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Ndzuani, Ngazidja, Mwali : 700 fc / Maore : 4 euros / Réunion, France : 5 euros / Madagascar : 2.500 ariary numéro 65 / juillet-août 2007 700 fc / 4 euros bamana qui était-il NOTRE DOSSIER Plus que les créoles Marcel Henry et Adrien Giraud, Younoussa Bamana symbolisait le combat des Mahorais pour “Mayotte française”. Son décès a éclipsé celui de l’un de ses illustres opposants, Saïd Toumbou, qui représentait une autre facette du destin de Maore. Retour sur les parcours pas si différents de deux amoureux de leur île. LÉGISLATIVES / MAORE Pourquoi Kamardine a perdu PRÉSIDENTIELLES / UNION Dans les rouages de la machine à frauder kashkazi www.kashkazi.com les vents n’ont pas de frontière, l’information non plus coup de force à ndzuani chronique d’une mascarade électorale bacar : portrait d’un caïd devenu président enquête sur ses réseaux mafieux Comment fait-on la fête dans l’archipel ? JEUX DES ÎLES Maore revient sur le tapis PALESTINE Un Etat divisé en mille morceaux par la colonisation israélienne

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Ndzuani, Ngazidja, Mwali : 700 fc / Maore : 4 euros / Réunion, France : 5 euros / Madagascar : 2.500 ariary

numéro 65 / juillet-août 2007700 fc / 4 euros

bamana qui était-ilNOTRE DOSSIERPlus que les créoles Marcel Henry et Adrien Giraud, Younoussa Bamana symbolisait le combat des Mahorais pour “Mayotte française”. Son décès a éclipsé celui de l’un de ses illustres opposants,Saïd Toumbou, qui représentait une autre facette du destin de Maore. Retour sur les parcours pas si différents de deux amoureux de leur île.

LÉGISLATIVES / MAORE

Pourquoi Kamardine a perdu

PRÉSIDENTIELLES / UNION

Dans les rouages de la machine à frauder

kashkaziwww.kashkazi.com

le s vent s n ’ont pas de f ront i è re , l ’ i n fo rmat ion non p lu s

coup de force à ndzuani

chronique d’une mascarade électorale

bacar : portrait d’un caïd devenu présidentenquête sur ses réseaux mafieux

Comment fait-on la fête dans l’archipel ?

JEUX DES ÎLES

Maore revient sur le tapisPALESTINE

Un Etat divisé en mille morceauxpar la colonisation israélienne

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kashkazi 65 juillet 2007 3

4 ENTRE NOUSLE JOURNAL DES LECTEURS

DES NOUVELLES DE... bob denardHORIZONS DIVERS lina joly, chrétienne interditePORTRAIT TYPE yasser et allaoui, à caltex

8 FAUT QU’ÇA SORTEENQUÊTE le directeur de la Paf provoque un

accident en toute impunité DIPLOMATIK’ il faut tuer le président chavezPOLITIQUE estrosi, un ministre sauce piquanteLA QUESTION pourquoi caambi soutient bacar ?TRANSPORTS le maria galanta souverain !

15 RUE DES INCONGRUSquand les “grand quelqu’un” informent “grand n’importe comment”

16 NOUVELLES DU FRONT

20 GROS PLANla diaspora en france : l’envers du décor

24 DÉCRYPTAGE24 NDZUANI chronique d’une mascarade électorale

bacar, un caïd devenu présidentles réseaux mafieux du pouvoir

30 PRÉSIDENTIELLES dans les rouages de la fraudeportraits des deux élus

32 LÉGISLATIVES pourquoi kamardine a perduabdoulatifu, version césaire ?

34 FOOTBALL stades : au bonheur des hooligans35 SPORTS l’imbroglio des jeux des îles

36 RÉGIONles nouvelles donnes de la constitution malgache

38 GÉOPOPALESTINE un état divisé en mille morceaux

48 HORS-PISTEcomment fait-on la fête dans l’archipelenquête sur l’évolution des loisirs

52 HUMEUR VAGABONDEla complainte des vaincus

54 LES MAUX DE LA FINconte du pays des aveugles dansants et du borgne louche

sommaire (65) Union africaine : de l’utopie au fantasme

"LA MISSION DEMANDE AUX AUTORITÉS d'Anjouan d'or-ganiser une élection libre et équitable en conformité avec le plan de sécurisa-tion de l'Union africaine [et] s'engage à poursuivre ses efforts avec l'ensembledes parties comoriennes afin de surmonter les obstacles qui continuent d'entra-ver le processus de réconciliation aux Comores, en conformité avec les accordsde Fomboni de 2001, de Beit Salam de 2003 et la Constitution de l'Union."Aucune menace contre Mohamed Bacar, pourtant clairement hors du champde la légalité, et des promesses de négociation. Dix ans après le début de sonimplication dans le dossier comorien, l'un des derniers communiqués del'Union africaine, publié le 24 juin après la visite d'une délégation de ministresdu continent dans l'archipel, sonne comme un aveu d'impuissance. Le lendemain de ce communiqué, une conférence internationale se tenait àParis, à l'initiative du président français Nicolas Sarkozy, pour tenter de trouverdes solutions à la crise du Darfour, au Soudan. Sans les autorités soudanaises,mais également sans l'Union africaine, qui est pourtant le principal interlocu-teur du régime de Karthoum. N'ayant pas été consultée en amont de cette réuni-on, l'UA a en effet préféré s'abstenir d'y participer. Après avoir vu des "forceshybrides" associer ses propres troupes, déjà présentes sur le terrain soudanais,à celles de l'Organisation des Nations Unies, verrait-elle le premier "gros dos-sier" qui lui avait été confié lui échapper ?

SI LES CRISES COMORIENNE ET SOUDANAISE n'ont rien decomparable quant à la gravité du conflit, le nombre de personnes concernées,les pertes humaines et les enjeux géopolitiques, elles n'en représentent pasmoins deux exemples révélateurs des difficultés de l'UA à affronter l'un de sespremiers objectifs historiques : lutter contre la balkanisation du continent afri-cain. "Préconiser l'unité africaine et détruire les bases mêmes de cette unité,n'est pas souhaiter l'unité [africaine]" avait déclaré Patrice Lumumba lors d'undiscours prémonitoire à l'occasion de l'indépendance de son pays, le 30 juin1960. Le leader de la lutte pour l'indépendance du Congo, un des chantres dupanafricanisme développé par le ghanéen Kwame Nkrumah, pointait ainsi dudoigt les divisions auxquelles pouvaient aboutir les manœuvres de balkanisa-tion menées par les puissances coloniales. "Tous nos compatriotes doivent

savoir qu'ils ne serviront pas l'intérêt généraldu pays dans (…) la balkanisation de nospays en de petits Etats faibles", prévenait-il.La création d'une organisation panafricainedevait constituer la parade contre ce morcel-lement programmé du continent.

Celle-ci voit le jour en 1963 sousle nom d'Organisation de l'unité africaine(OUA). Ses textes fondateurs consacrent la"validité" et la "pérennité" du principe del'intangibilité des frontières issues de lacolonisation, qui constituent alors le fonde-ment de son action, en vue de parvenir à lalibération politique du continent. Autreobjectif : la promotion de l'unité et de la soli-darité. En 40 ans d'existence, l'OUAa atteintson premier but, décoloniser politiquementl'Afrique, même s'il subsiste encore des ava-tars de la décolonisation. Il n'en est pas de

même pour la préservation de l'unité du continent et de la solidarité entre lesAfricains. Sur ces deux points, le bilan est très controversé. Bien que devieux conflits qui ont embrasé durant des années le continent aient été réglés,l'Afrique demeure secouée par de nombreux foyers de tensions. Cet échec tient selon Scotty Makiese, auteur d'une réflexion consacrée à l'his-toire de l'organisation panafricaine, à un mal originel lié à la fois à "l'inexpé-rience de ses dirigeants", à des "fissures dans ses structures organisationnel-les" et surtout à une division entre "modérés d'une part et progressistes del'autre". Cette dernière étant la conséquence des conflits entre les deux blocsEst et Ouest qui selon Makiese, "[ont influencé] d'une manière excessive lecomportement de l'organisation africaine". En 2002, l'Union africaine remplace l'OUA. Simple changement de nom ?Pour Scotty Makiese, bien que le mur de Berlin soit tombé, "le fonctionnementest resté pratiquement le même. Le système de sommets de chefs d'Etat précé-dés des réunions, souvent improductives, des ministres des Affaires étrangères

est toujours en vigueur. De temps en temps, d'autres rencontres réunissant desresponsables de divers secteurs de la vie économique, sociale, énergétique ouenvironnementale ont lieu. Seulement, les résultats auxquels ils aboutissent necorrespondent pas aux attentes des peuples des pays membres". Sur le plan de la sécurité, souligne Scotty Makiese, "les Etats africains font plusconfiance à l'ONU qu'à l'UA. Le Rwanda, le Burundi, la RD Congo, laSomalie, l'Angola et aujourd'hui le Darfour ont fait et continuent à faire les fraisde l'incapacité de l'UA à assurer la protection de leurs populations en cas deconflit. Des troupes sous-équipées, mal coordonnées et mal entraînées, avecdes mandats mal définis, toujours placées sous les ordres des pays occidentaux,ne rassurent pas les populations. Dans ces conditions, doit-on continuer à croi-re en l'Union Africaine ?"

LA QUESTION TARAUDE EN EFFET les opinions nationalesafricaines, et traverse l'actualité politique de l'archipel comorien. S'il neconnaît pas l'ampleur des conflits qui font rage dans d'autres régions, celui-ci n'en représente pas moins un foyer de tension, lié à une décolonisation quel’UA et l’ONU n'ont pas réussi à parachever depuis 32 ans. Dans bien des domaines pourtant, la transformation de l'Organisation de l'UnitéAfricaine en Union Africaine est présentée comme une avancée qui préparel'Afrique à affronter les enjeux à venir. Elle "offre des opportunités sans précé-dent pour commencer à aborder les raisons pour lesquelles l'Afrique a été uncontinent aussi perturbé depuis (…) quarante ans environ" écrit BinaiferNowrojee 1. Certes, la réaffirmation par l'UA du principe de "non ingérence"d'un Etat membre dans les affaires intérieures d'un autre Etat membre, a faitréagir ceux qui y décèlent une manière de taire les critiques sur des violationsdes droits de l'Homme. En revanche, le droit d'intervention de l'Union dans unEtat membre est explicite, de même que la condamnation des changements derégime anticonstitutionnels. Le "principe de non-indifférence" est présentécomme une innovation : "En cas de prises de pouvoir non constitutionnelles,d'actes de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, les diri-geants africains (...) peuvent prendre les mesures qui s'imposent".

Malgré ces avancées, l'UA ne dispose pas de tous les moyens poli-tiques et militaires pour exécuter ses décisions. S'il faut lui reconnaître la réso-lution de certains conflits comme en Sierra Léone ou en République démocra-tique du Congo, l'ONU reste le principal pourvoyeur de troupes. Les prioritésdes interventions ne sont pas toujours celles relevées par l'organisation africai-ne : ne disposant pas d'une autonomie suffisante pour financer ses opérations,l'UA reste dépendante des bailleurs occidentaux. L'Union européenne s'estrécemment engagée à verser 250 millions d'euros au Fonds pour la paix del'UA. Or, pour "amener les Occidentaux à utiliser leurs capacités, ils doivent yreconnaître leurs propres intérêts", souligne Kevin Chaput 2. En outre, l'UAs'est elle-même liée les mains dans la mise en application de sesdispositions. Le droit d'intervention "ne peut être mis en œuvre que dans descirconstances très limitatives, où le désespoir se fait urgent (…) s'il y a eu crimede guerre, génocide ou crime contre l'humanité", relève Binaifer Nowrojee. Parailleurs, souligne-t-il, le pouvoir de sanction que s'est donné l'UA à l'encontredes Etats membres de l'Union ne concerne que la "privation de la parole auxréunions, privation du droit de vote, l'interdiction d'un ressortissant d'un Etatmembre d'occuper un poste ou une fonction au sein de l'Union." L'organisationpanafricaine est encore loin des ambitions affichées. "Pour l'Afrique profonde,l'UAne fait pas partie de son horizon immédiat" conclut Scotty Makiese. "Elleest plutôt un lointain fantasme."

FANTASME EN PASSE D'ÊTRE DÉÇU aux Comores, où lapopulation -à commencer par les Anjouanais- pensait qu'il suffirait d'un peu defermeté de la part de l'organisation “toute-puissante” pour remettre MohamedBacar, fort d’une force d’à peine 500 à 600 hommes, dans le rang. Or la crisecomorienne comme celle du Darfour montrent que dans les processus de bal-kanisation, la prise de responsabilité à l'intérieur du pays est au moins aussiimportante que toutes les médiations internationales.

1 Binaifer Nowrojee, "L'Afrique seule face à elle-même : intervention régionale et droits humains”, Rapport mondial 2004.2 Kevin Chaput, analyste en formation en Études en politiques appliquées, Université de Sherbrooke (Canada).

EN PRÉAMBULE

40 DOSSIERbamana-toumbou, deux destins

40 BAMANA-TOUMBOU destins croisés43 maore au coeur de leurs combats44 poroani 1973 : la bataille bamana-abdallah45 acoua 1973 : le siège des serré-la-main46 la fin des vieux baobabs47 bamana vu depuis moroni

par Lisa Giachino et Kamal’Eddine Saindou

Mensuel indépendant de l’archipel des Comores édité par laSARL BANGWE PRODUCTION Deuxième année - numéro 65BP 53 11, Moroni, Ngazidja, Union des Comores Tel. Moroni : (00 269) 76 17 97 - (00 269) 36 17 97Tel. Mamoudzou : 06 39 21 93 39e-mail : [email protected] / www.kashkazi.com

Directeur de la publication : Kamal’Eddine Saindou Rédactrice en chef : Lisa GiachinoRédaction : Rémi Carayol, Naouerdinne Papamwegne,Daan-Ouni MsoiliCollaborateurs : Ahmed Abdallah, Nassuf Djaïlani, Soeuf Elbadawi, Le Quotidien de la Réunion, Syfia International, Eric Tranois

Impression : Graphica Imprimerie, Moroni - (00 269) 73 59 65

La crise comorien-ne comme celle duDarfour montrentque (...) la prise deresponsabilité àl'intérieur du paysest aussi impor-tante que toutesles médiationsinternationales.

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kashkazi 65 juillet 20074

entre nous le journal des lecteurs

JE CONTINUE DE LIRE KASHKAZI,UNE VOIX ORIGINALE, DANS LEPAYSAGE MÉDIATIQUE MAHORAIS,mais je m'étonne d'une chose : que vousvous exprimiez en français ! Car, à en lirevotre article "Le français : plus parlé, moinsmaîtrisé", cette langue serait non seulementmal apprise, mais intrinsèquement malfai-sante, structurellement impérialiste et pourtout dire méchante. A l'appui de cette thèsepour le moins bizarre, vous citez d'ailleursune espèce d'expert, un certain M. PabloGuevara, qui l'affirme : "Contrairement àl'arabe ou à l'espagnol, qui sont des lan-gues nées (je souligne) pour intégrer diffé-rentes populations, le français a été fixé àune époque où l'on avait besoin d'uneélite." Et ce docte linguiste (une année oudeux en FLE, pensez, quelle référence !)d'ajouter : "…le français c'est la langue dela réussite. Donc (je souligne) un peu unelangue qui exclut."J'ai d'abord hésité à réagir, tant j'ai eu dumal à croire que votre journal puisse don-ner du crédit à de telles élucubrations,mais finalement je vais y répondre, si vousme le permettez, moi qui ne suis pas unsavant, mais juste un professeur de lettresdont les diplômes, titres et autres référen-ces valent certainement ceux de cet émi-nent spécialiste.Permettez moi de rappeler d'abord quel'espagnol, la belle langue de DonQuichotte, fut aussi celle des conquista-dors. Et quelle sympathique intégrationque le massacre de millions d'amérindienspar les Espagnols et l'imposition du seulcastillan sur les territoire conquis !Monsieur Guevara semble avoir oubliécette histoire ! Quant à l'arabe, il suffit deprendre l'exemple actuel de l'arabisationforcée des Berbères d'Algérie pour douterque, dans ce contexte précis, cette langueapparaisse plus "intégrante" qu'une autre.Ici même, à Mayotte, quand on se rendcompte que l'arabe, pourtant enseignédepuis des siècles dans les écoles cora-niques, n'est toujours pas compris par lapopulation et que cette idiome n'a pas sudépasser le statut de langue sacrée,magique et énigmatique, à l'instar de notreantique latin, on pourrait douter de sa forced'intégration native…Alors, bien sûr, ces observations ne sontpas là pour incriminer l'espagnol ou l'a-rabe ou je ne sais quelle autre langue,mais pour montrer au contraire combienle racisme linguistique dont semble fairepreuve M. Guevara est tout simplementgrotesque. L'espagnol n'est, par nature,ni meilleur ni pire que le français ou lechinois ou le serbo-croate ou le turc ouje ne sais quel autre langage. Par nature,il n'y a pas de langue née pour exclureou pour inclure, pour soumettre ou pourêtre soumise !

Cette thèse est de bon sens. Si une langues'impose par rapport à une autre, ce n'estpas par une grâce génétique ! Ce n'est pasparce qu'elle serait bien née, élue par je nesais quelle divinité, comme les seigneursde l'ancien régime affirmaient l'être pourconserver leur pouvoir ! Si une langues'impose c'est simplement parce qu'elle asu bénéficier du "génie", patient et sécu-laire, de ceux qui la pratiquent et qui latravaillent, c'est-à-dire de ceux qui ont suet savent encore l'enrichir de leursconnaissances, renouvelées, de leursdécouvertes, de leurs témoignages, etaussi, il ne faut pas négliger cet aspect, deleurs passions, telle que -par exemple-l'esprit de conquête, le goût pour les scien-ces ou pour le commerce.

SI DONC LE FRANÇAIS est devenu unelangue de "réussite", pour reprendre cemot de Monsieur Guevara, en France toutd'abord, puis ici, à Mayotte, c'est d'abordpour la raison que le français permet d'ap-précier la modernité et le progrès, à touspoints de vues, et qu'il est perçu par tousceux qui sont curieux du savoir et avidesde conscience comme un médium pra-tique et efficace. Cette réalité peut déplai-re à l'idéologue, mais ne peut choquerl'honnête homme.

A ce sujet, permettez-moi un exemplesimple, et qui, je l'espère, n'aura pas àsouffrir les foudres des bien-pensants oudes stroumphs à lunettes de tous poils :comment le shimaoré ou le kibushi pour-raient "parler" de l'Électricité, puisqueaucun savant mahorais ou malgache n'ajamais participé à la maîtrise et à la cons-cience de cette énergie ? Alors, oui, unmahorais qui va s'intéresser à ce domaine,va être obligé d'employer des mots euro-péens, il va apprendre ce qu'est unAmpère, un Joule, un Volt, un Watt ettoute une foule de termes concernant l'ins-tallation d'un réseau électrique ; sa langueva se "créoliser" d'autant ; et j'ajoute :comment faire pour traduire en mots shi-maorés ou kibushis équivalents ce savoirélectrique puisqu'il n'y aucune référenceautochtone à ce savoir ?Alors, certes, on peut décliner cet exemplesur une infinité de domaines et, que celaplaise ou pas, voilà la raison principalepour laquelle le français, dans cette régiondu monde, est la langue qui s'impose, c'estparce qu'elle véhicule, mieux qu'une autre,les sciences, la modernité et la réussite. Mais où est le mal ? Où est l'exclusion ?Pourquoi le goût de la connaissance, ledésir de conscience et l'ambition d'uneréussite serait-elle une exclusion comme le

prétend votre expert ? Quel étrange argu-ment que celui-là ! Nous-mêmes, français,avons-nous oublié que nous parlons unelangue créole ? Aujourd'hui encore, nenous laissons nous pas actuellement créo-liser par des mots anglo-saxons, qui nousapportent des connaissances que nous nepossédons pas, en informatique par exem-ple ou en "marketing" ? Et qui s'inquiète,qui s'offusque de savoir que notre lexiquequotidien comporte des mots d'originesétrangères, que nous avons pris, de-ci, de-là, au fur et à mesure de notre histoire,pour parler de choses que nous ignorions ?Nous avons pris, par exemple, les mots"démocratie" et "politique" du grec ancienet voilà que les mahorais -et d'autres biensûr- les reprennent à leur tour. Ou est lemal ? Nous avons pris le mot algèbre del'arabe repris à son tour par les mahoraisqui apprennent désormais les mathéma-tiques à l'école des wazungu, où est lemal ? Et l'on pourrait citer encore desmilliers d'autres exemples. Bref, si vraiment le français est une langue,originellement, intrinsèquement, ontologi-quement, horriblement malfaisante, il fautque Kashkazi, permettez-moi de le répéter,change vite de support linguistique. Quant àvotre expert, lui qui malheureusement sem-ble également contraint d'utiliser l'ignoble

idiome de Voltaire et de Rousseau, je luiconseille aussi d'en changer rapidement etd'apprendre, par exemple, à parler la languede l'honnêteté intellectuelle, qui ne laissepas d'être utile et dont visiblement il ignorejusqu'à l'alphabet.

YOANNE TILLIER, PAMANDZI

NOTE DE LA RÉDACTION

Puisque l’auteur de ce courrier nous cite,nous prenons la liberté d’apporter une préci-sion : en aucun cas l’article incriminé n’a-vait pour but de dénoncer la langue françai-se, dont nous n’avons jamais écrit qu’il s’a-git d’une langue malfaisante, comme semblel’avoir compris Y. Tillier. Il s’agit d’uneextrapolation infondée qui ne correspond pasà notre vision des choses. Malheureusement,affirmer que le français est une langue diffi-cile à apprendre et qu’il serait peut-être bonpour le vice-rectorat de changer sa méthodesemble être assimilé par certains à uneattaque contre la culture française. Il fautdire que dès qu’on ose poser des questionssur la culture ou la politique de la France, ceque Kashkazi fait souvent, on est immédiate-ment taxé dans cet archipel de francophobie.D’où peut bien provenir une telle réaction ?Nous nous le demandons sans cesse.

“La langue de Voltaire permet d’apprécier la modernité”

LE FRANÇAIS LANGUE D’EXCLUSION ? NON, DE PROGRÈS !

YOANNE TILLIER S’INSURGE CONTRE L’ARTICLE DU MOIS DERNIER CONSACRÉ À L’APPRENTISSAGE DU FRANÇAIS À MAORE.

“Il faut remonter à loin pour expliquer l’échec de l’Education nationale”

DUR, L’APPRENTISSAGE DU FRANÇAIS ?POUR UN LECTEUR DE MAORE, LES RAISONS DES DIFFICULTÉS DE L’APPRENTISSAGE DU FRANÇAIS SONT MULTIPLES.

SELON LE KASHKAZI DE JUIN LE"FRANÇAIS (EST) PLUS PARLÉ, (mais)moins maîtrisé" et la question de l'appren-tissage du français "en tant que langueétrangère ou langue seconde est de moinsen moins taboue au sein de l'éducationnationale". Cette seconde affirmation meparaît bien optimiste. Un exemple ? Il y a trois ans, des ensei-gnants en formation se voyaient fermementdéconseiller, par des membres de leur hié-rarchie, la rédaction d'un mémoire sur les"Difficultés des élèves à apprendre le fran-çais, langue étrangère". Ces grands chefs précisaient ne pas vouloirfroisser les responsables politiques locaux.Ils se font donc complices de l'entreprise dedestruction de l'unité du peuple comorien.Complices de l'entreprise de la minoritédirigeante de Maore qui depuis des annéesmanipule la population, cherche à accrédi-ter l'idée que les quatre îles ne constituentpas un seul et même peuple. Ils cherchentdonc aussi à faire croire que nous ne som-mes pas en présence d'une seule et même

langue (avec, bien sûr, des différences d'uneîle à l'autre, d'un coin à l'autre d'une mêmeîle). De là à présenter le français commelangue véhiculaire, usitée, naturelle... il fautun sacré culot !Dans la même logique, des linguisteslocaux sont payés pour faire semblant detravailler à une transcription du mahorais àl'écrit... alors que cette transcription a étéréalisée depuis des décennies aux Comoresindépendantes, sous le régime Soihili. Dans un paysage idéologique aussi brouillé,comment des enfants pourraient apprendrefacilement une langue non maternelle,enjeu de pouvoir ?Surtout qu'en même temps, il est réclamédes apprenants qu'ils se coltinent avec quat-re, cinq, six langues : shibushi et shimaore(au moins dans certains villages), arabe àl'école coranique, français, une puis deuxlangues au collège (et parfois même dès leprimaire !)...Surtout qu'en même temps rien n'est faitpour que jeunes et adultes puissent se pen-cher sur la grammaire, le fonctionnement

de leur langue maternelle.Et ce n'est pas l'actuelle expérience archi-minoritaire d'une poignée de classes mater-nelles bilingues qui redressera la barre. Anoter qu'une tentative identique avait étélancée il y a moins de dix ans, à grands ren-forts de pub, d'avis d'experts universitaires,de semaines de formation pour les person-nels enseignants. Cette entreprise trèsmédiatisée avait avorté, suite à une "insuffi-sance de volonté politique".Peut on rêver mieux pour installer la confu-sion dans nos chères têtes...pas blondes ?Autres éléments de la complexité :- la France colonisatrice avait laissé s'ins-taurer un déséquilibre entre les îles. Lagrande majorité des instituteurs deMayotte venait du reste des Comores.Massivement partisans de l'indépendance,vers 1974, ils furent pourchassés, malme-nés, expulsés. Il fallut donc recruter desenseignants d'un niveau de formationinitiale très faible (du CM à la troisième !).Ce n'est pas faire injure à ces personnelsmal formés de dire qu'ils ne maîtrisaient

pas, ne maîtrisent parfois encore pas com-plètement la langue française. Il s'agit sim-plement d'expliquer les insuffisances dusystème mis en place par la métropole.Comment pourraient-ils, dès lors, trans-mettre un savoir non maîtrisé ? Et ils sontencore nombreux dans les classes. - la France, puissance colonisatrice, ne s'estdécidée à mettre le paquet en matière decrédits pour l'enseignement que depuisenviron quinze, vingt ans. Le retard sur lamétropole est énorme. Par exemple, ce quise produisait au début des années soixante -toute une classe d'âge au collège- est encoreloin d'être atteint ici.- enfin, comment s'étonner que la languefrançaise pose problème à une populationqui, à la fois aspire au bien-être matériel(illusoire ? aliénant ?) promis et introduitdéjà par la métropole et, en même temps,rechigne à tout ce que la domination colo-niale implique d'abandon de son identitéprofonde.

MAX UFIKIRI, MAORE

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kashkazi 65 juillet 2007 5

le journal des lecteurs entre nous

JOURNÉE FUNESTE, S'IL EN EST POURLES COMORES ET LES COMORIENS. Ce 8juin 2007 à Paris, tout au long de ce procès enappel du mercenaire français Bob Denard, flan-qué de ses acolytes, encadrés par une flopée d'a-vocats 1. Face à eux, personne pour réfuter leursthèses erronées, ou à tout le moins, faire valoirle bon droit du peuple comorien, sans cessebafoué et humilié. C'est un procès bizarre, àsens unique, entaché selon la défense de "ladéfection indécente et irrespectueuse de la par-tie civile"."C'est un manque de respect manifes-te", renchérit-elle, "qui en dit long sur les inco-hérences et le manque de sérieux, maintes foisdénoncés dans ce dossier". Bref, cette providen-tielle défaillance des Comoriens qui ne se sontmême pas donné la peine d'envoyer le moindrereprésentant (ni conseil, ni avocat, ni représen-tant de l'ambassade... ni partie civile) lors decette dernière journée du procès en appel quel'on disait décisif, a fait le chou gras du tir grou-pé aussi bien des prévenus que des avocats desmercenaires (un peu moins d'une dizaine), quin'en demandaient pas autant. Pour tout dire, onétait en tout et pour tout, trois Comoriens dansle public.

MAÎTRE ELIE HATEM, l'avocat de BobDenard, déroule tranquillement sa plaidoirie encommençant par récuser le terme d'"associationde malfaiteurs" pour la bonne raison, selon lui,que :1. Bob Denard et ses amis, ont toujours agi enbonne intelligence avec les autorités françaises,même si cela s'est toujours fait dans l'opacité dela Françafrique. Sinon,- comment se fait-il que Bob Denard condamnéen avril 1993 (soit deux ans avant le coup d'Etataux Comores) à une peine de cinq ans de prisonavec sursis pour une tentative de coup d'Etat auBénin en janvier 1977, ait pu trouver lesmoyens de fomenter un coup d'Etat depuis laFrance, sans éveiller le moindre soupçon.- comment se fait-il, qu'à leur débarquement auxComores, les mercenaires soient accueillis surplace, avec tant de bienveillance par un officierfrançais du GIGN, chargé de la protection rap-prochée du président comorien Djohar. Un offi-cier qui a su neutraliser ses subordonnés como-riens et négocier la reddition du présidentDjohar, avant de disparaître, sans jamais êtreentendu par la justice française.- qu'est ce qui a fait dire au premier ministrefrançais de l'époque, M. Alain Juppé, à la télévi-sion (avant de se rétracter sous la pression de laCommunauté internationale), "qu'il était hors dequestion que la France intervienne" [alors quel'accord de défense qui lie la France auxComores toujours en vigueur devait jouer.NDLR] si ce n'est le soutien des autorités fran-çaises qui a toujours prévalu, pour couvrir lescrimes et forfaitures que Bob Denard et seshommes, perpétuent de façon récurrente auxComores en leur nom…2. Il n'y a pas eu une goutte de sang versé, dansla mesure où sur place aux Comores, Bob

Denard et ses hommes agissaient en terrainconquis. Aussi bien les responsables de l'arméeet la classe politique les ont reçu à bras ouvert,selon maître Elie Hatem.3. Elie Hatem va jusqu'à dire, que même ladiaspora comorienne lui apporte son soutien, s'ilen juge par la lettre du [prétendu NDLR] prési-dent des Comoriens de l'extérieur M. BacarIslam [Bacar Giscard NDLR].

PROFITANT de l'absence criante de la partiecivile, Maître Elie Hatem, dans sa plaidoirie,essaie de démontrer l'irrecevabilité des préten-tions comoriennes dans la mesure où, selon lui,en dehors du fait que la partie civile est physi-quement inexistante, l'existence de l'entité plai-gnante est loin d'être démontrée. S'agit-il del'Etat ? Si oui, de quel Etat ? Du gouvernement? Si oui, de quel gouvernement ? Celui del'Union ? De la Grande Comore ? De Mohéli ?D'Anjouan, "dont je fus un moment désignépour en être le représentant" 2 ? annonce-il ensouriant. Et maître Elie Hatem enfonce le clouen clamant : "Même SOS Démocratie parle del'île autonome d'Anjouan". Union, fédération,confédération ? A qui a-t-on affaire ?S'ensuit une attaque en règle contre SOSDémocratie et son président Abdourahmane,auteur du communiqué versé au dossier, dontElie Hatem a relevé les prétendues incohérencesdans sa plaidoirie- Cette association s'arroge le droit de gérer l'a-genda de la cour d'appel en fixant la fin des tra-vaux au 16 juin- Cette association se contente de déplorer lesoutien des Comoriens, des autorités comorien-nes, des avocats comoriens, dont un qui préfèrese consacrer aux élections présidentielles de cesmicro états- etc...En terminant sa plaidoirie, Elie Hatem demandela relaxe pure et simple, dans la mesure où BobDenard, très malade, est complètement ruiné."Jugement le 6 juillet", clame le président."C'est le jour de la fête nationale auxComores", reprend un mercenaire, bien au cou-rant. "Ce sera alors fête pour tout le monde",plaisante un autre, content de son effet…Je pense qu'il est fort dommage qu'un tel événe-ment soit passé inaperçu dans nos associations.Et plus particulièrement à la CommissionTPI/CPI.

SAÏD HASSANE JAFFAR, PARIS

NOTES DE LA RÉDACTION

1 Lire en page 7 le compte-rendu d’audience.2 Elie Hatem a joué un rôle important dans le sépara-tisme anjouanais en 1997. Après avoir “supervisé” leréférendum d’octobre 1997, il avait été nommé ambas-sadeur “plénipotentiaire” de l’île “indépendante”.Dans les colonnes du journal d’extrême-droite ActionFrançaise Hebdo, il avait à plusieurs reprises soutenucette rébellion. Lire Kashkazi n°64.

“Où était l’Etat comorien !?”

PROCÈS DENARD, L’ABSENCE DE TROP

L’AUTEUR DE CET ARTICLE A ASSISTÉ AU JUGEMENT EN APPEL DU MERCENAIRE. ILS ÉTAIENT TROIS COMORIENS...

MAYOTTE - GIBRALTARTu coules au hasard - Si tu n' prends pas gare

MAYOTTE - GIBRALTARGare à la frontière - Si tu veux r'voir ton frère

MAYOTTE - GIBRALTARFrère d'histoire - Homme de mémoire

MAYOTTE - GIBRALTARMémoire connais pas - Frangin mets ton visa

MAYOTTE - GIBRALTARVisa Eldorado - Visa hi sé ho !

MAYOTTE - GIBRALTARHi sé ho la grand voile - Ici-bas mets ton voile

MAYOTTE - GIBRALTARVoile et vapeur - Hissez les couleurs !

MAYOTTE - GIBRALTARCouleurs de l'espoir - Crever ou y croire

MAYOTTE - GIBRALTARCroire au lendemain - A un monde sans faim

MAYOTTE - GIBRALTARFaim qui dévore - Du pain, pas d' l'or !

MAYOTTE - GIBRALTAROr à vos portes - Le diable l'emporte !

MAYOTTE - GIBRALTARPortes du Paradis - Pour le prix d'une vie

MAYOTTE - GIBRALTARVie loin des siens - S'ach'ter un destin

MAYOTTE - GIBRALTARDestin d' Tonton Cristobal …… Ou d'une vie à cent balles…

MAYOTTE - GIBRALTAAAARGH !!!

FRED DHARMA, MAORE (14 mars 2007)

“Quelle différence entre les deux ?”

MAYOTTE - GIBRALTARUN PETIT SLAM POUR ÉVOQUER L’IMMIGRATION “CLANDESTINE”

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kashkazi 65 juillet 20076

PUBLI-REPORTAGE

MSS organise une fêtepopulaire pour ses 3 ans

C ent dix-huit agents, six gros contratsréguliers, et de nombreuse interven-tions ponctuelles : il n’aura fallu que

trois ans à Moroni Sécurité Services (MSS)pour devenir une référence parmi les sociétésde sécurité comoriennes. Installée àBadjanani, l’un des vieux quartiers de la capi-tale, l’entreprise s’est fait une place de choixauprès des organismes et sociétés internatio-naux. On aperçoit ses agents, chemise blan-che et foulard rouge ou bleu sur l’épaule, surl’ensemble du site des Nations Unies -dontelle assure également la sécurité des diploma-tes-, à l’Agence pour la sécurité et la naviga-tion aérienne Afrique et Madagascar(Asecna), auprès de la société Al MarwaneGolf-Com, du Croissant Rouge, du projetAMIES de la Francophonie... Des sociétés etorganismes comoriens commencent parailleurs à accorder leur confiance à MSS : c’estle cas de la Meck Moroni et de l’entreprise deconstruction Abdallah Wadaane. “Nous assurons aussi la sécurité d’évène-ments ponctuels comme les grands concerts,la Fête de la Musique ou celle de la Poste”,précise le directeur, Mohamed Soilih Ahmed.Ces dernières années, MSS s’est d’autre partvu confier la sécurisation des centres de saisiedes résultats des élections de l’Union desComores et des îles autonomes.

Il faut dire que le parcours de ce retraitéde l’armée française, et l’attention qu’il porteà la formation de ses agents, sont autant degaranties quant au professionnalisme de l’en-treprise. Militaire dans l’artillerie de 1972 à1995, Mohamed Soilih Ahmed a voyagé pen-dant plus de vingt ans en Europe où il a inté-gré les forces françaises en Allemagne avantd’enseigner à l’Ecole d’application d’artilleriepuis de devenir chef de l’atelier armement àDouai. “Je me suis ensuite reconverti dans lecivil, dans le domaine de la sûreté et la sécu-rité d’entreprise”, indique-t-il. Une formationau Centre national de prévention et de protec-tion de Vernon lui permet d’obtenir un certi-ficat technique de l’Institut supérieur de sécu-rité des entreprises, ainsi qu’une maîtrised’organisation de la sécurité et de la sûretéd’entreprise. De retour aux Comores en 1999,il travaille pendant trois ans comme supervi-seur chez Securicom avant de créer sa propreentreprise, “uniquement grâce à ma pensionmilitaire et mes petites économies”. MSSdémarre en juillet 2004 avec quinze agents etun premier contrat signé avec l’Asecna.“Ce que ma carrière militaire m’a apporté ?La rigueur, la discipline, l’art et la manièrede commander, et la pédagogie pour ma for-mation”, énumère le directeur. “Je forme toutmon personnel.”

Retenus en prévision des contrats enpasse d’aboutir, les candidats à l’embauchepassent un à deux mois en formation, le tempsde faire leurs preuves et d’apprendre les basesde leur futur métier. “Ils apprennent ce quec’est que la menace, comment empêcher unagresseur de réaliser ses objectifs, commentagir face aux différents combustibles”,explique Mohamed Soilih Ahmed. “Enfin, jeme bats avec eux sur ce que j’appelle le trianglede la rigeur, ou les trois P : politesse, propreté

corporelle et vestimentaire, et ponctualité.”Le staff d’agents de sécurité MSS ne compteaucune femme pour l’instant. “Il y en auraquand on travaillera avec les hôtels”,annonce le directeur qui espère bien élargirson champ d’activité aux secteurs touristiqueet bancaire.

Outre le gardiennage, MSS compte deux aut-res secteurs d’intervention. Le service detransport de fonds, doté d’un véhicule sécuri-sé, est pour l’instant uniquement utilisé parla Banque centrale pour ses mouvementsvers l’aéroport. En revanche, la société réali-se de nombreux audits, conseils, démarchespour l’équipement, contrats de prévention,formation des personnels d’entreprises et

plans d’évacuation dans le cadre de sondépartement de lutte contre les incendies,dirigé par un spécialiste du domaine.

De mieux en mieux implanté sur lemarché comorien et à la tête d’une impor-tante masse salariale, Mohamed SoilihAhmed se penche à présent sur les aspectssociaux de la gestion de son personnel. C’estce qui l’a poussé à fêter “en grande pompe” letroisième anniversaire de son entreprise.“Cet anniversaire est dédié à la mutuelle desanté, de solidarité et d’entraide que j’ai faitcréer pour le personnel”, explique-t-il.“L’argent collecté lors de la fête sera versésur le compte de cette mutuelle pour lui per-mettre de démarrer. Un bureau a été votépar les agents, et ils ont ouvert un compte àla Meck. Ainsi ils bénéficieront d’un soutienen cas de problème de santé en dehors dutravail ou d’évènement familial, et pourrontemprunter de l’argent jusqu’à hauteur deleur salaire.”

Pour financer la mise en place d’une mutuelle au profit de ses 118 agents, Moroni Sécurité Services propose trois jours d’activitéssportives, musicales, festives et commerciales du 6 au 8 juillet.

Agents MSS à leur poste, devant l’enceinte des Nations Unies.

“Ma carrière m’a apporté la rigueur, l’art de commander et la pédagogie”

Une fête au profit de la mutuelle des agents

Du 6 au 8 juillet MSS fête son 3e anni-versaire à Moroni. L’argent collectésera entièrement reversé à la mutuellede santé, d’entraide et de solidarité quivient d’être fondée au profit des agentsde l’entreprise. Pour le directeur, c’estaussi l’occasion de renouer avecl’esprit des fêtes populaires qui faitaujourd’hui défaut à la célébration del’Indépendance des Comores, le 6juillet 1975. “Pendant l’époque colo-niale, la fête pour le 14 juillet durait 15jours, avec des kermesses, etc.”, sesouvient-il. “Maintenant, il n’y a rienà part la cérémonie officielle et le défi-lé militaire. Nous voulons rendre unpeu aux jeunes, au peuple, leur fête !”

Quel est le programme de la fête ?

- 6 juillet à partir de 21h : retraite auxflambeaux, départ : Badjanani- 7 juillet à 9h : ouverture officielle,stade Bohmer, d’une foire-expo artisa-nale et commerciale.- 7 juillet à partir de 17h30 : concert austade Bohmer avec les DJ du moment,puis Salim Ali Amir, Ngaya,Wanamah et des surprises MSS...- 8 juillet à 7h30 : cross de masse sur 8 km, départ place Ajao- 8 juillet à partir de 9h : foire-expo- 8 juillet à 15h : match de footMSS/Al Marwane Golf-Com au stadeBohmer- 8 juillet à 17h : wadaha au stadeBohmer- 8 juillet à 19h : bal des jeunes auClub des amis, avec projection d’un filmcontre le SidaEntrée au stade Bohmer et aux différentes activités : 1.000 fc

Comment fonctionne cette mutuelle ?

Plutôt que de répondre aux sollicita-tions individuelles de ses agents en casde pépin ou d’évènement familial, ladirection de MSS a décidé d’encoura-ger le personnel à s’organiser enmutuelle. Chaque salarié versera 1.000fc par mois, complétés par un apportrégulier de la part de l’entreprise. Lesprestations fournies par la mutuelleont été votées par les agents, qui ontégalement élu leur bureau. Les cadresde l’entreprise n’interviendront pasdans le fonctionnement de la structu-re. “J’ai uniquement un droit deregard puisque je verserai une sommechaque mois”, précise Mohamed SoilihAhmed.

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7kashkazi 65 juillet 2007

les gens entre nous

C'est une piaule de gar-çons en tôle, qui sent unpeu les pieds, avec leursbaskets et leur sac de courssagement accrochés au dessusdu lit et de vieilles affiches dethéâtre qui tapissent les murs.Allaoui et Yasser, les inséparables cou-sins, s'y assoient sur le sol avec tous leurstrésors devant eux, et ils "bossent". Ils ont 16 et17 ans et sont en 6ème au collège public deMboueni (Moroni), autant dire que leur avenirscolaire est loin d'être garanti. Mais dans leurquartier, tout le monde le dit : "Ces deux là ontun don." Allaoui bidouille des émetteurs radio ;Yasser manie la pince à épiler comme pas deuxpour refaire tourner les radiocassettes. Ils ontappris tout seuls et partagent le même fer àsouder… Bricoler, se montrer assez malin pour

faire marcher des vieuxtrucs dont plus personnene voulait, c'est leurmanière d'être autrechose que des collégiensen galère. Leur complici-té d'ados pas nés de ladernière pluie a mêmedébouché sur une radioqui émet à Caltex grâce àl'improbable assemblagede quelques compo-sants… "J'ai commencé en 2002-2003", raconte Allaoui.

"J'avais entendu qu'on pouvait fabriquer un stu-dio avec un micro radio… Plus tard en 2006,après l'école avec Yasser, on avait faim et onn’avait rien à faire. Un jour, Yasser a amené cetruc qu'il avait trouvé chez un ami. C'était unpetit émetteur. Il a dit : "Ça va nous aider àfaire quelque chose." J'ai réfléchi et en le met-tant en haut, beaucoup de gens ont pu nousécouter." La RCM, pour Radio CaltexMhumbre, était née. "On met de la musique de

la nouvelle génération, on fait "carte dédicace"tous les dimanches -les filles adorent- et il y ades gens qui viennent parler de la politique, dela vie du quartier… Mais là, on a arrêté parcequ'on a beaucoup de devoirs. On reprendrapendant les vacances…" Avec son micro-lunet-tes rouge en forme de gadget, Allaoui a un airde clown. "Quand les gens viennent ici, ils necroient pas que notre studio c'est ça, qu'on émetavec ces petits bouts de trucs", s'amuse-t-il. "Ilsnous prennent pour des fous ! Ils ont l'habitudede voir des ordinateurs dans les radios."Quelques habitants du quartier ont quand mêmedécidé d'encourager les deux bricoleurs, commece voisin qui leur a cédé sa mini chaîne. Enéchange, Yasser lui fournira un poste radiocas-sette remis en état… Il y a quelques mois, le truc de Yasser, c'était dedessiner des fleurs. De belles fleurs colorées, aucrayon, sur des feuilles A4. Ça plaisait aux jeu-nes filles, mais ça ne lui laissait pas espérergrand-chose d'autre. C'est alors qu'il s'est lancédans la réparation du petit matériel électronique."Avant, j'étais avec mon père", explique-t-il."Mon père il fait tout : cultivateur, mécanicien,chauffeur… Il me disait que je n'avais pasbesoin d'attendre qu'on m'apprenne des choses.Partout où j'allais, je voyais des radios quiétaient laissées, en panne. Ça me faisait mal aucœur de voir ces objets fabriqués par l'énergiehumaine, et qui étaient rejetés comme ça."Dans un quartier sans foyer des jeunes, Yasseret Allaoui ont inventé leurs loisirs. "C'est nosjouets, on n'a pas de choses à faire à part ça",avoue Allaoui. "Ce qui m'empêche de fumer,c'est l'électricité, l'électronique, la radio", pour-suit Yasser. Mais leur réflexion va plus loin. Cesgrands élèves de 6ème savent qu'à part euxmêmes, pas grand monde ne pense à leur ave-nir. Et voudraient bien que des voies existentpour les gens comme eux. "Ici aux Comores”,admet Yasser, “si je suis faible en math et enfrançais mais que je suis fort en physique, jepourrais gagner ma vie grâce à l'électricité.Mais si on me fait sortir de l'école, qu'est-ce queje dois faire de ma vie ? Moi, ce que je fais là,ça m'aide à réfléchir. Peut-être qu'un jour jetrouverai quelqu'un qui va m'engager.”

LG

des nouvelles de...

BOB DENARDLe mercenaire à la retraite pourrait être condamné à 5 ans de prisondont 4 avec sursis, pour le coup d’Etat organisé aux Comores en 1995.

portrait type

Yasser et Allaouil’espoir est dans la bricole

Bob Denard va-t-il faire de laprison pour son coup d'Etat organi-sé en 1995 aux Comores, qui avaitpermis d'évincer du pouvoir le pré-sident Djohar ? Condamné en2006 à cinq ans de prison avec sur-sis pour “avoir organisé et préparédepuis le territoire français” ce coupd'Etat, il attend le verdict de sonprocès en appel, qui s'est déroulé finmai-début juin. Cinq ans de prisondont quatre avec sursis ont étérequis par l'avocate générale fran-çaise le 8 juin, tandis que l'avocatdu mercenaire, Elie Hatem,

demandait la relaxe.Bob Denard avait été condamnéen première instance le 20 juin2006 à cinq ans de prison avec sur-sis pour cette tentative de prise depouvoir, mais le parquet avait faitappel, estimant que "le tribunal n'a-vait pas fait une exacte apprécia-tion de la loi pénale" -déjà condam-né en 1993 à du sursis, il ne peut, entant que récidiviste, échapper à unepeine de prison ferme. Devant la10ème chambre de la cour d'appel,l'avocate générale a estimé que l'as-sociation de malfaiteurs "était claire-

ment établie" pour cette opération.La magistrate a soutenu que BobDenard, 78 ans, absent de l'audien-ce pour “raisons de santé” depuis ledébut du procès, a “mené une opé-ration strictement personnelle denature lucrative” et a refusé de“conclure que celui-ci ait eu l'autori-sation d'agir des services secrets fran-çais”. Elle a demandé que les quat-re ans de sursis soient assortis d'unepériode de mise à l'épreuve de troisans et 10.000 euros d'amende. De son côté, Me Elie Hatem ademandé la relaxe de son client“qui ne se serait pas engagé danscette opération sans avoir eu le feuvert des autorités françaises”. PourMe Hatem, “il y a bien eu un feuvert des services secrets français pourcette opération à laquelle a partici-pé la Direction générale de la sécu-rité extérieure”. Cette opération, aajouté l'avocat, avait pour but dedestituer le président Djohar qui a“été ensuite séquestré pendantquatre mois sur l'Ile de la Réunionpar la France” 1. L'avocat desComores, partie civile, a quant à luidemandé un euro symbolique dedommages et intérêts. Verdictattendu début juillet.

(avec Reuters)

1 Lire kashkazi n°13

PERSONNE ne connaît Lina Joyet pourtant Lina Joy

est, ces jours-ci, l'une des femmes les plus célèbres deMalaisie. Son nom s'étalait à la "une" de tous les jour-naux de Kuala Lumpur, jeudi 31 mai, mais son visagereste un mystère. Musulmane convertie au christianis-me, Lina Joy se cache, en Australie si l'on en croit lesfamiliers du dossier. Par l'intermédiaire de son avocat,Benjamin Dawson, elle a répondu, jeudi, à ceux qui sedemandent si elle va s'exiler pour de bon : "Il me seraitextrêmement difficile d'exercer ma liberté de conscien-ce (en Malaisie) dans le climat actuel." La Cour fédé-rale de Malaisie, a-t-elle ajouté, "m'a refusé un droitindividuel fondamental : celui de croire en la religionde son choix, d'épouser la personne de son choix et d'é-lever une famille dans le contexte malaisien". Un peucomme le pseudonyme Jane Roe symbolise, aux Etats-Unis, le combat qui a abouti à la légalisation de l'avor-tement (…) en 1973, le nom de Lina Joy passera sansdoute à la postérité en Malaisie pour avoir demandé àla justice de lui reconnaître le droit de changer de reli-gion. Elle testait ainsi les limites de la liberté individuel-le dans un pays dont la religion officielle est l'islam,mais qui se veut une nation multiconfessionnelle,puisque les musulmans n'y sont majoritaires que de peu(60 %). Dans son verdict (…), la Cour fédérale, plushaute juridiction de Malaisie, a réservé aux tribunauxislamiques le droit exclusif de décider si un musulmanpouvait quitter l'islam pour une autre religion. Lina Joy est née Azlina Jailani, d'ethnie malaise, dansune famille musulmane, il y a quarante-deux ans. En1990, elle a commencé à fréquenter une église puis,plus tard, a rencontré un catholique malaisien, d'origine

indienne, et a voulu se marier. Elle a donc décidé d'a-dopter la foi chrétienne et a entamé une procédure pourchanger de nom. L'état civil ne lui a fait aucune difficul-té pour enregistrer sa nouvelle identité, Lina Joy, en1999 ; mais lorsqu'elle a voulu faire retirer la mention"musulmane" de sa carte d'identité, l'Etat a exigé uncertificat de renonciation délivré par un tribunal isla-mique. Pas question, s'est insurgée la jeune femme : jesuis chrétienne donc je n'ai plus rien à voir avec les tri-bunaux islamiques, d'autant plus que l'islam n'admetpas l'apostasie. Elle s'est alors tournée vers la justicecivile qui, en première instance, puis en appel, et enfinle 30 mai en cassation, l'a déboutée. Pendant toutes cesannées, Lina Joy n'a pas pu se marier, a dû quitter sontravail de vendeuse et vivre dans la quasi-clandestinitépour ne pas affronter l'hostilité de certains groupesmusulmans et a vraisemblablement laissé passer, vuson âge, la chance d'avoir des enfants. (...) De cet arrêt, qui devrait faire jurisprudence, dépen-dent plusieurs autres procédures suscitées par uneapplication de plus en plus rigoureuse de la loi isla-mique s'agissant des relations entre les religions. (…)Cette montée du conservatisme divise la communau-té musulmane. Brillant avocat de 37 ans formé àKuala Lumpur, à Hongkong et à Oxford, musulmand'ethnie indienne, Malik Imtiaz Sarwar était présent àl'audience, où il représentait les intérêts du barreau deMalaisie. "J'étais vraiment en colère hier”, raconte-t-il au lendemain du verdict. “J'ai dit à mes collèguesqu'en tant que musulman, je n'étais pas fier. Ils m'ontrépondu qu'elle n'avait qu'à vivre à l'étranger."

SYLVIE KAUFFMANN (Le Monde)

horizons divers

Lina Joy a tout perdu pour sa nouvelle religion

“Quand les gensviennent ici, ils ne croientpas que notrestudio c'est ça,qu'on émet avecces petits boutsde trucs.”

AFP

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kashkazi 65 juillet 20078

fqs faut qu’ça sorte

Il faut tuer le présidentHugo ChávezNous annoncions dans cette mêmerubrique le mois dernier la fermetureordonnée par le président vénézuélien,Hugo Chávez, de la chaîne de télévisionprivée RCTV. Comme de simples lecteurs dujournal français dit de référence, à savoir LeMonde, nous avons cru en la bonne foi deson journaliste qui dénonçait cette atteinteà la liberté de la presse, sans prendre lapeine de vérifier ses allégations. Comme lagrande majorité des médias du mondecapitaliste, nous avons repris cette informa-tion. A tort. Non seulement RCTV n'a pasété fermée comme a pu l'être l'ORTC àNdzuani -par la force des armes-, mais enplus, voilà plusieurs mois que cette chaînequi voue en Chávez une haine égale à cellede Georges W. Bush, aurait dû être interdi-te. Reprenons les faits : le 27 mai dernier, laconcession de 20 ans à la chaîne de télévi-sion privée Radio Caracas Television arrivaità son terme. Le gouvernement a décidé dene pas renouveler sa concession, afin d'ins-taller sur sa fréquence hertzienne une chaî-ne de service public. La réponse ne s'est pasfaite attendre : atteinte aux droits de l'hom-me, à la liberté d'expression, censure, dériveautoritaire, voilà ce qui se tramait au paysdu président rebelle.Ainsi, le 24 mai, le Sénat américain votait (àl'unanimité) une résolution contre la “fer-meture” de RCTV -l'ORTC n'a pas eu desoutien aussi prestigieux. De même, l'Unioneuropéenne “a noté avec inquiétude ladécision du gouvernement de laRépublique bolivarienne du Venezuela delaisser expirer la licence d'émission de RadioCaracas Télévision (RCTV) sans appel d'off-res ouvert pour la licence qui lui succède”.Comme le rapporte Bernard Cassen sur lesite du Monde diplomatique 1, “on ne sachepas que l'Union ait fait semblable déclara-tion et ait exigé un nouvel appel d'offreslorsque la licence d'émission de TF1 [la pre-mière chaîne française], accordée en 1987pour 15 ans, a été reconduite par le gouver-nement français en 2002 dans la plus totaleopacité”. Les médias occidentaux ont euxaussi dénoncé cette “dérive”.La vérité est pourtant loin d'être celle dis-tillée à tout-va. Michel Collon, journalistebelge, était au Venezuela durant ces évé-nements. Il raconte : “Une fois encore, j'ai pumesurer l'écart entre les médias internatio-naux et la réalité... Imaginez, en France,une chaîne qui participe activement à uncoup d'Etat militaire contre le gouverne-

ment élu, qui se rend ensuite complice d'unsabotage économique du pays par lesEtats-Unis, qui appelle chaque jour à la vio-lence et au renversement des institutionsdémocratiques, (…) eh bien ces Messieursde Reporters sans Frontières, du Monde,Libé et autres TF1, ne seraient-ils pas les pre-miers à réclamer son interdiction après cinqminutes ? Mais comme cela se passe auVenezuela, ils baptisent tout cela “libertéd'expression”. Rappelons aussi que RCTVn'est pas “fermée”. En fait, elle continue àémettre sans problèmes sur le câble et parsatellite. Qu'elle n'était pas “la dernièrechaîne d'opposition” (il en reste beaucoup).Que les monopoles privés (étroitement liésaux USA) continuent à dominer de façonécrasante l'audiovisuel et la presse écrite.2 ”En effet, RCTV ne disparaît pas : elle peutcontinuer à émettre sur le câble, parInternet et sur le satellite. On est loin de l'in-terdiction ! Et même si elle était fermée, cene serait pas la première fois : elle l'a déjàété en 1976, 1980, 1981, 1989 et 1991 -avantque Chávez n'arrive au pouvoir- pour nepas avoir respecté les règles de l'audiovisuelnational.

Comme le rapporte B. Cassen, “depuissa première élection à la présidence de laRépublique en 1998, M. Chávez n'a ferméaucune station de radio ou de télévision nipoursuivi aucun journaliste.” Le pluralismeest d'ailleurs de mise dans ce pays : en 2006,on comptait au Venezuela 20 chaînes hert-ziennes VHF privées et 1 publique ; 28 chaî-nes hertziennes UHF privées, 6 publiques et44 communautaires. Le président Chávezn'est d’autre part pas épargné par les cri-tiques dans ces médias. Selon B. Cassen, desétudes de contenu effectuées sur le mois dejanvier 2007 montrent que, dans ses pro-grammes, RCTV a invité 21 personnalitéshostiles au gouvernement, et aucune qui luisoit favorable. Le même mois, une des qua-tre autres grandes chaînes privées,Globovisión, a invité 59 opposants à Chávezcontre 7 de ses partisans. Du côté de la pres-se écrite, la situation est encore plus tran-chée : sur 10 quotidiens nationaux, 9 sontdes opposants déclarés au gouvernement,rapporte Bernard Cassen, qui conclut ainsique “prétendre que la liberté d'expressionest menacée au Venezuela relève de la plusinsigne mauvaise foi. (…)”

RC

1 www.monde-diplomatique.fr2 www.michelcollon.info

DIP

LOM

ATI

K’

keskidi le psdt sambi ?DEPUIS LE CONFLIT QUI L'OP-POSE AU RÉGIME de Bacar, laprésidence de l'Union a inauguré lacommunication de masse par SMS.Il fallait y penser : il suffit de passerune consigne à Comores Telecom,et tous les usagers de téléphonesportables reçoivent le texto deAha… Après que l'armée comorien-

ne ait été chassée de Ndzuani parles forces insulaires le 2 mai, le pré-sident a manifesté par SMS sonsoutien "à la population d'Anjouanmeurtrie et terrassée par MohamedBacar et ses troupes. Que Dieuvous garde". Près de deux moisplus tard, il transmettait son motd'ordre, toujours par SMS : "Pas de

négociations, élections d'abord àAnjouan". Le gouvernement s'y estmis lui aussi, pour informer "lapopulation, que des mesures pro-gressives seront prises contre lesrebelles. Ces mesures seront prisestout en épargnant la populationcivile". Adaptation au mondemoderne ou aveu d'impuissance ?

SI MOHAMED BACAR N'EN FAIT QU'À SA TÊTE, en bon leader séparatiste, il tend toujours l'oreille quandl'ambassade de France lui parle… C'est ce qu'à laissé entendre, d'après un témoin, l'ambassadeur ChristianJob au beau milieu d'une réunion de la communauté internationale : "Si l'Union des Comores et l'Union afri-caine me le demandent, j'envoie mon premier secrétaire et on règle ça !" Toujours d'après ce témoin, lors desnégociations du mois de mai, Sambi aurait fini par demander à ce que l'ambassade tente d'imposerDoihirou, jugé modéré, comme président par intérim. "Pas de problème", répond Frier… Aussitôt dit, aussitôtfait : Doihirou est devenu président… Mais surtout, ne parlez pas à M. Job d’ingérence. Il pourrait se vexer.

comme quoi, bacar peut être docile...

LE CHIFFRE QUI TUE

10 %Soit le taux des promesses tenues par les membres du G8, dans le cadre del’aide au développement de l’Afrique. La promesse initiale faite à Gleneagles, auRoyaume-Uni, en août 2005, était de 50 milliards de dollars par an pour l'Afrique.Trop belle pour être vraie : deux ans après le sommet présidé par Tony Blair, l'objectifde doubler l'aide au développement du continent d'ici 2010 n'est rempli qu'à 10%,affirme l'Africa Progress Panel (APP), le comité de suivi des engagements du G8.“Voilà la réalité”, titrait au lendemain de ce constat le quotidien The Guardian.

Un mandat d’arrêt pré-établi,c’est quand même plus rapide !

Le document ci-contre est unmandat d’arrêt établi au nom del’île autonome d’Anjouan. Commetout mandat d’arrêt, il est signé ettamponné par le substitut du procu-reur, qui est celui qui accorde ou pasce droit à la gendarmerie. Seul hic :celui-là ne comporte pas l’identitéde la personne à arrêter. Il s’agit enfait d’un document signé -en touteillégalité- avant même la désigna-tion de la personne à interpeller :plus simple pour les gendarmes, quin’ont qu’à le remplir quand ils lesouhaitent, sans en référer à leurhiérarchie. Une source anjouanaisenous affirme que ce type de docu-ment circule en masse dans l’île, cequi permet aux forces de l’ordred’arrêter qui elles veulent à n’impor-te quel moment sur n’importe quellieu, sans prendre la peine dedemander l’autorisation à un magis-trat, donc de suivre les voies légalesde la justice. C’est pas beau, cetterecherche d’efficacité du gouverne-ment Bacar ?!

la mairie à tout prix ? L’ANCIEN DÉPUTÉ DE MAORE, Jean-FrançoisHory, se verrait bien maire de Mamoudzou. Le memb-re du Mouvement radical de gauche (qui vire de plusen plus à droite), après sa défaite aux dernières élec-tions sénatoriales (2004) et l’échec de son poulainMansour Kamardine aux législatives, envisage doncune nouvelle fois de tester sa faible popularité auprèsde l’électorat mahorais. Mais peut-être compte-t-il surl’UMP et notamment sur Michel Taillefer, patron duMedef qui aurait lui aussi des vues sur la capitale, pourl’aider à conquérir cette place forte. On comprendraitainsi mieux son ralliement à Kamardine...

frier s’en vaLE PREMIER CONSEILLER de l'ambassade de France,M. Frier, quitte les Comores, non sans avoir marqué de sonempreinte les sempiternelles embrouilles franco-comorien-nes entre personnel diplomatique et hommes politiques enmal de protection. M. Frier est notamment connu pour sacomplicité avec Caambi El-Yachourtu, ancien vice-prési-dent des Comores et candidat à la présidentielle de l'Union,qui vient de rallier Mohamed Bacar (lire son interview p.11).

chacun son journalL’ANCIEN DÉPUTÉ DE MAORE, Mansour Kamardine,a très vite compris l’intérêt de posséder un organe de propa-gande : cela a abouti en 2004 à la création du Mahorais, quin’a pas failli à sa tâche depuis trois ans. Son successeur,Abdoulatifou Aly, semble avoir retenu la leçon et abonderdans ce sens -c’est un des rares points d’accord entre lesdeux. Il se murmure en effet qu’il souhaiterait reprendre lecontrôle du Mawana, journal créé il y a un an et demi... parSaïd Omar Oili, président du CG. Mais que ferait la pressesans les hommes politiques !?

à votre santé ! SELON UN DOCUMENT de la Direction générale de lapolice nationale dévoilé par la Lettre de l'océan Indien(n°1217), les éloignements d'étrangers en situation irrégu-lière dans les départements et collectivités françaises d'out-re-mer (DOM-COM) "ont connu au mois de mai unehausse très nette, de près de 20%, avec 2.254 mesureseffectives, contre 1.879 en 2006". Ce rapport daté du 7 juinexplique cette "évolution favorable" par la situation deMaore, où les "difficultés matérielles pour exécuter cesmesures ont été aplanies" et "l'apaisement du climat sociala permis d'employer à nouveau les forces de l'ordre pour lalutte contre l'immigration clandestine". Ainsi, sur les 9.969reconduites à la frontière depuis le début de l'année opé-rées dans les DOM-COM français, plus de la moitié (5.036personnes) étaient des Comoriens. La morale : quand lesMahorais sont calmes, les sans-papiers trinquent.

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kashkazi 65 juillet 2007 9

faut qu’ça sorte fqs

Maore : un haut-fonctionnaire coupabled’un délit de fuite, en toute impunitéC'EST UNE HISTOIRE PEU BANALEQUI, MALGRÉ LES INCESSANTESrumeurs qui en faisaient état en PetiteTerre depuis plusieurs mois, était restéesecrète. Les autorités, dont on ne peutcroire qu'elles n'étaient pas au courant,l'ont discrètement ignorée, tandis que leseul journaliste qui s'y était intéressé a étélicencié 1. Selon un témoin de l'accident,il ne s'agit rien de moins qu'une affaired'Etat. Si l'appellation paraît exagérée,elle n'en recèle pas moins un fond devérité : car de quoi s'agit-il lorsqu'un haut-fonctionnaire qui a maquillé un accidenten usant de ses pouvoirs n'est pas pour-suivi par la justice ni même sanctionnépar sa hiérarchie ?

