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LA BIENTRAITANCE: UN PROJET ROMAND! RENCONTRE ROMANDE DU 15 NOVEMBRE 2016 À LAUSANNE

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LA BIENTRAITANCE:

UN PROJET ROMAND! RENCONTRE ROMANDE DU 15 NOVEMBRE 2016 À LAUSANNE

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IMPRESSUM Editeur CURAVIVA Suisse, Domaine spécialisé personnes âgées Zieglerstrasse 53 Case postale 1003 3000 Berne 14 Téléphone +41 (0)31 385 33 33 [email protected] www.curaviva.ch

Copyright photo de couverture: CURAVIVA Suisse Layout: CURAVIVA Suisse Editeur: mars 2017 Le 15 novembre 2016, plusieurs centaines de professionnels se sont réunis à Lausanne à l’occasion de la Rencontre romande des EMS, organisée par les associations cantonales de la branche et leur faîtière nationale. Grâce à un partenariat fructueux avec des étudiants de l’Institut et Haute Ecole de la Santé La Source (Lausanne), les principales interventions de cette journée ont été documentées puis retranscrites afin de diffuser les fruits de cette rencontre le plus largement possible. Pour des raisons de compréhension, il peut arriver que ne figurent dans le texte que la forme féminine ou masculine. Les deux genres sont cependant toujours concernés.

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Sommaire 1. Auto-évaluation de la bientraitance 4

2. Le label Sonate - Bientraitance en institution au home médicalisé

La Sombaille 5

3. Prix «Innovation en EMS» 2016 - Présentation des lauréats et de leurs projets 8

4. Comment réduire l’emprise institutionnelle ? 10

5. Le projet tessinois Bienca 12 6. Regards croisés sur l’évaluation de la qualité de vie perçue par le

résident hébergé en EMS et le personnel soignant 14 7. Regards croisés sur la bientraitance : Quelles implications pour la

pratique professionnelle en EMS ? 18 8. Un cercle vertueux : bientraitance des personnes soignées et qualité

de vie au travail des personnes soignantes 20 9. Assistance au suicide : comment faire ou ne pas faire ? 23 10. Une communication bientraitante entre résidents, proches et personnel

de l’institution ? 25 11. Pour un regard critique sur le concept et les projets de bientraitance 27 12. Photographie : un outil du domaine du handicap pour ouvrir le dialogue

sur les besoins en EMS 29

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Auto-évaluation de la bientraitance

Daniel Pugin, directeur de la Résidence Les Épinettes, à Marly, et president du Conseil éthique de l’AFIPA Un compte rendu d’Aurélien Arméli et Lorène Brianza

Quelques définitions Il importe de sensibiliser plus particulièrement le personnel soignant à ces différentes notions. En EMS, les soignants représentent effectivement 60% de l’ensemble du personnel. Par ail-leurs, trois quarts des soins sont dispensés par les aides et assistants en soins, les profes-sionnels infirmiers étant pour leur part souvent affectés à des tâches de gestion et d’organisation. • La bientraitance est un ensemble d’attitudes et de comportements positifs et constants de

respect. Cette notion est utilisée dans le domaine éthique, tant pour les êtres humains que pour les animaux.

• La bienveillance est une disposition affective d'une volonté qui vise le bien de la personne, pour elle-même et pour ce qu’elle est. Mais vouloir le bien ne suffit pas ; il faut aussi le faire. On peut être bienveillant, et pourtant maltraitant, lorsque l’action est inadéquate sans qu’on en ait conscience. C’est le cas, par exemple, quand on propose des aliments mixés à la personne alors qu’elle n’en a pas besoin, quand on la force à prendre sa douche alors que les installations ne sont pas aisément accessibles, etc. Posons-nous la question différemment : sommes-nous toujours bienveillants au quotidien avec nos en-fants lorsqu’on leur dit quoi faire, ou sommes-nous maltraitants ?

• La bienfaisance est une inclination à faire du bien aux autres, à pratiquer les bienfaits. Ces notions sont étroitement corrélées. La bientraitance est un mélange de bienveillance – vouloir le bien – et de bienfaisance – faire du bien. Mais il est aussi possible d’être bien-veillant et maltraitant à la fois, par exemple lorsque le bain est trop chaud, que le plan de miction est trop strict, etc.

La bienveillance et la bienfaisance sont indissociables : ce n’est pas seulement l’action en soi qui est « bien », mais aussi la façon de la réaliser et de la communiquer. Ainsi, on peut faire souffrir une personne si on ne tient pas compte de son avis, si on ne lui laisse pas le choix, on ne l’écoute pas. En revanche, il se peut qu’une mesure de contrainte prise à bon escient soit bienfaisante. Tout dépend de la façon dont elle est appliquée et communiquée. La bienfai-sance exige des compétences, de la réflexion et de la formation. Certains comportements, langages et attitudes peuvent être maltraitants : l'attitude infantili-sante du soignant, ne pas demander ni écouter l’avis de la personne concernée, ne pas lui expliquer le but d’une intervention ou d’un soin, mettre en place une mesure de contention sans fondement réel, etc.

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Le label Sonate - Bientraitance en institution au home médicalisé La Sombaille Nathalie Galli, cheffe de projet Sonate et responsable de l’accompagnement des processus au sein des institutions Élisabeth Viennet, infirmière-cheffe, home La Sombaille, à La Chaux-de-Fonds Un compte rendu de Carina Mora et Anne-Caroline Petermann

Confrontée à la maltraitance dans l’exercice de son travail, Nathalie Galli s’est interrogée sur les actions concrètes qu’il faudrait mettre en place pour l’éviter. En 2012, elle crée le label So-nate, un nom né de l’association des premières lettres des prénoms de Sophie et de Nathalie, deux aides précieuses pour Nathalie Galli. En musique, la sonate désigne aussi une composi-tion harmonieuse destinée à quelques instruments. Sonate est une association à but non lucratif qui s’engage à promouvoir la bientraitance en institution. Elle est ouverte à toute personne ou institution active dans la prise en soins : aux résidents, à leurs proches ainsi qu’à tous ceux qui souhaitent encourager la bientraitance en institution. Elle touche autant les personnes âgées que les enfants et s’ouvre au handicap. Elle est active en Suisse romande mais commence à s’étendre à la Suisse allemande où la de-mande pour de telles démarches augmente. Le label « Sonate – Bientraitance en institution » est octroyé aux établissements qui ont suivi un processus d’évaluation. Il atteste ainsi que l’institution entreprend des actions au quotidien pour la bientraitance. L’association Sonate mandate un organisme privé pour accompagner l’institution dans la démarche de labellisation, garantissant ainsi un suivi dans ce processus sur une durée de six à dix mois. Le processus de relabellisation a lieu tous les deux ans. Les coûts sont établis en fonction de la taille de l’établissement. Le label Sonate ne signifie pas que l’établissement qui l’affiche est un lieu de vie exempt de maltraitance, mais qu’il est dans une dynamique de questionnement permanent portant sur des améliorations pour assurer la qualité de l’accompagnement des résidents et la qualité des conditions de travail de tous les collaborateurs. Les objectifs du label

• Promouvoir le respect des singularités des rythmes et des parcours de vie de chacun.

• Démontrer aux proches des résidents les efforts de l’institution en vue de la bientraitance.

• Valoriser et développer les mesures de bientraitance également en faveur du personnel, puisqu’un personnel bien traité est un personnel bientraitant.

• Offrir la possibilité à une institution d’afficher clairement ses valeurs face à ses résidents, à leurs proches et à son personnel.

