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ARCHIVES NATIONALES HOTEL DE SOUBISE DU 26 NOVEMBRE 2014 AU 2 MARS 2015 LA COLLABO RATION 1940 1945 LIVRET DE VISITE Ce livret contient la liste des documents exposés ainsi que des commentaires sur la plupart d’entre eux. Le pictogramme identifie les documents qui font l’objet d’un parcours pédagogique. (renseignements auprès du Service éducatif, au 01 40 27 62 62) À la fin de votre visite, nous vous remercions de bien vouloir rendre ce livret à la caisse. En échange, il vous sera remis un cahier du visiteur, gratuit, qui vous permettra de garder la trace du parcours ici proposé. L’ouvrage accompagnant l’exposition, écrit par Thomas Fontaine et Denis Peschanski, commissaires scientifiques de l’exposition et publié aux éditions Tallandier en coédition avec le ministère de la Défense et les Archives nationales, est également en vente à la caisse du Musée. Enfin, un cycle d’extraits de films de fiction français réalisés après 1945 vous est proposé au rez-de-chaussée de l’hôtel de Soubise (durée du programme 30 mn environ).

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ARCHIVESNATIONALESHOTEL DE SOUBISEDU 26 NOVEMBRE 2014AU 2 MARS 2015

LACOLLABORATION19401945 LIVRET

DE VISITECe livret contient la liste des documentsexposés ainsi que des commentairessur la plupart d’entre eux.

Le pictogramme identifie les documentsqui font l’objet d’un parcours pédagogique.(renseignements auprès du Service éducatif,au 01 40 27 62 62)

À la fin de votre visite, nous vous remercions de bien vouloir rendre ce livret à la caisse.En échange, il vous sera remis un cahier du visiteur, gratuit, qui vous permettra de garderla trace du parcours ici proposé.

L’ouvrage accompagnant l’exposition, écrit par Thomas Fontaine et Denis Peschanski, commissaires scientifiques de l’exposition et publié aux éditions Tallandier en coédition avec le ministère de la Défense et les Archives nationales, est également en vente à la caissedu Musée.

Enfin, un cycle d’extraits de films de fiction français réalisés après 1945 vous est proposéau rez-de-chaussée de l’hôtel de Soubise(durée du programme 30 mn environ).

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124 octobre 1940 : l’entrevue de MontoireDans l’esprit du maréchal Pétain, président du Conseil depuis le 16 juin 1940, la collaboration est inscrite dans le choix même de l’armistice signé le 22 juin 1940 à Rethondes. Mais c’est la rencontre du 24 octobre 1940 entre Adolf Hitler et le maréchal dans une petite gare du Loir-et-Cher qui frappe les esprits et symbolise le choix des autorités françaises. Hitler revient d’une rencontre infructueuse avec le général Francisco Franco, chef de l’État espagnol, pour évoquer une alliance contre l’Angleterre. À l’aller, dans cette même ville, il a discuté avec Pierre Laval, vice-président du Conseil et secrétaire d’État aux Affaires étrangères. Pour les partisans français de la collaboration, la France peut espérer mettre en avant ses atouts, tels l’Empire ou la flotte, négocier un assouplissement des contraintes allemandes prévues par l’armistice et un retour de prison-niers de guerre. Mais, lors de cette première rencontre au sommet, c’est finalement surtout le symbole qui prime. Il s’agit d’immortaliser l’instant plus que de donner du contenu à la politique de collaboration.Si la rencontre de Montoire est connue, on sait moins que quelques heures plus tôt le maréchal Pétain retrouve avec Pierre Laval, à la préfecture de Tours, Otto Abetz, ambassa-deur d’Allemagne à Paris. Des photos inédites nous éclairent sur ces heures qui précèdent la rencontre.

230 octobre 1940 : discours radiodiffusé du maréchal Pétain dans lequel il explique son choix d’entrer« dans la voie de la collaboration »Le 30 octobre 1940, six jours après sa poi-gnée de mains avec Adolf Hitler à Montoire, le maréchal Pétain s’adresse à la nation lors d’un discours radiodiffusé et revendique la politique de collaboration : « C’est dans l’honneur et pour maintenir l’unité française, une unité de dix siècles, dans le cadre d’une

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Portrait du maréchal Philippe Pétain, affiche de Draeger© Archives nationales, 72AJ/1033 / Atelier photo des AN

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activité constructive du nouvel ordre euro-péen, que j’entre aujourd’hui dans la voie de la collaboration […] Cette politique est la mienne […] C’est moi seul que l’histoire jugera. Je vous ai jusqu’ici tenu le langage d’un père. Je vous tiens aujourd’hui le langage d’un chef. Suivez-moi. »

3Février 1941 : Louis-Ferdinand Céline, Les Beaux drapsEn février 1941, Louis-Ferdinand Céline (1894-1961), qui s’est fait connaître avec la publication en 1932 de son Voyage au bout de la nuit, puis en 1936 de Mort à crédit et de divers pamphlets entre 1936 et 1938 (Mea culpa, Bagatelles pour un massacre, L’École des cadavres) publie aux Nouvelles Éditions françaises son nouveau pamphlet antisémite, Les Beaux draps. L’un des plus grands romanciers du XXe siècle ou l’un des collaborationnistes les plus radicaux et les plus racistes ? Question récurrente mais qui n’a guère de sens, car Céline se trouve être les deux à la fois, comme le montre le passage présenté des Beaux draps : « C’est pas mon genre l’hallali, j’ai pas beaucoup l’habitude d’agresser les faibles, les déchus, quand je veux me faire les poignes sur le Blum je le prends en pleine force, en plein triomphe populaire, de même pour les autres et Mandel. J’attends pas qu’ils soyent en prison. Je fais pas ça confidentiellement dans un petit journal asthmatique. Je me perds pas dans les faux-fuyants, les paraboles allusives. C’est comme pour devenir pro-allemand, j’attends pas que la Commandantur [sic] pavoise au Crillon. »

4Mai 1941 : compte rendu des réunions ditesdes « protocoles de Paris », négociations pour l’utilisation par les Allemands des bases aériennes et navales françaises en Afrique du Nord et en SyrieLe 21 mai 1941 s’ouvrent à Paris des négocia-tions entre les Allemands et l’amiral François Darlan, nouveau vice-président du Conseil depuis février 1941. Celui-ci a rencontré Adolf Hitler à Berchtesgaden le 11 mai 1941, et voit l’opportunité d’imposer la France comme grande puissance dans une Europe nécessai-rement allemande. Les protocoles de Paris – trois accords militaires et un complémentaire, politique –, sont signés le 28 mai 1941 et représentent un nouveau pas dans le sens de la collaboration militaire. L’accord vaut pour la Syrie et l’Irak, l’Afrique du Nord et l’Afrique occidentale et équatoriale ; la France s’enga-geant dans les trois cas à un soutien logis-tique – la mise à disposition d’aérodromes, la fourniture de matériel et de vivres à l’Afrika Korps, l’utilisation du port de Bizerte et de la voie ferrée Bizerte-Gabès pour acheminer du ravitaillement vers la Libye. Dans un pro-tocole additionnel, signé d’Otto Abetz, l’ami-ral François Darlan obtient la contrepartie politique qu’il recherche, sans toutefois que celle-ci soit précisée : « Le gouvernement allemand fournira au gouvernement français, par la voie de concessions politiques et éco-nomiques, les moyens de justifier devant l’opi-nion publique de son pays l’éventualité d’un conflit avec l’Angleterre et les États-Unis ». Mais, le maréchal Pétain veut la collaboration politique sans la guerre. Côté allemand, Adolf Hitler et Joachim von Ribbentrop, le ministre des Affaires étrangères du Reich, demeurent méfiants et ne partagent pas plusieurs vues optimistes de leur ambassadeur à Paris. Les défaites en Irak, puis en Syrie et au Liban en juin-juillet, rendent caduques tout ou partie des Protocoles.

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52 juin 1941 : recueil établi par le Commissariat général aux questions juives des textes officiels concernant le statut des JuifsLe second statut des Juifs publié au Journal officiel le 2 juin 1941 remplace le statut du 3 octobre 1940. Il est l’œuvre du nouveau Commissaire général aux questions juives (CGQJ), Xavier Vallat, nommé fin mars 1941. Avec ce texte, l’antisémitisme d’État franchit une nouvelle étape, et, à l’inverse de l’au-tomne précédent, prend aussi en compte les initiatives allemandes. Ce texte ajoute des critères religieux à ceux, raciaux, du premier statut, précise, en l’élargissant, la définition de la fonction publique fermée aux Juifs et multiplie les interdictions professionnelles ; les contrevenants sont punissables d’interne-ment administratif. De plus, alors que l’aryani-sation a été engagée par les Allemands depuis l’automne 1940, il est également évident pour Vichy que l’exclusion sociale doit aller de pair avec l’exclusion économique. L’ambition du CGQJ est d’accélérer « l’assainissement de l’économie nationale », tout en marquant, dans ce domaine comme dans tous, la souveraineté du gouvernement.

628 juillet 1941 : protocole Bergeret-Udet, directive pour l’exécution d’un pro-gramme franco-allemand de construction aéronautiquePar le protocole signé le 28 juillet 1941 par le général Jean Bergeret, secrétaire d’État à l’Aviation, et le général Ernst Udet, ministre de l’Air du Reich, la France et l’Allemagne s’engagent dans un programme commun de construction aéronautique, sur la base d’un avion français pour cinq avions allemands. Celui-ci doit permettre de relancer ce secteur stratégique, durement touché par la défaite et l’armistice, tout en apportant aux Français des contreparties. Cet accord illustre la col-laboration « constructive » alors voulue par

le gouvernement de Vichy dans le domaine économique.

7Septembre 1941 : lettre de dénonciation reçue par Robert Peyronnet, animateur de l’émission La Rose des vents sur Radio-Paris, et son enveloppeL’émission La rose des vents débute sur Radio-Paris, la radio de l’occupant, en décembre 1940. Elle connaît un grand succès, grâce à la forme d’interactivité établie entre Robert Peyronnet et ses auditeurs, qui sont invités à lui écrire. Ces lettres sont lues à l’antenne, avant l’édi-torial du journaliste. L’émission fait de la déla-tion son matériau principal. Les informations recueillies sont transmises au Commissariat général aux questions juives et aux services allemands. La Propaganda-Abteilung du minis-tère de la Propagande du Reich peut en outre utiliser les 20 000 adresses de Français ainsi collectées. L’auteur de la lettre présentée n’hésite pas à la signer, pour dénoncer deux « juifs » et « francs-maçons ». En fait, la pre-mière personne citée est l’ancien amant de la dénonciatrice. Il ne subvenait plus à ses besoins depuis plusieurs semaines. Le second est son neveu. Ni l’un ni l’autre ne sont Juifs et francs-maçons.

8Septembre 1941 : liste allemande énu-mérant les écrivains français pressentis pour participer au voyage en Allemagne d’octobre 1941En octobre 1941, à l’occasion des « rencontres poétiques » (Dichtertreffen) de Weimar, et à l’in-vitation du ministre de la Propagande du Reich, Joseph Goebbels, créateur de ces journées, un groupe d’écrivains français effectue un voyage en Allemagne, avec d’autres auteurs de plu-sieurs nationalités. Début septembre, la liste des participants est établie précisément par le Gruppe Schrifttum (« groupe Littérature ») de la Propaganda-Abteilung : Paul Morand, Jacques Chardonne, Marcel Arland, Pierre Drieu la

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Rochelle, Ramon Fernandez, André Fraigneau et Robert Brasillach sont pressentis. Le choix s’est porté sur des personnalités « qui toutes depuis longtemps se sont engagées pour la collaboration franco-allemande. Elles se sont saisies depuis l’armistice, dans leurs livres et leurs contributions à des journaux et revues, de la question des rapports entre la France et l’Allemagne, entre les Français et les Allemands. Presque toutes ont été traduites en allemand ». L’image du retour, le 1er novembre 1941, résume l’objectif de la propagande alle-mande qui, jusqu’en 1942, organise plusieurs voyages du même type. Il faut servir l’image de l’Allemagne et celle de la collaboration.

920 octobre 1941 : lettre du directeur de cabi-net de Pierre Pucheu, ministre de l’Intérieur, au Militärbefehlshaber in Frankreich, adres-sant la liste des internés de l’îlot spécial au camp de Choisel (Châteaubriant) signalés aux Allemands pour l’exécution d’otagesAprès le premier attentat perpétré à Paris le 21 août 1941 à la station de métro Barbès, qui signifie l’engagement du Parti communiste clandestin dans la lutte armée, les autorités allemandes ajoutent à leur arsenal répressif un nouvel outil : l’exécution d’otages. Une première ordonnance est prise en ce sens dès le 22 août et les trois premières exécutions interviennent le 6 septembre.Le 28 septembre, le Militärbefehlshaber in Frankreich (MBF), Otto von Stülpnagel, arrête un « code des otages ». Le 20 octobre 1941, un attentat coûte la vie au Feldkommandant de Nantes ; une cinquantaine d’otages doivent être trouvés. Sont visés les « anciens dépu-tés et dirigeants » communistes, les « intel-lectuels », ceux qui ont distribué des tracts et les activistes dangereux. Pierre Pucheu, ministre de l’Intérieur, intervient pour que les Allemands choisissent surtout les « com-munistes dangereux ». C’est ce qu’indique clairement le courrier adressé par son direc-teur de cabinet au MBF dès le 20 octobre. Il comprend notamment une liste d’internés

de « l’îlot spécial » du camp d’internement de Châteaubriant (Loire-Atlantique).Les Allemands suivront en grande partie ces recommandations : 15 des 21 personnes citées sont exécutées le 22 octobre, ainsi que deux autres dont les noms figurent sur une seconde liste, soit au total 17 des 27 otages fusillés à Châteaubriant. Ils puiseront encore neuf otages dans ces listes pour l’exécution du 15 décembre 1941. Les exécutés du camp d’internement de Châteaubriant, dont le jeune Guy Môquet, symbolisent dès la guerre, mais plus encore après, la barbarie nazie.

106 mai 1942 : rencontre entre René Bousquet, secrétaire général à la police, et Reinhard Heydrich, chef du Reichssicherheitshauptamt, office central de la sécurité du ReichEn mai 1942, Reinhard Heydrich, chef du Reichssicherheitshauptamt (RSHA), effectue une visite d’une semaine à Paris. Bras droit d’Heinrich Himmler depuis des années et responsable des forces de police allemandes, il vient rencontrer René Bousquet, le nouveau secrétaire général à la police, homme clé de Pierre Laval, qui a fait le 18 avril 1942 son retour comme chef du gouvernement, s’attri-buant en outre le portefeuille de l’Intérieur et ceux des Affaires étrangères et de l’Informa-tion. Reinhard Heydrich vient officiellement introniser Karl Oberg chef suprême de la SS et de la Police en France occupée. Il a alors deux objectifs : la répression de la Résistance et la déportation des Juifs de France. La rencontre avec René Bousquet est très fructueuse et, dans la foulée, les négociations débutent pour une collaboration des polices. Jusqu’à l’au-tomne 1943, René Bousquet demeure l’incon-tournable interlocuteur des deux responsables de la SS à Paris, Karl Oberg et Helmut Knochen voyant en lui un haut fonctionnaire efficace et un politique imprégné des principes de la col-laboration d’État.

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1122 juin 1942 : discours radiodiffusé de Pierre Laval dans lequel il souhaite la victoire de l’Allemagne« Je souhaite la victoire de l’Allemagne parce que sans elle le bolchevisme demain s’instal-lerait partout. » Cette allocution fait l’effet d’un véritable coup de tonnerre. Un tel acte de foi prononcé le 22 juin 1942 ne pouvait gagner l’estime d’une population qui n’avait jamais entretenu de sentiments germanophiles. Elle offre un argument de poids à la Résistance. La stratégie de Pierre Laval n’est en rien dis-simulée : s’il reste fidèle à son engagement pacifiste, il est convaincu que l’Europe sera allemande, comme elle l’est largement quand il parle. Il s’agit de construire dès maintenant la place de la France dans cette Europe. Cette position n’est pas nouvelle pour Pierre Laval : en mai 1941, il en appelait déjà devant des jour-nalistes américains à une « collaboration totale et sans arrière-pensée avec l’Allemagne » sans faire alors référence au bolchevisme.Ce 22 juin 1942, Pierre Laval annonce aussi une nouvelle étape dans la collaboration : il lance la Relève, un prisonnier français étant libéré en échange de trois ouvriers acceptant d’aller travailler en Allemagne. Autant que sa phrase sur la collaboration, cette annonce creuse le fossé avec les Français qui craignent, à juste titre, au regard des lois ultérieures, que cette mesure ne se transforme bientôt en tra-vail obligatoire.

1216 juillet 1942 : registre de recensement des Juifs établi par le commissariat du 3e arron-dissement de Paris et utilisé par la préfec-ture de police pour la rafle du Vél’d’Hiv’Le 16 juillet 1942 à 4 heures du matin com-mence la plus massive rafle de Juifs réalisée en France pendant la guerre, dite du Vél’d’Hiv’. 13 152 Juifs dont plus de 4 000 enfants sont arrêtés les 16 et 17 juillet 1942 grâce au plein concours de plusieurs branches de l’administration française. Ainsi, ce registre

du « Recensement Israélites et entreprises juives » du commissariat de police de la rue de Bretagne (Paris, quartiers des Enfants-Rouges et des Arts-et-Métiers) qui enregistre 5 786 personnes et 999 entreprises recensées en octobre 1940 en application d’une ordon-nance des autorités occupantes, a-t-il servi pour localiser et dénombrer les personnes à arrêter les 16 et 17 juillet 1942. Les adultes seuls et les couples sans enfants raflés sont directement envoyés au camp de Drancy ; les couples avec enfants sont parqués plusieurs jours au Vél’d’Hiv’ avant d’être transférés, provisoirement, dans les camps du Loiret, à Beaune-la-Rolande et à Pithiviers. L’État fran-çais négociait depuis de longues semaines avec les autorités allemandes l’organisation des rafles de zone nord, mais aussi de zone sud, qui jalonneront l’été 1942, point culminant de la collaboration en matière de persécution.

1322-24 janvier 1943 : la rafle du Vieux-Port de MarseilleDébut janvier 1943, à la suite d’un double attentat à Marseille, Adolf Hitler demande des représailles exceptionnelles pour « nettoyer » le quartier du Vieux-Port, repaire de francs-ti-reurs et de « sous-hommes ». Outre la des-truction d’une grande partie de la ville, 100 000 arrestations sont envisagées. Un régiment SS est sur place. René Bousquet, secrétaire général à la police, propose de mener l’essen-tiel de l’opération et mobilise 12 000 policiers envoyés de Lyon, Toulouse ou Paris, quinze formations de groupes mobiles de réserve, plusieurs escadrons de gendarmerie et de la Garde. En échange, il obtient juste de diminuer le nombre des arrestations. Les opérations commencent le 22 janvier au matin : plus de 40 000 contrôles d’identité et près de 6 000 arrestations sont effectuées jusqu’au lende-main soir. Un peu plus de 1 600 supposés « cri-minels », en priorité des étrangers, des Nord-Africains et des Juifs, sont choisis et conduits le 24 janvier au matin en gare d’Arenc pour être transférés au camp de Compiègne. Le second

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volet de l’opération débute dès la soirée du 23 janvier avec le bouclage des quartiers du Vieux-Port, évacués systématiquement le len-demain matin. Plus de 20 000 personnes sont emmenées en train à Fréjus où, après des contrôles d’identité, près de 800, considérées comme « dangereuses », sont transférées à Compiègne. Le 17 février, la destruction de 14 hectares de la ville de Marseille est achevée par le service du Génie de l’armée allemande. Les opérations conduisent à l’extermination de plus de 700 Juifs déportés à Sobibor, ainsi qu’à la déportation de plusieurs centaines d’autres Marseillais au camp de concentration de Sachsenhausen.Toutes les photographies des opérations ont été prises par une compagnie militaire alle-mande, chargée de faire des reportages de propagande.

14Fin janvier 1943 : affiche allemande Ils donnent leur sang, donnez votre travailMis en place à l’été 1942 par Pierre Laval, afin de répondre aux demandes en main-d’œuvre du Gauleiter Fritz Sauckel, le dispositif de la Relève peine à remplir l’objectif fixé. La loi du 4 septembre 1942 autorise pour la première fois la réquisition : les Français de 18 à 50 ans et les Françaises célibataires de 21 à 35 ans en capacité de travailler pourront être « assujet-tis à effectuer tous travaux que le gouverne-ment jugera utiles dans l’intérêt supérieur de la Nation », y compris dans le Reich. Ces dis-positions s’appliquent en zone nord comme en zone sud. Cette affiche, coéditée par les ser-vices de Vichy et de la Propaganda-Abteilung, est placardée sur les murs de France peu avant l’instauration du Service du travail obligatoire, par la loi du 16 février 1943. C’est encore une fois le thème de la défense de l’Europe qui sert à tenter de convaincre les Français d’aller tra-vailler dans le Reich.

15Janvier 1943 : création de la MiliceLa loi du 30 janvier 1943 crée la « Milice fran-çaise », émanation du Service d’ordre légion-naire (SOL) de Joseph Darnand, constitué par ceux qui se veulent, depuis des mois, l’élite de la Légion française des combattants (LFC). La Milice a deux objectifs : le maintien de l’ordre en France – un mot d’ordre sans cesse répété ensuite pour lutter contre le communisme, de Gaulle, le Juif ou le franc-maçon – ; à terme l’instauration d’un « régime autoritaire natio-nal et socialiste permettant à la France de s’intégrer dans l’Europe de demain ». La colla-boration avec l’Allemagne conditionne la mise en œuvre de ces deux objectifs. Pierre Laval, qui signe la loi, accepte de faire de la Milice une formation reconnue « d’utilité publique », œuvrant pour le « redressement » du pays. La loi précise que « le chef du gouvernement est le chef de la Milice française » et qu’il nomme son secrétaire général. Pierre Laval entend ainsi disposer d’un mouvement qu’il pense contrôler, pour reprendre la main en matière de maintien de l’ordre – une exigence de l’oc-cupant – et contenir les collaborationnistes parisiens. La Milice devient le symbole de la radicalisation du régime et de la collaboration.

161943 : affiche de la Légion des volontaires français La grande croisade« Aux armes » crie Pierre Costantini, le chef de la Ligue française, à l’annonce de l’offensive allemande en URSS, le 22 juin 1941. Dans le journal du Parti populaire français (PPF), Le Cri du Peuple, Jacques Doriot salue l’événe-ment « comme le navigateur qui, après une nuit de tempête, salue l’aube ». Créée le 8 juil-let 1941 sous la forme d’une association, la Légion des volontaires français (LVF) contre le bolchevisme est portée par les partis collabo-rationnistes, dont elle est la vitrine. Deux ans plus tard, cette affiche célèbre son deuxième anniversaire.

