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© Justin Savoie, 2019
La cartellisation politique québécoise: une étude de cas quantitative.
Mémoire
Justin Savoie
Maîtrise en science politique - avec mémoire
Maître ès arts (M.A.)
Québec, Canada
La cartellisation politique québécoise : une étude decas quantitative
Mémoire
Justin Savoie
Sous la direction de :
Eric Montigny, directeur de recherche
Résumé
En 2012 puis en 2014, d’importants changements à la Loi électorale québécoise ont
transformé la façon par laquelle les partis politiques se financent au Québec. La contri-
bution maximale individuelle a été radicalement réduite et le financement public des
partis politiques a été augmenté. Cette étude de cas quantitative tente de mesurer
l’impact de cette réforme sur la participation électorale, les dépenses des partis en cir-
conscription et l’offre politique partisane. À l’aide de la régression linéaire multiple,
nous montrons qu’un effet sur la participation peut être possible. Nous montrons éga-
lement que la réforme ne semble pas avoir affecté la façon par laquelle les partis se
financent en circonscription. À l’aide de l’analyse textuelle automatisée, nous montrons
que l’offre partisane a convergée de façon significative entre 2003 et 2014. Ce mémoire
s’inscrit dans un axe de recherche général de la Chaire de recherche sur la démocratie
et les institutions parlementaires.
iii
Table des matières
Résumé iii
Table des matières iv
Liste des tableaux vi
Liste des figures vii
Remerciements ix
Introduction 1
1 Recension des écrits 51.1 L’institutionnalisme des choix rationnels . . . . . . . . . . . . . . . 6
1.1.1 Au Québec . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91.2 La théorie du cartel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
1.2.1 La validité empirique du cartel . . . . . . . . . . . . . . . . 131.2.2 Au Québec . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
1.3 Positionnement des partis et accélération de la convergence position-nelle des partis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
2 Cadre opératoire et justification du cas choisi 172.1 Le cadre théorique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
2.1.1 La théorie du Cartel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 182.1.2 L’institutionnalisme des choix rationnels . . . . . . . . . . . 20
2.2 Choix méthodologiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 212.3 Pourquoi étudier le Québec ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
2.3.1 Description des changements à la Loi électorale . . . . . . . 24
3 Positionnement des partis et accélération de la convergence po-sitionnelle des partis 303.1 Méthodologie et données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
3.1.1 Wordfish . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 313.1.2 Wordscores . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 323.1.3 Efficacité des méthodes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 333.1.4 Une mesure de la polarisation . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
iv
3.1.5 Données, hypothèses et modèles . . . . . . . . . . . . . . . . 383.2 Résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
3.2.1 Wordfish . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 423.2.2 Wordscores gauche-droite : scores de références du PLQ, ADQ,
PQ (2007) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 433.2.3 Wordscores identité : scores de références du PLQ, ADQ, PQ
(2007) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 453.2.4 Wordscores gauche-droite : scores de références du PVQ, du
PCQ et de ON . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 463.3 Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
3.3.1 Performance des modèles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 493.3.2 Une mesure synthétique de la polarisation du système . . . 53
4 Les effets sur la participation et les dépenses des partis 584.1 Le néo-institutionnalisme des choix rationnels appliqué à l’étude des
dépenses des partis et de la participation électorale . . . . . . . . . 594.2 Hypothèses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 614.3 Données et méthodologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 634.4 Résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 654.5 Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
Conclusion 734.6 Démontrer la causalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 744.7 Qu’avons nous appris ? Un retour théorique et critique . . . . . . . 764.8 Contribution scientifique du mémoire . . . . . . . . . . . . . . . . . 814.9 Avenues de recherche futures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 824.10 Considérations pratiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
Bibliographie 85
v
Liste des tableaux
3.1 Hypothèses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 393.2 Modèles Wordfish et Wordscores . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
4.1 Hypothèses, participation et dépenses des partis . . . . . . . . . . . . . 624.2 Données tests aggrégés ; par circonscription-année . . . . . . . . . . . . 634.3 Aperçu de l’échantillon des individus par circonscription . . . . . . . . 64
vi
Liste des figures
0.1 Plan du mémoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
2.1 Part du financement étatique (Données DGEQ) . . . . . . . . . . . . . 25(a) Part étatique du financement (%) . . . . . . . . . . . . . . . . 25(b) Financement étatique et populaire ($) . . . . . . . . . . . . . 25
2.2 Dépenses réelles en circonscription . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26(a) Absolue ($) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26(b) Relative (%) à la limite permise . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
3.1 Positionnement des partis politiques 2003-2014 . . . . . . . . . . . . . 47(a) Wordfish . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47(b) Wordscores gauche-droite 1 Colette - Pétry (base) . . . . . . . 47(c) Wordscores identité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47(d) Wordscores gauche-droite 2 PVQ, PCQ . . . . . . . . . . . . 47(e) Wordscores gauche-droite 3 ON, PCQ . . . . . . . . . . . . . 47(f) Wordscores gauche-droite 4 global . . . . . . . . . . . . . . . 47
3.2 Corrélation entre les estimés et les mesures de Pétry (2013) . . . . . . . 52(a) Wordfish . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52(b) Wordscores gauche-droite 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52(c) Wordscores gauche-droite 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52(d) Wordscores gauche-droite 3 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52(e) Wordscores gauche-droite 4 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
3.3 Corrélation entre les estimés et les mesures de la Boussole électorale(Montigny et al., 2013) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
(a) Wordfish . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54(b) Wordscores gauche-droite 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54(c) Wordscores gauche-droite 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54(d) Wordscores gauche-droite 3 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54(e) Wordscores gauche-droite 4 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
3.4 Mesure de polarisation du système partisan . . . . . . . . . . . . . . . 55
4.1 Participation électorale et marge de victoire . . . . . . . . . . . . . . . 66(a) Modèle pour les cinq élections . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66(b) Modèle épuré . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66
4.2 Dépenses en circonscription et marge de victoire (a) . . . . . . . . . . 67(a) Modèle pour les cinq élections . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
vii
(b) Modèle épuré . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 674.3 Dépenses en circonscription et marge de victoire (b) . . . . . . . . . . 684.4 Participation individuelle et marge de victoire . . . . . . . . . . . . . . 694.5 Plan du mémoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77
viii
Remerciements
Je tiens à souligner l’important support de la Chaire de recherche sur la démocratie
et les institutions. Merci également au Directeur général des élections du Québec. Ces
collaborations sont si précieuses pour tous les étudiants chercheurs.
François, Mathieu, Eric et Marc, vous m’avez donné des opportunités en or en recherche.
Vous m’avez introduit à un monde fascinant. C’est vraiment apprécié. À Eric, un merci
tout spécial pour d’excellents conseils, toujours. Je n’ai certainement pas toujours été
l’étudiant le plus ponctuel, constant ou discipliné. Par contre, tu as toujours eu ce petit
je ne sais quoi me permettant ultimement d’avancer. Mes errements, tergiversations,
procrastinations, essais et erreurs, jumelé à ton constant support, lui toujours constant,
m’ont finalement permis de produire un travail dont je suis fier. L’ambiance intellec-
tuelle, conviviale et pragmatique de grande qualité que vous cultivez à la Chaire m’a
aussi permise d’apprendre énormément, bien au delà des thèses et arguments défendus
dans ce mémoire.
Merci beaucoup à tous les amis et collègues de la Chaire, du GRCP, du CAPP, de
l’APEUL et du département. Un merci spécial à Mickael et Yannick pour une initiation
ix
en profondeur à la science des données.
Merci à maman, papa, Pierre et Manou. Je vous dois beaucoup.
Ali, l’ultime merci t’es réservé !
x
Introduction
Ce mémoire part du constat que d’importants changements à la Loi électorale québé-
coise ont transformé la façon par laquelle les partis politiques se financent au Québec.
Les symptômes les plus évidents de cette transformation radicale des pratiques en ma-
tière de financement politique sont la diminution de 97% de la contribution maximale
autorisée et la hausse de 200% du financement public par tête 1.
Pour le citoyen politisé soucieux de la vitalité de ses institutions démocratiques, l’étude
des causes et des conséquences d’une telle réforme est cruciale. Du côté des causes,
quels acteurs politiques, et pour quelles raisons, ont milité en faveur ou en défaveur
de la réforme du financement des partis ? Dans un grand nombre de juridictions, le
déclin du militantisme et les difficultés croissantes à se financer grâce aux contributions
individuelles forcent les partis à revoir leur organisation et leur structure de financement.
Pour les partis affectés par cette baisse des contributions, le financement public peut
sembler alléchant. À l’opposé, les partis ayant davantage de facilité à lever des fonds
peuvent s’opposer à de tels changements afin de conserver leurs avantages. Ces tensions
sont réelles. Elles influencent et déterminent le choix du système de financement.1. Entre 2010 et 2012, la contribution monétaire maximale autorisée est passée de 3000$ à 100$ et
le financement étatique par électeur est passé de 0.5$ à 1.5$
1
Les questions précédentes concernent les causes d’une réforme. L’objet d’étude de ce
mémoire concerne plutôt les conséquences de la réforme. 2 Ainsi, on peut croire que
ces changements majeurs au système de financement ont des effets tangibles sur la vie
politique. Comment les partis s’adaptent-ils aux nouvelles législations ? Modifient-ils la
façon par laquelle ils dépensent en circonscription ? Les citoyens sont-ils en mesure de
réaliser l’ampleur des changements ? Sont-ils en mesure d’adapter leur façon de voter ; le
souhaitent-ils ? La participation électorale et le cynisme peuvent-ils être affectés ? Dans
chacune de ces questions, c’est le lien entre les partis et le citoyen qui est en jeu. En
somme, ce sont les effets de la réforme québécoise du financement des partis politiques
sur le lien entre les partis et le citoyen qui constituent l’objet d’étude de ce mémoire.
Principaux résultats
Les deuxième et troisième chapitres de ce mémoire présentent des résultats empiriques
originaux. Au second chapitre, nous utilisons l’analyse de contenu automatisée pour
montrer qu’il y a une convergence positionnelle des plateformes des partis politiques.
Nous montrons que malgré certaines divergences dans les résultats des estimés produits
par les différentes méthodes, il est possible de noter une convergence positionnelle des
partis, tel que mesuré par le contenu des plateformes desdits partis. Nous lions cette
convergence positionnelle à la théorie du cartel. En effet, une des hypothèses de la
théorie est que la transformation progressive des partis politiques d’organes privés vers
des structures étatiques entraine également une convergence de l’offre politique. Nos2. Nous conceptualisons la réforme du financement des partis politiques au Québec de la façon
suivante. La réforme a des causes et entraine des effets. Ce mémoire explore uniquement les effets.Nous laissons l’étude des causes à d’autres ; un projet trop ambitieux pour ce mémoire.
2
résultats tendent à valider cette hypothèse.
Au troisième chapitre, nous étudions les effets de la réforme sur la participation élec-
torale et les dépenses des partis en circonscription. Nous montrons qu’il y a eu un effet
possible sur la participation, lors de l’élection de 2014. La réforme est correllée à une
augmentation de la participation dans certaines circonscriptions faiblement contestées.
Cependant, nous ne trouvons pas d’impact sur les dépenses des partis. L’hypothèse que
les partis s’adaptent rapidement à la nouvelle réalité financière les régissant n’est que
partiellement validée.
Organisation du mémoire
Ce mémoire a quatre chapitres et une conclusion. Le premier chapitre est une recen-
sion des écrits. Le second chapitre présente le cadre théorique et la justification du cas
choisi. Le troisième chapitre teste la convergence idéologique des partis. En effet, une
des hypothèses de la théorie du cartel stipule que la convergence idéologique partisane
découle d’un rapprochement réel des partis. En intégrant les structures de l’État, les
partis s’institutionnalisent, et surtout, tendent graduellement à proposer les mêmes op-
tions politiques. Le quatrième chapitre étudie la magnitude de la cartellisation à travers
la mesure de variables substitutives (proxy variables) comme le taux de participation
et les dépenses des candidats dans les circonscriptions non-compétitives. La conclusion
présente une discussion des résultats des chapitres empiriques ainsi qu’une réflexion sur
les limites de l’étude.
Le schéma à la figure 0.1 résume l’organisation du mémoire. Le schéma montre les liens
3
Figure 0.1 – Plan du mémoire
Chapitre1:Cadrethéoriqueetrevuede
lalittérature
LeseffetsdelaréformedufinancementdespartispolitiquesauQuébec:
Chapitre3:Convergence
positionnelledesplateformesdes
partis
Chapitre4:Effetssurlaparticipationetlesdépenses
L’institutionnalismedeschoixrationnels:Pourexpliquerlarationalité
desacteurs
LathéorieduCartel:Pourexpliquerlaspécificitéducasdufinancement
politique
L’offrepolitiqueseréduit:
ImplicationdirectedelathéorieduCartel Intégrationdes
structuresdel’Étatetcalculusécono.:Implicationdelathéorie
duCartel
Maximisationdesressources($):
Implicationdirectedel’institutionnalismedes
choixrationnels
théoriques liant les trois chapitres du mémoire. Après avoir présenté la recension des
écrits et le cadre théorique au premier chapitre, le deuxième chapitre utilise la théorie
du cartel afin de présenter les résultats d’une analyse de convergence positionelle des
plateformes des partis politiques. Le troisième chapitre utilise à la fois la théorie du
cartel et l’institutionnalisme des choix rationnels pour décrire les effets de la réforme
sur la participation électorale et les dépenses des partis en circonscription.
4
Chapitre 1
Recension des écrits
L’institutionnalisme des choix rationnels (Hall et Taylor, 1996) et la théorie du cartel
(Katz et Mair, 1995) constituent le socle théorique de ce mémoire. Dans ce chapitre,
nous présentons d’abord l’institutionnalisme des choix rationnels, une approche générale
de l’étude des phénomènes politiques inspirée par la théorie économique et la théorie
des organisations. L’approche met de l’avant la rationalité de l’acteur, jumelée à une
prise en compte de l’influence des institutions. Nous présentons ensuite la théorie du
cartel. Cette dernière lie les difficultés croissantes des partis politiques ces dernières
années à leur volonté d’intégration de l’État. Cette intégration des structures étatiques
assure un financement public croissant. Nous argumentons que la théorie du cartel
peut être vue à l’intérieur de l’institutionnalisme des choix rationnels. Nous terminons
le chapitre avec un aperçu descriptif de la situation au Québec. Nous discutons du déclin
du financement populaire et décrivons les principaux changements à la Loi électorale
ayant affecté le Québec entre 2010 et 2013. Ces changements sont présentés à la lumière
5
de l’institutionnalisme des choix rationnels et de la théorie du cartel.
1.1 L’institutionnalisme des choix rationnels
Pourquoi les politiciens et les partis politiques modifient-ils les règles gouvernant leur
propre conduite ? Quelles sont les conséquences sur la vie démocratique ? Ces deux ques-
tions fondamentales sous-tendent la réflexion sur l’évolution des structures politiques.
À ce jour, Boix (1999) offre la réponse la plus éclairante à la première question. Bien
qu’il n’aborde pas la question du financement des partis politiques, mais plutôt celle
du mode de scrutin, son explication s’applique aussi à la question du financement. Les
partis, en particulier ceux au pouvoir, cherchent à optimiser leur position dans l’espace
politique. Les partis souhaitent adopter des nouvelles lois ou souhaitent transformer des
lois existantes afin de bénéficier de plus de ressources financières, d’obtenir un avantage
électoral ou de limiter la compétition. Dès lors, les partis politiques les plus influents
souhaitent maintenir le système en place lorsque celui-ci les favorise. À l’opposé, ces
partis souhaitent modifier ce système lorsque leur position avantageuse est menacée, ou
simplement lorsque leur situation se dégrade à un tel point qu’il devient évident qu’un
autre système serait plus favorable.
L’explication proposée par Boix est universelle au sens de Sartori (1970). L’explication
n’a pas beaucoup de propriétés. Simplement, les partis politiques cherchent à maximiser
leur utilité sous contrainte. Par contre, la thèse du cartel (Katz et Mair, 1995), présentée
dans la section suivante est plus nuancée. Surtout, le cartel est plus spécifique à notre
6
question d’étude : le financement politique. Boix parle de maximisation de l’utilité du
politicien et du parti, Katz et Mair parlent de déclin du membership et de l’intérêt
pour les activités partisanes et le financement populaire.
La deuxième question sur les effets de la réforme est à la fois simple et complexe. Elle est
simple car il s’agit d’une question factuelle. Une réponse empirique peut être fournie.
En effet, lorsqu’on étudie les causes d’un changement institutionnel, la réponse peut
se trouver très loin dans le passé. L’information disponible peut être limitée et il est
très souvent difficile d’imaginer un scénario contrefactuel. À l’opposé, les effets d’une
réforme sont plus simples à étudier. Qu’est-ce qui a changé ? Comment l’adoption de la
réforme rend-elle la juridiction en question similaire à d’autres juridictions existantes ?
En même temps, la question est complexe en ce sens qu’il peut être difficile d’isoler
un effet causal. Comment peut-on être sûr que la différence observée avant et après
la réforme est due à la réforme plutôt qu’à un autre facteur ? Dans les deux chapitres
suivants, nous proposons plusieurs tests statistiques visant à éclairer ladite relation.
Nous discutons des limites de ces tests dans la conclusion.
Ainsi, les énoncés plus haut, soit : (1) Pourquoi les politiciens et les partis politiques
modifient-ils les règles gouvernant leur propre conduite ? (2) Pourquoi et quand est-il
légitime de le faire ? (3) Quelles sont les conséquences sur la vie démocratique ? sont au
coeur de l’étude de l’évolution d’un changement politique institutionnalisé. Qu’on pense
au mode de scrutin, au choix d’une constitution, ou dans ce cas-ci, au financement des
partis politiques, ces trois questions permettent de réfléchir sur ce qui précède (ou ce
qui cause) un important changement, et aux conséquences dudit changement.