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• Lutter en faveur de la bientraitance en limitant le développement des facteurs de risques de la maltraitance (routine, épuisement, absence de collaboration, etc.).

• Développer l’esprit d’entreprise en stimulant la collaboration entre les différents secteurs de l’institution. Chaque secteur est impliqué, que ce soit les employés de la cuisine, les soignants ou les collaborateurs externes comme la pédicure, les médecins, le coiffeur, etc.

La démarche L’association Sonate commence par présenter le label aux cadres de l’institution puis aux em-ployés. Une fois les présentations faites, cinq questionnaires différents sont distribués (cadres – employés – personnes ressources extérieures et proches). Le cinquième questionnaire s’adresse aux résidents sous la forme d’une interview menée par un membre de l’association Sonate. Sont interrogés les résidents qui ont la capacité physique et psychique de répondre à des questions ciblées. S’ensuit un dépouillement des questionnaires et une analyse des résul-tats obtenus. L’analyse est ensuite présentée aux cadres de l’institution. Sur la base de l’analyse, l’établissement définit des sujets prioritaires et secondaires à traiter et élabore des premiers plans d’action dont les résultats seront communiqués aux employés. La démarche est ensuite présentée à l’association Sonate pour labellisation. En d’autres termes, le but de la démarche est de repenser le concept d’accompagnement, de prioriser des objectifs et de définir les étapes pour les atteindre. L’objectif final est le confort du résident, tout en tenant compte aussi du confort du professionnel. Un exemple pratique – Le home La Sombaille Situé à La Chaux-de-Fonds, le home La Sombaille est engagé depuis 2007 dans une dé-marche qualité. Pour mieux centrer son action au service du résident, et après avoir entendu parler du label Sonate, l’EMS s’est lancé dans une démarche de labellisation. Les questionnaires ont été traités entre janvier et juin 2015, et les résultats analysés en juin 2015. De septembre à décembre de la même année, quatre plans d’actions ont été mis en place :

1. Répondre aux besoins des résidents et des proches, dès l’accueil dans l’institution : centrer la relation sur la personne, la placer au centre des préoccupations, s’adapter à ses besoins (et non pas lui demander de s’adapter).

2. La chambre pilote : aménagement des infrastructures conformément aux normes can-tonales.

3. Communication : transmissions ciblées pour la traçabilité, agenda informatisé pour faci-liter les échanges.

4. Référents pédagogiques : suivi des nouveaux collaborateurs, apprentis et stagiaires. Le home médicalisé La Sombaille a été labellisé en mars 2016.

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Du point de vue du home, les avantages de la labellisation sont les suivants :

• Fixer des priorités dans les plans d’action. • Devoir se remettre en question et se réadapter continuellement. • Constituer des groupes de travail. • Se rendre compte de l’importance de la systémique et de la nécessité d’être dans le

changement, dans l’évolution, et non dans la routine. • Prendre conscience qu’il faut savoir changer pour la bonne cause en étant convaincu de

la raison qui y conduit. « Le changement peut être comparé à un exploit sportif, un entraînement est nécessaire. Une fois bien entraîné, adopter un changement n’est plus un problème ! », a conclu Élisabeth Viennet.

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Prix «Innovation en EMS» 2016 - Présentation des lauréats et de leurs projets Un compte rendu de Valentim Samanta et Tan Pauline

Répondant à l’appel du Prix « Innovation en EMS » 2016 sous le titre « La bientraitance, pour nous, cela signifie… », dix projets provenant de toutes les régions de Suisse romande ont été déposés. Un jury intercantonal et interdisciplinaire les a étudiés et a sélectionné les trois fina-listes. Le Prix « Innovation en EMS » récompense l’EMS dont le projet se sera distingué par son originalité. Les trois projets finalistes ont été présentés aux participants de la Rencontre romande. « Le partage pour construire les valeurs », home les Charmettes, à Neuchâtel Dans son projet sur la bientraitance, le home les Charmettes a élaboré en 2010 une charte qui définit neuf valeurs à mettre en pratique afin d’assurer la meilleure qualité de vie possible : l’affectivité, l’autonomie, la dignité, le bien-être, le rythme, le sentiment de sécurité, la spirituali-té, l’intimité et l’indépendance. Le home a donné la parole à une vingtaine de résidents, répar-tis en petits groupes. Les résidents ont été heureux de pouvoir s’exprimer sur les valeurs vé-cues au quotidien. Voici quelques-uns de leurs témoignages : • « Le contact, le respect, l’amitié, la compréhension, s’intéresser aux intérêts des autres

sont très importants. »

• « Disposer de son temps, ne pas être poussé à aller plus vite. Pouvoir être indépendant au maximum. Tout va bien, les repas sont bons. »

• « Avoir du respect avec le personnel, qu’on ne nous traite pas comme des numéros en donnant uniquement des ordres. Rassurer la personne. »

Les quatre valeurs suivantes sont venues s’ajouter à la liste : tolérance, gentillesse, chaleur humaine et le besoin d’être écouté. La chasse aux « douces violences », home Le Carillon à Saint-Léonard (VS) Ce projet à pour but de sensibiliser l’équipe aux « douces violences », c’est-à-dire à l’ensemble des gestes fondés sur une bonne intention, qui peuvent pourtant être maltraitants. Cette maltraitance peut être d’ordre psychologique ou physique et, de ce fait, avoir de nom-breuses répercussions, dont une hausse de la fragilité et une augmentation de la dépendance au soignant. Les intervenants du home ont mis en scène plusieurs exemples de situations :

• L’infirmière entre dans la pièce sans frapper, réveille la personne rapidement et lui an-nonce la douche, toujours avec un ton très calme. Madame ne veut pas aller se dou-cher. La soignante ouvre la fenêtre et lui répond que la douche lui fera du bien, que ça la réveillera et qu’ensuite il y aura le café.

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• Au moment du repas, l’infirmière installe la résidente à sa place, lui attache machinale-ment une bavette et lui donne une soupe trop chaude, s’en excuse très gentiment tout en continuant de la lui donner.

Les « douces violences » surgissent dans des phrases et des attitudes d’apparence bienveil-lantes, mais brusques et autoritaires en réalité. Le home Le Carillon propose à l’équipe soignante des formations comprenant des jeux de rôles, suivis par des analyses de situations. En agissant directement sur les facteurs de risques comme le stress, la négligence ou encore le manque de réflexion, la formation et l’encadrement visent à réduire ces violences qui passent souvent inaperçues. La finalité de ces démarches est de permettre aux résidents de se sentir chez eux dans le home, d’être « comme à la maison ». « La fenêtre ouverte sur les souvenirs anciens », EMS Les Charmettes, à Bernex (GE) Lauréat du Prix « Innovation en EMS » 2016, l’établissement Les Charmettes est spécialisé dans l’accueil et l’accompagnement des personnes souffrant de troubles cognitifs et psychia-triques. Il accueille 84 résidents dans six lieux de vie. Dès l’entrée de la personne dans l’institution, l’équipe met en place un projet d’accompagnement individualisé dans lequel la famille est intégrée. Le but est de redonner un rôle aux résidents, en leur faisant accomplir des tâches qui réactivent le passé lequel devient le présent. En retrouvant un rôle, les résidents ont une meilleure estime d’eux-mêmes. En conséquence, les troubles du comportement (qui sont une manifestation du besoin d’exister) diminuent et les rapports avec la famille sont plus faciles. Pour exemple, Monsieur M., un ancien technicien de surface, vient d’arriver dans l’EMS. Il verbalise qu’il doit aller travailler. Il se lève tôt et déambule jusqu’à ce qu’il rencontre le res-ponsable du nettoyage. Un projet a été mis en place avec la collaboration de l’équipe de net-toyage – qui est une entreprise externe – afin que Monsieur puisse les aider et devenir ainsi leur partenaire. La famille voit son parent comme il était avant, elle est rassurée. Depuis la mise en place de ce projet, l’équipe constate une diminution de l’anxiété et des troubles du comportement.

