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” L’EDUCATION DES FEMMES ”
” AU DIX-SEPTIEME SIECLE. ”
Par
Soeur M.-François, Beirne, O.P.
Thèse présentée pour le grade de
Doctorat d’Université
*a
1‘Université Laval
Québec, juillet, 1940
L’EDUCATION
DES
FEMMES
D U
DIX-SEPTIEME
SIECLE
TABLE MATIERES
Fages
Introduction I
Chapitre 5i
Chapitre II St. Vincent de Paul 20
Chapitre III...ses Jansénistes et Port-Royal 28
Chapitre IV.Education mondaine. Les Précieuses... 34
Chapitre Llolière 42
Chapitre VI Madame de sévigné 54
Chapitre Vil. ..u’abbé Claude Fleury.ues Ursulines 62
Chapitre VIII Fénelon 69
Chapitre IX Madame de Maintenon 86
Chapitre Les Continuateurs de Fénelon 101
V
x
Propositions.......................... : 105
Bibliographie........................................................................................ : 108
Introduction
On connaît le mot de Lamennais: ” La
femme est une fluur qui ne donne son parfum qu’à l’ombre.”
Ce mot synthétise une longue tradition française sur l’é
ducation des femmes, une longue défiance du savoir fémi
nin qui remonte jusqu’au moyen âge.
” Femme je suis povrette et ancienne,
” Qui riens ne sçay oncques lettre ne leuz:...
avoue la mère de François Villon. Et là-dessus beaucoup
de femmes en France pouvaient dire à peu près la même
chose, à l’époque où l’on se moquait d’elles dans le Ro
man de la Rose, voire à l’époque où Erasme disait d’elles;
” De même qu’un singe est toujours un singe, une femme,
quelque rôle qu’elle joue, est toujours femme, c’est-à-
dire sotte et folle.”
Cependant, il faut noter que la fem
me française n’a rien d’une ilote. L’Eglise a relevé sa
condition et le culte qu’on avait pour Notre-Dame n’est
pas étranger à la reconnaissance de la dignité féminine.
Déjà dans le théâtre du moyen âge, on peut rencontrer des
hommages délicats à la femme;
Tu lés feblette et tendre chose,
Et iés plus fresche que n’est rose:
Tu iés plus blanche que cristal
Que neif qui Ghiet sor glace en vol
2
Mal Cuple en fist li Criatur:
Tu es trop tendre, et il est trop dur.
Mais neporquant tu es plus sage,
En grant sens ai mis ton corsage...
Et Christine de Pisan est heureuse de chanter «Jeanne d’Arc,
plus forte en son siècle, que bien des hommes, et contre
les auteurs du Roman de la Rose, elle soutient que le
science ennoblit au lieu de corrompre les moeurs. "Il ne
doit mie estre présumé que de scavoir les sciences mora
les, et qui apprennent les vertus, les moeurs doivent en
empirer, ains n’est point de doubte qu’ils en amendent et
anoblissent
Et Louise Labé, célèbre corc’ière ly
onnaise, au 16ième siècle, peut se réjouir dans une lettre
qu’elle adresse à une amie, du fait que " les sévères lois
des hommes n’empêchent plus les femmes de s’appliquer aux
sciânces et disciplines."
Néanmoins, la partie est loin d’ê
tre gagnée. Montaigne tout en louant la femme antique, n’
a que du mépris pour la femme de son époque. Charron exa
gère Montaigne et Bodin n’est plus aimable. Et Malebran-
che? Le philosophe oratorien, avec certains moralistes re
ligieux du 17ième siècle déjà frottés de jansénisme, ne
conçoit pas l’égalité des sexes devant l’instruction.
C’est aux femmes, écrit-il, à décider des modes, à juger
de la langue, à discerner le bon air
(I) "Le livre de la cité des Cames:" Christine de Pisan
3
et les belles manières. Elles ont plus de science,£’ha-
bileté et de finesse que les hommes sur ces choses. Tout
ce qui dépend du goût est de leur ressort; mais, pour 1’
ordinaire, elles sont incapables de pénétrer des vérités
un peu difficiles à découvrir.”
On sent dans ces propos et ces attitu
des une rancune obstinée, sinon toujours consciente, con
tre la première femme qui séduisit le premier homme dans
l’Eden, pour avoir tâté du fruit défendu, pour avoir tou
ché à l’arbre de la Science.
Ce ne sera vraiment que grâce à l’Eglise
et dans ce siècle où Selon le mot de Bossuet, ”tout ten
dait au grand,” que l’on verra la femme moins ignorante,
plus instruite de ses devoirs humains et sociaux. Elles
devront beaucoup à l’abbé Fleury et à Fénelon.
Cependant, avant le renfort de Fénelon,
elles vont trouver dès le début du 17ième siècle, des
précurseurs de la pensée éducatrice fénelonnienne, de
grands apôtres comme saint François de Salles et saint
Vincent de Paul qui vont montrer que la ” femme est la
moitié du genre humain ” et que son âme est d’un prix
infini puisque comme celle de l’homme elle a été payée
du sang de Jésus-Christ, c’est par eux que nous allons
commencer cette étude. Dans les premiers chapitres, nous
verrons donc l’influence de ces deux grands hommes sur
4
l’éducation des femmes; et dans les chapitres subsé
quents, nous verrons le rôle de certaines grandes da
mes qui ont brillé particuliérement dans leur siècle,
le rôle de Molière et enfin, le rôle de l’abbé Fleury,
de Fénelon et de ses Continuateurs. Nous suivrons ain
si assez librement, la lente ascension au 17ième siè
cle, de ce qu’on pourrait appeler encore bien impar
faitement l’émancipation féminine.
5
CHAPITRE I
SAINT FRANÇOIS DE SALES.
Dès le début du siècle, s’affirment
sur le problème de l’éducation féminine les tendances
les plus diverses. En certains quartiers on songe à fai
re de la femme une bonne ménagère, une femme instruite.'1’
On n’est pas loin de considérer la femme comme un être
inférieur. Cependant grâce à l’influence de Saint Fran
çois de Sales et de saint Vincent de Paul, se fondent
partout des communautés enseignantes où l’on combat vi
goureusement les tendances de la vie mondaine.
(I) "Revue des Deux-Mondes"; Fagniez, le 15 janvier, 1909
Comme nous venons de le dire, saint
François de Salles exercera une influence considérable
sur l’éducation féminine du 17ième siècle. Saint Fran
çois de Sales n’a pas donné une théorie de l’éducation,
mais dans son oeuvre la plus importante, L’introduction
à la vie dévote, qui parut en 1609, il touche à la plu
part des questions essentielles relatives à l’éducation
féminine. Dans la préface de son livre, saint François
de Sales nous dit son intention " d’instruire ceux qui
vivent ès villes, ès ménages, en la cour.” Il ajoute:
"j’adresse mes paroles à Philothée, parce que, voulant
6
réduire à l’utilité commune de plusieurs âmes, ce que
j’avais premièrement écrit pour une seule, je l’appel
le du nom commun à toutes celles qui veulent etre dé
votes, car Philothée veut dire amatrice ou amoureuse
de Dieu.”
Pour diverses raisons: guerres, que
relles de religion, dans la première moitié du 17ième
siècle, en France, il y avait un grand nombre de fem
mes qui avaient perdu toute manne spirituelle et qui
avaient perdu, par conséquent l’attrait du service de
Dieu. La formation morale et religieuse est pour Fran
çois de Sales la question la plus importante. Il pré
pare Philothée pour sa destinée finale. Cette pensée
est le commencement et la fin, la base et le sommet de
L’instruction à la vie dévote. Saint François de Sa
les divise son oeuvre en cinq parties. Dans les deux
premières parties, il montre à Philothée les moyens
de pénétrer dans la dévotion. Il ne veut pas que Phi
lothée soit découragée dans sa préparation pour la vie
éternelle. "Il faut bien que pour l’exercice de notre
humilité, nous soyons quelquefois blessés en cette ba
taille spirituelle; néanmoins, nous ne sommes jamais
vaincus sinon lorsque nous avons perdu ou la vie ou
le courage.”^ Quand on songe au triste état de la con
dition spirituelle des femmes, on peut apprécier cette
(I) "Introduction à la vie dévote.” 1ère partie, Chap. V
7
pensée de l’auteur. Une longue suite de désastres avait
désolé la France à cette époque et avait rendu très du
res les conditions matérielles; le spirituel s’en était
ressenti; les âmes féminines surtout étaient privées de
tout élan spirituel: conséquence: beaucoup de dégrada -
tion morale. Pour calmer les troubles de leurs âmes,
saint François de Sales exhorte les femmes à la confes
sion: '‘allez courageusement, en esprit de pénitence et
d’humilité faire votre confession générale; mais je vous
prie, ne vous laissez point troubler par aucune sorte
d’appréhension. " En donnant ces conseils, saint Fran
çois de Sales opère chez les femmes du 17ième siècle, d’
admirables transformations morales. L*Introduc tion à la
vie dévote est donc riche en conseils pour les femmes.
Dans la deuxième division de son
ouvrage, on peut voir une partie de son programme tou
chant l’éducation religieuse des femmes, car l’éduca
teur d’un siècle, quel qu'il soit, a fait peu de choses
s’il n'a formé les âmes aux pratiques de la vi9 chré
tienne. Ainsi donc, la jeune fille, selon saint Fran
çois de Sales doit prier. La prière, les bonnes pen
sées, la réception fréquente des sacrements sont les
fondements d’une vie chrétienne, c'est ainsi que
(2) "Introduction à la vie dévote." 1ère partie, chap. V.
saint François de Sales comprenait l’oeuvre de 1’éduca
tion. "Commencez toutes sortes d’oraisons, soit mentale
soit vocale, par la présence de Dieu, et tenez cette rè
gle sans exception Il recommande à Philothée le cha
pelet et les litanies diverses. Il l’instruit solidement
des dispositions requises pour recevoir avec fruit les
sacrements de pénitence et d’eucharistie. Il exhorte Phi
lothée à la réception fréquente des sacrements: "Commu
niez souvent, Philothée, et le plus souvent que vous pour-
rez avec 1 avis de votre père spirituel. (2)
C’est saint François de Sales qui
établit le premier peut-être dans son siècle, la nécessi
té de la bonne lecture. Quelques femmes de ce siècle ne
craignaient pas d’affronter la lecture des philosophes;
et Descartes n’avait pas de disciple plus attentive que
la princesse Elizabeth. Madame de Grignan elle-même a-
vait épousé la doctrine cartésienne avec ardeur. Saint
François de Sales préfère faire aimer les histoires et
la vie des saints, les vies des premiers Jésuites, cel
le de Saint-Charles Borromée, archevêque de Milan, de
saint Louis, de Saint Bernard, les Chroniques de saint
François et d’autres. " Historia magistra vitae... "
estimait-il avec Cicéron^ Il cherchait encore à déve
lopper dans l’âme de Philothée toutes les vertus, c’est
dans la troisième partie de son livre que saint Fran
(1) ” Introduction à la vie dévote, 2ème partie,chap. I.(2) Ibid.
9
çois de Sales montre qu’une éducation morale repose sur
la connaissance des vertus. Il nous faut préférer la ver
tu qui est plus conforme à notre devoir et non pas celle
qui est plus conforme à notre goût. Saint François condi-
dère l’éducation comme une oeuvre de foi et de piété. La
jeune fille doit être ornée de vertus solides; force d*
âme, fermeté de caractère tempérée par la douceur, la bonté
la patience. Il faut surtout une grande exactitude à tous
les devoirs d’état.
Aux femmes mariées, saint François
accorde aussi une paternelle attention. Dans son chapi
tre: "Avis pour les gens mariés", il les exhorte à l’a
mour mutuel et il parle des trois effets de cet amour; 1’
union indissoluble des coeurs, la fidélité Inviolable de
l’un à l’autre et la production des enfants. Saint Fran
çois considère les trois choses essentielles que les deux
époux doivent avoir en vue; Dieu, la famille et leur sanc
tification. Une jeune fille doit voir dans le mariage la
réponse à l’appel de Dieu qui lui montre dans cette vo
cation la route du ciel. Rabelais et Montaigne viennent
de ravaler le divin caractère du sacrement de mariage.
Pour sauvegarder les jeunes filles du 17ième siècle, saint
François rétablit ce caractère.
Cependant, chez lui, rien de tris
te. Ce serait, en effet, une grande erreur de croire que
10
la piété que saint François recommande rétrécit l’hori
zon de l’esprit et oblige à se détourner des connais -
sances dites profanes. Mais nonl Rien n’est profane pour
l’âme qui sait faire remonter à sa vraie source toute
science et toute beauté, et c’est pourquoi l’auteur de
l’introduction conseillait aux jeunes filles du dix-
septième siècle de développer leur vie intellectuelle
par la lecture, l’étude et la réflexion personnelle. Il
apporta en ce domaine un remarquable exemple et de pré
cieux enseignements. Gomme le remarque fort bien Mgr
Francis Vincent, le culte des lettres humaines n’est
pas chez notre Saint, concession faite au goût du siè
cle : ”pour lui, plus encore que pour saint Ignace qui
avait prescrit la rhétorique à ses religieux, la culture
humaine fait partie de la culture chrétienne.”^
Ses longues et brillantes études
l’avaient préparé à goûter la bienfaisance d’une riche
culture. Paris, au sein duquel s’affrontaient, dans la
fièvre, les parties politiques et religieux, l’avait
vu arriver, jeune étudiant de quinze ans, et se jeter
à corps perdu jusqu’à sa vingtième année dans l’étude
de la rhétorique et de la philosophie. François pres
sent que pour agir sur ses contemporaines, il faut à
la fois comprendre et savoir. Qui comprit mieux que
(I) Saint François de Sales, directeur d’âmes. François vincent.
11
lui la société féminine de son temps? Il observait et il
apprenait. Des lectures abondantes, tant chez les anciens
que chez les modernes, le mettent en contact avec la pen
sée humaine sous toutes ses formes. Bien que la femme de
son temps, au moins d’une façon générale, n'entreprît pas
les études proprement dites, le bon Saint conseillait à
ses dirigées, les beaux livres de dévotion.” Comme nous
avons dit, il n’y avait pas une cloison étanche entre 1’
étude, comme elle existait de son temps et la vie inté
rieure. Le but de son effort intellectuel fut semble-t-
il de connaître pour mieux aimer Dieu et ses frères. Il
sait que tout sert au bien des âmes, surtout aux âmes du
dix-septième siècle. Il avait un souci constant de se
cultiver sol-même pour aider ensuite à la culture d'au
trui. Nous le verrons devenir le confesseur de Mme Aca-
rie et sera consulté par beaucoup de femmes de son temps.
Gomme il aida à unir la sainteté et la science chez les
femmes. On ne s'étonne donc pas que, dans son petit An
necy, d'accord avec le président Favre, son ami, père
du grammairien Vaugelas, François de Sales jugeât utile
de fonder 1'Académie florimontaine, sorte d'Académie
française avant la lettre, pour favoriser l'amour de la
science, l'art de bien écrire et de bien dire. Comme il
appert, il ne refuse pas aux femmes la vraie culture de
l'esprit, mais, il leur demande, comme Molière le fera
12
plus tard, de n’en point faire étalage. Il connait leur
propension au pédantisme et pour réaliser tous ses rêves
de perfection chez les femmes au sujet de l’éducation,
il cherche à développer toutes les vertus. A son avis,
les divertissements ne doivent pas être interdits, à la
jeune fille, si elle en use avec discrétion... "Dansez
et jouez selon les conditions que je vous ai marquées,
quand pour condescendre et complaire à l’honnête conver
sation en laquelle vous serez, la prudence et la discré
tion vous la conseilleront.^"
Saint François de Sales écrit à
Mme Brulart, "Vous ne devez pas seulement ... aimer la
dévotion, mais vous la devez rendre aimable à un cha
cun. Or vous la rendrez aimable si vous la rendez u-
tile et agréable. Les malades aimeront votre dévotion
s’ils en sont charitablement consolés; votre famille,
si elle vous reconnaît plus soigneuse de son bien, plus
douce aux accurences des affaires, plus aimable à re
prendre, et ainsi du reste; monsieur votre mari, s’il
voit qu’à mesure que votre dévotion croît vous êtes plus
cordiale en son endroit et plus suave en l’affection que
vous lui portez; messieurs vos parents et amis, s’ils re
connaissent en vous plus de franchise, de support, de con
descendance a leurs volontés qui ne seront pas contraires
à celle de ^ieu. Bref, il faut tant qu’il est possible,
(I)"Instruction à la vie dévote." 3ême partie, chap. 54
13
rendre notre dévotion attrayante”. Selon saint François,
la dévotion ne sera pas attrayante si elle est triste et
contrainte. Lorsque Mme de Chantal passa de la conduite
de son premier directeur à celle de saint François de Sa
les, ses domestiques disaient entre eux: "Le premier con
ducteur de Madame ne la faisait prier que trois fois le
jour, et nous en étions tous ennuyés; mais Monseigneur de
Genève la fait prier à toutes les heures du jour et cela
n’incommode personne...” On peut voir facilement que le
premier avait l’esprit de contrainte et notre saint l’es
prit de liberté. Des que vous sentirez une sombre tris
tesse vous envahir, jetez-vous, dit François de Sales, dans
les bras du "Dieu de joie et de consolation” avec des pa
roles de confiance et d’amour. Il conseillait à la jeune
fille de détourner son attention de son propre mal, de
fixer son esprit sur quelque occupation apte à la dis
traire, redoubler d’exactitude en ses devoirs d’état;
quoique sans ferveur, faire des actes d’amour; enfin s’
imposer quelque mortification et se confier à votre di
recteur. Si une jeune fille du dix-septième siècle sui
vit ce conseil, n’est-il pas fort probable que tout ren
trera dans l’ordre? L’ame n’a jamais sujet de s’abandon
ner à la tristesse, qu’elle soit dans l’épreuve extérieure
ou intérieure, puisqu’elle peut et doit toujours compter
sur le secours de Dieu. Et selon saint François, la joie
est le fruit naturel d’une parfaite conformité de
14
notre vouloir à celui de Dieu. En conséquence, saint Fran
çois de Sales ne veut pas de mines contraintes en la dévo
tion, car dit-il, "Dieu est le Dieu de joie". Oui, ma chè
re fille, écrit-il à l’une de 3es dirigées, je vous dis
par écrit aussi bien que de bouche: réjouissez-vous tant
que vous pourrez en bien faisant, car c’est une double grâ
ce au bon oeuvre, d’être bien fait et d’etre fait joyeuse
ment. Saint François se rend compte que la jaune fille
qui vit dans le monde doit par la force des choses, y en
tretenir des relations et participer à ses plaisirs. Son
devoir n’est pas de le fuir, mais d’y garder la dignité chré
tienne, ce qui ne l’empêchera pas d’y montrer de l’affa
bilité, de la bonne grâce et une franche gaieté. Certai
nement il y a dû avoir au dix-septième siècle, beaucoup
de jeunes filles qui exerçaient par l’exemple un aposto
lat d’une si grande portée.