L'AFFAIRE remonte au vendredi 28février 2007. Il est bientôt 19h30 lorsquele directeur de la Police aux frontières(PAF), M.Adami, quitte le Centre derétention administrative (CRA) dePamandzi, dont il a la responsabilité. Auvolant de sa voiture, une Renault Méganegrise, il sort du parking du CRA et s'enga-ge sur la route nationale sans voir qu'unscooter, qui avait la priorité, arrive danssa direction (de Labattoir vers Pamandzi).La victime, D. 2, raconte : "Je venais deDzaoudzi, je conduisais le scooter d'unami, de marque MBK. Il faisait presquenuit, j'avais les phares allumés. Soudainj'ai vu une voiture sortir au niveau de laPAF et je n'ai pas eu le temps de l'éviter.Elle m'a percuté et je suis tombé." Selonun témoin oculaire, le scooter est tombésur la route, tandis que D. était éjecté surle côté, à quelques mètres, à deux pas dela caserne des pompiers de Petite terre quise trouve en face du CRA. "Le choc a étéviolent", affirme le témoin, qui assure quele conducteur était M. Adami -il leconnaît. Un autre témoin, un pompier quia souhaité rester anonyme, confirme."C'était lui. Je le vois tous les jours. Jeconnais bien sa tête." Les jours suivants,la voiture du directeur de la PAF portaitencore les stigmates de cet accident : soncôté droit était abîmé, la peinture écaillée.Seulement voilà : au lieu de s'arrêter et deporter secours à la victime, M. Adami afilé -il s'agit d'un délit de fuite 3. Selon lestémoins, il est revenu quelques secondesaprès -"il a dû faire demi-tour au rond-point de RFO", à environ 200 mètres-, agaré sa voiture sur le parking de la PAF,et est venu cherché le scooter. "Jamais iln'a dit être à l'origine de l'accident", ditun des témoins. "Il a ramassé le scooterqui était sur la route et l'a amené à l'inté-rieur du Centre de rétention", assure untroisième témoin qui a lui aussi tenu àrester anonyme, du fait de sa profession.Il se serait ensuite dirigé vers son bureau. D. dit avoir demandé où il amenait lescooter et pourquoi ils ne faisaient pas unconstat. "On m'a répondu que les gendar-mes s'en occuperaient."D. affirme que M. Adami "n'est pas venu

me voir une seule fois pour savoir si j’é-tais blessé". Alors sonné, il se rappellejuste que "les pompiers m'ont demandéqui m'avait percuté, mais je n'ai pas vu.Je sais juste que c'était un mzungu auvolant." Blessé au bras et à la jambe, lejeune homme se fait poser une atèle parles pompiers qui, selon la main courantedont nous avons pris connaissance, crai-gnaient une fracture. A 19h50, 22 minu-tes après l'accident, D. sera amené auxurgences de l'hôpital de Dzaoudzi, où ilse fera soigner par le docteur Reynaud (ilpossède un certificat), et d'où il sortira lesoir même.

ENTRE TEMPS, les pompiers ontcontacté la gendarmerie, qui se trouve100 mètres plus haut. "C'est la règle :quand il y a un accident et un blessé,nous devons appeler la gendarmerie",confirme le pompier. A fortiori lorsqu'ily a délit de fuite. Mais ceux-ci ne sontjamais venus. La main courante despompiers, signée à 19h50, est en celaédifiante : "Nous avons contacté la gen-darmerie pour qu'elle soit présente maisl'interlocuteur a répondu qu'elle a étécontactée par le commandant de la PAF,qu'il n'y avait pas lieu qu'ils se déplacentcar la PAF effectue les mêmes fonctionsqu'eux (…)". Ce qui est faux : la PAFn'a pas de compétence en matière d'acci-dent. Selon un de ses cadres, "si nous

sommes proches d'un accident, nouspouvons intervenir au début, mais c'estla gendarmerie qui s'occupe de tout.Même si nous sommes là, elle doitvenir." Selon cet agent de la PAF qui atenu à garder l'anonymat, après avoirrangé le scooter, "Adami a été dans sonbureau certainement pour appeler lagendarmerie et leur dire de ne pas venir.Puis il a demandé à l'agent présent surplace de ne rien noter sur la main cou-rante de la PAF, ce qui n'est pas normal.Normalement nous devons tout noter".Et de s'interroger : "Pourquoi les gen-darmes n'ont pas agi ? Ils se sont ren-dus complices du délit alors qu'ils n'ontpas d'ordre à recevoir d'un policier."

DU CÔTÉ de la gendarmerie, on joue lesvierges effarouchées. "En principe, quandil y a un accident, nous nous déplaçonstoujours et nous faisons le constat", affir-me le colonel, qui ne se souvient pas decette histoire. "Il n'y a pas de raison qu'ilen soit autrement." Or D. n'a vu les gen-darmes pour la première fois que lorsqu'ilse trouvait à l'hôpital. "Ils ont constatémes blessures et m'ont dit de passer lelendemain à la gendarmerie. J'y suis allévers 9 heures. Les gendarmes m'ont ditd'aller prendre des photos du scooter. J'ysuis allé et je suis revenu. Puis ils m'ontdit d'aller le récupérer, sans qu'on fasseun PV. J'ai refusé."

D. affirme que les gendarmes notaient sadéposition au stylo, sur un papier sans en-tête (sic). Il dit également n'avoir riensigné, aucun constat ni PV pouvant prou-ver son passage et enregistrer sa plainte…Le lendemain, vendredi 2 mars, le pro-priétaire du scooter s'est rendu à la gen-darmerie, où on lui a dit d'aller récupérerson scooter sans autre forme de procédure-en toute illégalité donc.

L'AFFAIRE ne s'arrête pas là, prouvantl'implication des autorités. Le 10 mars,D. envoie un courrier au procureur de laRépublique avec accusé de réception 4.Le 14, il envoie une lettre au préfet, tou-jours avec accusé de réception 5. Il n'areçu aucune réponse. Le procureur, GuyJean, assure ne pas se souvenir d'une tellehistoire. Il est cependant permis d’endouter : comment une telle affaire dontparle toute la Petite Terre et au sujet delaquelle il a reçu une plainte pourrait luiêtre inconnue ?Toutefois, jure-t-il, "si on m'a envoyé uneplainte, il y aura forcément une enquêtemenée par la gendarmerie."- Est-elle lancée ? demandons-nous.- Je ne sais pas : est ou sera. On a 14.000procédures annuelles et nous sommes ensous-effectifs. Mais l'affaire sera traitée.Pour moi, l'égalité n'est pas un vain mot.Le colonel de gendarmerie affirme de soncôté n'avoir reçu aucune demande à ce

sujet provenant du Parquet. La Justice,qui a montré sa vitesse de réaction dansl'affaire du viol de la juge au début dumois (lire par ailleurs), semble avoir letemps quand il s'agit de simples sans-papiers victimes de haut-fonctionnaires.Car D., qui travaillait avant cet accidentdans un garage, est en situation irrégulièreà Maore. Ce ne pourrait être qu'un détailsi, le 14 mars -quatre jours après l'envoidu courrier au procureur-, il n'avait pasété arrêté et reconduit à la frontière dansdes conditions surprenantes. "Je sortaisde chez moi, j'ai attendu un taxi. Et dèsque je suis monté dedans, des agents dela PAF m'ont arrêté", raconte-t-il, persua-dé qu'ils l'espionnaient. "Ils m'ont deman-dé les papiers à moi seul, pas aux autrespassagers. Ils m'ont demandé de sortir dela voiture et m'ont menotté. Puis ils m’ontamené au Silec." Le lendemain, il étaitreconduit à la frontière via ComoresAviation…

RC

1 Il a souhaité garder l'anonymat et estime qu'il est prématuré de lier cette affaire à sonlicenciement, même s’il y croit fortement.2 Se sentant menacé, il a souhaité conserver l'anonymat.3 M. Adami n'a pas donné suite à notre sollicitation et au message laissé à sa secrétaire.4 Accusé de réception n°6295 2253 0FR5 Accusé de réception n°2880 4137 9FR

ENQUÊTE le directeur de la PAF impliqué dans un accident de la route, mais pas poursuivi

Le lieu de l’accident, au carrefour qui permet, à gauche, d’accéder au Centre de rétention administrative. La caserne des pompiers est juste en face, à droite.

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kashkazi 65 juillet 200710

fqs faut qu’ça sorte

Ce qui compte, c’est de le faire croire...Le mois dernier, nous nousinsurgions dans cette mêmerubrique de la Une scandaleuse duMahorais faisant croire que desenfants se battaient dans les rangsdes forces de l'ordre anjouanaises .Nous pensions que ce qu'il convientd'appeler depuis quelques mois unorgane de désinformation avait ainsiatteint les limites de l'acceptable. Il apourtant fait pire depuis, en men-tant délibérément à ses lecteurs et ensalissant l'image d'un homme quimourra quelques jours après. Dans son édition n°150 du 5 juin, LeMahorais titre en Une : “Electionslégislatives 2007 : Les sages soutien-

nent Kamardine”. L'illustration -unphoto-montage- montre MansourKamardine -deux fois plus grand queles autres- accompagné de MartialHenry et Younoussa Bamana. Seulement voilà : jamais durant cettecampagne, le M'ze décédé depuis(lire par ailleurs) n'a apporté son sou-tien au candidat de l'UMP, contraire-ment à ce qu'il avait fait en 2002.D'ailleurs, l'article lié à cette Une nefait en aucun cas référence àBamana. Les sages en questions sontAïda Boura M'colo, Sabili MoinaEchat, Jean-François Hory et MartialHenry. Autrement dit : deux éluesquasi-inconnues, un ancien député

depuis longtemps oublié par lesMahorais et un médecin certesrespecté, mais sans réel poids poli-tique. Autant dire des sages toutrelatifs, et surtout guère prestigieux.C'est que les “vrais sages” -compren-dre : les anciens du combat pour“Mayotte française”- ont soutenuAbdoulatifou Aly. C'était le casnotamment de Marcel Henry etZoubert Adinane. On imagine -et onse permet de l'inventer- le dialoguequi s'est installé au sein de la rédac-tion lorsqu'il s'est agi de “fabriquer”cette Une (dialogue fictif).

Le monteur : Qu'est-ce qu'on titre?

Le directeur : Les sages soutiennentKamardineLe monteur : Qui on a en photo ?Le directeur : Ben c'est là le problème,les sages c'est M'colo, Sabili…Le monteur : Qui ???!Le directeur : Hory et Henry.Le monteur : Marcel Henry ?Le directeur : Non, Martial.Le monteur (un peu déçu) : Ah…Alors qui on met ?Le directeur : Martial…Le monteur : Et puis ?... On titre "Lessages", donc il en faut plusieurs. On vapas mettre Hory !Le directeur : Ouais… ben t'as qu'àmettre Bamana.

Le monteur : Il le soutient lui aussi?Le directeur : Non mais on s'en fout.Ce qui compte, c'est de le faire croire."

Ce mensonge qui s'inscrit dans uneliste très longue d'articles de propa-gande en faveur de l'UMP, n'aguère plu à la famille Bamana, quis'est empressée d'apporter undémenti dont voici un extrait : “Lemontage photographique effectuéen illustration de la première pagede l'édition du journal Le Mahorais(…) suggère que M. YounoussaBamana soutient la candidature deMansour Kamardine pour le scrutinlégislatif. Nous tenons à exprimer

notre étonnement et notre profon-de indignation au sujet de cette insi-nuation sans aucun fondement. Lafamille Bamana dénonce vigoureu-sement ce procédé déloyal et mal-honnête qui consiste à induire déli-bérément les lecteurs en erreur. Ellecondamne fermement toutemanœuvre visant à récupérer lenom du patriarche à des fins électo-ralistes et partisanes. (…)”Deux semaines plus tard, le mêmejournal titrait “Mayotte en deuil”après le décès de Y. Bamana. Et lejournalisme avec.

RC

Estrosi, un ministre de l’Outremer sauce piquanteQUI EST LE NOUVEAU MINISTREFRANÇAIS de l'Outremer ? La biographieofficielle le présente comme un autodidacte,les mauvaises langues parlent de "motodi-dacte". C'est que Christian Estrosi, avantd'entamer une carrière politique déjà bienremplie, a été pilote de moto. "Il fut pilotede Grand Prix motocycliste, plusieurs foischampion de France", précise son siteInternet 1. Cinq en tout. "Il parcourut la terreentière pour disputer des courses et repré-senter la France. Et, même sur les circuits,au-delà des efforts et de l'abnégation querequiert le sport de haut niveau, son intérêtpour le bien-être commun et pour l'avenirde sa région et de son pays n'a jamais faibli.L'énergie et la combativité dont il devait àchaque instant faire preuve sur les circuits, ila voulu les mettre au service de la commu-nauté." Pilote donc, mais ouvert au mondeet sensible aux personnes, même à 200km/h sur le bitume ! Ajoutez une gueule deminet coiffé à la gomina -quelque peudéfraîchit certes- et vous obtenez le gendreidéal. D'ailleurs, affirme sa biographie offi-cielle, "dès son enfance" (il est né à Nice en1955 d'un émigrant italien), il rêvait "des'investir dans la politique, et plus exacte-ment depuis le jour où il vit, sur laPromenade des Anglais, une foule immensevenue saluer le Général de Gaulle." Avant de devenir un proche de Sarkozy,Estrosi apprendra la politique avec un autreprestidigitateur, mais de la vieille écolecelui-là - un fundi exceptionnel ès petitsarrangements entre amis : l'ancien maire deNice, Jacques Médecin, condamné à plu-sieurs reprises par la justice française - 1 ande prison ferme et 300.000 francs d'amendepour délit d'ingérence en 1992 ; 2 ans deprison ferme, 200.000 francs d'amende et 5ans de privation de droits civiques pour"détournement de fonds" en 1995 ; 3 ans etdemi de prison ferme et un million de francsd'amende pour "abus de bien sociaux" et"corruption" la même année ; 2 ans de pri-son pour fraude fiscale en 1998… Autant depeines qu'il ne purgera pas : il a fui en 1992en Uruguay.

NEUF ANS auparavant, c'est sur sa listequ'Estrosi, qui découvre alors la politique,est élu au Conseil municipal de Nice, où ilest chargé des sports. Deux ans plus tard, leplus célèbre des “bébés Médecin” est éluconseiller général des Alpes-Maritimes. En1988, il est élu député, toujours des Alpes-Maritimes. En 1992, il devient premiervice-président de la région Provence-Alpes-

Côte-d'Azur. Débute une traversée du désertliée à la fuite de celui qu'il suivait fidèle-ment, M. Médecin, et à son inéligibilité(peine de 1 an) due à des frais de campagnetrop élevés en 1993. Désert dont le sauve-ront ses amis Jean-Claude Gaudin, maire deMarseille, et Nicolas Sarkozy, avec qui ilaime faire du vélo. En 1997, il est rééludéputé -reconduit en 2002 et 2007. En2003, il est élu Président du Conseil généraldes Alpes-Maritimes…Gaulliste, Médeciniste, il s'est du coup rapi-dement converti -comme tant d'autres- ausarkozysme. Auteur de l'ouvrage"Insécurité : sauver la République" 2, celuiqui avait envisagé une alliance avec leFront national aux régionales de 1998 jouele rôle du "Monsieur Sécurité" de NicolasSarkozy. Il sera d'ailleurs rapporteur en2002 et 2003 à l'Assemblée Nationale deslois sur la sécurité intérieure fomentées parSarkozy. A ce titre, il est l’auteur d'unamendement quasi liberticide qui pérenniseles dispositions de la loi dite Loi sur laSécurité Quotidienne adoptée à la suite desattentats du 11 septembre 2001. Ces dispo-sitions destinées à la lutte anti-terroriste(qui devaient prendre fin initialement le 31décembre 2003) donnent accès à l'autorité

judiciaire aux logs de connexions qui enre-gistrent l'ensemble de l'activité de tous lescitoyens français sur internet.

GRAND DÉFENSEUR de son "patron"dans les médias, Estrosi s'est fait remarquerà plusieurs reprises par ses prises de posi-tion pour le moins franches, surtout sur l'im-migration. Ainsi, lors de l'examen de la loi

Guigou en 1998, il interpelle la ministre ences termes : "Quand vous supprimezl'AGED [Allocation de Garde d'Enfant àDomicile] pour certaines familles, [...] nes'agit-il pas de faire des réserves contre lesfamilles françaises au bénéfice des futuresfamilles immigrées ?" Ou lorsqu'il déclareen 2000 au journal d'extrême-droite Minuteque "la tolérance zéro est aujourd'hui laseule voie possible". Ou bien lorsqu'il rem-plaça Sarkozy à une réunion de ministreseuropéens et lança que les citoyens seraientmieux protégés si leurs données ADNétaient recueillies dès leur naissance… Ouencore lors de la dernière campagne, devantun parterre de retraités du Loiret : "On vientchez nous, on profite de tout et ensuite, jack-pot, bingo, on est régularisé."L'hebdomadaire de gauche Politis était pré-sent à cette réunion ; sa journaliste nouscompte la suite, hallucinante : "Désignantpar-dessus son épaule le camp des gens duvoyage installés dans un champ derrière lasalle municipale dans l'attente de leur pèleri-nage chrétien et annuel dans un village voi-sin, il précise : "Ces gens-là doivent rendredes comptes, expliquer d'où viennent leurscaravanes et leurs grosses voitures. NicolasSarkozy au pouvoir les fera tous contrôleret expulser."" Fidèle parmi les fidèles, l'ancien motard aété récompensé en effectuant sa premièreentrée au gouvernement en 2005, en tantque ministre de l'Aménagement du terri-toire auprès de Sarkozy, où il s’évertua àfaire couvrir la totalité du territoire hexa-gonal par les réseaux de téléphonie porta-ble, de haut-débit et de la télévision numé-rique, et où il pris position en faveur du

ferroutage et du transport fluvial.Cependant, “son passage par le ministèrede l'Aménagement du territoire lui aurapermis de jouer les propagandistes dechoc, en faveur de la candidature deNicolas Sarkozy auprès des élus locaux",affirme le quotidien français Libération.Conscient de son dévouement, le nouveauprésident français l'avait d'ailleurs nommé,en décembre 2004, secrétaire nationalchargé des fédérations, un poste clé per-mettant de verrouiller l'appareil.

POURTANT, cette nomination àl'Outremer n'est pas ce qu'il espérait :Christian Estrosi briguait la présidence dugroupe UMP à l'Assemblée nationale. Sanomination au gouvernement laisse lechamp libre à un autre sarkozyste qui visaitce poste, Jean-François Copé. Estrosi pourra se consoler en voyageant eten découvrant d'autres cultures. Peut-êtrealors sa vision des choses changera. Peut-être méditera-t-il sur ces propos tenus endécembre 2006 devant une associationjuive : "(…) Nous [les Français] sommes aucœur de cet Occident dont l'histoire estindissociable de l'héritage judéo-chrétien,un Occident qui s'est affranchi de sa reli-giosité. (...) Aux yeux de [beaucoupd’Occidentaux, ndlr], nous sommes coupa-bles d'être ce que nous sommes. Et c'estpourquoi une certaine forme de "bien-pen-sance" pousse notre société à l'accueil sanscondition, à la compréhension de "l'autre"qui va jusqu'à l'oubli de soi."

RC

1 www.estrosi.fr2 éditions du Rocher, 2001

Bockel, un “socialiste” à la CoopérationPARMI LES CINQ "TRAÎTRES" recen-sés par la gauche qui ont accepté de tra-vailler avec Sarkozy, Jean-Marie Bockel,qui appartenait avant sa nomination auParti socialiste, a hérité du secrétariat d'Etatà la Coopération et la Francophonie -qui apour habitude de gérer les questions liéesaux anciennes colonies parmi lesquelles lesComores. Cet admirateur de Tony Blairâgé de 57 ans "était à la droite du PS",affirmait récemment le secrétaire généraldu parti, F. Hollande. Aujourd'hui, "il est àla droite tout court". Jean-Marie Bockel, actuel maire et séna-

teur, avait pourtant entamé sa carrière àl'aile gauche du PS il y a 34 ans. Depuisplusieurs années, il se bat pour une nouvel-le gauche, "un socialisme libéral". "Oui",disait-il en 2003, "nous sommes des socia-listes libéraux. Socialistes, car nous devonsopposer aux rapports de force et à l'injusti-ce, la nécessité d'une émancipation parta-gée. Car nous travaillons au partage desbiens et des droits à l'échelle du continentet du monde. (…) Libéraux, car nous com-prenons l'émancipation comme accès à laliberté. Nous défendons la liberté et laresponsabilité individuelle (…)"

C'est donc tout naturellement qu'il s'estdans un premier temps rapproché deBayrou, puis de Sarkozy. "Nous avons unecapacité à nous comprendre", dit-il de lui.Elu pour la première fois député en 1981,secrétaire d'Etat du Commerce en 1984,maire de Mulhouse depuis 1989, cet avo-cat de formation ne s'est guère fait connaît-re pour ses prises de positions quant à dessujets internationaux. En tant que sénateur,il présidait toutefois le groupe France-Afrique de l'Ouest et appartenait à de nom-breux groupes d'information sur l'Algérie,l'Egypte, les pays du Golfe, la Jordanie...

DR

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kashkazi 65 juillet 2007 11

faut qu’ça sorte fqs

Hydrocarbures : en attendant les procès…LEUR ARRESTATION A FAIT GRANDBRUIT MAIS, DEPUIS LE TEMPS, on les aun peu oubliés… Abdou Soefo et Salim BenAli, principaux prévenus de deux affaires diffé-rentes touchant à la Société comorienne desHydrocarbures (SCH), dorment toujours à lamaison d'arrêt de Moroni en attendant uneéventuelle mise en liberté provisoire, et surtoutla transmission de leur dossier au Tribunal.Ironie du sort, Salim Ben Ali n'est autre quel'un des responsables de la commission d'auditdont le rapport a débouché sur l'arrestationd'Abdou Soefo… C'était il y a un an. Le tout nouveau pouvoircomorien avait monté une série de commissionspour auditer les sociétés d'Etat. Après une plain-te du ministre des Finances, Abdou Soefo,ancien directeur de la SCH, était le 3 juillet2006 placé en garde à vue. Au cours de sa pre-mière journée à la gendarmerie, l'homme d'af-faires Ahmed Barwane, le patron du DauphinMourad Bazi, Abdérémane Koudra, cadre durégime Azali, ainsi que le directeur administra-tif et financier et le comptable de la SCHétaient à leur tour convoqués à la gendarmerie,soupçonnés de complicité et d'avoir profité dedétournements de fonds orchestrés par AbdouSoefo. "L'instruction risque d'être longue",avertissait le substitut du procureur 1. Si les six hommes ont quitté la maison d'arrêtfin 2006 après quatre mois de détention provi-soire, l'ancien ministre des Affaires étrangèresy est retourné le 8 janvier pour ne pas s'êtreprésenté aux autorités dans le cadre ducontrôle judiciaire. Arguant des raisons médi-cales, Abdou Soefo avait alors estimé être vic-time "d'acharnement" et annoncé par la voixde son avocat renoncer à sa défense 2. L'affaire ne devrait cependant pas tarder à être

jugée puisque le dossier, qui concerne au finalonze personnes, vient d'être transmis au procu-reur par le juge d'instruction. Reste au procureurà l'éplucher et à en faire une synthèse avant quele tribunal ne s'en saisisse. De source proche duParquet, "la complexité et la technicité de l'affai-re où l'on parle de plusieurs centaines demillions de fc" expliquent les délais de traite-ment, qui pourraient encore s'allonger si desauditions supplémentaires sont demandées par leprocureur dans le cadre de l'enquête.

QUANT AU SECOND volet de l'épopée desHydrocarbures, il est lié aux accords signéspar le gouvernement avec la société malgacheNestair 3. Accusés eux aussi de détournementde fonds, Salim Ben Ali, président de la com-mission qui dirigeait la SCH, YassianHoumadi, son plus proche collaborateur, etRaveloson Solo, directeur de Nestair, étaientplacés en détention le 19 mars. Comme nousl'écrivions en avril, "rien n'est bien clair" danscette affaire. Ni la gestion de Salim Ben Ali, niles faits qui lui sont reprochés par la justice, nimême l'attitude du gouvernement, dont deuxministres devaient être entendus. L'instruction touche semble-t-il à sa fin. Latransmission de l'affaire au procureur est cepen-dant retardée puisque le dossier est actuellementdevant la Chambre d'accusation. Les prévenusont en effet fait appel de la décision du juge quiavait ordonné leur libération provisoire souscondition de paiement d'une caution de 16millions de fc (32.000 euros) répartis en troiséchéances.

LG

1 Kashkazi n°47, 6/07/2006 2 Kashkazi n°61, mars 20073 Kashkazi n°62, avril 2007

Quand le Maria Galanta passeoutre les autorités comoriennesLE TON MONTE À MORONICONTRE LA DIRECTION DUMARIA GALANTA, le navire basé àMaore qui assure seul le transport depassagers -et les reconduites à la fron-tière par l'Etat français- entreDzaoudzi et Mutsamudu. La compa-gnie de M. Labourdère est accusée parles autorités de l'Union des Comoresde braver une mesure l'interdisant detoucher le port de Mutsamudu. L'affaire remonte à la fin du mois demai dernier. Le directeur desTransport maritime de l'Union desComores informe alors l'armateurfrançais que toute desserte versNdzuani doit passer par Moroni, euégard à la situation politique et à lamainmise de Bacar sur l’île. Mais l'ar-mateur, en bons termes avec les auto-rités anjouanaises, fait fi de cette déci-sion et appareille tout de même versMutsamudu. Suite à une protestationverbale des responsables comoriensdes transports maritimes, le représen-tant du Maria Galanta à Mutsamudu,l'agence AGS, s'en excuse le 26 maidans un improbable courrier adressé àla Vice-présidence de l'Union chargéedes Transports : "Nous avons apprisaux heures de départ pourMutsamudu que tout navire désirantse rendre aux Comores doit d'abordtransiter par Moroni avant toute desti-nation. Pour être sincère, la capitaine-rie de Mayotte nous a délivré un bonde partance pour Moroni (…). Encours de route, le commandant s'étantrendu compte que le navire n'a pas

suffisamment de gasoil pour toucherMoroni, il a changé de cap pour rega-gner Mutsamudu. Une fois touchéMutsamudu, la présidence de l'îled'Anjouan a réquisitionné le navireavec des menaces d'intimidation pourretourner à Mayotte afin de récupérerdes passagers attendus à Anjouan". Lereprésentant de l'armateur à Ndzuaniaffirme "se soumettre à toute déci-sion" dorénavant.

LES RESPONSABLES maritimescomoriens refusent cette excuse il estvrai peu convaincante de l'incidenttechnique avancée par le représentantdu Maria Galanta, et décident de faireintervenir directement la Vice-prési-dence. Son secrétaire général,Abdillah Mouigni, s'empare du dos-sier et signe le 7 juin, une "note circu-laire" avec copie au préfet de Maore,signifiant à toutes les autorités mariti-mes et portuaires des îles "qu'à comp-ter de ce jour, le navire Maria Galantasous pavillon Saint-Vincent etGrenade, ne peut en aucun cas toucherles ports de l'Union des Comores ettout particulièrement le port deMutsamudu jusqu'à nouvel ordre".Seulement voilà, le navire continued’assurer la liaison -et le renvoi dessans-papiers- entre Maore et Ndzuani.Face au refus d'obtempérer de ladirection du Maria Galanta qui acontinué à desservir Ndzuani -defaçon irrégulière certes-, AbdillahMouigni proteste auprès du préfet deMaore dans un courrier du 15 juinremis à l'ambassade de France àMoroni. "Nous prenons acte de cetteattitude de non respect de la décisiondes autorités comoriennes de votrepart, et manifestons notre indignationface à cette volonté de bafouer la sou-veraineté de notre pays", écrit-il.L'affaire prend une tournure diploma-tique le 18 juin avec l'entrée en scènedu ministère des Relations extérieuresde l'Union des Comores, qui saisit deson côté l'ambassade de France auxComores, lui demandant de "bienvouloir ordonner à la capitainerie deMayotte d'interdire le départ de cebateau pour Anjouan". La réponse des autorités françaisesde Moroni datée du 22 juin est laco-nique : "Contrairement au contenu decette note verbale [celle du 18 juin,ndlr], le Maria Galanta n'a pas quittéMayotte le lundi 18 juin 2007 à desti-nation d'Anjouan". La représentation

française aux Comores demandecependant aux autorités de l'Union de"bien vouloir envisager de faciliter lesreconduites à la frontière à partir deMayotte, via Moroni". Le mardi 26 juin et le samedi 30, leMaria Galanta jette une nouvelle foisl'ancre à Mutsamudu, en dépit de tou-tes les interdictions. L'arrivée dubateau à Ndzuani ouvre le journaltélévisé de RFO Mayotte du mêmejour, qui parle de "soulagement despassagers pris en otage par les auto-rités de l'Union des Comores". "Une personne à Mayotte m'a informéque la desserte devait se poursuivre",fait remarquer le SG de la Vice-prési-dence de l'Union chargée desTransports. "Je voudrais insister sur lefait que la mesure n'est pas levée etque les autorités de Mayotte ont déci-dé de bafouer notre souveraineté. Lecontrôle des frontières maritimes etaériennes relève des compétences del'Union. Mohamed Bacar n'a pas àautoriser la circulation de ce bateau.Tout cela, je le mets dans le cadred'une déstabilisation. Aux Comores,un capitaine de port peut interdire àun bateau d'appareiller. On ne va pasme dire que le préfet de Mayotte nepeut pas le faire. Si j'avais les moyensd'arraisonner ce bateau, je l'auraisfait", s'emporte Abdillah Mouigni.

IL FAUT RAPPELER que ces mesu-res d'interdiction concernent égale-ment les transports aériens.L'entêtement des autorités françaisesà braver cette interdiction répondsans doute à un impératif de politiqueintérieure à Maore, celui de la recon-duite à la frontière des sans-papiers,comme le laisse entendre l'ambassa-de dans son courrier du 22 juin. L'administration française ne peut eneffet garder les sans-papiers au centrede rétention au-delà de 5 jours et aunom de la proximité, évite d'achemi-ner ces Comoriens à Moroni. Il est toutefois permis de s’étonnerd’un tel déni de la souveraineté natio-nale des Comores de la part des auto-rités françaises de Maore, alors que lepays traverse une grave crise touchantà son intégrité. Il est vrai qu’il ne s’a-git pas de la première fois...

KES

PS : M. Labourdère, directeur de la compagnie maritime qui exploite leMaria Galanta, n’a pas souhaité donnersuite à notre sollicitation.

Caambi : “Bacar est incontournable”Caambi el-Yachourtu, vous avez tou-jours défendu l'unité des Comores, vouspossédez une image de politicienmodéré, respectueux des règles démo-cratiques, soucieux du dialogue, etaujourd'hui vous soutenez MohamedBacar, dernier espoir des séparatistesqui gère Ndzuani de main de fer.Pourquoi ?Certains ne comprennent pas que je merange aux côtés de Bacar. Pour ces gens,Bacar est un obstacle. Toutefois, le problèmeest selon moi plus général. On peut lui trouverdes circonstances atténuantes. Anjouan estl'île qui connaît le plus de problèmes écono-miques, le plus de pauvreté, qui possède unesituation sociale très fragile qui peut exploser.Le mérite de Bacar, selon moi, est qu’il amaintenu la situation et évité le chaos.D'autre part, Bacar a l'avantage d'être unpur produit du processus de réconciliationnationale. On veut dialoguer avec lui pourqu'il comprenne la nécessité de développerune nouvelle politique dans l'île. Ceux quinous critiquent aujourd'hui comprendrontplus tard. Nous allons vers lui car il incarnequelque chose vis-à-vis des Anjouanais,même s'il commence à devenir impopulaire.Il a mis en place un système dictato-rial…La situation est telle à Anjouan qu'il fallait ne

pas ouvrir les vannes. Il y a une réalité qu'ilfaut connaître, et pour cela il faut vivre surplace. A partir de là, on doit pouvoir allerprogressivement vers une bonne gouvernan-ce. Le système Bacar ne doit pas perdurer. Ildoit changer. Mais vu la situation, nousdevions passer par là. On aurait pu avoir unerévolution islamique, ou une situation sépa-ratiste à la somalienne. Parce qu'on n'a pas sugérer les causes du séparatisme, cela peutexploser à tout moment. Ces derniers temps, des journalistes ontété frappés, des opposants placés engarde à vue… Vous cautionnez cela ?Ce n'est pas une bonne chose. Il faut laisser lesgens s'exprimer. Mais nous avons vécu unepériode de grandes tenions. Dans ces pério-des, il peut arriver de prendre des décisionsarbitraires. Certaines méthodes issues duséparatisme n'ont pas disparu : les “embar-gos” qui servent Bacar les emploient encore.Mais si Bacar n'était pas là, ils auraient toutcassé ! Cela n'excuse pas ce qu'il s'est passé cesdernières semaines. Mais cela va changer… Soutenez-vous Bacar dans le but dedéstabiliser Sambi ?Il est sûr que nous ne sommes pas en odeur desainteté avec Sambi, mais il n'est pas normalde lui mettre des bâtons dans les roues. Mais sion en est arrivé là, c'est de sa faute.Bacar a été élu après des élections irré-

gulières : intimidations, bourragesd’urnes... Est-ce acceptable ?Il est certain que cela ne me met pas à l'aise.Il ne faut pas non plus penser que personnen'a voté : moi, Nassuf Abdallah, IbrahimHalidi avons su mobiliser. Il est vrai que cer-tains barons locaux ont voulu se faire bienvoir et ont bourré les urnes, mais le débat n'estpas là. La faute en revient à Sambi, qui avoulu faire d'Anjouan une exception.C'est Bacar qui l'a empêché d'atterrir àNdzuani !C'est vrai qu'il aurait dû pouvoir venir. C'estnotre président tout de même. Mais le pro-blème venait de ses partisans. S'il était venu,c'était fini. Il y aurait eu des débordements etdes violences. Il ne venait pas en président, ilvenait en campagne. Ce n'est pas bon.Vous semblez penser que Bacar est leseul à pouvoir sortir l’île de cette situa-tion. Mais cela fait six ans qu'il est aupouvoir…Il a l'expérience. Bacar n'est pas le meilleurcandidat. Mais c'est le moins mauvais. Pourl'instant, il est incontournable. Nous l'avonsrejoint dans une démarche constructive etnon opportuniste. Nous pensons pouvoir lefaire évoluer.

RECUEILLI PAR RCEntretien réalisé le 12 juin 2007

LA QUESTION QUI NOUS TARAUDE pourquoi Caambi soutient-il Bacar ?

Le Maria Galanta au port de Mutsamudu, en 2006.

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12 kashkazi 65 juillet 2007

fqs faut qu’ça sorte

Le colonel Hamza répond à Kashkazi

“CE DROIT DE RÉPONSE S'ADRESSEPLUS PARTICULIÈREMENT au rédac-teur de l'article intitulé "Crise anjouanaise du02 mai 2007 : les scénarios d'un coup four-ré", paru dans le journal Kashkazi N°64 -juin 2007. Avant d'aborder les propos inju-rieux et mensongers recueillis par le rédac-teur, laissant croire qu'il s'agit d'un officierqui a gardé l'anonymat, j'ai retenu l'hypothè-se suivante :Je précise avant tout que je ne suis pas telle-ment convaincu qu'il s'agit d'un officier del'Armée présent sur les lieux à Kandani aumoment des faits étant entendu que les pro-pos recueillis sont utopiques par rapport à laréalité vécue à Kandani. Mais si cela s'avère qu'il s'agit de quelqu'unqui a parlé sous couvert de l'anonymat, unetelle attitude serait préjudiciable et ambiguë àson égard. Un individu dont la consciencen'est pas tranquille et qui essaie à tout prix,par un tissu de mensonges, de tromper l'opi-nion publique pour une affaire pour laquelleil fut l'auteur ou le complice. Contrairement aux informations erronées etcalomnieuses citées sur quelques passagesde l'article, voici en guise de réponse unexposé sommaire sur la version réelle desfaits, avant et après le déclenchement de lacrise à Anjouan. La constitution du commandement opéra-tionnel militaire spécialement chargé du dos-sier Anjouan relatif à la mise en place duPrésident intérimaire de l'île Autonomed'Anjouan après expiration du mandat duPrésident Mohamed Bacar, a été approuvéepar les Autorités compétentes de l'Union.C'est une option courante au niveau desarmées dont le but recherché est l'efficacité.Les membres constituant ceCommandement Opérationnel et leur Chefse sont mis au travail aussitôt, dès l'annoncede cette décision par l'Autorité Civile com-

pétente. Brutalement, le mercredi 02 mai 2007, auxenvirons de 12 heures, des renseignementsnous sont parvenus par un circuit parallèlequ'à Anjouan la FGAs'est mobilisée, environun bataillon, équipé d'armes lourdes et defusils d'assaut, avec l'intention d'attaquer lePalais Présidentiel de Hombo à partir de 14heures. Le Chef du Commandement Opérationnelresponsable du dossier d'Anjouan est aviséde la situation et il s'en est chargé conformé-ment aux instructions données et aux attribu-tions qui lui sont dévolues.

En fait, l'AND est une institution militaireuniquement à vocation terrestre qui ne dispo-se d'aucun moyen logistique aérien ou mari-time pour le déploiement de ses unités d'uneîle à une autre. C'est un handicap majeurpour la sécurité et la défense opérationnellede notre pays, à caractère insulaire. Ce pro-blème date depuis des décennies et reste éter-nel. Les Autorités comoriennes successivesne l'ont jamais intégré dans leurs prioritésnationales, en prévision de la paix et de l'in-tégrité territoriale. Parallèlement à la mission relative auCommandement Opérationnel, en ma quali-té de Chef d'Etat-major, j'ai pris l'initiatived'informer rapidement les représentants de laCommunauté Internationale présents àMoroni. Le mercredi 02 mai 2007 à 13 heu-res, accompagné du Commandant GAMIL

Abdallah, je me suis rendu chezl'Ambassadeur de l'Union Africaine, pourl'informer de la situation à Anjouan et luidemander d'intervenir pour faire revenir l'ex-Président Mohamed Bacar à la raison. Deplus, j'ai suggéré à l'Ambassadeur de l'UnionAfricaine aux Comores que soit tenue enurgence, par la Communauté Internationale,une réunion spéciale à propos de la situationà Anjouan.A partir de 14 heures, la FGA a lancé uneoffensive en s'appuyant par des tirs auxarmes lourdes contre le détachement del'AND qui assurait la garde du Palais

Présidentiel de l'Union à Hombo.A 16 heures 30, la réunion a eu lieu en pré-sence de tous les représentants de laCommunauté Internationale et des Autoritéscomoriennes, notamment les deux Vice-pré-sidents, certains membres du Gouvernementet du Chef d'Etat-major de l'AND assisté duCommandant GAMIL. Les conclusionsretenues au terme de la réunion sont les sui-vantes : un cessez-le-feu immédiat àAnjouan par la FGA ; un communiqué de laCommunauté Internationale condamnantfermement les tirs aux armes de guerre par laFGA contre l'AND.

POUR LES CIRCONSTANCES, ce mêmemercredi 02 mai 2007, en début de soirée, j'airencontré séparément l'Ambassadeur deFrance, ainsi que celui de l'Union Africainepour le suivi des conclusions. Vers 20 h à l'hôtel "LE MORONI", j'ai euune séance de travail spécialement pour lacrise à Anjouan avec un officier supérieurSud-Africain, en mission dans notre paysdans le cadre de la préparation du déploie-ment des forces internationales pour la sécu-risation des élections. Le soir, avant de rega-gner le camp militaire de Kandani, j'ai renduvisite à ma famille que j'ai quittée très tôt lematin. Ce jour là, pour les circonstances j'ai passé lanuit du 02 au 03 mai 2007 dans mon bureauà l'Etat-major sis à Kandani. Très tôt le matindu 03 mai, j'ai quitté mon bureau pour allerdans un autre en face abritant leCommandement Opérationnel chargé dudossier d'Anjouan. Juste quelques instantsaprès, des coups de feu d'armes automa-tiques sont déclenchés à l'intérieur du campde Kandani par un groupe des insurgés quiont tenté de prendre d'assaut le bâtiment del'Etat-major en tirant des coups de feu.Instinctivement, j'ai eu le réflexe de sortir du

bureau et de sauter par-dessus les garde-fousdu balcon pour parvenir à la Place d'Arme oùse trouvaient des militaires loyalistes.Immédiatement, ces militaires ont pu prend-re les dispositions nécessaires pour sécuriserle bâtiment de l'Etat-major à l'égard desmutins.Monsieur le rédacteur dudit article,ayez le courage de vous affranchir du syn-crétisme auquel vous triomphez indéfini-ment. Pour cela, je voudrais vous faire savoirque toute armée régulière fonctionne confor-mément à des structures bien hiérarchiséessoumises à un règlement militaire. Ainsidonc, l'Armée Nationale de Développement,en tant qu'armée républicaine, fonctionneaussi selon ces principes à caractère univer-sel. C'est pour vous dire que dans une armée,les militaires d'une compagnie quelconquerelèvent, en fait, directement de leur Chefhiérarchique. En effet, tout militaire est tenud'observer strictement ces règles. A défaut,ça serait un manquement dont la qualifica-tion dépend de la nature et de la gravité de lafaute. Par conséquent, le Chef d'Etat-major assurele Commandement Supérieur de l'AND etn'entretient pas des rapports directs avec sessubordonnés, sur le plan professionnel et hié-rarchique, que seulement avec les Chefs decorps ou ses proches collaborateurs.

L'AUTEUR DE L'ARTICLE a voulu créerune confusion par des propos diffamatoires àl'égard de certains responsables militairesétrangers, qui sont nos partenaires. Pire, j'aipu constater que même les fonctions exer-cées par ces derniers lui sont méconnues.Pour cela, je tiens à lui donner les précisionssuivantes : le colonel Dominique MeyerBish occupe le poste d'Attaché de SécuritéIntérieure en Union des Comores et leCapitaine de Frégate Eric Mignot estl'Attaché de Défense Non Résident, prèsl'Ambassade de France à Moroni dans lecadre de la coopération militaire avec laFrance. Systématiquement, le Chef d'Etat-major en tant qu'interlocuteur a le devoird'entretenir des relations professionnelles-avec ces partenaires. L'article en question paru dans le journalKashkazi N°64 du mois de juin 2007, auquelj'ai passé en revue quelques passages, nepeut être qu'une série de mensonges délibé-rément montés par un conteur de fablesignobles. Cependant, je fus victime d'uncomplot avec des allégations cruellesrelayées par des détracteurs haineux et sansscrupule. Ces opportunistes dangereux ten-tent de se réfugier derrière les malheurs desautres afin de leurrer l'opinion publique,après avoir commis l'irréparable. L'objectifprincipal d'une mutinerie, autrement ditrébellion armée, n'est autre qu'une évidence. Notre pays est victime de plusieurs tentativesde rébellion armée et de coups d'Etat perpé-trés sans cesse par certains anarchistes,depuis des décennies. Paradoxalement, je

constate que l'instigateur de l'article en ques-tion joue l'avocat du diable pour légitimer cequi est banni par l'Etat de droit et condamna-ble par la loi. Ainsi, les fées et les fablesracontées ne peuvent en rien lui servir. Cesmensonges ne constituent pas, en aucun cas,un fait justificatif ou une cause de non culpa-bilité dans le cadre d'un tel acte, aussi prémé-dité.

COLONEL HAMZA, ancien chef d'état-major de l'armée comorienne

NOTE DE LA RÉDACTION

L'auteur de l'article indexé use de sondevoir d'informer pour rectifier les pro-pos excessifs du colonel.

Le colonel Saïd Hamza, qui a reçu l'aval ducabinet militaire pour s'exprimer au sujetde notre article en dépit de l'enquête encours sur les événements du 2 mai à l'origi-ne de son limogeage, nous a exprimé aucours d'une rencontre, son souci de rectifiercertaines "contrevérités" -selon lui- sur cesévénements. Nous devons cependant cons-tater que non seulement, la réaction ducolonel ne dément pas ce que nous avonsécrit, mais il se livre à des propos injurieuxà notre endroit, sous prétexte nous a-t-il dit,"qu'un officier n'ayant pas le droit de parlersous l'anonymat, un journaliste ne devaitpas rapporter ses propos". L'ancien chefd'état-major nous accuse de nous livrer à lacalomnie, mais ne cite aucun extrait précisde l'article qu'il pourrait démentir.Sans revenir sur ces accusations vagues,précisons trois choses :1) Le colonel Hamza affirme qu'il n'est pas"tellement convaincu qu'il [la source de nosinformations] s'agit d'un officier de l'Arméeprésent sur les lieux à Kandani au momentdes faits". C'est bien le cas, pourtant. Lespropos tenus dans cet article ne sont pasdonc pas "une série de mensonges délibéré-ment montée par un conteur de fables igno-bles" comme le soutient le colonel, maisbien des versions, contradictoires certes, defaits recueillis d'une part auprès d'un offi-cier qui n'a pas voulu révéler son identité,d'autre part auprès du lieutenant-colonelSalimou, l'actuel chef de l'état major quiassume en revanche ses propos. 2) Si l'ancien chef d'état-major apporte desinformations que nous n'avions pas sur sajournée du 2 mai, aucune ne dément lecontenu de notre article. 3) M. Hamza nous accuse de "créer uneconfusion par des propos diffamatoires àl'égard de certains responsables militairesétrangers qui sont nos partenaires", sansdémentir les relations "complices" avec cesresponsables qui lui sont prêtées.

KES

lire kashkazi n°64, juin 2007

Suite à notre article sur les évènements du 2 mai à Ndzuani et son limogeage, publié le mois dernier (n°64), l'ancien chef d'état-major dénonce des “propos injurieux et mensongers” de notre part… en nous insultant ! Nous publions sa réponse.

“Je fus victime d'un complot avec des allégations cruelles relayées

par des détracteurs haineux et sans scrupule.”

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kashkazi 65 juillet 2007 13

DDJJUUHHAANarizambe pvwatsina matswandzi

Fatima a 14 ans, et déjà unbébé. Elle était en 6e quand elle a ren-contré Moussa. “A chaque fois qu’onsortait en récréation, on allait à unendroit libre, et il me racontait deshistoires d’amour. Un jour, il m’adonné rendez-vous dans sa cabane.J’ai dit oui.” Pour la première fois,Fatima a eu des relations sexuelles.“Ce qui est bizarre, c’est qu’on nesavait pas ce qu’on faisait. J’ai vu dusang mais j’étais bête, je croyais quec’était mes règles. Quelques semainesplus tard je me sentais mal et triste.Mes amies me demandaient ce quej’avais, et je répondais : “Je ne saispas.””Le cinquième mois, Fatima a com-mencé à vomir. Sa mère l’a conduite àl’hôpital. “Quand le médecin m’a faitune radio, il a dit : - Subuhana Allah, c’est pas vrai !- Qu’est-ce qu’il y a, a demandé mamère.- Viens Madame, tu sais, Dieu a ditMrunadochoukouriya no suburiyanizo mgu ya renda. Ta fille est encein-te depuis cinq mois. Ma mère a tout fait pour être forte,mais sa tension est montée...”

Fatima n’est pas la seule dans ce cas.Les jeunes ont des histoires d’amouret des relations sexuelles de plus enplus tôt : “Parfois à 9 ans pour lesgarçons et 12 ans pour les filles”, nousdit Amina Hachim, responsable de laCellule d’écoute de Moroni. Les gros-sesses précoces sont nombreusesparce que les filles, surtout quand ellessont très jeunes, ne savent pas ou n’o-sent pas utiliser une contraception.“Quand on distribue des préservatifs,il n’y a que les garçons qui viennent”,témoigne Amina Hachim. Du coup, lafille est obligée de compter sur la pru-dence du garçon. Nassabia, 17 ans, esttombée dans ce piège : “Ce jour là,mon copain n’avait pas de préserva-tif. Il pleuvait, il a voulu faire le coïtinterrompu, mais il s’est maldébrouillé”, confie-t-elle.Souvent, quand une fille sait qu’elleest enceinte, elle n’ose pas le dire à sesparents et elle essaie d’avorter. C’est cequ’a fait Salitouna, 17 ans, amoureused’un jeune homme de 24 ans. Quandelle est tombée enceinte l’année der-

nière, son chouchou lui a conseillé deprendre du Citotec, un médicamentdangereux qui n’est pas fait pour ça :des jeunes filles meurent ou sont trèsmalades à cause de lui.Heureusement, Salitouna s’en est sor-tie. Ses parents ne se sont renducompte de rien. “Je suis habillée à lamode, Ahmed fait tout pour que jefrissonne, mais je cours un risqueavec lui”, avoue-t-elle.Un autre garçon a conseillé à sa copi-ne de boire des cendres et de l’eau dejavel pour avorter. Elle est allée direc-tement à l’hôpital...Tu l’auras compris, les filles ont tout lepoids des grossesses précoces surleurs épaules. Nassabia et Fatima onttoutes les deux arrêté l’école à cause deleur bébé. Leur copain, lui, continuetranquillement d’aller au collège ou aulycée. Mal vue par sa famille, Fatou sesent marginalisée. Sa famille a essayél’avortement, mais ça n’a pas marché.Mrati et Abdallah, membres du Clubanti-Sida du collège de Mboueni,confirment : “Les premières victimesde cela, ce sont les filles !”

Il faut dire que souvent, les filles sontbeaucoup plus jeunes que leur copain.Parfois, elles ne savent pas ce qu’ellesfont, elles obéissent pour ne pas perd-re le garçon, et en cas de grossesse,elles sont tellement désespérées qu’el-les font tout ce qu’il leur dit. Le violn’est pas la seule forme d’abus sexuel :un garçon de 24 ans, s’il est beau etcharmant, peut en profiter pour abu-ser d’une fille de 14 ans...Mais pourquoi sommes nous si jeunespréoccupés par l’amour ? C’est l’évolu-tion de la société : on voit à la télé lesgens en train de lover, et on a envie defaire comme eux sans toujours savoirce qu’il y a derrière. “Ces relationsprécoces ont tendance à se banaliser,on se dit que c’est normal sous l’in-fluence des médias étrangers”, nousdit Amina, de la Cellule d’écoute.

Comment réagir pour que l’amour nefinisse pas en catastrophe ? D’abord,prendre son temps. “L’adolescence estune étape dans la vie”, avertit AminaHachim. “Il ne faut pas la prendre àla légère.” L’adolescence, c’est cettepériode qui dure de 12 à 18 ans envi-ron, où on n’est plus vraiment desenfants, mais pas encore des adultes.A cet âge là, on commence souvent às’intéresser à l’amour. Mais ce n’estpas pour ça qu’il faut aller trop vite !“C’est bon d’avoir un ou une copine,mais à condition de ne pas avoir de

rapports sexuelsavant l’âge”,nous dit un pro-fesseur deSciences. Pour ce prof, lesadolescents “doi-vent avoir desrelations connuespar les parents etorganisées en limi-tant l’amour”.

Les parents... souvent, ilsne se rendent pas comptede ce qui nous arrive, ou bienils font semblant de ne pas lesavoir ! Nous avons par exemplerencontré une maman qui ne s’est pasrendu compte que sa fille de 13 ansétait enceinte depuis cinq mois...“Tous les jours, Fatou va à l’école etelle revient à la maison”, explique-t-elle. “Je me suis rendu compte qu’il yavait quatre mois qu’elle ne m’avaitpas demandé de serviette, mais ellem’a dit qu’elle les prenait auprès deses amies, et j’ai été tranquille. Elleétait un peu malade, mais son copainde 21 ans lui a dit que c’était le palu-disme. Un grand garçon comme ça,coucher avec une petite fille de 13 ans! Je suis allée le voir, et il m’a dit quedepuis deux ans ils étaient ensemble.Je ne savais pas du tout que Fatouavait commencé à sortir avec desgarçons...”

Lycéenne à Ntsaweni, Chaharzade veutlancer un appel aux parents pourqu’ils discutent avec leurs enfants.“On ne peut pas éviter cet amour”,dit-elle. “On est de cette génération,de ce siècle. Mais le problème vient sije dois cacher mon copain. Commentma mère saura ce qui s’est passé encas d’accident ? Les parents n’appel-lent pas leurs enfants pour voir cequ’il y a dans leur tête, on ne nous ditpas la vérité. Il y a un manque dedébat entre les mamans et leurs filles.On peut leur demander : “Maman,comment je suis venue au monde ?”,et elles nous répondront : “Par la bou-che !” Il faut que les parents nousdonnent des conseils.”

(LA PAGE OÙ LES JEUNES PARLENT AUX JEUNES)

Comment éviter lesgrossesses non désirées ?

Nous les jeunes, nousdevons appliquer l’absti-nence sexuelle, mais encas d’imprévu, utilisons lepréservatif au lieu desautres moyens de contra-ception, car il protègeaussi contre le Sida !

Quand doit-on accepterd’avoir des rapportssexuels ?Quand on est prêt... etsurtout pas si on ne sesent pas capable d’assu-mer les conséquences. Sion précipite l’amour, l’in-telligence diminue car onconsacre son temps à

penser à son chouchou...Quelles sont les rapportssans risque ? Les bisous, les étreintes,les massages, les caresses,le simple toucher... Parcontre, dès qu’il y a unrapport sexuel, il y a unrisque.

A quoi servent les Clubsanti-Sida ? Ils sont composés d’ado-lescents qui ont pourobjectif d’avertir leurscamarades que le Sidaexiste, et leur donner desconseils sur l’amour pré-coce.

Mrati et Abdallah, du Clubanti-Sida du collège de

Mboueni, nous informent

Amour, grossessesprécoces : notre

reportage...

Defends tes droitsIl existe à Ngazidja, Ndzuani et Mwali un service appelé Cellule d’é-coute qui est là pour t’écouter et t’aider à défendre tes droits. Si tues victime de violence, d’abus ou de maltraitance, ses responsablespeuvent te recevoir seul ou avec tes parents et t’aider à porter plain-te auprès de la justice. “Il faut encourager les enfants victimes d’a-bus et de maltraitance à parler de leur souffrance et à dénoncer lesauteurs de ces délits”, dit Amina Hachim, de la Cellule d’écoute deMoroni. “Il faut sensibiliser la population à utiliser le service d’é-

coute et de prise en charge des enfants abusés et maltraités.”

Contact. Moroni : en face de l’école Abdulhamid, tel. : 76.12.11, 33.79.79, 35.33.01 - Mutsamudu : Hombo,

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(lycée communautaire du Mboude)(financement : UNICEF)

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kashkazi 60 février 200714

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kashkazi 60 février 2007 15

RUE DES INCONGRUS

VOUS PASSEZ UNE SEMAINE À NDZUANI à entendre lamajorité de la population ressasser son ras-le-bol du président de l'île, quivient de se maintenir au pouvoir par le truchement d'une mascarade élec-torale des plus grossières (lire par ailleurs). A peine posé le pied sur le solde Ngazidja, vous entendez de tous les côtés : "Les Anjouanais soutien-nent Bacar." Forcément, vous vous demandez ce qui cloche… Non ?

C'est en tous cas ce qui m'est arrivé. Mercredi 20 juin àMoroni, je croise Ali, un lycéen de ma connaissance. "Les Anjouanaissoutiennent Bacar, on va les mettre dehors" jette-t-il, le sourire aux lèv-res. Il est loin d'être le premier à le dire, mais comme il ne veut pas endémordre alors que je viens de lui décrire la situation sur place, je perdspatience et je le plante là. L'après-midi du même jour, je revois le garçondans son quartier, Caltex. Un peu gêné, il appelle un ami à lui,Abdourahim, grand partisan de la "chasse aux Anjouanais". Je répète ceque j'ai vu à Ndzuani : le vide des bureaux de vote et des urnes quidément les résultats proclamés à l'issue du scrutin, l'inscription "Tous unitcontre Bacar" sur un mur de Mutsamudu, la colère qui couvait le jour del'investiture du président "réélu", l'attente d'une intervention de l'Union…Bref, tout ce que les rares images qui parviennent en ce moment àMoroni ne montrent pas. Aussi vite qu'ils se sont mués en farouchesdétracteurs des Anjouanais, les jeunes avouent que, faute d'informations,ils se contentent de gober ce qu'on veut bien leur raconter. - Ce sont les grand-quelqu'un de ce quartier qui amènent beaucoup denouvelles politiques ici, souffle Ali. Ils viennent nous dire : "Demain, ilfaut construire des barricades." Il y a plein de choses dont on sait que c'estdes mensonges, mais on peut pas dire que ça en est. Et puis si on nousdonne de l'argent, on peut faire n'importe quoi, comme chasser lesAnjouanais. - C'est pas vrai ! réplique Abdourahim. - Si !Justement, un "grand-quelqu'un" du quartier s'est approché. Il étaitconseiller sous le gouvernement Azali et reste militant du parti de l'an-cien président de l'Union, la CRC. - Alors, les Anjouanais soutiennent Bacar ? demande innocemment Ali. - Pas du tout, répond l'autre d'un ton de professeur, en français et visible-ment à mon intention, devant le petit attroupement qui s'est formé. LesAnjouanais se taisent parce que le régime ne les laisse pas s'exprimer,mais ils en ont assez de Bacar. D'ailleurs, je dis toujours aux jeunes de nepas emmerder les Anjouanais. N'est-ce pas ? Les jeunes opinent du chef en regardant ailleurs et le laissent poursuivresa diatribe sur le patriotisme de la CRC. Dès qu'il tourne le dos et entredans la mosquée voisine, ils commentent : - Il parle comme ça tout haut, mais après, il peut venir nous manipuler…Les grand-quelqu'un viennent et disent : "Tiens, Bacar a téléphonéaujourd'hui et il a dit ci et ça… On sait que sur 10 mots, il y en a 7 defaux…" Avant de se quitter, Ali me confie : - Je crois que tu nous as fait un peu changer d'avis… mais bon, il y a sûre-ment quelqu'un qui va venir pour dire : "Au fait, j'ai appris que la m'zun-gu a été envoyée par Sambi pour vous manipuler !" Franchement, avectout ces gens qui viennent et nous racontent des choses… On ne sait plusoù est la vérité !

EN QUITTANT CALTEX, JE RUMINE et je finis par medire qu'en matière de désinformation, la bonne vieille propagande deRadio Télévision Anjouan (RTA) qui sévit sur l'île de Ndzuani est peut-être moins dangereuse que cet échafaudage de rumeurs qui tournent enboucle à Moroni. RTA a l'avantage de ne tromper personne à Ndzuani,hormis peut-être les enfants de moins de cinq ans ! Il faut dire que la sta-tion anjouanaise ne fait pas dans la dentelle. Le soir du scrutin, l'équipede propagande de Bacar n'a pas hésité à diffuser l'image d'une file d'at-

tente devant un bureau de vote, quand bien même au cours de leur tour-née respective sur l'île, les journalistes des trois autres médias présents -Al-watwan, RFI et Kashkazi- n'ont vu que des bureaux vides et quelquestrès rares électeurs. Quatre jours plus tard, lors de l'investiture de Bacar au palais de Dar-Nadja, le journal télévisé consiste presque uniquement en la diffusion desdiscours. Pas un mot, bien sûr, de ces nombreux habitants qui, en ville,hors du champ de la caméra, disent leur colère ou leur mépris à l'imagede cette dame de Mutsamudu : "Ils ont volé lesélections et maintenant ils se félicitent commes'ils avaient gagné !" Pas un mot non plus sur lesréactions des autorités de l’Union des Comoreset de l’Union africaine, qui ne reconnaissent pascette élection. Résultat : quand RTA met enscène le "raïs" Bacar et communique les résultatsd'une élection truquée, personne n'est dupe, lespartisans comme les opposants.

ON NE PEUT PAS EN DIREAUTANT DE DJABAL TV, la station associati-ve d'Iconi, au sud de Moroni, qui entretient desrelations cordiales avec le pouvoir anjouanais 1.N'étant pas sur place, les Grand-comorienscroient non seulement ce qu'on leur raconte,mais aussi ce qu'ils voient, c'est-à-dire ce queDjabal leur donne à voir 2. Les images diffuséespar la chaîne reviennent sans cesse dans les dis-cours "anti-anjouanais" : "On a bien vu à la téléqu'il y avait beaucoup de monde et qu'ils étaientcontents !" "Pendant le journal, ils ont montrédes images des Anjouanais en 1997, quand il y aeu la coupure 3, puis ils ont enchaîné sur les ima-ges de l'investiture", me raconte un téléspecta-teur. "L'impression que ça donnait, c'est que çacontinue aujourd'hui comme en 1997, et qu'il yavait beaucoup de monde à l'investiture." Lesimages ont été balancées à l'antenne sans lemoindre commentaire qui aurait permis aux télé-spectateurs de les remettre dans leur contexte -àsavoir celui d'une propagande quasi militaire. Si le message ne cor-respond pas à la réalité, il n'en est pas moins clair : la population anjoua-naise, toujours favorable au séparatisme, soutient Bacar…

Le directeur de la station se défend d'avoir "jamais désinforméou menti". "La question n'est pas de faire des commentaires", affirme-t-il."Il y a eu une cérémonie, on la montre, c'est tout. On n'a pas fait de com-mentaire parce que les gendarmes nous avaient demandé de ne pas mont-rer ces images, mais ont avait promis de les diffuser. Djabal est une petitetélé. On n'y peut rien si l'opinion à Ngazidja est contre les Anjouanais."Djabal collabore-t-elle avec RTA ? "On a notre propre caméraman quinous envoie des images" assure Moindje, oubliant de préciser que ce camé-raman n'est autre que celui de la présidence anjouanaise…

1 Plusieurs témoignages l'attestent, comme celui d'un journaliste qui, invité à uneconférence de presse, s'est entendu dire par Djaanfar Salim, numéro 2 du régimeanjouanais : "Tu n'as pas de billet ? C'est bête, j'aurais pu t'intégrer à la liste deDjabal !" Ou cet autre journaliste qui explique : "Souvent, quand ils ont besoin d'images, ils disent : "On va appeler Bacar pour lui demander !""2 Le journaliste de la télévision nationale qui devait couvrir les évènements s'est fait refouler par les autorités anjouanaises. L'ORTC ne diffusait aucune image de Ndzuani pendant les élections. 3 Sécession anjouanaise

“Bacar ne pourra pas voler les élections si les forces de sécurité sontprésentes.”DINI NASSUR, secrétaire général du gouvernement sortant de Mgazidja, moins d’un mois avant que Bacar ne s’autoproclameprésident...

“Avant, Mayotte était une île théocratique. Les gens du MPMétaient considérés comme des dieux.Après, la bande à Kamardine estarrivée. Ils ont fait de Mayotte uneploutocratie. Maintenant c’est lacourse à l’argent.”AHAMADA SALIM, candidat malheureux à la députation de Maore (pour Les Verts), dansMayotte Hebdo.

“A l’école primaire, on nous donnedes cours d’éducation civique... On nous apprend les couleurs dudrapeau -comme si on les voyaitpas- et que nous sommes un archipel de quatre îles -formidable !Et après, on s’étonne que nous nesachions pas ce que c’est que lepatriotisme !”MARIAMA OMAR, lycéenne à Ntsaweni (Ngazidja)

“Entre les cotisations et les tenues,une femme a besoin d’un capital de 500.000 fc [1.000 euros] pour assurer la saison des mariages. Le capital minimum d’un SARL,c’est 750.000 fc [1.500 euros] !”HISSANE GUY, voyagiste à Moroni.

“Mon mari est d’Anjouan et je suisde Grande Comore. Franchement,si on parle de politique on se dispute et au bout d’un moment on se regarde : mais qu’est-ce quenous sommes en train de raconter ? On en arrive à dire des choses séparatistes alors que nous ne lesommes pas. Personne n’arrive àpasser par-dessus ça.”UNE HABITANTE DE NGAZIDJA.

“Anjouan is the autonomousRepublic of the Union of Comores.”MOHAMED BACAR, président illégitime de l’île autonome de Ndzuani, sur le site officielwww.anjouan.gouv.km.

“Le problème avec l’Afrique consistedans un manque d’importation. La politique restrictive sur l’obtention des visas par la Franceest en partie responsable de cemanque d’attractivité.”GÉRARD ETHÈVE, président du directoire de la compagnie Air Austral, lors d’une conférencede presse à Maore.

“Ce n’est pas seulement une ques-tion de droit, mais aussi de morale :il faut arrêter que Mayotte soit diri-gée par des voleurs.”ABDOULATIFOU ALY, nouveau député (MDM) de Maore, à propos du milieu patronalqui règne sur l’île.

