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Actes du 25 e Congrès International de l’AFM – Londres, 14 et 15 mai 2009 La beauté sous influence : ethnicité et cosmétiques en Malaisie Christel DE LASSUS Maître de conférences à l’Université Paris Est OEP-EA 2550 Amina BEJI-BECHEUR Maître de conférences à l’Université Paris Est OEP-EA 2550 Cette recherche fait l’objet du soutien financier de l’ANR dans le cadre du projet Ethnos (Ethnicité et comportements de consommation, pour plus d’informations, voir : http://esa.univ-lille2.fr/fr/la- recherche/pole-de-recherche-en-marketing/axe-ethnos.html)).

La beauté sous influence : ethnicité et cosmétiques en ......quel concept se cache derrière les mots ? Le terme « ethnie » serait apparu en 1787. Son sens alterne entre positif

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  • Actes du 25e Congrès International de l’AFM – Londres, 14 et 15 mai 2009

    La beauté sous influence : ethnicité et cosmétiques en Malaisie

    Christel DE LASSUS

    Maître de conférences à l’Université Paris Est

    OEP-EA 2550

    Amina BEJI-BECHEUR

    Maître de conférences à l’Université Paris Est

    OEP-EA 2550

    Cette recherche fait l’objet du soutien financier de l’ANR dans le cadre du projet Ethnos (Ethnicité et

    comportements de consommation, pour plus d’informations, voir : http://esa.univ-lille2.fr/fr/la-

    recherche/pole-de-recherche-en-marketing/axe-ethnos.html)).

  • Actes du 25e Congrès International de l’AFM – Londres, 14 et 15 mai 2009

    La beauté sous influence : ethnicité et cosmétiques en Malaisie

    Résumé:

    L'ethnicité est définie comme tout ce qui nourrit un sentiment d'identité, d'appartenance, et

    les expressions qui en résultent. Cet article s’intéresse à l’étude de l’ethnicité exprimée dans

    la consommation de produit de beauté en Malaisie, où coexistent d’importants groupes

    ethniques. Cette recherche est basée sur une recherche qualitative effectuée à la fois par des

    interviews, mais aussi par une collecte de photographies permettant une approche

    ethnographique. Dans un contexte fortement communautariste, où deux ethnies majoritaires

    coexistent officiellement, on observe d’une part un modèle de beauté déterminé par

    l’appartenance ethnique et d’autre part des modèles dominants liés à la position sociale au

    sein de chaque ethnie. Aucune forme d’acculturation, ni de balancement identitaire n’est

    constatée dans le champ de la consommation de cosmétiques.

    Mots clés: marketing ethnique, ethnicité, comportement du consommateur, cosmétiques,

    beauté

    Beauty under influence: ethnicity and cosmetics in Malaysia

    Abstract:

    Ethnicity means all, which feeds a feeling of identity, membership and the way it expresses

    itself. This paper deals with ethnicity, and the way it is shown in the consumption of

    cosmetics in Malaysia, where different ethnic groups coexist. This research is based on a

    qualitative study, built on one to one interviews and on a collection of photos allowing an

    ethnographical approach. In this context of high degree of multiculturalism, ethnicity and

    high-level social status dependant determine beauty models. Neither acculturation, nor

    swapping is observed in the field of cosmetics consumption.

    Key words: ethnic marketing, ethnicity, consumer behavior, cosmetics, beauty

  • Actes du 25e Congrès International de l’AFM – Londres, 14 et 15 mai 2009

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    Introduction

    « Ethnie », « ethnicité » sont aujourd’hui des mots à la mode dans les médias. Mais,

    quel concept se cache derrière les mots ? Le terme « ethnie » serait apparu en 1787. Son sens

    alterne entre positif et négatif : jusqu’au milieu du XIXe siècle, les « ethnies » étaient les

    peuples non chrétiens, les « non-civilisés » (considération religieuse à l’époque de la notion

    de civilisation). Aussi, faut-il faire attention de distinguer ce terme du sentiment ethnique ou

    ethnicité, telle qu’elle est définie par Bouchard (2001 : 319) : «L'ensemble des traits, objets

    et productions symboliques dans lesquels une collectivité se reconnaît et par lesquels elle se

    fait reconnaître. On pourrait dire tout aussi bien : toutes les caractéristiques culturelles ou

    symboliques partagées par l'ensemble des membres d'une collectivité et qui ont pour effet,

    sinon pour fonction, de la singulariser. L'ethnicité, c'est donc tout ce qui nourrit un sentiment

    d'identité, d'appartenance, et les expressions qui en résultent. »

    L’objectif de ce travail est d’interroger les résultats de ces recherches dans le

    contexte de la Malaisie où deux ethnies principales sont distinguées de manière officielle

    avec des statuts différents : l’ethnie malaise/musulmane (50% de la population) comme

    dominante en terme de droit/pouvoir et l’ethnie chinoise (30% de la population) comme

    dominante en terme de statut économique. Ainsi, nous semble-t-il intéressant de réaliser une

    recherche interrogeant le lien entre consommation et ethnicité dans un contexte multiculturel

    non occidental où coexistent des ethnies officielles ayant un rapport de domination équilibré

    a priori.