7
L’institutionnalisme des choix rationnels est une variante de la théorie des choix ra-
tionnels. Les postulats principaux, préférences strictes des acteurs, rationalité de leur
conduite, sont les mêmes. Toutefois, l’institutionnalisme des choix rationnels ajoute
que des institutions matures et stables ont un poids réel et significatif sur les processus
décisionnels des acteurs. Quatre caractéristiques sont centrales à l’approche. Les deux
premières caractéristiques sont également présentes dans la théorie classique des choix
rationnels (Hall et Taylor, 1996) (importance des postulats comportementaux et de l’ac-
tion collective). Les deux autres caractéristiques sont propres à l’institutionnalisme des
choix rationnels (importance des règles du jeu et de l’origine des institutions). Première-
ment, l’institutionnalisme des choix rationnels fait usage de postulats comportementaux
exigeants. L’acteur a des préférences bien définies et strictement monotones 1 et tran-
sitives 2. De plus, l’acteur agit instrumentalement afin de satisfaire ces préférences, ou
de maximiser une fonction de ces préférences.
Deuxièmement, une autre caractéristique de l’institutionnalisme des choix rationnels
concerne la propension à étudier chaque phénomène politique comme un problème
d’action collective. Un tel problème apparaît lorsque des individus maximisant leurs
propres préférences produisent ultimement un résultat globalement sous-optimal (sous-
optimal même pour ceux qui cherchaient à maximiser au début) 3.
Troisièmement, en complément à la première caractéristique, le rôle des institutions1. Il préfère une quantité raisonnable de pain et de vin à beaucoup de pain et aucun vin, ou
beaucoup de vin et aucun pain.2. S’il préfère une Maserati à une Mazda et une Mazda à une Lada, il préfère une Maserati à une
Lada.3. Le dilemme du prisonnier est un exemple classique. Voir aussi Ostrom (2008) pour un exemple
appliqué à l’économie publique.
8
comme règles du jeu à l’intérieur desquelles peut se tenir le calcul rationnel maximi-
sateur doit être souligné. Les institutions structurent les processus de choix rationnels.
Elles sont les garde-fous de ce qui est permis pour les acteurs. Les acteurs rationnels
ont donc des comportements tributaires de la structure institutionnelle. Autrement dit,
un comportement rationnel dans une juridiction peut être un comportement irrationnel
dans une autre.
Quatrièmement, l’institutionnalisme des choix rationnels concerne la façon par laquelle
l’approche explique l’origine des institutions. Une approche déductive permet de spé-
cifier le rôle d’une institution. Ensuite, le chercheur explique le rôle de l’institution en
fonction de l’avantage ou de la valeur que cette institution a pour l’acteur politique.
En d’autres termes, les institutions naissent (ou sont transformées) car elle sont béné-
fiques aux principaux acteurs politiques. Les institutions ne naissent pas à travers un
processus historique opaque. (Hall et Taylor, 1996, p. 944-945)
Au niveau théorique, l’institutionnalisme des choix rationnels est important pour com-
prendre la démarche de ce mémoire. Les acteurs politiques modifient des structures
institutionnelles qui sont devenues sous-optimales. Les nouvelles institutions leurs per-
mettent d’augmenter leurs ressources et d’optimiser leur positionnement dans l’envi-
ronnement politique.
1.1.1 Au Québec
On retrouve l’influence de l’institutionnalisme des choix rationnels principalement dans
le troisième chapitre. Dans ce chapitre, il est argumenté que la réforme du financement
9
des partis politiques au Québec est une réponse rationnelle à un problème réel affectant
les partis politiques au Québec. Avec une difficulté croissante à trouver du financement
populaire, les partis ont dû trouver des façons alternatives de se financer. Suite à des
scandales liés au financement illégal des partis (une des façons alternatives trouvées
pour se financer), il devenait urgent de modifier la Loi électorale. La réforme du finan-
cement est une réponse rationnelle à ce problème. Dès lors, il est probable que les partis
politiques cherchent également à modifier leur comportement en période électorale et
en période non électorale afin de maximiser leurs bénéfices. Plus spécifiquement, en
incorporant une importante subvention liée au score électoral, il est possible que les
modifications à la Loi électorale poussent les partis à maximiser le nombre de votes
reçus afin de maximiser leurs ressources financières. Cette hypothèse est testée dans le
troisième chapitre.
1.2 La théorie du cartel
Nous l’avons mentionné, l’explication proposée par l’institutionnalisme des choix ration-
nels est assez universelle au sens de Sartori (1970). Simplement, les partis politiques
cherchent à maximiser leur utilité sous contrainte. Toutefois, la théorie du cartel est
plus spécifique dans le cadre de notre objet d’étude : le financement des partis poli-
tiques. L’institutionnalisme des choix rationnels et la théorie du cartel ne s’opposent
pas. Il est aisé d’insérer la théorie du cartel à l’intérieur du cadre, beaucoup plus large,
de l’institutionnalisme des choix rationnels.
Dans un article ayant marqué l’étude des partis politiques, Katz et Mair (1995) sug-
10
gèrent l’émergence du parti de cartel. Se substituant au parti attrape-tout qui, tel un
courtier, agissait comme lien entre l’État et la société civile, le parti de cartel glisse
subtilement à l’intérieur de l’État afin de bénéficier de ses ressources et s’établit du-
rablement en nouvelle entité étatique. Pour ces auteurs, avec le parti de cartel, l’offre
politique se stabilise, il y a renversement des rôles électoraux (au lieu de pouvoir exercer
un choix libre aux quatre ans, les électeurs se trouvent devant une classe politique uni-
fiée, pratiquant la collusion qui domine), la démocratie devient synonyme de stabilité (y
compris à l’assemblée législative), la compétition s’affaiblit, et la politique devient une
business où des politiciens de carrière offrent un produit à un électorat-client. Parmi
les conditions supplémentaires nécessaires pour être en présence de partis de cartel,
pensons notamment à du financement largement public, aux barrières à l’entrée, à
une conception atomistique du membership, à l’éloignement du chef par rapport aux
membres ou à une diminution de la compétitivité des partis politiques.
Les causes : un déclin du militantisme ainsi qu’une professionnalisation des politiciens et
du personnel politique (et de campagne). Le déclin du militantisme signifie que les partis
ont moins de ressources ; ils doivent en chercher de nouvelles. La professionnalisation de
la politique signifie que les gens s’y impliquant ont beaucoup à perdre lors d’une déroute
électorale. Du coup, ces changements conduisent à l’éloignement des partis politiques
de la société civile.
Les principaux arguments concernant la pertinence d’une législation s’attaquant ou
favorisant le cartel sont normatifs. Il est communément admis qu’une stricte règlemen-
tation des contributions est souvent associée à un financement étatique plus important,
11
une des caractéristiques centrales du cartel. À l’opposé, une faible réglementation sera
souvent associée à d’importantes contributions. Une réalité intuitive supportée par la
littérature (Ewing et Ghaleigh, 2007). Dès lors, le débat s’imbibe d’une importante dose
de normativité. La liberté d’expression doit-elle inclure le droit de contribuer, et jusqu’à
quel niveau, au candidat ou au parti de son choix (Tolini, 2007 ; Commission électorale
britannique, 2004) ? Une contribution à ce débat philosophique dépasse largement le
cadre de la présente étude.
Parmi les premiers à critiquer le concept de cartel, Koole (1996) voit difficilement com-
ment on peut appliquer un concept systémique (pour avoir présence de collusion et d’un
cartel, il faut par définition avoir plusieurs partis de cartel) à l’étude individuelle des
partis. Koole ne voit pas non plus le déplacement des partis à l’intérieur de l’État comme
le signe d’un éloignement par rapport à la société civile, ce déplacement s’inscrivant plu-
tôt dans un flou grandissant entre la société civile et l’État depuis un siècle. Pour sa
part, Kitschelt (2000) réfute l’idée même de cartel en se basant sur un raisonnement
logique en théorie des jeux où les partis n’ont aucun incitatif à former un cartel ainsi
que sur des données empiriques montrant que les partis sont de plus en plus à l’écoute
des demandes de l’électorat. Quelques années plus tard, dans un chapitre de collectif,
Wolinetz (2005) lie l’émergence du parti attrape-tout et du parti de cartel à des formes
de protection choisies par les partis afin de lutter contre les difficultés liées au déclin de
la participation des membres. Se rapportant à la typologie de Strom (1990), Wolinetz
rapproche les partis office-seeking aux partis de cartel et les partis vote-seeking aux par-
tis attrape-tout. Pour lui, on doit d’abord penser le parti contemporain comme entité
12
pouvant répondre de plusieurs manières (cartellisation, rapprochement des membres,
image) aux pressions internes et externes.
1.2.1 La validité empirique du cartel
De nombreux chercheurs ont testé la validité empirique du parti de cartel. Les résultats
sont, au mieux, très mitigés (Pierre et al., 2000 ; Yishai, 2001 ; Clift et Fisher, 2004 ;
Detterbeck, 2005 ; Aucante et Dézé, 2008 ; Koss, 2008 ; Katz et Mair, 2009). Un des
points les plus litigieux consiste en l’absence de lien entre le financement étatique et les
barrières à l’entrée (Scarrow, 2006). Étudiant le cas belge, Weekers et al. (2009) consi-
dèrent la peur de la corruption et les besoins grandissants en matière de financement
électoral comme ayant plus d’impact sur la probabilité d’augmenter le financement
public des partis que la coopération ou la collusion.
Au Canada, évaluant la thèse du cartel, MacIvor (1996) trouve des preuves de collu-
sions entre les partis fédéraux au cours de la décennie 1990 et une utilisation importante
de subventions publiques servant les intérêts propres des partis. Pour elle, il s’agit de
preuves partielles mais suffisantes pour valider la thèse. Ces premiers résultats sont tou-
tefois largement mis en question dans les années suivantes (Young, 1998). Un ouvrage
collectif fait une synthèse de la thèse du cartel et de la situation au Canada vers la fin
des années 2000 (Jansen, 2011). Pour les auteurs, le financement des partis politiques
s’est transformé, passant d’un financement corporatif et syndical à un financement in-
dividuel. Dans la section suivante, nous allons montrer que la situation est sensiblement
différente au Québec.
13
1.2.2 Au Québec
On retrouve l’influence de la théorie du cartel dans les deuxième et troisième chapitres.
Dans le deuxième chapitre, l’hypothèse stipulant que la réforme du financement des
partis politiques accélère la convergence des partis politiques découle directement de la
thèse du cartel. En effet, la théorie affirme qu’en intégrant les structures de l’État, les
partis convergent autant au niveau des structures que de l’offre politique (Katz et Mair,
1995, 2009 ; Blyth et Katz, 2005 ; Pelizzo, 2008). Ce point est discuté dans ce chapitre.
Dans le troisième chapitre, le lien théorique est moins direct. Avec le cartel, les partis
souhaitent intégrer les structures de l’État afin de bénéficier de ses ressources finan-
cières. Dès lors, il est normal que les partis modifient également leur conduite afin de
bénéficier au maximum des ressources de l’État : les partis chercheront à maximiser
leurs ressources. Ici, la théorie du cartel est construite sur le postulat de rationalité de
l’institutionnalisme des choix rationnels.
1.3 Positionnement des partis et accélération de la
convergence positionnelle des partis
Pelizzo (2008) fournit l’un des exemples empiriques les plus solides à l’effet qu’une
cartellisation du système partisan entraine une convergence positionnelle des partis.
En appui à Katz et Mair (1995) qui, dès la formulation initiale de la thèse du car-
tel, affirmaient que l’offre politique est moins diversifiée qu’auparavant, Pelizzo trouve
une très forte collusion chez les politiciens italiens. Essentiellement, l’offre politique
14
ne suit pas la demande et tous les partis joignent leurs efforts lorsque vient le temps
d’empêcher une mesure qui leur serait dommageable, même s’il y a consensus au sein
de la population. L’exemple de l’abolition des subventions aux partis politiques ita-
liens en 1993 est donné : à l’époque, plusieurs accords inter-partisans furent suffisants
pour faire capoter le projet. Toutefois, dans son analyse, Pelizzo s’en tient à l’étude
du comportement législatif des partis. Ainsi, Pelizzo ne discute pas explicitement de
la convergence positionnelle proprement idéologique ou stratégique, mais plutôt de la
convergence positionnelle tactique.
Blyth et Katz (2005) vont un pas plus loin. Pour ces auteurs, l’essence même de l’oppo-
sition gauche-droite est menacée par la cartellisation. La capitulation des partis socia-
listes attrape-tout face aux impératifs du marché les a rapproché du centre ou même du
centre droit. Un déplacement idéologique généralisé est identifié ; un déplacement vers
des politiques économiques néo-libérales où la mondialisation et une gestion politico-
administrative managériale sont la norme.
Plus largement, Blyth et Katz proposent une vision multidimensionnelle du processus
de cartellisation. Bien qu’il soit vrai que Katz et Mair (1995) aient affirmé qu’avec la
cartellisation, l’offre politique est moins diversifiée qu’auparavant, cette caractéristique
est loin d’être centrale à leur modèle. Plutôt, c’est la présence de ressources financières
publiques ou étatiques pour les partis qui est au coeur du processus de cartellisation.
Blyth et Katz remettent en question ce constat fort, affirmant que le processus est
plus complexe. Spécifiquement, l’espace politique décisionnel (policy space) est réduit.
Il devrait y avoir convergence des positions politiques des partis. Un constat empirique
15
partagé par Potrafke (2009) qui étudie la convergence positionnelle des partis dans les
pays de l’OCDE. 4
À notre connaissance, au Québec, les analyses de la convergence positionnelle des partis
ne sont pas reliées à l’étude de la cartellisation des partis politiques. Plutôt, ces études
sont méthodologiques et axées sur le développement d’indicateurs fiables servant à
mesurer la position des partis. Par exemple, Pétry (2006), Pétry (2013) et Collette et
Pétry (2012) examinent le positionnement des partis à l’aide d’une analyse du contenu
de leurs plateformes électorales. Ces auteurs, étudiant la période 1976-2008, trouvent
une convergence dans le contenu des plateformes. Ce mémoire prolongera cette étude
aux élections de 2012 et 2014.
4. Un constat empirique seulement, et non théorique, car Potrafke rejette le lien entre la mondia-lisation et la convergence positionnelle. Cette convergence, ou le déclin de la polarisation du systèmede partis, est donc dû à d’autres facteurs. Néanmoins, la convergence semble réelle.
16
Chapitre 2
Cadre opératoire et justification du
cas choisi
Ca chapitre présente le cadre opératoire du mémoire. Dans un premier temps, nous
justifions le choix du cadre théorique. Ensuite, nous présentons et discutons les choix
méthodologiques effectués. Nous terminons avec la présentation du cas choisi : la ré-
forme québécoise du financement des partis politiques. Nous justifions la pertinence de
ce choix.
2.1 Le cadre théorique
Un pan important de la recherche sur les partis politiques étudie les systèmes de partis,
leurs structures de financement et la compétitivité du système. Un des principaux fils
conducteurs de ces travaux consiste en l’étude du lien entre les partis et la société civile
Katz et Mair (1995)[p. 5]. Comment comprendre le système de partis dans sa relation
17
avec la société civile ? Les citoyens sont-ils impliqués dans les partis ? Le financement
est-il individuel ou étatique ? Dans un premier temps, nous justifions la pertinence de
la théorie du Cartel ; l’aboutissement en quelques sortes de la réflexion sur l’évolution
des systèmes de partis. Ensuite nous inscrivons la théorie du Cartel à l’intérieur de
l’institutionnalisme des choix rationnels. Ensuite, nous présentons les choix méthodolo-
giques effectués, ainsi que la raison pour laquelle nous avons retenu le choix du Québec.
En complément de la justification du choix québécois, nous terminons en décrivant
l’évolution des changements à la Loi électorale.
2.1.1 La théorie du Cartel
Dans la littérature académique, un accroissement important du financement public
des partis politiques, tel que celui observé au Québec, est bien connu. C’est une des
principales résultantes de ce qu’on appelle une cartellisation des partis politiques. Cette
cartellisation, terme introduit par Katz et Mair (1995), entraîne la collaboration ou la
collusion de partis politiques calculateurs cherchant à devenir des agents de l’État pour
profiter de ses ressources financières. Dans le Cartel, les partis cherchent aussi à coopérer
afin de maximiser leurs chances de survie sur le long terme, notamment en empêchant
l’émergence de nouveaux partis. En bref, Katz et Mair identifient un déplacement des
partis vers l’intérieur de l’État : les partis y voient un gage de stabilité et l’occasion
d’assurer un financement continu.
Ce mouvement général des partis politiques vers l’intérieur de l’État n’est pratiquement
pas contesté par les chercheurs (Katz et Mair, 2009, p. 755). De plus en plus, outre le
18
fait de bénéficier des ressources de l’État, les partis sont contraints par des règles éta-
tiques ; leur rôle institutionnel est accru. Bien sûr, il y a des exceptions : les États-Unis
et le Canada depuis 2011 par exemple. Aux États-Unis, les partis demeurent assez in-
dépendants et leur financement ne provient pas de l’État. Au Canada, depuis 2011, un
mouvement inverse, c’est à dire une imbrication moindre des partis et de l’État, a été
observé ; le financement étatique des partis politiques a été graduellement supprimé.
Toutefois, malgré ces exceptions, le mouvement général des partis politiques vers l’in-
térieur de l’État est réel et bien documenté. Par contre, les effets de ce déplacement
des partis politiques vers l’intérieur de l’État peuvent être remis en question. Les partis
s’adaptent-ils rapidement ? Quelles sont les répercussions sur la vie démocratique ? Le
terme Cartel est-il adéquat ?
