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La Chine et les terres rares Son rôle critique dans la nouvelle économie Notes de l’Ifri Janvier 2019 John SEAMAN Centre Asie

La Chine et les terres rares - IFRIpollution), autrefois délocalisée vers la Chine, sera à lavenir de plus en plus répartie dans dautres régions du monde, tandis que Pékin cherchera

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La Chine et les terres raresSon rôle critique dans la nouvelle économie

Notes de l’Ifri

Janvier 2019John SEAMAN

Centre Asie

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L’Ifri est, en France, le principal centre indépendant de recherche, d’information et

de débat sur les grandes questions internationales. Créé en 1979 par Thierry de

Montbrial, l’Ifri est une association reconnue d’utilité publique (loi de 1901). Il n’est

soumis à aucune tutelle administrative, définit librement ses activités et publie

régulièrement ses travaux. L’Ifri associe, au travers de ses études et de ses débats,

dans une démarche interdisciplinaire, décideurs politiques et experts à l’échelle

internationale.

Le Policy Center for the New South, anciennement OCP Policy Center, est un

think tank marocain basé à Rabat, Maroc, qui a pour mission la promotion du

partage de connaissances et la contribution à une réflexion enrichie sur les questions

économiques et les relations internationales. À travers une perspective du Sud sur

les questions critiques et les grands enjeux stratégiques régionaux et mondiaux

auxquels sont confrontés les pays en développement et émergents, Policy Center for

the New South offre une réelle valeur ajoutée et vise à contribuer significativement

à la prise de décision stratégique à travers ses quatre programmes de recherche :

agriculture, environnement et sécurité alimentaire, économie et développement

social, économie et finance des matières premières, géopolitique et relations

internationales.

Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que la responsabilité de l’auteur.

Cette note a été réalisée dans le cadre du partenariat entre l’Institut français

des relations internationales (Ifri) et le Policy Center Policy Center for the New South.

ISBN : 979-10-373-0022-5

© Tous droits réservés, Ifri, 2019

Comment citer cette publication :

John Seaman, « La Chine et les terres rares. Son rôle critique dans la nouvelle

économie », Notes de l’Ifri, Ifri, janvier 2019.

Ifri

27 rue de la Procession 75740 Paris Cedex 15 – FRANCE

Tél. : +33 (0)1 40 61 60 00 – Fax : +33 (0)1 40 61 60 60

E-mail : [email protected]

Site internet : Ifri.org

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Auteur

John Seaman est chercheur au Centre Asie de l’Ifri, expert en géopolitique

de l’énergie et des ressources naturelles en Asie et spécialiste des politiques

chinoises et japonaises. Ses recherches couvrent aussi la politique étrangère

chinoise, la stratégie et politique américaine en Asie orientale, les relations

Europe-Chine, les relations internationales et la géostratégie en Asie

orientale, et l’économie politique de métaux stratégiques (en particulier les

terres rares).

John Seaman a rejoint l’Ifri en 2009. Il est titulaire d’un Master en

Affaires internationales de Sciences Po Paris et d’une licence en économie

internationale de l’Université de Seattle, aux États-Unis. Il a aussi suivi des

études au Beijing Center for China Studies en Chine, financé par la bourse

David L. Boren (National Security Education Program) en 2002-2003. Il a

été jusqu’en 2018 chercheur associé au programme Énergie et

Environnement du Canon Institute for Global Studies (CIGS) à Tokyo, où il

a effectué deux séjours de recherche en 2011 et 2013.

Ses publications sur les terres rares incluent :

« Rare Earths and Clean Energy: Analyzing China’s Upper Hand »,

Note de l’Ifri, Ifri, septembre 2010 ;

« Rare Earths: Future Elements of Conflict in Asia? », with Ming Hwa

Ting, Asian Studies Review, vol. 37, n° 2, 2013, p. 234-252 ;

et « Securing Energy and Mineral Resources for China: Debating the

Role of Markets », Note de l’Ifri, Ifri, octobre 2015.

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Résumé

La domination de la Chine dans la production de terres rares illustre la

compétition qui se joue autour des ressources minérales dans un monde

toujours plus axé sur le numérique et le bas-carbone. Au cours des deux

dernières décennies, la Chine a été à l’origine de 80 à 95 % de la production

mondiale de terres rares, un groupe de 17 métaux devenus des éléments-clés

de progrès technologiques révolutionnaires dans les domaines de l’énergie,

des TIC, des dispositifs médicaux ou encore dans la défense. Contrairement

à ce que leur nom indique, les terres rares ne sont pas rares et on en trouve

partout dans le monde. La concentration de la production de ces métaux est

due avant tout à l’apparition des préoccupations environnementales, mises

en avant au cours des années 1970 et 1980 en France et aux États-Unis

notamment, ainsi qu’à la politique chinoise visant à exploiter les ressources

naturelles du pays.

Depuis 2010, le monde a parfaitement pris conscience de cette division

du travail faussée. Faisant fi de ses engagements en matière de commerce

international, la Chine a mis en place des mesures de contrôle à l’exportation

très restrictives sous forme de permis, de taxes ou de quotas qui ont

considérablement limité l’offre de terres rares pour la consommation

industrielle étrangère. La même année, bien qu’elle s’en soit défendue avec

force, la Chine a été accusée de mettre en place ce qui s’apparente de facto à

un embargo de deux mois sur les cargaisons de terres rares à l’encontre du

Japon, dépendant de l’importation de ces dernières, en guise de représailles

pour la détention d’un pêcheur chinois dans les eaux disputées de la mer de

la Chine orientale. Si la véracité de ces accusations est sujette à caution et les

bénéfices que la Chine a pu tirer d’un tel embargo insignifiants, le mal était

néanmoins fait. Les effets conjugués des inquiétudes quant à

l’approvisionnement et d’une flambée des prix (augmentant pour certains

métaux de 500 % ou plus l’année suivante) ont conduit à une explosion de

l’investissement dans l’exploration de gisements de terres rares, par exemple

dans les jungles du Brésil, les profondeurs de l’océan Pacifique et même sur

la surface de la Lune.

Une partie de la production extérieure à la Chine, notamment celle de

la mine du Mount Weld en Australie, s’est avérée viable jusqu’ici, tandis que

d’autres, telles que celle du Mountain Pass en Californie, se sont effondrées

au gré des évolutions du marché. À la suite d’une procédure de règlement

des différends dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce

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(OMC), la Chine a renoué avec des pratiques commerciales plus ou moins

normales en 2015 et représente encore plus de 80 % de la production

mondiale de terres rares, dont la quasi-totalité de la production mondiale de

celles jugées les plus « critiques » comme le dysprosium.

Du côté de la demande, les consommateurs industriels étrangers sont

passés à la vitesse supérieure pour trouver des solutions. Nombre d’entre

eux sont parvenus à améliorer leur rendement, à trouver des matériaux de

substitution ou à remplacer l’ensemble des technologies, ce qui a provoqué

une chute estimée à près d’un tiers de la demande mondiale en terres rares

entre 2011 et 2016. Mais pour d’autres, par exemple dans le secteur de

l’éolien ou celui de l’automobile, il s’est avéré plus difficile de trouver des

solutions, et les terres rares demeurent des matériaux critiques. Beaucoup

font l’hypothèse que la demande en terres rares telles que le néodyme et le

dysprosium va augmenter de manière significative et s’accompagner de

conséquences négatives pour les industries qui en dépendent, mais le

changement technologique et l’amélioration du rendement peuvent encore

réserver des surprises. À cet égard, les risques sont de deux ordres. Le

premier est la persistance de la dépendance envers la Chine pour

l’approvisionnement en terres rares, lesquelles restent des intrants critiques

aux yeux de nombreuses industries d’avenir. Le second est que, dans la

recherche frénétique de solutions d’approvisionnement, les utilisateurs

industriels doivent sacrifier leur compétitivité, notamment face aux Chinois,

qui ne partagent pas les mêmes contraintes matérielles.

Pour la Chine, l’objectif premier n’est pas, tant s’en faut, d’utiliser

l’avantage qu’elle possède en matière de ressources comme une arme

économique dans les batailles diplomatiques. En effet, l’intérêt de la Chine

pour les terres rares est bien plutôt motivé par des préoccupations

nationales, dont l’une est de réagir à la crise écologique de plus en plus aiguë

qu’elle traverse. Pour ce faire, Pékin tend à favoriser de plus en plus les

technologies les plus économes en énergie et les moins émettrices de

carbone, notamment l’éolien et les véhicules électriques, qui reposent

souvent sur les terres rares. En même temps, elle cherche à mieux gérer le

désastre écologique qu’a provoqué la production de terres rares dans ses

régions minières. Un autre élément moteur consiste à favoriser la stratégie

économique de la Chine visant à devenir un acteur leader des industries

d’avenir et à contrôler de plus en plus les chaînes de valeur respectives,

garantissant ainsi la transformation économique du pays à long terme et

renforçant la légitimité du Parti. Dans ce contexte, la politique de la Chine

en matière de terres rares n’a pas seulement consisté à contrôler la

production et à s’assurer que ses industries disposent des ressources

nécessaires. La République populaire s’est en outre employée à exercer une

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La Chine et les terres rares John Seaman

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domination croissante, en aval, sur les industries à valeur ajoutée qui

dépendent de ces métaux critiques. De ce fait, la Chine n’est pas seulement

le premier producteur mondial d’oxydes de terres rares, elle en est

également le plus grand consommateur et a une mainmise de plus en plus

grande sur les chaînes de valeur de produits clés tels que les aimants à terres

rares.

Cependant, les ressources de la Chine ne sont pas infinies et les craintes

liées à une augmentation de la demande et à l’épuisement des réserves de

certaines terres rares conduisent les entreprises chinoises à rechercher des

ressources à l’étranger. À ce titre, une nouvelle vague d’investissements

chinois à l’extérieur pourrait bien signifier que la production (et la

pollution), autrefois délocalisée vers la Chine, sera à l’avenir de plus en plus

répartie dans d’autres régions du monde, tandis que Pékin cherchera encore

à contrôler les industries de plus grande valeur en aval.

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Sommaire

INTRODUCTION ................................................................................... 7

TERRES RARES CRITIQUES ET MOINS CRITIQUES .......................... 10

Les facteurs de risque liés à l’offre :

la Chine maintient son monopole sur la production ........................... 13

Les facteurs liés à la demande :

entre terres rares substituables et terres rares non substituables ... 20

LA STRATÉGIE DE LA CHINE EN MATIÈRE DE TERRES RARES ......... 25

Les terres rares : une « arme » inoffensive ? ...................................... 25

Développement économique et protection de l’environnement :

les moteurs de l’action politique de la Chine ....................................... 28

D’exportateur à importateur :

l’évolution du rôle de la Chine sur le marché des terres rares ........... 32

CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS ............................................ 35

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Introduction

Nous sommes à présent entrés dans « l’âge des métaux rares1 ». La science

et l’ingéniosité humaine ont permis de mettre en évidence les propriétés

magnétiques, luminescentes, de résistance à la chaleur et conductrices de

nombreux métaux tels que le lithium, le cobalt, l’indium, le gallium, le

néodyme et le dysprosium, qui sont des éléments moteurs de l’innovation

technologique. La révolution numérique, la transition énergétique vers une

économie à faible intensité carbone, le développement de systèmes d’armes

toujours plus complexes sont autant d’exemples de processus reposant de

plus en plus sur des matières premières autrefois méconnues. À mesure que

notre dépendance à l’égard de ces technologies toujours plus sophistiquées

s’accroît, nous devenons également de plus en plus tributaires des

ressources minérales qui les composent. Et alors même que la technologie

entraîne une modification de nos pratiques de consommation, beaucoup des

grandes questions géographiques, et partant, les questions sociales,

économiques et géopolitiques liées à l’exploitation des ressources naturelles

demeurent : où ces ressources sont-elles localisées ? Qui a la mainmise sur

leur production ? Y a-t-il des risques de pénurie ? Qui seront les gagnants et

les perdants ? D’aucuns craignent même que la compétition engagée autour

de ce qu’on appelle les « métaux technologiques » engendre des

affrontements majeurs et les guerres du futur, comme avec l’essence au

siècle dernier2. Mais une vision si apocalyptique est-elle vraiment fondée ?