    Dans ce contexte, la consommation ou culture matérielle est considérée comme une

    des formes d’expression de l’ethnicité des individus (Arnould et Thompson, 2005). Selon le

    degré de communautarisme dans les pays, on observe des pratiques de consommation

    ethniques plus ou moins développées et des pratiques marketing plus ou moins centrées sur

    l’ethnicité. Le but de la recherche est de pouvoir recueillir et d’analyser le discours des

    consommateurs sur leurs produits de soin, ainsi que sur leur vision de la beauté, par le biais

    d’entretiens approfondis, mais aussi de recueillir des informations sur leurs pratiques, en

    particulier leur lieu de pratique, à savoir, leur salle de bain. La recherche sera effectuée sur

    deux groupes différents de consommatrices, toutes citoyennes de Malaisie, à savoir des

    femmes malaises et des femmes chinoises.

  • Actes du 25e Congrès International de l’AFM – Londres, 14 et 15 mai 2009

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    1. Comprendre l’ethnicité au travers de la beauté

    L’originalité de la recherche est de mener la même étude auprès de femmes malaises et de

    femmes chinoises, pour comprendre leurs différences à appréhender les produits de soin et

    leur idéal de beauté, alors même qu’elles sont citoyennes du même pays, et habitent la même

    ville, avec des conditions socio-économiques proches. L’intérêt est de mettre en valeur leurs

    motivations et pratiques, mais aussi leurs différences, en fonction de leur appartenance

    ethnique socialement établie. En effet, il s’agit ici d’une ethnicité imposée par le contexte

    socioculturel. En Malaisie, depuis le traité d’indépendance, signé en 1957, différents groupes

    ethniques et religieux officiellement recensés coexistent (Khoo, 2004).

    1.1 Définition de la communauté ethnique

    En premier lieu, il nous a paru important d’aborder la définition de communautés ethniques

    et de vérifier que cela est bien le cas des différents groupes de population vivant en Malaisie.

    On constate que tant la pratique, le marketing ethnique, que la recherche sur le sujet de

    l’ethnicité se sont d’abord développés aux Etats-Unis (Hetzel, 2003). Un certain nombre de

    travaux y ont été menés, rendus possibles par le fait que les ethnies sont officielles et

    publiques (Hirschman, 1981 ; Wallendorf et Reilly, 1983; Webster, 1994). Les études,

    comme celles de Berry (1980) ou Penaloza (1994), privilégient le modèle d’acculturation

    considérant que dans un contexte multiculturel, le contact interculturel modifie à la fois les

    groupes minoritaire et majoritaire, au lieu de prétendre à une fusion d’un groupe dans un

    autre. Les recherches plus récentes s’inscrivent plus particulièrement dans le courant de

    Consumer Culture Theory (CCT ; Arnould et Thompson, 2005), et adoptent une lecture

    émique qui s’intéresse davantage à des approches localisées. L’ethnicité s’étudie dans un

    pays d’accueil précis caractérisé par une politique d’immigration propre, une population

    d’immigrés ciblée et une histoire d’immigration à l’origine de représentations liées aux

    immigrés (citons entre autres Ger et Ostergaard, 1998 ; Askegaard, Arnould et Kjeldgaard,

    2005).

    Depuis les années 1990, les travaux insistent sur le balancement identitaire entre culture

    d’origine et culture d’accueil (swapping) ; de ce mouvement, émergeraient différents

    modèles d’acculturation (Oswald 1999 ; Lindridge, Hogg et Shah, 2004 ; Askegaard,

    Arnould et Kjeldgaard, 2005 ; Üstüner et Holt, 2007).

    Cette analyse s’appuie sur celle de Max Weber quand il cherche à distinguer différents types

    de lien social solidaire (Weber, 1971). De plus, nous nous appuyons sur la définition de

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    Webster, précisant que l’ethnie repose sur “a sense of common customs, language, religion,

    values, morality, and etiquette” (Webster, 1994, p.321). Dans le cadre de recherche étudiant

    l’ethnicité, la question est souvent délicate en ce qui concerne « l’origine ». En effet,

    l’analyse ethnique est souvent difficile à définir par le chercheur. Certains retiennent par

    exemple le surnom hispanique de l’individu (Mirowsky et Ross, 1980), le pays d’origine ou

    la religion (Lindridge, 2005). D’autres s’appuient sur le critère de la langue parlée à la

    maison (Massey et Mullan, 1984).

