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BNS 48 Bulletin trimestriel 1/2000 La Banque centrale européenne et sa politique monétaire Considération critique du débat actuel sur la BCE et son action monétaire par Ernst Baltensperger Professeur ordinaire d'économie politique, Université de Berne De novembre 1998 à octobre 1999, E. Baltensperger a occupé le poste de conseiller extérieur à la division économique de la Banque nationale suisse. Le rapport a été achevé en octobre 1999.

La Banque centrale européenne et sa politique monétaire · ment, à savoir sur les objectifs de masse monétaire et ... pectives d’inflation et des risques d’instabilité des

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BNS 48 Bulletin trimestriel 1/2000

La Banque centrale européenne et sa politique monétaire

Considération critique du débat actuel sur la BCE et son action monétaire

par Ernst BaltenspergerProfesseur ordinaire d'économie politique, Université de Berne

De novembre 1998 à octobre 1999, E. Baltensperger a occupé le poste deconseiller extérieur à la division économique de la Banque nationale suisse. Le rapport a été achevé en octobre 1999.

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L’entrée en fonctions du Système européen debanques centrales (SEBC) et de la Banque centraleeuropéenne (BCE) a eu lieu comme prévu le 1er janvier1999, marquant ainsi la prise en charge par ces insti-tutions de la formulation et de la conduite de la poli-tique monétaire pour l’ensemble de la zone moné-taire européenne. Dans le présent rapport, je mepropose:

– d’exposer brièvement et d’évaluer les princi-paux aspects de la politique monétaire que la BCE amenée jusqu’ici;

– de discuter et d’apprécier les lignes direc-trices et les principes généraux sur lesquels la BCEs’appuie lors de la formulation de sa politique moné-taire;

– d’aborder dans ce contexte les discussionscritiques sur cette question qu’a déclenchées l’actionde la BCE;

– de vérifier si ces discussions peuvent per-mettre de tirer des enseignements utiles à la poli-tique monétaire en général et, partant, à la politiquemonétaire suisse.

Au cœur de ces discussions figure l’évaluationde stratégies alternatives en matière de politiquemonétaire – un débat mené intensément non seule-ment dans la pratique, mais également à un niveauscientifique. Pour l’essentiel, ces discussions oppo-sent les partisans d’un objectif direct d’inflation(Inflation Targeting) et ceux des objectifs de massemonétaire (Monetary Targeting) et visent à évaluer lemélange de ces deux stratégies choisi par la BCE danssa politique. De manière assez artificielle, à mon avis,certains intervenants ont fortement rattaché cedébat à la question de la transparence et de la res-ponsabilité de l’institut d’émission vis-à-vis du publicainsi qu’à la question de la crédibilité de la politiquemonétaire, aspects que je me propose égalementd’aborder dans cet exposé.

En revanche, l’existence, le bien-fondé et lastructure institutionnelle du SEBC seront considéréscomme donnés et ne seront pas discutés ici, à l’ex-ception de certains aspects ayant déjà fait l’objetd’une analyse critique dans le contexte du débat quinous occupe. Les discussions à cet égard ont déjà étémenées intensément à la veille de l’instauration del’UEM, et leurs principaux éléments sont connus.

1 Contexte et évolution de la poli-tique de la BCE jusqu’à aujourd’hui

Les instruments de politique monétaire de la BCEA la veille de l’Union monétaire, les instituts

d’émission des États participants avaient déjà définiet expliqué, dans le cadre des activités de l’Institutmonétaire européen, l’institution qui a précédé laBCE, les instruments de politique monétaire sur les-quels cette dernière entendait se baser pour la miseen œuvre de sa politique monétaire.1 L’instrumentprincipal pour guider le taux du marché monétaire etl’approvisionnement de l’économie en liquidités estl’opération de marché ouvert. Dans sa principalevariante, cet instrument revêt la forme de transac-tions périodiques (hebdomadaires) de pensions detitres (transactions «repo») avec une échéance dedeux semaines (opérations principales de refinance-ment), complétées par des pensions de titres à pluslong terme (trois mois) et à fréquence mensuelle, desmesures ad hoc de réglage fin à court terme pour lis-ser les taux d’intérêt et apaiser le marché monétaireainsi que par des opérations «structurelles» deformes diverses. Dès lors, le «taux de pension detitres» ou «taux repo», c’est-à-dire le taux d’intérêtappliqué aux opérations de pensions de titres,devient le repère décisif pour les autres taux du mar-ché monétaire et l’instrument central de la politiquemonétaire de la BCE conformément aux anciennespratiques de la Banque fédérale allemande et d’au-tres banques centrales importantes.

A cet instrument s’ajoutent deux facilités decrédit permanentes (standing facilities), une facilitéde prêt marginale (marginal lending facility) et unefacilité de dépôt (deposit facility) par l’intermédiairedesquelles les banques commerciales peuvent respec-tivement obtenir des liquidités à court terme de labanque centrale à des conditions d’intérêt détermi-nées ou lui en remettre. Les taux d’intérêt appliquéspour le recours à ces facilités de crédit constituent despoints de repère pour l’argent au jour le jour (over-night liquidity): de fait, le taux d’intérêt de la facilitéde dépôt constitue le plancher et le taux d’intérêt de lafacilité de prêt marginale (marginal lending rate) leplafond du taux de l’argent au jour le jour. Ces opéra-tions de refinancement sont certes réalisées par lesbanques centrales des États membres, mais à desconditions uniformes définies par le Conseil de la BCEpour l’ensemble de la zone euro. Pendant la toute pre-mière phase de l’Union monétaire, ces deux taux ont

1 Institut monétaire européen,«La politique monétaire uniqueen phase III. Documentationgénérale sur les instruments etprocédures de la politiquemonétaire du SEBC», septembre1998.

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été maintenus relativement proches du taux repo (± 0,25 pour cent) afin d’éviter toute difficulté initialeaux établissements financiers participants. Conformé-ment aux intentions originales, ils ont toutefois étérapidement redéfinis pour s’écarter plus fortement dutaux repo (± 1 à 1,5 pour cent), les banques ne devanten effet recourir à ces facilités que dans des cas vrai-ment exceptionnels et non pas comme à des moyensnormaux de refinancement.

Ces instruments sont finalement complétés parune réglementation régissant les réserves minimales(avec maintien des réserves en moyenne pendant unepériode d’un mois et rémunération au taux des opéra-tions principales de refinancement de la BCE). Lesréserves minimales visent à créer une demande «struc-turelle» en monnaie de banque centrale et à stabiliserle taux d’intérêt du marché monétaire.

Malgré certaines différences par rapport à lapratique d’autres banques centrales, notamment lerôle relativement important attribué aux facilités per-manentes, la panoplie d’instruments de la BCE estrestée relativement peu controversée et n’a donc étéque peu discutée et critiquée. Parmi ces instruments,l’application de réserves minimales reste encore le pluscontesté.

Détermination de la stratégie de politiquemonétaireA contrario, un débat parfois virulent s’est

engagé à propos de la stratégie que la BCE doit adop-ter pour réaliser ses objectifs de politique monétaire.Il convient d’examiner ce débat dans le cadre de lacontroverse scientifique menée actuellement à cesujet, car la critique scientifique joue un rôle impor-tant dans les discussions concernant la stratégie dela BCE. Celles-ci portent notamment sur l’alternativeentre les objectifs de masse monétaire (MonetaryTargeting) et les objectifs directs d’inflation (Infla-tion Targeting) ainsi que sur le rôle de la monnaiedans la stratégie monétaire de la banque centrale.

En tant que prédécesseur de la BCE dans leprocessus d’unification économique et monétaire del’Union européenne, l’Institut monétaire européenavait d’abord inclus cinq stratégies potentielles dansses considérations à la veille de l’instauration del’Union monétaire:

– objectifs de taux de change (Exchange RateTargeting);

– objectifs de taux d’intérêt (Interest RateTargeting);

– objectifs de revenu nominal (Nominal IncomeTargeting);

– objectifs de masse monétaire (Monetary Tar-geting);

– objectifs directs d’inflation (Inflation Targe-ting).

Ces stratégies ont été évaluées en fonction deleur contribution à l’efficacité et à la transparence dela politique monétaire, à la possibilité d’examiner etde contrôler (accountability) celle-ci ainsi qu’enfonction de leur concordance avec l’orientation de lapolitique monétaire à moyen terme, de leur continui-té avec le passé et de leur compatibilité avec le prin-cipe d’indépendance de la banque centrale. Les dis-cussions se sont assez rapidement concentrées sur lesdeux dernières stratégies mentionnées précédem-ment, à savoir sur les objectifs de masse monétaire etsur les objectifs directs d’inflation. Ces stratégiesayant chacune ses partisans parmi les institutsd’émission participants, c’est finalement un mélangeréunissant des éléments issus de ces deux orienta-tions qui a été retenu.

Définie dans ses grands axes dès octobre 1998puis précisée et confirmée début 1999,2 la stratégiede politique monétaire de la BCE repose sur trois élé-ments principaux:

– une définition quantitative de l’objectif finalde «stabilité des prix»;

– la détermination d’une valeur de référencepour la croissance de la masse monétaire M3 dans lazone euro;

– une évaluation largement étayée des pers-pectives d’inflation et des risques d’instabilité desprix dans la zone euro.

La stabilité des prix est définie comme unehausse de l’indice harmonisé des prix à la consomma-tion de la zone euro «inférieure à deux pour cent» (à interpréter comme une hausse comprise entre zéroet deux pour cent selon une précision ultérieure duprésident de la BCE, M. Wim Duisenberg). L’orienta-tion retenue s’inscrivant dans le moyen terme, unecertaine marge de fluctuation de l’inflation estacceptée dans le court terme en raison de facteursd’influence qui échappent au contrôle de la politiquemonétaire. La détermination d’un objectif clairementdéfini pour la politique monétaire étant un gage detransparence et un moyen de contrôle (accountabi-lity), elle constitue un élément central de la stratégiemonétaire.

La valeur de référence du taux de croissance deM3 doit être un taux qui, selon les estimations de laBCE, est compatible avec une stabilité des prix àmoyen terme dans la zone euro compte tenu dupotentiel de croissance réelle de l’économie euro-

2 Cf. BCE, Bulletin mensuel,janvier 1999.

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péenne, de la modification tendancielle de la vitessede circulation de M3 et de la situation initiale. Dèslors, sa définition est largement soumise aux mêmesconsidérations que la formulation des anciens objec-tifs de masse monétaire de la Banque fédérale d’Alle-magne. La BCE souligne néanmoins qu’un écart entrela croissance effective de la masse monétaire et cettevaleur de référence ne déclenche pas automatique-ment une réaction de politique monétaire (modifica-tion des taux d’intérêt) mais indique uniquement lanécessité d’intensifier les travaux d’observation etd’analyse. Les décisions de politique monétaire repo-sent sur d’autres indicateurs qui se rapportent aussibien au secteur financier qu’à celui de l’économieréelle, le rôle décisif revenant aux perspectives d’in-flation. La valeur de référence joue cependant le rôled’une ancre nominale fixe pour la politique moné-taire. Contrairement à l’ancienne politique de laBanque fédérale, aucune fourchette de croissance dela masse monétaire n’est fixée. L’agrégat monétaireM3 de la zone euro comprend en outre les fonds dumarché monétaire qui n’étaient pas pris en consi-dération dans l’ancienne définition de la Banquefédérale.

Les perspectives d’inflation sont évaluées par laBCE sur la base d’un large éventail d’indicateurs. Fon-damentalement, toutes les informations disponiblessusceptibles de contribuer à l’évaluation des risquesd’inflation doivent être prises en considération. Ellesincluent aussi bien des variables de type financier,tels les taux d’intérêt et la structure des taux, lesagrégats monétaires et de crédit, les taux de changeet autres prix des actifs, que des données issues del’économie réelle, notamment les indicateurs relatifsà l’offre et à la demande globale de l’économiecomme le déficit de production, les données se rap-portant au marché du travail, l’évolution des coûts,les indicateurs de politique budgétaire, mais égale-ment les résultats d’enquêtes. Ce n’est toutefois quedans le cadre de descriptions très générales que laBCE transmet au public son évaluation des perspec-tives d’inflation. De fait, elle ne publie aucune prévi-sion quantitative de l’inflation comme le prévoit lapoursuite d’un objectif d’inflation proprement dit, etnotamment aucune prévision de l’inflation dans lesens d’un modèle statistique formel.3

C’est notamment sur ce point mais également surle rôle de la masse monétaire dans la stratégie de poli-tique monétaire ainsi que sur la question de la trans-parence de celle-ci et de la possibilité de la soumettreà examen que porte la critique adressée à la BCE, cri-tique qui sera traitée plus en détail par la suite.

La politique monétaire de la BCE jusqu’à aujourd’hui Si les principales décisions stratégiques de la

BCE ont été en partie vivement critiquées par sesobservateurs, la réalisation de la politique monétairepar la BCE n’a suscité que relativement peu de criti-ques, mis à part certains détails et quelques frictionsinitiales, notamment entre l’ancien ministre alle-mand des Finances, M. Oskar Lafontaine, et la BCE.Cela s’explique bien entendu par le fait que la poli-tique monétaire suscite en général la bienveillance etne rencontre que peu d’opposition en phase d’expan-sion et de relâchement des rênes monétaires.