Ces “grand quelqu’un” qui informent “grandn’importe comment”

par Lisa Giachino

Les images ont été balancées à l'antenne sans le moindre commentaire quiaurait permis auxtéléspectateurs deles remettre dansleur contexte. Si le message ne correspond pas à la réalité, il n'en estpas moins clair : la populationanjouanaise, toujours favorableau séparatisme,soutient Bacar…

no comment

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kashkazi 65 juillet 200716

nouvelles du front

RIEN N'EST JAMAIS SIMPLE AUX COMORES. ANdzuani, le colonel Bacar s'entête à ne pas organiser de nou-velles élections comme le lui demandent l'Union desComores et la Communauté internationale, qui contestenttoutes les deux la légalité de son maintien au pouvoir après la

mascarade électorale du 10juin (lire page 24). ANgazidja et à Mwali, lespartisans de MohamedAbdouloihabi et de

Mohamed Ali Saïd, ont fêté la victoire de leur candidat élusau second tour de l'élection et investis dans leurs nouvellesfonctions le 30 juin pour le premier, et le 1 er juillet pour lesecond, mais des voix s'élèvent pour dénoncer des "fraudes"(lire page 30). Alors qu'à Ndzuani, le régime "illégal" deBacar durcit le ton contre l'Union qui n'exclut pas l'optiond'une opération militaire pour déloger le président rebelle, àMoroni, des perdants des 10 et 24 juin, Saïd Larifou, MtaraMaécha, Saïd Mohamed Mchangama, Ali Msaïdié, se sont

ligués et menacent de descendre dans la rue pour contester "lalégitimité du président Sambi" qu'ils accusent "d'avoir isoléles Comores de la Communauté internationale" et de n'avoirpas réussi à résoudre la crise anjouanaise. "Nous avons vécuune élection fraudée jusqu'au bout et qui n'était pas du toutdémocratique. L'élection, elle-même est invalide. La constitu-tion stipule que le vote doit avoir lieu le même jour alors quece n'était pas le cas. On a vu des élections seulement à Mwaliet à Ngazidja", ont-ils déclaré lors d'une conférence de pressele 27 juin à Moroni. Pour cette nouvelle coalition, "Sambin'est pas président de l'Union. Aujourd'hui, Ngazidja a deuxprésidents. Avec l'aggravation de la situation à Ndzuani,Sambi devient illégitime. Etant anjouanais alors que cette îlen'est pas dans l'Union, il perd automatiquement sa légitimité.Ensuite, il est incompétent dans la gestion de la crise anjoua-naise", a martelé le secrétaire général de la CRC, Ali Msaïdié.

A FORCE DE S'ENTENDRE DIRE qu'ils sont "complices"avec les séparatistes à la tête de leur île parce qu'ils ne s'ex-

priment pas, les ressortissants de Ndzuani résidant àNgazidja se sont fait entendre le 18 juin. Ils étaient près de400 à manifester leur opposition au régime Bacar sur laplace de l'indépendance, à Moroni. Toutes les catégoriessocioprofessionnelles avaient répondu à l'appel. "Vous êteschez vous à Ngazidja. C'est ici que se trouvent les institu-tions de l'Union et soyez rassurés. Comme dit l'hymne natio-nal, nous avons le même sang et la même religion", a lancél'ex-ambassadeur des Comores à Paris, Ali Mlahaili, quis'est solidarisé de cette lutte contre le séparatisme. "Il fautque le ministère de la Justice trouve une solution par rapportà l'attitude de certain politiciens qui mutent comme desjoueurs de football. Hier, ils ont prétendu défendre l'Union etaujourd'hui parce que ils ne sont plus au pouvoir, ils sontpartis diviser le pays. Si le droit n'a pas de réponse face àces comportements, voyons du côté de la religion pour trou-ver la solution", a demandé l'un des orateurs, lenommé Andoudou. Les manifestants se sont montrésfavorables à l'intervention militaire à Ndzuani. "Il y

en juin 2007on parle d’élections encore, d’avions et de coopération

...

LE JOURNAL DU MOIS

Abdou Bacar à Maore, “on n’en veut pas !”Arrivé dimanche 1er juillet à Maore par la mer, le commandant des Forces de gendarmerie d’Anjouan a été refoulé du sol mahorais le 3 juilleten direction de Ndzuani. Les autorités comoriennes et des manifestants sur place réclamaient son renvoi vers Moroni.

ABDOU Bacar, com-mandant des

Forces de gendarmerie d'Anjouan(FGA) et frère du président autopro-clamé de Ndzuani Mohamed Bacar(lire par ailleurs) a été au centre d'unimbroglio diplomatico-administratifdébut juillet, qui a vu la crise anjoua-naise s'exporter à Maore. Dimanche 1er juillet, celui que l'onqualifie également de "chef de cabinetmilitaire" de Ndzuani, responsabledes actes de torture et de répressioncommis dans l'île depuis plus de deuxmois, débarque sur le sol mahorais enmême temps que les autres passagersdu Maria Galanta - le navire continuede desservir Ndzuani malgré l'inter-diction qui lui a été faite par les auto-rités comoriennes (lire p.11). Mais àson arrivée, Abdou Bacar est interpel-lé par la Police aux frontières : sespapiers ne sont pas en règle. "Il possé-dait un visa d'entrée mais l'ambassa-de de France l'a annulé à la demandede l'Union des Comores", indiquaitPatrice Faure dans Flash infos dumercredi 4 juillet. "Nous avons uneliste de membres du gouvernementd'Anjouan et de hauts dignitaires quine peuvent pas quitter leur île parmesures conservatoires."

ALORS QUE DES MEMBRES desa famille -dont le président-dictateuret un frère qui travaille à Maore-disposent de la nationalité française,lui n'en a visiblement pas fait lademande. "C'est un choix effectué àl'époque qu'il doit assumer", affirmePatrice Faure.

Dimanche, Abdou Bacar est ainsiretenu dans les locaux de la PAF, àDzaoudzi. Le soir même, la commu-nauté anjouanaise de M'tsapere qui aappris la nouvelle se réunit et décidede mener une action afin de réclamerl'expulsion d'Abdou Bacar. Le lende-main matin, plusieurs dizaines de per-sonnes se massent devant le bâtimentde la PAF pour réclamer son extradi-tion vers Moroni. "On ne veut pasqu'il reste ici. Il a du sang sur lesmains avec tout ce qu'il se passe àAnjouan en ce moment. La répressionde son frère est aussi la sienne", disaitun des portes-parole du collectif quis'est créé de manière spontanée. "Onveut qu'il soit envoyé à Moroni, et nonà Anjouan, pour qu'il soit jugé de sesactes", poursuivait-il.

LES ANJOUANAIS DE MAOREne sont pas les seuls à avoir réagi. Enapprenant cette arrestation, le gouver-nement de l'Union a demandé auxautorités françaises que le chef mili-taire anjouanais soit remis aux autori-tés judiciaires comoriennes. Le minis-tère des Affaires étrangères de l'Uniona adressé en date du 2 juillet une noteà l'Ambassadeur de France à Moronidans ce sens, accompagnée du man-dat d'arrêt international lancé le mêmejour par le juge d'instructionMohamed Abdou, chargé de "la pro-cédure pénale suivie contre SaïdHamza et consorts". Cette procédurea été engagée par le Parquet deMoroni à la suite de l'attaque arméedu 2 mai par les forces anjouanaisescontre le palais présidentiel de l'Union

et le domicile du président Sambi àNdzuani. L'exposé des motifs établipar le juge Abdou retient contre le"chef des forces de la gendarmeried'Anjouan" le chef d'inculpationd'"atteinte à la sûreté de l'Etat, viola-tion du secret défense, entrave à la cir-culation militaire, homicide volontai-re, atteinte à l'intégrité territoriale,coups et blessures volontaires enréunion, rébellion, association demalfaiteurs et complicité".

LUNDI SOIR, alors que des dizai-nes de ressortissants comoriens d'ori-gine anjouanaise se sont réunis

devant la PAF afin de montrer leurabnégation, une délégation du col-lectif était reçue par la préfecture.Selon un des membres de la déléga-tion, "on nous a dit qu'il serait ren-voyé dans les 48 heures, mais passur Moroni car on nous a dit qu'iln'existe pas de convention d'extradi-tion entre les deux pays. On nous aégalement affirmé que la Frances'engageait à respecter la volonté del'Union des Comores d'interdire àcertaines personnes, dont AbdouBacar mais aussi, nous a-t-on dit,Djaanfar Salim, de sortir du territoi-re national."

LE LENDEMAIN, mardi 3 juillet,Abdou Bacar était effectivementexpulsé vers Ndzuani, à bord duMaria Galanta. Selon Patrice Faure,s'il n'a pas été envoyé à Moroni, c'estparce qu’"aucune demande n'aémané de Moroni donc nous avonsappliqué la règle internationaleusuelle qui veut que la personne ensituation irrégulière soit reconduitevers la frontière la plus proche du lieuoù elle a été prise." Cette mesure acontenté à moitié les manifestants, quiespéraient qu'il serait envoyé àMoroni "pour être jugé". Reste à savoir les raisons de la venue

d'Abdou Bacar à Maore. La rumeuren évoque deux. La première : le gen-darme serait venu recruter des merce-naires dans la prévision d'une attaquedes forces armées comoriennes surNdzuani. Une thèse jugée "ubuesqueet folle" par M. Faure, qui "ne tientpas". Selon lui, "il ne possédait aucu-ne valise d'argent pour cela [faut-ilforcément une valise comme dans lesfilms pour embaucher des mercenai-res au XXIème siècle ? ndlr]. Mais jecomprends que les Comoriens puis-sent supposer de tels actes ; ils onttoute une histoire derrière eux." Ladeuxième rumeur évoque une fuite dufrère du dictateur. Une hypothèse quiconfirmerait les informations nonencore validées selon lesquelles desdivergences seraient apparues au seindu régime anjouanais entre les parti-sans de la modération et les faucons,qui veulent aller jusqu'au bout de lalogique d'affrontement engagée cont-re le pouvoir de l'Union. Toutefois,Abdou Bacar n'a pas demandé l'asileaux autorités françaises.

POUR PATRICE FAURE, la raisonde sa venue est plus simple :"Monsieur Abdou Bacar était simple-ment venu faire des courses. Il avaitune paire de lunettes à récupérerentre autres. D'ailleurs, il est repartiavec." Elle laisse toutefois perplexe.A-t-on idée de changer de paire delunettes à la veille d'un débarquementquand on dirige les forces armées del'un des belligérants ?

RC et KES

Lundi matin devant la préfecture et le bâtiment de la PAF. Des manifestants réclament l’extraition de Bacar.

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kashkazi 65 juillet 2007 17

nouvelles du front

aura certes des morts mais ils ne seront pas plusnombreux que les gens qui perdent leur vie chaquejour en tentant de rallier Mayotte", a expliqué

Andoudou, qui a électrisé la foule hostile à des négociationsavec l'exécutif anjouanais. "Nous ne voulons pas de négocia-tions. On veut qu'il [le colonel Bacar] soit attrapé et jugé.Nous ne voulons pas qu'on nous dise qu'il s'est échappé", alancé la seule oratrice de la journée.

UN TEL CONTEXTE N'EST PAS TRÈS PROPICE auxvacances, même si les Comoriens de la diaspora commen-cent à affluer dans le pays. C'est justement le moment qu'ontchoisi les responsables du Programme de co-développemententre les Comores et la France, pour tenir la première réuniondu comité de pilotage, le 12 juin à Moroni, et annoncer les984 millions de francs comoriens (2 millions d'euros) poséssur la table pour financer des initiatives de développementportées par les Comoriens vivant dans l'Hexagone. La condi-tion annoncée est que leurs projets doivent être viables etbénéfiques pour les populations. Avec trois autres pays afri-cains, les Comores servent de champ d'expérimentation àcette nouvelle stratégie de développement très controversée.

A MAORE, OUTRE LES ÉLECTIONS et la défaite deKamardine (lire par ailleurs), c'est d'un fait divers sordidedont tout le monde ou presque a parlé ce mois-ci (à commen-cer par le Journal de l'île de la Réunion qui, non content demettre en une la photo de la victime, a tenté d'établir unparallèle plus que foireux entre la victime, sa fonction et l'af-faire Mohamed Aly qu'elle avait eue à traiter, avant, quatrejours plus tard, de s'excuser benoîtement). C'est que non seu-

lement l'acte -quoique de plus en plus souvent répété- estgrave -un viol au cours d'un cambriolage-, mais surtout il atouché une personnalité de l'île, à savoir une juge arrivée il ya peu. Le crime a été commis dans la soirée de samedi àdimanche 10 juin. Ce soir-là, le mari de la victime et deux deleurs trois enfants sortent pour voir un spectacle. Vers 20 h,tandis que le troisième enfant est dans sa chambre, la jugeentend du bruit dans la maison située dans un quartier dewazungu à Mamoudzou : elle descend de l'étage et trouvetrois cambrioleurs en plein travail. Face aux menaces deshommes, elle obtempère et observe le vol jusqu'à ce que l'undes trois hommes la viole. Selon une source médicale, elleaurait alors perdu connaissance : les analyses devraient déter-miner le nombre de personnes ayant abusé d'elle.Rapidement, la police a mis en place tous les moyens pourretrouver les coupables. L'analyse des fichiers recensant lesanciens détenus de la prison de Majicavo a permis à la jugede reconnaître ses agresseurs, qui ont été interpellés mardi 12juin à M'tsapere, alors qu'ils s'apprêtaient selon toute vrai-semblance à quitter l'île. Confondus par leur victime, ils ontété placés en détention provisoire. L'instruction en coursdéterminera la responsabilité exacte des trois hommes danscette histoire. Ils encourent la prison à vie.

AUTRE FAIT DIVERS QUI AURAIT pu endeuiller l'archi-pel : la perdition en mer du bateau malgache Antaly 2. Partisamedi 2 juin du port de Moroni en direction de Mahajanga,le navire chargé de 53 personnes (42 passagers dont 33Comoriens, 8 Malgaches et 1 Français ; et 11 membres de l'é-quipage) et d'un poids important de marchandises est tombéen panne le lendemain, non loin des côtes mahoraises.Comme souvent dans ce cas, l'alerte ne sera donnée que bien

plus tard -selon les affaires maritimes de Maore, elle aurait étéreçue lundi soir-, tandis que le bateau ne disposait visiblementpas des moyens de secours adéquats. Mercredi, les Affairesmaritimes réussissaient à entrer en contact avec le bateau ; soncommandant indiquait une position très proche de la barrièrede corail, laissant craindre un éventuel naufrage. Finalement,le navire sera retrouvé un peu plus tard. Les passagers serontdébarqués le jeudi matin en rade de Dzaoudzi, avant d'êtreenvoyés vers Moroni, non sans avoir lutté. "Ils voulaient nousenvoyer sur Anjouan comme ils font avec les sans-papiers",indique l'un des passagers. "Mais nous ne sommes pas desclandestins ! Vu la situation politique à Anjouan, nous avonsrefusé de partir en bateau. Finalement, le vendredi, on estrentrés en avion". Nombre de rescapés se sont plaints de l'atti-tude des autorités qui "[les] ont traités comme des voleurs".Dans les colonnes de Mayotte Hebdo, l'armateur de l'Antaly 2s'est déclaré soulagé par cette fin heureuse. "Je remercie legouvernement français de Mayotte et le capitaine du portpour l'aide qu'ils nous ont apportée. Ce qu'ils ont fait pour lespassagers de l'Antaly 2, les gouvernements comorien et mal-gache ne l'ont pas fait."

EN MARGE DES AGITATIONS électorales dans lesComores indépendantes, le choléra continue sa tranquillerecrudescence. Le 5 juin, le Centre médico-chirurgical deMitsamihuli enregistrait trente huit cas depuis la premièrealerte donnée le 27 mai dernier. A l'hôpital El Maarouf, onparle de 286 cas. Depuis l'installation en février du campcholérique à El Maarouf, deux morts liés à la mal-adie ont été constatés à l'hôpital, alors que deux aut-res personnes sont décédées à l'extérieur. "Ces der-

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...

Une grenadeexplose àDomoniL'AFFAIRE des compteurs à carte, à

Domoni, a connu unnouveau rebondissement. Depuis quelques mois, ladeuxième ville de Ndzuani est le théâtre d'affrontementset de tensions entre une partie de la population et lesautorités, tensions qui se sont cristallisées autour del'installation contestée de nouveaux compteurs élec-triques. L'affaire remonte au mois de février, lorsque deshabitants de la ville, opposés à ce nouveau mode depaiement, avaient interdit toute entrée dans l'enceinte dela cité. Un gendarme avait été blessé, provoquant l'inter-vention musclée des forces de l'ordre.Mardi 27 juin vers 11 heures du matin, des gendarmessont partis dans le centre ville à la recherche deTchukuni, l'un des leaders de la lutte contre les comp-teurs à cartes, qui avait, au cours de la répression desprotestataires en février, tranché la main d'un garde deMohamed Bacar, Djaffar Chamouène, d'un coup decoupe-coupe. Quand nous l'avions rencontré au mois demai, Tchukuni, qui se savait recherché suite à son acte etse cachait dans la medina, nous avait dit vouloir sedéfendre jusqu'au bout. "C'est devenu une guerre sain-te", avait-il prétendu. Il gardait ainsi toujours une grena-de offensive dans sa poche. C'est dans le quartier de Momoni qu'il s'est trouvé encer-clé par les militaires. Acculé, il a dégoupillé la grenadeen lisant le Chahada, la principale prière des musul-mans, avant de la jeter à terre, mais l'un des militaires aeu le réflexe de la pousser du pied jusqu'à la porte d'unemaison. L'explosion a fait une victime, un jeune hommede 19 ans qui tentait de fermer une fenêtre, touché gra-vement au bras gauche. Les militaires se sont précipitéspour embarquer Tchukuni tandis que la victime étaittransportée par ses proches à l'hôpital de Hombo.Cependant, de source sûre, cette arrestation ne répondaitpas à des instructions officielles mais cherchait plutôt àvenger la blessure du garde. Une enquête pourrait doncêtre menée par la justice anjouanaise afin de définir lesresponsabilités exactes de ce nouvel incident.

NEP et LG

Coup de folie sur NtsaweniL’armée est intervenue dans ce village de Ngazidja dont deux clans ne cessent de s’affronter.

COURSEpoursuite, mouve-ments de foule, fuites

et arrestations : le bourg de Ntsaweni situé aunord de Ngazidja, entre Hahaya et Mitsamihuli, aconnu trois jours de folie le week-end dernier.Samedi 30 juin après-midi, des dizaines de jeunesconvergent à toute allure vers le vieux centre.Objectif : capturer ceux qui selon eux, ont volé lacommunauté et ne respectent pas ses règles.Après avoir arpenté la ville au pas de course, lespoursuivants s’emparent de quelques hommesqu’ils ligotent et posent sur le sol où ils sont expo-sés à la risée des spectateurs. Sur la placepublique, l’ambiance est survoltée et les rancuneslibérées à grands cris. Les plus calmes commen-tent simplement : “Après tout ce qu’ils nous ont fait, ilsl’ont mérité !” Les prisonniers sont ensuite portéspar le groupe jusqu’à la gendarmerie. En fin d’après-midi, l’atmosphère se tend et il suf-fit de crier “escadron” pour que tout le monde pren-ne ses jambes à son cou en craignant de voir arri-ver l’armée. La gendarmerie finit par venir, por-teuse d’une convocation pour les responsablesdes émeutes de la journée. Les jeunes refusent dese présenter.A 4 heures du matin selon une habitante, les mili-taires prennent position et encerclent le village.“Nous avons regroupé les jeunes au niveau de la mer et delà, nous avons procédé à une intervention”, indique lelieutenant Ramadani. “Quand les jeunes se sont intro-duits dans les ruelles, on a commencé à arrêter tout lemonde, et après on a fait le tri.” Le lieutenant affirmequ’une soixantaine de personnes ont été arrêtées.Les villageois parlent de plus de 150 personnes.“Chaque personne qui voulait sortir était envoyée à la gen-darmerie”, témoigne un enseignant, BachirouMohamed. “Même les vieux et les femmes. Les jeunesrecherchés, eux, n’étaient plus dans le village. Chez moi, ilsont frappé à la porte : “Ouvrez sinon on casse.” Ils nous ontpris avec ma femme et ma fille de 17 ans, mais elles ont étélibérées à Ntsaweni. Sur le trajet, ils nous frappaient avecune matraque et nous donnaient des coups de pieds, même

si on avançait en levant les mains. A la gendarmerie, onétait sommés de s’allonger à plat ventre dans une chambreoù il y avait de l’urine et on nous versait de l’eau dessus. Ona été entassés dans des bennes et emmenés à la gendarmeriede Moroni. Là-bas, tout allait bien.”

PENDANT QUE CERTAINS étaient arrêtés,tous ceux qui l’ont pu ont fui vers Moroni ou lesvillages alentours, laissant le village aux person-nes âgées. “Les militaires entrent dans les maisons et ilssont brutaux”, témoignait une lycéenne qui s’estcachée toute la matinée avant de partir passer lanuit à Moroni. Les villageois d’un certain âge sontrestés à la gendarmerie de 10 ou 11 heures dumatin jusqu’à 16 heures, affirme Bachirou. Les jeu-nes ne sont sortis que le lendemain à 21 heures -”tout chauves !” Entre temps, une “réconciliation”avait été amorcée au village. Ce épisode constitue le énième rebondissementd’un conflit qui divise le village depuis la création

de la mairie. Désigné par les villageois pour dirigerla commune, le député Youssouf Said demandedepuis le début de son mandat aux responsablesde l’Association de développement de Ntsawenide présenter le bilan de ses recettes et activités.Chose à laquelle Hassani Ahamada, président del’association, se refuse, arguant que “la mairie n’apas à demander des comptes aux associations et veut s’ac-caparer leurs activités”. Y. Said dénonce la dispari-tion de 130 millions de fc (260.000 euros) ; H.Ahamada dément, tous deux entrainent chacunune partie des villageois dans leur sillage. Ladiaspora de Ntsaweni elle même se retrouve divi-sée : c’est une querelle à propos de pompes à eaufinancées par les émigrés en France qui a cette foismis le feu aux poudres. Un élément de plus à ajou-ter dans l’enquête sur ces “divergences villageoises àpropos des stratégies de développement, qui provoquentsans cesse des coups d’éclat”, annonce le procureur.

LG

La Meck de Ntsaweni, construite par le village.s

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nouvelles du front

niers temps, on enregistre plus d'enfants que d'adul-tes" parmi les malades, a alerté le docteur Mouniba,responsable du camp cholérique. Le pays serait tou-

ché dans l'ensemble, même si le seuil épidémiologique n'estpas atteint. A Moroni, "Oasis et Caltex sont les quartiers lesplus affectés", souligne le médecin qui met le doigt sur l'insa-lubrité, responsable de cette recrudescence. Depuis fin juin,de nouveaux cas ont été enregistrés à Mwali.

LA JEUNE CHAMBRE INTERNATIONALE (JCI) aquant à elle présenté son projet d'organiser le Salon"Entreprendre 2007". L'annonce en a été faite la semainedernière à la presse. Prévu pour se dérouler du 15 au 17août prochains au Palais du peuple de Moroni, ce forum seveut être "une plateforme d'échanges qui regroupera lesacteurs oeuvrant pour le développement économique du

pays et [servant] à sensibiliser le public à l'entreprenariat",a indiqué à Al-Watwan Kanizat Ibrahim, directrice de lacommission d'organisation du Salon. La JCI espère réunirune quarantaine d'exposants et nourrit l'espoir de faire de ceSalon "un moment privilégié pour canaliser les énergies envue de donner un coup de pouce à la croissance, à laconfiance et à la stabilité", écrit le président Sambi qui aparrainé cette initiative.

ALORS QUE CORSAIRFLY S'EST POSÉ pour la premièrefois sur le tarmac de l'aéroport de Pamandzi vendredi 29 juin-la compagnie française propose une ligne directe Paris-Maore et une courte escale via Antananarivo dans le sensinverse-, Air Austral a fêté le trentième anniversaire de saprésence dans l'île sous administration française. Comme le

rapporte le Journal de l'île de la Réunion, nous sommes début1977 lorsque "Bernard Landouzy, préfet de La Réunion, télé-phone à Gérard Éthéve, à l'époque P-DG de Réunion AirService (RAS). Pas content du tout, le représentant de l'Étatvient de subir les remontrances de Raymond Barre, alorsPremier ministre. L'objet de ce courroux : l'isolement deMayotte (…) "Voilà, m'a-t-il dit", raconte Gérard Éthéve. "Lechef du gouvernement souhaite voir ouvrir une ligne aérien-ne sur Mayotte. En clair, il faut faire vite, Raymond Barre adonné trois mois à l'aviation civile pour boucler le dossier."Sitôt dit, sitôt fait, Gérard Éthéve, à l'initiative de RAS troisans plus tôt, rédige aussitôt une étude préconisant l'acquisi-tion d'un Fokker 27. Les fonds sont alors prélevés sur uneenveloppe de l'aviation civile destinée à financer untunnel sous la piste... de Tahiti ! Mais, "preuve dupeu de confiance qu'inspiraient alors les

...

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ZÉRO votant. Une premièreen matière électorale,

du moins dans notre archipel où l'on a plu-tôt tendance à bourrer les urnes. Ce voteinédit s'est passé à Mihandani, petithameau de près de 250 électeurs, enclavéentre Vounabandani à l'ouest, etVanadjuwu à l'est, dans la régiond'Itsandra. Au premier tour de la récenteprésidentielle de Ngazidja, comme ausecond, les électeurs ont décidé de bouderles urnes. Une abstention collective,concertée et destinée à exprimer le ras-lebol des habitants de ce village oublié. "J'ai35 ans, je suis né ici et j'ai toujours vu cevillage comme il est aujourd'hui”explique Tito. Comme il est aujourd'hui,c'est-à-dire sans route, sans électricité,sans eau, coupé du monde. On y accède àpieds. Aucun véhicule ne dépasse le carre-four de Vounabandani. Les habitants doi-vent continuer le chemin sur un kilomètrede sentier que même un conducteur de4X4 hésiterait à emprunter. "Il n'y a qu'unBerliet pour venir jusqu'au village", faitremarquer Tito. Même ces gros camionsévitent ce sentier et entrent par l'est,empruntant le chemin de Vanadjwu, nongoudronné, mais moins périlleux. "Depuisl'indépendance, nous attendons qu'ungouvernement goudronne cet accès auvillage, nous attendons encore", se lamen-te le chef du village. "Nous avons été le1er village à déposer un dossier à la créa-tion du FADC [Fonds appui au développe-ment communautaire, ndlr], pour fairecette route et on nous a négligés. Notredossier a fait l'objet de 3 appels d'offre res-tés sans suite. On nous a informés que ladernière offre vient d'être attribuée. Onattend", explique Houmadi Abdallah. La route n'est pas l'unique sujet qui fâcheà Mihandani. "C'est seulement depuis

2002 que nous disposons d'une école pri-maire. Nos enfants étaient dispersés dansles villages avoisinants. Certains se dépla-çaient jusqu'à Moroni", explique Tito. Ils'agit d'une salle construite par les habi-tants eux-mêmes. La deuxième classen'est pas achevée. Pourtant en 2005, levillage avait déposé un dossier auprès duProgramme pluriannuel de micro déve-loppement sur conseil d'un responsable del'Education de Ngazidja, et obtenu la cons-truction de deux salles de classe. En l’absence de l'eau courante, il n'y a quedeux citernes publiques. Les villageois onteu accès au téléphone en 2004 avec l'ins-tallation d'une cabine. "Elle ne fonctionne

pas depuis 2005 et personne n'est passé laréparer" souligne Houmadi Abdallah.. Lesoir, le village tombe dans l'épaisse obscu-rité de cette région forestière. "Il y a l'élec-tricité dans le village d'en bas (à un kilo-mètre, ndlr) et dans celui d'en haut (à 900mètres, ndlr), comment pouvez-vous expli-quer que nous ne l'ayons pas ?" se deman-de Tito. Pire, ajoute le chef du village, "leréseau qui alimente la région de Hahaya,traverse nos champs".

TOUT CELA EXPLIQUE sans douteque Mihandani n'a que cinq lycéens, unétudiant aux Comores, 5 à 7 étudiants à l'é-tranger. Les premiers fonctionnaires ontété recrutés cette année. Trois filles dontune à l'Aviation civile, une à l'Equipementet une au poste de santé de Vanadjuwu.Seul le directeur de l'école primaire fait

figure d'élite locale. Les villageois ne comprennent pas les rai-sons de cette "discrimination". Ce n'estpas faute d'avoir tenté de rencontrer desresponsables pour leur parler de leurs pro-blèmes, assurent-ils. Mais personne neleur accorde le moindre intérêt. Pourquoi? "Posez la question aux ministres del'Itsandra", rétorque H.Abdallah. "Mêmeen période électorale où l'on donne duboulot aux jeunes des villages voisins, onnous oublie", s'étonne-t-il, faisant remar-quer que "pas un candidat à une électionprésidentielle depuis l'indépendance n'estpassé nous voir". Cette fois, c'en était trop. A la veille de la

présidentielle, unanimes, les villageois ontpris leur décision : "Ça fait des années,depuis nos grands-pères, que nous votons.Nous n'avons jamais eu un gouvernementpour nous aider. Cette année, nous avonsdécidé de ne pas voter. Il n'y aucun intérêt.On ne nous aime pas, ce n'est pas la peinede perdre du temps."Mais décidément, entre Mihandani et lespolitiques, il y a un mystère. "On pensaitqu'il y aurait une réaction d'un responsa-ble politique, d'un candidat et pourquoipas du président de l'Union qui s'est enga-gé à défendre les petits. Mais personnen'est venu nous demander pourquoi nousavons fait ça !" regrette Tito, amer.Combien d'années encore le jeune hommeverra-t-il son village identique à ce qu'il aconnu depuis trente-cinq ans ?

KES

A Mihandani, il y a eu zéro vote32 ans à attendre que l'Etat fasse quelque chose pour eux… Désespérés, les électeurs de Mihandani ont tout simplement boudé les urnes, les 10 et 24 juin à Ngazidja.

Dimanche 24 juin. On a voté à Ngazidja, sauf à Mihandani.

“Mais personne n'est venu nous demanderpourquoi nous avons fait ça !”

TITO, UN HABITANT DU VILLAGE

18 kashkazi 65 juillet 2007

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nouvelles du front

RÉSULTATS DES ÉLECTIONSRéunionnais à l'État”, précise Gérard Éthéve,“l'appareil est d'abord confié à Air France, àcharge pour le patron de RAS d'exploiter commer-

cialement l'avion. J'ai alors joué le rôle d'un mercenairepragmatique". En 1978, RAS avait transporté 4.500 passa-gers. Trente ans après, Air Austral en comptait 163.900.Alors que pour l'heure, la ligne Maore-Réunion (sans conti-nuité) est proche des 20.000 passagers, la compagnie pariesur 120.000 sièges vendus d'ici 2015, auxquels viendronts'ajouter avec la piste longue -M. Ethève est optimiste-132.000 sièges annuels de Maore vers la France.Fier de cette évolution, le patron d'Air Austral lorgne désor-mais vers d'autres investissements destinés à poursuivre ledéveloppement de sa compagnie à l'international, par exem-ple en reliant Sydney et Nouméa. Toutefois, il n'a pas cachéson inquiétude quant à l'arrivée de compagnies concurrentes(pour l'heure Kenya Airways et CorsairFly). "Nous devrionsperdre des parts de marché, voire des passagers", a reconnule patron de la compagnie de l'océan Indien.

L'OCÉAN INDIEN JUSTEMENT, avec un "machin"bizarre dénommé COI. La capitale comorienne accueille àpartir de ce 5 juillet, les journées portes ouvertes de laCommission de l'océan Indien (COI). Cette initiative qui faitpartie de la nouvelle stratégie de communication de l'organi-sation régionale, vise "à mieux faire connaître les activitésde la COI au public des Etats membres, parce qu'on s'estrendu compte qu'il y a un déficit", a expliqué FatoumiaAbdoulkarim Bazi, chargée de mission de l'organisationauprès du bureau à Maurice. C'est la deuxième édition decette manifestation lancée en 2006 à Maurice. La Secrétairegénérale de la COI, la Malgache Monique AndréasEsoavelomandroso, fera le déplacement pour le lancementde cette manifestation qui débute ce jeudi 5 juillet au Palaisdu peuple de Moroni.

AUTRE TYPE DE COOPÉRATION RÉGIONALE, àMaore cette fois : le comité de gestion du Fonds de coopéra-tion régionale -composé de quatre représentants de l'Etat etquatre représentants de la collectivité départementale- adévoilé début juin les douze dossiers retenus au titre de l'an-née 2007. Une enveloppe globale de 230.000 euros a étéaccordée à des projets destinés aux Comores indépendantes(80% des projets), à Madagascar, au Mozambique et àZanzibar (pour la première fois). Les domaines visés par lesporteurs de projets sont essentiellement la santé, la formationet l'insertion. Comme l'a rappelé Anne Mayaud, chargée demission pour la coopération régionale à la préfecture (dans lescolonnes du Mahorais), "nous ne sommes pas là pour expor-ter notre savoir-faire, ce dispositif doit avant tout servir àaller vers les autres. Les projets doivent impliquer la popula-tion des pays concernés, comme un travail à quatre mains."

POUR FINIR AVANT LES VACANCES (du moins pourla rédaction de Kashkazi, qui s’arrête un mois et vous donnerendez-vous le jeudi 30 août prochain), une nouvelleréjouissante pour les Mohéliens. Ce n’est pas que le prési-dent sortant de Mwali Mohamed Fazul ait préféré ne pasassister à la cérémonie d'investiture de son successeur,dimanche 1er juillet - selon lui pour éviter des tensions entremilitants-, mais bien que Mohamed Ali Said, le nouveauprésident, a dès sa prise officielle de fonction confirmé sespromesses de campagne. "Dès le 1er juillet, la consultationau Centre hospitalier de Fomboni est gratuite, à partir du1er août, pour l'enfant de 0 à 7 ans, les soins médicauxseront gratuits, d'ici mi-juillet, je recruterai 100 jeunes nondiplômés, le riz à Mwali aura le même prix qu'à Moroni etla justice sera pour tout le monde", a-t-il annoncé. Reste àsavoir comment il financera ces mesures...

LA RÉDACTION

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1er tour

élections présidentielles des îles autonomes de l’Union des Comores 10 et 24 juin

NGAZIDJAInscrits 180.139Votants 110.591Nuls 5.970Suffrages exprimés 104.621Taux de participation 61.15%

Mohamed Abdouloihab 17.640 (16,94%)Larifou Saïd 15.249 (14,55%)Mzé Soulé Elbak 13.618 (12,98%)Kamar Ezamane Mohamed 8.798 (8,37%)Houmed Msaïdié 7.496 (7.01%)Abdou Raouf Ahamada 6.118 (5,99%)Fahmi Saïd Ibrahim 5.569 (5,39%)Ibrahim Ali Mzimba 5.548 (5,46%)Mtara Maécha 4.316 (4,12%)Dahalani Saïd Abbasse 3.971 (3,91%)Saïd Ali Kemal 3.773 (3,59%)Mchangama MS Abdallah 3.616 (3,45%)Mohamed Elkabir Abdoulaziz 3.060 (2,91%)Saïd Soilih Youssouf 1.930 (1,83%)Maoulida Mabrouk 1.250 (1,19%)Idriss Mohamed Chanfi 1.224 (1,16%)Ahmed Mohamed Elhad 887 (0,76%)Assany Mfoungoulié 730 (0,30%)

MWALIInscrits 19.391Votants 12.787Nuls 203Suffrages exprimés 12.584Taux de participation 65,94%

Mohamed Ali Saïd 4.117 (33,72%)Mohamed Saïd Fazul 3.731 (29,65%)Abdou Djabir Madi 3.174 (25,22%)Abdallah Saïd Sarouma 808 (6,42%)Fouad Mohadji 754 (5,99%)

2nd tour

NGAZIDJAInscrits 187.004Votants 109.362Nuls 7.273Suffrages exprimés 102.089Taux de participation 58,48%

Mohamed Abdouloihab 58.244 (57,05%)Larifou Saïd 43.845 (42,95%)

MWALIInscrits 19.680Votants 12.544Nuls 625Suffrages exprimés 11.919Taux de participation 63,73%

Mohamed Ali Saïd 6.816 (57,95%)Mohamed Saïd Fazul 5.105 (42,85%)

2nd tour

1er tour

élections législatives de Maore 10 et 17 juin

Inscrits 64.775Votants 31.797Nuls 1.467Suffrages exprimés 30.330Taux de participation 49,09%

Mansour Kamardine 8.468 (27,92%)Abdoulatifou Aly 6.489 (21,39%)Zainadini Daroussi 2.628 (8,66%)Bacar Ali Boto 2.533 (8,35%)Ali Hadhuri Hamada 2.180 (7,19%)Ahamadi Saïd (Raos) 2.045 (6,74%)Chihabouddine Ben Youssouf 1.989 (6,56%)Ahmed Attoumani D. 1.237 (4,08%)Kamal Ibrahim 710 (2,34%)Miradji Abdou 622 (2,05%)Maurice Toumbou 422 (1,39%)Mohamed Nassur 288 (0,95%)Salime Ahamada 205 (0,68%)Ousseni Ahamada 200 (0,66%)Said Halifa 192 (0,63%)Salim Abdouldjabar 122 (0,40%)

1er tourInscrits 64.666Votants 34.647Nuls 1.268Suffrages exprimés 33.379Taux de participation 53,58%

Abdoulatifou Aly 18.789 (56,29%)Mansour Kamardine 14.590 (43,71%)

2nd tour

MINI ZONE MAVOUNA, BP 1331 MORONI, COMORES - TEL : (269) 73 09 51 /13 84 - FAX : 73 51 15 - e.mail : [email protected]

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kashkazi 65 juillet 2007 19

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kashkazi 65 juillet 200720

gros plan la diaspora comorienne en france

pour la circoncision du petitYazid, un samedi après-mididans un foyer culturel de la

banlieue de Bordeaux. On a préparé des platstraditionnels comoriens, les femmes chantentdans la salle principale pendant que les hommesdiscutent par petits groupes à la porte, sous lesarbres, interrompus de temps en temps par lesenfants qui jouent. L'association Ouanienne de Floirac-France-Comores (Aoffrac) a été créée il y a presque dixans. "Pour promouvoir la culture et le folklorecomoriens", explique son secrétaire Moktar

Comoriensde FranceTardive et longtemps très discrète, la diaspora comorienne de France détient sans doute le recorddu nombre d'associations par nombre d'immigrés. "Présumés étrangers", les Comoriens tentent dese construire une existence sur la terre d'exil où ils sont nés, eux ou leurs enfants. Reportage.

une diasporaatypique

Mohamed. "La communauté comorienne est trèsdiscrète", assure-t-il. Selon lui, elle représenteenviron deux cents familles dans Bordeaux et sesenvirons. Aujourd'hui, de Poitiers ou de Paris, cer-tains invités ont fait un long voyage pour partici-per à la fête. "Nous sommes fiers d'être como-riens" martèle Moktar Mohamed, "c'est un petitbout de terre qui mériterait d'être mieux connu".Fils d'un Anjouanais engagé dans l'armée françai-se, il n'a passé qu'un an dans sa ville d'originealors qu'il était tout jeune. Il se souvient davantagedes années à Nancy, cité lorraine de garnison où,

C'EST UNE FÊTE

Ci-dessous : une fête de Comoriens de France à Bordeaux, mi-juin. A droite, Halidi Allaoui, qui vit en France depuis plusieurs années. (photos : Vincent Tridon)

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la diaspora comorienne en france gros plan

"même s'il n'y avait pas de famille noire, nosparents nous ont toujours transmis notre culturecomorienne, elle nous a toujours accompagnés".D'ailleurs, il revendique sa double culture et ilretourne régulièrement à Ouani, "la communautédes expatriés est solidaire de ceux qui sont là-bas". Même si le regard des "Je reste" est parfoisun peu lourd à porter. "C'est délicat, ils nousconsidèrent comme des Français, ils nous appel-lent 'le m'zungu'." Le jeune homme en tailleurbeige estime que les habitants de son île d'originesont "parfois complexés parce que nous avons unpouvoir d'achat qui leur semble important." Il neles condamne pas pour autant. "Nous sommes lesseuls touristes à aller sur place et c'est vrai quenous avons les moyens de payer le billet d'avion."Pourtant en France, la vie des expatriés como-riens n'est pas forcément simple. "On prend leboulot qu'on trouve" explique MoktarMohamed. "Ici, nous sommes considéréscomme des étrangers. C'est notre couleur depeau que les gens voient et ilspensent que nous venons desAntilles, de la Réunion, ou deMadagascar." A l'entendre, cesont les premiers expatriés quiont le plus souffert en exil."Aujourd'hui, les franco-como-riens qui ont une trentaine d'années accèdent àla propriété." Lui-même, après avoir travaillécomme commercial pendant huit ans, a décro-ché un emploi de fonctionnaire à la Caisse d'al-locations familiales. "En général, le Comorienest assez discret sur son salaire" répond-ilquand on lui demande comment il vit. Il recon-naît tout de même qu'il est privilégié par rapportà ses compatriotes installés en France.

HALIDI ALLAOUI LUI, a pris la route à l'aubepour être de la fête. Il habite la région parisiennemais l'événement est de taille : non seulementc'est son neveu qui est circoncit aujourd'hui,mais il est l'un des fondateurs de l'Aoffrac. Le 16juillet, il s'envolera pour trois semaines devacances aux Comores à l'occasion du mariagede sa sœur. Il part seul faute d'avoir économisésuffisamment pour offrir le voyage à sa femmeet à leurs deux enfants. Né à Ouani, il est arrivéà Rouen après avoir passé son bac aux Comores,pour mener des études de droit. Aujourd'hui "jesuis juriste" annonce-t-il fièrement. "Quand j'aiquitté Moroni, je comptais revenir aux Comorespour participer à la création d'une université. Jevoulais être professeur de français ou journalis-te quand j'étais petit." Halidi Allaoui a changéd'avis en 1997, au moment de la crise séparatis-te. Il avait une vingtaine d'années et il s'est réso-lu à rester en France et à changer de voie. "Celan'a pas été simple de trouver du travail, un DEAde droit international privé, ce n'est pas trèsdemandé en France." Sans compter qu'Halidi adû affronter le racisme des employeurs. Alorsqu'il cherchait un travail à Bordeaux, il a tenté letest du CV anonyme. Résultat : beaucoup plusde réponses pour son CV anonyme que pour leCV qui révèle ses origines. Aujourd'hui, il tra-vaille en banlieue parisienne. Dans son bureaudu service contentieux d'une société d'HLM(habitation à loyer modéré), "je vois la misère deprès, le surendettement, les problèmes finan-ciers, les problèmes familiaux, qui existent enFrance". Alors quand il rentre aux Comores, ilessaie de "sensibiliser". A défaut de pouvoir décourager ceux qui rêventde la France, il tente de les préparer. "Quelqu'unqui arrive ici doit être prêt à se battre du matinau soir, tous les jours. Surtout s'il n'est pas qua-lifié. Et le logement est un gros problème." Poursa part et alors qu'il travaille dans ce secteur,Halidi Allaoui a dû patienter près de six moisentre Bordeaux et le Val d'Oise, entre sa familleet son travail, avant d'obtenir un appartement.Pour lui, les Comoriens ne mesurent pas bien cequi les attend dans l’ancienne Métropole."Quand la famille qui se sacrifie ne reçoit pasd'aide d'un fils parti en France, elle n'en déduitpas qu'il a des problèmes alors que c'est souvent

le cas. Ici, même si je veux être français à partentière, je suis présumé étranger", rappelle-t-il.Halidi Allaoui revendique la nationalité qu'il aacquise il y a sept ans. "A la maison, on parle lefrançais avec nos enfants et c'est parce que nousnous considérons comme français. Mes enfantsferont leur propre choix mais il est fort possiblequ'ils restent en France puisqu'aux Comores, ilsne sont pas vus comme des Comoriens."

TARDIVE MAIS très nombreuse proportion-nellement à la taille du pays d'origine, la diaspo-ra comorienne est atypique dans le paysage del'immigration africaine en France. "LesComoriens occupent une place particulière",observaient en 2002 Karima Direche-Slimani etFabienne Le Houérou dans un ouvrage sur ladiaspora comorienne de Marseille 1. "Derniersémigrés arrivés en France, leur présence très dis-crète a suscité jusqu'ici peu d'intérêt.Massivement installés à Marseille, ils apparais-

sent sur la scène nationale à l'occasion d'undrame raciste qui a touché l'un des leurs. En avril1995, un jeune Comorien, Ibrahim Ali, âgé dedix-sept ans, est assassiné par des colleurs d'affi-ches du Front national. Pour la première foisdepuis leur arrivée en France, les Comoriens semobilisent publiquement pour montrer leurémotion et leur colère lors d'une manifestationqui regroupe plusieurs milliers de personnes.L'opinion publique découvre alors une commu-nauté émigrée peu connue, très organisée etimportante quantitativement puisque les médiasparlent de 50.000 personnes dans les Bouches-du-Rhône [le département de Marseille, ndlr]."L'immigration comorienne en France intervientau moment où les communautés maghrébinessont déjà présentes et où "les flux migratoiressont officiellement bloquées par la France depuis1973", soulignent les auteurs. Le passé colonialtrès proche est un élément d'explication de cette"immigration incongrue". Les premiersComoriens installés en France sont des hommesjeunes et célibataires, souvent des marins. Audébut des années 50, ils sont 400 à Marseille surune population africaine de 4.000 à5.000 individus. Occupant les métiersles moins qualifiés, ils se retrouvent au

INTERROGATIONS SUR UNE DIASPORA DEPLUS EN PLUS MARQUÉE PAR SON VÉCU ENTERRE FRANÇAISE. Essai filmique sur une réali-té souvent présentée comme disparate. MohamedSaid-Ouma, un jeune réalisateur comorien, né à laRéunion de parents venus de Madagascar exhibe"[ses] tripes de fils d'immigré", planté derrière sacaméra. Des images déroutantes où les valeurs de l'ida y vuelta (aller-retour) sont célébrées avec lesouci d'une esthétique de la déconstruction. "Lemythe de la cinquième île" est un de ces films qu'onne montre que trop rarement sous nos Tropiques,habitués que nous sommes aux ersatz de bonheurhollywoodien ou aux mirages bien colorées duroyaume de Bollywood. "Ce film appartient à ceuxqui auront le désir ou la volonté de le voir”,explique tranquillement son auteur. “Il ne m'appar-tient plus. J'ai travaillé pour montrer mon expérien-ce personnelle. Je suis un enfant de cette diasporacomorienne mais pas seulement. Je suis un enfantde ces diasporas noires éparpillées un peu partoutsur le globe."Un film qui répond à une notion de citoyenneté écla-tée. "Pas plus tard qu'hier, un ami m'a dit qu'il s'a-

gissait d'un film à inscrire dans la nouvelle postmo-dernité des peuples en exil. Je lui ai dit que non. Jene me reconnais pas dans ces théories, qui disentque nous sommes en perpétuel mouvement et quenous reconstruisons notre territoire à chaque escalede notre exil. Non ! Moi, j'ai besoin d'ancrer monimaginaire dans un territoire précis. Il m'a alorsramené à Nurrudin Farah, écrivain somalien, quidéfinit le concept de "My Country is in my mind",autrement dit "mon pays est dans mon esprit". D'unecertaine manière, les Comoriens de la diaspora quipensent que leur pays est dans leur imaginaire com-prendront mieux mon film. Pour les autres, j'ai lais-sé des "balises formelles" ou "sonores" . Le film selit comme un manifeste dédié aux enfants del'"entre-deux". Il suggère une série de questionne-ments. "Quel rapport entretenir avec les Comorespar exemple, nous qui sommes assimilés à la migra-tion, nous qui sommes vus comme des "Jeviens" surle retour, lorsqu'on y va ? Et comment vit-on laperte d'une partie de son identité lorsqu'on estenfant d'exilés ?"Tourné entre Le Havre, La Réunion et les Comores,“Le mythe de la cinquième île” raconte le sentiment

de l'errance à l'heure des identités globalisantes.Présenté en avant-première à l'Alliance Franco-Comorienne de Moroni grâce à une opération montéepar l'Université des Comores, le film de MohamedSaid-Ouma vient nourrir le complexe débat sur lepoids de la diaspora dans l'imaginaire de ces îles.

A L'OCCASION, on se souviendra peut-être desparoles du poète Saïndoune Ben Ali, que l'on retro-uve au mieux de sa lucidité dans ce film : "Espritdes Lunes”, écrivait-il dans Testaments de transhu-mance (éd. Komedit), “tu verras / tes enfants parti-ront / vers des lendemains d'abondance et d'illusion".Cet esprit des lunes n'est-il pas cette part de nous-même qui reste, lorsque nous partons tous vers l'in-connu ? Y a-t-il encore quelqu'un de vivant sur cetteterre ? Sont-ce des fantômes qui courent dans nosrues ? La diaspora serait-elle la seule réalité d'exis-tence promise au Comorien dans les jours qui vien-nent ? La culture est une réponse possible à nos des-tins fragilisés par temps de crise. Le cinéma en estl'une des armes les plus audacieuses.

SOEUF ELBADAWI

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“Le mythe de la cinquième île”

“Ici, même si je veux être français à part entière, je suis présumé étranger.”

HALIDI ALLAOUI

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gros plan la diaspora comorienne en france

LES Kom Kom de France sont enfinparmi nous. L'aéroport Said

Ibrahim connaît ses grandes heures d'affluen-ce. Youyou, milele, foule en liesse, regardsémerveillés. L'accueil en lui-même est un purmoment de délire. Même les douaniers sontaux petits soins pour les compatriotes sur leretour. "Il ne faut pas s'y tromper. Il y a unehistoire de fric là-dedans. C'est la saison desrécoltes. Les Je viens sont des cadeaux toutdroit venus du Ciel. Ils représentent unmoyen de remonter la machine à souriredans le bon sens", relativise l'un d'eux. Dèsleur descente d'avion, on leur sort le grandjeu. Synonyme de dépaysements et decontrastes en tous genres, leur retour au paysest une occasion de fêtes ininterrompues. Laplupart reviennent pour se ressourcer maisfinissent par repartir déçus et amers. "Le payschange trop vite pour eux. La tradition, lasolidarité, la convivialité sont des valeurs quirésistent paradoxalement beaucoup chez euxen France mais qui sont de moins en moinsprisés ici". Le pays vit sa première vagued'individualisme forcené. "Chacun s'occupede sa merde. C'est ce qui les trouble à l'arri-vée. Ils apprennent l'hypocrisie, la petitesse,l'égoïsme, la méchanceté et le manque dedélicatesse du Comorien. Quand on vit dansla crise en permanence, on ne prend pas degants pour dire "débourse" à celui qui possè-de. C'est nouveau pour eux. Ils n'imaginentpas que le pays puisse aller mal à ce point."

DANS LA RUE, on les assimile à des touris-tes trop friqués. "Ils se la pètent beaucoup.Cela s'entend à des milliers de kilomètres delà où ils sont." On les reconnaît au passage.Allure décomplexée. "Il faut reconnaîtrequ'ils ont de la présence. Ils en imposent." Ilsont beau vouloir s'effacer dans le décor,épouser les accents locaux, imiter les gestuel-les du moment, en essayant de se faire passerpour de malheureux Jereste, l'opinion les rat-trape toujours au coin de la rue. On leurcause en français, on leur parle du cousin de

Marseille, on les fait culpabiliser sur leurbien-être, et on les interroge sur la politiqueimmigrée de Sarkozy, sur le couple éclaté desRoyal-Hollande, et sur les mésaventures deChirac au poste. "Les gens ont des analysesplus que pointues du gotha politique françaisici. Ce qui surprend les Jeviens, qui, eux,n'ont pas toujours le temps de s'intéresser àla politique française. Ils ont tellement à s'oc-cuper avec leur petite vie là-bas qu'ils ne seprennent jamais la tête avec des histoires depolitique politicienne", analyse un petit com-merçant de Moroni. Au pays de l'ancêtrecommun, ils viennent justement pour s'aérer.Pas pour spéculer sur le politique. "C'est passimple de vivre dans un pays où l'on vousramène tout le temps à vos origines étrangè-res, alors que vous avez le "sésame" quiouvre les portes de l'administration." EnFrance, ils ont un papier, quel qu'il soit, quilégitime leur présence. Cela n'empêche pasles situations de tension. Le rejet de l'immi-

gré est encore d'actualité dans l'Hexagone.Leur passage au pays est donc "l'endroit"d'une revanche sur leur destin de migrant."Pouvoir se sentir vraiment chez soi. Celas'accompagne d'un tas de fantasmes sur lebled. Beaucoup espèrent troquer leur cas-quette d'immigré contre une toge de sultandès leur descente d'avion."

MAIS LES PROBLÈMES commencent dèsqu'on leur présente la facture. "Au début, ilspaient sans rechigner. Car ils apprécient d'êt-re fêtés partout où ils passent. Les parentsmettent tout ce qu'ils ont pour célébrer leurvenue", témoigne un jeune de Sanfil. On tuele dernier cabri de la famille, on loue le cardu village pour la sortie de plage, on rivalise

de génie dans les cuisines pour satisfaire àleur bon goût, on organise des banquets quicoûtent la peau des os pour les rassurer. "Ondépense pour justifier de ce qui va suivre.Pour rassurer le client avant de le dépouiller.Avant, les gens prenaient plaisir à faire lafête aux Jeviens. Aujourd'hui, les choses ontchangé. La crise a mis fin à toutes les envies.Et puis les Jeviens eux-mêmes ont scié labranche sur laquelle ils viennent s'asseoir.Dans le temps, ceux qui étaient bienaccueillis ne donnaient pas signe de vie unefois rentré dans leur trou en France. Cela afini par décourager les gens. Promesses deJeviens n'égalent que ceux qui les écoutent,c'est-à-dire les idiots." Avec le temps, on achangé de méthode. On les saigne à blancsans sourciller. Une fois le temps d'adaptationécoulé, on les invite à prendre leur part dansles dépenses. Mieux ! On les pousse à payerce que l'entourage déguste en leur nom. Onleur raconte le pays et ses difficultés. On les

oblige à trinquer avec le sourire. "Il ne fautpas mal le prendre. S'ils allaient en vacancesdans un pays étranger, ils paieraient trois ouquatre fois plus cher le service rendu."

EXIGEANT, le "Jeviens" a aussi tendance àdevenir très vite dépensier. Histoire de mar-quer son territoire d'importance, probable-ment. "Il faut le voir comme un échange debons procédés. Le "Jeviens" a besoin desouffler et de revivre. Il se donne en moyenneun mois ou deux pour jouer aux roitelets desaison. Le "Jereste" s'arme de patience etprend ce qu'il peut dans la valise de son hôtede passage. Il vide son portefeuille", observeun enseignant de Moroni. On raisonne doncen euros pour satisfaire à leurs moindres

désirs. Et les factures passent du simple audouble. "Au marché, les vendeuses ne sedisputent plus le client. Elles sont sûres queles euros coulent tellement à flots et nous, quine partons pas, n'avons pas le choix. Noussommes obligés de nous aligner sur les prixpratiqués. Alors qu'ils sont spécialementtaillés pour le costard de "Jeviens".” Celaachève de provoquer quelques aigreurs. "Nonseulement, ils s'arrogent tous les droits. Maisil faut en plus qu'ils bousculent nos habitu-des. Nous subissons des hausses incroyablesde prix que nos petites économies ne peuventassumer. C'est normal que les gens s'éner-vent. Les prix augmentent au marché, alorsque tout le monde ne dispose pas d'un"Jeviens" chez lui pour payer." Les vendeursau grand marché de Volo Volo, eux, jubilent."C'est une période de fête pour nous. Nouspouvons nous autoriser un "plus" de profitsans aucun scrupule. Leurs problèmes enFrance ne les empêchent pas d'être généreuxici. Ils donnent un coup de fouet au commer-ce et on ne crache pas dessus."

LES "JERESTE" savent combien dépenseun "Jeviens" sur le retour. En moyenne, unbudget minimum de 1.500 euros est mis àcontribution pour un mois de séjour, mêmechez les plus jeunes. "Cela n'est rien à côtéde ce qu'ils dépensent lorsqu'ils viennentpour célébrer un mariage ou pour construireune maison. Nous en profitons autant quepossible. Les temps sont durs par ici." Unavis qui ferait tiquer plus d'un "Jeviens".Abdou Saïd, débarqué il y a une semaineenviron, en est à son troisième voyage depuisdix ans : "Ils nous dépouillent de tout ce quel'on possède à l'arrivée. Le calcul se fait enfonction de notre argent de poche. Ilsoublient que nous dépensons avant mêmed'embarquer dans l'avion, puisqu'il y a lebillet qui coûte cher, les cadeaux à acheterpour toute la famille, sachant que la vie nes'arrête pas là. Il faut régler ses factures dumois avant de partir. Le loyer, le téléphone,

etc." En retour, certains "Jeviens" se vengentà coup de fausses promesses. Auprès des jeu-nes filles "en quête de visa", des parents "tropgourmands" , des fonctionnaires "véreux"…La liste de ceux qui se font avoir, en cher-chant à bluffer le "client" fraîchement débar-qué, est énorme. Ahmed A. est de ceux quis'en vantent. "Tu peux me croire. 'Suffit deretourner la situation. Tu files quelques eurosà l'un ou à l'autre au début et ils baissenttous la garde. Du coup, la maman te laisse‘baiser’sa fille, le douanier te fait passer tesaffaires sans rien débourser. Et à la fin, tupourras toujours tous les confondre. En fait,c'est de bonne guerre. Tu ne fais que leurrendre la monnaie de leur pièce. Lors de mespremiers voyages retours, on a bien abusé demon incrédulité. Maintenant, je me venge."

AHMED est de ceux qui trahissent laconfiance du "Jereste" avec un zeste de fiertédans la voix. De ceux qui font dire que les"Jeviens" sont des "marchands d'illusions",qui "ne respectent rien", qui sont "arrogants"et "sans éducation". "Ils salissent les plages,ils conduisent comme des idiots, draguentcomme des chiens, nous font passer pour desattardés. Qui peut aimer une telle commu-nauté ? Si les gens acceptent de jouer leurjeu, c'est parce qu'ils ont l'euro avec eux. Nosriches font à peine attention à eux quand ilsarrivent. Ce qui veut tout dire. Nous vivonsdans un pays où l'argent a raison de tout. Ilne faut donc pas s'étonner lorsqu'on seconfond en applaudissement pour un"Jeviens". Parfois, cela cache beaucoup deperfidie." Certains "Jereste" à leur tour four-bissent les armes : "Il faut leur prendre lemaximum. Cela apaise nos rancoeurs et finitpar nous ôter tout sentiment de jalousie. Carils finissent par nous avouer qu'ils ne sontpas aussi riches que cela, qu'ils galèrent là-bas autant que nous ici, même s'il est vraiqu'ils vivent dans un pays qui est puissant."

SOEUF ELBADAWI

chômage dans ces années-là, lorsque lesbateaux adoptent le diesel comme car-burant. Beaucoup deviennent alors doc-

kers. Outre Marseille, ils sont présents dans lesprincipales villes portuaires de l’Hexagone,notamment Le Havre et Dunkerque. "Ceux quidécident de prolonger la parenthèse migratoireont du mal à quitter les métiers de la mer. Le portdemeure le point d'ancrage et le repère fonda-mental des migrants. Chassés progressivementde la navigation, ils (…) investissent les métiersqui s'y rattachent : dockers, manutentionnaires,serveurs et cuisiniers dans les troquets desmarins." A l'époque la communauté comorienne"était pareille à la communauté clandestine,parce que la majorité des Comoriens naviguaientet ceux qui étaient à terre travaillaient dans unmagasin, dans un restaurant, main d'œuvrecomme tout le monde quoi ! Ils ne cherchaientpas à comprendre la politique", raconte Ali Mzé,un Comorien de Marseille, dans le livre “DeGrande Comore” 2. Ce n'est que dans les années80 qu'elle "se structure comme une véritablecommunauté migratoire avec la multiplicationdes regroupements familiaux"1. "Aujourd'hui, lesComoriens travaillent en majorité dans la restau-ration : plongeurs, cuisiniers, serveurs. Les plusjeunes investissent les domaines associatifs et l'a-nimation sociale des quartiers. On ne voit pasencore se dégager de catégories socioprofession-nelles plus stables et plus valorisantes, même siune réelle dynamique novatrice est en train devoir le jour parmi les jeunes de moins de trente

ans. Si une élite comorienne existe, elle est denature intellectuelle et artistique, composée d'étu-diants, de jeunes écrivains, de journalistes et demusiciens." L'autre particularité qui déroute ceux qui se pen-chent sur la diaspora comorienne en France estson tissu associatif. "On avance le chiffre de 300associations comoriennes à Marseille. Ce chiffrepléthorique pour une communauté estimée au

maximum à 50.000 habitants ne peut s'expliquerque par l'attachement très fort à des formes desociabilité et de contrôle social dont le plus struc-turant est celui de la communauté villageoise, lemdji", écrivent Karima Direche-Slimani etFabienne Le Houérou.

LES ASSOCIATIONS VILLAGEOISES dumême type que l'Aoffrac à Bordeaux sont légionà Marseille et se disputent souvent le titre dereprésentant de la communauté. "Cette course auleadership déconcerte les élus et les gestionnairespolitiques, qui surévaluent l'aspect insaisissablede la communauté : "Il n'y a pas de véritablereprésentativité ; j'ai déjà eu l'occasion d'avoiraffaire à trois ou quatre interlocuteurs qui se dis-ent tous les représentants de la communauté." Ce

constat est d'ailleurs souvent utilisé comme unargument politique pour justifier la non-représen-tation des Comoriens dans les instances dédiéesaux communautés étrangères de la ville." Des associations plus globales et plus modernescomme la Fecom à Marseille et la Diascom baséeà Lyon, qui affiche une vocation nationale,essaient de contrebalancer cet émiettement. Lesorganisations créées par des jeunes "se démar-

quent radicalement des associations traditionnel-les en proposant une réflexion nouvelle sur l'i-dentité comorienne en France. Elles critiquent lesattitudes figées, remettent en cause les traditionsarchaïques et interpellent les anciens sur leursresponsabilités familiales et politiques (…) Ellessoulèvent les sujets tabous, notamment lesdéfaillances des rôles des tuteurs dans l'encadre-ment des jeunes ou le harcèlement sexuel par cer-tains proches (oncles ou cousins) subi par les jeu-nes étudiantes arrivées des Comores. Elles refor-mulent également le débat sur le soutien financieraux Comores (pour mettre fin à l'assistanat éco-nomique)." Ben Amir Saandi est l'un des principaux ani-mateurs de ce courant à Marseille. "Sans lesdénigrer, les associations sont éternellement

suspendues à des aides", nous disait-il en2005 3. "Les Comores en France ont l'imaged'une politique de mendicité. Le nombre d'as-sociations comoriennes en France est aussiimportant que le nombre d'entreprises magh-rébines. Les Comoriens veulent se faire aidermais n'acceptent pas le côté risque de l'entre-prise." Pour lui, "les associations par villageseront amenées à mourir : les jeunes ne s'asso-cient pas par village". Nés en France dont ils ont adopté la culture enplus de celle de leur pays d'origine, ces immigrésde la seconde génération bousculent les vieuxschémas. Mohamed Saïd-Ouma, jeune réalisa-teur installé à La Réunion qui présentera prochai-nement un film sur l'exil (lire page précédente),n'hésite pas à se démarquer de ce que l'on attendtraditionnellement de la diaspora. "Le rôle desnouvelles générations nées hors des Comores esten train de changer, qu'on le veuille ou non", dis-ait-il en 2005. "Beaucoup me ressemblent dans lefait que l'argent, on le distille au compte-goutte.On est issus de parents immigrés et de ce faitnotre niveau économique et social, sauf quelquesnotables réussites, n'est pas super confortable ;donc l'argent sert à vivre là on l'on est, tout sim-plement. Voire pour certains jeunes à survivre. Ilest grand temps de briser ce tabou qui consiste àrevenir au bled et à ne pas dire aux habitants lavéritable vie que mènent les exilés." 3

BÉNÉDICTE COURRET (Bordeaux) et LISA GIACHINO

“Le nombre d’associations comoriennes en France est au moinsaussi important que le nombre d’entreprises maghrébines.”

BEN AMI SAANDI

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NOTES1 Les Comoriens àMarseille, d'unemémoire à l'autre,K.Direche-Slimani etF.Le Houérou, 2002,éditions Autrement,Paris 2 De Grande Comore,6 histoires de vie àMarseille, C.Fontana,M.Osmont etOl.Marboeuf,Khiasma Editions,2004 3 Kashkazi n°2,11/08/2005

Les “Jeviens” sont à nouveau dans la placeLe temps est venu de saigner les poches remplies d'euros. Les vacances au bled ne sont pas toujours des retrouvailles réussies.

“Lors de mes premiers voyages retours, on a bien abusé de mon incrédulité. Maintenant, je me venge.”

UN “JEVIENS”

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“Qui a dit que la planification familialeétait réservée aux femmes ? Sûrementpas le personnel du centre de Préventionmaternelle et infantile (PMI) de Mboueni,à Moroni. Ce matin là, les infirmières duplanning familial reçoivent une jeunefemme venue écouter leurs conseils enmatière de contraception. Son ami assisteau début de l'entretien… Plus loin, dans lecouloir, un père berce son bébé en atten-dant de consulter le médecin... Les mentalités auraient-elles changé ? C'estce que pensent Tchakila Soihili et ZohoraAbdoudou, sages-femmes au centre hospi-talier El-Maarouf, en observant un com-portement inédit chez les futurs papascomoriens. "Il y a maintenant des marisqui assistent aux accouchements", témoi-gnent-elles. "C'est un phénomène nou-veau." Certes, le changement se fait trèsprogressivement. "Pour l'instant c'est assezrare", notent Tchakila et Zohora. "Ce sontsurtout les intellectuels qui viennent. Laplupart des maris restent encore à la mai-son et c'est la maman, les sœurs qui s'occu-pent de la femme." Cependant, "ce n'estplus tout à fait comme avant". Les hom-mes ne sont plus les lointains spectateursde la naissance, et cela modifie leur percep-tion du rôle que joue leur épouse. "Lesmaris qui viennent sont très inquiets !Nous les encourageons à venir, ça va leurfaire prendre conscience que nous souf-frons beaucoup, nous les femmes !"

