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2,00 € Première édition. N o 12091 MERCREDI 22 AVRIL 2020 www.liberation.fr IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,50 €, Andorre 2,50 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,00 €, Canada 5,00 $, Danemark 29 Kr, DOM 2,80 €, Espagne 2,50 €, Etats-Unis 5,00 $, Finlande 2,90 €, Grande-Bretagne 2,20 £, Grèce 2,90 €, Irlande 2,60 €, Israël 23 ILS, Italie 2,50 €, Luxembourg 2,00 €, Maroc 22 Dh, Norvège 30 Kr, Pays-Bas 2,50 €, Portugal (cont.) 2,90 €, Slovénie 2,90 €, Suède 27 Kr, Suisse 3,40 FS, TOM 450 CFP, Tunisie 5,00 DT, Zone CFA 2 500 CFA. PéTROLE PLUS BRUT SERA LA CHUTE Symbole d’une économie quasi à l’arrêt en raison du Covid-19, la chute du prix du baril en dessous de zéro dollar sur les marchés, lundi à New York, pourrait préfigurer un krach de plus grande ampleur. PAGES 2-7 LE PTIT LIBÉ Un guide contre l’ennui CAHIER CENTRAL JÉRUSALEM-EST Les Palestiniens seuls face au virus REPORTAGE, PAGES 8-9 MAIRIE DE PARIS La campagne attend son tour RéCIT, PAGES 10-11 GETTY IMAGES

Lib 233 ration - 22 04 2020

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Page 1: Lib 233 ration - 22 04 2020

2,00 € Première édition. No 12091 Mercredi 22 Avril 2020 www.liberation.fr

IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,50 €, Andorre 2,50 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,00 €, Canada 5,00 $, Danemark 29 Kr, DOM 2,80 €, Espagne 2,50 €, Etats-Unis 5,00 $, Finlande 2,90 €, Grande-Bretagne 2,20 £, Grèce 2,90 €, Irlande 2,60 €, Israël 23 ILS, Italie 2,50 €, Luxembourg 2,00 €, Maroc 22 Dh, Norvège 30 Kr, Pays-Bas 2,50 €, Portugal (cont.) 2,90 €, Slovénie 2,90 €, Suède 27 Kr, Suisse 3,40 FS, TOM 450 CFP, Tunisie 5,00 DT, Zone CFA 2 500 CFA.

pétrole

plus brut sera la chute

Symbole d’une économie quasi à l’arrêt en raison du Covid-19, la chute du prix du baril en dessous de zéro dollar sur

les marchés, lundi à New York, pourrait préfigurer un krach de plus grande ampleur.

Pages 2-7

LE PTIT LIBÉ Un guide contre l’ennuiCahier central

JÉRUSALEM-EST Les Palestiniens seuls face au virusReportage, Pages 8-9

MAIRIE DE PARIS La campagne attend son tourRécit, Pages 10-11

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2 u Libération Mercredi 22 Avril 2020

Un tableau de l’indice Nikkei, à Tokyo, mardi,

«U n simple accident de parcours», se risquent les plus optimistes pour décrire l’incroyable situation vé-

cue sur le marché américain du West Texas Intermediate (WTI), ce pétrole brut utilisé comme standard dans la fixation des cours du pétrole américain, et comme matière pre-mière pour les contrats à terme à la Bourse de New York. Jamais, de mémoire de trader, des investisseurs n’avaient eu d’autre choix que de proposer leur matière première (faute d’acheteur) à une contrepartie, avec en prime une somme d’argent rondelette. Pourvu que cette même contrepartie s’engage à récep-

tionner ladite matière première. C’est cette scène abracadabrantesque qui s’est ouverte lundi pour se poursuivre mardi, le 21 avril de l’an 2020. Du jamais vu.

Pourquoi le cours du pétroleaméricain s’est-il effondré ?Sur le marché de cotation du pétrole améri-cain, le fameux WTI, la journée de lundi avait débuté de façon relativement ordinaire. Sur les écrans des traders et autres fonds d’inves-tissement et de pension, des lignes de chiffres et de sigles défilent normalement. Bien sûr, crise sanitaire oblige, les marchés financiers ne sont pas au mieux. Mais rien à signaler de particulier. Du moins jusqu’en fin de matinée.

Par Vittorio De Filippis

éditorialParLaurent Joffrin

Château de cartesOn nous prédisait encore ­récemment une apocalypse économique née de l’épuise-ment des ressources pétroliè-res et de l’envolée des prix subséquente. Fragilité des prophéties : c’est l’apocalypse inverse qui survient, c’est-à-

dire une production très ­supérieure à la demande et une baisse des prix verticale, qui jettent le secteur de l’or noir dans une panique de la même couleur. Symbole baro-que de ce ­renversement plané-taire : sur le marché spéculatif des ­contrats à terme, le prix du ­baril est tombé… en dessous de zéro, tandis que le prix sur le marché réel se traîne aux alentours de ­20 dollars le baril. Il n’y avait plus de pétrole. Il y en a trop. Difficile à suivre.Cette chute abyssale donne une mince idée des soubre-sauts économiques qui nous attendent dans cette période de décroissance sauvage.