La pédagogie religieuse de saint
François de Sales repose donc sur les fondements les plus
solides; l’Evangile et l’enseignement des Pères et des
Docteurs de l’Eglise. Elle s’exprime dans chaque partie
de son oeuvre, mais surtout dans la troisième partie de
l’introduction. Saint François a surtout éclairé, re
dressé et fortifié les âmes féminines. Il leur montre
que le grand ennemi de la sainteté est la préoccupation
ou contention de l’esprit. Il faut honorer par leur
14
gaieté la sainte allégresse de Notre Seigneur, "invo
quez Dieu et lui demandez son allégresse.^" Combien
de femmes il a éclairées et réconfortées! Dans un
siècle tristement désorganisé par tant de luttes re
ligieuses, saint François commença à conduire des
femmes dans les voies de Dieu, voies claires sinon
toujours intelligibles, voies joyeuses: hilarem da-
torem diligit Deus.
Dans le dernier chapitre, il
exhorte Philothée à la persévérance: "Continuez et
persévérez en cette bienheureuse entreprise de la vie
dévote. Nos jours d’écoulent, la mort est à la porte...
regardez Jésus-Christ, ne le reniez pas pour le monde;
et quand la peine de la vie dévote vous semblera dure,
chantez avec saint François:
" A cause des biens que j’attends, "g
" Les travaux me sont passe-temps. "
L’introduction à la vie dévote
a un mérite unique: incorporée à l’esprit religieux de
la race, elle a formé le coeur de la femme française,
cette maîtresse de maison, cette mère de famille de la
bourgeoisie ou du peuple, qui passait du couvent au ma-
(1) "Introduction à la vie dévote," 4eme partie, chap. XIV.
(2) "Introduction à la vie dévote," 5ème partie, chap.XVIII.
15
riage, comme à une profession religieuse, qui s’éta
blissait gardienne du foyer, heureuse dans sa vie li
mitée, trouvant sa joie à se consacrer à son mari et
à ses enfants.I
Bien que François de Sales ne pro
fesse aucun système pédagogique, son oeuvre contient
sur l’éducation des femmes, des indications très pré
cieuses. c’est grâce au saint que la femme française
s’est rendu compte de sa noblesse et qu’elle a porté
son esprit à un rare degré d’élévation. Il fallait
bien cette élévation pour réagir contre de dangereux
courants: courant janséniste issu de la Réforme et d’
une trop grande défiance de l’humanité; courant mon
dain venu de la Renaissance, des emballements de la
Fronde; courant glacé surgi des guerres de religion.
Il semble bien qu’alors il y ait eu à côté de la gran
de Mademoiselle et à côté des huguenotes et des ita
liennes frivoles, de véritables salvatrices du vrai
foyer français. L’amour courtois se nuance d’admira
tion. On comprend en dépit de certaines répugnances,
que l’esprit de la femme est capable de lumière autant
que son coeur est capable de dévouement. On supporte
les femmes instruites, mais Instruites commes des é-
ducateurs religieux peuvent les instruire, c’est-à-
(I) La littérature Religieuse de François de Sales à Fénelon; J. Calvet.
16
dire avec la préoccupation dominante de régler la vie,
de fortifier la femme contre les entraînements du mon
de et de lui apprendre toutes les bienséances néc6s -
saires. Saint François de Sales était un modèle ache
vé de cette courtoisie chrétienne; ”Notre bienheureux
Père, a témoigné Jeanne de Chantal, rendait à toutes
les créatures le plus d’honneur qu’il se pouvait, soit
par par-oies, soit par effet.” Chez les jeunes filles,
il considérait cette perle de grand prix qui seule fait
leur vraie grandeur; une âme rechetée par la Rédemption.
Cela explique ce mot chez lui très surnaturel; "Je ne
fais pas grande différence d’une personne à une autre.”
C’est par ce qu’elles ont de plus noble, qu’il les é-
galisait dans sa pensée. La était le secret de son ex
quise civilité. Il y a trois siècles ce jeune étudiant
s’était fixé pour la conversation; ”11 faut que je sache,
qu’aux supérieurs ou d’age, ou de profession, ou d’auto
rité, il ne faut faire paraître, que ce qui est exquis;
aux semblables, que ce qui est bon; aux inférieurs, que
ce qui est indifférent. Quant à ce qui est mauvais, il
ne le faut jamais découvrir à qui que ce soit... L’amour
engendre la liberté, et le respect la modestie... Entre
les égaux, il faut être également libre et respectueux,
avec les inférieurs, il faut être plus libre que respec
tueux; mais avec les grands et supérieurs, il faut être
17
beaucoup plus respectueux que libre.” Les jeunes filles
apprenaient donc, à la suite de notre Saint, à réagir
contre le courant de laisser-aller, de familiarité, de
vulgarité qui avait tendance à s’infiltrer au dix-sept
ième siècle. Elever 16 ton de la conversation, y garder
la décence et le bon goût, y avoir de l’esprit sans man
quer à la charité, du savoir sans orgueil et pédantisme,
y faire briller les autres en leur cédant la parole, ce
sont là qualités rares et pourtant bien propres à une
chrétienne et ce sont celles que saint François impri
mait si bien dans l’esprit féminin.
Autrefois l’éducation de la fem
me se faisait dans la famille. Le père Ou la mère s’oc
cupaient de l’éducation proprement dite, tandis que des
gouvernantes étaient chargées de l’instruction. Madame
Acarie (qui devint la bienheureuse Marie de l’incarna
tion) et sainte Chantal élevèrent ainsi leurs filles à
la maison. De même, Madame de La Fayette reçut les le
çons de son père et pour le latin celles de Ménage et
du P. Rapin.
De concert avec François de Sa
les, Madame de Chantal fonda pour les filles, à Annecy,
en 1610, le premier monastère de la Visitation. La
congrégation s’est vouée dès lors à l’instruction des
18
jeunes filles. On y voit entrer des filles de la
plus haute noblesse, ainsi que les filles de la bour
geoisie .
L’éducation des filles chez les
Visitandines mérite une mention spéciale. Au commen
cement du 17ième siècle, les oeuvres pédagogiques é-
taient rares. Celle qui existait, l’institution de
la femme, par Pierre de Changy, donne une idée du
plan d’éducation. Ce livre ne regarde pas favora
blement la jeune fille. La sévérité de l’institution
de la femme est telle que l’on exige une surveillance
stricte. L’instruction ne tient qu’une petite place.
Quelques citations du livre qui fut traduit du latin
de l’espagnol Vivès, nous donneront une idée du type
d’éducation qui existait. "La petite fille, une fois
sevrée, ne devra jouer qu’en présence de sa mère ou
d’une autre femme âgée, et jamais avec des garçons.
Elle ne doit continuer de hanter les enfants mâles,
pour non s’accoutumer à se délecter avec les hommes.
Puis elle apprendra à coudre, à filer, à tenir le mé
nage et à faire la cuisine, et cela quelle que soit
sa condition. La jeune fille apprendra à lire, at
tendu que les bonnes lectures et les récits d’actions
vertueuses incitent à la vertu. Mais vous vous gar
18a
der6z de laisser aux mains de votre fille, livres pleins
de pestiférés et lascivetés, attirants à vice, comme Lan
celot du Lac, Le Roman de la Rose, Tristant, Fierabras,
Merlin, Floremond, etc... Mais la jeune fille lira les
Vies des saints et saintes, la Consolation de Boèce, la
Vie des rères du désert, la Fleur des Commandements et
autres écrivains salutaires. La jeune fille ne boira
que de l’eau ou du vin très étendu d’eau; elle s’abs
tiendra d’épices et de sauces; elle ne mangera que des
viandes légères et encore rarement et en petite quan
tité, et se nourrira surtout de potage. Son lit sera
dur et son sommeil non pas long, suffisant toutefois
à la valitude de sa personne. Et jamais elle ne de
meurera cisive. La jeune fille ne mettra point de fard,
ne portera pas de bijoux, ne se parfumera pas, n’aura
que des robes de drap tout unies comme en portait la
sainte Vierge. Elle évitera la tête-à-tête même avec
un proche parent, frère, oncle ou cousin. Elle ne
dansera jamais, car des danses naissent les amouret
tes, et l’amour est la chose la plus funeste du monde.I"
Et les couvents? Comme Gréard
nous le dit, le couvent était en grand honneur au 17
ieme siècle. ”11 était le premier et le dernier asi
le; c’est au couvent qu’on s’exerçait à mourir et qu’
(I) "Fénelon” : Jules Lemaitre
19
on commençait à vivre.2" On ne regardait pas à l’âge
pour y placer les jeunes filles; un deuil de familie,
un départ, les circonstances en décidaient. Madame
Guyon avait été envoyée à deux ans et demi, aux Ursu-
lines de Montargis; Marie-Blanche de Grignan/de Mada
me de Sévigné à moins de six ans, à Sainte-Marie de
la Visitation d’Aix. L’étrange émotion que nous cau
se, même à des siècles de distance, le spectacle de
ces enfants observant le silence comme des vieilles
nonnes, parlant bas du lever au coucher, comme des
diplomates, ne marchant jamais qu’encadrées de deux
religieuses comme des prisonnières, passant d’une mé
ditation à une autre, de l’oraison à l’instruction,
n’apprenant en dehors du cathéchisme, que la lecture,
l’écriture, et le dimanche, un peut d’arithmétique.
Il y avait de quoi effrayer l’imagination populaire;
et on ne s’étonnera pas de voir Fénelon si peu priser
les couvents, et Diderot écrire un affreux roman: la
Religieuse. roman farci de légendes terrifiantes sur
les horreurs des séquestrations couventines; on com
prendra mieux Cresset et son Vert-Vert amusant au
18ième siècle.
(2) "Education et Instruction" : O. Gréard, Page: 161.
20
CHAPITRE II
SAINT VINCENT DE PAUL.
Un autre artisan important de
la réforme du sentiment religieux au dix-septième siè
cle et de l’éducation fut saint Vincent de Paul. La
France, on ne saurait trop le dire, était secouée de
toutes parts par le doute et la confusion, surtout cel
le des doctrines. Combien d’âmes féminines furent dis
traites par les illusions de l’esprit! On fit nommer
saint Vincent de Paul, aumônier dans la cour brillan
te et mêlée de la reine Marguerite de Valois, épouse
de Henri IV. Dans cette cour, Vincent apprend le grand
monde et son esprit observateur met à profit cette ex
périence. ce fut le Cardinal de Bérulle qui le lança
bien malgré le saint, dans le grand monde, chez Madame
de Gondi. La grande dame lui avait demandé de l’as
sistance spirituelle pour son âme inquiète, scrupuleu
se et désemparée. Comment saint Vincent de Paul va-t-
il ramener dans les âmes des femmes, l’ordre, la scien
ce et la lumière? Par une direction suivie dont l’es-•A
sentiel nous apparait dans sa correspondance.
En 1624, saint Vincent de Paul
21
prit à charge l’âme de Mademoiselle Le Gras. De tout-
tes les correspondantes de Vincent, nulle ne fut en re
lations plus suivies avec lui, que Louise de Marillac,
cette femme d’élite du 17ième siècle. Louise de Maril-
lac avait épousé Antoine Le Gras. Ayant perdu son ma
ri de bonne heure, elle renouvelait les rêves de sa
jeunesse de devenir religieuse. Scrupuleuse jusqu’à
se persécuter elle-même, elle devient presque jansé
niste dans la conception de ses pratiques religieuses.
Et Vincent, effrayé des progrès de ce trouble, écri
vit: "N’admettez point les pensées de singularité qui
vous ont tracassé autrefois, c’est un change que le
malin esprit vous voudrait donner.1" Saint Vincent
se montre un directeur pratique et judicieux. Il la
prie de supprimer la discipline et de "remplacer la
ceinture de poils de cheval par une ceinture plus dou-
ce de petites rosettes d’argent. " Les femmes con
servèrent de l’exactitude dans les pratiques pieuses
de cette espèce, même au milieu de certains écarts.
La communion fréquente est intolérable à Mademoisel
le Le Gras qui appréhende de s’y mal préparer. On
voit ici le respect exagéré pour le sacrement contre
lequel saint Vincent la conseille: "Pour la peine in
térieure qui vous a fait retirer de la sainte commu- 1 2
(1) "Saint Vincent de Paul" : J. Calvet, Page 48.
(2) Ibid.
22
nion aujourd’hui, vous avez un peu mal fait. Voyez-
vous bien que c’est une tentation, et faut-il, en ce
cas, donner prise à l’ennemi de la sainte communion?
Pensez-vous devenir plus capable de vous approcher de
Dieu en vous en éloignant qu’en vous en approchant?
0 certes, c’est une illusion.3” La conception jansé
niste est, comme Vincent lui montre en opposition a-
vec le véritable esprit du christianisme. Mademoi -
selle Le Gras a rédigé pour elle-même un règlement de
grande austérité dont le moindre manquement lui appa
raissait un péché grave. Elle doutait de son salut,
elle alla jusqu’à douter de l’immortalité de l’âme
et de l’existence de Dieu. "Mettez-vous toute dans
la sainte dilection qui opère la confiance en Dieu
et la défiance de soi, Mademoiselle, je vous en prie;
et laissez cette crainte qui me semble parfois un peu
serville, à ceuxàqui Dieu n’a point donné les senti
ments que vous avez pour lui; et surtout méprisez ces
pensées, qui semblent infirmer la sainte foi que Dieu
à mise en vous.4” H s’oppose à son règlement et lui
commande d’agir "bonnement et bien doucement”. Après
avoir dissipé l’ignorance religieuse qui pourrait de
venir une cause de superstitions malignes et de juge
(3) "Saint Vincent de Paul" : J. Calvet, Page 48.(4) "Saint Vincent de Paul" : Pierre Coste, T. 1; page 150
23
ments faux, saint Vincent de Paul conduit Mademoiselle
Le Gras à sa vraie vocation. Louise est chargée de vi
siter toutes les confréries naissantes de la uharité.
Des cette époque elle devient la collaboratrice de saint
Vincent de P^ul dans l’éducation des jeunes filles. L’
instruction religieuse était à la base de s0n enseigne
ment. Munie d’un petit cathéchisme rédigé par elle-mê
me en termes clairs et précis, elle éclaire l’ignorance
des jeunes filles en les instruisant des vérités de la
foi. L’enseignement comprenait la lecture, le cathé
chisme et des travaux particuliers aux femmes: coutu
re, broderie, par exemple, mais c’était la religion qui
dominait, comme on peut en juger par une lettre; "Mon
Dieu I que je souhaite que vos filles s’exercent à ap
prendre à lire et qu’elles sachent bien le cathéchis
me que vous enseignez.1" Dans une autre lettre, on
lit; "Je suis bien aise de ce que vous me mandez de
ces bonnes filles de Liancourt et notamment de celle
qui sait faire de la dentelle. Elle pourra appren
dre cela aux pauvres gens, ce qui servira d’attrait
pour les choses spirituelles.^" Avant de confier à
Mademoiselle Le Gras la mission d’enseignement, saint 1 2
(1) "Saint Vincent de Paul" ; Pierre Coste, T. 1, Page 313.
(2) "Saint Vincent de Paul" ; Pierre Goste, T. 1, Page 393.
24
Vincent lui transmit l’intégrité de la foi, la science
et la vertu. Elle posséda ces trois grandes qualités.