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Comment réduire l’emprise institutionnelle ? Daniel Pugin, directeur de la Résidence Les Épinettes, à Marly, et president du Conseil éthique de l’AFIPA Christine Bongard-Félix, maître d’enseignement HES SO, inf., M. Ph. Philosophie morale Un compte rendu de Catherine Bühler et Solène Berset

L’approche sociologique (Daniel Pugin) Comment réduire l’emprise institutionnelle ? Avant d’apporter des éléments de réponse à cette question, Daniel Pugin illustre l’influence que peut effectivement avoir un EMS sur les rési-dents et leurs familles et sur les membres de l’équipe. Des témoignages de résidents et de soignants ont en effet mis en évidence que les personnes vivant en appartement protégé sont plus autonomes et indépendantes que celles hébergées en EMS. Mais lorsqu’elles entrent en EMS, elles perdent peu à peu cette liberté, ainsi que leur identité, leur intimité et leurs repères. Elles deviennent vulnérables. Empruntant aux travaux du sociologue Richard Vercauteren, l’emprise institutionnelle se dé-cline en trois catégories : La télé-emprise est l’emprise faite par la famille, animée par la peur et l’inquiétude pour son proche : risque de chute, surmédication, oublis, etc. Souvent, les soignants ne communiquent qu’avec les proches au sujet de l’établissement et de son fonctionnement, et ne s’enquièrent des habitudes de vie du futur résident qu’auprès de sa famille. Il est donc nécessaire de recen-trer l’attention sur la personne concernée et de la laisser s’exprimer librement quant à ses be-soins, ses craintes et ses attentes. Cette posture va permettre d’identifier ce qui est important pour le futur résident et de redéfinir la juste place de la famille, pour l’amener elle aussi à se recentrer sur les besoins de son proche et à les respecter. La proche-emprise est l’emprise par le personnel de l’institution sur le résident. Elle se carac-térise par la notion de « moule institutionnel » ou le fait de standardiser l’environnement des résidents. La proche-emprise se traduit également par l’intrusion dans la vie privée et dans l’intimité de la personne, par le maternalisme ou l’emploi d’un vocabulaire infantile, par l’âgisme infantilisant et déshumanisant et le compliment excessif, par l’abus de pouvoir et le ton autoritaire. L’auto-emprise est l’emprise du résident sur lui-même. C’est le cas de celui qui suit le mou-vement, qui s’intègre et qui ne veut pas déranger par crainte des « représailles » du personnel. En conclusion, il est primordial que l’équipe soignante axe ses interventions sur les besoins exprimés par le résident et s’assure de respecter son intimité et sa dignité. L’éclairage psychanalytique : le soignant face au vieillissement (Christine Bongard-Félix) L’approche psychanalytique admet l’emprise comme une relation caractérisée par la soumis-sion d’une des parties. C’est donc une relation asymétrique, mise en place par un processus de stratégies relationnelles, de manipulations, pour rendre une personne dépendante. Cette relation est ressentie comme un « étau psychique » : la personne ne parvient plus à se consi-dérer comme une personne intègre, à part entière, qui a des droits. On peut donc la qualifier

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d’antonyme de l’humanité. Selon l’approche psychanalytique, l’identité chez l’humain se construit à partir d’une expé-rience traumatique (= noyau pathogène) qui influence les trois entités nous constituant, à sa-voir le Ça, le Moi et le Surmoi. Les événements de violence et les pulsions partent toujours de ce noyau, même si nous n’en avons pas conscience. Les pulsions d’emprise correspondent à des tentatives de meurtre psychologique, inconscientes mais nécessaires à la construction de l’identité (par exemple écraser l’autre pour se construire). L’impossibilité de comprendre l’autre est un enjeu éthique relationnel, « si on ne peut s’identifier à lui, être touché par lui, par ce qui le traverse et le harcèle ». Dans un contexte de soins, il très difficile de s’identifier au résident car sa situation nous renvoie à notre propre vieil-lissement, à notre propre effondrement, à notre impuissance future. Le terme de compréhension sous-entend la capacité de sentir justement ce que la personne éprouve, de sentir ce qu’elle vit et non pas simplement ce que cela suscite et résonne en nous. La compréhension est donc complexe à mettre en place dans un tel contexte. La violence dans le soin provient d’affects refoulés dont les plus fréquents sont le gel des af-fects, la pseudo-écoute, la rétorsion, la jouissance, l’idéologisation. Ces raidissements psy-chiques conduisent les acteurs à répondre à ce que la vieillesse produit chez eux plutôt qu’à répondre aux véritables besoins des sujets souffrants. En conclusion, la relation d’emprise est un phénomène psychique individuel qui participe au développement psychique humain. Elle devient problématique quand elle est un mécanisme de défense. Elle opère alors un retournement du sentiment d’agression contre l’autre.

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Le projet tessinois Bienca Rita Pezzati, psychologue et psychothérapeute, prof. SUPSI, membre CCA-DEASS SUPSI Carla Sargenti, inf.SC, responsable des programmes DEASS-SUPSI, membre CCA-DEASS SUPSI Un compte rendu de Sara Da Silva Azevedo et Katy Da Silva Simoes Machado En complément aux divers instruments d’évaluation de la qualité, le Service de l’action sociale et des familles du canton du Tessin a mandaté la Haute école spécialisée de la Suisse ita-lienne (SUPSI) pour mener une recherche-action innovante visant à promouvoir la bientrai-tance dans les EMS tessinois. Le travail des deux chercheuses de la SUPSI visait, à partir des résultats de la recherche et du vécu des participants, à identifier les stratégies opérationnelles qui peuvent garantir un climat bientraitant. Les fondements de la recherche Bienca est un projet cantonal mené dans dix-sept EMS tessinois, représentatifs des différentes réalités du canton. Il avait pour objectif de relever les éléments de bientraitance de même que les éventuels aspects de la maltraitance ordinaire, de sensibiliser les collaborateurs des EMS à la thématique et d’identifier des pistes d’amélioration pour la prévention de la maltraitance ainsi que des stratégies appropriées pour la promotion de la bientraitance. Les chercheuses ont adopté une approche qualitative et quantitative, basée sur l’observation de l’activité quotidienne dans les EMS et sur des questionnaires, respectivement des ren-contres avec les résidents et leurs familles ainsi qu’avec les professionnels des institutions. Ces deux méthodes ont permis d’évaluer, par l’observation, la qualité des soins donnés et, par les questionnaires et les rencontres, la qualité perçue des soins. Les valeurs qui ont guidé cette recherche sont les suivantes : • Le respect de la personne, de sa dignité, de son intimité et de la confidentialité • Le respect de l’autodétermination de la personne âgée • Le respect de la sécurité et de la liberté • La reconnaissance de l’identité de la personne ainsi que de son projet de vie • La garantie d’un accompagnement adapté à la personne et à ses proches dès l’accueil en

EMS. Les résultats de la recherche Globalement, sur les 17 EMS, on observe une tendance bienveillante de la part de l’équipe soignante grâce aux bonnes connaissances individuelles. Cependant, au niveau pratique, quelques lacunes sont observées : • Une communication infantilisante • Un langage standardisé utilisé pour rassurer la personne âgée • Des automatismes et des banalisations récurrentes • Le recours aux solutions les plus simples avant même de comprendre la problématique de

la situation

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• La dépersonnalisation des soins Bien qu’une tendance institutionnelle, plus au moins importante, en faveur du respect du prin-cipe d’autodétermination se dessine dans la majorité des EMS, les chercheuses ont égale-ment pu constater que lorsque les collaborateurs sont persuadés de bien connaître les rési-dents et leurs besoins, on assiste à une diminution de l’implication de ces derniers dans leurs choix de la vie quotidienne, ce qui augmente par conséquent le risque d’une adaptation pas-sive de la personne. Depuis ce projet, un groupe cantonal a été formé pour continuer à développer le thème de la bientraitance, et le Service de l’action sociale et des familles du Tessin a décidé de financer une démarche auprès des EMS qui le souhaitent.