Il est fondamental de comprendre le rôle que joue la Chine dans le

domaine des métaux technologiques, ainsi que ses ambitions et ses

motivations. À n’en pas douter, la Chine n’est pas le seul acteur géopolitique

et économique de l’ère des métaux rares : chacun connaît l’exploitation du

cobalt dans la République démocratique du Congo (RDC), le Brésil est le

principal pays producteur de niobium, les États-Unis représentent plus de

90 % de la production mondiale de béryllium, et il ne s’agit là que de

quelques exemples. Il n’en reste pas moins que l’ascension de la Chine

constitue la donnée majeure du XXIe siècle et qu’elle joue un rôle important

en stimulant la demande, en maîtrisant les filières et en façonnant le marché

de la plupart de ces métaux. Elle est ainsi devenue une pièce maîtresse et un

1. D. S. Abraham, The Elements of Power: Gadgets, Guns, and the Struggle for a Sustainable Future in

the Rare Metal Age, New Haven, Yale University Press, 2015.

2. M. T. Klare, The Race for What’s Left: The Global Scramble for the World’s Last Resources, New York,

Metropolitan Books, 2012.

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La Chine et les terres rares John Seaman

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symbole des enjeux géopolitiques liés aux ressources naturelles. À l’heure

actuelle, la Chine produit au moins 80 % des terres rares3, de l’antimoine,

du bismuth, du gallium, du magnésium et du tungstène à l’échelle mondiale

et plus de 65 % du graphite naturel, du germanium et du scandium4.

En même temps, les besoins de l’économie en pleine mutation de la Chine et

ses ambitions dans le domaine des hautes technologies font d’elle l’un des

marchés les plus importants pour nombre de ces ressources. À titre

d’exemple, la Chine consomme de nos jours plus de 80 % des oxydes de

terres rares produits sur l’ensemble de la planète. Lorsqu’elle n’est pas le

producteur principal des métaux dont elle a besoin (en ce qui concerne le

cobalt et le lithium notamment), elle a pris des dispositions afin de garantir

son accès à ces derniers en faisant appel à des fournisseurs étrangers. Cela a

eu pour conséquence de modifier la dynamique des marchés de ces

ressources ainsi que la dynamique politique, économique, voire sociale des

régions productrices.

Au centre des inquiétudes et des symboles concernant la Chine figure

son contrôle du marché des terres rares, un groupe de 17 métaux parmi

lesquels figurent les 15 éléments de la famille des lanthanides, plus l’yttrium

et le scandium, qui sont employés à de nombreux usages dans la société

moderne. Ces éléments ont par ailleurs le malheur d’être considérés comme

rares, alors qu’en réalité la majorité d’entre eux ne le sont pas5. Les terres

rares ont fait irruption sur la scène politique internationale en 2010, à une

époque où la Chine représentait environ 95 % de la production mondiale

d’oxyde de terres rares. En juillet de cette même année, Pékin a mis en place

des quotas d’exportation, des taxes et des mécanismes de contrôle des prix

très stricts qui ont de fait limité l’offre de ces importants métaux pour le reste

du monde. Ces mesures ont eu des répercussions économiques et

stratégiques évidentes sur toute une série d’industries, allant des TIC

(technologies de l’information et de la communication) à l’énergie et la

défense. En outre, en septembre 2010, la Chine a été accusée (bien qu’elle

l’ait démenti vigoureusement) d’utiliser son avantage en matière

d’approvisionnement comme une arme dans un différend diplomatique

relatif à la mer de Chine orientale l’opposant au Japon, le plus grand

consommateur de terres rares après la Chine à l’époque. Si les faits peuvent

3. Pour certaines terres rares, comme le dysprosium, la Chine demeure actuellement le seul producteur

au monde.

4. Mineral Commodity Summaries, United States Geological Survey (USGS), 2018, and Deloitte

Sustainability, BGS, BRGM and TNO, Study on the review of the list of Critical Raw Materials, European

Commission, Juin 2017, p. 44-45, publications.europa.eu.

5. Les premières terres rares furent découvertes par des mineurs suédois en 1788. Elles doivent leur nom

à la rareté supposée du minerai duquel elles ont été extraites à l’époque (gadolinite), plutôt qu’à leur

occurrence géologique, dont on sait désormais qu’elle est loin d’être rare. En effet, certaines terres rares,

comme le cérium, sont aussi abondantes que le cuivre.

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La Chine et les terres rares John Seaman

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encore faire l’objet de débats, le message envoyé était néanmoins clair : les

pays dépendants de la Chine en matière de terres rares étaient à la merci des

pressions exercées par Pékin. Dans la panique qui s’en est suivie, les

consommateurs de terres rares se sont lancés dans une recherche frénétique

de solutions et les fournisseurs potentiels ont entamé l’exploration de

régions du globe parmi les plus reculées, des profondeurs de l’océan

Pacifique à l’Afghanistan en guerre, en passant par la forêt amazonienne,

et même au-delà, sur les astéroïdes et la surface de la Lune6.

À mesure que l’agitation concernant les terres rares gagnait l’ensemble

de la planète, le débat engagé autour de ces ressources s’en est trouvé biaisé,

voire hystérisé. Cette étude se propose de contribuer aux efforts visant à

reprendre sereinement la discussion initiale plus de huit ans après.

Elle s’emploie à le faire autour de deux axes. Le premier consiste à discuter

de la notion de criticité dans le domaine des terres rares, ainsi que de rendre

compte du maintien de la Chine en tant que premier producteur mondial, et

également de la façon dont notre dépendance à ces métaux a évolué – elle

s’est accrue par certains aspects et a diminué par d’autres. Le second axe

consiste à analyser les motivations de la Chine afin de recentrer le débat

autour des enjeux économiques et environnementaux, en mettant de côté les

risques d’exploitation par Pékin de sa suprématie dans le domaine des terres

rares dans un but politique, mais en soulignant les avantages que les acteurs

chinois cherchent à développer dans les industries d’avenir.

6. J. M. Klinger, Rare Earth Frontiers: From Terrestrial Subsoils to Lunar Landscapes, Ithaca, Cornell

University Press, 2017.

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Terres rares critiques

et moins critiques

On présente souvent les terres rares comme les « vitamines » de l’industrie

moderne, dans la mesure où leurs différentes propriétés ont permis des

gains de performance dans une vaste gamme de technologies. Si, sur un plan

chimique, ces éléments ont été regroupés dans une catégorie de 17 métaux,

on les divise souvent en deux groupes, à savoir les terres rares « légères » et

les terres rares « lourdes », en fonction de leur numéro atomique.

En général, cette distinction renvoie à une indication de leur présence

géologique, les légères étant plus abondantes que les lourdes (cf. tableau ci-

après).

D’un point de vue industriel, il semble pertinent de traiter les métaux

des terres rares individuellement, dans la mesure où chacun d’entre eux

possède des propriétés spécifiques permettant des utilisations différentes.

Les aimants permanents à base de terres rares, dont les plus utilisés

reposent sur le néodynium, le praséodynium et le dysprosium, constituent

aujourd’hui l’emploi le plus courant de ces minerais. On les trouve

notamment dans le matériel médical nécessaire au fonctionnement des

techniques d’Imaginerie ÉlectroMagnétique, mais aussi dans les véhicules

hybrides et électriques, les éoliennes, les disques durs, les téléphones

portables et même dans les avions de combat dernière génération, les drones

et le matériel militaire, entre autres.

D’autres éléments, tels que le lanthanum et le cérium, sont employés

dans le polissage de la céramique et du verre, mais surtout et plus

particulièrement pour des utilisations telles que le craquage catalytique pour

le raffinement du pétrole et les pots catalytiques, qui réduisent les émissions

et permettent une consommation de carburant plus efficiente et moins

polluante. Les propriétés luminescentes d’autres types de terres rares,

comme l’europium ou l’yttrium, permettent un éclairage plus efficient : c’est

notamment le cas des ampoules dites de lampes fluorescentes compactes

(LFC) ou encore en optique, avec les écrans à cristaux liquides ou les

dispositifs de guidage par laser. En effet, les terres rares trouvent un éventail

d’usages très large dans la société moderne.

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La Chine et les terres rares John Seaman

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Si le marché des terres rares demeure étroit – il est évalué à 9 milliards

de dollars, avec la production et la vente d’environ 150 000 tonnes par an

(en comparaison, 2,29 milliards de tonnes de minerai de fer ont été

produites en 2015 à l’échelle mondiale) –, il alimente des industries d’une

valeur allant jusqu’à 7 000 milliards de dollars7. Ces volumes en font une

composante essentielle de l’économie mondiale contemporaine.

Métaux des terres rares : Classification et Applications

Terres rares Classification

Abondance dans la croûte

terrestre (parties par

million)

Applications

Lanthane (La) Légère 5-39

Alliages pour batteries, alliages de métaux, catalyseurs, raffinage du pétrole, poudres de polissage, additifs au verre, phosphores, céramique et optique

Cérium (Ce) Légère 20-70

Alliages pour batteries, alliages de métaux, catalyseurs (contrôle des émissions), raffinage du pétrole, poudres

de polissage, additifs au verre, phosphores et céramique

Praséodyme (Pr) Légère 3.5-9.2

Alliages pour batteries, alliage de métaux, catalyseurs, poudres de polissage, additifs au verre et coloration de

céramique

Néodyme (Nd) Légère 12-41,5

Aimants permanents, alliages pour

batteries, alliage de métaux, catalyseurs, additifs au verre et céramique

Prométhium (Pr) Légère N/A Montres, pacemakers et recherche

Samarium (Sm) Légère 4,5-8 Aimants, céramique et radiothérapie (cancer)

Europium (Eu) Légère 0,14-2 Phosphores

Gadolinium (Gd) Légère 4-8 Céramique, énergie nucléaire et dispositifs médicaux (imagerie par résonance magnétique, rayons X)

Terbium (Tb) Lourde 0,65-2,5 Lampes fluorescentes à base de phosphore, aimants conçus pour les hautes températures et défense

Dysprosium (Dy) Lourde 3-7,5 Aimants permanents

Holmium (Ho) Lourde 0,7-1,7 Aimants permanents, énergie nucléaire et équipement à micro-ondes

7. R. Ganguli et D. R. Cook, « Rare Earths: A Review of the Landscape », MRS Energy & Sustainability,

n° 5, 2018, E9, www.cambridge.org.

