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LEDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par Soeur M.-François, Beirne, O.P. Thèse présentée pour le grade de Doctorat dUniversité * a 1Université Laval Québec, juillet, 1940

L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

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Page 1: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

” L’EDUCATION DES FEMMES ”

” AU DIX-SEPTIEME SIECLE. ”

Par

Soeur M.-François, Beirne, O.P.

Thèse présentée pour le grade de

Doctorat d’Université

*a

1‘Université Laval

Québec, juillet, 1940

Page 2: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

L’EDUCATION

DES

FEMMES

D U

DIX-SEPTIEME

SIECLE

Page 3: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

TABLE MATIERES

Fages

Introduction I

Chapitre 5i

Chapitre II St. Vincent de Paul 20

Chapitre III...ses Jansénistes et Port-Royal 28

Chapitre IV.Education mondaine. Les Précieuses... 34

Chapitre Llolière 42

Chapitre VI Madame de sévigné 54

Chapitre Vil. ..u’abbé Claude Fleury.ues Ursulines 62

Chapitre VIII Fénelon 69

Chapitre IX Madame de Maintenon 86

Chapitre Les Continuateurs de Fénelon 101

V

x

Propositions.......................... : 105

Bibliographie........................................................................................ : 108

Page 4: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

Introduction

On connaît le mot de Lamennais: ” La

femme est une fluur qui ne donne son parfum qu’à l’ombre.”

Ce mot synthétise une longue tradition française sur l’é­

ducation des femmes, une longue défiance du savoir fémi­

nin qui remonte jusqu’au moyen âge.

” Femme je suis povrette et ancienne,

” Qui riens ne sçay oncques lettre ne leuz:...

avoue la mère de François Villon. Et là-dessus beaucoup

de femmes en France pouvaient dire à peu près la même

chose, à l’époque où l’on se moquait d’elles dans le Ro­

man de la Rose, voire à l’époque où Erasme disait d’elles;

” De même qu’un singe est toujours un singe, une femme,

quelque rôle qu’elle joue, est toujours femme, c’est-à-

dire sotte et folle.”

Cependant, il faut noter que la fem­

me française n’a rien d’une ilote. L’Eglise a relevé sa

condition et le culte qu’on avait pour Notre-Dame n’est

pas étranger à la reconnaissance de la dignité féminine.

Déjà dans le théâtre du moyen âge, on peut rencontrer des

hommages délicats à la femme;

Tu lés feblette et tendre chose,

Et iés plus fresche que n’est rose:

Tu iés plus blanche que cristal

Que neif qui Ghiet sor glace en vol

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2

Mal Cuple en fist li Criatur:

Tu es trop tendre, et il est trop dur.

Mais neporquant tu es plus sage,

En grant sens ai mis ton corsage...

Et Christine de Pisan est heureuse de chanter «Jeanne d’Arc,

plus forte en son siècle, que bien des hommes, et contre

les auteurs du Roman de la Rose, elle soutient que le

science ennoblit au lieu de corrompre les moeurs. "Il ne

doit mie estre présumé que de scavoir les sciences mora­

les, et qui apprennent les vertus, les moeurs doivent en

empirer, ains n’est point de doubte qu’ils en amendent et

anoblissent

Et Louise Labé, célèbre corc’ière ly­

onnaise, au 16ième siècle, peut se réjouir dans une lettre

qu’elle adresse à une amie, du fait que " les sévères lois

des hommes n’empêchent plus les femmes de s’appliquer aux

sciânces et disciplines."

Néanmoins, la partie est loin d’ê­

tre gagnée. Montaigne tout en louant la femme antique, n’

a que du mépris pour la femme de son époque. Charron exa­

gère Montaigne et Bodin n’est plus aimable. Et Malebran-

che? Le philosophe oratorien, avec certains moralistes re­

ligieux du 17ième siècle déjà frottés de jansénisme, ne

conçoit pas l’égalité des sexes devant l’instruction.

C’est aux femmes, écrit-il, à décider des modes, à juger

de la langue, à discerner le bon air

(I) "Le livre de la cité des Cames:" Christine de Pisan

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et les belles manières. Elles ont plus de science,£’ha-

bileté et de finesse que les hommes sur ces choses. Tout

ce qui dépend du goût est de leur ressort; mais, pour 1’

ordinaire, elles sont incapables de pénétrer des vérités

un peu difficiles à découvrir.”

On sent dans ces propos et ces attitu­

des une rancune obstinée, sinon toujours consciente, con­

tre la première femme qui séduisit le premier homme dans

l’Eden, pour avoir tâté du fruit défendu, pour avoir tou­

ché à l’arbre de la Science.

Ce ne sera vraiment que grâce à l’Eglise

et dans ce siècle où Selon le mot de Bossuet, ”tout ten­

dait au grand,” que l’on verra la femme moins ignorante,

plus instruite de ses devoirs humains et sociaux. Elles

devront beaucoup à l’abbé Fleury et à Fénelon.

Cependant, avant le renfort de Fénelon,

elles vont trouver dès le début du 17ième siècle, des

précurseurs de la pensée éducatrice fénelonnienne, de

grands apôtres comme saint François de Salles et saint

Vincent de Paul qui vont montrer que la ” femme est la

moitié du genre humain ” et que son âme est d’un prix

infini puisque comme celle de l’homme elle a été payée

du sang de Jésus-Christ, c’est par eux que nous allons

commencer cette étude. Dans les premiers chapitres, nous

verrons donc l’influence de ces deux grands hommes sur

Page 7: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

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l’éducation des femmes; et dans les chapitres subsé­

quents, nous verrons le rôle de certaines grandes da­

mes qui ont brillé particuliérement dans leur siècle,

le rôle de Molière et enfin, le rôle de l’abbé Fleury,

de Fénelon et de ses Continuateurs. Nous suivrons ain­

si assez librement, la lente ascension au 17ième siè­

cle, de ce qu’on pourrait appeler encore bien impar­

faitement l’émancipation féminine.

Page 8: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

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CHAPITRE I

SAINT FRANÇOIS DE SALES.

Dès le début du siècle, s’affirment

sur le problème de l’éducation féminine les tendances

les plus diverses. En certains quartiers on songe à fai­

re de la femme une bonne ménagère, une femme instruite.'1’

On n’est pas loin de considérer la femme comme un être

inférieur. Cependant grâce à l’influence de Saint Fran­

çois de Sales et de saint Vincent de Paul, se fondent

partout des communautés enseignantes où l’on combat vi­

goureusement les tendances de la vie mondaine.

(I) "Revue des Deux-Mondes"; Fagniez, le 15 janvier, 1909

Comme nous venons de le dire, saint

François de Salles exercera une influence considérable

sur l’éducation féminine du 17ième siècle. Saint Fran­

çois de Sales n’a pas donné une théorie de l’éducation,

mais dans son oeuvre la plus importante, L’introduction

à la vie dévote, qui parut en 1609, il touche à la plu­

part des questions essentielles relatives à l’éducation

féminine. Dans la préface de son livre, saint François

de Sales nous dit son intention " d’instruire ceux qui

vivent ès villes, ès ménages, en la cour.” Il ajoute:

"j’adresse mes paroles à Philothée, parce que, voulant

Page 9: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

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réduire à l’utilité commune de plusieurs âmes, ce que

j’avais premièrement écrit pour une seule, je l’appel­

le du nom commun à toutes celles qui veulent etre dé­

votes, car Philothée veut dire amatrice ou amoureuse

de Dieu.”

Pour diverses raisons: guerres, que­

relles de religion, dans la première moitié du 17ième

siècle, en France, il y avait un grand nombre de fem­

mes qui avaient perdu toute manne spirituelle et qui

avaient perdu, par conséquent l’attrait du service de

Dieu. La formation morale et religieuse est pour Fran­

çois de Sales la question la plus importante. Il pré­

pare Philothée pour sa destinée finale. Cette pensée

est le commencement et la fin, la base et le sommet de

L’instruction à la vie dévote. Saint François de Sa­

les divise son oeuvre en cinq parties. Dans les deux

premières parties, il montre à Philothée les moyens

de pénétrer dans la dévotion. Il ne veut pas que Phi­

lothée soit découragée dans sa préparation pour la vie

éternelle. "Il faut bien que pour l’exercice de notre

humilité, nous soyons quelquefois blessés en cette ba­

taille spirituelle; néanmoins, nous ne sommes jamais

vaincus sinon lorsque nous avons perdu ou la vie ou

le courage.”^ Quand on songe au triste état de la con­

dition spirituelle des femmes, on peut apprécier cette

(I) "Introduction à la vie dévote.” 1ère partie, Chap. V

Page 10: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

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pensée de l’auteur. Une longue suite de désastres avait

désolé la France à cette époque et avait rendu très du­

res les conditions matérielles; le spirituel s’en était

ressenti; les âmes féminines surtout étaient privées de

tout élan spirituel: conséquence: beaucoup de dégrada -

tion morale. Pour calmer les troubles de leurs âmes,

saint François de Sales exhorte les femmes à la confes­

sion: '‘allez courageusement, en esprit de pénitence et

d’humilité faire votre confession générale; mais je vous

prie, ne vous laissez point troubler par aucune sorte

d’appréhension. " En donnant ces conseils, saint Fran­

çois de Sales opère chez les femmes du 17ième siècle, d’

admirables transformations morales. L*Introduc tion à la

vie dévote est donc riche en conseils pour les femmes.

Dans la deuxième division de son

ouvrage, on peut voir une partie de son programme tou­

chant l’éducation religieuse des femmes, car l’éduca­

teur d’un siècle, quel qu'il soit, a fait peu de choses

s’il n'a formé les âmes aux pratiques de la vi9 chré­

tienne. Ainsi donc, la jeune fille, selon saint Fran­

çois de Sales doit prier. La prière, les bonnes pen­

sées, la réception fréquente des sacrements sont les

fondements d’une vie chrétienne, c'est ainsi que

(2) "Introduction à la vie dévote." 1ère partie, chap. V.

Page 11: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

saint François de Sales comprenait l’oeuvre de 1’éduca­

tion. "Commencez toutes sortes d’oraisons, soit mentale

soit vocale, par la présence de Dieu, et tenez cette rè­

gle sans exception Il recommande à Philothée le cha­

pelet et les litanies diverses. Il l’instruit solidement

des dispositions requises pour recevoir avec fruit les

sacrements de pénitence et d’eucharistie. Il exhorte Phi­

lothée à la réception fréquente des sacrements: "Commu­

niez souvent, Philothée, et le plus souvent que vous pour-

rez avec 1 avis de votre père spirituel. (2)

C’est saint François de Sales qui

établit le premier peut-être dans son siècle, la nécessi­

té de la bonne lecture. Quelques femmes de ce siècle ne

craignaient pas d’affronter la lecture des philosophes;

et Descartes n’avait pas de disciple plus attentive que

la princesse Elizabeth. Madame de Grignan elle-même a-

vait épousé la doctrine cartésienne avec ardeur. Saint

François de Sales préfère faire aimer les histoires et

la vie des saints, les vies des premiers Jésuites, cel­

le de Saint-Charles Borromée, archevêque de Milan, de

saint Louis, de Saint Bernard, les Chroniques de saint

François et d’autres. " Historia magistra vitae... "

estimait-il avec Cicéron^ Il cherchait encore à déve­

lopper dans l’âme de Philothée toutes les vertus, c’est

dans la troisième partie de son livre que saint Fran­

(1) ” Introduction à la vie dévote, 2ème partie,chap. I.(2) Ibid.

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çois de Sales montre qu’une éducation morale repose sur

la connaissance des vertus. Il nous faut préférer la ver­

tu qui est plus conforme à notre devoir et non pas celle

qui est plus conforme à notre goût. Saint François condi-

dère l’éducation comme une oeuvre de foi et de piété. La

jeune fille doit être ornée de vertus solides; force d*

âme, fermeté de caractère tempérée par la douceur, la bonté

la patience. Il faut surtout une grande exactitude à tous

les devoirs d’état.

Aux femmes mariées, saint François

accorde aussi une paternelle attention. Dans son chapi­

tre: "Avis pour les gens mariés", il les exhorte à l’a­

mour mutuel et il parle des trois effets de cet amour; 1’

union indissoluble des coeurs, la fidélité Inviolable de

l’un à l’autre et la production des enfants. Saint Fran­

çois considère les trois choses essentielles que les deux

époux doivent avoir en vue; Dieu, la famille et leur sanc­

tification. Une jeune fille doit voir dans le mariage la

réponse à l’appel de Dieu qui lui montre dans cette vo­

cation la route du ciel. Rabelais et Montaigne viennent

de ravaler le divin caractère du sacrement de mariage.

Pour sauvegarder les jeunes filles du 17ième siècle, saint

François rétablit ce caractère.

Cependant, chez lui, rien de tris­

te. Ce serait, en effet, une grande erreur de croire que

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la piété que saint François recommande rétrécit l’hori­

zon de l’esprit et oblige à se détourner des connais -

sances dites profanes. Mais nonl Rien n’est profane pour

l’âme qui sait faire remonter à sa vraie source toute

science et toute beauté, et c’est pourquoi l’auteur de

l’introduction conseillait aux jeunes filles du dix-

septième siècle de développer leur vie intellectuelle

par la lecture, l’étude et la réflexion personnelle. Il

apporta en ce domaine un remarquable exemple et de pré­

cieux enseignements. Gomme le remarque fort bien Mgr

Francis Vincent, le culte des lettres humaines n’est

pas chez notre Saint, concession faite au goût du siè­

cle : ”pour lui, plus encore que pour saint Ignace qui

avait prescrit la rhétorique à ses religieux, la culture

humaine fait partie de la culture chrétienne.”^

Ses longues et brillantes études

l’avaient préparé à goûter la bienfaisance d’une riche

culture. Paris, au sein duquel s’affrontaient, dans la

fièvre, les parties politiques et religieux, l’avait

vu arriver, jeune étudiant de quinze ans, et se jeter

à corps perdu jusqu’à sa vingtième année dans l’étude

de la rhétorique et de la philosophie. François pres­

sent que pour agir sur ses contemporaines, il faut à

la fois comprendre et savoir. Qui comprit mieux que

(I) Saint François de Sales, directeur d’âmes. François vincent.

Page 14: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

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lui la société féminine de son temps? Il observait et il

apprenait. Des lectures abondantes, tant chez les anciens

que chez les modernes, le mettent en contact avec la pen­

sée humaine sous toutes ses formes. Bien que la femme de

son temps, au moins d’une façon générale, n'entreprît pas

les études proprement dites, le bon Saint conseillait à

ses dirigées, les beaux livres de dévotion.” Comme nous

avons dit, il n’y avait pas une cloison étanche entre 1’

étude, comme elle existait de son temps et la vie inté­

rieure. Le but de son effort intellectuel fut semble-t-

il de connaître pour mieux aimer Dieu et ses frères. Il

sait que tout sert au bien des âmes, surtout aux âmes du

dix-septième siècle. Il avait un souci constant de se

cultiver sol-même pour aider ensuite à la culture d'au­

trui. Nous le verrons devenir le confesseur de Mme Aca-

rie et sera consulté par beaucoup de femmes de son temps.

Gomme il aida à unir la sainteté et la science chez les

femmes. On ne s'étonne donc pas que, dans son petit An­

necy, d'accord avec le président Favre, son ami, père

du grammairien Vaugelas, François de Sales jugeât utile

de fonder 1'Académie florimontaine, sorte d'Académie

française avant la lettre, pour favoriser l'amour de la

science, l'art de bien écrire et de bien dire. Comme il

appert, il ne refuse pas aux femmes la vraie culture de

l'esprit, mais, il leur demande, comme Molière le fera

Page 15: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

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plus tard, de n’en point faire étalage. Il connait leur

propension au pédantisme et pour réaliser tous ses rêves

de perfection chez les femmes au sujet de l’éducation,

il cherche à développer toutes les vertus. A son avis,

les divertissements ne doivent pas être interdits, à la

jeune fille, si elle en use avec discrétion... "Dansez

et jouez selon les conditions que je vous ai marquées,

quand pour condescendre et complaire à l’honnête conver­

sation en laquelle vous serez, la prudence et la discré­

tion vous la conseilleront.^"

Saint François de Sales écrit à

Mme Brulart, "Vous ne devez pas seulement ... aimer la

dévotion, mais vous la devez rendre aimable à un cha­

cun. Or vous la rendrez aimable si vous la rendez u-

tile et agréable. Les malades aimeront votre dévotion

s’ils en sont charitablement consolés; votre famille,

si elle vous reconnaît plus soigneuse de son bien, plus

douce aux accurences des affaires, plus aimable à re­

prendre, et ainsi du reste; monsieur votre mari, s’il

voit qu’à mesure que votre dévotion croît vous êtes plus

cordiale en son endroit et plus suave en l’affection que

vous lui portez; messieurs vos parents et amis, s’ils re­

connaissent en vous plus de franchise, de support, de con­

descendance a leurs volontés qui ne seront pas contraires

à celle de ^ieu. Bref, il faut tant qu’il est possible,

(I)"Instruction à la vie dévote." 3ême partie, chap. 54

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rendre notre dévotion attrayante”. Selon saint François,

la dévotion ne sera pas attrayante si elle est triste et

contrainte. Lorsque Mme de Chantal passa de la conduite

de son premier directeur à celle de saint François de Sa­

les, ses domestiques disaient entre eux: "Le premier con­

ducteur de Madame ne la faisait prier que trois fois le

jour, et nous en étions tous ennuyés; mais Monseigneur de

Genève la fait prier à toutes les heures du jour et cela

n’incommode personne...” On peut voir facilement que le

premier avait l’esprit de contrainte et notre saint l’es­

prit de liberté. Des que vous sentirez une sombre tris­

tesse vous envahir, jetez-vous, dit François de Sales, dans

les bras du "Dieu de joie et de consolation” avec des pa­

roles de confiance et d’amour. Il conseillait à la jeune

fille de détourner son attention de son propre mal, de

fixer son esprit sur quelque occupation apte à la dis­

traire, redoubler d’exactitude en ses devoirs d’état;

quoique sans ferveur, faire des actes d’amour; enfin s’

imposer quelque mortification et se confier à votre di­

recteur. Si une jeune fille du dix-septième siècle sui­

vit ce conseil, n’est-il pas fort probable que tout ren­

trera dans l’ordre? L’ame n’a jamais sujet de s’abandon­

ner à la tristesse, qu’elle soit dans l’épreuve extérieure

ou intérieure, puisqu’elle peut et doit toujours compter

sur le secours de Dieu. Et selon saint François, la joie

est le fruit naturel d’une parfaite conformité de

Page 17: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

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notre vouloir à celui de Dieu. En conséquence, saint Fran­

çois de Sales ne veut pas de mines contraintes en la dévo­

tion, car dit-il, "Dieu est le Dieu de joie". Oui, ma chè­

re fille, écrit-il à l’une de 3es dirigées, je vous dis

par écrit aussi bien que de bouche: réjouissez-vous tant

que vous pourrez en bien faisant, car c’est une double grâ­

ce au bon oeuvre, d’être bien fait et d’etre fait joyeuse­

ment. Saint François se rend compte que la jaune fille

qui vit dans le monde doit par la force des choses, y en­

tretenir des relations et participer à ses plaisirs. Son

devoir n’est pas de le fuir, mais d’y garder la dignité chré­

tienne, ce qui ne l’empêchera pas d’y montrer de l’affa­

bilité, de la bonne grâce et une franche gaieté. Certai­

nement il y a dû avoir au dix-septième siècle, beaucoup

de jeunes filles qui exerçaient par l’exemple un aposto­

lat d’une si grande portée.