A la PMI également, les sages-femmeset infirmières tentent d'impliquer les hom-mes dans la contraception, le suivi de lagrossesse et celui du jeune enfant. Cette démarche est obligatoire quandune femme souhaite utiliser le Norplant,une méthode de contraception efficacependant cinq ans. "Contrairement auxautres méthodes de contraception, nousdemandons la présence et l'accord dumari", indique Nassimaba Ahamada, infir-mière au planning familial. "En général, lesmaris disent oui quand on leur explique.Devant une femme de 25 ans qui a déjà 5

enfants, on dit au mari que sa femme estjeune et qu'elle risque de vieillir. On ditaussi que la vie coûte cher, que ce n'est pascomme avant, on ne peut plus se contenterde dire que c'est Dieu qui a fait cet enfant :il faut l'habiller, l'envoyer à l'école… Onajoute : "Vous n'arrêterez pas de faire des

enfants, mais il faut les espacer !""La partie n'est cependant pas encoregagnée pour faire comprendre aux hom-mes que la planification des naissances lesconcerne. "La plupart des maris ne vien-nent pas sauf si on l'exige", témoigneNassimaba. "Ils pensent que c'est l'affaire

des femmes, ils s'en foutent !" Leur collabo-ration est pourtant précieuse, souligne l'in-firmière : "S'ils comprennent, ils vont aiderleur femme. Ils vérifieront dans le carnetpour ne pas rater les rendez-vous…"C'est justement le constat dressé par leFonds des Nations Unies pour la popula-tion (UNFPA), qui a choisi pour la Journéemondiale de la population 2007 le thème :"Les hommes, partenaires pour la santématernelle". "Plus d'un demi-million defemmes meurent chaque année de causesliées à la grossesse, dont 99% dans les paysen voie de développement", précisel'UNFPA. "Pour atteindre les objectifsmondiaux concernant la santé maternelle,nous devons inciter activement les hom-mes à prendre un engagement personnel etpolitique d'user de leur pouvoir en faveurd'un changement positif. La participationdes hommes est fondamentale s'agissantde (…) transformer les rôles sociaux quilimitent la santé procréative et les droits enmatière de procréation."

L'influence des hommes sur la santé dela reproduction s'exerce au niveau des pri-ses de décision politiques, mais égalementà l'intérieur des familles. "Les maris pren-nent souvent des décisions concernant laplanification familiale, les activités écono-miques de leur épouse et l'utilisation desressources du ménage, y compris pourpayer les honoraires des médecins et lesredevances scolaires", note l'UNFPA. "Cesdécisions influent sur le bien-être et les per-spectives de la famille entière. Les soins etle soutien d'un mari informé améliorentl'issue de la grossesse et de l'accouchementet peuvent faire la différence entre la vie etla mort en cas de complications, quand lesfemmes ont besoin de soins médicauximmédiats." Or, "s'ils ont quelque appui, denombreux hommes sont tout à fait dispo-sés à remettre en question les coutumes etpratiques qui mettent en danger la santédes femmes, disposés aussi à participer à laprise de décisions servant la santé sexuelleet procréative". Petit à petit…

Santé de la reproduction :c’est aussi l’affaire des hommes

Un homme attend avec son bébé au centre de PMI de Mboueni,à Moroni.

la phrase à méditer

“Nous considéronsles hommes et lesfemmes comme

des partenaires dansune relation fondée

sur le respect mutuel,la confiance et l’engagement.

Le partenariat avecles hommes promeut

le droit de chaquefemme, de chaque

homme et de chaqueenfant à jouir d’une vie saine

et de chances égales.”Thoraya Ahmed Obaid,

directrice exécutive de l’UNFPA

zoom sur...

La journée mondialede la populationMercredi 11 juillet aura lieu laJournée mondiale de la population2007. “Un moment où il convientparticulièrement de s’engager et d’a-gir pour faire en sorte que chaquegrossesse soit désirée, chaque accou-chement sans danger, chaque jeunenon contaminé par le VIH/Sida,chaque fille et chaque femme traitéeavec dignité et respect”, affirmeThoraya Ahmed Obaid, Directriceexécutive de l’UNFPA. Cette année, lethème retenu est “Les hommes, par-tenaires pour la santé maternelle”. “Ilest temps pour les hommes -en tantque pères, frères, maris, dirigeantscommunautaires et religieux et repré-sentants du gouvernement- de deve-nir des partenaires pour la santématernelle”, poursuit la Directrice. Aux Comores, le rapport sur l’état dela population mondiale 2007 seralancé le 10 juillet, suivi le lendemainde la célébration officielle de laJournée mondiale de la population etde la diffusion du rapport des activitésde l’UNFPA aux Comores pour lapériode 2003-2007.Des activités sont également prévuesdans les trois îles : émissions radio(Radio Comores, Radio Ngazidja,Radio Ndzuani, Radio Mwali) et télé-visées (RTA et TNC) ; opération “por-tes ouvertes” des maternités et struc-tures de santé ; conférences débats sur“Les hommes, partenaires pour lasanté maternelle” dans les différenteschefs lieux de districts ou les zones àfort taux de mortalité maternelle ; ani-mations par l’association des sagesfemmes et infirmiers et les ONG par-tenaires, etc.

Parce que chaque PERSONNE compteLa page d’information et de sensibilisation du Fonds des Nations Unies pour la population aux Comores

Croissance urbaine :un défi majeur du développementEn 2008, pour la première fois de l’histoirede l’humanité, plus de la moitié de lapopulation mondiale, soit 3,3 milliardsd’habitants, vivra en milieu urbain. D’ici2030, ce chiffre devrait avoisinner les5 milliards. La population urbaine dumonde en développement est appelée àdoubler en l’espace d’une génération. Or,beaucoup des nouveaux citadins serontpauvres. Leur avenir, celui des villes etcelui de l’humanité dépendent donc de cequi sera fait dès maintenant pour gérercette croissance.C’est à cet enjeu essentiel que l’UNFPA aconsacré son dernier “état de la popula-tion mondiale”, intitulé Libérer le poten-tiel de la croissance urbaine. Un titre réso-lument optimiste qui tente de battre enbrêche de nombreux préjugés liés à cephénomène planétaire, le premier étantque la croissance urbaine est forcément

négative : “Lesvilles, foyers de concentra-tion de la pauvreté, offrent aussi aux pauv-res le meilleur espoir d’échapper à celle-ci.Elles créent des problèmes environne-

mentaux, mais elles peuvent aussi appor-ter des solutions. La concentration de lapopulation dans les centres urbains peutcontribuer à la durabilité de ces centres àlong terme...”Cependant, pour que le potentiel positif dela croissance urbaine puisse être exploité,il faut que les pouvoirs publics changentleur politique vis à vis des citadins pauv-res. Dans la plupart des pays en dévelop-pement, les autorités nationales, régiona-les ou municipales essaient en effet dedécourager l’exode rural en refusant auxquartiers pauvres les équipements qui leurpermetttraient de vivre dans de bonnesconditions. Une stratégie inefficace -lesgens continuent de quitter la campagne-qui ne fait que retarder la recherche desolutions rendant la ville plus vivable. Autre idée reçue corrigée par ce rapport :la croissance urbaine aura lieu en majeure

partie non dans les mégalopoles, maisdans les villes petites et moyennes.

Les Comores n’échappent pas à cetteproblématique. Des “quartiers périphé-riques” de plus en plus étendus entourentdésormais Moroni et Mutsamudu.Beaucoup abritent des habitations enmatériaux végétaux ou en tôle, souventmal raccordées aux réseaux de voirie,d’eau courante et d’électricité. La popula-tion de ces quartiers ne dispose en généralni de place publique, ni de foyer des jeu-nes, ni de terrain de sport, car les proprié-taires des parcelles ne souhaitent pas voirles habitants s’installer de façon définitiveet les autorités ne se soucient pas de cesgens qui restent assimilés à leur villaged’origine. Le devenir de cette populationet notamment des jeunes, est pourtant unenjeu social essentiel pour les Comores.

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Ndzuani : chronique d’uneLes Anjouanais ont vécu un scrutin présidentiel surréaliste : très peu ont voté le 10 juin, mais le pouvoir affirme

décryptage bacarland

VENDREDI 8 juin.Fin de

campagne électorale à Mutsamudu, dumoins pour le colonel Mohamed Bacar.Autour du stade de Missiri, en pleincentre ville, des jeunes hommes mon-tent la garde à tous les coins de rue. Surleur poitrine, un badge : "Sécurité decampagne". Ce sont les mêmes qui ontmolesté ou menacé les protestatairesqui criaient leur colère, dans les villagesoù le président sortant a tenu des mee-tings. La veille, les autorités comorien-nes ont publié un décret reportant lescrutin présidentiel de Ndzuani, maisqu'importe : Bacar tient sa dernièreréunion publique et compte bien l'em-porter dimanche, après avoir maintenule premier tour envers et contre le prési-dent Sambi et la communauté interna-tionale. Ses partisans remplissent lestade pour l'ultime rencontre pendantqu'à l'extérieur, les passants affichentl'indifférence la plus totale ou ravalentleur colère… Trois jours plus tôt, les forces anjouanai-ses ont empêché l'avion de Sambi d'at-terrir et ont en direction de la foulevenue l'accueillir, qui manifestait sonmécontentement en envahissant la piste-bilan non officiel : une morte, suite àune chûte, et deux blessés. Le début, enquelque sorte, du coup d'Etat électoralorchestré par Bacar. Ce jour-là, AbdouSaïd, un candidat qui s'était finalement

désisté en faveur de Moussa Toybou,tente une médiation entre la populationet les gendarmes quand ceux-ci s'empa-rent de lui. "Ils m'ont traîné par le bou-bou sur 50 à 60 mètres et m'ont tabasséà coups de crosse dans les reins", affir-me-t-il. "Ils m'ont ensuite interrogé enme giflant, m'ont déshabillé et m'ont misjusqu'au matin dans les toilettes qui leurservent de cellule à l'aéroport. Le lende-main, j'ai dû signer une déclarationm'attribuant la responsabilité des dégâtscausés par la foule. A midi, une déléga-tion de mon village est venue. Ce n'estqu'à minuit que je suis sorti. MohamedAbdou Madi [qui soutient Bacar, ndlr]m'a dit de quitter la prison car Bacarvoulait aller faire campagne à Jamawe,mon village, et les jeunes refusaient qu'ily aille tant que j'étais prisonnier."

LES EXEMPLES de pressions du régi-me sur les opposants politiques sontinnombrables. "Quand nos partisanssont arrivés de Moroni, on leur a confis-qué leur argent", prétend un autre candi-dat, Abdou Saïd. "Il y en a un qui avait1,7 millions de fc [3.400 euros ndlr],l'autre 650.000 fc [1.300 euros, ndlr]. Ilsvenaient en campagne. Comment pou-vions nous circuler et faire campagnesans argent pour payer les transports ?"Depuis ce mardi 5 juin, la populationest dans l'incertitude. Mohamed Bacar

est, après quelques atermoiements dus àla médiation africaine et à l'accord signéentre les gouvernements de Ndzuani etde l'Union suite aux échanges de tirs du2 mai 1, redevenu le maître à bord d'unbateau dont il n'a cessé d'assurer, durantla campagne, qu'il prendrait le largeaprès sa victoire. Le 8 juin, les quelquesforces de l'Union africaine qui étaientdéployées dans l'île l'ont quitté "pour nepas cautionner l'élection" jugée illégale,"nulle et non avenue" par la commu-nauté internationale. L'espoir suscitépar leur arrivée quelques jours plus tôtest retombé. Personne ne sait à quoi s'entenir. Le lendemain, sur les ondes deRadio Télévision Anjouan (RTA), lemédia de propagande du régime, le pré-sident par intérim Doihirou Halidi s'a-dresse à la population pour lui annoncerque le vote est maintenu.

DIMANCHE 10 juin. La mascaradecommence. Tôt le matin, Radio FranceInternational (RFI) a indiqué que ni lesautorités comoriennes, ni la commu-nauté internationale ne reconnaîtront lescrutin organisé par le régime anjoua-nais. Partout, la réponse à la question :"Vous votez ?" est la même : "Non, onattend le premier tour de la semaineprochaine, on ne veut pas de cette élec-tion de Bacar." Seuls les partisans duprésident sortant se rendent dans lesbureaux de vote, où la grande majorité

des assesseurs des autres can-didats sont absents. Le princi-pal rival de Bacar, MohamedDjaanfari, est retiré chez lui, àSima. "Les élections sont pré-vues le 17 juin par le décretprésidentiel, avec l'accord de

l'Union africaine. Tout ce qui se passeaujourd'hui est illégal, c'est une élec-tion sauvage organisée par quelqu'unqui est aux abois et qui essaie à toutprix de se maintenir", dit-il. Arrivé troi-sième au premier tour de l'élection pré-sidentielle de l'Union en 2006, ceretraité de l'armée française veut se ras-surer : "Bacar partira. Les électionsmontreront qu'il ne représente plusrien. Il n'a pas sa place ici."Dans les bureaux de vote de la ville, lesurnes sont aux trois quarts vides. Pourqui avait assisté à la ferveur du vote de2006, qui avait vu des dizaines d'élec-teurs faire la queue toute la journée pourexercer leur droit, c'est un spectacle inso-lite. Les bureaux sont vides d'électeurs,parfois même d'assesseurs. Il faut patien-ter longtemps pour voir une personnevoter. A 11 heures, les urnes recueillent20 à 30 bulletins, pas plus, alors que leslistes comptent 500 inscrits. "Ils vontvenir toute à l'heure, à partir de midi",veulent faire croire à la presse les mem-bres de la commission électorale et lesassesseurs du candidat Bacar. Le spectacle est identique dans toutel'île : le nombre de votants noté par lesjournalistes des différents médias -horsRTA- ne dépasse pas quelques dizainesdans chaque bureau de vote. Certainsreporters ont assisté à des scènes éton-nantes : "Quand je suis arrivé dans unDimanche 10 juin, dans un bureau de vote de Sima. L’affluence est faible...

“Les élections montreront qu’il ne représente plus rien.”

MOHAMED DJAANFARI

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kashkazi 65 juillet 2007 25

bacarland décryptage

mascarade électorale

CAAMBI El Yachourtu,Ibrahim Halidi,

Nassuf Abdallah, Mohamed Abdou Madi…Tous étaient au premier rang des personnali-tés soutenant Mohamed Bacar, le jour de soninvestiture, le 14 juin à Patsy. Anciens oppo-sants et personnalités politiques de niveaunational, leur ralliement donne de l'eau aumoulin des manipulateurs d'opinion àNgazidja : "Puisqu'ils étaient dans l'Unionpuis deviennent séparatistes, qui nous dit queSambi ne fera pas pareil ?" répète la rue. Au-delà des raccourcis démagogiques, la ques-tion obsède tous les observateurs : commentle très politiquement correct Caambi ElYachourtu, par exemple, peut-il rallier unrebelle aux penchants tyranniques visible-ment en fin de course ? 1

Selon un homme d'affaires anjouanais quiconnaît bien le régime de son île, il faut repla-cer la tactique de ces hommes rompus à lapolitique dans les stratégies de pouvoir impo-sées par la Constitution de 2001. Caambi,Halidi et les autres auraient finalement choiside jouer sur la fibre insulaire au même titreque Kemal ou Mzimba le font à Ngazidja."Leur problème aujourd'hui, c'est de conti-nuer à exister politiquement", affirme cet obs-ervateur. "Il faut être fort dans son île pourespérer faire carrière à présent. Ces hommesn'ont pas leur place dans le schéma de Sambi,ni à la Grande Comore. Ils se sont renduscompte qu'ils sont obligés maintenant d'exis-ter ici et de se battre, et entre le choix de sou-

tenir Bacar, le plus farouche opposant àSambi, et les autres candidats, ils se sont ruéssur Bacar qui a les moyens de les acheter. Ilssavent que si Sambi reprend la main ici, ilssont hors jeu pour au moins cinq ans. A leurâge, cela équivaut à la mort politique."

DÉBUT JUIN, cette stratégie paraissait sui-cidaire. Bacar semblait aux abois, rejeté parl'opinion dans son île et désavoué par lacommunauté internationale. Mais au vu desderniers rebondissements, des hésitations del'Union africaine et de l'impasse dans laquel-le est acculé le gouvernement comorien,force est de constater que les alliés du colo-nel savaient très bien ce qu'ils faisaient et quiles soutiendrait. La machine de déstabilisa-tion lancée à Ngazidja par une partie de l'op-position est un signe clair de l'alliance entreBacar et des forces politiques de Moroni.Isolé malgré l'élection de deux hommes quilui sont favorables à la tête de Ngazidja etMwali, Sambi est coincé. Le coup d'Etat électoral monté par Bacar nepeut donc se lire de façon isolée. Si les enjeuxn'étaient pas beaucoup plus larges que sonsimple maintien au pouvoir, il n'aurait jamaisréussi. Le pari était sans doute risqué, mais iln'en était pas moins réfléchi. Car pour l'heure,la stratégie de Bacar, basée sur une utilisationdu droit à sens unique -il le cite quand cela lesert et l'ignore s'il lui est défavorable- s'estrévélée payante. "La loi, la loi, rien que laloi… Il a un argumentaire juridique pour légi-

timer sa façon cavalière de faire les choses",observe notre homme d'affaires. Cette propen-sion à citer le droit était caricaturale lors deson investiture, le 14 juin. Chef de la commis-sion électorale, président de la Cour d'appel,cadi… tout le monde y est passé pour procla-mer la conformité avec le droit de cette élec-tion truquée. "Vu le décret… vu le procès ver-bal… vue la Constitution…" jusqu'au nombred'enveloppes dépouillées qui a été passé aucrible d'un prétendu respect de la légalité.Dans ce discours juridique du clan Bacar,deux éléments sont essentiels : la contestationde la nomination d'un président par intérimpar Sambi, et le report par celui-ci du scrutin àNdzuani. Or, ces deux arguments sont étroite-ment liés à des manœuvres politiques menéesdepuis Ngazidja. La nomination par Sambi d'un président parintérim découle directement d'une décisionambiguë de la Cour constitutionnelle, qui lui ademandé de jouer le rôle d'arbitre dans lavacance de pouvoir survenue après la fin dumandat de Bacar. La Cour a-t-elle exécuté undeal avec l'Union ou au contraire, a-t-elletendu un piège au pouvoir central ? "La Couravait les moyens juridiques et même dejurisprudence, de dire le droit sur cette ques-tion. Elle s'est défilée. A qui profite le crime ?"se demandait Djaanfar Salim Allaoui, leministre de l'Intérieur du gouvernementanjouanais, après les événements du2 mai. Le moins que l'on puisse dire,c'est que le crime ne profite pas à

bureau, un homme, en me voyant, àfait le tour des salles en criant commepour avertir les autres", raconte l'undeux. "Dans un autre bureau, l'urneétait presque vide quand je suis passé.Quelques temps plus tard, le nombrede votants avait augmenté de façonincroyable ! Je pense qu'ils ont bourréles urnes." Ainsi ce bureau de Ouaniqui, à 17h15, comptabilisait 30votants et, trois-quarts d'heures plustard, au moment de la fermeture desbureaux, 300… "Quand je suis arrivéau bureau, ils m'ont dit : "Vous êtes enretard, on a déjà voté votre nom !""témoigne un commerçant deMutsamudu.La suite des évènements ne fera queconfirmer ces soupçons. Le soir, RTAmontre l'image improbable d'une filed'attente d'électeurs allant voter -imagequ'à notre connaissance, personne n'avu nulle part ce jour-là- et annonce lescore-plébiscite du colonel : plus de

89% des suffrages exprimés lui revien-nent. Le lendemain, lundi 11 juin,Mohamed Bacar, ses hommes et sesnouveaux alliés se retrouvent au stadede Missiri pour se congratuler. "Ils ontvolé l'élection et ils se félicitent commes'ils avaient gagné", commente, amèreet méprisante, une commerçante duquartier. Eux s'en fichent. Comme si derien n'était, ils se félicitent de cettebataille chèrement acquise.

LA CONSÉCRATION a lieu jeudiau palais de Dar-Nadja, à Patsy.Devant plusieurs centaines de parti-sans, Bacar prête serment sur leCoran et endosse à nouveau l'échar-pe rouge frappée de l'emblème dusultan Mawana. Son score a été revuà la baisse, sans doute pour paraîtreplus raisonnable aux yeux de la com-munauté internationale : 73,22%,contre 6,62% pour Moussa Toybouet 6,23% pour Mohamed Djaanfari.

"Comme le 31 mars 2001, vous avezété élu dès le premier tour avec lemême nombre de candidats. Maisvous venez de battre votre proprerecord qui était de 42%" le félicitesans la moindre ironie le président dela Cour d'appel de l'île, égalementprésident de la commission d'homo-logation des résultats mise en place àla va-vite pour valider l'élection enlieu et place de la CourConstitutionnelle. Ce n'est cependantpas la répartition des voix qui surp-rend, puisque seuls les partisans deBacar ont voté. En revanche, le tauxde participation affiché -54,73% desinscrits, soit 64.974 votants- estimprobable au regard de ce qu'il s'estpassé sur le terrain.Interrogé par la presse après soninvestiture sur les conditions danslesquelles s'est déroulé le vote,Mohamed Bacar a nié tout irrégula-rité. "Le scrutin s'est passé dans les

règles. Il n'y a pas eu de bourraged'urnes, et s'il y en eu, qu'on m'ap-porte les preuves et j'en tiendraicompte personnelle-ment." Ne craignant déci-dément pas le décalageentre ses paroles et laréalité, il avait annoncéau cours de son discoursd'investiture : "Je suisouvert au dialogue. Je suis disposé àtravailler avec tout le monde, y com-pris ceux qui n'ont pas voté pourmoi. Seules les compétences, lesérieux dans le travail, l'amour del'île comptent pour moi."Le rideau pouvait se baisser : l'acte IIdu coup d'Etat électoral (le premieracte s'est déroulé le 2 mai quand lagendarmerie anjouanaise a délogépar les armes les soldats de l'AND)finissait dans la liesse d'une minoritéd'Anjouanais pour lesquels Bacar estbien le président élu. Place désor-

mais au troisième acte : celui d'unedictature dans laquelle la contesta-tion est impossible ; où les femmes

de candidats se font frapper commecelle de Mohamed Djaanfari ; où lesmanifestants qui souhaitent montrerleur mécontentement à la délégationdes ministres africains sont disperséspar des tirs de kalachnikov en l'air ;où les journalistes sont arrêtés et bat-tus, comme celui de Radio Ngazidja,le 24 juin (lire ci-dessous).Bienvenue à Bacarland, le temple dela kalach'…

LG (avec RC)

1 Lire Kashkazi n°64

que 54% d'entre eux se sont déplacés pour élire Mohamed Bacar. Retour sur un coup d’Etat électoral.

“Je suis disposé à travailler avec tout le monde, y compris ceux qui n’ont pas voté pour moi.”

MOHAMED BACAR

le jour le plus longDimanche 24 juin. Une délégation de ministres des Affaires étrangèresdes Etats de la proche région se rend à Ndzuani. Ils sont missionnés parl'Union africaine pour tenter de trouver une solution à la crise. L'arrivée de ladélégation est annoncée à 10 heures à l'aéroport de Ouani. Un groupeimportant d'habitants de Sima, localité du candidat Mohamed Djaanfari,opposant à Bacar, tente alors de se rendre à l'aéroport pour accueillir laministre sud-africaine des Affaires étrangères, Mme Zuma, qui conduit ladélégation. Mais la voiture dans laquelle se trouve Anrafa Djaanfari, l'épou-se de Mohamed Djaanfari, ainsi que des amis, est arrêtée à Mirontsy par lesgendarmes. Selon elle, les militaires les ont fait descendre de la voiture afinde leur interdire de poursuivre leur route. Le petit groupe décide alors decontinuer à pied expliquant le motif de leur déplacement. Les militaires leurdonnent l'ordre de ne pas poursuivre leur route. Face à leur résistance, ilss'emportent. Anrafa Djaanfari a affirmé à nos confrères de RFO Mayotte quiont recueilli son témoignage qu'elle a été poussée par terre puis traînée sur legoudron. Un militaire l'aurait menacée de lui “pisser dessus” et l'aurait inti-mée de se taire si elle ne voulait pas être giflée. D'autres personnes qui l'ac-compagnaient ont subi le même sort. Certaines ont été frappées avec desmatraques : le cousin d'Anrafa Djaanfari a dû être hospitalisé ; il porte destraces violacées sur le ventre et au cou. Une autre femme de Sima a affirméqu'un militaire l'aurait menacé de la tuer avec son arme. La répression ne s'est pas arrêtée à Mirontsy. A Ouani, les habitants quiavaient ouvert leur porte aux gens de Sima ont vu les militaires pénétrerdans les maisons pour les chasser, les frapper et les menacer. A 13 h 30, sur laplace de Ouani, les gendarmes ont tiré des coups de feu en l'air pour disper-ser un groupe de personnes qui se trouvaient au bord de la route principale-images filmées par l'équipe de RFO Mayotte. A Mutsamudu dans l'après-midi, 100 à 200 personnes ont manifesté et ont pris le chemin de Ouani.Mais elles aussi ont été arrêtées par les militaires à la sortie de la capitale. Descoups de feu ont été tirés. Le bruit d'une roquette a été entendu. Un journa-liste de Radio Ngazidja, Elarifou Minihadji, a été arrêté. Il raconte qu'il a été“emprisonné avec deux enseignants soupçonnés d'être les instigateurs desmanifestations”, rapporte l’hebdomadaire Al-watwan 1. “Les armes braquéessur nous, ils nous ont ordonné à nous torturer à tour de rôle, à coup de cein-ture, tout en chantant”, affirme-t-il. Autant d'images d'un régime totalitaire que la délégation n'a pas vues : àson arrivée à l'aéroport, il n'y avait plus personne à part les militaires et lesautorités anjouanaises. Pas de banderoles, pas de manifestants. Les autoritésont avancé l'argument qu'elles avaient interdit toute manifestation pouréviter les affrontements entre partisans et opposants de Mohamed Bacar.Tout le long de la route, entre Ouani et le palais présidentiel où avait lieu larencontre, des petits groupes de villageois, muets, se hasardaient à l'extérieur,mais les militaires en armes étaient postés le long du trajet. Big Brother veille.

1 Al-watwan n°998, 29/06/2007

Une déstabilisation programméeMalgré la victoire de proches de Sambi aux élections de Mwali etNgazidja, Bacar a réussi le tour de force d'isoler le président de l'Union.

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kashkazi 65 juillet 200726

décryptage bacarland

Sambi, qui s'est flanqué d'un talond'Achille en n'étant pas inattaquablesur le plan juridique.

Le second argument consiste à dire que les élec-tions présidentielles des trois îles devaient setenir le même jour, conformément à la loi élec-torale de 2007. Cette idée est défendue non seu-lement par Bacar, mais également par une partiede l'opposition à Ngazidja, quand bien même legouvernement a consulté la communauté inter-nationale, la Cour constitutionnelle et les candi-dats avant de prendre cette décision. Secrétairegénéral et candidat de la CRC, le parti de l'ancienprésident Azali, Houmed Msaidie reprend ainsià son compte les propos de Mohamed Bacar : "Ilest prévu par la loi que les élections se tiennent

le même jour sur l'ensemble du territoire. Si,aujourd'hui, cela n'est pas possible, la faute estau gouvernement de l'Union." 2 Une proximitéde vue entre le régime anjouanais et la CRC quis'ajoute aux nombreux éléments attestant d'unestratégie commune : ralliements à Bacar deCaambi, Ibrahim Halidi et Madi Abdou, tous liésà la CRC ; propagation d'un discours démago-gique anti-Sambi et anti-anjouanais à Ngazidja ;

fréquents contacts entre les sbires de Patsy etl'opposition de Moroni… Sans parlers des liensentre tout ce "beau" monde et l'ambassade deFrance. Rien d'étonnant donc à ce que cette clas-se politique opportuniste adopte le point de vuedu contrepoids le plus explosif au pouvoir deSambi. Tout le pari de Mohamed Bacar portait en revan-che sur l'attitude de la communauté internationa-le. "Je ne crois pas que dans ce 3ème millénaire oùle monde parle de paix, les gens vont intervenirsimplement parce que les Anjouanais ont voté.Je ne pense pas que l'Union africaine va impor-ter la guerre dans un pays où il y a la paix", lan-çait-il, sûr de lui, le jour de son investiture. Pournotre homme d'affaires, il était alors "persuadé

que le chemin qui mène à une inter-vention militaire est long et compli-qué. Il n'a pas oublié l'expérience de1997 où les séparatistes étaientsous la menace d'un embargocontourné, et où l'on a beaucoupparlé d'une intervention qui n'a

jamais eu lieu". Al'heure où nous bouclions cettepage, les faits lui donnaient raison…

A NDZUANI, la population était pourtant per-suadée d'être rapidement "libérée" par une inter-vention. "Qu'ils viennent, même s'il y a desmorts, on est d'accord, on veut en finir", lan-çaient des habitants de Mutsamudu. Une certai-ne fermeté de l'Union africaine laissait en effet

pressentir une attaque. Réuni le 19 juin enAfrique du Sud, le comité ministériel des paysde la région avait réitéré son rejet de l'élection du10 juin et précisé que "l'installation du colonelBacar comme président d'Anjouan et tous lesactes subséquents des autorités anjouanaisessont nuls et non avenus". L'Union africaine avaitassorti sa condamnation d'exigences "incondi-tionnelles" auxquelles devait se soumettre l'auto-rité anjouanaise. Dans son communiqué, l'orga-nisation faisait savoir qu'elle se réservait la pos-sibilité de procéder à la "révision du mandat dela MAES [la force de sécurisation des élections,ndlr] et l'accroissement des effectifs" si le pou-voir anjouanais ne permettait pas l'organisationd'une nouveau scrutin sécurisé. Pourtant, moins d'une semaine plus tard, unedélégation conduite par la ministre sud-africainedes Affaires étrangères, Dlamini-Zuma, fait"volte-face" 3. Chargée de "signifier à la rébellionanjouanaise les recommandations" de l'UA, ladélégation ministérielle qui a rencontré le "prési-dent" Bacar, a finalement proposé aux autoritésde l'Union de "rouvrir des négociations" et invi-te "les deux parties à se rencontrer à Prétoria", enAfrique du Sud. Accueillie favorablement par lepouvoir anjouanais qui parle de "victoire" à laradio de l'île, la proposition a été immédiatementdésapprouvée par l'Union. "Le gouvernements'oppose catégoriquement à toute démarchevisant à ramener autour d'une même table lesautorités comoriennes et une équipe de rebellesqui s'est accaparée le pouvoir par les armes (…)"indique un communiqué publié le 25 juin. Selon nos informations, la délégation a signifiéau gouvernement comorien que les problèmesjuridiques soulevés par Bacar imposaient de rou-vrir la discussion. "Ils ont dit qu'il leur faut biense renseigner avant, car si jamais il y a des ratésdans l'intervention, nous devons être dans notredroit", rapporte un témoin. "They were coach toreply ("ils étaient préparés à nous répondre")",aurait dit l’ambassadeur sud-africain Mabetapour expliquer le retour bredouille des Africains.

APRÈS LE COMMUNIQUÉ sans détourpublié par l'Union africaine, cette déroute desministres africains face au président d'une petiteîle paraît effarante… Se sentant "lâché", le gou-vernement ne sait plus sur quel pied danser."Nous ne comprenons pas", avoue le vice-prési-dent Idi Nadhoim. "Ces ministres accepteraient-ils que dans leur propre pays, un présidentincontestablement élu aille négocier à l'extérieuravec un chef de région rebelle ? Nous sommesbloqués. Nous n'avons pas les moyens d'interve-nir seuls à Ndzuani. La Tanzanie est prête à nousaider, mais il lui faut un mandat de l'UA."Pourquoi cette réticence à soutenir pleinementSambi ? Déjà après les évènements du 2 mai,l'envoyé spécial de l'UA, Fransisco Madeira,tempérait son propos contre Bacar. "On n'est pasvenu ici pour renforcer l'un ou affaiblir l'autre,on n'a pas cherché à déterminer qui a tort ou quia raison, mais à revenir à la situation d'avant le2 mai", disait-il. Au-delà du conflit entre Bacar

et Sambi, ce sont les institutions des Comoresqui sont en jeu, celles-là mêmes que l'Union afri-caine a contribué à mettre sur pied. L'alternativeparaît claire : si Sambi gagne, la Constitutionrisque d'être modifiée dans le sens d'un Etat cen-tral plus fort. S'il perd, le pays pourrait se trans-former en confédération.

"LA COMMUNAUTÉ internationale pensaitque la tenue de ces élections allait paracheverles institutions. Nous sommes entrés dans uneélection contestée" note Mohamed Abdou Madi,ancien baron de la CRC, qui a mené les derniè-res négociations du côté anjouanais. Pour lui, "lacommunauté internationale a ficelé quelquechose pour sortir de l'instabilité. En réalité, onn'a fait que reporter la crise. Toutes les questionssur la gestion de la crise ont été repoussées parla Constitution. Or, ce déficit fait que laConstitution n'est plus cette charpente qui per-met à chaque partie d'avoir la même lecture". Si ce constat semble partagé par certains memb-res de la communauté internationale, qui recon-naissent la lourdeur et l'inefficacité de cettearchitecture, les divergences portent sur lamanière de la corriger, entre les partisans d'une"dynamique de changement qui passe par lesprésidents des îles et des Assemblées", et ceuxqui prônent un retour à un Etat fort. "Quand ons'approchait des élections, on a proposé de pro-roger les mandats des présidents des îles pourfaire la révision de la Constitution. Ce qui auraitcrée une sérénité" révèle Abdou Madi. Pour lui"Sambi avait les moyens de remplir ce déficit, ilne l'a pas fait. A son arrivée au pouvoir, il s'estengagé sur tout. Quand il a compris le blocage,il est revenu sur la logique Azali en essayant defaire élire des présidents favorables à sa vision.Il n'a pas compris qu'il ne peut avoir d'amis quedes candidats et non des présidents élus". Mais contrairement à Azali qui n'avait pas réus-si à faire élire ses partisans, Sambi dispose d'al-liés à Ngazidja et à Mwali. Pour lui éviter un car-ton plein, Bacar a anticipé son échec à Ndzuani.D'où la difficulté pour la communauté interna-tionale de trancher. Certains pays craignent qu'u-ne mainmise de Sambi sur l'ensemble du pays nelui donne carte blanche pour changer laConstitution selon sa volonté. Or, Bacar ne peutpas tenir longtemps dans cette situation d'illéga-lité, pris en étau entre les condamnations interna-tionales et l'hostilité de l'Union. Ses deux alliésElbak et Fazul éjectés du pouvoir, il ne peut s'ap-puyer que sur l'opposition à Ngazidja et à Mwalipour déstabiliser Sambi. Quatre partis rassem-blés dans le cadre d'une "Alliance pour la réfor-me" veulent saisir cette opportunité. En campa-gne depuis la semaine dernière dans les régionsde Ngazidja, ils reprochent au président del'Union d'avoir "isolé le pays de la Communautéinternationale" et affirment que "la situationactuelle enlève toute légitimité au présidentSambi". Un remake de 1997 en quelque sorte,lorsque l'opposition s’était dressée contre Taki enpleine crise séparatiste.

KES et LG

...

26 avril. La Cour constitutionnelle rend un arrêt controversé qui donne raison au gouvernement del'Union, auteur d'une requête demandant à la hautejuridiction de constater l'expiration du mandat du président Bacar en même temps que l'incompétence de la Cour d'appel de Ndzuani à désigner celui qui assumerait la vacance du pouvoir, conformément à l'article 21 de la Loi fondamentale de l'île.29 avril. Sambi signe un décret nommant KambiHoumadi président par intérim de Ndzuani.2 mai. Les Forces de gendarmerie anjouanaise ouvrentle feu sur les éléments de l'Armée nationale de développement qui ont investi certains bâtiments officiels pour installer le président par intérim. 11 mai. Un accord est signé entre Sambi et Bacar sousl'égide de l'Union africaine. Bacar quitte le pouvoir maisun membre de son gouvernement jugé modéré,Doihirou Halidi, est nommé président par intérim.L'élection doit se tenir sous sécurisation conjointe de

l'UA et des forces anjouanaises. 5 juin. Les forces anjouanaises empêchent l'aviontransportant Sambi d'atterrir et repoussent violement la foule venue l'accueillir. 7 juin. Sambi signe un décret reportant d'une semainel'élection à Ndzuani.8 juin. Les forces de l'UA présentes à Ndzuani se retirent.10 juin. Le gouvernement anjouanais organise l'électionen dépit de la désapprobation de la communautéinternationale. 19 juin. Le comité ministériel des pays de la région seréunit au Cap, en Afrique du sud, réitère son rejet decette élection et menace le gouvernement de Ndzuanide sanctions si des élections sécurisées ne peuvent êtreorganisées sur l'île. 24 juin. Une délégation ministérielle conduite par laministre sud-africaine Dlamini-Zuma rencontre Sambipuis Bacar ; elle propose d'ouvrir de nouvelles négociations à Pretoria.

“Je ne pense pas que l'Union africaine va importerla guerre dans un pays où il y a la paix.”

MOHAMED BACAR

deux mois de crise

NOTES1 Lire ses explications p.112 Al-watwan n°995,8/06/20073 "Le spectaculaire volte-face de l'UA", titre Al-wat-wan n°998 du 29 juin 2007

Ci-dessous,Mohamed Bacarprête sermentsur le Coran, le14 juin, jour deson investiture, à Dar-Nadjah.

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bacarland décryptage

Ci-dessus,MohamedBacar lors

de son investiture

le 14 juin2007, à

Dar-Nadjah.

L'homme qui n’aimait pas la politiqueIntelligent mais taciturne et méfiant, militaire sans engagement idéologique, le président autoproclamé de

Ndzuani, Mohamed Bacar, s'est radicalisé ces derniers mois. Portrait d’un caïd devenu président.

SUPER stratège ou jusqu'au-boutis-te forcené ? Le culot avec

lequel le président autoproclamé de Ndzuanitient tête à l'Union des Comores comme à lacommunauté internationale, oblige à s'interrogersur la personnalité de cet homme au destin parti-culier et à l'image trouble. Mohamed Bacar naît en 1962 à Barakani, nonloin de Mutsamudu, dans une famille relative-ment privilégiée : son père est un ancien militai-re de l’armée française. Il en gardera un goûtpour ce qui était à l'époque du luxe, affirme unenseignant qui le fréquentait durant son enfance."Il avait accès au mode de vie d'une petitefamille bourgeoise : la radio, un électrophone,une pièce en dur. Sa famille était plus riche quela plupart des familles de Ouani 1. J'ai remarquéqu'il tenait à garder ce standing quand on étaitjeunes." La position sociale de son père permet-tra à tous les enfants Bacar de faire des études :parmi la fratrie, Fatima dirige aujourd'huil'Université d'Anjouan, Abdou (lire par ailleurs)les forces de gendarmerie. L'un de leurs frères,responsable à la Caisse de sécurité sociale deMayotte, s'est attiré l'année dernière les foudresdu mouvement des femmes “leaders de la vipublique”, hostiles aux cadres franco-comoriens.Devenu chef de famille après la mort du patriar-che, Mohamed Bacar est décrit comme un trèsbon élève par tous ses camarades de l'époque.

INTELLIGENT, mais réservé voire taciturne :l'image d'un jeune homme peu sociable, d'hu-meur égale, sans passion et sans histoire, ressortdes souvenirs des membres de sa promotion, quine peuvent s'empêcher d'y lire la préfiguration dece qu'il est aujourd'hui. "Je l'ai connu commequelqu'un qui n'était pas tellement ouvert",raconte son ami d’enfance. "Quelqu'un de l'om-bre, qui avait une retenue sur soi même. Ce quej'appréciais chez lui, c'est que c'était un bosseur.Il travaillait, il ne s'énervait pas. Mais il était unpeu marginal… Il jouait juste un peu de guitare.""Il s'intéressait aux sciences, maths et physique",se souvient un camarade de lycée. "C'est tout."Timide, répugnant à s'exprimer en public, lejeune Bacar se tient ostensiblement à l'écart dumouvement contestataire des années 70."J'animais toujours des grèves au lycée",explique son camarade. "Lui était seul, il restaittoujours derrière." "En 1979, j'ai essayé de luifaire connaître les idées de Msomo wa nyume-ni 2, mais il n'était pas tellement tenté", raconte

son ami d’enfance. "Il ne s'opposait pas à nous,mais c'est l'engagement qui lui manquait." Cetteabsence de conviction politique rend quelquepeu incongrue, pour ces militants de jeunesse,son accession à la tête de l'île. "Je ne sais pascomment il a pu arriver au pouvoir", avoue soncamarade de lycée. "Il était tellement silen-cieux… il y a des gens actifs politiquement, onsent qu'ils peuvent être politiciens. Lui, non." "Iln'a pas travaillé pour devenir un homme public",renchérit l’autre. "D'ailleurs maintenant, si onregarde comment il réplique, on voit qu'il a peurde la dialectique."C'est donc hors du champ politique que le futurcolonel va tisser la toile qui le maintient aujourd'-

hui au pouvoir. Son bac en poche, le jeune hommequitte Ndzuani en 1984, et poursuit des étudessupérieures à l'Université navale de Brest(France). En 1987, il intègre les forces de policesur son île, où il devient chef de la brigade du port.Durant cette période, il noue des relations avec laplupart des hommes qui portent à bras le corps sonsystème, parmi lesquels Djaanfar Salim et Le RoiFort (lire page suivante). Quatre ans plus tard, ilpoursuit aux Etats-Unis une formation de langueanglaise avant de continuer ses études dans ledomaine de la police maritime,puis intègre l'École deGendarmerie de Melun, en France,indique sa biographie officielle. Deretour en pleine crise séparatiste, ildirige les combats contre l'arméenationale en 1997, puis s'imposepeu à peu comme un acteur des négociations."Dans l'armée, il a réussi à avoir son clan. Il s'estfait des amitiés solides", observe un homme d'af-faires qui connaît bien les rouages du régimeanjouanais.

EN 2000, il renverse le colonel Abeid qui diri-geait l'île. "De la basse-cour il était le seul coq",ironise son ancien ami pour justifier cette acces-sion au pouvoir. En 2002, il est élu démocrati-quement, fort de la confiance suscitée par lerétablissement de l'ordre. "Il a été élu car duranttrois mois il a payé les fonctionnaires", affirmenotre homme d'affaires. "Les gens se sont dit :c'est le meilleur ! Ça a suffi. C'est pour çaqu'aujourd'hui, il se dit que tout est possible."Mais les Anjouanais vont déchanter. Si le militai-re mène d'une main de fer les négociations statu-taires et ne lâche rien quant à l'autonomie de l'île,la population ne voit pas la couleur des avan-tages tirés de celle-ci, hormis des facilités pourles démarches administratives, et les recrute-

ments liés à la mise en place des nouvelles insti-tutions. Pis, Bacar ne sépare pas la chose militai-re de la gestion de l'île, fait d'autant plus gênantque son armée rassemble d'anciens miliciens dif-ficilement contrôlables. Ses sorties sous hautesurveillance, encadrées d'hommes qui pointentleur arme à l'arrière des véhicules ; l'impunitédont bénéficient les soldats prompts à commett-re toutes sortes d'excès ; la brutalité du régime etle bâillonnement de l'opposition politique et dusyndicalisme ternissent son image. Au fil des

années se révèle un homme méfiant, sans parole,aux abois. "Il ne fait pas confiance à n'importequi", affirme l'un de ses anciens conseillers qui atenu à rester anonyme. "Il peut vous donner ren-dez-vous et puis finalement, non. Il dit qu'on n'ajamais eu rendez-vous. Il aime dire qu'il estavant tout gendarme, qu'il peut faire une enquê-te pour connaître beaucoup de choses. Il placedes gens pour les avoir avec lui et ne les écoutepas, ne leur donne même pas de bureau pours'asseoir. En tant que conseiller, je faisais mesrapports chaque semaine, mais il n'a jamaisdonné suite. Un jour, j'ai essayé de lui serrer lamain le matin… ses hommes m'ont bousculé ! Ilsait qu'il est là par la force des armes et il seméfie de tout. Il est vachement intelligent. Il saitce qu'il fait."L'une des principales caractéristiques de sonrégime est son absence totale de ligne politique,exceptés le bras de fer avec les autoritésnationales et un désir de relations privi-légiées avec Maore et la France. C'est ce

“sarko”, le mal nécessaireLes deux font la paire, et chacun tient l'autre par ses petits secrets. Complicesdepuis l'époque où ils travaillaient tous deux au port (lire page suivante), MohamedBacar et Djaanfar Salim se sont retrouvés quand le militaire s'est emparé du pouvoir.L'évènement tombait à pic pour Djaanfar, qui avait été expulsé vers Maore aprèsavoir fomenté des troubles contre Abeid. "Il est rentré quand celui-ci a été déposé",raconte un proche qui l'a plus ou moins perdu de vue depuis. Après son élection en2002, Bacar nomme celui qu'on appelle aujourd'hui “Sarkozy” ministre des Affairesétrangères, puis de l'Intérieur. Il devient rapidement le numéro 2 du régime : c'est biensimple, rien ne se passe sans qu’il n’en soit prévenu. Adepte de la manière forte pourrégler les conflits sociaux, il est aussi le beau parleur du gouvernement. Son engage-ment dans le sport et sa générosité envers les équipes de foot lui assurent une assiseparmi les jeunes de la capitale. Lui-même nous affirmait en mai dernier qu’il disposaitd’“escadrons de la mort” qu’il pouvait activer “à tout moment”..."Quand Bacar est venu, on cherchait des piliers et des gens qui osent défendre le chefdans la capitale", explique un ancien camarade de Bacar. "Djaanfar s'impose. Il aimedéfendre ses idées." "Mohamed a maintes fois dit que Djaanfar est un fusible", révèlel'ancien ami de "Sarko". "Il n'a pas quelqu'un d'autre pour faire le sale boulot." Mais"si Djaanfar voit que ses intérêts sont en jeu, il est capable de mettre le feu. C'est pourça que Bacar lui a toujours tenu la main. Il est le mal nécessaire." ...

“Il aime dire qu’il est avant tout un gendarme, qu’il peut faire une enquête pour connaître beaucoup de choses.”

UN DE SES ANCIENS CONSEILLERS

NOTES1 Ouani est une villeréservoir de l'éliteanjouanaise ;Barakani, unmodeste villagevoisin. 2 Mouvement culturel de jeuneslié aux courantsindépendantistes et marxistes 3 République fédérale islamiquedes Comores

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décryptage bacarland

qui explique, pour notre homme d'affai-res, le ralliement de personnalités aussihétéroclites que Caambi El Yachourtu,

Abdou Madi, Ibrahim Abdallah et NassufAbdallah. "Ce n'est pas un chef de clan politique.Il n'a jamais eu d'idéologie. Ça a toujours été un

ventre mou de personnes autour de lui. Quand ilest arrivé après Abeid, il n'a fait que reprendreceux qui étaient là. Il ne s'est jamais préparé àrégner politiquement sur Anjouan."Ala différen-ce du colonel Azali qui avait su s'entourer politi-quement pour diriger le pays, Bacar a géré l'îleseul, environné uniquement d'amis presque aussitête brûlée que lui, intéressés surtout par les

enjeux économiques du pouvoir (lire ci-dessous)."Djanffar [Salim], c'est un bouclier, voire unglaive. Il ne conçoit rien politiquement. AAnjouan, les politiques font de la figuration.Quand Djaanfar monte au front, c'est pourmenacer. Ces gens n'ont jamais eu de prédispo-

sition à gouverner, ça n'ajamais fait partie de leursambitions de départ."L'absence de contrepoidsmodéré à l'intérieur du régi-me explique sa radicalisa-tion. "Le problème, c'est

que Bacar ne connaît que le rapport de force",estime notre homme d'affaires.Pour cet observateur du régime, des données d'or-dre intime sont aussi à prendre en ligne de comp-te pour comprendre la stratégie risquée voire sui-cidaire du président. Lui et son numéro 2,Djaanfar Salim, ont envoyé en France femmes etenfants. "Djaanfar est séparé de sa seconde épou-

se, il habite seul, comme un étudiant", indique-t-il. "Bacar fait la tournée des popotes, il ne dortpas chez lui à Barakani. Il est entré lui-mêmedans une forme de clandestinité. La radicalisationa eu lieu à ce moment-là, on a vu un basculementde sa personnalité. Quand tu n'as pas la douceurdu foyer, tes enfants, ta femme qui te demande :‘Où tu nous mènes ?’, tu développes une autrelogique. Une fois qu'ils ont coupé tout ça, ça acommencé à déraper. Quand ils sont entre mecs,c'est à celui qui grogne le plus fort !"

BACAR POURRA-T-IL entretenir cette pressionqui maintient les Anjouanais dans le mécontente-ment passif ? Longtemps, son statut de rempartprotégeant l'autonomie de l'île a tempéré les excèsde son régime. Aujourd'hui encore, les derniersséparatistes le considèrent comme leur chance ulti-me. "Les gens n'ont plus envie de lui, mais nous lesguerriers, sommes avec lui parce que nous som-mes séparatistes", nous disait un milicien avant les

élections présidentielles des îles. "Est-ce que c'estun bon président ? La question n'est pas là. Nousavons fait une lutte de dix ans, et maintenant leprésident de l'Union exige que l'île d'Anjouanretourne avec les autres. S'il y avait un candidatqui osait dire qu'Anjouan ne retournera pas là-bas, je le suivrais. Mais il n'y a que Bacar."Interrogé après son investiture, le 12 juin, le colo-nel se présentait lui-même comme le derniergarant des institutions de l'Union. "Ce qui a clo-ché avec le président Azali c'est qu'on était dansun processus auquel il ne croyait pas", a-t-illancé. "Lui il pensait : ‘je fais ça pour retrouverla RFIC’ 3. Sambi, c'est pareil. Je suis le seul enexercice qui ait suivi ce processus. Ceux qui sontdans l'Union ne croient pas à cette union d'enti-tés insulaires." Des entités qui ont chacune unepart très grande de liberté. Histoire de diriger lasienne comme bon lui semble.

LISA GIACHINO

...

Des réseaux mafieux en guise de tirelire

“Quand tu n'as pas la douceur du foyer, ta femme qui te demande : ‘Où tu nous mènes ?’, tu développes une autre logique.”

UN HOMME D’AFFAIRES ANJOUANAIS

POUR ceux qui suivent de près labande à Bacar, la question

de savoir pourquoi elle est prête à tout tenterpour se maintenir à la tête de Ndzuani ne sepose même pas. A les entendre, les enjeuxfinanciers valent bien que l'on risque sa peau.La bataille menée par le pouvoir de l'île afinde garder le port sous son contrôle n'est pasun hasard. Celui-ci est en effet le poumon quialimente Bacar et ses proches, le cœur d'unsystème mafieux où plus on est de corrom-pus, plus on gagne. Bacar et Djaanfar Salimn'ont fait en l'instaurant qu'institutionnaliserles entourloupes expérimentées lorsqu'ils ytravaillaient dans les années 90, le premiercomme chef de brigade, le second commedouanier. C'est aussi à cette époque que lesdeux compères se sont liés avec celui quel'on nomme Le Roi Fort, l'un des principauximportateurs de l'île. "L'argent passe par leport. C'est là que tout peut se partager",confie un habitant de Mutsamudu qui connaîtbien le milieu économique. "Bacar s'y est faitdes amitiés solides basées sur des complici-tés de canailles. Djaanfar était receveur desdouanes… C'étaient des copains/coquins !On ne peut pas comprendre leur amitié si onne connaît pas cette période." La rumeur parle de trafic de cigarettes com-mercialisées par le fameux Le Roi Fort, quiaurait bénéficié de ses amitiés en ne payant

pas les taxes prévues. "Il fut un temps où onachetait les cigarettes à Anjouan parce qu'el-les étaient moins chères", confirme uninspecteur de la douane basé à Moroni. "Onétait obligés de les saisir quand elles arri-vaient ici." Le Roi Fort, auprès duquel noussouhaitions vérifier cette information, n’estpas venu à nos rendez-vous.Une affaire de vedette volée à Maore metégalement en cause Mohamed Bacar à l'é-poque où il dirige la brigade de gendarmeriedu port, en 1994. Connaissant la propriétairede l'embarcation, un magistrat s'occupe de lalui réexpédier dès qu'il apprend qu'elle a étéretrouvée. Il contacte les autorités judiciairesmahoraises, s'occupe des formalités et suitpersonnellement l'embarquement de la vedet-te sur un bateau qui s'apprête à appareillerpour Dzaoudzi. "Je suis passé au port aprèsle départ du navire et surprise, j’ai retrouvéla vedette rangée au magasin. J'ai appris quec'était le commandant Bacar qui avait ordon-

né son maintien à Mutsamudu. J'ai interpelléBacar et lui ai présenté les arguments quiavaient motivé ma décision. Il s'est emporté.J'ai saisi le commandant de la gendarmerieà Moroni, qui a envisagé de le relever de sesfonctions. Cela ne s'est pas fait, sans douteparce qu'il y a eu des pressions. Je sais qu'àl'époque, Bacar avait le soutien du gouver-neur d'Anjouan, Mahamoud Attoumane, quiétait membre de l'Opia 1." "A ce moment là,Barakani était surnommé Dubaï", rappelleun ancien ami de Bacar. Le vol à Maore devedettes et de moteurs hors bord expédiés àNdzuani était alors florissant. Peu d'affairesremontaient jusqu'au tribunal, suggérant unecomplicité de la part des gendarmes.

DJAANFAR SALIM non plus n'est pas unange. Dans les années 90, "il a été pincé unefois à la douane de Moroni, quand il était auservice des exonérations", affirme l'une deses vieilles connaissances. Il poussera égale-ment son épouse, comptable chez AirComores, à imiter la signature de son direc-teur -"Djaanfar monnayait les chèques signésà la caisse de la douane". Sa femme seraarrêtée. Pas lui... Mais ces magouilles ne sont que broutilles àcôté du système mis sur pieds après l'arrivéeau pouvoir des deux hommes. De nombreuxtémoignages rapportent que les importateurs

sont contactés pour qu'ils paient directementen espèces les frais de douane, en échange dequoi leurs taxes sont allégées. "J'ai un amiqui avait un conteneur de 40 pieds venant deDubaï", raconte un commerçant. "40 pieds,ça fait 2 millions de fc [4.000 euros, ndlr] detaxe. Dans ce conteneur, il y avait aussi lavoiture commandée par un directeur du régi-me. Ça fait au moins 500.000 fc de taxe[1.000 euros, ndlr], plus une amende de500.000 fc car le volant était à droite. Quandle conteneur est arrivé, le directeur a dit :‘Moi je sors ma voiture. Il n'a payé que40.000 fc [80 euros, ndlr]. Mon ami a vu sonbeau-frère, un militant de Bacar, à qui il s'estplaint. Son beau-frère a pris son document. Iln'a finalement payé que 800.000 fc [1.600euros,ndlr]…" Le système fonctionne aussipour les exportateurs. "A chaque fois que jeprépare un embarquement, je vois arriversoit un douanier, soit un grand ami de Bacar,soit le frère du receveur des douanes. Ils

viennent chez moi et me disent : ‘Il ne fautpas déclarer les marchandises, on va les ren-trer directement.’Et la somme à payer estdivisée par deux !"Dans ce système illégal mais intégré auxrouages de l'Etat, les "mauvais payeurs" nemanquent pas d'être punis. "Un jour, j'aiembarqué neuf conteneurs. Trois ont étédéclarés, trois ont été payés en cash, et pourpayer les trois derniers, j'attendais un vire-ment. Et bien, ils sont venus fermer monmagasin ! Sans aucun papier…" Quand ilssont à cours de liquidités, les hommes durégime fournissent des "avoirs sur douane" :"C'est un papier sur lequel il est écrit que tupeux faire rentrer pour 4 ou 6 millions desardines et autres marchandises…" Les rarescommerçants qui paient normalement leurstaxes font grise mine. "Il y a une concurrencecontre laquelle on ne peut rien" fulmine l'und'eux, refusant d'en dire plus. "Il a créé uneforme de racket où tout le monde est deconnivence", lance un connaisseur du milieuéconomique. Le système a le double avantage de permett-re de détourner de l'argent à des fins person-nelles, et de soustraire des recettes au budgetnational, puisque toutes les sommes décla-rées aux douanes des îles sont versées à laBanque centrale des Comores avant d'êtreredistribuées. Quelle est l'ampleur des som-mes détournées ? Difficile de le savoir. Ladirectrice des douanes de Ndzuani, une inti-me de Mohamed Bacar, a refusé de nousrecevoir alors que nous demandions de sim-ples statistiques. A Moroni, un inspecteur desdouanes soutient que "les conteneurs débar-qués en provenance de Dubaï ne correspon-dent pas aux recettes déclarées". Cependant, la douane anjouanaise n'est pas laseule à souffrir de corruption. "A partir de1999 2 et jusqu'à un an de la fin du mandatd'Azali, j'ai été mis à l'écart et je ne pouvaispas faire les vérifications sur les déclarationset exonérations au port de Moroni", révèlel'inspecteur.

EN PLUS DE LA MACHINE bien huiléedu port, Bacar et sa bande ont géré un filonbeaucoup plus mystérieux : les banques etsociétés offshore. Le principe est simple :dotées d'une immatriculation, d'un siègesocial et éventuellement d'un secrétariatdans un pays où elles n'exercent aucuneactivité, les sociétés offshore bénéficientd'une fiscalité dérisoire et échappent à cer-taines contraintes des pays où elles tra-vaillent réellement. Tout peut se faire à dis-tance, grâce à Internet, moyennant un peu

d'argent, bien entendu. Des sociétés se sontelles-mêmes spécialisées dans la délivranced'immatriculations et les démarches à effec-tuer dans le "pays d'accueil".

INAUGURÉ à Ndzuani en 1999 -un anavant l'arrivée de Bacar au pouvoir-, le sec-teur va connaître sous sa présidence desrebondissements invraisemblables. FabienLeclerc, un Réunionnais, est le premier sur lecoup en assurant la gestion du Bureau descompagnies internationales (BCI), officielle-ment autorisé -par l'île- à délivrer des licen-

ces offshore. Après la mise en place del'Union, Leclerc tentera de régulariser lasituation des établissements immatriculés àNdzuani. Mais selon lui, le torchon commen-ce à brûler en avril 2003 quand un conseillerde Bacar, Amirdine Mohamed, décide unila-téralement de faire passer de 10 à 10.000 dol-lars par mois le tarif des royalties dues auxautorités anjouanaises par la Bank ofAnjouan, une institution offshore créée parBCI. Bacar révoque ensuite le contrat qui lieNdzuani au BCI au profit d'un Britannique,Johnny Sei-Hoe Hon. Patron de la GlobalBank Ltd, enregistrée dans l'offshore àNdzuani, cet homme d'affaires est devenu l'a-gent à l'étranger de l'Offshore FinancialAuthority créée par les autorités anjouanai-ses, rapporte La Lettre de l'Océan Indien 3.Mais le BCI continuera ses activités et lesdeux businessmen se livreront une guerreacharnée via leurs sites Internet respectifs etles forums de discussion spécialisés (jusqu'àce que Johnny Sei-Hoe Hon gagne le 2février dernier le procès en diffamationdevant la Haute Cour de Justice de Londres,face à Fabien Leclerc qui a dû cesser ses acti-vités). Entre temps, l'Organisation mondialede la propriété intellectuelle avait débouté legouvernement de Ndzuani, qui demandait leretrait des noms de domaines possédés parFabien Leclerc. 4

Les activités offshore se déroulent àNdzuani en toute illégalité : non seulementl'Union des Comores ne les autorise pas,mais ses promoteurs utilisent l'emblème del'île et la qualifient de République commes'il s'agissait d'un pays indépendant 5. LaBanque centrale 6, qui doit régulièrementrépondre à des demandes de renseignementou des plaintes à propos d'établissements

qu'elle n'a jamais agréés, a ainsi porté plain-te au Parquet de Moroni contre les créateursou propriétaires de plusieurs sites Internet 7. La poursuite des activités offshore met lesComores dans une situation délicate, notam-ment vis-à-vis des Etats-Unis, qui condition-nent certaines de leurs aides à leur cessation.Le secteur offshore, quasiment incontrôlable,est en effet mis à l'index dans le cadre de lalutte contre le blanchiment d'argent. La WallStreet Bank, immatriculée à Chitsangani,Mutsamudu, fait ainsi l'objet d'une enquêteau Parquet de Lyon pour "escroquerie en

bande organisée". Selon un communiqué desinstitutions financières françaises, cette socié-té, "dont le siège social serait situé enRépublique d'Anjouan, [le] siège administra-tif en Grèce, les services financiers auRoyaume Uni et les services techniques enFrance (…) se présente en tant que banqued'affaires privée à vocation internationale, etdéclare être agréée par les plus grandes insti-tutions mondiales (…)” Or, la société "WallStreet Bank ne dispose pas de l'agrément(…) nécessaire à l'exercice d'opérations debanque en France". Dans les forums de dis-cussion virtuelle, des informations circulentsur des investissements et transactions bidon,portant notamment sur de l'or, que propose-rait cette société. Combien ce filon a-t-il rapporté aux autoritésanjouanaises ? Sur le site officiel de l'île 5, leprix des licences proposées varie de 10.000 à200.000 euros. On ignore toutefois le nombrede licences délivrées et les modalités de l'ac-cord avec Johnny Sei-Hoe Hon. "En tant quecentre financier offshore, Anjouan va conti-nuer à se développer et à prospérer", prometBacar sur le même site à l'intention desinvestisseurs potentiels. Au profit de qui ?

LG (avec KES)

1 Organisation pour l'indépendance d'Anjouan2 Année du coup d'Etat d'Azali3 LOI n°1096 4 www.anjouan.net, principalement5 http://www.anjouan.gouv.km 6 Malgré nos nombreuses sollicitations auprès des gouverneur et vice-gouverneur, nous n'avons pas été reçus à la Banque centrale

7 www.anjouan.net , www.mwali.org, www.insad.com

Le port de Mutsa est le poumon du système Bacar. Quant aux banques offshore, elles suscitent bien des interrogations.

Inauguré en 1999, le secteur des banques offshoreva connaître des rebondissements invraissemblables

Le système a l’avantage de détourner de l'argent à des finspersonnelles, et de soustraire des recettes au budget national

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29kashkazi 65 juillet 2007

L’année dernière, le Groupe Sodeco,la Cour constitutionnelle, la MaisonMakas, CBE, le Syndicat national desagriculteurs comoriens, Air austral, Mam-we, la mairie de LaPossession, Comores Automobiles Services, Ario Comores, la régionRéunion, l’Université des Comores, Vitogaz, ADC, la Maison desépices des Comores, l’Union européenne et le CA-ON du FED,EGT, La Piscine, la Banque de la Réunion (agence de Mayotte),la Maison Doudou Tainamor, l’Union des Meck, Nicom, Sécuricom,Horizons Conseils, la Douane comorienne, la Société comoriennedes Hydrocarbures et 2 VM Consulting nous ont accompagnés pour la première édition del’agenda Komoros. Océan Editions lesremercie de leur confiance et donne rendez-vous à ses annonceursavant le 15 septembre pour préparer la sortie de Komoros 2008,prévue pour décembre prochain.

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2) Pouvoir adjudicataire : HydrauliqueSans Frontières (HSF)-France (maîtred'œuvre) - Assoc. DIASCOM et ACKE.

3) Procédure de passation des marchés :appel d'offres ouvert.

4) Objet : région de OICHILI, réalisationd'un réseau d'eau potable pour les villagescôtiers.

5) Caractéristiques : alimentation des villa-ges côtiers à partir du puits ONU40.- Lot N°1 : canalisations. Conduite PEHDPN10 D.140 (850ml) ; D.125 (3500ml) ; D.75(3600m) ; PN 16 et 10, D63 (2700ml) ; D40ou moins (2400ml) ; Robinetterie diverse ;regards et branchements vers bornes fontai-ne (25 U).- Lot N°3 : génie civil. Construction de 3réservoirs circulaires en Béton Armé ; 2 x120 M3 / 1 x 60M3 ; regards et bornes fon-taines dans les villages.

6) Variantes : non autorisées.

7) Tranches : une tranche ferme est prévue+ des tranches conditionnelles en fonctiondes résultats d'essais.

8) Calendrier : passation marchés : nov.2007 - travaux : 2008.