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La Chine et les terres rares John Seaman

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Erbium (Er) Lourde 2,1-6,5 Énergie nucléaire, communications à fibre optique et coloration du verre

Thulium (Tm) Lourde 0,2-1 Rayons X (médical) et laser

Ytterbium (Yb) Lourde 0,33-8 Traitement du cancer et acier inoxydable

Lutetium (Lu) Lourde 0,35-1,7 Détermination de l’âge, raffinage du pétrole

Yttrium (Y) ---- 24-70 Alliages pour batterie, phosphores, et céramique

Scandium (Sc) ---- 5-22 Alliages aluminium scandium légers à haute résistance

Source : R. Ganguli and D. R. Cook, « Rare Earths: A Review of the Landscape », MRS Energy & Sustainability, n° 5, 2018, E9, www.cambridge.org.

Toutes les terres rares ne sont pas considérées comme « critiques », car

certaines sont substituables ou peuvent être simplement éliminées du design

d’un produit. D’autres, cependant, se sont avérées irremplaçables jusqu’ici.

L’évaluation du degré de criticité des terres rares pour telle ou telle industrie

ou économie est devenue une véritable industrie à part entière ces dernières

années8. Ces évaluations se concentrent pour une grande majorité sur deux

types de facteurs de risque présentés ci-dessous : les risques

d’approvisionnement et ceux relatifs à l’élasticité de la demande.

Il convient également de prendre en compte l’impact environnemental

de la production de terres rares comme un facteur de risque, à la fois du

point de vue de l’offre et de celui de la demande. En effet, le processus

d’extraction et de raffinage des terres rares est extrêmement toxique et a des

incidences directes sur la santé humaine et l’environnement. C’est la raison

principale pour laquelle la production s’est concentrée en Chine et qu’il est

difficile de la diversifier. Les gisements de terres rares contiennent très

souvent des éléments radioactifs tels que le thorium ou l’uranium. De plus,

le processus d’extraction et de raffinage met en œuvre diverses techniques

de lixiviation et d’extraction par solvant, lesquelles impliquent le recours à

des substances chimiques entraînant une importante dégradation de la

qualité des sols et de l’air s’ils ne sont pas traités de manière adéquate9. Les

terres rares étant des intrants majeurs des technologies « propres », cette

dimension doit être prise en compte si nous voulons réellement atteindre

des objectifs de développement durable plus globaux.

8. T. E. Graedel et B. K. Reck, « Six Years of Criticality Assessments: What Have We Learned So Far? »,

Journal of Industrial Ecology, vol. 20, n° 4, 2016, p. 692-699.

9. I. Borges de Lima et W. L. Filho (dir.), Rare Earths Industry: Technological, Economic and

Environmental Implications, Amsterdam, Elsevier, 2016 ; H. Q. Liu, Rare Earths: Shades of Grey – Can

China Continue to Fuel Our Global Clean & Smart Future?, China Water Risk, juin 2016,

www.chinawaterrisk.org.

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La Chine et les terres rares John Seaman

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Quoi qu’il en soit, le fait de déterminer quelles terres rares sont critiques

et jusqu’à quel point, eu égard à l’utilisation qui en est faite, est un processus

en évolution constante, qui dépend de l’industrie et du pays considérés,

susceptible d’être rectifié dans le temps en fonction des avancées

technologiques et des fluctuations des marchés.

Les facteurs de risque liés à l’offre : la Chine maintient son monopole sur la production

Lorsqu’on évalue la criticité du côté de la demande, il faut avant tout prendre

en compte le fait que les terres rares, en dépit de leur nom, ne sont pas rares

(et ne sont pas des terres non plus). Certaines, comme le cérium et le

lanthane, sont aussi abondantes que le cuivre. Il existe des gisements

contenant de grandes concentrations de terres rares sur l’ensemble de la

planète (cf. carte ci-dessous), en quantité suffisante pour satisfaire la

demande. Le point essentiel ici est que les terres rares sont relativement

abondantes : la rareté d’un minerai a des conséquences tout à fait différentes

sur la concurrence pour y avoir accès, lesquelles, d’un point de vue

géologique et géographique, ne s’appliquent pas aux terres rares.

Néanmoins, les terres rares présentent souvent des niveaux de

concentration peu élevés et l’extraction des minerais dans lesquels on les

trouve, puis leur raffinage afin de les rendre conformes aux normes

industrielles sont très difficiles à réaliser (et très toxiques). C’est un facteur

décisif expliquant la concentration de la production.

Gisements de minerais contenant des terres rares connus

dans le monde

Source: United States Geological Survey (USGS), Rare Earth Deposits: Interactive Map, 2 mars 2017, mrdata.usgs.gov, consulté le 27 novembre 2018.

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La Chine et les terres rares John Seaman

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Production minière mondiale de terres rares (en tonnes)

Source : United States Geological Survey (USGS), Mineral Commodity Summaries, 1994-2018. Note : il ne s’agit ici que de la production officielle, qui ne tient pas compte de la production illégale en Chine.

Les facteurs qui favorisent le contrôle du marché des terres rares par la Chine

Bien que les États-Unis aient été les premiers producteurs mondiaux de

terres rares au cours des années 1980, la production de celles-ci s’est de plus

en plus concentrée en Chine depuis le milieu des années 1990. Cette

évolution s’explique par trois raisons principales : les décisions du

gouvernement chinois et les conditions du marché intérieur ; des

changements de politique au sein d’autres régions productrices ; et les effets

de la mondialisation, avec une libéralisation relative du commerce et de

l’investissement transfrontaliers10.

Au cours des trois dernières décennies, la Chine a tenté de tirer parti de

ses riches gisements de terres rares afin de favoriser l’innovation

technologique et le développement économique d’un grand nombre de

10. J. M. Klinger, « Rare Earth Elements: Development, Sustainability and Policy Issues »,

The Extractive Industries and Society, vol. 5, 2018, p. 1-7.

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La Chine et les terres rares John Seaman

15

secteurs, du secteur aérospatial à la défense en passant par l’énergie.

Diverses mesures en faveur du secteur – parmi lesquelles l’offre de terres et

d’énergie à bas prix et des programmes publics de recherche et

développement dans le domaine des terres rares, auxquelles s’ajoutent des

facteurs géologiques, des réglementations environnementales

traditionnellement laxistes et le faible coût du travail – ont historiquement

permis à la Chine de produire à un coût nominal bas.

Dans le même temps, de puissants mouvements de protection de

l’environnement ont émergé dans les années 1970 et 1980 au sein d’un grand

nombre de pays producteurs (notamment aux États-Unis). Ces mouvements

ont exercé une pression réglementaire et tarifaire au sein de ces pays et ont

incité les entreprises de secteurs à forte intensité de main-d’œuvre et à haut

risque écologique à diversifier leurs sources d’approvisionnements ou à

délocaliser la production.

La libéralisation du commerce et de l’investissement, en particulier en

Chine, ont permis à des multinationales de s’installer dans le pays et aux

entreprises chinoises d’acquérir un savoir-faire technologique étranger dans

le secteur des terres rares. Ce dernier point est important, car cela n’a pas

seulement conduit la Chine à devenir le principal producteur des oxydes de

terres rares en amont, mais aussi à exercer une domination croissante sur

les chaînes de valeur de certaines utilisations des terres rares, par exemple

les aimants NdFeB. On peut penser notamment à l’acquisition du fabricant

d’aimants Magnequench de General Motors aux États-Unis à la fin des

années 1990, suivie par la délocalisation de l’entreprise en Chine au début

des années 200011, et au fabricant japonais d’aimants haut de gamme

Hitachi Metals, qui en 2015 a établi un partenariat commercial avec

l’entreprise chinoise Zhong Ke San Huan, s’inscrivant ainsi dans la longue

histoire – entamée à la fin des années 1980 – des entreprises japonaises

dépendant des terres rares qui ont installé leurs productions en Chine12.

Ainsi, bien que le Japon et l’Europe produisent toujours une quantité

significative d’aimants à base de terres rares de haute qualité, en 2013 la

Chine représentait déjà 90 % de la production mondiale d’alliages d’aimants

et 75 % des aimants NdFeB13.

11. J. Seaman, « Rare Earths and Clean Energy: Analyzing China’s Upper Hand », Notes de l’Ifri, Ifri,

septembre 2010, p. 22-23.

12. N. A. Mancheri et T. Marukawa, « Rare Earth Elements: China and Japan in Industry, Trade and

Value Chain », ISS Contemporary China Research Series, n° 17, Institute of Social Sciences, Université

de Tokyo, mars 2016.

13. M. Humphries, « Rare Earth Elements in the Global Supply Chain », CRS Report for Congress,

Congressional Research Service, 16 décembre 2013, p. 14.

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La Chine et les terres rares John Seaman

16

Approvisionnement en terres rares : la Chine resserre l’étau

Jusqu’en 2010, très peu d’attention a été accordée à la concentration de la

production de terres rares en Chine. L’offre et le négoce de ces matières

premières étaient perçus comme stables, ou l’on faisait abstraction des

risques (étant donné que, de fait, les politiques chinoises visant à exercer un

contrôle accru sur l’industrie des terres rares ont commencé à se durcir dès

2006). À partir de juillet 2010, cependant, la Chine a mis en place des quotas

stricts sur les exportations de terres rares (30 000 tonnes pour l’année, à

comparer avec la demande estimée de 55 000 tonnes de la part des pays

étrangers), en plus de délivrer des permis d’exportation et d’augmenter les

taxes à l’exportation de 10 à 25 %14. Si l’on prend en considération l’embargo

supposé sur le Japon de septembre à novembre 2010, les risques

d’approvisionnement sont devenus extrêmement clairs. Nous examinerons

plus avant les moteurs de ces politiques ultérieurement dans cette note, mais

ces mesures ont, du jour au lendemain, considérablement réduit l’offre de

terres rares sur le marché mondial, contraignant leurs consommateurs à

travers le monde à soit délocaliser leur activité en Chine pour s’assurer

l’accès aux matières premières, soit trouver des sources

d’approvisionnements hors de Chine et innover, soit périr.

Des consommateurs bousculés

Les consommateurs hors de Chine ont entrepris divers efforts, au niveau du

sourçage, pour composer avec les nouvelles contraintes

d’approvisionnement. Certaines industries ont délocalisé une partie de leur

production en Chine pour s’assurer l’accès aux matières premières15.

D’autres ont tiré profit d’un vaste marché noir de terres rares, qui s’adonnait

à la combinaison d’oxydes de terres rares avec d’autres produits, tels que

l’acier ou d’autres métaux, les exportant sous un autre nom, et retraitant le

matériau pour en extraire des terres rares par ailleurs16. Pour éviter des

sanctions ciblées de la part des fournisseurs chinois, certains

consommateurs japonais se sont également mis à importer des produits de

terres rares de Chine via des pays tiers, comme le Vietnam17. Des entreprises

14. N. A. Y. Inoue et J. Gordon, « Analysis: Japanese Rare Earth Consumers Set Up Shop in China »,

Reuters, 12 août 2011 ; « Rare Earths, Chinese Export Restrictions, and Implications », Resources Policy,

n° 46, 2015, p. 262-271, www.researchgate.net.