    Ici, le terrain et le recrutement sont très clairs puisque chacun est défini par son ethnie

    « officielle ». Cette notion d’ethnie (race en anglais) est présente pour les cartes de fidélité,

    comme pour les papiers officiels (passeport, ouverture d’un compte bancaire, d’une ligne

    téléphonique). Dans le cas de ces groupes ethniques Malaisiens, nous sommes en présence

    d’une identité ethnique et culturelle forte. Ce sont des ethnies installées dans le pays depuis

    un demi-siècle ou plus. Nous évitons ainsi les problèmes de générations coincées entre deux

    mondes : “Second génération Asian Indian are stuck between two worlds" (Janveja, 1990). Il

    n’y a donc pas les problèmes d’hétérogénéité entre des immigrés de la première génération

    et de la seconde, qui peuvent exercer un effet additionnel. La Malaisie représente donc un

    terrain idéal d'études interethniques, sans que ces analyses soient modifiées par la variable

    "immigrés récents" ou "recherche d'assimilation" (Janveja, 1990).

    1.2 Quelles ethnies ?

    En Malaisie, non seulement l’ethnie est déclarée officiellement, mais le poids de l’histoire a

    créé dans chaque groupe, la conscience de former un groupe historique un peu à part. La

    majorité est malaise : ce groupe est majoritaire dans la population (plus de 50%) et se définit

    comme Bumi putera (ou « prince du sol»). Ils parlent le bahasa malaya, ils sont par

    définition musulmans et se doivent observer les coutumes malaises (jeûne, voile …). Le

    principe constitutionnel est la discrimination positive envers ce groupe. Suivent ensuite les

    Chinois pour 30% environ de la population. Ils se définissent comme Chinois malaisien

    (Malaysian chinese), c'est-à-dire citoyens de Malaisie, mais ne sont pas malais. Ils sont

    arrivés pour les premiers dès le 15ième siècle (Malacca), mais c’est surtout à partir de

    l’occupation anglaise, qu’ils ont été amenés en nombre pour travailler dans les mines d’étain

    ou les plantations de thé. Ils parlent anglais et un dialecte chinois. Ils sont parfaitement

    intégrés à la vie économique du pays. Ils gardent une identité communautaire forte, d’autant

    qu’ils se marient rarement avec des Malais natifs pour des raisons culturelles et religieuses.

  • Actes du 25e Congrès International de l’AFM – Londres, 14 et 15 mai 2009

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    En effet, les malais étant musulmans, le conjoint non-malais doit se convertir. Pour la

    Malaisie, le critère du langage ethnique est donc tout à fait pertinent, l’anglais étant la langue

    interethnique. « Une identité ethnique collective est une identité d’un ordre différent, plus

    qu’une somme d’identités individuelles. C’est le résultat d’une interaction sociale entre un

    groupe de personnes qui s’exprime dans l’arène publique. Elle se situe au niveau supra

    individuel1 » (Bacon, 1999 : 142). Les recherches dans le domaine (Fischer, 1982 ; McAdam

    et Paulsen, 1993) ont démontré que lors d’une prise de décision, l’individu a tendance à se

    référer aux personnes les plus proches de lui ou plus précisément aux personnes avec qui il

    entretient des rapports très forts, d’où l’importance significative de la variable intensité du

    lien dans l’étude des relations sociales.

    1.3 Pourquoi une application en cosmétique ?

    La recherche ethnographique a été encore peu utilisée en cosmétique. Une recherche auprès

    de consommatrices brésiliennes a été menée récemment (Suarez & alii , 2006). Elle a permis

    de mieux comprendre le comportement d’achat mais aussi l’utilisation de produit de beauté

    selon le type du cycle de vie de la femme. Ce choix des produits cosmétiques permet de

    mieux comprendre l’intérêt pour chaque ethnie, envers des produits à forte implication pour

    les femmes, et d’établir une comparaison inter ethnique des représentations de la beauté.

    2 Choix d’une méthodologie qualitative et rappel des questions exploratoires de la

    recherche

    Etant donné le caractère exploratoire de cette recherche, portant sur un thème encore peu

    étudié, une méthodologie qualitative s’est imposée. A ce titre, l’ethnographie a montré son

    intérêt, notamment pour mettre en valeur les spécificités de certains groupes (Ghasarian,

    2002). Cette démarche s’avère ainsi très pertinente pour l’étude du consommateur. Elle

    permet ainsi d’investiguer des éléments importants qui concernent le consommateur et ses

    pratiques, et non uniquement ses motivations (Desjeux, 2006).

    2.1 Méthodologie

    Dans une première phase exploratoire, est réalisée une recherche documentaire dans deux

    1 “A collective ethnic identity is an identity of a different order, more than a mere collection of individual ethnic selves. It is the result of social interaction among a group of people, and resides in the public arena. It is supra individual »

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    journaux féminins “ethniques”. Cette phase exploratoire est importante pour connaître le

    discours journalistique concernant les produits de beauté, mais aussi les référents culturels de

    chaque ethnie, les marques en présence et procéder à l’élaboration du guide d’entretien.