9) Retrait des dossiers :- Mairie de Koimbani : Abdallah Said, Mairede Koimbani : tel. 33 60 17 ; Mbae Oumari,

Président du Comité de Gestion, tel. 34 2712 ; [email protected] HSF-France - tel. 04 79 69 35 08 ; [email protected] dossiers seront remis sous formeélectronique (CD) après paiement de : LotN° 1 : 150 € / lot N°3 : 75 €. Règlementauprès de la Mairie de Koimbani ou par vire-ment bancaire (demande par mail) auprèsde HSF.

10) Justifications à produire quant auxcapacités du candidat : lettre de candidatu-re ; tous renseignements permettant d'éva-luer les capacités professionnelles, tech-niques et financières du candidat ; liste desréalisations effectuées au cours des 5 der-nières années dans le type de travaildemandé ; déclaration du candidat signéejustifiant que l'entreprise est en règle avectoutes les obligations fiscales et sociales deson pays d'origine, et qu'elle n'a pas étécondamnée depuis ces dernières annéespar un tribunal, soit Comorien soit de sonpays d'origine.

11) Modalité de paiement : situations men-suelles de travaux payées en EUROS aprèsaccord par virement bancaire-45 j maxi.

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13) Renseignements administratifs ettechniques : HSF-France ou HSF-Koimbani(du 16/07/07 au 10/08/2007).Date d'envoi de l'avis à la publication :22/06/2007.

AVIS D'APPEL PUBLIC À LA CONCURRENCEUNION des COMORES - Ile de Ngazidja

Projet de réseau d'eau potable.

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kashkazi 65 juillet 200730

décryptage présidentielles

d'un reportage à Ndzuani,lors du scrutin non reconnudu 10 mai, l'envoyé spécial

de RFI demande à un président de bureau si tout sepasse bien. "Oui oui, on manipule les votes",répond celui-ci le plus naturellement du monde. Unlapsus certes, mais révélateur de la culture électora-le dans l'archipel : la fraude pour gagner des élec-tions passe pour une pratique quasiment endogène,qui a ses spécialistes et ses codes bien établis. Unefaute que l'on commet pour obtenir un gain ou blo-quer l'adversaire, mais contre laquelle on est le pre-mier à crier dès lors qu'on en est la victime. Le scrutin présidentiel des îles n'a pas échappé à larègle. Les duels du second tour se sont soldés le 24juin par la victoire des deux candidats se réclamantde la mouvance de Sambi. A Ngazidja, MohamedAbdouloihabi (56,55%) a confirmé son avance aupremier tour face à Saïd Larifou du parti Ridja(43,45%). A Mwali, les 12.534 votants ont choisiMohamed Ali Saïd (56,59%) qui affrontait le pré-sident sortant Mohamed Saïd Fazul. Deux victoirescontestées par les challengers qui attribuent leurdéfaite à une fraude organisée par le pouvoir. AMwali, où un assesseur a été interpellé en pleinetentative de manipulation des bulletins, Fazul jette

l'opprobre sur les conditions d'élection de sonrival : "On soupçonne mes militants de toutes lestentatives de fraude, on oublie ceux qui distri-buaient l'argent illégalement comme la poussièresur l'ensemble de l'île pour tromper l'opinion desélecteurs. S'il y a eu des irrégularités ce n'est pasmoi qui les ai commanditées puisqu'elles ne sontpas en ma faveur. J'en suis victime, ce n'est pas leverdict des urnes qui m'a vaincu", dit-il avantd'appeler ses partisans à accepter la défaite pour

"préserver la paix sociale". Entre les deux tours,un rapport du ministère de l’Intérieur de l’île a parailleurs accusé des éléments de l’armée nationaled’avoir “renvoyé des électeurs soupçonnés de nepas être en faveur du candidat Mohamed Ali Saïd”,et le Procureur de la République de procéder “à desintimidations et arrestations arbitraires à l'égard desmilitants et sympathisants” de Fazul.A Ngazidja, le parti Ridja s'était montré agressif

avant le second tour. "Nous sommes prêts à tuer sil'on tente de nous voler les élections. On a toutdonné pour gagner loyalement et nous n'allons paspermettre des magouilles", alertait Mahé, le vice-président du parti. L'écart creusé par Abdouloihabia cependant dissuadé les partisans de Larifou demettre leurs menaces à exécution. Y a-t-il eu réellement des fraudes ? A Ngazidja,Saïd Larifou n'est pas le seul à le dire : plusieurscandidats ont introduit, avant la proclamation offi-

cielle des résultats du 1er tour, des requêtes auprèsde la Cour constitutionnelle. Parmi eux, KamarEzzamane s'est plaint que "ses assesseurs au coursdu décompte des bureaux de vote ont observé desincohérences entre le nombre des bulletins conte-nus dans l'urne et le suffrage exprimé, compte tenudes émargements", et a demandé à la Cour de véri-fier les empreintes digitales. En tout, quatre requê-tes ont été déposées. La Cour les a toutes rejetées.

Sur la forme, elle a jugé irrecevables celles quidisposaient de preuves et sur le fond, elle a exigédes preuves pour justifier les autres..."Nous avons constaté par un huissier des irrégula-rités notoires. Plusieurs enveloppes n'étaient passcellées au moment d'arriver à la Commissionélectorale. Nous accusons les résultats d'avoir étéchangés en cours de route et les militaires quiacheminaient les résultats d'être complices. Maisnous avons constaté une mauvaise foi de la part dela Cour constitutionnelle. Elle m'a attribué larequête introduite par le président Elbak alors queje n'ai fait que la déposer", se plaint Dini Nassur,conseiller du président sortant de Ngazidja. Ces accusations sont rejetées en bloc par le prési-dent de la Commission électorale nationale indé-pendante, qui assure qu’"aucune enveloppe n'estarrivée non scellée à la commission, les risquesqu'une enveloppe soit ouverte en route sont nuls etsurtout les acheminements étaient assurés par uneforce conjointe de l'Union africaine et de l'arméenationale". Toutefois, après plusieurs réclamationsdu Ridja, certaines procédures ont été revues durantle second tour. Pour éviter que des bulletins exter-nes soient introduits dans l'urne, tous étaient signésau dos par le président du bureau de vote.

CELA N'A PAS SUFFI. Des témoignages confir-ment des tentatives de corruption des agents électo-raux. "Un baron de la candidature d’Abdouloihabidans le quartier est venu me demander de quitter lebureau pour les laisser remplir les urnes. J'aidemandé comment cela serait possible alors qu'il yavait un président et d'autres membres du bureau.Ils m'ont expliqué qu'il n'y avait pas de problème.J'ai compris que les autres étaient déjà corrom-pus", affirme un assesseur du bureau 1 de MoroniIrougoudjani. Près de Bacha, un autre assesseurconfirme "qu'on [lui] a proposé 75.000 fc [150euros, ndlr] et un téléphone portable pour [qu'il]abandonne un moment [son] poste". Seule la véri-fication des empreintes digitales des votants pour-rait infirmer ou confirmer cette thèse, mais la Course déclare incompétente en la matière.

AUTRE MOTIF de polémique, le jour du premiertour, dimanche 10 juin, un agent du Trésor public aété interpellé par la police. "On a eu un appel ano-nyme nous indiquant qu'un groupe de gens du pou-voir se trouvait au Trésor pour corrompre les élec-teurs. On a trouvé un agent. La voiture du directeurde cabinet du président de la République était aussisur place. Après 15 minutes d'interpellation et unordre venant de nos supérieurs, nous avons libérél'agent. Le ministère des Finances est intervenupour nous dire qu'il s'agissait d'un décaissementnormal", indique le commissaire central deMoroni, Attoumane Ali Mroumé. Si aucune preu-ve ne l'atteste, un témoin de l'arrestation soupçonnele pouvoir d'avoir destiné cet argent "à donner à l'é-lecteur un bulletin pré coché. Une fois voté, l'élec-teur revient avec un bulletin vierge, ce qui signifiequ'il a utilisé le bulletin pré coché. C'est à cemoment qu'il obtient son cachet". Abdouloihabi n'est cependant pas le seul à avoirbénéficié de ces pratiques. D'autres témoignagesindiquent que Ridja n'a pas été en reste, commecelui de ce jeune homme de Sanfil à qui le parti aproposé de l'argent pour être assesseur et contribuerà la triche. C'est là tout le paradoxe : les mêmes quise livrent à cet exercice sont les premiers à crier auscandale lorsqu'ils en sont les victimes. Comme sile seul coupable était le pouvoir qui les brime, etnon un système auquel ils participent. Elle n'est pourtant pas nouvelle, la fraude. Déjàdans les années 60, les électeurs s'étaient faits àl'idée que battre un parti au pouvoir était peineperdue. "Il y a eu des moments où la victoire sem-blait inévitable tellement l'écart des voix étaitfort. Mais c'est justement à ce moment décisif,

Fraudes électorales : une réalitéComme chaque année, le scrutin présidentiel des îles n'a pas échappé aux irrégularités. Mais depuis que les Comoriens

“Nous sommes prêts à tuer si l’on tente de nous volerles élections. On a tout donné pour gagner loyalement.”

UN PARTISAN DE LARIFOU, À LA VEILLE DU SECOND TOUR

AU HASARD

BÉNÉFICIAIRE du ras-le-bol des

électeurs quant au conflit de compétences entre les îleset l'Union, le nouveau président de Ngazidja sembleavoir les idées claires à ce sujet. "Ma détermination àm'engager dans ce combat tient de la volonté de rom-pre ces conflits. Il faut créer des collaborations et descomplémentarités, qu'au niveau des îles, il y ait uneéquipe qui parle le même langage que celui del'Union." Pourra-t-il mettre en pratique cette philoso-phie ? La question passionne la presse, qui s'interrogesur le mystère de la fulgurante ascension de MohamedAbdouloihabi, passé en un peu plus d'un an de l'ombredes couloirs de Beit Salam aux projecteurs de la prési-dence de Ngazidja. Un parcours que l'intéressé analy-se simplement comme "la suite logique d'une carrièremarquée par une volonté de faire fonctionner laRépublique". Ce magistrat âgé de 50 ans n'est pas un novice de lapolitique. Fils d'un notable de Singani, maître cora-nique et enseignant d'arabe, Mohamed Abdouloihabiest l'avant dernier garçon d'une famille bien installée àMdjoiezi, le village de sa mère, dans le Hambou, ausud de Moroni. "Il doit à son père sa connaissance dela science religieuse et son assiduité pour la mosquéequi l'éloigne des espaces coutumiers, contrairementaux gens de sa génération", raconte Issa Mfoungoulié,un fonctionnaire du village qui l'a vu naître. Au village, il est l'un des fondateurs de Azhar ElMounawar, une association culturelle - il se passionnepour le saxophone. Au lendemain de son élection,c'est dans le foyer construit par son association que lesvillageois ont reçu leur “héros”. Comme beaucoup dejeunes de sa génération, il a connu le militantisme"révolutionnaire" des années 70 dans le "Msomo wanyumeni", avant de rejoindre l'un de ses oncles àParis. C'est à Epinay qu'il passe son bac en 1979,avant d'entamer une licence de Droit suivie d'une spé-cialisation en Relations internationales européennes.En 1985, il rentre au pays et se fait recruter une annéeplus tard au ministère de l'Education. Reparti enFrance pour une spécialisation en magistrature, il

retrouve le palais de justice de Moroni en tant quejuge d'instruction. En 1991, c'est lui qui instruit le dos-sier des magistrats de la Cour suprême poursuivispour atteinte à la sécurité de l'Etat, après une tentativede destitution du président Saïd Mohamed Djohar.

SA NOMINATION en 1992 comme secrétaire géné-ral du ministère de la Fonction publique et de laJustice marque le début d'une longue carrière politiquequi le propulse à la tête de plusieurs ministères sousDjohar. Mais c'est surtout lorsqu'il hérite du porte-feuille des Affaires étrangères qu'il se fait remarquer,en continuant à défendre la cause du président como-rien déporté par la France à la Réunion en 1995. Membre du Front pour l'action républicaine (Fare), ilsoutient la candidature de Taki et devient son ministrede la Justice chargé des Affaires islamiques et dumonde arabo-musulman, en 1996. Il suit cependantson parti lorsque celui-ci décide de quitter le gouver-nement pour s'opposer au choix de Taki de former un

parti unique. Nommé Procureur de la République, ilest remercié quatre mois après pour avoir poursuivi ledirecteur de cabinet du président. Auteur de la Charteconstitutionnelle du régime militaire issu du coupd'Etat mené par Azali en 1999, MohamedAbdouloihabi est alors accusé d'avoir légitimé le régi-me putschiste. "Si je ne l'avais pas fait, on auraitmarché dans l'anarchie", dit-il pour sa défense. Ilmarque ensuite sa distance avec ce régime et partretrouver ses deux enfants à Marseille, où il ouvre uncabinet de conseil juridique. Puis il revient soutenir lacandidature de Sambi, "un ami qu'il a connu sur leterrain religieux depuis 1986", affirme IssaMfoungoulié, bien qu'il ait décliné son offre de deve-nir son vice-président à Ngazidja. C'est donc un homme d'expérience qui remplace MzeSoulé Elbak. Ses proches lui reconnaissent unerigueur et surtout une honnêteté qu'il devra prouver aucours d'un mandat qui s'annonce mouvementé.

KES

Abdouloihabi : l'expérience discrèteLe nouveau président de Ngazidja est élu au terme d'une carrière politique longue mais restée dans l’ombre.

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présidentielles décryptage

soumises aux fantasmesvotent, ceux qui se livrent à la fraude sont les premiers à crier au scandale lorsqu'ils en sont les victimes.

qu'arrivaient les résultats du Nyumakele quiallaient changer le cours du scrutin", se rappelleun opposant au président Abdallah dont les parti-sans se livraient dans cette région reculée deNdzuani, à un bourrage des urnes à volonté. Après l'indépendance, la fraude a adopté lescontours de la nouvelle organisation de l'Etat. A latête du dispositif électoral, le ministre de l'Intérieuravait la charge de faire élire les siens. Pendant desannées, le puissant Omar Tamou en a fait sa spé-cialité. Il le reconnaîtra d'ailleurs au cours d'unmeeting à Badjanani (Moroni), après être passédans l'opposition. "Avant 1990, la pratique consis-tait à changer les procès verbaux des bureaux devote", explique un connaisseur. Cela se passaitdans les préfectures, avant que les PV n'atterrissentau ministère de l'Intérieur.

De contestation en contestation, la communautéinternationale a fini par importer les commis-sions nationales électorales. Dans le nouveaudispositif, la présence des représentants des can-didats dans chaque organe, la multiplication deceux-ci, la désignation par les candidats d'asses-seurs dans chaque bureau de vote et surtout lasuppression de l'intervention du ministère del'Intérieur, ont rendu quasi impossibles les mani-pulations des procès-verbaux en aval. Des failles continuent pourtant d'exister.L’élection de l’Union l’a rappelé en 2006.L'Observatoire des élections, un organe indépen-dant représenté sur les trois îles, avait alors consta-té que "le 19 avril 2006, la Cour constitutionnelles'est prononcée sur les procès verbaux de 213bureaux de vote sur 221". Autrement dit, huit PVde bureau de vote se sont volatilisés durant les pri-maires de la présidentielle de l'Union. Ainsi, c’estdésormais en amont que se joue la fraude depuis lamise en place des commissions électorales.

L'OBSERVATOIRE des élections constate que"la prolifération des procurations" est devenue sapremière forme. Cette pratique qui permet auxcandidats d'acheter les voix adverses est la plusdiscrète puisqu'elle se joue à l'extérieur desbureaux de vote. La corruption des assesseurs aquant à elle a été flagrante lors des primaires de laprésidentielle de l'Union. Les présidents desbureaux de vote avaient été triés "parmi les parti-sans du candidat Caambi El Yachourtu à 90%",avait révélé à l'époque l'envoyé spécial de l'Unionafricaine, qui avait exigé un rééquilibrage. Certaines fraudes moins courantes sont imaginéessuivant les enjeux des scrutins. A la veille dusecond tour de la présidentielle de l'Union du 14mai, un membre de la Commission nationale élec-torale avait été arrêté en flagrant délit de détentionfrauduleuse de cartes d'électeurs et inculpé pourfraude électorale. Une première qui a révélé la pro-fondeur du mal qui touche le cœur même dudispositif électoral, les commissions : c'est ici ques'élaborent les listes qui varient d'une élection àl'autre, que l'on confectionne les cartes électoralesportant des numéros qui ne correspondent pas auxlistes. Si les observateurs reconnaissent des amé-liorations grâce au système des commissions, cel-les-ci sont techniques et non éthiques. Devenuesde vraies administrations, elles restent sous lecontrôle des gouvernements. Pour avoir dénoncé les pratiques de ses collèguesde la Commission nationale lors des primaires d'a-vril 2006, Chouhoura Abdallah avait été rempla-cée par le président Azali. Malgré un arrêt de laCour constitutionnelle annulant ce décret prési-

dentiel, elle n'a pas réintégré l'instance alors queles personnes dénoncées continuent d'officier. Jusqu'où les politiques pousseront ces pratiques ?L'affiche placardée en juin sur les murs de la capi-tale comorienne entre les deux tours de l'électionde Ngazidja -"Contre la fraude électorale"-, auraitpu représenter un début de travail civique auprèsdes électeurs, si son message n'avait pas servi deslogan à Saïd Larifou. Accompagnée d'une autreaffiche,"Larifou président", son message étaitclair : "Si je perds, c'est que l'autre a triché."

CETTE STRATÉGIE révèle l'autre face de lafraude, vécue comme un fantasme qui permetde délégitimer systématiquement le vain-queur... même quand elle n’a pas changé grandchose aux résultats. "S'étant laissé persuadé

que la victoire lui était acquise et qu'on se pré-parait à la lui voler, l'avocat avait axé toute sacampagne sur comment éviter qu'on ne me volela victoire", analyse Madjuwani Hassani dansAl-watwan. Anticiper sur la fraude pour nourrirune stratégie de victimisation, voilà qui rééditela vieille équation "tsi shindwa mana tsihibi-wa". Or tant que ce réflexe perdurera, lesComores continuerons à dilapider les millionsde francs quémandés aux pays “amis” pourpayer les commissions électorales, déplacer lesobservateurs, voter sous le contrôle des armeset se féliciter ensuite d’avoir organisé une élec-tion "répondant aux critères d'un scrutin libre,transparent et acceptable".

KAMAL'EDDINE SAINDOU etAHMED ABDALLAH (avec LG et DOM)

Ali Saïd : le novice inattendu

LES pronostics ne le donnaientpas favori. Les candidats en

course pour la présidentielle mohélien-ne, qui redoutaient d'avantageMohamed Saïd Fazul, le président sor-tant, n'avaient cure de ce nouveau venuauquel l'élite locale avait donné le sobri-quet de "petit poucet", se moquant ainsid'un cursus scolaire qui se limite à unbrevet de collège et à un certificat d'étu-des. "Intellectuellement", le candidatsoutenu par la mouvance présidentiellene pesait évidemment pas lourd en faced'un détenteur de doctorat universitaire,d'un ancien journaliste et d'un fonction-naire de douanes. Mais en sous-esti-mant leur adversaire, les prétendants àla présidence mohélienne ont frayé lechemin de la victoire à Mohamed AliSaïd, qui a pris la tête de la course dèsle premier tour et a confirmé son avan-ce le 24 juin par le score sans appel de57,15% des suffrages, loin devant leprésident sortant, qui n'a recueilli que42,85% des voix. A 46 ans, Mohamed Ali Saïd -originai-

re de Niumachua, marié et père de sixenfants- devient donc le deuxièmehomme fort de Mwali, succédant àcelui qu'il avait lui-même contribué àélire en 2001. Ce commerçant classéparmi les plus grandes fortunes de l'île,est un novice en politique et ne disposede l'administration qu'une connaissanceéphémère tirée de sa brève expérienced'enseignant. Il doit cependant son élec-tion à un long travail de conquête du

terrain engagé bien avant la campagneélectorale grâce à un mécénat qui l'arendu populaire dans plusieurs villages,et à un réseau familial présent sur l'en-semble de l’île. On lui doit la construc-tion de plusieurs mosquées et la fourni-ture d'antennes paraboliques dans cer-tains villages qui n'avaient pas accès àla télévision. En ciblant sa campagneélectorale sur une critique tous azimutde la politique du président sortant,

Mohamed Ali Saïd a réussi à concentrerl'attention des électeurs sur son princi-pal adversaire et n'a pas eu besoin dedévelopper un programme qu'il n'avaitsans doute pas. Cette stratégie de per-sonnalisation de sa campagne lui a éga-lement permis d'épargner les autres pré-tendants qu'il a ainsi parvenu à rallier au2nd tour, isolant Fazul. Si sa victoire constitue une revanchepersonnelle sur le président sortant,dont "la brouille" qui les a séparés aprèsl'élection de 2001 relève de "la haine",comme le constate Antufati Soidri dansAl-watwan, le fils de l'ancien gouver-neur Ali Said Msa devra maintenantcomposer avec les ralliés du 2nd tourafin de parvenir à gouverner et à gérerdes affaires publiques pour lesquelles iln'a aucune maîtrise. Il devra aussi résis-ter aux pressions d'une base électoraleclientéliste s'il veut éviter le sort de sonprédécesseur, très critiqué pour avoirpuisé dans les finances publiques afind'entretenir sa cour.

KES et DOM

“L’avocat [Saïd Larifou] avait axé toute sa campagne sur comment éviter qu’on ne me vole la victoire.”

MADJUWANI HASSANI

Des six candidats en course à Mwali, Mohamed Ali Saïd était le moins en vue... et le moins politique.

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kashkazi 65 juillet 200732

décryptage législatives

Pourquoi Mansour Kamardine, “leÉlu en 2002 sur le thème : “Les Mahorais doivent envoyer l’un des leurs à l’Assemblée”, le député sortant est devenu

au soir du premier tour,le 10 juin, à M'tsapere.Devant le QG du dépu-

té sortant, militants de base et hommes de pouvoirse réunissent pour analyser les résultats. Plutôtconfiants. Pour n'importe quel observateur poli-tique, il ne fait aucun doute qu'Abdoulatifou Alyest en ballottage très favorable. Les six points deretard qu'il compte sur Mansour Kamardine nesont rien en comparaison des 50% de voix quisont allées aux autres candidats, dont on sait qu'ilsappelleront à voter pour l'ancien suppléant deMarcel Henry. Mais au QG de Kamardine, on nevoit pas les choses ainsi. "On va gagner" dit unmilitant. "Il a suffisamment d'avance et ceux qui se

sont abstenus au 1er tour voteront au 2nd. On n'amême pas besoin d'aller sur le terrain", ironise-t-il… le plus sérieusement du monde. Dans son ton,il ne s'agit en aucun cas de ferveur ni même depassion, mais d'une réelle certitude.Une attitude qui rappelle celle des élus UMP auConseil général, ainsi que des cadres de la collec-tivité proches du parti de droite : depuis plusieursmois, ils ne cessaient d'affirmer à leurs collèguesqu'ils gagneraient les doigts dans le nez. "Ils nousdisaient très sérieusement que ces élections neseraient qu'une formalité. Que ce n'était mêmepas la peine de les organiser. Que Kamardinegagnerait sans souci", dit une secrétaire. Cette assurance, l'ancien député Jean-François

Hory, qui a activement soutenu Kamardine lors dela campagne, la transcrira dans les colonnes deMayotte Hebdo cinq jours après le 1er tour. Dansson humeur (“L'humeur de Bacar Sésé”), il n'hé-site pas à affirmer, sur le ton de la fable, que "le roiSimba [Kamardine] mit une énorme gifle / Aulapin [Aly] qui tomba sur son petit derrière / Enpleurant pour avoir reçu cette morfle / Et vu s'éva-porer ses rêves de carrière. 1" Dans cette mêmerédaction dont la direction était acquise à la causedu candidat UMP, on affirmait encore quelquesheures avant le scrutin que les abstentionnistes du1er tour feraient la victoire de celui qu'ils ne pou-vaient se résoudre à voir perdre. Un tel acharne-ment ne pouvait provenir que d'un aveuglement :

celui d'une classe dirigeantecomplètement dépassée parl'évolution d'une société enpleines mutations. Deuxjours plus tard en effet,"Simba" se prenait une rous-te plus forte encore que celle

qu'il avait infligée à son adversaire en 2002 : Alyl'emportait avec 56,29% des suffrages exprimés.

LORSQU'IL AVAIT BATTU Siadi Vita (MDM)cette année-là, recueillant 55,08% des suffrages,Mansour Kamardine avait tout pour entamer unlong règne, à l'image de celui de son prédécesseur,Henry Jean-Baptiste, député de Maore durant 16ans. Celui qui se présentait depuis une dizained'années comme "le candidat des Mahorais" faceà un MPM dirigé par le Martiniquais Jean-Baptiste et les créoles Henry et Giraud, avait tousles atouts en main. Un président de la Républiqueà son écoute, avec qui les liens d'amitiés sont réels-"Chirac et Kamardine sont des vrais amis", affir-

me Ahmed Attoumane Douchina, ancien secrétai-re départemental du parti dont il s'est éloigné en2006. Un gouvernement quasi entièrement forméde ministres estampillés UMP, comme lui, parmilesquels la ministre de l'Outremer, BrigitteGirardin, elle aussi très proche de Chirac. UneAssemblée très majoritairement composée par desélus de son parti. Et une aura certaine au sein de lapopulation mahoraise, gagnée au fil de ses annéesde lutte face à l'hégémonie de l'ex-parti unique…Durant son mandat, cette "puissance de feu" n'afait que s'accroître. Dans l'administration, où nom-bre de haut-fonctionnaires arrivés dans l'île depuiscinq ans sont sur la même longueur d'onde quel'UMP. Dans les médias, surtout : en 2004, sesamis ont fondé l'hebdomadaire Le Mahorais, quin'a cessé de faire la propagande du député ;depuis 2005, Mayotte Hebdo s'est égalementinféodé à l’élu, allant jusqu'à appeler à l'élire ausecond tour ; la direction de RFO a égalementmontré des signes de préférence à l'égard de sonparti -le directeur régional et le rédacteur en chefont participé à un meeting de l'UMP durant lacampagne présidentielle… Une telle force ne peutque se transformer en faiblesse lorsque l'on n'yprête pas attention. C'est ce qui a causé la perte deKamardine qui, en cinq ans, s'est métamorphosé.

DURANT VINGT ANS, Kamardine, c'était cetrublion de la politique mahoraise qui osait dire"merde" aux vieux baobabs. Qualifié d'indépen-dantiste d'abord, puis de subversif 2, il reconnais-sait s'être lancé dans la politique par révolte : "Lasauvagerie de la répression contre la minorité"serrez-la-main" (…) m'ont fait voir qu'il y avaitmenace à la démocratie. C'est ainsi que je me suistrouvé dans la politique mahoraise", révélait-il en

19913. "Quand on allait à partir de 1979 prêchernotre parole RPR dans les villages, on nous pre-nait et on nous jetait comme des détritus sur lesdépotoirs !" poursuivait-il. Il le clamait lui-mêmeen 1988 : "Je dérange et bouscule des habitudespré-établies qui ne servent forcément pas les inté-rêts de Mayotte.4" Plus jeune maire de France -à23 ans il est élu premier magistrat de Sada-, rapi-dement élevé au rang de leader de l'opposition autout-puissant MPM, Kamardine a su se forger uneréputation de dur au mal. Face à l'intransigeance etaux multiples coups bas de l'ex-parti unique, il asu résister en employant les mêmes méthodes. LeMPM possédait son organe de propagande -LeJournal de Mayotte ? Lui-même lançait LeMahorais en 1993 -sans succès. Le MPM para-chutait ses leaders pour les faire élire aux cantona-les ? Il était prêt à toutes les manœuvres, y com-pris juridiques, pour les battre. En 1991, le RPRsoutient Zaïnadini Daroussi, alors inconnu, pourdéfaire Younoussa Bamana chez lui à Kani-Kély.En 1993, Mansour tente de faire annuler l'électionau poste de député d'Henry Jean-Baptiste en pré-textant une fausse lettre qui n'y aurait rien changé.Al'époque, le journaliste Zaïdou Bamana le fusillesur la place publique : "Décidément, la faim estmauvaise conseillère. Et la soif de pouvoir unepure folie furieuse", écrit-il en octobre 1993 5. Il necroyait pas si bien dire.Au fil des ans, alors qu'il agace un MPM décli-nant, Kamardine gagne en sympathie dans lapopulation. Le RPR n'est plus le parti desanciens indépendantistes, et ses prises de posi-tion séduisent. Il se fait le chantre de la libertéd'expression ; défend la préférence locale -"il fautvoir dans ma démarche le refus de se plier à unedécision assez éloignée des réalités et des spécifi-cités locales mais surtout des intérêts légitimes etsupérieurs de Mayotte et des Mahorais autochto-nes", écrit-il en 19936- ; il soutient les instituteursdans leurs revendications, notamment concernantla DSI -selon lui, l'absence de DSI à Maore révè-le "le peu de considérations que le pays a pour sesenfants et notamment pour ses valeureux institu-teurs qui se battent pour prendre toute leur partdans les affaires de Mayotte" 7 ; il affirme son atta-chement aux coutumes mahoraises, à commencerpar la polygamie -"je ne suis évidemment pasfavorable au renoncement [de la culture, de lacoutume et des mœurs mahorais]. Par contre, jeconsidère qu'il faut laisser au temps tout le tempsde bâtir son œuvre" dit-il en 1988 4.

UNE FOIS AU POUVOIR, ce même Kamardinejouera les censeurs -il n'a jamais accepté de répon-dre à Kashkazi-, pourfendra la préférence locale ettout discours sur la mahorité, négligera le combatdes instituteurs et interdira la polygamie, oubliantde laisser le temps au temps. Celui qui, depuis1993, se faisait passer pour "le candidat desMahorais" et revendiquait le droit des Mahorais àse faire représenter à l'Assemblée nationale parl'un des leurs -"la dynamique créée autour de macandidature traduit la prise de conscience desMahorais qui veulent être représentés àl'Assemblée nationale par un enfant du terroir"écrit-il en 1993 6- deviendra, aux yeux de la popu-lation, le candidat des wazungu.Son acharnement, durant cinq ans, à défendre lespositions du gouvernement, ses textes de loisinterdisant la polygamie et réduisant à néant lerôle officiel des cadi, son incapacité à entendre lesrevendications des instituteurs, ont détruit l'imagequ'il s'était forgée durant vingt années de militan-tisme. Pour Ahmed Attoumane Douchina, anciensecrétaire départemental de l'UMP qui a présentéune candidature dissidente, la faute en revient à luiet à lui seul. "Le pouvoir l'a complètement chan-gé. A partir du moment où il a été élu, il ne nous aplus écoutés. On ne pouvait plus dire quoi que ce

“Ils nous disaient très sérieusement que ces élections ne seraient qu’une formalité. Que Kamardine gagnerait sans souci.”

UNE SECRÉTAIRE DU CONSEIL GÉNÉRAL

NOUS SOMMES

Ci-dessous,MansourKamardine dansles années 80,lorsqu’il n’étaitqu’un trublionsubversif pourses adversairesdu MPM.

(photo Jana na Leo)

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kashkazi 65 juillet 2007 33

législatives décryptage

Abdoulatifou Aly, député version Césaire ?QU'ONT -ils en commun ?

Pas grand-chose àvrai dire. Seule leur profession - avocat-, etleur parcours -tous deux quadragénaires, ilsont gravi les échelons politiques depuis unevingtaine d'années- semblent rapprocher l'an-cien, Mansour Kamardine, et le nouveaudéputé, Abdoulatifou Aly. "Le premier, c'estla version caldoches ; le second, la versionkanaks", s'amuse à imager le syndicalisteBoinali Saïd. S'il est curieux de transposer lasituation néo-calédonienne à Maore, le paral-lèle, certes troublant, n'en reste pas moinssignificatif. Tout aussi déconcertant, cet amal-game avancé par Boinali Saïd : "Kamardinese rapprochait, dans sa conception politique,de celle de Marcel Henry. Il s'agit avant toutde conserver certains privilèges acquis parles colons à l'époque, les patrons métropoli-tains aujourd'hui, tout en assurant un statutdans la République. Aly, lui, est plus prochedans sa philosophie, de Bamana : Françaisoui, mais aussi Mahorais, une identité qu'ilfaut défendre coûte que coûte." Paradoxalecette analyse, alors que Bamana avait soutenuKamardine en 2002, et qu’Henry a toujoursappuyé son poulain et ancien attaché parle-mentaire, Aly ? Pas vraiment.

DÉPARTEMENTALISTE plus que convain-cu, Abdoulatifou Aly l'est avant tout pour uneraison majeure : l'égalité républicaine,comme l'indiquait son slogan de campagne.Ainsi sa philosophie politique se base essen-tiellement sur la primauté de l'Homme et lesprincipes de la Révolution de 1789, principessouvent avancés de son vivant par le Mzé.Comme ce dernier, Aly ne renie en rien sacomorianité et sa religion, tout en assumantpleinement la séparation. Il n'est d’ailleurs pastendre avec les hommes politiques desComores indépendantes et leurs pratiques :"On est en France, en démocratie, on n'estpas aux Comores ici !" a-t-il coutume de dire,un rien méprisant. Mais au jeu des comparaisons, il en est une,certes moins actuelle, qui pourrait s'avérer être

plus juste. Sans tomber dans le piège ducalque dom-tomien -inapproprié-, et sans allerjusqu'à confronter les deux hommes, force estde rapprocher le discours d'Abdoulatifou Alyde celui d'Aimé Césaire.

A PREMIÈRE VUE, les deux hommes n'ontpas grand-chose à voir. D'un côté, un poète àl'âme rebelle, homme de lettres et de diatribesqui s'est fait tout seul ; de l'autre, un homme dedroit et de dossiers -il a été attaché territorialdu département de la Moselle en 1986, chef debureau des finances de l'État à la préfecture deMaore en 1988, secrétaire général du Conseilgénéral en 1992 et attaché parlementaire de1996 à 2004-, qui a grandi dans les pas du"maître", Marcel Henry. Et pourtant...Le Martiniquais l'a toujours clamé : le départe-ment était pour lui le seul moyen d'accéder àl'égalité avec les autres citoyens français, etainsi d'en finir avec le statut colonial. "Croyez-moi messieurs", disait-il à l'Assemblée en1946, "ce n'est pas l'octroi de la liberté quipousse les peuples coloniaux à la sécession,c'est le refus de la liberté, le racisme, c'est labrimade, c'est l'humiliation systématique, c'estla fin de non recevoir opposée aux revendica-tions les plus légitimes : toutes choses conte-nues dans le système colonialiste1”. Aujourd'hui,Aly dit : "Seul le département nous permettrad'avancer avec les mêmes droits que les autresterritoires français. Nous réclamons juste l'é-galité. (…) Nous devons être traités de lamême façon que les autres, c'est une questionde dignité, ça a toujours été ça, depuis GeorgesNahouda, ce qui comptait pour lui, ce n'est pasd'être Français, c'est d'être Français dans undépartement français ! Ces gens qui connais-saient bien l'histoire de la France connais-saient aussi celle de l'Algérie et de ce départe-ment au rabais. Il est fondamental de deman-der la dignité d'être des Français comme tousles autres. Aujourd'hui, cette dignité, lesMahorais fuient à la Réunion ou en Métropolepour la trouver, car là-bas ils jouissent totale-ment de la citoyenneté française.2"Chaque année, Césaire répétait à

l'Assemblée nationale : appliquez intégrale-ment la loi. Le grand projet d’AbdoulatifouAly : "Nous voulons être département pourque l'Etat respecte la loi ! Notre combat, c'estplus un combat contre la France que contreles Comores. Quand je lis que le préfet ditque Mayotte ne peut pas être département

car elle n'est pas assez développée ! Il a vuça où, lui, qu'il fallait être bien développépour être département ? Qui n'a pas dévelop-pé, c'est moi ou c'est lui ? 2"

PLUTÔT QUE l'indépendance sans filet desécurité, Aimé Césaire avait choisi la voie del'assimilation totale. Comme Bamana,comme Aly. Sans pourtant accepter de renierleurs spécificités propres. Difficile pari danscette France qui n'accepte aucune différence.C'est pourquoi la frontière entre les deux -indépendance et assimilation-, contrairementà ce que l'on peut penser, est infime. Césairele disait dès 1946 : "Si un jour le régime issude la départementalisation à son tour appa-raît comme un obstacle, rien, je veux direaucun fétichisme, n'empêchera qu'il soitremis en cause pour faire place à un régimequi ne sera pas seulement la négation desdeux régimes précédents mais leur sommesurmontée et enrichie.1" Bien entendu, Aly nedit pas cela, mais est-il si loin de le penser ?Bamana lui-même n'avait-il pas menacé, en1998, de proclamer l'indépendance ? Qui ditqu'Aly, s'il est toujours député dans 10 ans, nereprendra pas à son compte les propos deCésaire tenus à l'Assemblée nationale en1960 : "L'application des lois sociales est letest de l'assimilation, c'est la pierre de touche.Or vous n'appliquez pas les lois sociales.Alors si vous n'êtes pas pour l'assimilation,tournons la page et cherchons ensemble autre

chose 1". Après tout, ne reprend-il pas l'antien-ne que le poète tenait en 1949 : "L'Etat, vio-lant tous les engagements, nous prend tout etne nous donne rien 1", quand Aly réclame leRMI, le SMIC, les allocations sociales, etdénonce le mise en place de lois essentielle-ment répressives sans les avantages ? Ne dit-

il pas la même chose quand il clame : "Lesresponsables français qui tolèrent cette situa-tion sont indignes de la France (…) Commentvoulez-vous qu'avec 200 euros on puisse dire: "Ah, continuez à chanter la République, àchanter l'égalité, la fraternité !"" 3

MAIS COMMENT, dans ce cadre, conserverses spécificités ? Aly y est très attaché, on lesait. Lui qui n’aime pas qu’on évoque sonvoyage au Pakistan en 2005 afin d’y suivreune formation religieuse se battra pour lesdéfendre. Car selon lui, le département n'en-traînera pas forcément la perte de l'identitémahoraise : "Les gens font la confusion entrece que dit la loi et ce qui est la culture", pense-t-il. Aly est un assimilationniste commeCésaire l'était : optimiste et schizophrène -lasouhaitant mais la rejetant. Le père de laNégritude ne cessait de répéter que son cou-rant littéraire ne décriait pas "l'assimilation ensoi, mais une certaine conception de l'assimi-lation reposant sur la discrimination et lesinégalités sociales". En même temps, ildénonçait l'assimilationnisme "invétéré" deson parti, le PCF. Il croyait en une issue posi-tive, avant, petit à petit de se rendre compte deson échec -devenant au fil des ans autonomis-te. Aly n'en est pas encore là, mais qui sait, unjour… Lui qui lance à la France ce défi :"Nous sommes africains, musulmans, animis-tes, et nous sommes français !" pourrait, s'iljuge sa réussite impossible, changer de vues.

Car le discours d'Aly oscille entre amour dupays "des droits de l'Homme" et antipathieenvers son administration sclérosée et hautai-ne, de même que Césaire ne cessait de vilipen-der l'attitude de ses concitoyens, à commencerpar leurs élus. Ainsi était-il capable de dénon-cer avec une rage extraordinaire dans sonDiscours sur le colonialisme les méandres duracisme français et les perditions de la coloni-sation, et de voter, dans le même temps, ladépartementalisation de son île. Aly, lui, n'a decesse, depuis trois ans, de vilipender l'actiondu gouvernement -"La méfiance n'est pasenvers la France", nous disait-il il y aquelques mois, "mais envers les gouverne-ments français, qui font sans cesse des recula-des"- et de s’en prendre aux nouveaux colons,ces “patrons-voleurs” qui pensaient avoir lamainmise sur l’île. En 2005, il avait milité ausein du Comité de soutien aux expulsés deMayotte et avait tenu une conférence de pres-se pour dénoncer "le traitement réservé auxressortissants comoriens résidant sans-papiers à Mayotte". "Je ne peux pas être d'ac-cord avec cela. Je ne veux pas que Mayottesoit la fille indigne de la France patrie desDroits de l'Homme", disait-il.4

COMME IL NOUS L'AFFIRMAIT récem-ment, "le département, ce n'est pas une fin ensoi, c'est le début du progrès, de tous les droitsà l'égalité et à la solidarité. Vous n'aurez droitaux droits que si vous êtes dans la même situa-tion que les autres.” Pour Kamardine, ledépartement était l’accomplissement d’unelente évolution. En cela, il avait opté pour unestratégie d’accompagnement du gouverne-ment. Stratégie fatale... Aly, lui, perçoit ce sta-tut comme “un objectif de départ". C’est pourcela qu’il devrait adopter une posture agressi-ve vis-à-vis de Paris, pour arriver le plus vitepossible au but qu’il s’est fixé.

RC

1 D. Delas, Aimé Césaire, Hachette, 19912 Kashkazi n°59, janvier 20063 Mayotte Hebdo n°334, 18/05/20074 Témoignages, janvier 2006

soit au sein du parti." Selon un autre militantécoeuré de ces dernières années (qui a souhaitéreser anonyme), "Kamardine a pensé, après tantd'années de lutte, qu'il avait été élu pour sa per-sonne. Il a donc personnalisé son mandat et aoublié les militants qui l'avaient aidé".Progressivement, les fondateurs du RPR ont étéécartés, parmi lesquels Moustoifa Mohamed, pre-mier secrétaire du RPR à Maore, qui parlait enseptembre 2006 d'"humiliation" et de "mise à l'é-cart sans motif sérieux" avec "des méthodesmécaniques et floues indignes d'un parti républi-cain" 8. De fait, Kamardine "s'est éloigné de sabase, de ses proches" selon le militant. Il est deve-nu "arrogant".Preuve de cette suffisance : la déplorable gestiondes cantonales en 2004. Alors que l'UMP comp-tait neuf élus, il ne leur manquait qu'une voix pourconserver la majorité, donc la présidence. Mais aulieu de proposer à Saïd Omar Oili ce qu'il deman-dait -un simple poste de vice-président-,Kamardine, sûr de sa force, ne lui a rien donné.Oili est allé voir ses adversaires, qui lui ont offert

la présidence… Depuis, l'UMP joue les mauvaisperdants et ne cesse de jouer la carte de la polé-mique souvent stérile.

PARALLÈLEMENT, Kamardine a déserté le ter-rain. Quand il n'était pas à Paris, il côtoyait sesamis de la zone industrielle de Kaweni, à com-mencer par son plus proche soutien, le présidentdu Medef Michel Taillefer, qui n'a pas hésité àprendre la plume avant le 1er tour pour soutenirdans Le Mahorais et Mayotte Hebdo -journauxdont il est actionnaire- celui qu'il s'évertue à façon-ner depuis 20 ans. "Il a un pouvoir considérablesur lui", pense notre militant anonyme. AhmedAttoumane confirme : "M. Taillefer possède unascendant incontestable sur Mansour. C'est luiqui lui a apporté la connaissance du monde occi-dental. C'est lui aussi qui lui donne des renseigne-ments, en tant qu'ancien responsable desRenseignements généraux. Or les renseigne-ments, c'est le pouvoir. Mansour s'est petit à petitlaissé amadouer". Taillefer, Castel et d'autrespatrons ont réussi à transformer le candidat des

Mahorais en porte-parole des patrons, puis dugouvernement. "Il est devenu le défenseur du gou-vernement, oubliant qu'un député est avant tout ledéfenseur de son peuple", se désole AhmedAttoumane. "Quand il revenait d'une réunion àParis, il nous demandait de défendre la positiondu gouvernement sans qu'il soit permis d'en discu-ter en interne."Ainsi, non seulement il n'a pas répondu à l'espoirplacé en lui, en n'obtenant ni minima sociaux nidépartement, mais en plus il a été à l'origine de loisen totale contradiction avec la volonté populaire.Ayant perdu le fil de la société mahoraise, il a cru,en interdisant la polygamie, qu'il entérinait unevolonté générale et une évolution naturelle, alorsque même certaines femmes n’approuvent pascette mesure. Pensant que la religion n’était plus leciment de la société, il s’est attaqué à un domainesensible que ses prédecesseurs avaient laissé intactalors que les fundi ont encore un poids considéra-ble dans les villages. Croyant que le porte-à-porteest moins efficace que la propagande médiatique,il a cru bon de ne pas mouiller la chemise durant

la campagne, contrairement à ses adversaires. En fait, il n'a réussi qu'à faire plaisir à son entou-rage métropolitain, devenant, dans l'imaginairecollectif, "le petit nègre" de ces messieurs. Trop tôtassimilé, il a cru, en employant des armes quifonctionnent en France, tuer ses adversaires : unjournal puis deux à sa botte, un livre de propagan-de, une biographie 9 sortie deux semaines avant lescrutin. Bref, un matraquage stérile dans cet archi-pel. Car qui lit ? Les wazungu. Qui élit ? LesMahorais. "Il a complètement perdu le sens desréalités locales", soutient un militant socialiste. "Ila pensé que comme lui, tous les Mahorais s'é-taient occidentalisés".Mais cette erreur, Kamardine, empêtré dans unego surdimensionné conforté par des médias à sabotte et des fonctionnaires séduits par sa capacitéd’écoute, ne l'a pas perçue. Parce qu'il s'est égarédans les affres du pouvoir, il a perdu. En 1988, ildéclarait : "Le RPR doit être plus près des gens, àl'écoute. 4" Il n'était alors qu'un simple trublion.

RÉMI CARAYOL

Départementaliste convaincu, l’élu MDM n’a cependant pas la même conception de ce statut que son prédécesseur.

“Je ne veux pas que Mayotte soit la fille indigne de la France, patrie des Droits de l’Homme.”

ABDOULATIFOU ALY EN 2006, À LA RÉUNION

candidat des Mahorais”, a perduen cinq ans le porte-parole du gouvernement - une erreur qui lui a coûté sa réélection. Enquête sur une métamorphose...

NOTES1 Mayotte Hebdo n°3382 Lire à ce sujet LeJournal de Mayotte desannées 91, 92, 933 Jana na Leo n°22, 19914 Jana na Leo n°4, 19885 JDM, 29/10/19936 JDM, 26/02/19937 JDM, 5/07/19918 Le Mawana n°36,28/09/20069 T. Watelet, Le hussardnoir de la Républlique,Orphie, 2007

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kashkazi 60 février 200734

décryptage violences dans les stades

Football : au bonheur des hooligans

ELÈVE au lycée de Moroni, Aladinrêve de carrière sportive. En

2001, ce jeune footballeur mohélien a pour la pre-mière fois joué pour les couleurs comoriennes auxJeux des Iles à Madagascar. Installé depuis cettepériode à Ngazidja, il fait partie des espoirsd'Angelus, une formation de Moindzaza, petit villa-ge situé au sud de Moroni. Le 27 juin dernier,Angelus a fait le déplacement à Salimani pouraffronter les Black stars de Bangwa en match retourcomptant pour le championnat des Comores. Laprestation offerte par ces deux équipes était de pièt-re qualité. "On n'a pas fait notre jeu", reconnaîtAladin. Les raisons de cette contre-performancen'ont rien de sportives. "Quand nous nous sommesaperçus de l'agressivité des supporters de l'équipeen face, nous avons décidé de la laisser gagner.L'arbitre a d'ailleurs senti que le climat était mal-sain et a sifflé la fin de la partie avant la fin du tempsréglementaire." Le jeune footballeur est à la foisdéçu et soulagé, comme s'il venait d'échapper à un

supplice. Les supporters de Bangwa, armés de gour-dins et de machettes à leur entrée au stade, étaient eneffet venus avec la ferme intention de remporter cematch par des buts ou à coups de poing. C'est doncpour éviter l'affrontement que les joueurs d'Angelusont boudé le ballon.Izdine Ben Mohamed Ali alias Tony, directeur dusport civil de Ngazidja et commissaire de matchs,est un témoin privilégié de la violence qui sévit dans

les stades comoriens. Il se rappelle la mémorablerencontre entre Coin Nord (Mitsamihuli) et ElanClub (Mitsudje) le 28 février 2007. "A la fin dumatch, alors que Coin Nord l'avait emporté, les sup-porters du Nord ont monté une embuscade pourattaquer les joueurs d'Elan Club sur leur chemin duretour." Le bilan est lourd : 14 blessés dont 5 dans lecoma. L'enquête diligentée par la Fédération como-rienne de football a établi que des supporters d'ElanClub munis de gourdins et autres objets, s'étaientpréparés à transformer la rencontre sportive en pugi-lat. C'est d'ailleurs l'un d'eux qui aurait été la causede cette réaction agressive des supporters du Nord.Au-delà de cet élément déclencheur, la violence està fleur de peau des supporters de ces deux équipesennemies, en tête du football comorien. Le match retour entre les deux clubs, prévu le 17juin, a été reporté à une date pour l'heure inconnue."Le Comité directeur de la Fédération n'a pas lesmoyens d'assurer la sécurité d'une telle rencontre àhaut risque", explique Tony. Et tant qu'il n'aura pas

la garantie de faire jouerce match en toute sécu-rité, il ne l'organiserapas. Le milieu sportif nese fait aucun doute surla réaction d'Elan Club."Les supporters d'Elan

sont prêts à faire perdre le titre à leur club pour sevenger de ce qui s'est passé le 28 février àMitsamihuli", soutient un habitué des stades.La Fédération a pourtant frappé fort en prenant dessanctions exemplaires à l'encontre des deux équipes: une suspension de six matches pour Coin Nord etune amende de 200.000 fc (400 euros) de frais dedégâts sur les véhicules ; Elan Club est de son côtéprivé de son public pour les prochains matches.

Mais ce coup de poing sur la table n'a pas eu l'effetescompté. Quelques semaines plus tard, le 21 mars,la 11ème journée de la phase aller du championnatdes Comores enregistrait une violence d'une autrenature. Un supporter de JACM, de Mitsudje, a étéadmis 5 jours en réanimation à l'hôpital après avoirété agressé non pas au cours d'un match, mais laveille au soir, pour avoir été vu rôder autour du stadede Séléya, où devait se dérouler la rencontre. Sesagresseurs, des habitants du village, ne sont pourtantpas concernés par les deux équipes à l'affiche.

LE 31 MARS, LA VIOLENCE embrasait le staded'une autre région de l'île, suite à une rencontre entredeux équipes de villages voisins, Enfants desComores de Vouvouni et Ngaya de Mde. La rencon-tre s'est terminée sur un score nul et n'a été émailléed'aucun incident sur le terrain pouvant justifier unehostilité entre les deux camps. Cela n'a pas empêchéles supporters de Ngaya de se remémorer leurs riva-lités ancestrales avec leurs voisins et de mettre à sacVouvouni, qui se trouve sur leur chemin. Bilan :deux blessés graves, deux innocents qui ont eu lemalheur de croiser ces hooligans. Un des blesséssouffrant d'un enfoncement du crâne a été évacuéd'urgence en Afrique de l'Est. Les dégâts matérielssont importants : une menuiserie, une école privéeet des habitations saccagées. Cette fois, la violence a débordé du stade et les sup-porters se sont attaqués à des citoyens ordinaires.Pour la première fois, un habitant de Vouvouni aporté plainte au pénal contre des supporters d'uneéquipe sportive pour dégradation de biens. De soncôté, la Commission d'homologation sort de nou-veau le carton rouge et fait rétrograder l'équipe deNgaya en troisième division. Une sanction doubléed'une amende et d'une interdiction des joueurs d'é-

voluer dans d'autres formations. La fermeté de laFédération n'aura cependant pas d'effets : les clubsse solidarisent avec Ngaya et montent un comité desoutien qui obtient la levée de la sanction. LaCommission d'appel se contentera d'interdire destade le public de Mde, privé de match à domicile. Cette violence autour des stades ne date pas d'hier."Depuis 1996, une équipe de Moroni, Avenir desComores, ne s'est pas déplacée dans le nord-estaprès la malencontreuse rencontre avec Espoir deDjomani où un handicapé sur chaise roulante a étéla cible des supporters d'Avenir des Comores. Laprésence de cette personne derrière le portier del'adversaire avait fait dire aux supporters moro-niens qu'il était porteur d'un grigri les empêchant detrouver le chemin des buts", se rappelle Tony.

LE TABLEAU N'EST pas plus reluisant à Ndzuani,où la saison sportive a enregistré de violents accro-chages entre supporters de différentes équipes.Ngazi de Barakani, Etoile d'or de Mirontsy,Komorzine de Domoni et Etoile filante deTsembehu "sont sur la liste rouge au niveau dessupporters" affirme Guirou, chroniqueur sportif àl'antenne anjouanaise de l'ORTC. Ici aussi, laFédération affiche une fermeté dans ses sanctions :Ngazi de Barakani rétrogradé en D3, Etoile filanteprivée de match à domicile durant toute la saison2006, Etoile d'or suspendue 7 matchs… A Ndzuani comme à Ngazidja, l'arbitrage est lacause première des violences dans les stades. "Il n'ya jamais eu de sanctions contre les arbitres quipourtant ont des partis pris. L'arbitrage était exé-crable tout le long de la saison 2006", souligneTony. Pour Guirou, "c'est la méconnaissance destextes par les dirigeants qui est en cause. Au lieud'adresser leur plainte au quatrième arbitre présentsur le terrain, les gens s'attaquent directement àl'arbitre central". Les joueurs ne sont pas non plusépargnés. "Ils ignorent les règlements", poursuitGuirou. En 2006 au Mozambique, Elan Club acommis un abandon de terrain pour contester unbut. En 2007, Coin Nord, qui représentait lesComores à la Champion's League à Maurice, igno-rait qu'à partir de sept cartons jaunes, l'équipe estsoumise à une grosse amende de 1.500.000 fc (unpeu plus de 3.000 euros). Autant de distorsions quiattestent du laxisme de la Fédération, montrée dudoigt par la Fédération internationale de football(FIFA) pour son manque de rigueur dans la prise dessanctions et dans leur exécution. Mais les passions poussant à la violence dans lesstades ne sont pas toutes liées au sport. "Des rivali-tés villageoises sont également responsables decomportements déviants. Les rencontres entreSéléya et Mitsudjz, Etoile du sud et Volcan [un clubde Moroni, ndlr] ou encore de Nioumadzah etSéléya, se terminent systématiquement en pugilat",fait remarquer Tony. Des équipes, notamment ausud de Ngazidja, manquent d'esprit sportif au pointde ne pas supporter la défaite.

AUTRE PHÉNOMÈNE annexe qui parasite lesrencontres, à Ngazidja particulièrement : le recoursau fétichisme. "Dans la majeure partie des cas, c'estune histoire de grigri qui déclenche la violence ducôté des supporters", affirme Tony. Les sportifs seméfient des sorts lancés par leurs rivaux et leur attri-buent tout mauvais résultat…Les causes de cette violence sont donc multiples,mais le remède réside dans le respect des lois dusport. Or, souligne Guirou, "il y a trop de corruptionet de malhonnêteté au sein des instances dirigean-tes, à commencer par la Fédération. Commentcomprendre qu'un responsable de la Fédé soit aussiresponsable ou entraîneur d'un club ? Ou qu'unarbitre accepte de diriger une rencontre impliquantson équipe ?"

KAMAL'EDDINE SAINDOU

Dans l'enclos des stades comoriens se noue une violence crescendo, où se mêlent passions sportives, sorcellerieset conflits inter-villageois dans une atmosphère sans foi ni loi.

“Quand nous nous sommes aperçus de l’agressivitédes supporters de l’équipe en face, nous [l’avons] laissé gagner.”

ALADIN, JOUEUR D’ANGELUS

Ci-dessus,un matchde football à Moroni,au stadeBaumer.(archives)

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kashkazi 60 février 2007 35

sports décryptage

IRONT ou n’iront pas ? A un moisdu coup d'envoi des 7èmes

Jeux des Iles de l'océan Indien qui se déroulerontdu 9 au 19 août à Antananarivo (Madagascar),les athlètes comoriens ne savent toujours pass'ils seront de la partie. "Le Conseil [des minist-res, ndlr] donne son accord à la participationdes Comores aux jeux de Madagascar", a indi-qué mercredi 27 juin le porte-parole du gouver-nement de l'Union. Si le feu vert est donc donné,le gouvernement comorien a toutefois demandé"une révision plus réaliste de la participation".Autrement dit, une délégation à la mesure de sespossibilités financières. La première propositionétablie par le Comité olympique sportif des îlesComores (Cosic) portant sur une délégation de216 personnes pour un budget de 260 millions fc(520.000 euros) a été jugée trop élevée. LeCosic, qui tient à être présent dans toutes les dis-ciplines programmées dans cette compétitionrégionale, a accepté de revoir ses ambitions à labaisse en réduisant les participants à chacune deces disciplines. Ce qui a fait chuté la délégationinitiale à 185 personnes. Cette deuxième listeremise au pays organisateur des Jeux vient d'êt-re de nouveau mise en cause par le gouverne-ment qui a demandé au Cosic d'être plus réalis-te encore. "Nous avons expliqué aux autoritésque nous ne pouvons pas indéfiniment réviser lenombre de la délégation. Cela risque d'une partde perturber le pays organisateur qui a besoind'être fixé sur le nombre d'athlètes qui serontprésents ; d'autre part, en matière sportive, il ya des limites que nous ne pouvons pas dépasser.En judo par exemple, nous ne présenteronsqu'un athlète. Nous avons aussi réduit les foot-balleurs à 18 au lieu de 22 et limité l'encadre-ment technique au minimum. Le gouvernementdoit nous dire exactement ce qu'il compte mettresur la table pour qu'on sache à quoi nous entenir", lance Hassane Madi, membre du Cosic.Finalement, ce sont 165 athlètes qui devraient sedéplacer pour un budget de 170 millions fc(340.000 euros), si le gouvernement donne sonaccord. Le problème est qu'un "Oui" des autori-tés n'est pas forcément une garantie... En 2006,les Comores étaient absentes aux Jeux desJeunes à Maurice parce que les moyens annon-cés n'avaient pas été débloqués à temps.

MAIS SI L'ARGENT est avancé comme étantla raison de l'absence possible des athlètescomoriens à cette compétition, les considéra-tions politiques pèsent encore plus lourdementdans l'attitude des autorités. "Je pense qu'en2006, la nouvelle équipe arrivée au pouvoir aumois de mai, n'avait pas approuvé les modifica-tions décidées par le gouvernement Azali sur laparticipation de Mayotte à cette compétition",indique Hassane Madi. Le président Sambi n'ajamais caché son hostilité à une participationmahoraise en tant qu'entité propre aux Jeux desIles en l'absence d'un accord politique sur ce dif-férend. Récemment, son gouvernement a traduitcette position en mettant en cause officiellement,dans un courrier adressé à la Commission de l'o-céan Indien (COI), la démarche initiée parAssoumani Azali en 2005. L'ancien président futle premier chef d'Etat comorien à oser briser lemur de glace sur l'approche comorienne du liti-ge qui l'oppose à la France au sujet de Maore, ense prononçant en faveur d'une participation desathlètes de cette île aux compétitions de la COI,en tant qu'entité distincte à la fois du départe-

ment de la Réunion (qui représente la Francedans la région) et des Comores. Jugée "unilaté-rale" par la classe politique qui accuse lemanque de concertation sur une question tou-chant à l'intégrité nationale, la position d'Azalin'a pas fait l'unanimité. Paris a en revanche bienreçu cette ouverture et en signe de reconnaissan-ce, a financé l'organisation aux Comores enfévrier 2006, du "Tournoi de la Concorde". Cettecompétition avait permis pour la première foisdepuis l'indépendance, le déplacement d'unedélégation sportive officielle de Maore àMoroni.Mais les nouvelles autorités comoriennes nesont pas les seules à contester une décision jugée

personnelle du président Azali (lire ci-dessous).Le milieu sportif est lui aussi partagé. "Quand ila concerté le mouvement sportif sur son inten-tion de permettre à Mayotte de participer auxtournois régionaux (toutes les fédérations como-riennes ont été informées), nous avions émis uneopposition. Mais il avait déjà pris sa décision.Nous avons cependant réussi à lui faire admett-re la prise en compte de certaines conditions",se rappelle Hassane Madi. En effet, le compro-mis entre les Comores et le Comité internationaldes Jeux (Cij) prévoit que Maore participe à tou-tes les instances du Cij "sans droit de vote etavec voix consultative". Par ailleurs, en toutecérémonie nécessitant l'utilisation d'un drapeau,Maore "utilisera celui des Jeux et n'arboreraaucun symbole de l'Etat français (hymne et dra-peau)", précise le texte -des conditions quali-fiées d’humiliantes par de nombreux responsa-bles politiques et sportifs mahorais, parmi les-quels le nouveau député (lire ci-contre). Le Cij,qui a longtemps soutenu le refus de l'Etat como-rien de laisser Maore faire partie de ces jeux entant qu'entité à part, a cependant pris la précau-tion de restreindre cette dérogation à ce seul cas."Ce mode d'adhésion au Cij, par résolution spé-ciale, ne saurait constituer un précédent pourtoute autre demande", ajoute la résolution. Surles aspects techniques, les athlètes sont soumis"aux mêmes obligations que les athlètes réuni-onnais, notamment sur leur statut". La nouvelle position comorienne -celle d’Azali,approuvée à l'unanimité par les membres duComité des jeux, marquait ainsi l'aboutissementde longues et périlleuses négociations pour sor-tir les athlètes mahorais de l'isolement. La parti-cipation de l'île sous administration française entant qu'entité est en effet jugée aux Comoresindépendantes comme une atteinte à l'intégritéterritoriale du pays.

AUX JEUX DES ILES de 2001 à Madagascar,les athlètes mahorais se trouvaient pour la pre-mière fois sur le terrain en tant qu'invités du paysorganisateur. Cette participation qui avait valeurde test, avait cependant provoqué l'ire des athlè-tes comoriens qui avaient mal accueilli cettedécision des responsables sportifs malgaches.Pour éviter ce type d'incident, c'est sous la ban-nière de "France de l'océan Indien" que les ath-lètes mahorais avaient pris part aux côtés des

Réunionnais aux Jeux des Iles à Maurice, en2003, mais seulement dans les disciplines indi-viduelles, les Réunionnais s'étant opposés à lesintégrer dans leurs équipes collectives. L'optionde contourner l'obstacle comorien par une parti-cipation mahoraise dans les équipes réunionnai-ses a été formulée dès 1998 par les instancessportives françaises, mais La Réunion s'y esttoujours opposée, officiellement pour ne pasprendre le risque de subir le boycott des paysmembres de la COI. En réalité, ni les responsa-bles mahorais ni leurs collègues du départementvoisin n'ont accepté l'idée d'une participationcommune. C'est donc seulement en 2006 queMaore est entrée de plein pied dans l'arène des

jeux régionaux, dans les conditions prévues parle Cij. Seulement, l'absence des Comores à cettecompétition n'a pas permis de juger les résultatsde ce premier test. Les risques de débordementsont toujours là.

RESTE À SAVOIR si cette fois, les Comoresseront présentes ou pas, alors que la délégationmahoraise devrait comporter entre 240 et 250personnes. "Jusqu'au 26 juin, on ne savait pas sinous allions participer", fait remarquer AhmedMahamoud, le directeur national de la Jeunesseet des Sports. Si le gouvernement vient de don-ner son accord de principe, rien ne semble enrevanche arrêté sur la conduite à suivre surplace. "Le Cosic proposait d'y participer maisde ne pas rencontrer les Mahorais en compéti-tion" révèle Ahmed Mahamoud. Le mouvementsportif est divisé. Si certains approuvent la pro-position du Cosic, d'autres ont une positionextrême et ne souhaitent pas participer. Dans lesdeux cas, "il y a risque que les Comores soient

accusées de boycotter les Jeux à cause de cestergiversations" avertit le directeur national de laJeunesse et des Sports. Un risque préjudiciablepour deux raisons. La première est que lesComores ne peuvent pas modifier leur participa-tion sans avertir le pays organisateur et le comi-té des Jeux, qui ont déjà pris leurs dispositions etétabli le programme des compétitions. La secon-de, c'est que la position comorienne ne susciteplus le même élan de solidarité diplomatique dela part des pays de la région comme ce fut le casles années passées, remarque Hassane Madi.

LE DÉSACCORD du président Sambi avec unedécision prise il y a un peu plus d'un an par sonprédécesseur, dénote d'une incohérence de lapart des autorités comoriennes sur ce dossier. Cequi ne fait pas très sérieux vu de l'extérieur,comme le laisse entendre Mamy Rakotoarivelo,président du Comité olympique malgache etvice-président de l'Assemblée nationale de lagrande île : "Les représentants des îles partici-pantes aux Jeux, y compris les Comores, se sontmis d'accord sur la participation de Mayotte" a-t-il déclaré fin juin. "Je pense qu'il n'est plusquestion de revenir sur cette affaire.L'organisation des Jeux n'est pas une minceaffaire. Nous sommes tous responsables…Quant à la participation ou non des athlètescomoriens, c'est à eux de voir ce qui leurconvient. L'Etat malgache, en tant qu'organisa-teur des Jeux, ne reviendra pas sur les décisionsprises ensemble. C'est à l'autorité comoriennede négocier avec les athlètes, en respectant lacontinuité de l'Etat." Jean-François Beaulieu, président du Comitérégional olympique et sportif de la Réunion, nedit pas autre chose lorsqu'il se déclare surpris parl'ampleur donnée à la menace de boycott desComores. "Il y a beaucoup de bruit pour rien.C'est tout de même curieux qu'à chaque édition,certaines personnes prennent un malin plaisir àjeter de l'huile sur le feu."