La pédagogie religieuse de saint

François de Sales repose donc sur les fondements les plus

solides; l’Evangile et l’enseignement des Pères et des

Docteurs de l’Eglise. Elle s’exprime dans chaque partie

de son oeuvre, mais surtout dans la troisième partie de

l’introduction. Saint François a surtout éclairé, re­

dressé et fortifié les âmes féminines. Il leur montre

que le grand ennemi de la sainteté est la préoccupation

ou contention de l’esprit. Il faut honorer par leur

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gaieté la sainte allégresse de Notre Seigneur, "invo­

quez Dieu et lui demandez son allégresse.^" Combien

de femmes il a éclairées et réconfortées! Dans un

siècle tristement désorganisé par tant de luttes re­

ligieuses, saint François commença à conduire des

femmes dans les voies de Dieu, voies claires sinon

toujours intelligibles, voies joyeuses: hilarem da-

torem diligit Deus.

Dans le dernier chapitre, il

exhorte Philothée à la persévérance: "Continuez et

persévérez en cette bienheureuse entreprise de la vie

dévote. Nos jours d’écoulent, la mort est à la porte...

regardez Jésus-Christ, ne le reniez pas pour le monde;

et quand la peine de la vie dévote vous semblera dure,

chantez avec saint François:

" A cause des biens que j’attends, "g

" Les travaux me sont passe-temps. "

L’introduction à la vie dévote

a un mérite unique: incorporée à l’esprit religieux de

la race, elle a formé le coeur de la femme française,

cette maîtresse de maison, cette mère de famille de la

bourgeoisie ou du peuple, qui passait du couvent au ma-

(1) "Introduction à la vie dévote," 4eme partie, chap. XIV.

(2) "Introduction à la vie dévote," 5ème partie, chap.XVIII.

Page 19: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

15

riage, comme à une profession religieuse, qui s’éta­

blissait gardienne du foyer, heureuse dans sa vie li­

mitée, trouvant sa joie à se consacrer à son mari et

à ses enfants.I

Bien que François de Sales ne pro­

fesse aucun système pédagogique, son oeuvre contient

sur l’éducation des femmes, des indications très pré­

cieuses. c’est grâce au saint que la femme française

s’est rendu compte de sa noblesse et qu’elle a porté

son esprit à un rare degré d’élévation. Il fallait

bien cette élévation pour réagir contre de dangereux

courants: courant janséniste issu de la Réforme et d’

une trop grande défiance de l’humanité; courant mon­

dain venu de la Renaissance, des emballements de la

Fronde; courant glacé surgi des guerres de religion.

Il semble bien qu’alors il y ait eu à côté de la gran­

de Mademoiselle et à côté des huguenotes et des ita­

liennes frivoles, de véritables salvatrices du vrai

foyer français. L’amour courtois se nuance d’admira­

tion. On comprend en dépit de certaines répugnances,

que l’esprit de la femme est capable de lumière autant

que son coeur est capable de dévouement. On supporte

les femmes instruites, mais Instruites commes des é-

ducateurs religieux peuvent les instruire, c’est-à-

(I) La littérature Religieuse de François de Sales à Fénelon; J. Calvet.

Page 20: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

16

dire avec la préoccupation dominante de régler la vie,

de fortifier la femme contre les entraînements du mon­

de et de lui apprendre toutes les bienséances néc6s -

saires. Saint François de Sales était un modèle ache­

vé de cette courtoisie chrétienne; ”Notre bienheureux

Père, a témoigné Jeanne de Chantal, rendait à toutes

les créatures le plus d’honneur qu’il se pouvait, soit

par par-oies, soit par effet.” Chez les jeunes filles,

il considérait cette perle de grand prix qui seule fait

leur vraie grandeur; une âme rechetée par la Rédemption.

Cela explique ce mot chez lui très surnaturel; "Je ne

fais pas grande différence d’une personne à une autre.”

C’est par ce qu’elles ont de plus noble, qu’il les é-

galisait dans sa pensée. La était le secret de son ex­

quise civilité. Il y a trois siècles ce jeune étudiant

s’était fixé pour la conversation; ”11 faut que je sache,

qu’aux supérieurs ou d’age, ou de profession, ou d’auto­

rité, il ne faut faire paraître, que ce qui est exquis;

aux semblables, que ce qui est bon; aux inférieurs, que

ce qui est indifférent. Quant à ce qui est mauvais, il

ne le faut jamais découvrir à qui que ce soit... L’amour

engendre la liberté, et le respect la modestie... Entre

les égaux, il faut être également libre et respectueux,

avec les inférieurs, il faut être plus libre que respec­

tueux; mais avec les grands et supérieurs, il faut être

Page 21: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

17

beaucoup plus respectueux que libre.” Les jeunes filles

apprenaient donc, à la suite de notre Saint, à réagir

contre le courant de laisser-aller, de familiarité, de

vulgarité qui avait tendance à s’infiltrer au dix-sept­

ième siècle. Elever 16 ton de la conversation, y garder

la décence et le bon goût, y avoir de l’esprit sans man­

quer à la charité, du savoir sans orgueil et pédantisme,

y faire briller les autres en leur cédant la parole, ce

sont là qualités rares et pourtant bien propres à une

chrétienne et ce sont celles que saint François impri­

mait si bien dans l’esprit féminin.

Autrefois l’éducation de la fem­

me se faisait dans la famille. Le père Ou la mère s’oc­

cupaient de l’éducation proprement dite, tandis que des

gouvernantes étaient chargées de l’instruction. Madame

Acarie (qui devint la bienheureuse Marie de l’incarna­

tion) et sainte Chantal élevèrent ainsi leurs filles à

la maison. De même, Madame de La Fayette reçut les le­

çons de son père et pour le latin celles de Ménage et

du P. Rapin.

De concert avec François de Sa­

les, Madame de Chantal fonda pour les filles, à Annecy,

en 1610, le premier monastère de la Visitation. La

congrégation s’est vouée dès lors à l’instruction des

Page 22: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

18

jeunes filles. On y voit entrer des filles de la

plus haute noblesse, ainsi que les filles de la bour­

geoisie .

L’éducation des filles chez les

Visitandines mérite une mention spéciale. Au commen­

cement du 17ième siècle, les oeuvres pédagogiques é-

taient rares. Celle qui existait, l’institution de

la femme, par Pierre de Changy, donne une idée du

plan d’éducation. Ce livre ne regarde pas favora­

blement la jeune fille. La sévérité de l’institution

de la femme est telle que l’on exige une surveillance

stricte. L’instruction ne tient qu’une petite place.

Quelques citations du livre qui fut traduit du latin

de l’espagnol Vivès, nous donneront une idée du type

d’éducation qui existait. "La petite fille, une fois

sevrée, ne devra jouer qu’en présence de sa mère ou

d’une autre femme âgée, et jamais avec des garçons.

Elle ne doit continuer de hanter les enfants mâles,

pour non s’accoutumer à se délecter avec les hommes.

Puis elle apprendra à coudre, à filer, à tenir le mé­

nage et à faire la cuisine, et cela quelle que soit

sa condition. La jeune fille apprendra à lire, at­

tendu que les bonnes lectures et les récits d’actions

vertueuses incitent à la vertu. Mais vous vous gar­

Page 23: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

18a

der6z de laisser aux mains de votre fille, livres pleins

de pestiférés et lascivetés, attirants à vice, comme Lan­

celot du Lac, Le Roman de la Rose, Tristant, Fierabras,

Merlin, Floremond, etc... Mais la jeune fille lira les

Vies des saints et saintes, la Consolation de Boèce, la

Vie des rères du désert, la Fleur des Commandements et

autres écrivains salutaires. La jeune fille ne boira

que de l’eau ou du vin très étendu d’eau; elle s’abs­

tiendra d’épices et de sauces; elle ne mangera que des

viandes légères et encore rarement et en petite quan­

tité, et se nourrira surtout de potage. Son lit sera

dur et son sommeil non pas long, suffisant toutefois

à la valitude de sa personne. Et jamais elle ne de­

meurera cisive. La jeune fille ne mettra point de fard,

ne portera pas de bijoux, ne se parfumera pas, n’aura

que des robes de drap tout unies comme en portait la

sainte Vierge. Elle évitera la tête-à-tête même avec

un proche parent, frère, oncle ou cousin. Elle ne

dansera jamais, car des danses naissent les amouret­

tes, et l’amour est la chose la plus funeste du monde.I"

Et les couvents? Comme Gréard

nous le dit, le couvent était en grand honneur au 17

ieme siècle. ”11 était le premier et le dernier asi­

le; c’est au couvent qu’on s’exerçait à mourir et qu’

(I) "Fénelon” : Jules Lemaitre

Page 24: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

19

on commençait à vivre.2" On ne regardait pas à l’âge

pour y placer les jeunes filles; un deuil de familie,

un départ, les circonstances en décidaient. Madame

Guyon avait été envoyée à deux ans et demi, aux Ursu-

lines de Montargis; Marie-Blanche de Grignan/de Mada­

me de Sévigné à moins de six ans, à Sainte-Marie de

la Visitation d’Aix. L’étrange émotion que nous cau­

se, même à des siècles de distance, le spectacle de

ces enfants observant le silence comme des vieilles

nonnes, parlant bas du lever au coucher, comme des

diplomates, ne marchant jamais qu’encadrées de deux

religieuses comme des prisonnières, passant d’une mé­

ditation à une autre, de l’oraison à l’instruction,

n’apprenant en dehors du cathéchisme, que la lecture,

l’écriture, et le dimanche, un peut d’arithmétique.

Il y avait de quoi effrayer l’imagination populaire;

et on ne s’étonnera pas de voir Fénelon si peu priser

les couvents, et Diderot écrire un affreux roman: la

Religieuse. roman farci de légendes terrifiantes sur

les horreurs des séquestrations couventines; on com­

prendra mieux Cresset et son Vert-Vert amusant au

18ième siècle.

(2) "Education et Instruction" : O. Gréard, Page: 161.

Page 25: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

20

CHAPITRE II

SAINT VINCENT DE PAUL.

Un autre artisan important de

la réforme du sentiment religieux au dix-septième siè­

cle et de l’éducation fut saint Vincent de Paul. La

France, on ne saurait trop le dire, était secouée de

toutes parts par le doute et la confusion, surtout cel­

le des doctrines. Combien d’âmes féminines furent dis­

traites par les illusions de l’esprit! On fit nommer

saint Vincent de Paul, aumônier dans la cour brillan­

te et mêlée de la reine Marguerite de Valois, épouse

de Henri IV. Dans cette cour, Vincent apprend le grand

monde et son esprit observateur met à profit cette ex­

périence. ce fut le Cardinal de Bérulle qui le lança

bien malgré le saint, dans le grand monde, chez Madame

de Gondi. La grande dame lui avait demandé de l’as­

sistance spirituelle pour son âme inquiète, scrupuleu­

se et désemparée. Comment saint Vincent de Paul va-t-

il ramener dans les âmes des femmes, l’ordre, la scien­

ce et la lumière? Par une direction suivie dont l’es-•A

sentiel nous apparait dans sa correspondance.

En 1624, saint Vincent de Paul

Page 26: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

21

prit à charge l’âme de Mademoiselle Le Gras. De tout-

tes les correspondantes de Vincent, nulle ne fut en re­

lations plus suivies avec lui, que Louise de Marillac,

cette femme d’élite du 17ième siècle. Louise de Maril-

lac avait épousé Antoine Le Gras. Ayant perdu son ma­

ri de bonne heure, elle renouvelait les rêves de sa

jeunesse de devenir religieuse. Scrupuleuse jusqu’à

se persécuter elle-même, elle devient presque jansé­

niste dans la conception de ses pratiques religieuses.

Et Vincent, effrayé des progrès de ce trouble, écri­

vit: "N’admettez point les pensées de singularité qui

vous ont tracassé autrefois, c’est un change que le

malin esprit vous voudrait donner.1" Saint Vincent

se montre un directeur pratique et judicieux. Il la

prie de supprimer la discipline et de "remplacer la

ceinture de poils de cheval par une ceinture plus dou-

ce de petites rosettes d’argent. " Les femmes con­

servèrent de l’exactitude dans les pratiques pieuses

de cette espèce, même au milieu de certains écarts.

La communion fréquente est intolérable à Mademoisel­

le Le Gras qui appréhende de s’y mal préparer. On

voit ici le respect exagéré pour le sacrement contre

lequel saint Vincent la conseille: "Pour la peine in­

térieure qui vous a fait retirer de la sainte commu- 1 2

(1) "Saint Vincent de Paul" : J. Calvet, Page 48.

(2) Ibid.

Page 27: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

22

nion aujourd’hui, vous avez un peu mal fait. Voyez-

vous bien que c’est une tentation, et faut-il, en ce

cas, donner prise à l’ennemi de la sainte communion?

Pensez-vous devenir plus capable de vous approcher de

Dieu en vous en éloignant qu’en vous en approchant?

0 certes, c’est une illusion.3” La conception jansé­

niste est, comme Vincent lui montre en opposition a-

vec le véritable esprit du christianisme. Mademoi -

selle Le Gras a rédigé pour elle-même un règlement de

grande austérité dont le moindre manquement lui appa­

raissait un péché grave. Elle doutait de son salut,

elle alla jusqu’à douter de l’immortalité de l’âme

et de l’existence de Dieu. "Mettez-vous toute dans

la sainte dilection qui opère la confiance en Dieu

et la défiance de soi, Mademoiselle, je vous en prie;

et laissez cette crainte qui me semble parfois un peu

serville, à ceuxàqui Dieu n’a point donné les senti­

ments que vous avez pour lui; et surtout méprisez ces

pensées, qui semblent infirmer la sainte foi que Dieu

à mise en vous.4” H s’oppose à son règlement et lui

commande d’agir "bonnement et bien doucement”. Après

avoir dissipé l’ignorance religieuse qui pourrait de­

venir une cause de superstitions malignes et de juge­

(3) "Saint Vincent de Paul" : J. Calvet, Page 48.(4) "Saint Vincent de Paul" : Pierre Coste, T. 1; page 150

Page 28: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

23

ments faux, saint Vincent de Paul conduit Mademoiselle

Le Gras à sa vraie vocation. Louise est chargée de vi­

siter toutes les confréries naissantes de la uharité.

Des cette époque elle devient la collaboratrice de saint

Vincent de P^ul dans l’éducation des jeunes filles. L’

instruction religieuse était à la base de s0n enseigne­

ment. Munie d’un petit cathéchisme rédigé par elle-mê­

me en termes clairs et précis, elle éclaire l’ignorance

des jeunes filles en les instruisant des vérités de la

foi. L’enseignement comprenait la lecture, le cathé­

chisme et des travaux particuliers aux femmes: coutu­

re, broderie, par exemple, mais c’était la religion qui

dominait, comme on peut en juger par une lettre; "Mon

Dieu I que je souhaite que vos filles s’exercent à ap­

prendre à lire et qu’elles sachent bien le cathéchis­

me que vous enseignez.1" Dans une autre lettre, on

lit; "Je suis bien aise de ce que vous me mandez de

ces bonnes filles de Liancourt et notamment de celle

qui sait faire de la dentelle. Elle pourra appren­

dre cela aux pauvres gens, ce qui servira d’attrait

pour les choses spirituelles.^" Avant de confier à

Mademoiselle Le Gras la mission d’enseignement, saint 1 2

(1) "Saint Vincent de Paul" ; Pierre Coste, T. 1, Page 313.