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La LVF permet à des Français d’apporter leur concours à l’armée allemande sur le front de l’Est. Sur les 13 400 hommes qui se présentent tout au long de la guerre pour être recrutés, 5 800 seulement sont engagés. Parmi eux, des figures emblématiques de la collaboration, comme Jacques Doriot, chef du Parti popu-laire français, qui part à plusieurs reprises combattre en Russie.Mais malgré ce que laisse voir la propa-gande de la LVF, malgré la force suggérée de la « Grande Allemagne » et de ses alliés, la « guerre éclair » contre l’URSS est un échec. Les Allemands, qui reculent face à l’Armée rouge, tirent par ailleurs la conclusion de la faiblesse militaire de la LVF, mal préparée. L’unité est relevée de ses positions dès le premier semestre 1942. Elle quitte le front et elle sera désormais utilisée à l’arrière, notamment contre les partisans. À l’été 1944, Heinrich Himmler ordonne le démantèlement de la LVF et l’intégration de ses éléments dans la Waffen-SS. La dissolution officielle de la LVF est prononcée le 1er septembre 1944.

173 janvier 1944 : discours de Philippe Henriot, secrétaire d’État à l’Information et à la PropagandeAprès une nouvelle crise avec Philippe Pétain en novembre 1943, les Allemands imposent de nouvelles têtes au maréchal. Philippe Henriot (1889-1944) est nommé le 6 janvier 1944 secrétaire d’État à l’Information et à la Propagande. Homme politique conservateur formé dans la très traditionnelle Fédération nationale catholique du général de Castelnau, il se radicalise au moment du Front populaire puis après l’attaque allemande contre l’Union soviétique. Collaborateur régulier de Je suis partout, il rejoint la Milice et signe aussi de nombreux articles dans son journal, Combats. Pour le nouveau secrétaire d’État à l’Informa-tion, « la guerre des ondes », déjà essentielle depuis l’été 1940, est rendue cruciale par la guerre totale. De fait, une vraie lutte radio-phonique oppose alors Pierre Dac, depuis les

antennes de la BBC, et Philippe Henriot qui, deux fois par jour, à 12h40 et 19h40, dispose d’une chronique sur Radio nationale. Ces éditoriaux sont perçus comme suffisamment dangereux pour que la Résistance exécute le secrétaire d’État dans son ministère, à Paris, le 28 juin 1944.

1821 février  1944 :  affiche  Des libérateurs ? La Libération par l’armée du crime ! (dite L’Affiche rouge)Le 21 février 1944, les Allemands exécutent au Mont-Valérien les 22 francs-tireurs parti-sans de la Main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI) membres du « groupe Manouchian », qui ont été jugés du 15 au 21 février par le tribunal militaire allemand près le commandement du Grand Paris. La seule femme du procès, Olga Bancic, responsable du dépôt d’arme-ments, est transférée en Allemagne où elle est décapitée. Mais comme l’illustre la fameuse « Affiche rouge », éditée par le Centre d’études antibolcheviques (financé par la Propaganda-Abteilung), le procès des 23 est prétexte à une énorme opération de propagande. Juste avant la tenue du procès, l’affiche a été placardée en milliers d’exemplaires. Un nom et le nombre d’attentats sont associés à chaque photo-graphie. Cette campagne contre « l’armée du crime » reprend les thématiques habituelles, partagées entre les Allemands et le gouver-nement de Vichy, de l’anticommunisme, de l’antisémitisme et de la xénophobie. Lui est associée une campagne de presse, en zone sud comme en zone nord. La censure transmet aux journaux des consignes ; l’Office français d’information (OFI) envoie des articles pour publication qui se retrouvent de fait dans de nombreux journaux. Les collaborationnistes en rajoutent à Paris. Il s’agit de dresser l’opi-nion contre la Résistance qui est assimilée à une bande de criminels juifs, communistes et étrangers. Pourtant, en février 1944, cette pro-pagande ne prend plus et ces hommes, cette femme deviennent, de par cette campagne

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même, les héros d’un combat clandestin qui annonce la Libération.

195 juillet 1944 : déclaration commune des col-laborationnistes sur la situation politique« L’impuissance des pouvoirs publics n’est plus ignorée de personne », « nous allons au chaos », vers l’« anarchie intérieure » et la « désagréga-tion de ce qui reste de l’État français »… Alors que l’armée allemande combat en Normandie pour retarder son retrait, choqués par l’exécu-tion de leur meilleur propagandiste, Philippe Henriot, les collaborationnistes ne désar-ment pas. Le 5 juillet, à l’exception de Joseph Darnand, tous (dont Jacques Doriot, fondateur du Parti populaire français, et Marcel Déat, fon-dateur du Rassemblement national populaire) rédigent une déclaration très dure contre le gouvernement de Vichy, réclamant le pouvoir… alors même que plusieurs signataires ont statut de ministre de longue date, comme Fernand de Brinon, Jean Bichelonne ou, plus récemment, Marcel Déat. « Le mal est d’ordre politique » avancent-ils. « Il est né d’une absence d’une définition claire du choix de la France dans le conflit mondial ». Si l’État français a fait d’em-blée le choix de la collaboration, les « ultras » rappellent ici que l’engagement aurait dû être total et notamment militaire, servi par un État national-socialiste. Des « éléments indiscu-tables » doivent donc entrer au gouvernement. « C’est seulement à ce prix que l’État français reprendra figure. C’est seulement à ce prix que le Reich retrouvera à ses côtés une France capable de parcourir avec lui la dernière partie du chemin qui mène à la victoire de l’Europe. » Mais Pierre Laval déjoue l’initiative et rien ne bouge durant les quelques semaines que l’État français a encore à vivre.

2017 janvier 1945 : lettre de Jacques Doriot à un amiC’est de l’île de Mainau, sur le lac de Constance où il est replié, et non pas à Sigmaringen, que Jacques Doriot répond aux vœux qui lui ont été adressés pour l’année 1945 par l’un de ses amis. Il lui annonce qu’il a pris la tête d’un « Comité de libération française », le 6 janvier 1945. Le maréchal Pétain refusant obstiné-ment d’assumer ses fonctions, Joachim von Ribbentrop, ministre des Affaires étrangères du Reich, a en effet donné à Jacques Doriot son accord pour créer ce comité explicitement inspiré du (contre-) modèle gaullien. Dans sa petite île de Mainau, il a déjà mis en place un mouvement structuré et très organisé, avec son journal (Le Petit Parisien avec toujours Claude Jeantet, assisté de Pierre-Antoine Cousteau et André Algarron) et sa radio (Radio-Patrie avec Jean Hérold-Paquis), formant même des parachutistes à des actions en France libérée.Il lui reste à convaincre Marcel Déat, chef du Rassemblement national populaire, et Joseph Darnand. Les affaires semblent bien enga-gées et il doit rencontrer, le 22 février, le chef du RNP à Mengen, sur ses propres terres, au siège du PPF, puis se rendre à Sigmaringen afin de rejoindre Joseph Darnand, avec Marcel Déat. Mais, sur la route de Mengen, il meurt sous les balles de deux avions alliés, au hasard sans doute d’une mission en territoire allemand.

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Compte rendu des réunions dites des « protocoles de Pa-ris », négociations pour l’utilisation par les Allemands des bases aériennes et navales françaises en Afrique du Nord et en Syrie, mai 1941 (item 4)Archives nationales, 3W/110 dossier de Fernand de Brinon devant la Haute cour de justice© Archives nationales / Pierre Grand

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21Le bureau du maréchal PétainTexte du projet de loi portant sur le statut des Juifs annoté de la main du maréchal Pétain, octobre 1940La loi du 3 octobre 1940 édicte le premier statut des Juifs établi par les autorités fran-çaises, tandis que les autorités allemandes ont défini, dans l’ordonnance du 27 septembre 1940, le premier statut allemand des Juifs en zone occupée. Ce statut français, qui parle de « race », leur interdit les fonctions publiques de commandement et limite l’accès pour les autres. Il vise également les professions cen-sées influencer l’opinion publique, dont les médias. On y annonce même des quotas dans les professions libérales. Le maréchal Pétain annote et modifie le projet de texte du garde des Sceaux, Raphaël Alibert, en élargissant les professions interdites aux Juifs dans le domaine de la justice et de l’enseignement. Il barre d’un trait de crayon l’alinéa qui prévoyait d’épargner « les descendants de juifs nés fran-çais ou naturalisés avant 1860 ». Ce document est très proche du texte définitif du 3 octobre 1940, la grande majorité des annotations ayant été intégrées dans la version définitive publiée au Journal officiel le 18 octobre 1940.La mesure n’est pas isolée puisque le lende-main, le 4 octobre, une loi permet l’interne-ment des Juifs étrangers pour la seule raison qu’ils sont Juifs et étrangers, tandis que le 7 est aboli le décret Crémieux qui avait permis la naturalisation des Juifs d’Algérie après la guerre de 1870. Le statut s’inscrit parfaite-ment dans la logique d’exclusion développée par le régime de Vichy.

Le séquestre des biens de Philippe PétainLe 20 août 1944, peu après le départ de Philippe Pétain pour Sigmaringen et alors qu’il n’est pas encore condamné à la confisca-tion de ses biens (15 août 1945), les premières mesures confiscatoires sont prises sur ordre du secrétariat général du Gouvernement pro-visoire de la République française. Provenant de l’hôtel du Parc et du château de Charmeil,

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sa résidence d’été, les objets sont répartis en deux inventaires : les biens personnels et les cadeaux officiels. Deux cent cinquante caisses sont déposées par l’administration des domaines au Mobilier national en janvier 1945. L’appartement personnel de l’ancien chef de l’État français est l’objet d’un autre inventaire notarié. Le 10 décembre 1946, une partie des biens de l’appartement est dispersée anony-mement en salle des ventes. En 1947, les lots qui n’ont pas été vendus compte tenu de leur caractère symbolique et ceux provisoirement stockés au Mobilier national sont rassemblés au Palmarium du jardin d’acclimatation du bois de Boulogne. Le 12 février 1947, un nouvel inventaire du séquestre répartit les objets en trois catégories : les biens patrimoniaux, ceux qui peuvent être aliénés et ceux qui, pour des raisons politiques, doivent être gardés par l’État.En 1949, les biens patrimoniaux sont déposés dans diverses institutions : la Bibliothèque de documentation internationale contempo-raine (BDIC), le musée de l’Armée, le musée du conservatoire national des Arts et Métiers et la manufacture de Sèvres. Les biens alié-nables devaient être vendus anonymement le 19 mai 1949, mais l’État renonce finalement à cette solution et conserve désormais 1 293 lots, qui sont déménagés quatre fois entre juillet 1949 et 1965. La question du séquestre Pétain resurgit en 2003. Le 1er juillet 2004, sous couvert de la Direction de la mémoire du patrimoine et des archives (DMPA) du minis-tère de la Défense, le Service historique de la défense collecte 52 caisses de livres et d’ar-chives dont une partie est ensuite rétrocédée en 2007 aux Archives nationales. Le musée de l’Armée en reçoit 52 autres qui ne lui sont toutefois ni affectées ni même déposées à proprement parler. À la fin de l’année 2012, la DMPA entreprend une étude des archives du séquestre conservées au Service historique de la défense, permettant d’en dresser un inven-taire. En janvier 2014, la manufacture natio-nale de Sèvres reprend les pièces provenant de ses ateliers. En juin 2014 enfin, le musée de l’Armée présente à la commission scientifique

compétente pour les acquisitions des musées de la Défense un choix des objets qui pourront être inscrits à l’inventaire de ses collections. Quant aux autres biens du séquestre, ils ont été proposés à diverses institutions patrimo-niales ou sont destinés à rejoindre les collec-tions du ministère de la Défense.C’est la première fois que plusieurs objets issus de ce séquestre sont présentés dans une exposition à caractère historique.

22Acte  constitutionnel  numéro 2  portant  la signaturedu maréchal Pétain, 11 juillet 1940Promulgué au lendemain du vote des députés et sénateurs attribuant au maréchal Pétain les pleins pouvoirs, l’acte constitutionnel n° 2 du 11 juillet 1940 fixe les pouvoirs du chef de l’État français. Il complète l’acte constitutionnel n° 1 du même jour déclarant le maréchal Pétain chef de l’État et abrogeant l’article 2 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 qui éta-blissait le principe de l’élection du président de la République par l’Assemblée nationale. Il lui attribue la « plénitude du pouvoir gouver-nemental » et concentre tous les pouvoirs exé-cutif et législatif entre ses mains, abrogeant les dispositions constitutionnelles contraires. Cet acte signe la mise en place d’un pouvoir autoritaire.Le régime peut s’appuyer sur des garants de son autorité : lors de la cérémonie de pres-tation de serment de fidélité des préfets au maréchal Pétain qui a lieu le 19 février 1942, il leur est rappelé qu’ils doivent être « les guides politiques de l’opinion, les chefs intellectuels et moraux de leurs administrés : en un mot, ils ont le devoir d’accéder à un rôle – dans toute l’acception du terme – de véritables chefs spirituels ».

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23La Révolution nationaleLes fondements idéologiques de l’État fran-çais s’inscrivent dans la tradition de l’extrême droite française. Outre l’exclusion des préten-dus responsables de la défaite (le commu-niste, le Juif, le franc-maçon), il faut rassem-bler les éléments dits purs autour des valeurs traditionnelles : le travail, la famille, la patrie, la piété et l’ordre. La Révolution nationale, qui prône la transformation des institutions et des mentalités, célèbre les figures positives : le paysan, porteur des valeurs éternelles de la France et associé à la thématique du retour à la terre ; l’Ancien combattant, non pour la revanche, mais pour la reconstruction et le devoir d’obéissance absolue au Chef, le héros de Verdun ; la femme au foyer qui élève les enfants, l’avenir d’une France à reconstruire ; le préfet, le magistrat et les forces de l’ordre, qui sont les garants de l’autorité ; l’homme d’Église, constamment présent, rappelant la centralité de la piété dans la nouvelle hié-rarchie des valeurs et le nécessaire soutien d’une Église catholique qui se retrouve dans les valeurs du nouveau régime et se satisfait de la mise en cause (même provisoire) de la séparation entre l’Église et l’État.

24Le culte du maréchalSculptures, figurines, images d’Épinal, por-traits, bandes dessinées, coloriages : la figure du Chef est déclinée partout et sur tous les supports. Au cœur de l’idéologie vichyste se trouve l’image du Chef, pierre angulaire de l’édifice, le sauveur qui garantit la continuité et la cohésion nationales. La population exprime sa ferveur à travers les cadeaux adressés spontanément au maréchal, fruits des efforts des enfants des écoles, d’artisans ou encore d’associations et groupements divers. Les voyages du maréchal scandent le culte du Chef. Entre 1940 et 1942 surtout, le maréchal Pétain vise ainsi à tisser un lien personnel et direct avec la population. Il veut aussi faire partager

l’illusion d’une France toujours présente, unie, vivante, la foule communiant dans une forme de patriotisme minimal. Avec des thématiques qui peuvent varier, il suit un rituel constant : il passe à la préfecture, au monument aux morts, à l’hôpital et à la cathédrale.

25La FrancisqueL’ordre de la Francisque gallique est créé en mai 1941. Le candidat, homme ou femme, doit avoir deux parrains eux-mêmes membres de l’ordre, « présenter des garanties morales incontestées », avoir pratiqué [avant la guerre] « une action politique nationale et sociale, et conforme aux principes de la Révolution nationale, manifester depuis la guerre un attachement actif à l’œuvre et à la personne du maréchal, avoir de brillants états de ser-vices militaires ou civiques ». Il doit prêter le serment de faire don de sa personne au maréchal Pétain « comme il a fait don de la sienne à la France ». La distinction est attri-buée soit directement par le chef de l’État, soit par le Conseil de la Francisque. Elle peut être révoquée. En juillet 1944, l’ordre compte 2 626 titulaires. Bien qu’étant l’insigne du maréchal Pétain à titre personnel, la francisque est pro-gressivement utilisée sur les documents offi-ciels comme symbole de l’État français.

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Quelques heures avant l’entrevue de Montoire, le 24 oc-tobre 1940, le maréchal Pétain, Pierre Laval et Otto Abetz à la préfecture de Tours.© Archives nationales / Rémi Champseit et Jean-Yves Le Ridant

Voyage du maréchal Pétain à Clermont-Ferrand, mars 1942 : les anciens combattantsArchives nationales, F/7/16962 © Archives nationales / Carole Bauer

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26La  délégation  générale  dans  les  territoires occupés et le rôle de Fernand de BrinonAvocat, journaliste et homme politique, Fernand de Brinon (1885-1947) est partisan, dans les années vingt, d’une entente pacifique et durable entre la France et l’Allemagne. Il publie en novembre 1933, dans Le Matin, la première interview d’Adolf Hitler accordée à un journaliste français. Proche de Ribbentrop, il rencontre le Führer à plusieurs reprises entre 1935 et 1937. Il fonde en 1935 le Comité France-Allemagne avec Otto Abetz. Fervent défenseur de la col-laboration avec l’Allemagne, il est nommé, le 5 novembre 1940, ambassadeur de France auprès des autorités allemandes, puis, après les événements du 13 décembre 1940, délé-gué général du gouvernement français dans les territoires occupés. La DGTO devient ainsi une instance très politique, alors que les ques-tions techniques liées au suivi des conditions d’armistice sont discutées à Wiesbaden par la Délégation française auprès de la Commission allemande d’armistice.Jusqu’à la fin de l’Occupation, Fernand de Brinon fait de la DGTO un haut lieu de la Collaboration, au point que l’on peut se demander, malgré sa lettre de mission du 20 décembre 1940 signée du maréchal, de qui il est le représentant. À plusieurs reprises, son action montre qu’il partage, avant tout, les intérêts défendus par l’ambassade d’Allemagne. Après le rappel de Pierre Laval en avril 1942, Fernand de Brinon devient par ailleurs secrétaire d’État auprès du chef du gouvernement. Réfugié à Sigmaringen en août 1944, il préside jusqu’à la fin du mois d’avril 1945 la commission gouvernemen-tale faisant office de gouvernement en exil. Il se rend aux Américains le 8 mai 1945, après avoir tenté de gagner l’Espagne. Il est jugé et condamné à mort par la Haute Cour de justice en mars 1947, puis exécuté le 15 avril 1947 au fort de Montrouge.

27Le bureau de Jacques DoriotJacques Doriot (1898-1945) entame sa carrière politique au sein du Parti communiste. Élu député de Saint-Denis en 1924, puis maire de cette ville, il est exclu du parti en 1934. Jacques Doriot évolue vers des positions fascistes, et fonde, en juin 1936, avec d’autres anciens membres du Parti communiste, des néo-so-cialistes, des membres des ligues nationa-listes récemment dissoutes et de l’Action fran-çaise, le Parti populaire français qui s’oppose au gouvernement du Front populaire. Partisan radical de la collaboration avec l’Allemagne nazie, il participe à la création de la Légion des volontaires français contre le bolchevisme et s’engage personnellement dans les combats sur le front russe sous l’uniforme de lieutenant de l’armée allemande. Réfugié en Allemagne à l’été 1944, il fonde le 6 janvier 1945 le Comité de libération française, avant d’être tué, sans doute par deux avions alliés, le 22 février 1945.

28-29Le Parti populaire français au travail :organisation et propagandeSous l’Occupation, le Parti populaire français, fondé en juin 1936, est par le nombre de ses militants le premier parti collaborationniste. Ses effectifs comptent environ 40 000 adhé-rents. Selon les chiffres du PPF, un peu plus de 40 % des délégués présents au « congrès du pouvoir » n’avaient jamais été encartés à un parti politique avant de s’engager avec Jacques Doriot. Plus de 25 % étaient issus de l’extrême droite, 22 % du PCF et 10 % de la SFIO et du centre gauche. Au total, le PPF

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Joseph Darnand, secrétaire d’État à l’Intérieur, lors d’une prise d’armes de la Milice dans la cour des Invalides, juillet 1944. À droite, Helmut Knochen le n° 2 de la police allemande en France occupée © LAPI / Roger-Viollet

Jacques Doriot lors de la séance d’ouverture du congrès du Parti populaire français au cinémaGaumont-Palace, 4 novembre 1942 Archives nationales, Z/6/1015 scellés de l’agence Trampus© Archives nationales / Nicolas Dion

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recrutait surtout à droite, beaucoup chez les jeunes citadins, les ouvriers métallurgistes (au moins 20 %) et du bâtiment (10 %), les commerçants-artisans (près de 10 %) et les fonctionnaires issus des classes moyennes (15 %).La création des Gardes françaises du PPF en 1943-1944, traduisant la volonté du parti de se militariser et de renforcer la protection de ses membres, est un échec. Les Groupes d’action pour la justice sociale, qui doivent à partir de 1944 faire la chasse aux réfractaires au service du travail obligatoire, finissent par travailler au profit des services de sécurité allemands.La propagande du parti s’appuie, outre sur la revue L’Émancipation nationale et le quotidien Le Cri du peuple fondé en octobre 1940, sur de fréquentes réunions publiques et la diffusion de tracts et brochures.

30Journal de Marcel DéatNormalien, journaliste et intellectuel, Marcel Déat (1894-1955) adhère en 1914 à la SFIO, dont il devient en 1926 député. Il est exclu du parti en 1933 en raison de ses doctrines de plus en plus autoritaires et de son sou-tien au gouvernement d’Édouard Daladier. Il participe en novembre 1933 à la fondation du Parti socialiste de France et devient le chef de file des « néo-socialistes ». Ses positions fermement pacifistes le conduisent à approu-ver en juin 1940 la demande d’armistice du maréchal Pétain. Marcel Déat est l’allié politique de Pierre Laval et il cherche dans un premier temps à unifier les mouvements collaborateurs de zone nord pour fonder un parti unique sur le modèle du parti nazi. Après l’échec de cette tentative, il s’éloigne du gouvernement de Vichy, qu’il juge trop timide, pour se rapprocher des Allemands. Avec l’aide d’Otto Abetz, il crée en février 1941 le Rassemblement national populaire prônant un régime fasciste et totalitaire.Outre ses éditoriaux dans L’Œuvre, Marcel Déat tient, du 7 novembre 1939 au 18 avril 1945, un journal quotidien, prenant des notes qui sont

ensuite dactylographiées pour constituer dix volumes. Saisi par les Renseignements géné-raux en 1945, ce journal, inédit dans sa ver-sion intégrale, est conservé depuis 1974 aux Archives nationales.