KAMAL'EDDINE SAINDOU (avec RC)

Jeux des îles : la diplomatie s’en mêle à nouveau

Entre l'inconsistance et le manque de cohérence des hommes politiques, les sportifs comoriens qui se préparent à participer aux 7èmes Jeux des îles de l’océan Indien ne savent plus sur quel pied jouer.

un marché entre Azali et la FranceL'ancien président de l'Union, Assoumani Azali, a accepté la participation de Maore aux Jeux des îlesde l’océan Indien en échange d'une aide budgétaire exceptionnelle de la France, comme l'atteste un rap-port à diffusion restreinte de l'ambassade de France à Moroni, que nous avions dévoilé dans ces mêmescolonnes en décembre 2005. “Le département vous confirme l'attribution d'une aide budgétaire excep-tionnelle d'un million d'euros au bénéfice de l'Union des Comores”, indique ce rapport du 25 octobre 2005.“Cette convention devrait être signée dès réception de la copie de la lettre officielle demandant la convo-cation d'une réunion extraordinaire du Comité international des Jeux des îles de l'océan Indien.” Le 2novembre, un autre rapport signé de l'ambassadeur, Christian Job, annonce : “L'objet unique de cette ses-sion est d'examiner la participation de Mayotte aux prochains Jeux (…) Après tant d'atermoiements, il y alieu d'être satisfait de cette avancée, même si tous les aspects techniques ne sont pas résolus.” Ce marché asemble-t-il été conclu en moins de deux mois : le 9 septembre, un compte-rendu signé Jean-François Frierindique en effet qu'Azali a laissé entendre qu'il était prêt à monnayer un compromis. “Il veut être perçucomme un ami de la France au moment où il dit s'apprêter à quitter le pouvoir, qu'il espère retrouveraprès une présidence anjouanaise. Il nous demande de l'aider à gérer au mieux la fin de son mandat (…)en lui donnant les moyens nécessaires au paiement des salaires avant le Ramadan.” “A-t-il cédé parinstinct de survie ou doit-on conclure à une vraie volonté, mais maladroitement engagée, de tourner lapage mahoraise ?” nous interrogions-nous à l’époque. Nous ne connaissons toujours pas la réponse.

lire kashkazi n°20, décembre 2005 (en vente sur www.kashkazi.com)

“Je pense qu'il n'est plus question de revenir sur cette affaire.L’organisation des Jeux n’est pas une mince affaire.”

MAMY RAKOTOARIVELO, PRÉSIDENT DU COMITÉ OLYMPIQUE MALGACHE

“HUMILIANT”

Alors que MansourKamardine avaitapprouvé l’accordconclu afin que lesathlètes mahoraisparticipent aux Jeuxdes Îles -accord quileur interdit d’arbo-rer le drapeau etd’entonner l’hymnefrançais-, son succes-seur a une positiondiamétralementopposée. Si A. Aly dit“comprendre que lesComoriens n’accep-tent pas qu’on portele drapeau françaiset qu’on chante laMarseillaise”, il “nepeux admettrequ’un député fran-çais accepte cela, caril s’agit d’une insultenon seulement à l’é-gard des Mahorais,mais aussi desRéunionnais et sur-tout de la France”. Il s’agit selon lui d’un“traitement dégra-dant” et “humiliant”.

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36 kashkazi 65 juillet 2007

océan indien madagascar

Les nouvelles donnes de laLe 4 avril 2007, les électeurs malgaches étaient appelés à se prononcer par oui ou par non sur la question :

afin d'améliorer le niveau de vie des Malgaches ?” Si moins de la moitié des électeurs a voté -ce référendum était

La petite révolution anglaise La langue de Shakespeare “menace”

C’EST une petite révolution dans lemonde de la francophonie

qui, si elle est passée inaperçue aux yeux dugrand public, ne manque pas d'interroger dansles milieux diplomatiques français -c'est queMadagascar représente un pays phare de lafrancophonie, donc de la diplomatie française 1.Dans le texte de révision de la Constitution dela République de Madagascar soumis à référen-dum et voté le 4 avril dernier par la populationmalgache, outre la modification des compéten-ces entre les régions et l'Etat central (lire pagesuivante), un article a priori anodin marque unchangement de perspectives radical pour lesdeux pays : aux deux langues officielles "tradi-tionnelles" -le malgache et le français- est venues'ajouter une troisième : l'anglais.Cette élévation de la langue du business mon-dial au rang de troisième langue officiellerépond à une évolution économique du pays."On commence à travailler de plus en plus avecl'anglais", relevait à l'époque Jean-EricRakotoarisoa, l'un des neufs rédacteurs du pro-jet : "Madagascar a intégré des entités anglo-

phones comme la SADC (Communauté desEtats d'Afrique Australe), il y a donc un certainnombre de correspondances qui vont être éta-blies en anglais" 2. "Comme on a l'intentiond'attirer les investisseurs, il est important que laloi sur les investissements soit publiée enanglais pour que les anglophones s'intéressentau marché" de Madagascar", ajoutait-il. Chefd'entreprise malgache, Gabriel Harison estimepour sa part que ce changement va "favoriserles échanges commerciaux" 2. Comme l'affir-mait une dépêche de l'AFP 2 après le scrutin,"cette réforme est ainsi motivée par la volontéd'ouvrir le pays aux investisseurs étrangers",sans toutefois "remettre en question la place dufrançais". Voire…

CETTE ÉVOLUTION recèle en effet un enjeupolitique difficilement contestable. Anciennecolonie française, Madagascar, où sont enregis-trés plus de 25.000 Français, est un des fleuronsde la francophonie : il dispose du deuxièmeréseau le plus important du monde d'écolesfrançaises avec 16 établissements de l'AEFE

(Agence pour l'enseignement français à l'étran-ger) et 10 établissements malgaches homolo-gués, scolarisant près de 12.000 élèves ; quantaux 30 Alliances françaises présentes dans l'île,elles ont accueilli en 2006 plus de 27.000 élè-ves, les plaçant au troisième rang des Alliancesfrançaises dans le monde. Cependant, la langue

française -et par conséquent l'influence deParis- est en perte de vitesse. Si les rédacteurs decette Constitution assurent qu'il ne s'agit enaucun cas de reléguer le français au rang de lan-gue troisième, il est toutefois permis de s'inter-roger sur son avenir dans la Grande Île. "On nepeut pas gommer comme ça 100 ans de présen-ce française", essaye de se persuader AlainVillechalane, délégué général de l'Alliance fran-çaise à Madagascar 2, qui s'interroge toutefois

sur les moyens qui vont être consacrés à l'an-glais, alors qu'"on a déjà du mal à former tousles instituteurs à un français correct".D'ailleurs, la volonté du gouvernement de déve-lopper l'anglais s'est traduite par le récent lance-ment par le ministère de l'Education d'unbimensuel dans cette langue, financé par la

compagnie pétrolière Exxon-Mobile. Tiré à3.000 exemplaires, il est principalement distri-bué dans les établissements scolaires. "C'estpour faire la promotion de l'anglais, pas pourremplacer le français. C'est juste pour s'ouvrirau monde", tente de rassurer Vohangy LalaoRatsimba-Razafimahefa, coordinatrice nationa-le de l'anglais dans l'enseignement primaire. Mais l'inclination anglo-saxonne de MarcRavalomanana n’échappe à personne. Depuisson accession à la présidence en 2002, ce der-nier n'a jamais caché sa volonté de se tournervers les pays anglophones pour développer lepays, et de se démarquer de l'ancienne puissan-ce coloniale, comme l'ont fait d'autres prési-dents africains libérés des fantôme du passécolonial -parmi lesquels Abdoulaye Wade auSénégal et Laurent Gbagbo en Côte d'Ivoire.Lors de ses premières années au pouvoir, il pré-férait s'exprimer en anglais ou en allemand plu-tôt qu'en français. On reprochait même au nou-veau président son indifférence vis-à-vis de laculture française - à un journaliste lui deman-dant son avis sur le fait que certains le considé-raient comme un "anti-français", il avait répon-du : "Oh yes, j'adore la France".

UN TEMPS EN FROID avec Paris qui avaittardé à reconnaître sa victoire à l'élection prési-dentielle de 2002, Marc Ravalomanana a finipar renouer avec la France en 20043. Sans tou-tefois soutenir la machine francophone. Il aainsi introduit l'anglais un peu partout. Quand ilétait maire d'Antananarivo, les "Arrêts Bus"étaient devenus des "Bus stop". Sa chaîne detélévision, Malagasy Broadcasting System, estla seule à diffuser des émissions en anglais. Lui-même a lancé une certaine mode linguistique enemployant à tout-va des expressions anglaisestelles que "take of", "chief of staff", "public, pri-vate, partenarship"… "L'avènement du régimeRavalomanana a inauguré une nouvelle ère enmatière de politique de langues", confirme lequotidien Madagascar Tribune. "Plus d'un ontremarqué que le président préfère de loin utili-ser la langue de Shakespeare plutôt que celle deMolière. Il n'y a rien d'étonnant au fait que, surles étiquettes des produits vita malagasy [fabri-qué à Madagascar] de TIKO, l'empire agro-ali-mentaire de Ravalomanana, ne figurent que desnotices en… anglais."

“L'avènement du régime Ravalomanana a inauguré une nouvelle ère en matière de politique de langues.”

MADAGASCAR TRIBUNE

M.Ravalomananaet J.Chirac, enjuillet 2005, àMadagascar.Malgré une amélioration desrelations entre lesdeux pays, le président malgache se sentplus proche desanglo-saxons.

(photo AFP)

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37kashkazi 65 juillet 2007

madagascar océan indien

Constitution malgache“Acceptez-vous ce projet de révision de la Constitution pour le développement rapide et durable de chaque région boudé par l’opposition-, 75,38 % des votants ont approuvé la nouvelle Constitution, qui ressemble au président.

Désormais partie prenante du système écono-mique mondialisé -notamment avec les zonesfranches où se sont installées un certain nom-bre d'entreprises étrangères- la société malga-che n'échappe pas à cette évolution. Les off-res d'emploi exigent de plus en plus souventla maîtrise de l'anglais, à l'oral et à l'écrit. Laprésidence de la République fait elle-mêmeparaître ses offres d'emploi en anglais.

PARALLÈLEMENT, le français est "mena-cé" par un autre phénomène : le retour enforce du malgache. Si le français reste unelangue de l'élite, et notamment celle du Web -la quasi-totalité des sites institutionnels etd'information l'utilisent- et des médias -la plu-part des journaux sont en français-, elle est deplus en plus fragilisée par le renouveau de lalangue nationale. L'utilisation du malgachedans une cérémonie où il y a de nombreuxétrangers ne choque plus, rapporte le site del'Alliance française de Tana 4. L'hypothèsed'un retour à la malgachisation de l'enseigne-ment refait surface. On projette même de sup-primer le français des épreuves obligatoiresau baccalauréat. Parlée et maîtrisée par 10% des Malgaches, lefrançais n'est plus indispensable. "On a ten-dance à croire que les gens qui occupent unefonction importante maîtrisent le français",peut-on lire sur ce site. "Al'écrit évidemment,à l'oral, c'est moins sûr. A titre d'exemple, lesjournalistes font les interviews en malgache etles traduisent en français. Pour les journauxtélévisés, on ne s'étonne plus de voir uneinterview en malgache dans l'édition françai-se. Ils sont traduits en voix off, et peuventmême passer en "V.O"."Les médias eux-mêmes soutiennent l'utilisa-tion du malagasy… et de l'anglais. "Il estévident que l'Etat malgache doit promouvoirl'étude de la langue anglaise qui reste la pre-mière langue internationale. Elle est néces-saire pour affermir les relations du pays avecl'étranger dans le cadre de la mondialisation.Mais cela ne doit pas masquer le fait queplus de 80 % des Malgaches utilisent uni-quement leur langue maternelle aussi bienau quotidien que dans leur milieu profes-sionnel", écrit Madagascar Tribune. "N'est-ilpas temps de penser, en ce temps de disetteéconomique, à promouvoir d'abord notrelangue pour qu'elle soit aussi celle du busi-ness et celle du développement ?" s'interro-ge le quotidien, qui ignore du même coup lalangue française.

RC

1 La francophonie est née au lendemain de la décolo-nisation des anciennes possessions françaises, et a été l'instrument de la diplomatie de Paris en Afrique.2 AFP, 05/05/20073 Jacques Chirac s'est depuis rendu deux fois àMadagascar, en 2004 et 2005. 4 www.alliancefr.mg

la place du français. Une décentralisation de façade Les 6 provinces autonomes sont remplacées par 22 régions.

LES COMORES ne sontpas le

seul pays de la région à tâtonner à la recherche d'uneforme adaptée de gestion politique et administrativedu territoire. Le respect des "spécificités" passe-t-ilforcément par le morcellement de l'Etat en plusieursentités autonomes ? Comment appliquer la "décen-tralisation" ? Ces questions se posent aussi àMadagascar, qui échappe à la problématique insulai-re mais est confrontée aux difficultés de gestion d'unvaste territoire. En faisant approuver par referendum, le 4 avril der-nier, des modifications apportées à la Constitutionmalgache, le président Marc Ravalomanana a optépour un retour vers un "régime présidentiel fort",comme l'annonçait le journal L'Hebdomada en marsdernier 1. Il supprime ainsi l'une des principales carac-téristiques de la Constitution votée par l'Assembléenationale en 1998, qui consistait à accorder une largeautonomie aux six provinces de la grande île -Antananarivo, Antsiranana, Fianarantsoa,Mahajanga, Toamasina et Toliara. Dotées chacune deleur loi statutaire, les provinces autonomes ne pour-ront jamais véritablement fonctionner sous le régimede Didier Ratsiraka, qui "s'empêtrera dans l'impossi-bilité matérielle et financière [de les] instaurer. (...)Elles se limiteront aux apparences, les gouverneurs etles mini-ministères des commissariats généraux oules ersatz d'assemblée, les conseils provinciaux.1" Pour justifier leur suppression moins de dix ans aprèsleur autonomie, "plusieurs arguments ont été avancéspar les sénateurs, entre autres leur trop grande super-ficie qui rend leur gestion plus ou moins difficile",indique le journal Les Nouvelles 2. Les difficultés demise en place de ces provinces rappellent le scénarioactuel des îles autonomes comoriennes : "Le co-pré-sident du comité préparatoire, HonoréRakotomanana qui à l'époque, a siégé au sein ducomité pour la révision constitutionnelle de 1999visant l'institution des provinces autonomes, n'a pascaché que le fiasco de ces dernières tient au niveaudes transferts de compétences, des moyens et des res-sources", analysent ainsi Les Nouvelles. "Ces trans-ferts auraient dû être effectués concomitamment,mais les choses se sont passées autrement. (...) Il n'ya jamais eu de transfert des ressources des provincesautonomes, et c'est ce qui a abouti à leur échec…"

MAIS LE PROBLÈME posé par ces provinces n'é-tait pas seulement économique. Liée à des revendica-tions identitaires, leur autonomie sera suffisammentaffirmée pour permettre des velléités sécessionnistes.Ainsi en avril 2002, la Haute Cour constitutionnelleaccorde la victoire de l'élection présidentielle à MarcRavalomanana. Tandis que son rival, le président sor-tant Didier Ratsiraka, rejette la décision, deux de cesprovinces proclament leur indépendance… Ce futsans doute, aux yeux du président actuel, un argu-ment de plus en faveur de leur suppression. PourL'Hebdomada, il "a donc choisi la solution la plussimple et soumettra à référendum la disparition des

provinces autonomes, dont le concept repose sur unfort non dit de considérations ethniques". Pour les remplacer, le pouvoir malgache a choisi dequadriller l'île beaucoup plus étroitement en adoptant22 régions comme premières subdivisions. Cesrégions existaient auparavant, mais n'avaient jamaisété dotées de réels moyens et pouvoirs. LaConstitution amendée par Ravalomanana leur donneune importance nouvelle : "La République deMadagascar est organisée en collectivités territorialesdécentralisées, dont l'autonomie administrative etfinancière est garantie par la Constitution. Ces collec-tivités territoriales concourent avec l'Etat au dévelop-

pement de la Nation", indique-t-elle désormais.Selon Les Nouvelles 2, "Marc Ravalomanana prôneun développement de proximité en renforçant lesmoyens des différentes structures décentraliséesactuelles, depuis les fokontany jusqu'aux régions enpassant par les communes et les districts. Un teldéveloppement de proximité semble plus facile àgérer et à contrôler." Cette stratégie s'inscrit dans une politique de décen-tralisation entamée avant la modification de laConstitution, et largement encouragée par lesbailleurs de fonds étrangers. Le concept de décentra-lisation est en effet à la mode, porté par les organisa-tions internationales et de coopération qui en ont faitl'un de leurs credo partout où ils interviennent -auxComores, le Programme de coopération décentrali-sée géré par l'Union européenne vient de démarrer. AMadagascar, les différentes agences des NationsUnies sont impliquées dans un large programmed'appui au processus de décentralisation. "En vued'atteindre un développement rapide et durable, legouvernement malgache a adopté le système dedécentralisation caractérisé par une administration debase de proximité", pouvait-on lire en 2006 dans leMadagascar Tribune 3.

"DÉCENTRALISATION" n'est cependant pas for-cément synonyme de plus de démocratie et deresponsabilité à l'échelon local. La décentralisationversion Ravalomanana semble plutôt s'apparenter àun développement et un redéploiement des ramifica-tions du pouvoir central. En effet, l'élection des auto-rités régionales n'est pas d'actualité. "Pendant unelongue période transitoire de trois années, le payssera sous haute surveillance de chefs de région dési-gnés", annonce L'Hebdomada 1. Or au vu de l'atta-chement du président à les contrôler, il n'est pas évi-dent qu'il se résoudra à lâcher prise sur ces maillonsessentiels à la maîtrise du vaste territoire qu'est laGrande île. Le traitement réservé aux chefs de région,dont les "meilleurs" sont chouchoutés et les "non-performants" limogés, est pour de nombreux obser-

vateurs symptomatique de cet état d'esprit. "Le pou-voir ne s'est pas privé de les instrumentaliser, donnantainsi le flanc à toutes les critiques souvent fondées",commentait l'année dernière Midi Madagascar 4. "Adeux mois de la fin de leur mandat, les 22 chefs derégion ne pourront pourtant présenter autre chose quece qui a été attendu d'eux. A savoir, plaire aux diri-geants ! En tout cas, ils ont été particulièrementchoyés depuis leur nomination. Présents à toutes lescérémonies d'envergure, ils ont éclipsé les présidentsde délégations spéciales des six Faritany Mizakatena[les Provinces autonomes, ndlr]. Les "meilleurs"d'entre eux ont pu bénéficier de "stages" en Europe

tandis que d'autres ont fait partie des voyages prési-dentiels à l'extérieur. La plupart du temps, ils sautentd'un séminaire à un autre. (...) Le Chef de l'Etat leura rendu visite dans leur fief respectif. Autant designes de son attachement aux régions sur lesquelles,pour beaucoup, Marc Ravalomanana s'appuiera lorsdes prochaines consultations électorales."

DEPUIS PLUSIEURS ANNÉES, des voix s'élèventpour critiquer cette conception de la décentralisation."Comment faire de la décentralisation sans décentra-lisation, faire la démocratie avec un bâillon sur lavoix de la population comme si celle-ci puait de lagueule ?" interrogeaient en 2005 Les Nouvelles5., quipoursuivaient : "Apparue sous des auspices de démo-cratie chétive et muette, la région mérite un dévelop-pement rapide de ses organes en rendant la parole àla population." Un an plus tôt, un opposant au régimes'insurgeait : "Le Président de la République ne pro-cède pas à la décentralisation mais confirme la cen-tralisation entre ses mains à lui du pouvoir !" 6

Ironie du sort, ce renforcement du pouvoir central surl'ensemble du territoire devrait permettre au présidentde mieux contrôler… les bénéfices liés à la coopéra-tion décentralisée. Dans le cadre de l'Union euro-péenne, de la coopération régionale avec Maore ouLa Réunion, ou encore de partenariats avec des col-lectivités territoriales françaises, les transferts finan-ciers et techniques se font de plus en plus au niveaulocal, entre deux villes ou deux régions -commeMaore avec Boeny. En présence de collectivités loca-les fortes et dotées d'une certaine autonomie, cettemanne échapperait au pouvoir central. En renforçantsa maîtrise sur les structures "décentralisées", l'hom-me d'affaires devenu président veille au grain…

LG

1 L'Hebdomada, 08/03/20072 Les Nouvelles, 08/03/2007 3 Madagascar Tribune, 03/06/2006 4 Midi Madagascar, 19/04/2006 5 Les Nouvelles, 03/01/20056 L'express de Madagascar, 18/05/2004

“Le Président de la République ne procède pas à la décentralisation mais confirme la centralisation entre ses mains.”

UN OPPOSANT DE MARC RAVALOMANANA

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géopo ligne de mire

Palestine : un Etat divisé en milleAu mépris des résolutions de l’ONU, Israël poursuit la colonisation de la Cisjordanie et Jérusalem, 40 ans après leur

qu'on appelle la politique du faitaccompli. Quarante ans après laguerre des Six-Jours, qui avait vu

en juin 1967 1 l'armée israélienne investir la bandede Gaza, la Cisjordanie, Jerusalem-Est et le pla-teau du Golan 2, un article du quotidien français LeMonde 3 débutait par ces interrogations : "Peut-onencore parler de la création d'un Etat palestinienviable à côté de celui d'Israël alors que toutindique qu'elle n'est plus possible ? Faut-il encoreévoquer la "feuille de route", le plan de paix inter-national, alors que tout démontre qu'elle est désor-mais inapplicable ?" Jusqu'alors taboues dans l'un des pays non-arabesles plus à l'écoute des revendications de Gaza, cesquestions ne choquent plus que les militants actifsde la cause palestinienne. Et pour cause : à l'occa-sion du 40ème anniversaire de la guerre des Six-Jours, deux rapports, le premier d'AmnestyInternational et le second de l'office de coordina-tion de l'ONU pour les affaires humanitaires(OCHA), illustrent, faits à l'appui, que l'emprised'Israël sur la Cisjordanie est telle que la créationd'un Etat viable et continu s'apparente de plus enplus à une fiction, affirme Le Monde 3. Selon lerapport de l'OCHA, parce qu'ils sont occupés pardes colons, par l'armée ou décrétés réserves natu-

relles, 45,47% des 5.600 km2 que compte laCisjordanie sont soit interdits d'accès, soit soumisà un régime de permis pour les Palestiniens.Toujours selon ce rapport, le taux de croissancedes colonies israéliennes est de 5,5 % par an, "soitl'équivalent de deux bus entiers qui, chaque jour,s'ajoutent aux 450.000 personnes déjà installées,c'est-à-dire trois fois la croissance naturelle del'Etat juif". Les chances d'une inversion de ten-dance ou d'un démantèlement des implantationsapparaissent illusoires, soutient Le Monde.

En effet, comme le révèle l'OCHA, l'Etat juif amis en place un véritable programme d'accapara-tion des dernières terres vierges de la Cisjordanie,tronçonnée en une quinzaine de cantons desquelsil est pratiquement impossible de sortir pour les2,5 millions d'habitants non israéliens qui viventsur ce territoire. "La réalité s'oriente dans unedirection qui va rendre la vie des Palestiniensplus difficile et ne va pas leur permettre d'attein-

dre ce à quoi ils aspirent", déplore DavidShearer, directeur de l'OCHA 3. Le constat d'Amnesty International est tout aussiaccablant. Dans un rapport de 45 pages intitulé"Supporter l'occupation", l'organisation interna-tionale dénonce "les violations répétées pendantpresque quarante ans des lois internationales queles légitimes préoccupations d'Israël en matièrede sécurité ne justifient pas" 4. Pour MalcolmSmart, directeur du programme sur le Moyen-Orient d'Amnesty International, "le niveau de

désespoir, de pauvreté et d'insécurité alimentai-re dans les territoires occupés a atteint un niveaujamais atteint jusqu'à présent". "Les restrictionsimposées sont disproportionnées et discrimina-toires. Elles sont imposées aux Palestiniensparce qu'ils sont palestiniens dans le seul bénéfi-ce des colons dont la présence en Cisjordanie estillégale", souligne le rapport, pour qui "la chari-té et l'aide internationale n'absolvent pas Israël

de ses obligations". Dans son enquête, Amnesty International passeen revue toutes les atteintes aux droits de l'hom-me et le non-respect des conventions internatio-nales. La liste des interdictions permanentes fai-tes au peuple palestinien est impressionnante : lesPalestiniens de la bande de Gaza ne peuventdemeurer en Cisjordanie ; les Palestiniens n'ontpas le droit d'entrer dans Jérusalem-Est ; ceux deCisjordanie ne peuvent pas entrer dans Gaza parle point de contrôle d'Erez ; ils ne peuvent pas serendre dans la vallée du Jourdain ; ils ont l'inter-diction d'aller dans les villages, les terres, lesvilles et les alentours de la zone située entre lemur de séparation et la "ligne verte" ; ils n'ont pasle droit d'entrer dans les colonies (même si leursterres sont à l'intérieur de la zone colonisée) ; ilsn'ont pas le droit d'entrer en voiture à Naplouse ;les Palestiniens résidant à Jérusalem ne peuventpas aller en zone A (dans les villes palestiniennesde Cisjordanie) ; ceux de la bande de Gaza ontl'interdiction d'entrer en Cisjordanie par le check-point d'Allenby (frontière jordanienne) ; ils nesont pas autorisés à partir à l'étranger par l'aéro-port Ben-Gourion ; les enfants de moins de 16ans n'ont pas le droit de quitter Naplouse sans uncertificat de naissance et sans être accompagnéspar leurs parents ; les résidents de Gaza ne peu-vent pas s'installer en Cisjordanie ; les résidentsde Cisjordanie n'ont pas le droit de s'établir dansla vallée du Jourdain ; les Palestiniens ne sont pasautorisés à transporter des marchandises entre lesdifférents check-points de Cisjordanie…

LA VIE EST AINSI devenue impossible dansles Territoires. En janvier, l'OCHA comptait 75points de contrôle gardés en Cisjordanie,quelque 150 check-points mobiles, 446 obsta-cles placés entre les routes et les villages et 74km de barrières le long des routes principales. LaCisjordanie s'est transformée depuis 40 ans enun immense emmental, dont les trous innombra-bles ne peuvent laisser que difficilement espérerqu'ils soient un jour comblés. Cette situationn'est cependant pas due au hasard, loin de là. Dèsla fin de la guerre des Six-Jours, une politiqued'occupation de terres pourtant protégées par unerésolution de l'ONU5 a été mise en place par lesgouvernements israéliens -de droite comme degauche- qui se sont succédé depuis.Comme l'indique Michel Bôle-Richard, cor-respondant du Monde à Jerusalem, "les frontièresd'Israël telles que définies par les Nations unies en1947 ne sont, pour une majorité des Israéliens,qu'une partie d'Eretz Israël, le Grand Israël. Dèsjuillet 1967, Igal Allon, alors vice-premier minis-tre travailliste, conçoit un plan prévoyant la miseen place d'une "frontière sécuritaire" qui permet laconstruction de colonies dans toutes les zonesconquises. Et il étend la législation civile à tous lesnouveaux territoires. Jérusalem-Est est d'ores etdéjà annexé de facto. Le tout, au nom de la défen-se d'Israël et de la sécurité (...). Le général MoshéDayan, ministre de la Défense, met en pratique sapolitique des "faits accomplis".3 "Comme le rapporte Arieh Dayan dans le quoti-dien israélien Ha’aretz, “le 3 octobre 1967, cinqmois après la guerre des Six-Jours, le ministre duTravail fit parvenir des instructions écrites à sondépartement de la Statistique. Rédigées sur dupapier sans en-tête officiel, elles n’en représen-taient pas moins un acte politique d’importancehistorique. (...) Selon les instructions [du minist-re], “les frontières du mandat [britannique, de1922 à 1948] et les lignes d’armistice [de 1949]ne [devaient] plus être tracées sur les nouvellescartes israéliennes.” ” 6

“La réalité s’oriente dans une direction qui ne va pas leur permettre d’atteindre ce à quoi [les Palestiniens] aspirent.”

DAVID SHEARER, DIRECTEUR DE L’OCHA

C’EST CE

LE PLAN de partage onusien de 1947avait doté la ville d'un "régime

international particulier", qui demeure, en 2007, son seulstatut mondialement reconnu. Mais la guerre de 1948déboucha sur sa division entre la Jordanie et Israël,lequel installa sa capitale dans la partie occidentale avantde s'emparer, en 1967 [après sa victoire dans la guerredes Six-Jours], de la partie orientale et de l'annexer. En1980, une loi fondamentale proclama "Jérusalem entièreet réunifiée capitale éternelle d'Israël". A défaut d'éterni-té, la politique de tous les gouvernements israéliens,depuis, a consisté à préserver l'hégémonie juive sur laville et à empêcher sa division ainsi que, ce faisant, lanaissance d'un Etat palestinien avec Jérusalem-Est pourcapitale. (…) "La clé", précise M. Khalil Toufakji, direc-teur du département de cartographie de la Société desétudes arabes, conseiller de la délégation palestiniennejusqu'aux négociations de Camp David, "c'est la démo-graphie. Imposer une large majorité juive a toujours étéla priorité absolue des Israéliens. Mais les Palestiniens,de 20 % de la population en 1967, sont devenus 35 % etpourraient être majoritaires en 2030." Cette pousséerésulte du différentiel de natalité, mais aussi du départ deJuifs chassés par le chômage, la crise du logement et... leclimat intolérant créé par les religieux ultraorthodoxes.[Une évolution que l'administration israélienne tente defreiner.] M. Menahem Klein - lui aussi ex-conseiller àCamp David, mais côté israélien - ajoute : "Nous assis-tons au plus grand effort israélien depuis 1967 pourannexer Jérusalem."(…) Historiquement, le premier instrument de cet effortfut l'extension illégale des frontières municipales.Résumé d'Amos Gil, directeur de l'association Ir Amim(La Ville des peuples) : "La vieille ville ne fait que 1 km2

; avec les quartiers arabes l'entourant, elle atteignait dutemps de la Jordanie 6 km2. Israël a annexé, en 1967, 64km2 de terres cisjordaniennes - dont 28 villages - pouratteindre 70 km2. Lorsque le mur sera terminé, il cein-

dra à l'Est quelque 164 km2. En revanche, à Jérusalem-Ouest, le plan d'extension, dit Safdie, a provoqué unelevée de boucliers écologiques." (…) La colonisationconstitue le deuxième instrument de la stratégie israé-lienne. Architecte et dirigeant de l'association Bimkom,qui se bat pour le droit de tous à planifier la ville,Shmuel Groag récapitule : "Le premier anneau se com-posait de 7 grandes colonies (..) Le second en compre-nait 2 (...) Le troisième en a rajouté 9 (...) Au total, ellesregroupent la moitié des 500.000 colons que compte laCisjordanie." (…) Le tout forme un impressionnantréseau de routes à quatre voies, éclairées la nuit, au longdesquelles les arbres ont été coupés, des maisons dites"dangereuses" détruites et des murs de protection érigés.Reliant les colonies entre elles, ces "routes de contourne-ment" sont interdites à la circulation palestinienne, reje-tée sur un réseau secondaire de mauvaise qualité, peu oupas entretenu, et verrouillé par de nombreux check-points, fixes ou volants.

(…) LA JUDAÏSATION PASSE AUSSI par la remiseen cause du libre accès aux Lieux saints, pourtant princi-pe commun à tous les textes internationaux depuis letraité de Berlin (1885). "Voici des années que les musul-mans et les chrétiens de Cisjordanie n'ont plus accès àAl-Aqsa ou au Saint-Sépulcre", proteste le directeur duWaqf Adnan Al-Husseini. "Quant aux résidents deJérusalem, ils doivent avoir 45 ans pour venir y prier.Sans parler des humiliations infligées par les quelque4.000 soldats déployés lors des grandes fêtes."[Autre arme utilisée par Israël : les destructions de mai-sons.] On a beau savoir l'incroyable violence dont toutoccupant - juif, chrétien ou musulman - est capable, ladestruction au bulldozer d'une maison, sous les yeux deses habitants, est un spectacle insupportable. Que,depuis l'an 2000, la municipalité et le ministère de l'inté-rieur ont répété 529 fois - sans parler des amendesimposées aux propriétaires, 22,5 millions d'euros !

Répression très inégale : selon Betselem, l'organisationisraélienne de défense des droits humains, en 2005, les5.653 infractions constatées à l'Ouest [côté israélien] ontdonné lieu à 26 démolitions partielles ou totales, tandisque les 1.529 enregistrées à l'Est [côté palestinien] enont entraîné 76 ! (…) L'"illégalité" de 40 % des maisonsde Jérusalem-Est - 15.000 sur 40.600 - tient à ce que lamairie n'accorde qu'au compte-gouttes les permis auxPalestiniens : de 2000 à 2004, 481 sur 5.300 immeublesbâtis. (...) Discriminatoire, le budget de la ville ne l'estpas moins : Jérusalem-Est, avec 33 % de la population,ne s'en voit allouer que 8,48 %. Chaque Juif obtient enmoyenne 1 190 euros, et chaque Arabe 260.[Quant au "mur", il a lui aussi un rôle dans cette judaï-sation de Jérusalem.] "Le mur est un outil que le gou-vernement utilise pour contrôler Jérusalem et non pourassurer la sécurité des Israéliens", tranche MenahemKlein. De fait, il représente la quintessence de tous lesoutils de domination évoqués jusqu'ici. Il multiplie lasurface de Jérusalem-Est par 2,3 en dessinant une sortede trèfle qui inclut les nouvelles colonies avec leurszones de développement (…) "Chacun sait que les pro-chaines négociations partiront des "paramètres deClinton", et notamment la partition de la ville pour faireplace à deux capitales", résume Menahem Klein. "Voilàce que le mur cherche à éviter, en cassant Al-Qodscomme centre métropolitain, en la déconnectant de sonhinterland économique, social et culturel palestinien."(…) D'autres interlocuteurs relient l'escalade israélienneet l'état du processus de paix. Ainsi l'ambassadeurSanbar, selon qui les choses se sont accélérées "à partirdu moment où Jérusalem a été officiellement inscrite àl'ordre du jour de la négociation. Afin qu'à force de faitsaccomplis il ne reste rien à négocier". (...)

Ph.REKACEWICZ et D.VIDAL (Le Monde diplomatique, février 2007)

www.monde-diplomatique.fr

Jérusalem, de plus en plus juiveLa ville sainte est colonisée selon une politique ethnique, dénonce Le Monde diplomatique. Extraits.

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ligne de mire géopo

morceaux par la colonisationannexion. Cette politique du fait accompli risque de rendre impossible la création d’un Etat palestinien viable.

Si selon l’historien Gershom Gorenberg 6 “lesdirigeants travaillistes n’avaient peut-être pas deprogramme établi” de la colonisation, “les déci-sions qu’ils ont prises ont fait le système et finipar édifier ‘l’empire israélien’ dans lesTerritoires.” Ainsi, plus de quarante aggloméra-tions juives furent créées en sept ans enCisjordanie, à Gaza, sur le Golan et dans le Sinaï."C'est la réalité qui se concrétise jour après jourqui dictera les prochaines frontières définitivesd'Israël. Les points sur lesquels nous sommesdéjà implantés ne seront pas restitués auxArabes", déclare, dès mars 1973, le généralDayan. A l'époque, le gouvernement israélienachète ou confisque des terres. La loi des absents- un texte de 1950 permettant de saisir les biens

de tous les Palestiniens qui ont fui en 1948, lorsde la guerre dite d'indépendance - est utilisée àgrande échelle, selon un processus totalementarbitraire : l'armée israélienne interdit l'accès àcertaines terres pour des raisons de sécurité -lelong des routes notamment- ; ces terres sont doncinexploitées ; au bout de dix ans, l'autorité lesdéclare israélienne selon cette loi des absents, etprocède à l'installation de colonies…

"L'IMPORTANT EST DE créer une situationirréversible sur le terrain", affirme Michel Bôle-Richard. En 1977, quelque 11.000 colons sontdéjà installés dans les territoires, dans près de 80colonies. Le phénomène, caché au reste dumonde -selon Goremberg, les autorités israélien-nes faisaient croire qu’il s’agissait d’implanta-tions uniquement militaires à but sécuritaire- neva faire que croître. Dès le début des années1980, la carte de la colonisation est dessinée et leprocessus est en marche. A la veille des accordsd'Oslo, en septembre 1993, le chiffre de 100.000colons, objectif fixé par Menahem Begin audébut des années 1980, est largement dépassé enCisjordanie. "Aujourd'hui, 268.000 colons viventen Cisjordanie dans 121 implantations, qui necessent de s'agrandir au fil des mois. On dénom-bre, de plus, 102 colonies sauvages, autant depoints de fixation destinés à ancrer la populationjuive selon un maillage parfaitement maîtrisé quipermet peu à peu de prendre le contrôle total dela Cisjordanie", indique Michel Bôle-Richard.Qui poursuit : "Il suffit de voyager dans les terri-toires occupés pour se rendre compte que, collineaprès colline, la colonisation tisse implacable-ment sa toile pour quadriller toute la Cisjordanie,encerclant les villes et les villages palestiniens.(…) Il y a d'abord le sectionnement longitudinalpar les blocs de colonies : Gush Etzion au sud deJérusalem, Maalé Adoumim à l'est et Ariel aunord, puis Kedoumim dans la partie supérieurede la Cisjordanie. Ces ensembles permettent defractionner complètement le territoire, qui, enplus, est divisé -de par les implantations et leréseau de routes réservées aux colons- en unemultitude de petits cantons séparés les uns desautres, comme les taches d'une peau de léopard.Tout cela ressemble à certains bantoustans enAfrique du Sud du temps de l'apartheid. Pris dansune sorte de filet, les Palestiniens ne peuvent plussortir de ce qui apparaît de plus en plus commedes réserves."La vallée du Jourdain est interdite aux non-rési-dents palestiniens, comme la route 443 qui relie

Tel-Aviv à Jérusalem. Des souterrains sont creu-sés pour que les routes des colons et celles desArabes ne se rencontrent pas. La ville deJérusalem est petit à petit interdite aux Arabes(lire page précédente). Le "mur" également appe-lé "clôture de sécurité", qui devrait séparer lesdeux peuples sur une distance de 180 km dontseulement 5 respectant la ligne verte 7, et dont laconstruction a débuté en 2002, annexe d'ores etdéjà 10% du territoire palestinien et isole encoreun peu plus la population. "Il est impossible dedécrire par le détail une situation que beaucoupcomparent à un système de ségrégation et qui afait de la "ligne verte", la frontière d'avant la guer-re des Six-Jours, un tracé totalement bafoué parla volonté expansionniste israélienne", continue

le journaliste du Monde. "ANaplouse, par exem-ple, tous les habitants des bourgs et des villagesenvironnants doivent faire un détour de plus de20 km pour se rendre dans cette ville, alors que,avec la route directe, ils y seraient très rapide-ment." De même, les habitants de Ramallah, laville la plus importante de Cisjordanie, ne peu-vent aller ni à Naplouse, ni à Jéricho, ni à Hébron.Des familles entières ne se sont pas vues depuisplusieurs années. Une étude de l'organisation Bimkom, qui réunitdes géomètres et des architectes, a établi que250.000 Palestiniens, coincés entre la "ligneverte" et la "clôture de sécurité" étaient dans l'in-capacité de se rendre en Cisjordanie. Ceux qui lepeuvent encore doivent endurer les pires humi-liations. Voici le récit que font pour Le Mondediplomatique Ph.Rekacewicz et D.Vidal 8 d'unede ces excursions en territoire "voisin" : "De Tel-Aviv, la route principale file à peu près droit,puis, passé l'aéroport Ben-Gourion, elle com-mence à onduler en grimpant vers Jérusalem(...). Les Israéliens comme les étrangers n'ont enfait que l'embarras du choix : ils peuvent attein-dre le centre-ville par bien d'autres routes, aunord comme au sud. Pour les Palestiniens deCisjordanie, gagner la ville trois fois sainte estune autre histoire. S'ils ont franchi les check-points intérieurs, ils buteront sur le plus brutaldes obstacles jamais inventés pour contrôler etlimiter les déplacements dans les territoiresoccupés : un mur d'une dizaine de mètres de hau-teur, qui enveloppera bientôt entièrement la par-tie orientale de la cité, effaçant le paysage etinterdisant les accès traditionnels. Il coupemême net les deux grands axes historiques -Jérusalem-Amman et Jénine-Hébron. Le mons-trueux serpent ne s'interrompt plus -pour lesCisjordaniens- qu'en quatre points : Qalandiyaau nord, Shuafat au nord-est, Ras Abou Sbeitanà l'est et Gilo au sud. Encore devront-ils, pour yparvenir, se livrer à maints détours, laisser leurvoiture et traverser à pied, les véhicules palesti-niens étant strictement interdits à Jérusalem...”

“PARTOUT LES PANNEAUX sermonnent :"Entrez un par un", "Attendez patiemment votretour", "Laissez cet endroit propre", "Retirezvotre manteau", "Obéissez aux instructions".Quant aux couloirs grillagés en haut comme surles côtés, ils ressemblent aux tunnels conduisantles fauves jusqu'à la piste du cirque..." Mais enmatière de ségrégation, il y a plus infâme, rap-porte Le Monde diplomatique : à compter du 19

janvier 2007, un ordre militaire devait interdire àtout Israélien ou Palestinien "résident" detransporter un habitant non juif de Cisjordanie. Ila suscité des protestations telles que son applica-tion a été "gelée"...Ainsi "enserrées dans ce carcan, les villes pales-tiniennes meurent à petit feu, que ce soitNaplouse, Bethléem, Hébron ou Jéricho",conclut Le Monde. "Les entraves au commerce,les atteintes à la liberté d'aller et venir, les boucla-ges incessants, notamment à l'occasion de toutesles fêtes juives, étouffent et paralysent toute pos-sibilité de développement économique." Dans unrapport publié en mai, la Banque mondiale esti-me que toutes ces limitations rendent totalementimpossibles une sortie de crise pour l'économiepalestinienne et une réduction du chômage."L'analogie est souvent faite entre l'apartheidet l'occupation de la Palestine par Israël. Cen'est pas la même chose. L'occupation est bienpire", a déclaré, le 10 mai, Ronnie Kasrils,

ministre sud-africain des services de renseigne-ment. Il faut dire qu’à l’époque de l’apartheid,l’Afrique du Sud était mise au ban des nations.C’est loin d’être le cas d’Israël.

RC

1 La guerre des Six-Jours a opposé, du 5 au 10 juin1967, Israël à l'Egypte, la Syrie et la Jordanie. 2 Le désert du Sinaï avait également été occupé, avantd’être rendu à l'Egypte en 1978.3 Le Monde, 06/06/20074 http://web.amnesty.org/library/index/fram-de150332007 5 Résolution 242 du Conseil de sécurité de l'ONU6 Ha’aretz, juin 2007 (traduction : Courrier international)7 La construction d'un mur séparant Israël de laCisjordanie a débuté en 2002. Ce mur, trois fois plushaut et deux fois plus large que le mur de Berlin, s'enfonce en Cisjordanie en annexant de nombreusescolonies. La Cour internationale de justice de La Hayel’a déclaré illégal en 2004.8 Le Monde diplomatique, février 2007

“L'analogie est souvent faite entre l'apartheid et l'occupation de la Palestine par Israël. L'occupation est bien pire.”

RONNIE KASRILS, MINISTRE SUD-AFRICAIN DES SERVICES DE RENSEIGNEMENTS

Ci-dessus, MosheDayan dans les

années 1970. Général de l’armée

israélienne, il mena la guerre des

Six-Jours, et défenditla colonisation en Cisjordanie.

(photo DR)

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dossier

Bamana, Toumbou,

EN L'ESPACE d'un mois, c'esttout un pan de

l'histoire contemporaine de l'archipel qui s'en est allé.Après Saïd Mohamed Djohar en février 2006, deux vieuxbaobabs de la politique comorienne sont partis en l'espaced'un mois. Et pas n'importe lesquels : à eux deux,Bamana et Toumbou résument toutes les ambiguïtés,toute la complexité résultant du combat des Mahoraispour "Mayotte française".Le 18 mai, Saïd Toumbou s'est éteint dans son villagenatal d'Acoua. Il avait 82 ans. Personne ou presque n'en aparlé. Le 22 juin, Younoussa Bamana l'a suivi. Après unehospitalisation en mai, il a succombé à l'âge de 72 ans,dans le foyer de sa femme à Mamoudzou, loin de sondomaine "privé" d'Ouroveni. Des obsèques quasi nationa-les lui ont été réservées.L'Histoire officielle imposée par les vainqueurs du com-

bat pour "Mayotte française" voudrait que ces deux des-tins ne soient pas liés. Que ces deux hommes n'aient rienà voir ensemble. Et pourtant, à bien étudier leurs viesrespectives, à bien analyser leurs discours, force est deconstater qu'ils ont tout ou presque en commun. Certes,Toumbou gardait une rancune tenace vis-à-vis deBamana -plus encore de Marcel Henry. Lui qui avait étéà l'origine de la séparation (avec Souffou Sabili) avant decréer le parti serré-la-main en réaction à la "prise de pou-voir" de Marcel Henry au sein du Mouvement populairemahorais (MPM), était perçu comme un indépendantisteprêt à tout pour ramener l'île dans le giron comorien.Certes, Bamana n'évoquait jamais le nom de Toumbou.Lui qui avait lutté pendant 40 ans pour faire en sorte queMaore reste à jamais française symbolisait, plus que toutautre, la volonté des Mahorais d'en finir avec cette "unitécontre-nature".Mais tous deux se faisaient finalement une idée assezsimilaire de la vie, basée sur les mêmes principes -respect, travail et honnêteté- et surtout sur la même pas-sion : Maore.

LEUR DESTIN se croise avant même leur naissance : legrand-père de la future femme de Saïd Toumbou (MamaBoinali) est aussi le père de la mère de Bamana. Il débutedans les champs : Toumbou comme Bamana sont des fils

Plus que les créoles MarcelHenry et Adrien Giraud,Younoussa Bamana symbolisaitle combat des Mahorais pour“Mayotte française”. Son décès aéclipsé celui d’un de ses illustresopposants, Saïd Toumbou, quireprésentait une autre facette dudestin de Maore. Retour sur lesparcours pas si différents dedeux amoureux de leur île.

Y. Bamanaentre L. Le

Pensec etA. Giraud,

dans lesannées

1990.(photo :

Jana na Leo)

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de cultivateurs, l'un au nord, à Acoua, l'autre au sud, àKani-Be. Puis il se poursuit selon la même logique : tousdeux se sont faits seuls, à force de caractère. Le premierdans l'armée, le second à l'école. Ils se croiseront par lasuite, au fil des congrès de l'UDIM, futur MPM, et desélections. Toumbou succède à Bamana en 1962 au postede député, qui lui succèdera à son tour en 1967. C'est à cemoment-là que se joue leur destin, que l'Histoire choisitson vainqueur -provisoire. Bamana adopte le bon camp.Pour autant, leur conception de l'avenir n'est pas si diffé-rente. Pour Bamana comme pour Toumbou, l'émancipa-tion des Mahorais passe par l'école et le travail. Tous deuxpousseront leurs enfants à la réussite : les deux famillessont désormais célèbres dans l'île. "Moi, j'ai envoyé tousmes enfants à l'école, le plus tôt possible" disaitToumbou. "Quand ils étaient trop petits pour être inscrits,j'allais voir l'instituteur et je lui disais : 'écoute, il m'em-merde trop lui, prends-le'." Quant à Bamana, malgré unemploi du temps chargé et une multitude d'enfants, il asans cesse suivi leur scolarité, quitte à les faire venir enFrance lorsqu'il s'y trouvait, afin de leur offrir une éduca-tion synonyme de réussite. "J'ai 20 enfants et je les suisde près. Pas question que l'un d'eux reste en arrière sansétudes, sans travail" affirmait-il dans Jana na Leo 1. C'est que les deux hommes avaient finalement une philo-sophie assez proche. Amoureux de la terre - ils se disaient

tous deux agriculteurs-, ils avaient assimilé les valeursrépublicaines de la France et ne cessaient de les transmet-tre. Quitte à être incompris, comme lorsque Toumboutentait d'organiser son village de manière rationnelle. "Ilnous disait que l'esprit villageois n'était pas bon", affirmeson fils Boinali. Pour eux, l'oisiveté était la pire des tares.

ON POURRAIT également faire le rapprochement entreleur caractère : grandes gueules, ils disaient ce qu'ils pen-saient de manière crue parfois, n'hésitaient pas à aller aucharbon, quitte à en subir les conséquences -tous deux ontfait de la prison. Ils aimaient parler, raconter, transmettre àleurs convives qu'ils accueillaient en toute simplicité dansleur maison somme toute modeste.Surtout, les deux hommes aimaient Maore et ont luttétoute leur vie pour ce qu'ils croyaient bon pour ses habi-tants. Ainsi Toumbou n'était pas cet indépendantiste quel'Histoire pour l'heure retient. Au contraire, au crépusculede sa vie, il affirmait avoir sans cesse lutté pour la recon-naissance de Maore "Quand j'étais député", racontait-il,"je leur disais aux autres députés : 'il faut se partager lapart du gâteau'. Déjà que la France donnait peu, quandil y avait 100 francs à se partager entre les îles, nous onavait 1 franc, et les Mohéliens 1 franc." Bamana avait lamême ambition : "C'était quelqu'un qui se sentait investidu devoir de préserver la place de Mayotte dans l'ensem-

ble comorien", dit de lui M.Hassanaly, ancien député."Ses interventions à l'Assemblée portaient presque toutessur la représentation de Mayotte, l'équilibre des pou-voirs…" Ce n'est que lorsqu'ils se sont rendus compte quepersonne ne les écoutait, à Moroni, qu'ils en sont arrivés àl'idée extrême de séparation.Leur chemin s'est séparé pour de vulgaires enjeux politi-ciens qui ont opposé Marcel Henry à Souffou Sabili. PuisToumbou s'est rallié à Abdallah -quand Bamana se rap-prochait de Soilihi. Mais finalement, à la fin de leursjours, leur idée de Maore était sensiblement la même."Mayotte n'est pas en mesure de devenir départementavant 20 ans" disait l'homme d'Acoua. "Les Mahorais neconnaissent pas les inconvénients du département." PourBoinali Saïd, "il n'était pas indépendantiste. Mais il necroyait pas que la France donnerait le département."Lui-même citait Jacques Chirac pour conforter sa thèse :"Il a toujours repoussé le département parce qu'il a com-pris que ce statut n'est pas le bon." Même Ali Saïd, quilui l'est (indépendantiste) et dont Toumbou l'a aidé à créerson parti dans les années 80, doute des convictions del'ancien combattant : "Je ne sais pas vraiment. Je saisjuste qu'il a toujours lutté pour les intérêts de Mayotte".

BAMANA de son côté, s'interrogeait sur ce statut. En1999, il déclarait : "Nos attentes d'un changement doivent

incontestablement passer par une adaptation du régimelégislatif et d'une organisation administrative résultant demesures spécifiques nécessitées par notre situation parti-culière (…) 2". A la fin de ses jours, il ne cachait pas qu'ilfaudrait encore attendre. "On a du chemin à parcourir",répétait-il en octobre 2006. Avant d'ajouter : "La vraiequestion qu'il faut se poser est la suivante : quels change-ment nous apportera le département par rapport au sta-tut de Collectivité départementale actuel ? Que l'on ne setrompe pas. Le département de La Réunion fait tant rêveralors que la pauvreté qui sévit là-bas est sans pareille" 3.Qu'ils se soient trompés ou pas, les deux hommes sontrestés en accord avec eux-même. Mahorais avant tout,donc quelque part Comoriens.

RC

1 Jana na Leo (n° inconnu)2 Durant la campagne sur l’Accord sur l’avenir de Maore3 Le Mawana n°38, 12/10/2006

Bamana, un Mahorais, un vraiIL EST de coutume d'entamer la bio-

graphie d'un homme qui vientde disparaître par une anecdote ou une phrase qui,à elles seules, résumeraient ce qu'il a été. Pour cer-tains, c'est très loin qu'il faut chercher, quitte àromancer, pour en trouver une. Avec Bamana, per-sonnage entier qui ne peut laisser insensible, il y ena tellement qu'on ne sait par laquelle commencer.Un terme peut-être, est le mieux approprié. Un mot.Un seul. "Mahorais". L'un des chefs d'œuvre de l'écrivain américain TomWolfe s'intitule "Un homme. Un vrai". Difficile dene pas transposer ce titre au Mze. Car avant d'êtreun Comorien, avant d'être un Français, avant d'êtreun homme politique intègre, un footballeur pas-sionné, un bacoco à la fois ouvert et irritable, géné-reux et injurieux, un "séparatiste" méprisé ou un"héros" adulé, avant même d'être un père de famillechéri par ses enfants, Younoussa Bamana se consi-dérait comme un Mahorais ("Je suis Mahoraisavant d'être français", disait-il). Un vrai. L'un desseuls peut-être, avec Saïd Toumbou, à aimer son îleplus que lui-même… A la fin de sa vie, entre une sieste dans samodeste bicoque d'Ouroveni et une balade danssa vieille Citroën utilitaire, Bamana ne cessaitde répéter que "Mayotte française, c'est moi !C'est pas Giraud, c'est pas Henry. Ils ne traver-sent jamais eux [de Petite Terre à Grande Terre,ndlr]. Moi, je vis avec le peuple". Déjà en 1993,il affirmait être "le seul Mahorais à assurer lesréalités du pouvoir à Mayotte 1". Celui quel'Union de défense des intérêts de Mayotte(UDIM) des créoles Georges Nahouda etMarcel Henry avait été cherché en 1958 pourreprésenter les Mahorais parce qu'il était maho-rais, a bien rempli son rôle. Car qui mieux quelui est capable de personnifier le choix politique

de son île ? Qui mieux que lui est susceptible desymboliser le Mahorais ? Virulent envers lesAnjouanais : "Ce sont des roublards, desvoleurs, ils ne pensent qu'à l'argent", nous dis-ait-il en octobre 20052. Moqueur vis-à-vis desGrand-comoriens : "Quand ils ont pris leurindépendance, j'étais là-bas, je leur ai dit :'Vous viendrez mendier chez nous' 2". Mais telle-ment conscient de sa comorianité. Français cer-tes, sur le papier. Mais Comorien dans l'âme."Nous sommes quatre frères" osait-il dire."Mais doit-on habiter dans la même maison ?Les quatre frères avec leurs femmes, leursenfants doivent-ils rester dans la même maison? Non ! Moi, je choisis d'être chez moi et ensui-te je compose. Je peux inviter mes frères etsœurs un jour si le père est là pour un conseil defamille. Voilà comment je conçois les choses.Mais que les Comores réclament systématique-ment Mayotte comorienne... Là, on ne se comp-rend plus. Nous avons choisis une grandenation, la France. Nous voulons être départe-ment français pour être libre. 3" Le rejet desComoriens n'était pas celui du peuple, mais desélites. Celles qui l'ont poussé à se révolter dansles années 60 et à choisir la voie de l'assimila-tion plutôt que de l'indépendance - "on ne veutpas de votre indépendance à la con" avait-illancé aux députés comoriens en 1975."C'était mon instituteur en 1960", affirme le mili-tant indépendantiste du Front démocratiqueYoussouf Saïd 3. "Bien que politiquement, je nepartageais pas ses positions et que nous étionsadversaires, nous avions un respect réciproque.Malgré ce que disait l'homme politique, il est restéprofondément comorien." Et celui que le combatidéologique a opposé au Mze, celui qui jamais n'aaccepté l'idée que Bamana assumait -celle que les

Mahorais ont choisi la poursuite de la colonisation,de conclure : "Il va laisser un grand vide." Leshommages les plus forts sont ceux laissés par sesadversaires…

YOUNOUSSA BAMANA est né en 1935. Le 10février ou le 1er avril, on ne sait pas vraiment. AKani-Bé, ça c'est sûr. Fils parmi d'autres de cultiva-teurs modestes, il les rejoint rapidement auxchamps. Puis son père l'envoie en Petite Terre, chezsa grand-tante, "Dadi madame", qui habite le quar-tier malgachophone deSandravangue. Est-ce parce qu'il adécelé chez Younoussa un réelpotentiel intellectuel qu'il veut luipermettre d'aller à l'école - l'îlecompte alors quatre écoles primai-res de la République, dont celle dePamandzi ? Ou simplement parce qu'il ne pouvaitplus élever tous ses enfants ? En guise de piste,Martial Henry, qui l'a connu à cette époque et l'acôtoyé toute sa vie durant, affirme que dans cestemps-là, "quand on n'avait pas les moyens, onenvoyait certains des enfants se faire élever chezdes femmes de la famille qui n'en avaient pas".Rapidement cependant, Bamana démontre un réelpotentiel. "Il était très brillant" rapportent sesanciens camarades de classe, Martial et BlaiseHenry, ainsi que commandant Boina. "C'était unbon camarade. Sérieux, mais prêt à s'amuser. Onallait souvent pêcher ensemble", dit ce dernier.Brillant donc. A tel point qu'il est l'un des seuls àpouvoir tenter le concours d'entrée au prestigieuxlycée Galliéni d'Antananarivo. "A l'époque, seulsles meilleurs avaient cette chance", affirme com-mandant Boina. "Dans les quatre îles, il n'y avaitpas de collège ni de lycée. Il fallait aller àMadagascar. Et à Madagascar il y avait des éta-

blissements plus ou moins cotés. Le Galliéni for-mait l'élite". Ils sont deux Mahorais à partir en1947-48 : lui et Abdourazaq, bientôt rejoints parBlaise, Boina… et le Grand-comorien Ali Soilihi 4.Bamana et ces deux derniers formeront un trio d'a-mis quasi inséparables, affirme l'ancien combat-tant. "On a passé six ans ensemble. Il était monparrain quand je suis arrivé, car il était là depuisun an et il y avait peu de Mahorais. A l'époque, jecommettais beaucoup de bêtises ; il n'arrêtait pasde me surveiller. Il me foutait des coups de pieds au

cul et me disait sans cesse : ‘Tu vas arrêter de fairele con !’ Un jour, j'étais sur le point de frapper lesurveillant en chef. Il m'a vu depuis l'étage et acrié : ‘Ne fais pas le con !’ Il est descendu et m'afoutu une baffe…" Toujours prêt à s'occuper desautres : Ali Saïd peut en témoigner. Après l'avoircôtoyé à l'école primaire de Pamandzi, il le revoitpour la deuxième fois en 1958 à Moroni. Bamanaalors instituteur vient passer son brevet élémentai-re, un diplôme qu'il n'a pas et dont il a besoin pourenseigner en CM2. Ali Saïd est lui en 3ème. "A l'é-preuve orale de chimie, je suis passé juste aprèslui", raconte-t-il. "On s'est un peu parlé ; il a su quej'étais mahorais. Quand il partait, il a vu que je fai-sais une erreur. Devant le professeur, un mzungu, ilm'a dit en shimaore : ‘T'as oublié une équationdans ta réaction’. Il a pris le risque de se fairepénaliser pour m'aider !"Retour au lycée Galliéni. Le jeuneYounoussa est studieux. "Il disait que si on

dossier

deux destins...

“C’était un bon camarade, sérieux mais prêt à s’amuser. On allait souvent pêcher ensemble.”

COMMANDANT BOINA

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dossier bamana-toumbou, deux destins

veut réussir, ça doit passer par le travail"."Il était brillant, surtout en français", sesouvient Martial. "Lorsque plus tard, on

lui écrivait ses discours en tant qu'élu, il commen-çait à les lire, puis il improvisait. Et c'était plusremarquable que le texte écrit." Intelligent, tra-vailleur, Bamana n'en reste pas moins un boncamarade. "Il était ami avec tout le monde", se sou-vient Blaise Henry. "Avec Soilihi, on formait un trioinséparable. On discutait beaucoup ensemble",

affirme Boina. De sport, d'avenir, d'ambitions.Mais peu de politique. "C'était avant tout un amou-reux du football", dit Martial, avec qui il a joué desannées durant. "On n'était pas des révolutionnai-res", assure Boina. "Même Ali Soilihi. Je pense quela révolution comorienne est surtout née au lycéede Moroni. Nous à Madagascar, nous étions trèsfrancophiles : on nous payait des études, on n'allaittout de même pas cracher dans la soupe." Ainsi,"les événements de Madagascar en 1947, la volon-té d'indépendance des Malgaches, nous en parlionspeu, car on était bien surveillés à Galliéni. On sor-tait une fois par semaine, et encore c'était sous sur-veillance. La promenade dominicale, on appelaitça." Pour Bamana comme pour Soilihi à l'époque,l'enjeu est avant tout humain : "On se fichait desavoir s'il nous fallait l'indépendance. Mais on pen-sait qu'il faudrait bien qu'on arrive à se prendre encharge un jour. Bamana se disait qu'il faudrait quedemain, nous soyions capables de conduire le paysnous-mêmes." Cette philosophie, jamais le Mze nel'a perdue de vue. Même lorsqu'il cautionnait lapoursuite de la colonisation, il a toujours affirméqu'il était du devoir des Mahorais de se prendre encharge. Tout au long de sa vie, il n'aura eu de cesse

de pousser ses concitoyens à poursuivre leurs étu-des. "C'est lui qui m'a mis le pied aux fesses pourque je passe mes diplômes", indique Ali Saïd. "Ilme disait : 'Vous les gens de la brousse, vous ne fai-tes rien pour réussir !'"

MAIS DÉJÀ À L'ÉPOQUE, il ressent un malaisequant aux inégalités insulaires. S'il reconnaît queles dirigeants comoriens de l'époque les gâtaient,eux leurs futurs successeurs -"Saïd Ibrahim et Saïd

Mohamed Cheick venaient souventnous voir et nous aidaient beaucoup,quand il y avait besoin ils nous prê-taient de l'argent, ils nous amenaientau cinéma aussi" se souvient Boina-,Bamana est choqué par les avantagesdont bénéficient selon lui les Grand-

comoriens et les Anjouanais. "Ils avaient tout",affirmait-il au crépuscule de sa vie. "On était deuxMahorais, il y avait un Mohélien, et le reste, c'é-taient des Anjouanais et des Grand-comoriens. Il yavait des quotas. Déjà, j'avais alors 16 ans, je mesuis dit que ce n'était pas normal."Lorsqu'il rentre au pays en 1956, il s'engage dansl'enseignement. Un peu par défaut : "Il voulait tra-vailler et instit', ça payait bien. Moi-même quiétait enseignant à Domoni, je l'ai poussé à s'enga-ger dans cette voie", dit Blaise Henry. Beaucouppar passion : "Il a toujours aimé s'occuper des jeu-nes. Pour lui, l'enseignement était essentiel. Ilnous disait toujours : ‘Si vous voulez faire quelquechose de votre vie, cela passe par l'école’" se sou-vient un de ses fils 5.Bamana est affecté à Ndzuani. A Moya la premiè-re année. "C'était très difficile pour lui car il étaitloin de tout", dit Blaise. "Heureusement, tous lesweek-ends il venait chez moi à Domoni, soit à piedsoit avec le camion de la société coloniale Ajao. Ondiscutait, on mangeait. L'année suivante il a étéaffecté à Mremani [dans le Nyumakele]". De cetteépoque, Bamana gardait un souvenir aiguisé. Lecontact avec les Anjouanais a façonné sa concep-

tion de l'archipel : "Les Anjouanais sont partout",disait-il souvent, "en Grande-Comore, à Mohéli, àMayotte, mais avez-vous vu des étrangers àAnjouan vous ? Non. Pas un seul !" Il affirmaitaussi avoir été marqué par la "démographie galo-pante" dans l'île. "Je voyais des banga sortir tousles jours comme des souris. Je leur disais : 'Qu'estce que vous faites ? Anjouan ne va pas s'étendre !'Ils me répondaient que c'est le Coran qui dit qu'ilfaut faire des enfants. Je leur disais : 'Mais leCoran n'a jamais dit ça !' Aujourd'hui, ils sont tropnombreux, et ils viennent chez nous".