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Regards croisés sur l’évaluation de la qualité de vie perçue par le ré-sident hébergé en EMS et le personnel soignant

Valérie Baud Mermoud, infirmière clinicienne et titulaire d’un Master en sciences infirmières, Fondation Saphir. Dans cet atelier, elle présente les recherches effectuées dans le cadre de son travail de master. Un compte rendu de Gilberte Dacélien et Stéphanie Francisco Mendes

Le contexte L’augmentation de l’espérance de vie, et avec elle la demande croissante de prestations de soins, est un défi planétaire. Partout la population vieillit. Dans le canton de Vaud, selon les prévisions statistiques, le nombre de personnes âgées de 80 ans et plus va plus que doubler à l’horizon 2040. Actuelle-ment, 45% des personnes âgées de 95 ans et plus sont institutionnalisées et le besoin en places EMS s’accroît. La qualité de vie Selon la définition de l’OMS (Organisation mondiale de la santé), la qualité de vie est la « per-ception qu’a un individu de sa place dans l’existence, dans le contexte de la culture et du sys-tème de valeurs dans lequel il vit, en relation avec ses objectifs, ses attentes, ses normes et ses inquiétudes ». La qualité de vie est un enjeu sociétal mondial et se traduit, dans le domaine médico-social, par la promotion et la garantie de la meilleure prise en charge possible des résidents. Tout EMS devrait pouvoir mesurer et contrôler la qualité de vie de ses résidents. Pour ce faire, il existe plusieurs échelles de mesure de la qualité de vie validées et adaptées à la situation du résident, même si la personne souffre de troubles cognitifs. Des statistiques sont disponibles au niveau national et international pour évaluer la qualité de vie des personnes âgées. Questions de recherche Plusieurs questions de recherche ont été formulées dans le cadre de ce travail de master. Les objectifs relatifs au descriptif des participants à l’étude : • décrire le profil sociodémographique et clinique des résidents participant à l’étude • décrire le profil sociodémographique et professionnel des soignants participant à l’étude Les objectifs relatifs aux questions principales :

• décrire la qualité de vie perçue par le résident • décrire la qualité de vie perçue par le soignant référent du résident

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• examiner s’il existe des écarts entre les perceptions des résidents et des soignants réfé-rents

• examiner si certaines caractéristiques des résidents ou des référents sont corrélées avec les scores de qualité de vie.

Analyse critique des résultats Il ressort des résultats que les résidents sont les mieux placés pour évaluer leur qualité de vie. Leur collaboration est donc indispensable pour cette évaluation, surtout dans les situations de troubles cognitifs. Cette évaluation peut compléter, voire constituer un indicateur de la qualité des soins. Différents facteurs influencent la qualité de vie des résidents en EMS. Le maintien des liens et des relations interpersonnelles, l’environnement et le cadre de vie, les activités individuelles répondant aux envies et aux besoins du résident – donc qui font sens –, l’approche éthique dans les soins, l’autonomie, l’estime de soi, la maîtrise de son existence ou encore la qualité des soins sont autant de facteurs positifs qui améliorent leur qualité de vie. A contrario, un état dépressif difficile à diagnostiquer et à traiter, des troubles sensoriels et la dépendance dans les actes de la vie quotidienne peuvent influencer négativement la qualité de vie des résidents. La recherche relève aussi la différence de perception entre les résidents et les soignants réfé-rents sur la qualité de vie des résidents : ces derniers ont en effet une perception plus positive de leur qualité de vie que ne l’ont les soignants. Cela s’explique par le fait que les résidents accordent davantage d’importance aux aspects qui les entourent (l’environnement, les rela-tions sociales, l’autonomie), tandis que les soignants mettent en avant la santé physique et cognitive du résident. Cette différence de perception risque de conduire le soignant à se foca-liser sur certains besoins qui ne sont pas forcément ceux ressentis par le résident. Ancrage disciplinaire Le modèle de Curaviva Suisse de la conception de la qualité de vie pour des personnes en situation de dépendance distingue quatre domaines essentiels de la qualité de vie : la dignité humaine et l’acceptation, le développement et l’existence, la fonctionnalité et la santé, la re-connaissance et la sécurité. Ces domaines constituent le point de départ pour évaluer les con-ditions de la qualité de vie. Ils se déclinent en catégories thématiques, dix-sept au total. On retrouve dans les quatre domaines les spécificités liées à la personne : la personne, la santé, le soin et l’environnement. Ce modèle permet de répondre aux besoins des personnes en si-tuation de dépendance en tenant compte de leurs ressources et de leurs préférences. Méthode : déroulement de l’étude Deux EMS vaudois, 26 résidents et 9 soignants ont participé à un questionnaire sur la qualité de vie des résidents. Les résidents eux-mêmes ont dû évaluer leur qualité de vie selon treize aspects différents (santé physique, forme et vitalité, moral et humeur, cadre de vie, jugement concernant sa mémoire, relations avec la famille, vie de couple, relation avec ses amis, image

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de soi, capacité à accomplir les tâches du quotidien, capacité à se divertir, à faire des choses pour le plaisir, jugement de sa situation financière, jugement sur sa vie dans son ensemble) et cocher la réponse qu’ils jugeaient correcte par rapport à leur situation: mauvaise, moyenne, bonne ou excellente. Les soignants devaient répondre à ce même questionnaire en se mettant à la place du résident dont ils sont référents. Résultats Les scores de qualité de vie perçue démontrent que les résidents ont une perception plus éle-vée de leur qualité de vie que les soignants qui l’ont notée plus faiblement. Pour chacun des treize aspects, les résidents ont toujours un meilleur score que les soignants. Au début de cet atelier, les participants ont répondu au même questionnaire auquel les soi-gnants des EMS avaient dû répondre dans le cadre de l’étude. La discussion dans la salle a ensuite permis de constater que les professionnels présents avaient eux aussi scoré plus fai-blement les résidents dont ils sont référents. Recommandations pour la pratique Les enseignements tirés de ce travail de recherche permettent d’élaborer quelques recom-mandations à l’intention des professionnels : • Écouter le résident et respecter ses représentations et perceptions pour améliorer la quali-

té de l’accompagnement, même en présence de troubles cognitifs. • Encourager le résident à s’exprimer sur sa qualité de vie et l’évaluer à l’aide d’un ques-

tionnaire. • Orienter les actions professionnelles sur les ressources encore disponibles des résidents ;

travailler avec ces ressources apportera aux professionnels davantage de satisfaction dans leur travail.

• Collaborer avec les proches et les autres professionnels pour avoir une vision plus large du résident.

• S’assurer que l’environnement du résident est adapté et, au besoin, mettre en place les mesures qui s’imposent.