31Les publications de propagande du Rassemblement national populaireSoutenu par le quotidien de Marcel Déat, L’Œuvre, le Rassemblement national populaire publie un hebdomadaire militant, Le National populaire. Le RNP est la réunion des soutiens de Déat, venus de la gauche, de l’Union natio-nale des combattants de Jean Goy (la plus grande des associations d’anciens « poilus » de la Grande Guerre) et du Mouvement social révolutionnaire (MSR) d’Eugène Deloncle et de ses cagoulards, fondé en octobre 1940. La fusion initiale avec le Mouvement social révo-lutionnaire d’Eugène Deloncle, voulue par les Allemands, est un échec qui prend fin en octobre 1941. Le MSR quitte le mouvement, restructuré autour des proches de Déat.À son apogée en 1942, le RNP compte 20 000 à 30 000 membres dont une faible part seule-ment est réellement active. Les Jeunesses nationales populaires regroupent environ 2 500 adhérents dans toute la France. Dans son uniforme, ses chants et sa rhétorique, le parti use de références au socialisme. Le Front social du travail, créé en 1942, consti-tue le syndicat du RNP dans les entreprises, tandis que l’Union de l’enseignement cherche en vain à fédérer les enseignants, et le Centre paysan, le monde agricole. La Ligue de la pensée française relaie enfin les idées du RNP dans les milieux intellectuels pacifistes et laïcs, tout en regrettant l’alignement du parti sur le parti nazi.

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32La nébuleuse des partis collaborationnistesAprès le Parti populaire français et le Rassemblement national populaire, le Parti franciste de Marcel Bucard constitue le troi-sième parti collaborationniste d’importance. D’un effectif plus restreint, sans doute moins de 5 000 adhérents, principalement recrutés dans la petite bourgeoisie et chez les mar-ginaux, il est, dès l’avant-guerre, un parti fasciste copié sur le modèle italien, prônant le culte d’un chef ligueur et héros de 14-18. La fidélité au maréchal Pétain, le refus d’une « collaboration bêlante » comme le dit Marcel Bucard lors d’un meeting en octobre 1941, en espérant souligner sa différence, complètent pendant la guerre sa ligne politique.À côté de ces trois structures existe toute une nébuleuse de partis et mouvements d’am-pleur plus ou moins modeste : le Parti fran-çais national-collectiviste de Pierre Clémenti (ex-Parti français national-communiste), le Front franc fondé en 1936 par Jean Boissel, la Ligue française d’épuration, d’entraide sociale et de collaboration européenne de Pierre Costantini, ou encore le groupus-cule Le Feu de Maurice Delaunay, un ancien député modéré. Créés ou relancés aux pre-mières heures de l’Occupation, ces partis col-laborationnistes sont trop petits pour naître et exister sans le financement de l’ambassade d’Allemagne, qui paie et maîtrise du même coup leur propagande. Créés par et autour de chefs à qui les militants vouent un culte, ils diffusent les mots d’ordre extrémistes du collaborationnisme parisien.

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34L’exposition Le bolchevisme contre l’EuropeL’exposition Le bolchevisme contre l’Europe est inaugurée le 1er mars 1942 à la salle Wagram, à Paris, par Fernand de Brinon, accompagné de Paul Marion, secrétaire général à l’Infor-mation et à la Propagande, et Rudolf Schleier, de l’ambassade d’Allemagne. Sur le toit de la salle Wagram a été installée une statue repré-sentant un couple brandissant la faucille et le marteau, caricature de celle du pavillon de l’URSS à l’exposition universelle de Paris en 1937. L’exposition est organisée par le Comité d’action antibolchevique de Paul Chack, créé à l’été 1941 pour lutter contre le communisme, par la diffusion de tracts, brochures et livres. Elle est financée par la Propaganda-Staffel (bureau de propagande allemande). De mars à juin 1942, 370 000 visiteurs se pressent salle Wagram ; d’autres la verront ensuite, et cela jusqu’en juin 1944, à Lyon, Marseille, Bordeaux, Lille ou Toulouse. Ils ont pu décou-vrir des panneaux édifiants et des reconsti-tutions ironiques du « paradis soviétique ». L’URSS et le communisme sont l’ennemi pre-mier des « ultras » parisiens.

36L’exposition Le Juif et la France« Jamais le Juif n’a pu, ne peut et ne pourra s’assimiler aux autres peuples » : tel est le message principal de l’exposition Le Juif et la France, inaugurée le 5 septembre 1941 au palais Berlitz, à Paris, servie par la scé-nographie moderne et variée (textes, mou-lages, fresques, tableaux, etc.) du graphiste Cerutti. René Péron, célèbre affichiste de cinéma, signe celle de l’exposition et réalise la sculpture phare de la pièce principale, bap-tisée « Monument de l’aryanité terrassant le judaïsme ». Jusqu’à la clôture de l’exposition, en janvier 1942, une salle de cinéma projette les deux documentaires confiés à Robert Muzard : Les Corrupteurs et Le Péril juif qui est la version française du film allemand, Le Juif

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Inauguration de l’exposition Le bolchevisme contre l’Eu-rope, 1er mars 1942 : l’entrée de la salle WagramArchives nationales, 11AR/789, cliché 13237© Archives nationales / Alain Berry

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éternel, tourné en 1939 par l’équipe de Leni Riefenstahl.Le projet a été préparé par l’Institut d’études des questions juives à la demande des ser-vices de la Sipo-SD et de l’ambassade d’Al-lemagne. Une grande partie du matériel de l’exposition provient d’ailleurs de l’exposition nazie Le Juif éternel. Les visiteurs découvrent une immense galerie de plusieurs centaines de portraits, de Français ou d’étrangers, célèbres ou évocateurs (d’une situation, d’une profession…), le plus souvent grossièrement caricaturaux, accompagnés de commentaires explicites : « Bouche charnue et ouverte, lèvres épaisses, oreille large, massive et décollée, nez fortement convexe, mou et à larges ailes, traits mous ». Plusieurs portraits de l’exposition, ou la brochure Une histoire vraie incitant le public à venir, reprennent enfin la traditionnelle représentation du riche capitaliste, bagues aux doigts et cigare à la bouche, datant du XIXe siècle. Plus de 250 000 visiteurs découvrent cette exposition qui est présentée ensuite à Bordeaux et à Nancy jusqu’à l’été 1942, pour près de 100 000 entrées supplémentaires.

38L’Institut d’étude des questions juives (IEQJ)L’Institut d’études des questions juives est officiellement inauguré le 11 mai 1941, avec le soutien de la Propaganda-Staffel (bureau de propagande allemande). Situé à Paris, 21 rue de La Boétie, dans un immeuble réquisitionné appartenant à Paul Rosenberg, l’IEQJ est un organisme privé directement contrôlé et financé par les services allemands (le service d’information de l’ambassade d’Allemagne et Theodor Dannecker, chef à Paris de la sec-tion IV-J de la Gestapo chargé de la « question juive »), sans lien formel avec le gouvernement de Vichy. Son secrétariat général est assuré jusqu’en 1942 par le capitaine Paul Sézille, auquel succède le journaliste René Gérard. Sa principale activité est la diffusion de pro-pagande antisémite, comme cette brochure Le

Chancre qui a rongé la France, et la publication de la revue Le Cahier jaune de novembre 1941 à février 1943, dirigée par André Chaumet.L’IEQJ publie aussi la revue La Question juive en France et dans le monde, patronne l’ex-position Le Juif et la France, et produit les deux documentaires antisémites français les plus violents, Le Péril juif et Les Corrupteurs. Dissous en 1942, il est remplacé en mars 1943 par l’Institut d’études des questions juives et ethnoraciales (IEQJR) confié au professeur Georges Montandon, un ethnologue suisse raciste.

39EnemDessinateur prolifique du journal Au Pilori, Enem publie fréquemment et durant toute la guerre des caricatures radicalement anti-sémites. Il en prépare une édition en recueil. Son sort à la Libération demeure inconnu, à l’instar des autres caricaturistes du journal, comme Seyssel, Dassier et Pilo.

40Ralph SoupaultRaphaël Soupault, dit Ralph Soupault (1904-1962), publie sa première caricature dans L’Humanité en 1921. Après son rapprochement avec le courant maurassien, il collabore aux publications nationalistes L’Action française, Le Charivari, et aux revues satiriques Gringoire et Le Rire. Il se rallie au Parti populaire français avant la guerre et devient le dessinateur le plus en vue du journal Je suis partout. Dans ses dessins, il prend violemment pour cible tous les ennemis de la collaboration : les Juifs, les francs-maçons, les communistes, les hommes de la IIIe République, les Alliés, les gaullistes et les résistants. Condamné le 31 janvier 1947 à quinze ans de travaux forcés par la cour de justice de la Seine, libéré en 1950 pour raisons de santé, il reprend son activité de dessinateur dans le journal Rivarol.

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41Boîte du fichier du recensement des Juifs de 1940 par la préfecture de police de ParisLa première ordonnance allemande du 27 sep-tembre 1940 portant statut des Juifs impose aux Juifs de la zone nord, français ou étran-gers, de se faire recenser avant le 20 octobre dans les commissariats de police. Chaque chef de famille établit une déclaration valable pour toute la famille. Pour le département de la Seine, les informations centralisées à la pré-fecture de police sont compilées sur des fiches individuelles orange pour les Juifs étrangers, bleues pour les Juifs français, et des fiches familiales beiges pour les Juifs étrangers, bleues pour les Juifs français. Ce fichier, dit « fichier Tulard », du nom du fonctionnaire de la préfecture de police qui l’a créé, comprend en outre un fichier par nationalité, un fichier par domicile et un fichier par profession. Les déclarations donnent aussi lieu à l’ouverture d’un « dossier juif » par personne. Le fichier de la Seine sert de modèle pour les autres départements. Il est utilisé pour des contrôles réguliers et les rafles.Après la fin des travaux de la cour de justice et des tribunaux militaires, le fichier est en partie détruit en 1948 et 1949. 60 000 des 150 000 fiches initiales, incluant également des fichiers de la zone sud et des fichiers de 1940, 1941 et 1942, conservées parce qu’elles permettaient aux familles des disparus de demander des renseignements, ou de faire valoir des droits à réparation, sont redécouvertes en 1991 dans les archives du secrétariat d’État aux Anciens combattants. Ces fichiers, versés aux Archives nationales, sont déposés au Mémorial de la Shoah.

42Carte d’identité au nom de Dina Rubinsztein, Aurillac (Cantal), portant le tampon « Juif », 23 mai 1944En zone nord, le recensement d’octobre 1940 est rapidement utilisé pour le marquage des papiers d’identité par un cachet rouge « Juif » ou « Juive ». Cette mesure est complétée et renforcée par la huitième ordonnance alle-mande du 29 mai 1942, entrant en vigueur le 7 juin 1942 et imposant à tous les Juifs âgés de plus de six ans de porter en public sur le côté gauche de la poitrine une étoile jaune en tissu marquée de l’inscription « Juif ». En zone sud, le gouvernement de Vichy ne donne pas suite à cette obligation, mais prend l’initiative, par la loi du 11 décembre 1942, d’ordonner pour les Juifs français et étrangers l’apposition de la mention « Juif » sur les cartes d’identité et les cartes de rationnement. Des contrôles sont effectués à l’aide des listes de recensement établies en application du deuxième statut des Juifs du 2 juin 1941.

43La Section d’enquêtes et de contrôle du Commissariat général aux questions juivesLe Commissariat général aux questions juives (CGQJ) est créé par la loi du 23 mars 1941. Il est chargé de préparer et proposer au chef de l’État toutes les mesures législatives concer-nant les Juifs, de fixer les dates de liquidation des biens juifs, de désigner les administra-teurs séquestres et de contrôler leur activité. Le CGQJ incarne la dimension administrative et juridique de l’antisémitisme français. Dirigé par Xavier Vallat, premier commissaire général aux questions juives, le CGQJ s’installe place des Petits-Pères, dans les locaux aryanisés de l’entreprise juive Louis-Dreyfus et Cie, et dis-pose également de locaux à Vichy. Il compte jusqu’à 1 200 employés, la plupart à Paris. En mai 1942, sous la pression des Allemands, Xavier Vallat est remplacé par Louis Darquier de Pellepoix, antisémite virulent et beaucoup plus pro-allemand.

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La Police des questions juives (PQJ) qui dépend dans un premier temps du CGQJ, est ratta-chée en janvier 1942 au secrétariat général à la police. Après les dérives de ses membres durant l’été 1942 et le rappel à l’ordre de son chef par René Bousquet, la PQJ devient en août 1942 les Sections d’enquête et de contrôle du CGQJ dont elles sont le bras armé, sorte de 2e Bureau multipliant les enquêtes person-nelles pour nourrir la machine à interner et à déporter.Le rapport de Jacques Schweblin, directeur des Sections d’enquête et de contrôle (SEC) de zone nord, adressé au CGQJ, illustre le tout-venant de l’action des SEC chargées, alors, d’enquêtes préalables visant les Juifs, mais aussi de leur arrestation. Il dit tout aussi, dans l’en-tête même, de la sourde bataille qui s’est déroulée au sommet de l’État. Les ratures signent l’ancienne tutelle : minis-tère de l’Intérieur, Direction générale de la police nationale, quand les SEC étaient Police des questions juives dirigée par le même Schweblin. Le début est tout aussi signifiant quand est évoquée « La juive ISRAEL ». Dans une note interne de septembre 1942, Darquier de Pellepoix a en effet exigé qu’on ne donne plus du « Monsieur » ou du « Madame, mais de « Le juif » ou « La juive » car, écrit-il, « un juif doit être appelé un juif ».En 1944, Louis Darquier de Pellepoix est ren-voyé et remplacé par un nouveau commissaire, Charles du Paty de Clam, peu actif. Dans les tout derniers mois de l’Occupation, le secrétaire général du Commissariat, Joseph Antignac, lui succède. Le CGQJ est officiellement fermé fin août 1944, ses biens mis sous séquestre et sont confiés au ministère des Finances qui crée, le 1er janvier 1945, le Service de restitution des biens des victimes des lois et mesures de spoliation.

44L’aryanisation économique des biens juifsLe 19 juin 1941, en accord avec les Allemands qui ont initié l’aryanisation des biens juifs, un décret intègre le Service du contrôle des administrateurs provisoires (SCAP), créé en décembre 1940, au CGQJ. Ce dernier est doré-navant officiellement chargé du contrôle du processus d’aryanisation. Le 22 juillet 1941, une loi étend l’aryanisation à la zone non occu-pée où une nouvelle Direction de l’aryanisation économique (DAE) est mise en place pour être l’interlocutrice d’Allemands affichant leur souhait de contrôler partout le processus. Une fois nommé nouveau CGQJ en mai 1942, Louis Darquier de Pellepoix décide la fusion du SCAP et de la DAE au sein de son administration.D’abord mise en œuvre par les autorités alle-mandes, l’aryanisation des biens juifs repré-sente, à partir de 1941, l’activité majeure du CGQJ. Il s’agit d’« éliminer l’influence juive » de l’économie française par la vente à des pro-priétaires « aryens » ou par la liquidation des entreprises, des commerces et immeubles appartenant à des personnes considérées comme juives. Outre les décideurs gouver-nementaux, les fonctionnaires des services du CGQJ et ceux des préfectures, plusieurs acteurs jouent un rôle essentiel dans le pro-cessus d’aryanisation : évidemment les admi-nistrateurs provisoires – dont beaucoup furent zélés – et les acquéreurs des biens spoliés – très majoritairement attirés par des biens achetés souvent en dessous de leur valeur –, mais aussi les notaires, les responsables des chambres de commerce ou ceux des Comités d’organisation. Les affiches signalant les ventes aux enchères de biens juifs rappellent très régulièrement la réalité de la persécution. Près de 50 000 procédures d’aryanisation ont été menées en France, pour un montant de cinq milliards de francs.Les archives du CGQJ contiennent 62 000 dossiers d’aryanisation constitués pendant la guerre et clos par le Service de restitution des biens créé en 1945. Le premier docu-ment du dossier est généralement l’arrêté de

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Première grande rafle de Juifs à Paris, 14 mai 1941Photographie retouchée par la censure allemandeArchives nationales, Z/6/1015 scellés de l’agence Trampus© Archives nationales / Alain Berry

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nomination de l’administrateur provisoire, qui procède à la vente ou à la liquidation du bien. Outre les rapports de l’administrateur provi-soire, le dossier comprend les actes relatifs à l’aryanisation, puis des documents du Service de restitution. Il ne comporte pas toujours d’in-formation sur la revendication ou la restitution du bien à la Libération.

45La rafle dite du billet vert, printemps 1941En mai 1941, la police française adresse à 6 694 Juifs étrangers de la région pari-sienne âgés de 18 à 60 ans une convocation pour « examen de situation », - un billet vert –, les enjoignant de se rendre le 14 mai 1941 dans divers lieux de rassemblement, accompagnés d’un membre de leur famille ou d’un ami. Plus de 3 700 d’entre eux, en majo-rité des Polonais, se rendent à la convocation et sont immédiatement arrêtés. Ils partent le jour même par quatre trains spéciaux de la

gare d’Austerlitz vers les camps d’internement sous administration française de Pithiviers et Beaune-la-Rolande, dans le Loiret. La plupart seront déportés lors des premiers convois de l’été 1942 et assassinés à Auschwitz-Birkenau. La rafle dite du billet vert est la pre-mière grande rafle de Juifs effectuée en zone occupée.

46Les expositions antimaçonniquesEn octobre 1940 s’ouvre au Petit Palais, à Paris, l’exposition gratuite La Franc-maçonnerie dévoilée, conçue pour démontrer les dangers du « complot maçonnique », une des causes de la guerre. Organisée par Jacques de Lesdain, directeur de L’Illustration, elle est cofinancée par le gouvernement de Vichy et les Allemands. Les textes sont l’œuvre de Jean Marquès-Rivière, maçon renégat devenu anti-maçon forcené, auteur de nombreux livres sur le sujet et scénariste du film Forces occultes, de Paul

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Riche (pseudonyme de Jean Mamy), qui sort en 1943. Les visiteurs de l’exposition découvrent notamment un cabinet de réflexion, orné d’un squelette censé inspirer le profane avant l’ini-tiation. Les organisateurs annoncent un mil-lion de visiteurs en octobre-novembre 1940. L’exposition est ensuite présentée à Bordeaux, à Lille, à Rouen et à Nancy, et enfin à Berlin en 1942.

47La politique antimaçonnique de VichyBernard Faÿ (1893-1978) mène une brillante carrière universitaire, comme professeur au Collège de France et à l’étranger, avant de devenir, le 6 août 1940, administrateur géné-ral de la Bibliothèque nationale, en remplace-ment de Julien Cain destitué de ses fonctions par le gouvernement de Vichy. Bernard Faÿ, qui souhaite faire de la Bibliothèque nationale un fer de lance du redressement national, s’engage par ailleurs activement dans la poli-tique antimaçonnique. Il est nommé le 27 août 1940 directeur du « Musée des sociétés secrètes » installé dans l’immeuble du Grand Orient saisi. Il mène avec son service une lutte acharnée contre les francs-maçons, pillant les loges, saisissant leurs biens et leurs archives, en zone nord comme en zone sud, avec l’aide de la police française, mais aussi de la police allemande dirigée par l’Untersturmführer August Moritz. Condamné le 5 décembre 1946 aux travaux forcés à perpétuité et à l’indignité nationale, Bernard Faÿ parvient à gagner la Suisse en 1951. Il est grâcié en 1959.

48Les  actions  antimaçonniques  avec  les AllemandsLa lutte contre la franc-maçonnerie s’effec-tue en étroite liaison avec les Allemands. Le secrétaire de Bernard Faÿ, William Gueydan (dit) de Roussel, est rapidement chargé de mener une délégation allemande en zone sud pour récupérer la documentation maçonnique. Comme le montrent ses notes personnelles, le 8 octobre 1940 la délégation est reçue par Pierre Laval, qui « ouvre ses portes ». Le len-demain, Marcel Peyrouton, le ministre de l’In-térieur, signe un ordre de mission.Un service français des sociétés secrètes est mis en place dans les deux zones pour, notamment, constituer un immense fichier des francs-maçons et élaborer des milliers de listes mises à la disposition des Allemands.Comme l’avance le rapport de la Sipo-SD, Bernard Faÿ élabore directement avec les Allemands le texte de la deuxième grande loi antimaçonnique, datée du 11 août 1941, encore plus radicale que la précédente, et qui décrète la publication au Journal officiel des noms et rangs de tous les dignitaires de la franc-maçonnerie.

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Quartier juif du Marais pendant l’occupation allemande, rue Pavée. À droite un magasin portant une affichette “Jüdisches Geschäft - entreprise juive” à côté de laquelle on distingue le portrait du maréchal Pétain, 1940Paris, Mémorial de la Shoah, MIII-396© Mémorial de la Shoah / CDJC

Exposition antimaçonnique : affichage à RouenArchives nationales, Z/6/1898 scellés du service des socié-tés secrètes© Archives nationales / Rémi Champseit

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49Été 1941. Création des sections spéciales21 août 1941, à la station de métro Barbès, Pierre Georges – connu plus tard sous le nom du colonel Fabien – abat l’aspirant de marine allemand Alfons Moser. Ce geste, éminem-ment symbolique en plein Paris, concrétise l’engagement du Parti communiste français dans la lutte armée. Il signe aussi la répres-sion immédiate des autorités d’Occupation qui s’engagent dans une politique d’éxécution d’otages dont les trois premiers seront abat-tus dès le 6 septembre au Mont-Valérien. Mais le commandement militaire allemand exige aussi une réaction du gouvernement de Vichy.Le 23 août 1941 paraît ainsi au Journal officiel une loi antidatée du 14 août (mais envisagée par Vichy depuis des semaines) instituant une nouvelle juridiction d’exception, les sections spéciales. Placées auprès de chaque tribunal militaire ou maritime, ou auprès d’une section de la cour d’appel, elles sont chargées de juger, directement et sans instruction préalable, les individus arrêtés en flagrant délit d’infraction pénale résultant d’une activité communiste ou anarchiste. Instruments d’une justice expé-ditive et rétroactive, les sections spéciales prononcent des jugements exécutoires immé-diatement, sans aucune possibilité de recours ou de pourvoi en cassation, et visent des actes « même s’ils sont antérieurs à la promulgation [de la loi] » comme le prescrit son article 10.Le 26 août 1941 est installée, au cours d’une courte cérémonie, la première des sections spéciales auprès de la cour d’appel de Paris. Elle tient sa première audience dès 9 heures le lendemain matin, examinant le cas de six dirigeants communistes dont trois seront condamnés à mort et guillotinés le surlende-main, 28 août. Il s’agit d’Émile Bastard, d’An-dré Bréchet et d’Abraham Trzebucki.