    Après test du guide d’entretien, les entretiens qualitatifs sont menés avec prises de photos en

    situation dans les salles de bain des interviewées. Les entretiens qualitatifs approfondis sont

    conduits au domicile, auprès de femmes de 20 à 39 ans, en équilibrant la proportion de

    femmes actives et restant au foyer, et en équilibrant le recrutement des 20-29 ans et des 30-

    39 ans, ainsi que le statut marital. Sont rencontrées pour moitié des femmes chinoises

    Malaisiennes et pour moitié des femmes malaises, vivant toutes dans l’agglomération de

    Kuala Lumpur. Ces entretiens sont réalisés en anglais, seconde langue du pays (héritage de

    l’occupation anglaise, mais aussi volonté des pouvoirs publics), avec un guide identique

    pour les deux groupes d’interviewées, pour permettre les comparaisons.

    Les entretiens qualitatifs sont suivis d’une phase plus ethnographique : il s’agissait de

    photographier la salle de bains ou les lieux où étaient les produits de beauté. Le travail

    photographique a montré son efficacité pour une analyse des lieux des expériences de

    consommation voire d’utilisations des produits (Dion, 2007 ; Suarez et al. 2006). Ces prises

    de photo permettent de faire des allers retours quand les produits cités sont très différents des

    produits présents et de poser quelques questions complémentaires. L’aspect de la salle de

    bain permet aussi de comprendre les attentes et les motivations des femmes interrogées en

    matière de beauté, comme l’illustrent ces deux photos.

    Les photos prises à la suite des entretiens apportent des éléments clés. Ce sont des outils

    spécifiques de l’analyse, car elles sont plus objectives, elles offrent l’occasion de relancer les

    questions et enfin d’élucider certains non-dits.

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    Les questions n’ont pas posé de problèmes particuliers. En revanche le terrain a été assez

    compliqué car certaines (quatre) interviewées ont refusé toute prise de vue photographique

    de leur salle de bains ou de quoi que ce soit chez elles. Il s’agissait de femmes malaises

    musulmanes. La photographie leur apparaissait comme un élément trop discutable ou

    contraire à leur religion musulmane (haram). Nous avons donc arrêté l’entretien à ce stade et

    recruté d’autres personnes.

    Tableau 1 - Echantillon interrogé

    Le discours des entretiens de cette phase exploratoire est intégralement retranscrit, puis fait

    l’objet d’une analyse de contenu. D’une part, une analyse verticale entretien par entretien et

    d’autre part, une analyse transversale thématique portant sur l’ensemble des entretiens est

    menée par les chercheurs, chacun séparément. Les résultats respectifs des analyses sont

    discutés entre les chercheurs pour aboutir à une interprétation commune des discours. Les

    entretiens ayant eu lieu en anglais, les verbatims seront cités en anglais également. En

    revanche les tableaux d’analyse sont traduits en français pour faciliter la lecture des résultats.

    L’ensemble de l’analyse a permis de cerner les attitudes des femmes à l’égard des produits

    cosmétiques (soin et beauté) mais aussi d’en souligner les différences ethniques, et nous en

    présentons les principaux résultats.

    2 Ce critère a été relevé par précaution et souci d’équilibre. Il ne semblait pas pertinent selon l’étude de la presse et n’a apporté aucun éclairage particulier.

    Malaises Malaises Chinoises Chinoises Citoyennes de

    Kuala Lumpur

    (Malaisie) se déclarant

    pratiquantes

    Se déclarant

    Musulmanes par

    tradition

    Se déclarant

    Bouddhistes

    régulières2

    se déclarant

    Bouddhistes par

    tradition

    20-29 ans 3 (1 célibataire, 2

    mariées)

    3 (1 célibataire, 2

    mariées)

    3(1 célibataire, 2

    mariées)

    3(1 célibataire, 2

    mariées)

    30-39 ans 4 (moitié

    célibataires,

    moitie mariées

    3 (2 mariées, 1

    célibataire)

    4 (moitié

    célibataires,

    moitie mariées

    4 (moitié

    célibataires,

    moitie mariées

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    3. Résultats

    Nous décrivons les résultats d’abord par ethnie, avant de souligner les différences principales

    et d’en tirer les implications académiques et managériales.

    3.1 Les Malaises (musulmanes, 50% de la population)

    Un fort degré d’implication envers les produits de beauté, notamment le maquillage ;

    une faible implication envers les produits de soin

    La recherche souligne l’intérêt très fort pour un maquillage incontournable,

    permettant d’être remarquable et attractive, même en portant un voile qui dissimule les

    cheveux, le haut du front et le cou. Les interviewées utilisent des produits de maquillage tous

    les jours. La majorité des interviewés étaient voilées mais très maquillées (fond de teint pour

    la peau, mascara, rouge à lèvres). Nous avons pu interroger trois jeunes femmes malaises

    musulmanes, ne portant pas le voile, mais présentant le même intérêt fort pour le maquillage

    « visible, permettant d’être vues, remarquées ». Les produits de soin eux, sont associées à

    une motivation plus faible : ils ne sont pas cités spontanément et font l’objet de peu

    d’implication : les marques utilisées sont faiblement mémorisées, et les produits présents

    dans la salle de bain peu visibles ; les motivations sont de nettoyer, d’enlever la saleté due à

    la chaleur ou à la pollution. Beaucoup de citations concernent le produit permettant de

    nettoyer, de désincruster. Les crèmes de soin, elles, ne sont pas forcément utilisées.