15. N. A. Y. Inoue et J. Gordon, « Analysis: Japanese Rare Earth Consumers Set Up Shop in China »,

op. cit.

16. Entretiens de l’auteur avec des entrepreneurs japonais à Tokyo, août 2011.

17. J. Seaman, « Rare Earths and the East China Sea: Why Hasn’t China Embargoed Shipments to

Japan? », Ifri-CIGS Op-Ed Series, Ifri, octobre 2012, www.ifri.org.

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La Chine et les terres rares John Seaman

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individuelles ont également entrepris de construire leurs propres réserves

commerciales dans le but d’affronter la tempête ; dans certains cas, on parle

de deux à trois mois de réserves, dans d’autres il pourrait s’agir de stocks

permettant de tenir jusqu’à deux ans18.

Le recyclage : une solution nécessaire, mais insuffisante

Le recyclage, que ce soit au niveau de l’industrie ou du consommateur,

constitue une forme d’approvisionnement alternative de plus en plus prisée.

Au niveau industriel, certains fabricants d’aimants au Japon, par exemple, ont

pu retraiter des déchets industriels et récupérer jusqu’à 30 % des terres rares

employées aux stades initiaux de la production.19 Au niveau de la post-

consommation, le recyclage de déchets électroniques et industriels s’est avéré

plus complexe, en raison de difficultés relatives à la collecte des déchets –

imputables à une faible sensibilisation des populations à l’enjeu et à des

programmes de collecte inadéquats –, mais aussi des coûts et des difficultés

techniques afférents à l’extraction de petites quantités de matériau à base de

terres rares présents dans des produits tels que les téléphones portables et les

ordinateurs personnels. Cependant, le recyclage dans certains domaines, tels

que l’éclairage fluorescent, a connu un succès relatif à ses débuts20. Mais le

recyclage en Europe, par exemple, ne constitue toujours qu’une modeste

fraction de l’offre (estimée aujourd’hui à 6 ou 7 %21).

Ainsi, le coût du recyclage demeure une contrainte significative.

Cependant, les produits à forte teneur en terres rares et autres métaux

technologiques (comme les véhicules hybrides et électriques, ou encore les

éoliennes) terminent leurs cycles de vie et sont démantelés ; en outre, les

politiques publiques s’inscrivant dans le cadre du Plan d’action de l’Union

européenne en faveur de l’économie circulaire encouragent à trouver de

nouvelles solutions de recyclage. Dès lors, l’offre de matériau recyclable va

augmenter. Ce phénomène devrait conduire à produire des économies

d’échelle plus conséquentes en matière de recyclage et faire baisser la

pression sur les coûts. De plus, les changements survenus dans le marché

mondial des déchets électroniques pourraient également inciter les

consommateurs de technologies de pointe européens, nord-américains et

18. Entretien de l’auteur avec des entrepreneurs japonais à Tokyo, août 2011.

19. Entretiens de l’auteur avec des fabricants d’aimants japonais à Tokyo, août 2011.

20. E. Machacek, J. L. Richter, K. Habib et P. Klossek, « Recycling of Rare Earths from Florescent Lamps:

Value Analysis of Closing-the-Loop under Demand and Supply Uncertainties », Resources, Conservation

and Recycling, n° 104, p. 76-93.

21. European Commission, « Report on Critical Raw Materials and the Circular Economy », Commission

Staff Working Document, 16 janvier 2018, Partie 1/3, p. 10, ec.europa.eu.

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La Chine et les terres rares John Seaman

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asiatiques à mettre l’accent sur le recyclage. En effet, la Chine, qui est le plus

grand importateur mondial de déchets électroniques, a annoncé une

interdiction sur toutes les importations de déchets solides à partir du

31 décembre 201822. Cependant, les obstacles techniques associés au

recyclage demeurent significatifs et, bien que ce dernier soit nécessaire,

il reste une solution à long terme. Certaines projections montrent même que

d’ici 2030, le recyclage ne sera susceptible de répondre qu’à 10 % de la

demande en terres rares estimée23.

Le développement des mines en dehors de la Chine

Jusqu’ici, les réponses les plus probantes à la crise d’approvisionnement en

terres rares ont consisté à chercher d’autres productions issues de

potentielles exploitations minières à l’étranger, ainsi qu’à exercer des

pressions sur la Chine pour favoriser une réorientation de ses politiques

d’exportation. Les gisements de terres rares étant éparpillés sur l’ensemble

de la planète, on aurait pu s’attendre à ce que les mesures restrictives prises

par la Chine entraînent une augmentation de la production étrangère, mais

la réalité s’est avérée plus complexe. Les prix ont grimpé en flèche sur la

période 2011-2012, dans certains cas de 500 % ou plus, en raison des

conditions de marché et de la spéculation galopante24. Les prix élevés ont

provoqué un déluge d’investissements de capitaux dans le secteur de

l’exploitation des terres rares, contribuant au financement de plus de

200 projets hors de Chine. L’essor de l’exploitation qui s’en est suivi a eu

pour effet qu’entre 2010 et 2015, le niveau détectable des ressources

minérales non chinoises issues des terres rares est passé de 16,5 à

87,3 millions de tonnes. La production a été lancée (ou relancée) sur un

certain nombre de sites, en particulier en Australie, au Vietnam, au Brésil et

aux États-Unis, ainsi que l’illustre le graphique ci-dessus25.

22. D. van der Kamp, « Will China’s Waste Ban Force a Global Clean-Up? », East Asia Forum,

7 décembre 2018, www.eastasiaforum.org.

23. J. H. Rademaker, R. Kleijn, et Y. X. Yang, « Recycling as a Strategy against Rare Earth Element

Criticality: A Systemic Evaluation of the Potential Yield of NdFeB Magnet Recycling », Environmental

Science and Technology, vol. 47, n° 14, 2013, p. 10129-10136.

24. C. Cox et J. Kynicky, « The Rapid Evolution of Speculative Investment in the FREE Market Before,

During, and After the Rare Earth Crisis of 2010-2012», The Extractive Industries and Society, n° 5, 2018,

p. 8-17.

25. H. Paulick et E. Machacek, « The Global Rare Earth Element Exploration Boom: An Analysis of

Resources Outside of China and Discussion of Development Perspectives », Resources Policy, n° 52,

2017, p. 134-153.

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19

Dans ce contexte, le Japon s’est avéré être un acteur majeur. Dans le

sillage des restrictions à l’exportation chinoises, le gouvernement japonais a

modifié les règles d’investissement dans le secteur public pour faire des

organismes publics des actionnaires actifs dans l’industrie minière à

l’étranger, notamment par le biais de JOGMEC26, la société nationale du gaz,

du pétrole et des métaux du Japon. Au cours des dernières années, celle-ci

s’est engagée dans des partenariats avec des investisseurs du secteur privé

et des entreprises commerciales japonaises, afin de s’assurer l’accès aux

matériaux à base de terres rares à l’étranger. Elle a notamment pris part à

des opérations d’exploration et d’extraction des ressources, comme celle du

Mount Weld en Australie, la plus importante exploitation hors de Chine à

l’heure actuelle.

Évolution des prix moyens annuels des oxydes de terres rares

(en $/kg)

2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015

Ce 40 30 30 30 100 28 8 5 2

La 30 30 38 38 100 58 20 5 3

Nd 45 42 63 63 270 124 72 65 47

Pr 60 38 60 60 225 118 85 99 67

Y 50 44 50 50 165 110 26 15 7

Dy 150 170 310 310 1600 1203 557 373 271

Eu 1 000 1 600 1 400 1 400 3 300 2 610 1 102 771 269

Tb 800 900 1400 1400 2750 2035 925 657 547

Source : H. Paulick et E. Machacek, « The Global Rare Earth Element Exploration Boom: An Analysis of Resources Outside of China and Discussion of Development Perspectives », Resources Policy, n° 52, 2017, p. 134-153.

Revenir sur les restrictions chinoises à l’exportation : une arme à double tranchant

Dans le même temps, la communauté internationale s’est efforcée de

remettre en cause les mesures chinoises restreignant l’exportation. En 2012,

les États-Unis, l’Union européenne (UE), le Japon et le Canada ont porté

l’affaire devant l’organe de règlements des différends de l’OMC. Ce dernier

a estimé que la politique restrictive de la Chine (quotas, taxes à l’exportation

et délivrance de permis) était en violation des termes de son accord

d’adhésion27. La Chine a finalement abandonné ses restrictions à

l’exportation en 2015. Lorsque les tensions se sont apaisées et que les prix se

26. Entretiens de l’auteur avec des fonctionnaires japonais à Tokyo, août 2011 et juillet 2013.

27. « China – Measures Related to Exportation of Rare Earths, Tungsten and Molybdenum », DS431,

World Trade Organization, 20 March 2015, www.wto.org, consulté le 10 novembre 2018.

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sont normalisés – grâce à la réorientation de la politique chinoise, mais aussi

à des ajustements de la demande –, seule une part réduite des exploitations

minières s’est avérée viable. À l’automne 2011, la capitalisation boursière

totale des entreprises cotées hors de Chine s’élevait à 19 milliards de dollars.

En 2015, ce chiffre était retombé à 1 milliard, soit une chute de 95 %28.

Ce retournement de situation a été particulièrement remarquable dans

le cas de la mine du Mountain Pass en Californie, qui était à l’époque la

première productrice mondiale de terres rares, et la seule à avoir joué un

rôle historique aux États-Unis. En raison de conditions de marché

défavorables et d’une impossibilité de financer les améliorations nécessaires

pour se conformer aux réglementations environnementales californiennes,

la production a tout d’abord cessé en 2002. Grâce à l’augmentation des prix

des terres rares, les nouveaux propriétaires de la mine (Moycorp, qui l’a

achetée en 2012) ont pu garantir l’investissement et faire redémarrer la

production en 2012. Mais cela n’a duré qu’un temps. Entravée par des coûts

de production élevés et des prix bas sur le marché, la société a fait faillite et

a de nouveau cessé sa production en 2015. In fine, la Chine représente encore

de nos jours 80 % de la production minière de terres rares et la quasi-totalité

de celle de certains métaux rares lourds comme le dysprosium.

Les facteurs liés à la demande : entre terres rares substituables et non substituables

Bien que les tentatives visant à diversifier l’offre aient été couronnées d’un

succès relatif, les évolutions de la demande déterminent également, pour

une large part, la criticité des métaux rares. Aujourd’hui, les marchés à

« maturité » (catalyseurs, verrerie et métallurgie) représentent encore près

de 60 % de la demande globale de terres rares tandis que les marchés plus

récents, potentiellement de haute technologie, parmi lesquels la céramique,

les alliages pour batteries et les aimants permanents, constituent 40 % de la

demande.

C’est au sein des technologies émergentes que la demande est la plus

susceptible de s’accroître à l’avenir, car les terres rares sont un moteur de la

révolution numérique et de la transition énergétique vers une économie à

faible intensité carbone. Selon certaines prévisions, par exemple, la

demande globale de néodymium et de dysprosium en particulier, stimulée

par les aimants NdFeB, pourrait grimper de respectivement 2 500 % et de

28. H. Paulick et E. Machacek, « The Global Rare Earth Element Exploration Boom », op. cit., p. 143.

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700 % à l’horizon 2027 29. Que les contraintes d’approvisionnement

entravent ou non le développement technologique, ou qu’elles procurent ou

non aux entreprises chinoises un avantage comparatif plus important encore

dans le domaine des technologies émergentes, dépendra de la capacité des

consommateurs industriels non seulement à trouver d’autres

approvisionnements, mais également à ajuster leur demande sans nuire

substantiellement à la compétitivité de leurs produits.