(2) "Saint Vincent de Paul" ; Pierre Goste, T. 1, Page 393.

Page 29: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

24

Vincent lui transmit l’intégrité de la foi, la science

et la vertu. Elle posséda ces trois grandes qualités.

Vincent sut reconnaître la capacité morale de cette veu­

ve vertueuse et il en jugea comme des savants jugèrent

de la capacité scientifique. Saint Vincent l’encoura­

gea à réunir chez elle d’humbles filles de la campagne,

pour les former à l’instruction des enfants pauvres.

S’il y avait une maîtresse d’école dans les endroits

qu’elle a visités, elle lui donnait d’utiles conseils.

Elle travaillait avec une persévérance et un zèle in­

fatigables à l’avancement des vertus morales ainsi qu’

à l’enseignement du cathéchisme. Enfin, après trois

ans de probation, assuré d’un zèle parfaitement pur,

saint Vincent la prie de l’accompagner à la mission de

Montmirail pour établir une confrérie de Charité: "Al­

lez donc, mademoiselle, allez au nom de Notre-Seigneur;

je prie sa divine bonté qu'elle vous accompagne, qu’el­

le soit votre saulas en votre chemin, votre ombre con­

tre l’ardeur du soleil, votre couvert à la pluie et au

froid, votre lit mollet en votre lassitude, votre for­

ce en votre travail, et qu‘enfin, il vous ramène en

bonne santé et pleine de bonnes oeuvres.-1'” ses bon­

nes oeuvres consistaient à faire rassembler les jeu-

(I) "Saint Vincent de Paul" Jean Calvet.

Page 30: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

25

nés filles, à les cathéchiser et à les instruire des

devoirs de la vie chrétienne.

Ce ne fut pourtant qu ’après

de longues instances auprès de saint vincent de Paul

que la grande oeuvre fut accomplie. Vers la fin de

1633, saint Vincent choisit enfin quelques filles qu’

il réunit dans la maison de Mademoiselle Le Gras, pour

une sorte de noviciat. Il faut ici encore rappeler

la correspondance: ” Il sera bon que vous leur disiez

en quoi consistent les solides vertus, notamment cel­

le de la mortification intérieure et extérieure de

notre jugement, de notre volonté, des ressouvenirs,

du voir, de l’écouter, du parler et des autres sens;

des affections que nous avons aux choses mauvaises,

inutiles et meme des bonnes, pour l’amour de Notre

Seigneur, qui en a usé de la sorte.I” C’est tou­

jours la formation morale et religieuse qui est 1’

idée dominante de saint Vincent de Paul et de sa

collaboratrice, cette première "Fille de la charité”.

Pour mettre la religion à la portée de toutes les

femmes du 17ième siècle, il réunit en assemblée tou­

tes les Filles qui se trouvaient à Paris, nomma Ma­

demoiselle Le Gras, supérieure et leur montra la

(I) "Saint Vincent de Paul” : J. Calvet, Page 52

Page 31: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

26

beauté de leur vocation. La première étude qu’il sug­

gère e3t celle de la religion. Une femme étudie non

seulement pour elle-m^eme, mais pour les âmes qui lui

sont confiées, et toujours on place la religion au

premier rang. Ces Filles de la Charité ouvrirent en

beaucoup d’endroits des écoles pour les petites fil­

les indigentes. "Très volontiers, je prie Notre Sei­

gneur qu’il donne sa sainte bénédiction à nos très

chères soeurs, et qu'il leur fasse part de l’esprit

qu’il a donné aux saintes dames qui l’accompagnaient,

et coopéraient avec lui à l’assistance des pauvres

malades et à l’instruction des enfants.^-"

Comme Monseigneur Spalding

le dit: "A travers tous les âges, l’homme s’est mon­

tré injuste, cruel meme envers l’homme, mais la fem­

me a paru reléguée par-delà les limites de l’humanité.

C’était un objet qu’on achetait et qu’on vendait, a-

vec lequel on jouait aux heures d’oisiveté, et qu’

on enfermait le reste du temps dans la double obs­

curité, si j’ose ainsi dire, de l’ignorance et de

la séquestration.ce fut saint Vincent de Paul

(I) "Saint Vincent de Paul " : J. Calvet, Page 58

(2) "L’Education supérieure des Femmes": Mgr Spalding

Page 32: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

27

qui s’occupa plus spécialement des femmes délais­

sées. C’est grâce à lui que s’est imprégné pro­

fondément chez les femmes, le véritable esprit

chrétien. Il se dépensa joyeusement et sacri­

fia beaucoup de son temps à aider la femme du 17

iême siècle.

Un grand philosophe l’a dit:

" On réformerait le monde si l’on réformait l’é­

ducation.” Ne pourrait-on pas ajouter: et l’on

réformerait vite l’éducation, si on la concevait

selon les pensées des Saints?

Page 33: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

28

CHAPITRE III

LES JANSENISTES ET PORT-ROYAL.

Dans l’éducation des femmes

du 17ième siècle, on peut distinguer un autre cou -

rant qui est tout à fait différent de celui du cou­

rant catholique. C’est le courant janséniste. L’é­

ducation des jeunes filles préoccupait les jansé -

nistes considérablement, elle semble avoir obsédé 1’

esprit de Jacqueline Arnauld, connue sous le nom de

Mère Angélique. Il faut rappeler d’abord la concep­

tion janséniste de l’éducation.

La nature de l’homme est

dorrompue depuis la faute d'Adam et d’Eve. L’en­

fant est essentiellement mauvais; mais comme il a

reçu le baptême, il sera préservé du mal et pren­

dra l’habitude du bien si l’on élève autour de lui

des barrières insurmontables. Trompée par ses croy­

ances ascétiques, Mère Angélique est, avec ses mai-

tresses d’une vigilance stricte sur les jeunes fil­

les. Ce qui domine, ce qui revient sans cesse à

Port-Royal, c’est l’idée que la nature humaine est

Page 34: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

29

mauvaise. Port-Royal-des-Champs était un couvent de

religieuses bernardines fondé au douzième siècle. Au

commencement du dix-septième siècle, la supérieure,

Mère Angélique, réforma le monastère; et comme les

bâtiments étaient devenus trop étroits pour le nom­

bre des religieuses, elle transféra sa communauté à

Paris. Devenu vacante, l’abbaye devint l’asile d’

un certain nombre d’hommes austères et imbus des doc­

trines jansénistes. Les doctrines jansénistes sur

la liberté humaine et la grâce divine coiisistent es­

sentiellement dans les points suivants; "La volonté

de l’homme est comme une balance qui penche essen­

tiellement du côté le plus fort; si elle penche du cô­

té du bien, c’est qu’elle est nécessairement attirée

au bien; si elle penche du côté du mal, c’est qu’elle

est nécessairement attirée au mal."

"La grâce divine n’est pas

accordée à tous les hommes, mais seulement à ceux que

Dieu a prédestinés et pour qui Jésus-Christ est mort.”

Quand les justes font le bien, c’est qu’ils ont une

grâce à laquelle ils ne peuvent résister; si quelques

fois ils font le mal, c’est qu’ils n’ons pas la grâce

indispensable•

Page 35: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

30

"Les pécheurs, ceux que Dieu n’a

pas prédestinés, et pour qui Jésus-Christ n’est pas

mort, n’ont pas la grâce indispensable pour faire le

bien, et cependant ils sont coupables de ne pas le fai­

re parce que leur volonté, bien qu’étant nécessitée,

n’est pas contrainte."

Les jansénistes avaient une con­

duite très austère. Par un respect exagéré pour les

sacrements, ils s’en approchaient très rarement. Ils

exigeaient, pour recevoir l'absolution, la contrition

parfaite, qu’ils déclaraient très difficle à obtenir;

de la sorte, ils décourageaient les pécheurs de se

convertir. Ils exigeaient, pour recevoir la commu­

nion des dispositions si parfaites, qu’elles étaient

presque impossibles.

Tout en vaquant à la prière et

aux travaux manuels, les Jansénistes s’occupèrent d’

éducation. En 1643, ils ouvrirent une école à Port-

Royal; ils en fondèrent aux Grandes, au Château des

Trous et au Chesnai, près de Versailles. 113 leur

donnèrent le nom de "petites écoles". Les religieu­

ses s’occupèrent de l’éducation des filles. CommeI

nous avons dit (Jacqueline Pascal) Mère Angélique

fut spécialement chargée de cette oeuvre. Le rè­

Page 36: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

31

glement qu’elle traça est très sévère et montre son

auteur profondément imprégné de l’esprit de l’Augus-

tinus. Mère Angélique se défie de la conversation,

de la sociabilité. Elle déforme la pédagogie catho­

lique. Elle fait faire à ses jeunes filles de gran­

des abstinences. Les exercices de dévotion sont nom­

breux et les lectures spirituelles bien au-dessusde

l’âge des enfants. L’idée de la mortification néces­

saire est accentuée. L’enseignement jansénistique

imposait une morale sévère, le renoncement aux plai­

sirs du monde. C’est tout le contraire de la doc­

trine catholique au sujet de l’éducation des jeunes

filles, qui est une doctrine de douceur et de bonté.

Afin d’éviter toute dissipation et d’anéantir toute

inclination naturelle, toutes les récréations sont

courtes. On interdit aux jeunes filles les manifes­

tations extérieures de l’amitié et l’amitié elle-me-

me, Les jeunes personnes doivent tenir les yeux

baissés sans regarder d’un côté à l’autre. Un si­

lence parfait est imposé. Toutes les jeunes filles

sont considérées comme des religieuses et traitées

en petites novices. Elles font les cérémonies du

choeur; leur instruction religieuse est tracée sur

les disciplines monastiques auxquelles elles ne peu­

vent rien comprendre. Il arrive on le conçoit aisé­

Page 37: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

52

ment, que le plus fréquent résultat de cette éducation

est de les dégoûter de la dévotion dont elles n’ont vu

que les routines et de les jeter dans le monde, à sei­

ze ans, ignorantes de leur religion et dénuées de cul­

ture morale. Le programme est peu étendu. Il est mê­

me étroit, et Nicole avait raison de dire que pour 1’

esprit, Jacqueline Pascal ... nourrissait ses élèves

de pain et d’eau.I" Pour les filles, le règlement in­

diquait le cathéchisme, l’application des vertus chré­

tiennes, la lecture, l’écriture, l’Evangile, le chant

d’église et un peu d’arithmétique. La formation mora­

le des jeunes filles était la préoccupation constante

de Mère Angélique. Elle a essayé de discipliner la vo­

lonté et le coeur des jeunes filles, mais elle y a mis

trop de zèle humain, trop d’orgueil même, et à cause

de l’étroitesse et de la rigueur de ses idées religieu­

ses, son oeuvre d’éducation des jeunes filles fut in­

complète et manquée; Ainsi donc, au lieu d’appliquer

les principes de la pédagogie catholique, Mère Arnauld

les déforma. Son système d’éducation est d’une sévé­

rité excessive. Il y régnait une surveillance inces­

sante, qui n’était pas intelligente. Elle ne faisait

pas confiance à la nature humaine, déchue, il est

vrai, mais restaurée par la Rédemption. Les mé-

(I) "Histoire critique des Doctrines de l’éducation en France: Gompayre."

Page 38: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

33

thodes jansénistes eurent cependant quelques principes

excellents, mais dont ils furent très rarement les ini­

tiateurs. Rappelons-nous aussi que l’influence jansé­

niste sur la jeunesse fut très restreinte puisque ces

précepteurs n'eurent jamais plus de cinquante élèves à

la fois dans leurs écoles et que ces écoles durèrent à

peine quinze ans. Le mérite de Port-Royal fut de com­

prendre la nécessité de l’éducation à une époque où

cet important devoir était négligé, mais ils ne surent

pas garder la mesure convenable dans une réforme bonne

en soi et nécessaire. La pédagogie janséniste tout im­

bibée de défiance, de soupçon et de tristesse ne peut

guère engendrer que le ratatinement des âmes. Elle est

contraire à l’esprit français qui a besoin de joie et

d’épanouissement, contraire à l’esprit chrétien qui con­

sidère la tristesse comme une maladie; Tristitia autem

saeculi mortem operatur, dit saint Paul; contraire à 1’

esprit tout court. Aussi, va-t-elle rencontrer une ré­

action sérieuse; réaction mondaine, celle des Précieuses

de Molière; réaction plus sérieuse, plus chrétiennement

éclairée, celle de Fleury et de Fénelon.

Page 39: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

34

CHAPITRE IV

EDUCATION MONDAINE. LES PRECIEUSES.

En dehors des couvents, à côté

de l’effort janséniste, s’élabore une pédagogie mon -

daine, s’esquissent des théories .qui vont mettre la

question de l’éducation féminine en singulier relief.

Ainsi donc, après les fureurs religieuses des débuts

du siècle, quand la France commença à se reposer, à

se refaire, à la fin du règne de Louis XIII, il se forma

une petite société polie, curieuse de beau langage et

de littérature, d’éducation féminine. Peu à peu le

nombre de ces femmes du monde s’accrut. Vers 1607,

Catherine de Vivonne, marquise de Rambouillet, âgée

d’une vingtaine d’années ne voulut plus aller aux as­

semblées du Louvre. Les vieux courtisans du Béarnais

n’étaient guère raffinés et elle voulut avoir une so­

ciété à elle. Elle se retira dans sa maison et comme

elle était aimable, fort cultivée, sachant l’espagnol

et l’italien, comme elle était riche, comme elle avait

beaucoup d’esprit, son hôtel devint en peu de temps,

le rendez-vous d’une société choisie de dames, de

seigneurs et de gens de lettres. En 1618, Madame de

Page 40: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

35

Rambouillet fit bâtir à Paris, l’Hôtel de Rambouillet.

C’était là qu’elle réunissait ses amis dans la chambre

bleue. Son lit, placé probablement, la tête au mur et

sur lequel elle devait s’étendre pour recevoir, selon

l’usage, était séparé du reste de la pièce par une ba­

lustrade. C’était une faveur que d’être admis dans 1’

espace compris entre le mur et le lit: dans la "ruelle”.

Douze ou dix-huit sièges meublaient la chambre bleue,

fauteuils, chaises ou chaises pliantes, qu’il fallait

distribuer aux dames suivant leur qualité. Voilà le

cadre où se forma pendant quarante ans, mais principa-i

lement entre 1630 et 1645, l’éducation d’un certain

groupe de femmes. Il n’y avait pas de méthode, pro­

prement dite. Elles disputaient sur le sens, le mérite,

l’orthographe des mots. On y voit des hommes du monde

et des écrivains se réunissant pour s’entretenir de

questions sérieuses avec des femmes et sous la direc­

tion d’une femme. On voit là des duchesses et des

bourgeoises comme, par exemple, Madame de Longueville,

Mademoiselle de Montpensier, Mademoiselle de La Fayette

et Mademoiselle de Scudéry. Bossuet encore adolescent,

y prononça son premier sermon. Corneille y lisait ses

tragédies; enfin les écrivains venaient chercher dans

une société éclairée l’encouragement qu’ils ne trou­

vaient pas encore ailleurs. Les femmes en conversant

Page 41: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

36

avec les hommes, élargirent leur science, et de cette

façon elles avancèrent à grands pas dans l’éducation.

Vers 1645, le déclin du salon

commença. La "chambre bleue" perdit sa vraie précieuse.

En 1648, Madame de Rambouillet se retira dans ses terres,

et, sans fermer ses portes, le salon perdit peu à peu

son éclat. Mais la mode était lancée et partout d’au­

tres "réduits" et d’autres "ruelles" se formèrent. La

concurrence commença. Il y avait les réceptions de la

marquise de Sablé, de Madame de Bouchavannes ou de Ma­

dame de Brégis, mais surtout, les "samedis" de Mademoi­

selle de Scudéry. Les imitations du salon de Rambouil­

let, ne manquaient pas de pousser à l’abus les tendances

de leur modèle. Naturellement, quelques dames perdirent

leur bon sens. Ce fait n’est pas surprenant parce que

sans aide, sans direction, la femme était obligée de

chercher à ses risques et périls, les moyens de s’ins­

truire .

Mademoiselle de Scudéry s’efforça

de faire régner la politesse et le raffinement autour

d’elle, mais elle tomba souvent dans l’affectation.

Elle et ses imitatrices exagéraient les questions de

littérature et de grammaire. On manquait dans le salon

tout à fait de naturel et de simplicité. La recherche

Page 42: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

37

et la subtilité que développaient le salon conduisirent

quelques femmes à la préciosité.

Gomme on sait, la préciosité

consiste dans l’exagération du raffinement, l’extrava­

gance de la politesse et le culte trop exclusif de l’es­

prit et du jeu de mots. Ce fut surtout une maladie du

langage. Chacun s’efforça, dans les salons des précieu­

ses, mais particulièrement dans celui de Mademoiselle

de Scudéry, d’employer le langage le plus affecté. On

eut recours aux périphrases les plus contournées pour

dire les choses les plus simples, c’est ainsi que des

dents devinrent "l’ameublement de la bouche"; un verre

d’eau, "un bain intérieur"; les joues "les trônes de

la pudeur"; un sergent de police, "un mauvais ange des

criminels"; la perruque, "la jeunesse des vieillards";

le balai, "l’instrument de la propreté". On multiplait

les adverbes comme "furieusement, magnifiquement", ainsi

que les adjectifs pompeux.