Déplaçant notre regard des comportements politiques et individuels vers l’offre par-
tisane, deux hypothèses contradictoires s’affrontent en Occident. D’une part, certains
auteurs observent une polarisation idéologique croissante depuis les années 1970. En
effet, suite à la Seconde Guerre Mondiale, la reconstruction et l’édification d’un État
providence avaient entraîné un grand consensus politique. Après la fin de ces projets
de société, une polarisation croissante s’est installée chez les électeurs, les élites et les
partis (Abramowitz et Saunders, 2008). D’autre part, différents auteurs croient plutôt
voir l’inverse : une convergence idéologique des individus et des partis. Il s’agirait même
d’une conséquence directe de la cartellisation politique ; les partis, les politiciens et les
employés de carrière souhaitant simplement naviguer tranquillement les vagues électo-
rales afin de minimiser les pertes en cas de défaite (Katz et Mair, 2009). De ce fait, il y
19
aurait une pression favorisant la convergence idéologique. Il s’agit d’une thèse générale
soutenue par Fiorina et al. (2005) ; une thèse soutenue, dans le contexte spécifique de
la littérature sur le Cartel, par Pelizzo (2008) et Blyth et Katz (2005). En somme, la
convergence idéologique des partis est une question empirique et testable. La littérature
sur le Cartel suggère la convergence.
Ainsi, le déplacement graduel des partis politiques vers l’intérieur de l’État afin de bé-
néficier de ses ressources financières est bien documenté dans les écrits sur le Cartel.
Dans ce mémoire, nous mobilisons également l’institutionnalisme des choix rationnels.
Nous argumentons que le processus amenant les politiciens et les partis à s’adapter, et
à former un Cartel, puise ses origines dans une rationalité tributaire de la configura-
tion institutionnelle existante. L’institutionnalisme des choix rationnels et la théorie du
Cartel constituent donc le socle théorique de ce mémoire.
2.1.2 L’institutionnalisme des choix rationnels
La théorie du Cartel se base principalement sur le postulat de rationalité des acteurs.
En effet, si les acteurs se déplacent vers l’intérieur de l’État, ils le font pour maximiser
leurs ressources financières et leurs chances de survie. Il est ainsi pertinent de dépasser
le cadre strict de la théorie du Cartel. Même si les questions abordées au troisième cha-
pitre traitant de participation électorale et de structure des dépenses des partis ne font
pas partie des implications initiales du Cartel, elles sont des implications directes de la
rationnalité des acteurs. Elles sont liées à l’évolution de la vie partisane. Un aspect in-
téressant de cette analyse est qu’elle permet de dépasser l’étude seule du comportement
20
des élites. Dans la théorie du Cartel, l’objet d’étude principal est le comportement du
parti et des acteurs principaux du parti. Le troisième chapitre de ce mémoire pousse
encore plus loin cette étude. Nous tentons de voir si les citoyens se comportent aussi
de façon rationnelle, en observant et en réagissant aux modifications ayant eu lieu. En
somme, nous croyons que l’étude de la rationalité des acteurs peut se faire des deux
côtés. D’une part, nous étudions le positionnement des partis et la structure de leurs
dépenses. Nous étudions le comportement des élites. D’autre part nous étudions la ré-
action des citoyens à ces changements. La théorie du Cartel et l’institutionalisme des
choix rationnels se conjuguent bien afin d’offrir une vue d’ensemble des effets de la
réforme.
2.2 Choix méthodologiques
Dans ce mémoire, la méthodologie employée est quantitative. En effet le mémoire s’ins-
crit dans un axe de recherche plus large de la Chaire sur la démocratie et les institutions
sur les effets de la réforme du financement des partis politiques. D’autres chercheurs
de la Chaire sont présentement en train de réaliser une revue systématique des écrits
sur les réformes du financement ainsi qu’une analyse qualitative d’interviews avec des
membres de partis politiques. Généralement, l’union de chercheurs employant diverses
méthodologies au sein d’une même équipe de recherche permet une enquête plus ap-
profondie. En pratique, il est pertinent pour le chercheur de se concentrer sur une ou
quelques méthodes et de collaborer avec d’autres chercheurs étudiant la même question
sous un autre angle (Gehlbach, 2015).
21
Les chapitres empiriques utilisent respectivement l’analyse textuelle automatisée et une
analyse statistique par régression. Ces choix découlent directement des implications de
la théorie du Cartel. Une des principales hypothèses de la théorie du Cartel, est la
convergence idéologique. L’analyse de contenu automatisée se prête bien à cet exercice.
En ce qui concerne l’analyse des comportements politiques et électoraux ainsi que des
dépenses des partis politiques, l’analyse par régression est une des méthodes les plus
utilisées en science politique. L’analyse de régression permet de mesurer l’effet d’une
variable indépendante sur une variable dépendante, lorsqu’on contrôle pour l’effet de
variables confondantes. Dans notre cas, la principale variable indépendante d’intérêt est
la réforme du financement des partis politiques. L’analyse de régression se prête bien à
l’inclusion d’une variable dichotomique (avant et après la réforme) mesurant l’effet de
la réforme. Mentionnons en terminant que l’auteur de ce mémoire a considéré l’exercice
comme une occassion pour développer une compétence dans l’utilisation de certaines
méthodes. Celles-ci sont inspirées d’autres travaux, et appliquées à l’objet d’étude : les
effets de la réforme du financement des partis politiques au Québec.
2.3 Pourquoi étudier le Québec ?
Les changements apportés entre 2010 et 2012 à la Loi québécoise régissant le finance-
ment des partis politiques sont majeurs : diminution de 97% de la contribution maxi-
male autorisée et hausse de 200% du financement public par tête. Deux statistiques
supplémentaires illustrent la situation. Premièrement, dans une perspective comparée,
le financement public direct en proportion de l’électorat a plus que triplé depuis l’adop-
22
tion de la réforme. En 2010, au Québec, l’État offrait 0,92$ par électeur en moyenne
annuellement aux partis. Ce chiffre est une moyenne sur le cycle électoral (incluant une
année électorale par cycle où les dépenses sont plus élevées). Le Québec se retrouvait
alors assez bas dans la liste des différentes administrations fournie par Turgeon (2012,
p. 103). À environ 2,30$ par électeur en 2015, le Québec se rapproche des administra-
tions les plus généreuses comme la Belgique (3,64$) et la Suède (3,58$). Deuxièmement,
Turgeon (2012, p. 119) compare aussi la part du financement public direct dans les fi-
nances des partis politiques. 1À 30,5% avant les réformes, le Québec était en milieu de
peloton, entre l’Allemagne (30,2%) et la Belgique (37,9%). Avec la réforme, la part du
financement public direct dans les finances des partis politiques est maintenant entre
60 et 80%, ce qui classe le Québec au second rang derrière le Mexique. En somme, le
cas québécois est majeur. La réforme fait passer le Québec d’un cas typique à un cas
atypique ; d’un cas dans la moyenne à un cas où le financement public devient plus
important.
Voici pourquoi l’argument dans ce mémoire est que les importants changements ayant
affecté la structure du financement politique des partis politiques québécois entre 2010
et 2012 doivent être vus à la lumière de la théorie du Cartel de Katz et Mair. Les
changements inscrivent le Québec comme véritable cas d’école de cette théorie.1. Ce chiffre de 2,30$ est obtenu en faisant une moyenne pondérée du financement en année élec-
torale (10M une année sur quatre) et en année non-électorale (25M trois années sur quatre), pour 6Md’électeurs.
23
2.3.1 Description des changements à la Loi électorale
Précisément, quels sont ces changements ? Quelle est leur ampleur ? Au Québec, l’en-
cadrement des dépenses électorales remonte à 1963 avec la Loi électorale du Québec et
l’encadrement du financement des partis politiques québécois remonte à la Loi régis-
sant le financement des partis politiques et modifiant la Loi électorale de 1977. De plus,
l’essence même de ces législations n’a pas vraiment été modifié avant 2010 (Turgeon,
2012). En décembre 2010, une importante réforme de la Loi électorale prenant la forme
de trois projets de loi distincts adoptés à l’unanimité par l’Assemblée nationale vient
modifier en profondeur le financement des partis politiques. Parmi les mesures les plus
importantes, la Loi 113 : Loi anti-prête-noms en matière de contributions électorales
(DGEQ, 2010) diminue la contribution maximale annuelle à un parti de 3000$ à 1000$
par électeur par année et la Loi 114 : Loi augmentant les pouvoirs de contrôle du DGE
oblige les dons de plus de 100$ à passer par le DGE, établit que le nom de tous les do-
nateurs sera rendu public et augmente les pouvoirs du DGE en matière de vérifications
fiscales et de pouvoir d’enquête. Pour sa part, la Loi 118 : Loi concernant le financement
des partis politiques se veut la contrepartie compensatrice de la Loi anti-prête-noms en
matière de contributions électorales en augmentant de 0,5$ à 0,82$ par électeur (in-
dexé) le montant que se partageront les partis en allocations. Ces changements sont
entrés en vigueur en 2011 (DGEQ, 2010). En décembre 2012, de façon complémentaire,
l’Assemblée nationale adopte la Loi modifiant la Loi électorale afin de réduire la limite
des contributions par électeur, de diminuer le plafond des dépenses électorales et de
rehausser le financement public des partis politiques du Québec. Cette loi abaisse encore
24
Figure 2.1 – Part du financement étatique (Données DGEQ)
(a) Part étatique du financement (%)
0
20
40
60
80
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015
Par
t pub
lique
du
finan
cem
ent (
%)
(b) Financement étatique et populaire ($)
0
10 M
20 M
30 M
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015
Fin
ance
men
t éta
tique
et a
uton
ome
($)
Étatique Autonome
la contribution maximale annuelle à un parti, de 1000$ à 100$ par électeur par année.
L’allocation est augmentée à 1,5$ par électeur. La Loi limite à environ 8 millions de
dollars le montant maximum en dépenses électorales pour les partis et les candidats
(par rapport à environ 11,5 millions de dollars en vertu de l’ancienne Loi).
Au Québec, on le sait, les deux principaux partis, le Parti libéral et le Parti québécois
se partagent le pouvoir sans arrêt depuis la victoire du libéral Robert Bourassa en 1970
- environ 19 ans pour le PQ et 27 ans pour le PLQ. Les lois 113, 114 et 118 ont été
adoptées par un gouvernement du Parti libéral du Québec. Le projet de loi 2 a été
adopté par un gouvernement du Parti Québécois. Ainsi, les deux principaux partis sont
impliqués dans la réforme. Qu’est-ce que cela veut dire ?
Pour étudier le financement du PLQ sous l’angle du Cartel, il faut d’abord se demander
s’il y a véritablement collusion entre les partis. D’abord, il est clair que l’adoption
des projets de loi 113, 118 et 2 a complètement renversé la situation au niveau du
financement étatique des partis. La figure 2.1a montre l’évolution de la part publique
25
Figure 2.2 – Dépenses réelles en circonscription
(a) Absolue ($)
●
●
●
●●●
●
●
●
●
●
●
●
●●●
●●●
0
20000
40000
60000
2003 2007 2008 2012 2014
Dép
ense
s él
ecto
rale
s to
tale
s
PQ PLQ
(b) Relative (%) à la limite permise
●
●
●
●
●●
●
●
●
●
●
●
●●
●
●●●●
●
●●
●
0.00
0.25
0.50
0.75
1.00
2003 2007 2008 2012 2014
Dép
ense
s él
ecto
rale
s (
% d
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lim
ite p
erm
ise)
P.Q. P.L.Q.
du financement des partis entre 2003 et 2015. On y remarque un changement dans
la tendance à partir de 2010. Alors qu’avant les réformes, le financement étatique des
partis était légèrement sous la barre des 20% durant les années sans élection, il montait
à environ 40% pendant les années d’élections (2003, 2007, 2008, 2012, 2014). À partir
de 2011, on voit une augmentation constante dans la portion étatique du financement
des partis, années d’élections ou pas. La figure 2.1b montre un phénomène similaire.
On voit qu’en termes absolus (en $), le financement autonome des partis a chuté de
façon importante alors que le financement étatique a augmenté, surtout lors des années
sans élection. Toutefois, ce qui doit être noté également est que le financement global
(la somme du financement étatique et autonome) a chuté. Le financement total en
2012 et 2014 est plus bas qu’en 2003,2007 et 2008. En bref, depuis la réforme, les
partis politiques ont moins de financement autonome, compensé par plus de financement
étatique. Toutefois la compensation n’équivaut pas dans un ratio un pour un.
Ce constat est encore plus frappant à la figure 2.2. Par un graphique en boites à mous-
26
taches, la figure 2.2a montre l’évolution absolue (en $) des dépenses réelles des candi-
dats dans chacune des circonscriptions, en moyenne, du PQ et du PLQ 2. À l’élection
de 2014, on constate que les candidats des deux partis ont dépensé beaucoup moins
d’argent qu’aux élections précédentes. D’une part, cela est dû à une disposition de
la réforme au mode de financement réduisant la limite permise. D’autre part, cette
disposition s’ajuste au fait que, par sa nature même, la réforme réduit les capacités
financières des partis. La figure 2.2b montre un phénomène analogue. On y voit une
capacité décroissante dans le temps des candidats à dépenser en fonction de la limite
permise par la loi. La réforme vient mitiger la décroissance. En 2014, la capacité des
candidats à dépenser revient à un niveau similaire à ce qu’on observe aux élections de
2003 et 2007.
Nous venons de montrer qu’il y a, depuis quelques années, un accroissement important
du financement étatique des partis, conjugué à une légère diminution du financement
total. Toutefois, pour qu’il y ait présence d’un Cartel, cela n’est pas suffisant. Un
financement étatique élevé n’est qu’un critère parmi plusieurs critères.
Par exemple, ici, une objection importante à la présence d’un Cartel peut être soulevée.
Plusieurs auteurs ont noté la nature dichotomique de type tout ou rien d’un système
majoritaire de type Westminster. D’ailleurs, il existe un certain consensus à l’idée que
ce type de système se prête moins bien à une cartellisation du système de partis. En
effet, la compétition extrême entre partis, le tout ou rien du gouvernement par rapport2. La Loi électorale permet des dépenses au niveau national et au niveau des circonscriptions.
Quelques candidats de l’ADQ seulement ont dépensé en circonscription aux élections de 2003, 2007 et2008. Les candidats de la CAQ et de QS ne dépensent pas en circonscription. Pour cette raison, lesgraphiques à la figure 2.2a présentent seulement des données pour les candidats du PQ et du PLQ.
27
à l’opposition ainsi que l’absence de coalitions rendent la cartellisation plus difficile
(Young, 1998 ; Detterbeck, 2005 ; Young et al., 2007 ; Jansen, 2011). Malgré ce système
de type Westminster, peut-on tout de même voir dans l’adoption des réformes par des
gouvernements de ces deux partis - PLQ en 2010 et PQ en 2012 - un pacte entre les
deux partis les plus importants au Québec ?
On peut faire deux objections supplémentaires à ce raisonnement. Premièrement, les
projets de Loi 113, 118 et 2 ont tous été adoptés à l’unanimité. Tous les partis représentés
à l’Assemblée nationale y trouvaient donc leur compte. Qui plus est, au moment de
l’adoption de ces projets, un large consensus existait à l’effet que la limitation du
financement populaire permettrait de lutter contre la corruption et les stratagèmes
de prête-noms. Il ne s’agit donc pas d’un pacte entre PQ et PLQ. Deuxièmement, ce
serait une erreur de faire abstraction du contexte politico-médiatique dans lequel les
réformes ont été adoptées. Au cours de la décénnie 2000, il a été montré qu’une part
importante du financement des principaux partis politiques québécois reposait sur des
stratagèmes illégaux de prête-noms (Charbonneau et Lachance, 2015). L’actualité des
deux dernières années, à travers l’arrestation d’une ancienne ministre et vice-première
ministre du PLQ et d’une enquête de l’UPAC sur Jean Charest, premier ministre libéral
de 2003 à 2012, montre à quel point ces stratagèmes pouvaient être développés. Ce serait
donc, au moins en partie, à contre-coeur que le PLQ a accepté les réformes.
L’idée du financement étatique comme rempart contre l’influence de l’argent privé est
d’ailleurs très présente dans la littérature (Gidlund, 1991 ; Nassmacher, 1993 ; Fisher,
2011). On peut même croire que c’est l’apparence de corruption et non la corruption en
28
soi qui entraine une vision négative des partis politiques (Lösche, 1993). Pour sa part,
Birch (2008) montre empiriquement que le financement étatique est généralement asso-
cié à un plus haut taux de confiance de la population envers les institutions électorales.
En résumé, il est loin d’être évident que le PLQ souhaitait la réforme du financement
des partis. Bien sûr, il est possible d’identifier une certaine forme de collusion dans les
réformes mais il serait très réducteur d’y voir la seule cause. Très certainement, des
impératifs conjoncturels liés à des pratiques de financement illégales sont également en
cause.
En somme, entre 2010 et 2013, la Loi anti-prête-noms en matière de contributions
électorales, la Loi concernant le financement des partis politiques et la Loi modifiant
la Loi électorale afin de réduire la limite des contributions par électeur, de diminuer
le plafond des dépenses électorales et de rehausser le financement public des partis
politiques du Québec ont fait passer de 3000$ à 100$ la contribution annuelle maximale
d’un électeur et de 0.5 $ à 1.5$ le montant par électeur que se partagent annuellement
les partis en allocation de fonctionnement. Ce sont les effets de cette baisse drastique de
la contribution permise jumelée à une importante hausse du financement institutionnel
des partis qui sont au coeur de ce mémoire.
29
Chapitre 3
Positionnement des partis et
accélération de la convergence
positionnelle des partis
La recension des écrits suggère qu’une cartellisation du système partisan peut entrai-
ner une convergence positionnelle des partis (Katz et Mair, 1995 ; Potrafke, 2009). Le
présent chapitre teste cette hypothèse à l’aide de l’analyse automatisée du contenu des
plateformes des partis politiques. Le chapitre est divisé de la façon suivante. D’abord,
deux méthodes d’analyse de contenu automatisée sont présentées. Elles servent à esti-
mer les positions des principaux partis politiques québécois sur la période 2003-2014.
Plusieurs modèles partiels utilisant différents textes de références et différentes mé-
thodes sont utilisés. Tel que suggéré par Laver et al. (2003), des textes de références au
centre et dans les extrêmes idéologiques sont utilisés. Les résultats des deux méthodes
30
sont comparés graphiquement avant de présenter une méthode simple de validation.
