losier sur Le rseau commercial guya-nais : tude archologique de lacquisition des biens de consommation trouvs sur les sites de la Guyane au cours de lAncien Rgime colonial18 en a fait dailleurs sa cl de vote. Ce commerce sest appuy sur la mise en valeur de terres, qui comme aux Antilles, soprait par lintermdiaire des habitations, que celles-ci, suivant les poques et les lieux, aient cultiv le roucou (cest surtout vrai de la Guyane), la canne sucre, le cacao, lin-digo ou le caf. Quel est lapport de lhistoire dans ce domaine? Elle permet de comprendre lunit conomique et sociale que constituait une ha-bitation, sa culture matrielle19, la fois par les monographies ou les synthses labores par les chercheurs, mais aussi, quand les sources an-ciennes sont suffisamment riches, de savoir quoi correspondait un moment donn un exemple

    16 Caribbean Studies, 1957, trad. franaise dans Benoit (Jean), Les Socits antillaises: tudes anthropologiques, Publ. Centre de recherches carabes; consultable en ligne sur classiques.uqac.ca.

    17 Bgot (Danielle) (dir.), La plantation coloniale esclavagiste, XVIIe- XIX- sicles, Actes du 127e congrs des soc. historiques et scientifiques, paris, CTHS,2008, p. 13-43.

    18 Losier (Catherine), Rapport dactivit de la campagne danalyse de la culture matrielle des sites Picard, Loyola et Poulain, 2008, universit de Laval (Canada) et SRA de la Guyane.

    19 Le Roux (Yannick), Lhabitation guyanaise sous lAncien Rgime. Etude de la culture matrielle, thse de doctorat, Paris, EHESS, 1994, 863 p.

    particulier, prcis, dhabitation. Les inventaires, qui petit petit sortent des diffrents dpts darchives, tablis le plus frquemment lors dune mutation de proprit (vente, dcs, squestre ), permettent par la description souvent mi-nutieuse des biens didentifier les diffrents l-ments qui les ont constitues. Pour les sucreries, qui ont laiss le plus de traces reprables sur le terrain en raison dun recours parfois important la maonnerie, ce sera la nature et la fonction des diffrents vestiges, quils aient appartenu au ple domestique de lexploitation (maison de matre, cuisine, cases ngres), ou sa partie manufacturire, moulin(s) pour broyer la canne, sucrerie, purgerie et tuve si lhabitation a produit du sucre blanc, vinaigrerie sil y a eu fa-brication de tafia.

    Ranon de cette visibilit souvent plus grande des habitations-sucreries (surtout quand leurs vestiges ont t dbroussaills!), les habitations exploitant dautres cultures que la canne sucre, dont on sait limportance quelles ont jou pour la Guyane, avant et aprs labolition de lesclavage, nont sans doute pas la reprsentativit quelles possdaient autrefois. mme si des inventaires systmatiques comme celui conduit dans la com-mune de Rmire leur accordent toute leur va-leur20. Ajoutons, l aussi pour dmontrer toute limportance dune mise en perspective compara-tiste, que si Loyola et Saint-Rgis, au XVIIIe sicles, accumulent les belles ralisations en pierre, une sucrerie plus tardive comme Petit Cayenne (le de Cayenne), cotonnerie et sucrerie, mise en vente partir de 1817, montre quil nen tait pas toujours de mme. Avec ses 1.000 ha et ses 157 esclaves, son moulin eau (mais nous ne connais-sons pas la date prcise de sa construction) et sa sucrerie sont de charpente et bardeaux, voire, pour le moulin, mme pos partie sur de la ma-onnerie, de charpente et fourches en terre21.Encore convient-il de ne pas perdre de vue les li-mites de ce dcryptage, bien moins vident dans

    20 Rmire : Les habitations coloniales (XVIIe-XIXe sicles) , DAC Guyane, 2011.

    21 Archives dpartementales (AD) Guyane, Feuille de la Guyane, mai, aot et novembre 1823 (p. 143, 282, 453), expropriation force.

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    Karapa, vol. 3, juin 2014

    Daprs les datations actuelles, la culture Barbakoeba se dveloppe partir du Xe sicle apr. J.-C. jusqu la fin du XIIIe sicle (Rostain et Versteeg 2004 ; Coutet 2009, paratre). La culture Thmire merge galement au dbut du second millnaire et steint au XVIIe sicle, lors de la colonisation (Rostain 1994a).

    Les cramiques des cultures Barbakoeba et Thmire sont principalement connues travers leurs caract-ristiques morpho-stylistiques et leurs types de pte.

    larauquinode en Guyane: les culTures barbakoeba eT Thmire

    La tradition Arauquinode stend du moyen Ornoque lle de Cayenne. Sur le littoral des Guyanes, quatre cultures lui sont attribues : Herten-rits, Kwatta (uniquement prsentes au Suriname), Barbakoeba ( lest de la cte surinamienne et louest de la cte de Guyane) et Thmire (sur lle de Cayenne et ses environs) (figure 7) (Rostain 1994a, 1994b, 1994c ; Rostain et Versteeg 2004).