IL RÉPÉTAIT À L'ENVI que les Anjouanaisétaient "des voleurs", que les notables anjouanaisavaient colonisé Maore. "Il y a plein de Malgachesqui rentrent ici irrégulièrement. Pourquoi on sefocalise sur les Anjouanais et pas les Malgaches ?"questionnait-il en 2005, avant de répondre :"L'histoire… A Mayotte, il y a eu deux sortes decolons, ceux de la Réunion, les blancs commeAvice, Henry… et ceux d'Anjouan : AhmedAbdallah, qui possédait Mirereni, MohamedAhmed, qui possédait Longoni, Ahmed Abdou, quipossédait Kaweni… La liste est longue… Mayottea été colonisée par deux peuples." De tels proposont été assimilés à du racisme. Pourtant, Bamana

s'en est toujours défendu. "J'aime les Anjouanaiscomme j'aime les Mahorais", disait-il, lui dont lapremière femme fut une Anjouanaise. Lui quivivait très mal les innombrables disparitions dans lebras de mer qui sépare son île de Ndzuani. "Maisnous avons deux conceptions différentes de la vie.Alors vivons-les chacun chez nous", pensait-il.C'est aussi à Ndzuani que s'est développé son sen-

timent d'injustice né au lycée. "Quand je voyaiscomment se passaient les élections, je me disais quece n'était pas possible, qu'il fallait que cela cesse.""En tant qu'instituteurs, on travaillait dans lesbureaux les jours d'élection", confirme BlaiseHenry. "Les notables des villages se présentaientalors et disaient qu'ils votaient pour l'ensemble duvillage, ou de la famille. On se disait que ce n'étaitpas normal."En 1958, Marcel Henry lui propose de devenirconseiller général de l'Assemblée territoriale."C'était un des Mahorais les plus brillants. D'autrepart, son niveau d'étude, le Bac, était rarissime àMayotte", dit Blaise Henry. Et Marcel le créoleavait besoin de Mahorais natifs. De son côté,Bamana voulait rentrer chez lui… et était curieux."On était des sportifs. La politique, c'était pas notretruc. Mais il s'est dit : 'je vais aller voir'" rapporteBlaise. Qui poursuit : "Et puis il se disait : 'si c'estpour le bien de Mayotte ça vaut la peine'. Il aimaitprofondément son île."D'abord affecté à Bandrele, puis à Sada où ildevient directeur d'école, Bamana se fait un nom.Non pas pour son action politique -il est encoreassez effacé-, mais pour ses qualités d'enseignants."Il a été le premier Comorien à posséder le certifi-cat d'aptitude pédagogique, qui était un diplôme

métropolitain", rappelle Martial Henry. "C'était unexcellent pédagogue", renchérit Ali Saïd. "C'était lemeilleur enseignant des Comores. Il avait la capa-cité de motiver les jeunes sans les blesser. A l'é-poque c'était quelqu'un de posé."Posé, mais déjà fort en gueule. Lorsqu'un inspec-teur pédagogique entre dans sa salle de classe sansfrapper, à une époque où le simple fait de croiser unmzungu oblige aux courbettes, il l'envoie balader."Ressortez de cette salle et frappez si vous souhai-tez y entrer !", lui lance-t-il. "Il est parti très en colè-re", s'amusait-il à se remémorer, avant de lâcher :"Mais il est revenu et au final a fait un très bon rap-port sur moi. Il m'a dit que j'étais le meilleur ensei-gnant de l'île !" Tout Bamana pourrait se résumerdans cette anecdote : capable d'envoyer boulern'importe qui, mais finalement de se réconcilier, dese faire accepter, puis apprécier. Une autre anecdo-te : "Une fois, une mzungu qui était enseignanteest venue me voir chez moi. Elle m'a dit qu'on étaittrop durs avec les Anjouanais. Je lui ai dit : 'Si tupenses ça, sors de chez moi tout de suite, petiteconne !' Elle est partie en colère. Mais elle estrevenue. On a bien discuté."Toute sa vie, Bamana sera resté un enseignant."Qui n'a pas souvenir du pédagogue sur le per-choir de la présidence du Conseil général distillantquelques cours magistraux improvisés auxconseillers généraux et autres cadres mahoraisprésents dans l'hémicycle, afin de les préparer àune autonomie de gestion future ?", rappelaitaprès sa mort RFO 3.

LE DÉBUT de la décennie 1960 est d'ailleurs mar-qué par son engagement dans l'enseignement plusque dans la politique. Alors qu'il n'est pas réélu en1962, battu par la liste de Souffou Sabili et SaïdToumbou, il continue à se battre pour que lesparents envoient leurs enfants à l'école. "A Sada, lesparents étaient réticents. Mais il s'était marié avecune femme du village. Il s'est intégré à la commu-nauté et il entrait dans les familles pour les enjoin-dre de scolariser leurs enfants, les filles comme lesgarçons. Il leur disait : 'L'avenir de Mayotte, c'esteux'. Il leur expliquait que l'école française n'étaitpas incompatible avec la religion. Il leur citait desversets du Coran pour argumenter" se souvientBlaise Henry. Enseignant exemplaire -"pendant lesvacances il donnait des cours de rattrapage gra-tuits"- avec des résultats reconnus même à Moroni,devenu un second père pour ses élèves -"le soir,vers 21 h, 22 h, il faisait un tour dans le village etquand il voyait ses élèves, il les grondait pourqu'ils aillent se coucher"-, Bamana devient délèb-re.Il n'a toutefois pas perdu de vue la politique. Lapénurie de riz, les " humiliations " et finalement les

...

CETTE JOURNÉE, IL L'AVAIT VUE VENIRDEPUIS BIEN LONGTEMPS, YounoussaBamana. "Tout le monde l'aurait anticipée. Mêmevous, vous auriez pu le deviner. Dès les années60. On savait que tous les pays africains bou-geaient. Dans la région, tous ont pris leur indé-pendance. Et puis à Moroni, ils avaient une autreperception qu'à Mayotte. Les Grands-comoriensétaient plus influencés par l'Afrique, par laTanzanie, d'où est venu le Molinaco [Mouvementde libération nationale des Comores, ndlr]. Ilsn'arrivaient pas non plus à se faire aux colons.Nous, nous étions habitués à eux depuis pluslongtemps à Mayotte. Mais moi, je savais que c'é-tait trop tôt. On était 200 dans l'archipel à savoirlire ! Je leur ai dit dès le début : ‘Je ne veux pasde votre indépendance à la con !’"Depuis sa paisible retraite dans les hauts deMaore, entre Combani et Kahani, où il soigne sesfleurs et ses canards, le "Vieux", comme on l'ap-pelle affectueusement dans l'île rebelle, n'a aucunmal à se souvenir de cette journée historique.Nous sommes le 6 juillet 1975 au matin.Bamana, comme les quatre autres députés deMaore -il l'est depuis 1958-, est invité à se rendreà la Chambre des députés du Territoire encorefrançais des Comores, à Moroni. "Nous savionsque c'était pour proclamer l'indépendance.Ahmed Abdallah voulait être le père de l'indé-

pendance, il a paniqué, et a décidé que ce seraitce jour-là. Il avait peur des jeunes, surtout lesGrand-comoriens, qu'ils ne le devancent", dit-il,avant de rejouer la scène : "On entre dans lasalle difficilement car il y a foule. On était 5 àêtre contre, les 5 de Mayotte. Les Mohéliensavaient deux députés, mais ils étaient muselés. Jeme souviens d'un jour, j'avais demandé la paroleau président. Puis 5 minutes après, je l'avais ànouveau demandée. Mon voisin, un des deuxMohéliens, m'avait dit : ‘Tu es bavard toi.’ Jem'étais retourné et j'avais dit : ‘Celui-là est biencon. Il est élu par les Mohéliens pour bavarder etil se tait.’Tout le monde avait ri…"Ce 6 juillet donc, les Mahorais sont seuls face à 26autres députés, et une foule immense. "On n'en-tendait rien. Les gens se bousculaient pour entrerdans la salle pour entendre. On étouffait à l'inté-rieur. Chacun des députés devait se prononcerpour ou contre l'indépendance. Moi j'ai dit ‘Con…tre’. J'ai bien fait exprès d'appuyer sur le ‘Con’.Puis on est sortis sous les huées de la foule.Marcel Henry [le leader du Mouvement populairemahorais, ndlr] avait peur [dit-il en souriant, ndlr],tous avaient peur. Pas moi. On était escortés parun commissaire de police armé de deux pistolets.Je me suis dit : ‘Et s'il se retournait ? Et s'il tiraitsur nous ? Vont-ils nous achever ?’J'ai bien cruque le moment de mourir était venu. Mais je n'a-

vais pas peur. On était hués, mais on n'a pas étémolestés. On n'entendait plus rien tellement çachahutait. Il y avait vraiment beaucoup de monde.Arrivés au bout de la place, j'ai dit aux autres :‘Prenez la voiture, moi je rentre chez moi." Je dor-mais chez mon beau-frère qui habitait Moroni, pasloin de la place. Je suis rentré à pieds, sans pro-blème. Quand je suis arrivé, il était dehors, il m'adit : ‘Tu es fou.’Je lui ai répondu : ‘Tu sais, je suisdéjà mort.’"

AU LOIN, SE SOUVIENT-IL, les "colonialistes"s'enfuyaient déjà en bateaux. "Ils n'ont pas attendulongtemps.Tout le monde avait la frousse. Moi, jesuis resté plusieurs jours à Moroni. On m'a traitéde colonialiste noir. Mais je leur disais : ‘Vousverrez, dans vingt ans, vous viendrez mendier chezmoi.’Et j'avais raison." Le soir du 6 juillet,Younoussa Bamana retrouve des Mahorais quivivaient alors à Moroni. "C'étaient des lycéenset des bijoutiers. Beaucoup de bijoutiers deSada y travaillaient à l'époque. On entendklaxonner. Je me retourne. C'était Mouzawardans la voiture. Il me fait signe de venir. Et là ilme dit : ‘Félicitation frère. Quel courage !’"Quelques semaines plus tard, le jadis plus jeunedéputé des Comores sera nommé par la populationde son île préfet de "Mayotte française".

RC

6 juillet 1975 : Bamana dit “non”A R C H I V E S

En juillet 2006, Younoussa Bamana nous racontait la journée de la proclamation de l’indépendance à Moroni. Nous publions à nouveau cet article paru dans le numéro 46.

“Avec Soilihi, on formait un trio inséparable. On n’était pas des révolutionnaires. Nous étions très francophiles.”

COMMANDANT BOINA

“Je voyais des banga sortir tous les jours comme des souris. Je leurdisais : 'Qu'est ce que vous faites ? Anjouan ne va pas s'étendre !'”

YOUNOUSSA BAMANA

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bamana-toumbou, deux destins dossier

conséquences du transfert de la capitale deDzaoudzi vers Moroni achèvent de le convaincreque la séparation est la solution. "Les hommes ontcommencé à être envoyés à Moroni après le chan-gement de capitale. A Pamandzi, il y avait beau-coup de boys qui devaient suivre leur patron.Beaucoup de fonctionnaires mahorais ont dû par-tir aussi. Du coup, Petite Terre s'est vidée de seshommes. Les femmes se sont retrouvées seules ;elles étaient prises à la gorge, c'était le marasmeéconomique. Je me souviens du cas d'OmarBastoi, qui avait été envoyé à Moroni, et de safemme, Kamaria, qui était sage-femme àMamoudzou et avait été envoyée à Mohéli.Pendant un an, ils n'avaient pas eu le droit de sevoir. Il n'y avait pas à manger et quand j'ai com-mencé à dire ce que je pensais, on m'a supprimémon salaire", expliquait-il. "Mais j'ai continué àenseigner. La nuit, pour manger, je partais pêcher.Le matin je vendais le poisson puis j'allais à l'éco-le. Il n'étais pas question que je me taise."

IL S'ENGAGE PLUS encore dans le Mouvementpopulaire mahorais. Après le siège de l'ORTF etl'emprisonnement de Sabili et Toumbou en 1967,Marcel Henry reprend les rênes du mouvement àla demande de Zena Mdere et avec l'accord deSabili. Il s'évertuera alors à décrédibiliser le clan deson prédécesseur en les faisant passer pour des col-laborateurs du pouvoir central. YounoussaBamana ne participe pas vraiment à ces jeux poli-ticiens qu'affectionnent Henry et Giraud. Lui seperçoit avant tout comme un combattant, à l'imagedes chatouilleuses. "En 1958" disait-il sur RFO ily a 10 ans3, “on ne disait pas MPM, mais "Sorada"pour ceux qui militaient pour Mayotte française et"Serré-la-main" pour ceux qui étaient pro-como-riens. On est partis de cette façon-là. Jusqu'aux

jours où les indépendantistes se sont appuyés surle gouvernement comorien commençant à brimerles Mahorais... Les autres "Soroda" se sont formésen bloc monolithique. Ce n'est pas un parti poli-tique au départ. C'est un mouvement de foule depersonnes qui se sont mises ensemble."Réélu en 1967 député aux côtés de Marcel,Zoubert Adinani et Abdallah Houmadi, "il étaitassez discret aux côtés de Marcel", affirme AliSaïd, ancien suppléant de Henry avant de passerdans le camp adverse. "Je crois qu'il sentait queMarcel menait assez bien la barque, qu'il se perce-vait comme étant son second à l'époque." Mais sontempérament le met en avant. Il veut se battre pourson île, et pour cela emploie ses armes : la parole,la provocation, la franchise. "Il n'était pas provo-cateur. Il disait simplement ce qu'il pensait, spon-tanément", confesse Martial Henry. A Moroni, ilne cesse de faire remarquer aux élus des autres îlesleurs défauts. Perçu comme un merdeux, il se liecependant d'amitié avec certains élus commeMouzawar Abdallah ou Abasse Djoussouf, aveclesquels il gardera contact jusqu'à sa retraite (lireci-dessous). "C'était un tribun. Il avait un discourstrès saisissant, cohérent dans sa structure, quireflétait une intimité réelle avec ce qu'il pensait aufond de lui", pense le premier. "Son discours étaittrès terre à terre, souvent cru - c'était un homme duterroir. Ce n'était pas un homme attiré par l'exécu-tif, pas un homme d'appareil, mais un leader. Il nerêvait pas d'intégrer un ministère ou d'être undirecteur. Son discours était uniquement focalisésur la responsabilité des îles." "C'était un hommetrès simple, très modeste, affable, très sociable,mais qui avait son franc parler, qui ne cachait passes pensées. Il s'exprimait assez souvent àl'Assemblée. Moi, j'étais tout jeune, à peine 25 ans.Lui, en 1967, était déjà un élu qui maîtrisait son

sujet" dit de lui Ali Mlahaïli, un autre député.A la fin des années 60, il est l'un des quatre presta-taires du serment de Sada, dans lequel ils jurenttoujours lutter pour la départementalisation deMaore. Ali Saïd se souvient : "Je devais moi aussimonter sur la chaire et jurer de soutenir l'actiondes Mahorais, mais j'ai refusé car j'ai dit : "Enpolitique on ment, or je ne peux pas jurer sur leCoran. C'est sacré." Lui est monté." Et il a tenubon. Peut-être n'était-il plus un départementaliste siconvaincu à la fin de ses jours (lire p.40), maisjamais il n'a renié ouvertement son ser-ment. Selon lui, l'intérêt de Maore primaitavant toute considération personnelle.Ainsi ses relations avec Marcel Henry ouAdrien Giraud ne seront pas toujours cor-diales, mais "on réglait nos différendsdans la discrétion6". "C'était un homme dedevoir", dit de lui Martial Henry. "Il avait un senstrès développé de l'intérêt général. En 16 ans device-présidence du Conseil général à ses côtés,jamais je ne l'ai vu hésité quand il s'agissait de l'in-térêt de Mayotte, jamais je ne l'ai vu prendre desdessous de table. Et Dieu sait qu'il a eu des propo-sitions !"

MAIS AUPARAVANT, il se sera battu, au proprecomme au figuré, pour ne pas suivre les autres îles.Lorsque vient le temps de l'indépendance, Bamanase révèle. Dans l'ombre jusqu'à présent de MarcelHenry et Zena Mdere, il va au charbon. Il agace lesautorités centrales. En 1969, il est poursuivi pourinsulte à agent de la force publique -il sera relaxé.Puis il est suspendu de son titre de directeur d'éco-le. Dans chaque village où passe Ahmed Abdallahen 1973, il va faire sa propagande, provoquant enjuillet les troubles de Poroani qui lui vaudront d'ê-tre emprisonné 40 jours -19 autres soroda seront

inculpés (lire p.46). Il passe alors pour un martyr.La manifestation silencieuse du 19 août 1973 cont-re son arrestation le propulse à la tête du mouve-ment, dont il sera désormais la figure -tandis queGiraud et Henry joueront les négociateurs de l'om-bre à Paris. Le jour de la proclamation d'indépen-dance, le 6 juillet 1975, Bamana se fait encoreremarquer en lançant à la face des députés et dupublic venu nombreux : "Nous ne voulons pas devotre indépendance à la con !" (lire ci-contre). "Al'époque, nous avions 200 personnes dans l'archi-

pel qui savaient lire", nous disait-il l'année derniè-re. "Je leur ai dit : 'Attendez. Laissez faire vosenfants. C'est eux qui feront ça. Ce n'est pas ànous. Nous ne sommes pas prêts.' On les [lesenfants, ndlr] envoyait déjà au collège, àDzaoudzi, à Moroni, à Madagascar. Mais non. Ilsont voulu leur indépendance. Tout le monde savaitque c'était trop tôt. Je me souviens qu'à l'époque,quand j'étais député, en trois mois, un jeune étu-diant de retour à Moroni était devenu administra-teur de l'assemblée. C'était le neveu de SaidMohamed Cheick. Je l'appelais 'mon cher admi-nistré accéléré'."Lorsque Maore se sépare des autres îles, quand lesfonctionnaires comoriens et les partisans serré-la-main se font expulser, quand Adrien Giraud etpapa Joe jouent les miliciens, Bamana ne perd paspour autant de vue ses amis. Ali Saïd serappellera toujours de ce jour où "il m'afait envoyer une note pour me dire de ...

“Laissez faire vos enfants. C’est eux qui feront ça. Ce n’est pas à nous. Nous ne sommes pas prêts.”

YOUNOUSSA BAMANA, EN 1975 À L’ASSEMBLÉE TERRITORIALE

Ci-dessus : Y. Bamana aux côtés de Martial Henry, lors de la visite de L. Le Pensec, alors ministre français de l’Outremer. (photo : Jana na Leo)

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prendre l'avion le lendemain. 'Sinon vousallez vous faire expulser' avait-il écrit. Ilm'avait dit plus tard qu'il ne voulait pas

que je sois blessé. Il n'a jamais tenu compte de mespositions politiques."De même, lorsque son ancien camarade Ali Soilihi,après son coup d'Etat en août 75, lui demande de lerecevoir à Maore, il accepte. "Il est venu. On a dis-cuté. Du passé, du présent. Puis il est reparti", dis-ait-il simplement en montrant fièrement la photoqui éternise ce moment. Commandant Boina étaitlà : "Leur rencontre fut très amicale. Soilihi aessayé de le convaincre. Mais Bamana ne parlaitpas beaucoup. Il n'était ni agressif ni arrogant. Ildisait simplement : 'Jai prêté serment à Sada. Si lesautres ne sont pas d'accord, alors moi non plus.' Ilne voulait pas prendre seul la décision."

APRÈS CETTE RENCONTRE, lorsque Boinareverra Bamana à Paris, celui-ci aura pris dugalon : "élu" préfet de l'île jusqu'en 1976 -"un tra-vail harassant pour lequel je n'étais pas formé" pré-cisa-t-il en 1978-, puis président du conseil généralle 6 juillet 1977, il est alors député. "On se voyaitsouvent à Paris. Il avait amené ses enfants pourqu'ils étudient. C'était important pour lui. Uneanecdote me revient, qui prouve à quel point l'ami-tié était importante pour lui. C'était la veille de lamort de Soilihi. Je lui avais dit que je m'inquiétaispour lui, sans en savoir plus. Le lendemain, quandil a appris sa mort, il m'a appelé et m'a traité desalaud. 'Tu savais qu'ils le tueraient et tu n'as riendit !' Il était très choqué par sa disparition. Il s'estoccupé de son fils après." A cette époque, "on par-lait souvent politique. Il croyait fermement à

Mayotte française. Mais s'il avait été seul, s'il n'yavait pas eu le serment, peut-être aurait-il réfléchi."Les premières années de sa présidence marquent lasuite de la lutte pour l'intégration de Maore dans laRépublique française. "Rien n'était gagné" rappe-lait-il souvent. Ainsi n'hésite-t-il pas à dénoncer lesdéficits financiers et le peu d'ambition de Parisenvers Maore. Combien de préfets ne se sont paslaissé dire par le Mze, au cours des sessions : "Jesuis obligé d'insister sur ce qu'on ne trouve pasdans l'ordre du jour de cette session" comme enjanvier 1979 ? Combien n'ont pas en tête ces motstrès durs tenus dans l'hémicycle en 1980 : "Je vaisvous dire très sincèrement, monsieur le Préfet, nonseulement ce texte est stupide mais il est aussi mal-veillant à l'égard de Mayotte dont on veut compro-mettre les équilibres" ? Combien se sont arrêtés surce discours tenu en 1980 : "Il y a presque deux ans,vous nous disiez M. le Préfet, de votre bureau pari-sien, qu'un train complet d'ordonnances était sur lepoint de paraître ; question de jours et de semainesdisiez-vous. Après avoir pensé au fil des mois quece train prévu comme un rapide était en fait unomnibus, nous avons dû reconnaître, deux ansaprès, qu'il s'agissait d'un train fantôme" ?Bamana n'hésitait pas à vilipender les fonctionnai-res qu'il croyait favorables à un retour au sein desComores, "ces personnes qui croient servir laFrance en desservant l'idée que les Mahorais s'enfont". Il ne flanchait pas quand il s'agissait de s'op-poser à un ministre, comme en 1978 à l'Assembléenationale : "Nous avons noté -avec un peu d'éton-nement, je dois le dire- les propos tenus au conseilgénéral de St Pierre et Miquelon par M. Digard[alors ministre de l'Outremer, ndlr] qui disait : 'Vous

n'avez rien à exiger. Vous n'avez qu'à prendre lamain qu'on vous tend lorsqu'on vous la tend. Il fautque ce soit clair'. Pour les Mahorais en tout cas, lachose est claire : nous ne nous placerons pas ensituation telle qu'on puisse nous dire la mêmechose. Je le répète, les Mahorais n'exigent rien. Ilsn'ont pas choisi de rester français pour être riches,ils ont voulu la liberté et la sécurité (…)"Mais personne n'est à l'abri, surtout en politique. Et

même chez soi. Malgré ces années de lutte et degestion sans tâche affairiste, Bamana perd les élec-tions cantonales en 1991 face à un inconnu,Zaïnadini Daroussi. "L'onde de choc" titre leJournal de Mayotte. L'île perd son père. Mais leMPM réagit. "On ne pouvait pas continuer sanslui", se souvient Martial Henry. "On m'a proposé laprésidence, mais j'ai dit que je ne pouvais pas. Onformait une paire. Lui était l'homme de parole, moil'homme des dossiers. Il disait : 'C'est comme ça,c'est l'usure du pouvoir.' Il acceptait le verdict desurnes. Pas nous." Alors le parti départementalistefait démissionner l'un des siens, l'élu de Chiconi,pour permettre à Bamana de se faire réélire. Il lesera, après un imbroglio juridique, et retrouvera sonposte. Mais l'image du Mze est ébranlée. Le RPRose s'y attaquer. Son chef de fil MansourKamardine déclare alors : "Bamana n'a jamais étéun martyr, un héros, une 'figure historique'. Il a été

un agitateur, il a fait en sorte que des clans se bat-tent à Poroani il y a 20 ans, c'est pourquoi il est alléquelques temps en prison !" Pas rancunier pourdeux sous, le même Bamana soutiendra le mêmeKamardine en 2002…Cette première blessure en appellera d'autres. Alorsqu'il met un point d’honneur à gérer "son" île enbon paysan, par petites touches, comme il avait faità Mremani en 57 quand il avait encouragé les habi-

tants à planter du riz de montagne -"ça avait mar-ché, il en était fier", dit Blaise-, Bamana ne s'entendplus avec Henry. En 1999, les deux hommes sefâchent, en désaccord quant au statut à adopter. Lepremier est pour une collectivité départementale,sentant qu'il est trop tôt pour appliquer les règlesd'un département ; le second prône ce statut tout desuite. Cette guerre fratricide laissera des marques.Si Bamana en sort vainqueur et renverse la tendan-ce qui l'avait vu décliner depuis une dizaine d'an-nées, il en sera considérablement marqué. "C'estune grande blessure dans sa vie", confirme le com-mandant Boina. "Il a été très déçu par cette ruptu-re. Très déçu aussi par sa défaite aux sénatorialesen 2004." Lui qui avait abandonné son mandat deconseiller général quelques mois auparavant, lais-sant la décentralisation aux mains de la nouvellegénération, pensait rendre une dernière fois serviceà son île en devenant sénateur. "Mais il a été battu.J'étais à ses côtés ce jour-là. Au début il gagnait.Puis au fil des résultats qui tombaient, il a comprisqu'il allait perdre. Ça l'a bouleversé."

DEPUIS, BAMANA s'était retiré dans son exploi-tation d'Ouroveni. Amoureux de la nature, il disaitêtre en paix dans ce petit paradis. "J'ai assez donné.Je ne peux plus rien donner aujourd'hui", affirmait-il, tout en continuant de recevoir les jeunes pourleur raconter l'histoire de Maore. Seul, il vivait loinde ses quatre femmes. Au crépuscule de sa vie, ilconservait cette faculté à captiver les attentions, parson regard acéré, son sourire coquin, ses parolescrues -parfois blessantes.Les personnes qui l'ont visité se sont étonnées de lamodestie de sa situation : vieux tee-shirts, shortsdélavés, voiture passée de mode, maison de troispièces. "Il n'a jamais été attiré par l'argent" dit unde ses fils. Paradoxalement, lui qui croyait durcomme fer que le bonheur passait par l'aisancematérielle était un idéaliste. Il croyait en certainesvaleurs telles que l'éducation, le travail, l'honnêteté.Lui que l'on présentait comme bourru et simpleétait un homme d'ouverture. "Il lisait beaucoup" ditNassur Attoumani, son beau-fils. Lui que certainspensaient xénophobe ne l’était “absolument pas”,assure Martial.L'homme dont tout le monde loue la fidélité, l'hon-nêteté, l'humour et l'intelligence s'en est allé aigri.Miné par la maladie provoquée par une consom-mation d'alcool démesurée ; déçu par ses succes-seurs en politique, ces "jeunes qui ne pensent qu'aupouvoir" ; dépité par l'évolution d'une société qu'ilaurait aimé plus studieuse, plus consciente ; désap-pointé par l'isolement de Maore dans la région ("onne peut pas vivre seul, on ne peut pas vivre dans l'o-céan Indien, éloigné de Madagascar, éloigné desComores ou de l'Afrique" disait-il sur RFO) ;contrarié par le peu de reconnaissance à son égard.Il avait fini par en vouloir à Henry et à Giraud, delui avoir volé la vedette alors qu'il savait que "sans[lui], ils n'auraient jamais réussi." Peut-être mêmes'en voulait-il, même s'il ne l'a jamais avoué, d'avoirlaissé les autres îles dans cette situation."Aujourd'hui, ils viennent tous à Mayotte. Avant ici,il y avait les riches Anjouanais, qui s'accaparaientnos terres. Aujourd'hui, ce sont les gens de peu quiviennent, poussés par la misère. Ils réclament cequ'ils n'ont pas voulu avant-hier. Ils viennent ici etréclament les lois de la République !" regrettait-il.Younoussa Bamana est mort le 22 juin au matin.Il disait : "Ici à Mayotte, les gens disent queMonsieur Bamana est l'homme qui dit vrai. Jedis toujours vrai !"

RÉMI CARAYOL

dossier bamana-toumbou, deux destins

"Il n'avait pas insulté l'avenir." En dépit dece qui les a séparés et des prises de position radica-les de Younoussa Bamana à l'endroit des Comoresindépendantes, les hommes qui ont siégé avec luià l'Assemblée territoriale, sous l'autonomie interne,ne veulent se souvenir que de cet homme franc,ce "pionnier de la politique aux Comores", qui n'aselon eux jamais renié son identité. S'il n'est pasretourné à Moroni après l'indépendance, ses rela-tions avec ses anciens collègues restaient cordiales -souvent par enfants ou connaissances interposés. "Ilsavait que nous avions de la considération pourlui, et vice-versa", assure Ali Mlahaïli, ancien dépu-té et ambassadeur des Comores. "Si des amisdéputés allaient là-bas, il les recevait dans sonchamp, puisque c'était un homme du terroir. Biensûr, il avait ses convictions sur Mayotte française etdes déclarations intempestives, mais je pense quec'était surtout électoraliste. Au fond, il faisait trèsbien la part des choses."Comment en serait-il autrement, quand la vieille

classe politique comorienne a été élevée à lamême école et a partagé tant de moments, inter-roge Mouzawar Abdallah. L'actuel président de laCour constitutionnelle, qui a fait le déplacementavec son collègue Hassanali pour présenter sescondoléances à la famille, insiste sur le "concoursde circonstances, la succession d'incidents qui ontamené tout le monde à se radicaliser et Mayotteà se séparer des Comores". "C'était quelqu'un quise sentait investi du devoir de préserver la placede Mayotte dans l'ensemble comorien. Ses inter-ventions à l'Assemblée portaient presque toutessur la représentation de Mayotte, l'équilibre despouvoirs… Il ne menait pas un combat unique-ment pour les intérêts de Mayotte mais cherchaitaussi des alliances et des amitiés. C'est ainsi que leMPM s'est rallié au Front national uni d'Ali Soilihi,dans le cadre de l'opposition à Abdallah. Mais lasuccession de circonstances défavorables a fait qu'iln'y a plus eu de place pour le dialogue." AliMlahaïli et Mouzawar Abdallah disent la même

chose : "On ne l'a jamais perçu comme quelqu'unde séparatiste, ou anti-comorien, comme celapeut se concevoir aujourd'hui." "Il savait faire lapart des choses entre le contexte politique et insti-tutionnel, et ce qui restait de constant en lui",ajoute Mouzawar.

Sous les clivages politiques, les vieilles amitiéssont donc restées, entretenues de loin en loin par lavisite d'un proche qui ranimait la nostalgie de cetteépoque où les tout jeunes députés des quatre îless'éveillaient à la politique. "Je ne l'ai revu qu'à l'ex-térieur des Comores", avoue Mouzawar. "Maisquand ses enfants voyageaient à Moroni, il leur dis-ait : "Ne revenez pas sans avoir salué Mouzawar.C'est une amitié qui a su se préserver par l'intermé-diaire des familles. Pour moi, c'est important sur leplan sentimental et intime. Ce que les uns et lesautres laisseront à leurs enfants, c'est le meilleurpasseport pour une réconciliation future."

LG

“il n'avait pas insulté l'avenir”

...NOTES1 Journal de Mayotte,26/02/19932 Kashkazi n°11, octobre 20053 www.rfo.fr4 Président desComores indépen-dantes (1975-78)5 Il a tenu à rester anonyme6 Le Mawana n°38,12/10/2006

“Je le répète, les Mahorais n'exigent rien. Ils n'ont pas choisi de rester français pour être riches”

YOUNOUSSA BAMANA

Ci-contre, ses obsèques, à Kani-bé, le 22 juin. Plusieurs centaines de personnes, dontles autoritésadministrativeset poilitiques, se sont réuniesdans son petitvillage natal, au sud de Maore,pour dire un dernier adieu au Mze. MarcelHenry, ZoubertAdinani, AdrienGiraud étaientprésents.L’hommage quilui a été rendu a été simple etmesuré.

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bamana-toumbou, deux destins dossier

Toumbou, le soldat incomprisIL EST des personnes dont on se dit, après

leur mort, qu'il aurait été dommage dene pas les rencontrer. Pourtant, il faut bien le reconnaître :le hasard a été à l'origine de notre rencontre, au détour d'untravail de recueil de témoignages. C'est que l'homme avaitbeau être aussi robuste qu'un vieux chêne et aussi bavardqu'une coiffeuse, il passait depuis de nombreuses annéesinaperçu dans le paysage mahorais. Seul Acoua, le villagequi a fait sa légende, semble se souvenir de son rôle dansl'histoire de l'île qui, parce qu'il a été rangé du côté des per-dants, l'a jeté aux oubliettes."Je suis né en un seul jour, je crèverai en un seul jour"disait-il avec ce ton de vieux militaire en colère. Deméchant homme, disent certains habitants d’Acoua. “Iln’était pas méchant, il aimait les gens” répondent ses fils.“Quand on habitait Hamjago, il disait aux gens de ne paslaisser leurs chèvres venir saccager ses champs. Au boutd’un moment, alors que personne ne le prenait au sérieux,il a tiré sur les chèvres. Il amenait alors leur dépouillechez leur propriétaire et leur disait : ‘voilà, c’est votrefaute’. Il était comme ça. Il fonctionnait selon des règlesstrictes que ne comprenaient pas les Mahorais”, analyseBoinali, son fils. “C’était un militaire.”Saïd Toumbou est décédé le vendredi 18 mai, dans l'ano-nymat médiatique général. A lui seul, il résumait pourtanttrois-quart de siècle de l'histoire de Maore : un condensécaptivant. Il est né en 1925 à Acoua, village kibushi dontles fondateurs sont des ancêtres du "Toumbou". "Quandj'étais petit", racontait-il, "il n'y avait qu'une école dansl'île, celle de Pamandzi. Il n'y avait que les riches quipouvaient payer l'école aux enfants." Ses parents n'en fai-saient pas partie. "Guidé d'une main de fer par son père",écrivait Jana na Leo en 1988 1, "ce fils de cultivateur s'estd'abord frotté pendant son enfance aux travaux deschamps avant d'être recruté à l'âge de 17 ans [en fait 16,ndlr] comme bourzane (porteur de chaise). Le chef duvillage qui l'avait repéré depuis longtemps et cataloguécomme étant un fauteur de troubles (…) l'avait recom-mandé au chef de district lequel cherchait à embaucherdes hommes pour satisfaire aux besoins d'un colon."Pendant trois ans, de 1941 à 1943, Saïd Toumbou sillon-ne l'île le fitako sur les épaules. "On prenait huit hommes-on était par équipes de 2 x 4. Moi on ne m'aimait pas,donc on me prenait tout le temps. Souvent, le vaza [mzun-gu en malgache, ndlr] venait de Dzaoudzi, on l'attendait àla jetée actuelle, on allait de Momoju à Bandrele, onmangeait, on repartait, on couchait à Chirongui ou àBoueni… Tout ça sous le soleil, parfois pendant leRamadan." Toumbou se rappelle avoir porté monsieurBoquet -"Il était lourd celui-là ! Quand ça secouait trop,il tirait les gens par le coup avec son manche de para-pluie"- le père d'Ibrahim Ramadan qui fut gouverneur, ouencore cet administrateur dont il ne se souvenait pas lenom -"lui il était énorme. On devait se mettre à huit !"

EN 1945, À L'ÂGE de vingt ans, Toumbou est appelésous les drapeaux. Après avoir reçu une convocation duchef de district, il embarque en mai 1946 pourMahajanga. Il y fera ses premiers pas en tant qu'engagémilitaire. Vite remarqué grâce à son dévouement et sabravoure, l'homme aussi rond d'aspect que droit dans sesbottes monte en grade jusqu'à devenir caporal au sein dubataillon comorien mixte de Madagascar. Madi MariOusseine, autre enfant d'Acoua engagé dans l'armée, sesouvient de lui comme d'un exemple. "Il était très respec-té dans l'armée. Tous les soldats l'aimaient car il étaitcourageux et juste." En pleine insurrection malgache, en1947, il se fait remarquer dans la bataille deMartandranou, dans laquelle la moitié de ces compa-gnons tombera. "Brûlé dans l'incendie, Saïd Toumbous'en tirera avec les honneurs dus à ses blessures. Détachédu bataillon des tirailleurs sénégalais où on l'avait intégréentre-temps, il partira le 18 octobre 1950 à la Réunionavec le grade de sergent 1". Cette épreuve le marqueradurablement, lui dont la mère était malgache (“toumbou”en malgache signifie : "cet enfant sera vivant"). "Dansles combats contre les Malgaches, il n'était pas questionde fraternité, nous sommes militaires, on fait la guerre.Mais ça posait des problèmes quand même, car nosancêtres étaient des sakalava."Les épreuves ne s'arrêtent pas là : après un séjour à laRéunion, Toumbou fera les guerres de décolonisationd'Indochine et d'Algérie. De quoi écrire un livre d'histoire

et gagner un repos mérité : début des années 60, il obtientle droit de rentrer au pays. "La France lui avait donné lapermission car on lui proposait un poste politique", ditson fils, Boinali. La liste de Sabili était en effet soutenuepar la préfecture. Or à l'époque, "personne dans le nordde Mayotte n'avait atteint une telle promotion sociale.C'est pour ça qu'Issouf Sabili est venu le chercher."Comme Bamana, Toumbou entre en politique malgré lui."Issouf Sabili n'est pas tombé d'accord avec MarcelHenry, il a dit : 'je ne ferai jamais de liste commune aveclui pour les élections en 1962', c'est pour ça qu'il y a eutrois listes. Je ne le connaissais pas, juste de nom. Luiavait entendu parler de moi. Quand j'étais à l'armée j'a-vais donné avec mes compagnons 25.000 francs pour queNahouda parte à Paris plaider la cause de Mayotte [en1959, ndlr]. Il m'a écrit me disant qu'il souhaitait me ren-contrer. Il m'a proposé d'être le député du canton deChingoni."

"A L'ÉPOQUE", disait-il dans Jana na Leo, "les gensn'étaient pas très évolués. Donc, il n'était pas néces-saire d'avoir un programme. La propagande consis-tait seulement à appeler les Mahorais à plébisciternotre liste car nous voulions défendre leurs intérêts.La population a été sensible à ce discours puisquenous avons largement gagné les élections. (…) A laChambre des Députés nous avons évoqué au toutdébut la départementalisation mais par la suite, notreaction était surtout basée sur la séparation. 1"Comme il le rappelait à la fin de sa vie, "c'est nous lespremiers à avoir réclamé la séparation. On m'a accu-

sé d'être serré-la-main, mais si on n'avait pas été là,avec Issouf Sabili, rien ne serait arrivé peut-être."

"QUAND J'ÉTAIS DÉPUTÉ", racontait-il, "je leur disaisaux autres députés : 'il faut se partager la part dugâteau'. Déjà que la France donnait peu, quand il y avait100 francs à se partager entre les îles, nous on avait 1franc, et les Mohéliens 1 franc. Le but était donc de sedégager de la Grande Comore. En 1966, quand [SaïdMohamed] Cheick est venu à Mayotte, je lui ai dit : 'vousauriez dû nous consulter avant de venir sur place'. Il yavait des remous à l'époque [il a dû fuir devant la colèredes chatouilleuses, ndlr], et je lui ai dit : 'les événementsnous dépassent, les Mahorais ne sont pas contents'. Maisil a ignoré mes paroles. Le lendemain, j'ai fait une confé-rence à Mtsahara, j'ai dit : 'puisque le président ne croitpas que je suis voté par vous, je n'irai plus à la GrandeComore, je ne suis plus votre député'." "Il avait appelé lesgens à ne plus payer l'impôt", se souvient Ali Saïd, alorsdans la camp Henry.Saïd Toumbou disait : "Quand on veut prendre Toumbou,c'est avec du miel, pas de la nivaquine". Il disait aussi :"De la politique, on gagne rien, que la prison." En février1967 en effet, la roue tourne. Le siège de l'ORTF par leschatouilleuses, qui protestaient contre le manque demesures sociales, dégénère : "Je me suis rendu sur placepour essayer, avec l'aide de Souffou, de raisonner lesmanifestantes mais l'adversaire politique [le MPM deMarcel Henry, ndlr] poussait toujours celles-ci à adopterune attitude intransigeante envers nous.1" Les deux hom-mes ainsi que Silahi Mtruma seront arrêtés et jugés pour

troubles à l’ordre public : six mois de prison pour Sabili,quatre pour les deux autres. "Alors qu'on a essayé de cal-mer les femmes, c'est nous qui avons été jugés coupa-bles." Selon lui, il s'agit d'un coup monté par MarcelHenry : "Il savait très bien qu'on serait députés à vie, orle fait d'être en prison nous empêchait de nous présenter,on devait être remplacés, Marcel en a profité." Il a"exploité [le transfert de la capitale, ndlr] pour faire croireà la population que nous étions d'accord avec les déci-sions prises à l'encontre de Mayotte. C'est lui qui a pous-sé les femmes à se révolter ! Quand Souffou a voulu s'ex-pliquer devant la population, on l'en a empêché. Nos suc-cesseurs avaient profité de notre détention pour nouscalomnier et s'attirer la confiance des Mahorais."

APRÈS SA LIBÉRATION, Toumbou rentre au village."Souffou m'a fait comprendre que chacun devait suivre saroute car nous étions déchus de nos droits .1" Il retrouvealors la vie familiale telle qu'il l'avait laissée. "Il avaitorganisé le village de sorte que tout le monde travaille",affirme Boinali. "C'était devenu un grand cultivateur. Ilavait une trentaine d'ouvriers dans les champs d'ylang.Nous vivions dans le tobe [aux champs, ndlr]. Il aimaitcommander. Même s'il produisait peu, donner des ordrescomme à l'armée lui permettait d'exister." S'il n'était pasun notable "de type villageois", il faisait figure de "chefpolitique" à Acoua. "C'était lui qui prenait les décisionspolitiques", affirment Madi Mari Ousseine et MaoulanaCharan, ses compagnons. "Je lui reprochais d'être villa-geois alors qu'il nous avait dit d'être modernes", confesseBoinali. "Il avait une vraie aura dans le village, mais ilavait un problème : il voulait changer les gens, alors queles gens ne voulaient pas." Gaulliste convaincu, Toumboune supportait pas l'oisiveté.A cette époque, Toumbou et Sabili font toujours équipe.Le premier est le "corps", le second "la tête”. S'ils ont prisdu recul, ils continuent à lutter contre la bande à Marcel."Mon père ne croyait pas au département. Il voulait laséparation, mais il disait : 'le département, jamais laFrance ne vous le donnera'" affirme Boinali. Mais lecongrès de Ouangani en 1969 sonne leur glas : MarcelHenry demande à la population de choisir. "On a présen-té de faux témoins qui ont contribué à salir la réputationde Souffou. En l'accusant, notamment, de comploter avecles autorités comoriennes", dénonçait Toumbou dansJana na Leo. "Après notre éviction de la scène politiquemahoraise, nous avons adopté une attitude de stricte neu-tralité. Mais les nouveaux tenants du pouvoir nous déni-graient toujours. Ils nous taxaient 'd'anti-mahorais'. J'aidécidé alors de lutter contre leurs allégations en créant lemouvement des serré-la-main, partisans du rapproche-ment avec les Comores."Au début des années 60, il se rapproche d'Abdallah."Ahmed Abdallah est venu me dire : 'je ne suis pasresponsable de la politique de Cheick'. Je l'ai cru, deGaulle n'était pas responsable de la politique du maré-chal Pétain. Moi je voulais juste qu'on soit considéréscomme des personnes, ni français, ni malgaches, je suisun homme comme vous. Avec Ahmed Abdallah, ce n'étaitpas pareil, il entendait les Mahorais, il m'a dit : 'je vaisessayer de vous aider à Mayotte'." Et puis, avouait-il, "sije me suis engagé dans ce mouvement, c'était pour dire àBamana et Henry que je n'avais pas peur d'eux, c'étaitune provocation". Le chef de canton avait vu juste :Toumbou était une forte tête… Ce rapprochement avec Moroni irrite les soroda, quiorganisent une descente dans le village, qui aboutira à lamort d'un homme, tué par Toumbou (lire p.47). La finpour l'ancien combattant. "J'ai été emprisonné à Moroni.Quand je suis revenu, je suis resté au village." Sur la fin, Toumbou maugréait. Sur la situation présen-te : "Avant ou après, Mayotte est mal guidée, maldéveloppée, Mayotte est oubliée par la France". Sur leMPM : "Quand il parlait du MPM, il pleurait",indique Ali Saïd. "Il avait été très déçu par Marcel."Sur l'image qui restait de lui : "On a voulu me présen-ter comme un indépendantiste alors que j'ai été audébut de la séparation !" Il disait : "Marcel a tout faitpour nous tenir à l'écart, car nous, on parlait le langa-ge du peuple. On était le peuple".

RC

1 Jana na Leo n°6, 1988

“Avant ou après, Mayotte est mal guidée, mal développée,Mayotte est oubliée par la France”

SAÏD TOUMBOU

photo : Jana na Leo

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dossier bamana-toumbou, deux destins

1973, année chaude, très chaude àMaore. Alors que le mouve-

ment soroda prend de l'ampleur et s'évertue àannihiler toute revendication indépendantistesur l'île -lire ci-contre l'histoire du sièged'Acoua-, Ahmed Abdallah, le président del'Assemblée territoriale sous l'autonomieinterne -il a succédé au Prince Saïd Ibrahimle 22 décembre 1972- organise une tournéedans l'île "rebelle". Une île où il n'est pas lebienvenu, lui qui est accusé par le MPM d'a-voir volontairement provoqué la pénurie dedenrées alimentaires, dont le riz, dans lesannées 60 -les années silgom 1. Les villagesdans lesquels se trouve une forte communau-té serré-la-main l'invitent tout de même.Ainsi est-il prévu qu'il se rende à Poroani levendredi 25 juillet. Le village antalaote estmajoritairement départementaliste, maisdeux grandes familles sont indépendantistes."Nous étions environ 150 à 160 indépendan-tistes à l'époque", se souvient Oussein Saïd,

qui avait alors 32 ans. "Il passait dans lesvillages et nous l'avions invité pour luidemander de construire une école et unedigue." A l'époque, Poroani se trouve sur sonsite originel, dans la mangrove. Lorsque lamarée était haute, le village était entouré deseaux et inondé -il ne reste plus aujourd'hui

que l'ancienne mosquée pour témoigner decette localisation.La veille, Ahmed Abdallah se trouvait àCombani. "Nous l'attendions le lendemainmatin au village où il devait assister avec lechef de district Abdourraquib à un debaorganisé en l'honneur de sa visite", racontaitvoici 20 ans Colo Digo, un serré-la-main,

dans Jana na Leo 2. "On avait abattu septcabris pour la circonstance et convié leshabitant de Mbalamanga, Calafouba etMtsapere Mtsangani 3 à participer aux festi-vités. Dès jeudi matin, tous les invités étaientprésents. Ce n'est qu'en fin d'après-midi avecl'arrivée de Younoussa Bamana que les trou-

bles ont débuté." Bamana n'est pas uninconnu au village : quelques années plus tôt,il a épousé une fille de Poroani, AminaDarmi, avec laquelle il aura plusieursenfants. "Il venait régulièrement", ditOussein Saïd. "Il avait trois femmes à l'é-poque, une à Mamoudzou, une à Sada et uneici. Il faisait quatre jours-quatre jours-quatre

jours." Plus tard, Bamana expliquera qu'il setrouvait confronté dans ses fiefs (Kani-Kélyet Poroani) à l'action d'un gendarme, SaïdIslam, "qui avait pour mission de renforcerson parti [serré-la-main, ndlr] dans le secteur[sud] (…) naturellement j'étais amené à faireen sorte que les habitants n'aillent pas gon-fler les rangs des serrez-la-main.2" C'est dansce contexte de lutte d'influence qu'intervientla visite d'Abdallah.

DEPUIS LE MERCREDI, Amina Darmi s'é-tait faite discrète devant les préparatifs de lavisite officielle : "Me sentant menacée, j'aidemandé à Madi Tsibouka d'aller prévenirmon mari", racontait-elle à Jana na Leo 2. "Jevoulais qu'il envoie une pirogue nous cher-cher afin de nous éloigner."Alors que les femmes préparent à manger etque les jeunes montent le podium sur lequels'exprimera Abdallah, celui qui est à l'époquedéputé de Maore à l'Assemblée territoriale

arrive en barque depuis Sada. "Il était envi-ron 21 heures", se rappelle Oussein Saïd (22heures selon Amina Darmi). Accompagné desept personnes d’après Colo Digo, "il avaitréuni ses partisans pour leur demander dedétruire les préparatifs". Une autre versionaffirme qu'il aurait simplement provoqué lesserré-la-main, en répétant à l'envie "PIO-PIO", qui signifie "Vous tous, vous tous"."C'est Abdallah qui disait souvent ça : wanupio. Ceux qui se moquaient de lui disaientPio Pio…" indique Oussein Saïd. "Il disait àqui voulait l'entendre qu'il n'avait aucuneintention de quitter le village : "Vous pouvezme tuer moi et ma famille" a-t-il dit (…) Ilétait décidé à affronter les serrez-la-mainmais j'ai pu le raisonner", raconte sa femme2."Je me trouvais sur la plage lorsqu'il a pro-noncé ces paroles", affirmait Colo Digo 2."D'ailleurs, remarquant ma présence, il s'estmis à proférer des insultes à mon égard. Je mesuis alors jeté sur lui. Il a essayé de se débatt-

Poroani-Acoua : deux bataillesOutre leur bagou et leur amour de Maore, Younoussa Bamana et Saïd Toumbou ont en serré-la-main dans les années 70. En 1973, alors que le premier mettait le feu à Poroani, des soroda. Tous deux seront emprisonnés pour ces faits. Retour sur deux événements

Poroani 73 : le “pio pio” de Bamana

“C'est Abdallah qui disait souvent ça : wanu pio. Ceux qui se moquaient de lui disaient Pio Pio…”

OUSSEIN SAÏD, ANCIEN SERRÉ-LA-MAIN DE POROANI

Younoussa Bamana,photo non datée.(photo Jana na Leo)

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bamana-toumbou, deux destins dossier

DU SIÈGE d'Acoua, le13 février

1973, on ne sait pas grand-chose. Enoubliant Saïd Toumbou, l'histoire offi-cielle a tout englobé, même ce qui auraitpu être le jour le plus long et sanglant del'histoire contemporaine de l'archipel.Seuls quelques témoins et une bonnedose de rancœur restent de cette journéeoù le sort de nombre de Mahorais a faillibasculer.1973 est une année charnière. La revendi-cation indépendantiste de plus en pluspressante à Moroni pousse les soroda àmettre la pression sur les serré-la-main,aidés financièrement par AhmedAbdallah et ses proches pour gagner despartisans. Acoua, dont le chef politiqueest Saïd Toumbou, ancien militant del'UDIM tombé en disgrâce depuis quatreans (lire pages précédentes), est alors par-tagé en deux camps. Comme dans nomb-re de villages du nord de l'île, les indépen-dantistes sont plus nombreux qu'ailleurs.De là à être majoritaires, ce n'est pas sûr. C'est alors qu'intervient un incident apriori banal, à Malamani. "Ce jour-là",raconte Maoulana Assoumani Charan, unfidèle ami de Saïd Toumbou, "le grandCheick de Mayotte -la plus haute person-nalité religieuse dans l'île à l'époque-dirigeait un daïra. Or ce Cheick qui s'ap-pelait Saïd Ali Cheick, était d'Acoua. Aumoment de se reposer, Zena M'dere estarrivée pour parler de politique. Mais leCheick a refusé. Il lui a dit : "Ici on ne faitpas de politique, on prie !" Tout le mondeétait en colère. Comment a-t-il osé répon-dre à la Présidente !? se disaient les gens.On l'a tout de suite qualifié de serré-la-main. En réaction, le village a dit que sinotre Cheick était un serré-la-main, alorsnous étions tous des serré-la-main."

CETTE SOLIDARITÉ villageoise,ajoutée au fait que la plus illustre person-nalité du village était Saïd Toumbou, vaprovoquer une réaction en chaîne inat-tendue. "Les soroda ont décidé de tousse rendre à Acoua", affirme ZoubertAdinani, à l'époque député aux côtés deBamana et Henry. "Les gens ne compre-naient pas pourquoi ils se conduisaientcomme ça à Acoua. Ils ne comprenaientpas non plus la position de SaïdToumbou." "Ils se sont dit : "Nous allonsles corriger"" affirme Charan.Lorsque Toumbou apprend qu'une des-cente sur son village se prépare, il partprévenir la gendarmerie. "Il est allé lesvoir pour leur dire ce qui allait se passer,mais ils n'ont pas réagi. Alors il leur adit : "Je ferai tout pour sauver les habi-tants d'Acoua. Je me défendrai". Selon

Boinali Saïd Toumbou, l'un de ses filsconnu pour son rôle syndical, "il avaitcompris que le but de Marcel Henry étaitde l'éliminer de la vie politique, mais iln'acceptait pas que lui qui avait servi laFrance ne soit pas protégé par les forcesde l'ordre." A son retour, il met en placeun système de défense, réunit les anciensde l'armée française et organise desconseils de guerre. "A l'époque, on étaittrois anciens à avoir un fusil", se souvientMadi Mari Ousseine, qui avait officiéavec Toumbou à Madagascar. "On aattendu près de deux semaines, et puis ilssont arrivés", dit Charan. "Ils venaient de14 villages dont tous les villages voisins.Nous nous n'étions que 12 combattantsaguerris", dit Madi Mari Ousseine.

"DANS LA NUIT, je me souviens avoirété réveillé", poursuit Charan. "On nous adit que toute la population de Mayotteallait entrer. C'est un homme d'Acoua

marié à une femme de Mliha qui est venunous prévenir : "Toute la population deMayotte est là. Ils vont vous chatouiller !"Tout le monde était debout ; les femmesaussi. On a envoyé les vieux prier à lamosquée, et les jeunes ont été placés àchaque sentier, chaque entrée du villagepour donner l'alerte en cas d'attaque. Ona gardé la plage aussi. Puis on les a vusvenir de Mtsangamouji. Ils ont alluméune torche. C'était un signal pour préve-nir les autres qui venaient de l'autre côté[depuis Hamjago, ndlr]. Ils ont commen-cé à descendre. Saïd Toumbou a dit : "J'aibesoin de quelqu'un pour aller leur direde discuter avec nous et de s'arrêter.Boina Ali a dit : "J'y vais". Il est allé àleur rencontre et leur a dit d'envoyer unémissaire pour parler. Il leur a dit : "Nousavons des armes !" Mais ils ont continué.Jusque là, Saïd Toumbou se cachait.J'étais à ses côtés. Puis il est sorti, il a tiréun coup de feu en l'air, puis deux, puistrois. Ils ont fui. Mais il a dit : "Il faut quej'en blesse un, sinon ils reviendront." Il lesa suivis et en a blessé deux, à la cuisse."Immédiatement après, les sentinellessituées de l'autre côté donnaient l'alerte."On y est allés. Il a fait la même chose.Sauf que là, il a tué un jeune deMtsangadoua. C'était le fils de son oncle.Après, les gens sont partis. Ils ne sontjamais revenus."Cette nuit-là, son père "n'a pas dormi",

affirme Boinali. "Pour lui, cette attaquede Marcel Henry, c'était un affront qu'ilne pouvait pas supporter. Il voulait que sarésistance serve d'exemple et pousse à laréflexion. Mais il y a eu cette mort. Unmembre de la famille en plus. Il l'a beau-coup regretté et a assez payé le prix.Depuis ce jour-là, ses cousins deMtsangadoua lui en veulent."Saïd Toumbou sera condamné à de la pri-son ferme pour ce meurtre. Aucun descommanditaires de l’offensive parmi lesdirigeants du MPM ne seront inquiétés."Quand le gendarme à qui il avaitannoncé l'attaque est venu", raconteCharan, "il lui a dit : "De quel droitviens-tu m'arrêter alors que je t'avaisprévenu et que tu n'a rien fait. Ça s'estpassé et aujourd'hui tu viens me deman-der pourquoi !?" Le gendarme est repar-ti. Quelques jours plus tard, c'est le com-mandant qui est venu. Saïd Toumbou, enbon officier, lui a dit : "J'accepte de vous

suivre à condition que vous laissiez ungendarme pour protéger le village"." Ungendarme est resté et Toumbou est parti.En héros pour les villageois : "S'il n'avaitpas été là, nous aurions été battus" penseMadi Mari Ousseine. "Ce jour-là, il asauvé le peuple d'Acoua."

PENDANT plusieurs mois, les habitantsd'Acoua paieront le prix de cette résistan-ce. "On ne pouvait pas sortir. Si on allaitdans un village voisin on se faisait insul-ter. On était en danger", affirme MadiMari Ousseine. "Ça a duré deux mois.Comme j'étais infirmier dans l'armée,c'est moi qui soignais les gens quand il yavait besoin. Les gendarmes nous ame-naient des denrées de temps en temps."Aujourd'hui encore, les traces de cettejournée sont visibles. La rancœur des"cousins" de Mtsangadoua perdure, tan-dis qu'au sein du village, ceux qui étaientdépartementalistes à l'époque ne cachentpas leur haine du personnage. "C'est àcause de lui si on a failli se faire lyncher.Nous, à cette époque, on n'osait pas par-ler. On avait peur de lui. Il était méchantet il l’est resté. S’il n’avait pas été pourAbdallah, rien ne serait arrivé" dit unancien. "Pendant longtemps, le village aété coupé en deux" confirme Boinali SaïdToumbou. "Mais Acoua reste un villageserré-la-main."

RC

re mais d'un coup de poing, je l'ai projeté surle sable (…) Kamardine Saïd était là aussi,tenu en respect par Colo Be, un partisan deYounoussa. Colo Be menaçait Kamardineavec une hache alors ce dernier s'est défenduen assénant un coup de bâton à la tête de sonadversaire." Selon Colo Be, un soroda, "je metrouvais chez moi lorsque j'ai entendu desbruits qui venaient du côté de la plage.Intrigué je m'y suis rendu immédiatement. Là,j'ai reconnu le député Younoussa qui se débat-tait contre un homme. Je me suis retourné encriant : "On veut tuer notre député"…"Immédiatement, une bagarre générale éclate.

TANDIS QUE Bamana emmène sa familleet quitte le village en pirogue -directionSada-, les deux camps s'affrontent. "De 23heures à 4 heures du matin, les gens se sont

battus à coups de pierres et de bâtons", affir-me Oussein Saïd. Sur la plage, sur la placepublique… Plusieurs personnes ont été bles-sées. Sept ont été hospitalisées du côté serré-la-main, affirme Oussein Saïd, dont lui etColo Digo -"j'avais la hanche déboitée, desorte que je suis resté alité pendant vingtjours", disait-il dans Jana na Leo. Côté soro-da, Colo Be a lui aussi été estropié :"[Kamardine Saïd] s'est présenté devant moiavec un couteau. Je lui ai demandé s'il avaitvraiment l'intention de me poignarder maisil n'a pas hésité à me porter le coup sur levisage. J'ai été étourdi pendant un bonmoment car ce n'est qu'au dispensaire deSada que j'ai retrouvé mes esprits.2"Après une légère accalmie, et alors que lespréparatifs de la venue d'Abdallah avaient étésaccagés, la bataille a repris au petit matin.Selon Oussein Saïd, à l'aube le lendemain,plusieurs centaines de soroda des villages voi-sins, prévenus de la bagarre, se seraient donnérendez-vous au village. "Vers 5 heures, ilssont venus de partout : Kani, Moinatrindri,Hagnoundrou, Dapani, Chirongui… Ils sontarrivés à pieds. Pendant trois heures, ils nousont battus." "Le village comptait plus de 500soroda mais il en est venu d'autres (…) poursaccager nos maisons", indiquait Colo Digo."Ils ont pillé les biens de ceux qui avaient étéhospitalisés", se souvient Oussein Saïd.

CE N'EST QU'EN fin de matinée -"labagarre était déjà finie" affirme O. Saïd- queles gendarmes sont arrivés sur les lieux,quelques heures avant Ahmed Abdallah, quin'a du coup été accueilli par personne et quia accusé Bamana d'être à l'origine des trou-bles. Les serré-la-main ont alors porté plain-te et trois soroda ont été arrêtés, parmi les-quels Oussein Balahach. S'il reconnaît que"ce sont les sorodas qui étaient à l'origine dela bagarre", il assure aujourd'hui qu'il "n'yétait pour rien". "Mais ils m'ont pris avecdeux autres gars, dont un qui était blessé à lamâchoire. On a été jugés et emprisonnéspour avoir fomenté la bagarre. On est restésdeux mois en prison."Younoussa Bamana sera lui aussi arrêté le 15août -ce qui provoquera la manifestation

silencieuse du 19 août 1973, en soutien audéputé. "J'ai été personnellement tenu pourresponsable des troubles (…) Il est vrai qu'onavait eu l'idée d'empêcher le pique-nique dePoroani (…) mais personne n'avait donnédes instructions dans ce sens", affirmait-ildans Jana na Leo 2. "On pouvait certes meconsidérer comme coupable mais indirecte-ment. (…) Puisque j'entravais l'actiond'Ahmed Abdallah, j'étais considéré commeun "rebelle". On ne m'a même pas accordéle bénéfice du doute. En fait ma culpabilitéétait fondée uniquement sur des suppositions(…) J'étais en tout présumé coupable."Le 13 septembre, il était condamné àMoroni à 40 jours d'emprisonnement et50.000 francs d'amende pour "complicité dedélits de coups et blessures volontaires etvoies de faits "pour avoir incité" par des dis-

cours violents à démolir les cabanes desadversaires politiques (...) à molester cesderniers et détruire les préparatifs (…)". Unjugement que Bamana a toujours qualifiéd'injuste : "Il fallait me condamner, me met-tre hors d'état de nuire".

PENDANT CE TEMPS à Poroani, la vie rep-rend doucement son cours. Bamana n'yreviendra que trois mois après, affirmeOussein Saïd. "Ils sont restés à l'écart." A l'é-poque, le village était coupé en deux : d'uncôté les serré-la-main, de l'autre les soroda, aumilieu, la mosquée. De sorte que la proximitén'était pas trop problématique. Quant auxserré-la-main, certains sont restés commeOussein Saïd, d'autres sont partis un temps."Ils s'étaient réfugiés à Mtsapere pendantplus de quatre mois", soutenait voici plusieursannées Colo Digo. "Ceux qui voulaient yretourner étaient obligés de payer une amen-de. Mon beau-frère a du sacrifier un bœufpour obtenir des soroda le pardon."Trente-quatre ans après ces événements, levillage de Poroani s'est agrandi. Les ancienshabitants ont été décasés vers l’intérieur queleurs ancêtres redoutaient ; la politique ne secantonne plus à un dyptique soroda-serré-la-main -quoique cette séparation se retrouveselon que l’on vote UMP ou MDM-MPM.Mais la famille Bamana et les acteurs decette bataille rangée vivent toujours les uns àcôté des autres. Une coexistence pas tou-jours aisée. "Les rancoeurs restent", affirmeun jeune du village. "Moi-même qui suis issud'une famille soroda, j'ai eu toutes les peinesdu monde à obtenir le droit de me marieravec ma femme qui est d'une famille serré-la-main. Il a fallu qu’elle menace de se sui-cider pour obtenir le droit de m’épouser.Aujourd'hui encore, ma famille et la siennene se côtoient pas."

RC

1 Durant ces années, les Mahorais mangeaient du fruit à pain pas mûr, aussi mastic que du chewing-gum -d'où silgom- faute de riz.2 Jana na Leo (n° inconnu), fin des années 803 Mbalamanga et Poroani sont deux villages antalaotes.

qui ont fait leur légendecommun d'avoir impliqué leur village dans la bataille que se livraient soroda etle village de sa 3ème femme, le second organisait la défense d’Acoua face à l’offensive qui ont façonné leur légende en marquant durablement ces deux villages.

“Il fallait me condamner, me mettre hors d’état de nuire.”YOUNOUSSA BAMANA

Acoua 73 : le coup de feu de Toumbou

“On ne pouvait pas sortir. Si on allait dans un village voisin on se faisait insulter.”

MADI MARI OUSSEINE, ANCIEN COMBATTANT COMME SAÏD TOUMBOU

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kashkazi 65 juillet 200748

hors-piste la fête dans l’archipel

on danse, on bouffe." La trilogiefestive -à laquelle il faut souventajouter la boisson- paraît universel-

le, mais pour l'historien Moussa Said, elle estomniprésente aux Comores : "Chaque évène-ment social est marqué par une fête particuliè-re. A chaque fois, on chante, on danse et onbouffe." A Ngazidja, "ça a commencé dans lesud du Mbadjini, aux VIIIème-IXème siècle, à l'é-poque des principautés guerrières", expliquel'enseignant qui a travaillé sur les poèmes etchansons de la tradition comorienne. "Leschefs guerriers étaient désignés à l'issue d'unesérie de festivités. On réunissait les gens sur lemasadaka juhu ya djumbe (la maison des prin-cesses), et parmi tous les guerriers de la prin-cipauté, on désignait le chef par élimination.Pour être sélectionné, il fallait être fort et gour-mand. Il y avait un grand repas, avec desgrillades de chèvre grillée et des tubercules.Après avoir mangé, on creusait un trou de 50cm que l'on remplissait de jus de coco. On met-tait la tête dedans et on le vidait, puis il y avaitdes démonstrations de force sur place." SelonMoussa Saïd, ces anciennes pratiques expli-quent l'omniprésence de la nourriture dans latradition du Grand mariage. "Pendant deux

Dis-moi comment tu fêtes…

“ON CHANTE,

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la fête dans l’archipel hors-piste

semaines quand quelqu'un se mariait, on ne fai-sait que manger et danser", rappelle-t-il. Aux fêtes traditionnelles se sont incorporées etsuperposées une multitude d'influences exté-rieures véhiculées par la colonisation et surtoutpar les diasporas comoriennes de l'Afrique del’Est, de Madagascar et de France. L'un desplus anciens apports étrangers est sans doute letwarab. Ce chant langoureux introduit dans l'ar-chipel par les Comoriens de Zanzibar, a étéintégré aux cérémonies de mariage jusqu'àdevenir un élément incontournable des coutu-mes comoriennes. "Son succès est en partie dûau fait que le violon et le ud, instruments debase du twarab, conviennent parfaitement àl'esprit dans lequel se conçoivent le chant et ladanse aux Comores : rigueur et simplicité",écrit Moussa Saïd dans son mémoire sur la poé-sie chantée de Ngazidja 1. "Rigueur, car lesComoriens exigent beaucoup de raffinementdans les gestes tout en restant le plus simplepossible pour que toute la population puisseprendre part aux fêtes."