Consommation globale de terres rares estimée

par application et par élément (2015)

Catalyseurs 24 % Ce 39,5 %

Aimants 23 % La 26,4 %

Polissage 12 % Nd 19,9 %

Piles 8 % Y 7,1 %

Métallurgie 8 % Pr 4,1 %

Verre 7 % Gd 1,1 %

Céramiques 6 % Dy 0,7 %

Phosphores 2 % Sm 0,3 %

Autres 10 % Eu 0,2 %

Tb 0,2 %

Autres 0,5 %

Source : Roskill 2016, via K. M. Goodenough, F. Wall et D. Merriman, « The Rare Earth Elements: Demand, Global Resources, and Challenges for Resourcing Future Generations », Natural Resources Research, vol. 27, n° 2, 2018, p. 201-216.

Quelques succès en matière d’ajustement de la demande…

À la suite des restrictions chinoises à l’exportation en 2010, des

consommateurs industriels ont considérablement ajusté leurs besoins en

ressources et réduit, voire éliminé complètement, leur dépendance aux

terres rares. Selon une étude d’Adamas Intelligence, la demande mondiale

annuelle a baissé d’environ 50 000 tonnes sur la période 2011-2016, en

29. E. Alonso, A. M. Sherman, T. J. Wallington, et al., « Evaluating Rare Earth Element Availability:

A Case with Revolutionary Demand from Clean Energy », Environmental Science & Technology, vol. 46,

n° 6, p. 3406-3414.

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La Chine et les terres rares John Seaman

22

raison du climat d’inquiétude et des changements technologiques30. Dans

l’industrie de l’éclairage, par exemple, les prix élevés ont été un facteur

majeur du remplacement des lampes fluorescentes compactes, riches en

terres rares, par les systèmes LED. De la même façon, le recours aux

batteries reposant sur les terres rares (connues sous le nom de NiMH) a été

nettement réduit au profit des batteries au lithium-ion. Il existe de

nombreuses autres illustrations, par exemple les industries de polissage du

verre et de la céramique31.

Les nombreuses et diverses applications dans l’industrie de la défense,

pour lesquelles les forces du marché jouent un rôle moins décisif, sont bien

plus souvent perçues comme vulnérables aux perturbations dans les

approvisionnements. Toutefois, étant donné leur petite taille et le faible

volume de leur demande en terres rares en comparaison avec les secteurs

civils, beaucoup d’observateurs sont parvenus à la conclusion que des

solutions d’approvisionnement existent, même dans le cas extrême d’un

embargo32.

… mais de nombreuses technologies ont un besoin critique de terres rares

Malgré quelques succès remarquables, les ajustements de la demande se

sont avérés plus difficiles dans d’autres secteurs. C’est l’utilisation de

néodymium et de dysprosium pour les aimants NdFeB qui est la plus

problématique, dans la mesure où l’impact économique des perturbations

des approvisionnements est élevé ; les industries civiles les plus touchées

sont le secteur éolien, le secteur automobile, les fabricants de différents

appareils électroménagers (climatiseurs, machines à laver, réfrigérateurs,

etc.) et les TIC grand public (smartphones, ordinateurs portables et de

bureau).

Depuis 2010, les fabricants d’aimants sont à la recherche de solutions

permettant d’ajuster la composition des aimants à base de terres rares afin

de réduire les quantités de matériaux nécessaires. Ils se sont surtout

focalisés sur la réduction, voire l’élimination des besoins en dysprosium,

dont la Chine demeure le seul producteur au monde. Le dysprosium

présente l’intérêt de conserver les propriétés magnétiques des aimants, y

compris en cas d’exposition à de hautes températures. Dans le secteur

30. F. Els, « China to Become Net Importer of Some Rare Earths », Mining.com, 2 janvier 2017,

www.mining.com.

31. R. Eggert, C. Wadia, C. Anderson, et al., « Rare Earths: Market Disruption, Innovation and Global

Supply Chain’s », Annual Review of Environment and Resources, vol. 41, novembre 2016, p. 199-222.

32. E. Gholz, « Rare Earth Elements and National Security », Energy Report, Council on Foreign

Relations, octobre 2014, www.cfr.org.

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La Chine et les terres rares John Seaman

23

éolien, de nombreux fabricants de turbines ont opté pour les aimants NdFeB

pour activer les systèmes à « entraînement direct », plus légers et nécessitant

moins d’entretien, une spécificité qui les rend tout à fait adaptés à des

utilisations offshore. Actuellement, 23 % des turbines éoliennes

fonctionnent avec des aimants à terres rares. En 2030, selon certaines

estimations, 72 % d’entre elles le seront33. Mais, dans ce domaine, la

résistance à la chaleur, et donc le dysprosium, est moins nécessaire et les

besoins ont été réduits. Si la demande de néodymium restera

vraisemblablement élevée, les prévisions indiquent qu’à l’horizon 2020,

l’utilisation de dysprosium pour les aimants dans l’éolien passera de 4,5 % à

1 % par aimant, ce qui risque de provoquer une légère baisse de l’utilisation

de ce métal dans ce secteur à long terme (cf. tableau ci-dessous pour une

analyse de la demande estimée au sein de l’UE)34. Atteindre une telle

efficacité s’est avérée bien plus problématique dans le cas des véhicules

hybrides et électriques (VEH et EV), pour lesquels le dysprosium joue

toujours un rôle crucial étant donné ses propriétés de résistance à la chaleur,

adaptées à la fabrication des moteurs. En moyenne, les groupes

motopropulseurs des VEH et des EV nécessitent chacun jusqu’à 2,5 kg de

terres rares (sans compter les plus de 100 applications présentes dans les

moteurs électriques utilisés pour les essuie-glaces, les systèmes sonores, les

systèmes de climatisation et les fenêtres automatiques)35. Cependant,

certaines industries automobiles sont parvenues à mettre sur le marché des

véhicules électriques s’appuyant sur des technologies de moteur dépourvues

de terres rares, par exemple Tesla, qui privilégie le moteur à induction, et

Renault qui recourt à la technologie du moteur à excitation.

Potentiel de croissance des terres rares dans l’UE

(en tonnes par secteur)

Énergie

éolienne

Véhicules

électriques

Équipement

des ménages

Électronique grand public

TIC 2015 2035 2015 2035 2015 2035 2015 2035

Nd 390 750 2 2200 1530 2370 90 120

Dy 80 60 1 700 130 190 9 12

Pr 130 250 1 700 -- -- -- --

Source : A. Monnet et A. A. Abderrahim, « Report on Major Trends Affecting Future Demand for Critical Raw Materials », SCRREEN, Deliverable 2.2, le 22 mai 2018.

33. WindEurope, « Research and Innovation Needed to Provide Substitutes for Rare Materials Used in

Turbines », WindEurope News, 15 novembre 2018, windeurope.org.

34. A. Monnet and A. A. Abderrahim, « Report on Major Trends Affecting Future Demand for Critical

Raw Materials », SCRREEN, Deliverable 2.2, 22 mai 2018, p. 20, scrreen.eu.

35. K. M. Goodenough, F. Wall et D. Merriam, « The Rare Earth Elements: Demand, Global Resources

and Challenges for Resourcing Future Generations », Natural Resources Research, avril 2017.

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La Chine et les terres rares John Seaman

24

Les risques que fait peser la substitution sur la compétitivité

Dans l’ensemble, les substitutions adéquates aux terres rares se sont avérées

difficiles à trouver. Sur « l’indice de substitution » des matières premières

critiques de la Commission européenne de 2017, par exemple, l’indice des

terres rares lourdes était de 0,96, sur une échelle de 0 à 1 – 1 correspondant

aux matières premières les moins substituables. Quant aux terres rares

légères, leur indice de substitution était de 0,90, soit à peine supérieur36.

L’intérêt de cet indice est d’établir une corrélation entre importance

économique et qualités techniques d’une part, et importance économique et

rentabilité des substitutions d’autre part, pour les applications individuelles

de chaque matériau. Ce résultat met en évidence une préoccupation

régulièrement soulevée : dans leur quête de substitutions, les industries,

animées par leur volonté d’éviter les perturbations d’approvisionnement de

matières premières critiques, pourraient bien être en train de sacrifier les

qualités techniques ou la compétitivité37. Dans cette hypothèse, les

industries en mesure d’investir dans la recherche et le développement et

l’innovation sans être soumises aux mêmes contraintes

d’approvisionnement en matières premières jouiraient d’un avantage

évident. Dans le cas des terres rares, il s’agit incontestablement des

industries en Chine.

36. « Communication from the Commission to the European Parliament, the Council, the European

Economic and Social Committee and the Committee of the Regions on the 2017 list of Critical Raw

Materials for the EU », Commission européenne, 13 septembre 2017, eur-lex.europa.eu.

37. D. S. Abraham, The Elements of Power: Gadgets, Guns and the Struggle for a Sustainable Future in

the Rare Metal Age, op. cit.

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La stratégie de la Chine

en matière de terres rares

Les mesures chinoises visant à limiter le commerce des terres rares ont fait

l’objet d’une très grande attention sur le marché mondial depuis 2010. Au

cours de l’année 2018, cette attention s’est à nouveau cristallisée avec

l’intensification de la guerre commerciale opposant les États-Unis à la

Chine. D’une part, l’administration Trump avait d’abord annoncé, de façon

surprenante, que les importations de terres rares de Chine feraient partie de

260 milliards de dollars de marchandises sujets à des taxes douanières à

partir de septembre 2018, bien qu’à la suite d’un revirement de dernière

minute, elles aient été retirées de la liste38. D’autre part, des voix se sont fait

entendre aux États-Unis pour mettre en garde contre le fait que la Chine

détenait un atout en matière de terres rares, et que l’Empire du Milieu

pouvait remporter la guerre commerciale l’opposant aux États-Unis « d’un

simple geste39 ». Il convient de prendre du recul sur cette question et

d’étudier les agissements de la Chine dans le secteur des terres rares lors de

la dernière décennie, en se demandant pourquoi elle a pris (ou non)

certaines mesures. Cela nous permettra de mieux comprendre les

orientations probables de la Chine à l’avenir. Afin de comprendre la

politique chinoise, il faut d’abord se placer dans l’hypothèse du scénario le

plus catastrophique : la Chine s’appuierait sur son atout en matière de

ressources pour obtenir des avantages diplomatiques ou économiques en

mettant en place un embargo.

Les terres rares : « l’arme » qui n’en était pas une ?

L’importance des terres rares pour les économies modernes et la

concentration de leur production en Chine procurerait à Pékin un moyen

idéal d’exercer une pression en mettant fin à l’exportation de matières

premières critiques, de façon à obtenir des avantages diplomatiques (appelé

38. Cette évolution est due en grande partie à des préoccupations de l’industrie du pétrole et du raffinage,

qui représente plus de la moitié de la demande de terres rares des États-Unis. Lire H. Sanderson, « US

Spares Rare Earths in China Trade War », Financial Times, 18 septembre 2018, www.ft.com.