    Figure 7 Carte de diffusion des cultures Barbakoeba et Thmire et localisation des neuf sites tudis

    La cramique Barbakoeba prsente frquemment des dcors de cordons appliqus et ponctus (figure 8) ou encochs, des ranges de ponctuations, des bords orns de colombins apparents, des bords lobs et des adornos zoomorphes ou anthropomorphes. La pte des cramiques Barbakoeba est gnralement dgraisse la chamotte (Boomert 1993 ; Versteeg 2003 ; Rostain et Versteeg 2004).

    La cramique de la culture Thmire reprend des thmes dcoratifs courants dans la tradition arauqui-node des Guyanes : cordons appliqus et ponctus, ranges dincisions sur les bords, lvres encoches,

    Figure 8 Bord dune urne funraire de culture Barbakoeba orne dun cordon appliqu-ponctu

  • 8toute priode historique 7, a montr, par lin-vestissement des archologues, par limplication des conservateurs rgionaux darchologie, tout ce quelle pouvait apporter de significatif cette reconstitution toujours, cependant, en passant par la case histoire.

    Les bilans scientifiques du Service Rgional dAr-chologie ne laissent dailleurs aucun doute sur ces rapports obligatoires entre les deux disci-plines : celui de 1999, prsentant les oprations de recherche programme sur les habitations j-suites des XVIIe et XVIIIe sicles, commenait par signaler que larchologie ven[ait] complter les donnes des tudes darchives8. Lopration de prospection-inventaire du Bas-Oyapock, conduite par Sylvie Jrmie (AFAN, puis INRAP9) en 1997 na t mene quaprs dpouillement des sources r-alises par N. Mingaud aux Archives dOutre-Mer Aix-en-Provence (CAOM, aujourdhui ANOM)10; les oprations de recherche programme thma-tique sur les habitations11 des jsuites des XVIIe et XVIIIe sicles, dues Yannick Le Roux, Natha-lie Cazelles et Rginald Auger, se sont appuyes, comme le soulignait le conservateur rgional de larchologie Grald Migeon dans la prface qui ouvre louvrage consacr Loyola (2009)12, sur les importantes recherches en archives de Y. Le Roux, Cayenne, Aix-en-Provence et Rome. Lhistoire et archologie des habitations de la Comt, o lon retrouve encore les jsuites, traites par Egl Barone-Visigalli, Kristen Sarge et Rgis Verwimp (2010), font galement la part belle aux inven-

    7 Penna (Maria-Teresa), citant Robert Schuyler (1970), dans LAr-chologie historique aux Etats-Unis, op. cit., p. 35.

    8 DRAC Guyane, SRA, 2002, p. 13 (Jos Thomas).

    9 LAFAN(Association pour les fouilles archologiques nationales) a t remplace en 2001 par ltablissement public de lINRAP (Institut national de recherches archologiques prventives).

    10 DRAC Guyane, SRA, 2000, Bilan scientifique 1997, p. 7.

    11 Le terme dhabitation dsigne dans les terres amricaines de colonisation franaise (Guyane, Petites Antilles, Saint-Domingue, Louisiane mais aussi Qubec) un tablissement agricole fond par les colons euro-pens; tropicalis, le terme ne sentend plus, jusqu labolition dfini-tive de lesclavage, en 1848, outre terres, btiments et cultures, quavec les esclaves attachs la proprit.

    12 Migeon (Grald), dans Le Roux (Yannick), Auger (Rginald), Ca-zelles (Nathalie), Loyola. Les jsuites et lesclavage, Qubec, Presses de luniversit de Qubec, 2009.

    taires darchives et la cartographie ancienne13. Et lArchologie et histoire du Sinnamary du XVIIe au XXe sicle dOlivier Puaux et Michel Philippe, parue plus prcocement (1997), ne rservait pas, mme avec un ordre invers, la part du pauvre lhistoire14. Quant lambitieux programme de prospection-inventaire du Bas-Approuague, conduit depuis 2009 par Damien Hanriot et Phi-lippe Goergen, avec Nathalie Cazelles, une de ses grandes forces rside dans le recours un grand nombre de dpts darchives, en Guyane, en France et Londres.

    La cause donc est entendue. Mais pourquoi ce lien systmatique ? Si les informations que livrent les sources crites (textes, mais aussi cartographie et iconographie), limites en ce qui concerne nos exemples la priode moderne et contemporaine, sont toujours capitales, cest parce quelles jouent un triple rle. La cartographie offre parfois le seul moyen de donner une mmoire ce qui a totale-ment disparu du paysage. Dune autre manire, les textes proprement dits peuvent fournir des lments irremplaables la comprhension dun site : dates-cl, descriptions, volution, tats suc-cessifs. Cest bien pour cette raison que dans telle ou telle thmatique faisant lobjet dune opra-tion archologique (habitations, monde urbain, comme par exemple ltude trs rcente dEric Gassies et de Fabrice Casagrande sur lancienne douane de Cayenne15) les recherches historiques ne se sparent pas du travail de terrain ; elles le prcdentet laccompagnent. Mais au-del de ces micro-histoires, de ces histoires (au pluriel) de taille rduite, lhistoire (au singulier) donne sens ce qui existe sur le terrain en lui faisant prendre sa place dans un systme global qui en facilite lin-telligibilit condition, la rserve est de taille, nous y reviendrons, de ne pas confondre systme global et rptition lidentique dun modle unique, condition encore de pas croire que sans lhistoire il ne peut pas y avoir constitution de systme signifiant.