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50Printemps 1942. Opération « Donar »Dès le printemps 1942, les services alle-mands cherchent à atteindre les groupes de Résistance installés en zone sud. Ils sont en cela aidés par Pierre Laval qui, à peine revenu au pouvoir le 18 avril 1942 comme chef du gouvernement, fait savoir qu’il ne s’opposera pas à une opération de repérage des émet-teurs clandestins.Le modus operandi finalement retenu est celui d’un commando allemand, composé de membres de la Sipo-SD et de l’Abwehr, suivis, plus que surveillés, par des policiers Français. Pour préserver les apparences de la souverai-neté de l’État français, de fausses identités sont attribuées à ces agents allemands maquillés en « bons français ». Karl Braun, le secrétaire et chauffeur personnel de Karl Boëmelburg, chef du service IV de la Sipo-SD en France occupée, devient ainsi Charles Chevalier, expéditeur à Paris : c’est le n° 137 dans l’album composé après la guerre avec les photographies d’une partie des membres du commando allemand. Le n° 166, Pierre Féral, est, quant à lui, le capi-taine Fischer de l’Ordungspolizei, le chef radio de l’expédition. Au total, près de 300 agents allemands franchissent la ligne de démarca-tion le 21 septembre 1942, dans des dizaines de voitures de tourisme et seize camionnettes radio-goniométriques.Le succès de l’opération reste cependant mitigé au regard des moyens déployés. Jusqu’en novembre 1942, une dizaine de postes émet-teurs de la Résistance sont saisis et au moins une cinquantaine de personnes appréhendées mais, par cette opération, baptisée du nom de code « Donar », les Allemands pénètrent pour la première fois en zone sud, avant même l’in-vasion du 11 novembre 1942.

51Été 1942. Accords Bousquet-ObergL’entretien décisif, le 6 mai 1942, entre le nouveau secrétaire général à la police, René Bousquet, et Reinhard Heydrich, chef du Reichssicherheitshauptamt (RSHA), ouvre la voie de négociations avec Karl Oberg, chef suprême de la SS et de la police allemande en France occupée, en vue d’une collaboration étroite des polices allemande et française.Dans une longue note datée du 18 juin 1942, René Bousquet présente ainsi à Karl Oberg les « principes nouveaux qui [lui] paraissent devoir fixer pour l’avenir les modalités de la collabo-ration indispensable entre les polices ». Deux principes sont particulièrement affirmés : la volonté, tout d’abord, clairement exprimée, de collaborer dans la répression des « ennemis communs de nos deux pays […] : le terrorisme, l’anarchisme et le communisme » ; mais aussi la revendication, sous cet objectif partagé, de garantir l’indépendance de la police française et donc la souveraineté du gouvernement de Vichy dans ce domaine clé.Karl Oberg met du temps à réagir, ne trans-mettant sa réponse que le 23 juillet suivant, en proposant un nouveau texte pour les accords envisagés. Si l’autonomie d’exécution des ser-vices français est précisée et plusieurs sou-haits de René Bousquet validés, les objectifs restent bien fixés par les Allemands.René Bousquet lui répond dès le 29 juillet pour obtenir quelques reformulations, mais l’accord se conclut ensuite très vite. Le 4 août, Jean Leguay, adjoint de René Bousquet pour la zone occupée, envoie la dernière version des accords au référendaire de Karl Oberg. Le 8, le texte définitif est présenté par Karl Oberg et René Bousquet devant les préfets régio-naux de la zone occupée et les commandeurs régionaux des SS réunis pour l’occasion. Le 13, enfin, René Bousquet rappelle fermement aux préfets de zone occupée ce qu’il attend d’eux : « Il ne vous échappera pas que, si la note de M. le général Oberg donne à la police française, tant sur le plan moral que matériel, des moyens d’action qu’elle n’avait pas jusqu’à

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présent, il importe que par une activité encore accrue et par les résultats qu’ils obtiendront, les services de police fassent la preuve de leur efficacité réelle. Il vous appartiendra de donner à ces services une impulsion vigoureuse dont vous sentez comme moi la nécessité dans les circonstances actuelles ».La collaboration des polices est ainsi offi-ciellement scellée. Ses conséquences seront particulièrement importantes dans la répres-sion contre les groupes armés communistes. Mais pour favoriser cette signature, le gou-vernement de Vichy a aussi, dans l’intervalle, accepté de participer à l’organisation des grandes rafles de Juifs de l’été 1942, en zone occupée puis en zone libre, répondant ainsi au deuxième objectif de Reinhard Heydrich : celui de la participation de l’État français à la mise en œuvre de la Solution finale.

Le maréchal Pétain, Pierre Laval et René Bousquet à la sortie du Conseil des ministres du 3 juillet 1942Le 2 juillet 1942, est entérinée la collabora-tion de l’État français dans l’arrestation et la déportation des Juifs de France lors d’une réu-nion entre responsables allemands et français à laquelle participe le secrétaire général à la police, René Bousquet. Les décisions prises d’un commun accord sont dès le lendemain, 3 juillet, présentées en Conseil des ministres par le chef du gouvernement Pierre Laval et approuvées. La photographie, ici présentée, montrant le maréchal Pétain, Pierre Laval et René Bousquet et portant les tampons des censures française et allemande, immor-talise sans doute la sortie de ce Conseil des ministres crucial.Dans les jours qui suivent, soit les 4, 7 et 13 juillet, les services de police allemand et français se réunissent avec, côté allemand, les représentants de la Sipo-SD, Helmut Knochen et Theodor Dannecker et, côté français, René Bousquet ou son représentant en zone occu-pée, Jean Leguay, mais aussi le nouveau

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René Bousquet, Pierre Laval et le maréchal Pétain à la sortie du conseil des ministres, Pavillon Sévigné à Vichy, 3 juillet 1942. Laval y a annoncé la participation de l’État français aux grandes rafles de Paris et de zone non occu-péeArchives nationales, Z/6/1015 scellés de l’agence Trampus© Archives nationales / Alain Berry

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commissaire général aux questions juives, Louis Darquier de Pellepoix dont la nomination a été imposée par les autorités d’Occupation, et les responsables de la SNCF. Il s’agit mainte-nant d’organiser de manière concrète la mise en œuvre de la rafle dite du Vél’d’Hiv’qui se prépare à Paris et dans sa périphérie. Celle-ci débutera le 16 juillet à 4 heures du matin avec le concours de plusieurs administrations fran-çaises pour se terminer le 17 juillet en fin de journée.

5220 janvier 1944. Loi n° 38 instituant les cours martialesAprès avoir renforcé son arsenal répressif judiciaire en créant, à l’été 1941, trois tribu-naux d’exception – les tribunaux spéciaux, les sections spéciales et le tribunal d’État –, le gouvernement de Vichy franchit une nou-velle étape en instituant le 20 janvier 1944 les cours martiales. La création de cette nouvelle juridiction intervient à un moment où le gou-vernement de Vichy se radicalise. Les rênes

de la répression politique viennent d’être confiées à Joseph Darnand, chef de la Milice, nommé le 1er janvier 1944 secrétaire général au Maintien de l’ordre. Le 10 janvier, un décret lui donne les pleins pouvoirs pour la répres-sion de la Résistance et le 20, il crée les cours martiales. Le 21 janvier 1944, face aux préfets et aux intendants de police, Joseph Darnand énonce clairement la radicalité du nouvel outil judiciaire mis en place : « J’ai fait paraître ce matin [signée la veille] une loi nouvelle qui ne doit pas avoir beaucoup de précédents dans l’Histoire », explique-t-il. Le 27 décembre, dans une note à Pierre Laval, le maréchal Pétain approuve quant à lui la démarche : « Je vous ai dit depuis longtemps que je ne répu-gnais pas à la création de cours martiales pour juger les hommes ayant tué. Il vaut mieux, en effet, quelques exécutions spectaculaires que le trouble et l’émeute. »

Pierre Laval discutant avec Karl Oberg, chef de la SS en France, 1er mai 1943Coblence, Bundesarchiv-Bildarchiv, Bild 183-H25719© Bundesarchiv

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Visant les « individus, agissant isolément ou en groupes, arrêtés en flagrant délit d’assassinat ou de meurtre, commis au moyen d’armes ou d’explosifs, pour favoriser une activité terro-riste », le nouveau tribunal mène une justice expéditive, sans instruction ni défense, et dont la peine de mort est exécutoire immé-diatement. Environ deux cents résistants sont condamnés à mort et exécutés en l’espace de six mois, ce qui constitue le bilan le plus meurtrier de toutes les juridictions instaurées par le gouvernement de Vichy. S’il s’agit avant tout de résistants ayant échangé des coups de feu avec des forces de l’ordre, on compte aussi beaucoup de maquisards : six cours martiales sont ainsi réunies à la suite de l’attaque des Glières, sept autres à Limoges dans la lutte contre les « maquis Guingouin ». S’ajoutent enfin les détenus des prisons de Vichy ayant tenté des rébellions.

5310 janvier 1944. Instruction allemande concernant la rafle à mener à Bordeaux et dans diverses localités du Sud-OuestÀ peine nommé le 1er janvier 1944 à la tête du secrétariat général au Maintien de l’ordre, Joseph Darnand change les règles. On sait combien les autorités et l’administration de Vichy s’étaient toujours jusqu’ici montrées très réticentes à participer à l’arrestation de Juifs français. Face à une nouvelle demande formu-lée par les Allemands, Pierre Laval et Joseph Darnand autorisent cependant le préfet régio-nal de Bordeaux à remettre au service de la Sipo-SD les listes de Juifs français. Maurice Papon, le secrétaire général de la préfec-ture, chapeautant, entre autres, un service des questions juives, est à la manœuvre. Le 10 janvier 1944, à partir de 20 heures comme indiqué dans les instructions allemandes, 370 Juifs de la région de Bordeaux, dont plus de 220 Français, sont arrêtés par la police fran-çaise à la demande de l’occupant. Le 12 jan-vier, un convoi de 364 personnes, dont 35 enfants de six mois à dix ans, escorté par le

groupe mobile de réserve Guyenne, part vers Drancy.Après ce précédent, le 25 janvier, l’ordre est donné par le directeur général de la police nationale à tous les préfets dans la zone sud comme dans la zone nord de communiquer aux autorités allemandes la liste des Juifs étrangers et français.

Traduction de l’allemand :« Instructions relatives à l’exécution d’une action contre les Juifs », Bordeaux, 10 janvier 1944. « Il y a lieu de se saisir de tous les Juifs restant encore, sans considération d’âge », lit-on en substance dans le point 2. Le souli-gnement est dans le texte.

5430 mai 1944. Registre du camp allemand du fort de RomainvilleLe 21 janvier 1944, dans son discours annon-çant le combat contre le « terrorisme » et l’instauration des cours martiales, Joseph Darnand, le nouveau secrétaire général au Maintien de l’ordre, annonce que les inter-nés des prisons françaises sont désormais « livrables » à l’occupant : « Je ne veux pas tourner autour du pot. Lorsque les Allemands veulent des gens qui sont en prison, j’ouvre les portes et je les laisse faire. » Leur sort : la déportation dans les camps de concentration.Les Allemands ont en réalité surtout demandé d’évacuer des milliers de détenus commu-nistes, dont ils craignent la libération ou les évasions une fois venue l’heure du débarque-ment allié. Les membres des groupes armés communistes étant surtout condamnés à mort par les tribunaux militaires allemands et fusillés, c’est cette fois la branche politique du Parti communiste français qui est visée en priorité, ses militants se trouvant pour beau-coup internés dans les prisons françaises depuis leurs condamnations par les Sections spéciales. Au siège de la Sipo-SD, on baptise l’opération « Frühlingswind », « Vent de prin-temps – une expression souvent utilisée à tort

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pour dénommer les départs en déportation de la Solution finale qui suivent la rafle du Vél’d’Hiv’.Plus de 2 800 condamnés, principalement communistes, sont ainsi livrés aux Allemands entre les mois de février et mai 1944. Parmi eux se trouvent beaucoup de femmes extraites de la centrale de Rennes, comme en témoigne la page du 17 mai 1944 du registre original du fort de Romainville, camp allemand de transit, d’où elles sont déportées pour Ravensbrück.

55Télégrammes  du  secrétaire  général  à  la police, René BousquetDans la longue histoire de la France des camps, l’été 1942 marque un tournant majeur : les nombreux camps d’internement du Sud de la France servent dès lors et en priorité de camps de transit pour les Juifs déportés ensuite vers Auschwitz-Birkenau, via Drancy.L’accord a été scellé début juillet 1942 quand le chef du gouvernement, Pierre Laval, accepte de livrer des milliers de Juifs de zone non occupée contre d’improbables contreparties et la reconnaissance d’un semblant de sou-veraineté. Entre août et novembre, soit avant l’invasion de la zone sud par les troupes alle-mandes, 10 000 Juifs sont ainsi livrés. Ce ne fut pourtant pas chose facile à organiser.Le télégramme aux préfets de zone sud du secrétaire général à la police, René Bousquet, en date du 22 août en témoigne : il réclame des préfets régionaux de zone sud la plus grande fermeté à l’égard de mouvements éventuels de la population et de lenteurs de fonctionnaires réticents « afin de libérer totalement votre région de tous les Juifs étrangers ». Il sait déjà que l’opinion ne supporte pas le spectacle ou le récit de ces rafles et déportations de familles entières.Le premier convoi de zone sud part de Gurs, dans les Pyrénées-Atlantiques, le 7 août. Les internés sont transférés en camions jusqu’à la gare d’Oloron-Sainte-Marie pour Drancy.Si un autre télégramme de René Bousquet, en date du 31 août, commande aux préfets de

diriger les enfants vers le camp de Rivesaltes, c’est parce que celui-ci a changé de statut. Il est devenu « centre interrégional de rassem-blement des israélites », le « Drancy de zone sud » pour reprendre l’expression de Serge Klarsfeld. 2 313 Juifs vont partir de ce camp en neuf convois. Le premier convoi est formé le 11 août 1942.Les préfets concernés reçoivent en outre du cabinet de René Bousquet des instructions et informations très précises dans plusieurs séries de télégrammes sur le modus operandi des transferts de Juifs. Aidés de la gendarme-rie, ils doivent avant les départs renforcer la surveillance des camps d’internement, prépa-rer les listes, prévoir les vivres pour le voyage et faire préparer les bagages par les internés eux-mêmes, et désigner parmi eux un service médical. La veille du départ, les préfets sont par ailleurs informés que l’escorte chargée d’accompagner les internés, doit prendre contact avec le chef de la gare concernée pour connaître le quai d’embarquement – de préfé-rence « hors gare ». La composition exacte du train leur est fournie par la SNCF : des wagons de marchandises (l’expression « wagons à bestiaux » est utilisée), munis de « seaux hygiéniques », et une voiture de voyageurs. Un horaire matinal doit être privilégié pour l’em-barquement. En cours de route, l’escorte a enfin autorité pour empêcher les évasions.Comme on peut le constater à la lecture de ces télégrammes, nombre d’administrations et la SNCF sont impliquées dans la logistique des transferts des Juifs de France.

56L’Inspection générale des campsLe ministère de l’Intérieur décide de renforcer son autorité sur les camps d’internement, en créant, par arrêté du 18 septembre 1941, l’Ins-pection générale des camps. Si l’organisation matérielle des camps ainsi que la gestion du personnel restent de la compétence des bureaux de la direction générale de la police nationale, de même que les décisions de libération ou d’internement, les fonctions de

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l’inspecteur général des camps sont claire-ment définies. Il s’agit pour ce dernier de s’as-surer, par des inspections sur place, du bon fonctionnement des camps et de proposer, le cas échéant, au secrétaire général à la police toutes mesures d’amélioration afin d’assurer une meilleure gestion, de renforcer la disci-pline, d’organiser le travail et de sauvegarder la santé physique et morale du personnel de surveillance. Entrent aussi dans son champ de compétence la recherche de lieux susceptibles d’accueillir de nouveaux camps d’internement, la surveillance de leur aménagement et, de manière générale, la définition d’une politique globale d’hébergement et d’internement.La responsabilité de l’Inspection générale des camps est confiée à André Jean-Faure, ancien préfet de l’Ardèche, qui, dès son arrivée, affirme sa volonté d’ordonner et de centraliser l’administration des camps mais aussi d’amé-liorer les conditions d’internement, s’appuyant en cela sur les œuvres privées déjà présentes dans les camps.Les tournées d’inspection donnent lieu à la rédaction de rapports précis et documentés, comme ici, celui du camp de Drancy dont les photographies et la description présentent une image idéalisée des conditions d’inter-nement, tout en insistant, en filigrane, sur les améliorations apportées.

57Journal  intime  et  album  de  photographies de  Friedel  Bohny-Reiter  sur  le  camp  de Rivesaltes, 1941-1942Jeune infirmière en pédiatrie d’origine autrichienne, Friedel Reiter est envoyée en novembre 1941 par le Secours suisse aux enfants, dépendant de la Croix-Rouge suisse, s’occuper du poste de secours créé au camp de Rivesaltes au mois d’août précédent. Elle y rédigera un journal intime du 11 novembre 1941 au 25 novembre 1942, veille de la fer-meture du camp. Munie dès son arrivée d’un appareil photo, elle retracera aussi, par l’image, l’histoire du camp, laissant les seules photographies à ce jour repérées et

conservées d’un des premiers convois de Juifs rassemblés « avant le départ » pour Drancy.Témoin privilégié de la déportation des 2 300 Juifs évacués de Rivesaltes en neuf convois entre août et octobre 1942, elle sauvera plusieurs enfants en les cachant dans son entrepôt de produits alimentaires avant de les envoyer dans un foyer de la Croix-Rouge suisse au Chambon-sur-Lignon.Friedel Bohny-Reiter a été honorée du titre de Justes parmi les nations en 1990.Traduction  en  français  de  son  journal  à  la date du 19 août 1942 :« 19 août 1942 Chaleur accablante sur le camp. Le fil de fer barbelé tiré étroitement autour des îlots K et F est oppressant. Les plaintes des gens tourmentés flottent encore dans l’air. Je les vois sortir en longues files de leurs baraques haletant sous le poids de leurs affaires. Les gardiens à leurs côtés. Se mettre en rang pour l’appel. Attendre des heures dans un champ exposé au soleil. Puis arrivent les camions qui les mènent vers les voies de chemin de fer. Ils sortent des camions entre deux rangées de gardiens et entrent, les uns hésitants, les autres apathiques, quelques-uns d’un air défiant, la tête haute, dans les wagons à bestiaux. Cela dure des heures jusqu’à ce que tous soient entassés dans les wagons où il fait une chaleur étouffante. Je vois des visages connus à travers les barreaux. Formulant encore une demande, criant un remerciement. À chaque ouverture, deux gardiens. J’observe les visages. Même le désespoir ne s’y trouve plus dans ces visages, vieillis, délabrés et mornes. Du dernier wagon on entend un « au revoir ». Nous nous en allons vers le camp. Le lendemain matin – il fait encore nuit quand nous nous rendons vers la voie de chemin de fer. Le train se met lentement en marche – ils échappent à une destinée pour s’en aller vers une autre. Tout s’est déroulé en une semaine. Il me semble que c’était un mois. »

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Au camp de Rivesaltes : photographies clan-destines, prises par Tracy Strong, des inter-nés en attente de leur départ, [5 octobre 1942]Ces quelques photographies ont été prises sur le vif par un jeune américain de vingt-sept ans, originaire de Seattle, du nom de Tracy Strong.Représentant du Young Men’s Christian Association (YMCA), ce dernier est venu en France pour rencontrer, le 4 août 1942, le maréchal Pétain et plaider auprès du chef de l’État français la cause des Juifs étrangers dont les déportations ont, dit-il, un effet très négatif sur l’opinion américaine.Lors d’un voyage qui le mène de Marseille à Rivesaltes, il assiste au départ d’un convoi dont il saisit, avec son appareil photographique, quelques scènes clandestinement depuis la fenêtre d’un bâtiment dont l’ombre du châssis est encore visible sur certaines d’entre elles. Il s’agirait, selon les indications portées dans son journal qui n’a pas été publié à ce jour, du huitième des neuf convois qui quitte le camp de Rivesaltes le 5 octobre 1942. Avec celles

de Friedel Bohny-Reiter, il s’agit des seules photos repérées à ce jour d’un rassemblement de déportés juifs avant déportation.

58Témoignage d’Odette Daltroff-Baticle sur la déportation des enfants à l’été 1942 depuis le camp de Drancy, janvier 1943Emprisonnée le 15 juillet 1942 à la prison des Tourelles, Odette Daltroff est internée au camp de Drancy à partir du mois d’août d’où elle sera libérée le 29 mai 1943 grâce à l’inter-vention de son fiancé. Durant son internement à Drancy, elle s’occupera des enfants dont elle décrit l’existence dans un témoignage boule-versant rédigé dès 1943.Si la déportation des enfants ne figure pas, dans un premier temps, dans les objectifs des autorités allemandes, elle est cependant abordée, dès l’été 1942, par le gouvernement de Vichy. Le 6 juillet 1942, Theodor Dannecker, alors responsable de la question juive à la Sipo-SD, relaie ainsi les propositions de Pierre Laval auprès des autorités du Reich : « Le président Laval a proposé, à l’occasion de la déportation des familles juives de la zone non occupée, de déporter également les enfants de

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Internés avec des gardiens du camp en attente de leur départ Paris, Mémorial de la Shoah, Centre de documentation juive contemporaine, FLC 1091, fonds Tracy Strong© Mémorial de la Shoah / CDJC

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moins de seize ans. Le problème des enfants juifs restant en zone occupée ne l’intéresse pas ». Alors que la déportation des Juifs de zone libre a été entérinée, le gouvernement français insiste en effet pour ne pas assumer la charge d’enfants rendus orphelins par la déportation de leurs parents. La décision tarde cependant à venir de Berlin le 30 juillet suivant et les adultes sont dans un premier temps transférés, seuls, des camps du Loiret vers Drancy.L’obsession d’Heinz Röthke, qui a remplacé Dannecker, de remplir les objectifs assignés, soutenu par Jean Leguay, délégué en zone occupée du secrétaire général à la police René Bousquet, accélère cependant la déportation des enfants, « sans aucune considération d’âge » désormais. Politique que soutiennent les collaborationnistes tel Robert Brasillach qui, dans un article paru le 25 septembre 1942 dans Je suis partout, écrit : « Il faut se séparer des Juifs en bloc et ne pas garder de petits ».Alors que la rafle du Vél’d’Hiv’des 16 et 17 juil-let 1942 touche pour la première fois des enfants, le premier convoi comptant de jeunes enfants de moins de douze ans part pour Auschwitz le 14 août suivant. À partir de cette date, un nombre important d’entre eux figure systématiquement dans les trains. Entre le 14 et le 31 août 1942, soit en seulement quinze jours et huit convois, 3 265 enfants sont ainsi déportés à Auschwitz où ils sont, sauf excep-tion, immédiatement gazés.