Le taux d’intérêt appliqué aux opérations dumarché ouvert du SEBC (taux repo, taux d’intérêt desopérations principales de refinancement) a été fixé à3% au début de l’année 1999. Il a en fait été repris dela Banque fédérale allemande et des autres institutsd’émission participants, qui l’avaient réduit de con-cert à 3% en décembre 1998 déjà. Les taux d’intérêtde la facilité de prêt marginale et de la facilité dedépôt ont été fixés à 3,25% et à 2,75% pour la pé-riode transitoire. Les écarts par rapport au taux d’in-térêt des opérations principales de refinancementont été délibérément limités à un quart de point pen-dant la phase initiale de l’Union monétaire afin depermettre aux banques des pays participants de sefamiliariser plus facilement avec le nouveau système.Dès le départ, un élargissement de cet écart de 1 à1,5 points de pourcentage pour chaque taux a néan-moins été prévu. Le 21 janvier 1999, ces taux ontdonc été fixés à 4,5 et 2%.

La valeur de référence pour la croissance de M3a été fixée à 4,5% pour 1999. Ce chiffre se basait surles prévisions d’une croissance potentielle réelle de 2 à 2,5% et d’une réduction tendancielle de la vitessede circulation de M3 d’un demi à un point de pourcen-tage par an (pour 1999 «plutôt de 0,5% seulement»)ainsi que sur la définition de la stabilité des prixmentionnée précédemment (taux d’inflation entre 0et 2%).

Lors de la fixation de ces données clés de sapolitique monétaire, la BCE est partie du principe queles perspectives d’inflation pouvaient être considé-rées comme favorables: l’objectif de stabilité des prixdans la zone euro était pratiquement atteint et lesrisques d’inflation n’étaient guère perceptibles. Unetelle situation a permis à la BCE de tenir compte deperspectives conjoncturelles restées plutôt incer-taines en maintenant son taux repo à 3%. La banquea considéré néanmoins une nouvelle baisse commeinadéquate après la réduction de décembre 1998. Elle

3 Entre-temps, la BCE a laisséentrevoir la publication de tellesprévisions ainsi que des modèlessur lesquels elles se basent.

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a étayé la signification de la valeur de référence pourM3 par des analyses tendant à prouver la stabilité re-lativement forte de la demande de masse monétaireM3 dans la zone euro ainsi que celle du rapport entrele niveau des prix et M3.4

En avril 1999, la BCE a modifié pour la premièrefois son taux d’intérêt appliqué aux opérations prin-cipales de refinancement, le réduisant de 50 pointsde base et le faisant donc passer de 3 à 2,5%. Simul-tanément, elle a abaissé les taux de la facilité de prêtmarginale et de la facilité de dépôt à respectivement3,5 et 1,5%. Cette mesure d’assouplissement moné-taire a été décidée parce que l’évolution conjonctu-relle restait modérée, que le taux d’inflation demeu-rait inférieur à 1% et que le taux de croissance de M3s’inscrivait à 5,2%, dépassant de justesse sa valeurde référence. Elle a fait l’objet d’un certain nombrede critiques,5 étant interprétée comme une conces-sion tardive, dépourvue de nécessité économique, àcertaines exigences, notamment de l’ancien ministreallemand des Finances, M. Oskar Lafontaine. Commeles risques immédiats d’inflation étaient alors consi-dérés de manière générale comme minimes et quel’évolution de l’économie réelle laissait toujours àdésirer dans une grande partie de l’Europe, ces cri-tiques sont restées modestes et ont été largementdominées par l’approbation de la majorité.

Durant la première moitié de l’année, les propostenus par d’importants représentants du SEBC ontcontribué à une évolution des changes quelque peudéconcertante. Alors que l’euro avait commencé l’an-née en force, atteignant, dans une certaine euphorie,un cours d’environ 1,17 par rapport au dollar, il aensuite subi une dépréciation allant jusqu’à 10%avant de se ressaisir quelque peu en été et de conti-nuer à se raffermir pendant l’automne. En soi, cetteévolution des changes peut être considérée à la foiscomme la normalisation d’un taux initial surévalué etpar trop optimiste et comme le reflet de la puissancequi caractérise l’économie et la politique économiqueaméricaines. Elle n’a en outre rien d’exceptionnel encomparaison des fluctuations antérieures des mon-naies européennes, y compris du mark allemand, parrapport au dollar. Néanmoins, elle a été de plus enplus perçue par les marchés financiers comme unemarque de défiance vis-à-vis de l’euro et de la poli-tique économique européenne à laquelle il se rat-tache. Cette situation a poussé certains représen-tants de la BCE à faire toute une série de déclarationsparfois quelque peu contradictoires quant au rôle deschanges dans la politique monétaire de la BCE, mani-festant tantôt leur désintérêt à ce sujet «benign

neglect», tantôt l’intention d’en tenir compte. L’EMU-Monitor (1999) a ainsi reproché à la BCE de mal com-muniquer son attitude en matière de changes: d’unepart, la banque affirmerait ne poursuivre aucun ob-jectif de change, de l’autre cependant elle annonce-rait son intervention sur le marché des changes encas d’excès, sans préciser ce qu’elle entend exacte-ment par excès. On lui reproche en outre d’avoir elle-même contribué à l’affaiblissement de l’euro en pro-cédant à une forte réduction des taux d’intérêt enavril. Ses propos relatifs à la situation du marché deschanges ne feraient enfin que semer la confusiondans les esprits et seraient incompatibles avec unepolitique de la BCE axée sur la stabilité des prix.

Même si la croissance de M3 est restée quelquepeu supérieure à sa valeur de référence durant la pre-mière moitié de l’année 1999, elle ne l’a dépasséeque très légèrement et n’a donc suscité que peu decrainte d’une accélération de l’inflation. Ce n’estqu’en juillet que la croissance des agrégats moné-taires et du volume du crédit ainsi qu’une légèrehausse du taux d’inflation (celui-ci restant malgrétout à un niveau très bas) ont engendré un certainscepticisme qui a poussé le président de la BCE, M.Wim Duisenberg, à évoquer une légère tendance à unresserrement de la politique monétaire («... that abias towards a tighter monetary policy was creepinginto the ECB’s deliberations», Financial Times, 20juillet 1999).

En août, alors que la BCE continuait à suivre lecap qu’elle s’était fixée, les avis et spéculationsétaient partagés à parts à peu près égales entre lespartisans et les adversaires d’une modification destaux. Si la croissance de la masse monétaire toujoursun peu trop élevée et l’amélioration des perspectivesconjoncturelles militaient en faveur d’un resserre-ment des rênes monétaires, le renchérissement desprix encore très faible incitait nombre d’observateursà penser qu’une majoration des taux ne s’imposaitpas immédiatement. Aux alentours de la fin du moisde septembre et du début du mois d’octobre, les pers-pectives conjoncturelles de plus en plus favorables etl’émergence de tensions inflationnistes ont poussédivers représentants de la BCE à mettre davantagel’accent sur la possibilité d’un resserrement de lapolitique monétaire européenne.

L’euro et le franc suisseDepuis le début de l’Union économique et

monétaire, la relation entre l’euro et le franc suisseest restée extrêmement stable et n’a été marquée quepar des fluctuations tout à fait minimes. Jusqu’à pré-

4 Cf. BCE, Bulletin mensuel, février 1999.5 Cf. notamment EMU-Monitor1999.

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sent, l’introduction de l’euro n’a par conséquent poséà la Suisse et à la BNS aucun problème digne d’êtrementionné. Incontestablement, ce climat sereinreflète pour une grande part la conduite d’une poli-tique monétaire orientée dans la même direction,axée sur la stabilité des prix à moyen et à long terme,ainsi que l’évolution analogue de l’économie, maiségalement le souci de la Banque nationale de rendre,par sa politique et la façon dont elle la communique,le franc inintéressant aux yeux des spéculateurs.

Malgré toute ma compréhension pour les effortsentrepris, je pense que la BNS devrait égalementveiller à ne pas trop être perçue comme le satellite oucomme le simple vassal de l’Eurosystème. En effet, lerisque de voir le franc de plus en plus considéré surles marchés comme une monnaie «ombre» de l’eurone doit pas être sous-estimé. Une telle situation peutcertes apparaître aujourd’hui comme confortable etsans danger du point de vue de la politique écono-mique et monétaire, elle pourrait toutefois s’avérerégalement brusquement inopportune si l’euro setrouvait pris dans une tourmente et si sa stabilitéétait mise en doute. D’ici là, plus le franc suisse sesera mis dans une position de dépendance par rap-port à l’euro, plus il sera difficile dans un telle situa-tion de vouloir soudain faire de nouveau preuve d’au-tonomie en matière de politique monétaire. Unedépendance croissante pourrait en outre réduire àpeu de choses, voire à néant, les avantages du francen matière de taux d’intérêt.

2 La stratégie monétaire de la BCEen comparaison avec celle d’unobjectif direct d’inflation (Infla-tion Targeting): mise en valeurd’un indicateur sans signification?

Située à mi-chemin entre un objectif de massemonétaire et un objectif direct d’inflation, la straté-gie monétaire de la BCE s’est heurtée dès le départ àde vives critiques de la part des partisans d’un purobjectif d’inflation. Le principal représentant de cescritiques d’un point de vue scientifique est l’écono-miste suédois Svensson qui, dans toute une série depublications, a confronté la stratégie monétaire de laBCE à une forme de la stratégie d’objectif direct d’in-flation qu’il propose d’appliquer: l’objectif de prévi-sion d’inflation («Inflation Forecast Targeting») (cf.par exemple: Svensson 1998, Svensson 1999).6 La cri-

tique de Svensson s’appuie sur deux aspects qu’ilconsidère comme liés, mais que je souhaite traiterséparément ici. Elle s’oppose d’une part à la prise enconsidération et à la mise en valeur de la croissancede la masse monétaire, considérée comme un indica-teur dénué de toute signification de politique moné-taire. Elle dénonce d’autre part l’opacité de la straté-gie de la BCE qui en découle, qui va à l’encontre duprincipe de la responsabilité de la banque centralevis-à-vis du public et de son contrôle par les organeslégitimés par voie démocratique. Le premier de cespoints peut être mis en relation avec le rôle de lamonnaie dans l’analyse des processus de décision enmatière de politique monétaire, le second avec sonrôle dans la communication de la banque centraleavec le public. Je souhaite aborder le premier pointdans le prochain chapitre. Le second point, qui a éga-lement été formulé avec force par Willem Buiter(1999), sera traité dans le chapitre 3.

La stratégie de la BCE ne correspond ni à un purobjectif de masse monétaire ni à un pur objectif d’in-flation, mais elle englobe divers éléments issus de cesdeux concepts. Svensson déplore que la BCE chercheà s’appuyer largement sur l’évolution de la massemonétaire aussi bien dans son analyse que dans sacommunication de la politique monétaire à l’opinionpublique. Il est persuadé qu’une telle stratégie mènerasoit à une politique monétaire inefficace et en deçàdes objectifs fixés (dans le cas d’une orientation versun «strict» objectif de masse monétaire), soit à unecomplication inutile de la politique monétaire (avecles conséquences que cela implique pour sa communi-cation et sa transparence).

Le cadre de l’analyse de SvenssonPour comprendre cette critique, il est nécessaire

d’esquisser le cadre théorique dans lequel Svenssoninscrit son analyse de l’objectif direct d’inflation et del’objectif de masse monétaire. L’analyse de Svenssonrepose sur un modèle macroéconomique relativementconventionnel qui suppose une connaissance exactedes rapports structurels entre les différents agentséconomiques, ainsi que de la structure des décalagestemporels. Les seuls facteurs d’incertitude considérésapparaissent sous la forme d’éléments perturbateursadditionnels indépendants de la structure du modèleet des décalages temporels. Le taux d’intérêt (le seulà apparaître dans le modèle) est traité comme un ins-trument de la banque centrale et apparaît dès lorscomme une variable déterminée exclusivement par lebiais de la politique monétaire. Selon les grandeslignes de ce modèle, la banque centrale procède à un

6 De nombreux auteurs argu-mentent de façon analogue,notamment Bofinger (1999)Bernanke et consorts (1999) ouencore Blinder (1998).

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abaissement du taux d’intérêt afin de stimuler lademande de l’économie et donc de relever le niveaude production et de revenu, avec un décalage d’unepériode, et vice-versa. En situation «neutre», le tauxd’intérêt déterminé coïncide exactement avec le tauxd’intérêt réel «naturel» après déduction du taux d’in-flation prévu, c’est-à-dire avec le taux d’intérêt réelcorrespondant à un écart de production égal à zéro etdonc à une demande se situant exactement au niveaude production potentiel. Lorsque le taux d’intérêtdéterminé est supérieur à ce niveau, l’écart de pro-duction est positif, et vice-versa. La modification dutaux d’inflation par rapport à la période précédenteest donc déterminée par l’écart de production (de lapériode précédente), c’est-à-dire par une courbe dePhillips de court terme. Par sa politique de taux d’in-térêt, la banque centrale détermine dès lors le niveaude revenu avec un décalage d’une période et le tauxd’inflation avec un décalage de deux périodes. Bienentendu, les effets de la politique monétaire peuventêtre masqués à court terme par l’influence devariables perturbatrices mais sans aucune consé-quence sur les rapports de cause à effet sur lesquelss’appuie la politique monétaire.

La politique de la banque centrale étant carac-térisée dans ce modèle comme une pure politique defixation du taux d’intérêt, la banque centrale doitadapter en permanence la masse monétaire à lademande de monnaie correspondant au taux d’intérêtdéterminé. Ici aussi, Svensson suppose toutefois undécalage d’une période dans l’adaptation de lademande de monnaie aux modifications de taux d’in-térêt. La politique des taux d’intérêt de l’institutd’émission détermine donc la masse monétaire demanière strictement endogène, avec une période dedécalage. Aucune interaction n’est supposée existerentre la masse monétaire, les taux d’intérêt et la pro-duction ou le revenu pendant la période en cours. Apartir de ce modèle, il est tout naturel de penser quela masse monétaire et la demande de monnaie nepeuvent jouer qu’un rôle de second ordre dans ladéfinition de la politique monétaire – ce qui est exac-tement la conclusion à laquelle Svensson aboutitdans son analyse.