Par la suite, nous présentons une mesure de la polarisation du système. Cette mesure
synthétise l’évolution temporelle de la convergence positionnelle des partis. La méthode
est inspirée de Cochrane (2015).
3.1 Méthodologie et données
Deux méthodes, Wordfish (Slapin et Proksch, 2008) et Wordscores (Laver et al., 2003)
sont utilisées pour estimer la position des partis politiques au Québec. Ces deux mé-
thodes visent à estimer une position politique latente unidimensionnelle à partir des
plateformes des partis.
Toutes les analyses sont réalisées dans le langage R. Les packages utilisés pour l’ana-
lyse sont principalement tm (Feinerer et Hornik, 2015) et quanteda (Benoit et Nulty,
2017). Deux méthodes d’analyse de contenu automatisée sont utilisées pour estimer
la position (ideological scaling) des partis le long d’un axe idéologique unidimension-
nel : Wordfish (Slapin et Proksch, 2008) et Wordscores (Laver et al., 2003). Le package
quanteda possède toutes les fonctions pour calculer les deux modèles.
3.1.1 Wordfish
Wordfish est un algorithme de dimensionnement scaling qui analyse la fréquence des
mots dans les textes. Plus formellement :
𝑦𝑖𝑗 ∼ Poisson(𝜆𝑖𝑗)
31
𝜆𝑖𝑗 = 𝑒𝑥𝑝(𝛼𝑖 + 𝜗𝑗 + 𝛽𝑖 ∗ 𝜔𝑗)
où 𝑦𝑖𝑗 est la fréquence du mot j dans le document i. 𝛼 et 𝜗 sont des effets fixes pour les
acteurs (le parti dans ce cas) et les mots (par exemples certains mots sont davantage
présents dans toutes les plateformes). 𝜔 est l’estimé de la position idéologique tandis
que 𝛽 est un coefficient de poids statistique visant à mettre en lumière les mots qui
différencient réellement les différentes plateformes. L’estimé 𝜔 sert à positionner les
partis. Le modèle est estimé à l’aide d’un algorithme espérance-maximisation 1.
3.1.2 Wordscores
Wordscores procède similairement : l’estimation du positionnement découle d’un calcul
de fréquence des mots. La différence par rapport à Wordfish est que deux documents
de référence, situés aux extrêmes dimensionnels, sont utilisés pour assigner des word
scores aux mots 2. L’algorithme place ensuite les autres textes par rapport à ces textes
de référence à l’aide des fréquences de mots (Lowe, 2008). Plus formellement :
𝜋𝑗 =𝑅
∑𝑖
𝜃𝑑𝑖𝑃(𝑑𝑖|𝑤𝑗)
𝜃𝑖 =𝑉
∑𝑗
𝜋𝑤𝑗𝑃(𝑤𝑗|𝑑𝑖)
1. Pour plus de détails voir Slapin et Proksch (2008) ou le manuel de Wordfish ; (Slapin et Proksch,2009)
2. Dans ce cas-ci, des plateformes du Parti Vert du Québec et du Parti Conservateur du Québec.Certains tests inspirés de Lowe (2008) serviront à vérifier la validité des documents de référence.
32
où 𝜋𝑗 est l’estimé du score par mot, et où 𝜃𝑖 est l’estimé du score par texte. En utilisant
le fait que la position d’un document est la moyenne des scores des mots contenus, et
que de façon symétrique, le positionnement des mots est la moyenne de la position des
documents dans lesquels ils apparaissent, il est possible d’estimer le modèle Wordscores.
3.1.3 Efficacité des méthodes
Ces deux modèles ont prouvé par le passé qu’ils fonctionnent généralement bien sous cer-
taines conditions (Laver et al., 2003 ; Klemmensen et al., 2007 ; Slapin et Proksch, 2008 ;
Klüver, 2009 ; Grimmer et Stewart, 2013). Les principaux postulats, l’unidimensionna-
lité, et l’indépendance de la distribution des mots dans les textes, bien que clairement
faux, n’empêchent généralement pas les résultats d’être fortement corrélés au position-
nement des partis par les experts 3. La stabilité du sens des mots est un autre postulat
(Laver et al., 2003 ; Slapin et Proksch, 2008). Autrement dit, en général, les mêmes mots
doivent avoir le même sens. Aussi, le vocabulaire général doit rester dans les mêmes
registres généraux. Si le champ lexical complet de la plateforme est transformé entre
les élections, les méthodes ne fonctionneront pas.
Spécifiquement, comment peut-on s’assurer que ces postulats soient respectés dans notre
analyse ? Nous identifions deux considérations essentielles, d’abord au niveau de l’uni-
dimensionnalité, ensuite au niveau de la stabilité du sens des mots. Premièrement,
les deux méthodes postulent l’unidimensionnalité idéologique qui est loin d’être évi-
dente au Québec (Bélanger et Nadeau, 2009 ; Pelletier, 2012). Quelques alternatives3. Pour une exception, voir König et Luig (2009)
33
sont possibles. D’abord, il est possible de postuler l’unidimensionnalité, même lorsque
vraisemblablement ce n’est pas le cas. Le positionnement d’un parti est toujours rela-
tif. Son programme électoral se compare à d’autres programmes, à d’autres positions
idéologiques. Dès lors, il est impossible d’identifier une dimension idéologique par un
principe d’exclusivité (tel ou tel enjeu fait uniquement partie de la dimension A, et non
de la dimension B). Plutôt, l’unidimensionnalité représente un ensemble de préférences
politiques ; un ensemble de réseaux complexes d’accords et de désaccords (Cochrane,
2015). Dans le cas du Québec, malgré un apparent axe identitaire (en plus de l’axe
gauche-droite), rien n’empêche de mesurer l’évolution de la position relative globale
des partis. En effet, il est généralement reconnu qu’au Québec, avec la naissance du
Parti Québécois dans les années 1970, le débat politique s’est structuré autour d’un axe
identitaire (Montigny, 2016). L’utilisation du terme identitaire réfère ici à l’identité qué-
bécoise par rapport à l’identité canadienne entendu dans le contexte de l’indépendance
du Québec. Le terme identitaire dans ce mémoire n’est donc pas associé à l’identité tel
que conçue principalement en Europe où l’identité européenee est fréquement opposée
et juxtaposée à une identité nouvelle, issue de l’immigration. Parlant de bidimensiona-
lité québécoise, nous explorons ainsi l’axe traditionel socioéconomique gauche-droite en
plus de l’axe ”identitaire”.
Ensuite, il est possible de diviser les plateformes. La théorie suggère que deux dimen-
sions structurent la politique québécoise. La gauche et la droite, puis l’axe identitaire.
Il est donc possible de diviser les plateformes pour séparer l’analyse en deux. Dès lors,
on peut mesurer le positionnement sur les deux axes.
34
Enfin, une autre méthode est possible avec Wordscores, et non avec Wordfish. Word-
scores nécessite le positionnement de textes de références. Il est donc possible de répéter
l’analyse avec des scores de références différents pour les différentes dimensions.
Dans ce chapitre, nous retenons la première et la troisième façons. La seconde méthode,
celle par laquelle il est possible de diviser les plateformes pour séparer l’analyse en
deux, est difficile pour deux raisons. D’abord, elle est plus subjective que les deux
autres méthodes. Au moment de diviser les plateformes pour chacune des dimensions,
un choix doit être fait. Souvent, les paragraphes peuvent traiter de concepts qui se
retrouvent dans les deux dimensions. Parfois, un même thème peut changer de nom
chez différents partis, dans différentes élections.
Les deux autres méthodes limitent la subjectivité. Il est vrai que Wordscores nécessite
des positionnements initiaux de références. Toutefois, au Québec, de tels positionne-
ments, plutôt consensuels, existent. (Collette et Pétry, 2012 ; Pétry, 2013). D’où le choix
effectué dans ce mémoire. De plus, plusieurs auteurs recommandent une comparaison
de ces deux méthodes, tel que présenté dans ce mémoire afin d’augmenter la robustesse
des résultats (Collette et Pétry, 2014 ; Klüver, 2009).
Ensuite, la méthode de division des plateformes est difficile en raison de la structure
idéologique québécoise. Spécifiquement, l’axe gauche-droite et l’axe identitaire ne sont
pas présents de façon égale dans les plateformes. L’axe gauche-droite est dominant,
surtout dans les programmes des partis non indépendantistes. Prenons un exemple : la
plateforme de l’ADQ en 2003. La plateforme a huit sections. Sur ces huit sections, six
35
traitent d’enjeux classiques associés à la gauche-droite. 4 Les deux autres sections s’inti-
tulent « Régionalisation / affaires municipales / transport et environnement : décider en
région » et « Éducation/langue et culture : libérer le talent ». Ces sections regroupent
des enjeux liés à l’axe gauche-droite (environnement, éducation) et des enjeux liés à
l’identité (développement des régions, culture, langue). 5 En plus d’un périlleux et sub-
jectif exercice de division, bien souvent, il ne reste plus beaucoup de contenu pour la
dimension identitaire. 6 En comparaison, pour l’axe gauche-droite, les plateformes ont
souvent des dizaines de milliers de mots. Cela rend l’analyse sur l’axe identitaire plus
difficile.
Deuxièmement, les deux méthodes nécessitent une stabilité dans le sens et l’usage des
mots. Pour Wordfish, l’utilisation de plateformes des mêmes partis, dans des contextes
similaires est donc de mise. Dans la prochaine section, nous présentons les données uti-
lisées. Un effort important est fait afin d’utiliser des documents comparables, autant au
niveau des partis que de la période historique. Pour Wordscores, la clé est dans l’emploi
de documents de références qui s’apparentent aux documents à mesurer en termes de
contenu. Encore une fois, nous faisons un grand effort pour utiliser les documents de
références les plus pertinents, autant au niveau du contenu que de la période historique.
Ces choix de données utilisées sont commentés de façon plus détaillée dans la section
suivante.
Wordfish peut être employé avec n’importe quelle langue qui utilise le mot comme unité4. 1. Emploi ; 2. Développement économique ; 4. Santé ; 6. Famille/ainées/action communautaire ;
7. Finances ; 8. Institutions/justice/sécurité.5. Un enjeu comme le développement régional peut aisément être classé dans les deux dimensions.
La question de la subjectivité est encore présente ici.6. Environ 300 mots au total dans la plateforme de l’ADQ en 2003.
36
la plus simple. Wordfish a été testé avec succès en anglais, en français et en allemand
(Proksch et Slapin, 2009, 2010). Similairement, Wordscores a été testé avec succès en
anglais, français, allemand, italien, espagnol, portugais et néerlandais (Benoit et al.,
2005). Les deux méthodes s’intéressent simplement à la distribution des différents mots.
D’un point de vue théorique, la méthode peut fonctionner en français.
3.1.4 Une mesure de la polarisation
Wordfish et Wordscores permettent de mesurer le positionnement des partis politiques.
Il est donc possible de regarder l’évolution du positionnement des partis de façon des-
criptive avec un graphique liant les points entre chaque élection. Nous utilisons cette
méthode dans la section des résultats.
Une méthode formelle existe également pour mesurer la polarisation. Cochrane (2015)
part du constat que la polarisation d’un système de partis dépend de deux facteurs.
D’abord, elle dépend de la position des partis. Si certains partis sont très à droite, et
d’autres très à gauche, le système de partis sera plus polarisé que si ces mêmes partis
sont au centre. Ensuite, la polarisation dépend aussi de l’appui des partis. Si les partis
aux extrêmes reçoivent très peu d’appuis, le système sera moins polarisé que dans le
cas inverse. Comme mesure de la polarisation d’un système, Cochrane propose donc
une moyenne du positionnement des partis, pondérée par la part des votes reçus par
chaque parti. Formellement, avec 𝑛 partis, un positionnement des partis 𝑝𝑖 et une part
de vote 𝑤𝑖 :
37
𝑃𝑜𝑙𝑎𝑟𝑖𝑠𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 = ∑𝑛𝑖=1 𝑤𝑖√𝑝2
𝑖∑𝑛
𝑖=1 𝑤𝑖
En plus d’étudier l’évolution du positionnement des partis, nous regarderons également
l’évolution de la polarisation du système de partis au Québec.
3.1.5 Données, hypothèses et modèles
Pour estimer la position des partis politiques, leurs plateformes électorales sont utilisées.
Dans l’ensemble, 22 plateformes sont employées. Pour la méthode Wordfish, 19 plate-
formes sont utilisées et servent à l’estimation de ces 19 mêmes plateformes. Il s’agit des
plateformes du PLQ, du PQ, de l’ADQ/CAQ pour les années 2003, 2007, 2008, 2012
et 2014. Les plateformes électorales de QS sont aussi employées pour 2007, 2008, 2012
et 2014. Pour Wordscores, il faut choisir des textes de références. Nous faisons le choix
d’estimer cinq modèles avec quatre groupes de textes de références. 7 Nous faisons ce
choix pour les raisons suivantes expliquées au Tableau 3.1.
Nous commençons par estimer le positionnement des partis sur deux axes : l’axe gauche-
droite et l’axe identitaire/souveraineté. Des positionnements d’experts universitaires
existent pour les plateformes du PLQ, du PQ et de l’ADQ en 2007 (Collette et Pé-
try, 2012). Il s’agit d’une méthode employée par Laver et al. (2003). Ces textes nous
permettent d’estimer des positions sur les deux axes.
Toutefois, suivant la suggestion de Laver et al. (2003, p. 315), nous souhaitons aussi
inclure des positions extrêmes. En effet, selon toute vraisemblance, les positions du7. En fait, trois groupes plus la combinaison des de ces groupes.
38
Tableau 3.1 – Hypothèses
Tableau 1 : Chapitre 2 – Positionnement des partis Hypothèse Variable Indicateur Source et
justification - La réforme du financement entraine l’accélération de la convergence des positionnement dimensionnels des partis politiques
- Variable dépendante (vd): Positionnement dimensionnel des partis politiques - Variable indépendante (vi) : temps (avant et après la réforme)
- vd : Positionnement des partis sur la période 2003 – 2014 extraits à partir de l’algorithme Wordfish* - vd : Positionnement des partis sur la période 2003 – 2014 extraits à partir de l’algorithme Wordscore* - vi : variable dichotomique avant- après
- Katz et Mair (1995) et Pelizzo (2008) pour qui l’offre politique devient moins diversifiée. La cartellisation entraine une convergence : les partis « joignent leurs efforts »
*Ces deux indicateurs seront comparés comme test de robustesse.
PLQ, du PQ et de l’ADQ en 2007 seront plutôt centrales. Spécifiquement, il n’existe
pas de raison de croire qu’elles seront très différentes des autres positions à évaluer.
En ajoutant à ces plateformes celles du Parti Vert du Québec (PVQ) (2014) (très à
gauche), d’Option Nationale (ON) (2014) (très à gauche) et du Parti Conservateur du
Québec (PCQ) (2014) (très à droite), nous suivons la recommandation de Laver et al.
qui suggère d’inclure des textes de références au centre et dans les extrêmes.
Ici, une difficulté s’ajoute. Les positionnements sur l’axe gauche-droite du PVQ, d’ON
et du PCQ sont évidents. Ils sont extrêmes. Il n’existe pas de positionnement d’ex-
perts sur ces partis ; nous faisons simplement le pari de les placer à l’extrémité de l’axe
gauche-droite. La gauche à 1 ; la droite à 20. Puisque ces positionnements sont relatifs
(un parti par rapport à un autre), cela ne cause pas problème. Toutefois, pour le PCQ et
le PVQ, les positionnements sur l’axe identitaire/souveraineté sont loin d’être évidents.
En effet, ces partis font, respectivement de l’économie/libre-marché et de l’environne-
ment/justice sociale leur cheval de bataille. La place de l’identitaire/souveraineté est
39
Tableau 3.2 – Modèles Wordfish et Wordscores
Modèle
Textes de référence Score des textes de référence
À évaluer
Wordfish NA NA PQ-PLQ-ADQ/CAQ
(2003-2014); QS (2007-2014)
Wordscores gauche-droite 1
PQ-PLQ-ADQ (2007) PQ2007 = 8 PLQ2007 = 13,5 ADQ2007 = 16
PQ-PLQ-ADQ/CAQ-QS(2003; 2008-2014)
Wordscores souveraineté/identité
PQ-PLQ-ADQ (2007) PQ2007 = 1.5 PLQ2007 = 14 ADQ2007 = 7.5
PQ-PLQ-ADQ/CAQ-QS (2003; 2008-2014)
Wordscores gauche-droite 2
ON-PCQ (2014) ON2014 = 1 PCQ2014 = 20
PQ-PLQ-ADQ/CAQ (2003-2014); QS(2003-2014)
Wordscores gauche-droite 3
PVQ-PCQ (2014) PVQ2014 = 1 PCQ2014 = 20
PQ-PLQ-ADQ/CAQ (2003-2014); QS(2007-2014)
Wordscore gauche-droite 4
PQ-PLQ-ADQ (2003) ON-PVQ-PCQ (2014)
PQ2007 = 8 PLQ2007 = 13,5 ADQ2007 = 16 ON2014 = 1 PVQ2014 = 1 PCQ2014 = 20
PQ-PLQ-ADQ (2003; 2008-2014) QS (2007; 2014)
difficile à évaluer et ce n’est certainement pas l’objectif de ce chapitre de le faire. Nous
nous en tenons donc à un positionnement de référence sur l’axe gauche-droite. Comme le
montre Cochrane, l’unidimensionnalité gauche-droite peut souvent être adéquate. Qui
plus est, nous étudions la convergence positionnelle et la polarisation plutôt que le po-
sitionnement multidimensionnel complexe. C’est donc un compromis que nous sommes
prêts à faire.
Nous y allons par étapes. Nous utilisons d’abord les plateformes d’ON et du PCQ
comme références. Ensuite, nous utilisons les plateformes du PVQ et du PCQ. Enfin,
nous utilisons tous les textes de références : ON, PVQ, PCQ, PLQ-2003, PQ-2003,
ADQ-2007. Dans la section des résultats, nous comparons les scores estimés avec les six
modèles. Nous comparons les résultats des différents modèles pour assurer la robustesse
40
des scores obtenus. Nous discutons ensuite des limites de cette approche. Le tableau
3.2 résume tous les modèles, et les scores assignés aux différents textes de références
dans les cas où Wordscores est utilisé.