Mademoiselle de Scudéry écrivit

des romans précieux. Dans Clélie, roman de dix volumes,

se trouve la fameuse "Carte du Tendre", c’était dans

ses romans que Mademoiselle de Scudéry donnait des con­

seils aux femmes à propos de leur éducation. Rien ne

lui paraissait moins digne d’une dame que d’etre "la

Page 43: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

38

femme de son mari, la mère de ses enfants, la maîtresse

de sa famille.En 1659, Mademoiselle de Scudéry, dans

le Grand Cyru3, exposa ses idées sur la pauvreté de 1’

éducation féminine. "Y a-t-il rien de plus bizarre que

de voir comme on agit d’’ordinaire en l’éducation des

femmes? On ne veut pas qu’elles soient coquettes ou

galantes et on leur permet pourtant d’apprendre soigneu­

sement tout ce qui est propre à la galanterie sans leur

permettre de savoir rien qui puisse occuper leur esprit

ni fortifier leur vertu. Une femme qui ne peut danser

que cinq ou six ans de sa vie en emploie dix ou douze

à apprendre continuellement ce qu’elle ne doit faire

que cinq ou six ans, et à cette personne qui est obli­

gée d'avoir du jugement jusqu’à la mort et de parler

jusqu’à son dernier soupir, on ne lui apprend rien du

tout qui puisse ni la faire agir avec plus de conduite...

Que l’on fait donc peu pour donner du savoir et de la

clairvoyance à notre sexe... Jusqu’à présent et sauf

quelques rares exceptions, l’instruction des filles

ne va pas au-delà de la lecture, de l’écriture, de la

danse et du chant. Et malgré cela, les hommes veulent

que dans toutes les circonstances de la vie, les femmes

aient un jugement raisonnable qu’ils n’ont pas eux-memes.

Il ne s’agit point pour elles de faire provision de

grandes connaissances spéciales, mais d’être capables

(I) "Education des Femmes" Gréard09

Page 44: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

39

de comprendra la conversation de l’homme instruit, de

pouvoir disserter sur toutes choses, non par sentences,

et comme un livre, mais en quelque sorte comme la saine

■raison humaine qui médite et n’a pas à rougir de son

savoir... à la vérité,je voudrait qu’on eût autant de

souci d’armer son esprit que son corps.”

Cette sorte de manifeste qui

rappelle Christine de fisan laisse voir que le progrès

féminin du côté de la science était encore tardigrade

et que les femmes n’étaient pas aussi disposées à se

résigner à l’ignorance. Ce manifeste laiss'e entendre

aussi que même à cette époque de préciosité, le savoir

des femmes les plus illustres était singulièrement iné­

gal et souvent bien court. D’ailleurs les faits démon­

traient que plus d’une grande dame ne savait ni lire,

ni écrire correctement. "Les femmes de la bourgeoisie

y étaient encore dans la seconde moitié du 17ième siè­

cle, incapables d’écrire leur nom.^” Madame de Main-

tenon écrivit qu’à l’âge de douze ans, elle passait

avec une cousine à peu près du même âge une partie du

jour à garder les dindons d’une vieille tante qui 1’

avait recueillie, "On nous plaquait un masque sur

notre nez, raconte-t-elle gaiement, car on avait peuh

que nous ne nous hâlassions. On nous mettait au bras

(I) "Revue des Deux Mondes" ; Fagniez, 15 janvier, 1909.

Page 45: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

40

un petit panier où était notre déjeuner, avec un livret

de quatrains de Pibrac, dont on nous donnait quelques

pages à apprendre par jour; on nous mettait une grande

gaule dans la main et on nous chargeait d’empêcher les

dindons d’aller où ils ne devaient point aller.Il

serait cruel de voir en cette page de Madame de Maintenon,

une image de la réalité; des petits français ne seront

jamais des dindons, et leurs mères des bergères ou des

filles de ferme.

Quoi qu’il en soit, la science

des femmes du 17ième siècle était en général inégale

et courte. En 1688, La Bruyère publia ses Caractère^.

Dans son chapitre "Des Femmes", il distingue deux clas­

ses de femmes: "Il y a dans quelques femmes une gran­

deur artificielle, attachée au mouvement des yeux, à

un air de tête, aux façons de marcher, et qui ne va

pas plus loin, un esprit éblouissant qui impose, et

que l’on n’estime que parce qu’il n’est pas approfondi.

Il y a dans quelques autres, une grandeur simple, na­

turelle, indépendante du geste et de la démarche, qui

a sa source dans le coeur, et qui est comme une suite

de leur haute naissance; un mérite paisible mais so-

(I) "Madame de Maintenon, institutrice": Faguet.

Page 46: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

41

lide, accompagné de mille vertus qu’elles ne peuvent

couvrir de toute leur modestie, qui échappent et qui

se montrent à ceux qui ont des yeux, "selon La Bruy­

ère, n’y avait-il pas des exceptions à l’ignorance

féminine officiellement acceptées? Oui, semble-t-il.

Et ces exceptions ont paru si peu conformes aux idées

reçues que Molière, le grand peintre de son siècle

n’a pas manqué de les remarquer et de grossir cruel­

lement leurs traits

Page 47: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

42

CHAPITRE V

MOLIERE.

C’est à cause de ses quatres

pièces: les Précieuses ridicules, (1659), l'Ecole des

Maris (1661), l’Ecole des Femmes (1662) et les Femmes

savantes (1672), qu’on peut classer Molière parmi les

pédagogues du 17ième siècle. Dans ces pièces, on voit

les conditions faites à l’éducation féminine en plein

17ième siècle. Etudions ici certaines opinions des

personnages pour mieux juger la leçon donnée par 1’

auteur et son esquisse d’éducation féminine. Rappe­

lons-nous d’abord que c’est à la bourgeoisie que

Molière emprunte ses personnages.

Les Précieuses ridicules

sont une critique contre les pédantes qui imitaient

avec exagération les manières et le langage de 1’

Hôtel de Rambouillet. Dans cette pièce, Molière con­

sidère la question de l’instruction féminine du point

de vue de la vie de société. L’auteur y montre quel­

ques types féminins variés dans l’orgueil, la vanité

et l’extravagance. Et par le truchement des person­

nages de Cathos et de Magdelen, il met en lumière les

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43

propos qui représentaient l’opinion publique sur la

question. Il prend ces personnages pour ainsi dire, à

l’état de bourgeoisie pures presque exclusivement dans

leur vie domestique.

Cathos et Magdelon, pour être

à la mode, ont prix les noms de Polixène et d’Aminthe.

Eprises du grec et de l’astronomie, elles cherchent à

attirer chez elles les savants du temps. Ces deux

pédantes ont repoussé leurs prétendants parce qu’ils

ne sont pas suffisamment beaux esprits et sont assez

peu poétiques pour vouloir se marier avent d’avoir

exploré pendant plusieurs mois le pays du "Tendre” qui

se trouve dans Clélie, le roman précieux en dix volumes,

de Mademoiselle de Scudéry. Car, "le mariage ne doit

jamais arriver qu’après les autres aventures,” (scène

IV)• Polixène et Aminthe adoptent la conversation de

Mademoiselle de Scudéry. Un valet devient un "néces­

saire”, un miroir, le "conseiller des grâces” et un

fauteuil, une "commodité de la conversation". "Vite,

venez nous tendre ici dedans le conseiller des grâces','

clament-elles, comme deux oies qu’elles sont, (scène VI)

Elles n’adoptent pas seulement

la conversation, mais encore les idées de Mademoiselle

de Scudéry dont une s’exprime dans les mots de Cathos:

Page 49: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

44

"Pour mol, mon oncle, tout ce que je puis vous dire,

c’est que je trouve le mariage une chose tout à fait

choquante." (scène IV). Quand on connaît Molière,

peut-on imaginer déclaration plus capable d’exciter

sa verve colérique?

La préciosité de ces deux per­

sonnages n’est que vanité pure et vanité niaise. Elles

ont la tête tournée par de sottes lectures prises au

sérieux. Elles veulent obtenir la réputation de bel

esprit que Molière rejette comme bien l’on pense. Le

retour des femmes aux soins de la famille, c’est là

le désir de Molière. "Ces deux femmes sont des chi­

pies. c’est de cela que Molière les raille. Pas

seulement leur langage et leurs vanités mondaines;

mais ce sont des femmes impossibles.-^” Elle se

rendent ridicules, font de Corgibus, leur père, un

objet de risée et ruinent la maison avec leur pom­

made et leurs parfums. Elles dépensent à se "grais­

ser le museau" de quoi entretenir une famille et

mener carosse.

Comprenons bien que ce n’est

pas la vraie science qui a rendu à peu près folles

Magdelon et Cathos, mais la lecture des romans et la

fureur de vivre au-dessus de leur condition. Désor-

(I) " Molière " ; René Benjamin. Page: 116

Page 50: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

45

dre impardonnable à une époque où tout est réglé, où

tout doit prendre et garder sa place pour l’harmonie

de l’ensemble.

L’Ecole des Maris porte elle

aussi à la scène des problèmes qui ont trait à l’édu­

cation. Cette pièce sans paraître y prendre garde

soulève rien de moins que la question de l’enseigne­

ment et de l’éducation des filles. Comment résoudre

la difficulté d’élever assez sagement une jeune fille?

Voilà la première question que Molière pose.

Sganarelle et Ariste élèvent

chacun sa pupille. Celui-là tient Isabelle dans la

plus dure contrainte. Celui-ci est plus indulgent

pour Léonor. Chez Ariste, un autre personnage bour­

geois, Molière nous montre qu’il veut l’indépendance

et la liberté pour la femme.

11 Leur sexe aime à jouir fl’un peu de liberté ”

” On le retient fort mal par tant d’austérité”

(Acte I, Scène II)

Ce partisan de la liberté est honoré, respecté et

aimé. Molière plaide donc pour l’indulgence dans

l’éducation, à ce qu’il semble.

” Et les soins défiants, les verrous et les grilles”

” Ne font pas la vertu des femmes, ni des filles.”

” d’est l’honneur qui les doit tenir dans le devoir”

Page 51: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

46

"C’est l’honneur qui les doit tenir dans le devoir,"

"Non la sévérité que nous leur faisons voir. "

"C’est une étrange chose, à vous parler sans feinte"

"Qu'une femme, qui n'est sage que par contrainte. "

"En vain sur tous ses pas nous prétendons régner: "

"Je trouve que le coeur est ce qu'il faut gagner. "

(Acte I, Scène II)

Ce dernier trait est une préface aux réclamations de 1’

archevêque de Cambrai: l’éducation sans contrainte et 1’

éducation par le coeur; rien de plus français, rien qui

fasse plus honneur à Molière si nous l’avons bien com­

pris. C’est, on le voit, tout l’opposé de la pédagogie

janséniste ou parajansénistique. Et il faut regretter

que Molière n’ait pas insisté. Avouons, à sa décharge,

qu’un auteur comique n'est pas par profession, un théo­

ricien •

Il semble revenir un peu sur ce

point dans l'Ecole des Femmes. Dans l’Ecole des Femmes

en effet, il s’agit surtout de l’instruction des jeunes

filles. Dans cette pièce, Molière traite la question du

point de vue des maris.

Molière craint pour le mari et

les enfants, pour la paix du ménage et pour la paix so­

ciale, l’abscense systématique de ce qu’il nomme si bien

les "clartés."

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47

" Il est assez ennuyeux, que je crois, "

” D’avoir toute sa vie une bâte avec sol. "

(Acte I, Scène I)

Vivre avec "une bâte", c'est l’encouragement continuel

à s’évader, à chercher la paix dehors, voire à risquer

l’infidélité par dégoût et par besoin de tendresse in­

telligente. Molière ici encore, donne un bon coup d’

épaule à la cause féminine. Il ne soutient pas que la

femme est intelligente: ce serait un truisme. Mais il

laisse bien voir qu’une intelligence qui ne s’applique

à rien verse à court délai dans la sottise, dans l’im-

bécilité. Et "partout où il y a un imbécile, écrit de

nos jours Léon Bloy, il y a du danger."

Et voici pour la vie conju­

gale. Encore que l’argumentation de Molière paraisse

assez spécieuse.

" Gomment voulez-vous, après tout, qu’une bête "

" Fuisse jamais savoir ce que c’est qu’être honnête"

" Une femme d’esprit peut trahir son devoir, "

" Mais il faut pour le moins qu’elle ose le vouloir"

" Et la stupide au sien peut manquer d’ordinaire "

" Sans en avoir l’envie et sans penser le faire! "

Ainsi au temps de Molière rai­

sonnaient bourgeois et grands seigneurs. Four leurs fil-

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48

les et leurs femmes, ils réclamaient moins l’instruc­

tion qu'une véritable éducation qui fit d’elles des

épouses conscientes de leur dignité, des mères capa­

bles d’élever leurs enfants, des maîtresses de maison

sachant faire aller le ménage et conduire les domes­

tiques. Il ne faut pas tenir une femme dans l’igno­

rance, selon Molière. "Il ne faut pas lui imposer un

esclavage humiliant; il faut la traiter en personne

moral6, faire appel à son intelligence et à son coeur.

Il y a là, si je ne me trompe, une doctrine très rai­

sonnable sur l’éducation des femmes et sur le sort qu’

il faut leur faire dans le mariage. Molière estime

donc qu’elles ont droit à une certaine éducation in­

tellectuelle et morale et qu’elles ont droit d’etre

les compagnes, non les esclaves de leur mari. Tel est

l’enseignement qui ressort de l’Ecole des Femmes, une

thèse de simple bon sens, delibéralisme sage que Molière

établit. Et il n’y a là-dedans ni métaphysique, ni li­

bertinage, ni philosophie de la nature.^1’ C’est l’ou­

trance du ton qui infirme un peu la pensée de Molière,

et l’outrance des personnages qui parlent pour dépasser

la rampe et atteindre au fond du théâtre les derniers

spectateurs.

(I) ” Les Débuts de Molière à Paris " : G. Michaut

Page 54: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

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Cependant, la comédie où Molière

présente le mieux sa pensée, c’est bien celle des

Femmes savantes» Dans cette comédie, Molière résume

tout d’abord les idées traditionnelles sur l’éducation

des femmes. Il le fait par la voix grondante de Chry-

sale, exaspéré qu’on néglige la cuisine pour lorgner

la lune et les étoiles:

” Il n’est pas bien honnête et pour beaucoup de causas"

" Qu’une femme étudie et sache tant de choses. ”

" Former aux bonnes moeurs l’esprit de ses enfants, ”

” Faire aller son ménage, avoir l’oeil sur ses gens,”

” Et régler la dépense avec économie, ”

” Doit être son étude et sa philosophie ... ”

(Acte II, Scène VII)

Les femmes d’autrefois,grogne Chrysale,

” ..... ne lisaient point, mais elles vivaient bien;”

” Leurs ménages étaient tout leur docte entretien, ”

” Et leurs livres, un dé, du fil et des aiguilles ”

” Dont elles travaillaient au trousseau de leurs filles”

” Les femmes d’à présent sont bien loin de ces moeurs.”

Comprenons bien: Chrysale est le lau-

dator temporis acti. Il représente à merveille les vieux

pères de famille d’aujourd’hui qui jettent les hauts cris

en voyant leurs filles jouer au tennis, pratiquer la na­

Page 55: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

50

tation, passer leur baccalauréat, et qui, dans l’intime,

sont ravis de contentement.

C’est Clitandre qui exprime, d’après

les critiques avertis, la pensée de Molière, pensée d’ail­

leurs assez peu précise. Clitandre n’aime pas la femme

docteur qui a la passion choquante.

" De se rendre savante, afin d’être savante.”

On saisit bien qu’il s’agit de pédantisme et d’affecta­

tion dans la science. Car Clitandre consent bien

“ ..........qu’une femme ait des clartés de tout,','

” Et qu’elle ait du savoir, (mais) sans vouloir

qu’on le sache. " (Acte I, Scène III)

D’ailleurs Clitandre n’est pas douce pour les pédants

masculins qui ont perdu l’esprit,

" Pour avoir employé neuf ou dix mille veilles ”

” A se bien barbouiller de grec et de latin, ”

" Et se changer l’esprit d’un ténébreux butin.."

" Inhabiles à tout, vides de sens commun, "

” Et pleins d’un ridicule et d’une impertinence"

" A décrier partout l’esprit et la science. "

(Acte IV, Scène III)

De toutes ces déclarations exas­

pérées, il ressort que Molière réclame la science

pour les femmes, mais une science qui reste modeste:

Page 56: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

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Molière aime la femme charmante. Et une pédante est-

elle charmante? Molière aime la femme nature: la pé­

dante et la faiseuse de livres, la femme astrologue,

la femme cartésienne sont-elles natures?

Molière semble craindre qu’

une instruction trop poussée nuise aux qualités natu­

relles féminines, détourne la femme de sa tâche primor­

diale et la rende moins propre à son noble rôle d’é­

pouse et de mère. Il réagit donc contre les romanes­

ques, les précieuses et les pédantes. Il estime la

science chez les femmes, mais la science qui ne nuit

pas au charme féminin dont il parait particulièrement

épri^.

Page 57: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

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CHAPITRE VI

MADAME DE SEVIGNE.

Molière, en ridiculisant les femmes

savantes, ne visait certainement pas une grande dame d’un

coeur et d’un esprit solides, Madame de Sévigné, issue

d’une grande famille illustrée par beaucoup de talents

et de vertus. Cette femme célèbre était la petite-fille

de sainte Jeanne de Chantal. Par les qualités de son

esprit ainsi que par ses talents de société, Madame de

Sévigné fait bonne figure parmi les éducatrices du lVième

siècle. Omettre son nom serait donner une idée incom­

plète de l’éducation féminine à cette époque.