Vincent sut reconnaître la capacité morale de cette veu
ve vertueuse et il en jugea comme des savants jugèrent
de la capacité scientifique. Saint Vincent l’encoura
gea à réunir chez elle d’humbles filles de la campagne,
pour les former à l’instruction des enfants pauvres.
S’il y avait une maîtresse d’école dans les endroits
qu’elle a visités, elle lui donnait d’utiles conseils.
Elle travaillait avec une persévérance et un zèle in
fatigables à l’avancement des vertus morales ainsi qu’
à l’enseignement du cathéchisme. Enfin, après trois
ans de probation, assuré d’un zèle parfaitement pur,
saint Vincent la prie de l’accompagner à la mission de
Montmirail pour établir une confrérie de Charité: "Al
lez donc, mademoiselle, allez au nom de Notre-Seigneur;
je prie sa divine bonté qu'elle vous accompagne, qu’el
le soit votre saulas en votre chemin, votre ombre con
tre l’ardeur du soleil, votre couvert à la pluie et au
froid, votre lit mollet en votre lassitude, votre for
ce en votre travail, et qu‘enfin, il vous ramène en
bonne santé et pleine de bonnes oeuvres.-1'” ses bon
nes oeuvres consistaient à faire rassembler les jeu-
(I) "Saint Vincent de Paul" Jean Calvet.
25
nés filles, à les cathéchiser et à les instruire des
devoirs de la vie chrétienne.
Ce ne fut pourtant qu ’après
de longues instances auprès de saint vincent de Paul
que la grande oeuvre fut accomplie. Vers la fin de
1633, saint Vincent choisit enfin quelques filles qu’
il réunit dans la maison de Mademoiselle Le Gras, pour
une sorte de noviciat. Il faut ici encore rappeler
la correspondance: ” Il sera bon que vous leur disiez
en quoi consistent les solides vertus, notamment cel
le de la mortification intérieure et extérieure de
notre jugement, de notre volonté, des ressouvenirs,
du voir, de l’écouter, du parler et des autres sens;
des affections que nous avons aux choses mauvaises,
inutiles et meme des bonnes, pour l’amour de Notre
Seigneur, qui en a usé de la sorte.I” C’est tou
jours la formation morale et religieuse qui est 1’
idée dominante de saint Vincent de Paul et de sa
collaboratrice, cette première "Fille de la charité”.
Pour mettre la religion à la portée de toutes les
femmes du 17ième siècle, il réunit en assemblée tou
tes les Filles qui se trouvaient à Paris, nomma Ma
demoiselle Le Gras, supérieure et leur montra la
(I) "Saint Vincent de Paul” : J. Calvet, Page 52
26
beauté de leur vocation. La première étude qu’il sug
gère e3t celle de la religion. Une femme étudie non
seulement pour elle-m^eme, mais pour les âmes qui lui
sont confiées, et toujours on place la religion au
premier rang. Ces Filles de la Charité ouvrirent en
beaucoup d’endroits des écoles pour les petites fil
les indigentes. "Très volontiers, je prie Notre Sei
gneur qu’il donne sa sainte bénédiction à nos très
chères soeurs, et qu'il leur fasse part de l’esprit
qu’il a donné aux saintes dames qui l’accompagnaient,
et coopéraient avec lui à l’assistance des pauvres
malades et à l’instruction des enfants.^-"
Comme Monseigneur Spalding
le dit: "A travers tous les âges, l’homme s’est mon
tré injuste, cruel meme envers l’homme, mais la fem
me a paru reléguée par-delà les limites de l’humanité.
C’était un objet qu’on achetait et qu’on vendait, a-
vec lequel on jouait aux heures d’oisiveté, et qu’
on enfermait le reste du temps dans la double obs
curité, si j’ose ainsi dire, de l’ignorance et de
la séquestration.ce fut saint Vincent de Paul
(I) "Saint Vincent de Paul " : J. Calvet, Page 58
(2) "L’Education supérieure des Femmes": Mgr Spalding
27
qui s’occupa plus spécialement des femmes délais
sées. C’est grâce à lui que s’est imprégné pro
fondément chez les femmes, le véritable esprit
chrétien. Il se dépensa joyeusement et sacri
fia beaucoup de son temps à aider la femme du 17
iême siècle.
Un grand philosophe l’a dit:
" On réformerait le monde si l’on réformait l’é
ducation.” Ne pourrait-on pas ajouter: et l’on
réformerait vite l’éducation, si on la concevait
selon les pensées des Saints?
28
CHAPITRE III
LES JANSENISTES ET PORT-ROYAL.
Dans l’éducation des femmes
du 17ième siècle, on peut distinguer un autre cou -
rant qui est tout à fait différent de celui du cou
rant catholique. C’est le courant janséniste. L’é
ducation des jeunes filles préoccupait les jansé -
nistes considérablement, elle semble avoir obsédé 1’
esprit de Jacqueline Arnauld, connue sous le nom de
Mère Angélique. Il faut rappeler d’abord la concep
tion janséniste de l’éducation.
La nature de l’homme est
dorrompue depuis la faute d'Adam et d’Eve. L’en
fant est essentiellement mauvais; mais comme il a
reçu le baptême, il sera préservé du mal et pren
dra l’habitude du bien si l’on élève autour de lui
des barrières insurmontables. Trompée par ses croy
ances ascétiques, Mère Angélique est, avec ses mai-
tresses d’une vigilance stricte sur les jeunes fil
les. Ce qui domine, ce qui revient sans cesse à
Port-Royal, c’est l’idée que la nature humaine est
29
mauvaise. Port-Royal-des-Champs était un couvent de
religieuses bernardines fondé au douzième siècle. Au
commencement du dix-septième siècle, la supérieure,
Mère Angélique, réforma le monastère; et comme les
bâtiments étaient devenus trop étroits pour le nom
bre des religieuses, elle transféra sa communauté à
Paris. Devenu vacante, l’abbaye devint l’asile d’
un certain nombre d’hommes austères et imbus des doc
trines jansénistes. Les doctrines jansénistes sur
la liberté humaine et la grâce divine coiisistent es
sentiellement dans les points suivants; "La volonté
de l’homme est comme une balance qui penche essen
tiellement du côté le plus fort; si elle penche du cô
té du bien, c’est qu’elle est nécessairement attirée
au bien; si elle penche du côté du mal, c’est qu’elle
est nécessairement attirée au mal."
"La grâce divine n’est pas
accordée à tous les hommes, mais seulement à ceux que
Dieu a prédestinés et pour qui Jésus-Christ est mort.”
Quand les justes font le bien, c’est qu’ils ont une
grâce à laquelle ils ne peuvent résister; si quelques
fois ils font le mal, c’est qu’ils n’ons pas la grâce
indispensable•
30
"Les pécheurs, ceux que Dieu n’a
pas prédestinés, et pour qui Jésus-Christ n’est pas
mort, n’ont pas la grâce indispensable pour faire le
bien, et cependant ils sont coupables de ne pas le fai
re parce que leur volonté, bien qu’étant nécessitée,
n’est pas contrainte."
Les jansénistes avaient une con
duite très austère. Par un respect exagéré pour les
sacrements, ils s’en approchaient très rarement. Ils
exigeaient, pour recevoir l'absolution, la contrition
parfaite, qu’ils déclaraient très difficle à obtenir;
de la sorte, ils décourageaient les pécheurs de se
convertir. Ils exigeaient, pour recevoir la commu
nion des dispositions si parfaites, qu’elles étaient
presque impossibles.
Tout en vaquant à la prière et
aux travaux manuels, les Jansénistes s’occupèrent d’
éducation. En 1643, ils ouvrirent une école à Port-
Royal; ils en fondèrent aux Grandes, au Château des
Trous et au Chesnai, près de Versailles. 113 leur
donnèrent le nom de "petites écoles". Les religieu
ses s’occupèrent de l’éducation des filles. CommeI
nous avons dit (Jacqueline Pascal) Mère Angélique
fut spécialement chargée de cette oeuvre. Le rè
31
glement qu’elle traça est très sévère et montre son
auteur profondément imprégné de l’esprit de l’Augus-
tinus. Mère Angélique se défie de la conversation,
de la sociabilité. Elle déforme la pédagogie catho
lique. Elle fait faire à ses jeunes filles de gran
des abstinences. Les exercices de dévotion sont nom
breux et les lectures spirituelles bien au-dessusde
l’âge des enfants. L’idée de la mortification néces
saire est accentuée. L’enseignement jansénistique
imposait une morale sévère, le renoncement aux plai
sirs du monde. C’est tout le contraire de la doc
trine catholique au sujet de l’éducation des jeunes
filles, qui est une doctrine de douceur et de bonté.
Afin d’éviter toute dissipation et d’anéantir toute
inclination naturelle, toutes les récréations sont
courtes. On interdit aux jeunes filles les manifes
tations extérieures de l’amitié et l’amitié elle-me-
me, Les jeunes personnes doivent tenir les yeux
baissés sans regarder d’un côté à l’autre. Un si
lence parfait est imposé. Toutes les jeunes filles
sont considérées comme des religieuses et traitées
en petites novices. Elles font les cérémonies du
choeur; leur instruction religieuse est tracée sur
les disciplines monastiques auxquelles elles ne peu
vent rien comprendre. Il arrive on le conçoit aisé
52
ment, que le plus fréquent résultat de cette éducation
est de les dégoûter de la dévotion dont elles n’ont vu
que les routines et de les jeter dans le monde, à sei
ze ans, ignorantes de leur religion et dénuées de cul
ture morale. Le programme est peu étendu. Il est mê
me étroit, et Nicole avait raison de dire que pour 1’
esprit, Jacqueline Pascal ... nourrissait ses élèves
de pain et d’eau.I" Pour les filles, le règlement in
diquait le cathéchisme, l’application des vertus chré
tiennes, la lecture, l’écriture, l’Evangile, le chant
d’église et un peu d’arithmétique. La formation mora
le des jeunes filles était la préoccupation constante
de Mère Angélique. Elle a essayé de discipliner la vo
lonté et le coeur des jeunes filles, mais elle y a mis
trop de zèle humain, trop d’orgueil même, et à cause
de l’étroitesse et de la rigueur de ses idées religieu
ses, son oeuvre d’éducation des jeunes filles fut in
complète et manquée; Ainsi donc, au lieu d’appliquer
les principes de la pédagogie catholique, Mère Arnauld
les déforma. Son système d’éducation est d’une sévé
rité excessive. Il y régnait une surveillance inces
sante, qui n’était pas intelligente. Elle ne faisait
pas confiance à la nature humaine, déchue, il est
vrai, mais restaurée par la Rédemption. Les mé-
(I) "Histoire critique des Doctrines de l’éducation en France: Gompayre."
33
thodes jansénistes eurent cependant quelques principes
excellents, mais dont ils furent très rarement les ini
tiateurs. Rappelons-nous aussi que l’influence jansé
niste sur la jeunesse fut très restreinte puisque ces
précepteurs n'eurent jamais plus de cinquante élèves à
la fois dans leurs écoles et que ces écoles durèrent à
peine quinze ans. Le mérite de Port-Royal fut de com
prendre la nécessité de l’éducation à une époque où
cet important devoir était négligé, mais ils ne surent
pas garder la mesure convenable dans une réforme bonne
en soi et nécessaire. La pédagogie janséniste tout im
bibée de défiance, de soupçon et de tristesse ne peut
guère engendrer que le ratatinement des âmes. Elle est
contraire à l’esprit français qui a besoin de joie et
d’épanouissement, contraire à l’esprit chrétien qui con
sidère la tristesse comme une maladie; Tristitia autem
saeculi mortem operatur, dit saint Paul; contraire à 1’
esprit tout court. Aussi, va-t-elle rencontrer une ré
action sérieuse; réaction mondaine, celle des Précieuses
de Molière; réaction plus sérieuse, plus chrétiennement
éclairée, celle de Fleury et de Fénelon.
34
CHAPITRE IV
EDUCATION MONDAINE. LES PRECIEUSES.
En dehors des couvents, à côté
de l’effort janséniste, s’élabore une pédagogie mon -
daine, s’esquissent des théories .qui vont mettre la
question de l’éducation féminine en singulier relief.
Ainsi donc, après les fureurs religieuses des débuts
du siècle, quand la France commença à se reposer, à
se refaire, à la fin du règne de Louis XIII, il se forma
une petite société polie, curieuse de beau langage et
de littérature, d’éducation féminine. Peu à peu le
nombre de ces femmes du monde s’accrut. Vers 1607,
Catherine de Vivonne, marquise de Rambouillet, âgée
d’une vingtaine d’années ne voulut plus aller aux as
semblées du Louvre. Les vieux courtisans du Béarnais
n’étaient guère raffinés et elle voulut avoir une so
ciété à elle. Elle se retira dans sa maison et comme
elle était aimable, fort cultivée, sachant l’espagnol
et l’italien, comme elle était riche, comme elle avait
beaucoup d’esprit, son hôtel devint en peu de temps,
le rendez-vous d’une société choisie de dames, de
seigneurs et de gens de lettres. En 1618, Madame de
35
Rambouillet fit bâtir à Paris, l’Hôtel de Rambouillet.
C’était là qu’elle réunissait ses amis dans la chambre
bleue. Son lit, placé probablement, la tête au mur et
sur lequel elle devait s’étendre pour recevoir, selon
l’usage, était séparé du reste de la pièce par une ba
lustrade. C’était une faveur que d’être admis dans 1’
espace compris entre le mur et le lit: dans la "ruelle”.
Douze ou dix-huit sièges meublaient la chambre bleue,
fauteuils, chaises ou chaises pliantes, qu’il fallait
distribuer aux dames suivant leur qualité. Voilà le
cadre où se forma pendant quarante ans, mais principa-i
lement entre 1630 et 1645, l’éducation d’un certain
groupe de femmes. Il n’y avait pas de méthode, pro
prement dite. Elles disputaient sur le sens, le mérite,
l’orthographe des mots. On y voit des hommes du monde
et des écrivains se réunissant pour s’entretenir de
questions sérieuses avec des femmes et sous la direc
tion d’une femme. On voit là des duchesses et des
bourgeoises comme, par exemple, Madame de Longueville,
Mademoiselle de Montpensier, Mademoiselle de La Fayette
et Mademoiselle de Scudéry. Bossuet encore adolescent,
y prononça son premier sermon. Corneille y lisait ses
tragédies; enfin les écrivains venaient chercher dans
une société éclairée l’encouragement qu’ils ne trou
vaient pas encore ailleurs. Les femmes en conversant
36
avec les hommes, élargirent leur science, et de cette
façon elles avancèrent à grands pas dans l’éducation.
Vers 1645, le déclin du salon
commença. La "chambre bleue" perdit sa vraie précieuse.
En 1648, Madame de Rambouillet se retira dans ses terres,
et, sans fermer ses portes, le salon perdit peu à peu
son éclat. Mais la mode était lancée et partout d’au
tres "réduits" et d’autres "ruelles" se formèrent. La
concurrence commença. Il y avait les réceptions de la
marquise de Sablé, de Madame de Bouchavannes ou de Ma
dame de Brégis, mais surtout, les "samedis" de Mademoi
selle de Scudéry. Les imitations du salon de Rambouil
let, ne manquaient pas de pousser à l’abus les tendances
de leur modèle. Naturellement, quelques dames perdirent
leur bon sens. Ce fait n’est pas surprenant parce que
sans aide, sans direction, la femme était obligée de
chercher à ses risques et périls, les moyens de s’ins
truire .
Mademoiselle de Scudéry s’efforça
de faire régner la politesse et le raffinement autour
d’elle, mais elle tomba souvent dans l’affectation.
Elle et ses imitatrices exagéraient les questions de
littérature et de grammaire. On manquait dans le salon
tout à fait de naturel et de simplicité. La recherche
37
et la subtilité que développaient le salon conduisirent
quelques femmes à la préciosité.
Gomme on sait, la préciosité
consiste dans l’exagération du raffinement, l’extrava
gance de la politesse et le culte trop exclusif de l’es
prit et du jeu de mots. Ce fut surtout une maladie du
langage. Chacun s’efforça, dans les salons des précieu
ses, mais particulièrement dans celui de Mademoiselle
de Scudéry, d’employer le langage le plus affecté. On
eut recours aux périphrases les plus contournées pour
dire les choses les plus simples, c’est ainsi que des
dents devinrent "l’ameublement de la bouche"; un verre
d’eau, "un bain intérieur"; les joues "les trônes de
la pudeur"; un sergent de police, "un mauvais ange des
criminels"; la perruque, "la jeunesse des vieillards";
le balai, "l’instrument de la propreté". On multiplait
les adverbes comme "furieusement, magnifiquement", ainsi
que les adjectifs pompeux.
Mademoiselle de Scudéry écrivit
des romans précieux. Dans Clélie, roman de dix volumes,
se trouve la fameuse "Carte du Tendre", c’était dans
ses romans que Mademoiselle de Scudéry donnait des con
seils aux femmes à propos de leur éducation. Rien ne
lui paraissait moins digne d’une dame que d’etre "la
38
femme de son mari, la mère de ses enfants, la maîtresse
de sa famille.En 1659, Mademoiselle de Scudéry, dans
le Grand Cyru3, exposa ses idées sur la pauvreté de 1’
éducation féminine. "Y a-t-il rien de plus bizarre que
de voir comme on agit d’’ordinaire en l’éducation des
femmes? On ne veut pas qu’elles soient coquettes ou
galantes et on leur permet pourtant d’apprendre soigneu
sement tout ce qui est propre à la galanterie sans leur
permettre de savoir rien qui puisse occuper leur esprit
ni fortifier leur vertu. Une femme qui ne peut danser
que cinq ou six ans de sa vie en emploie dix ou douze
à apprendre continuellement ce qu’elle ne doit faire
que cinq ou six ans, et à cette personne qui est obli
gée d'avoir du jugement jusqu’à la mort et de parler
jusqu’à son dernier soupir, on ne lui apprend rien du
tout qui puisse ni la faire agir avec plus de conduite...