L’hypothèse générale à tester est que la convergence générale des positions des partis
politiques québécois s’accélère suite à la réforme du financement des partis politiques,
donc aux élections de 2012 et 2014. Nous entendons ici la convergence des positions
des partis comme une convergence vers un système de partis moins polarisé. De plus,
nous souhaitons tester l’hypothèse d’une accélération de la convergence car Collette et
Pétry (2012) observent déjà un début de convergence. D’une part, nos estimés nous
permettront de vérifier si effectivement y a accélération de la convergence, mais ils
permettront également de vérifier s’il y avait réellement, en premier lieu, un début de
convergence. Au niveau théorique, l’hypothèse de la convergence découle spécifique-
ment de Pelizzo (2008) pour qui la cartellisation entraine une convergence idéologique
des partis en raison de leur plus grande proximité dans l’État : les partis du Cartel
collaborent davantage, ont des positions plus proches, etc.
Le tableau 3.1 résume l’hypothèse à tester, les variables dépendante et indépendante et
les indicateurs utilisés. Le modèle Wordfish n’utilise pas de textes de références.
3.2 Résultats
La figure 3.1 présente graphiquement les résultats des six modèles. Nous décrivons
et commentons ces résultats dans cette section. Nous les analysons et traitons des
41
problèmes de l’analyse dans la discussion. Afin de faciliter la comparaison entre les
résultats obtenus avec Wordfish et Wordscores, tous les résultats sont normalisés, c’est-
à-dire ramenés sur une échelle de 1 (gauche) à 10 (droite).
3.2.1 Wordfish
La figure 3.1a montre les résultats du positionnement avec Wordfish sur un axe uni-
dimensionnel. Rappelons qu’un positionnement unidimensionnel prend tous les enjeux
présents dans les plateformes et réduit la dimensionnalité. La redistribution, l’identité,
l’environnement, etc ; tous ces enjeux sont réduits en une dimension par l’algorithme de
Wordfish. Le positionnement sur une dimension montre une séparation très nette entre
l’ADQ/CAQ et les trois autres partis. L’ADQ est autour de 7,5 pour les élections de
de 2003, 2007, 2012 (CAQ) et 2014 (CAQ). l’ADQ atteint un sommet, à 10, en 2008. 8
On remarque aussi une divergence dans le temps entre les scores des trois autres par-
tis (PQ, PLQ et QS), par rapport à l’ADQ/CAQ. À l’exception de l’élection de 2008,
l’ADQ/CAQ reste autour de 7,5 sur la période. Le PQ et le PLQ étaient assez proches
en 2003, autour de 5. À l’élection de 2007, le PLQ entame déjà un mouvement que
l’on peut considérer comme une divergence, c’est à dire un déplacement vers la gauche
(un bas score normalisé est la gauche et un haut score représente la droite). Pour sa
part, le PQ reste autour de 5, un score plutôt au centre, similaire à son score de 2003.
L’élection de 2008 voit naitre Québec solidaire. Lors de cette élection, QS, le PQ et
le PLQ ont un score très proche les uns des autres, autour de 2,5, alors que l’ADQ8. Ces positions sont relatives. Le score de 10, en 2008, est donc le score le plus extrême parmis
tous ces scores. Mais le chiffre de 10, dans l’absolu, ne veut rien dire. Tous ces chiffres sont normalisésentre 1 et 10. Ainsi, le maximum sera toujours 10 et le minimum sera toujours 1.
42
obtient son score le plus extrême, à 10. L’algorithme unidimensionnel Wordfish sépare
très nettement l’ADQ des trois autres partis pour l’élection de 2008. On semble assister
à une stabilisation des positions aux élections de 2012 et 2014. Bien qu’il soit vrai que
le PLQ semble poursuivre sa divergence par rapport à la CAQ lors des élections de
2012 et 2014, les positions générales des partis semblent vouloir se stabiliser. En 2012
et 2014, la CAQ est signficiativement plus haute dans les scores normalisés (plus à
droite) que le PQ, le PLQ et QS. Notons aussi que les scores de la CAQ de 2012 et
2014 sont plus bas que les trois scores de l’ADQ, bien que la différence ne soit pas très
importante (à l’exception de 2008). Ces trois partis semblent groupés à gauche, entre
1 et 2,5. Si l’on dissèque davantage les scores à l’élection de 2014, le PLQ est le parti
le plus à gauche (à l’extrême gauche ?). Ce résultat est contre-intuitif en ce sens que
l’observateur politique attentif ne s’attendrait pas normalement à observer le PLQ tout
à gauche. Plus précisément, le modèle Wordfish unidimensionel place, de façon relative,
le PLQ à la gauche des autres partis. Le PQ et QS sont à gauche, beaucoup plus près
du PLQ que de la CAQ, mais tout de même à droite du PLQ. Nous reviendrons dans
la discussion sur ce résultat surprenant.
3.2.2 Wordscores gauche-droite : scores de références du
PLQ, ADQ, PQ (2007)
La figure 3.1b montre les résultats du positionnement des partis avec un premier mo-
dèle Wordscores, sur l’axe gauche-droite traditionnel (redistribution, politiques sociales,
etc.), lorsque les textes de référence utilisés sont les plateformes de 2007 du PQ, de
43
l’ADQ et du PLQ. Ce premier modèle utilise les positionnement de référence de Col-
lette et Pétry (2012). De façon semblable à ce qui a été observé avec le modèle Wordfish
précédent, l’ADQ/CAQ est le parti le plus à droite, avec un maximum relatif à 10 lors
de l’élection de 2008. Comme dans le modèle précédent, la CAQ est plus à gauche que
l’ADQ. Dans la figure 3.1b, la surprise la plus importante est le positionnement de QS,
à droite du PQ. Cela va à l’encontre du sens commun. En effet, depuis sa formation en
2006, Québec Solidaire est considéré de façon générale comme le parti le plus à gauche
au Québec. Son positionnement plus au centre par rapport au PQ est donc une sur-
prise. Pour l’ADQ/CAQ et le PLQ, on constate un positionnement assez stable. Pour
le PQ, on note un déplacement vers la gauche au fil des années. À un score de 5 en
2003, proche du PLQ et de la CAQ (entre 7 et 8), le PQ a entamé un déplacement vers
la gauche. En 2014, le modèle place le PQ à 1, plus à gauche que QS, et très loin du
PLQ et de la CAQ. Avec ce modèle, la position de QS change beaucoup entre 2008 et
2014. Lors de son entrée en 2008, le modèle positionnait QS à 2,5, comme le PQ. Lors
de l’élection de 2008, le PQ et QS étaient très proches, à gauche, alors que le PLQ et
l’ADQ étaient assez proches, à droite. En 2012, il y a une convergence nette. QS est
poussé de la gauche vers le centre, alors que le PLQ et la CAQ sont poussés de la droite
vers le centre. Avec des scores de 4,6 et 5,5, QS et le PLQ sont très proches du centre.
Le PQ reste à 2,5, tandis que la transformation de l’ADQ en CAQ pousse le parti vers
le centre ; de 10 à 7.5. Toutefois, la convergence de 2012 disparait en 2014. Lors de cette
élection, la position du PLQ glisse encore vers la droite, pour aller rejoindre la CAQ,
un peu sous les 7,5. Le PQ glisse vers la gauche, pour atteindre une position minimale
de 1. QS se déplace également vers la gauche et passe sous la barre des 2,5. Un peu
44
comme avec le modèle Wordfish, on voit apparaitre en 2014 deux groupes, à gauche
et à droite. Toutefois, alors qu’avec Wordfish seule la CAQ était à droite (et les trois
autres partis à gauche), avec le premier modèle Wordscores gauche-droite, le PLQ est
groupé avec la CAQ tandis que le PQ et QS sont groupés à gauche.
3.2.3 Wordscores identité : scores de références du PLQ,
ADQ, PQ (2007)
Comme pour le cas précédent, la figure 3.1c présente les résultats d’un modèle Word-
scores utilisant les positionnements de référence de Collette et Pétry (2012). Le pré-
cédent modèle étudiait l’axe gauche-droite traditionnel. Le présent modèle s’intéresse
plutôt à l’axe identitaire-souveraineté. En effet, on le sait, au Québec, la question na-
tionale ainsi que la question des relations avec le Canada sont centrales. Au premier
regard, il semble que le PLQ fait cavalier seul sur cet enjeu. Sur la période, le PLQ est
significativement plus haut sur l’échelle du score normalisé que les trois autres partis. Il
est vrai qu’en 2003, le PLQ était proche du PQ, autour de 4. Toutefois, aux élections de
2008, 2012 et 2014, l’ADQ/CAQ, le PQ et QS se trouvent tous entre 1 et 4. Il s’agit du
groupe des partis en faveur de l’identité québécoise et de la souveraineté du Québec. Le
PQ s’est déplacé vers l’extrême (a divergé) sur la période 2003-2012, avant de revenir un
peu vers le centre en 2014, très près de la position de la CAQ. À l’élection de 2014, QS
est à l’extrême, à 1, sur l’échelle de l’indentité/souveraineté. Fait intéressant à noter, la
position du PLQ est très extrême en 2008. Pour 2003, 2012 et 2014, le PLQ est séparé
des autres partis (et plus haut sur l’échelle du score normalisé), mais toujours autour
45
de 5, alors que les autres partis sont groupés entre 1 et 4. En 2008, le PLQ obtient
un score de 10, beaucoup plus élevé que ses autres scores lors des autres élections, et
surtout, très loins de tous les scores de tous les partis sur l’axe identité-souveraineté.
Nous y reviendrons dans la discussion.
3.2.4 Wordscores gauche-droite : scores de références du
PVQ, du PCQ et de ON
Les figures 3.1d et 3.1e présentent les résultats de deux autres modèles Wordscores, mais
avec des textes de références situés aux extrêmes idéologiques. La dimension mesurée
est la dimension gauche-droite économique classique. Les textes de références utilisées
sont les plateformes du Parti Vert du Québec et du Parti Conservateur du Québec à la
figure 3.1d et de Option Nationale et du PCQ à la figure 3.1e. Le PCQ est considéré
à l’extrême droite idéologique au niveau socio-économique alors que le PVQ et ON
sont considérés à l’extrême gauche. Tel qu’expliqué dans la section méthodologique,
comparer deux modèles avec le PVQ et ON permet de limiter la probabilité que la
dimension souveraineté-identité domine. En effet, en plus d’être généralement reconnu
comme un parti socio-économiquement à gauche, Option Nationale est également à
l’extrême, du côté souveraineté, sur l’axe souveraineté-identité. Une simple comparaison
entre le PCQ et le PVQ aurait sans doute fait l’affaire, mais la comparaison de partis
souverainistes et fédéralistes permet plus de robustesse dans l’estimation des positions
sur l’axe gauche-droite socioéconomique.
Aux deux figures, les tendances observées sont similaires. On y trouve un groupe de
46
Figure 3.1 – Positionnement des partis politiques 2003-2014
(a) Wordfish●
●
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●
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●
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●
●
●
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●
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●
●●
2.5
5.0
7.5
10.0
2003
2007
2008
2012
2014
Année
Sco
re n
orm
alis
é
●
●
●
●
●
ADQ
CAQ
PLQ
PQ
QS
(b) Wordscores gauche-droite 1 Colette - Pétry(base)
●
●
●
●
●
●●
●
●
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●●
●
●
●
2.5
5.0
7.5
10.0
2003
2007
2008
2012
2014
Année
Sco
re n
orm
alis
é
●
●
●
●
●
ADQ
CAQ
PLQ
PQ
QS
(c) Wordscores identité
●
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●
●
●
●
●
●
●
●
●
●
●
●
●
2.5
5.0
7.5
10.0
2003
2007
2008
2012
2014
Année
Sco
re n
orm
alis
é
●
●
●
●
●
ADQ
CAQ
PLQ
PQ
QS
(d) Wordscores gauche-droite 2 PVQ, PCQ
●
●●
●
●
●
●
●
●
●
●
●
●
●
●
●
●
●
2.5
5.0
7.5
10.0
2003
2007
2008
2012
2014
Année
Sco
re n
orm
alis
é
●
●
●
●
●
ADQ
CAQ
PLQ
PQ
QS
(e) Wordscores gauche-droite 3 ON, PCQ
●
●
●
●
●
●
●
●
●●
●
●
●
●
●
●
●
●
2.5
5.0
7.5
10.0
2003
2007
2008
2012
2014
Année
Sco
re n
orm
alis
é
●
●
●
●
●
ADQ
CAQ
PLQ
PQ
QS
(f) Wordscores gauche-droite 4 global
●
●
●
●
●
●●
●
●
●
●●
●
●●
2.5
5.0
7.5
10.0
2003
2007
2008
2012
2014
Année
Sco
re n
orm
alis
é
●
●
●
●
●
ADQ
CAQ
PLQ
PQ
QS
47
droite PLQ-ADQ-CAQ et un groupe de gauche PQ-QS. Quelques différences peuvent
être notées. En 3.1d, avec les textes de références de ON et du PCQ, le PLQ est plus
à gauche que le PQ en 2003 ; un résultat déjà soulevé par le passé (Pétry, 2006). Ce
n’est qu’à partir de 2007 que le PLQ se déplace nettement plus vers la droite, à 8. Aux
élections de 2007 à 2014, le PLQ et l’ADQ/CAQ forment un groupe, à droite. Sur ce
même graphique, on remarque aussi un net déplacement vers la gauche du PQ et de
QS entre 2007 et 2012. Un léger déplacement de Québec solidaire vers le centre-gauche
est obersvé en 2014.
En 3.1e, la tendance est similaire en ce sens que le PLQ et l’ADQ/CAQ forment tou-
jours le groupe de droite, alors qu’on retrouve le PQ et QS à gauche. Une différence
importante est le positionement de l’ADQ et du PLQ en 2008. On note un déplacement
de ces partis vers la droite en 2008, suivi d’un retour vers le centre aux élections de
2012 et 2014. Encore une fois, il ne semble pas y avoir de convergence des partis. Bien
qu’on note un déplacement de la CAQ et du PLQ vers le centre aux élections de 2012
et 2014, QS et le PQ se déplacent vers la gauche.
La figure 3.1f présente un modèle Wordscores gauche-droite global. Les textes de ré-
férences utilisés sont les textes de références utilisés pour tous les différents modèles :
PQ-PLQ-ADQ (2003), ON, PVQ, PCQ. Ce modèle synthétise en quelque sorte les ré-
sultats précédents (à l’exception du modèle présenté en 3.1c qui présente les résultats
sur la dimension identité-souveraineté, plutôt que sur la dimension gauche-droite socio-
économique). L’inclusion de l’ensemble des textes de référence rend assez clair le fait
qu’il n’y a pas de convergence positionelle des positions des partis. Il semble au contraire
48
y avoir une polarisation. Alors qu’en 2003, l’ADQ, le PQ et le PLQ avaient un posi-
tionnement relatif similaire, à partir de 2007, et ce jusqu’en 2014, on voit l’apparition
de deux groupes disctincts, à gauche et à droite. Sur un axe gauche-droite, le PLQ et
l’ADQ/CAQ sont très proches l’un de l’autre lors de ces trois élections. Leurs scores
fluctuent entre 7 et 10. À l’opposé, le PQ et QS sont également proches, entre 0 et 3.
Ce modèle général est également le seul qui positionne QS à gauche de tous les autres
partis, un résultat intuitif pour l’observateur politique québécois. Plutôt que de tirer le
constat que le Parti québécois est davantage campé à gauche que Québec solidaire, il
est pertinent d’insister plutôt sur cette apparition de deux groupes distinctifs au plan
socioéconomique.
3.3 Discussion
Que signifient ces résultats ? Avant de traiter explicitement de la convergence position-
nelle et de la polarisation du système de partis, l’objet d’étude de ce chapitre, nous
proposons une mesure simple de la performance des différents modèles.
3.3.1 Performance des modèles
Il est pertinent de comparer les résultats des différents modèles aux positionnements
d’experts. C’est d’ailleurs ce que font Laver et al. (2003) pour s’assurer de la robustesse
des positions estimées. La figure 3.2 présente la corrélation (ou l’accord) entre nos
résultats et ceux du positionnement gauche-droite de Pétry (2013) obtenus à l’aide
d’un codage manuel des plateformes. Le coefficient 𝑅2 est indiqué. Les résultats sont
49
légèrement décevants. En effet, le 𝑅2 oscille entre 0,07 et 0,5. Les positions sont loins de
la ligne noire diagonale indiquant le parfait accord entre les positionnements d’experts
et nos estimés wordscores. Par exemple, en 3.2e, on voit que notre modèle Wordscores
positionne toutes les plateformes davantage à droite que Pétry. La plateforme de l’ADQ
en 2008 est positionnée tout à droite, à 10, alors qu’elle est seulement positionné à 5, au
centre, selon la méthode de Pétry. Pour ce dernier, en fait, la plateforme de l’ADQ en
2003 est nettement plus à droite que toutes les autres plateformes. Cela est représenté
par la distance sur l’axe vertical entre le positionement de l’ADQ-2003 et les autres
points.
Toutefois, il existe deux principales limites à cette méthode de comparaison. D’abord,
les scores de Pétry (2013) sont seulement les résultats d’une autre méthode d’analyse
de contenu. Une comparaison de nos estimés aux estimés de Pétry ne permettrait pas
d’identifier un problème lié à un biais systématique affectant les résultats présentés
ici ainsi que dans l’étude de 2013. Néanmoins, les estimés de Pétry sont, en terme
de rangement des partis, en ligne avec ceux d’experts politologues québécois, ce qui
augmente le degré de confiance envers ces estimés de performance.