Svensson part du principe que la banque centra-le devrait s’efforcer, par le biais de sa politique, deminimiser les écarts du taux d’inflation par rapport àl’objectif d’inflation fixé tout en faisant égalementson possible pour empêcher la production et le revenud’osciller autour de leur valeur normale. Il a toutefoisraison de souligner qu’une nette asymétrie opposeles cibles en matière d’inflation et de production.

Alors que la banque centrale détermine, par le biaisde sa politique, aussi bien le taux d’inflation moyen(tendanciel) que les fluctuations du taux d’inflationautour de cette valeur moyenne, elle doit considérerle niveau moyen de production (niveau de productionpotentiel) comme donné et se limiter à agir sur lesfluctuations de la production autour de cette valeurmoyenne. Dans ce sens, il n’existe pour la politiquemonétaire aucun objectif de production qui puisseêtre choisi par la banque centrale comme elle peutchoisir l’objectif d’inflation.

A quoi ressemble une politique monétaire opti-male dans un tel contexte? A l’évidence, il convientdans les conditions modélisées par Svensson que labanque centrale adapte directement ses moyens d’ac-tion à l’objectif final poursuivi, soit à l’objectif«Inflation». Lorsque la structure du modèle estconnue dans tous ses détails, il est toujours possiblede calculer sans aucune difficulté le dosage exact desmoyens concordant avec l’objectif final poursuivi.Une stratégie monétaire axée sur un objectif intermé-diaire, quel que soit cet objectif, apparaît à l’éviden-ce comme superflue. En d’autres termes: un proces-sus d’optimisation direct en une seule étape apparaîtcomme idéal, une procédure de décision en deuxétapes avec un objectif intermédiaire est quant à ellesuperflue et n’a aucune légitimation. Bien entendu,en cas de facteurs d’incertitude sous forme d’élé-ments perturbateurs additionnels, la déterminationdes instruments ne permet d’extrapoler que la réali-sation moyenne ou «prévue» de l’objectif, c’est-à-dire qu’il est possible de déterminer le dosage desinstruments de façon à garantir la réalisation de l’ob-jectif final dans sa valeur moyenne ou anticipée. C’estexactement ce que Svensson décrit par objectif d’in-flation («Inflation Targeting») ou, en cas de facteurd’incertitude additionnel, par objectif de prévision del’inflation («Inflation Forecast Targeting»): la banquecentrale réagit aux écarts entre les prévisions de l’in-flation et son objectif d’inflation avec l’instrumentdont elle dispose et procède au dosage de sa mise enœuvre de façon à faire concorder le taux d’inflationprévu avec l’objectif d’inflation. Dans de telles condi-tions, les variables constituées par la masse monétai-re et la demande de monnaie ne peuvent jouer un rôled’indicateur de la politique monétaire que lorsque lesinformations qu’elles présentent ont leur importancepour les prévisions de l’inflation, ce qui, comme nousl’avons vu précédemment, n’est à l’évidence pas lecas dans le modèle de Svensson: la masse monétairey est considérée comme un agrégat déterminé rétro-activement, avec un décalage d’une période, par le

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7 Cf. Friedman (1975) ou Niehans (1978).

taux d’intérêt fixé par la banque centrale et lademande de monnaie, et elle ne peut jouer aucun rôledans les décisions de la banque centrale en matièrede politique monétaire.

Cette théorie constitue la toile de fond devantlaquelle Svensson discute l’objectif de masse moné-taire et la stratégie de la BCE. Pour ce qui est de l’ob-jectif de masse monétaire, il fait une distinction entreune version «stricte» et une version «flexible». Dansle cas d’un objectif de masse monétaire strict, labanque centrale considère la masse monétairecomme une cible intermédiaire supplémentaire (enplus de la cible finale d’inflation), la cible intermé-diaire étant déterminée de manière à être compatibleen valeur escomptée avec le taux d’inflation visé. Labanque centrale s’efforce alors de limiter les écartsentre la masse monétaire et cette valeur-cible.Comme nous l’avons déjà vu précédemment, une tellestratégie n’est pas optimale dans le cas d’une struc-ture économique connue de tous les agents, dont lacomplexité n’est accrue que par des éléments pertur-bateurs additionnels.7 Dans le cas d’un objectif demasse monétaire flexible, la banque centrale prenden considération la problématique mentionnée ci-dessus et réajuste en permanence l’objectif intermé-diaire de manière à ce que celui-ci reste compatibleavec l’objectif final visé. Cette version est beaucoupplus proche de ce que pratiquent en réalité les insti-tuts d’émission poursuivant une politique d’objectifsde masse monétaire et est en définitive équivalente àl’objectif de prévision de l’inflation de Svensson(c’est pourquoi Svensson parle également d’un«objectif d’inflation déguisé») et donc à une straté-gie certes efficace mais inutilement complexe (et qui,selon Svensson, entrave la communication de labanque centrale avec le public, cf. chapitre 3). Pourcette raison, la stratégie monétaire de la BCE estselon lui mal choisie et inacceptable, car en accor-dant à la masse monétaire un rôle de premier plan,elle adopte, ne serait-ce que partiellement, les pro-cédures propres à l’objectif de masse monétaire.

Le rôle de l’incertitude dans la structure dumodèle et de celle des décalages temporelsUne telle interprétation de l’objectif de masse

monétaire est-elle judicieuse? Je pense que Svenssonn’apprécie pas vraiment à leur juste valeur l’objectifde masse monétaire et le rôle qui échoit à la massemonétaire dans une stratégie de politique monétaire.Dans le cadre de la réflexion de Svensson, c’est-à-direen l’absence de toute incertitude quant à la structuredes modèles et des décalages temporels, une procé-

dure d’optimisation en une seule étape est toujourspréférable et une variable monétaire en tant qu’ob-jectif intermédiaire n’a à l’évidence pas sa place.Cette vérité n’est d’ailleurs contestée par personnedans la littérature relative à cette question. Certes, ilest vrai qu’à mon sens une stratégie en deux étapesavec un objectif intermédiaire n’a jamais vraiment étélégitimée avec rigueur et de manière satisfaisante surun plan formel. De fait, les arguments correspon-dants ont toujours été apportés verbalement et sansgrande précision. Il a cependant toujours été clairque la légitimation d’une stratégie d’objectif inter-médiaire doit se fonder essentiellement sur l’incerti-tude dans la structure du modèle et des décalagestemporels; cf. par exemple: Brunner et Meltzer(1969) ou Friedman et ses «décalages longs etvariables» (Friedman, 1959, 1968). Si l’on voulaitanalyser sérieusement l’objectif de masse monétaire,défini comme un processus en deux étapes avec unobjectif intermédiaire, il conviendrait donc de consi-dérer la discussion à ce niveau et de vérifier si cettestratégie trouve, dans de telles conditions, une légi-timation comme simplificateur de procédure («rule ofthumb»). Les partisans de cette manière de voir n’ontjamais vraiment revendiqué autre chose. Cependant,ce n’est pas ce que fait Svensson. Au lieu de cela, ildémontre quelque chose qui n’est en fin de comptenullement controversé, à savoir le caractère idéald’un processus d’optimisation en une seule étapeavec une connaissance exacte de la structure desmodèles et des décalages temporels. Dans ce contex-te, il convient de rappeler que l’incertitude dans lastructure du modèle et des décalages temporels figu-re parmi les principaux défis qui marquent aujour-d’hui la réalité de l’économie et de la politique éco-nomique. Je crois donc que Svensson traite l’objectifde masse monétaire à un niveau sur lequel il n’a nul-lement besoin d’être traité et que, à l’inverse, il ne letraite pas au niveau sur lequel il faudrait qu’il le soit.

Formulation de modèles de substitution etrôle de la monnaie dans la politique monétaireMais même en argumentant sur la base d’une

connaissance exacte de la structure des modèles etdes décalages temporels garantissant l’efficacitéd’une procédure de décision en une seule étape, ilconvient, d’une manière générale, de remettre enquestion les conclusions de Svensson selon lesquellesla masse monétaire et la demande de monnaie consti-tuent des variables dénuées de signification pour unepolitique monétaire optimale. Ces conclusions sontsans aucun doute tout à fait justes pour le modèle

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considéré par Svensson. Il est néanmoins tout à faitpossible de prendre en compte d’autres spécificationsde la structure économique, qui sont a priori aussilégitimes et défendables que celles retenues parSvensson, mais qui remettent en question ses conclu-sions en rendant à la monnaie un rôle potentielle-ment important pour la politique monétaire. Dans lasuite de cette étude, quatre possibilités sont envi-sagées qui modifient de manière significative lemodèle de Svensson dans ce sens.

a. Taux du marché monétaire opposé au taux dumarché des capitaux et modélisation explicite duprocessus de contrôle monétaireLa réflexion de Svensson est basée sur un mo-

dèle qui, conformément au modèle standard macro-économique le plus répandu (IS-LM, AS-AD), ne com-prend qu’un seul taux d’intérêt et un seul agrégatmonétaire. Sans aucun doute, l’utilisation d’unmodèle d’un tel niveau d’abstraction est idéale pourl’analyse de nombreuses questions relatives à lamacro-économie et à la théorie monétaire. Toutefois,elle ne permet pas de décrire le processus par lequella banque centrale influe, à l’aide des instruments quilui sont propres, sur les marchés monétaires et finan-ciers, et donc sur le taux d’intérêt du marché descapitaux et les divers agrégats monétaires. Dans cesconditions, il convient de se demander si elle est vrai-ment à même d’offrir un cadre approprié à l’analyseexplicite du processus de contrôle monétaire et desstratégies monétaires de substitution. Au lieu decela, nous avons la possibilité de considérer un mo-dèle permettant une distinction explicite entre tauxd’intérêt du marché monétaire et du marché des capi-taux et également entre le marché de la monnaie cen-trale (monnaie de base) et celui des agrégats moné-taires de définition plus large. La banque centralepeut alors utiliser comme son propre instrument letaux d’intérêt du marché monétaire, tout comme laplupart des instituts d’émission ont coutume de lefaire. Le taux d’intérêt du marché des capitaux, quijoue un rôle déterminant pour la demande globale del’économie nationale, est en revanche défini demanière endogène par les forces du marché. Les anti-cipations concernant les divers secteurs du marchéfinancier et monétaire (et donc les demandes rela-tives de monnaie centrale, d’agrégats monétaires dedéfinition plus large et d’autres actifs financiers) etles caractéristiques de liquidité relatives à ces sec-teurs jouent dans ce contexte un rôle déterminant,car elles posent les conditions pour un équilibre surces marchés. Dès lors, le rapport entre les différents

taux d’intérêt se trouve également déterminé par lesdéplacements relatifs entre l’offre et la demande surces marchés, c’est-à-dire par des facteurs financierset monétaires, et les masses monétaires ainsi que lesdemandes de monnaie retrouvent un rôle potentielle-ment important pour la politique monétaire, et celamême dans un cadre qui correspond par ailleurs àcelui de Svensson. Il en résulte une prise en considé-ration de facteurs et d’effets communément qualifiésde «chocs aux multiplicateurs monétaires», qui ontune importante tradition dans la théorie monétaireet macro-économique établie. Ces chocs ont fait l’ob-jet d’intenses discussions, menées notamment dansles années 60 et 70 par des auteurs comme Brunner etMeltzer (1968) ou encore Tobin (1969), mais ontdepuis été largement relégués – à tort – à l’arrière-plan. Un contrôle du taux d’intérêt du marché moné-taire n’implique donc pas de contrôle direct du tauxd’intérêt (nominal et réel) du marché des capitaux,car l’évolution et les perturbations du marché moné-taire et des marchés financiers déterminent le rap-port entre ces deux taux. Dans la pratique de la poli-tique monétaire, nul ne contestera que celacorresponde à la réalité, ce qui rend le rapport entrela politique monétaire (taux d’intérêt du marchémonétaire) et la demande globale de l’économiebeaucoup moins transparent que ne le suggère lemodèle standard de Svensson. Dès lors, le marchémonétaire ne se laisse plus rattacher - tel un simpleappendice - à un modèle de détermination de l’infla-tion et de la production qui ne dépend pas de lui,comme c’est le cas chez Svensson.

b. Equation de substitution pour la détermina-tion de l’inflationL’analyse de Svensson repose sur une équation

de l’ajustement de l’inflation qui détermine le tauxd’inflation essentiellement à partir du taux d’infla-tion et de l’écart de demande de la période précé-dente. Une autre formulation du processus de déter-mination de l’inflation, qui semble a priori tout aussilégitime, explique les ajustements du niveau des prixet de l’inflation à partir de l’écart entre la détentioneffective de monnaie et la détention réelle et souhai-table à long terme de celle-ci ou, en d’autres termes,à partir de l’«écart des prix» tel qu’il est défini par lesymbole P*. Il faut certes reconnaître que cette équa-tion de l’ajustement des prix ne repose sur aucun fon-dement micro-économique incontesté. Cependant, ilen va de même des équations alternatives qui concer-nent l’ajustement des prix, notamment de la courbede Phillips qui joue un rôle privilégié chez Svensson

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et dans les modèles macro-économiques standards.Dans le sens de la tradition théorique, ces deuxméthodes ont des mérites comparables et la méthodealternative dont il est question ici reflète mêmemieux l’opinion théorique traditionnelle (et relative-ment facile à transmettre au public) selon laquellel’inflation constitue un phénomène fondamentale-ment monétaire. Selon cette dernière formulation, lamasse monétaire et la demande de monnaie exercentune action directe sur la prévision de l’inflation et,partant, sur la formulation de la politique monétaire.L’observation empirique selon laquelle les agrégatsmonétaires peuvent réellement contribuer dans uneimportante mesure à l’optimalisation des prévisionsde l’inflation milite également en faveur de cette for-mulation de substitution (cf. par exemple: Jordan1999).

c. Simultanéité entre le taux d’intérêt, la massemonétaire et la demande de biens et effetsstabilisateurs automatiques d’une politique dela masse monétaireL’analyse de Svensson repose sur une succession

spécifique d’événements au cours desquels la banquecentrale détermine le taux d’intérêt de la période encours et influe par ce biais sur la demande globale, leniveau de production et la masse monétaire de lapériode suivante ainsi que sur le taux d’inflation deuxpériodes plus tard. A l’exception de la politiquemonétaire et des influences perturbatrices cou-rantes, tout est déterminé d’avance pour la périodeen cours. La politique monétaire pour la période t estdonc effectivement la politique monétaire pour lapériode t+1 (et t+2). Ce modèle ne permet pas detempérer les effets d’une perturbation (non antici-pée) de la demande pendant la période t exercés surle niveau de production de cette période. Le choix parla banque centrale d’un taux d’intérêt pour la périodet n’exerce aucun effet pendant cette période, ni sur lemarché des biens ni sur le marché monétaire. Parconséquent, il serait par exemple possible de doublerle taux d’intérêt en vigueur pendant la période t sansque cela ne perturbe en quoi que ce soit les condi-tions du marché monétaire pendant cette période, cartous les effets ne se feront sentir qu’à partir de lapériode t+1.