Extrait du témoignage d’Odette Daltroff- Baticle :« En bas, on s’énervait. Les enfants ne descen-daient pas. J’essayais de les prendre un à un pour les faire descendre. Ils étaient déchaînés, se débattaient, hurlaient. Les plus petits étaient incapables de porter leurs petits paquets. Les gendarmes sont montés et ont bien su les faire descendre ; ce spectacle en ébranla tout de même quelques-uns.Au moment du départ, on pointait chaque déporté. Sur les 80 gosses, environ 20 ne savaient pas leur nom. Tout doucement nous avons essayé de leur faire dire leur nom, sans résultat. À ce moment surgit devant moi le maître de toutes ces

destinées, le sous-off allemand Heinrichsohn, 22 ans, très élégant en culotte de cheval. Il venait à chaque départ assister à ce spectacle qui visi-blement lui procurait une immense joie.Je ne puis oublier la voix de ce petit garçon de 4 ans qui répétait sans arrêt sur le même ton avec une voix grave, une voix de basse incroyable dans ce petit corps : « Maman, je vais avoir peur ; Maman, je vais avoir peur ». »

59L’antisémitisme  radical  des  partis collaborationnistesLa politique antisémitisme portée par le gou-vernement de Vichy rencontre le soutien des milieux collaborationnistes, même si, pour certains d’entre eux, les décisions doivent être beaucoup plus radicales. Cet antisémitisme, assumé, est largement revendiqué par la presse collaborationniste.Ainsi en est-il d’André Algarron, rédacteur en chef-adjoint du Petit Parisien, qui, dans une lettre adressée le 7 décembre 1941 à un des lecteurs du journal, défend le principe d’extermination progressive des Juifs de la vie publique française : « Mon cher Monsieur, quand on veut se débarrasser d’une maladie contagieuse, il n’y a pas trente-six moyens : on isole le bacille, et on le tue ».De la même manière le journal Au Pilori qui se revendique « hebdomadaire de combat contre la judéo-maçonnerie » comme le proclame son sous-titre, affiche à sa une le 14 mars 1941 un article intitulé « MORT AU JUIF ! Là ! Le juif n’est pas un homme. C’est une bête puante. On se débarrasse des poux. On combat les épidémies. On lutte contre les invasions microbiennes. On se défend contre le mal, contre la mort, donc contre les juifs. »

Papillons proférant des menaces à l’encontre de Georges Koiranski (item 63)Archives nationales, Z/5/36 dossier 1447© Archives nationales / Pierre Grand

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L’Appel, le journal de la Ligue française, sera l’un des rares à rivaliser dans cette frénésie antisémite, lançant par exemple, en octobre 1941, un sondage sur le thème : « Faut-il exterminer les Juifs ? »

60Les Brigades spécialesLa préfecture de police de Paris est divisée en trois grandes branches : la police municipale, de loin la plus nombreuse, la police judiciaire et les renseignements généraux. Au sein des Renseignements généraux, les brigades spé-ciales constituent le fer de lance de la répres-sion anticommuniste à Paris.La brigade spéciale est créée pendant la drôle de guerre, en mars 1940, quand la lutte anticommuniste devient un objectif après la dissolution du Parti communiste français. La préfecture de police de Paris s’appuie cepen-dant encore, à l’époque, sur ses structures traditionnelles. La brigade spéciale est réacti-vée quand, en août 1941, le Parti communiste français se lance dans la lutte armée. Elle est alors placée sous la houlette d’un jeune com-missaire, Fernand David, qui mettra quelques mois pour s’imposer.En janvier 1942, l’urgence impose le dédou-blement de cette brigade spéciale et l’aug-mentation significative de ses effectifs qui ont pu atteindre jusqu’à deux cents inspecteurs. Tandis que la brigade spéciale n° 1 (BS1) se spécialise dans la répression des propagan-distes, la brigade spéciale n° 2 (BS2) concentre son activité sur la traque des auteurs d’atten-tats et la lutte « antiterroriste ». Dirigée par le commissaire René Hénocque, elle va ainsi mener une lutte à mort contre les groupes armés du Parti communiste français, à com-mencer par les FTP-MOI (Francs-tireurs et partisans – Main-d’œuvre immigrée) de la région parisienne.

Patriotisme ?Film réalisé par Georges Jaffé en 1944Court-métrage en noir et blanc de 15 minutesBois d’Arcy, Archives françaises du film

Patriotisme ? montre la lente déchéance de Pierre, ouvrier renvoyé à plusieurs reprises de son travail. Après un séjour à la prison de la Santé, il rejoint une bande de « malfaiteurs communistes » spécialisée dans le trafic de tickets de rationnement. Au cours de l’attaque d’une mairie, Pierre est témoin de la mort de plusieurs civils innocents. Prenant conscience de son erreur, il se repent mais trop tard : la police cerne le repaire des trafiquants et Pierre meurt dans la charge des policiers.Produit la même année que Résistance ou Faits d’armes de Jacques Teisseire par la société BUSDAC, le court-métrage de Georges Jaffé s’inscrit dans la mouvance des films de propagande désignant sans détours les mau-vais Français responsables de la guerre et de la défaite qu’il convient de neutraliser. Ici, les communistes assimilés à des bandits.

61Filatures et arrestation du groupe des FTP-MOI de la région parisienne par les Brigades spéciales n° 2 (BS2)À l’automne 1942, la Brigade spéciale n° 2 (BS2) de la direction des Renseignements généraux de la préfecture de police de Paris organise une vaste filature contre les groupes armés d’obédience communiste, les FTP-MOI (Francs-tireurs et partisans – Main-d’œuvre immigrée) qui mènent la lutte armée dans la région parisienne. Les principaux chefs sont arrêtés à cette occasion.De janvier à novembre 1943, trois fila-tures sont organisées, décimant la branche

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Affiche Des libérateurs ? La Libération par l’armée du crime ! (dite L’Affiche rouge), 21 février 1944Archives nationales, 72/AJ/1008© Archives nationales / Atelier photo des AN

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politique de la MOI et les FTP-MOI de la région parisienne.Parmi les militants suivis se trouve Joseph Boczor, un ancien des Brigades internatio-nales, chef du détachement des dérailleurs qui est repéré, la première fois, le 20 sep-tembre 1943 à Ivry, d’où le surnom qui lui est attribué par la BS2 sur sa fiche individuelle de filature. La BS2 y consigne jour après jour les dates, horaires, lieux et personnes rencontrées par la personne filée. Le 24 sep-tembre à 9h20, « Ivry » rencontre à Bourg-la-Reine, un certain « Bourg » qui n’est autre que Missak Manouchian, le chef militaire des FTP-MOI. De filatures en filatures, les poli-ciers de la BS2 dressent progressivement les liens entre les différents contacts et le réseau des FTP-MOI. Missak Manouchian sera suivi encore pendant près de deux mois avant d’être arrêté à son tour, le 16 novembre 1943. Il signe dans le cahier de fouilles la liste de ce qu’il conserve et ce qui lui est confisqué avant d’être interrogé par la BS2.Jugé devant le tribunal militaire allemand près le commandement du Grand-Paris dans un procès qui ouvre le 15 février 1944, il sera condamné à mort avec vingt-deux autres com-battants des FTP-MOI. Vingt-deux sont exécu-tés le 21 février au Mont-Valérien ; l’unique femme du procès, Olga Bancic, est transférée en Allemagne pour y être décapitée.

63Délations et dénonciationsLa dénonciation constitue, en France, un fait de société majeur sous l’Occupation dont les autorités ne cessent de faire le constat tout en l’exploitant.Puisant ses racines dans les fractures exa-cerbées de la société française héritées des années 1930, le traumatisme de la défaite et les difficultés matérielles du quotidien, cette pratique fait aussi l’objet d’injonctions fortes de la part des autorités allemandes et du gou-vernement de Vichy pour dénoncer les oppo-sants et les « crimes terroristes », au point de devenir, à la suite de l’affaire des otages de

Nantes, une obligation légale le 25 octobre 1941.Les circonstances politiques influent de fait sur les comportements, provoquant, par exemple, une recrudescence des dénoncia-tions à l’été-automne 1940 lors de la mise en place de l’appareil d’occupation et les débuts de la Révolution nationale ou encore à l’été-automne 1941 alors que souffle, de plu-sieurs régions de France, le « vent mauvais » stigmatisé par le maréchal Pétain.Phénomène massif sous l’Occupation, la dénonciation a eu des conséquences tragiques pour des milliers de Français les conduisant à une mort inéluctable.

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65La censure allemandeLes listes de livres interdits d’auteurs anti-nazis, anglophiles ou juifs, sont prêtes depuis longtemps. La première, la « liste Bernhard », est publiée dès l’été 1940 : elle comprend 143 titres. Elle a été dressée par les services de la Propaganda-Abteilung et ceux de l’ambassade d’Allemagne. En octobre, une seconde, revue avec l’aide des éditeurs et d’intellectuels col-laborationnistes – la première « liste Otto » – énumère 1 060 ouvrages. Deux autres suivent en juillet 1942 (1 170 livres) et mai 1943 (934 titres, avec un appendice spécifique consacré aux auteurs juifs). Au total, plus de deux mil-lions d’ouvrages sont saisis chez les éditeurs et libraires, pour être pilonnés. Cette censure se double d’une autocensure en amont, deman-dée aux éditeurs, tandis que les ouvrages qu’il faut lire font l’objet d’une large publicité.

66Cahiers de l’Institut allemand publiés par Karl EptingL’Institut allemand, qui ouvre dès sep-tembre 1940, est la première arme de l’ambas-sade d’Allemagne pour présenter la domination du Reich sous un jour favorable, « européen », et susciter l’adhésion. Karl Epting, âgé de 35 ans, choisi par Otto Abetz pour diriger l’Institut, illustre parfaitement les deux versants de son action culturelle : avant-guerre, il avait dirigé à la fois l’office allemand en France chargé des échanges universitaires, et une collection – sous le pseudonyme de Matthias Schwabe – intitulée « La France contre la Civilisation ».Le travail de l’Institut est d’abord d’attirer et de mobiliser une élite intellectuelle, pour mieux porter le message de la collaboration, mettre en avant la culture allemande et atteindre le grand public. Entre octobre 1940 et juillet 1941, sont ainsi organisées 46 conférences, dont 12 en province (grâce aux annexes de l’Institut), sur des sujets multiples : littérature, philoso-phie, histoire, économie, droit, médecine, etc. S’y ajoutent concerts, pièces de théâtre,

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expositions et deux revues. Les Cahiers de l’Ins-titut allemand sont conçus comme une publi-cation de bon niveau. À partir de 1942, l’Insti-tut édite également Deutschland-Frankreich, dont la couverture porte en effigie la figure de Charlemagne, « premier unificateur de l’Occident ».En novembre 1940, Karl Epting crée une commission franco-allemande pour choisir les œuvres à traduire en allemand : 300 clas-siques seront ainsi édités. Une bibliothèque de 25 000 volumes est installée dans les salles de l’Institut, qui propose également des cours d’allemand : 15 000 personnes sont inscrites en 1942, un seuil jamais plus dépassé ensuite. Car cette forme de propagande positive atteint ses limites au fil des mois de guerre.

67-68Lucien RebatetLucien Rebatet (1903-1972), journaliste à Je suis partout et critique de cinéma jusque-là inconnu, publie à l’automne 1942 Les Décombres, le best-seller de l’Occupation : 65 000 exemplaires vendus dans la zone occu-pée, peut-être davantage. Si le papier n’avait pas manqué en ces temps de pénurie, au vu des demandes auprès de l’éditeur Denoël, les ventes auraient sans doute approché les 200 000 exemplaires. Le parcours de Lucien Rebatet illustre ceux de ces nationalistes maurassiens rompant avec leurs idoles pas-sées pour tomber dans un fascisme pur et dur, au sein d’une Europe allemande au « magni-fique avenir » grâce au « vaste génie » d’Hitler. « Je souhaite la victoire de l’Allemagne parce que la guerre qu’elle fait est ma guerre, notre guerre », écrit-il dans les dernières pages de l’ouvrage. Le succès des Décombres, qui fait de son auteur un héraut du monde collabora-tionniste, c’est aussi, note Rebatet, « celui de notre équipe, de nos idées, de nos espoirs », ceux que l’on retrouve notamment dans les colonnes de Je suis partout. Après le « dia-gnostic » d’une « déliquescence », des faillites de l’avant-guerre et des responsables de la défaite (la France « judéo-démocratique »),

ce pamphlet est donc d’abord une critique féroce et tous azimuts des mous et des tièdes, à commencer par le gouvernement de Vichy qui aggrave la « sénélisation » de la France. En zone sud, le livre est interdit par Vichy.Réfugié à Sigmaringen à la fin de la guerre, Lucien Rebatet est arrêté à Feldkirch le 8 mai 1945, et jugé par la cour de justice de la Seine le 18 novembre 1946 en même temps que ses collègues Claude Jeantet et Pierre-Antoine Cousteau. Il est condamné à mort, mais sa peine est commuée en travaux forcés à per-pétuité en avril 1947. Détenu à Clairvaux, il est libéré le 16 juillet 1952. Il reprend son activité de journaliste à Rivarol et à Valeurs actuelles.

69Plaques  de  verre  du  journal  Le Matin : Rassemblement  du  Front  révolutionnaire national  (FRN)  au  Vélodrome  d’hiver,  Paris, 11 avril 1943Le Matin, quotidien créé en 1883, est, à la veille de la Grande Guerre, l’un des quatre grands quotidiens nationaux, tirant un million d’exemplaires. Racheté par l’homme d’af-faires Maurice Bunau-Varilla, il devient dans l’entre-deux-guerres ouvertement antiparle-mentaire et anticommuniste. Dans les années trente, alors qu’il ne tire plus qu’à 300 000 exemplaires, Le Matin affiche des positions pacifistes favorables aux exigences d’Hitler, au nom de la défense de la paix à tout prix. Le 17 juin 1940, Maurice Bunau-Varilla reprend la publication du Matin, qu’il met désormais à la disposition des occupants allemands. Nettement collaborationniste, ce quotidien offre chaque jour à ses lecteurs des repor-tages photographiques en particulier sur la vie politique, à l’instar de celui qui est consa-cré en avril 1943 au rassemblement du Front révolutionnaire national, qui doit regrouper les membres du RNP, du MSR, du Groupe Collaboration, des Jeunes de l’Europe nou-velle, du Comité d’action antibolchevique et des Francistes. Le Matin se saborde le 17 août 1944, à la Libération, peu de temps après le

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décès de Maurice Bunau-Varilla survenu le 1er août 1944.Les archives du journal sont aujourd’hui conservées par les Archives nationales, tandis que le fonds de 200 000 plaques de verre photographiques, récupérées par le journal L’Humanité en 1944, est conservé par le Musée de la Résistance nationale et les Archives départementales de la Seine-Saint-Denis.

70Les journaux sous contrôle allemandLes Allemands contrôlent plusieurs publi-cations, à destination d’un public varié. Ainsi Le Téméraire, périodique qu’ils financent et qui est pris en charge par des collaboration-nistes, est le seul destiné aux enfants à être édité à Paris. Attrayant par sa couverture et plusieurs de ses pages en couleurs, il se veut proche du format des revues américaines. Par le rire dans la série « Fulminate et Vorax » ou la série des aventures de Marc le Téméraire, jeune policier français luttant contre Ilanine le « chef en France du service secret sovié-tique », la série de science-fiction « Vers les mondes inconnus », les dessins du Téméraire résument bien l’univers idéologique nazi, peuplé d’ennemis brossés selon les procédés racistes habituels et d’amis représentés selon les canons de la race aryenne. Le discours du journal en appelle à la formation d’une jeu-nesse hitlérienne française, que les Cercles du Téméraire avaient vocation à encadrer.

L’édition française du magazine Signal paraît à partir de juillet 1940. Ce journal, créé au début de l’année 1940 par le commandement supérieur de la Wehrmacht, est traduit en vingt-cinq langues. Conservant toujours une partie des textes en allemand, il se compose d’articles communs à toutes les éditions, trai-tant des informations générales, puis d’une partie locale propre à chaque pays. Très axé sur l’actualité militaire, il fait l’éloge de la Wehrmacht et de la Waffen-SS, mises en valeur par la qualité esthétique des reportages pho-tographiques des compagnies de propagande

de l’armée allemande. Réquisitionné en 1941 pour travailler au journal, le photographe fran-çais André Zucca y publie de nombreux repor-tages sur l’occupation allemande à Paris, et la création de la Légion des volontaires français contre le bolchevisme.

Le périodique antisémite Revivre est publié au début du mois de mars 1943, avec un financement allemand, en remplacement du Cahier jaune, la revue créée par l’Institut des questions juives à l’automne 1941. Comme le proclame son sous-titre, ce journal se veut « le grand magazine illustré de la race ». Sa nou-veauté, c’est précisément ce format de maga-zine, à la photographie moderne et séduisante. André Chaumet, journaliste réputé, collabora-teur déjà de Paris-Soir et du Matin en assure la direction, dans la continuité de ses fonctions au Cahier jaune. « Tendons nos forces pour la victoire aryenne » demande-t-il dans son pre-mier éditorial. Revivre paraît jusqu’à la fin de l’Occupation.

71Radio-ParisCréée par la Propaganda-Abteilung en juil-let 1940 et reprenant le nom d’une chaîne de radio nationale publique française qui émit jusqu’au 17 juin 1940, Radio-Paris est diri-gée par le Dr Bofinger, un ancien de Radio-Stuttgart, venu avec une grande partie de son équipe. Cette station bénéficie d’impor-tantes infrastructures, dont cinq émetteurs. Elle a d’emblée tenté de « se donner un vrai visage français », selon un rapport interne d’octobre 1940, en engageant notamment des journalistes français ralliés à la cause de la collaboration, dont le plus connu est Jean Hérold-Paquis.Journaliste d’extrême droite qui a commencé sa carrière radiophonique dans les rangs de l’Espagne franquiste, il entre comme rédac-teur à Radio-Paris en janvier 1942. Il en devient vite le chef de la rédaction militaire, tenant chaque soir une chronique. Proche de Jacques

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Doriot, il le suivra jusqu’en Allemagne et sera de l’aventure de Radio-Patrie à Sigmaringen.Pour mieux faire passer son message, Radio-Paris tenta aussi d’apparaître comme une radio de divertissement. Les brochures édi-tées sous le titre Un journaliste allemand vous parle… semblent confirmer le slogan répété sur les ondes de la radio londonienne de la France Libre : « Radio-Paris ment, Radio-Paris est allemand ».

72La création de Radio Monte-CarloLa création de Radio Monte-Carlo est un exemple peu connu de la collaboration fran-co-allemande dans la radiodiffusion. L’objet explicite de la convention de création illustre la volonté d’Otto Abetz de contrôler les médias. La fréquence concédée à la Principauté de Monaco depuis 1933 suscite bien des convoi-tises et un ami d’Abetz justement, Max Brusset, propriétaire de Radio Méditerranée, est à la manœuvre, mais la neutralité officielle de la Principauté impose de passer par une société monégasque. Cette société anonyme est créée le 14 mars 1942 sous le nom de Radio Monte-Carlo conjointement détenue par l’organisme allemand chargé de contrôler les radios hors Reich et l’OFEPAR, société française créée ad hoc. La partie allemande doit rapidement laisser la moitié de ses parts à une société italienne, armistice franco-italien oblige, et, côté français, l’OFEPAR passe la main le 11 novembre 1942 à la SOFIRA, toute nouvelle société créée par Pierre Laval pour que l’État français contrôle les radios privées. Les pre-mières émissions ont lieu à l’été 1943, consis-tant d’abord en un programme uniquement musical. À partir de mars 1944, la radio dif-fuse les informations de la Propaganda-Staffel. L’activité de la station cesse en août 1944, ses installations étant endommagées par les combats de la libération. Elle reprend officiel-lement le 1er juillet 1945, après la confisca-tion des parts allemandes et italiennes dans la radio par les gouvernements français et monégasque.

73-75Les  voyages  d’écrivains  et  d’artistes  en AllemagneLe voyage en Allemagne, organisé par le ministre de la Propagande du Reich, Joseph Goebbels, en octobre 1941 pour plusieurs auteurs français, ouvre la voie à d’autres échanges de cette sorte. Le voyage des sculp-teurs et des peintres est le second à être orga-nisé, en novembre 1941, avec des personnali-tés marquées pour leur traditionalisme, dont Charles Despiau, le sculpteur le plus connu après Aristide Maillol, les sculpteurs Henri Bouchard et Paul Belmondo qui montrent leurs opinions politiques favorables, les peintres André Derain, Maurice Vlaminck ou André Dunoyer de Segonzac. Paul Landowski, le directeur de l’École nationale des beaux-arts, est aussi du voyage.Dans le monde du cinéma, c’est à l’occa-sion de la première à Berlin de la comédie romantique Premier rendez-vous que Danielle Darrieux, Viviane Romance, Suzy Delair, Junie Astor et Albert Préjean effectuent un voyage en Allemagne en mars 1942. Le programme de ce séjour les conduit des studios de la UFA à Babelsberg aux studios de la Bavaria-Filmkunst et de la Wien-Film, en passant par une rencontre avec des prisonniers de guerre français, une visite de Munich, de Vienne ou encore une excursion sur le Wank, et la visite de l’atelier du sculpteur Josef Thorak. Des délé-gations d’artistes allemands viennent égale-ment en France. Ainsi l’orchestre philharmo-nique de Berlin, qui effectue en août 1941 une série de concerts au palais de Chaillot, avec le jeune chef Herbert von Karajan. Le succès est tel qu’ils doivent accepter une troisième soirée. Les plus grands musiciens allemands se produisent à Paris sous l’Occupation.

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Retour d’une partie des écrivains du premier voyage en Allemagne organisé par le ministère de lapropagande du Reich Paris, gare de l’Est, novembre 1941Archives nationales, Z/6/731 dossier 5467© Archives nationales / Alain Berry

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74Au cinémaLe Crime du père Noël, film de Christian-Jaque qui sera finalement titré L’Assassinat du père Noël, est le premier long-métrage produit par la Continental Films, société à capitaux alle-mands dirigée par Alfred Greven. Ce dernier a la haute main sur la production cinéma-tographique allemande en France occupée. Outre la Continental, maison de production fondée à l’automne 1940, le réseau mis en place comprend une société de distribution (l’Alliance cinématographique européenne), une société d’exploitation (la Société de ges-tion et d’exploitation du cinéma, qui achète des salles), un studio de prises de vue (le Paris-Studio-Cinéma). Près de 15 % des films produits sous l’Occupation le sont à l’initiative d’Alfred Greven qui a pour mission de tenir le marché et de placer le cinéma français sous dépendance. Pour y parvenir, il promeut sur-tout un cinéma de fiction, en étant notamment à l’initiative de sept films policiers, de onze comédies ou encore de deux films historiques.