• Les activités proposées au résident doivent être en accord avec ses désirs, ses souhaits et ses capacités. Pour ce faire, les animatrices et animateurs doivent donc être impliqués dans le processus.

• Enfin, il serait souhaitable que les aspects de la qualité de vie que les soignants ont peu valorisés (santé physique, estime de soi, forme et vitalité) fassent l’objet d’actions infir-mières ciblées.

Recommandations pour la recherche Il faudrait mettre en place des études longitudinales et permettre à d’autres professionnels d’intégrer le recueil des données, ainsi que des études sur les interventions infirmières visant à améliorer les aspects de la qualité de vie qui ont été les moins valorisés par les résidents.

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Retombées pour la Fondation Saphir Les collaborateurs de la Fondation Saphir ont appliqué le concept de qualité de vie de Curavi-va Suisse pour la réalisation du projet de soins des résidents. Ils ont introduit dans un deu-xième temps le projet de soins centré sur la personne. Reste désormais à inclure, en plus de la qualité des soins, la promotion et le maintien de la qualité de vie dans le concept d’accompagnement.

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Regards croisés sur la bientraitance : Quelles implications pour la pratique professionnelle en EMS ? Delphine Roulet Schwab, Dr. phil. Psychologie, professeure HES ordinaire à l’Institut et Haute École de la Santé La Source et membre du Conseil d’éthique de l’AVDEMS Un compte rendu d’Anja Caruso et Julia Coke Le but de cette intervention est de présenter les différentes perceptions de la bientraitance envers les aînés. À commencer par celle des participants à l’atelier ! Exercice d’associations libres Quelles sont les images ou expressions qu’évoque chez vous spontanément le mot « bientrai-tance » ? Tel fut l’exercice auquel les participants à l’atelier se sont prêtés. Réponses : respect, bien-être, écoute, compréhension, autonomie, harmonie, savoir-être, em-pathie, bienveillance, authenticité, vivre avec, égalité, humanité, valeurs, l’autre, bonne pra-tique professionnelle, investissement, confort, connaissance de l’autre, non jugement, prendre soin, disponibilité, maltraitance, poser des limites, communication, équilibre, remise en ques-tion, engagement, chaleur humaine, acceptation de l’autre, valorisation de l’autre profession-nel, intention, patience, respect des rythmes, savoir passer le relais, idéal visé, connaissance de soi, intimité, dignité, mise à niveau d’égalité. La parole aux personnes concernées À ce jour, il existe peu d’études sur les perceptions de la bientraitance envers les aînés. Le terme est relativement nouveau et le concept plutôt lié au monde du handicap et au domaine de la petite enfance. Néanmoins, deux études concernant la bientraitance envers les per-sonnes âgées ont été réalisées en Suisse romande par Delphine Roulet Schwab :

1. Les représentations de la bientraitance chez des professionnels d’EMS (2008)

Dans cette étude, conduite dans le cadre de formations intra-muros en EMS, les pro-fessionnels des différents secteurs (env. 250 soignants) se sont prêtés à l’exercice d’associations libres. L’analyse a permis de mettre en évidence deux catégories d’associations : la première est celle des actes ou des attitudes de bientraitance, la se-conde est celle des facteurs de bientraitance. La catégorie des actes (n=124 occur-rences) a donné lieu à plusieurs constats : l’accent mis sur la dimension psychologique de la bientraitance et sur l’attention à l’autre, la distinction marquée entre « être bien-traitant » (positionnement soignant) et « être bien traité » (positionnement soigné), la dimension relationnelle perçue de manière très forte à travers des associations comme le respect, l’écoute, l’empathie, la valorisation et la chaleur humaine, l’acceptation et l’adaptation. La catégorie des facteurs de bientraitance (n=113 occurrences) regroupe également différents éléments dont des facteurs individuels (reconnaissance de ses li-mites, prise de distance, évaluation des situations, capacités de solliciter de l’aide…), des facteurs interpersonnels (traiter une personne comme un adulte et non comme un malade, négocier, trouver des solutions par le dialogue, voir et comprendre la personne au-delà de son statut de résident, avec ses envies, ses représentations, ses peurs,

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etc., considérer le résident comme un partenaire, savoir ajuster et communiquer, mon-trer une prédisposition aux compromis) et, pour finir, des facteurs contextuels comme les conditions propices à la discussion et à la cohérence entre professionnels et institu-tions.

2. Représentations de la bientraitance chez des personnes âgées à domicile et des pro-fessionnels actifs dans la prévention de la maltraitance (2013) Dans le cadre d’une recherche sur les perceptions de la maltraitance, le même exer-cice d’associations libres a été réalisé à partir du mot « bientraitance ». L’analyse thé-matique a mis en évidence cinq catégories d’actes de bientraitance : psychologique (p.ex. joie de vivre, sécurité, bien-être, compréhension), financière (p.ex. dons, ca-deaux, intimité, toilettes séparées), sociale et liée aux droits (p.ex. visites, compagnie, avoir des contacts avec ses voisins, liberté d’action), physique (p.ex. confort, épa-nouissement, développements personnels), et général (p.ex. mot jamais entendu). Elle a également identifié trois catégories de facteurs de bientraitance : individuels (liés à l’aîné/à l’aidant, oser en parler, garder le contact, ne pas s’isoler), interpersonnels (écoute, ajustement, soutien) et contextuels.

La comparaison des résultats de ces deux études montre qu’il y a davantage d’associations faites par deux groupes des professionnels que par quatre groupes des personnes âgées. Nous pouvons en déduire que les professionnels sont probablement plus familiarisés avec cette terminologie que les personnes âgées. Autre constat : il y a des visions et des percep-tions différentes du mot « bientraitance », sa notion étant plus familière pour les profession-nels. Parmi les points communs aux deux groupes cibles, relevons le focus généralisé sur la dimension psychologique et une centration généralisée sur les facteurs individuels. Quelles sont les implications pour la pratique en EMS ? La discussion en atelier a montré que, pour la majorité des participants, l’important est de comprendre le sens et l’utilité de leurs actes. Ils estiment que la bientraitance est une compétence à développer qui nécessite • une capacité d’ouverture d’esprit et d’expression,

• des collaborations interprofessionnelles,

• une sensibilité autour des situations rencontrées,

• un débriefing après des situations complexes ainsi qu’un soutien dans la pratique afin d’éviter l’épuisement de l’équipe soignante et, par conséquent, la non bientraitance,

• une personnalisation des soins, la création d’une relation d’aide qui peut permettre d’apprendre à connaître la personne et de respecter son autonomie, ses choix et ses en-vies,

Enfin, il serait également judicieux d’envisager des débriefings réguliers afin de libérer la pa-role et de prendre en compte les avis des soignants, de privilégier le suivi sur le terrain par des collaborateurs, et de les féliciter pour leur travail d’équipe.