Que l’on fait donc peu pour donner du savoir et de la
clairvoyance à notre sexe... Jusqu’à présent et sauf
quelques rares exceptions, l’instruction des filles
ne va pas au-delà de la lecture, de l’écriture, de la
danse et du chant. Et malgré cela, les hommes veulent
que dans toutes les circonstances de la vie, les femmes
aient un jugement raisonnable qu’ils n’ont pas eux-memes.
Il ne s’agit point pour elles de faire provision de
grandes connaissances spéciales, mais d’être capables
(I) "Education des Femmes" Gréard09
39
de comprendra la conversation de l’homme instruit, de
pouvoir disserter sur toutes choses, non par sentences,
et comme un livre, mais en quelque sorte comme la saine
■raison humaine qui médite et n’a pas à rougir de son
savoir... à la vérité,je voudrait qu’on eût autant de
souci d’armer son esprit que son corps.”
Cette sorte de manifeste qui
rappelle Christine de fisan laisse voir que le progrès
féminin du côté de la science était encore tardigrade
et que les femmes n’étaient pas aussi disposées à se
résigner à l’ignorance. Ce manifeste laiss'e entendre
aussi que même à cette époque de préciosité, le savoir
des femmes les plus illustres était singulièrement iné
gal et souvent bien court. D’ailleurs les faits démon
traient que plus d’une grande dame ne savait ni lire,
ni écrire correctement. "Les femmes de la bourgeoisie
y étaient encore dans la seconde moitié du 17ième siè
cle, incapables d’écrire leur nom.^” Madame de Main-
tenon écrivit qu’à l’âge de douze ans, elle passait
avec une cousine à peu près du même âge une partie du
jour à garder les dindons d’une vieille tante qui 1’
avait recueillie, "On nous plaquait un masque sur
notre nez, raconte-t-elle gaiement, car on avait peuh
que nous ne nous hâlassions. On nous mettait au bras
(I) "Revue des Deux Mondes" ; Fagniez, 15 janvier, 1909.
40
un petit panier où était notre déjeuner, avec un livret
de quatrains de Pibrac, dont on nous donnait quelques
pages à apprendre par jour; on nous mettait une grande
gaule dans la main et on nous chargeait d’empêcher les
dindons d’aller où ils ne devaient point aller.Il
serait cruel de voir en cette page de Madame de Maintenon,
une image de la réalité; des petits français ne seront
jamais des dindons, et leurs mères des bergères ou des
filles de ferme.
Quoi qu’il en soit, la science
des femmes du 17ième siècle était en général inégale
et courte. En 1688, La Bruyère publia ses Caractère^.
Dans son chapitre "Des Femmes", il distingue deux clas
ses de femmes: "Il y a dans quelques femmes une gran
deur artificielle, attachée au mouvement des yeux, à
un air de tête, aux façons de marcher, et qui ne va
pas plus loin, un esprit éblouissant qui impose, et
que l’on n’estime que parce qu’il n’est pas approfondi.
Il y a dans quelques autres, une grandeur simple, na
turelle, indépendante du geste et de la démarche, qui
a sa source dans le coeur, et qui est comme une suite
de leur haute naissance; un mérite paisible mais so-
(I) "Madame de Maintenon, institutrice": Faguet.
41
lide, accompagné de mille vertus qu’elles ne peuvent
couvrir de toute leur modestie, qui échappent et qui
se montrent à ceux qui ont des yeux, "selon La Bruy
ère, n’y avait-il pas des exceptions à l’ignorance
féminine officiellement acceptées? Oui, semble-t-il.
Et ces exceptions ont paru si peu conformes aux idées
reçues que Molière, le grand peintre de son siècle
n’a pas manqué de les remarquer et de grossir cruel
lement leurs traits
42
CHAPITRE V
MOLIERE.
C’est à cause de ses quatres
pièces: les Précieuses ridicules, (1659), l'Ecole des
Maris (1661), l’Ecole des Femmes (1662) et les Femmes
savantes (1672), qu’on peut classer Molière parmi les
pédagogues du 17ième siècle. Dans ces pièces, on voit
les conditions faites à l’éducation féminine en plein
17ième siècle. Etudions ici certaines opinions des
personnages pour mieux juger la leçon donnée par 1’
auteur et son esquisse d’éducation féminine. Rappe
lons-nous d’abord que c’est à la bourgeoisie que
Molière emprunte ses personnages.
Les Précieuses ridicules
sont une critique contre les pédantes qui imitaient
avec exagération les manières et le langage de 1’
Hôtel de Rambouillet. Dans cette pièce, Molière con
sidère la question de l’instruction féminine du point
de vue de la vie de société. L’auteur y montre quel
ques types féminins variés dans l’orgueil, la vanité
et l’extravagance. Et par le truchement des person
nages de Cathos et de Magdelen, il met en lumière les
43
propos qui représentaient l’opinion publique sur la
question. Il prend ces personnages pour ainsi dire, à
l’état de bourgeoisie pures presque exclusivement dans
leur vie domestique.
Cathos et Magdelon, pour être
à la mode, ont prix les noms de Polixène et d’Aminthe.
Eprises du grec et de l’astronomie, elles cherchent à
attirer chez elles les savants du temps. Ces deux
pédantes ont repoussé leurs prétendants parce qu’ils
ne sont pas suffisamment beaux esprits et sont assez
peu poétiques pour vouloir se marier avent d’avoir
exploré pendant plusieurs mois le pays du "Tendre” qui
se trouve dans Clélie, le roman précieux en dix volumes,
de Mademoiselle de Scudéry. Car, "le mariage ne doit
jamais arriver qu’après les autres aventures,” (scène
IV)• Polixène et Aminthe adoptent la conversation de
Mademoiselle de Scudéry. Un valet devient un "néces
saire”, un miroir, le "conseiller des grâces” et un
fauteuil, une "commodité de la conversation". "Vite,
venez nous tendre ici dedans le conseiller des grâces','
clament-elles, comme deux oies qu’elles sont, (scène VI)
Elles n’adoptent pas seulement
la conversation, mais encore les idées de Mademoiselle
de Scudéry dont une s’exprime dans les mots de Cathos:
44
"Pour mol, mon oncle, tout ce que je puis vous dire,
c’est que je trouve le mariage une chose tout à fait
choquante." (scène IV). Quand on connaît Molière,
peut-on imaginer déclaration plus capable d’exciter
sa verve colérique?
La préciosité de ces deux per
sonnages n’est que vanité pure et vanité niaise. Elles
ont la tête tournée par de sottes lectures prises au
sérieux. Elles veulent obtenir la réputation de bel
esprit que Molière rejette comme bien l’on pense. Le
retour des femmes aux soins de la famille, c’est là
le désir de Molière. "Ces deux femmes sont des chi
pies. c’est de cela que Molière les raille. Pas
seulement leur langage et leurs vanités mondaines;
mais ce sont des femmes impossibles.-^” Elle se
rendent ridicules, font de Corgibus, leur père, un
objet de risée et ruinent la maison avec leur pom
made et leurs parfums. Elles dépensent à se "grais
ser le museau" de quoi entretenir une famille et
mener carosse.
Comprenons bien que ce n’est
pas la vraie science qui a rendu à peu près folles
Magdelon et Cathos, mais la lecture des romans et la
fureur de vivre au-dessus de leur condition. Désor-
(I) " Molière " ; René Benjamin. Page: 116
45
dre impardonnable à une époque où tout est réglé, où
tout doit prendre et garder sa place pour l’harmonie
de l’ensemble.
L’Ecole des Maris porte elle
aussi à la scène des problèmes qui ont trait à l’édu
cation. Cette pièce sans paraître y prendre garde
soulève rien de moins que la question de l’enseigne
ment et de l’éducation des filles. Comment résoudre
la difficulté d’élever assez sagement une jeune fille?
Voilà la première question que Molière pose.
Sganarelle et Ariste élèvent
chacun sa pupille. Celui-là tient Isabelle dans la
plus dure contrainte. Celui-ci est plus indulgent
pour Léonor. Chez Ariste, un autre personnage bour
geois, Molière nous montre qu’il veut l’indépendance
et la liberté pour la femme.
11 Leur sexe aime à jouir fl’un peu de liberté ”
” On le retient fort mal par tant d’austérité”
(Acte I, Scène II)
Ce partisan de la liberté est honoré, respecté et
aimé. Molière plaide donc pour l’indulgence dans
l’éducation, à ce qu’il semble.
” Et les soins défiants, les verrous et les grilles”
” Ne font pas la vertu des femmes, ni des filles.”
” d’est l’honneur qui les doit tenir dans le devoir”
46
"C’est l’honneur qui les doit tenir dans le devoir,"
"Non la sévérité que nous leur faisons voir. "
"C’est une étrange chose, à vous parler sans feinte"
"Qu'une femme, qui n'est sage que par contrainte. "
"En vain sur tous ses pas nous prétendons régner: "
"Je trouve que le coeur est ce qu'il faut gagner. "
(Acte I, Scène II)
Ce dernier trait est une préface aux réclamations de 1’
archevêque de Cambrai: l’éducation sans contrainte et 1’
éducation par le coeur; rien de plus français, rien qui
fasse plus honneur à Molière si nous l’avons bien com
pris. C’est, on le voit, tout l’opposé de la pédagogie
janséniste ou parajansénistique. Et il faut regretter
que Molière n’ait pas insisté. Avouons, à sa décharge,
qu’un auteur comique n'est pas par profession, un théo
ricien •
Il semble revenir un peu sur ce
point dans l'Ecole des Femmes. Dans l’Ecole des Femmes
en effet, il s’agit surtout de l’instruction des jeunes
filles. Dans cette pièce, Molière traite la question du
point de vue des maris.
Molière craint pour le mari et
les enfants, pour la paix du ménage et pour la paix so
ciale, l’abscense systématique de ce qu’il nomme si bien
les "clartés."
47
" Il est assez ennuyeux, que je crois, "
” D’avoir toute sa vie une bâte avec sol. "
(Acte I, Scène I)
Vivre avec "une bâte", c'est l’encouragement continuel
à s’évader, à chercher la paix dehors, voire à risquer
l’infidélité par dégoût et par besoin de tendresse in
telligente. Molière ici encore, donne un bon coup d’
épaule à la cause féminine. Il ne soutient pas que la
femme est intelligente: ce serait un truisme. Mais il
laisse bien voir qu’une intelligence qui ne s’applique
à rien verse à court délai dans la sottise, dans l’im-
bécilité. Et "partout où il y a un imbécile, écrit de
nos jours Léon Bloy, il y a du danger."
Et voici pour la vie conju
gale. Encore que l’argumentation de Molière paraisse
assez spécieuse.
" Gomment voulez-vous, après tout, qu’une bête "
" Fuisse jamais savoir ce que c’est qu’être honnête"
" Une femme d’esprit peut trahir son devoir, "
" Mais il faut pour le moins qu’elle ose le vouloir"
" Et la stupide au sien peut manquer d’ordinaire "
" Sans en avoir l’envie et sans penser le faire! "
Ainsi au temps de Molière rai
sonnaient bourgeois et grands seigneurs. Four leurs fil-
48
les et leurs femmes, ils réclamaient moins l’instruc
tion qu'une véritable éducation qui fit d’elles des
épouses conscientes de leur dignité, des mères capa
bles d’élever leurs enfants, des maîtresses de maison
sachant faire aller le ménage et conduire les domes
tiques. Il ne faut pas tenir une femme dans l’igno
rance, selon Molière. "Il ne faut pas lui imposer un
esclavage humiliant; il faut la traiter en personne
moral6, faire appel à son intelligence et à son coeur.
Il y a là, si je ne me trompe, une doctrine très rai
sonnable sur l’éducation des femmes et sur le sort qu’
il faut leur faire dans le mariage. Molière estime
donc qu’elles ont droit à une certaine éducation in
tellectuelle et morale et qu’elles ont droit d’etre
les compagnes, non les esclaves de leur mari. Tel est
l’enseignement qui ressort de l’Ecole des Femmes, une
thèse de simple bon sens, delibéralisme sage que Molière
établit. Et il n’y a là-dedans ni métaphysique, ni li
bertinage, ni philosophie de la nature.^1’ C’est l’ou
trance du ton qui infirme un peu la pensée de Molière,
et l’outrance des personnages qui parlent pour dépasser
la rampe et atteindre au fond du théâtre les derniers
spectateurs.
(I) ” Les Débuts de Molière à Paris " : G. Michaut
49
Cependant, la comédie où Molière
présente le mieux sa pensée, c’est bien celle des
Femmes savantes» Dans cette comédie, Molière résume
tout d’abord les idées traditionnelles sur l’éducation
des femmes. Il le fait par la voix grondante de Chry-
sale, exaspéré qu’on néglige la cuisine pour lorgner
la lune et les étoiles:
” Il n’est pas bien honnête et pour beaucoup de causas"
" Qu’une femme étudie et sache tant de choses. ”
" Former aux bonnes moeurs l’esprit de ses enfants, ”
” Faire aller son ménage, avoir l’oeil sur ses gens,”
” Et régler la dépense avec économie, ”
” Doit être son étude et sa philosophie ... ”
(Acte II, Scène VII)
Les femmes d’autrefois,grogne Chrysale,
” ..... ne lisaient point, mais elles vivaient bien;”
” Leurs ménages étaient tout leur docte entretien, ”
” Et leurs livres, un dé, du fil et des aiguilles ”
” Dont elles travaillaient au trousseau de leurs filles”
” Les femmes d’à présent sont bien loin de ces moeurs.”
Comprenons bien: Chrysale est le lau-
dator temporis acti. Il représente à merveille les vieux
pères de famille d’aujourd’hui qui jettent les hauts cris
en voyant leurs filles jouer au tennis, pratiquer la na
50
tation, passer leur baccalauréat, et qui, dans l’intime,
sont ravis de contentement.
C’est Clitandre qui exprime, d’après
les critiques avertis, la pensée de Molière, pensée d’ail
leurs assez peu précise. Clitandre n’aime pas la femme
docteur qui a la passion choquante.
" De se rendre savante, afin d’être savante.”
On saisit bien qu’il s’agit de pédantisme et d’affecta
tion dans la science. Car Clitandre consent bien
“ ..........qu’une femme ait des clartés de tout,','
” Et qu’elle ait du savoir, (mais) sans vouloir
qu’on le sache. " (Acte I, Scène III)
D’ailleurs Clitandre n’est pas douce pour les pédants
masculins qui ont perdu l’esprit,
" Pour avoir employé neuf ou dix mille veilles ”
” A se bien barbouiller de grec et de latin, ”
" Et se changer l’esprit d’un ténébreux butin.."
" Inhabiles à tout, vides de sens commun, "
” Et pleins d’un ridicule et d’une impertinence"
" A décrier partout l’esprit et la science. "
(Acte IV, Scène III)
De toutes ces déclarations exas
pérées, il ressort que Molière réclame la science
pour les femmes, mais une science qui reste modeste:
51
Molière aime la femme charmante. Et une pédante est-
elle charmante? Molière aime la femme nature: la pé
dante et la faiseuse de livres, la femme astrologue,
la femme cartésienne sont-elles natures?
Molière semble craindre qu’
une instruction trop poussée nuise aux qualités natu
relles féminines, détourne la femme de sa tâche primor
diale et la rende moins propre à son noble rôle d’é
pouse et de mère. Il réagit donc contre les romanes
ques, les précieuses et les pédantes. Il estime la
science chez les femmes, mais la science qui ne nuit
pas au charme féminin dont il parait particulièrement
épri^.
54
CHAPITRE VI
MADAME DE SEVIGNE.
Molière, en ridiculisant les femmes
savantes, ne visait certainement pas une grande dame d’un
coeur et d’un esprit solides, Madame de Sévigné, issue
d’une grande famille illustrée par beaucoup de talents
et de vertus. Cette femme célèbre était la petite-fille
de sainte Jeanne de Chantal. Par les qualités de son
esprit ainsi que par ses talents de société, Madame de
Sévigné fait bonne figure parmi les éducatrices du lVième
siècle. Omettre son nom serait donner une idée incom
plète de l’éducation féminine à cette époque.
Madame de Sévigné avait une ex
cellente éducation. Orpheline de bonne heure, elle fut
élevée par son oncle l’abbé de Coulanges, qui choisit
pour elle les plus célèbres professeurs du moment,
Chapelain et Ménage. Ces deux savants lui enseignèrent
l’italien et l’espagnol et même un peu de latin.
Chapelain lui apprit à lire Virgile. A cette éducation
on peut ajouter celle qui lui vint de ses lectures et
de la fréquentation des personnes les plus distinguées.