Madame de Sévigné avait une ex­

cellente éducation. Orpheline de bonne heure, elle fut

élevée par son oncle l’abbé de Coulanges, qui choisit

pour elle les plus célèbres professeurs du moment,

Chapelain et Ménage. Ces deux savants lui enseignèrent

l’italien et l’espagnol et même un peu de latin.

Chapelain lui apprit à lire Virgile. A cette éducation

on peut ajouter celle qui lui vint de ses lectures et

de la fréquentation des personnes les plus distinguées.

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Ses ''Lettres" qui ambrassent une

période de vingt ans révèlent une science profonde.

Les lettres les plus intéressantes sont adressées à

sa fille. Aucun signe d’affectation n’y apparait.

Elle tenait en horreur le pédantisme du temps. Elle

ne se contentait pas de posséder "des clartés de tout".

Elle lisait et relisait. Elle a un goût très vif pour

la lecture. Pendant les vingt ans de sa correspondance,

il ne paraîtra pas un livre qu’elle n’ait lu. Tout de

suite, elle le signale à sa fille, Madame de Grignan.

"Don Quichotte, Lucien, les Petites Lettres; voilà ce

qui nous accupe.."^ Elle montre son choix de lectures:

"Nous relisons aussi, à travers nos grandes lectures,

des rogatons que nous trouvons sous notre main, par

exemple, toutes les belles oraisons funèbres de Monsieur

de Meaux, de Monsieur l’abbé Fléchier, de Monsieur de

Mascaron, de Bourdaloue; nous repleurons Monsieur de

Turenne, Madame de Montausier, Monsieur le Prince, feu

Madame, la reine d’Angleterre; nous admirons ce portrait

de Cromwell..J* (2)

A mesure que le siècle avance en

âge, on voit les femmes chercher la bonne compagnie

pour s’instruire. Quoique Madame de Sévigné brillât

dans les milieux de qualité, elle n’avait aucun rapport

(1) "La Correspondance de Madame de Sévigné". 23 juillet 1677.(2) Ibid. 11 janvier 1690.

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56

avec les précieuses. Elle réunissait chez elle l’élite

de la société du temps, et par-ci par-la, allait faire

un tour à Versailles. "Je fis ma cour, l’autre jour à

Saint-Cyr, plus agréablement que je n’eusse jamais pensé.

Nous y allâmes samedi, Madame de Coulanges, Madame de

Bagnols, l’abbé Têtu et moi.^" Sa correspondance con­

tient une abondance de récits qui se rapportent aux

grandes pièces dramatiques du siècle de Louis XIV.

Pas une ne lui échappe. "Le Roi et toute la cour sont

charmés de la tragédie d’Esther.^" Elle donne son avis

sur tout ce qui paraît. "Je trouve pourtant, à mon

petit sens, qu’elle (Bérénice) ne surpasse pas Andromaque.3"

Les grands auteurs tiennent une grande place dans ses

lettres. "Nous tâchons d’amuser notre bon cardinal:

Corneille lui a lu une pièce qui sera jouée dans quelque

temps, et qui fait souvenir des anciennes. Molière lui

lira samedi, Trissotin qui est une fort plaisante chose.

Despréaux lui donnera son Lutrin et sa poétique; voilà

tout ce qu’on peut faire pour son service.4"

Madame de Sévigné trouva toujours

le bonheur dans son amour pour sa fille. Elle ne perdit

(I) "La Correspondance de Madame de Sévigné."21 février 1689

(2) Ibid. 31 j anvier 1683

(3) Ibid. 15 janvier 1672

(4) Ibid. 26 octobre 1688

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pas de vue l’éducation de sa petite-fille. En écrivant

à Madame de Grignan, elle l’exhorte à se préoccuper

extrêmement de l’instruction de Pauline, "Je la ferais

travailler, lire de bonnes choses, mais pas trop simples;

je raisonnerais avec elle, je verrais de quoi elle est

capable, et je lui parlerais avec amitié et avec confiance.

On trouve ici des conseils très

judicieux sur l’enseignement. Elle approuve la solidité

dans l’instruction, c’est son désir que Pauline suive

ses aptitudes réelles et ses goûts réfléchis. On sait

que Pauline suivit les conseils de sa grand‘mère, car

n’est-ce pas Pauline qui publia les lettres de Madame

de Sévigné? Quoi de plus aimable et de plus tendre en

même temps que les conseils suivants: "Entreprenez donc

de lui parler raison et sans colère, sans la gronder,

sans 1‘humilier, car cela révolte; et je vous réponds

que vous en ferez une petite merveille.2" En encoura­

geant ainsi sa fille par la perspective des heureux

résultats de ses travaux, Madame de Sévigné n’oublia

pas d’ajouter que la fermeté, pour ne pas dégénérer,

en dureté, doit s’imprégner de douceur, de bonté, de

patience. Elle insiste aussi pour que l’éducatrice soit

parfaitement maîtresse d’elle-même. Douée elle-même

d’un talent extraordinaire pour la langue française

(1) "La Correspondance de Madame de Sévigné." 26 octobre 1688.

(2) Ibid Le 28 février 1689.

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elle voulut que la petite Pauline l’apprit. "Pauline

est trop heureuse d’etre votre secrétaire; elle apprend

comme je vous ai dit, à penser, à tourner ses pensées,

en voyant comme vous lui faites tourner les vôtres; elle

apprend la langue française que la plupart des femmes

ne savent pas; vous prônez la peine de lui expliquer

des mots qu’elle n’entendrait jamais; et, en l’instrui­

sant de tant de choses, vous faites si bien qu’elle

soulage votre tâte et la mienne, car mon esprit est en

repos quand vous y êtes; l’ennui de dicter n’est point

comparable à la contrainte d’écrire. Continuez donc

une si bonne instruction pour votre fille, et un si

grand soulagement pour vous et pour moi.I"

Voilà des lignes expressives et qui

paraissent ne tenir aucun compte des lisières qu’on

imposait aux filles dans les couvents. Madame de Sévigné

parlait en connaissance de cause, De bonne heure, elle

s’était appliquée à 1‘Ecriture Sainte, à saint Paul

surtout dont elle cita de mémoire les textes. ElleA

connait aussi le vieil écrivain ecclésiastique Origène,

saint Augustin qu’elle peut lire couramment, Platon,

Plutarque, Sénèque, Epictète. Elle s’est frottée aux

poètes grecs et latins. Elle s’est penchée sur l’his­

toire de 1‘Eglise et elle apprend tout ce qu’elle peut

(I)"La Correspondance de Madame de Sévigné". Le i juin 1689

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sur l’histoire de France. Pour ce qui est du français,

elle connaît son moyen âge mieux que Boileau. Elle

s’amuse à Rabelais. Mieux que Bélise elle sait son

Descartes et goûte, nous l’avons vu, à toute la litté­

rature de son siècle. Elle savait garder "sous la

culture exquise, l’indigène saveur du vieux terroir

gaulois." (Jules Lemaître.)

Aussi, Gréard peut-il nous dire

en parlant d’elle, dans la préface de son livre: "Si

elle répugne visiblement à toute idée de système ou de

théorie, ses lettres contiennent sur l’éducation qu’elle

s’est elle-même donnée et sur l’éducation de ceux qui

lui sont chers, nombre de vues profondes, de détails

ingénieux, piquants, exquis, qui, sans permettre de la

classer au nombre des femmes dont l’autorité puisse

être invoquée dans la question qui nous occupe, expli­

quent le patronage que nous revendiquons.!"

Bien que Madame de La Fayette eût

sa place marquée dans les salons du 17ième siècle, elle

était une femme savante sans aucun des travers des

précieuses ridicules. Son instruction était aussi so­

lide que celle de Madame de Sévigné. Elle aussi pos­

séda une haute vertu. Le père de Madame de La Fayette

(I) " L’Education des Femmes" ; o. Gréard.

Page 63: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

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soigna fort l’éducation de sa fille. Mlle Marie-Madeleine

Péoche de la Vergne eut de bonne heure, plus de lecture

et d’étude que bien des personnes, meme spirituelles,

de la génération précédente n’en avaient eu dans leur

jeunesse. On a pour témoignage directs de cette édu­

cation les transports de Ménage, qui célébra sous toutes

les formes de vers latins, la beauté, les grâces, l’élé­

gance du bien dire et du bien écrire de Madame de La

Fayette. Il ne faudrait pa3 croire qu’apprendre le

latin et écrire à Ménage fut l’unique passe-temps de

Marie de la Vergne. La rentrée de la cour à Paris en

1652 avait mis un terme aux troubles de la Fronde, et

donné en quelque sorte le signal de la résurrection à

une société que la guerre civile avait dispersée sans

la détruire tout à fait, car, même en pleine révolte

et anarchie, les salons de Paris n’avaient jamais été

complètement fermés. Madame de La Fayette avait sa

place marquée dans ces salons. Dans son propre salon,

elle reçut l’élite de la société aristocratique et

intellectuelle, parmi lesquels se trouvent Madame de

Sévigné, La Fontaine et La Rochefoucauld. Ses romans

eurent un succès quoiqu’ils furent héroïques et pré­

cieux, mais il nous faut rappeler que c’était une lit­

térature distinguée, morale, ”'qui fait honneur par sa

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psychologie à la société qui l’a inspirée et qui s’y

est reconnue.I"

Jamais ouvrage ne fut plus loué

au 17ième siècle, que son roman La Princesse de Clèves.

Mais Madame de La Fayette ne nous a rien laissé ( à

notre connaissance du moins ) en fait de théories

capables de faire avancer la cause de la science aux

femmes. Elle prêche assez sérieusement par son exemple.

(I) "Histoire illustrée de la Littérature Française" Des Granges.

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62

CHAPITRE VII

L’ABBE CLAUDE FLEURY. LES URSULINES.

L’abbé Claude Fleury s’intéres­

sait à l’éducation des femmes. Dans son oeuvre Traité

du choix et de la méthode des Etudes, qui fut publié

en 1686, il consacra tout un chapitre aux femmes.

Dans ce chapitre, il fait ob­

server d’abord que l’éducation des filles laisse beau­

coup à désirer. "Apprendre le cathéchisme et la cou-/

ture, chanter, danser, s’habiller à la mode, faire

bien la révérence et parler civilement, voilà en quoi

l'on fait consister pour l’ordinaire toute l’éducation.^"

L'instruction qu’il désire pour les jeunes filles est

très sérieuse et comprend la religion, la grammaire, la

lecture, l’écriture, l'arithmétique et l'économique.

Il recommande donc les études les plus propres à dé­

velopper- le jugement et le raisonnement. L'abbé Fleury

se propose de former, non des femmes savantes, mais des

femmes qui connaîtront leur religion et " qui seront

habituée à penser et à raisonner solidement sur les

sujets ordinaires.2” n n'a pa3 perdu de vue l'impor-

(1) Traité du choix et de la méthode des Etudes" Chap. 38

(2) Ibid.

Page 66: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

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tance de l’éducation religieuse et morale. Sa grande

préoccupation était la formation morale des jeunes filles.

D’après lui, il faut tout d’abord développer dans leurs

âmes la pratique des vertus dont elles ont le plus grand

besoin, "comme la douceur et la modestie, la soumission,

l’amour de la retraite, l’humilité; et celles dont leur

tempéramment les éloigne le plus, comme la force, la fer­

meté, la patience.1" Bien que l’abbé Fleury ne considère

pas nécessaire l’étude du latin, du grec, de la rhétorique

et de la philosophie, il dit qu’il vaudrait mieux toute­

fois qu’elles y emploient les heures de leur loisir qu’à

lire des romans, à médire, jouer ou parler de leurs jupes

et de leurs rubans.2" il démontre que l’étude pendant

les heures de loisirs est une nécessité. Le loisir des

filles dégénère en une grande corruption de moeurs s’il

n’est assaisonné de quelque étude.

(1) "Traité du choix et de la méthode des Etudes" ChaP 38

(2) Ibid.(3) Ibid.

Et voici du neuf: Il faut donner

une attention spéciale à l’éducation physique. L’abbé

Fleury fait plusieurs remarques sur l’importance de la

santé qu’il croit indispensable pour faire de bonnes

études. Il se préoccupe vivement de la santé, et men­

tionne les moyens de développer les forces physiques

des jeunes filles, par exemple, la natation, l’équita­

tion; "il n’y a guère d’exercices qui leur conviennent

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mieux que de marcher.3 n exhorte les jeunes filles à

respirer un air pur, à se nourrir de viandes simples.

(3) "Traité du choix et de la méthode des études" Page 38.

(I) Ibid.

Il recommande la sobriété et suggère que l’on boive de

bonnes eaux. "On a conclu, écrit *'leury, comme d’une

expérience assurée, que les femmes n’étaient pas capa­

bles d’études; comme si leur âme était d’une autre es­

pèce que celle des hommes, comme si elles n’avaient

pas aussi bien que nous ane raison à conduire, une vo­

lonté à régler, des passions à combattre, ou s’il leur

était plus facile qu’à nous de satisfaire à tous ces

devoirs sans rien apprendre.!" voilà qui est brave et

clairement exprimé. Il a compris qu’une instruction

variée est indispensable à la future maîtresse de mai­

son. • Selon lui, une personne accomplie sera une bonne

ménagère. "Aussi, a-t-on assez de soin de les instrui­

re du ménage; mais il serait à souhaiter qu’il y entrât

un peu plus de raison et de réflexion pour rémédier à

deux maux très communs, la petitesse d'esprit et l’ava­

rice dans les femmes ménagères, et d’un autre côté, la

fainéantise et le dédain dans celles qui prétendent au

bel esprit. Il servirait beaucoup de leur faire com­

prendre de bonne heure que la plus digne occupation d’une

femme est le soin de tout le dedans d'une maison, pourvu

Page 68: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

65

qu’elle ne fasse pas trop de cas de ce qui ne vas qu’â

l’interet, et qu’elle sache mettre chaque chose en son

rang.^” il n’oublie pas le doté esthétique de l’éduca­

tion. Il souhaite que tout, dans l’école, contribue à

donner à l’enfant l’idée de beauté, c’est un souvenir

du vieux Xénophon qui n’aimait rien tant que l’ordre

et la place des choses. x‘leury est l’annonciateur im­

médiat de Fénelon.

■^ntre temps, les Ursulines s’é­

taient engagées nettement dès leurs premières fondations

dans l’éducation féminine. En 1594, elles avaient été

introduites en France par Françoise de Bermond. Le but

des Ursulines ne fut pas de faire religieuses des en­

fants, comme on l’a dit de Fort-hoyal, mais de donner

'aux jeunes filles du 17ième siècle, une éducation ro­

buste de la foi et des moeurs, contre les assauts que

le monde ne manquerait pas de leur réserver. Elles

disposaient leurs élèves à servir la société en les

préparant pour la mariage chrétien et la maternité chré­

tienne. Chez elles, on exerçait les filles à la pratique

des vertus morales, l’humilité, la simplicité, la haine

du mensonge, la docilité d’esprit, l’obéissance à leurs

parents, la pureté de corps et d’ame, etc... Mère de

Bermond vint à substituer à la récitation usuelle du

(I) ” Traité du choix et de la méthode des Etudes. ”

Page 69: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

66

cathéchisme, psalmodie en choeur au rythme d’un cia-

quoir, un cours d’instruction religieuse où l’on ex­

pliquait aux enfants la doctrine chrétienne. Les

filles des plus grandes familles accoururent chez les

Ursulines. Mademoiselle de Montpensier s’y fit pré­

parer à la première communion. En dehors des heures

d’étude, les Ursulines recommandent de lire la Vie

des Saints et l’introduction à la vie dévote. Les

règlements des Ursulines opèrent une révolution de

tendresse dans ce siècle dur. L’atmosphère du pen­

sionnat était une atmosphère de famille. Les reli­

gieuses gagnèrent leurs élèves par la douceur et la

confiance. Une maternelle largeur d’esprit y régnait.

Un exemple est celui de la petite "huguenote” envoyée

par les Ursulines de Niort à celles de Paris.

Françoise d’Aubigné, plus tard Madame de Maintenon,

nous dit qu'on ne l’obligeait point à aller à la

messe. Pour répondre à ses questions sur la Bible,

on lui fit entendre, au parloir du faubourg Saint-

Jacques, la controverse courtoise d’un théologien

catholique avec un ministre de la religion réformée.

La conversion s’ensuivit.

Au temps des querelles quié-

tist6s et jansénistes, Bossuet conduit Madame Guyon

Page 70: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

67

aux Ursulines de Meaux. L’archevêque de Paris envoie

la Mère de Ligné du Port-Royal de Paris chez les Ursu­

lines du faubourg Saint-Jacques. Toutes trouvent chez

les Ursulines des institutrices toujours attentives aux

besoins de leurs âmes. C’est à cette société en désarroi

que les Ursulines apportèrent leur sûre possession de

la doctrine et de la morale chrétiennes. Monsieur

Compayré trouve que "les exercices de spiritualité y

faisaient tort à l'instruction". Ne se méprend-il pas?