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Un cercle vertueux : bientraitance des personnes soignées et qualité de vie au travail des personnes soignantes Michel Schmitt, MD, PhD, Hôpital Albert Schweizer, à Colmar (F), chef de la mission ministé-rielle « Bientraitance en établissement de santé » Un compte rendu de Jennifer Schneeberger et Barbara Wicky Les mots « bientraitance » ou « bien-traitance » ne sont peut-être pas les plus appropriés pour évoquer ici ce qui serait l’attitude idéale de soin. Qui peut juger du « bien » et a fortiori de ce qui serait « bien » pour l’autre ? Quant à la « traitance », son origine étymologique ramène au traitement, et non à la manière de le faire. Pour parler de la bientraitance, nous devons parler du soin, du « bon soin », de la promotion de la bientraitance, de la prévention de la maltraitance, autant d’éléments qui sont mis en avant par les personnes soignantes, qui sont attendus par les personnes soignées et leurs proches, et qui peuvent être instrumentalisés par certaines autorités publiques ou politiques. Tout d’abord, il y a cette désillusion des soignants confrontés à des dilemmes éthiques tout au long de leur exercice professionnel, que cela concerne les conditions d’attente des personnes prises en soin, les modalités d’annonce de diagnostics, la conduite à tenir lors de la décou-verte d’une situation de maltraitance ou face à des attitudes revendicatrices et violentes des patients. Le devoir de tout soignant est d’améliorer la qualité de vie des personnes accueillies et de leurs proches. Cela passe cependant par une nécessaire réflexion sur la qualité de vie au tra-vail. Comment initier une démarche de bientraitance ? Un exemple A l’Hôpital Albert Schweitzer, à Colmar, dans l’Est de la France, un groupe de travail a été constitué pour réfléchir à l’initiation d’une démarche de bientraitance. Les membres du groupe ont discuté, listé puis écrit les valeurs fondamentales partagées par l’ensemble de la commu-nauté soignante comme le respect de l’homme, le fait que le soin ne se limite pas à un geste technique, que la famille, les proches, les aidants et l’environnement font partie de l’univers de la personne accueillie. Ensuite, ils ont aussi écrit les conduites inacceptables, telles que le non-respect de la déontologie et de l’éthique, la non-satisfaction des besoins fondamentaux de la personne (selon la pyramide des besoins de Maslow), l’atteinte (tant physique que morale) à la liberté et à la dignité de la personne humaine, à son intégrité et à son autonomie, les correc-tions et contraintes physiques, la violence, les contentions non médicalement justifiées ni prescrites, ainsi que l’absence de prévention de la maltraitance et le non-respect de l’obligation de signalement des conduites maltraitantes. Cette démarche a permis de proposer les éléments constitutifs d’une Charte Qualité. Pour passer rapidement du conceptuel à l’organisationnel, ils ont rédigé des fiches techniques facilement applicables par tous.

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Nous sommes tous maltraitants… La maltraitance se définit comme « tout acte, volontaire ou non, attitude, propos, négligence, omission ou absence d’action portant atteinte à l’autonomie, à l’intégrité physique, psycholo-gique ou morale d’une personne soignée ou de ses proches ». La maltraitance ne se limite donc pas à ignorer ou à « mal agir ». Nous serions maltraitants si les gestes techniques que nous effectuons n'étaient pas réalisés dans le cadre d'une prise en charge globale du patient, accueilli comme une personne, être humain unique, digne de respect. La maltraitance peut être ordinaire, car souvent banalisée dans nos pratiques quotidiennes. Elle est souvent liée à un terrain de travail délétère, où les soignants perdent leurs repères car ils ne sont pas préparés aux évolutions de leur tâche, ni à la pression des contraintes écono-miques, à l’expression des attentes des usagers, aux règles institutionnelles, administratives et gouvernementales ou encore à la confrontation à l’humain et à la souffrance. Et la bientraitance ? Une lubie de Bisounours ? A contrario, qu’est-ce que la bientraitance ? Elle n’est ni un truc de « mémère », de « nu-nuche » ou de « bonnes sœurs ». C’est une action globale qui vise à l’amélioration qualitative du soin et du service rendu. La bientraitance n'est pas le simple contraire de la maltraitance ; ne pas être maltraitant ne signifie pas être bientraitant. La bientraitance trouve ses fondements dans le respect de la personne, de sa dignité et de sa singularité. Elle suppose la promotion du bien-être du patient. La bientraitance procède d'une culture partagée qui reconnaît et valo-rise les sensibilités individuelles, les spécificités de parcours et de besoins pour aboutir à une réponse diagnostique et thérapeutique adaptée. Elle touche à l’éthique, aux valeurs humaines et à l’intériorité du soignant. Elle associe savoir, savoir-être et savoir-vivre. Elle n’est jamais acquise une fois pour toutes. La bientraitance a un effet de levier important qui contribue à l’amélioration des prestations de soin, qui motive le personnel en donnant du sens à son en-gagement, mais qui risque aussi, au moindre problème, d’exacerber les ressentis négatifs de l’équipe et d’épuiser ses ressources. Loin d’aider, la bientraitance peut être vécue comme un stress professionnel supplémentaire et conduire à l’épuisement du soignant. Prévenir la maltraitance et promouvoir la bientraitance, c’est d’abord prendre conscience et réfléchir à la souffrance de la personne soignée, de ses proches mais aussi des membres de la communauté soignante. Comment, en effet, un soignant en souffrance, car non respecté et non valorisé, pourrait-il être durablement bientraitant ? Les souffrances morales occupent une place prépondérante, la peur de l’inconnu, la peur de souffrir, de mourir, la peur des résultats, des non-dits, le sentiment d’infériorité sont les causes les plus fréquentes du stress et de l’angoisse des personnes soignées et de leurs proches.

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En conclusion Le bien-être du patient, le soin et le bien-être du soignant sont interdépendants : c’est le cercle vertueux de la bientraitance. Nous devons prendre conscience de l’existence d’une maltrai-tance passive, ordinaire, par indifférence, par absence d’humanité et d’humanisme au quoti-dien, dans les structures de santé. Assumons cela et travaillons pour changer les choses, sans passer notre temps à nous chercher des excuses ou à sombrer dans une repentance « politiquement correcte » car « s’il n’y a pas de honte à se tromper, il y aurait honte à ne pas vouloir changer ! ». Il nous faut comprendre que la technique et l’économie ont des limites. L’important est de retenir que ce sont des hommes qui soignent des hommes et non des ob-jets, des machines ou des budgets. Nous devons redonner du sens et de la perspective à l’engagement des personnes soignantes. Être « bientraitant» ne se limite pas à obtenir davan-tage de moyens ! « Un sourire, une main tendue ne prennent pas de temps ! »

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Assistance au suicide : comment faire ou ne pas faire ? Christine Bongard-Félix, maître d’enseignement HES SO, inf., M. Ph. Philosophie morale François Loew, médecin-gériatre, éthicien clinique et président du Conseil d’éthique de la FE-GEMS Un compte rendu de Dan Schwarz et Jilliane Raemy Le propos de cet atelier n’est pas de savoir comment accompagner la personne dans son pro-jet funeste, mais de s’intéresser à « l’avant ». Il n’est pas non plus question de prendre posi-tion et de décider s’il faut ou non autoriser ou promouvoir l’assistance au suicide. Il s’agit bien plutôt de se projeter dans l’hypothèse qu’on approuve la demande, respectivement qu’on ne l’approuve pas, et, ce faisant, de s’intéresser à la question de savoir comment faire, respecti-vement comment ne pas faire. François Loew commence par définir des approches éthiques complémentaires : • l’éthique des principes (respect de l’autonomie, bienfaisance, justice), • l’éthique du care ou de la sollicitude (souci de l’autre, soin, relation aux autres), • l’éthique narrative (récit de vie, biographie).