Le confinement d’une moitié de l’humanité a réduit l’acti-vité mondiale comme peau de chagrin. A moins d’un rattra-page rapide, difficile à envisa-ger, les conséquences d’une telle ­contraction sont redouta-bles : faillite des entreprises les plus fragiles, licenciements ­massifs, hausse brutale du chômage, baisse du pouvoir d’achat moyen, assèchement des finances publiques. Avec cette cerise ­empoi­-sonnée sur le gâteau : comme on a ­­ – de manière plutôt avi-sée – ­déversé un déluge de cré-dits dans la machine enrayée, tout repose sur la confiance des prêteurs. S’ils craignent

­soudain de ne pas être rem-boursés à cause d’un défaut de leurs débiteurs, ils cesseront de prêter. Le système finan-cier, une nouvelle fois, peut s’effondrer comme un château de cartes. C’est là que le couple Etats-banques centrales jouera un rôle essentiel. Im-possible de faire honorer trop vite cette dette montagneuse : ce serait risquer un effondre-ment type 1929. Il ne reste que deux solutions : «monétiser» la dette, c’est-à-dire s’abstenir de tout remboursement ; ou bien la refinancer indéfiniment, jusqu’à des jours meilleurs. Les dogmes, en tout cas, ­seront mauvais conseillers. •

Il est environ 11 heures à Dallas, une heure de plus à New York, lorsqu’un indice se met sou-dainement à virer au rouge. En quelques mi-nutes, le cours du WTI semble perdre tout re-père. Une heure plus tard, la dégringolade paraît sans limite. Parti de 24 dollars, le prix du baril de 159 litres de WTI s’effondre littéra-lement à 2 dollars. Il faudra moins d’une heure pour qu’il traverse la frontière du zéro et pénètre dans les profondeurs des prix né-gatifs, pour finalement s’échouer à - 37 dol-lars. Insensé. Un peu comme si le pompiste du coin payait le plein de l’automobiliste pourvu que ce dernier accepte de remplir son réservoir. Forcément absurde.Cette irrationalité s’est pourtant produite lundi. Elle aurait pu s’arrêter là. Mais voilà, elle s’est poursuivie le lendemain. Certes, le cours du baril de WTI (livrable en mai) coté à New York a fait mardi une incroyable pro-gression, passant de - 37 dollars à 10,01 dollars à la clôture, en territoire positif donc, mais à un niveau de prix encore très faible, car à quelques heures de l’expiration du terme de ces contrats futurs, les investisseurs peinaient à les vendre. Pour éviter la livraison physique, ne restait donc d’autre choix que de continuer à payer pour s’en débarrasser. Les investis-seurs et autres spéculateurs qui s’étaient ga-vés de ces ­contrats ont réalisé l’incroyable si-tuation économique, notamment pétrolière,

PÉTROLEPéril sur le barilLes cours se sont effondrés depuis deux jours en raison d’une demande en chute libre depuis le début de la pandémie et d’une saturation des capacités de stockage. Une situation qui risque d’avoir de graves conséquences sur toute l’économie mondiale.

événement économie

dans laquelle est plongé un monde confiné depuis plus de deux mois. L’économie mon-diale est à l’arrêt, entraînant une chute de la consommation quotidienne de quelque 30 millions de barils. L’histoire aurait pu s’ar-rêter là, si les pays producteurs avaient fermé à temps leur robinet, histoire d’ajuster l’offre à la demande, et éviter la dégringolade des cours. Mais sur les 100 millions de barils pro-duits avant la crise, le monde en extrait en-core chaque jour environ 88 millions. Bien plus qu’il n’en faut pour étancher l’actuelle soif de pétrole. Résultat, les tankers et autres réservoirs sont proches du débordement. Le coût de location des rares tankers encore dis-ponibles pour y stocker de l’or noir est désor-mais, au bas mot, de 150 000 dollars la jour-née… contre à peine 4 000 il y a deux mois.