LE TWARAB avait lieu dans lamaison nuptiale en présence du marié, de sesamis et de ses proches. "La soirée débute aprèsla prière du soir pour se terminer à l'aube",indique Moussa Said dans son mémoire. "Lesgens venaient le vendredi soir, habillés de leurcostume de fête. Parmi eux, les chanteurs detalent qui ont, auparavant, écouté puis enregis-tré les chansons des grands auteurs arabes etswahili. Trois chansons sur quatre étaient enarabe ou en swahili, jusqu'à ce que SaidMohamed Cheikh demandât aux chanteurs deprivilégier celles émanant des auteurs como-riens. Un animateur se tenait au milieu desmusiciens, muni d'un sabre, et accompagnaitles gestes de tous les participants. Ces derniers"chantaient en balançant la tête de droite à gau-che successivement à l'unisson et en cadence" :c'est le fameux laza kitshwa (bouge la tête). Enoutre l'animateur désignait du sabre les person-nes désireuses de chanter. Les plus âgés, eux,restaient dans la cour, en dehors. Ils passaienttout leur temps à jouer aux cartes et à parler des

prochaines cérémonies. La fête durait ainsitoute la nuit et les repas se succédaient alterna-tivement jusqu'à six ou sept heures du matin,moment où les invités et le marié prenaient unedernière tasse de thé et des gâteaux avant des'en aller."

A PARTIR des années 1960, l'arri-vée de la guitare, de la batterie, et le phénomè-ne des boto (mot qui désigne à Madagascar unjeune homme élégant) bouleverse les habitudesdu twarab. Il devient "une grande compétitionau cours de laquelle villages et quartiers rivali-sent d'éclat. Lors d'un twarab, on applaudit lesassociations qui ont acquis de nouveaux instru-ments et on se moque de ceux qui n'ont pas puse les procurer". Quant aux boto, ces jeunesComoriens vêtus "de la chemise cintrée, descolliers autour du cou, des vêtements délavés"qui contestent les bonnes manières de la coutu-me, ils lancent à la fin des années 60 le phéno-mène du mshago. "Le mshago a lieu tous lessamedis lors du twarab dans les villages de laGrande Comore", écrit Moussa Said. "Les jeu-nes boto venus assister à la cérémonie font uncercle autour des musiciens. Ils se tiennentensuite les hanches et dansent, ce que l'on a prisl'habitude d'appeler le mbili-mbili (deux àdeux). C'est l'animateur qui donne le ton, que letwarab s'accélère et tout le monde est entraînédans des mouvements d'ensemble qui consis-tent, comme le nom l'indique, à faire deux pasà droite et deux pas à gauche. Ils accompagnentainsi les musiciens dans leurs œuvres tout enreprenant en chœur les refrains des chants." Moroni traverse alors ce qui est resté dans lestêtes comme l'insouciance de ses "années fol-les". On est à la fin de la période coloniale etl'influence culturelle occidentale commence àse faire sentir. La radio, les disques et le cinémafont irruption dans la vie des citadins. "Las d'é-couter les mêmes rythmes et de voir se profilerdevant eux les mêmes images et les mêmes scè-nes, les gens se tournent vers d'autres moyensde divertissement", écrit Moussa Said. "A la

radio, ils écoutent à longueur de journée leschants de Johnny Halliday, Enrico Macias, etsurtout les succès des chanteurs africains telsSam Mangwana et Prince Nico. Mieux encore,on se bat pour faire venir de l'étranger les instru-ments de musique dont ils se servent afin depouvoir imiter leurs œuvres.”

ON JOUE alors de la musique pop,du twist, du disco, du cha cha cha. “Cela a com-mencé comme pour le cas du twarab par gagnerles grandes villes." Les orchestres de musiquemoderne concurrencent ceux de twarab. "Ilsjouent le rôle d'école musicale car ils recrutentles jeunes campagnards qui désirent s'initieraux nouveaux rythmes. Ces derniers viennents'installer à Moroni et ne retourneront chez euxque lorsqu'ils auront appris à manier les nou-veaux instruments. Au village ils se substituentpetit à petit au mbandzi [chanteur populaire tra-ditionnel, ndlr], car les gens éprouvent un grandplaisir à les voir jouer de leur nouvel instru-ment." Dans les années 70, sur les ondes del'ORTF, Abdallah Mansoib anime une émissionqui fait le tour des villages de Ngazidja pourenregistrer ces orchestres. "Pour les jeunes, c'é-tait l'occasion de montrer qu'ils avaient une bat-terie et de rivaliser d'exploits musicaux", com-

mente Moussa Said. "Les notables étaient par-tagés : ils avaient du mal à les accepter car ilsbuvaient, fumaient, avaient un comportementje-m'enfoutiste. Mais ils ne pouvaient pas lesrejeter : ils en avaient besoin pour montrer quedans le village, il y avait quelqu'un qui savaitjouer de la batterie ! Ils ont cassé la traditionmusicale. Maintenant, le rythme sur lequel ondanse provient du mshago, ce rythme inspiré dudjerk qui s'accélère avec la batterie."

C'EST LA période des "surprisesparties". "La seule et unique radio, c'étaitl'ORTF qui passait tous les tubes français,même s'il y avait aussi l'influence de la musiquedu Congo Kinshasa”, rappelait l'année dernièreAhmed Ouledi 2. “Les Moody Blues, lesPoussins, les Karts jouaient du rythm'n blues etde la variété française. Il y avait des gens quidansaient très bien le rock'n roll ! Les gens ontdansé sur "Poupée de cire, poupée de son", sur"Retiens la nuit"…" "C'était des années deliberté", nous confiait aussi Gaby, fêtard éméri-te de ces années là. 2 "On s'amusait tout simple-ment. On était avec les filles de la promo. Onbuvait un peu pour s'amuser avec nospattes d'éléphant, nos chemises cin-trées et nos cheveux longs. On était

Des festins collectifs aux boums en passant par le twarab, les manières de se réjouir ont évolué en fonction des influences étrangères aux Comores. Blasée par les cérémoniesdu mariage, la génération qui dansait le rock dans les années 70 est à la recherche de nouvelles formes de loisirs. Alors, comment fait-on la fête dans l’archipel ?...

...

Vule à Maore, uhoha à Ngazidja, lerepas de grillade en plein air s'est tou-jours pratiqué, que l'on se retrouve auchamp pour manger ensemble ouqu'il s'agisse d'une invitation de maria-ge. Sous la colonisation, les jeunes imi-tent les pique-niques sur la plage descolons et, dans les années 80, est lancéela mode de cotiser entre amis pourorganiser une grillade collective. AMaore, pouvoir d'achat et importationde mabawa aidant, les vule se multi-plient et ont été repris à leur comptepar les wazungu : quel fonctionnairen'organise pas son vule de départavant de rentrer en France ? Dans lesîles indépendantes, ils se font rares,faute de moyens, mais sont exploitéspar les hommes politiques qui offrentdes agapes à leurs jeunes partisans.

vule

A Mwali, deux fêtes animistesdrainaient autrefois du mondeautour des lieux d'offrande -lesziara- à Bunduni (le lac d'Itsamia),et à Moidjiyo (Niumachua), àchaque fin d'année. Les djinns deDatchimroni animaient alors desfestins longs d'une semaine durantle mois qui précède le Ramadan.Les déplacements étaient organiséspar village ; tout était transporté àpied -il n'y avait pas des voitures.Au cours de ces transhumances, desamitiés se nouaient et on assistaitchaque année à des retrouvailles…Ces pratiques ont duré jusqu'auxannées 80.

ziara

Le bal des jeunes est le dernier endroit où l'on se lâche, si l'on n'a pas l'âge d'aller en boîte.

AMBIANCE ÉLECTRIQUE SUR FOND de coupédécalé. Le Comorien a toujours apprécié de pouvoirdanser. Les corps en nage qui s'entrechoquent. Lesbattements de mains. Les "caméra chinois" et lesjeux de hanches. Une jupette bleue en jean s'excitesur la cuisse droite d'un jeune bodybuildé au sourirede maquereau. Nous sommes au club house duTennis Club de Moroni pour un bal de jeunes, cedimanche 2 juillet. Le dernier endroit dans la capitalecomorienne où l'on se lâche sans complexe, si l'onn'a pas encore l'âge d'aller traîner ses basques enboîte de nuit. Entre la discothèque pour public et lesmandari des années 80, ce type de bal propose uncocktail de sensations chaudes aux amateurs, à prixpas cher. Accessible aux couches les plus populaires,le bal de jeunes s'arrête théoriquement vers minuit,deux heures pour les plus courageux.

FORTEMENT CRITIQUÉ par les gardiens de lamorale, devenu commercial pour pouvoir continuer, lebal des jeunes est une machine à sous dédiée à unejeunesse décomplexée. Des jeunes qui se refusent auxmarques du temps passé. Des jeunes qui voient en ladanse une manière d'exister. Qui ont besoin de plaisirsfaciles, de flirt, d'un coup à boire, d'amitiés viriles, horsdu périmètre social de naissance. Des plus vieux enprofitent pour venir cueillir l'innocence des adolescen-

tes dans ces bals où l'individualisme affiché libère detoute inhibition et s'immiscent dans ces fêtes de jeunescélibataires à la recherche d'inattendu, prêts à s'embar-quer dans des états seconds pour forcer le destin. Desfêtes qui ne rassurent pas à la manière des fêtes tradi-tionnelles, où l'on baille. "Le twarab et compagnie, ona tous une canne et on est en rang", résume Yasser, 17ans, l'air blasé. "Le bal des jeunes, c'est chacun poursoi." Chacun pour soi, et tous pour les nanas : "On yva pour chercher les filles", explique Ali. "Pour s'affo-ler un peu. Y en a plein qui tchatchent là-bas…"A l'instar de leurs aînés, les lycéens ont appris à fairesonner la monnaie pour attirer ces demoiselles. A encroire Ali, l'argent est indispensable pour séduire unejeune danseuse. "Avec les filles des bals, on négociedirectement : "On peut se connaître ? J'ai 2000 fc [4euros, ndlr]…" Et elle va te répondre : "Oh, ce seraitmieux 5.000 fc [10 euros, ndlr] !" On va dans les voi-tures, et on fait des relations."

L'INVENTION DES BALS de jeunes date des années80 dans la capitale. Le Club des Amis, sous la direc-tion d'Elamine Tourqui, est la première boîte de nuit àouvrir ses portes aux ados. A l'époque, on craint d'en-courager la jeunesse à la débauche. Mais les promo-teurs répondent aux parents scandalisés qu'ils n'ontqu'à bien tenir leurs enfants. La boîte ne faisait querépondre à une demande de la part de milieux aisés.L'opinion était loin d'imaginer que la tendance allerévoluer jusqu'à devenir un phénomène de société.

SE et LG

La défoule version mineurs

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hors-piste la fête dans l’archipel

branchés à la mode que ceux qui voya-geaient nous faisaient découvrir. Ici onétait coupé du monde, sans télé, avec

juste des tourne-disques et le goût de la fête."Après l'indépendance, l'influence française seprolonge par l'intermédiaire des étudiants quireviennent pendant les vacances. Les boums sepoursuivent pendant les années 80. Des boumssages, souvent sous le contrôle des parents. "Çase passait dans une maison familiale" se sou-vient le chanteur Salim Ali Amir. "On était obli-gés d'inviter le frère pour qu'une fille vienne, etquand on dansait il y avait les mamansautour… On dansait sur la musique africaine,antillaise ou occidentale."

C'EST À CETTE période que sedéveloppe l'habitude de cotiser pour manger ets'amuser en groupe (mandari). On organise despique-niques, des boums, des bals pour se retro-uver, particulièrement durant le mois qui précè-de le Ramadan, selon la tradition qui veut quel'on profite de la vie en prévision des privationsdu mois de jeûne. Des bandes d'amis passentleur temps libre à concocter un programme dedistraction : "On organisait un circuit où onmangeait le début du repas dans un endroit, lereste dans un autre, et où on finissait en dansantencore ailleurs, histoire de ne pas s'ennuyer",se souvient un adepte de ces soirées. L'autre grand moment consacré à la fête est le31 décembre, ignoré seulement s'il tombe pen-dant le Ramadan. "Les gens de 30-40 ans coti-sent entre couples et louent un endroit", indiqueSalim Ali Amir. "Certains sont devenus desspécialistes. Le groupe Mbonda existe à

Moroni depuis vingt ans. Mbonda signifiecanne, il s'est appelé comme ça en référence àcelle qu'il y a sur la bouteille de Johnny Walker.Chaque année, ils font cotiser leurs proches etorganisent un bal." Hérité de la colonisation, leréveillon est devenu pour la bourgeoisie citadi-ne un moment d'apparat à la sauce occidentale: "Il n'y a qu'à voir la manière de se comporterdans les fêtes de Moroni", commente AhmedAli Amir. "C'est classe, chacun veut montrerqu'il est bien habillé, les femmes qu'elles se

comportent bien avec leur mari, et elles fonttrès attention à leur manière de parler…"Mais si les couples de Moroni mettent encoreun point d'honneur à sortir le réveillon du jourde l'an, l'engouement pour ces moments entreamis est tombé depuis une dizaine d'années.Morosité, repli sur soi… les Comoriens fontgrise mine. D'où la nostalgie pour les années70-80. "Il n'y avait pas que la politique", nousdisait Ahmed Ouledi. "C'est l'un des problèmesmajeurs de la morosité ambiante : aujourd'hui,en dehors des échanges politiques ou des célé-brations de mariages, il n'y a pas d'autres espa-ces." Pour Gaby, ces années étaient "incompa-rables avec la tristesse contemporaine.Aujourd'hui même quand on est au chômage onse sent occupé par je ne sais quoi. Et quandbien même on toucherait un bon salaire, on nesaurait pas où aller. La vie a tellement changé". La première explication à cette sinistrose estcelle du contexte économique. "Avant il y avaitune insouciance, on n'avait pas les mêmescontraintes qu'aujourd'hui", se souvientHissane Guy. "Les salaires tombaient tous lesmois, les allocations familiales existaient."Aujourd'hui, difficile de cotiser pour s'amuserquand chacun peine à joindre les deux bouts,quand il faut payer les frais de santé et, si l'onpeut, l'écolage des enfants…

MAIS LES RAISONS ne sont passeulement financières. Il a suffi d'une généra-tion pour que la conception des loisirs changecomplètement. Les jeunes qui organisaient desboums dans les années 70-80 ont adopté lesnouvelles formes de fête tout en continuant à se

rendre dans les manifesta-tions traditionnelles. Lesdeux systèmes ont existéparallèlement mais, puisquel'on s'amusait ailleurs, lafête traditionnelle est deve-nue un devoir bien plus

qu'une occasion de réjouissances, d'autant plusque sa monétarisation la rend pesante économi-quement. On y mange moins, on y fait souventacte de présence. A l'âge mûr, les anciens "bou-meurs" se rendent compte que non seulementils n'ont pas les moyens de se distraire commeils en ont envie, mais ils sont obligés de dépen-ser de l'argent dans des cérémonies qui ne lesamusent plus. "Maintenant dans un mariage, ily a de moins en moins de bouffe. A Moroni, iln'y a presque que le djaliko qui reste. Ça casse

tout", estime Moussa Said. "Aux mariages, onne s'amuse pas", avoue Hissane Guy. "On esten train de penser à quel argent on dépense, àqui on en doit… Les mariages, ce n'est pas unepartie de plaisir. Les gens n'affichent pas unsourire, ils sont coincés parce qu'ils n'ont pasl'habitude de sortir."Les moments de chants et de danse délivrés dupoids du mariage se font rares. "Quand on étaitpetits, une fois par semaine, les mamans etgrand-mères nous initiaient aux danses", sesouvient Hissane Guy. "On passait un bonmoment avec la génération plus âgée. Les hom-mes, eux, dansaient un ngoma avant la prièrede trois heures, une fois qu'ils étaient revenusdu champ et lavés… Et le vendredi après-midi,on avait une petite fête du quartier." Ce plaisirlà n'est pas complètement oublié. A Maore parexemple, les jeunes filles sont toujours enthou-siastes de se glisser dans les "body" bordés dedentelle et les saluva achetés collectivement etd'emprunter les bijoux de leur mère pour parti-ciper à un tarei ou un mbiwi. Mais dans lesvilles, il a tendance à disparaître. "Avec lesconstructions hors du quartier natal, ma géné-ration ne fait plus ça", témoigne Hissane Guy,la cinquantaine. "Sur un temps très court, le

fossé s'est creusé entre la génération de mamère et la mienne. La rupture est due au faitque les deux cultures ont cohabité, mais nous,on n'a pas fait avec les jeunes ce que faisaientnos parents avec nous. Pour moi m'amuser,c'est ce qui ne rentre pas dans le devoir social.C'est sortir, me donner du bon temps. Avant, cequi était traditionnel constituait un loisir. Onpouvait s'amuser sans parler d'argent. Maismaintenant, ce n'est plus le cas."

ALORS QUE LES VIEILLESdames n'ont toujours pas d'autre sortie que lesmariages, leurs filles cherchent à "s'évader duquotidien". "Nous maintenant, comment on s'a-muse ? On s'invente des loisirs, parce qu'il n'ya pas grand-chose. En ce moment, la seule dis-traction pour notre génération un peu plusouverte, je dirais que c'est le karaoke… Onessaie de s'occuper autrement. On est en trainde construire une autre forme d'utilisation dutemps libre, entre parents et enfants. On lesoccupe, on les sort, on les promène… Mais onn'a toujours pas rompu avec le mariage. C'estun vrai paradoxe. Le paradoxe comorien vajusqu'aux loisirs !"

LISA GIACHINO

NOTES1 Contribution à l'étude de la poésie chantée deNgazidja, M.Said,Mémoire de maîtri-se à l'Université de Nice, 19842 Kashkazi n°24,janvier 2006

A Maore, le type de fête le plus répandu, outre le mariage, est le bal poussière.Apparues dans les années 80, ces soirées organisées au sein du village -le plus souvent surle stade de foot ou dans le foyer des jeunes- et animées par un orchestre qui joue en livedes rythmes locaux (mgodro essentiellement), ont vite gagné leur galon d'événementnuméro 1 le week-end, supplantant des fêtes traditionnelles délaissées par les jeunes, sur-tout depuis une dizaine d'années. Tandis que la sortie en boîte de nuit reste l'apanagedes citadins, le bal poussière permet aux villages de brousse de ne pas tomber dans latorpeur du samedi soir, et aux jeunes filles qui n'ont pas l'autorisation de quitter le villa-ge de sortir sans s'éloigner du cocon familial.Et qui dit bal poussière à Maore dit Les Vikings de Labattoir. Né en 1975 parce que PapaJoe -alors l'animateur principal de l'île- avait insulté les mamans du village, ce groupe n'acessé de gagner en importance depuis, devenant le plus populaire de l'île. "Nous avonsd'abord animé des mariages de Petite Terre, ce pour quoi nous avons vu le jour", racon-te Abdou Anchidine, chanteur et porte-parole de l'association. "Puis dans les années 80,nous avons été en Grande Terre, puis nous avons fait des bals poussières, des concerts.Aujourd'hui, nous animons environ 100 spectacles par an.”Le bal poussière se construit toujours sur la même base : “On début vers 21h30, on joue 1h30,puis un prend une heure de pause où on met la sono, puis on rejoue 1h30, puis une nouvel-le pause de une heure, et on rejoue… En moyenne on joue 4 heures par soirée, et ça se ter-mine vers 2 heures. Parfois, on peut jouer toute la nuit.” Pour les villages, la venue desVikings, qui ont leur rythme bien à eux, est souvent jour de fête. Les habitants des localitésvoisines y viennent. “C'est l'occasion de retrouver des gens qu'on ne voit pas souvent”, affir-me Abdou Anchidine. “C'est un bon moment de convivialité.” Mais depuis quelques années,l'ambiance se dégrade autour de la scène. “Depuis dix ans, avec l'arrivée de l'alcool, c'estmoins festif. Il y a toujours des embrouilles et du coup, les anciens qui venaient avant neviennent plus. Il n'y a plus que les jeunes.” Ce qui n'est pas pour leur déplaire : draguer, c'esttoujours mieux sans les parents... RC

Encore vivant dans le Nyumakele, letimba fait partie de ces fêtes saisonnièresqui mobilisaient autrefois des adeptes detout l'archipel.

UN PACTE ENTRE LES DJINNS ET LES HOM-MES. Comme beaucoup de fêtes saisonnières de l'archi-pel, le timba est né d'un arrangement qu'une poignée defidèles refuse encore de trahir, de peur de déclencher lesfoudres des "premiers habitants des Comores". ManroufAbdallah est de ceux-là. Ce vieil agriculteur de Mramaniqui se dit petit-fils de Waziri Djina, l'homme qui a négo-cié avec les djinns, ne se laisse pas impressionner par lesreligieux qui voudraient voir cette fête "païenne" rayéede la carte du Nyumakele. "C'est contre la religion pourvous qui ne savez pas la signification du timba", mau-gréé-t-il. "Mais nous qui savons, nous savons que sansle timba, il y aurait beaucoup de problèmes. Cetteannée, il y a eu une pénurie de poisson sur toute l'île carle timba a été organisé tardivement."L'histoire remonte à l'époque où les djinns enlevaientdes humains pour les manger. "Ils venaient trouver leshommes et leur disaient : nous voulons tel enfant",

raconte Manrouf. "Un jour, ils se sont adressés à une

famille et lui ont dit de laver et parfumer l'enfant. Ilsl'ont emmené dans la forêt, mais ils ne l'ont pas mangé :ils l'ont élevé." Des années plus tard, les djinns propo-sent aux hommes de vivre en bonne intelligence aveceux. A la demande de Waziri, ils acceptent de rendrel'enfant -une fille- en échange d'un bœuf blanc. "Leshommes ont trouvé l'enfant sous un arbre en train dejouer. Elle a accepté de les suivre à condition de garderson jouet. C'était un petit tam tam -une noix de cocovide- et un petit bois avec des feuilles de bananier, descornes et une queue. C'était le timba." Manrouf raconteque l'enfant a imposé aux hommes d'avancer et de s'arrê-ter au rythme de son timba sur tout le chemin du retour.Arrivée au village, elle était redevenue complètementhumaine. Mais un djinn Fanahali s'est présenté à Waziri-"le premier diable à entrer dans la tête d'un humain".C'est lui qui dictera le déroulement du timba…

DEPUIS, CHAQUE ANNÉE à la saison des ambreva-des, entre juillet et septembre, un sacrifice est offert auxdjinns au terme du long parcours choisi par eux. Menéepar le timba lui-même, matérialisé par un costume defeuilles de bananier flanqué de cornes et d'une queue, àl'intérieur duquel se dissimule complètement un hommedont seuls les chefs du rite connaissent l'identité, la pro-

cession dure trois jours. Trois jours à danser et à entreren transe en progressant selon un itinéraire bien précis,jusqu'au lieu où sera jetée à la mer l'offrande aux djinns.Une fois la viande prélevée, la peau, la tête et la queuede la bête sont cousues ensemble et bourrées de feuillespour leur redonner la forme de l'animal, puis lestéesd'une pierre. Aujourd'hui, un cabri remplace générale-ment le bœuf. "Si on n'a pas non plus de cabri, lesdjinns nous ont autorisé à le remplacer par un coq d'aumoins trois ans", précise Manrouf. "Mais ça n'a jamaisété le cas pour l'instant." Si l'offrande n'est pas réappa-rue au bout de quelques semaines, c'est que les djinnsl'ont acceptée. Sinon, il faut recommencer.

IL N'YA PAS SI LONGTEMPS assure Manrouf,"toute la région bougeait pour le timba" -il en existaittrois dans le Nyumakele, associant chacun plusieursvillages. Des gens de tout l'archipel affluaient. "Pendanttrois jours, chaque étranger pouvait entrer dans n'im-porte quelle maison du village où se trouvait le timba etdemander à manger", raconte un enseignant deMramani. "On préparait des ambrevades, tout lemonde pouvait cueillir des cocos à boire. Les gens sepréparaient pour l'accueil des danseurs. C'était troisjours sans arrêt, jour et nuit !"

Mais le timba décline. Les moyens lui manquent."Quand il y avait la société coloniale de sisal, elleoctroyait des bœufs pour le timba", se souvientManrouf. "Ensuite, l'Etat participait, mais au fil desannées, il a lâché." Les organisateurs essaient bien d'atti-rer les "touristes" à qui ils demandent une participation,mais ils sont rares… Sans compter que les chefs musul-mans semblent avoir obtenu gain de cause."Auparavant, les chefs du timba étaient de grands nota-bles", indique notre enseignant. "Personne ne pouvaitrien faire ici sans demander leur avis. Mais leur statut aperdu son sens depuis qu'on s'est rendu compte que letimba était considéré comme une doctrine religieuse."Engagé dans une association culturelle, ce professeur decollège verrait bien le timba se réduire à une manifesta-tion folklorique.Du coup, les jeunes sont peu nombreux à prendre larelève. Si à Mramani deux chefs au moins sont toujoursactifs, dans le village de Dziani, "la plupart des grandssont morts", confie une vieille dame, Fatima Houmadi,qui a pris la relève en dépit de l'hostilité de son fils à cespratiques. "On a hérité ça avec nos pères et si on arrêtede travailler ensemble avec les djinns, on aura beau-coup de problèmes", avertit-elle.

LG

Trois jours de fête pour sceller le pacte avec les djinns

bal poussière...

“Avant, il y avait une insouciance, on n’avait pas les mêmes contraintes qu’aujourd’hui. Les salaires tombaient tous les mois.”

HISSANE GUY

kashkazi 60 février 2007

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51kashkazi 65 juillet 2007

la fête dans l’archipel hors-piste

IL FUT un temps où faire la fêtedans cette société se

résumait à manger en compagnie du groupeauquel on vous assimilait. Vule, mandari ouréveillon : l'essentiel était de ripailler ensem-ble avec ses semblables. Une époque bénieoù la fête servait avant tout de prétexte pourrassembler et renforcer les liens de proximité.A moins d'un événement bien singulier, onne traînait théoriquement qu'avec les siens.Les cousins avec d'autres cousins, les nota-bles avec leurs pairs, les cadres ou leslycéens dans leurs retranchements corporatis-tes. Par ailleurs, on ne se retrouvait jamaispar amour du festif mais plutôt pour seconforter dans ses rêves d'outre-monde. Voirl'autre dans une nouba quelconque et seconvaincre de ne pas démériter avait plus desens que le fait de venir écouter un artistebien précis à la fête de la musique. La fête,donc, pour se confronter à l'autre, se renifler,savoir qui est qui dans le quotidien partagé.La fête également vue comme liant social.Sentir la présence du voisin à ses côtés, seretrouver dans les regards des uns, partagerles mêmes envies que les autres. S'encanaillerà l'époque était synonyme d'un temps desretrouvailles. On allait au concert pour ren-contrer les siens et non pour mieux apprécierle génie de tel ou tel interprète. On dépensaitdes sommes folles pour créer du faste et del'envie dans les moments de communion."Shuhuli wandru" affirment les anciens. Pluson était de fous, mieux on se portait. Et ontravaillait dur pour y arriver, on empruntait,on volait et on détournait pour en être, de ladite fête. Péter le compte-chèque pour desagapes sans fin était certes stressant pour lesmoins aisés, mais se détendre auprès des pro-ches (et des lointains proches) ôtait toutesangoisses. Un jeu qui en valait la peine dansla mesure où la fête n'était que ce simple alibipour se fondre dans l'autre, le principal étantailleurs. C'était aussi l'époque des solidaritésvillageoises, des croyances en une formed'intérêt général, des rêves d'élargissementcommunautaire. On était heureux de présen-ter ses hôtes de marque à tous les membresdu clan. En même temps, il y avait de quoivoir venir sur un plan matériel. Nous n'étionspas encore en cette période de crise inextrica-ble. Les familles possédaient souvent un boutde terre, un cabri à sacrifier le jour venu, unprincipe d'honneur à défendre. Toutes chosesqui se confondaient avec notre capacité à fes-toyer avec l'autre sous le manguier de laplantation familiale.

AUJOURD'HUI, “al awal bahindru yahula”, comme le professe une chanson deMaalesh, mais seul ! Manger a toujours cetteimportance dans les rendez-vous festifs.Cependant, les festoyeurs sont de moins enmoins nombreux à vouloir évoluer commedu bétail. Contre le groupe, on choisit plutôt

son épouse, lorsqu'elle est là, ou on préfèreencore se faire plaisir seul. A un moment denotre histoire où la proximité devient sourced'hypocrisie et où les autres passent pour desprofiteurs, nombreux sont ceux qui se cou-pent de leur milieu social, de leur groupe d'o-rigine, de leur clan d'appartenance, pour seconsacrer à leur jouissance personnelle. Onfuit le village. Le clan, la famille, les très pro-

ches. Car plus personne ne croit aux solidari-tés collectives. Ripailles et gaudrioles revien-nent dans les cases mais sans le groupe,considéré comme parasite, suceur, bouffeurd'intérêts. La grimace s'invite au débat dèsque vous tapez l'incruste chez vos amis. On

ne doit y venir que si l'on y est convié. Henamndru na tsole mna nkuh'wa hahe. Que cha-cun se contente de ce qu'il possède. La vieest tellement rude pour le Comorien qui s'ensort. Ne parlons pas de ceux qui ne voientpas du tout le bout du tunnel. Certes, souriren'est pas encore tarifé mais cela ne sauraittarder. Les amitiés ont pris la tangente. Laméfiance règne. Vous posez la question de

savoir comment les uns et les autres analy-sent l'avenir, ils vous crieront tous qu'à l'im-possible nul n'est tenu et que Dieu dans samansuétude saura reconnaître les siens. Enattendant, ils se satisfont de petits péchésmignons sans trop de conséquence. Place à lafête des pauvres ! Le comorien, d'habitude sidépensier en matière de fête, réfléchit avantd'engager ses sous.

EN MÊME TEMPS, et c'est le paradoxe decette histoire, nul n'a renoncé à la fête en elle-même. Elle s'est juste "privatisée" pourmieux se prolonger dans le temps. Le prétex-te du groupe ne tient plus. C'est vrai. Il arriveque les plus aisés entretiennent encore leurposition sociale, en invitant le grand nombre.Les hommes politiques pour faire passer lesslogans de campagne. Mawlid, mariages, aïdel fitr. Mais dans l'ensemble, la fête est per-çue comme une chose trop personnelle pour

être laissée sous le contrôle du clan.Désormais, l'individu la ramène à son seulplaisir. On recherche d'ailleurs des espacesqui garantissent l'anonymat pour s'éclater enforce. On évite autant que possible les lieuxoù l'on risque d'être jugé, jaugé, condamnépar les siens. On se lâche volontiers hors deson périmètre de vie. Dans les boîtes de nuit,les bals de jeunes, sur les plages en couple,dans des pensions pour jeunes filles fausse-ment prudes, en week-end à deux sous lapleine lune. On refuse de trinquer pour touset on ne dépense que par rapport à ses seulesenvies. On choisit précisément avec qui onboit sa bière pour ne pas avoir à payer destournées aux faux amis. L'alcool coule juste-ment à flot durant cette période. Non pascomme moteur à plaisir mais comme accélé-rateur des sensations d'oubli. Car il s'agit biend'oublier les lendemains difficiles, les secretsde familles, les querelles de voisinages, le

mépris des chefs, les fins de mois difficiles,les écolages des enfants à régler. On se livreau Dieu des fêtards dans l'espoir de tourner ledos aux petits malheurs de sa vie. Les petitssoucis mis dans les grands, on est en quête desensations fortes et immédiates. C'est celaaussi qui a changé dans les habitudes. Neplus avoir à contenter le groupe ne suffit plus.On veut surtout vivre quelque chose de nou-veau, d'inédit, de transcendant. Plaisir de ladécouverte. Plaisir des sens. Besoin de voya-ger dans des paradis où la jouissance de l'in-dividu est reine. On se fabrique sa fête sansles autres. L'exemple le plus parlant : cescorps qui se tordent en boîte. "Je danse, jem'éclate, je me défonce, et ceux qui m'entou-rent sont comme s'ils n'étaient point là." Achacun sa joie. A chacun son bonheur.

LE RAPPORT AU CORPS a d'ailleurschangé à cause ou grâce à cette nouvelledynamique festive, qui se cultive à moitié ensolitaire. Au-delà de sa seule apparence, lecorps veut être palpé, chéri ou choyé. Leplaisir d'une caresse participe de l'état festif.Du temps où le groupe imposait sa loi, lecorps était plus au naturel, moins taraudé parla quête d'un improbable bien-être. Seulesles filles et quelques vieux beaux s'interro-geaient sur leur seuil de vieillesse. Et à peinesi l'on forçait sur le litron de déodorant et surle prix d'une nouvelle robe. On pouvait mett-re le même pantalon trois fois de suite chezles garçons, et les filles pouvaient taillerleurs vêtements dans le même tissu, sansproblèmes. Aujourd'hui, c'est chose impossi-ble ! Le corps devient objet de désir. Ons'habille chic et cher, on se vautre dans desparfums capiteux, on fréquente les salons decoiffure en nombre, on se prête au jeu desesthéticiennes, on se refile conseils et moded'emploi pour fanatiques de pandalau. On sefait belle ou mignon pour séduire. La fêtes'accompagne d'un érotisme des corps.Même les hommes s'y mettent. Au-delà d'êt-re les lieux d'une certaine élégance, les fêtessont devenus un outil d'exhibition aux vertuspresque aphrodisiaques. La conscience desoi s'en ressent fortement.

DANS LE TEMPS, on y allait pour se mirerdans le regard des autres et pour les égalerdans l'allure. Aujourd'hui, on s'y rend pour sesentir revivre intérieurement. Exit les regardsdésapprobateurs de la vieille école. La nou-velle génération porte le miroir dans sa têteou dans sa culotte. L'hédonisme renvoie d'a-bord au moi profond. Le string qui remonteun peu au-dessus de la fesse droite, le visagequi a pris des couleurs à force de soins et demaquillages, les Westons ou la veste Smaltorenvoient d'abord à une volonté d'autosatis-faction. On passe plus de temps à préparerson samedi soir qu'à traîner dans le lieumême où se déroule le bal. On dépense dessommes folles pour entretenir sa bidoche ouson joli minois. Pour se sentir exister. Danscette société où l'on était bridé de tous côtés,constamment surveillé, le corps devient ledernier rempart de la liberté. On s'affranchitdes valeurs du communautarisme de village,en étant maître de ses formes et de sesdésirs, à défaut de maîtriser le cours de savie. Il y a une forme d'égotisme des corpsqui se met en branle. Cela résonne commeune manière de dire non à la morositéambiante. Une sorte de pied de nez de jouis-seur. Car on jouit égoïstement pour mieux sejouer de la vie…

SOEUF ELBADAWI

La fête, le corps et l’égotismeDu groupe aux individus, la fête a changé d'état d'esprit dans nos îles. On ne croit plus aux solidarités collectives.

On fuit le village, la famille, le clan (...) Car plus personne ne croit aux solidarités collectives.

Se fondre dans le groupe n'est plus un idéal. Ci-dessus, la danse du djaliko, lors d’un grand mariage, à Ntsudjini, en 2005.

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kashkazi 65 juillet 200752

La complainte des vaincus

DANS la tradition comorienneexiste un genre musical

que l'on appelle idumbio. Il s'agit d'un chantde deuil dédié aux morts. Une forme de dés-illusion verbale scandée par une personneproche du défunt. Le genre faisait parfoisécho aux pages les plus noires de l'histoirecomorienne. Certains fragments parmi lesplus illustres étaient censés annoncer l'avène-ment de temps nouveaux, tout en marquantbien l'importance du disparu dans la sociétédes vivants. Imaginons à présent qu'un auteurinspiré par cette poésie de funérailles de nosjours décide de dédier un chant de deuil à lamort du "citoyen comorien". Que de bataillesmenées en son nom ! dirions-nous. Que dedéfaites accusées par son pauvre dos ! Cecitoyen, tel que beaucoup d'entre nous l'ontrêvé, vient justement d'entamer son dernierbaroud d'honneur. Survivra-t-il à la crise ? Detous ceux qui ont subi les contrecoups de ladérive séparatiste, il est celui qui en paie leprix le plus fort, puisqu'il disparaît de la carte.

A MAORE aussi bien qu'à Mwali, Ndzuaniou Ngazidja, le schéma se répète inlassable-

ment. Les petites oligarchies se succèdent etsans cesse se ressemblent. Pieds et poingsliés, elles renoncent à toute ambition nationa-le pour continuer à régner sur un bout d'ar-chipel. On parle décentralisation, départe-mentalisation, autonomie, co-développement.On feint de ne pas brader le patrimoine com-mun. Mais on voit bien qu'il n'en reste rienou pas grand-chose. Toute notion d'intérêtgénéral ayant disparu des programmes deconquête du pouvoir, ils sont beaucoupaujourd'hui à oublier que seul un Etat fort etindépendant est capable de porter l'espoir denos concitoyens dans le concert des nations.Pendant ce temps, nos dirigeants s'excitentsur des rêves sans issue. La plupart ontmême renoncé à l'idée de défendre unepatrie. L'adversaire français quant à lui restemalin jusqu'au bout. Ces jours derniers, il n'aeu de cesse de mettre à mal nos illusions d'a-venir. Incapables de proposer une alternativeconséquente au délitement de l'Archipel, noshommes politiques se sont repliés, eux, surdes positions plus confortables à une échellemoindre. On parle d'île et de région plus faci-lement. Que chacun soit chef dans son fief et

les vaches du président Abdallah seront biengardées sous tutelle…

DOIT-ON LE RAPPELER ? Un Etat balka-nisé n'a aucune espèce de poids au sein decette communauté internationale, si hypocritedès lors qu'il s'agit de faire face à unMohamed Bacar. A qui la faute ? Notremémoire est tellement courte que nul ne sesouvient de ce ministre des affaires étrangè-res qui a mis fin à l'existence de la fâcheusequestion de Maore aux Nations Unies. Etpourtant Dieu sait que les questions que l'onévite de se poser d'habitude traînent encoredans les QG des partis récemment en campa-gne. Sans réponse, bien évidemment. Car quise soucie (encore un autre exemple) desdizaines de milliers de morts qui pourrissentsous le lagon à cause d'un putain de visa ?Nos leaders d'opinion ne rêvent que de com-bat de communes et de réussite clanique. Lesenjeux y sont autrement plus simples. Aupassage, le citoyen vote, plébiscite, danse surles places au nom d'une victoire sans lende-mains, mais perd tout ce qui fonde son inté-grité au quotidien. Ses rêves. Sa dignité. Son

identité. Les vies sont précarisées, les destinsfragilisés, les horizons bouchés. Voilà ce quenous vivons au quotidien. Ajoutez à cela labêtise de ceux qui confondent les aspirationsprofondes d'un peuple aux aguets avec lapromesse d'un mieux-vivre sans convictionni conscience. D'aucuns vous diront qu'ilsmangent mieux qu'avant, qu'ils dormentmieux qu'avant, et qu'ils peuvent même ral-lier le monde alentour via Paris. Quelle chan-ce ! Rares sont ceux qui vous diront qu'entrente années d'embrouilles et de magouillesvillageoises, et ce, depuis ce fameux référen-dum de 1974, nous n'avons fait qu'inscrire unpeu plus nos pas dans un scénario sansretour. Un scénario qui condamne le "citoyencomorien" à survivre uniquement dans leslivres d'histoires dans des jours prochains. Unscénario qui nous condamne à mourir sim-plement, d'où l'intérêt de nous dédier un vraichant de deuil. Nde She idumbio sha heMkomori. La complainte des vaincus…

NOTRE CAPACITÉ de réflexion n'étant pascomplètement annihilée, il ne nous est pasinterdit (loin de là) d'échafauder quelquesscénarios catastrophes en supplément. LeComorien a vécu et sans doute qu'il ne vivrapas assez longtemps encore pour qu'on leprenne au sérieux. Profitons-en pour noircirle tableau ! L'heure est à la "comorosité" !Maore se destine désormais à vivoter entreles mailles du filet de la grande Europe.Ndzuani s'invente des légendes à dormirdebout sur fond de terreur et de frustrationpartagée. Mwali ne sait plus à quel saint sevouer, tellement l'horizon se brouille, y com-pris depuis les îlots (menacés) deNiumashua. Car vive le marché ! Dans le

monde qui nous attend, rien n'est à préserver,tout est à vendre ! Un marché dominé pardes loosers venus de "Métropole" pour serefaire une santé financière sous lesTropiques à coup de boniments ! Même nosIndiens, qui, d'habitude, sont aguerris aucommerce de proximité, s'en méfient. Sansdoute avez-vous remarqué ces gens qui achè-tent des bouts d'îles à tour de bras, un peucomme on se partagerait un gâteau, sur fondde clientélisme et en s'appuyant sur desméthodes de grand banditisme. L'économiede ces îles est classée "domaine privé" etn'appartient plus vraiment aux enfants decette terre. Mais qui peut le dire sans tomberdans les travers d'un discours taxé d'extrémis-me ? Nos hommes d'affaires locaux ressem-blent à des gagne-petits, persuadés qu'ils sontde pouvoir se suffire d'une clientèle d'île oude village. Vous remarquerez que les seulescompagnies qui arrivent à traverser les eauxpour dépouiller toutes les bourses del'Archipel, et ce, malgré la crise, battentpavillon "étranger". Girardin 1 avait probable-ment raison d'insister sur les intérêts françaismenacés lors de son passage. C'est de bonneguerre ! Pendant ce temps, le Comorien qui

navigue entre ces îles, au nom du commerce,le fait pratiquement incognito, en s'établissantdans l'informel. Il n'existe que dans la marge.Et vive la mondialisation, puisque c'est tou-jours nous qui payons la note…

QUE RAJOUTER DE PLUS ? Que ce paysne nous appartient presque plus ? Ou qu'onne se sent plus chez nous dans ces îles ? Quoide plus normal ! diriez-vous ! Le "citoyencomorien", dont on se réclame, est bel et bienmort de sa plus belle mort. Et tant pis pournos discours sur la souveraineté nationale.Nous ne l'avons jamais connu ! Le contrôlede la monnaie comorienne nous échappe.L'histoire commune se réduit à peau de cha-grin. Le voisin de l'île d'à côté instaurechaque jour de nouvelles frontières dans lesimaginaires soumis pour mieux se distinguerdu lot ! La culture n'autorise même plus àcroire en un destin commun, sauf lorsqu'ils'agit de parler de consumérisme à l'occiden-tale et de prostitution des corps et des esprits.Comorien ! Le mot signifie-t-il encorequelque chose ? Les civilisations sont faitespour naître et disparaître un jour. Il en a tou-jours été ainsi dans l'histoire des hommes.Néanmoins, et nous le savons tous, lescitoyens ont toujours le dernier mot partoutdans le monde. Or, le nôtre, de "citoyen", aaccepté de s'effacer de la carte. Se battrecontre l'inadmissible lui paraissait tellementdifficile…

CESSONS donc de nous raconter des histoi-res. Les excuses, certes, ne manquent paspour nous dédouaner. Mais qui accepte qu'onlui injecte le sérum de l'endormissement /doit "manger sa honte entièrement", commele disent nos frères du Continent. Nousdevons assumer nos échecs. La mise à mortsans fanfare a commencé il y a plus de trenteans. Le pire, c'est qu'on nous demande derépéter aux enfants qui partent en migrationou qui rêvent de partir que "la faute revientseulement aux autres". A la France ! Ce quiest en partie vrai. A nos hommes politiques !Ce qui est encore plus vrai ! A nos stratèges !Il y en a tellement peu que l'on évite d'en dis-cuter. Une chose, cependant. Etre citoyend'un pays, c'est d'abord se prendre en chargeet croire en l'utopie d'un peuple debout.Comment voulez-vous que l'on se maintien-ne dans l'Histoire sans en payer le prix ? Ilest plus simple de laisser la communautéinternationale agir en notre nom. Mais évi-tons de nous plaindre dans ce cas. Sinon,armons-nous de courage et construisons l'al-ternative sans faux-semblants. L'envie depoursuivre ce rêve d'archipel, qui fut le nôtrepar le passé, exige un effort plus conséquent.Sinon, contentons-nous de la complainte desvaincus. Nde She idumbio. Certains s'apprê-tent à quitter le boutre, d'autres à se noyeravec. La fin du drame vécu depuis des lustress'annonce donc sur l'écran brouillon de nosillusions. Elle se retrouve surtout dans cettemanière que nous avons de baisser les bras.Même le fait de péter le "rocher" une derniè-re fois pour voir ne réveillerait pas nosesprits. A moins que cet ultime baroud pourl'honneur soit le miracle attendu…

1 Brigitte Girardin : ministre française de laCoopération du gouvernement de Villepin (2005-07), en visite aux Comores fin 2006.

HUMEUR VAGABONDE

Pendant ce temps, nos dirigeantss'excitent sur des rêves sans issue.La plupart ont même renoncé à l'idée de défendre une patrie.

par Soeuf Elbadawi

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53kashkazi 65 juillet 2007

CENTRE INTERNATIONAL DE DEVELOPPEMENTET DE RECHERCHE

-CIDR COMORES / dpt SSPS-

Le CIDR est une Organisation Non Gouvernementale(ONG) française, qui appuie les sociétés et leurs insti-tutions dans leur développement organisationnel. Sondépartement SSPS (systèmes de santé et prévoyancesociale) met notamment en œuvre des programmesd'assurance santé volontaire à gestion communautaireau Bénin, en Guinée, au Mali, en Ouganda, au Kenya,en Tanzanie et aux Comores.

Dans le cadre de la poursuite de son programme d'ap-pui intitulé " Réseau de mutuelles de santé et de sécu-rités sociales villageoises ", le CIDR aux Comorescherche un GESTIONNAIRE DU RISQUE.

Votre pré requis :- Nationalité comorienne- Bac + 3 minimum - Expérience de travail significative en considérationdu poste décrit.- Maîtrise de l'outil informatique, notamment destableurs.

Profil :- Potentiel de développement professionnel important- Rigoureux, travailleur et engagé- Qualités relationnelles- Maîtrise des chiffres (finances) et des lettres (dans lalogique contractuelle)

Poste :Vous serez en charge de l'actuel " Service Commun deGestion " des mutuelles de santé et sécurités socialesvillageoises du réseau AMSN à Ngazidja (environ

6.000 bénéficiaires à l'heure actuelle). Vous serez enrelation directe avec le Chargé de Programme. Voustravaillerez en étroite collaboration avec la responsabledu développement du réseau à Ngazidja d'une part etle bureau de l'AMSN d'autre part. Vous serez encontact permanent avec les prestataires de service par-tenaires et les gestionnaires d'organisations mutualis-tes. Vous travaillerez avec une assistante expérimen-tée.

Le SCG est le service technique du réseau, qui estcomposé d'associations de personnes ou villageoises,d'écoles, d'institutions et d'entreprises. Le SCG propo-se les produits d'assurance, assure le suivi administra-tif des recours des mutualistes, la facturation aux orga-nisations mutualistes, le monitoring, la gestion durisque et le suivi des conventions avec les prestatairesde service (hôpitaux, centres de santé, pharmacies, cli-niques…).

Au sein du SCG vous aurez en charge la partie FINAN-CIERE et CONTRACTUELLE des activités.

Les travaux associés seront fondamentalement : a) L'actuariat,b) La réalisation des rapports sur le service d'assuran-ce maladie des mutuelles de santé,c) L'organisation des audits médicaux,d) Le suivi des conventions avec les prestataires deservice partenaires

Contrat :CDD de 2 ans renouvelable assorti d'une période d'es-sai de 3 à 6 mois.

Les candidatures (lettre de motivation accompagnée d'un CV) seront écrites à l'attention de : " Chargé deProgramme CIDR-SSPS Comores ". Elles devront être déposées au secrétariat du CIDR à Hamramba,Moroni, immeuble " D.K. ", route de l'hôtel " Le Moroni " (Tél : 73-91-94), ou reçues dans la BP 1946 Moronidu CIDR avant le 15 Juillet 2007. Seuls les candidats retenus pour un premier entretien obtiendront une répon-se. Toute personne qui n'aura pas reçu de réponse au 15 Juillet 2007 devra considérer que sa candidature n'apas été retenue.

A. Information Générale :Titre du poste : Chargé(e) de la Communication SNULieu d'affectation : Bureau du Coordonnateur RésidentDurée : Initialement pour 6 mois (avec possibilité de renou-vellement) Pays : Comores Ville : MoroniAgence : PNUD (agence exécutive pour la Coordination)

B. Supervision :Nom du Superviseur : M. Opia Mensah KumahTitre du Superviseur : Coordonnateur Résident des activitésopérationnelles du Système des Nations Unies en Union desComoresMéthodologie de supervision : Le/la Chargé(e) deCommunication SNU travaille sous la supervision directe etquotidienne du Coordonnateur Résident

C. Contexte :La fonction de Coordonnateur Résident des activités opéra-tionnelles du Système des Nations Unies est exercée enUnion des Comores par le Représentant Résident du PNUD.Cette mission est particulièrement importante au regard desréformes en cours au sein du système des Nations Unies et dunombre important d'agences non-résidentes à Moroni.Dans ce contexte, le Coordonnateur Résident (CR) doit, au-delà de ses missions traditionnelles d'animation et d'impul-sion de la coordination en ce qui concerne les activités opéra-tionnelles du Système des Nations Unies, superviser le pro-cessus de préparation et de mise en œuvre d'un certain nom-bre d'outils stratégiques en appui à la coordination. Il s'agitnotamment de l'Evaluation Commune de la Situation duPays (CCA), du Plan Cadre d'Action des Nations Unies pourle Développement (UNDAF), du suivi des recommandationsdu Sommet du Millénaire et de l'atteinte des Objectifs duMillénaire pour le Développement (OMD), ainsi que la pré-paration et le suivi des autres conférences des Nations Unies.Ces différentes responsabilités et nouveaux programmes etinitiatives conjointes, nécessitent une communication com-mune, qui n'est plus orientée vers les aspects et mandats spé-cifiques des différentes agences, mais qui met en valeurl'aspect 'One UN' et le côté 'conjoint' des activités. C'est danscette optique que l'équipe-pays des Nations Unies en Uniondes Comores a décidé le recrutement d'un(e) Chargé(e) de laCommunication SNU.Les Comores souffrent à cause de leur positionnement géo-

graphique d'un certain isolement médiatique et il est très rared'entendre parler des événements politiques, culturels ousociales comoriens dans la presse internationale. Le/laChargé(e) de Communication aura comme une de ses tâchesde proposer et de mettre en place des outils et instrumentspermettant de rendre les Comores, et le rôle que le SNU yjoue, plus visible dans les médias internationales et auprès dela Communauté internationale, en vue d'intéresser de nou-veaux partenaires à accompagner les Comores dans leursdéfis d'atteindre les OMD en 2015.Sous la supervision directe du Coordonnateur Résident, le/laChargé(e) de Communication SNU renforce les capacités del'équipe-pays en matière de communication et d'informationet travaillera en collaboration avec les chargés de communica-tion des agences résidentes à Moroni (OMS, UNDP, UNFPAet UNICEF) et établira un contact permanent avec les agencesnon-résidentes, mais néanmoins membre de l'équipe-paysélargie ; notamment dans la communication et informationautour de la mise en œuvre du cadre de programmationUNDAF (2008-2010) et de la stratégie nationale d'atteintedes Objectifs du Millénaire et des Conférences Globales.La collaboration se fait dans un bon esprit d'équipe enresponsabilisant chaque membre du Bureau duCoordonnateur Résident. Ce bureau est composé présentement d'une équipe de troispersonnes : le Coordonnateur Résident, un consultant 'chargéde la Coordination' et d'une assistante au CoordonnateurRésident.

D. Responsabilités et Tâches : Sous la supervision du Coordonnateur Résident, le/laChargé(e) de Communication SNU sera chargé(e) des tâchesci-après :1. Assister le Coordonnateur Résident dans la gestion quoti-dienne de communication, partage d'information et plai-doyer.- assister le CR dans le travail quotidien du bureau, en matiè-re de partage d'information- Proposer des stratégies de communication inter-agence del'équipe-pays élargie (agences résidentes et non-résidentes).- Elaborer un plan de travail budgétisé pour la stratégie decommunication inter-agence.- Appuyer le CR et l'équipe-pays dans ses relations avec lesmédias, à travers des contacts formel et informel, en organi-sant des séances d'interviews, encourageant la participationdes médias aux activités onusiennes, etc…

- Assister le CR dans la préparation de documents écrits (dis-cours, talking points, articles, communiqués de presses,..)2. Assurer un plaidoyer efficace des activités des NationsUnies; en étroite collaboration avec les points focaux " infor-mation et communication " des agences.- Appuyer l'équipe-pays dans la prise de conscience de " OneUN " à travers la communication et la sensibilisation autourde projets et initiatives conjointes et de la réforme des NU. - Assurer le partage et la divulgation au sein de l'équipe-paysdes informations émanant de DGO et concernant laCoordination.- Assurer la présidence et une participation active aux travauxdu sous-comité "Communication et Information" déjà enplace et faire le suivi de la mise en œuvre du Plan de commu-nication annuel de l'équipe-pays.- Organiser des rencontres avec la presse et les autres parte-naires, en vue de permettre un partage des informationsconcernant les activités des Nations Unies en général et de l'é-quipe-pays en particulier.- Assister les agences avec des activités de plaidoyer (cérémo-nies de lancement, ateliers, visites de terrains, célébrationsdes Journées internationales,….)- Préparer des talking points et des notes de dossiers pour lesgrandes manifestations de plaidoyer annuel (JournéesNations-Unies)-Faire le suivi et l'actualisation du site internet de l'équipe-pays

3. Permettre une meilleure visibilité des Comores et du rôlequ'y joue le SNU sur la scène internationale.- Elaborer une stratégie permettant de rendre les Comores etle rôle que le SNU y joue plus visibles dans les médias inter-nationaux.- Mettre en place des outils et instruments pour établir et ren-forcer des contacts durables avec des agences de presses etautres " leaders d'opinions médiatiques "- Proposer des instruments pour permettre d'aborder laCommunauté internationales en vue de mobiliser de nou-veaux partenaires potentiels pour les Comores. 4. Coordonner la mise en place et le bon fonctionnement d'unCentre d'information des Nations Unies en Union desComores (CINU-UC).- Participer à l'élaboration et/ou la finalisation d'un projet deCentre d'Information des Nations Unies en Union desComores.- Assurer le suivi de sa mise en place et accompagner son lan-cement.

- Assurer un contact permanent avec les agences résidenteset non-résidentes en vue de l'actualisation et d'alimentationdu centre en matériel didactique.- Organiser des activités diverses (conférences, débats, expo-sitions,…) en collaboration étroite avec le CINU-UC.- Elaborer et superviser un plan de travail du centre.

E. Qualifications et Expériences :- Etre diplômé(e) de l'enseignement supérieur (minimumniveau maîtrise) dans les domaines : Communication,Journalisme, Politiques Internationales, Droit, SciencesHumaines- Avoir au moins 3 années d'expériences dans le domaine dela communication et l'information ou du journalisme- Avoir une bonne compréhension du rôle de la communica-tion dans le domaine de la coopération internationale- Jouir d'une bonne capacité d'analyse, être organisé(e), métho-dique et attentif (ve) dans ses contacts avec les partenaires- Connaissance du Système des Nations Unies, de la réformeonusiennes et des stratégies de communications et de plai-doyer autour des OMD - Avoir une expérience dans le domaine de la coopérationinternationale sur le terrain, en particulier avec les institu-tions des Nations Unies, sera un atout- Avoir d'excellentes connaissances rédactionnelles enFrançais et bonne maîtrise de l'Anglais.- Avoir une très bonne connaissance de l'outil informatique- Connaissance en gestion de site internet

F. Dépôts des candidatures Les dossiers de candidatures devront inclure : une lettre demotivation pour l'intérêt porté à ce poste, le curriculum vitae,les copies des diplômes. Ils doivent parvenir au PNUD à l'at-tention du Coordonnateur Résident du Système des NationsUnies sous pli fermé avec la mention du poste, à l'adresse ci-après, au plus tard le 20 juillet 2007 à 15H30M. le Coordonnateur Résident du Système des Nations Unies B.P. 648 - Moroni, Hamramba

G. Contact Mme Hairat Chamsouddine, Assistante aux RessourcesHumaines - email: [email protected]

H. Remarques- Les procédures qui régissent les recrutements du PNUD nepermettent pas d'octroyer des contrats d'Experts à des fonc-tionnaires du Gouvernement, hormis ceux qui sont mis endisponibilité depuis au moins 6 mois.- Seule les candidat(e)s présélectionné(e)s serontcontacté(e)s pour les interviews.- A compétences égales, les candidatures féminines sont privi-légiées.

Bureau du Coordonnateur Résident pour les activités opérationnelles du Système des Nations Unies en Union des Comores

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LES MAUX DE LA FIN

dossier

où va l’afrique

sociétémaore : pourquoi le tourismene décolle pas ?

politiqueretour sur la situation à ndzuani

musiqueenquête autour du phénomènedjobane djo

histoirecratère d’iconi, des razzias malgaches à la léproserie

portraitlasbadias : le “baron”anjouanais

dans les kiosques lejeudi 30 août 2007

dans deux mois(la rédaction de kashkazi part en vacances, il n’y aura donc pas de journal en août)

Toutes les archives de Kashkazi sont disponibles sur

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Conte du pays des aveuglesdansants et du borgne louche

IL ÉTAIT UNE FOIS UN PAYS PEUPLÉ d'aveugles dan-sants comme l'écrivait si bien un homme surnommé "l'ambassadeur".Malgré son nom de "Pays des Aveugles Dansants" qu'on appelait aussiPAD, il y existait quand même quelques borgnes qui n'avaient pas besoinqu'on leur marchât sur les pieds pour voir que quelqu'un les faisait dan-ser ou mieux encore, chanter.Je vais vous conter donc l'histoire d'un de ces borgnes qui avait en plus le mal-heur de loucher. Comment, me direz vous, un borgne peut-il loucher ? Est-cepossible de loucher avec un seul œil ? Eh bien sachez que tout dépend de quelcôté on louche ! Si le borgne possède son œil gauche, il ne peut pas louchervers la droite et s'il ne possède que son œil droit, il ne peut que loucher versla droite, l'œil gauche lui manquant. En effet pour bien loucher il faut faireconverger les deux yeux vers le centre en regardant le bout de son nez.

OR DONC, NOTRE BORGNE N'AVAIT QUE L'ŒILDROIT et ne louchait que vers la droite côté du paradis en s'efforçanttoujours de fixer le bout de son nez. En effet d'après les traditions musul-manes du PAD "on dit que les gens de la gauche et les gauchers sontmaudits et iront en enfer car ce sont les gauchers qui ont lapidé le pro-phète Muhammad, et Dieu les a punis en les créant gauchers !"Notre borgne louchait donc toujours vers la droite côté paradis et bonheur. Ils'avérait que quelques fois au PAD, la gauche arrivait au pouvoir, donc jouaitle rôle du gardien du paradis et notre borgne qui ne louchait que vers la droi-te était obligé de faire des contorsions acrobatiques qui consistaient à marchersur la tête afin d'avoir l'œil droit tourné vers la gauche, cependant que sa posi-tion faisait que son œil était toujours tourné vers la droite !Comme tous les habitant du PAD étaient aveugles et dansaient à longueur dejournée, personne ne remarquait que notre borgne marchait sur la tête etcomme il était le seul à voir, il faisait croire qu'il marchait toujours sur ces deuxpieds ; en affirmant des vérités qu'il a toujours connues telles que le ciel qui setrouvait au dessus des têtes et la terre qui était toujours sous les pieds, sauf pourceux quiétaient couchés dans leur lit, ou dans leurs tombes. Mais un évène-ment imprévu advint au pays des aveugles dansants et du borgne louche : lesélections présidentielles mirent au pouvoir un président issu du centre.

Notre borgne ne sut plus quoi faire pour loucher vers le paradisdu pouvoir ; il eut beau faire des contorsions dignes d'un fakir, il ne par-vint toujours pas à loucher vers le centre. Il changea de tactique et essayade convaincre ses concitoyens que finalement le président était de gauche,de la gauche destructrice des traditionnels équilibres diplomatiques, etmettait le pays en danger en osant sortir du pré carré d'un certain pays pas-teur des âmes anciennement colonisées. Rien n'y fit au grand dam de notreborgne, qui finalement inventa la théorie de la maison sans toit qu'on nepouvait donc pas prétendre meubler, ni embellir. Bien sûr la solution pré-conisée était à la hauteur de la profonde intelligence et de l'étendue de laculture de notre Docte Docteur. Il proposait avec quelques uns des chantresde sa solution, de faire des toits sur mesure aux trois chambres sur les quatreque comportait la maison, la quatrième chambre servant d'anti-chambre à unancien seigneur et "ami" de la famille qui avait gardé la clef pour y passer ses

vacances et s'en servir de temps en temps de "dangourou", où encore de lieude passage de son trop plein de rancune et de revanche contre le pays desaveugles dansants qui a eu l'indélicatesse de "prendre son indépendance"comme on prenait un morceau de viande ntibe, au dessus du plat de riz sansl'autorisation du patriarche !

CE QUE VOUS DEVEZ SAVOIR CHERS LECTEURS, c'estque le pays des aveugles dansants n'a pas toujours été peuplé d'aveugles nés.Ils le sont devenus par le stratagème du mât de cocagne politique ,qui consis-tait à accrocher aux indépendances africaines nouvelles, tous les privilèges etles plaisirs des anciens colonisateurs , notamment le pouvoir politique, et dedresser ce mât sous le soleil exactement, de telle sorte que tous ceux qui nou-vellement indépendants tentaient d'y monter étaient aveuglés par le soleil etl'éclat des cadeaux accrochés tout en haut de ce mât de cocagne politique.Comme dans ce pays tout le monde aspirait au pouvoir politique, au point d'a-voir transformé la tournante des banlieues parisiennes en une tournante poli-tique, tout le monde devint donc aveugle.

Et le borgne me demanderez-vous ? C'est très simple à comprend-re. Comme il avait appris à l'école qu'au pays des aveugles les borgnes sontrois, il s'est gardé de monter directement au mât, se contentant de se mettresous l'ombre protectrice de ceux qui y montaient. Ainsi il n'a jamais voulu seprésenter à une quelconque élection, ni législative, ni présidentielle insulaires,ni présidentielle fédérale, ni même à la cooptation des maires -sauf s'il étaitseul- qui était le mode d'élection des maires au pays des aveugles dansants.Mais alors comment notre borgne a fait pour perdre son œil gauche, lui quine s'exposait jamais au soleil du pouvoir ? Eh bien ! c'est tout simplement àcause de sa curiosité intellectuelle. Un jour il a eu le culot de demander à ceuxqui avaient mis au point le stratagème du mât de cocagne politique : commentse faisait-il que tous ceux qui y montaient devenaient aveugles ? Comme ilavait les faveurs des inventeurs du mât, on lui accorda le privilège de luidévoiler le secret sans pour autant qu'il eut à monter au mât aveuglant. De l'ar-rière chambre d'une ambassade, on lui donna une lorgnette et l'invita à obser-ver le mât par la fenêtre en ayant bien soin de lui demander de choisir l'œilqu'il voulait garder intact car malgré la distance et la lorgnette, l'effet aveu-glant du mât jouait toujours.

Se rappelant son fond de culture musulmane, celle qui lui restaitaprès son passage à un poste de responsabilité dans la république révolution-naire des imberbes, il choisit de mettre la lorgnette sur l'œil gauche afin d'é-pargner le droit pour bien distinguer le jour du jugement dernier la droite-paradis de la gauche-enfer, lorsqu'il passera avec tous les autres ressuscitéssur la lame tranchante du pont du "Surate" qui passait au dessus de l'enfer etdu paradis. Notre courageux borgne par simple curiosité intellectuelle, sacri-fia ainsi son œil gauche, ce qui lui permit tout de même d'être le roi des lou-ches aux pays des aveugles dansants.

ABOUBACAR SAID SALIMécrivain

par Aboubacar Saïd Salim

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