Il ajoute à cela un cadre de réflexion basé sur des bonnes pratiques professionnelles (evi-dence-based), sur la loi, sur des codes de déontologie (ASI, FMH..), sur des recommandations nationales et sur des principes culturels et spirituels. Pour une pleine compréhension du sujet, il ajoute trois postulats : • Une assistance au suicide touche tous les acteurs : le résident, ses proches, l’association

Exit, les professionnels, les autres résidents, l’EMS… • Une assistance au suicide ne doit pas être banalisée ni réduite à une prestation (il s’agit

d’une transgression). • La demande doit être évaluée : souffrance existentielle, physique, psychique, dépen-

dance, contexte social…

En conclusion, François Loew évoque la possibilité que l’idéation suicidaire à l’âge avancé soit admise comme un fondement et qu’il faudrait alors imaginer une façon de la prévenir. Pour sa part, Christine Bongard-Félix explique que la personne âgée est généralement déter-minée, réfléchie et claire dans sa décision concernant l’assistance au suicide. Le processus réflexif que peut avoir une personne du troisième, voire du quatrième âge, survient au moment où elle prend conscience qu’elle n’a plus de futur. Elle a affronté toutes les difficultés de la vie en tant que personne « en bonne santé ». Elle est désormais confrontée à de nombreuses pertes physiques et psychiques, aux deuils d’êtres chers, et non des moindres, à sa perte identitaire. On pourrait qualifier ce phénomène de « crise existentielle ou travail du trépas ». C’est dans cette crise que la personne âgée ressent la nécessité d’un ancrage affectif ou de la présence d’une personne de confiance qui l’aiderait à se redéfinir. Le moment d’échanges en fin d’atelier a permis aux différents professionnels présents (direc-teurs d’EMS, animateurs, soignants, etc.) de s’engager activement dans la réflexion et de

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s’interroger sur leur rôle professionnel dans l’accompagnement d’une personne âgée qui sou-haite se suicider. Certains ont relevé la difficulté, pour un soignant, d’accepter cette décision. Parce qu’il n’accepte pas son propre sentiment d’inutilité et d’impuissance, il va généralement tout mettre en œuvre pour que la personne âgée change d’avis. Tandis que l’actuel débat de société porte sur la détermination de la capacité de discernement de la personne suicidante, François Loew estime qu’il serait préférable de proposer un accompagnement, une sorte de guide du bien vieillir. Le suicide assisté est-il un avancement pour l’humanité ? Est-il l’ultime expression de ce qu’on a été ? Ces questions restent ouvertes.

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Une communication bientraitante entre résidents, proches et per-sonnel de l’institution ? Philippe Vuillemin, médecin et membre du conseil d’éthique de l’AVDEMS Nadja Eggert, responsable de recherche à la plateforme d’éthique de l’Université de Lausanne et présidente du conseil d’éthique de l’AVDEMS Un compte rendu d’Ana Serra Dos Santos et Ajlina Shurdhani Bientraitance et communication sont des notions étroitement liées. La dimension relationnelle dans la communication entre résidents, proches et institution est très importante et contribue à la bientraitance. La communication prend toute son importante dès l’entrée de la personne dans l’EMS. C’est un moment délicat, affirme Philippe Vuillemin, qui mérite par conséquent que le personnel soit attentif à sa communication dans un souci de bientraitance. Les facteurs susceptibles d’entraver une bonne communication sont en effet divers. Pour commencer, le résident doit se sentir bienvenu ; c’est un honneur pour l’institution de l’accueillir. Très vite cependant, il faut ensuite aborder des sujets très personnels comme les habitudes de vie, les liens familiaux et l’état de santé, ou des sujets sensibles comme les di-rectives anticipées. Cela requiert une certaine aisance à trouver et dire les mots justes qui ne brusquent pas la personne. Le risque est grand de maltraiter, avertit Philippe Vuillemin, si la personne est dans l’incompréhension : elle éprouve déjà un mauvais sentiment voire de l’agressivité. Il faut donc s’assurer que la personne a bien compris ce qu’on lui dit. N’oublions pas que la communication implique une relation réciproque et que ce qui est va-lable pour les uns l’est aussi pour les autres. Car la mauvaise communication peut également être à l’origine de la maltraitance des résidents envers les soignants. Pour éviter les dérapages et les débordements en termes de communication, les soignants peuvent recourir à leur réseau de soins et y trouver un lieu d’échange et de discussion. Ces espaces de parole permettent de s’interroger sur ses propres pratiques et de prendre cons-cience – ou de faire prendre conscience – que certaines remarques ou certains comporte-ments agressifs, qu’ils soient verbaux ou physiques, ne sont pas tolérés. Les réunions d’équipe constituent une excellente opportunité pour faire le point sur une situation donnée et pour retrouver la sérénité nécessaire à la communication. Elles sont préférables aux brefs échanges « entre deux portes » pour la transmission d’informations importantes. Philippe Vuillemin préconise l’adoption par tous d’une même langue en présence du résident, en l’occurrence le français, pour favoriser la communication. Il recommande également de veiller à la communication non verbale des gestes, du corps, du ton de la voix, etc., notam-ment si on n’apprécie pas la personne en face de soi (dans un tel cas, il est parfois préférable de passer le relais à un ou une collègue). Il faut toujours saluer, remercier, sourire, nous dit encore Philippe Vuillemin. Et complimenter les femmes, qui sont majoritaires dans les EMS, pour les séduire. L’aspect de la séduction serait en effet important pour maintenir l’estime de soi.

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Enfin, Philippe Vuillemin estime que savoir parler de la mort est aussi une façon de bien traiter les gens. Jadis, les gens parlaient ouvertement de la mort pour se rassurer et apaiser leurs angoisses face à la fin de vie. Aujourd’hui, combien de fois les résidents ont-ils voulu parler de la mort sans trouver d’oreille attentive ? C’est le rôle des soignants de savoir reconnaître et saisir ces moments pour aborder avec le ou la résidente les questions autour de la mort. En fin d’atelier, répondant à une question sur les comportements inappropriés des résidents à l’égard des soignants, Philippe Vuillemin a rappelé que l’agression quelle qu’elle soit n’est pas excusable. Il incombe à l’institution de protéger au mieux ses collaborateurs d’agressions éventuelles commises par des résidents. Pour sa part, dans sa pratique, il essaie toujours de trouver une solution pour réconcilier les protagonistes, notamment lorsqu’il y a un conflit fami-lial. Il estime en effet que la personne en fin de vie ne pourra pas s’en aller si les problèmes avec ses proches n’ont pas été résolus. En fin d’atelier, les participants concluent que la bientraitance est un concept, un statut, une attitude, un ensemble de règles à définir avec l’équipe et l’institution.