39. J. Spross, « How China Can Win a Trade War in just 1 Move », The Week, 6 avril 2018,

www.theweek.com. Lire auss A. Stevenson, « How Rare Earths (What?) Could Be Crucial in a U.S.-China

Trade War », New York Times, 11 juillet 2018, www.nytimes.com.

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La Chine et les terres rares John Seaman

26

souvant du « economic statecraft »40). En effet, les exemples ne manquent

pas d’une Chine recourant à des pressions économiques ciblées pour faire

évoluer les positions et les comportements des États sur des sujets jugés

cruciaux par Pékin : la Corée du Sud lors de l’adoption par Séoul du système

de défense de zone du théâtre à haute altitude ; les Philippines, concernant

la position de Manille sur la souveraineté territoriale en mer de Chine

méridionale ; ou encore la Norvège, lorsqu’Oslo a refusé de condamner

l’attribution du prix Nobel de la paix à Liu Xiabo, pour n’en citer que

quelques-uns. De prime abord, les terres rares pourraient apparaître comme

l’arme idéale, au moyen de laquelle la Chine mènerait de nombreuses

batailles géopolitiques, notamment avec des États plus développés

économiquement. C’est d’ailleurs ce qui s’est vraisemblablement produit

avec le Japon il y a plus de huit ans.

En septembre 2010, un pêcheur chinois a été détenu par la garde côtière

japonaise après avoir heurté deux bateaux de patrouille japonais dans les

eaux territoriales contestées (bien qu’administrées par le Japon) des îles

Senkaku dans la mer de Chine orientale. Des rumeurs ont rapidement

circulé, selon lesquelles des cargaisons de terres rares (parmi de nombreux

autres produits) étaient bloquées dans des ports chinois, ce qui constituait

de facto un embargo sur les exportations de ressources critiques vers le

Japon, dépendant de ces importations41. Mais un examen plus approfondi

de ces événements, fondé sur les analyses et les travaux de terrain de

Johnston42 et Klinger43, laisse entrevoir une image bien plus nuancée de

l’action des décideurs politiques de Pékin et contribue à relativiser les

risques et l’influence liés à « l’arme » que constituent les terres rares pour la

Chine, ainsi que sa volonté de la brandir à l’avenir.

Un embargo décidé au niveau local

Il est indiscutable que les expéditions de terres rares vers le Japon furent

perturbées, et en effet, les 31 entreprises importatrices de terres rares au

Japon ont toutes fait part soit d’un arrêt, soit d’une perturbation de leur

40. S. Kalantzakos, China and the Geopolitics of Rare Earths, New York, Oxford University Press, 2018,

p. 22-47. Note du traducteur : expression difficile à rendre en français que l’on pourrait traduire par

« savoir-faire d’État » en matière de politique économique. Voir par exemple : www.monde-

diplomatique.fr.

41. K. Bradsher, « Amid Tension, China Blocks Vital Exports to Japan », New York Times, 22 septembre

2010, www.nytimes.com.

42. A. I. Johnston, « How New and Assertive Is China’s New Assertiveness? », International Security,

vol. 37, n° 4, printemps 2013, p. 7-48.

43. J. M. Klinger, Rare Earth Frontiers: From Terrestrial Subsoils to Lunar Landscapes, Ithaca, Cornell

University Press, 2017, p. 139-143.

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La Chine et les terres rares John Seaman

27

activité44. En même temps, les données d’importation montrent que

pendant la période des tensions (de septembre à octobre, et selon certains

rapports novembre), les ports japonais ont continué à recevoir des arrivages

de terres rares et que les perturbations effectives étaient contingentes45.

À cet égard, il convient de garder à l’esprit certains éléments de contexte.

D’un côté, il ne faut pas oublier que moins de trois mois plus tôt, en juillet

2010, la Chine avait mis en place des quotas d’exportation qui allaient limiter

considérablement l’offre mondiale de terres rares. Cela fit grimper les prix

en flèche et incita les pays exportateurs à retarder les ventes et les

acheminements, afin de tirer profit de cette augmentation subite des prix.

D’un autre côté, il faut également souligner le fait que la production illégale

et le marché noir jouent un rôle non négligeable de l’industrie de terres rares

en Chine, représentant historiquement un tiers de la production au

minimum46. Les trafiquants du marché noir auraient certainement intérêt à

ignorer une directive secrète de Pékin, afin de tirer profit de ventes au Japon

pouvant rapporter très gros. Mais ce dernier point montre aussi, plus

globalement, que les terres rares étaient (ou auraient été) un choix peu

pertinent d’« arme », dans la mesure où le gouvernement central exerçait

finalement un contrôle peu efficace sur les acteurs du marché.

Certains éléments concourent à indiquer que le blocage des expéditions

de terres rares visant à punir le Japon est imputable aux officiers militaires

et aux administrations locales, ainsi qu’aux employés des ports, plutôt qu’au

gouvernement central. Il ne s’agissait ni d’une tendance nationale ni d’un

choix politique de la part de Pékin47. En effet, les fonctionnaires de l’État

central, depuis les autorités douanières jusqu’au ministre du Commerce et

le Premier ministre, ont nié en bloc la mise en place d’un embargo48 et les

démarches qu’ils ont effectuées auprès des administrations locales et des

autorités portuaires afin de redémarrer les expéditions démontrent que les

interruptions étaient dues à des acteurs locaux excessivement zélés.

Une « arme » inefficace

Il est cependant possible que Pékin, malgré ses déclarations publiques et son

contrôle peu efficace, ait effectivement eu l’intention de perturber

délibérément les acheminements de terres rares vers le Japon, soit pour en

faire une monnaie d’échange, soit pour apporter la démonstration à sa

44. Agence-France Presse, « Japan’s Rare Earth Minerals May Run Out by March: Govt », 21 octobre

2010, phys.org.

45. A. I. Johnston, « How New and Assertive Is China’s New Assertiveness? », op. cit., 2013.

46. D. J. Packey et D. Kingsnorth, « The Impact of Unregulated Ionic Clay Rare Earth Mining in China »,

Resources Policy, n° 48, 2016, p. 112-116.

47. J. M. Klinger, Rare Earth Frontiers: From Terrestrial Subsoils to Lunar Landscapes, op. cit., 2017.

48. « Ensuring Sustainability of Rare Earth », China Daily, 7 octobre 2010, www.chinadaily.com.cn.

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La Chine et les terres rares John Seaman

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population en colère qu’elle prenait des mesures (tout en évoluant sur le fil

du rasoir afin de ne pas briser certains tabous diplomatiques en déclarant

ouvertement des sanctions). Si l’objectif était de marchander, Pékin a

finalement tiré un faible parti de son avantage. Pour le dire en un mot, le rôle

des terres rares dans cette crise diplomatique a permis de mettre en lumière

les peurs liées aux conséquences de l’essor de la Chine d’une manière plus

générale et la nécessité d’entraver l’influence de cette dernière dans le

secteur des terres rares en particulier. En ce qui concerne la question plus

spécifique de la mer de la Chine orientale, Pékin n’a finalement obtenu que

la libération du pêcheur – à la fin du mois de septembre, tandis que

l’embargo supposé perdura au moins un mois de plus –, Tokyo conservant

le contrôle administratif complet des îles Senkaku et des eaux qui les

entourent et refusant de faire la moindre concession sur ce point. Il est ainsi

révélateur qu’à l’occasion de tensions ultérieures avec le Japon liées à ces

îles – notamment en 2012 à la suite de la vente au Japon de certaines d’entre

elles par leur propriétaire privé, provoquant une crise sans doute plus

profonde –, les exportations de terres rares vers le Japon n’en pâtirent

nullement. Cela peut s’expliquer par le fait que, même si la Chine avait

décidé de perturber le commerce des terres rares à l’occasion d’une impasse

diplomatique, son intégration dans la chaîne de valeur était telle que les

perturbations de l’approvisionnement en terres rares ont finalement nui aux

industries chinoises qui étaient (et sont encore) tributaires des composants

réexpédiés en Chine par des utilisateurs de terres rares d’autres pays, comme

le Japon49.

Développement économique et protection de l’environnement : les moteurs de l’action politique de la Chine

Plus encore que l’usage des terres rares comme d’une arme dans les conflits

politiques, en vertu de la position dominante de la Chine, c’est le rôle que

jouent les terres rares dans le développement économique du pays qui fait

la véritable valeur de son patrimoine naturel. En effet, depuis les

années 1980, l’objectif principal du développement du secteur des terres

rares en Chine a été de favoriser l’innovation et la croissance des industries

de haute technologie nationales, pour des utilisations dans l’économie réelle

comme pour la modernisation militaire du pays50. Ces objectifs sont d’autant

plus essentiels pour la stratégie économique actuelle de la Chine que Pékin

49. K. Bradsher, « China Resumes Rare Earth Shipments to Japan », New York Times, 19 novembre

2010, www.nytimes.com.

50. C. Hurst, « China’s Rare Earth Elements Industry: What Can the West Learn », Institute for the

Analysis of Global Security (IAGS), mars 2010.

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La Chine et les terres rares John Seaman

29

cherche à répondre à la nécessité croissante de restructurer son économie

nationale, en passant d’une économie s’appuyant sur de faibles coûts de

fabrication et l’industrie lourde à une production à plus forte valeur ajoutée.

Les terres rares et la stratégie économique de la Chine

Depuis 2010, au moment même où des politiques d’exportation plus strictes

étaient mises en place, le Conseil des affaires de l’État a, à diverses reprises,

insisté sur la nécessité de développer des « industries émergentes

stratégiques », parmi lesquelles l’aérospatiale, le ferroviaire à grande vitesse,

la fabrication d’équipements haut de gamme, les équipements de production

d’énergie électrique et les véhicules à nouvelles énergies, dont la plupart

fonctionnent avec des composants en terres rares. On peut citer également

les « nouveaux matériaux », qui comprennent des matériaux à base de terres

rares. En 2015, le Conseil des affaires de l’État a rédigé une première version

de son plan « Made in China 2025 », que l’on peut considérer comme un

guide visant à développer ces industries dans les années à venir et

permettant de faire de la Chine le numéro un mondial de ces industries

d’avenir. Ce plan met particulièrement l’accent sur la nationalisation d’une

grande partie de la chaîne de valeur de nouvelles industries stratégiques,

fixant pour objectif à la production chinoise de représenter jusqu’à 70 voire

80 % de la valeur du marché intérieur de produits tels que les véhicules à

nouvelles énergies, les sources d’énergie nouvelles et renouvelables et les

dispositifs médicaux de pointe51. À cet égard, les quotas à l’exportation, les

taxes et les autres mesures affectant les prix en vigueur jusqu’en 2015 ont

conféré aux entreprises chinoises un avantage accru pour la stabilité des

approvisionnements en terres rares, à des prix plus bas que ceux pratiqués

pour les consommateurs à l’étranger. Cela a même attiré une partie de la

production à valeur ajoutée et occasionné des transferts de technologie

depuis des industries en aval à l’étranger vers la Chine.