Remerciant Alfred Greven de lui proposer un rôle dans L’Assassinat du père Noël, Robert Le Vigan se félicite de participer « au nouvel ordre des choses entre hommes de race blanche que nous sommes ! ». Début 1941, c’est un acteur de premier plan et il a déjà une belle carrière derrière lui. Il tourne à quatorze reprises sous l’Occupation. On l’entend également sur Radio-Paris et il poursuivra cette collabora-tion jusqu’à Sigmaringen.Certains films de propagande sont directement financés par la Propaganda-Abteilung. C’est le cas pour Forces occultes, œuvre antimaçon-nique sortie en mars 1943, du réalisateur Paul Riche (pseudonyme de Jean Mamy), sur un scénario de Jean Marquès-Rivière. Ce dernier, maçon renégat devenu anti-maçon forcené, était déjà l’auteur des textes de l’exposition de l’automne 1940 et de nombreux livres sur le sujet. Les services de la Propaganda-Abteilung financent largement le projet, lui accordent les autorisations, dont celle de pouvoir filmer au palais Bourbon. Car le film relate l’ascension d’un jeune député devenu franc-maçon, mais qui finit par dénoncer le complot maçonnique

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préparant une guerre. On le retrouve assassiné à la veille du nouveau conflit mondial.Dans le domaine des actualités cinématogra-phiques, la collaboration va jusqu’à la fusion des structures au profit de l’occupant. En 1940, les Allemands diffusent régulièrement en zone occupée leurs « Actualités mondiales » tout en imposant à l’agence Havas de leur aban-donner le titre « France Actualités ». Repliés en zone sud, Gaumont et Pathé produisent ensemble des actualités qui ne sont diffusées que dans cette zone, jusqu’en juillet 1942, comprenant notamment les longs reportages sur les voyages du maréchal. Le 18 août 1941, Otto Abetz et Fernand de Brinon signent une convention qui prévoit la création d’une société d’actualités cinématographiques française en majorité, mais à participation et sous influence allemandes. Le 4 juin 1942 une société mixte franco-allemande voit effectivement le jour sous le nom de « France Actualités » qui a le monopole de diffusion sur l’ensemble du territoire.

76Le groupe Collaboration« Pourquoi nous croyons en la collabora-tion » : tel est le titre d’une des conférences du groupe Collaboration éditée en brochure en décembre 1940. Il s’agit de croire dans les bienfaits d’une réconciliation de deux peuples complémentaires, d’expliquer la nécessité d’une Europe conduite par l’Allemagne, seule à même de lutter contre le communisme, et de vanter les mérites du régime hitlérien. C’est le programme que se donne cette association culturelle composée d’abord d’intellectuels. Plusieurs académiciens (dont Abel Bonnard ou le cardinal Baudrillart), des écrivains (comme Pierre Drieu la Rochelle), des scientifiques (comme le physicien Georges Claude de l’Ins-titut) forment son comité d’honneur. Elle est présidée, dès sa création en septembre 1940 et durant toute l’Occupation, par l’écrivain Alphonse de Châteaubriant, prix Goncourt 1911. Otto Abetz, son inspirateur, souhaite ainsi donner au principe de la Collaboration

une notoriété et une respectabilité, loin de l’activisme souvent désordonné des partis parisiens. À coup de centaines de conférences, de dizaines de brochures, de manifestations culturelles, d’interventions régulières dans la presse, les membres du Groupe (dont beau-coup étaient déjà avant-guerre de l’aventure du Comité France-Allemagne d’Otto Abetz) diffusent devant édiles, notables et curieux des idées venant pour beaucoup de l’ambas-sade d’Allemagne. Friedrich Grimm, un de ses conseillers, est d’ailleurs un conférencier habituel du Groupe.

77Circuit de transmission d’une information :des consignes françaises et allemandesLes informations diffusées en France durant la guerre sont contrôlées par l’occupant et par le gouvernement de Vichy. En zone nord, la Propaganda-Staffel émet un visa pour approu-ver les documents qui doivent être diffusés.Comme l’indique le rapport de la Propaganda-Abteilung de mai 1941, la mainmise sur les structures et les finances des stations de radio et de presse permet d’orienter le contenu des médias. Du côté du gouvernement de Vichy, l’Office français d’information (OFI), créé en novembre 1940 en lieu et place de l’agence Havas, est l’organe officiel de diffusion des nouvelles. Il relaie les consignes de censure émises quotidiennement par le gouvernement (ministère de l’Information) sous la forme d’interdictions et d’injonctions, dont l’applica-tion est contrôlée par les services de l’État au niveau national et dans les départements.L’OFI subit la concurrence de l’AFIP, l’Agence française d’information de presse… en fait allemande, qui détient un quasi-mono-pole en zone occupée et dont les informa-tions lui sont fournies par l’agence du Reich (Deutsches Nachrichtenbüro, DNB). L’OFI est aussi concurrencé par des agences privées, comme l’agence Inter-France, créée à la fin des années 1930 par des journalistes et des financiers proches de l’Action française et dirigée par Dominique Sordet. Depuis 1940,

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elle bénéficie des informations internationales fournies par l’agence allemande Transocéan, ce qui en fait un auxiliaire apprécié des ser-vices allemands. En octobre 1941, la société se scinde en deux : Inter-France Informations, subventionné par le ministère de l’Information, diffuse des dépêches aux journaux, alors que l’Agence Inter-France leur fournit de la docu-mentation et des articles rédigés. Aidé par ce type d’agence et finalement sûr de la parole collaboratrice du gouvernement français, l’oc-cupant peut fermer l’AFIP en octobre 1942, cela d’autant plus facilement que la DNB conserve la main sur les informations internationales, les plus importantes pour raconter l’histoire du conflit mondial.

78Le  rôle  des  journalistes :  l’exemple  d’Émile BougèreÉmile Bougère dit Vincent ou Deladoutre (1903-1964), ancien ouvrier aux usines Renault de Billancourt, commence sa carrière de journaliste à L’Humanité à la fin des années vingt, au sein de l’équipe chargée des corres-pondants ouvriers, ou Rabcors. Exclu du Parti communiste en 1932, sans doute en raison de désaccords sur le rôle de ces correspondants, il travaille ensuite comme rédacteur au Huron (1932-1934), au Populaire (sous le nom d’He-navent), à Germinal et au Petit journal. Rallié au Parti populaire français (PPF) de Jacques Doriot en 1936, il devient secrétaire de rédac-tion de L’Émancipation nationale (1936-1940) et rédacteur au journal Jeunesse de France (qui cesse de paraître en 1938). Il écrit égale-ment dans La Liberté, Jeunesse (1941-1942), La Femme et la vie (1942-1944). Rédacteur en chef du Cri du peuple de 1940 à 1942, c’est l’un des dirigeants du bureau central de presse du PPF. Pendant l’Occupation, Émile Bougère publie une brochure de 32 pages intitulée Condition de l’ouvrier en URSS, sous les aus-pices du bureau de presse de l’exposition Le Bolchévisme contre l’Europe. Il est condamné le 22 novembre 1945 à vingt ans de travaux forcés par la cour de justice de la Seine. Détenu

à Clairvaux, il est libéré en 1951 et reprend son activité dans l’agence Vietnam Presse. Combattant le communisme en Afrique, il est, d’août 1960 à août 1963, directeur du service de presse du président de la République popu-laire du Congo, l’abbé Fulbert Youlou.

79Le contrôle des sociétés d’éditionLes services d’Otto Abetz comprennent immé-diatement que le contrôle de la presse et de l’édition constitue un défi majeur. Gerhard Hibbelen, conseiller de la légation et dès avant-guerre au service d’Abetz, est la pièce maîtresse du dispositif. Il acquiert sa première maison d’édition, Le Pont, au printemps 1941. Puis c’est le tour des publications Offenstadt qui deviennent la Société parisienne d’édition (SPE) codirigée par Louis Thomas. Par le biais d’achats massifs d’actions, – en profitant du cours du mark pour acheter des entreprises fragilisées, en prêtant de l’argent et en récla-mant le moment venu, une participation au capital ou en utilisant la loi d’aryanisation –, jusqu’à la création de journaux, Gerhard Hibbelen fonde un véritable trust connu sous le nom de « Comptoir financier français ». En novembre 1942, il possède six quotidiens, onze hebdomadaires, quatre bimensuels. La liste des prises impressionne : ainsi Les Ondes, la revue de Radio-Paris (possédée à 100 %), Ciné Mondial, Nouvelles continentales, Terres fran-çaises, Revue économique franco-allemande, la société Vie industrielle, qui publie le quotidien éponyme et le mensuel économique La France nouvelle, L’Auto, etc. En 1944, il possède près de la moitié des capitaux de la presse parisienne, via une vingtaine de sociétés et une cinquan-taine de quotidiens et d’hebdomadaires.Le 11 février 1942, le conseil d’administration de la Société parisienne d’édition entérine l’achat des actions des éditions Offenstadt. La plupart des personnes nommées sont françaises ; le rachat des actions Offenstadt fait réagir le Commissariat général aux questions juives qui voit dans les acquéreurs des « hommes de paille », mais ce point de

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vue récusé par le conseil d’administration. Hibbelen est au final très largement majo-ritaire dans la société. Ce transfert implique la révocation de l’administrateur provisoire de la société, chose faite par décision du MBF (Militärbefehlshaber in Frankreich) le 23 janvier 1942.

80L’importance des réseaux : l’exemple de Jean Luchaire25 juin 1940 : « Otto aimerait beaucoup vous voir dès votre retour à Paris ». Ces mots sont ceux de Suzanne Abetz, épouse d’Otto Abetz, à Jean Luchaire, dont elle fut la secrétaire. Les liens sont clairement amicaux entre l’ancien responsable de la Ribbentrop Dienstelle, ser-vice du ministère des Affaires étrangères du Reich chargé de la propagande dans les pays européens, devenant plus tard l’ambassadeur d’Allemagne à Paris, et Jean Luchaire. Ce dernier, journaliste, cofondateur en 1927 de Notre Temps, ami d’Otto Abetz qu’il rencontre en 1930, est un des animateurs de son comité France-Allemagne fondé en novembre 1935, qui réunit plusieurs intellectuels et écrivains (dont Jules Romains), artistes (le compositeur Florent Schmitt), parlementaires (Georges Scapini) pour dénoncer, en apparence, les excès du nationalisme, promouvoir une Europe en paix et l’entente franco-allemande. C’est en fait un instrument de « normalisation » de la politique extérieure agressive du Reich nazi, et un vivier de promoteurs de la collaboration voulue par Otto Abetz.

81La  vie  parisienne :  les  cabarets  à  l’heure allemandeEntre l’été 1940 et l’été 1942, les recettes des théâtres et music-halls parisiens sont multipliées par vingt. Paris bei Nacht : pour la centaine d’établissements de la nuit pari-sienne, la période de l’Occupation fut bien un âge d’or. « Les soldats s’amusent ! » titre ainsi un article du « Guide allemand de Paris », Der Deutsche Wegleiter für Paris, publié sous le contrôle de la Kommandantur de Paris à partir de juillet 1940. Dans ce magazine illustré bimensuel, au sous-titre évocateur – Wohin in Paris ? « Que faire à Paris ? » –, le soldat allemand peut lire de nombreuses informa-tions pour communiquer, circuler, manger, s’habiller dans Paris, visiter les grands sites de la capitale et se distraire. Dans les lieux de divertissement comme dans la vie quotidienne se croisent ainsi les occupants et les Français. Toute une palette de sentiments et de relations peuvent naître de ces rencontres, ce que l’on a appelé la « collaboration horizontale », et qui sont souvent demeurés secrets.

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Couverture de Ils sont partout de Ralph Soupault, 1944Archives nationales, Z/6/1050 scellés du dossier 2999© Archives nationales / Alain Berry

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82Rapport pour Jacques Barnaud Avantages que l’industrie française peut retirer de la situation actuelle, décembre 1941La synthèse sur les « avantages que l’industrie française peut retirer de sa situation actuelle vis-à-vis de l’industrie allemande », à usage interne, a été rédigée par René Norguet, haut fonctionnaire au ministère de la Production industrielle. Elle propose une vision très opti-miste de la collaboration à instaurer, « d’égal à égal », souvent nourrie d’illusions : « Si l’Alle-magne a fait preuve d’un grand désir d’étendre son influence économique sur l’industrie fran-çaise par des conseils et des concours appor-tés presque gratuitement, elle s’est montrée beaucoup moins pressée que ne l’auraient été sans doute des pays anglo-saxons, placés dans la même situation, de prendre des gages commerciaux. » Plusieurs dirigeants français espéraient notamment pouvoir bénéficier du savoir-faire technique allemand et développer des échanges fructueux pour les industries mécaniques, électriques et dans le domaine textile. Par exemple, le 1er mars 1941, François Lehideux, le responsable du Comité d’orga-nisation de l’automobile, participait à Berlin à la mise en place d’un « Comité transitoire pour la collaboration de l’industrie automobile européenne », avec l’Italie. Seules six sociétés mixtes franco-allemandes – la forme la plus aboutie de cette « collaboration construc-tive » – voient le jour durant cette période : France-Rayonne en mars 1941 pour fabriquer des fibres synthétiques ; en mai ce sont les Gazogènes Imbert puis les Carburants fran-çais pour gazogènes ; Francolor en novembre pour les matières colorantes ; suivent en 1942 France-Actualités et Radio Monte-Carlo.

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Quatre acteurs clés de la collaboration économiqueLes exigences allemandes s’expriment en pre-mier lieu par la délégation économique de la Commission allemande d’armistice, dirigée à Wiesbaden par Johannes Hemmen. Mais c’est le Dr Elmar Michel, au Militärbefehlshaber in Frankreich (MBF), qui est l’homme clé du dispositif.Yves Bouthillier, ministre des Finances en 1940, symbole de cette élite économique sur laquelle Vichy s’appuie, est convaincu de l’inté-rêt de négocier avec le vainqueur. Mais il sou-haite en tirer de substantielles contreparties ; d’où son opposition à Laval qui, a contrario, tout à la recherche d’un vaste compromis poli-tique, donne des gages au Reich en cédant dès 1940 les mines de Bor et l’or belge conservé par la Banque de France.Jacques Barnaud, ancien directeur général de la maison Worms, appartient en février 1941, avec Paul Marion, Pierre Pucheu ou François Lehideux, au groupe dit des « synarques », ces techniciens modernisateurs promus par le gouvernement Darlan. Il prend la direction de la Délégation générale aux relations éco-nomiques franco-allemandes (DGRE), qui doit dépasser le cadre trop strict de l’armistice pour promouvoir une politique de collabora-tion dite constructive.

Jean Bichelonne, major des majors de l’X, ingénieur des Mines, ministre à plusieurs reprises dès 1940, incarne la continuité de la direction industrielle du pays sous Vichy. Celui qui s’est toujours projeté dans le futur, en réfléchissant notamment à l’instauration d’un marché économique européen, est le ministre qui, pourtant, à partir du printemps 1942, gère les contraintes allemandes.

83Salon technique et industriel allemand au Petit Palais, février-octobre 1941Inauguré au Petit Palais par le Militärbefehlshaber in Frankreich (MBF) en per-sonne, Otto von Stülpnagel, le salon technique et industriel est conçu comme une vitrine des produits dont le Reich a besoin et pour lesquels il veut passer commande aux entreprises fran-çaises qui se présentent et font des proposi-tions de fabrication. Vichy cautionne l’initiative qui va dans le sens de la collaboration éco-nomique « constructive » qu’il appelle de ses vœux et qui peut ainsi trouver à se développer à l’échelle des entreprises. En octobre 1941, lorsque le salon ferme ses portes, les 12 000 objets exposés intéressant l’armée allemande ont à 80 % fait l’objet de commandes, souvent de grandes entreprises. Il en a été de même pour trois quarts de ceux intéressant le sec-teur civil, cette fois surtout avec des moyennes et petites entreprises. Au total, 26 000 propo-sitions de fabrication ont été déposées auprès du MBF par 10 000 entreprises.Par ailleurs, en marge du salon, plusieurs sociétés demandent aux services allemands l’autorisation de représenter des firmes allemandes.

84Les relations entrepreneurialesPour beaucoup d’industriels inquiets pour l’avenir de leur entreprise, dans un contexte de pénurie de matières premières et de main-d’œuvre qualifiée et dans un marché bouleversé par le conflit, il est quasiment impossible de négliger les commandes alle-mandes qui font tourner la machine écono-mique française et représentent une part de la production française qui peut atteindre, par exemple dans le ciment, jusqu’a 90 %. Aussi la question de la collaboration avec l’occupant n’est-elle pas perçue comme une trahison, le refus de commandes pouvant signifier un arrêt d’activité. Ce qui n’empêche pas certains de rechercher un profit plus important grâce à

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cette situation, ni de spéculer sur une victoire allemande. Les motivations idéologiques sont toutefois plus rares et les patrons s’affichent finalement peu dans les partis collaboration-nistes. Mais ils sont aussi très peu à changer totalement l’activité de leur entreprise pour éviter d’avoir à faire avec l’occupant. Comme le montre ce document, les discussions sont professionnelles, afin d’assurer la production et faire tourner les usines françaises, mais au bénéfice de l’économie allemande. À la Libération, les sanctions contre les entreprises seront relativement faibles, se limitant le plus souvent à des amendes pour profits illicites.

85-86Le congrès franco-allemand des chambres de commerce et les voyages économiquesElmar Michel, l’incontournable respon-sable économique du Militärbefehlshaber in Frankreich (MBF), inaugure en septembre 1941 le « premier congrès franco-allemand des chambres de commerce ».Dans cette période de la « collaboration constructive », un grand nombre de chambres de commerce organisent des voyages d’études dans le Reich, pour y apprécier techniques et savoir-faire, comme celui effectué par la chambre de Rennes dont se félicite son pré-sident à son retour.

87Statuts du Cercle européen, février 1942Outre les salons et voyages d’études, des struc-tures se donnèrent pour but de « faciliter les contacts » entre acteurs français et allemands. Ainsi du Cercle européen ou « Comité de colla-boration économique européenne », fondé par Édouard Chaux en septembre 1941. À l’occa-sion de conférences et autres séminaires, il réunit industriels et intellectuels, parmi les plus importants du monde économique et poli-tique. Lors de la venue, le 10 février 1942, du Dr Elsner, un dignitaire nazi, la séance est pré-sidée par Elmar Michel, le responsable éco-nomique du Militärbefehlshaber in Frankreich

(MBF) ; Pierre Laval est présent dans l’assis-tance. Mais les patrons ne sont finalement pas les plus nombreux au Cercle, environ 200 sur les 1 500 adhérents. Son comité d’honneur comprend notamment Gabriel Cognacq, le PDG de la Samaritaine, ou René Lalou, le pré-sident de Mumm.

88La Table ronde : les acteurs de la première collaboration économique« Les déjeuners de la Table ronde », organisés de février à octobre 1942 à Paris, à l’hôtel Ritz, ont le même but. Toutes les trois semaines, selon un plan de table très étudié alternant invités français et allemands, ils font se ren-contrer des responsables économiques du Militärbefehlshaber in Frankreich (MBF), des industriels allemands en déplacement, des ministres de Vichy et des responsables des comités d’organisation, des banquiers, des grands industriels, des producteurs de vins et champagnes, des propriétaires de grands magasins, mais aussi des hommes politiques et des intellectuels en vue du collaboration-nisme parisien. C’est le prince de Beauvau-Craon, administrateur de sociétés, qui avait eu l’idée de ces déjeuners, aidé par François Dupré, président des Grands Hôtels associés, directeur du Plazza et du George V, adminis-trateur de Ford, et René de Chambrun, avocat à la cour d’appel et gendre de Laval. Carl Schaefer, commissaire allemand auprès de la Banque de France, avait soutenu l’initiative. À la Libération, ces « déjeuners de la Table ronde » symbolisent à eux seuls la collabo-ration économique et les profits qu’elle a pu produire.

89Francolor : un exemple de prise de capitalC’est dans le cadre de la «collaboration éco-nomique constructive» voulue par Vichy que se déroulent les négociations pour la création d‘une société mixte franco-allemande de colo-rants. Ce sont les établissements Kuhlmann,

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entreprise de matières colorantes, qui sont au cœur des négociations qui se déroulent entre la DGRE (Délégation générale aux rela-tions économiques franco-allemandes), le Militärbefehlshaber in Frankreich (MBF) et les représentants d’IG Farben, pour la création de la société Francolor en novembre 1941. IG Farben prend sa revanche sur les accords qu’elle avait subis après la Première Guerre mondiale et assure ainsi sa suprématie européenne. Francolor est la seule société mixte franco-allemande où les capitaux alle-mands sont majoritaires. En 1942, René-Paul Duchemin, le président des établissements Kuhlmann, publie cette brochure relatant les coulisses de cette négociation. Elle n’était pas destinée à être diffusée.

90Conventions franco-allemandesLa convention pour l’utilisation des matières premières textiles, dit « plan Kehrl », est signée entre le Dr Michel, le responsable éco-nomique du Militärbefehlshaber in Frankreich (MBF), la Délégation générale aux relations économiques franco-allemandes, et Jean Bichelonne, alors secrétaire général à l’In-dustrie et au Commerce intérieur. Elle prend effet le 1er février 1941. Hans Kehrl, le respon-sable de toute la planification textile du Reich et des territoires occupés, cherche à assurer les besoins militaires de la Wehrmacht. La convention, qui doit aussi assurer les besoins civils français, est finalement très déséquili-brée ; en octobre 1941 le bilan sera largement déficitaire pour la France. Toutefois, Hans Kehrl est l’un des rares dirigeants allemands à penser la collaboration avec la France sur le long terme. D’autres conventions concernant de nombreux domaines sont signées.

91Le travail en AllemagneDès l’automne 1940, des volontaires choi-sissent de partir travailler en Allemagne où les conditions sont attrayantes pour une main-d’œuvre jeune, sans formation et souvent sans travail. 185 000 travailleurs volontaires ont signé un contrat en mai 1942, un chiffre jugé insuffisant par les Allemands. Voulant éviter une réquisition impopulaire, Pierre Laval lance, dans son discours du 22 juin 1942, la Relève ; un prisonnier français étant libéré en échange de trois ouvriers acceptant d’aller travailler en Allemagne. L’opération est un échec et Vichy doit légiférer. La loi du 4 sep-tembre autorise la réquisition de Français de 18 à 50 ans et de Françaises célibataires de 21 à 35 ans en capacité de travailler. La mesure s’appliquant sur tout le territoire. Cependant, Vichy doit aller plus loin et, le 16 février 1943, instaure un « Service obligatoire du travail » : le SOT… vite rebaptisé STO qui touche, mais là systématiquement, les jeunes gens des classes 1940, 1941 et 1942. Vichy apporte ainsi un soutien important à l’économie de guerre allemande : à l’automne 1943, plus de 500 000 travailleurs étaient partis ; cette année-là un quart au moins des travailleurs étrangers présents dans le Reich viennent de France. En 1943, le pays fournit aussi 40 % des livraisons de l’Europe occupée à l’Allemagne.