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Pour un regard critique sur le concept et les projets de bientraitance Philippe Svandra, soignant-philosophe, chargé de cours à l’Université Paris Est Marne-la-Vallée, auteur de « Faut-il avoir peur de la bientraitance ? » (Éditions de Boeck) Un compte rendu de Myriam Rossel et Nivetha Ratnam Le mot « bientraitance » ne figure que dans le petit Robert qui en donne la définition suivante : « Fait de traiter quelqu’un avec respect et humanité. » Le contexte français Le terme de bientraitance est apparu il y a quelques années dans le milieu médical en France, notamment dans les organismes d’évaluation et de contrôle que sont la Haute Autorité en Santé et l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services so-ciaux et médico-sociaux (Anesm). Ces organismes ont mis en place des formations et diffusé des kits et trousses de bientraitance. En 2013, le gouvernement français a créé un comité pour la bientraitance composé de hauts fonctionnaires, de professeurs, de médecins gériatres, d’un philosophe et d’un psychologue. Cependant, le comité ne comporte guère d’infirmiers, aides-soignants, auxiliaires de vie et aides à domicile, alors que ce sont pourtant justement les premiers professionnels concernés par la bientraitance. En France, cette notion est employée dans le milieu de la santé comme un dogme que tous les acteurs doivent partager. Une notion trop consensuelle ? Un ouvrage collectif coordonné par Philippe Svandra propose une réflexion sur la notion de bientraitance. En effet, les auteurs se sont interrogés sur le fond de ce néologisme, pour savoir à quoi et à qui sert ce mot. Les objectifs énoncés par la bientraitance vont en effet tellement de soi qu’ils finissent par se dissoudre dans leur propre évidence, nous dit Philippe Svandra. Et d’ajouter que la bientrai-tance semble ainsi ne donner prise à aucune critique. Et c’est pourtant cet aspect trop con-sensuel qui a suscité l’intérêt et la vigilance des auteurs. Paradoxalement, c’est là que se situe une grande partie du problème. Il importe donc de décortiquer, d’analyser et de comprendre ce terme, afin de l’appliquer de manière adéquate dans le milieu médical. Un peu de terminologie La bientraitance se situe dans le champ de la morale et de la norme, et non dans celui de l’éthique, ce qui permet à certains de dire que ce mot s’adresse au « petit » personnel, les cadres et les responsables étant naturellement bientraitants, ironise Philippe Svandra. Le terme de « traitance » renvoie au verbe « traiter » (cure) et non « prendre soin » (care), ce qui pose problème dans les milieux médico-sociaux, puisque le personnel soignant prend soin des personnes, il ne les traite pas. La définition du mot « traiter » ne se prête pas à un débat ni à la réflexion, ce qui fait dire à l’un des auteurs du livre, « qu’avec la bientraitance, l’être hu-main peut être saisi comme une simple matière à traiter, qu’il soit soigné ou soignant ». À no-

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ter également que, il y a quelques dizaines d’années, le mot bientraitance s’écrivait avec un trait d’union (bien-traitance) et qu’il est venu des professionnels du terrain et non du haut de la hiérarchie. Il faut positiver ! Aujourd’hui, la bientraitance est devenue une pratique formalisée, standardisée et opposable, donc permettant une évaluation supposée objective. Par ailleurs, la bientraitance ne peut pas être pensée sans l’ombre de la maltraitance. Cependant, c’est le terme de bientraitance qui est utilisé, plus positif et acceptable que celui de maltraitance, même si dans la réalité on constate que le mot n’a pas toujours le succès escompté auprès des principaux intéressés. Cela relève d’un processus d’euphémisation, d’édulcoration, de camouflage du langage. En effet, les soi-gnants ne sont pas dupes. Ils vivraient cette injonction à la bientraitance comme une forme cachée de reproche qui ne tiendrait pas compte de la réalité des conditions actuelles du travail de soin. Un soin non bientraitant ? Il existerait trois types de soins : le soin maltraitant, le soin neutre et le soin bientraitant. Or si un soin est maltraitant, il n’est tout simplement plus un soin. Citant la psychologue Pascale Molinier, Philippe Svandra nous dit qu’« un travail attentionné ne peut être confondu avec une activité purement instrumentale, il y a du care ou il n’y en a pas ». Dans les institutions géria-triques, il existe toujours un écart entre le travail prescrit (ce qui est demandé) et le travail réel (ce qui est fait). Toujours selon Pascale Molinier, si la bientraitance relève du travail prescrit, le « care » rend compte au contraire du travail réel. Les prescriptions à la bientraitance ignorent allègrement le réel du travail, l’intelligence que les soignants y déploient, leurs trésors de ruse et d’attention pour ne pas déraper, ni du côté de la violence, ni du côté de la perversion. La notion de bientraitance s’est largement imposée dans les institutions sans que nous ayons pris le temps d’en analyser la pertinence, sans nous nous soyons montrés très curieux de ce nouveau terme, car nous voulons être de notre temps, nous ne voulons pas passer pour rin-gard dans la société. Il ne faut pourtant pas banaliser ce mot car, en imposant un terme comme celui de la bientraitance, les champs de la qualité et du management ont pris l’avantage sur celui du soin qui semblait pourtant à priori bien plus légitime sur cette théma-tique Retrouver la confiance en soi Avec la bientraitance, c’est indirectement le cœur même de notre culture commune de soi-gnants qui se voit remise en cause, affirme Philippe Svandra. L’enjeu est donc de réinvestir notre cœur de métier : le soin. Nous devons retrouver confiance en nous, en notre culture pro-fessionnelle. Selon Freud, soigner est un métier impossible, il en résulte qu’il est bien difficile d’être un « tout juste bon » soignant. Nous devons savoir être modestes en nous interrogeant sur nos pratiques, notamment au travers de ce qu’il est convenu d’appeler « l’analyse de la pratique ». La bientraitance me semble être inutile et incertaine, conclut Philippe Svandra. Inutile car elle n’apporte rien de plus à l’idée de soin, incertaine car elle est porteuse de confusion en partici-pant d’une bien-pensance, d’une rhétorique de l’évidence qui ne favorise en rien le débat.

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Photographie : un outil du domaine du handicap pour ouvrir le dia-logue sur les besoins en EMS Karine Vantieghem, médecin chef en médecine interne, gériatrie et soins palliatifs, EHC Un compte rendu de Mélanie Silva et Noemi Messmer Comment peut-on continuer à donner la parole ? Quel regard portons-nous sur les personnes en situation de handicap ? C’est par ces deux questions que Karine Vantieghem a introduit son atelier. Médecin gériatre en soins palliatifs, elle travaille également au sein de l’équipe mobile de soins palliatifs du canton de Vaud. Depuis quelques années, elle s’intéresse plus particulièrement à la façon de communiquer avec des personnes en situation de handicap. Œuvrant dans un service de soins palliatifs, Karine Vantieghem s’est interrogée avec les membres de son équipe sur la manière d’évaluer la douleur chez des personnes non commu-nicantes. A l’aide d’échelles d’évaluation de la douleur, comme Doloplus, ils ont conçu un outil permettant de prendre en considération la personne dans sa globalité. À ce jour, le milieu du handicap dispose de peu de ressources pour évaluer la douleur. La per-sonne gémit, crie, gesticule : qu’est-ce que cela signifie ? En tant que médecin, Karine Van-tieghem a beaucoup interprété, sachant cependant que les interprétations varient d’un soi-gnant à l’autre. Le projet Photographie est alors né de la conviction qu’un langage commun et qu’une vision globale de la personne sont nécessaires. Trois versions de l’outil Photographie ont été lancées : • Version 1 : indépendance totale. Cette version est destinée aux personnes capables de

lire, comprendre et remplir de façon autonome des documents. • Version 2 : dépendance partielle. Cette version est destinée aux personnes capables de

répondre à toutes les questions avec un soutien ou capables de répondre à une partie des questions.

• Version 3 (équipe interdisciplinaire) : première version conçue pour les personnes qui n’ont pas accès au langage. C’est l’équipe interdisciplinaire qui répond aux questions au cas où la personne n’a pas la capacité de répondre aux questions de la version 1.

L’outil Photographie a pour but de permettre aux soignants de communiquer avec un même langage, au sein d’une équipe, et de garantir ainsi une meilleure transmission des informations aux autres professionnels de la santé lors d’un transfert ou d’une hospitalisation. De plus, l’ambition de cet outil est de favoriser un regard bienveillant, qui doit conduire à la bientrai-tance. Les bénéfices attendus au moment de la création de cet outil d’évaluation de la douleur se sont confirmés : observation factuelle de la douleur, pas d’interprétations, un langage com-mun, le respect du droit des patients, une meilleure détection de la douleur, une écoute plus attentive du patient. Désormais cette échelle est utilisée dans toutes les institutions de soins palliatifs, à quelques exceptions près. Les avantages retirés et la pertinence de la méthode semblent parler en faveur de son utilisation également dans le domaine des personnes âgées.