Faut-il y voir un signe d’une crise pétrolière plus profonde ?Pour les uns, les plus optimistes donc, ce ne serait qu’un accident de parcours. Pour les autres, de toute évidence de plus en plus nombreux, l’épisode de lundi et de mardi doit être pris comme un signe avant-coureur d’un scénario qui pourrait se reproduire prochai-nement. Pour appuyer leurs craintes, ces der-niers soulignent que les cours du pétrole pour livraison en juin restent positifs, mais nette-ment orientés à la baisse. Ainsi Suite page 4

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Libération Mercredi 22 Avril 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 3

P atrice Geoffron est profes-seur d’économie à l’université ­Paris-Dauphine et directeur

du Centre de géopolitique de l’éner-gie et des matières premières.Plus rien ne semble empêcher une chute des cours du pétrole. Comment en est-on arrivé là ?La crise sanitaire que nous traver-sons et la surproduction de pétrole qui en résulte n’ont fait que préci­-piter les fragilités du marché pétro-

Pourquoi ?Tous les efforts fournis par l’Opep pour réguler les prix bénéficiaient en réalité aux producteurs améri-cains qui avaient besoin que le prix du baril ne descende pas en dessous des 40-50 dollars pour continuer à être rentable. Les Saoudiens ont donc décidé de laisser filer les cours qui, dès 2014, se sont effondrés jus-qu’à une trentaine de dollars.Faut-il en déduire que l’Opep n’est pas capable de réguler le marché ?Oui, et c’est pour cela que les Saou-diens ont fini par refuser de faire des efforts additionnels de contrac-tion de l’offre de brut. En 2016, la politique de prix bas devient inte-nable. Pas tant pour les Saoudiens que pour les autres membres de l’Opep, qui ont moins de réserves fi-nancières. En 2016, Riyad tisse des liens avec les Russes, ce qui va don-ner naissance à l’Opep +. Et ça mar-che. Les cours du pétrole remontent jusqu’à atteindre 80 dollars le baril fin 2018. Et grâce à cette remontée, les Etats-Unis ont pu augmenter leur volume de production.En quoi la situation est-elle liée à une confrontation ­larvée entre les Etats-Unis et la ­Russie ?Début mars 2020, lorsque les Saou-diens ont proposé de réduire la ­production des pays membres de l’Opep et Opep + (Russie, Kazakh-stan, Azerbaïdjan…) pour enrayer la chute des cours liée au Covid-19, Moscou a dit «niet». La Russie s’est alors lancée dans une guerre des prix contre les Etats-Unis, notam-ment en réponse à l’offensive de Trump sur le marché du gaz. Pro-blème : les Saoudiens ont décidé de jouer la surenchère de la baisse des prix. Personne n’avait anticipé une telle réaction, ni l’effet massif du Covid sur la demande mondiale.Mais Saoudiens et Russes ont trouvé un accord le 12 avril, en raccommodant l’Opep ?Cet accord se traduira par une baisse de la production de 10 millions de barils par jour à partir de mai. Et au-tant du côté d’autres producteurs, comme les Etats-Unis, la Canada, le Brésil… Mais cela ne suffira pas pour faire remonter les prix face à une de-mande quotidienne qui est en recul de 25 à 30 millions de barils, jusqu’à l’été au moins. Et comme Saoudiens et Russes ont accepté de baisser d’un quart leur production, il est difficile d’imaginer qu’ils feront d’autres efforts. Nous sommes au bout d’une logique : pour réguler les prix, il faudrait que les Américains rejoignent une Opep ++ en acceptant des quotas… contraires à leurs prin-cipes fondamentaux.Et l’Europe dans tout cela ?A court terme, il y a un «effet d’au-baine» à nourrir le retour de la croissance avec du pétrole bon mar-ché. Mais, d’ici peu, si une partie de l’industrie pétrolière s’effondre, nous serons face à un nouveau choc pétrolier, très violent. Et n’oublions pas que le dernier choc, celui de 2018, a déclenché la crise des gi-lets jaunes en France… Le seul anti-dote est un Green Deal européen afin de réduire une dépendance dé-létère pour l’UE.

Recueilli par V.d.F.

lier mondial. Il est difficile de com-prendre la situation sans regarder ce qui s’est passé au cours des vingt ­dernières années. Rappelons qu’en 2007, le gaz de schiste et le pé-trole de schiste appa-raissent dans les sta-tistiques américaines. Ces productions pren-nent alors de l’im­-portance grâce à la fracturation hydrau­-lique, mais surtout du fait que les cours mon-diaux de pétrole mon-tent, jusqu’à frôler les 150 dollars le baril [en 2008]. Et c’est principalement la Chine, qui a rejoint l’OMC quelques années plus tôt, qui tire alors les prix vers le haut. Autrement dit, des ta-rifs relativement hauts ont créé un

espace pour les producteurs améri-cains. En dix ans, ils deviennent le premier producteur mondial d’or noir. Les seconds, au coude-à-coude, ne sont autres que les Saou-

diens et les Russes.Ce sont donc les Etats-Unis qui sont à l’origine du boule-versement mondial du marché ?Oui. Personne n’avait anticipé leur leader-ship, que cette huile de schiste allait boule-verser l’ordre pétrolier mondial. Les Etats-

Unis sont l’éléphant qui entre dans un magasin de porcelaine. Tout s’accélère avec l’élection de Donald Trump, qui fait de l’énergie une des clés de son slogan «Make America