55
Ses ''Lettres" qui ambrassent une
période de vingt ans révèlent une science profonde.
Les lettres les plus intéressantes sont adressées à
sa fille. Aucun signe d’affectation n’y apparait.
Elle tenait en horreur le pédantisme du temps. Elle
ne se contentait pas de posséder "des clartés de tout".
Elle lisait et relisait. Elle a un goût très vif pour
la lecture. Pendant les vingt ans de sa correspondance,
il ne paraîtra pas un livre qu’elle n’ait lu. Tout de
suite, elle le signale à sa fille, Madame de Grignan.
"Don Quichotte, Lucien, les Petites Lettres; voilà ce
qui nous accupe.."^ Elle montre son choix de lectures:
"Nous relisons aussi, à travers nos grandes lectures,
des rogatons que nous trouvons sous notre main, par
exemple, toutes les belles oraisons funèbres de Monsieur
de Meaux, de Monsieur l’abbé Fléchier, de Monsieur de
Mascaron, de Bourdaloue; nous repleurons Monsieur de
Turenne, Madame de Montausier, Monsieur le Prince, feu
Madame, la reine d’Angleterre; nous admirons ce portrait
de Cromwell..J* (2)
A mesure que le siècle avance en
âge, on voit les femmes chercher la bonne compagnie
pour s’instruire. Quoique Madame de Sévigné brillât
dans les milieux de qualité, elle n’avait aucun rapport
(1) "La Correspondance de Madame de Sévigné". 23 juillet 1677.(2) Ibid. 11 janvier 1690.
56
avec les précieuses. Elle réunissait chez elle l’élite
de la société du temps, et par-ci par-la, allait faire
un tour à Versailles. "Je fis ma cour, l’autre jour à
Saint-Cyr, plus agréablement que je n’eusse jamais pensé.
Nous y allâmes samedi, Madame de Coulanges, Madame de
Bagnols, l’abbé Têtu et moi.^" Sa correspondance con
tient une abondance de récits qui se rapportent aux
grandes pièces dramatiques du siècle de Louis XIV.
Pas une ne lui échappe. "Le Roi et toute la cour sont
charmés de la tragédie d’Esther.^" Elle donne son avis
sur tout ce qui paraît. "Je trouve pourtant, à mon
petit sens, qu’elle (Bérénice) ne surpasse pas Andromaque.3"
Les grands auteurs tiennent une grande place dans ses
lettres. "Nous tâchons d’amuser notre bon cardinal:
Corneille lui a lu une pièce qui sera jouée dans quelque
temps, et qui fait souvenir des anciennes. Molière lui
lira samedi, Trissotin qui est une fort plaisante chose.
Despréaux lui donnera son Lutrin et sa poétique; voilà
tout ce qu’on peut faire pour son service.4"
Madame de Sévigné trouva toujours
le bonheur dans son amour pour sa fille. Elle ne perdit
(I) "La Correspondance de Madame de Sévigné."21 février 1689
(2) Ibid. 31 j anvier 1683
(3) Ibid. 15 janvier 1672
(4) Ibid. 26 octobre 1688
57
pas de vue l’éducation de sa petite-fille. En écrivant
à Madame de Grignan, elle l’exhorte à se préoccuper
extrêmement de l’instruction de Pauline, "Je la ferais
travailler, lire de bonnes choses, mais pas trop simples;
je raisonnerais avec elle, je verrais de quoi elle est
capable, et je lui parlerais avec amitié et avec confiance.
On trouve ici des conseils très
judicieux sur l’enseignement. Elle approuve la solidité
dans l’instruction, c’est son désir que Pauline suive
ses aptitudes réelles et ses goûts réfléchis. On sait
que Pauline suivit les conseils de sa grand‘mère, car
n’est-ce pas Pauline qui publia les lettres de Madame
de Sévigné? Quoi de plus aimable et de plus tendre en
même temps que les conseils suivants: "Entreprenez donc
de lui parler raison et sans colère, sans la gronder,
sans 1‘humilier, car cela révolte; et je vous réponds
que vous en ferez une petite merveille.2" En encoura
geant ainsi sa fille par la perspective des heureux
résultats de ses travaux, Madame de Sévigné n’oublia
pas d’ajouter que la fermeté, pour ne pas dégénérer,
en dureté, doit s’imprégner de douceur, de bonté, de
patience. Elle insiste aussi pour que l’éducatrice soit
parfaitement maîtresse d’elle-même. Douée elle-même
d’un talent extraordinaire pour la langue française
(1) "La Correspondance de Madame de Sévigné." 26 octobre 1688.
(2) Ibid Le 28 février 1689.
58
elle voulut que la petite Pauline l’apprit. "Pauline
est trop heureuse d’etre votre secrétaire; elle apprend
comme je vous ai dit, à penser, à tourner ses pensées,
en voyant comme vous lui faites tourner les vôtres; elle
apprend la langue française que la plupart des femmes
ne savent pas; vous prônez la peine de lui expliquer
des mots qu’elle n’entendrait jamais; et, en l’instrui
sant de tant de choses, vous faites si bien qu’elle
soulage votre tâte et la mienne, car mon esprit est en
repos quand vous y êtes; l’ennui de dicter n’est point
comparable à la contrainte d’écrire. Continuez donc
une si bonne instruction pour votre fille, et un si
grand soulagement pour vous et pour moi.I"
Voilà des lignes expressives et qui
paraissent ne tenir aucun compte des lisières qu’on
imposait aux filles dans les couvents. Madame de Sévigné
parlait en connaissance de cause, De bonne heure, elle
s’était appliquée à 1‘Ecriture Sainte, à saint Paul
surtout dont elle cita de mémoire les textes. ElleA
connait aussi le vieil écrivain ecclésiastique Origène,
saint Augustin qu’elle peut lire couramment, Platon,
Plutarque, Sénèque, Epictète. Elle s’est frottée aux
poètes grecs et latins. Elle s’est penchée sur l’his
toire de 1‘Eglise et elle apprend tout ce qu’elle peut
(I)"La Correspondance de Madame de Sévigné". Le i juin 1689
59
sur l’histoire de France. Pour ce qui est du français,
elle connaît son moyen âge mieux que Boileau. Elle
s’amuse à Rabelais. Mieux que Bélise elle sait son
Descartes et goûte, nous l’avons vu, à toute la litté
rature de son siècle. Elle savait garder "sous la
culture exquise, l’indigène saveur du vieux terroir
gaulois." (Jules Lemaître.)
Aussi, Gréard peut-il nous dire
en parlant d’elle, dans la préface de son livre: "Si
elle répugne visiblement à toute idée de système ou de
théorie, ses lettres contiennent sur l’éducation qu’elle
s’est elle-même donnée et sur l’éducation de ceux qui
lui sont chers, nombre de vues profondes, de détails
ingénieux, piquants, exquis, qui, sans permettre de la
classer au nombre des femmes dont l’autorité puisse
être invoquée dans la question qui nous occupe, expli
quent le patronage que nous revendiquons.!"
Bien que Madame de La Fayette eût
sa place marquée dans les salons du 17ième siècle, elle
était une femme savante sans aucun des travers des
précieuses ridicules. Son instruction était aussi so
lide que celle de Madame de Sévigné. Elle aussi pos
séda une haute vertu. Le père de Madame de La Fayette
(I) " L’Education des Femmes" ; o. Gréard.
60
soigna fort l’éducation de sa fille. Mlle Marie-Madeleine
Péoche de la Vergne eut de bonne heure, plus de lecture
et d’étude que bien des personnes, meme spirituelles,
de la génération précédente n’en avaient eu dans leur
jeunesse. On a pour témoignage directs de cette édu
cation les transports de Ménage, qui célébra sous toutes
les formes de vers latins, la beauté, les grâces, l’élé
gance du bien dire et du bien écrire de Madame de La
Fayette. Il ne faudrait pa3 croire qu’apprendre le
latin et écrire à Ménage fut l’unique passe-temps de
Marie de la Vergne. La rentrée de la cour à Paris en
1652 avait mis un terme aux troubles de la Fronde, et
donné en quelque sorte le signal de la résurrection à
une société que la guerre civile avait dispersée sans
la détruire tout à fait, car, même en pleine révolte
et anarchie, les salons de Paris n’avaient jamais été
complètement fermés. Madame de La Fayette avait sa
place marquée dans ces salons. Dans son propre salon,
elle reçut l’élite de la société aristocratique et
intellectuelle, parmi lesquels se trouvent Madame de
Sévigné, La Fontaine et La Rochefoucauld. Ses romans
eurent un succès quoiqu’ils furent héroïques et pré
cieux, mais il nous faut rappeler que c’était une lit
térature distinguée, morale, ”'qui fait honneur par sa
61
psychologie à la société qui l’a inspirée et qui s’y
est reconnue.I"
Jamais ouvrage ne fut plus loué
au 17ième siècle, que son roman La Princesse de Clèves.
Mais Madame de La Fayette ne nous a rien laissé ( à
notre connaissance du moins ) en fait de théories
capables de faire avancer la cause de la science aux
femmes. Elle prêche assez sérieusement par son exemple.
(I) "Histoire illustrée de la Littérature Française" Des Granges.
62
CHAPITRE VII
L’ABBE CLAUDE FLEURY. LES URSULINES.
L’abbé Claude Fleury s’intéres
sait à l’éducation des femmes. Dans son oeuvre Traité
du choix et de la méthode des Etudes, qui fut publié
en 1686, il consacra tout un chapitre aux femmes.
Dans ce chapitre, il fait ob
server d’abord que l’éducation des filles laisse beau
coup à désirer. "Apprendre le cathéchisme et la cou-/
ture, chanter, danser, s’habiller à la mode, faire
bien la révérence et parler civilement, voilà en quoi
l'on fait consister pour l’ordinaire toute l’éducation.^"
L'instruction qu’il désire pour les jeunes filles est
très sérieuse et comprend la religion, la grammaire, la
lecture, l’écriture, l'arithmétique et l'économique.
Il recommande donc les études les plus propres à dé
velopper- le jugement et le raisonnement. L'abbé Fleury
se propose de former, non des femmes savantes, mais des
femmes qui connaîtront leur religion et " qui seront
habituée à penser et à raisonner solidement sur les
sujets ordinaires.2” n n'a pa3 perdu de vue l'impor-
(1) Traité du choix et de la méthode des Etudes" Chap. 38
(2) Ibid.
63
tance de l’éducation religieuse et morale. Sa grande
préoccupation était la formation morale des jeunes filles.
D’après lui, il faut tout d’abord développer dans leurs
âmes la pratique des vertus dont elles ont le plus grand
besoin, "comme la douceur et la modestie, la soumission,
l’amour de la retraite, l’humilité; et celles dont leur
tempéramment les éloigne le plus, comme la force, la fer
meté, la patience.1" Bien que l’abbé Fleury ne considère
pas nécessaire l’étude du latin, du grec, de la rhétorique
et de la philosophie, il dit qu’il vaudrait mieux toute
fois qu’elles y emploient les heures de leur loisir qu’à
lire des romans, à médire, jouer ou parler de leurs jupes
et de leurs rubans.2" il démontre que l’étude pendant
les heures de loisirs est une nécessité. Le loisir des
filles dégénère en une grande corruption de moeurs s’il
n’est assaisonné de quelque étude.
(1) "Traité du choix et de la méthode des Etudes" ChaP 38
(2) Ibid.(3) Ibid.
Et voici du neuf: Il faut donner
une attention spéciale à l’éducation physique. L’abbé
Fleury fait plusieurs remarques sur l’importance de la
santé qu’il croit indispensable pour faire de bonnes
études. Il se préoccupe vivement de la santé, et men
tionne les moyens de développer les forces physiques
des jeunes filles, par exemple, la natation, l’équita
tion; "il n’y a guère d’exercices qui leur conviennent
64
mieux que de marcher.3 n exhorte les jeunes filles à
respirer un air pur, à se nourrir de viandes simples.
(3) "Traité du choix et de la méthode des études" Page 38.
(I) Ibid.
Il recommande la sobriété et suggère que l’on boive de
bonnes eaux. "On a conclu, écrit *'leury, comme d’une
expérience assurée, que les femmes n’étaient pas capa
bles d’études; comme si leur âme était d’une autre es
pèce que celle des hommes, comme si elles n’avaient
pas aussi bien que nous ane raison à conduire, une vo
lonté à régler, des passions à combattre, ou s’il leur
était plus facile qu’à nous de satisfaire à tous ces
devoirs sans rien apprendre.!" voilà qui est brave et
clairement exprimé. Il a compris qu’une instruction
variée est indispensable à la future maîtresse de mai
son. • Selon lui, une personne accomplie sera une bonne
ménagère. "Aussi, a-t-on assez de soin de les instrui
re du ménage; mais il serait à souhaiter qu’il y entrât
un peu plus de raison et de réflexion pour rémédier à
deux maux très communs, la petitesse d'esprit et l’ava
rice dans les femmes ménagères, et d’un autre côté, la
fainéantise et le dédain dans celles qui prétendent au
bel esprit. Il servirait beaucoup de leur faire com
prendre de bonne heure que la plus digne occupation d’une
femme est le soin de tout le dedans d'une maison, pourvu
65
qu’elle ne fasse pas trop de cas de ce qui ne vas qu’â
l’interet, et qu’elle sache mettre chaque chose en son
rang.^” il n’oublie pas le doté esthétique de l’éduca
tion. Il souhaite que tout, dans l’école, contribue à
donner à l’enfant l’idée de beauté, c’est un souvenir
du vieux Xénophon qui n’aimait rien tant que l’ordre
et la place des choses. x‘leury est l’annonciateur im
médiat de Fénelon.
■^ntre temps, les Ursulines s’é
taient engagées nettement dès leurs premières fondations
dans l’éducation féminine. En 1594, elles avaient été
introduites en France par Françoise de Bermond. Le but
des Ursulines ne fut pas de faire religieuses des en
fants, comme on l’a dit de Fort-hoyal, mais de donner
'aux jeunes filles du 17ième siècle, une éducation ro
buste de la foi et des moeurs, contre les assauts que
le monde ne manquerait pas de leur réserver. Elles
disposaient leurs élèves à servir la société en les
préparant pour la mariage chrétien et la maternité chré
tienne. Chez elles, on exerçait les filles à la pratique
des vertus morales, l’humilité, la simplicité, la haine
du mensonge, la docilité d’esprit, l’obéissance à leurs
parents, la pureté de corps et d’ame, etc... Mère de
Bermond vint à substituer à la récitation usuelle du
(I) ” Traité du choix et de la méthode des Etudes. ”
66
cathéchisme, psalmodie en choeur au rythme d’un cia-
quoir, un cours d’instruction religieuse où l’on ex
pliquait aux enfants la doctrine chrétienne. Les
filles des plus grandes familles accoururent chez les
Ursulines. Mademoiselle de Montpensier s’y fit pré
parer à la première communion. En dehors des heures
d’étude, les Ursulines recommandent de lire la Vie
des Saints et l’introduction à la vie dévote. Les
règlements des Ursulines opèrent une révolution de
tendresse dans ce siècle dur. L’atmosphère du pen
sionnat était une atmosphère de famille. Les reli
gieuses gagnèrent leurs élèves par la douceur et la
confiance. Une maternelle largeur d’esprit y régnait.
Un exemple est celui de la petite "huguenote” envoyée
par les Ursulines de Niort à celles de Paris.
Françoise d’Aubigné, plus tard Madame de Maintenon,
nous dit qu'on ne l’obligeait point à aller à la
messe. Pour répondre à ses questions sur la Bible,
on lui fit entendre, au parloir du faubourg Saint-
Jacques, la controverse courtoise d’un théologien
catholique avec un ministre de la religion réformée.
La conversion s’ensuivit.
Au temps des querelles quié-
tist6s et jansénistes, Bossuet conduit Madame Guyon
67
aux Ursulines de Meaux. L’archevêque de Paris envoie
la Mère de Ligné du Port-Royal de Paris chez les Ursu
lines du faubourg Saint-Jacques. Toutes trouvent chez
les Ursulines des institutrices toujours attentives aux
besoins de leurs âmes. C’est à cette société en désarroi
que les Ursulines apportèrent leur sûre possession de
la doctrine et de la morale chrétiennes. Monsieur
Compayré trouve que "les exercices de spiritualité y
faisaient tort à l'instruction". Ne se méprend-il pas?
A vrai dire, c’est par les exercices de spiritualité
que les Ursulines et toutes les autres congrégations
religieuses obtinrent de bons résultats dans l’éducation
des filles. En parlant des Ursulines, Monsieur Compayré
ajoute qu’on avait une idée étroite et inexacte de la
destination de la femme; "on élevait la femme pour le
ciel plus que pour la terre." Cette méthode de l’ensei
gnement eut un succès extraordinaire, et en effet, n’est-
ce pas une des fonctions essentielles de l’éducation,
celle de procurer à l’homme les moyens d’atteindre sa
fin dernière qui est le ciel? Dans le "Panégyrique de
sainte Catherine", Bossuet nous dit: "N’employez pas
la science que pour gagner les biens de la terre, mé
ditez sérieusement qu'un trésor si divin n’est pas fait
pour cet indigne trafic; et que s’il entre dans le com
merce, c’est d’une manière plus haute, et pour une fin
68
plus sublime, c’est-à-dire, pour négocier le salut
des âmes.1”
La religion pénétrait donc tout
l’enseignement chez les Ursulines. Les sciences é-
taient rapportées à un objet unique, à un même but:
la connaissance de Dieu. Aussi Fénelon dans le
Traité de l’éducation des filles, dit-il qu’il esti
me fort l’éducation des bons couvents où la religion
occupe la place d’honneur. Fénelon aurait certaine
ment trouvé bon le couvent des Ursulines.