Est-il judicieux d’analyser les processus de poli-tique monétaire à l’aide de modèles excluant lasimultanéité du taux d’intérêt, de la masse monétaireet des chocs de la demande à l’intérieur d’une mêmepériode? A mon sens, il est permis d’en douter, que cesoit pour des modèles annuels ou même trimestriels.

D’un point de vue fondamental, les décisions rela-tives aux taux d’intérêt restent également des déci-sions relatives aux quantités de liquidités ou auxquantités de monnaie. Une spécification appropriéedu marché monétaire et de la politique monétairedevrait être à même d’exprimer d’une façon ou d’uneautre ce rapport de simultanéité.

C’est d’ailleurs ce que fait, dans une très largemesure, l’analyse traditionnelle de la politique moné-taire. De fait, toute l’analyse initiée par Poole (1970)concernant l’alternative entre les stratégies de massemonétaire et les stratégies de taux d’intérêt dans lapolitique monétaire repose précisément sur cettesimultanéité et sur les divers effets de stabilisateursautomatiques qu’elle entraîne pour ces deux types destratégie. Dans un modèle permettant une certainesimultanéité dans la détermination du taux d’intérêt,de la masse monétaire et de la demande globale (cequi n’exclut pas l’existence d’autres rapports différésde cause à effet), l’institut d’émission peut choisirson «instrument» – à l’opposé de la méthode deSvensson – en utilisant soit un taux d’intérêt, soit unagrégat monétaire. Dans le premier cas, il doit(comme chez Svensson) laisser aux forces du marchéle soin de déterminer la masse monétaire, dans lesecond cas le soin de déterminer le taux d’intérêt.Comme chacun sait, l’avantage d’une stratégie de lamasse monétaire réside, selon Poole, précisémentdans le fait que lorsque la masse monétaire est fixée,la hausse du taux d’intérêt provoquée automatique-ment par une augmentation de la demande globaleexerce elle-même un effet stabilisateur sur la de-mande, ce qui n’est pas le cas lorsque le taux d’inté-rêt est fixé par l’institut d’émission. À l’inverse, dansle cas d’une perturbation d’ordre monétaire, c’estbien entendu une stratégie de taux d’intérêt qui serala plus avantageuse.

Il existe donc certaines conditions selon les-quelles une politique de fixation de la masse moné-taire est préférable à une politique de fixation dutaux d’intérêt. Il est clair que, dans de tels cas, lapolitique optimale est celle qui permet à la massemonétaire et à la demande de monnaie de jouer leurrôle. Or, le cadre de l’analyse de Svensson exclut apriori la possibilité de tels effets. La structure dumodèle sur lequel il base ses réflexions ne permet enaucun cas de discuter une politique de fixation de lamasse monétaire et ses avantages selon Poole. Eneffet, pour Svensson, l’unique instrument politiquedont dispose la banque centrale est le taux d’intérêtet non la masse monétaire.

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Il faut souligner que cette problématique n’arien à voir avec le fait que la plupart des institutsd’émission utilisent un taux du marché monétaire etnon un agrégat monétaire comme instrument dans lamise en œuvre de leur politique. En ce qui concerne letaux d’intérêt qui apparaît dans le modèle macro-éco-nomique standard retenu par Svensson, il convient dene pas l’interpréter comme un taux du marché moné-taire mais comme un taux du marché des capitaux,car c’est lui qui détermine en partie la demande glo-bale. Or, le taux du marché des capitaux n’est pasplus un instrument direct de la politique de la banquecentrale que les agrégats monétaires dans un senslarge ; il constitue plutôt, comme ces derniers, unevariable déterminée de manière endogène par un pro-cessus de contrôle monétaire en relation étroite avecles instruments appropriés. Si nous argumentons aumême niveau d’abstraction que le modèle macro-éco-nomique standard retenu par Svensson, nous sommesen droit, pour simplifier, de considérer aussi bien lamasse monétaire que le taux du marché des capitauxcomme des instruments, et ce que l’institut d’émis-sion agisse ou non par le biais d’un taux du marchémonétaire au niveau opérationnel (non modélisé ici).Il s’agit ici bien plutôt de savoir si et dans quellesconditions la banque centrale est en mesure, enaxant sa politique sur la masse monétaire, d’apporterà cette politique un élément stabilisateur qui reste-rait sinon sans effet. D’entrée de jeu, en excluant unetelle possibilité lors de la formulation de son modèle,Svensson fait pencher sa discussion en défaveur de lamonnaie.

d. Incertitudes quant au taux d’intérêt réel«naturel» Aujourd’hui, les divers modèles de la politique

monétaire partent en général du principe que labanque centrale n’a aucune difficulté à utiliser sesinstruments de façon à réaliser «en moyenne» (c’est-à-dire en l’absence de facteurs perturbateurs) sesobjectifs. Dès lors, l’unique critère appliqué pourl’évaluation de processus alternatifs est la minimisa-tion des fluctuations des variables choisies commecible autour de cette valeur moyenne, c’est-à-dire,dans le cas d’un objectif d’inflation, la minimisationdes variations du taux d’inflation autour de l’objectifd’inflation fixé. Les discussions relatives à la poli-tique monétaire sont donc dominées par desréflexions visant à la stabilisation de court terme. Je pense toutefois que, dans la pratique de la poli-tique monétaire, le principal problème consiste leplus souvent à trouver des voies assurant que le taux

d’inflation tendanciel ne s’écarte pas du sentierobjectif fixé. Ainsi, dans le cas d’une stratégie demasse monétaire, le problème principal consistera,étant donné l’incertitude de l’évolution et de la sta-bilité de la demande de monnaie, à trouver le «bon»taux de croissance tendanciel de la masse monétaire,c’est-à-dire le taux compatible avec le taux d’infla-tion visé. La difficulté d’une telle tâche est souventalléguée comme motif principal de renoncer à unestratégie de la masse monétaire. On passe néanmoinsrelativement souvent sous silence que les processusalternatifs, notamment dans le cas d’un objectif d’in-flation, impliquent un problème tout à fait compa-rable et potentiellement aussi difficile à résoudre.

Un objectif direct d’inflation présente bien sûrl’avantage – tout comme chaque processus qui prendvraiment au sérieux l’objectif de stabilité des prix –d’empêcher l’inflation de s’éloigner durablement duchemin menant à l’objectif fixé, un tel comportemententraînant inévitablement tôt ou tard la prise demesures monétaires correctives. Toutefois, l’un desdéfis principaux de la politique monétaire consisteégalement à nous éviter de suivre – même momenta-nément – un mauvais chemin. Plus les dérapagesseront découverts et corrigés rapidement, plus lesécarts correspondants resteront minimes et de courtedurée et plus les mesures correctives nécessairespourront être modérées. Les propos relatifs auxobjectifs directs d’inflation, y compris ceux de Svens-son, supposent généralement que les décideurs éco-nomiques (et les autres agents de la vie économique)connaissent exactement le niveau du taux d’intérêtréel «naturel». Celui-ci est utilisé en permanencecomme point de repère pour la détermination du tauxd’intérêt servant d’instrument à l’institut d’émission.Le taux d’intérêt réel naturel est le taux qui maintientle marché des biens en parfait équilibre en l’absencede perturbations, c’est-à-dire qui génère une deman-de de biens égale à la production potentielle et quigarantit un écart entre le PIB réel et potentiel égal àzéro. Une mauvaise évaluation du taux d’intérêtnaturel entraîne une détermination erronée du tauxd’intérêt qui sert d’instrument à l’institut d’émission,c’est-à-dire une politique monétaire inadéquate, dumoins par rapport à celle qui devrait être réaliséeconformément à la stratégie de l’objectif direct d’in-flation.

Le maintien d’une différence de taux d’un demi,voire d’un pour cent pendant une certaine durée peutêtre lourde de conséquences pour la politique moné-taire. Or, qui sait exactement si la véritable valeur du taux d’intérêt réel naturel est aujourd’hui de 2%,

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2,5%, 3% ou autre? Ce taux est également délicat à déterminer à partir de l’observation de telle ou telle donnée économique. Je suis convaincu qu’uneenquête parmi les experts en la matière révélerait latrès grande incertitude qui règne à ce sujet. Etantdonné que les discussions concernant les objectifsdirects d’inflation ignorent en général une tellesource d’erreurs, cette stratégie est présentée sousun jour trop favorable par rapport à celle qui attribueà la masse monétaire un rôle de premier ordre en tantqu’indicateur. Une comparaison appropriée devrait sefonder sur des bases de discussion comparables.

ConclusionEn déduire pour autant que la stratégie de la

BCE est inefficace uniquement parce qu’elle attribueà l’évolution de la masse monétaire un rôle de pre-mier plan me semble constituer une conclusion unpeu rapide et qui, sous cette forme, n’est pas justi-fiée. La critique de Svensson dépend fortement dumodèle considéré, qui correspond certes, sous cer-tains aspects, au modèle macro-économique stan-dard, mais qui est également très spécifique sousd’autres aspects et est donc peu adapté à l’analyse du processus décisionnel et effectif de la politiquemonétaire. Il y a encore de bonnes raisons, à mesyeux, d’attribuer à la monnaie un rôle de premier plandans le cadre d’une politique monétaire axée fonda-mentalement sur un objectif d’inflation ou de stabi-lité des prix. A vrai dire, qu’une telle stratégie s’ap-puie sur l’un ou l’autre de ces deux «piliers» situéscôte à côte, comme c’est le cas de la BCE, ou qu’ellese base simplement sur un indicateur considérécomme essentiel pour l’évaluation précise des pers-pectives d’inflation – ce qui apparaît comme plusapproprié d’un point de vue purement logique – estselon moi relativement secondaire. Quoi qu’il en soit,partant de cette perspective, la stratégie de la BCEme paraît somme toute parfaitement défendable etne mérite pas la critique massive qui lui est adresséeen raison de l’importance qu’elle accorde à l’évolu-tion de la masse monétaire.

3 La stratégie de la BCE en compa-raison avec un objectif de massemonétaire

La stratégie de la BCE a également été soumise àdes considérations critiques et à une évaluationdétaillée de la part de partisans de l’objectif de massemonétaire. Un groupe d’économistes intervenant en Allemagne sous le nom d’EMU-Monitor (P. Artus, E. Bomhoff, J. von Hagen, M.J.M. Neumann et A. Penati) a notamment fait part, dans divers commu-niqués de presse, de sa position vis-à-vis de la poli-tique et de la stratégie de la BCE. Lors de leur premièredéclaration, faite en été 1998,8 ces observateurs, quiargumentent dans la tradition du monétarisme et de lapolitique monétaire de la Banque fédérale d’Alle-magne, ont recommandé à la BCE une stratégie axéesur un objectif d’inflation à moyen terme et impliquantpour sa réalisation une politique de contrôle de lamasse monétaire (objectif de masse monétaire) s’ins-crivant dans le prolongement de l’ancienne pratiquede la Banque fédérale.

Il se conçoit aisément que ces observateurs nereprochent pas à la BCE, contrairement à de nombreuxpartisans de l’objectif direct d’inflation, de considérerl’évolution de la masse monétaire comme un élémentimportant de sa stratégie. Bien au contraire, les cri-tiques exprimées au sujet de la formulation de cettestratégie se concentrent sur le fait que la BCE se soitdécidée non pas clairement en faveur d’un pur objectifde masse monétaire, mais pour un mélange. Dans lesrecommandations données dans le cadre de sa premiè-re déclaration, le groupe avait exprimé sa réprobationvis-à-vis d’une stratégie mixte en arguant qu’une tellestratégie jetait la confusion dans les esprits en mélan-geant les responsabilités et en compliquant le contrô-le des performances. Ce reproche me semble toutefoisinjustifié, du moins sous une forme aussi générale. Defait, un mélange de deux stratégies distinctes pourraitavoir de telles conséquences si ces deux stratégiesétaient contradictoires et incompatibles dans leursobjectifs. Si leurs objectifs sont les mêmes cependantet si ces deux stratégies sont fondamentalement com-patibles, les conséquences pourront être tout autres:un objectif de masse monétaire a au fond la même cibled’inflation que l’objectif direct d’inflation lui-même.Dans de telles conditions, les deux stratégies ne sontaucunement en contradiction.