A vrai dire, c’est par les exercices de spiritualité

que les Ursulines et toutes les autres congrégations

religieuses obtinrent de bons résultats dans l’éducation

des filles. En parlant des Ursulines, Monsieur Compayré

ajoute qu’on avait une idée étroite et inexacte de la

destination de la femme; "on élevait la femme pour le

ciel plus que pour la terre." Cette méthode de l’ensei­

gnement eut un succès extraordinaire, et en effet, n’est-

ce pas une des fonctions essentielles de l’éducation,

celle de procurer à l’homme les moyens d’atteindre sa

fin dernière qui est le ciel? Dans le "Panégyrique de

sainte Catherine", Bossuet nous dit: "N’employez pas

la science que pour gagner les biens de la terre, mé­

ditez sérieusement qu'un trésor si divin n’est pas fait

pour cet indigne trafic; et que s’il entre dans le com­

merce, c’est d’une manière plus haute, et pour une fin

Page 71: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

68

plus sublime, c’est-à-dire, pour négocier le salut

des âmes.1”

La religion pénétrait donc tout

l’enseignement chez les Ursulines. Les sciences é-

taient rapportées à un objet unique, à un même but:

la connaissance de Dieu. Aussi Fénelon dans le

Traité de l’éducation des filles, dit-il qu’il esti­

me fort l’éducation des bons couvents où la religion

occupe la place d’honneur. Fénelon aurait certaine­

ment trouvé bon le couvent des Ursulines.

Parce que les Ursulines s’engagè­

rent dans la voie moyenne de l’éducation et réalisè­

rent du succès, on a pu "leur faire honneur d’avoir

les premières, servi avec autant de largeur que d’op­

portunité, ce grand intérêt public: l’éducation fémi­

nine.2”

(1) "Panégyrique de sainte Catherine,” Tome III.

(2) "Revue des Deux Mondes” : Fagniez. 15 janvier 1909.

Page 72: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

69

CHAPITRE VIII

FENELON.

Le vrai point de départ de la

pédagogie sur la grande question de l’éducation des

femmes c’est l’oeuvre de Fénelon, " De 1'Education des

Filles, " qui parut en 1688.

" Fénelon est le premier qui, embrassant le sujet dans

un examen d’ensemble, ait réuni en une sorte de code

les prescriptions propres à élever la jeune fille de­

puis le moment où ses instincts s’éveillent jusqu’à

l’âge où le développement de ses facultés permet de

la livrer avec sécurité à la vie commune; le premier

surtout qui ait fondé ce code sur une étude psycholo­

gique de l’enfant.1"

(I) " Education des Femmes-" ; 0. Gréard

Notons tout de suite pour ne

pas l’oublier que Fénelon se vit traduire en Angle­

terre, que 1‘Université d’Oxford lui conféra le titre

de docteur; que même en Amérique, Channing signale

une traduction en 1843, dans les termes les plus élo-

gieux.

En 1688, l’opinion publique

au sujet de l'éducation ressemblait à celle que Molière

Page 73: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

70

avait exprimée dans ses Femmes savantes. La sollici­

tude pour la femme et pour son éducation n’était pas

du tout «générale• Meme Bossuet voulait exclure les

femmes des sciences. "Le plus grand majheur des dames

modestes et chrétiennes, c’est qu’ordinairement le

désir de plaire est leur passion dominante; et comme

pour le malheur des hommes, elles n’y réussissent que

trop facilement, il ne faut pas s’étonner si leur va­

nité est souvent extrême, étant nourrie et fortifiée

par une complaisance presque universelle. Que si elles

se sentent dans l’esprit quelques avantages plus con­

sidérables, combien les voit-on empressées à les faire

éclater dans leurs entretiens? et quel paraît leur

triomphe, lorsqu’elles s’imaginent charmer tout le

monde? c’est la raison principale pour laquelle on les

exclut des sciences, parde que quand elles pourraient

les acquérir, elles auraient trop d6 peine à les porter.1"

(I) "Panégyrique de sainte Catherine": Bossuet

L’immortel archevêque de Cambrai

n’est pas du même avis due Bossuet, du moins au début

de son ouvrage. Dans son Traité de l’éducation des

filles, Fénelon en effet, s’appliqua autant qu’il le

put à former et à faire réaliser dans la jeune fille

les principes d’une solide éducation.

D’abord cet éducateur éminent

Page 74: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

71

signale à côté de 1 éducation très poussée des garçons,

l’insuffisance de l’éducation des jeunes filles. Plus

précis que le Chrysale de Molière, il ne veut pas que

l’intelligence des femmes se borne à "gouverner un

jour leur ménage et obéir à leurs maris sans raison­

ner." Fénelon montre l’importance d’une bonne éduca­

tion des filles... Mais n’ont-elles pas des devoirs

à remplir, des devoirs qui sont les fondements de la

vie humaine? les hommes mêmes, qui ont toute l’auto­

rité au public ne peuvent par leurs délibérations é-

tablir aucun bien effectif, si les femmes ne leur

aident pas à l’exécuter.^" En terminant comme il a

commencé, Fénelon ajoute: "Voilà ce qui prouve l’im­

portance de bien élever les filles; cherchons-en les

moyensS"

Il paraît donc selon Fénelon,

du moins à première vue, nécessaire d’instruire les

jeunes filles, et de les instruire bien. Il nous

fait remarquer que les jeunes filles mal instruites

ont une imagination errante, "Faute d’aliment solide,

leur curiosité se tourne en ardeur vers les objets

vains et dangereux. ’’ a cause du manque d’éducation,

I.I.II

(1) " Traité de l’éducation des filles." Chapitre(2) Ibid. * Chapitre(3) Ibid. Chapitre

Page 75: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

72

on voit beaucoup de défauts parmi les jeunes filles.

Fénelon réprouve avec vigueur la frivolité, l’infé­

riorité de vies livrées à l’ignorance et à l’oisiveté.

"Dans cette oisiveté, une fille s’abandonne à sa paresse

et la paresse qui est une langueur de l’âme est une

source inépuisable d’ennuis. Elle s’accoutume à dor­

mir d’un tiers plus qu’il ne faudrait pour conserver

une santé parfaite; ce long sommeil ne sert qu’à l’a­

mollir, qu’à la rendre plus délicate, plus exposée aux

révoltes du corps... Cette mollesse et cette oisiveté

jointes a l’ignorance, il en nait une sensibilité per­

nicieuse pour les divertissements et pour les spectacles;

c’est meme ce qui excite une curiosité indiscrète et

insatiable.^"

Contrairement à Bossuet, tant qu’il

ne se contredira pas, Fénelon croit qu’un esprit bien

formé, bien cultivé pourra éviter le ridicule d’une

fausse science. "Les personnes instruites et occupées

à des choses sérieuses n’ont d’ordinaire qu’une curio­

sité médiocre; ce qu’elles savent leur donne du mépris

pour beaucoup de choses qu’elles ignorent; elles voient

l’inutilité et le ridicule de la plupart des choses que

les petits esprits qui ne savent rien faire sont empres­

sés d’apprendre.2"

(1) " Traité de l’éducation des filles": Fénelon, Chap. II

(2) Ibid.

Page 76: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

73

Dans le petit chef-d‘oeuvre de

Fénelon, on peut suivre pas à pas l’enfant, la jeune

fille, la future maîtresse de maison.

On doit donner d’abord de bonnes

habitudes à l’enfant. L’instruction formelle ne com­

mencera que plus tard. Le troisième chapitre contient

des vues générales sur l’éducation. Comme Rabelais et

Montaigne, Fénelon veut qu’on excite la curiosité na­

turelle des enfants en les sollicitant par des instruc­

tions familières, qui leur plaisent. "Par exemple, à

la campagne, les enfants volent un moulin, et ils veu­

lent savoir ce que c’est; il faut leur montrer comment

se prépare l'aliment qui nourrit l’homme. Ils aperçoi­

vent des moissonneurs, et il faut leur expliquer ce

qu’ils font, comment est-ce qu’on sème le blé et comment

il se multiplie dans la terre. A la ville, ils voient

des boutiques où s'exercent plusieurs arts et où l'on

vend diverses marchandises. Il ne faut jamais être

importuné de leurs demandes; ce sont des ouvertures

que la nature vous offre pour faciliter l'instruction;

témoignez y prendre plaisir; par là vous leur enseigne­

rez insensiblement comment se font toutes choses qui

servent à l'homme, et sur lesquelles roule le commerce.

Peu à peu, sans étude particulière, ils connaîtront la

bonne manière de faire toutes ces choses qui sont de

Page 77: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

leur usage, et le juste prix de chacune, ce qui est le

vrai fond de l’économie. Ces connaissances qui ne doi­

vent être méprisées de personne puisque tout le monde

a besoin de ne se pas laisser tromper dans sa dépense,

sont principalement nécessaires aux filles.■c"

Le principe fondamental de Fénelon

en pédagogie saute aux yeux: c’est de rendre le travail

aimable en s’y intéressant soi-même et en faisant sentir

à l’enfant que l’on trouve plaisir et profit à devenir

plus instruit. Fénelon n’aime guère les leçons didac­

tiques. Il veut que l’étude soit agréable et récréa­

tive. On parvient à la rendre telle en se faisant ai­

mer, en évitant tout air impérieux, en montrant l’uti­

lité de ce qu’on fait faire.

Fénelon ne manque pas de signaler

les grands défauts des éducations ordinaires: "On met

tout le plaisir d’un côté et tout l’ennui de l’autre;

tout l’ennui dans l’étude, tout le plaisir dans les

divertissements. Que peut faire un enfant, sinon sup­

porter impatiemment cette règle et courir ardemment

après les jeux? Tâchons donc de changer cet ordre:

rendons l’étude agréable; cachons-la sous l’apparence

de la liberté et du plaisir; souffrons que les enfants

interrompent quelquefois l’étude par de petites sail-

(I)"Traité de l’éducation des filles":FéneIon, chap. III

Page 78: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

75

lies de divertissements; ils ont besoin de ces distrac­

tions pour délasser leur esprit. Laissons leur vue se

promener un peu; permettons-leur meme de temps en temps

quelque digression ou quelque jeu afin que leur esprit

se mette au large; puis ramenons-les doucement au but.1"

Les jeux et les récréations, on le sait, sont indispen­

sables aux enfants. Une application trop longue et un

effort trop continu épuisent l’esprit. "Laissez jouer

un enfant et melez l’instruction avec le jeu. Gardez-

vous de le fatiguer par une exactitude indiscrète.^”

Voilà qui est très humain et très fénelonien.

(I) " Traité de l’éducation des fille s": Fénelon Chap. V

L’enseignement de la lecture n’é­

tait pas très attrayant pendant le 17ieme siècle. Autre­

fois on faisait lire l’enfant en latin et sur le ton de

la déclamation. Fénelon fait une innovation. Il con­

seille l’usage du français au lieu du latin. Il recom­

mande aussi qu’on se serve de livres de contes: "Les

deux choses qui gâtent tout, c’est qu’on leur fait ap­

prendre à lire d’abord en latin, ce qui leur ôte tout

le plaisir de la lecture, et qu’on veut les accoutumer

à lire avec une emphase forcée et ridicule. Il faut

leur donner un livre bien relié, doré meme sur la tran­

che, avec de belles images et des 'caractères bien formés.

Tout ce qui réjouit l’imagination facilite l’étude; il

(2) Ibid

Page 79: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

76

faut tâcher de choisir un livre plein d’histoires courtes

et merveilleuses. Cela fait, ne soyez pas en peine que

l’enfant n’apprenne pas à lire.1" On ne saurait trouver

psychologie plus déliée.

(1) "Traité de l’éducation des filles" : Fénelon, Chaji. V

(2) Ibid.

(3) Ibid.

L’ardeur pour le travail sera

excitée par les louanges. Fénelon recommande instamment

l’émulation. Fénelon se rendit compte que l’émulation

contribue à donner du goût pour l’étude; il ne faut pas

en abuser, car la jalousie n’est pas Inconnue des jeunes

filles; "on courrait risque de décourager les enfants

si on les louait jamais lorsqu’ils font bien. Quoique

les louanges soient à craindre à cause de la vanité,

il faut tâcher de s’en servir pour animer les enfantsg

sans les enivrer. ’’

Fénelon veut que les premiè-la

res études soient proportionnnées à laiblesse de l’en­

fant. "Le cerveau des enfants est comme une bougie

allumée dans un lieu exposé au vent; sa lumière va­

cille toujours.5" ce principe suppose des études sé­

rieuses sur la psychologie de l’enfant. Par l’obser­

vation, le maître se rendra compte aisément que l’éco­

lier aime les méthodes actives, le jeu, etc. Il devra 1 2 3

Page 80: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

77

donc se montrer aimable, très patient, très habile à

exciter l’intérêt et la curiosité.

Fénelon semble prévoir au moins

toutes les nécessités de l’éducation moderne, s’il ne

les précise pas trop. Et c’est déjà un rare mérite que

d’être en avant de son siècle en ce temps où il n’était

guère permis d’aller plus vite que l'ensemble. D’ail­

leurs Fénelon corrige, malheureusement, sa hardiesse

avec des concessions aux préjugés courants: "il doit

y avoir pour leur sexe, écrit-il, une pudeur sur la

science, presque aussi délicate que celle qu’inspire

l’horreur du vice.” Et plus loin: "La curiosité est

une dangereuse maladie de l’esprit.” Heureusement que

chez les continuateurs de Fénelon, on aura l’esprit de

ne pas suivre ces rétrogressions du pédagogue à qui

son siècle en impose trop encore.

Cependant, et voici qui excuse

Monsieur de Cambrai, d’un chapitre à l'autre, sans or­

donnance bien rigoureuse, Fénelon donne divers conseils

très précieux sur l'explication raisonnée de l’Histoire

sainte; ses idées n’occupent pas moins de trois chapi­

tres. Il faut que les enfants ”goùtent Dieu.” Il faut

baser l'enseignement de la doctrine chrétienne sur

l’histoire de l'ancien et du nouveau Testament pour

découvrir aux enfants la bonté du Père et l’origine de

Page 81: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

78

son culte. Fénelon en effet, se rend compte que les

enfants ont un goût pour toutes les histoires, “mais

il faut essayer de donner à l’enfant plus de goût pour

les histoires saintes que pour les autres. Faitôs-leur

remarquer combien elles sont importantes, singulières,

merveilleuses, pleines de peintures naturelles et d'une

noble vivacité."

L’Evangile voilà le livre du

chrétien, Jésus-Christ, voilà le centre de l’instruc­

tion religieuse: "Il ne faut jamais laisser mêler dans

la foi ou dans les pratiques de piété, rien qui ne soit

tiré de l'Evangile ou autorisé par une approbation cons­

tante de l’Eglise.^"

On doit présenter la religion

sous les images les plus jolies, les plus séduisantes,

peintes avec les couleurs les plus vives: "Quand on

aura la commodité de montrer aux enfants de bons ta­

bleaux, il ne faut pas le négliger car la force des

couleurs avec la grandeur des figures au naturel frap­

peront bien davantage leur imagination.2" Les pédago­

gues tout à fait modernes n’ont rien apporté de plus

sur ce point.

Et tout à son idéal de femme

(1) "Traité de l’Education des Ailles" : Fénelon, Chap. VII

(2) Ibid. Chap. VI

Page 82: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

79

parfaite, Fénelon veut bannir l’artificiel chez les

jeunes filles. "Retenez leur esprit le plus que vous

pourrez dans les bornes communes; et apprenez-leur qu’il

doit y avoir, pour leur sexe, une pudeur sur la science

presque aussi délicate que celle qui inspire l’horreur du

vice.^" On doit réprimer de bonne heure les défauts des

jeunes filles: "Un de leurs grands défauts, c’est la va­

nité, dont la source est le désir de plaire. L’éducation

des jeunes filles paraît à Fénelon trop timide et trop

molle: "la molesse et la timidité qui les rendent inca­

pables d’une conduite uniforme et ferme; les jalousies,

les flatteries, les compliments excessifs, les empres­

sements, les détours artificieux, les larmes volontaires,

les sentiments affectés." Il faut les rendre capables

d’une conduite ferme et réglée. Il importe de faire la

guerre contre leurs défauts principaux. "Il faut aussi

réprimer en elles les amitiés trop tendres, les petites

jalousies, les compliments excessifs, les empressements.2"

Fénelon s’occupe aussi de l’es­

thétique, Il veut que la maîtresse cherche par tous les

moyens à développer l’amour du beau et le sentiment de

l’admiration: "Je voudrais même faire voir aux jeunes

(1) "Traité de l’éducation des filles":Fénelon,chap. VII

(2) Ibid. chap. IX

Page 83: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

80

filles, la noble simplicité qui paraît dans les statues

et dans les autres figures qui nous restent des femmes

grecques et romaines; elles y verraient combien des

cheveux noués négligemment par derrière et des drape­

ries pleines et flottant à longs plis sont agréables

et majestueuses. Il serait bon même qu'elles enten­

dissent parler directement les peintres et les autres

gens qui ont ce goût exquis de 1’antiquité.1” Remar-

quons ici que rien chez les femmes du 171ème siècle ne

rendait nécessaire le retour aux modes antiques que le

Directoire rendra si indécentes.

Quant aux préceptes pratiques

sur les "devoirs” spéciaux des femmes, Fénelon déclare

que la science des femmes, comme celle des hommes, doit

se borner à s1instruire par rapport à leurs fonctions;

la différence de leurs emplois doit faire celle de

leurs études.2” Il importe par-dessus tout d’instruire

la femme de ses devoirs. "Elle a une maison à régler,

un mari à rendre heureux, des enfants à bien élever.

Elle est chargée de l’éducation des garçons jusqu’à un

certain âge, des filles jusqu’à ce qu’elles se marient

ou se fassent religieuses, de la conduite des domesti­

(I) "Traité de l’éducation des filles";Fénelon, chap. X

(2) Ibid chap. XI

Page 84: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

81

ques, de leurs moeurs, de leur service, du détail de la

dépense, des moyens de faire tout honorablement et avec

économie.