Parce que les Ursulines s’engagè
rent dans la voie moyenne de l’éducation et réalisè
rent du succès, on a pu "leur faire honneur d’avoir
les premières, servi avec autant de largeur que d’op
portunité, ce grand intérêt public: l’éducation fémi
nine.2”
(1) "Panégyrique de sainte Catherine,” Tome III.
(2) "Revue des Deux Mondes” : Fagniez. 15 janvier 1909.
69
CHAPITRE VIII
FENELON.
Le vrai point de départ de la
pédagogie sur la grande question de l’éducation des
femmes c’est l’oeuvre de Fénelon, " De 1'Education des
Filles, " qui parut en 1688.
" Fénelon est le premier qui, embrassant le sujet dans
un examen d’ensemble, ait réuni en une sorte de code
les prescriptions propres à élever la jeune fille de
puis le moment où ses instincts s’éveillent jusqu’à
l’âge où le développement de ses facultés permet de
la livrer avec sécurité à la vie commune; le premier
surtout qui ait fondé ce code sur une étude psycholo
gique de l’enfant.1"
(I) " Education des Femmes-" ; 0. Gréard
Notons tout de suite pour ne
pas l’oublier que Fénelon se vit traduire en Angle
terre, que 1‘Université d’Oxford lui conféra le titre
de docteur; que même en Amérique, Channing signale
une traduction en 1843, dans les termes les plus élo-
gieux.
En 1688, l’opinion publique
au sujet de l'éducation ressemblait à celle que Molière
70
avait exprimée dans ses Femmes savantes. La sollici
tude pour la femme et pour son éducation n’était pas
du tout «générale• Meme Bossuet voulait exclure les
femmes des sciences. "Le plus grand majheur des dames
modestes et chrétiennes, c’est qu’ordinairement le
désir de plaire est leur passion dominante; et comme
pour le malheur des hommes, elles n’y réussissent que
trop facilement, il ne faut pas s’étonner si leur va
nité est souvent extrême, étant nourrie et fortifiée
par une complaisance presque universelle. Que si elles
se sentent dans l’esprit quelques avantages plus con
sidérables, combien les voit-on empressées à les faire
éclater dans leurs entretiens? et quel paraît leur
triomphe, lorsqu’elles s’imaginent charmer tout le
monde? c’est la raison principale pour laquelle on les
exclut des sciences, parde que quand elles pourraient
les acquérir, elles auraient trop d6 peine à les porter.1"
(I) "Panégyrique de sainte Catherine": Bossuet
L’immortel archevêque de Cambrai
n’est pas du même avis due Bossuet, du moins au début
de son ouvrage. Dans son Traité de l’éducation des
filles, Fénelon en effet, s’appliqua autant qu’il le
put à former et à faire réaliser dans la jeune fille
les principes d’une solide éducation.
D’abord cet éducateur éminent
71
signale à côté de 1 éducation très poussée des garçons,
l’insuffisance de l’éducation des jeunes filles. Plus
précis que le Chrysale de Molière, il ne veut pas que
l’intelligence des femmes se borne à "gouverner un
jour leur ménage et obéir à leurs maris sans raison
ner." Fénelon montre l’importance d’une bonne éduca
tion des filles... Mais n’ont-elles pas des devoirs
à remplir, des devoirs qui sont les fondements de la
vie humaine? les hommes mêmes, qui ont toute l’auto
rité au public ne peuvent par leurs délibérations é-
tablir aucun bien effectif, si les femmes ne leur
aident pas à l’exécuter.^" En terminant comme il a
commencé, Fénelon ajoute: "Voilà ce qui prouve l’im
portance de bien élever les filles; cherchons-en les
moyensS"
Il paraît donc selon Fénelon,
du moins à première vue, nécessaire d’instruire les
jeunes filles, et de les instruire bien. Il nous
fait remarquer que les jeunes filles mal instruites
ont une imagination errante, "Faute d’aliment solide,
leur curiosité se tourne en ardeur vers les objets
vains et dangereux. ’’ a cause du manque d’éducation,
I.I.II
(1) " Traité de l’éducation des filles." Chapitre(2) Ibid. * Chapitre(3) Ibid. Chapitre
72
on voit beaucoup de défauts parmi les jeunes filles.
Fénelon réprouve avec vigueur la frivolité, l’infé
riorité de vies livrées à l’ignorance et à l’oisiveté.
"Dans cette oisiveté, une fille s’abandonne à sa paresse
et la paresse qui est une langueur de l’âme est une
source inépuisable d’ennuis. Elle s’accoutume à dor
mir d’un tiers plus qu’il ne faudrait pour conserver
une santé parfaite; ce long sommeil ne sert qu’à l’a
mollir, qu’à la rendre plus délicate, plus exposée aux
révoltes du corps... Cette mollesse et cette oisiveté
jointes a l’ignorance, il en nait une sensibilité per
nicieuse pour les divertissements et pour les spectacles;
c’est meme ce qui excite une curiosité indiscrète et
insatiable.^"
Contrairement à Bossuet, tant qu’il
ne se contredira pas, Fénelon croit qu’un esprit bien
formé, bien cultivé pourra éviter le ridicule d’une
fausse science. "Les personnes instruites et occupées
à des choses sérieuses n’ont d’ordinaire qu’une curio
sité médiocre; ce qu’elles savent leur donne du mépris
pour beaucoup de choses qu’elles ignorent; elles voient
l’inutilité et le ridicule de la plupart des choses que
les petits esprits qui ne savent rien faire sont empres
sés d’apprendre.2"
(1) " Traité de l’éducation des filles": Fénelon, Chap. II
(2) Ibid.
73
Dans le petit chef-d‘oeuvre de
Fénelon, on peut suivre pas à pas l’enfant, la jeune
fille, la future maîtresse de maison.
On doit donner d’abord de bonnes
habitudes à l’enfant. L’instruction formelle ne com
mencera que plus tard. Le troisième chapitre contient
des vues générales sur l’éducation. Comme Rabelais et
Montaigne, Fénelon veut qu’on excite la curiosité na
turelle des enfants en les sollicitant par des instruc
tions familières, qui leur plaisent. "Par exemple, à
la campagne, les enfants volent un moulin, et ils veu
lent savoir ce que c’est; il faut leur montrer comment
se prépare l'aliment qui nourrit l’homme. Ils aperçoi
vent des moissonneurs, et il faut leur expliquer ce
qu’ils font, comment est-ce qu’on sème le blé et comment
il se multiplie dans la terre. A la ville, ils voient
des boutiques où s'exercent plusieurs arts et où l'on
vend diverses marchandises. Il ne faut jamais être
importuné de leurs demandes; ce sont des ouvertures
que la nature vous offre pour faciliter l'instruction;
témoignez y prendre plaisir; par là vous leur enseigne
rez insensiblement comment se font toutes choses qui
servent à l'homme, et sur lesquelles roule le commerce.
Peu à peu, sans étude particulière, ils connaîtront la
bonne manière de faire toutes ces choses qui sont de
leur usage, et le juste prix de chacune, ce qui est le
vrai fond de l’économie. Ces connaissances qui ne doi
vent être méprisées de personne puisque tout le monde
a besoin de ne se pas laisser tromper dans sa dépense,
sont principalement nécessaires aux filles.■c"
Le principe fondamental de Fénelon
en pédagogie saute aux yeux: c’est de rendre le travail
aimable en s’y intéressant soi-même et en faisant sentir
à l’enfant que l’on trouve plaisir et profit à devenir
plus instruit. Fénelon n’aime guère les leçons didac
tiques. Il veut que l’étude soit agréable et récréa
tive. On parvient à la rendre telle en se faisant ai
mer, en évitant tout air impérieux, en montrant l’uti
lité de ce qu’on fait faire.
Fénelon ne manque pas de signaler
les grands défauts des éducations ordinaires: "On met
tout le plaisir d’un côté et tout l’ennui de l’autre;
tout l’ennui dans l’étude, tout le plaisir dans les
divertissements. Que peut faire un enfant, sinon sup
porter impatiemment cette règle et courir ardemment
après les jeux? Tâchons donc de changer cet ordre:
rendons l’étude agréable; cachons-la sous l’apparence
de la liberté et du plaisir; souffrons que les enfants
interrompent quelquefois l’étude par de petites sail-
(I)"Traité de l’éducation des filles":FéneIon, chap. III
75
lies de divertissements; ils ont besoin de ces distrac
tions pour délasser leur esprit. Laissons leur vue se
promener un peu; permettons-leur meme de temps en temps
quelque digression ou quelque jeu afin que leur esprit
se mette au large; puis ramenons-les doucement au but.1"
Les jeux et les récréations, on le sait, sont indispen
sables aux enfants. Une application trop longue et un
effort trop continu épuisent l’esprit. "Laissez jouer
un enfant et melez l’instruction avec le jeu. Gardez-
vous de le fatiguer par une exactitude indiscrète.^”
Voilà qui est très humain et très fénelonien.
(I) " Traité de l’éducation des fille s": Fénelon Chap. V
L’enseignement de la lecture n’é
tait pas très attrayant pendant le 17ieme siècle. Autre
fois on faisait lire l’enfant en latin et sur le ton de
la déclamation. Fénelon fait une innovation. Il con
seille l’usage du français au lieu du latin. Il recom
mande aussi qu’on se serve de livres de contes: "Les
deux choses qui gâtent tout, c’est qu’on leur fait ap
prendre à lire d’abord en latin, ce qui leur ôte tout
le plaisir de la lecture, et qu’on veut les accoutumer
à lire avec une emphase forcée et ridicule. Il faut
leur donner un livre bien relié, doré meme sur la tran
che, avec de belles images et des 'caractères bien formés.
Tout ce qui réjouit l’imagination facilite l’étude; il
(2) Ibid
76
faut tâcher de choisir un livre plein d’histoires courtes
et merveilleuses. Cela fait, ne soyez pas en peine que
l’enfant n’apprenne pas à lire.1" On ne saurait trouver
psychologie plus déliée.
(1) "Traité de l’éducation des filles" : Fénelon, Chaji. V
(2) Ibid.
(3) Ibid.
L’ardeur pour le travail sera
excitée par les louanges. Fénelon recommande instamment
l’émulation. Fénelon se rendit compte que l’émulation
contribue à donner du goût pour l’étude; il ne faut pas
en abuser, car la jalousie n’est pas Inconnue des jeunes
filles; "on courrait risque de décourager les enfants
si on les louait jamais lorsqu’ils font bien. Quoique
les louanges soient à craindre à cause de la vanité,
il faut tâcher de s’en servir pour animer les enfantsg
sans les enivrer. ’’
Fénelon veut que les premiè-la
res études soient proportionnnées à laiblesse de l’en
fant. "Le cerveau des enfants est comme une bougie
allumée dans un lieu exposé au vent; sa lumière va
cille toujours.5" ce principe suppose des études sé
rieuses sur la psychologie de l’enfant. Par l’obser
vation, le maître se rendra compte aisément que l’éco
lier aime les méthodes actives, le jeu, etc. Il devra 1 2 3
77
donc se montrer aimable, très patient, très habile à
exciter l’intérêt et la curiosité.
Fénelon semble prévoir au moins
toutes les nécessités de l’éducation moderne, s’il ne
les précise pas trop. Et c’est déjà un rare mérite que
d’être en avant de son siècle en ce temps où il n’était
guère permis d’aller plus vite que l'ensemble. D’ail
leurs Fénelon corrige, malheureusement, sa hardiesse
avec des concessions aux préjugés courants: "il doit
y avoir pour leur sexe, écrit-il, une pudeur sur la
science, presque aussi délicate que celle qu’inspire
l’horreur du vice.” Et plus loin: "La curiosité est
une dangereuse maladie de l’esprit.” Heureusement que
chez les continuateurs de Fénelon, on aura l’esprit de
ne pas suivre ces rétrogressions du pédagogue à qui
son siècle en impose trop encore.
Cependant, et voici qui excuse
Monsieur de Cambrai, d’un chapitre à l'autre, sans or
donnance bien rigoureuse, Fénelon donne divers conseils
très précieux sur l'explication raisonnée de l’Histoire
sainte; ses idées n’occupent pas moins de trois chapi
tres. Il faut que les enfants ”goùtent Dieu.” Il faut
baser l'enseignement de la doctrine chrétienne sur
l’histoire de l'ancien et du nouveau Testament pour
découvrir aux enfants la bonté du Père et l’origine de
78
son culte. Fénelon en effet, se rend compte que les
enfants ont un goût pour toutes les histoires, “mais
il faut essayer de donner à l’enfant plus de goût pour
les histoires saintes que pour les autres. Faitôs-leur
remarquer combien elles sont importantes, singulières,
merveilleuses, pleines de peintures naturelles et d'une
noble vivacité."
L’Evangile voilà le livre du
chrétien, Jésus-Christ, voilà le centre de l’instruc
tion religieuse: "Il ne faut jamais laisser mêler dans
la foi ou dans les pratiques de piété, rien qui ne soit
tiré de l'Evangile ou autorisé par une approbation cons
tante de l’Eglise.^"
On doit présenter la religion
sous les images les plus jolies, les plus séduisantes,
peintes avec les couleurs les plus vives: "Quand on
aura la commodité de montrer aux enfants de bons ta
bleaux, il ne faut pas le négliger car la force des
couleurs avec la grandeur des figures au naturel frap
peront bien davantage leur imagination.2" Les pédago
gues tout à fait modernes n’ont rien apporté de plus
sur ce point.
Et tout à son idéal de femme
(1) "Traité de l’Education des Ailles" : Fénelon, Chap. VII
(2) Ibid. Chap. VI
79
parfaite, Fénelon veut bannir l’artificiel chez les
jeunes filles. "Retenez leur esprit le plus que vous
pourrez dans les bornes communes; et apprenez-leur qu’il
doit y avoir, pour leur sexe, une pudeur sur la science
presque aussi délicate que celle qui inspire l’horreur du
vice.^" On doit réprimer de bonne heure les défauts des
jeunes filles: "Un de leurs grands défauts, c’est la va
nité, dont la source est le désir de plaire. L’éducation
des jeunes filles paraît à Fénelon trop timide et trop
molle: "la molesse et la timidité qui les rendent inca
pables d’une conduite uniforme et ferme; les jalousies,
les flatteries, les compliments excessifs, les empres
sements, les détours artificieux, les larmes volontaires,
les sentiments affectés." Il faut les rendre capables
d’une conduite ferme et réglée. Il importe de faire la
guerre contre leurs défauts principaux. "Il faut aussi
réprimer en elles les amitiés trop tendres, les petites
jalousies, les compliments excessifs, les empressements.2"
Fénelon s’occupe aussi de l’es
thétique, Il veut que la maîtresse cherche par tous les
moyens à développer l’amour du beau et le sentiment de
l’admiration: "Je voudrais même faire voir aux jeunes
(1) "Traité de l’éducation des filles":Fénelon,chap. VII
(2) Ibid. chap. IX
80
filles, la noble simplicité qui paraît dans les statues
et dans les autres figures qui nous restent des femmes
grecques et romaines; elles y verraient combien des
cheveux noués négligemment par derrière et des drape
ries pleines et flottant à longs plis sont agréables
et majestueuses. Il serait bon même qu'elles enten
dissent parler directement les peintres et les autres
gens qui ont ce goût exquis de 1’antiquité.1” Remar-
quons ici que rien chez les femmes du 171ème siècle ne
rendait nécessaire le retour aux modes antiques que le
Directoire rendra si indécentes.
Quant aux préceptes pratiques
sur les "devoirs” spéciaux des femmes, Fénelon déclare
que la science des femmes, comme celle des hommes, doit
se borner à s1instruire par rapport à leurs fonctions;
la différence de leurs emplois doit faire celle de
leurs études.2” Il importe par-dessus tout d’instruire
la femme de ses devoirs. "Elle a une maison à régler,
un mari à rendre heureux, des enfants à bien élever.
Elle est chargée de l’éducation des garçons jusqu’à un
certain âge, des filles jusqu’à ce qu’elles se marient
ou se fassent religieuses, de la conduite des domesti
(I) "Traité de l’éducation des filles";Fénelon, chap. X
(2) Ibid chap. XI
81
ques, de leurs moeurs, de leur service, du détail de la
dépense, des moyens de faire tout honorablement et avec
économie.
Fénelon a eu garde de ne pas con
sidérer la rôle de la femme dans la famille. Une femme
doit s’occuper de l’éducation de ses enfants, surveiller
et tenir sa maison. Sur ce dernier point, Fénelon écrit:
"c’est le bon ordre et non certaines épargnes sordides
qui fait les grands profits.2" A la suite de Molière,
il veut qu’une femme sache ranger et nettoyer. "Accou
tumez-vous à ne souffrir rien de sale ni de dérangé; que
les filles remarquent le moindre désordre dans une mai
son. Faites-leur meme observer que rien ne contribue plus
à l’économie et à la propreté que de tenir toujours cha
que chose en sa place .3" on reconnaît ici l’abbé ^'leury.