Interview

DR

chutant après la dégringolade du pétrole à New York la veille. Photo Eugene Hoshiko. AP« Great Again» et érige les Etats-Unis au rang de puissance énergétique mondiale. Et non seulement il y a une envolée de la production de pé-trole américain, mais aussi une très forte montée en puissance de celle du gaz naturel. Pour Trump, c’est l’opportunité d’en exporter et de ­venir chatouiller les Russes sur le marché européen. Cette rivalité avec Moscou est importante. Pour preuve : Trump a même fait savoir à la chancelière allemande qu’il était inadmissible d’acheter du gaz russe tout en bénéficiant du para-pluie de l’Otan. Jusqu’en 2014, les prix étaient relativement élevés, aux alentours de 100 dollars le ba-ril. Mais dès l’été 2014, avant même l’élection de Trump, les Saoudiens ont décidé de ne plus soutenir les prix.

«Il faudrait que les Américains acceptent des quotas»L’universitaire Patrice Geoffron décrit la mécanique qui a mené à la situation actuelle, notamment la rivalité croissante entre Etats-Unis, Russie et Arabie Saoudite.

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4 u Libération Mercredi 22 Avril 2020

nancier. Ce marché à haut rendement est tout simplement celui des obligations pourries. ­Elles rapportent gros mais sont risquées. Si la crise pétrolière devait se poursuivre trop long-temps, des fonds d’investissement vont perdre des centaines de milliards de dollars.»Cette situation est d’autant plus préoccu-pante qu’elle pourrait finir par affecter le mar-

proposer de payer ceux qui veulent bien ac-cueillir ce pétrole.»

Un risque de krach qui pourraitdépasser les marchés pétroliersDifficile de s’en tenir à ce simple bis repetita à venir, sans tracer les grandes lignes des en-chaînements qui pourraient affecter encore un peu plus une économie mondiale déjà mal en point. Sans quitter le secteur pétrolier, les regards se tournent vers les Etats-Unis (lire ci-dessous). Et pour cause : la crise pétrolière qui s’est traduite par de nombreuses fermetu-res de compagnies du secteur pourrait faire tache d’huile sur le reste de l’économie. «Les compagnies pétrolières américaines qui ont misé sur le pétrole de schiste et gaz de schiste se sont endettées en émettant des obligations à haut rendement, poursuit notre analyste fi-

merce de New York. Tandis que les traders du secteur de l’énergie se frottent les yeux et craignent légitimement pour leurs emplois, les Américains découvrent, intrigués, des prix à la pompe inédits depuis dix-huit ans : 1,80 dollar en moyenne pour un gallon de près de 4 litres, une facture qui pourraient être vue comme une aubaine historique… si le citoyen lambda, confiné en télétravail ou privé d’emploi, pouvait utiliser normalement sa voiture. Autant que les 22 millions de nou-veaux chômeurs, la ­déchéance du pétrole donne, aux yeux de l’opinion, une mesure an-goissante de la paralysie de la première éco-nomie mondiale.

Lobby. La chute des cours flétrit aussi une fierté nationale. Car l’industrie de l’énergie,

D evant leur monde sens dessus des-sous, les analystes les plus chevron-nés ont perdu leur sang-froid. «Ça va

faire mal, annonce sur Twitter le gourou des matières premières Peter Brandt. On va écrire des livres sur cette journée.» Avant de prédire «du sang dans les rues» avec la ruine des fir-mes de trading et les prochains appels de marge impayés au Nymex, la Bourse de com-

Aux Etats-Unis, cambouis et compagniesConfrontés à la chute du prix du baril, les traders et l’industrie pétrolière tremblent en chœur. Un coup dur pour Donald Trump, qui avait fait de l’or noir l’une de ses vitrines politiques.

Nombre d’économistes écartent de moins en moins l’amorce

d’une spirale déflationniste, alimentée

par une chute des prix.

A Huntington Beach en Californie, lundi. Photo Mario Tama. Getty Images. AFP

ché américain des actions, faisant monter en-core plus le thermomètre de la défiance, et avec lui une plus grande aversion au risque, notamment d’investissement. Pire encore se-rait, ce que nombre d’économistes écartent de moins en moins, l’amorce d’une spirale dé-flationniste, alimentée par une chute des prix, qu’elle parte du pétrole ou d’autres matières premières. A quoi bon acheter aujourd’hui ce qui pourrait très probablement coûter moins cher demain ? Les économistes savent terras-ser l’inflation, ils s’avouent (le plus souvent) impuissants lorsqu’il s’agit d’enrayer une chute des prix… Les plus optimistes se rassu-reront peut-être en se disant que l’Arabie Sa-oudite annonce être prête à tout faire pour éviter le pire. Mais mardi, une fois cette décla-ration faite sans autre précision, la magie des mots n’a de toute évidence pas opéré. •