Surmonter les contraintes liées au secteur

Cependant, malgré cette stratégie économique ambitieuse, mettre en

conformité l’avantage que possède la Chine en matière de terres rares avec

ses objectifs de développement plus large ne s’est pas avéré simple. En effet,

l’industrie des terres rares en Chine s’est trouvée confrontée à un certain

51. J. Wübbeke, M. Meissner, M. J. Zenglein, J. Ives et B. Conrad, « Made in China 2025: The Making of

a High-Tech Superpower and Consequences for Industrial Countries », MERICS Papers on China,

8 décembre 2016, www.merics.org.

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La Chine et les terres rares John Seaman

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nombre de défis : une production non rentable, des prix bas, un rapide

épuisement des minerais (surtout dans les régions productrices de terres

rares lourdes), un niveau de pollution alarmant et un faible contrôle

réglementaire. Contrairement à ce qui s’est passé avec les grandes industries

du pétrole et du gaz, l’industrie des terres rares en Chine est

traditionnellement dispersée. Avant 2010, par exemple, on comptait pas

moins de 170 entreprises de raffinage des terres rares officiellement

enregistrées et plus de 130 producteurs d’aimants néodyme NdFeB52.

Comme mentionné plus haut, l’exploitation illégale des mines constitue un

problème omniprésent. Sur les 25 000 à 50 000 tonnes d’oxydes de terres

rares produites illégalement en Chine, environ 60 % sont des terres rares

« lourdes53 ».

Nombre des politiques publiques que la Chine a mises en place dans le

domaine des terres rares au cours de la dernière décennie poursuivent

l’objectif de préparer l’industrie à satisfaire les besoins de la nouvelle

orientation stratégique de l’économie. Parmi ces besoins, on trouve le

renforcement du pouvoir réglementaire du gouvernement central,

l’attribution de licences de production et la mise en place de quotas, la

délivrance de permis d’exportation, la création de stocks de ressources pour

gérer l’offre et la tarification, ainsi qu’une législation visant la consolidation

globale de l’industrie54. En encourageant les fusions, en éliminant

progressivement les mines de petite envergure et en sévissant contre

l’exploitation minière illégale, la Chine s’est efforcée de réduire le nombre

d’entreprises de minéralurgie à 20 et à regrouper l’extraction des ressources

entre les mains de six entreprises d’État, à savoir Northern Rare Earth

(Group) Hi-Tech (dont Baotou), Aluminum Corporation of China

(Chinalco), China Minmetals Corporation, Xiamen Tungsten, Ganzhou Rare

Earth Group, et Guangdong Rare Earth Industry. Ainsi, malgré la

suppression des restrictions à l’exportation et des distorsions de prix

significatives, le risque d’un retour à une offre moins stable demeure une

importante source d’inquiétude pour les consommateurs étrangers, dans la

mesure où Pékin semble désormais enclin à exercer un contrôle accru sur

l’industrie afin d’atteindre ses objectifs dans ce domaine.

52. J. Wübbeke, « Rare Earth Elements in China: Policies and Narratives of Reinventing an Industry »,

Resources Policy, n° 38, 2013, p. 384-394.

53. R. Ganguli et D. R. Cook, « Rare Earths: A Review of the Landscape », op. cit.

54. L. Shen, N. Wu, S. Zhong et L. Gao, « Overview of China’s Rare Earth Industry Restructuring and

Regulation Reforms », Journal of Resources and Ecology, vol. 8, n° 3, mai 2017, p. 213-222.

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La Chine et les terres rares John Seaman

31

Faire face à la crise environnementale chinoise

Dans ce cadre, veiller à ce que le pays dispose de ressources suffisantes pour

satisfaire sa demande croissante est un enjeu particulièrement important ;

mais trouver des réponses face à la crise écologique apparaît également

comme un impératif majeur. D’une part, la Chine va de plus en plus

dépendre des terres rares dans la mesure où elle privilégie les technologies

dans des secteurs tels que les énergies renouvelables et les véhicules

électriques, qui constituent des réponses à l’aggravation des problèmes de

pollution de l’air et du changement climatique. Mais d’autre part, les niveaux

de pollution accablants qu’entraîne la production de terres rares entraînent

en soi une crise écologique que le pays ne peut plus ignorer55. Par exemple,

si l’on en croit les estimations de la Chinese Society of Rare Earths, la

production d’une tonne de terres rares à Baotou, en Mongolie intérieure,

produit simultanément 75 000 litres d’eaux usées acides et une tonne de

résidus radioactifs56. La production de terres rares a, en outre, occasionné

des dépôts d’ordures dans les régions minières du Jiangxi, du Guangdong,

du Fujian, du Sichuan et de la Mongolie intérieure, favorisant l’apparition

de réserves d’eau toxiques, des terres agricoles stériles et une augmentation

du nombre de villages touchés par le cancer57.

Sous la pression de l’opinion publique et dans un contexte où la Chine

place de plus en plus le développement durable au cœur de sa stratégie

nationale, trouver une réponse à cette crise qui s’aggrave est devenu un

critère de sa légitimité. En conséquence, Pékin a remanié les normes

environnementales, renforcé le pouvoir réglementaire du ministère de la

Protection de l’environnement (qui s’est vu réorganisé sous la bannière du

ministère de l’Environnement et de l’Écologie en 2018) et intensifié la mise

en œuvre de cette politique, notamment la répression de l’exploitation

minière illégale. Les mesures de consolidation de l’industrie et de soutien

des prix ont également été conçues pour faciliter l’adoption de méthodes de

production améliorées, ainsi que le respect de normes environnementales

plus exigeantes.

55. G. Pitron, La guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique,

Paris, Les Liens qui Libèrent, 2018.

56. D. S. Abraham, The Elements of Power: Gadgets, Guns, and the Struggle for a Sustainable Future

in the Rare Metal Age, op. cit., p. 176.

57. H. Liu, Rare Earths: Shades of Grey – Can China Continue to Fuel Our Global Clean & Smart

Future?, China Water Risk, juin 2016, www.chinawaterrisk.org.

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La Chine et les terres rares John Seaman

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D’exportateur en importateur : l’évolution du rôle de la Chine sur le marché des terres rares

La demande élevée et croissante de terres rares en Chine pourrait bien

conduire à une évolution majeure de son rôle en tant que fournisseur

mondial de ces matières premières. En 2012, le Conseil des affaires de l’État

indiquait dans son Livre blanc sur le secteur des terres rares que le ratio

réserves/production des argiles ayant des propriétés d’absorption des ions

dans la province de Jiangxi, principal producteur mondial de terres rares

lourdes et notamment de dysprosium, a connu une chute drastique, passant

de 50 ans à 15 ans à peine, au cours des deux dernières décennies58. En effet,

la demande chinoise pourrait atteindre 190 000 tonnes dès 2020, alors que

la production officielle était de 105 000 en 2017 59. Cette amère conclusion,

conjuguée à des préoccupations environnementales croissantes et à des

régulations internes plus strictes, conduit certaines entreprises chinoises à

aller chercher des approvisionnements de terres rares provenant de

l’exploration de mines à l’étranger. Cette démarche est en conformité avec

les orientations préconisées dans ce secteur par le treizième plan

quinquennal (2016-2020) du ministère de l’Industrie et des Technologies de

l’information60. Un tel changement constitue une évolution majeure du

marché des terres rares, sur lequel la Chine apparaît désormais de plus en

plus susceptible de devenir un importateur net dans les années à venir. En

un sens, la Chine rééditera la pratique d’exportation de la pollution,

comparable à ce que d’autres sociétés post-industrielles ont fait au cours des

décennies passées.

Shenghe Resources est l’illustration d’une entreprise chinoise qui

développe de plus en plus activement sa production minière de terres rares

à l’étranger. Établie à Chengdu et cotée à la bourse de Shanghaï, affichant

une capitalisation boursière de plus de deux milliards de dollars à la fin de

2018, Shenghe est une société de terres rares verticalement intégrée, qui a

des activités dans le domaine de l’extraction et du traitement des terres rares

ainsi que dans la fabrication d’alliages de terres rares et d’autres produits

destinés aux consommateurs industriels en Chine et dans le reste du

58. Situation and Policies of China’s Rare Earth Industry, Centre d’Information du Conseil d’État,

République populaire de Chine, juin 2012.

59. L. Shen, N. Wu, S. Zhong et L. Gao, « Overview on China’s Rare Earth Industry Restructuring and

Regulation Reforms », op. cit., 2017, p. 215.

60. « Notice of the Ministry of Industry and Information Technology on Printing and Distributing the

Rare Earth Industry Development Plan (2016-2020) », Ministère de l’Industrie et des Technologies de

l’information, People’s Republic of China, n° 319, octobre 2016, www.miit.gov.cn.

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La Chine et les terres rares John Seaman

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monde61. Le plus gros investisseur de Shenghe, détenant plus de 14 % des

actions, est le Chengdu Institute of Multipurpose Utilization of Mineral

Resources (IMUMR), qui est contrôlé par le ministère des Terres et des

Ressources (un ministère réorganisé et renforcé qui a pris le nom de

ministère des Ressources naturelles au début de l’année 2018). Le président

du conseil de Shenghe Resources est aussi le directeur de l’IMUMR62.

Shenghe s’est lancé dans l’exploration des mines hors de la Chine en

septembre 2013 en signant un protocole d’entente avec l’entreprise

australienne Arafura Resources afin de développer le projet de Nolans

Bore63. En 2015, la société a signé un contrat d’enlèvement avec Tantalus

Rare Earth portant sur 30 % de la production (estimée à 3 000 tonnes) issue

du développement de l’entreprise à Madgascar, bien que le projet peine à

démarrer à cause des résistances locales liées aux préoccupations

environnementales64. En 2016, Shenghe a acquis une participation de 12 %

dans Greenland Minerals and Energy (GME), le propriétaire du projet

Kvanefjeld (Groenland), un vaste gisement de terres rares lourdes et

d’uranium. En plus de fournir une expertise technique, Shenghe a conclu un

accord de fourniture qui comprend la totalité de la production annuelle de

la mine de Kvanefjeld (32 000 tonnes65), bien qu’un permis d’exploitation

de la mine n’ait pas encore été transmis. Plus récemment, signe des temps

qui changent, Shenghe Resources a intégré le consortium MP Mine

Operations en tant qu’actionnaire minoritaire sans droit de vote. Ce

consortium a fait l’acquisition de la mine de Mountain Pass en Californie,

à la suite de la faillite de son ancien propriétaire Molycorp66.

À ce jour, aucune des entreprises précitées n’a atteint le stade de la

production, mais l’activisme de Shenghe illustre à quel point la situation

évolue. Il ne s’agit pas de la première vague d’investissement chinois dans

l’exploitation minière des terres rares à l’étranger, mais pour des raisons

politiques et de sécurité nationale chez les pays hôtes, une grande partie de

l’activité passée n’a pas débouché ne serait-ce que sur des accords et encore

moins sur une production. En 2005, le géant CNOOC, une entreprise d’État

de pétrole et de gaz chinoise, a failli faire l’acquisition de la mine du

61. J. Lifton, « Lifton Comments on ‘Significant Signing’ of Tatlus Rare Earths Off-Take Agreement with

Shenghe Resources », InvestorIntel.com, 9 février 2015, investorintel.com.

62. M. Martin, « China in Greenland: Mines, Science and Nods to Independence », China Brief, vol. 18,

n° 4, The Jamestown Foundation, 12 mars 2018, jamestown.org.