Mais quel est le programme que Fénelon trace aux jeunes
filles? Une jeune fille doit apprendre à lire et à écrire
correctement, connaître les quatres règles de l’arithmé
tique, quelque chose des histoires grecques et romaines
et de l’histoire de France. Fénelon recommande quelques
notions élémentaires de droit usuel, utiles à une jeune
(1) "Traité de l’éducation des filles": Fénelon, chap. XI
(2) Ibid.
(3) Ibid.
82
fille. Il considère, à tort, semble-t-il, la connais
sance de l’italien et de l’espagnol, non seulement inu
tile mais dangereuse. "Il y a beaucoup plus à perdre
qu’à gagner dans cette étude.1" Il conseille l’étude
du latin " aux filles d’un jugement ferme et d’une con
duite modeste, qui sauraient ne prendre cette étude que
pour ce qu’elle vaut, qui renonceraient à la vaine cu
riosité, qui cacheraient ce qu’elles auraient appris et
qui n’y chercheraient que leur édification.2” Voilà en
core un écho authentique de Molière.
(1) "Traité de l’éducation des filles" : Fénelon, chap. XII
(2) Ibid.
(3) Ibid.
Il permet avec prudence, la lec
ture des ouvrages d’éloquence et de poésie, en évitant
d’ébranler les imaginations trop vives: "tout ce qui
peut faire sentir l’amour, plus il est adouci et enve
loppé, plus il me parait dangereux." Fénelon n’inter
dit pas l’étude de la musique. "Si elle a de la voix
et du génie pour les beautés de la musique, n’espérez
pas de les lui faire toujours ignorer.1 2 3" Il veut ce
pendant que la jeune fille se borne à la musique chré
tienne et religieuse. Fénelon, bien injustement sem-
ble-t-il, aime mieux que la jeune fille étudie la pein
83
ture plutôt que la musique: "La peinture se tourne chez
nous plus aisément au bien; d’ailleurs elle a un privi
lège pour les femmes.^-"
Il faut que la jeune fille sache sa
grammaire> La grammaire sera enseignée surtout par la
pratique. "Pour sa langue naturelle, il n’est pas ques
tion de la lui apprendre par règles, comme les écoliers
apprennent le latin en classe; accoutumez-les seulement
sans affectation à ne prendre point un temps pour un au
tre, à se servir des termes propres, à expliquer nette
ment leurs pensées avec ordre.2"
Fénelon termine en ajoutant quel
ques considérations sur le choix d’une gouvernante. Ces
considérations suggèrent l’idée moderne de l’Ecole Nor
male, pour "les communautés religieuses et séculières.
Celles qui s’appliquent selon leur institut, à élever
des filles, pourraient aussi entrer dans ces vues pour
former leurs maîtresses de pensionnaires et leurs maî
tresses d’école.
La dernière période du 17ième siècle
fut donc, grâce à Fénelon, pour les femmes une période
de relèvement intellectuel incontestable. Malgré les
(2)
(3)
Ibid.
Ibid.chap. XII
chap. XIII
(I) "Traité de l’éducation des filles" : Fénelon, chap. XII
84
insuffisances de sa pédagogie, Fénelon mit en déroute
les préjugés régnant encore contre le travail intel
lectuel des femmes. Ce que S6S continuateurs crurent
découvrir beaucoup d’années plus tard, Fénelon l’avait
dit d’avance. "Cent exemples prouvent que les femmes
ont des faculté intellectuelles aussi développées que
celle des hommes: sainte Léoba, dont saint Boniface
vante la sûre érudition, Hypathie, saint Catherine qui
enseignait la philosophie chrétienne et qui confondait
les philosophes paiens, sainte Perpétue, sainte Marcelle,
sainte Paule inspiratrices de saint Jérôme, sainte
Radegonde, sainte Catherine de Sienne, etc... Or, parce
que Bleu ne fait pas de dons inutiles, les droits des
femmes à la culture intellectuelle sont pareillement
des devoirs. Ce qu’il s’agit de combattre et de rem
placer dans l’éducation féminine, c’est la frivolité,
la mollesse, le désoeuvrement, l'ignorance, la paresse,
et l’amour des faux plaisirs; l’instruction est un des
meilleurs moyens de combattre et de remplacer tout cela.
Si la femme chrétienne se considère comme la compagne de
l’homme, comme son aide tant aux choses de la terre
qu'aux choses du ciel, comme devant le consoler et as
ti) "Traité de l’éducation des filles": Féenlon, chap. XIII
85
surer son bonheur, elle doit savoir que pour de telles
destinées, l’éducation féminine ne saurait être trop
suivie, trop sérieuse, ni trop forte.1"
(1) " Monseigneur Dupanloup " : Emile Faguet.
(2) "Traité de l’éducation des filles": Fénelon,chap. I, page 182.
Pourquoi Fénelon s’est-il mon
tré si ardent sur cette question? Il avait connu les
" Nouvelles catholiques ", il avait touché du doigt les
dangers de l’ignorance. Il s’était aperçu que " les
femmes font et défont les maisons que le vide dans
leur esprit les expose au romanesque et à de vaines cu
riosités. D’ailleurs les femmes "sont la moitié du
genre humain racheté du sang de Jésus-Christ,1 2" et comme
telles, elles ont droit à toutes les lumières convena
bles à leur état. C’est le malheur pour nous que Fénelon,
comme Molière, n’ait pas suffisamment précisé certains
points et que déjà dans sa pédagogie flotte un nuage de
mysticisme à la Cuyon.
86
CHAPITRE IX
MADAME DE MAINTENON.
A l’époque de Fénelon, parmi les
éducatrices distinguées du 17ième siècle, on peut comp
ter Madame de Maintenon. Elle s’intéressa de bonne heu
re à l’éducation des jeunes filles de noblesse pauvre.
Ses lettres où elle s’adresse aux élèves et aux maîtres
ses de Saint-Cyr montrent en elle une excellente éduca
trice, douée de la raison la plus ferme et de l’esprit
le plus judicieux ayant trait respectivement à l’éduca
tion, à l’éducatrice et à la jeune fille.
Madame de Maintenon fonda l’éco
le de Saint-Cyr pour l’éducation de deux cent cinquante
jeunes filles pauvres, Cette fondation remonte à l’an
née 1686 environ. Elle eut pour origine, un petit pen
sionnat à Montmorency. Sous la direction de Madame de
Brinon, une ancienne Ursuline, il y avait un petit nom
bre de jeunes filles, à qui elle faisait donner une
instruction élémentaire; un peu de lecture, d'écriture,
de cathéchisme et beaucoup de couture. Madame de Main
tenon parlait souvent à Louis XIV de la nécessité d’une
87
fondation pour des jeunes filles nobles et pauvres qui
qui seraient élevées dans les pratiques de la piété
chrétienne et préparées aux devoirs de leur condition.
En 1683, le roi lui donna le château de Noisy dans le
parc de Versailles. Enfin, il conçut le projet de
Saint-Cyr: "Et parce que nous avons estimé qu’il n’é
tait pas moins juste et moins utile de pourvoir à
l’éducation des demoiselles d’extraction noble, sur
tout pour celles dont les pères étant morts dans le ser
vice ou s’étant épuisés par les dépenses qu’ils y au
raient faites, se trouveraient hors d’état de leur
donner les secours nécessaires pour les faire bien éle
ver; après l’épreuve qui a été faite par nos ordres,
pendant quelques années, des moyens les plus propres
pour y réussir, nous avons résolu de fonder et établir
une maison et communauté, où un nombre considérables de/ K
jeunes filles issues de familles nobles, et particuliè
rement de pères morts dans le service, ou qui y servent
actuellement, soient entretenues gratuitement et élevées
dans les principes d’une véritable et solide piété re
çoivent toutes les instructions qui peuvent convenir à
leur naissance et à leur sexe, suivant l’état auquel il
plaira à Dieu de les appeler; en sorte que, après avoir
été élevées dans ce monastère, celle qui en sortiront
puissent porter dans toutes les provinces de notre
88
royaume, des exemples de modestie et de vertu, et con
tribuer soit au bonheur des familles où elles pourront
entrer par mariage, soit à l'édification des maisons
religieuses où elles voudront se consacrer entièrement
à ^ieu; auquel effet nous avons fait acquérir, cons
truire et meubler de nos deniers, la maison St-Cyr,
située près de notre château de Versailles, et il ne
reste plus qu'à déclarer nos intentions, tant pour les
fonds que pour les règlements nécessaires pour l'entière
exécution d'un établissement si utile et si avantageux.-^"
On limita le nombre d'élèves à deux cent cinquante. On
y entrait de sept à dix ans; on en sortait à vingt.
Madame de Maintenon avait été
charmée du grand éducateur, Fénelon. Elle s'inspira
donc du Traité de l'éducation des Filles pour la fonda
tion et l’esprit général de Saint-Cyr, avec les correc
tions jugées nécessaires. Four Saint-Cyr, Madame de
Maintenon ne voulut pas de religieuses comme maîtresses.
Il lui fallait des sujets qui, cependant, avaient beau
coup de religion. Elle commença avec des séculières.
Ce fut un échec. Au début, l'éducation de Saint-Uyr
fut trop mondaine. On se préoccupait surtout de for
mer des jeunes filles aux belles manières et au beau
style, ce ne sont que réceptions, concerts, représen-
(I) "Madame de Maintenon" ; Mercier. Page 94.
89
tâtions dramatiques. Racine, à la prière de Madame de
Maintenon, contribua lui-même avec ses tragédies à for
mer les élèves aux sentiments pieux et aux belles ma
nières. Il enrichit le théâtre religieux de deux chefs-
d’oeuvre, Esther et Athalie. D’autres auteurs, par ex
emple, l’abbé de Choisy, Duché, J.-B. Rousseau, l’abbé
Pellegrin travaillèrent pour Saint-Cyr et composèrent
Judith, Jephté, Absalon, Debora, les Stances chrétien
nes et les Odes sacrées. On fit jouer Andromaque. Toute
la cour y fut. La présence du roi et des grands sei
gneurs aux représentations, fit tourner les tetes, et
les demoiselles devinrent pleines de vanité et de suf
fisance. Elles refusèrent de chanter à l’église poui’
ne pas gâter 16ur voix avec des psaumes et du latin.
"On prétend, écrit Madame de Maintenon, que vous ne
voulez point chanter les chants d’église et que vous
désespérez M. Hivers; il n’est pas possible qu’avec la
piété que vous paraissez goûter, vous ne soyez pas rav
vies de chanter les louanges de Dieu et de lui rappor
ter par là un talent qu’il vous a donné et que je le
prie de tout mon coeur que vous n’employiez jamais en
rien qui ne soit pour sa gloire. Vous chantez si bien
les chants d’Esther, pourquoi ne voulez-vous pas chan
ter les psaumes! Serait-ce le théâtre que vous aimeriez,
et n’êtes-vous pas trop heureuses de faire le métier
90
des anges?^”
Une réaction devint nécessaire.
Madame de Maintenon se rendit compte de sa faute et
elle l'avoua bien humblement. "La peine que j'ai sur
les filles de Saint-Cyr ne se peut réparer que par le
temps et par un changement entier de l'éducation que
nous leur avons donnée jusqu'à cette heure: il est bien
juste que j'en souffre, puisque j'y ai contribué plus
que personne et je serai bien heureuse si Dieu ne m'en
puait pas plus sévèrement. Mon orgueil s'est répandu
par toute la maison et le fond en esT si grand qu'il
l'emporte même par-dessus mes bonnes intentions. Dieu
sait que j'ai voulu établir la vertu à Saint-Cyr, mais
j'ai bâti sur le sable. M'ayant point ce qui seul peut
faire un fondement solide, j'ai voulu que les filles
eussent de l'esprit, qu'on élevât leur coeur, qu'on
format leur raison; j'ai réussi à ce dessein: elles
ont de l'esprit et s'en servent contre nous; elles ont
le coeur élevé et sont plus fières et plus hautaines
qu’il ne conviendrait de l'etre aux plus grandes prin
cesses; à parler même selon le monde, nous avons formé
leur raison et fait des discoureuses présomptueuses,
curieuses, hardies.Il lui fallut se montrer de plus
(1) "Lettres sur l'éducation des filles": Madame de Maintenon,Déc. 1689.
(2) Ibid. 20 sept.1691.
91
en plus sévère. Les représentations dramatiques avaient
été supprimées à un certain degré. Elles devinrent
plus rares et le public n’y fut pas admis. De cette
façon les jeunes filles continuèrent d’orner leur es
prit et de s’exercer à la bonne prononciation. " J’ai
voulu en divertissant celles de Saint-Cyr, remplir leur
esprit de belles choses dont elles ne seront point hon
teuses dans le monde, leur apprendre à prononcer, les
occuper pour les retirer de la conversation qu’elles ont
entre elles, et amuser surtout les grandes qui, depuis
quinze jusqu’à vingt ans s’ennuient un peu de la vie de
Saint-Gyr. Voilà mes raisons pour continuer chez vous
les représentations tant que vos supérieurs ne les dé
fendent pas. Mais vous devez les renfermer dans votre
maison et ne jamais les faire voir à la grille sous
quelque prétexte que ce soit. Il sera toujours dange
reux de faire voir à des hommes, des filles bien faites
et qui ajoutent des agréments à leur personne en fai
sant bien ce qu’elles représentent. N’y souffrez pas,
dis-je, aucun homme quel qu’il soit, ni pauvre, ni ri
che, ni jeune, ni vieux, ni prêtre, ni séculier; je dis
même un saint s'il y en a sur la terre. Tout ce qu’on
pourrait faire si un supérieur voulait voir ce que c’est,
en effet, que ces pièces, serait de faire jouer les plus
petites, comme nous avons fait.^" Les grandes, en habit
(I) Lettres sur l’éducation des filles; Mme de Maintenon, février 1701
92
de Saint-Cyr avaient joué Athalie, au parloir, devant
l’éveque de Noyon et les confesseurs de la maison.
Madame de Maintenon en montra sa désapprobation: "Je
ne suis pas sans peine sur ce que nous fîmes hier;
vous savez comment nous nous sommes embarquées; mais
j’espère, et je vous en conjure, que ce soit la der
nière fois.1"
Pour obtenir la réforme, Madame
de Maintenon se proposa la pratique de l’humilité et
de la piété chez les jeunes filles et chez les maî
tresses. Elle s’efforça de cultiver leur esprit en
les habituant à une politesse qui ne fût pas incom
patible avec la vraie dévotion. "Une éducation sim
ple et chrétienne aurait donné de bonnes filles dont
nous aurions fait de bonnes femmes et de bonnes reli
gieuses, et nous avons fait de beaux esprits. Comme
plusieurs petites choses fomentent l’orgueil, plusieurs
petites choses le détruisent. Nos filles ont été trop
considérées, trop caressées, trop ménagées; il faut les
oublier dans leurs classes, leur faire garder le règle
ment de la journée et leur peu parler d’autre chose."
Quelle sagesse dans cette dernière considération! "Les
bonnes filles, continue-t-elle, m’ont plus fait voir
l’excès de fierté qu’il faut corriger que n’ont fait
(I)"Lettres sur l’éducation des filles" ; Mme de Maintenon, février 1701.
93
les mauvaises, et j’ai été plus alarmée de voir la gloire
et la hardiesse de Mlles de .... de .... et de .......... , que
de tout ce que l’on m’a dit des libertins de la classe.
Priez Dieu et faites prier pour qu’il change leurs coeurs
et qu’il nous donne à toutes, l’humilité. Il n’y a point
de maison au monde qui ait plus besoin d’humilité exté
rieure et intérieure que la nôtre.1"
(1) Lettres sur l’éducation des filles: Mme de Maintenon,20 sept. 1691.
(2) Ibid. 16 déc. 1693.
Enfin, la communauté des Daines sé
culières de Saint-Gyr fut érigée en monastère régulier de
l’ordre de Saint-Augustin, avec voeux simples. Elles fi
rent une année de noviciat, Madame de Maintenon s’ap
pliqua à former elle-même, maîtresses et élèves. "Aimez
votre Institut, comprenez-le dans toute son étendue et
sacrifiez-vous pour en remplir les obligations. Pesez
bien ce que c’est que le voeu que vous faites à l’égard
des demoiselles: Je promets d’employer toute ma vie à
instruire et élever les demoiselles de la maison de
Saint Louis. " Après avoir fait leurs voeux, elles
s’organisèrent ainsi: la supérieure générale, élue pour
trois ans, une maîtresse générale des classes s’occupa
de faire observer les règlements et de veiller sur les
maîtresses et les jeunes filles. Lgs maîtresses des
classes présidaient à l’instruction et à la surveil- 1 2
94
lance partout. La maîtresse générale des ouvrages
avait l’intendance des travaux à l’aiguille.
A partir de ce moment, les jeunes
filles reçurent une éducation qui, fut en conformité
avec leur future position dans la société. Très sou
vent Madame de Maintenon faisait rappeler aux maîtres
ses la sublimité de leur vocation. "Votre grande af
faire, votre unique affaire après celle de votre salut
est le gouvernement des demoiselles; vous avez besoin
pour y réussir d'avoir des maximes fermes, droites et
uniformes, dont vous ne vous départiez jamais. L'Esprit
de votre Institut vous marque de travailler à rendre les
demoiselles vraiment chrétiennes et de les accoutumer
à une vie frugale et laborieuse.1"
(I) Lettres sur l'éducation des filles: Mme de Maintenon, Mars 1708.