    Le maquillage est fait pour « être vue » quand les cheveux sont invisibles

    Pour l’ensemble de ce groupe d’interviewées, l’intérêt du maquillage est d’être

    visible et de mettre en valeur le visage, ainsi que les mains, le cas échéant. Les couleurs

    recherchées sont soutenues pour les rouges à lèvres, ainsi qu’une présence importante de

    noir pour les yeux avec utilisation de beaucoup de khôl. L’attente de maquillage séduction

    très forte passe aussi par le choix, cité de nombreuses fois, d’un rouge à lèvres très rouge qui

    tient très longtemps. En ce qui concerne le parfum, il doit être fort et couvrant. La motivation

    est de laisser un sillage olfactif fort. Il s’agit là aussi d’être repéré, ‘vue’ grâce au parfum. La

    marque de parfum la plus souvent citées est Dior, reconnue notamment pour sa durée de

    tenue et pour ses parfums soutenus. Les salles de bain présentent des parfums Dior, Ralph

    Lauren, et locaux. Les cheveux ne sont pas exposés au regard en société, puisqu’ils sont le

    plus souvent cachés par un voile, en dehors de la sphère intime. Le discours concernant les

    cheveux est peu présent spontanément, ce qui constitue une différence majeure avec l’autre

    groupe ethnique.

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    Le modèle de beauté, « c’est être sophistiquée »

    La représentation de la beauté est très homogène. Une femme belle est une femme

    sophistiquée, qui attire l’attention. Personne dans ce groupe ne parle de naturel. Il s’agit de

    sortir maquillée, pour attirer le regard.

    “Oprah Winfrey is a beautiful woman, because she is sophisticated.”

    Pour certaines, la beauté est une sorte de don naturel, avec une acceptation presque fataliste,

    mais qu’on peut accroître grâce à un maquillage attractif.

    La beauté « sophistiquée » pour acquérir un statut dans la sphère sociale/intime

    Les attentes en matière de beauté sont légèrement différentes selon l’âge. La tranche des 20-

    29 ans est souvent célibataire, il s’agit de séduire son futur mari, mais aussi les autres

    interlocuteurs de la vie sociale ou professionnelle.

    “Beauty is important to get ahead in life”

    “If you are competing with someone with the same qualifications for a job”

    La tranche d’âge plus âgée évoque plus un objectif de plaire dans sa vie familiale et

    relationnelle que dans sa vie professionnelle.

    “For me, mainly for husband to be feel proud to have a presentable wife. For jobs/socials it

    is mainly to feel confident when interacting with others to get things done”

    Importance dans les situations de représentation sociale

    Certains temps sont importants, notamment les open house qui suivent la fin du ramadan.

    Les femmes doivent donc paraitre jolies et maquillées, et ce maquillage doit tenir toute la

    journée pour aller à plusieurs invitations. A ce titre, la marque Dior est souvent citée

    spontanément comme la référence de produits de maquillage de longue tenue, notamment

    pour le rouge à lèvres.“For me, a beautiful woman still needs thick makeup to cover up the

    flaw. »

    Les marques citées en maquillage sont souvent des marques françaises, ou européennes

    (forme d’idéal). Les marques possédées, elles, sont plus locales, quand on arrive à la phase

    des photos dans les salles de bain.

    Au-delà du regard des autres, les cosmétiques, c’est aussi se faire plaisir à soi-même,

    pour certaines

    Une variable psychographique importante est mise en évidence par l’analyse : il

    s’agit du caractère hédonique de la personne, et cela de façon transversale sur l’échantillon.

    Certaines femmes vont aimer s’occuper d’elles, prendre soins d’elles, et leur choix de

  • Actes du 25e Congrès International de l’AFM – Londres, 14 et 15 mai 2009

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    produits de soin et de maquillage va s’en trouver affecté. Cette variable d’hédonisme est

    particulièrement mise en valeur par l’analyse des photographies. Quelque soit le niveau

    social de l’interviewée, on note chez les plus « hédonistes » une implication plus importante

    vis-à-vis de la salle de bain pour en faire un endroit agréable, et vis-à-vis des produits. C’est

    une variable –clé qui vient amplifier le discours notamment pour les malaises interviewées.

    La prise de vue photographique a permis de relancer les interviewées sur le plaisir

    qu’elles pouvaient avoir lors du temps consacré au maquillage.

    Des signaux faibles – la prise en compte des risques et la recherche de produits naturels

    Enfin, il existe d’autres différences individuelles concernant le souci de naturalité des

    produits. Certaines disent qu’autrefois il y avait des produits dangereux (mercure, plomb),

    d’autres soulignent qu’actuellement c’est toujours le cas (paraben, methylparaben). On note

    même deux interviewés malaises concernées par l’aspect biologique ou naturel des produits

    (organic). Ce critère « écologique » sera alors déterminant dans leur choix et leurs

    utilisations de produits.