Les observateurs de l’EMU-Monitor semblentfinalement être également parvenus à cette conclu-sion: tout compte fait, la stratégie annoncée de la BCE

8 EMU-Monitor: Press State-ment No. 1, Center for EuropeanIntegration Studies, 9 July 1998.

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est suffisamment proche de leur stratégie idéale, pourleur permettre de la saluer dans leur deuxième décla-ration de décembre 1998 et de l’approuver à nouveaudans leur troisième déclaration de juin 1999.9 La valeurde référence de la croissance de M3 aurait la mêmefonction que l’objectif de masse monétaire de laBanque fédérale, à savoir l’ancrage de l’inflation et desperspectives d’inflation. Tout comme l’objectif demasse monétaire de la Banque fédérale, cette valeurreposerait sur des hypothèses relatives à la croissancetendancielle du revenu réel et à la vitesse de circula-tion de la monnaie. Les observateurs de l’EMU-Monitorrecommandent toutefois à la BCE de remplacer lavaleur de référence ponctuelle de la croissance de M3par une marge de référence. En raison des incertitudesconcernant le cadre dans lequel la BCE doit opérer, ils’imposerait à l’avenir de vérifier et, au besoin,d’adapter cette valeur de référence. Dans le cas où celas’avérerait nécessaire, la BCE ne devra pas reculerdevant une telle adaptation, mais devra en exposer lesraisons de manière convaincante.

Le groupe de l’EMU-Monitor a un peu trop ten-dance à revendiquer les stratégies de la BCE en lesassimilant à un «objectif de masse monétaire de facto»et à reléguer le deuxième «pilier» de cette stratégie, àsavoir l’importance accordée aux perspectives d’infla-tion, au rang d’accessoire à caractère purement déco-ratif. En inversant les choses, une telle attitude n’estpas sans rappeler celle de Svensson qualifiant l’objec-tif de masse monétaire («flexible») d’objectif d’infla-tion de facto («objectif d’inflation déguisé»). L’une etl’autre de ces attitudes sont bien entendu, jusqu’à uncertain point, tout à fait justifiées. Elles prouventnéanmoins surtout que dans la pratique, un objectif demasse monétaire «raisonné» et un objectif d’inflationcorrespondant ne sont pas aussi éloignés l’un del’autre qu’il n’y paraît souvent dans les discussions defond menées à un niveau théorique. Il conviendraitainsi de mettre un terme aux polémiques entre cesdeux positions menées avec une ardeur quasi religieuse.

Tout comme les opposants appartenant au campde l’objectif direct d’inflation, le groupe de l’EMU-Monitor déplore le manque de transparence et de pos-sibilité de contrôle («accountability») qui a caractériséjusqu’ici la politique de la BCE. Par ses critiques, ilsemble néanmoins surtout vouloir exprimer que, jus-qu’à présent, la BCE n’a pas toujours agit de manièreoptimale dans sa politique de communication, sanspour autant établir de rapport direct avec la stratégiede politique monétaire de la BCE (comme le fait Svens-son) ni exiger la mise en œuvre de mesures institu-tionnelles telles que la publication des procès-verbauxdes séances et des comportements individuels de vote.

4 Transparence et obligation derendre compteLa politique monétaire de la BCE manque-t-elle

de transparence et les dispositions obligeant à rendrecompte au public sont-elles insuffisantes? Un grandnombre de critiques ont adressé des reproches de cetype à la BCE. Ces reproches sont soit mis directementen relation avec les moyens de politique monétairechoisis par la BCE, soit considérés indépendammentde ces derniers comme la conséquence de disposi-tions institutionnelles insuffisantes.

Il ne fait aucun doute que la transparence etl’obligation de rendre compte constituent des élé-ments d’une importance absolument essentielle pourla politique monétaire. Ce point fait pratiquementl’unanimité parmi les participants au débat relatif à lapolitique de la BCE. L’obligation de rendre compte estle pendant nécessaire de l’indépendance de labanque centrale et joue un rôle décisif dans la légiti-mation démocratique de sa politique. Aussi bien l’in-dépendance de la banque centrale que l’obligation derendre compte impliquent indubitablement la défini-tion d’un objectif précis et d’une tâche explicite enmatière de politique de la banque centrale. La banquecentrale est indépendante en ce qui concerne la réa-lisation de la tâche qui lui a été attribuée et son obli-gation de rendre compte se rapporte à la réalisationde cette même tâche. La transparence des décisionsde politique monétaire renforce la compréhension decette dernière par le public, réduit les incertitudes etaccroît ainsi son efficacité. Elle conditionne égale-ment l’efficacité de l’évaluation et du contrôle de lapolitique de la banque centrale. De bons comptesrendus et une forte transparence rendent la politiquemonétaire crédible. Ils incitent vigoureusement labanque centrale à faire tout ce qui est en son pouvoirpour axer sa politique sur les objectifs qui lui ont étéimposés et pour réaliser ces objectifs dans toute lamesure du possible. Si tel est le cas des banques cen-trales en général, cela vaut tout particulièrementpour une nouvelle monnaie et une nouvelle banquecentrale, qui ne reposent encore sur aucune traditionet ne bénéficient donc d’aucune crédibilité basée surcelle-ci.

Mais que signifient concrètement «transparen-ce» et «dispositions à rendre compte»? L’interpréta-tion de ces éléments et de leurs implications enmatière d’institution et de moyens d’action estactuellement l’objet de discussions parfois assezvives. De divers côtés, la BCE se voit reprocher entermes relativement violents un manque de transpa-

9 EMU-Monitor: Press State-ment No. 2 and 3, Center forEuropean Integration Studies, 17 December and 2 June 1999.

BNS 61 Bulletin trimestriel 1/2000

rence et de disposition à rendre compte. Les partici-pants à ces discussions se distinguent toutefois lesuns des autres par le sens qu’ils donnent à leur cri-tique. Nombreux sont ceux qui font preuve de secta-risme et qui parfois s’orientent trop fortement surdifférents modèles nationaux de banque centrale. Enrevanche, certaines réflexions mériteraient d’êtreconsidérées davantage.

Dans quelle mesure les critiques de la BCE peu-vent-ils lui reprocher un manque de transparence etde disposition à rendre compte? Quelles sont lesconséquences qui en découlent et comment convient-il de les évaluer? C’est à ces questions que je me pro-pose de répondre dans le présent chapitre.

Fondements de la critiqueLes membres du groupe de l’EMU-Monitor déjà

mentionné précédemment sont ceux qui vont lemoins loin dans leur critique. Dans leur troisièmedéclaration de juin 1999, ils reprochent certes à laBCE un manque crucial de transparence mais se réfè-rent au premier chef d’une part aux déclarations par-fois contradictoires de divers représentants de la BCEquant au rôle du taux de change dans la politiquemonétaire européenne et d’autre part à la justifica-tion de l’abaissement des taux d’avril 1999, peuconvaincante à leur avis. La critique se concentre enpremier lieu sur les carences de la politique de com-munication sans pour autant placer cette dernièredans une relation de cause à effet avec l’action depolitique monétaire de la BCE, cette actionrecueillant bien au contraire l’approbation quasigénérale du groupe. Aux yeux de ce dernier, le princi-pe de la transparence exige pour l’essentiel une poli-tique monétaire cohérente à long terme, mise enœuvre sur une base claire et compréhensible pour lepublic et compatible avec la mission confiée à labanque centrale. Une telle exigence implique pourune grande part un cadre d’argumentation cohérentpour l’analyse et la communication de la politiquemonétaire. Le groupe souligne à juste titre que cetteposition de base est plus importante que des mesuresspécifiques comme la publication des procès-verbauxdes séances. Une politique monétaire clairement for-mulée et facile à communiquer ainsi que l’apparitionfréquente de représentants de la BCE en publicconstituent aux yeux du groupe un outil efficace pourla réalisation de cette tâche. Le groupe reste enrevanche sceptique vis-à-vis d’exigences telles quecelles se rapportant à la publication des procès-ver-baux des séances, des comportements individuels devote des membres du conseil de la BCE et des prévi-

sions d’inflation. Il semble donc approuver pour l’es-sentiel les moyens d’action et les mesures institution-nelles choisis par la BCE mais critique néanmoins lamise en œuvre des tâches imparties, du moins celle serapportant à la communication pendant les six pre-miers mois de la BCE, et ne considère pas la politiquemonétaire de celle-ci comme convaincante sur tousles plans. De fait, ce reproche ne me paraît pas com-plètement injustifié. Dans le même temps, il convientcependant d’ajouter qu’aucune banque centrale aumonde n’est – et ne sera jamais – entièrement à l’abride ce type d’erreur.

Svensson est celui qui va le plus loin dans sa cri-tique. De fait, il est le seul à mettre en relation lemanque de transparence et de comptes rendus avecsa condamnation de la «stratégie monétaire des deuxpiliers» choisie par la BCE et qu’il considère commeune politique monétaire inefficace en comparaisonavec un objectif direct d’inflation. Une stratégie«obscure» et inefficace entraînerait obligatoirementl’opacité de la politique monétaire et constitueraitune entrave à des comptes rendus efficaces. Comme ila déjà été exposé dans le chapitre 2, Svensson pré-sente l’objectif de prévision de l’inflation proposé parlui comme une procédure optimale de la politiquemonétaire et considère la stratégie de la BCE commeinefficace. Il lui reproche en effet d’accorder uneimportance primordiale à une variable qui n’a selonlui aucune signification pour la politique monétaire,à savoir la masse monétaire M3, en en faisant l’un desdeux piliers de sa politique monétaire et de ne pasvouloir utiliser le pilier de prévision de l’inflation,que Svensson considère pourtant comme essentiel,qu’à un niveau interne et non dans le cadre de sacommunication avec l’extérieur. Toutefois, en inter-prétant avec suffisamment de souplesse les objectifsde masse monétaire et les valeurs de référence decette dernière, il serait également possible de procé-der à la formulation et à la présentation d’une poli-tique monétaire efficace en passant par la massemonétaire. Une telle démarche serait néanmoinsinutilement complexe et fatalement obscure et ineffi-cace sur le plan de la communication.

J’ai déjà expliqué dans le chapitre 2 pourquoi jetiens cette approche comme étant trop étriquée – carportée par une confiance quasi aveugle dans unmodèle économique particulier – et pourquoi je laconsidère comme indéfendable d’un point de vuegénéral. Par ailleurs, Svensson s’oriente – toutcomme Buiter, dont je vais examiner maintenant lacritique – très fortement sur les moyens d’action depolitique monétaire récemment retenus comme

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modèle par le gouvernement britannique pour laBanque d’Angleterre et également utilisés sous uneforme similaire par la Sveriges Riksbank, la banquecentrale suédoise. Il reprend les exigences formuléesdans le cadre de ce modèle au sujet de la publicationdes procès-verbaux des séances du comité directeurde la banque centrale, des votes individuels desmembres de ce comité et enfin des prévisions de l’in-flation sur lesquelles reposent les décisions de cedernier. Il emprunte à Tabellini (1998) l’exigenced’un contrôle renforcé de la BCE par le Parlementeuropéen.

Un autre critique de la BCE depuis fort long-temps est Willem H. Buiter (1999) qui, en tant quemembre du Monetary Policy Committee de la Banqued’Angleterre, souhaiterait voir pour l’essentiel uneBCE calquée exactement sur le modèle de la Banqued’Angleterre. À part le fait qu’il ne met pas sa critiqueen liaison directe avec la stratégie de politique moné-taire de la BCE, Buiter argumente exactement commeSvensson et préconise les mêmes mesures et procé-dures institutionnelles calquées sur celles de laBanque d’Angleterre; mesures et procédures qu’ilconvient selon lui de mettre en œuvre de toute urgence si l’on ne veut pas mettre en péril l’Unionmonétaire et l’euro.

Dans ce qui suit, je me propose d’aborder une àune les principales critiques et propositions de modi-fication des moyens d’action énoncées et d’exposerma position par rapport à chacune d’elles.

L’objectif d’inflation de la BCE est-il assezclairement défini?L’indépendance de la banque centrale ainsi que

l’efficacité des comptes rendus et du contrôle desperformances monétaires impliquent que la banquecentrale se fixe un objectif précis pour sa politique.Cet objectif a déjà été imposé en termes formels parle statut de la BCE tel qu’il est défini dans le traité deMaastricht. De fait, l’objectif prioritaire qui a étéretenu consiste à garantir la stabilité des prix dans lazone euro. Mais qu’entend-on concrètement par «sta-bilité des prix»? La BCE a d’abord défini cet objectifcomme une «hausse de l’indice harmonisé des prix àla consommation dans la zone euro inférieure à deuxpour cent par rapport à l’année précédente» tout enprécisant que sa réalisation devait être envisagée àmoyen terme. Une telle précision montre bien qu’unpilotage précis de l’inflation est impossible à courtterme et que, par conséquent, l’institut d’émissiondoit accepter jusqu’à un certain degré – compte tenuégalement de sa tâche subsidiaire consistant à soute-

nir la politique économique générale – la fluctuationdu taux d’inflation autour de l’objectif fixé. En nefixant pas l’objectif symétriquement aux alentours dezéro, la définition prend en compte le fait que, en rai-son des améliorations de la qualité des biens et à desdistorsions statistiques, le taux d’inflation mesurédépasse toujours quelque peu la valeur «réelle» durenchérissement.