événement économiele Brent, le pétrole brut

qui sert de référence en Europe, dévissait mardi soir de plus de 20 %, autour de 20 dol-lars le baril. Le WTI pour livraison en juin n’était guère en meilleure forme, aux alen-tours de 11,57 dollars le baril (- 43%).«C’est sans doute la première fois qu’on a un tel surplus de pétrole au niveau mondial. On ne sait plus quoi en faire. Et forcément il ne vaut plus rien», explique un analyste financier. «Comment ne pas voir que rien ne va changer en un mois, explique Philippe Waechter, di-recteur de la recherche économique chez Os-trum Asset Management. Le 22 mai sera le dernier jour des contrats futurs de pétrole pour livraison début juin… Il est fort à parier que les investisseurs ne parviendront pas à trouver preneurs pour vendre. Résultat, ils commence-ront par baisser leurs prétentions, avant de

Suite de la page 2

qui représente 5 % du PIB américain, emploie près de 7 millions de salariés et garantit la ­fameuse indépendance énergétique améri-caine. En 2006, le pays importait encore 60 % de son pétrole. Mais après plus d’une ­décennie de recours au fracking (1), il est au-jourd’hui exportateur net de gaz et de pétrole et premier producteur mondial d’énergie. Un statut glorieux dont Donald Trump se garga-risait à longueur de meetings, et qui semblait valider la stratégie de retrait du Moyen-Orient prônée par la Maison Blanche. Une stratégie qui perd aujourd’hui de son sens dans le chaos des marchés.Depuis son élection, Trump a fait du secteur de l’énergie une vitrine politique. Ses électeurs les plus dévoués sont aussi les plus sensibles aux prix à la pompe, et partagent son lll

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Libération Mercredi 22 Avril 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 5

l’Arabie Saoudite et la Russie de ­réduire leur production afin de freiner la chute des cours mondiaux et soulager les producteurs améri-cains. «Cela va sauver des centaines de milliers d’emplois dans l’énergie», clamait-il sur Twit-ter le 12 avril, à l’annonce de son deal. Le virus a pourtant annihilé les effets de sa négocia-tion.

Endettement. Trump promet maintenant de résorber les surplus en les rachetant pour les stocker dans les réserves stratégiques pé-trolières de l’Etat fédéral. Mardi sur Twitter, il a également annoncé un renflouement massif de cette industrie à l’aide de fonds pu-blics. Avec quelles conséquences ? Alors que, fin mars, la Réserve ­fédérale de Dallas four-bissait des prévisions déprimantes en tablant

sur un baril à 40 dollars en 2020, les pronostics s’assombrissent encore. Selon Artem Abra-mov, directeur de recherche dans la firme Rystad Energy, un baril à 20 dollars, tel qu’il est désormais envisagé en juin dans un scéna-rio de déconfinement progressif de l’écono-mie, signifierait la faillite de 533 compagnies du secteur avant fin 2021. A 10 dollars, 1 100 entreprises déposeraient leur bilan. «A un prix aussi bas, assure Abramov, toutes les sociétés endettées du secteur devraient sollici-ter une protection temporaire contre leurs cré-anciers.» En cause, le niveau d’endettement accumulé par les pétroliers pendant les pério-des fastes où les cours du pétrole étaient éle-vés : 200 milliards de dollars garantis par des réserves d’or noir… aujourd’hui presque sans valeur.

En attendant, Whiting Energy, un fleuron du secteur, est le premier à demander ­protection contre ses créanciers au titre du Chapitre XI. Mais les géants comme Noble Energy, Halli-burton et Occidental, l’un des gros investisse-ments de Warren Buffett, ont déjà perdu les deux tiers de leur valeur boursière.L’agence Reuters révèle que plusieurs ban-ques créditrices du secteur créent déjà de nouvelles filiales chargées bientôt de saisir et d’exploiter les équipements et les puits de pé-trole de leurs débiteurs. Ces sociétés seront en service à l’automne. Il sera alors temps de mesurer l’impact du Covid-19 sur l’économie. Et sur les champs de pétrole américains.

Philippe Coste (à New York)(1) Technique de fracturation hydraulique aussi renta-ble que désastreuse pour l’environnement.

«L’ âge de pierre ne s’est pas terminé par manque de pierres, et l’ère du pé-

trole prendra fin bien avant que le monde ne soit à court de pétrole», avait prédit Ahmed Zaki Yamani après le premier choc pétrolier dans les années 70. Alors bête noire des pays importateurs et consomma-teurs de brut, le ministre saoudien du Pétrole, dont le pays avait provo-qué le quadruplement du prix du baril, n’aurait jamais cru que sa pro-phétie se traduirait un jour par l’électrochoc actuel. Une épidémie entraînant un tel ralentissement de l’économie mondiale que le pétrole inonde les marchés, au point de de-venir ruineux pour l’ensemble des pays producteurs. En effet, des plus riches pétromonarchies du Golfe aux états africains, arabes ou sud-américains nettement moins nantis et plus peuplés, tous ceux qui comptent essentiellement sur leurs ressources en hydrocarbures pour vivre se retrouvent aujourd’hui dos au mur. «Une ère de faillites s’ouvre pour l’industrie pétrolière mon-diale», titrait dimanche déjà le site d’information Algérie-Eco, vingt-quatre heures avant le grand krach du pétrole américain.