Fénelon a eu garde de ne pas con­

sidérer la rôle de la femme dans la famille. Une femme

doit s’occuper de l’éducation de ses enfants, surveiller

et tenir sa maison. Sur ce dernier point, Fénelon écrit:

"c’est le bon ordre et non certaines épargnes sordides

qui fait les grands profits.2" A la suite de Molière,

il veut qu’une femme sache ranger et nettoyer. "Accou­

tumez-vous à ne souffrir rien de sale ni de dérangé; que

les filles remarquent le moindre désordre dans une mai­

son. Faites-leur meme observer que rien ne contribue plus

à l’économie et à la propreté que de tenir toujours cha­

que chose en sa place .3" on reconnaît ici l’abbé ^'leury.

Mais quel est le programme que Fénelon trace aux jeunes

filles? Une jeune fille doit apprendre à lire et à écrire

correctement, connaître les quatres règles de l’arithmé­

tique, quelque chose des histoires grecques et romaines

et de l’histoire de France. Fénelon recommande quelques

notions élémentaires de droit usuel, utiles à une jeune

(1) "Traité de l’éducation des filles": Fénelon, chap. XI

(2) Ibid.

(3) Ibid.

Page 85: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

82

fille. Il considère, à tort, semble-t-il, la connais­

sance de l’italien et de l’espagnol, non seulement inu­

tile mais dangereuse. "Il y a beaucoup plus à perdre

qu’à gagner dans cette étude.1" Il conseille l’étude

du latin " aux filles d’un jugement ferme et d’une con­

duite modeste, qui sauraient ne prendre cette étude que

pour ce qu’elle vaut, qui renonceraient à la vaine cu­

riosité, qui cacheraient ce qu’elles auraient appris et

qui n’y chercheraient que leur édification.2” Voilà en­

core un écho authentique de Molière.

(1) "Traité de l’éducation des filles" : Fénelon, chap. XII

(2) Ibid.

(3) Ibid.

Il permet avec prudence, la lec­

ture des ouvrages d’éloquence et de poésie, en évitant

d’ébranler les imaginations trop vives: "tout ce qui

peut faire sentir l’amour, plus il est adouci et enve­

loppé, plus il me parait dangereux." Fénelon n’inter­

dit pas l’étude de la musique. "Si elle a de la voix

et du génie pour les beautés de la musique, n’espérez

pas de les lui faire toujours ignorer.1 2 3" Il veut ce­

pendant que la jeune fille se borne à la musique chré­

tienne et religieuse. Fénelon, bien injustement sem-

ble-t-il, aime mieux que la jeune fille étudie la pein­

Page 86: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

83

ture plutôt que la musique: "La peinture se tourne chez

nous plus aisément au bien; d’ailleurs elle a un privi­

lège pour les femmes.^-"

Il faut que la jeune fille sache sa

grammaire> La grammaire sera enseignée surtout par la

pratique. "Pour sa langue naturelle, il n’est pas ques­

tion de la lui apprendre par règles, comme les écoliers

apprennent le latin en classe; accoutumez-les seulement

sans affectation à ne prendre point un temps pour un au­

tre, à se servir des termes propres, à expliquer nette­

ment leurs pensées avec ordre.2"

Fénelon termine en ajoutant quel­

ques considérations sur le choix d’une gouvernante. Ces

considérations suggèrent l’idée moderne de l’Ecole Nor­

male, pour "les communautés religieuses et séculières.

Celles qui s’appliquent selon leur institut, à élever

des filles, pourraient aussi entrer dans ces vues pour

former leurs maîtresses de pensionnaires et leurs maî­

tresses d’école.

La dernière période du 17ième siècle

fut donc, grâce à Fénelon, pour les femmes une période

de relèvement intellectuel incontestable. Malgré les

(2)

(3)

Ibid.

Ibid.chap. XII

chap. XIII

(I) "Traité de l’éducation des filles" : Fénelon, chap. XII

Page 87: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

84

insuffisances de sa pédagogie, Fénelon mit en déroute

les préjugés régnant encore contre le travail intel­

lectuel des femmes. Ce que S6S continuateurs crurent

découvrir beaucoup d’années plus tard, Fénelon l’avait

dit d’avance. "Cent exemples prouvent que les femmes

ont des faculté intellectuelles aussi développées que

celle des hommes: sainte Léoba, dont saint Boniface

vante la sûre érudition, Hypathie, saint Catherine qui

enseignait la philosophie chrétienne et qui confondait

les philosophes paiens, sainte Perpétue, sainte Marcelle,

sainte Paule inspiratrices de saint Jérôme, sainte

Radegonde, sainte Catherine de Sienne, etc... Or, parce

que Bleu ne fait pas de dons inutiles, les droits des

femmes à la culture intellectuelle sont pareillement

des devoirs. Ce qu’il s’agit de combattre et de rem­

placer dans l’éducation féminine, c’est la frivolité,

la mollesse, le désoeuvrement, l'ignorance, la paresse,

et l’amour des faux plaisirs; l’instruction est un des

meilleurs moyens de combattre et de remplacer tout cela.

Si la femme chrétienne se considère comme la compagne de

l’homme, comme son aide tant aux choses de la terre

qu'aux choses du ciel, comme devant le consoler et as­

ti) "Traité de l’éducation des filles": Féenlon, chap. XIII

Page 88: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

85

surer son bonheur, elle doit savoir que pour de telles

destinées, l’éducation féminine ne saurait être trop

suivie, trop sérieuse, ni trop forte.1"

(1) " Monseigneur Dupanloup " : Emile Faguet.

(2) "Traité de l’éducation des filles": Fénelon,chap. I, page 182.

Pourquoi Fénelon s’est-il mon­

tré si ardent sur cette question? Il avait connu les

" Nouvelles catholiques ", il avait touché du doigt les

dangers de l’ignorance. Il s’était aperçu que " les

femmes font et défont les maisons que le vide dans

leur esprit les expose au romanesque et à de vaines cu­

riosités. D’ailleurs les femmes "sont la moitié du

genre humain racheté du sang de Jésus-Christ,1 2" et comme

telles, elles ont droit à toutes les lumières convena­

bles à leur état. C’est le malheur pour nous que Fénelon,

comme Molière, n’ait pas suffisamment précisé certains

points et que déjà dans sa pédagogie flotte un nuage de

mysticisme à la Cuyon.

Page 89: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

86

CHAPITRE IX

MADAME DE MAINTENON.

A l’époque de Fénelon, parmi les

éducatrices distinguées du 17ième siècle, on peut comp­

ter Madame de Maintenon. Elle s’intéressa de bonne heu­

re à l’éducation des jeunes filles de noblesse pauvre.

Ses lettres où elle s’adresse aux élèves et aux maîtres­

ses de Saint-Cyr montrent en elle une excellente éduca­

trice, douée de la raison la plus ferme et de l’esprit

le plus judicieux ayant trait respectivement à l’éduca­

tion, à l’éducatrice et à la jeune fille.

Madame de Maintenon fonda l’éco­

le de Saint-Cyr pour l’éducation de deux cent cinquante

jeunes filles pauvres, Cette fondation remonte à l’an­

née 1686 environ. Elle eut pour origine, un petit pen­

sionnat à Montmorency. Sous la direction de Madame de

Brinon, une ancienne Ursuline, il y avait un petit nom­

bre de jeunes filles, à qui elle faisait donner une

instruction élémentaire; un peu de lecture, d'écriture,

de cathéchisme et beaucoup de couture. Madame de Main­

tenon parlait souvent à Louis XIV de la nécessité d’une

Page 90: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

87

fondation pour des jeunes filles nobles et pauvres qui

qui seraient élevées dans les pratiques de la piété

chrétienne et préparées aux devoirs de leur condition.

En 1683, le roi lui donna le château de Noisy dans le

parc de Versailles. Enfin, il conçut le projet de

Saint-Cyr: "Et parce que nous avons estimé qu’il n’é­

tait pas moins juste et moins utile de pourvoir à

l’éducation des demoiselles d’extraction noble, sur­

tout pour celles dont les pères étant morts dans le ser­

vice ou s’étant épuisés par les dépenses qu’ils y au­

raient faites, se trouveraient hors d’état de leur

donner les secours nécessaires pour les faire bien éle­

ver; après l’épreuve qui a été faite par nos ordres,

pendant quelques années, des moyens les plus propres

pour y réussir, nous avons résolu de fonder et établir

une maison et communauté, où un nombre considérables de/ K

jeunes filles issues de familles nobles, et particuliè­

rement de pères morts dans le service, ou qui y servent

actuellement, soient entretenues gratuitement et élevées

dans les principes d’une véritable et solide piété re­

çoivent toutes les instructions qui peuvent convenir à

leur naissance et à leur sexe, suivant l’état auquel il

plaira à Dieu de les appeler; en sorte que, après avoir

été élevées dans ce monastère, celle qui en sortiront

puissent porter dans toutes les provinces de notre

Page 91: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

88

royaume, des exemples de modestie et de vertu, et con­

tribuer soit au bonheur des familles où elles pourront

entrer par mariage, soit à l'édification des maisons

religieuses où elles voudront se consacrer entièrement

à ^ieu; auquel effet nous avons fait acquérir, cons­

truire et meubler de nos deniers, la maison St-Cyr,

située près de notre château de Versailles, et il ne

reste plus qu'à déclarer nos intentions, tant pour les

fonds que pour les règlements nécessaires pour l'entière

exécution d'un établissement si utile et si avantageux.-^"

On limita le nombre d'élèves à deux cent cinquante. On

y entrait de sept à dix ans; on en sortait à vingt.

Madame de Maintenon avait été

charmée du grand éducateur, Fénelon. Elle s'inspira

donc du Traité de l'éducation des Filles pour la fonda­

tion et l’esprit général de Saint-Cyr, avec les correc­

tions jugées nécessaires. Four Saint-Cyr, Madame de

Maintenon ne voulut pas de religieuses comme maîtresses.

Il lui fallait des sujets qui, cependant, avaient beau­

coup de religion. Elle commença avec des séculières.

Ce fut un échec. Au début, l'éducation de Saint-Uyr

fut trop mondaine. On se préoccupait surtout de for­

mer des jeunes filles aux belles manières et au beau

style, ce ne sont que réceptions, concerts, représen-

(I) "Madame de Maintenon" ; Mercier. Page 94.

Page 92: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

89

tâtions dramatiques. Racine, à la prière de Madame de

Maintenon, contribua lui-même avec ses tragédies à for­

mer les élèves aux sentiments pieux et aux belles ma­

nières. Il enrichit le théâtre religieux de deux chefs-

d’oeuvre, Esther et Athalie. D’autres auteurs, par ex­

emple, l’abbé de Choisy, Duché, J.-B. Rousseau, l’abbé

Pellegrin travaillèrent pour Saint-Cyr et composèrent

Judith, Jephté, Absalon, Debora, les Stances chrétien­

nes et les Odes sacrées. On fit jouer Andromaque. Toute

la cour y fut. La présence du roi et des grands sei­

gneurs aux représentations, fit tourner les tetes, et

les demoiselles devinrent pleines de vanité et de suf­

fisance. Elles refusèrent de chanter à l’église poui’

ne pas gâter 16ur voix avec des psaumes et du latin.

"On prétend, écrit Madame de Maintenon, que vous ne

voulez point chanter les chants d’église et que vous

désespérez M. Hivers; il n’est pas possible qu’avec la

piété que vous paraissez goûter, vous ne soyez pas rav

vies de chanter les louanges de Dieu et de lui rappor­

ter par là un talent qu’il vous a donné et que je le

prie de tout mon coeur que vous n’employiez jamais en

rien qui ne soit pour sa gloire. Vous chantez si bien

les chants d’Esther, pourquoi ne voulez-vous pas chan­

ter les psaumes! Serait-ce le théâtre que vous aimeriez,

et n’êtes-vous pas trop heureuses de faire le métier

Page 93: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

90

des anges?^”

Une réaction devint nécessaire.

Madame de Maintenon se rendit compte de sa faute et

elle l'avoua bien humblement. "La peine que j'ai sur

les filles de Saint-Cyr ne se peut réparer que par le

temps et par un changement entier de l'éducation que

nous leur avons donnée jusqu'à cette heure: il est bien

juste que j'en souffre, puisque j'y ai contribué plus

que personne et je serai bien heureuse si Dieu ne m'en

puait pas plus sévèrement. Mon orgueil s'est répandu

par toute la maison et le fond en esT si grand qu'il

l'emporte même par-dessus mes bonnes intentions. Dieu

sait que j'ai voulu établir la vertu à Saint-Cyr, mais

j'ai bâti sur le sable. M'ayant point ce qui seul peut

faire un fondement solide, j'ai voulu que les filles

eussent de l'esprit, qu'on élevât leur coeur, qu'on

format leur raison; j'ai réussi à ce dessein: elles

ont de l'esprit et s'en servent contre nous; elles ont

le coeur élevé et sont plus fières et plus hautaines

qu’il ne conviendrait de l'etre aux plus grandes prin­

cesses; à parler même selon le monde, nous avons formé

leur raison et fait des discoureuses présomptueuses,

curieuses, hardies.Il lui fallut se montrer de plus

(1) "Lettres sur l'éducation des filles": Madame de Maintenon,Déc. 1689.

(2) Ibid. 20 sept.1691.

Page 94: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

91

en plus sévère. Les représentations dramatiques avaient

été supprimées à un certain degré. Elles devinrent

plus rares et le public n’y fut pas admis. De cette

façon les jeunes filles continuèrent d’orner leur es­

prit et de s’exercer à la bonne prononciation. " J’ai

voulu en divertissant celles de Saint-Cyr, remplir leur

esprit de belles choses dont elles ne seront point hon­

teuses dans le monde, leur apprendre à prononcer, les

occuper pour les retirer de la conversation qu’elles ont

entre elles, et amuser surtout les grandes qui, depuis

quinze jusqu’à vingt ans s’ennuient un peu de la vie de

Saint-Gyr. Voilà mes raisons pour continuer chez vous

les représentations tant que vos supérieurs ne les dé­

fendent pas. Mais vous devez les renfermer dans votre

maison et ne jamais les faire voir à la grille sous

quelque prétexte que ce soit. Il sera toujours dange­

reux de faire voir à des hommes, des filles bien faites

et qui ajoutent des agréments à leur personne en fai­

sant bien ce qu’elles représentent. N’y souffrez pas,

dis-je, aucun homme quel qu’il soit, ni pauvre, ni ri­

che, ni jeune, ni vieux, ni prêtre, ni séculier; je dis

même un saint s'il y en a sur la terre. Tout ce qu’on

pourrait faire si un supérieur voulait voir ce que c’est,

en effet, que ces pièces, serait de faire jouer les plus

petites, comme nous avons fait.^" Les grandes, en habit

(I) Lettres sur l’éducation des filles; Mme de Maintenon, février 1701

Page 95: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

92

de Saint-Cyr avaient joué Athalie, au parloir, devant

l’éveque de Noyon et les confesseurs de la maison.

Madame de Maintenon en montra sa désapprobation: "Je

ne suis pas sans peine sur ce que nous fîmes hier;

vous savez comment nous nous sommes embarquées; mais

j’espère, et je vous en conjure, que ce soit la der­

nière fois.1"

Pour obtenir la réforme, Madame

de Maintenon se proposa la pratique de l’humilité et

de la piété chez les jeunes filles et chez les maî­

tresses. Elle s’efforça de cultiver leur esprit en

les habituant à une politesse qui ne fût pas incom­

patible avec la vraie dévotion. "Une éducation sim­

ple et chrétienne aurait donné de bonnes filles dont

nous aurions fait de bonnes femmes et de bonnes reli­

gieuses, et nous avons fait de beaux esprits. Comme

plusieurs petites choses fomentent l’orgueil, plusieurs

petites choses le détruisent. Nos filles ont été trop

considérées, trop caressées, trop ménagées; il faut les

oublier dans leurs classes, leur faire garder le règle­

ment de la journée et leur peu parler d’autre chose."

Quelle sagesse dans cette dernière considération! "Les

bonnes filles, continue-t-elle, m’ont plus fait voir

l’excès de fierté qu’il faut corriger que n’ont fait

(I)"Lettres sur l’éducation des filles" ; Mme de Maintenon, février 1701.

Page 96: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

93

les mauvaises, et j’ai été plus alarmée de voir la gloire

et la hardiesse de Mlles de .... de .... et de .......... , que

de tout ce que l’on m’a dit des libertins de la classe.

Priez Dieu et faites prier pour qu’il change leurs coeurs

et qu’il nous donne à toutes, l’humilité. Il n’y a point

de maison au monde qui ait plus besoin d’humilité exté­

rieure et intérieure que la nôtre.1"

(1) Lettres sur l’éducation des filles: Mme de Maintenon,20 sept. 1691.

(2) Ibid. 16 déc. 1693.

Enfin, la communauté des Daines sé­

culières de Saint-Gyr fut érigée en monastère régulier de

l’ordre de Saint-Augustin, avec voeux simples. Elles fi­

rent une année de noviciat, Madame de Maintenon s’ap­

pliqua à former elle-même, maîtresses et élèves. "Aimez

votre Institut, comprenez-le dans toute son étendue et

sacrifiez-vous pour en remplir les obligations. Pesez

bien ce que c’est que le voeu que vous faites à l’égard

des demoiselles: Je promets d’employer toute ma vie à

instruire et élever les demoiselles de la maison de

Saint Louis. " Après avoir fait leurs voeux, elles

s’organisèrent ainsi: la supérieure générale, élue pour

trois ans, une maîtresse générale des classes s’occupa

de faire observer les règlements et de veiller sur les

maîtresses et les jeunes filles. Lgs maîtresses des

classes présidaient à l’instruction et à la surveil- 1 2

Page 97: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

94

lance partout. La maîtresse générale des ouvrages

avait l’intendance des travaux à l’aiguille.