    3.2 Les chinoises Malaisiennes

    Les chinoises quant à elles, ont de motivations bien différentes ; quand on leur parle de

    produits de beauté, elles commencent spontanément à parler de soin, bien avant le

    maquillage.

    La beauté : le soin plutôt que le maquillage

    Elles sont en premier lieu, très intéressées par les produits de soin, notamment pour des

    qualités de soin, et de naturalité. Les motivations de soin arrivent en premier : nettoyer est

    une des premières choses qu’elles ont apprises de leur mère, notamment en raison de la

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    chaleur tropicale et de la pollution. C’est le point commun avec l’autre groupe

    d’interviewées. The most important is to clean and protect my skin…”

    En revanche le soin qui suit ce nettoyage est abondamment commenté et fait l’objet de

    motivation très structurante. Il s’agit de soigner, de prendre soin, et éventuellement

    d’hydrater, d’enrichir. Les termes d’hydratations (re-hydratation, moiturize) sont présents et

    sont des occurrences très fréquentes pour l’ensemble des chinoises.

    “I only use day cream, L’Oreal day cream. I like the moisturizer. »

    La beauté : une norme unanimement partagée « clarté et transparence japonaises »

    La représentation de la beauté est donc là aussi assez homogène au sein de ce groupe

    ethnique : Pale skin ou fair skin signifie High social standard, et c’est le point le plus

    important. Ensuite, l’accent est mis sur des cheveux épais, un visage ovale, des yeux ouverts

    et si possible colorés. Enfin, la majorité insiste sur l’attente de naturalité, le plaisir de ne pas

    montrer son maquillage. Cette notion de soin sous-tend la deuxième motivation : la

    recherche de transparence, de naturalité. Il s’agit, par le soin et le nettoyage, d’accroitre

    l’aspect transparent et naturel de la peau.“Now we like to see the skin, not to cover it.”

    Le discours sur la clarté de la peau est un élément essentiel de la perception de la beauté

    chez les chinoises malaisiennes, qui sont pourtant assez foncées de teint :

    “No matter man or woman, everybody prefers fair skin. To me also. Tan skin looks not

    beautiful. People and I admire very fair skin. »

    Les mères insistent sur le soin qu’elles prennent à protéger le teint de leurs filles.

    Quand elles évoquent la peau claire, il ne s’agit pas du tout du teint rose des caucasiennes,

    qui leur parait vaguement déplaisant. Il s’agit de rechercher le teint de perle. Ce terme est

    repris de la littérature chinoise, et parait un socle important de la représentation de la beauté

    pour ce groupe ethnique. D’ou les perceptions très positives des produits blanchissants

    (whitening) et des produits contenant une protection solaire (spf), que ce soit pour des

    produits de soin ou de maquillage. “To be as fair as possible. Like Japanese. »

    Les produits occidentaux ne paraissent pas du tout adaptés, à la fois, parce que les chinoises

    pensent avoir une peau de meilleure qualité (plus élastique et moins fine) mais aussi parce

    que la perception de l’unanimité des consommatrices est que ces produits doivent être prévus

    pour leur type de peau.

    “I find the Asian skin is not that dry, it s more moisturized…Maybe of our brown

    pigments…not that sensitive, especially to the sun compared to Caucasian skins…”

  • Actes du 25e Congrès International de l’AFM – Londres, 14 et 15 mai 2009

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    La marque peut être occidentale (type L’Oréal, Lancôme, ..) mais le produit doit être défini

    pour ce type de peau, en particulier les produits doivent être non gras.

    Les cheveux : un attribut essentiel de la beauté

    En ce qui concerne les cheveux, ils constituent aux yeux des interviewés un élément

    important de leur beauté : les cheveux sont épais, brillants et épais. Seules les plus jeunes se

    permettent des coupes courtes ou structurées. Les autres tiennent beaucoup à la longueur de

    leur chevelure et à la sensualité et la séduction que cela apporte. Les produits utilisés sont

    très nombreux (visibles dans la salle de bain : shampoing, après-shampoing de marques

    occidentales mais aussi huile de coco et huile de produits venus d’Inde ou produits locaux).

    “Hair is as important as the skin that is my opinion”

    Les soins pour cheveux sont apparus très présents dans les salles de bain, ce qui a conduit à

    relancer les interviewés.

    Des yeux à l’occidentale

    L’autre point important du discours concerne les yeux, avec deux soucis : le souhait

    de les ouvrir plus et de les colorer davantage (notamment par le biais des fards et des eye

    liners). “I use make up to enhance my features, to make my eyes bigger.”

    Il s’agit de la principale insatisfaction de nos interviewées. Le souhait est d’avoir une

    paupière non pas tombante mais qui se relève à l’occidentale. L’implantation des cils est

    aussi souvent problématique, d’où l’abondance de discours sur les rimmels et mascara.