63. « Arafura Resources », International Resource Journal, 2017,

www.internationalresourcejournal.com, consulté le 10 décembre 2018.

64. E. Carver, « Another Blow to Troubled Madagascar Rare Earth Mine », Mongabay, 22 novembre

2017, news.mongabay.com.

65. H. Black, « Shenghe Poised for 100% of Kvanefjeld Uptake », Miningnews.net, 21 août 2018,

www.miningnews.net.

66. A. Topf, « Mountain Pass Sells for $20.5 Million », Mining.com, 16 juin 2017, www.mining.com.

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La Chine et les terres rares John Seaman

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Mountain Pass en Californie, par le biais d’une offre du propriétaire de la

mine de l’époque, UNOCAL ; cette acquisition fut entravée par les autorités

états-uniennes, pour des raisons qui n’avaient apparemment pas grand-

chose à voir avec les terres rares. UNOCAL fut finalement vendu à Chevron,

qui en 2007 fit à nouveau l’objet de sollicitations d’acheteurs chinois pour la

vente du Mountain Pass, obtenue in fine par Molycorp67. En 2009, China

Non-Ferrous Metal Mining (Group) Co. a également tenté sans succès

d’obtenir une part de 51,6 % dans Lynas Corporation, qui possède la mine

du Mount Weld en Australie et est actuellement la mine productrice de

terres rares la plus importante hors de Chine, ses opérations ayant débuté

en 2012. En raison de craintes quant à l’approvisionnement, les autorités

australiennes ont en définitive bloqué l’accord68. Une acquisition avalisée fut

l’achat d’environ 25 % des parts d’Arafura par l’East China Mineral

Exploration and Development Bureau (ECE), qui déboucha par la suite sur

un partenariat entre Arafura et Shenghe Resources.

Ainsi, si la volonté chinoise de développer des mines de terres rares en

dehors de son territoire n’est en rien nouvelle, ce qui frappe actuellement est

qu’elle parvienne à conclure des affaires lucratives malgré les vives

préoccupations soulevées par son contrôle sur la production de terres rares

depuis 2010.

67. K. Bradsher, « China Tightens Grip on Rare Minerals », New York Times, 31 août 2009,

www.nytimes.com.

68. « Australia Blocked China Investment on Supply Concerns », Sydney Morning Herald,

15 février 2011, www.smh.com.au.

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Conclusion

et recommandations

L’objectif principal de la Chine en exploitant sa position dominante dans le

domaine des terres rares n’a pas consisté à prendre part à des batailles

politiques et diplomatiques, mais à affiner sa stratégie économique visant à

se procurer un avantage compétitif et à prendre la tête des industries de

haute technologie du futur. Si, depuis 2015, la Chine a renoué avec des

pratiques d’exportation normales dans ce domaine, les mesures mises en

œuvre entre 2010 et cette date ont indiscutablement conféré un atout à ses

industries du point de vue des prix des matières premières et de leur

sourçage. La recherche frénétique d’alternatives a donné lieu à la mise en

place d’un certain nombre de substitutions et à des améliorations de

rendement. Mais cette situation comporte le risque que les industries hors

de Chine soient poussées à sacrifier leur compétitivité en raison des

restrictions concernant les matières premières, alors que leurs homologues

chinois n’ont pas à s’en soucier.

Pour une production de terres rares plus durable

Même si une partie de la production extérieure à la Chine a été couronnée

de succès, cette dernière reste le premier producteur mondial de terres rares.

Néanmoins, cette période de crise a bel et bien généré des investissements

dans l’exploration et le développement d’une importance cruciale à l’avenir

pour la production hors de Chine. Celle-ci semble de plus en plus encline à

faciliter ce processus.

Étant donné l’impact environnemental considérable de l’extraction des

terres rares, les projets de développement dans ce domaine doivent être mis

en œuvre avec une extrême prudence. On peut craindre en effet que, tout

comme la pollution résultant de la production des terres rares a été

effectivement délocalisée vers la Chine dans le passé, les opérations

d’extraction dans le reste du monde aient pour conséquence de déplacer à

nouveau le fardeau environnemental. Dans le sillage des restrictions

chinoises à l’exportation, de nombreux efforts ont été entrepris pour

explorer des gisements jusqu’ici ignorés dans des régions sensibles sur le

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La Chine et les terres rares John Seaman

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plan environnemental, comme celles de Madagascar, le Groenland ou les

fonds de l’océan Pacifique.

Si l’on peut tirer une leçon de la saga des terres rares telle qu’elle s’est

déroulée ces huit dernières années, c’est bien que l’avenir, tant sur le plan de

l’offre que sur celui de la demande, demeure incertain, dans un contexte où

le marché reste relativement restreint et volatil, en dépit de l’importance

majeure de ces matières premières pour de nombreuses industries

émergentes. Les pays et les investisseurs qui pourraient être conduits à

miser sur l’exploitation de gisements de terres rares devraient être

conscients de ces risques environnementaux, mais aussi de cette volatilité,

qui peut considérablement évoluer au gré de la technologie ou des caprices

des décideurs politiques chinois.

Dans notre quête de nouvelles sources de terres rares, nous ne devrions

pas faire l’impasse sur les régions dont elles ont été extraites sans jamais

avoir été utilisées. En effet, une des spécificités des terres rares est qu’on les

localise souvent en même temps que d’autres minerais tels que le minerai de

fer ou l’uranium et qu’on en trouve fréquemment dans des résidus provenant

d’extractions antérieures. Des concentrations de terres rares susceptibles

d’être utilisées ont également été retrouvées dans des déchets issus

d’exploitations minières tels que des cendres de charbon, des résidus de

bauxite (aussi connus sous le nom de « boue rouge »), ou encore du

phosphate résultant de la fabrication d’engrais69. C’est la raison pour

laquelle certains projets d’extraction de terres rares pourraient contribuer à

donner une seconde vie aux anciennes mines et à les assainir au lieu d’en

créer de nouvelles.

Réduire la consommation, améliorer le rendement et recycler davantage

Toute stratégie à long terme devrait intégrer la facilitation du recyclage, la

rationalisation de la demande et l’amélioration du rendement des

ressources70. Bien que des obstacles techniques et financiers demeurent et

que les terres rares ne soient pas, contrairement à d’autres métaux

véritablement rares, concernées par la question de la rareté, l’avenir de notre

planète dépend néanmoins de notre capacité à faire des choix de

consommation responsables, à utiliser les ressources de manière plus

efficiente et à réutiliser ce que nous avons déjà extrait du sol.

69. J. Yang et. al., « Production Techniques of CRM from Primary », SCRREEN, Deliverable 4.1, p. 193-

197, http://scrreen.eu ; R. Ganguli et D. R. Cook, « Rare Earths: A Review of the Landscape », op. cit.

70. R. Danino-Perraud, « Face au défi des métaux critiques, une approche stratégique du recyclage

s’impose », Édito Énergie, Ifri, décembre 2018, www.ifri.org.

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La Chine et les terres rares John Seaman

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Dans cette perspective, des mesures incitatives pourraient être prises

pour encourager les concepteurs industriels à exploiter la facilité du

recyclage post-consommation des métaux rares ou d’autres métaux

technologiques dans la conception de leurs produits. De même, les

consommateurs industriels devraient mettre en rapport leurs besoins en

ressources avec les risques liés à la chaîne d’approvisionnement et les

impacts environnementaux, en cherchant des solutions optimales pour

réduire l’utilisation des ressources tout en garantissant la compétitivité. La

mise en place de normes claires dans l’industrie des métaux rares

permettrait peut-être d’atténuer certains risques. En outre, les

consommateurs des sociétés reposant sur les technologies devraient être de

plus en plus sensibilisés aux conséquences de la fabrication de produits à

l’heure des révolutions dans le numérique et dans le domaine de l’énergie et

invités à envisager leurs habitudes de consommation sous cet angle.

Améliorer les règles du commerce mondial pour les ressources

En attendant, il est impératif que des améliorations du système d’échanges

internationaux des ressources minérales soient mises en œuvre, notamment

en ce qui concerne les métaux mineurs. Le système libéral d’échanges

internationaux a rendu possible la concentration de la production de terres

rares en Chine, mais le fait que ce pays soit partie prenante de ce système a

aussi permis aux échanges de perdurer, en dépit d’évidentes obstructions.

En effet, la procédure de règlement des différends dans le cadre de l’OMC, si

elle a mis du temps à réagir face aux distorsions de concurrence créées par

la Chine, a néanmoins permis un règlement pacifique du conflit. Le

développement économique constitue un objectif essentiel des politiques

chinoises dans le secteur des terres rares, ainsi que dans d’autres secteurs

des matières premières. Il ne fait plus aucun doute que le développement

économique de la Chine est également dépendant d’un système d’échanges

internationaux en état de marche. À ce titre, Pékin considère comme sa

priorité absolue le fait de continuer à jouer un rôle sur la scène des échanges

internationaux, et cette volonté l’emporte sur les bénéfices qu’elle peut

retirer de ses restrictions à l’exportation dans le secteur des terres rares et

dans d’autres.

Toutefois, le système d’échanges internationaux actuel laisse un grand

nombre de problèmes en suspens, de la répartition disproportionnée des

efforts à fournir en matière environnementale (qui plus est dans un contexte

où la Chine va se lancer dans l’importation des terres rares) jusqu’aux

avantages indus qu’accorde l’État chinois à beaucoup d’acteurs industriels.

À ceci s’ajoute, et dans le cas précédent c’est même un élément moteur,

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La Chine et les terres rares John Seaman

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la pression croissante que l’administration Trump exerce sur l’OMC depuis

Washington, au point de la tenir en otage. En repensant le système

d’échanges internationaux, nous ne devrions pas oublier les avancées qu’il a

permises dans la résolution de conflits comme celui des terres rares, sans

toutefois omettre de tenir compte des distorsions qu’il a engendrées, en nous

appuyant sur les travaux de groupes d’experts tels que l’Initiative pour la

transparence dans les industries extractives (ITIE).

Penser chaînes de valeur, pas seulement matières premières

Finalement, l’avantage de la Chine dans le domaine des terres rares ne réside

pas seulement dans ses ressources naturelles, mais plutôt dans le fait qu’elle

consomme près de 80 % des terres rares extraites dans le monde à l’heure

actuelle et qu’elle s’est progressivement accaparé le marché de nombreux

produits issus de ces ressources, en particulier celui des aimants

permanents. Cela signifie qu’une bonne partie des matières premières

minérales extraites à l’avenir hors de Chine sont susceptibles d’être

expédiées vers la République populaire pour leur traitement, comme en

témoigne l’activisme des entreprises chinoises telles que Shenghe

Resources. In fine, la position dominante de la Chine s’en trouvera

confortée, non seulement dans la production minière de terres rares, mais

aussi sur le marché mondial de produits issus des terres rares.

À cet égard, les politiques publiques et les stratégies d’entreprise visant

à apporter des solutions aux dépendances aux matières premières doivent

également prendre en compte la diversification des chaînes

d’approvisionnement en aval, en envisageant dans son ensemble l’évolution

des fragilités des chaînes de valeur dans des secteurs tels que celui des

aimants, qui dépassent largement la question de l’accès aux matières

premières.

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