Ensuite, les scores d’experts de Laver et al. (2003) sont multiples. C’est-à-dire que de
nombreux experts sont interviewés. Cela permet de placer un intervalle de confiance (un
écart-type autour des moyennes) sur les estimés d’experts. Ces intervalles permettent
de mesurer le nombre d’estimés de notre méthode d’analyse de contenu automatisé qui
tomberaient à l’intérieur d’un certain intervalle d’incertitude. Cela permet d’évaluer
avec plus de précision la méthode, face aux positionnements d’experts. Malheurese-
50
ment, Pétry n’offre pas d’intervalles de confiance. Dès lors, il est difficile d’établir avec
certitude la probabilité de validité de nos estimés.
De vrais jugements d’experts seraient-ils différents ? Malheureusement, les seuls juge-
ments d’experts disponibles le sont pour 2007. Puisqu’ils ont déjà été utilisés comme
scores de références pour les modèles Wordscores, il est impossible de vérifier nos résul-
tats avec ceux-ci.
Dans un ultime test de performance des modèles, nous proposons de comparer les es-
timés obtenus au positionnement de la Boussole électorale 2012. Malheureusement, ces
données couvrent seulement une élection et quatre partis. Il aurait été préférable que
ces positionements couvrent plus d’une élection. Toutefois, ces données représentent ce
qui se rapproche le plus d’un jugement d’expert 9. En effet, une équipe de chercheurs
de la Boussole a positionné les partis après avoir consulté leurs plateformes. Ces es-
timés sont rapportés dans Montigny et al. (2013). Ils pourront au moins offrir une
perspective différente, c’est-à-dire venir nuancer (renforcer ou contester) les résultats
des comparaisons de nos modèles et de ceux de Pétry.
Rappelons que les coefficients de corrélation entre nos estimés et les résultats de Pétry
(2013) variaient de 0,07 à 0,52. Avec les positions gauche-droite de la Boussole électorale
2012, les coefficients varient maintenant de 0,23 à 0,97. Dans le cas des modèles GD-2,
GD-3 et GD-4, présentés aux figures 3.3c, 3.3d et 3.3e montrent tous des coefficients
de corrélation supérieurs à 0,9. En 3.3e par exemple, on voit que QS est clairement le9. La Boussole électorale est un outil développé par des académiques. Pour la méthodologie de la
Boussole électorale 2012, voir CBC (2012)
51
Figure 3.2 – Corrélation entre les estimés et les mesures de Pétry (2013)
(a) Wordfish
●
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●
●
●
●●
2003 − PLQ
2003 − PQ
2003 − ADQ
2008 − PLQ2008 − PQ
2008 − ADQ
2012 − PLQ2012 − PQ
2012 − CAQ2012 − QS
R carré = 0.52
2.5
5.0
7.5
10.0
2.5 5.0 7.5 10.0
Wordfish
Pét
ry (
2013
)
(b) Wordscores gauche-droite 1
●
●
●
●
●
●
●
●
●●
2003 − PLQ
2003 − PQ
2003 − ADQ
2008 − PLQ2008 − PQ
2008 − ADQ
2012 − PLQ2012 − PQ
2012 − CAQ2012 − QS
R carré = 0.19
2.5
5.0
7.5
10.0
2.5 5.0 7.5 10.0
Wordscores GD1
Pét
ry (
2013
)(c) Wordscores gauche-droite 2
●
●
●
●
●
●
●
●
●●
2003 − PLQ
2003 − PQ
2003 − ADQ
2008 − PLQ2008 − PQ
2008 − ADQ
2012 − PLQ2012 − PQ
2012 − CAQ2012 − QS
R carré = 0.16
2.5
5.0
7.5
10.0
2.5 5.0 7.5 10.0
Wordscores GD2
Pét
ry (
2013
)
(d) Wordscores gauche-droite 3
●
●
●
●
●
●
●
●
●●
2003 − PLQ
2003 − PQ
2003 − ADQ
2008 − PLQ2008 − PQ
2008 − ADQ
2012 − PLQ2012 − PQ
2012 − CAQ2012 − QS
R carré = 0.12
2.5
5.0
7.5
10.0
2.5 5.0 7.5 10.0
Wordscores GD3
Pét
ry (
2013
)
(e) Wordscores gauche-droite 4
●
●
●
●
●
●
●
●
●●
2003 − PLQ
2003 − PQ
2003 − ADQ
2008 − PLQ2008 − PQ
2008 − ADQ
2012 − PLQ2012 − PQ
2012 − CAQ2012 − QS
R carré = 0.07
2.5
5.0
7.5
10.0
2.5 5.0 7.5 10.0
Wordscores GD4
Pét
ry (
2013
)
52
parti le plus à gauche avec notre modèle et dans la Boussole. Le PQ est positioné au
centre, tandis que le PLQ et la CAQ sont tous deux à droite. Les corrélations sont très
fortes, c’est-à-dire que nos estimés Wordscores sont proches des positionements de la
Boussole.
Sans doute, d’autres validations sont nécessaires afin d’être en mesure de nous position-
ner définitivement sur la valeur et la robustesse de nos estimés. Toutefois, ces derniers
chiffres nous permettent d’envisager une discussion sur la polarisation avec plus de
confiance. En effet, nos estimés, surtout ceux des modèles Wordscores, sont fortement
corrélés à ceux de la Boussole électorale. Nous semblons être en mesure de capturer une
dimension idéologique latente qui nous permettra au moins de discuter de la tendance
générale sur la période 2003-2014. Dit simplement, si nos estimés avaient été très loins
des estimés des experts de la Boussole, il aurait été approprié de se questionner sur la
valeur de l’ensemble des résultats. Puisque ce n’est pas le cas, nous semblons au moins
capturer une partie de la réalité. Nous pouvons ainsi avoir une certaine confiance en
notre capacité à discuter la tendance générale sur la période 2003-2014.
3.3.2 Une mesure synthétique de la polarisation du système
Rappelons notre hypothèse. Nous stipulions qu’avec la réforme du financement et la
cartellisation du système, il y aurait une convergence (ou une accélération) de la conver-
gence positionnelle des plateformes des partis. En d’autres termes, la polarisation me-
surée dans les plateformes serait diminuée. Qu’en est-il ?
La mesure de polarisation du système de Cochrane (2015) présentée dans la section
53
Figure 3.3 – Corrélation entre les estimés et les mesures de la Boussole électorale(Montigny et al., 2013)
(a) Wordfish
●
●
●
●
2012 − PLQ
2012 − PQ
2012 − CAQ
2012 − QS
R carré = 0.23
2.5
5.0
7.5
10.0
2.5 5.0 7.5 10.0
Wordfish
scor
e
(b) Wordscores gauche-droite 1
●
●
●
●
2012 − PLQ
2012 − PQ
2012 − CAQ
2012 − QS
R carré = 0.46
2.5
5.0
7.5
10.0
2.5 5.0 7.5 10.0
Wordscores GD1
Bou
ssol
e 20
12
(c) Wordscores gauche-droite 2
●
●
●
●
2012 − PLQ
2012 − PQ
2012 − CAQ
2012 − QS
R carré = 0.97
2.5
5.0
7.5
10.0
2.5 5.0 7.5 10.0
Wordscores GD2
Bou
ssol
e 20
12
(d) Wordscores gauche-droite 3
●
●
●
●
2012 − PLQ
2012 − PQ
2012 − CAQ
2012 − QS
R carré = 0.91
2.5
5.0
7.5
10.0
2.5 5.0 7.5 10.0
Wordscores GD3
Bou
ssol
e 20
12
(e) Wordscores gauche-droite 4
●
●
●
●
2012 − PLQ
2012 − PQ
2012 − CAQ
2012 − QS
R carré = 0.97
2.5
5.0
7.5
10.0
2.5 5.0 7.5 10.0
Wordscores GD4
Bou
ssol
e 20
12
54
précédente synthétise l’évolution du positionnement des partis, ainsi que l’influence
relative de chaque parti (un parti récoltant très peu de votes, même s’il est très à
gauche, ne devrait pas compter avoir trop d’influence sur notre mesure de polarisation).
Dit simplement, un système partisan est polarisé si des partis sont à l’extrême gauche, et
d’autres à l’extrême droite. Cependant, si tous les partis importants (ceux qui recoivent
beaucoup de votes) sont au centre, ce système est nettement moins polarisé, même s’il
possède des partis aux êxtremes. La mesure de polarisation est ainsi une moyenne
pondérée (pondérée par le pourcentage de votes obtenus) de la position gauche-droite
des partis.
La figure 3.4 montre l’évolution de la polarisation du système de partis au Québec.
Un score élevé signifie que le système est polarisé, c’est-à-dire que les partis ont des
positions éloignées les unes des autres. Un score bas signifie qu’il y a peu de polarisation,
c’est-à-dire que les partis ont des positions centrales et rapprochées.
Figure 3.4 – Mesure de polarisation du système partisan
●
● ●
●
●
●
●
●
●
●
●
●
●
●
●
●
●
●
●
●
●●
●
●●
●
● ●
6
8
10
12
14
2003 2007 2008 2012 2014Année
Pol
aris
atio
n
●
●
●
●
●
●
●WordfishGauche−droite 1Identité/souveraineté
Gauche−droite 2Gauche−droite 3Gauche−droite 4
Moyenne Gauche−droite
55
Commençons par le modèle Wordfish. On note une polarisation à la baisse en 2008,
suivi d’une stabilité en 2012, puis d’une seconde baisse, moindre, en 2014. Les modèles
Wordscores gauche-droite 1 à 3 montrent une tendance similaire : une convergence des
positions des plateformes des partis politiques. Le modèle Wordscores gauche-droite (le
modèle complet avec tous les textes de références) présente une polarisation accrue en
2008 par rapport à 2003, avant de converger à nouveau, comme les modèles précédents,
pour les élections de 2012 et 2014. Enfin, la ligne de couleur noire présente la moyenne
de l’évolution de la polarisation sur les quatre élections. On voit que la polarisation
est plus faible en 2012 et en 2014, par rapport à 2003 et 2008. Tous ces estimés de
la polarisation du système de parti reposent sur des estimés unidimensionnels d’une
position gauche-droite. Toujours sur la même figure, l’évolution de la polarisation sur
la dimension identité/souveraineté est aussi représentée. On constate une évolution très
similaire à celle de la polarisation sur l’axe gauche-droite : des scores plus bas en 2012
et 2014 qu’en 2003 et en 2008.
Qu’en penser ? La figure 3.4 montre une réduction de la polarisation dans les estimés
des positions idéologiques des partis. Le résultat le plus clair est qu’il y a convergence
des positions entre les élections de 2008 et 2012. Ce résultat est présenté visuellement
en 3.4. La tendance générale entre 2003 et 2014 est aussi à la baisse. Cependant, tel
que mentionné plus haut, le modèle le plus complet est le modèle gauche-droite 4 qui
inclut l’ensemble des textes de référence. Avec ce modèle, il n’y a pas réellement de
convergence entre 2003 et 2014. Il y a bel et bien convergence entre 2008 et 2012,
mais pas sur la période entière. Bien entendu, cela ne permet pas d’offrir une réponse
56
définitive à notre question de recheche. Chose certaine, il y a eu convergence entre 2008
et 2012, mais les résultats sur l’ensemble de la période sont mitigés.
57
Chapitre 4
Les effets sur la participation et les
dépenses des partis
De quelle façon les partis politiques réagissent-ils à une modification à la Loi électorale ?
Sont-ils flexibles, réactifs et capables de s’ajuster rapidement afin d’optimiser leur po-
sition dans l’espace sociopolitique ? Pour leur part, les électeurs sont-ils suffisamment
compétents pour observer ces changements et adapter leur comportement ? Dans ce cha-
pitre, à partir de l’exemple québécois, nous proposons trois tests statistiques largement
inspirés par Loewen et Blais (2006).
La première réforme du financement de 2010-2011, puis le projet de loi n°2 (2012-
2013) permettent d’explorer les effets d’une importante majoration du financement
public des partis politiques sur la participation électorale et les dépenses des partis en
circonscription.
58
4.1 Le néo-institutionnalisme des choix rationnels
appliqué à l’étude des dépenses des partis et
de la participation électorale
Afin de tester ces effets sur la participation et les tendances dans les dépenses, trois tests
statistiques sont présentés dans ce chapitre. Ces tests ont leur origine théorique dans
l’institutionnalisme du choix rationnel (Hall et Taylor, 1996). La logique est simple, et
toujours la même. Puisque le financement est étatique, et en fonction du nombre total de
votes obtenus, les partis s’ajusteront et chercheront à maximiser les votes reçus. Selon
la terminologie de Müller et Strøm (1999), les partis politiques, suivant une logique
rationnelle, chercheront à maximiser les votes puisque ceux-ci sont directement liés à
la subvention.
Plus spécifiquement, en limitant drastiquement le financement populaire et en triplant
les subventions liées à chaque vote, il est possible que la Loi ait modifié le rapport des
partis et des citoyens à l’argent et aux votes. D’une part, il est possible que les partis
choisissent de changer la façon par laquelle ils dépensent l’argent. Ils pourraient par
exemple tenter de cibler des circonscriptions avec plus d’électeurs potentiels, même si
la circonscription est faiblement contestée. Avec la subvention majorée, le calcul coût-
bénéfice de chaque dollar dépensé dans chacune des circonscriptions peut être modifié.
D’autre part, il peut aussi être logique que certains électeurs revoient leur décision
d’aller voter ou non, sachant qu’un vote, même dans une circonscription faiblement
compétitive peut maintenant faire la différence.
59
À titre d’exemple, considérons 10 circonscriptions faiblement compétitives où le parti
vainqueur obtient 50% du vote 1 mais la participation n’est que de 60%. Dans cette
circonscription, 30% des électeurs éligibles auraient donc voté pour le parti vainqueur
(0.5 x 0.6 = 0.3 ou 30%). En assumant que les électeurs ayant choisi de ne pas voter
(40% des électeurs inscrits) aient les mêmes préférences partisanes que ceux ayant voté,
il est possible d’assumer que la moitié (le parti vainqueur a obtenu la motié du vote
réel) des non-votants préfère le parti vainqueur.
En pratique, dans une circonscription québécoise de 66 000 électeurs, cela représente 13
200 électeurs. À plus de 1.5$ 2 de subvention par vote, employant le langage de la théorie
des choix rationnels, près de 15 000$ par circonscription pourrait être obtenu. Qui plus
est, puisque la subvention est proportionnelle au nombre de votes reçus, chaque vote
de plus fait décroitre l’allocation publique aux autres partis. 3
Évidemment, cette logique s’applique à tous les partis, qu’ils soient importants ou
marginaux. La maximisation de son vote augmente les ressources financières d’un parti
et diminue celles des autres partis, et ce, sur quatre ans car le résultat d’une élection
détermine la subvention sur tout le cycle électoral. 25 000 votes de plus deviendra près
de 100 000$ de plus sur le cycle électoral (et 100 000$ de moins aux autres partis).1. Dans un système bipartisan cette circonscription serait évidemment compétitive. Au Québec,
toutefois, un parti peut obtenir 50% et tout de même l’emporter par 20 voir 30 points de pourcentages.2. 1.5 par électeur pas par vote, donc plus que 1.5 par vote3. De façon absolue, chaque vote de plus ne vaut pas 1.5$. Plutôt, chaque électeur inscrit vaut 1.5$.
Dans l’exemple (assumant 8 000 000 d’électeurs), si le parti à 50% va chercher 1000 votes de plus, ilfait passer son total de voix à 3 001 000. Le premier parti fait 1000$ (3 001 000/6 001 000 * 1.5 * 8000 000 - 3 000 000/6000 000 * 1.5 * 8 000 000), le second parti perd 667$ (2 000 000/6 001 000 * 1.5* 8 000 000 - 2 000 000/2 000 000 * 1.5 * 8 000 000) et le troisième parti perd 333$. En effet, dansl’article 82 de Loi électorale, il est bien spécifié que la somme des subventions accordées aux partis esttoujours la même peu importe la participation.
60
4.2 Hypothèses
Les trois tests statistiques sont les suivants. Le premier test étudie la participation élec-
torale dans les circonscriptions non-compétitives avant et après la réforme. L’hypothèse
testée est que la participation électorale sera plus élevée dans les circonscriptions non-
compétitives après la réforme. En effet, les partis ont intérêt à maximiser leurs votes,
même si le résultat de l’élection ne fait pas de doute, puisque les votes sont directement
liés à une subvention étatique. Autrement dit, les partis chercheront à faire sortir le
vote à tout prix. De la même manière, les électeurs peuvent avoir intérêt à enregistrer
un vote pour le parti de leur choix, même si le résultat de l’élection ne fait pas de doute,
puisque le parti recevra une subvention.
Le second test est similaire. Il étudie les dépenses des partis dans les circonscriptions
non-compétitives avant et après la réforme. Encore une fois, on peut s’attendre à ce
que les partis dépensent davantage dans les circonscriptions non-compétitives. Chaque
vote compté est lié à une subvention de l’État.
Finalement, le troisième test étudie la même relation que le premier test, mais à un
différent niveau d’analyse. Le test étudie la participation électorale, au niveau indivi-
duel, en fonction de la compétitivité de la circonscription. Deux raisons nous poussent
à utiliser ce test. D’abord, les données au niveau individuel permettent de contrôler
pour l’âge et le sexe. Nous pourrons ainsi isoler l’effet de la réforme sur la compétitivité
avec plus de certitude. Ensuite, les données utilisées couvrent la période 1985-2014.
En comparaison, les données agrégées du premier test couvrent uniquement la période
61
Tableau 4.1 – Hypothèses, participation et dépenses des partisChapitre 3 – Participation et dépenses Hypothèse Variable Indicateur Source et
justification - La réforme du financement augmente la participation électorale dans les circonscriptions faiblement contestées
- Variable dépendante : Participation électorale - Variable indépendante: l’interaction entre le temps (avant et après la réforme) et la compétitivité de la circonscription
- vd : Participation électorale (circonscription-année) - vi 1: variable dichotomique avant- après la réforme - vi 2: marge de victoire (différence entre le score en pourcentage du parti vainqueur et le score du second) par circonscription-année
- Réplication de Loewen et Blais (2006) : Chaque vote compte en raison de la subvention étatique. Ainsi il existe un incitatif pour voter, même dans les circonscriptions non-compétitives.