    La beauté pour soi

    En ce qui concerne la façon de vivre et le but de cette recherche de beauté, le groupe

    chinois se démarque par un discours beaucoup plus individualiste. Le but évoqué largement

  • Actes du 25e Congrès International de l’AFM – Londres, 14 et 15 mai 2009

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    est l’épanouissement individuel, la recherche de succès personnels et financiers est

    clairement annoncée. Il n’y a pas de différences selon le statut social ou marital.

    Le discours sur les anti-âge est peu présent. Il apparait que dans cette tranche d’âge, la peau

    ne présente pas de problèmes de vieillissement.

    “Asian women have the weather to thank for their ageless skin. So they tend to have better

    skin texture due to the high humidity”.

    En ce qui concerne les parfums, la motivation se fonde sur des parfums moins lourds, plus

    frais ou à base de fleurs, légers.

    Signaux faibles en lien avec l’environnement

    En ce qui concerne les variables psychographiques, on retrouve des différences

    personnelles selon la recherche de naturalité et de produits plus naturels cités par certaines

    interviewées.“I am using mostly natural products that are also environmental-friendly.”

    On assiste ici à une prise de conscience qui est très proche de l’autre groupe ethnique. Cela

    signifierait que les deux groupes sont éloignés par des différences historiques, mais peuvent

    se retrouver sur des prises de position très récentes comme la défense de l’environnement, ou

    la recherche de naturalité.

    4. Discussion et Implications

    L’analyse semble donner lieu à une approche distincte de la beauté de la part des malaises et

    des chinoises. Or, au-delà des pratiques différenciées, ces discours évoquent des mécanismes

    d’interactions sociales dans la consommation similaires entre malaises et chinoises.

    4.1 Un modèle de beauté sous influence ethnique

    Les interviewées ont dans les deux cas intériorisé le modèle de beauté appris et transmis de

    génération en génération par les mères et repris dans la littérature, la poésie ou dans les

    médias sous forme de modèles de beauté.

    D’une part, une femme malaise « sophistiquée » qui cache les impuretés ou les défauts de la

    peau par un maquillage couvrant, qui exprime la féminité par un rouge à lèvre appuyé, qui

    évoque son statut de femme respectable par une tenue soignée et élaborée du maquillage.

    D’autre part, une femme chinoise « naturelle » qui recherche la transparence, l’éclat de la

    peau, qui soustrait sa peau aux rayons du soleil, qui l’éclaircit pour gagner en blancheur, au

    teint de perle à la manière japonaise et qui recherche un modèle idéal de beauté aux yeux

  • Actes du 25e Congrès International de l’AFM – Londres, 14 et 15 mai 2009

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    ouverts à l’occidental. Les deux modèles ne s’interpénètrent pas et aucun phénomène

    d’acculturation ou de balancement n’est ici constaté entre ces deux ethnies (par exemple en

    fonction des situations sociales).

    4.2. Un modèle de beauté sous influence sociale : le masque de beauté

    Dans les deux cas, les femmes interrogées évoquent le rôle social de la beauté. D’une part,

    pour les malaises parce que la sophistication signifie le rang social et permet de tenir son

    rôle d’épouse, ou de trouver un mari ou un travail. D’autre part, parce qu’être « bien dans sa

    peau » pour les chinoises (une peau définie par un modèle intériorisé) est le corollaire de

    succès professionnels et financiers dans la société.

    Dans chaque cas, on observe un jeu des contraires et des paradoxes. Ainsi, les malaises

    soulignent l’importance d’un maquillage qui est visible mais qui cache, quand les chinoises

    recherchent l’absence de maquillage et un soin pour obtenir la transparence ce qui revient à

    ne pas montrer leur peau naturellement foncée. D’un côté on ajoute pour cacher, de l’autre

    on enlève pour cacher aussi….Le produit de beauté quel qu’il soit joue sur le même registre

    du masque qui permet de présenter un visage modèle. Les moyens sont différents, les

    modèles aussi mais la fin est la même : représenter le modèle intériorisé et profondément

    ancré. Nous décrivons ci-dessous les éléments de contrastes permettant à chaque groupe

    étudié d’atteindre le modèle « social » dominant appris. Il est intéressant de noter ici que

    seuls les éléments liés à des problématiques de société actuelles sont partagés : le respect de

    l’environnement naturel (animal et végétal) et les risques associés pour l’homme.

    Cela explicite combien la notion d’ethnicité exprimée dans les attentes à l’égard des objets

    est une construction sociale apprise pouvant évoluer en fonction des modalités de

    transmission et d’apprentissage.