L’expression «inférieure à 2%» ayant donné àcertains observateurs l’impression que la BCE neconsidérait aucune valeur plancher dans la formula-tion de son objectif, même si une telle interprétationest visiblement incompatible avec la tâche fixée parle traité de Maastricht et donc de toute évidenceinconcevable, le BCE a précisé ultérieurement qu’ilconvenait de l’interpréter comme étant «supérieure à0 et en deçà de 2%». Néanmoins, même si cette pré-cision a suffi à élucider, pour la plupart des observa-teurs, la question de la mise en œuvre adéquate del’objectif fixé, certains critiques la considèrent en-core comme déficiente. Ainsi, Buiter lui reproche dene pas spécifier explicitement si l’objectif visé est«symétrique» ou «asymétrique», de ne pas détermi-ner la position exacte de l’objectif «central» visé(exactement au milieu de cette marge de fluctuationou à une autre position) ou encore de ne pas men-tionner s’il s’agit tout simplement d’une «zone d’in-activité» à l’intérieur de laquelle la BCE ne voit aucune raison de réagir. Il se demande en outre si un indice des prix différent de celui choisi par la BCEne serait pas plus approprié. Des objections similairessont également formulées par Bofinger (1999).

Cette critique est à mes yeux assez mesquine etdifficilement compréhensible. En effet, si la politiquemonétaire européenne ne donne lieu à aucune incer-titude substantielle à part celle de la position exactevisée par la BCE dans une fourchette entre 0 et 2% etcelle de la conception symétrique ou asymétrique decette marge de fluctuation, nous aurons toutes lesraisons d’être satisfaits. D’ailleurs, toute banque cen-trale dispose d’une telle latitude dans ses formula-tions. De même, les problèmes relatifs au choix del’indice des prix se posent pour chaque formulationd’objectif et pour chaque stratégie et ne sont doncpas spécifiques à la BCE.

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La critique de Buiter laisse constamment trans-paraître un plaidoyer en faveur d’un système moné-taire calqué sur le modèle de la Grande-Bretagne,système dans lequel la Banque d’Angleterre ne dispo-se que d’une indépendance au niveau de la mise enœuvre et où l’objectif d’inflation lui est imposé par legouvernement, à savoir actuellement un objectifsymétrique de 2,5%. (L’indépendance au niveau de lamise en œuvre est encore limitée par une clause envertu de laquelle le gouvernement peut l’abrogerdans des «conditions économiques extrêmes»). Bui-ter omet cependant de considérer qu’un tel objectifpouvant être modifié chaque année par les autoritéspolitiques dans un sens très difficile à prévoir par lesopérateurs du marché, sa précision et son degré decontrainte sont donc, à long et à moyen terme, net-tement en deçà de ceux d’un objectif de «stabilité desprix» imposé par la constitution ou par un traitéinternational. Pour cette raison, un tel système est àmon sens nettement inférieur en ce qui concerne laclarté et le caractère obligatoire de l’objectif formulé.

La BCE devrait-elle publier les procès-verbauxde ses séances?La question de savoir si – et sous quelle forme –

la BCE devrait publier les procès-verbaux des séancesde son Conseil fait actuellement l’objet d’intensesdiscussions. Je trouve de telles discussions surpre-nantes, car elles reposent presque exclusivement surdes querelles de mots. Notamment divers partisansd’un l’objectif direct d’inflation comme Svensson,Buiter et d’autres revendiquent avec force la publica-tion de ces documents (avec un certain décalage). Iciégalement, la Banque d’Angleterre mais aussid’autres institutions importantes qui satisfont sousune forme ou sous une autre à cette exigence, tels leSystème fédéral de réserve des États-Unis ou laBanque du Japon, sont considérées comme lesmodèles à suivre. La BCE, quant à elle, refuse de seplier à cette exigence.

En règle générale, c’est une publication desprocès-verbaux sans citation des prises de positionqui est préconisée, afin de tenir compte de l’argu-ment selon lequel les délibérations perdraient sinontout leur sens, les véritables débats ayant alors lieudans d’autres cadres et les séances officielles nedevenant plus que de simples plates-formes pour lalecture de déclarations «préfabriquées» à l’adressedu public. Les procès-verbaux publiés devraient êtrele reflet des principales réflexions et argumentationsformulées et informer sur la façon dont les résolu-tions ont été prises (y compris sur le comportementde vote de chaque membre, point sur lequel nousreviendrons par la suite). Une publication sous cetteforme n’entraverait en rien la liberté des débats lorsdes séances.

Il ne fait aucun doute que si une banque centra-le souhaite satisfaire aux exigences de transparenceet de responsabilité, elle doit pouvoir justifier sesdécisions de politique monétaire de manière claire ettransparente et être apte à les défendre vis-à-vis dupublic. Si elle désire rester efficace dans sa politiqueet dans la communication de cette dernière, elle doiten outre agir dans le cadre d’une stratégie consé-quente et cohérente dans le temps. L’évaluation de lasituation peut être marquée par des incertitudes etdes points de vue divergents. En outre, les alterna-tives qui ont été l’objet de discussions peuvent êtreexposées, de même que les réflexions qui ont joué unrôle déterminant pour les résolutions finales. En casde doutes substantiels, il ne convient en aucun cas defeindre une certitude absolue.

Toutefois, une telle exigence peut tout aussibien être satisfaite dans des rapports mensuels etd’autres publications et déclarations que par la publi-cation de procès-verbaux de séance. Issing (1999)relève à juste titre que «davantage de mots» ne signi-fie pas toujours «davantage d’informations» et queles conférences de presse mensuelles du président dela BCE qui suivent immédiatement les séances duConseil de la BCE, en plus des rapports mensuels de laBCE et de leurs informations, livrent exactement ceque les critiques revendiquent sous le nom de «sum-mary minutes». Selon lui, les arguments sur lesquelsreposent les décisions de la BCE y sont présentés endétail et donc soumis au débat public.

Je partage cet avis. En principe, la forme souslaquelle ces informations sont livrées ne devrait jouerqu’un rôle secondaire. Du reste, il convient de consi-dérer que les procès-verbaux officiels tels que ceuxdu Monetary Policy Committee de la Banque d’Angle-terre sont édités une première fois et vérifiés par les

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participants avant leur publication, et que ceux duFederal Open Market Committee des États-Unis nesont que des résumés très généraux des discussionsmenées. Il ne saurait donc être question de véritables«procès-verbaux» et encore moins de reproductiontextuelle. On pourrait même prétendre à juste titrequ’il s’agit presque d’un double jeu consistant àbrouiller les pistes en qualifiant de tels documents deprocès-verbaux («minutes») pour mieux simuler unetransparence qui n’est pas vraiment réelle.

Sur ce point, je perçois la position de Buitercomme très intégriste et marquée par une forte ten-dance à ne considérer comme juste que sa proprevariante institutionnelle (ici la solution britannique)- en n’hésitant pas, à l’occasion, à présenter cettepratique, qui n’a en fin de compte qu’un ou deux anset n’a donc pas encore eu l’occasion de faire sespreuves, comme reposant sur une longue et solidetradition. La confusion entraînée par le dernier relè-vement des taux de la Banque d’Angleterre en sep-tembre 1999 prouve d’ailleurs clairement que lemodèle de communication britannique n’accomplitpas non plus les miracles que Buiter lui attribue. Lapolitique de communication du Système fédéral deréserve des États-Unis, l’un des instituts d’émissionles plus riches en traditions et, ces derniers temps,également l’une des plus performants, montre égale-ment à intervalles réguliers à quel point il est diffi-cile de satisfaire dans la pratique aux exigences d’unepolitique monétaire transparente et à quel pointquelques mots de trop peuvent parfois perturber lesesprits au lieu de les éclairer.

Publication des votes des membres du Conseilde la BCE?L’exigence traitée au point précédent est étroi-

tement liée à celle de publier les votes individuels desmembres du Conseil à la suite des résolutions de cedernier. Ces deux propositions sont généralementformulées d’un seul souffle. Ici aussi, la Banqued’Angleterre, le Système de réserve et récemment la Banque du Japon se voient attribuer un rôle demodèle.

Bien entendu, les motifs se situent cette fois-cià un niveau légèrement différent. Les principalesrevendications visent ici à la responsabilité indivi-duelle des membres du Conseil, par opposition à laphilosophie de la responsabilité collective préféréepar la BCE (Issing 1999). Conformément à une tellephilosophie, le Conseil, qui prend ses décisions entant qu’institution collégiale, est également respon-sable en tant que tel vis-à-vis du public, ce qui est

incompatible avec l’idée d’une responsabilité indivi-duelle de ses membres. D’une façon ou d’une autre,les responsabilités individuelles ne peuvent êtremanifestes dans un comité collectif poursuivant unobjectif unitaire.

Le principal argument invoqué par les partisansd’une responsabilité individuelle des membres duConseil est une motivation accrue de ces dernierspour prendre les décisions qui s’imposent et doncl’optimisation des décisions collectives. Un tel argu-ment est certes valable en soi, mais je suis d’accordavec Issing (1999) lorsqu’il déclare que la publicationdes votes individuels ne peut vraiment remplir cettefonction que lorsqu’elle révèle pour chaque argumentl’identité de son auteur et le détail de son raisonne-ment, c’est-à-dire lorsque les procès-verbaux sontpubliés en mentionnant le nom de chaque interve-nant. Selon Issing, il est impossible, dans le cascontraire, d’interpréter et d’évaluer correctement lescomportements de vote. Et comme même les plus fer-vents partisans de la publication des minutes sontopposés à ce que soit nommés les intervenants (etpour de bonnes raisons), la revendication perd toutfondement.

Toutefois, le principe de collégialité pourraitégalement avoir l’avantage de garantir une plus gran-de résistance contre les risques de comportementspopulistes, consistant à éviter la prise de décisionsimpopulaires. Ces risques pourraient revêtir uneimportance toute particulière notamment dans lecadre de l’Union monétaire européenne – encore for-tement marquée par l’appartenance aux états et auxtraditions nationales. En fin de compte, ce qui appa-raît comme primordial pour la politique monétaire,c’est la bonne compréhension des réflexions et desdécisions sur lesquelles elle se base et non pas ladivulgation de noms et de comportements lors desvotes.

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Publication des prévisions d’inflation?L’un des reproches les plus souvent adressés à la

BCE est qu’elle ne publie ses «perspectives d’infla-tion» que de manière très générale et peu précise etsurtout qu’elle ne communique pas explicitement sesprévisions d’inflation internes ni les fondements et laméthodologie sur lesquelles celles-ci s’appuient.L’évaluation des perspectives d’inflation constituantcependant un pilier de sa stratégie, la BCE devraitégalement être en accord avec ses principes et veillersur ce point à une plus ample ouverture de sa poli-tique d’information, ce qui devrait notamment impli-quer la publication de ses prévisions d’inflation. Cen’est qu’à cette condition que les observateurs de lapolitique de la BCE pourraient être en mesure d’éva-luer si les performances de cette politique sont sim-plement le résultat d’un coup de chance ou de mal-chance ou d’une bonne ou mauvaise politique(Buiter). Conformément à ses prémisses d’objectif deprévision de l’inflation, Svensson est lui aussi parti-culièrement strict dans cette exigence. Sur ce point,il constate à juste titre qu’il s’agit ici en premier lieude prévisions d’inflation conditionnelles, c’est-à-direde prévisions basées sur la détermination d’une cer-taine évolution du taux d’intérêt et donc sur une cer-taine ligne de politique monétaire. Selon lui, ce sontnotamment les prévisions d’inflation supposant untaux d’intérêt inchangé par rapport à la périodeactuelle («unchanged-interest-rate forecasts») quisont décisives lorsqu’il s’agit de déterminer si labanque centrale devrait procéder ou non à une modi-fication des taux: selon ce point de vue, un change-ment de cap de la politique monétaire s’impose àchaque fois que les prévisions d’inflation ainsi éta-blies s’écartent de l’objectif d’inflation fixé. Svens-son souligne que de telles prévisions sont essen-tielles non seulement pour les résolutions internes dela BCE, mais également pour sa communication avecl’extérieur et la compréhension de sa politique par lepublic. Une fois de plus, il renvoie à l’exemple desbanques centrales qui s’orientent sur le modèle d’unobjectif direct d’inflation dans la pratique de leurpolitique monétaire.

La BCE rejette de telles requêtes en arguant quela publication de prévisions d’inflation n’amélioreraitni la transparence, ni la clarté de sa politique: eneffet, celle-ci n’est pas basée sur un objectif directd’inflation et ne poursuit pas d’«objectif d’inflationopérationnel» plus ou moins comparable à l’objectifd’inflation de la Banque d’Angleterre, mais repose sursa propre «stratégie de politique monétaire axée surla stabilité». A ses yeux, les prévisions d’inflation ont

certes un rôle à jouer dans cette stratégie mais uni-quement en tant que contribution à l’évaluation desperspectives d’inflation, c’est-à-dire de l’un des deuxpiliers de sa stratégie. Or, la publication de prévisionsd’inflation spécifiques pourrait suggérer qu’uneinfluence extrême leur est attribuée et donc entraînerune certaine confusion concernant la stratégie effec-tivement poursuivie (Issing 1999).