92-93Les documents administratifs concernant le départ en Allemagne et les brochures d’ac-compagnement du travailleur en AllemagneLe Service de la main-d’œuvre française en Allemagne, créé par la loi du 26 mars 1942 et placé sous la responsabilité de Gaston Bruneton, a avant tout un rôle social. Il s’oc-cupe ainsi des travailleurs volontaires pour l’Allemagne, puis, après la loi du 4 septembre 1942 relative à l’utilisation et à l’orientation de la main-d’œuvre en France, des requis. Devant l’élargissement du recrutement des travailleurs, ce service est transformé en

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Commissariat général à la main-d’œuvre française en Allemagne par la loi du 6 février 1943 et placé sous l’autorité du Comité inter-ministériel à la main-d’œuvre. Il concerne les requis du travail obligatoire et les prisonniers transformés en travailleurs libres. En jan-vier 1944, signe de l’importance des enjeux et du nombre de personnes concernées, il prend le nom de Commissariat général à l’ac-tion sociale pour les Français travaillant en Allemagne (CGASFT). Demande de passeport, certificat d’embauche (qui spécifie le lieu et l’usine d’emploi) et carte de prime d’équipe-ment d’un jeune requis du STO sont quelques-uns des documents délivrés par ce service. Il édite aussi des brochures rendant compte des conditions de vie et de travail des requis de la loi de septembre 1942 et du STO. Ainsi la propagande du ministère de l’Information à Vichy ne s’arrête pas aux frontières du pays mais accompagne les travailleurs partis dans le Reich.

94La RelèveLe 21 mars 1942, Fritz Sauckel, un proche d’Adolf Hitler qui lui laisse carte blanche, est nommé Generalbevollmächtiger für den Arbeitseinsatz (GBA, plénipotentiaire général chargé de la main-d’œuvre) : non seulement la recherche de main-d’œuvre devient un problème essen-tiel du Reich, mais sa politique en la matière va se durcir. Quelques semaines à peine après sa prise de fonction, Fritz Sauckel demande à la France 350 000 travailleurs, dont 150 000 spécialistes. Pierre Laval, à peine revenu au pouvoir, veut éviter une réquisition forcément impopulaire : il obtient de Sauckel l’envoi de 150 000 ouvriers spécialisés, « seulement », contre le retour de 50 000 prisonniers de guerre, soit un rapport d’un à trois. Le 22 juin, le chef du gouvernement explique aux Français l’im-portance de ce qu’il appelle la Relève et le rôle que la France peut tenir à cette occasion. Le 11 août, en présence de Julius Ritter, le repré-sentant de Fritz Sauckel, Pierre Laval est en gare de Compiègne pour accueillir le premier

retour de 1 300 prisonniers. Une « masse » que les images de la propagande savent montrer, mais un petit groupe en réalité qui traduit le faible nombre d’ouvriers partis pour la Relève : ils ne sont que 17 000 au 1er septembre. Autant dire que l’opération est un échec cuisant. Vichy ne va plus pouvoir échapper à la réquisition forcée de travailleurs.À l’automne 1942, en intégrant les chiffres de la Relève, le chiffre de 200 000 travailleurs volontaires est atteint.

95Proposition d’entreprises à classer «S» dans le Nord, avril 1944, et tableau listant les entreprises avec leur part de com-mandes pour l’AllemagneJugeant les ponctions massives de main-d’œuvre contre-productives, Albert Speer, ministre de l’Armement du Reich, et Jean Bichelonne, ministre de la Production indus-trielle s’entendent à Berlin le 15 septembre 1943 pour les remplacer par une production accrue et davantage concentrée en France occupée au service du Reich. Les entreprises travaillant au moins à 75 % pour l’économie de guerre allemande sont désormais « proté-gées » de toute réquisition de leur personnel et bénéficient de facilités d’approvisionnement – des Sperr-Betriebe, vite surnommées des « Speer-Betriebe ». Le secteur des entreprises protégées s’accroît, en même temps que la part de l’économie française travaillant pour le Reich. Après ces accords, en janvier 1944, 13 000 entreprises étaient classées S-Betriebe, pour un total de plus d’un million d’employés. L’économie française se trouvait de fait divisée en deux grands secteurs : les grandes entre-prises travaillant en partie pour l’Allemagne et les autres qui subissent davantage le poids de l’Occupation. Par ces accords, Speer résout ainsi une bonne partie des inconvénients des réquisitions forcées et adapte davantage l’offre productive française aux demandes allemandes. Bichelonne remporte une victoire politique en faisant baisser la pression du STO.

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96Les commandes militaires : tableaux de livraison de moteurs d’avion de juillet 1942 à juin 1943La défaite et l’armistice ont été de rudes coups pour l’industrie aéronautique française, fleuron industriel dans l’avant-guerre. Les Allemands sont évidemment intéressés par une relance de ce secteur stratégique. Côté français, on veut éviter une mainmise et l’on espère des contreparties. Un bel exemple souhaité d’une collaboration « constructive ». La négociation est menée au niveau gouverne-mental. Un important protocole pour un pro-gramme commun de fabrication est signé le 28 juillet 1941, sur la base d’un avion français pour cinq allemands. Sans atteindre les objec-tifs fixés, la France n’en livrera pas moins 1 500 avions (de transport surtout) et plus de 4 000 moteurs. Ces derniers furent produits, pour beaucoup, sous licence BMW par la société Gnome et Rhône qui fabrique des moteurs d’avion depuis le début du XXe siècle et est, à la veille de la guerre, l’un des leaders européens. À la Libération, Gnome et Rhône sera, avec Renault, l’une des rares entreprises nationali-sées pour ses « faits de collaboration ».

97Le mur de l’AtlantiquePlus de 2 000 Blockhaus et constructions mili-taires étalés sur 1 500 kilomètres de côtes, 18 millions de mètres cubes de béton coulés, des milliers d’entreprises françaises concer-nées, près de 750 000 personnes employées sur les différents chantiers (en comptant les requis) : le « mur de l’Atlantique » est un des lieux majeurs de la collaboration économique. Ce sont les Allemands, par l’entremise de l’organisation Todt (OT), qui sont demandeurs, laissant peu de marge à des acteurs français qui toutefois répondent présents. À partir des cahiers des charges de l’armée allemande, l’OT attribue les marchés à de grandes entreprises allemandes qui, le plus souvent, sous-traitent les travaux à des entreprises

françaises. L’OT se charge de veiller à l’appro-visionnement en matériaux et de fournir les moyens de transport. En 1944, les entreprises françaises du bâtiment et des travaux publics (BTP) travaillent donc essentiellement pour l’Allemagne : leurs patrons sont peu engagés idéologiquement, leurs ouvriers mieux payés qu’ailleurs et l’entrepreneur peut arguer de l’hégémonie des commandes allemandes s’il ne veut pas fermer. Mais la situation permet aussi à certains de faire des profits gigan-tesques. Au fil des mois cette « collaboration » se transforme en une pression brutale qui multiplie les réquisitions forcées et bouleverse les économies locales.

98-99Le cas JoinoviciC’est l’autre histoire de la collaboration éco-nomique, ou comment amasser des millions. Intermédiaires, hommes de paille, petits escrocs ou grands truands, beaucoup ont compris très vite que l’argent coule à flots dans les bureaux d’achat allemands, ces véri-tables « institutions » créées par l’occupant pour se payer – avec l’argent des frais d’occu-pation, versé par le Trésor français – toutes les marchandises souhaitées. Si c’est l’Abwehr, le service du contre-espionnage nazi, qui a le premier ouvert un bureau, chaque service allemand installé en zone occupée a le sien. La plupart ouvrent leurs portes dès l’hiver 1940-1941. Les prix s’envolent, les profits des intermédiaires français aussi. À ce jeu, Joseph Joinovici devient un expert, sans doute celui qui a amassé la plus grosse fortune de toute l’Occupation – peut-être quatre milliards de chiffre d’affaires. Pour cela, sa petite entre-prise de chiffonnier-ferrailleur d’avant-guerre s’est transformée en une véritable firme spé-cialisée dans le trafic avec l’occupant : avec ses employés, dont Lucie Bernard – dite « Lucie-Fer », également la maîtresse de Joinovici –, ses hommes de main pour toutes les basses œuvres, les indispensables prête-noms des multiples sociétés-écrans, la famille enfin… qui entoure le « Parrain » – Mordhar, son frère,

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est l’homme de confiance de Joseph. C’est en particulier avec le plus gros des bureaux d’achat, le fameux « bureau Otto », géré par l’industriel-espion Hermann Brandl, qui gérait près de 400 employés au printemps 1941 et qui fit sans doute plus de cinquante milliards de chiffre d’affaires, que Joinovici gagna le plus d’argent. Le règne des bureaux d’achat connut son apogée fin 1942, avant que les Allemands ne limitent eux-mêmes ce pillage interlope à l’heure de la « guerre totale ».Pour livrer autant de marchandises, il faut pouvoir les stocker. Dès 1941, plusieurs docks de Saint-Ouen – entourés sur ce plan – deviennent les entrepôts du « bureau Otto », où les camions de Joinovici sont des habitués. Près de trois hectares de quais et de magasins sont ainsi utilisés.La Rohstoffhandelsgesellshaft (ROGES) est une société allemande créée en janvier 1941 pour l’achat de matières premières. Elle passait commande aux bureaux d’achat et répartissait

les marchandises auprès des entreprises alle-mandes. L’antenne parisienne de la ROGES emploie en 1942 jusqu’à 250 personnes, dont une soixantaine de Français. On le constate à la lecture de cette facture de Joinovici, celui-ci négocie aussi directement avec la ROGES.La lettre est adressée au chef du service des affaires juives de la Sipo-SD, Heinz Röthke, et elle concerne les frères Joinovici. Si, aux yeux des services policiers, la famille est bien juive et devrait donc être arrêtée – on est le 28 juillet 1942 et les déportations massives débutent –, pour le Militärbefehlshaber in Frankreich (MBF) et les services allemands qui utilisent les talents du chiffonnier-ferrailleur, l’analyse est toute autre : « Les frères Joinovici travaillent depuis des années pour l’armée allemande et procurent mensuellement en moyenne 500 tonnes de métaux importants pour l’armée allemande. » Joseph Joinovici est trop utile.

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Planches de photographies anthropométriques du « clan » Joinovici : Les frères Joinovici (Joseph et Mordhar)Archives nationales, Z/6/845 dossier 5751© Archives nationales / Alain Berry

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100Du Service d’ordre légionnaire à la MiliceLe 30 janvier 1943, à Vichy, les chefs dépar-tementaux et régionaux du Service d’ordre légionnaire (SOL), émanation de la Légion française des combattants (LFC), les « troupes de choc de la Révolution nationale », sont réunis devant leur chef, Joseph Darnand. Le SOL devient la « Milice française » annonce ce dernier, une formation qui doit maintenir l’ordre en France et faciliter l’instauration d’un « régime autoritaire national et socia-liste permettant à la France de s’intégrer dans l’Europe de demain ». La collaboration avec l’Allemagne accompagne, conditionne même la mise en œuvre de ces deux objectifs. Pierre Laval, le chef du gouvernement, est à la tribune, au côté de Joseph Darnand. Il vient d’accepter de faire de la Milice une formation reconnue « d’utilité publique », œuvrant pour le « redressement » du pays.Les valeurs radicales du SOL, les « 21 points », ne rencontrent pas l’adhésion de l’opinion : les assemblées constitutives de la Milice, qui se déroulent partout en province, sont des échecs. La publicité faite autour des adhésions ne masque pas un recrutement décevant, où même plusieurs anciens du SOL, pourtant ins-crits d’office, manquent à l’appel. En France, les plus lucides voient déjà dans la création de la Milice et dans son obsession du maintien de l’ordre les risques d’une guerre civile.

101Les engagements dans la MiliceLégion française des combattants, SOL et maintenant Milice : Édouard Leriche, adhérent des Basses-Alpes, suit le parcours de beau-coup des cadres du mouvement. Il illustre aussi le profil de ces petits notables provinciaux, venus de l’extrême droite, souvent anciens du Parti social français ou de l’Action française, pour beaucoup issus des rangs du catholi-cisme intégriste et contre-révolutionnaires, devenus des pétainistes purs et durs, désireux de radicaliser la Révolution nationale.

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Les miliciens – on compte peu de mili-ciennes – sont d’abord issus de la petite et moyenne bourgeoisie urbaine. Ce sont surtout des employés (au moins un cinquième), des artisans-commerçants et des cadres, aux-quels s’associent des jeunes à la recherche d’autorité et souvent d’un idéal de virilité ; d’un emploi aussi pour ceux qui cherchent à devenir des permanents. En 1944, la Milice recrutera davantage encore de jeunes fina-lement peu politisés, en rupture de ban, des marginaux, des ouvriers et des prolétaires du monde rural, attirés notamment par une solde confortable. Les fameux « Lacombe Lucien », du nom du personnage principal du film de Louis Malle.Au total, si la Milice visa les 30 000 adhé-rents, elle n’en compta sans doute pas beau-coup plus de la moitié, dont au moins 4 000 Francs-Gardes.

102La Franc-Garde, bras armé de la MiliceLa Franc-Garde permanente, le bras armé de la Milice, est officiellement mise en place le 2 juin 1943 ; elle est opérationnelle à partir de septembre. Son rôle consiste à soutenir la Révolution nationale en participant surtout au maintien de l’ordre. Cette formation paramili-taire est encasernée et porte l’uniforme, celui du SOL, inspiré des chasseurs alpins : pan-talon de ski et blouson foncé, chemise kaki, cravate noire, un brassard au bras gauche, un insigne en métal à la boutonnière, un autre sur le béret bleu. Si elle est armée, les Allemands refusent l’équipement lourd demandé par Joseph Darnand. La Franc-Garde recrute des hommes de 18 à 45 ans, des adhésions que l’exemption au travail obligatoire en Allemagne cherche à faciliter. Les plus jeunes, de 14 à 17 ans, peuvent intégrer l’Avant-Garde. En structurant également ses sections locales composées des adhérents maintenus dans la vie civile, la Milice apparaît donc comme for-tement hiérarchisée, de type militaire, où les chefs ne manquent pas.

103Cours de la première promotion des cadresde la Milice, à UriageComme tout mouvement ambitionnant de gouverner, la Milice forme ses cadres. L’École nationale des cadres de la Milice s’installe le 1er mars 1943 dans un château de la vallée d’Uriage, là où, quelques semaines plus tôt, on formait les jeunes de la Révolution natio-nale. Le premier stage débute quelques jours plus tard. Les futurs chefs des services dépar-tementaux de la Milice y suivent avant tout des cours de formation politique et militaire. On les voit sur cette photographie datée du 15 mars 1943. S’ajoutent pour ceux appelés à devenir des cadres de la Franc-Garde une formation au maniement des armes, aux combats de rue et à la lutte contre les maquis. Jusqu’à son éviction à l’été 1943, l’école est dirigée par Pierre-Louis de La Noüe du Vair, puis par Jean de Vaugelas, remplacé en avril 1944 par Alfred Giaume. Elle édite une revue : les Cadres d’Uriage. La Milice évacue l’École en juillet 1944.

104Procès-verbal de la réunion qui décide de la nomination de Joseph Darnand comme secrétaire général au Maintien de l’ordre, rédigé par les services allemandsEn décembre 1943, c’est entendu, les Allemands – la Sipo-SD chargée du maintien de l’ordre en tête – ont pris leur décision. L’heure est à la radicalisation et à un change-ment gouvernemental à Vichy, pour les minis-tères clés : l’Intérieur et l’Information.Pierre Laval tente bien de s’opposer à la nomi-nation de Joseph Darnand, avançant que la nomination d’un milicien, a fortiori gradé dans la SS, pouvait favoriser la désobéissance dans les rangs policiers. Il obtient la nomination d’Antoine Lemoine au secrétariat à l’Intérieur, c’est-à-dire comme supérieur théorique de Darnand qui est nommé, lui, secrétaire géné-ral au Maintien de l’ordre (SGMO) – Pierre

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Laval demeurant en titre le ministre de l’Inté-rieur. Mais la réunion du 5 janvier 1944, qui fixe les attributions du nouveau SGMO, montre que Joseph Darnand a la main et qu’il recevra les ordres de la Sipo-SD. Oberg en fait le compte rendu ! Limpide également la feuille de route : le SGMO devra être implacable pour maintenir l’ordre et des cours martiales sont annoncées.Le 21 janvier, dans son premier discours aux préfets et intendants de police, Joseph Darnand demande de « répondre au feu par le feu et immédiatement. Je ne vous demande pas d’amener des gens, je vous demande de dire : «Nous avons abattu des terroristes. […] Nous parlons de gens extrêmement dan-gereux, nous parlons de tous ces individus armés, aussi bien des communistes, des anarchistes, que des gens qui feraient partie de l’armée secrète. […] Je les mets tous dans le même sac. »Un décret du 10 janvier 1944 donne autorité à Darnand sur l’ensemble des forces de police et de sécurité de l’État, au total plus de 150 000 hommes. Dans les semaines qui suivent, des miliciens sont nommés à la tête de plusieurs postes clés de la haute administration. Tout un symbole, Jean Degans, le chef du 2e service de la Milice, son officine de renseignement et celui chargé des exécutions, prendra la tête des Renseignements généraux. Max Knipping est le délégué du SGMO pour la zone occupée. Sur le terrain, les miliciens se sentent investis de tous les pouvoirs et multiplient les actions arbitraires.

105.« Les miliciens dans le maquis savoyard », Combats, n° 48, 8 avril 1944Le reportage est signé d’Henry Charbonneau, neveu de Joseph Darnand et directeur de Combats, l’hebdomadaire de la Milice qui paraît depuis le 8 mai 1943. L’article rend hom-mage aux miliciens engagés depuis fin mars aux côtés des troupes allemandes contre le maquis, sur le plateau des Glières, en Haute-Savoie. Sous la direction du milicien Joseph Darnand, l’engagement des forces de l’ordre

françaises va donc jusqu’au combat militaire aux côtés de l’occupant contre la Résistance. Le plateau des Glières est le premier symbole de cette collaboration. La caricature qui illustre cette Une de Combats est significative du por-trait dressé des « terroristes », forcément bol-cheviques, Juifs et/ou encore gangsters.Mais les télégrammes de la Sipo-SD de cette période témoignent surtout que les Allemands confèrent à la Milice la mission de boucler et de surveiller les zones des combats.

106Affaire contre X homicide volontaire sur la personne de M. Mandel Georges, Versailles, 7 juillet 1944Depuis l’accession aux responsabilités de leur chef, les miliciens multiplient les entorses à la loi pour « maintenir l’ordre » : vérifications d’identité massives, arrestations arbitraires, perquisitions sauvages et pillages, meurtres gratuits de suspects dénoncés mais souvent innocents. L’assassinat de Georges Mandel est d’une autre nature : c’est un meurtre politique. Il est vraisemblable qu’il a été exé-cuté à la demande des plus hautes autorités du Reich, qui procèdent au retour en avion de l’ancien ministre déporté en Allemagne. Transféré à la prison de la Santé, il est pris en charge quelques heures plus tard par un com-mando de miliciens pour un pseudo-trans-fert, et exécuté au bord d’une route, près de Fontainebleau. La Milice avait déjà commis d’autres meurtres politiques. Le 2 décembre 1943, elle avait assassiné Maurice Sarraut, le patron de La Dépêche de Toulouse et ancien parlementaire. Le 10 janvier 1944, elle tue le président de la Ligue des droits de l’Homme, Victor Basch, et son épouse Hélène, âgés res-pectivement de 80 et 79 ans. Le 21 juin 1944, autre assassinat très symbolique, celui de Jean Zay, l’ancien ministre du Front populaire. L’assassinat de Georges Mandel est sans doute une mesure de représailles qui a suivi l’exécu-tion de Philippe Henriot. Le rapport d’enquête rapidement établi comprend les photographies de la traction avant noire Citroën qui a servi à

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l’expédition, avec les impacts des balles qui ont tué Georges Mandel.

107Au  front  avec  la  Légion  des  volontaires françaisLe 5 octobre 1941, en Pologne, 800 soldats et 25 officiers de la Légion des volontaires français (LVF) intégrés dans le 638e régiment d’infanterie allemand, prêtent serment à Adolf Hitler. Trois semaines plus tard, ils partent pour le front où le premier engagement est meurtrier pour une LVF mal formée, mal équi-pée et mal dirigée. Après la déroute militaire de l’hiver, l’unité sera désormais utilisée à l’arrière, notamment contre les Partisans.

108Les  cadres  de  la  Légion  des  volontaires françaisEdgar Puaud est né le 29 octobre 1889 à Orléans (Loiret). Sous-lieutenant durant la Première Guerre mondiale, il suit la carrière classique d’un officier de la Légion étrangère. Promu lieutenant-colonel dans l’armée d’ar-mistice, il rejoint la Légion tricolore, mais à la suite de l’échec de cette formation, il s’engage dans la Légion des volontaires français (LVF). Il est immédiatement placé à la tête de trois bataillons français rassemblés en Biélorussie dans la lutte contre les partisans soviétiques. En avril 1942, il est nommé commandant de la LVF en remplacement du colonel Labonne. Après la campagne de l’hiver 1943-1944, il revient en France pour une tournée de propa-gande en faveur de la LVF. À cette occasion il est promu général de brigade et élevé au grade de commandeur de la Légion d’honneur. Au printemps 1944, il retourne sur le front de l’Est où il rassemble les survivants de la LVF et les intègre à la Waffen-SS pour former une divi-sion française, la division Charlemagne dont il prend le commandement. Il reçoit alors le grade d’Oberführer et mène ses troupes dans les combats de Poméranie où il disparaît en mars 1945.

Roger Henri Labonne est né le 9 février 1881. Au cours de sa carrière d’officier, il a fait l’objet de nombreuses citations. Colonel de l’armée d’active, il se trouve en Tunisie en 1940. Mis à la retraite, il rentre en France et contribue au cours de l’été 1941 à l’organisation de la Légion des volontaires français contre le bolchevisme (LVF) dont il prend le commandement. Il se rend en Pologne pour accueillir les premiers contingents, assure le commandement effec-tif des troupes sous l’uniforme allemand et reçoit la croix de fer de 2e classe. Mais trop effacé pour stopper les intrigues politiques qui gangrènent la LVF, il est relevé de ses fonc-tions en avril 1942 et remplacé par le général Puaud. Il n’en continue pas moins à jouer un rôle dans la LVF en participant à diverses mani-festations, écrivant des articles, prononçant des conférences et des allocutions à la radio. Il quitte Paris le 20 août 1944 et se réfugie en Allemagne. Arrêté, il est jugé par la cour de justice de la Seine et condamné à la réclusion à perpétuité, à la confiscation de ses biens et la dégradation nationale. Il meurt en 1966.