- La réforme du financement augmente les dépenses des partis dans les circonscriptions faiblement contestées
- Variable dépendante : dépense des partis - Variable indépendante: l’interaction entre le temps (avant et après la réforme) et la compétitivité de la circonscription
- vd : Ratio des dépenses électorales du parti sur la limite permise par la loi (circonscription-année) - vi 1 : variable dichotomique avant- après la réforme - vi 2: marge de victoire (différence entre le score en pourcentage du parti vainqueur et le score du second) par circonscription-année
- Réplication de Loewen et Blais (2006) : Chaque vote compte en raison de la subvention étatique. Ainsi il existe un incitatif pour les partis à faire sortir le vote, même dans les circonscriptions non-compétitives.
- La réforme du financement augmente la probabilité qu’un électeur enregistre un vote dans les circonscriptions faiblement contestées
- Variable dépendante : Participation électorale - Variable indépendante: l’interaction entre le temps (avant et après la réforme) et la compétitivité de la circonscription
- vd : Participation électorale (individuelle) - vi 1: variable dichotomique avant- après la réforme - vi 2: marge de victoire (différence entre le score en pourcentage du parti vainqueur et le score du second) par circonscription-année
- voir hypothèse La réforme du financement augmente la participation. Ajoût de contrôles (sexe, âge) et perspective historique (depuis 1985 au lieu de 2003).
2003-2014. Ce test nous donne ainsi une perspective historique.
Le tableau 4.1 résume ces trois hypothèses, les variables indépendante et dépendante,
les indicateurs utilisés et la logique de ces tests.
62
4.3 Données et méthodologie
Les données utilisées pour les deux premiers tests proviennent du site web du Directeur
général des élections du Québec et sont disponibles en libre-accès. Chaque observation
est une circonscription-année, par exemple « Jean-Talon-2012 ». Chaque observation est
mesurée sur les variables suivantes : dépenses électorales de chacun des partis, partici-
pation électorale, salaire moyen, taux de chômage, proportion d’immigrants, proportion
d’individus ayant le français comme première langue d’usage. Le tableau 4.2, résume ces
informations pour les cinq élections entre 2003 et 2014 pour toutes les circonscriptions.
Tableau 4.2 – Données tests aggrégés ; par circonscription-année
Année Dép. PLQ ($) Dép. PQ ($) Participation (%) Marge victoire (%)1 2003 42 372 37 303 70,4 19,12 2007 47 511 35 198 71,1 16,83 2008 44 512 26 343 57,4 19,74 2012 42 185 27 989 74,3 16,45 2014 21 349 22 433 71,2 21,4
Pour chaque année, la valeur correspond à la moyenne dans les 125 circonscriptions qué-bécoises. Les dépenses, la participation et la marge de victoire sont les quatre principauxindicateurs utilisés dans ce chapitre.
À l’instar de Loewen et Blais (2006), nos variables dépendantes, la participation élec-
torale et les dépenses sont modélisés avec un modèle linéaire avec une interaction entre
la marge de victoire (la variable d’intérêt principale, un proxy pour la compétitivité
de ladite circonscription) et l’année. Dans un premier temps, la relation d’intérêt est
donc, comme Loewen et Blais, celle entre notre variable dépendante et notre variable
indépendante. Dans un second temps, plusieurs contrôles socio-démographiques sont
ajoutés. Dans un troisième temps, les modèles de régressions sont divisés en fonction
du type d’élection pour mitiger un des problèmes principaux de la modélisation par
modèle de régression : la non-linéarité. Ces deux derniers tests, constituent des ajouts
63
méthodologiques par rapport à l’article de Loewen et Blais.
Pour le test au niveau individuel, les données proviennent également du Directeur gé-
néral des élections du Québec. Il s’agit d’une base de données dénominalisée de 650 000
électeurs avec des informations sur leur âge, leur sexe, leur circonscription et leur vote.
Ces données transversales couvrent neuf élections de 1985 à 2014.
Tableau 4.3 – Aperçu de l’échantillon des individus par circonscription
Année Moy Min Max n Moy_Âge Moy_Femmes Moy_Vote1 1985 297,00 63 724 119 41,73 0,51 0,762 1989 271,00 47 645 120 42,95 0,52 0,753 1994 315,00 44 761 121 44,09 0,51 0,824 1998 316,00 47 784 117 45,37 0,52 0,785 2003 342,00 39 961 122 46,68 0,52 0,706 2007 340,00 54 906 114 47,55 0,51 0,707 2008 367,00 89 1076 120 48,14 0,51 0,578 2012 440,00 12 916 119 49,01 0,52 0,759 2014 2519,00 841 8088 124 48,88 0,51 0,70
Pour chaque année, la valeur correspond à la moyenne dans les 125 circonscriptions qué-bécoises. Les dépenses, la participation et la marge de victoire sont les quatre principauxindicateurs utilisés dans ce chapitre.
Plus formellement, trois modèles avec interactions permettent d’estimer l’effet d’une
variable indépendante sur une variable dépendante, et ce pour différentes périodes tem-
porelles. Par exemple, dans le premier modèle, l’objectif est de mesurer si l’effet de la
compétitivité (closeness) d’une circonscription sur la participation est le même avant
et après la réforme.
𝑝𝑎𝑟𝑡𝑖𝑐𝑖𝑝𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 = 𝐵0 + 𝐵1𝑚𝑎𝑟𝑔𝑒 + 𝐵2𝑎𝑛𝑛𝑒 + 𝐵3𝑚𝑎𝑟𝑔𝑒 ∗ 𝑎𝑛𝑛𝑒
𝑎𝑛𝑛𝑒 𝜖 {2003, 3007, 2008, 2012, 2014}
𝑎𝑛𝑛𝑒 𝜖 {[2003, 2012], 2014}
64
L’interaction permet de modéliser l’effet (valeurs initiales et taux de variations des
modèles linéaires peuvent varier) avant et après la réforme. Des tests statistiques joints
sont également présentés. Le second modèle présente l’effet de la compétitivité sur les
dépenses des deux principaux partis tandis que le troisième modèle est une variation
du premier, mais au niveau de l’individu plutôt qu’au niveau de la circonscription.
4.4 Résultats
La figure 4.1 présente visuellement les résultats de la première hypothèse. En 4.1a, la
relation entre la marge de victoire et la participation électorale pour chaque élection
entre 2003 et 2014 est montrée. En comparant les taux de variation des deux relations,
c’est à dire la relation entre la participation et la compétitivité, on constate que la
relation est beaucoup moins décroissante en 2014 que sur toutes les autres années. La
figure 4.1b présente la relation épurée, c’est à dire juste les tendances linéaires, et ce pour
les élections avant la réforme, en 2012 et en 2014. La différence entre l’élection de 2014
et les élections précédentes est claire : en 2014, la participation dans les circonscriptions
faiblement contestées est plus élevée que pour toutes les autres années. Ces résultats
sont statistiquement significatifs à un niveau de probabilité p < 0.05.
Tournant le regard vers la relation entre les dépenses d’un parti en circonscription,
deux principaux résultats sont visibles à la figure 4.2. D’abord, la relation entre les
variables dépendante et indépendante est beaucoup moins claire. La figure 4.2a montre
la relation décroissante entre les dépenses et la marge de victoire. La différence entre
la relation sur les deux périodes est toujours significative. Toutefois, la non-linéarité
65
Figure 4.1 – Participation électorale et marge de victoire
(a) Modèle pour les cinq élections
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lecto
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2003 2007 2008 2012 2014
(b) Modèle épuré
40
60
80
0 25 50 75 100Marge de victoire (%)
Pa
rtic
ipa
tio
n é
lecto
rale
(%
)
2003−2008 2012 2014
observable (la relation forme un C) cause problème. En effet, un des postulats princi-
paux de la régression linéaire est celui de la linéarité. Lorsque non respecté, il devient
difficile d’affirmer quoi que ce soit de la relation, surtout au niveau de la significativité
statistique. La figure 4.2b montre que les dépenses étaient plus élevées en 2012 dans les
circonscriptions fortement contestées. Ce résultat va à l’encontre de notre hypothèse.
Afin de régler le problème de linéarité, la figure 4.3 sépare la relation précédente en
quatre objets d’études similaires. Les observations dans chacun des quatre modèles sont
maintenant des objets d’études comparables et la non-linéarité est évitée. La relation est
maintenant non statistiquement significative dans les quatre cas. Un point intéressant
peut être noté. Dans le graphique en bas à droite, où les dépenses du Parti libéral du
Québec dans les circonscriptions où le PLQ n’a pas remporté l’élection sont représentées
en fonction de la marge de victoire, on remarque qu’en moyenne, les points pour 2014
sont beaucoup plus bas que pour les autres années. Il semble y avoir une modification des
66
Figure 4.2 – Dépenses en circonscription et marge de victoire (a)
(a) Modèle pour les cinq élections
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0.00
0.25
0.50
0.75
1.00
0 25 50 75 100Marge de victoire (%)
Dé
pe
nse
s é
lecto
rale
s
(%
de
la
lim
ite
pe
rmis
e)
2003 2007 2008 2012 2014
(b) Modèle épuré
0.00
0.25
0.50
0.75
1.00
0 25 50 75 100Marge de victoire (%)
Dé
pe
nse
s é
lecto
rale
s
(%
de
la
lim
ite
pe
rmis
e)
2003−2008 2012 2014
tendances de dépenses au PLQ. Dans ce type de circonscription, le PLQ a fait le choix
de moins dépenser. Le PLQ avait moins d’argent à dépenser dans les circonscriptions
où il n’était pas favori. La seconde hypothèse ne peut être validée.
Plutôt que de mesurer la participation électorale au niveau de la circonscription, il est
possible de mesurer la relation au niveau individuel. Un modèle de régression logistique
prédit la probabilité d’un électeur de se présenter aux urnes. Les résultats présentés à
la figure 4.4 montrent une relation très similaire à celle au niveau de la circonscription :
en 2014, la relation entre la participation et la marge de victoire est nulle. Sur le reste
de la période, elle est décroissante et statistiquement significative. La différence entre
les périodes est, à chaque fois, statistiquement significative. Cette fois-ci, la relation
entre la participation électorale et la marge de victoire est encore plus forte en 2012
que sur la période 1985-2008. On n’assiste donc pas, en 2014, à la concrétisation d’une
tendance ayant débutée en 2012.
67
Figure 4.3 – Dépenses en circonscription et marge de victoire (b)
0.00
0.25
0.50
0.75
1.00
0 25 50 75 100Marge de victoire (%)
Dép
ense
s él
ecto
rale
s (
% d
e la
lim
ite p
erm
ise)
2003−2008 2012 2014
Dépenses PQ − Victoire PQ
0.00
0.25
0.50
0.75
1.00
0 25 50 75 100Marge de victoire (%)
Dép
ense
s él
ecto
rale
s (
% d
e la
lim
ite p
erm
ise)
2003−2008 2012 2014
Dépenses P.Q. − Défaite P.Q.
0.00
0.25
0.50
0.75
1.00
0 25 50 75 100Marge de victoire (%)
Dép
ense
s él
ecto
rale
s (
% d
e la
lim
ite p
erm
ise)
2003−2008 2012 2014
Dépenses P.L.Q. − Victoire P.L.Q.
0.00
0.25
0.50
0.75
1.00
0 25 50 75 100Marge de victoire (%)
Dép
ense
s él
ecto
rale
s (
% d
e la
lim
ite p
erm
ise)
2003−2008 2012 2014
Dépenses P.L.Q. − Défaite P.L.Q.
Le graphique de gauche montre la relation lors de chaque élection entre 1985 et 2014.
Lors de sept élections, la relation est statistiquement différente. Seule l’élection de
1994 ne diffère pas statistiquement de celle de 2014. En d’autres termes, la relation
entre la participation électorale et la marge de victoire est nulle en 1994 et en 2014.
Elle est décroissante lors de toutes les autres élections. Ce constat sera discuté dans
la prochaine section. Ces résultats visuels présentent la relation entre la compétitivité
68
d’une circonscription et la probabilité d’un électeur de voter. Les données utilisées
incluent également de l’information sur l’âge et le sexe. Contrôlant pour ces variables,
la relation entre la compétitivité et la probabilité de voter d’un électeur demeure la
même.
Figure 4.4 – Participation individuelle et marge de victoire
0.55
0.60
0.65
0.70
0.75
0 25 50 75 100Marge de victoire (%)
Par
ticip
atio
n él
ecto
rale
(%
) (
régr
essi
on lo
gist
ique
)
1985−2008
2012
2014
0.3
0.4
0.5
0.6
0.7
0.8
0 25 50 75 100Marge de victoire (%)
Par
ticip
atio
n él
ecto
rale
(%
) (
régr
essi
on lo
gist
ique
)198519891994199820032007200820122014
4.5 Discussion
Nous avions deux hypothèses. Premièrement, la réforme du financement des partis
politiques viendrait augmenter la participation électorale dans les circonscriptions non-
compétitives. Deuxièmement, la réforme viendrait augmenter les dépenses des partis
politiques dans ces mêmes circonscriptions non-compétitives. Au niveau des circonscrip-
tions, nos résultats montrent qu’en 2012 et en 2014, la participation était plus élevée
dans les circonscriptions faiblement compétitives. Nos résultats montrent qu’il n’y a
pas eu de changement au niveau des dépenses, si l’on s’intéresse à la relation entre
69
compétitivité et dépenses. Il y a bien eu un changement, c’est à dire, moins de dépenses
totales. Cela est clair à la figure 4.3. En même temps, comme expliqué dans le premier
chapitre, globalement les partis ont moins d’argent depuis la réforme. L’hypothèse des
dépenses n’est pas validée.
Au niveau individuel, nos résultats à la figure 4.4 montrent, sans aucun doute, qu’il y
a eu un changement en 2014, par rapport aux années électorales précédentes. L’apport
de ce modèle au niveau individuel est plutôt qu’il permet une perspective historique
(jusqu’à 1985 plutôt que 2003). Tel que mentionné dans la section précédente, la relation
observée en 2014 est également observée en 1994. Pourquoi en est-il ainsi ?
Deux hypothèses peuvent être opposées. Selon la première hypothèse, il est possible
que la réforme du financement ait augmenté la participation dans les circonscriptions
faiblement contestées. Les électeurs, conscients de la valeur de leur vote, seraient allés
voter en plus grand nombre même s’ils savaient que leur vote ne serait pas si important
car l’élection est peu compétitive. Les électeurs auraient exercé ce que l’on peut appeler
un « vote financier stratégique ».
Selon la seconde hypothèse, une autre raison serait en cause pour expliquer la rela-
tion nulle entre compétitivité et participation en 1994 et en 2014. Il peut être noté
que les circonscriptions avec la plus grande marge de victoire sont des circonscriptions
libérales de l’Île de Montréal. Ces circonscriptions à forte majorité anglophone et allo-
phone ont un long historique d’opposition à la souveraineté et aux politiques du PQ
en général (Gagné et Langlois, 2000). On le sait, l’élection de 1994 était une élection
critique. En 1994, le PQ avait le vent dans les voiles et préparait le référendum à venir
70
l’année suivante. Les électeurs anglophones et allophones, fortement opposés à l’option
référendaire, avaient de bonnes raisons de se présenter aux urnes afin de signifier leur
mécontentement ou leur inquiétude. Sans nécessairement faire correspondre les élec-
tions de 1994 et 2014, il peut tout de même être noté que l’élection de 2014 était la
première depuis 2003 où le parti sortant était le PQ. La Charte des valeurs était très
largement impopulaire chez les anglophones (Laxer et Korteweg, 2016). L’arrivée au
PQ du magnat des médias, Pierre Karl Péladeau, pouvait aussi faire craindre les oppo-
sants du projet souverainiste. Bref, il est possible que certaines populations, opposées
au projet souverainiste, aient senti un besoin symbolique ou même réel d’aller signifier
leur opposition au projet souverainiste/péquiste. Ceci, bien sûr, ne peut être montré
avec le type d’analyse quantitative et les données de la présente analyse. Nous croyons
toutefois pertinent de soulever ce point. En effet, un changement a été noté en 2014. Il
peut être dû à la réforme du financement des partis, ou à autre chose.
L’ajout de contrôles socio-démographiques comme le pourcentage de francophones,
d’immigrants, le taux de chômage ainsi que des contrôles pour le parti sortant ne permet
pas de faire disparaitre la relation idiosyncratique de 2014. Autrement dit, nos résultats
sont robustes à l’ajout de contrôles. Nous croyons ainsi que nos résultats, même s’ils ne
peuvent garantir la causalité ont une certaine valeur.
Possiblement, ces expériences montrent la limite des analyses quantitatives sur notre
sujet d’étude. Pour l’avenir, une analyse qualitative des motivations des électeurs des
circonscriptions faiblement compétitives ainsi que des interviews avec des stratèges
politiques responsables des dépenses des partis en circonscription pourraient jeter un
71
nouvel éclairage sur le financement, la participation et les dépenses en circonscription
au Québec.
72
Discussion générale
Ce mémoire étudie les effets de la réforme du financement des partis politiques au
Québec. La réforme s’est déroulée entre 2010 et 2013 et a impliqué la baisse drastique de
la contribution maximale autorisée de 3000$ à 100$ par contribuable. En contrepartie, le
financement étatique a triplé. Spécifiquement, le mémoire cherche à étudier si la réforme
du financement a eu un effet sur l’offre politique, mesurée par l’analyse automatisée des
plateformes des partis (chapitre 2), la participation électorale et les dépenses de partis
(chapitre 3).
Le deuxième chapitre montre qu’il y a une convergence positionnelle des partis poli-
tiques au Québec en 2012 par rapport à 2008. Que ce soit mesurée par la méthode
Wordfish ou Wordscores, que ce soit sur la dimension gauche-droite ou sur la dimension
identitaire, et peu importe le choix des textes de références avec la méthode Wordscores
il y a convergence positionnelle des plateformes de partis. Toutefois, sur l’ensemble de
la période, les résultats sont mitigés. Les modèles gauche-droite partiels, et le modèle
identité/souveraineté font acte d’une convergence tandis que le modèle général incluant
l’ensemble des textes de référence pointe vers une stabilité dans la polarisation en 2003,
2012 et 2014. Simplement dit, les plateformes des différents partis sont plus similaires
73
en 2012 et en 2014 qu’en 2003 et 2008. Nous ne sommes pas en mesure d’aborder de
façon détaillée les positions des partis en 2007 car les plateformes de cette élection
servent de textes de références.