    13 Barone-Visigalli (Egl) [ dir.], Histoire et archologie de la Guyane franaise. Les jsuites de la Comt. Guyane, Ibis Rouge Editions, 2010.

    14 Paris, Ed. de la Maison des Sciences de lHomme, 1997.

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    toute priode historique 7, a montr, par lin-vestissement des archologues, par limplication des conservateurs rgionaux darchologie, tout ce quelle pouvait apporter de significatif cette reconstitution toujours, cependant, en passant par la case histoire.

    Les bilans scientifiques du Service Rgional dAr-chologie ne laissent dailleurs aucun doute sur ces rapports obligatoires entre les deux disci-plines : celui de 1999, prsentant les oprations de recherche programme sur les habitations j-suites des XVIIe et XVIIIe sicles, commenait par signaler que larchologie ven[ait] complter les donnes des tudes darchives8. Lopration de prospection-inventaire du Bas-Oyapock, conduite par Sylvie Jrmie (AFAN, puis INRAP9) en 1997 na t mene quaprs dpouillement des sources r-alises par N. Mingaud aux Archives dOutre-Mer Aix-en-Provence (CAOM, aujourdhui ANOM)10; les oprations de recherche programme thma-tique sur les habitations11 des jsuites des XVIIe et XVIIIe sicles, dues Yannick Le Roux, Natha-lie Cazelles et Rginald Auger, se sont appuyes, comme le soulignait le conservateur rgional de larchologie Grald Migeon dans la prface qui ouvre louvrage consacr Loyola (2009)12, sur les importantes recherches en archives de Y. Le Roux, Cayenne, Aix-en-Provence et Rome. Lhistoire et archologie des habitations de la Comt, o lon retrouve encore les jsuites, traites par Egl Barone-Visigalli, Kristen Sarge et Rgis Verwimp (2010), font galement la part belle aux inven-

    7 Penna (Maria-Teresa), citant Robert Schuyler (1970), dans LAr-chologie historique aux Etats-Unis, op. cit., p. 35.

    8 DRAC Guyane, SRA, 2002, p. 13 (Jos Thomas).

    9 LAFAN(Association pour les fouilles archologiques nationales) a t remplace en 2001 par ltablissement public de lINRAP (Institut national de recherches archologiques prventives).

    10 DRAC Guyane, SRA, 2000, Bilan scientifique 1997, p. 7.

    11 Le terme dhabitation dsigne dans les terres amricaines de colonisation franaise (Guyane, Petites Antilles, Saint-Domingue, Louisiane mais aussi Qubec) un tablissement agricole fond par les colons euro-pens; tropicalis, le terme ne sentend plus, jusqu labolition dfini-tive de lesclavage, en 1848, outre terres, btiments et cultures, quavec les esclaves attachs la proprit.

    12 Migeon (Grald), dans Le Roux (Yannick), Auger (Rginald), Ca-zelles (Nathalie), Loyola. Les jsuites et lesclavage, Qubec, Presses de luniversit de Qubec, 2009.

    taires darchives et la cartographie ancienne13. Et lArchologie et histoire du Sinnamary du XVIIe au XXe sicle dOlivier Puaux et Michel Philippe, parue plus prcocement (1997), ne rservait pas, mme avec un ordre invers, la part du pauvre lhistoire14. Quant lambitieux programme de prospection-inventaire du Bas-Approuague, conduit depuis 2009 par Damien Hanriot et Phi-lippe Goergen, avec Nathalie Cazelles, une de ses grandes forces rside dans le recours un grand nombre de dpts darchives, en Guyane, en France et Londres.

    La cause donc est entendue. Mais pourquoi ce lien systmatique ? Si les informations que livrent les sources crites (textes, mais aussi cartographie et iconographie), limites en ce qui concerne nos exemples la priode moderne et contemporaine, sont toujours capitales, cest parce quelles jouent un triple rle. La cartographie offre parfois le seul moyen de donner une mmoire ce qui a totale-ment disparu du paysage. Dune autre manire, les textes proprement dits peuvent fournir des lments irremplaables la comprhension dun site : dates-cl, descriptions, volution, tats suc-cessifs. Cest bien pour cette raison que dans telle ou telle thmatique faisant lobjet dune opra-tion archologique (habitations, monde urbain, comme par exemple ltude trs rcente dEric Gassies et de Fabrice Casagrande sur lancienne douane de Cayenne15) les recherches historiques ne se sparent pas du travail de terrain ; elles le p