Jean Marie Pierre Louis de Mayol de Lupé est né le 21 janvier 1873, au sein d’une famille aristocratique de tradition monarchiste. Après ses études il est ordonné prêtre. Lors de la Première Guerre mondiale, il sert comme aumônier militaire. Fait prisonnier en 1914, il reste deux ans en captivité. Libéré, il retourne au front où il est grièvement blessé. Il est plu-sieurs fois cité et décoré. Il quitte l’armée en 1927 pour cause de maladie. En 1938, il se rend au Congrès de Nuremberg et est séduit par le national-socialisme. À cause de son âge, il n’est pas mobilisé en 1939, mais à la création de la Légion des volontaires français (LVF) en 1941, il se porte volontaire et en devient l’au-mônier, portant l’uniforme allemand sur le front de l’Est. Il est décoré de la croix de fer de 2e classe en 1943 et fait la couverture d’une édi-tion du journal de propagande Signal. En 1944, il intègre la Division SS Charlemagne, mais trop vieux, il reste en Allemagne et s’installe à Munich. Arrêté en 1945, il est condamné par

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la cour de justice de la Seine à quinze ans de réclusion, à la confiscation de ses biens et la dégradation nationale. Il bénéficie d’une libéra-tion conditionnelle en 1951 et meurt en 1955.

André Demessine est né le 5 mai 1908 à Paris. Instituteur, puis professeur d’éduca-tion physique, il est mobilisé en 1939 et par-ticipe comme officier des chasseurs alpins à la campagne de Norvège et à la campagne de France. Démobilisé, il retourne à la vie civile. Il s’engage dans la Légion des volontaires fran-çais (LVF) en septembre 1941. Entré avec le grade de capitaine, il combat sur le front russe entre 1941 et 1942 et est décoré de la croix de fer de 2e classe le 16 juin 1942. Ambitieux, peu aimé de ses camarades, il critique volontiers ses supérieurs, adressant lettres et rapports sans respect de la hiérarchie, écrivant notam-ment directement à Adolf Hitler. En conflit avec les Allemands, il est rayé des cadres début 1943 et nommé en septembre directeur de la propa-gande de la LVF où il fait preuve d’une intense activité. Fin avril 1944, il abandonne ce poste à la demande des Allemands. Arrêté fin 1944, il est condamné le 21 février 1945 à la peine de mort par la cour de justice de la Seine et fusillé le 15 mars 1945.

109La  propagande  de  la  Légion  des  volontaires français et le soutien à la LVFLa création de la LVF s’accompagne d’un effort intense de propagande destiné à favoriser les engagements que ce soit par la création d’associations comme Les Amis de la LVF avec ses nombreuses antennes locales ou l’organisation de rassemble-ments au cours desquels les plus hautes instances de la LVF prennent la parole, tel à Paris le 16 avril 1944, ou par la diffusion de messages sur les supports les plus divers, du plus courant (tract, affiche) au plus original. Ainsi ce calendrier européen, sur le modèle du calendrier des postes, à la couverture très suggestive. À l’intérieur, chaque mois est consacré à un pays allié de

l’Allemagne dans la guerre contre l’URSS. Pour la France, c’est le mois de juillet, sans doute à cause de la Fête nationale montrant des soldats français sous uniforme alle-mand prêtant serment, accompagné d’une phrase du maréchal Pétain, ou bien un lot de cartes postales avec sa pochette montrant des engagés dans leur vie quotidienne.Plus surprenante, cette urne de la Légion française des combattants portant cette ins-cription « ici est déposée la terre limousine recueillie par la légion de la Haute-Vienne » sans doute destinée à accompagner des engagés du Limousin dans la LVF sur le front.

110-111L’incorporation  dans  la  Légion  des  volon-taires françaisDébut juillet 1941, plusieurs anciens com-merces juifs sont réquisitionnés par des mili-tants collaborationnistes pour servir de bureau de recrutement à la toute nouvelle Légion des volontaires français (LVF). Les volontaires viennent signer leur « contrat d’engagement », compléter leur dossier individuel. Plus tard, une fois leur formation terminée, loin de la France, ils recevront leur brassard à l’em-blème de la LVF et leur Soldbuch (livret mili-taire), comme membre d’une unité allemande.Sans doute au moins 9 000 candidats se pré-sentèrent en 1941 pour intégrer la LVF, dési-reux de combattre le communisme, en rupture de ban ou attirés par des soldes alléchantes. Mais beaucoup sont recalés après la visite médicale et au cours de la période de forma-tion, faite d’exercices physiques et de cours théoriques, à la caserne Borgnis-Desbordes à Versailles. Certains le furent aussi du fait de leurs antécédents judiciaires. Moins de 3 700 Français ont alors revêtu l’uniforme de la Wehrmacht, pour former les premiers élé-ments de la LVF.Malgré les meetings organisés début 1944 pour susciter les adhésions, on ne compte que 2 300 légionnaires à l’été 1944. En septembre 1944,

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les restes de la LVF sont intégrés à la division SS Charlemagne.

112-114Dans la Waffen-SSLa loi du 22 juillet 1943 autorise les citoyens français à s’engager dans la Waffen-SS. Ils seront 3 000 recrues jusqu’à l’été 1944, le double s’étant porté candidat ; des volontaires majoritairement issus des milieux populaires, l’adhésion idéologique n’étant pas la règle. De leur côté, plusieurs cadres de la Milice souscrivent, à tour de rôle, un engagement limité dans le temps dans les rangs d’une première Brigade d’assaut, la Sturmbrigade Frankreich. Jusqu’à l’été 1944, environ 9 000 Français ont été engagés dans des unités de combat sous l’uniforme allemand, d’abord dans la LVF puis dans la Waffen-SS. La France a fourni proportionnellement à sa population le moins de volontaires. En septembre 1944, Himmler décide de faire des différentes unités une seule brigade, puis division, de la Waffen-SS : la division Charlemagne. Viennent s’y ajouter environ 2 500 miliciens qui ont choisi de suivre l’Occupant lorsqu’il quitte la France. En février 1945, un contingent de 4 500 hommes est formé et envoyé en Poméranie. Le 25 février, il subit l’offensive soviétique, lors de deux jours de combats violents où les pertes sont très lourdes. Début avril 1945, ils ne sont plus qu’un millier à encore combattre sur la Baltique. Trois semaines plus tard, ils ne sont sans doute pas plus d’une centaine à être décorés de la croix de fer dans les ruines de Berlin.

113DevenirDevenir est le journal des engagés français dans la Waffen-SS. L’éditorial du premier numéro du 1er février 1944 est signé de Joseph Darnand, le chef de la Milice, qui, écrit-il, « a rompu ». Celui qui, en août 1943, a prêté serment au Führer et est entré dans la SS, montre ici clairement la direction choisie,

celle qui consiste à imposer en France un régime national-socialiste. Il se revendique de l’esprit SS, d’un même « idéal » habillé aux couleurs de l’Europe.Paul-Marie Gamory-Dubourdeau, cadre du PPF, tout juste entré dans la SS, suit cette direction. Il devient très vite un cadre de la Sturmbrigade Frankreich, qu’il commande en Bohême au printemps 1944. Il assume d’importantes responsabilités ensuite dans la division Charlemagne, jusqu’à la fin et sa capture. »

115Engagement dans d’autres unitésEn dehors des unités de combat, 10 000 Français ont porté un uniforme allemand, cette fois dans des unités auxiliaires ou dans des corps spécifiques. Dans les deux cas, il s’agit avant tout de jeunes, souvent peu ins-truits, défavorisés ou déclassés socialement, généralement marqués par la propagande nazie. Quel que soit leur faible passé politique jusque-là, ils n’en ont pas moins perçu la force de cet engagement. Dans la Kriegsmarine, au Nationalsozialistische Kraftfahrkorps (NSKK) ou comme gardes armés des chantiers Todt, tous servaient le Reich.

La KriegsmarinePrès de 2 000 Français se retrouvèrent dans la Kriegsmarine, dans des services d’entretien et pour la garde des bases navales.

Le Nationalsozialistische KraftfahrkorpsLe Nationalsozialistische Kraftfahrkorps (NSKK) est un corps motorisé du parti nazi, dont les engagés furent utilisés à des tâches militaires de transport de troupes et de manœuvre. On y compta près de 3 000 Français, beaucoup pour éviter le travail obligatoire. Comme les membres de la Légion des volontaires français (LVF), les Français du NSKK ou des chantiers Todt portent un écusson tricolore sur leur uni-forme allemand.

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116Les agents de l’Abwehr de ParisL’Abwehr, l’antenne du service de renseigne-ment allemand, est la première à employer des agents français. Durant la plus grande partie de la période, elle est en pointe dans la lutte contre les mouvements et surtout les réseaux de la Résistance.Les archives conservent la trace de l’engage-ment de ces agents français : dossiers indi-viduels, fiches d’engagement, rapports d’en-quête et remboursements de frais.

117Cahier  de  service  du  Sicherheitsdienst de Marseille mentionnant l’arrestation de Juifs, 30 septembre 1943« Les Français Garette et Haon qui travaillent pour la Sipo-SD de Nîmes se présentent au service… » : le quotidien d’un bureau de la Sipo-SD en France occupée, consigné dans un registre du service régional de Marseille. Les deux agents livrent 20 Juifs : sept femmes, onze hommes et deux enfants, qu’ils viennent d’arrêter à Vals-les-Bains. Ils ont agi, déclarent-ils, sur ordre du Kommandeur de la Sipo-SD de Marseille en personne, Rolf Mühler, un cadre expérimenté du SD, muté en France dès 1940, ancien responsable régional à Rouen et Lyon, n° 2 de l’opération « Donar » et qui avait aussi supervisé les rafles du Vieux-Port en janvier 1943. L’autre référent de ces deux agents français est August Moritz, l’an-cien responsable de la lutte antimaçonnique à Paris, devenu le chef de la section VI dans le ressort de la Sipo-SD de Marseille. Il sera, le mois suivant, muté à Lyon.L’un de ces deux agents, Joseph Garette (dont le nom est souligné en rouge sur le registre),

est le président du groupe Collaboration de Nîmes. Il est spécialisé dans l’arrestation des Juifs. La Sipo-SD régionale dispose de plusieurs dizaines d’agents recrutés dans les cercles collaborationnistes, notamment ceux du Parti populaire français (PPF) de Simon Sabiani, liés au « milieu » marseillais.

118Caricatures des membres et des agents de la Gestapo de MetzLe SS-Hauptsturmführer Heinz Lautenschläger aimait sans doute les caricatures ! Mais en 1945, le contre-espionnage français ne s’y est pas trompé : l’intérêt premier des planches qu’il compose à l’occasion des fêtes de la fin de l’année 1943 est de présenter les policiers allemands et les agents français à leur ser-vice. Sur la planche présentée ici, plusieurs caricatures concernent des agents doubles de la Gestapo de Metz. Le n° 81 représente Jean Schoving, ici soutenu par Heinrich Fanelsa, le chef du service VI de la Sipo-SD, celui spé-cialement chargé de la gestion des « hommes de confiance ». Habillé d’une soutane parce que Schoving avait envisagé d’entrer dans les ordres, il porte une croix de Lorraine sans doute pour rappeler sa contribution à la chute de plusieurs groupes de résistance. Alphonse Scherer est son compère de contre-espion-nage, représenté ici sous le n° 75, au côté de la secrétaire du service VI. Âgé seulement de 22 ans lorsqu’il est recruté, à sa demande, il devient un spécialiste de l’infiltration des organisations de résistance, généralement en se faisant passer pour un agent britannique. À les voir ainsi représentés aux côtés des poli-ciers allemands, on mesure leur importance dans la lutte contre la Résistance.

119Brigade nord-africaine de la Gestapo de la rue Lauriston et membres du Sicherheitsdienst : intervention en DordogneLe 12 mars 1944, grâce à un accord passé avec les chefs de la SS en France, Henri Lafont, le

Trois amis engagés dans le Nationalsozialistische Kraftfahr-korps (NSKK), corps motorisé du parti nazi utilisé à des tâches militaires de transport de troupes, de manœuvre et au service de l’organisation TodtArchives nationales, Z/6/900 scellés du dossier 306© Archives nationales / Alain Berry

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patron de la « Carlingue », la « Gestapo fran-çaise de la rue Lauriston », qui rêve d’opé-rations militaires, quitte Paris à la tête de « sa » Brigade nord-africaine pour aider l’oc-cupant dans sa lutte contre les maquis de la Résistance.Elle est composée de Nord-Africains recrutés dans les quartiers pauvres parisiens et attirés par les salaires élevés. Marcel Déat fournit également une cinquantaine de militants. Équipés et armés par Joseph Joinovici, qui avait obtenu le marché auprès de la Sipo-SD et après une instruction sommaire, seuls 200 sont retenus et répartis en cinq sections, enca-drés par des truands de « la Carlingue », dont l’ancien international de football Alexandre Villaplana. À défaut de lutter efficacement contre les maquis, son action se résumera jusqu’en août 1944 à celle d’une police auxi-liaire des Allemands, se livrant à des pillages, des sévices contre des centaines de suspects et des exécutions.

121-122Le parcours dans la collaboration d’un pèreet de son fils

121Le parcours du fils : des partis collabora-tionnistes au front de l’EstNé le 24 avril 1920, le fils adhère fin août 1941 au Rassemblement national populaire (RNP) dans lequel il occupe des fonctions de res-ponsable local, puis s’engage dans la Légion des volontaires français (LVF). Il fait partie du premier contingent parti fin août de France et regroupé début octobre au camp de Deba, en Pologne, d’où, peut-être, il écrit à son père le 12 octobre 1941 cette lettre qui traduit les sentiments mélangés de jeunes engagés. L’attente du départ, l’ennui, la camaraderie, l’hiver qui approche… Deux mois plus tard, le 11 décembre 1941, il est tué devant Moscou. Outre cette lettre, on trouve, parmi les papiers saisis au domicile de son père à la Libération, d’autres traces de cet engagement sous la

forme d’un brassard et d’un écusson de la Légion des volontaires français (LVF), de plu-sieurs médailles, la médaille allemande de la bataille d’hiver à l’Est et deux croix de guerre légionnaire, un diplôme en allemand signé Adolf Hitler et un diplôme de la médaille mili-taire à titre posthume portant la mention Mort pour la France.

122Le parcours du père : des partis collabora-tionnistes à la GestapoClerc de notaire à Aubervilliers, marié, deux enfants, versé dans la défense passive de 1940 à 1943, le père est apparemment un citoyen sans histoire. Profondément marqué, semble-t-il, par la mort de son fils, et dési-reux d’obtenir des renseignements sur sa mort, il fréquente les bureaux de la Légion des volontaires français (LVF). Il adhère au Rassemblement national populaire (RNP) en 1942 puis au service d’ordre du RNP, il obtient alors un poste dans les cadres civils de la LVF. Fin 1943, il est nommé secrétaire régional de la LVF à Dijon où il s’occupe de la propa-gande pour le recrutement des légionnaires. Il adhère ensuite à la LVF en 1944, puis au Parti populaire français (PPF) et à la Milice révolu-tionnaire nationale (MRN). Début 1944, on le retrouve titulaire d’un laissez-passer allemand avec autorisation de port d’arme. Dénoncé par un voisin, il est arrêté fin 1944 et condamné le 14 novembre 1945 par la cour de justice de la Seine à cinq ans de prison et à dix ans de dégradation nationale. Les saisies effectuées à son domicile ont permis de retrouver un grand nombre de documents attestant de ces divers engagements dans les partis collabora-tionnistes (LVF, RNP, PPF, Amis de la Légion, MRN, Front social du travail), sous forme de cartes d’adhésion ou de publications, tracts et brochures divers.

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COMMISSARIAT SCIENTIFIQUEDE L’EXPOSITION

Thomas FontaineChercheur associé au Centred’histoire sociale du XXe siècleDocteur en histoire de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne

Denis PeschanskiDirecteur de recherche au CNRS, Président du conseil scientifique du Mémorial de Caen

COMMISSARIAT ASSOCIÉ

Violaine Challéat-FonckConservateur du patrimoine,Archives nationales, département de la Justice et de l’Intérieur

Pascal RaimbaultSecrétaire de documentation,Archives nationales, département de la Justice et de l’Intérieur

Marion VeyssièreConservateur en chef,Archives nationales, responsabledu département de la Justiceet de l’Intérieur

COORDINATION GÉNÉRALE,COMMISSARIAT TECHNIQUE,RÉGIEArchives nationalesDépartement de l’Action culturelle et éducative :Cécile BillardAnne DumazertRégis LapasinSous la direction de Pierre Fournié, conservateur général du patrimoine

SCÉNOGRAPHIEAgence Point de FuiteFrédéric ChauvauxAnne-Laure Le DissèsSophie PélissetMorgane PerrinJuliette PoirierAdrien Stalter

CONCEPTIONAMBIANCES SONORESCapitaine FracasseFrançois Paillet

AGENCEURSEDPhilippe DelormeIsabelle L’Hullier

GRAPHISMESaluces et l’AtelierXavier BonilloJean-Paul CamargoChristophe Montagnier

ÉCLAIRAGETemlightThierry d’Oliveira

AUDIOVISUELAttitude multimédia et Clap35Valérie BundChristian DurixJean-Pierre FrançoisChristine HostachePatrice LongManolis Makridakis

RESTAURATIONArchives nationales,Département de la conservation,atelier de restauration, de reliureet de dorureAmandine BelletPatricia CosteNathalie DebrisayFlorence FoucartVirginie DuverneyMarc GacquièreAudrey GuilletEric LaforestLudivine Leroy-BantiSara Ortégo BoldoBertrand Sainte MartheKarine Testard

MONTAGE DES DOCUMENTSArchives nationales, atelier du Département de l’Action culturelle et éducativeAgathe CastelliniRaymond DucelierChristophe GuilbaudJean-Hervé Labrunie

PHOTOGRAPHIESArchives nationales,Département de la conservation,atelier de photographieCarole BauerAlain BerryRémi ChampseitNicolas DionPierre GrandCéline GaudonJean-Yves Le RidantStéphane MéziacheMarc Paturange

COMMUNICATIONPauline BerniLaurent Champion-SasiainMagalie Schickelé

ARCHIVESNATIONALESJosé AlbertiniChay AmozigMichèle Arigot Pascale BaillyClaire BéchuGuy BernardRomain BernardPauline Berni Sylvie BigoyGhislain BrunelAnthony BurbanCorinne CharbonnierSidney GuezAlexandra HauchecorneÉric LandgrafNathalie Le BecMonique Leblois-PechonMathieu PétrignaniMarjorie Renaut Emmanuel Rousseau

REMERCIE

MENTS

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PRÊTEURS

Archives départementalesde la GirondeAnne DetotCyril OlivierAgnès Vatican

Archives départementalesde la Haute-VienneAnne GérardotPascale Marouseau

Archives départementalesde Meurthe-et-MoselleChristel JajouxHélène Say

Archives départementales du VarAlain DroguetEmmanuelle FitoussiBenoît Jégouzo

Archiv für Zeitgeschichte (Zürich)Michael Schaer RodenkirchGregor Spuhler

Bibliothèque de Documentation internationale contemporaine (BDIC)Magali GouiranValérie Tesnière

Bibliothèque nationale de France (BnF)Franck BougamontThierry GrilletOdile MalletAnne MaryBruno RacineJulien Spinner

Collections particulières

Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC)Nathalie LégerCaroline LouvetYoann Thommerel

Mémorial de la Shoah, Centre de documentation juive contemporaine (CDJC)Jacques FredjKaren Taïeb

Ministère des Affaires étrangères, Archives diplomatiquesRichard BoidinIsabelle NathanLuc Vandenhende

Ministère de la Défense, Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives (DMPA)Mathilde Meyer-PajouPhilippe NavelotAlexis NeviaskiLaurent Veyssière

Ministère de la Défense, Service historique de la Défense (SHD)Alain AlexandraGilles BonAntoine BoulantAgnès Chablat-BeylotBertrand FonckJean-Noël LiabeufGénéral Vincent LeroiFrédéric QueguineurValérie ReistHélène ServantVéronique de TouchetHenri Zuber

Musée de l’ArméeGénéral Christian BaptisteJordan GaspinDavid GuilletLaure-Alice Viguier

Musée de la Résistance nationale (MRN)Xavier AumageAgathe DemerssemanCéline HeytensGuy KrivopisskoCharles Riondet

Préfecture de Police,Service de la mémoire et des affaires culturelles du département patrimonialFrançoise GicquelNathalie Minart

Sèvres – Cité de la CéramiqueDavid CaméoSoazig GuilminHélène Lidin

AUDIOVISUELS

Centre national du cinéma etde l’image animée (CNC)Éric Le RoyCaroline Patte

Éclair GroupPierre BoustoullerLaurent LopéréStanislas Praud

Galatee FilmsNicolas ElghoziJean-Luc Tesson

GaumontLinda Labrude

GMT ProductionsZohra BaudartLise BouleyHoria Iboudraren

Institut national de l’audiovisuel (INA)Dies Blau

StudioCanalCaroline GrangiéDominique Hascoet-BrunetLéa Sansonetti

TF1 Droits audiovisuelsMichel Gastard

REPRODUCTIONS PHOTOGRAPHIQUESBibliothèque de Documentation internationalecontemporaine (BDIC)Aline Theret

Bibliothèque nationale de France (BnF)Georgette BallezFranck BougamontDominique Versavel

Bundesarchiv de CoblenceMartina CaspersBerit Walter

Collection Roger SchallJean-Frédéric Schall

Établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense (ECPAD)Vincent BlondeauPatricia Schneider

Fédération nationale des déportés et internés résistants et patriotes (FNDIRP)Lionel Camelin

Getty ImagesRuth Msika

Mémorial de la Shoah, Centre de documentation juive contemporaine (CDJC)Cécile FontaineLior Lalieu-Smadja

Musée de la Résistance nationale (MRN)Agathe Demersseman

Parisienne de PhotographiePerrine Latrive

AUTRES

ArtransKarine ArnaldiLudivine BarthelCarlos Azevedo

Gras SavoyeDidier Carreras

Maître François Gibault, avocat

François Le Goarant de TromelinPortrait d’Adolf Hitler © Archives nationales, Z/6 /994 / Atelier photo des AN

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