A partir de ce moment, les jeunes

filles reçurent une éducation qui, fut en conformité

avec leur future position dans la société. Très sou­

vent Madame de Maintenon faisait rappeler aux maîtres­

ses la sublimité de leur vocation. "Votre grande af­

faire, votre unique affaire après celle de votre salut

est le gouvernement des demoiselles; vous avez besoin

pour y réussir d'avoir des maximes fermes, droites et

uniformes, dont vous ne vous départiez jamais. L'Esprit

de votre Institut vous marque de travailler à rendre les

demoiselles vraiment chrétiennes et de les accoutumer

à une vie frugale et laborieuse.1"

(I) Lettres sur l'éducation des filles: Mme de Maintenon, Mars 1708.

Comme nous avons dit, les jeunes

filles entraient dans la maison depuis l'âge de sept

ans juscu'à l’^ge de dix ans. Elles y restaient jus­

qu’à vingt ans sans jamais sortir que par des permis­

sions rares et spéciales. On ne permettait pas aux

parents de les visiter sauf pendant les octaves de qua­

tre grandes fêtes de l'année. Les enfants étaient grou­

pées selon leur âge en quatre classes. On pouvait les

distinguer par des rubans de couleurs différentes.

Elles portaient un uniforme. Jusqu'à l'âge de dix ans

Page 98: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

95

elles étaient dans la classe "rouge" et elles y appre­

naient à lire, écrire, compter, les éléments de la

grammaire, le cathéchisme et quelques notions de l’his­

toire sainte. A l’âge de onze ans, elles passaient

dans la classe "verte" et y apprenaient la musique, des

notions d‘histoires et de géographie et de mythologie.

A l’âge de quatorze ans, elles passaient dans la classe

"jaune" ou on étudiait surtout la langue française, la

musique, la religion. On leur donnait aussi quelques

leçons de dessin et on leur apprenait à danser. A l’âge

de dix-sept ans, elles entraient dans la classe "bleue"

où l’instruction morale était développée avec beaucoup

d’attention. La plupart des jeunes filles de la classe

bleue était dispersées dans la maison* soit pour aider

les maîtresses des classes, soit pour assister les autres

dans la maison, par exemple, les infirmières, les maî­

tresses d’ouvrages, la sacristine, etc. C’était dans

ces devoirs qu’elles trouvaient le complément de leur

éducation. De la même manière, on dispersait un cer­

tain nombre de "jaunes" pour aider au service de la

maison et très souvent on se servait des plus petites.

C’est là, si je ne m’abuse, le principe des équipières

et de leurs chefs dans la J. E. C.

puisque l’idée dominante de Madame

de Maintenon est que la jeune fille est destinée à être

Page 99: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

96

l’épouse et la mère dans un foyer, elle la prépare à

son futur état. L’éducatioh manuelle en effet, était

étendue à Saint-Cyr. On y apprenait à coudre, à broder,

à tricoter, à faire de la tapisserie. On y faisait tout

le linge de la maison, de l’infirmerie, de la chapelle,

les robes et les vêtements des maîtresses et des élèves.

Les jeunes filles aidaient à desservir le réfectoire, à

balayer les dortoirs et à nettoyer les classes. "Faites-les

agir dès qu’elles peuvent faire quelque chose; aussitôt

qu’elles peuvent marcher, il y a bien des choses qui leur

sont possibles à l’infirmerie comme balayer la table, après

le repas, servir celles qui sont au lit, mettre la nappe,

habiller les petites, etc.^" Puisque le travail manuel

était surtout en honneur à Saint-Cyr, Madame de Maintenon

exhortait les maîtresses en ce sens: "Donnez-leur le plus

qu’il sera possible, cette maxime de saint François de

Sales: de parler peu et de faire beaucoup.1 2 3"

(1) Lettres sur l’é

(2)

(3)

Les jeunes filles s’occupaient

donc de toutes sortes de travaux utiles: "Rendez-les mé­

nagères et laborieuses.5” Personne ne parait avoir mieux

enseigné la manière de former la vraie épouse et la mère

ducation des filles

Ibid.

Ibid.

Mme de Maintenon, en 1694.en 1696•

en 1691.

Page 100: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

97

chrétienne que Madame de Maintenon. "Faites-leur voir

que la vraie piété est de remplir ses devoirs; qu’elles

apprennent celui des femmes, celui des mères, les obli­

gations envers les domestiques, ce que l’on doit d’édi­

fication au prochain, et quelle sorte de vie, elles

peuvent et doivent mener . ans le monde.1" "Accoutumez-

les à être ménagères, agissantes, adroites, fidèles

dans les plus petites choses comme dans les plus gran­

des, exactes, véritables jusqu’à s’accuser elles-mêmes

quand il convient, remplies d’honneur, de bonne foi,

de probité, mais de cet honneur chrétien qui n’a rien

de superbe ni de paien.2”

(1) Lettres sur l’éducation des filles; Mme de MaintenonEn 1691

(2) Ibid.

(3) Ibid. Juin, 1715.

C’est particulièrement dans

ses considérations sur le mariage, sur ses difficul­

tés, sur les vertus qu’il exige, qu’il est intéressant

de suivre Madame de Maintenon. "Exhortez les maîtres­

ses des classes à instruire les demoiselles sur les

obligations du mariage et sur la piété convenable aux

gens du monde. On ne parle jamais chez vous que de

couvents et fieu n’y veut pas tout le monde.1 2 3" Dans

Page 101: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

98

ses directions et ses lettres, elle revient constamment

sur la piété. "Ne pressez pas trop vos filles sur la

piété; content6Z-vous de les instruire et de les édifier;

c’est à Dieu à faire le reste.1" "Si vous ne conservez

votre piété, vous serez malheureuses dans ce monde et

dans l’autre. " Elle réagit avec sagesse contre les

couvents dangereux qui causent souvent la ruine des fa­

milles et entraînent la perte des âmes. "Veillez, plan­

tez, semez, tâchez de connaître vos filles, instruisez-

les de leur religion, inspirez-leur la simplicité, la

candeur, la sincérité, l’amour de la vérité, le respect

pour les confesseurs, la droiture dans les affaires de

conscience; montrez la haine que vous avez pour les fi­

nesses, pour les jugements, enfin, pour tous les mauvais

caractères d’esprit qu’il faut détruire dès l’enfance.'5"

Madame de Maintenon, comme on s’en rend compte, ramène

tout au rôle futur de la femme: "En effet, que peut faire

une personne de notre sexe qui ne peut demeurer chez elle,

ni trouver son plaisir dans les devoirs de son ménage?1 2 3 4"

(1) Lettres sur l’éducation des filles: Mme de Maintenon,En 1692.

(2) Ibid, En 1711.

(3) Ibid. En 1699.

( 4) "L’Education des jeunes filles J* ; R.P. Libercier, O.P.Page 249.

Dans ses rapports avec les jeunes

filles, Madame de Maintenon s’appliquait sans relâche à

Page 102: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

99

la formation de leur caractère. Elle leur fit apprendre

par coeur les Conversations et des Proverbes qu’elle a-

vait rédigés. Elle prenait la peine d’écrire des maximes

sur les premières pages de cahiers des jeunes filles de

Saint-Cyr. Ces maximes servaient d’exemple d’écriture et

enseignaient en meme temps beaucoup de levons pratiques

et utiles:

" Aimer Dieu et votre état est le seul bonh’eur."

" Contribuez à la paix autant qu’il vous sera possible."

" Pensez souvent à Dieu. "

" Il n’y a point d’état qui n’ait ses peines et souvent

plus grandes que les vôtres. "

" Rendez-vous le plus capable que vous pourrez car vous

ne savez pas à quoi Dieu vous destine. "

” Ne faites jamais dépendre votre bonheur des autres. "

” Ne soyez jamais cause d’aucune querelle. "

" Si vous voulez être agréables dans la conversation,

ne parlez guère de vous. "

" Pour bien commander il faut savoir obéir. ”

'* Religieuses ou séculières^ il faut hair le monde si

vous voulez être chrétienne. "

Le but de Saint-Cyr semblait

être de produire l’épouse et la mère chrétienne dont les

vertus seraient la piété, la pureté, l’obéissance, l’humi­

lité, le dévouement, l’esprit de sacrifice. Pour attein­

Page 103: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

100

dre cet idéal de la mère chrétienne, la jeune fille doit

faire la guerre à tous ses mauvais penchants: parasse,

désobéissance, mensonge qui ont tous’une gravité excep­

tionnelle au point de vue de la morale, de l’avenir meme.

Il ressort de toutes ces observa­

tions que Madame de Maintenon exerça une grande influence

sur ses élèves et sur l’éducation en général. Elle en­

trait dans tous les détails d’une maison d’éducation.

Dans les fréquents voyages que lui imposaient les besoins

de Saint-Cyr, elle écrivait, et sa riche correspondance

nous révèle qu’elle était une éducatrice modèle. Elle

avait véritablement le don "d’élever" les enfants. Elle

les aimait d’un amour surnaturel, intelligent, aussi ten­

dre que profond. Pour "ses chères filles" elle avait,

comme dit Fénelon, " Ce que l’amour a de plus divin: le

dévouement qui s’oublie loi-même pour se dépenser et se

livrer sans réserve.

Madame de Maintenon suit donc pas

à pas Féenlon, mais elle se montre plus sèche, férue de

laisser aller dans l’éducation. Les femmes françaises

lui doivent cependant à peu près autant qu’à l’illustre

précepteur du duc de Bourgogne.

Page 104: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

101

CHAPITRE X

LES CONTINUATEURS DE FENELON.

Pour terminer notre course à

travers le champ d’éducation féminine, nous dirons un

mot des disciples et des continuateurs de Fénelon, sur

la frontière des 17ièma et lôième siècle.

ROLLIN (1661 à 1741) est le

plus fidèle disciple de Fénelon. Quand le vieux pro­

fesseur janséniste parla de l’éducation des femmes, il

ne fait guère que recopier le Traité de 1 ' édu c a t ion de s

filles. Et l’on sent vite à le lire qu’il est de la

vieille école. "Une femme peut n’être pas fort instruite,

écrit-il, instruite de tout le reste et être néanmoins

une excellente mère de famille, mais elle ne peut igno­

rer ou négliger les soins domestiques sans manquer à

l’une de ses plus essentielles obligations. Le bel

esprit de la science ne couvre point un tel défaut, et,

loin de relever le sexe, ne sert qu’à le déshonorer.^"

Rollin reste bien ici l’écho docile de Molière.

Féru d’histoires comme il l'était

Rollin recommande énergiquement l’étude du passé; "L’étude

la plus propre à orner l’esprit des jeunes demoiselles,

(I) " Traité des Etudes " Rollin

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102

et même à leur former le coeur est colle de l'histoire;

elle leur ouvre un vaste champ qui peut les occuper uti­

lement et agréablement pendant plusieurs années.1" fît

il prise fort les "réflexions admirables de Monsieur

Bossuet, évêque de Meaux, dans son histoire universelle."

(1) " Traité des Etudes " : Rollin(2) " L'éducation progressive": Mme de Saussure, T. 11

Page 282.

Le programme de Rollin, en fait d’é­

ducation féminine n’avance pas sur celui de Fénelon.

Une autre continuatrice de Monsieur

de Cambrai apparaît dans une femme des plus aimables et

des plus sensées de son temps, MADAME LA MARQUISE DE

LAMBERT, l’auteur des "Avis d’une mère à son fils et à

sa fille," Madame de Lambert écrivit à Fénelon ce com­

pliment: "J’ai trouvé dans le Traité de l'éducation des

filles, les conseils que j’ai donnés à la mienne, et dans

Télémaque, les préceptes que j’ai donnés à mon fils.

C’est vous qui m’avez montré la vertu aimable et m’avez

appris à l'aimer." Et la marquise préconise elle aussi

chez la femme, l'imagination alliée à la raison, les le­

çons solides sans vaine prétention à la science, la saine

curiosité "penchant de la nature qui va au-dessus de l'ins­

truction."

Madame Necker de SAUSSURE semble

aller un peu plus loin que Madame de Lambert: "Cultivons 1 2

Page 106: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

103

d’abord chez les jeunes filles, écrit-elle, les grandes

et nobles qualités de l’humanité: les dispositions ai­

mables de leur sexe se développeront d’elles-memes et

n’y perdront rien.2”

(2) "L’Education progressive” : Mme de Saussure, T. IlPage 282.

ROUSSEAU dans l’éducation de

Sophie, commentera Fénelon avec des soucis mignards et

inconsciemment pervers. Ses principes formeront Madame

de Staël, la nébuleuse auteur de Gori/inne et de l’Allemagne.

” Bornons ici notre carrière,” com­

me écrivait La Fontaine, Notons pour finir, que la plu­

part des pédagogues français exigent de la femme, la for­

mation morale surtout; la formation qui fait les femmes

fortes dont l’Ecriture trace un si beau portrait. Ces

pédagogues ont pressenti peut-être la grande catastrophe

qui allait fondre sur la France, en 1789, et demander aux

filles, aux épouses et aux mères des qualités surhumaines.

Après la tourmente, de nouveaux

pédagogues vont surgir, Joseph de Maistre par exemple et

Mgr Dupanloup un peu plus tard. Leurs efforts conjugués

avec la tradition, avec le travail discret mais efficace

des couvents, vont consacrer, non pas la savante, non

pas la femme docteur qui pourra l’être d’ailleurs sans

se voir persécutée, mais la femme qui a fait de sa digni­

té d’épouse et de mère une sorte de sacerdoce; une femme

Page 107: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

104

qui a volontiers limité sa vie à l’activité domestique,

qui s’est vouée à son mari et à se3 enfants: type fran­

çais, type salésien a-t-on dit. c’est pour ce type de

femme que Paul Verlaine a écrit les deux vers que tout

le monde sait par coeur et qui résument les doctrines

essentielles à tous les tournants du 17ième siècle:

" La vie humble, aux travaux ennuyeux et faciles

" Est une oeuvre de choix qui veut beaucoup d’amour.”

C’est ce type de femme qui sauvera

la France en ces jours sombres actuels de désespoir et

continuera au plus noble pays de l’univers écrasé au­

jourd’hui par les barbares, la lignée des Geneviève,

des Jeanne de Chantal, de Madame Elizabeth, de Berna­

dette de Lourdes et de Thérèse de 1’Enfant-Jésus.

Page 108: L EDUCATION DES FEMMES AU DIX-SEPTIEME SIECLE. Par

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PROPOSITIONS»

1. - L’éducation des filles ne date pas du dix-septièmesiècle.

2. - L’Eglise a droit à une part très large des louangesque l’on adresse à la pédagogie du dix-3eptièms siècle •

3. - Le dlx-3eptième siècle est véritablement une grandeépoque pédagogique.

4. - Avec saint François de Sales, l’Eglise catholiquemettait résolument et vigoureusement la main sur l’éducation des femmes du dix-septième siècle.

5. - Malebranche a bien compris l’influence des premiè­res impressions et de l’éducation du premier âge.

6. - L’éducation des filles de Port-Royal n’est encorequ’une éducation monastique.

7. - L’abbé Fleury est une d63 Intelligences les pluslibérales et les plus distinguées du siècle de Louis XIV.

8.- Fleury obéissait à une tendance générale de son époque, quand il mettait le droit au nombre des études nécessaires même aux femmes.

9.- Molière, en fin de compte veut pour les femmes un peu plus que des '‘clartés de tout".

10.- Un mot résume les défauts que Molière reprochait à l’instruction de son temps: c’est le pédantisme.

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11. - L’idéal féminin de Molière, c’est Henriette,(des Femmes savantes).

12. - Les grandes pièces de Molière ne rappellent quetrop la vie modeste et bornée que l’usage faisait à la femme.

13. - Le sens du réel est un des traits les plus carac­téristiques de la pédagogie féneloni/ienne•

14. - La bonté, la douceur des parents ou des maîtressont plus efficaces que les meilleurs livres.

15. - Le Traité de Fénelon renferme quelques-uns desgrands principes qui servent ae base à la pédago­gie moderne.

16. - La plupart des éducateurs de dix-huitième sièclesa sont inspirés des idées de Fénelon sur l’édu­cation des filles.

17. - Le succès des établissements dirigés par les Ursu-lines doit être attribué en partie à la pédagogie chrétienne qu’elles parvinrent à y faire régner.

18. - Pour l’éducation morale ou mondaine de la femme,on peut trouver au 17ième siècle une série de fem­mes admirablement douées.

19. - Madame de Maintenon est l’une des institutricesles plus distinguées que la France ait produites.

20. - Le plus grand événement pédagogique pour les jeunesfilles du dlx-3eptième siècle fut la création de Saint-Gyr.

21. - Madame de Sévigné et Madame de Lambert seront l’é­ternel honneur de leur sexe et de la littérature française•

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22»- Les femmes sont capables de faire et de défaire les maisons.

23. w C’est sur les genoux des mères que s’élèvent lesconstructeurs ou les destructeurs d’Etats.

24. - Infirma mundi elegit Deus, ut confundat fortia.

25. - Ce que femme veut, Dieu le veut.

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