Scénario. Entre 65 % et (plus sou-vent) 90 % du budget de la plupart de ces pays exportateurs repose sur les revenus du pétrole. C’est le cas par exemple de l’Algérie, de l’Irak ou du Nigeria, confrontés par ailleurs à des crises sociales aiguës, auxquel-les s’est ajoutée récemment la me-nace du coronavirus, d’autant plus forte que les infrastructures de santé y sont souvent défaillantes. Or, les budgets de ces pays ont été calculés sur la base d’un prix du baril moyen d’environ 60 dollars (55 euros). Le Nigeria, nation la plus peuplée d’Afrique, travaillait sur le scénario catastrophe d’un baril à 30 dollars, au moment où celui-ci est en passe de descendre sous les 20.

Les recettes de l’Etat irakien de-vraient chuter de près de 70 % cette année selon les dernières prévi-sions, alors que les trois quarts du budget couvrent uniquement les salaires des fonctionnaires et les pensions des retraités. Au nom de la paix sociale, les autorités du pays ont, ces derniers mois, embauché 500 000 personnes supplémentai-res. Le gouvernement, intérimaire depuis près de six mois du fait de la crise politique, a envisagé lundi plusieurs mesures. Et entamé des discussions avec les sociétés pétro-lières étrangères opérant en Irak pour qu’elles réduisent leurs coûts de production, afin d’amortir la baisse des cours.«Mais la chute brutale des prix exige de transformer la politique économi-que avec plus d’austérité et de ratio-nalité», selon l’économiste irakien Dargham Mohamed Ali. Une option quasi impossible dans un pays qui a connu un mouvement de protes-

tation inédit réclamant notamment une distribution plus équitable de la richesse nationale.La manne pétrolière reste essen-tielle pour acheter la paix sociale, comme en Algérie, où la redistribu-tion de la rente reste un des derniers ressorts du pouvoir. Il y a près d’un mois, le gouvernement avait déjà décidé de réduire ses dépenses pu-bliques et de revoir sa politique éco-nomique. Mais si, en Irak comme en Algérie, l’épidémie a eu pour effet de vider les rues des jeunes contestatai-res, des crises sociales bien plus lar-ges pourraient poindre en cas d’une nouvelle baisse des revenus.Des menaces plus lourdes encore pèsent sur le Venezuela et l’Iran, qui subissent la double peine de la chute des prix du brut et des sanc-tions économiques internationales. Pour Caracas, détenteur des plus grandes réserves mondiales de pé-trole, le krach pétrolier vient s’ajou-ter à une crise politique et économi-

que aiguë qui dure depuis plusieurs années, et au désastre sanitaire en puissance que représente le corona-virus. L’Iran, où les hydrocarbures représentent 80 % des exportations, semble paradoxalement moins af-fecté par la récente chute des prix, car du fait des sanctions drastiques imposées par l’administration Trump, le pays avait déjà réduit si-gnificativement la part du pétrole dans ses prévisions budgétaires.

Entente. Si elles sont à l’abri de troubles sociaux du fait de leurs ré-serves financières considérables, les pétromonarchies du Golfe voient se réduire leurs ambitions économi-ques et politiques, notamment leurs stratégies de diversification pour préparer l’après-pétrole. C’est le cas surtout pour l’Arabie Saoudite, pre-mier exportateur mondial, dont le turbulent prince héritier, Moham-med ben Salmane, s’est lancé dans des projets colossaux s’appuyant sur

la privatisation d’une partie de sa puissante compagnie pétrolière Aramco. Il voit ses ambitions et son calendrier bien compromis. Mardi, le royaume saoudien s’est dit «déter-miné à assurer la stabilité du marché pétrolier et confirme son engagement avec la Russie pour mettre en œuvre les réductions [de production] pour les deux prochaines années». Mais l’entente laborieuse conclue au dé-but du mois entre Moscou et Riyad semble déjà dépassée. La réduction de la production d’environ 10 mil-lions de barils par jour début mai pa-raît dérisoire face à une demande en chute de près de 30 millions.Enfin par ricochet, la baisse des re-cettes des riches pays pétroliers ris-que de peser lourd sur l’économie mondiale. Car les pétrodollars ne seront pas au rendez-vous pour ve-nir soutenir les finances délabrées des pays occidentaux. Ni contribuer au commerce international.

Hala Kodmani

Les heures noires des pays producteursSi les pétromonarchies doivent revoir leurs objectifs économiques, d’autres, tels l’Algérie ou le Nigeria, risquent l’explosion sociale.