  • Actes du 25e Congrès International de l’AFM – Londres, 14 et 15 mai 2009

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    Groupe Malaises Groupe Chinoises

    Parfum Fort, laisse une trace Léger et naturel

    Maquillage Sophistiqué Naturel

    Crème Visage Couvrir/Cacher Impuretés Blanchir/Rendre Transparent/ cacher

    le naturel

    Maquillage des yeux Tenue du maquillage Ouvrir les yeux/

    Shampoing Peu de Discours/ Cheveux Voilés Cheveux Brillants/Visibles

    Crème de Soin Traiter Prévenir

    Pour qui ? Pour les autres/ Se faire plaisir Pour soi/Pour réussir dans la société

    Comment ? Comme les autres veulent Comme il faut être

    Tableau 2 : Comparaison interethnique

    4.3 Implications

    Cette recherche peut permettre aux managers des entreprises présentes dans ce pays

    (marques locales et internationales) de mieux positionner leurs produits et leurs

    communications. En ce qui concerne les produits, la formule doit être adaptée au marché

    local (type : formule adaptée aux peaux asiatiques), à la fois pour rassurer sur l’aspect non-

    gras, mais aussi sur les bénéfices. Les avantages recherchés sont différents selon les ethnies,

    il s’agit donc de mettre en avant la recherche de transparence et de naturalité pour l’ethnie

    chinoise malaisienne. Pour le cible malaise, la communication s’attachera à mettre en avant

    les produits couvrants type fond de teint, et les couleurs des rouges à lèvres.

    En ce qui concerne les modes de communication, elle ne peut être identique et doit être

    adaptée aux attentes de chaque ethnie, tant pour le personnage d’identification que

    concernant les bénéfices produits. Cette stratégie peut être déclinée pour l’ensemble des

    produits, notamment pour les produits de soin pour cheveux. Il peut même être pertinent

    d’avoir des marques différentes pour cibler chaque ethnie. En revanche un

    produit respectueux de l’environnement et de la santé pourrait trouver sa place pour une

    cible interethnique même si la cible en est actuellement assez restreinte.

    Cette recherche souffre néanmoins d’un certain nombre de biais. Le premier est la langue

    d’interview, qui même si cela constitue la seconde langue officielle du pays, n’est pas la

    langue maternelle de l’ethnie malaise. Le second biais repose sur le mode de sélection des

    répondants : les femmes interrogées ont été sélectionnées au hasard, en essayant bien sûr de

  • Actes du 25e Congrès International de l’AFM – Londres, 14 et 15 mai 2009

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    varier les variables sociodémographiques. Il s’agit de personnes habitant une zone urbaine,

    Kuala Lumpur, et ayant accepté de répondre à des questions, formulées par un chercheur de

    type caucasien (selon le qualificatif en cours ici) et de l’accueillir à son domicile, en lui

    permettant de prendre des photographies. En cela, elles ne sont probablement pas

    représentatives de l’ensemble de la population.

    Conclusion

    En ce qui concerne les voies de recherche future, cette recherche permet de mieux

    comprendre l’intérêt pour chaque ethnie, envers des produits à forte implication pour les

    femmes, et d’établir une comparaison inter ethnique des représentations de la beauté. C’est

    une des premières recherches menées dans un pays non-occidental, où coexistent des ethnies

    officielles ayant un rapport de domination équilibré a priori : elle permet ainsi de mieux

    comprendre l’ethnicité.

    Relativement à des travaux récents où l’ethnicité est définie dans un registre mouvant et

    processuel, on observe ici des frontières peu poreuses entre catégories, même si au fond les

    enjeux sociaux sont les mêmes, exprimer un statut social, et un style de vie. Les groupes

    cherchent à affirmer leur ethnicité dans leurs pratiques courantes comme le signifient les

    résultats observés dans le cadre de la consommation de produits de beauté. Le contexte

    malais semble refléter une société organisée en catégories « figées », définies par un cadre

    institutionnel qui se manifeste par des pratiques quotidiennes segmentées en fonction de

    l’appartenance ethnique. Dans ce contexte, les produits sont choisis pour renforcer cette

    appartenance et les symboles ethniques émis par les médias et les marques jouent leur rôle

    de renforcement de l’ethnicité (Firat, 1995). Mais notons par contraste que les produits ne

    présentent pas un fort degré d’ethnicité (Usunier, 2002). Enfin, les seuls symboles semblant

    dépasser les ethnies sont ceux ayant trait à la problématique environnementale et de santé

    qui relèvent de sujets non ethnique ou de ce qui est nommé « culture globale » (Ger et Belk,

    1996). Il ressort ainsi différents niveaux d’influence de la culture sur les pratiques, une

    influence liée à l’ethnie d’appartenance dont les racines peuvent être ailleurs (en Chine ou

    dans les pays traditionnels musulmans), une influence liée au modèle de réussite sociale là

    encore lié au système de valeur ethnique, une influence liée à l’environnement naturel

    partagé (le climat malaisien) et une influence liée à la culture mondiale là encore partagée (le

    problème environnemental). Ces différentes sphères se superposent mais dans le contexte

    multiculturel de deux ethnies dominantes, aucune tendance à l’acculturation, ni au

  • Actes du 25e Congrès International de l’AFM – Londres, 14 et 15 mai 2009

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    balancement n’est observée contrairement aux conclusions des travaux récents. Ce résultat

    souligne la nécessité de considérer les rapports de domination entre catégories de population

    ethnique étudiées comme voie de recherche future pour comprendre les conditions de

    l’acculturation, du balancement identitaire ou de la créolisation.

  • Actes du 25e Congrès International de l’AFM – Londres, 14 et 15 mai 2009

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