Le troisième chapitre montre qu’il y a eu une hausse de la participation électorale dans
les circonscriptions faiblement contestées en 2014. La spécificité de l’élection de 2014, où
la participation est plus élevée dans les circonscriptions faiblement contestées, demeure
malgré les différents contrôles inclus dans nos modèles de régression multivariée. Il
est avancé que cette hausse de la participation pourrait être liée aux incitatifs de la
subvention liée à chaque vote. Toutefois, nous ne trouvons pas d’indice suggérant que
les partis ont modifié leur comportement au niveau des dépenses. Notre hypothèse était
qu’avec la subvention, les partis pourraient être amenés à dépenser un peu plus dans
certaines circonscriptions faiblement contestées afin de faire le plein de votes dans ces
circonscriptions. Cette hypothèse ne peut être validée.
4.6 Démontrer la causalité
Nous avons donc montré qu’il y a eu une convergence positionnelle des positions des
partis sur la période du financement des partis politiques. Nous avons également montré
que la participation dans les circonscriptions faiblement contestées était plus élevée en
2014 (après la réforme) que lors des élections précédentes. Nous avons argumenté qu’il
existe de bonnes raisons de croire que ces deux phénomènes peuvent être associés à une
cartellisation du système de partis.
74
Toutefois, nous souhaitons être clair. Il est important de rester prudent en ce qui
concerne la revendication de la causalité ; c’est-à-dire d’affirmer que la réforme du fi-
nancement des partis politiques a augmenté la participation et qu’elle a fait converger
les positions de partis. Bien que l’objectif de la science politique soit souvent de tenter
de fournir une explication causale, il est, en pratique, souvent difficile de le faire.
Suivant King et al. (1994), la science requièrt une étape inférentielle. Suite à la collecte
de données observables, le chercheur doit impérativement, par un processus scienti-
fique, inférer une réalité à l’inobservable. Cette inférence peut être descriptive, utiliser
les données observées pour apprendre sur le monde inobservable ; ou causale, c’est à dire
utiliser l’observable pour apprendre sur l’effet de a sur b. Cette visée inférentielle est
centrale dans ce mémoire. Dans le second chapitre, la visée inférentielle est descriptive,
dans le troisième elle est causale. Dit simplement, le second chapitre tente de vérifier
s’il y a convergence idéologique des plateformes partisanes, un phénomène associé au
cartel dans la littérature théorique. Toutefois, il est impossible de lier les deux causa-
lement grâce aux tests effectués. Au troisième chapitre, nous croyons que les modèles
au niveau de la circonscription-année et au niveau de l’individu, jumelés à une série
de contrôles utilisés dans les régressions multivariées, permettent de viser la causalité
inférentielle. Cela dit, les tests statistiques utilisés sont observationnels, c’est-à-dire que
l’environnement de l’étude n’est pas contrôlé. Il faut simplement garder cela à l’esprit.
Pour ajouter à ce qui vient d’être dit, nous croyons qu’une mixité méthodologique peut
être utile dans l’étude du financement des partis politiques. King et al. (1994) nous
rappellent que la référence absolue pour identifier la causalité est l’étude expérimentale
75
dans un environnement contrôlé. Malheureusement, lorsqu’on étudie les institutions
(ou les effets d’un projet de loi) cela n’est pas possible. Les effets d’une telle réforme
sont idiosyncratiques et propres à chaque juridiction. Il est évidemment impossible de
prendre deux juridictions identiques et d’appliquer une réforme dans seulement une
des deux circonscriptions. Dès lors, dans l’étude d’un tel phénomène idiosyncratique,
la mixité méthodologique peut être une solution. La pertinence de l’interview avec des
dirigeants de partis, par exemple, ne fait aucun doute lorsqu’on étudie les effets d’une
réforme législative sur la structure interne ou le financement des partis. Ce n’est pas le
choix qui a été fait dans ce mémoire, mais nous croyons qu’un tel projet est pertinent.
4.7 Qu’avons nous appris ? Un retour théorique et
critique
Au tout début du mémoire, le schéma présenté à la figure 0.1 montrait les liens théo-
riques liant trois chapitres. La figure 4.5 présente le schéma à nouveau. Tel qu’illustré
au premier des trois cadres de la figure, ce mémoire utilise l’approche de l’institution-
nalisme des choix rationnels. Les acteurs politiques, dans leurs choix présents et futurs
obéissent à un désir de maximiser leur utilité, ainsi que celle de leur parti respectif.
Qui plus est, ces mêmes acteurs sont assujettis à une série de contraintes régissant leur
comportement. Dans ce mémoire, nous avons recensé une difficulté croissante des partis
à se financer ainsi qu’un manque à gagner en termes de légitimité. En effet, plusieurs
scandales en lien avec le financement politique ont placé les partis dans une position
76
Figure 4.5 – Plan du mémoire
Chapitre1:Cadrethéoriqueetrevuede
lalittérature
LeseffetsdelaréformedufinancementdespartispolitiquesauQuébec:
Chapitre3:Convergence
positionnelledesplateformesdes
partis
Chapitre4:Effetssurlaparticipationetlesdépenses
L’institutionnalismedeschoixrationnels:Pourexpliquerlarationalité
desacteurs
LathéorieduCartel:Pourexpliquerlaspécificitéducasdufinancement
politique
L’offrepolitiqueseréduit:
ImplicationdirectedelathéorieduCartel Intégrationdes
structuresdel’Étatetcalculusécono.:Implicationdelathéorie
duCartel
Maximisationdesressources($):
Implicationdirectedel’institutionnalismedes
choixrationnels
fort peu agréable.
Nous l’avons mentionné, Boix (1999) fut l’un des premiers à présenter un argument
empirique à l’effet que, face à de telles difficultés, les partis s’ajustent. Au début du
XXe siècle, alors que l’arène électorale se transformait, les partis au pouvoir furent
obligés d’adopter un mode de représentation proportionnelle lorsque les partis émer-
gents étaient en position de force. Une centaine d’années plus tard, le Parti libéral du
Québec fut obligé d’accepter un financement étatique. Sans doute, si les alternatives au
pouvoir, la Coalition Avenir Québec et le Parti Québécois n’avaient pas été en position
de force, cette concession n’aurait peut-être pas eu lieu.
Le corollaire de cette rationalité des acteurs politiques est la rationalité des citoyens.
Bien sûr, cela ne va nécessairement de soi. Tandis qu’il est souvent aisé pour les groupes
77
aux intérêts très concentrés, comme les partis politiques, d’agir rationnellement, il est
plus difficile pour les groupes aux intérêts diffus, comme les citoyens, de faire de même
(Olson, 2009). En effet, une analyse générale a montré que les partis défavorisés par le
système de financement individuel, le Parti Québécois et la Coalition Avenir Québec
étaient en faveur d’un financement étatique. La question de la rationalité des électeurs
aux intérêts diffus présentée au quatrième chapitre a montré une coordination possible,
mais qui n’est certainement pas de la même ampleur que celle des partis. Autrement
dit, il est facile pour un parti politique, qui peine de plus en plus à se financer, de savoir
qu’un financement étatique est une bonne chose. En plus, même si l’avantage financier
relatif aux autres partis n’est pas clair, qui pourrait être en désaccord qu’il est plus
plaisant de recevoir plusieurs centaines milliers de dollars, voire plusieurs millions de
dollars que de collecter ces sommes à coup de centaines de dollars dans toutes sortes
d’évènements qui occupent les soirées et les fins de semaines des députés, candidats ainsi
que de leur personnel politique déjà très occupé ? En contrepartie, il est plus difficile
pour le citoyen, aussi rationnel soit-il, de voir l’impact des quelques dollars qu’offre son
vote à son parti.
Cette limite de la rationalité de l’électeur est bien connue. Dans un ouvrage important
Blais (2000) affirme qu’environ 50% des électeurs votent en fonction d’un impératif
moral. Seuls les électeurs restants pourraient possiblement voter pour une raison stra-
tégique, telle qu’une hausse de la subvention à leur parti favori. Ce n’est pas impos-
sible, mais simplement moins probable qu’une coordination entre groupes aux intérêts
concentrés.
78
La défaite du Parti libéral à l’élection de 2018 (et la victoire majoritaire de la Coali-
tion Avenir Québec) permet d’ailleurs de jeter un nouveau regard sur cette rationalité
des acteurs politiques. 4 Le parti porté au pouvoir l’a été en incluant une réforme du
mode de scrutin à sa plateforme. Ladite réforme inclut un élément de proportionna-
lité ; probablement un mode de scrutin mixte. Cette réforme est appuyée par tous les
partis, sauf le Parti libéral du Québec. Nous l’avons souligné, pour Boix, l’émergence
de nouveaux partis en position de force et une position de faiblesse relative du parti
dominant ont mené, au début du siècle dernier, à l’adoption d’un scrutin proportionnel.
Après avoir mené à une réforme importante du financement, il est possible que cette
faiblesse du parti libéral dominant mène également à une réforme du mode de scrutin.
Sans aucun doute, les vertus démocratiques d’un scrutin proportionnel sont à louer.
Chaque vote compte et les déformations géographiques ne sont pas aussi importantes.
Néanmoins, la prise en compte des intérêts rationnels des acteurs, tel que suggérée dans
ce mémoire, est importante : au Québec, tout comme le Parti libéral était bien servi
par un financement individuel, il était bien service par un mode de scrutin uninominal
à un tour. Le Parti Québécois, Québec solidaire et la Coalition Avenir Québec ont des
intérêts dans la modification du statu quo 5. Cette prise en compte des bénéfices, et
l’effet des contraintes institutionnelles est l’une des forces de l’analyse par l’approche4. La majeure partie de ce mémoire a été écrite en 2017 et au début de 2018, mais les dernières
corrections ont été apportées quelques semaines après l’élection québécoise d’Octobre 2018.5. Tandis qu’il est clair que le financement populaire avantageait le Parti libéral, la question du
mode de scrutin est plus complexe. À l’élection de 2018, la Coalition Avenir Québec fut avantagée parle système uninominal. En même temps, il est probable que leur victoire électorale fut en partie dueà la promesse d’une réforme du mode de scrutin. En tant que nouvel entrant dans le système, unetelle réforme peut probablement limiter les cycles d’explosion de d’effondrement d’un parti comme laCAQ. Voir (Johnston, 2017). En contrepartie, le PQ et QS ont sans doute un intérêt mathématiqueclair dans un mode de scrutin proportionnel.
79
des choix rationnels.
Ce précédent élément discuté, à savoir une tentative des partis de modifier le mode
de scrutin afin de conforter leur position dans le système peut être liée à la seconde
approche utilisée dans ce mémoire ; la théorie du cartel. En suggérant un glissement
des partis vers l’intérieur de l’État, une convergence idéologique et, en définitive, une
tentative des partis de favoriser leur pérennité, la théorie du cartel peut être vue à la
lumière de ces récents changements. La dernière année a vu une fusion entre Option
nationale et Québec solidaire. De plus, une fusion entre le Parti Québécois et Québec
solidaire a été tentée avant celle entre Option nationale et Québec solidaire. Suite à
l’élection québécoise de 2018, la position du Parti Québécois semble plus précaire que
jamais. En suivant une logique rationnelle, à la fois le Parti Québécois, cherchant à
amortir sa chute, et Québec solidaire, cherchant à se propulser ont intérêt à une réforme
du mode de scrutin. Pour sa part, l’intérêt de la Coalition Avenir Québec peut sembler
moins clair, toutefois une réforme proportionnelle stabilisera sans doute sa position dans
le système. Le système uninominal à un tour favorise les explosions et les effondrements
tandis qu’un scrutin proportionnel favorise la stabilité (Johnston, 2017 ; Cairns, 1968).
Ces changements majeurs à la structure partisane et idéologique au Québec (Montigny,
2016) ont eu des effets sur le vote et l’influence des différents partis. Autrefois structuré
par l’axe identitaire identifié au chapitre 3, il est aujourd’hui concevable que le principale
axe en politique québécoise soit l’axe gauche-droite socioéconomique traditionnel. Ces
changements majeurs ont eu une influence sur l’environnement politique, ont créé de
l’incertitude, notamment au Parti Québécois et ont incité les partis à proposer une
80
réforme du mode de financement. Aujourd’hui ces changements majeurs semblent même
mener à une réflexion sur le mode de scrutin.
4.8 Contribution scientifique du mémoire
La contribution scientifique de ce mémoire est à trois niveau. Au niveau théorique, nous
documentons les effets d’un changement majeur à la législation sur le financement des
partis politiques sur la participation électorale, les dépenses des partis en circonscrip-
tion et le positionnement idéologique des partis. Dans le premier chapitre, nous avons
mentionné que la théorie du cartel postule plusieurs caractéristiques. Toutefois, les tests
empiriques des effets d’un cartel sont épars. Dans ce mémoire, nous avons offert plu-
sieurs tests afin de mesurer les effets d’une hausse importante du financement étatique
sur la vie politique au Québec. Ainsi, nous avons construit sur une littérature théorique
importante, afin de mieux documenter les effets empiriques d’un changement suivant
une telle hausse du financement public.
Au niveau méthodologique, nous sommes les premiers à mesurer les positions des partis
politiques québécois avec des méthodes d’analyse de contenu automatisée. L’analyse du
contenu des plateformes avec Wordfish et Wordscores vient jeter un nouveau regard sur
le champ du positionnement des partis politiques au Québec. Notre étude construit sur
les travaux de Pétry (2006), Pétry (2013) et Collette et Pétry (2012). Nous faisons, au
Québec, ce que Collette et Pétry (2014) ont fait au Canada.
Finalement, au niveau de l’avancement des connaissances, nous souhaitons souligner
81
l’importance des réplications dans les sciences sociales. La reproductibilité d’une étude
sert de lien entre la connaissance actuelle et la nouvelle connaissance (Schmidt, 2009).
Dans le troisième chapitre, cela est explicite. Nous répliquons une étude canadienne
de Loewen et Blais au niveau québécois. Ces auteurs ne trouvaient pas d’effets sur la
participation. Au contraire, nous trouvons que la réforme du financement au Québec a
augmenté la participation dans les circonscriptions faiblement compétitives. De ce fait,
la réplication permet de confirmer ou d’infirmer des résultats. La réplication permet
l’avancement, voire la confirmation de la connaissance existante. Si, à l’avenir, une autre
province canadienne, ou n’importe quelle juridiction faisait l’objet d’une importante
réforme comme celle du Québec, il serait pertinent de refaire ces tests à nouveau. Un
tel procédé permet de solidifier nos a priori sur ladite question.
4.9 Avenues de recherche futures
Ce mémoire a permis à son auteur d’entrevoir de nombreuses avenues de recherche fu-
ture. Au second chapitre, nous avons présenté l’évolution du positionnement des partis
politiques au Québec entre 2003 et 2014. Dans le cadre de la méthode Wordscores, nous
avons aussi utilisé les résultats d’analyses d’auteurs québécois. Nous croyons qu’il serait
intéressant de généraliser et d’étendre ces analyses à la période précédant l’élection de
2003. Pour cette période, les plateformes des partis politiques sont disponibles. Toute-
fois, elles sont en format photo (scan) plutôt qu’en format texte. Ces textes pourraient
être transformés en format texte en utilisant une méthode de reconnaissance optique de
caractères. Depuis quelques années ces méthodes sont accessibles. Toutefois, elles néces-
82
sitent un travail assez important de vérification et une connaissance technique. Il était
difficile d’utiliser ces méthodes étant donné les contraintes qu’entrainent l’écriture d’un
mémoire de maitrise. Il est certain que l’inclusion de plateformes sur une longue période
historique permettrait de jeter un nouvel éclairage sur une possible convergence.
Enfin, il sera également intéressant de vérifier si les résultats des analyses qualitatives
produites par l’équipe de chercheurs de la Chaire de recherche sur la démocratie et les
institutions parlementaires vont dans le même sens que les résultats de ce mémoire.
4.10 Considérations pratiques
Il est pertinent de se questionner sur les implications pratiques d’un tel changement. Ce
mémoire a permis de documenter empiriquement les effets de la réforme du financement
des partis politiques au Québec. Qu’en penser au niveau politique ?
Il a certainement été possible d’identifier des effets tangibles. Nous avons observé une
hausse de la participation dans les circonscriptions faiblement contestées. Une certaine
convergence des positions des partis, surtout entre 2012 et 2014 a également été obser-
vée. Une réforme politique majeure peut ainsi avoir des effets réels sur certains aspects
cruciaux de la vie démocratique. En même temps, il est possible d’affirmer que ce mé-
moire n’a pas permis d’identifier d’effets majeurs et structurants de la réforme. Cette
dernière n’a pas entrainé une diminution nette de la participation électorale ou une
convergence (ou une divergence) drastique du positionnement des partis. Qui plus est,
nous n’avons pas trouvé d’indices clairs à l’effet que les partis aient grandement modifié
83
la structure de leurs dépenses. Les effets sont réels mais subtils.
Le constat est rassurant en ce sens que les politiciens peuvent continuer à prendre
des décisions, relevant de la normativité, afin de renforcer la démocratie. Nous l’avons
mentionné à plusieurs reprises, les changements apportés au régime de financement des
partis politiques québécois étaient majeurs. Il ne s’en est pas suivi de conséquences
désastreuses ou dramatiques. Plutôt, de petits changements incrémentaux. À l’avenir,
il sera important de continuer de documenter ces changements. Tous les jours, les
gouvernants prennent des décisions qui peuvent grandement influencer la structure de
nos institutions démocratiques. Pour le chercheur, il est crucial de demeurer à l’affut
de ces changements. La documentation empirique des effets d’une politique demeure la
base sur laquelle doivent reposer les discussions normatives sur la direction que nous
souhaitons donner à nos démocraties.
84
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