Comme nous avons dit, les jeunes
filles entraient dans la maison depuis l'âge de sept
ans juscu'à l’^ge de dix ans. Elles y restaient jus
qu’à vingt ans sans jamais sortir que par des permis
sions rares et spéciales. On ne permettait pas aux
parents de les visiter sauf pendant les octaves de qua
tre grandes fêtes de l'année. Les enfants étaient grou
pées selon leur âge en quatre classes. On pouvait les
distinguer par des rubans de couleurs différentes.
Elles portaient un uniforme. Jusqu'à l'âge de dix ans
95
elles étaient dans la classe "rouge" et elles y appre
naient à lire, écrire, compter, les éléments de la
grammaire, le cathéchisme et quelques notions de l’his
toire sainte. A l’âge de onze ans, elles passaient
dans la classe "verte" et y apprenaient la musique, des
notions d‘histoires et de géographie et de mythologie.
A l’âge de quatorze ans, elles passaient dans la classe
"jaune" ou on étudiait surtout la langue française, la
musique, la religion. On leur donnait aussi quelques
leçons de dessin et on leur apprenait à danser. A l’âge
de dix-sept ans, elles entraient dans la classe "bleue"
où l’instruction morale était développée avec beaucoup
d’attention. La plupart des jeunes filles de la classe
bleue était dispersées dans la maison* soit pour aider
les maîtresses des classes, soit pour assister les autres
dans la maison, par exemple, les infirmières, les maî
tresses d’ouvrages, la sacristine, etc. C’était dans
ces devoirs qu’elles trouvaient le complément de leur
éducation. De la même manière, on dispersait un cer
tain nombre de "jaunes" pour aider au service de la
maison et très souvent on se servait des plus petites.
C’est là, si je ne m’abuse, le principe des équipières
et de leurs chefs dans la J. E. C.
puisque l’idée dominante de Madame
de Maintenon est que la jeune fille est destinée à être
96
l’épouse et la mère dans un foyer, elle la prépare à
son futur état. L’éducatioh manuelle en effet, était
étendue à Saint-Cyr. On y apprenait à coudre, à broder,
à tricoter, à faire de la tapisserie. On y faisait tout
le linge de la maison, de l’infirmerie, de la chapelle,
les robes et les vêtements des maîtresses et des élèves.
Les jeunes filles aidaient à desservir le réfectoire, à
balayer les dortoirs et à nettoyer les classes. "Faites-les
agir dès qu’elles peuvent faire quelque chose; aussitôt
qu’elles peuvent marcher, il y a bien des choses qui leur
sont possibles à l’infirmerie comme balayer la table, après
le repas, servir celles qui sont au lit, mettre la nappe,
habiller les petites, etc.^" Puisque le travail manuel
était surtout en honneur à Saint-Cyr, Madame de Maintenon
exhortait les maîtresses en ce sens: "Donnez-leur le plus
qu’il sera possible, cette maxime de saint François de
Sales: de parler peu et de faire beaucoup.1 2 3"
(1) Lettres sur l’é
(2)
(3)
Les jeunes filles s’occupaient
donc de toutes sortes de travaux utiles: "Rendez-les mé
nagères et laborieuses.5” Personne ne parait avoir mieux
enseigné la manière de former la vraie épouse et la mère
ducation des filles
Ibid.
Ibid.
Mme de Maintenon, en 1694.en 1696•
en 1691.
97
chrétienne que Madame de Maintenon. "Faites-leur voir
que la vraie piété est de remplir ses devoirs; qu’elles
apprennent celui des femmes, celui des mères, les obli
gations envers les domestiques, ce que l’on doit d’édi
fication au prochain, et quelle sorte de vie, elles
peuvent et doivent mener . ans le monde.1" "Accoutumez-
les à être ménagères, agissantes, adroites, fidèles
dans les plus petites choses comme dans les plus gran
des, exactes, véritables jusqu’à s’accuser elles-mêmes
quand il convient, remplies d’honneur, de bonne foi,
de probité, mais de cet honneur chrétien qui n’a rien
de superbe ni de paien.2”
(1) Lettres sur l’éducation des filles; Mme de MaintenonEn 1691
(2) Ibid.
(3) Ibid. Juin, 1715.
C’est particulièrement dans
ses considérations sur le mariage, sur ses difficul
tés, sur les vertus qu’il exige, qu’il est intéressant
de suivre Madame de Maintenon. "Exhortez les maîtres
ses des classes à instruire les demoiselles sur les
obligations du mariage et sur la piété convenable aux
gens du monde. On ne parle jamais chez vous que de
couvents et fieu n’y veut pas tout le monde.1 2 3" Dans
98
ses directions et ses lettres, elle revient constamment
sur la piété. "Ne pressez pas trop vos filles sur la
piété; content6Z-vous de les instruire et de les édifier;
c’est à Dieu à faire le reste.1" "Si vous ne conservez
votre piété, vous serez malheureuses dans ce monde et
dans l’autre. " Elle réagit avec sagesse contre les
couvents dangereux qui causent souvent la ruine des fa
milles et entraînent la perte des âmes. "Veillez, plan
tez, semez, tâchez de connaître vos filles, instruisez-
les de leur religion, inspirez-leur la simplicité, la
candeur, la sincérité, l’amour de la vérité, le respect
pour les confesseurs, la droiture dans les affaires de
conscience; montrez la haine que vous avez pour les fi
nesses, pour les jugements, enfin, pour tous les mauvais
caractères d’esprit qu’il faut détruire dès l’enfance.'5"
Madame de Maintenon, comme on s’en rend compte, ramène
tout au rôle futur de la femme: "En effet, que peut faire
une personne de notre sexe qui ne peut demeurer chez elle,
ni trouver son plaisir dans les devoirs de son ménage?1 2 3 4"
(1) Lettres sur l’éducation des filles: Mme de Maintenon,En 1692.
(2) Ibid, En 1711.
(3) Ibid. En 1699.
( 4) "L’Education des jeunes filles J* ; R.P. Libercier, O.P.Page 249.
Dans ses rapports avec les jeunes
filles, Madame de Maintenon s’appliquait sans relâche à
99
la formation de leur caractère. Elle leur fit apprendre
par coeur les Conversations et des Proverbes qu’elle a-
vait rédigés. Elle prenait la peine d’écrire des maximes
sur les premières pages de cahiers des jeunes filles de
Saint-Cyr. Ces maximes servaient d’exemple d’écriture et
enseignaient en meme temps beaucoup de levons pratiques
et utiles:
" Aimer Dieu et votre état est le seul bonh’eur."
" Contribuez à la paix autant qu’il vous sera possible."
" Pensez souvent à Dieu. "
" Il n’y a point d’état qui n’ait ses peines et souvent
plus grandes que les vôtres. "
" Rendez-vous le plus capable que vous pourrez car vous
ne savez pas à quoi Dieu vous destine. "
” Ne faites jamais dépendre votre bonheur des autres. "
” Ne soyez jamais cause d’aucune querelle. "
" Si vous voulez être agréables dans la conversation,
ne parlez guère de vous. "
" Pour bien commander il faut savoir obéir. ”
'* Religieuses ou séculières^ il faut hair le monde si
vous voulez être chrétienne. "
Le but de Saint-Cyr semblait
être de produire l’épouse et la mère chrétienne dont les
vertus seraient la piété, la pureté, l’obéissance, l’humi
lité, le dévouement, l’esprit de sacrifice. Pour attein
100
dre cet idéal de la mère chrétienne, la jeune fille doit
faire la guerre à tous ses mauvais penchants: parasse,
désobéissance, mensonge qui ont tous’une gravité excep
tionnelle au point de vue de la morale, de l’avenir meme.
Il ressort de toutes ces observa
tions que Madame de Maintenon exerça une grande influence
sur ses élèves et sur l’éducation en général. Elle en
trait dans tous les détails d’une maison d’éducation.
Dans les fréquents voyages que lui imposaient les besoins
de Saint-Cyr, elle écrivait, et sa riche correspondance
nous révèle qu’elle était une éducatrice modèle. Elle
avait véritablement le don "d’élever" les enfants. Elle
les aimait d’un amour surnaturel, intelligent, aussi ten
dre que profond. Pour "ses chères filles" elle avait,
comme dit Fénelon, " Ce que l’amour a de plus divin: le
dévouement qui s’oublie loi-même pour se dépenser et se
livrer sans réserve.
Madame de Maintenon suit donc pas
à pas Féenlon, mais elle se montre plus sèche, férue de
laisser aller dans l’éducation. Les femmes françaises
lui doivent cependant à peu près autant qu’à l’illustre
précepteur du duc de Bourgogne.
101
CHAPITRE X
LES CONTINUATEURS DE FENELON.
Pour terminer notre course à
travers le champ d’éducation féminine, nous dirons un
mot des disciples et des continuateurs de Fénelon, sur
la frontière des 17ièma et lôième siècle.
ROLLIN (1661 à 1741) est le
plus fidèle disciple de Fénelon. Quand le vieux pro
fesseur janséniste parla de l’éducation des femmes, il
ne fait guère que recopier le Traité de 1 ' édu c a t ion de s
filles. Et l’on sent vite à le lire qu’il est de la
vieille école. "Une femme peut n’être pas fort instruite,
écrit-il, instruite de tout le reste et être néanmoins
une excellente mère de famille, mais elle ne peut igno
rer ou négliger les soins domestiques sans manquer à
l’une de ses plus essentielles obligations. Le bel
esprit de la science ne couvre point un tel défaut, et,
loin de relever le sexe, ne sert qu’à le déshonorer.^"
Rollin reste bien ici l’écho docile de Molière.
Féru d’histoires comme il l'était
Rollin recommande énergiquement l’étude du passé; "L’étude
la plus propre à orner l’esprit des jeunes demoiselles,
(I) " Traité des Etudes " Rollin
102
et même à leur former le coeur est colle de l'histoire;
elle leur ouvre un vaste champ qui peut les occuper uti
lement et agréablement pendant plusieurs années.1" fît
il prise fort les "réflexions admirables de Monsieur
Bossuet, évêque de Meaux, dans son histoire universelle."
(1) " Traité des Etudes " : Rollin(2) " L'éducation progressive": Mme de Saussure, T. 11
Page 282.
Le programme de Rollin, en fait d’é
ducation féminine n’avance pas sur celui de Fénelon.
Une autre continuatrice de Monsieur
de Cambrai apparaît dans une femme des plus aimables et
des plus sensées de son temps, MADAME LA MARQUISE DE
LAMBERT, l’auteur des "Avis d’une mère à son fils et à
sa fille," Madame de Lambert écrivit à Fénelon ce com
pliment: "J’ai trouvé dans le Traité de l'éducation des
filles, les conseils que j’ai donnés à la mienne, et dans
Télémaque, les préceptes que j’ai donnés à mon fils.
C’est vous qui m’avez montré la vertu aimable et m’avez
appris à l'aimer." Et la marquise préconise elle aussi
chez la femme, l'imagination alliée à la raison, les le
çons solides sans vaine prétention à la science, la saine
curiosité "penchant de la nature qui va au-dessus de l'ins
truction."
Madame Necker de SAUSSURE semble
aller un peu plus loin que Madame de Lambert: "Cultivons 1 2
103
d’abord chez les jeunes filles, écrit-elle, les grandes
et nobles qualités de l’humanité: les dispositions ai
mables de leur sexe se développeront d’elles-memes et
n’y perdront rien.2”
(2) "L’Education progressive” : Mme de Saussure, T. IlPage 282.
ROUSSEAU dans l’éducation de
Sophie, commentera Fénelon avec des soucis mignards et
inconsciemment pervers. Ses principes formeront Madame
de Staël, la nébuleuse auteur de Gori/inne et de l’Allemagne.
” Bornons ici notre carrière,” com
me écrivait La Fontaine, Notons pour finir, que la plu
part des pédagogues français exigent de la femme, la for
mation morale surtout; la formation qui fait les femmes
fortes dont l’Ecriture trace un si beau portrait. Ces
pédagogues ont pressenti peut-être la grande catastrophe
qui allait fondre sur la France, en 1789, et demander aux
filles, aux épouses et aux mères des qualités surhumaines.
Après la tourmente, de nouveaux
pédagogues vont surgir, Joseph de Maistre par exemple et
Mgr Dupanloup un peu plus tard. Leurs efforts conjugués
avec la tradition, avec le travail discret mais efficace
des couvents, vont consacrer, non pas la savante, non
pas la femme docteur qui pourra l’être d’ailleurs sans
se voir persécutée, mais la femme qui a fait de sa digni
té d’épouse et de mère une sorte de sacerdoce; une femme
104
qui a volontiers limité sa vie à l’activité domestique,
qui s’est vouée à son mari et à se3 enfants: type fran
çais, type salésien a-t-on dit. c’est pour ce type de
femme que Paul Verlaine a écrit les deux vers que tout
le monde sait par coeur et qui résument les doctrines
essentielles à tous les tournants du 17ième siècle:
" La vie humble, aux travaux ennuyeux et faciles
" Est une oeuvre de choix qui veut beaucoup d’amour.”
C’est ce type de femme qui sauvera
la France en ces jours sombres actuels de désespoir et
continuera au plus noble pays de l’univers écrasé au
jourd’hui par les barbares, la lignée des Geneviève,
des Jeanne de Chantal, de Madame Elizabeth, de Berna
dette de Lourdes et de Thérèse de 1’Enfant-Jésus.
105
PROPOSITIONS»
1. - L’éducation des filles ne date pas du dix-septièmesiècle.
2. - L’Eglise a droit à une part très large des louangesque l’on adresse à la pédagogie du dix-3eptièms siècle •
3. - Le dlx-3eptième siècle est véritablement une grandeépoque pédagogique.
4. - Avec saint François de Sales, l’Eglise catholiquemettait résolument et vigoureusement la main sur l’éducation des femmes du dix-septième siècle.
5. - Malebranche a bien compris l’influence des premières impressions et de l’éducation du premier âge.
6. - L’éducation des filles de Port-Royal n’est encorequ’une éducation monastique.
7. - L’abbé Fleury est une d63 Intelligences les pluslibérales et les plus distinguées du siècle de Louis XIV.
8.- Fleury obéissait à une tendance générale de son époque, quand il mettait le droit au nombre des études nécessaires même aux femmes.
9.- Molière, en fin de compte veut pour les femmes un peu plus que des '‘clartés de tout".
10.- Un mot résume les défauts que Molière reprochait à l’instruction de son temps: c’est le pédantisme.
106
11. - L’idéal féminin de Molière, c’est Henriette,(des Femmes savantes).
12. - Les grandes pièces de Molière ne rappellent quetrop la vie modeste et bornée que l’usage faisait à la femme.
13. - Le sens du réel est un des traits les plus caractéristiques de la pédagogie féneloni/ienne•
14. - La bonté, la douceur des parents ou des maîtressont plus efficaces que les meilleurs livres.
15. - Le Traité de Fénelon renferme quelques-uns desgrands principes qui servent ae base à la pédagogie moderne.
16. - La plupart des éducateurs de dix-huitième sièclesa sont inspirés des idées de Fénelon sur l’éducation des filles.
17. - Le succès des établissements dirigés par les Ursu-lines doit être attribué en partie à la pédagogie chrétienne qu’elles parvinrent à y faire régner.
18. - Pour l’éducation morale ou mondaine de la femme,on peut trouver au 17ième siècle une série de femmes admirablement douées.
19. - Madame de Maintenon est l’une des institutricesles plus distinguées que la France ait produites.
20. - Le plus grand événement pédagogique pour les jeunesfilles du dlx-3eptième siècle fut la création de Saint-Gyr.
21. - Madame de Sévigné et Madame de Lambert seront l’éternel honneur de leur sexe et de la littérature française•
107
22»- Les femmes sont capables de faire et de défaire les maisons.
23. w C’est sur les genoux des mères que s’élèvent lesconstructeurs ou les destructeurs d’Etats.
24. - Infirma mundi elegit Deus, ut confundat fortia.
25. - Ce que femme veut, Dieu le veut.
108
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Etudes
Le Prêtre Educateur
L’Education selon L’EspritPour la Formation d’uneElite Féminine,.Paris, Joseph Huley, 20 mars 1940.
L’Education des maîtres par les élèves.
Henri Pradel, Mai 1940.
LA
Semaine Religieuse
REVUE DES DEUX MONDES
La Femme et la Société Française dans la Première Moitié du 17ième siècle,
15 janvier 1909.
Etudes sur le 17ième siècle,La Philosphie de Molière, Ferdinand Brunetière, 1890, Tome 4.
Sur l’organisation de lAEnseignement secondaire français,M.F. Brunetière, 1891, Tome 3.
Education et Instruction,Ferdinand Brunetière, 1895,'Tome I.
L’Education des filles,Jules Rochard, 188Ç, Tome I.
Rév. lit, Madame de Maintenon, Ferdinand Brunetière, 1887, Tome I.
de Québec, Notes sur le féminisme.15 février 1940.