A Alger, le 4 avril. Photo Doudou. PPA. Sipa

hostilité pour les finasseries écologi-ques qui risquaient d’endiguer le flot d’essence bon marché. D’ailleurs, le Président a d’abord décrit la baisse des prix comme «une formida-ble baisse d’impôts pour les Américains».Mais il a aussi enfilé dans le même temps la casquette de ses amis pétroliers – un lobby de l’énergie fossile qui a largement contribué à sa victoire de 2016 et à sa victoire et fait pression sur lui depuis le début de la crise du Covid-19. Trump sait parfaitement que la bonne santé du secteur pétrolier est une des clés de son succès populaire dans des Etats producteurs comme le Texas ou l’Oklahoma. D’où ses mesures : une nouvelle destruction des règles de protection de l’environnement, applaudie par les pétroliers fin mars, puis une offensive diplomatique visant à persuader

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6 u Libération Mercredi 22 Avril 2020

A près 2014, lors de la dernière grande crise pétrolière, le sec-teur avait supprimé 10 000 em-

plois en France. Avec le coup de frein brutal de la demande provoqué par la pandémie mondiale du Covid-19, cela risque d’être bien pire. Quand on inter-roge les professionnels du monde pé-trolier et parapétrolier sur les effets du coronavirus sur leur industrie, le sou-venir des «heures sombres», comme le dit l’un d’eux, remonte immédiatement à la surface. A la différence qu’au-jourd’hui, l’effondrement des cours du pétrole risque d’envoyer par le fond bon nombre d’acteurs parapétroliers, bien plus mal en point qu’il y a six ans. Et dans l’ombre du géant Total, le sec-teur compte bon nombre d’entreprises françaises très exposées, comme Tech-nip ou Vallourec.

«Stoppés net»Avec un baril de pétrole passé durable-ment sous les 30 dollars, soit 27,6 euros (et même les 20 dollars mardi pour le Brent de la mer du Nord, son plus bas ni-veau depuis décembre 2001), les gran-des «majors» pétrogazières, parmi les-quels Total et ses 100 000 salariés dans le monde, n’ont pas attendu pour an-noncer une réduction considérable de leurs investissements. Selon une étude du cabinet spécialisé Rystad Energy, les compagnies du secteur de l’exploration-

production pourraient les réduire de 192 à 61 milliards de dollars, soit une baisse de 68 % par rapport à 2019.«Toute l’industrie se projetait sur un cours minimum de 30 dollars au moins jusqu’à fin 2021, explique Christophe Remoué, d’Evolen, l’association fran-çaise des entreprises du parapétrolier et paragazier, qui réunit 260 sociétés, pour la plupart des PME. Avec la dé-gringolade des cours et sans aucune per-spective sur l’issue de la crise, les nou-veaux projets d’exploration deviennent bien trop coûteux et sont donc stoppés net.»Fin mars, Total a déjà détaillé un pre-mier plan de réduction de ses investis-sements de 3 milliards de ­dollars (-20 %) et un programme drastique d’économies, qui passe de 400 millions à 800 millions d’euros. Alors que son budget 2020 était basé sur un prix du baril de 60 dollars en moyenne sur l’année, la multinationale a calculé que cela devrait se traduire par un manque à gagner de 9 milliards de dollars, comme l’a indiqué son PDG, Patrick Pouyanné. Ce dernier, qui a appelé les salariés de l’entreprise à faire preuve de «capacité de résistance», a également indiqué qu’il mettait fin au programme de rachat d’actions et gelait la quasi-to-talité des recrutements mais sans re-courir au chômage partiel.La situation s’annonce bien plus criti-que encore pour toute la chaîne de sous-traitance en cascade de sociétés de services, de maintenance et d’explo-ration pétrolière. Le premier effet de la pandémie a été de désorganiser les cir-cuits d’approvisionnement et de four-niture de personnel pour les projets déjà en cours qui dépendent de pièces souvent fabriquées à l’étranger, en Chine, en Italie, ou encore en Espa-

gne. «Le secteur tourne déjà au ralenti à cause du Covid, mais ­l’essentiel du choc est à venir et va concerner tous les contrats qui n’avaient pas encore été passés, poursuit Christophe Remoué. Ça va être très très difficile.»Comme l’explique ce cadre d’une so-ciété spécialisée dans l’installation de réseaux sous-marins reliant les plate-formes aux têtes de puits pétroliers, «notre activité dépend quasiment à 100 % des nouveaux projets engagés sur les futurs forages et investissements. On travaillait sur une ­dizaine d’appels d’offres, dont les trois quarts ont été ar-rêtés. Il n’est pas ­exclu que certains champs déjà exploités soient eux aussi fermés. L’impact est massif et immé-diat, avec une réaction en chaîne extrê-mement rapide comme dans le cas d’au-tres industries très globalisées».L’industrie française, qui compta long-temps quelques-uns des plus beaux fleurons du secteur, est en première li-gne face à ce double choc d’offre et de demande. Producteur de tubes sans soudure pour les forages de puits, Val-lourec, dont l’action a chuté de 60 % de-puis le début de l’année et vient de pas-ser sous la barre d’1 euro, a déjà annoncé la suppression de 900 emplois en Amérique du Nord, région qui as-sure près de 30 % de son chiffre d’affai-res.Le géant français de l’équipement de plateformes pétrolières Technip, qui avait survécu à la dernière crise de 2014 en fusionnant avec l’américain FMC, est lui aussi dans la tourmente, tout comme CGG. Facteur aggravant, ces deux entreprises très centrées sur les hydrocarbures n’ont pas cherché, comme d’autres, à se ­diversifier dans les équipements d’énergies renouvela-bles, comme l’éolien offshore ou l’hy-drogène.