Sur ce point, je suis d’accord pour l’essentielavec ceux qui critiquent la BCE, les arguments de labanque ne me convainquant pas vraiment. Bienentendu, la politique monétaire d’une banque cen-trale – même d’une banque centrale poursuivantexplicitement un objectif d’inflation – ne peut repo-ser sur une seule et unique prévision d’inflation déri-vée d’un modèle statistique et économique privilégié.En raison de l’incertitude dans laquelle nous sommesau sujet de la structure des relations statistiques àconsidérer, une telle démarche serait beaucoup troprisquée. Toutefois, rien ne semble s’opposer à lapublication de prévisions d’inflation, c’est-à-dired’éléments qui contribuent à l’évaluation généraledes perspectives d’inflation. C’est justement en expo-sant les fondements de ces prévisions et les hypo-thèses sur lesquelles elles reposent que l’on pourraexpliquer et souligner le rôle limité de chacuned’elles dans l’ensemble de l’évaluation et de la stra-tégie. Il convient de procéder ici de la même façonque pour la croissance de M3 et sa valeur de réfé-rence, celle-ci étant au fond considérée elle aussicomme une simple prévision d’inflation axée sur lemoyen terme. Cela n’implique pas pour autant quel’on doive obligatoirement condenser toutes lesinformations significatives en une seule valeur (pré-vision) et n’exclut pas que l’on accorde une impor-tance primordiale (selon moi à juste titre) en premierlieu aux prévisions à long et à moyen terme. Du reste,lorsque les prévisions d’inflation ont un très hautdegré d’incertitude, il convient d’en tenir comptetout comme des chiffres relatifs à la croissance de M3,c’est-à-dire de la manière la moins mécanique pos-sible. En ce sens, je pense que la BCE peut et doitpublier ses prévisions d’inflation et faire part desfondements sur lesquels elles reposent. Pourvue desexplications nécessaires au sujet de l’utilisation et durôle de ces prévisions dans la stratégie de politiquemonétaire, une telle démarche serait tout à fait apteà contribuer à la transparence et à la compréhensionde cette politique.

Certes, Issing (1999) n’a pas tout à fait tortlorsqu’il reproche aux critiques de la BCE de considé-rer la publication des prévisions d’inflation comme un

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critère trop exclusif du principe de transparence et deresponsabilité. Cependant, il exagère en estimantque les publications sont obligatoirement néfastes eten présentant les choses comme s’il était pratique-ment impossible d’atteindre le degré de relativisationet de qualification nécessaire à l’interprétation adé-quate d’une prévision d’inflation, entièrement à l’in-verse du problème tout à fait comparable de la valeurde référence de la croissance de M3. Tout aussi exagé-rée est sa crainte que les prévisions d’inflation baséessur l’hypothèse d’un taux d’intérêt inchangé pour-raient engendrer une certaine confusion, émettre dessignaux erronés et saper la crédibilité de la politiquemonétaire parce qu’elles peuvent s’écarter – de parleur nature – de l’objectif d’inflation visé. Je ne com-prends pas pourquoi l’argumentation suivantedevrait spécialement entraîner la confusion: «Pour untaux d’intérêt inchangé, le taux d’inflation devraits’inscrire à x%. Cette valeur étant supérieure (infé-rieure) à notre objectif d’inflation de y%, nous nousvoyons dans l’obligation de resserrer (relâcher) lesrênes de la politique monétaire». Ce type d’argumen-tation est exactement celui auquel nous devonsrecourir pour formuler une stratégie de la massemonétaire. Répétons le, nous utilisons pour une stra-tégie de masse monétaire la croissance de cette der-nière en tant que simple prévision d’inflation axéesur le moyen terme.

Si je peux faire preuve d’une certaine compré-hension à l’égard du peu d’empressement de la BCE àpublier des prévisions d’inflation, c’est tout au plusparce que dans l’environnement monétaire de l’UEMnouvellement créé et éventuellement encore quelquepeu instable, les prévisions d’inflation sont naturel-lement très difficiles à établir et caractérisées par untrès haut degré d’incertitude. Mais un tel arguments’applique aussi à la détermination d’une valeur deréférence adéquate pour la croissance de M3 et, avecles modifications et les transpositions qui s’impo-sent, mutatis mutandis, pour toute autre stratégiepossible et imaginable de la BCE.

Les dispositions destinées à permettre à la BCE de rendre compte sont-elles insuffi-santes?Divers critiques considèrent une plus forte par-

ticipation du Parlement européen à la déterminationet au contrôle de la politique monétaire européennecomme souhaitable. Un tel souhait se base sur lanécessité d’une plus forte responsabilité de la BCEvis-à-vis des institutions légitimées démocratique-ment et, partant, vis-à-vis de la société européenne.

Tabellini (1998) a formulé différentes proposi-tions tendant à imposer à la BCE, via le Parlementeuropéen, une stratégie de politique monétaire axéesur un objectif direct d’inflation, c’est-à-dire à retirerdes mains de la BCE les décisions portant sur la stra-tégie à suivre en matière de politique monétaire pourla confier aux politiciens. Par ce moyen, il désire pourl’essentiel conférer à la politique monétaire euro-péenne un cadre institutionnel correspondant à celuide la Banque d’Angleterre. Ces propositions sont éga-lement appuyées par Buiter et par Svensson. A ce pro-pos, Buiter pense à la création d’une commissioncomposée par exemple de membres du Parlementeuropéen et de la Cour de justice européenne, quipourraient faire des recommandations à caractèreobligatoire déterminant les mesures de politiquemonétaire à mettre en œuvre par la BCE. Pour mapart, je pense que la création d’une telle commissionabrogerait un facteur primordial de l’indépendanceattribuée à la BCE dans les statuts de cette dernière et serait incompatible avec l’esprit du traité deMaastricht, et cela même si Tabellini cherche à éluderce problème d’un point de vue formel en envisa-geant d’imposer sa proposition par voie institution-nelle, via une convention entre le SEBC et le Parle-ment européen (mais néanmoins «at the initiativeand insistence of the European Parliament»).

Cette proposition minerait à mon avis le traitéde Maastricht et ferait de l’indépendance de la BCEune véritable farce. Certes, je partage en générall’opinion selon laquelle le Parlement européendevrait s’affirmer et être renforcé dans son rôle. Tou-tefois, la politique monétaire me semble être – indé-pendamment de l’attribution des compétences fixéedans le traité de Maastricht – l’un des secteurs lesplus inadéquats qui soient pour la réalisation d’un teldessein. Un Parlement européen sans véritables com-pétences, exception faite de la politique monétaire,n’est pas à mon avis souhaitable.

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5 Que peuvent nous enseigner lesdiscussions en cours sur les procédures de politique monétairede la BCE?

La quasi totalité des points soulevés lors desdiscussions en cours sur l’action de politique moné-taire de la BCE revêtent une signification générale etprésentent un grand intérêt non seulement pour laBCE, mais pour la politique menée par les banquescentrales dans leur ensemble. Dans le cas de laSuisse, nombre de ces questions ont une importanceessentielle dans le contexte de la révision actuelledes dispositions constitutionnelles relatives à lamonnaie et de la loi sur la Banque nationale. Dans leprésent chapitre, je me propose de résumer lesconclusions que je crois pouvoir tirer de ces discus-sions pour la politique monétaire en général et doncégalement pour la politique monétaire suisse.

– Les discussions montrent tout d’abord quenon seulement chez les représentants de la BCE maiségalement parmi ses critiques dans le camp des parti-sans d’un objectif direct d’inflation, pratiquementtous s’accordent à penser que la politique monétairedoit donner priorité à un objectif de stabilité des prixou à un objectif d’inflation – celui-ci devant être,pour la quasi majorité des participants aux discus-sions, compatible au moins approximativement avecla stabilité des prix – et que, par ailleurs, un rôle sub-sidiaire peut être attribué à la stabilisation de l’éco-nomie réelle (limitation des fluctuations de la pro-duction et de l’emploi). La différence essentielleentre ces deux niveaux d’objectifs est clairement for-mulée par Svensson: alors que la banque centraledétermine par sa politique aussi bien la tendance del’inflation, c’est-à-dire la valeur moyenne du tauxd’inflation à long terme, que les fluctuations du tauxd’inflation autour de cette valeur moyenne, elle n’estpas en mesure d’influer sur l’évolution tendanciellede la production et de l’emploi. Celle-ci est définiepar l’économie réelle, la politique monétaire contri-buant uniquement à déterminer les fluctuations deces variables autour de leur position tendancielle.Cela montre bien que le niveau des prix est l’uniquevaleur sur laquelle la politique monétaire – et seule-ment elle – peut influer à long terme, alors qu’elle esten mesure d’agir à court terme également sur la pro-

duction et l’emploi. De là résulte la hiérarchie évo-quée précédemment au sujet des tâches attribuées àla politique monétaire: la stabilité des prix en tantque tâche prioritaire et la stabilisation de l’économieréelle en tant qu’objectif supplémentaire subsidiaire.J’ai pu constater dans l’ensemble de la littératurerelative à cette question qu’un très large consensusrégnait à l’heure actuelle sur ce sujet.

– La controverse qui oppose les partisans d’unl’objectif direct d’inflation, d’un objectif de massemonétaire et de la stratégie mixte de la BCE mesemble prendre des proportions excessives à plu-sieurs égards. Je ne veux pas dire pour autant que lesrésultats sont toujours les mêmes, quelle que soit lastratégie menée, le présent rapport montrantd’ailleurs clairement que j’ai mes préférences. Il estvrai néanmoins que les différences entre toutes cesstratégies – dans la mesure où celles-ci sont mises enœuvre intelligemment et avec la souplesse nécessaireet qu’elles prennent suffisamment en compte l’envi-ronnement dans lequel elles opèrent – ne sont pasaussi importantes qu’il peut y paraître de prime aborddans les discussions de principe menées au niveauthéorique. Les particularités intellectuelles et lesprétentions à l’originalité jouent dans ces polé-miques un rôle qu’il convient de ne pas négliger.

Personnellement, j’estime que les points essen-tiels qui détermineront finalement le succès oul’échec de la mise en œuvre de la politique monétairesont liés aux questions suivantes:

– la politique monétaire de la banque centraleprend-elle vraiment au sérieux l’objectif de stabilitédes prix ? (contrairement aux années 60 et 70, c’estaujourd’hui heureusement le cas de pratiquementtoutes les banques centrales importantes)

– la banque centrale s’appuie-t-elle dans sapolitique sur une stratégie claire et cohérente dans letemps, c’est-à-dire sur un modèle de pensée pour sestravaux d’analyse et sa communication?

– Je ne partage pas l’idée selon laquelle lamasse monétaire constitue une variable dénuée detoute signification et qu’elle ne devrait donc joueraucun rôle dans la formulation et la communicationde la politique monétaire, que son utilisation consti-tue en outre une entrave à la transparence de la poli-tique monétaire et devrait par conséquent êtrecondamnée. Une telle idée me semble souffrir forte-ment d’une dépendance par rapport à un modèle par-ticulier et n’est donc pas convaincante d’un point devue général. A mon avis, les arguments qui persistentà accorder un rôle important à la masse monétairesont jusqu’ici de loin les plus convaincants.

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– Les prévisions d’inflation peuvent contribuerde manière importante à la formulation et à la com-munication de la politique monétaire. Cela n’estaucunement en contradiction avec l’utilisation, pourla croissance de la masse monétaire, d’une valeur deréférence comme celle qu’utilise la BCE et qui sert en définitive elle aussi à une prévision de l’inflationaxée sur le moyen terme. Dans ce contexte, ilconvient naturellement de spécifier le rôle des prévi-sions d’inflation et de l’expliquer au public avecautant de soin que celui de la masse monétaire et desa valeur de référence. Toutefois, il serait selon moinaïf de croire que le recours à l’objectif de prévisionde l’inflation résout de manière automatique tous lesproblèmes de la politique monétaire. Un objectif deprévision de l’inflation est en effet tout aussi délicatet difficile à mettre en œuvre que les autres straté-gies de politique monétaire.

– La transparence et la responsabilité de lapolitique monétaire constituent des éléments essen-tiels du succès. La quasi totalité des participants auxdiscussions sont d’accord sur ce point. Jusqu’à pré-sent toutefois, je n’ai toujours pas pu me convaincreque la publication des procès-verbaux de séances etdes votes individuels des membres des organes dedécision de la banque centrale était importante à cetégard. A mon sens, il s’agit là de discussions détour-nées de leur sens premier et empreintes d’un certainmanichéisme.

– Ce qui apparaît essentiel, c’est que la poli-tique monétaire et ses décisions soient clairementexposées et étayées, et ce sous quelque forme que cesoit. C’est finalement ni plus ni moins le succès de lapolitique monétaire, mesuré par rapport aux objectifsfixés, qui est décisif, et donc le choix d’un processusde décision qui ne conduise pas à des erreurs systé-matiques. Il est clair cependant qu’aucune banquecentrale et aucun processus de mise en œuvre ne pas-seront l’épreuve du temps sans aucune erreur.

– Je suis convaincu qu’il faut préférer une des-cription suffisamment précise des tâches de labanque centrale dans la constitution ou un traitéinternational et associée à la garantie de l’indépen-dance de l’institut d’émission dans la poursuite deces tâches, à l’imposition chaque année par le gou-vernement d’un objectif (par exemple un objectifd’inflation), qui sera moins précis et moins «transpa-rent» pour le public. Le modèle britannique, quirépartit de cette façon les compétences de la poli-tique monétaire, ne me semble pas constituer uneamélioration par rapport au modèle de l’UEM ancrédans le traité de Maastricht, bien au contraire. Cequ’il ne faudrait en aucun cas accepter serait uneréglementation qui non seulement donnerait au Par-lement un rôle dans l’obligation de rendre compteassumée par la banque centrale (ce qui est justifié),mais conférerait au législatif un droit de codécisiondans le choix des processus de politique monétaire(ce qui minerait entièrement le principe d’indépen-dance de la banque centrale et entraînerait une poli-tisation de la politique monétaire).

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6 Autres problèmes de l’UEM et duSEBCLes procédures de politique monétaire choisies

par la BCE sont l’objet de discussions intenses et par-fois de vives critiques. Il convient toutefois de sedemander si c’est vraiment là que résident lesdangers réels courus par l’UEM et l’euro, comme cesdiscussions le suggèrent parfois. Je ne le pense pas.Evidemment, il est certain que de nombreuses amé-liorations restent encore à réaliser au niveau desprocessus de politique monétaire. Sans aucun doute,la mise en œuvre de la politique monétaire dans laphase initiale – par nature très incertaine – d’uneunion monétaire de cette ampleur constitue unetâche extrêmement complexe qui revêt un caractèrede défi. Je pense cependant que la BCE est bienarmée pour s’acquitter d’une telle tâche et que lesprocessus de politique monétaire qu’elle a choisisconstituent une base acceptable qui lui permettrontd’en venir à bout. Je crois en revanche que les véri-tables risques qu’encourt l’UEM, susceptibles dans lepire des cas de menacer son succès ou même sa sur-vie, résident toujours là où moi-même et de nom-breux observateurs les avons perçus dès le départ, àsavoir dans le rapport entre le progrès de l’intégra-tion monétaire et celui de l’intégration économiqueen général et surtout de l’intégration politique.10 Defait, il s’agit ici essentiellement de risques politiques.La mesure dans laquelle la communauté des pays par-ticipants est apte à maîtriser ces risques ne seravisible qu’à moyen et à long terme et ne peut êtreévaluée aujourd’hui que de manière très limitée.

Je me propose dans le présent chapitre d’évo-quer brièvement certains autres aspects qui ont étél’objet de commentaires critiques dans le cadre desdiscussions relatives à l’UEM et à la BCE. Ces aspectsconcernent moins les processus de politique moné-taire choisis par la BCE elle-même que les structuresinstitutionnelles et constitutionnelles imposées parle traité de Maastricht. Ils se caractérisent donc dansune très large mesure par leur composante politique.On considérera les points suivants:

– la répartition des compétences dans la poli-tique des changes;

– le degré de centralisation du SEBC;– les tâches de «prêteur de dernier recours» au

sein de l’Union monétaire;– le rapport entre l’intégration monétaire et

politique en général.

La répartition des compétences dans la politique des changesComme on le sait, l’article 109 du traité de

Maastricht donne au Conseil des ministres de l’UE les compétences qui lui permettent d’influer sur lapolitique des changes. Concrètement, l’alinéa 1 del’article 109 confère au Conseil des ministres le droitde conclure des conventions formelles relatives à unsystème de taux de change pour l’euro (à l’unani-mité) et de procéder à des modifications de la paritécentrale dans un tel système (à la majorité qualifiée).De telles décisions doivent être précédées d’uneconsultation avec la BCE «in an endeavour to reach aconsensus consistent with the objective of price sta-bility». Si aucun système de taux de change n’a étéinstitué (c’est-à-dire en cas de taux de change flot-tant), l’alinéa 2 de l’article 109 confère au Conseildes ministres le droit de fixer, à la majorité qualifiéeet après consultation de la BCE, des lignes généralesde conduite («general orientations») pour la poli-tique de change vis-à-vis des autres monnaies. Il estcertes bien spécifié que ces lignes de conduite nedoivent en aucun cas menacer l’objectif prioritaire dela stabilité des prix («these general orientations shallbe without prejudice to the primary objective of theESCB to maintain price stability») mais, par ailleurs,il n’est pas précisé qui décide si et à partir de quandune telle menace existe réellement.

On sait également que la politique monétaire etla politique des changes reflètent deux aspects desmêmes décisions. Dans un système de libre échangedes capitaux, ces deux politiques sont indissociablesl’une de l’autre: la politique monétaire déterminetoujours la politique de change et vice versa. Or, enattribuant les compétences monétaires à la BCE et enconfiant partiellement les rênes de la politique dechange au Conseil des ministres de l’UE, le traité deMaastricht présente une incohérence patente. Enlaissant le champ libre à une action directe du secteurpolitique sur la politique monétaire de la BCE et encréant une zone de tensions potentielles entre ce sec-teur et la BCE, une telle situation constitue unemenace incontestable tout du moins pour ce quiconcerne la crédibilité de l’indépendance de la BCE enmatière de politique monétaire.

10 Cf. notamment Baltenspergeret Jordan (1993), Baltensperger(1995, 1996).

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Divers observateurs ont aussitôt attiré l’atten-tion sur cette déficience du traité de Maastricht.11

Incontestablement, une modification de ces disposi-tions et une répartition cohérente des compétencesen matière de politique monétaire serait souhaitableet salutaire pour la crédibilité de la BCE et de sa poli-tique. Elle s’avère cependant difficilement réalisableen raison de la modification du traité de Maastrichtqu’elle implique. Cette déficience s’étend du resteaux dispositions constitutionnelles de nombreuxpays, notamment de la Suisse.

Dans les pays reconnaissant clairement la com-pétence de la banque centrale en matière de politiquemonétaire et dans lesquels la priorité accordée à lastabilité des prix fait l’objet d’un large consensuspopulaire, une telle situation n’est normalementgénératrice d’aucun conflit réel. Dans une unionmonétaire constituée d’un grand nombre d’Etats sou-verains parfois très différents politiquement et éco-nomiquement, une telle situation reste cependantune source de tension non dénuée de risques poten-tiels. Sur ce point, il suffit par exemple de penser auxpropos tenus par l’ancien ministre français de l’Eco-nomie, des Finances et de l’Industrie, M. Strauss-Kahn, ou encore par l’ancien ministre des Financesallemand, M. Lafontaine, pendant la phase de lance-ment de l’UEM au début de 1999.

Le degré de centralisation du SEBCLe degré excessif de décentralisation au sein du

SEBC, de même que l’insuffisance de l’influence exer-cée par l’organisme central, c’est-à-dire la BCE, ontdéjà été critiqués à maintes reprises, le système attri-buant en effet aux six membres du Directoire de laBCE ainsi qu’aux onze gouverneurs des banques cen-trales nationales des pays participant à l’UEM unsiège au sein de son organe de décision en matière depolitique monétaire, le Conseil de la BCE. Selon cescritiques, une telle décentralisation constitue unemenace pour l’efficacité et le succès de la politiquemonétaire. Des comparaisons sont établies avec lapériode initiale du Système fédéral de réserve fédé-rale des États-Unis. Ainsi, Eichengreen (1992) sou-ligne que la politique monétaire de cette institution asouffert, pendant sa phase initiale (1913–33) mar-quée par une structure décentralisée similaire, d’unetrop grande orientation sur les exigences régionales,ce qui a conduit en 1933 à une correction et à un ren-forcement de l’influence du siège central. Depuis,sept représentants du Board of Governors et cinq desdouze gouverneurs des Federal Reserve Banks régio-nales siègent au sein de son organe de décision, leFOMC, ce qui garantit au siège central une nettesuprématie.

Il est néanmoins impossible de savoir aveccertitude si les problèmes auxquels la politiquemonétaire américaine était à l’époque confrontéedoivent vraiment être attribués à cette structure ous’ils découlaient d’autres facteurs (crise économiquemondiale, compréhension généralement limitée parrapport à aujourd’hui de la théorie et de la pratiquedes mécanismes de politique monétaire).

Il est néanmoins vrai que l’arrangement institu-tionnel européen actuel – qui était sans aucun doutepolitiquement inévitable pour la création de l’UEM etqui, pour cette raison, ne pourra sans doute pas êtremodifié à brève échéance – présente le risque de voirles perspectives nationales de la politique monétairejouer un rôle excessif lors des délibérations et éven-tuellement lors des résolutions. Ce risque devrait sur-tout devenir manifeste chaque fois que l’intégrationpolitique et l’intégration monétaire entreront enconflit.

11 Cf. notamment Baltenspergeret Jordan (1993), p. 74.

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«Prêteur de dernier recours» au sein del’Union monétaireUn certain lien peut également être établi entre

la structure décentralisée du SEBC et le rôle fréquem-ment évoqué de «prêteur de dernier recours» dansune union monétaire composée de plusieurs Etatssouverains. Le rôle du SEBC dans les «prêts de dernierrecours» n’est pas mentionné dans le traité de Maas-tricht, ce qui est critiqué par divers observateurs.Actuellement, le rôle de «prêteur de dernier recours»devrait être assuré au niveau national par les banquescentrales, ce qui pousse Buiter à exiger (1999) letransfert explicite à la BCE des responsabilités rela-tives à la stabilité du marché financier dans la zoneeuro pour l’ensemble du système en évoquant explici-tement le rôle de «prêteur de dernier recours». Ilconstate certes que le traité de Maastricht n’évoquepas la prise en charge de cette tâche par la BCE maisqu’il ne l’exclut pas non plus, ce qui l’amène à récla-mer les éclaircissements qui s’imposent.

Derrière de telles revendications se profile lacrainte de voir la zone euro trop vulnérable face auxcrises financières, la BCE n’ayant toujours pas définiexplicitement le rôle qu’elle entend jouer à ce proposet la mise en œuvre des décisions en période de crisemenaçant d’être trop molle et trop lente en raison dugrand nombre de banques centrales concernées.

Il ne fait aucun doute que la BCE, en tant quebanque centrale compétente, doit veiller à ce qu’au-cune crise de liquidités ne touche la zone monétairequ’elle contrôle et à ce que toute menace soit écraséedans l’œuf. Cela implique bien entendu que la BCE etle SEBC soient conscients de leurs responsabilités etprévoient plusieurs scénarii dans ce sens. Je ne voiscependant pas pourquoi le SEBC ne serait pas apte à s’acquitter d’une telle tâche dans sa structureactuelle. A ce propos également, il convient de consi-dérer qu’en cas de «prêts de dernier recours», l’an-nonce trop explicite et trop généreuse de mesuresd’aide en situation de crise n’est pas sans danger. Eneffet, le cas échéant, elle augmente elle-même lesrisques inhérents au système contribuant ainsi à lavulnérabilité du secteur financier face aux crises(moral hazard). Pour cette raison, le SEBC devraitcertes se préparer comme il se doit à cette tâche maiséviter à l’inverse tout dispositif de défense trop insti-tutionnalisé et annoncé à grand bruit. Une séparationentre le niveau national de surveillance et de contrôled’une part et la politique monétaire commune àl’échelle européenne – y compris les «prêts de dernierrecours» – d’autre part, pourrait s’avérer bénéfiqueafin d’éviter le problème de «moral hazard».

Le principal risque de l’UEM: l’intégrationmonétaire dans le cadre de l’hétérogénéitépolitique et de la souveraineté des EtatsLes risques réels que courent l’UEM et la poli-

tique monétaire de la BCE découlent du fait que l’in-tégration politique est en Europe à la traîne par rap-port à l’intégration monétaire. L’instauration d’unepolitique monétaire commune au sein d’un systèmecaractérisé par de multiples centres de décision poli-tiques constitue de fait une entreprise particulière-ment osée. L’UEM est composée de onze Etats souve-rains (et peut-être plus dans les années à venir) quiont décidé de transférer au niveau communautaireleur souveraineté nationale dans un des secteurs clésde la politique économique, à savoir la politiquemonétaire. Sont-ils vraiment prêts à s’y tenir à longterme et à accepter toutes les conséquences écono-miques et politiques qui en découlent? Telle est laquestion essentielle qui sera finalement détermi-nante pour le succès et la survie de l’UEM. En effet, le succès et la viabilité d’une union monétaire im-pliquent certaines conditions.

L’adaptation ne pouvant être effectuée par lebiais du taux de change, l’Union monétaire nécessited’autres formes de flexibilité pour maîtriser ses désé-quilibres économiques internes. Dans le cas idéal,cela implique un marché du travail souple et une maind’œuvre mobile, conditions qui sont jusqu’à présenttrop rarement réalisées en Europe et qui doivent doncêtre fortement développées. Il convient notammentd’empêcher qu’au lieu de cela, une pression ne semanifeste en faveur d’une plus grande répartition etdavantage de transferts à l’intérieur de l’Union ouencore d’une politique sociale et d’une politique del’emploi à l’échelon européen. De même, l’ancrage dela stabilité de la monnaie et de la politique financièredoit encore être renforcé durablement dans tous lesEtats participants. Une politique monétaire axée surla stabilité implique une politique budgétaire solideet conçue sur le long terme. Si celle-ci n’est pas assu-rée, les appels revendiquant une plus grande réparti-tion et davantage de transferts à l’intérieur de l’UEMse feront rapidement entendre et la BCE devra faireface à une pression croissante réclamant une poli-tique monétaire plus expansive.

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Les divergences entre les théories de politiqueéconomique et les situations économiques et poli-tiques initiales des États membres sont telles, notam-ment en ce qui concerne le chômage ou le degréd’endettement, qu’elles peuvent facilement donnerlieu à des tensions et à des épreuves de force. C’estexactement dans un tel contexte que les risquesdécrits précédemment pourraient se manifester. Ence sens, l’homogénéité insuffisante des pays partici-pants constitue vraisemblablement le plus grandrisque de l’Union monétaire. Pour cette raison, lacapacité de la politique à tirer les leçons des expé-riences passées et l’aptitude des institutions écono-miques à s’ouvrir aux réformes sont absolument déci-sives pour le succès et la survie de l’UEM. Aujourd’hui,nous ne pouvons qu’espérer que ces deux conditionssoient réalisées de manière suffisante.

A cet égard, l’élargissement à l’est de l’Unioneuropéenne devrait également avoir des retombéesimportantes. Ce dernier est en effet impensable etpratiquement irréalisable sans la réadaptation desstructures internes de l’Union. Cette réadaptationimpliquera à son tour, de manière quasi inévitable,une modification des structures de l’Union monétaireet du SEBC, ce qui ne sera pas forcément fait pourfaciliter la conduite d’une politique monétaire euro-péenne commune en raison de l’hétérogénéité pro-bable des pays participants. Cette évolution poli-tiquement vraisemblable présente pour l’Unionmonétaire et pour l’euro – quel que soit le soin que la direction de la BCE apporte à l’accomplissement desa tâche et le succès qu’elle remporte dans la réalisa-tion de ses objectifs – un risque considérable surlequel elle n’a pratiquement aucune prise et qui pour-rait jeter une ombre sur l’euro pendant longtemps.

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