Etranglement«Le plus inquiétant, reconnaît-on chez Evolen, c’est qu’en 2014, lorsque le baril avait chuté autour de 30 dollars, les car-nets de commandes étaient pleins alors que ce n’est plus le cas aujourd’hui. Très fragilisés, la plupart des acteurs du sec-teur ­commençaient tout juste à s’en re­-mettre.» Pour survivre, ces fournisseurs d’équipements et de services très divers (bateaux pour les exploitations offshore du français Bourbon, hélicoptères d’Héli-Union pour le transport de per­-sonnes, sociétés d’intérim spécia­-lisées, etc.) avaient dû réduire forte-ment leurs prix et leurs marges sous la pression de majors pétrolières en posi-tion de force. Une situation d’étrangle-ment qui avait entraîné de nombreuses ­restructurations et fusions et qui risque de se reproduire, dans un contexte de pénurie de nouveaux projets.Autre équation impossible, celle du changement climatique : «Polluer moins, cela passe par de gros efforts en recherche et développement. Or toutes les entreprises vont devoir drasti­-quement couper dans leurs coûts pour survivre», explique Christophe Re-moué, selon lequel il sera d’autant plus difficile de s’adapter à la nouvelle donne environnementale. Selon l’étude du cabinet spécialisé Rystad, environ 200 entreprises européennes du sec-teur pourraient ainsi se retrouver en faillite dans les prochains mois, fran-çaises, mais aussi britanniques et nor-végiennes.

Christophe Alix

événement économie

En France, les parapétrolières replongent dans la criseA peine remises du choc de 2014 et malgré le besoin de financement pour s’adapter au changement climatique, les entreprises du secteur vont devoir couper dans leurs investissements, fragilisant toute la chaîne.

La baisse du baril n’affectera pas (trop) les recettes fiscales

La taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) n’est pas une petite ligne dans le budget de l’Etat. L’an dernier, ce prélèvement a rapporté 13 milliards d’euros aux finances publiques, auxquels il faut ajouter près de 17 milliards allant aux régions et départements. Ce qui en fait tout de même la quatrième recette fiscale après la TVA, l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés. Mais la dégringolade actuelle du prix du baril n’aura pas d’impact sur ce que doit encaisser l’Etat. La TICPE est en effet calculée de manière fixe : 66 à 68 centimes par litre d’essence vendu à la pompe, quel que soit le tarif du carburant. En revanche, deux mois de confinement et de moindre circulation automobile ont contraint le ministère de l’Action et des Comptes publics à revoir à la baisse les recettes de cette taxe. Moins de véhicules sur le macadam impliquent une moindre consommation à la pompe. Le projet de loi de finances rectificative adopté la semaine dernière anticipe des recettes de la TICPE en baisse de 10 %. Il était prévu qu’elle rapporte 33,6 milliards en 2020. Ce ne seront que 30 milliards, dont 13,5 milliards pour l’Etat et 16,5 milliards pour les régions et départements. F.BZ L’autoroute A13 à hauteur de Rocquencourt (Yvelines),

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Libération Mercredi 22 Avril 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 7

A 21 dollars le baril de pétrole, voire à un prix négatif sur cer-

tains marchés financiers, mardi aux Etats-Unis, à quoi bon vouloir encore investir dans les renouvelables ? La baisse continue des prix de l’or noir, sous le coup des me-sures mondiales de confine-ment, donnera-t-elle un coup de frein désastreux à la tran-sition écologique ? Des in-quiétudes légitimes car pour ­éviter un emballement cli-matique, l’extraction des énergies fossiles doit s’arrêter dans les prochaines dé­-cennies, et la consommation mondiale d’énergie baisser drastiquement.

Manne. Mais une lueur d’es-poir persiste pour le climat : «Les milliards d’euros d’inves-tissements qui ne seront pas mis dans l’exploration de nou-veaux gisements peuvent être redirigés vers une transition écologique du secteur», assure Maxime Combes, écono-miste et ­porte-parole d’At-tac. D’après l’Agence inter­-nationale de l’énergie, les dépenses en capitaux par les entreprises d’exploration et de production devraient chuter en 2020 d’environ 32 % par rapport à l’an dernier, et atteindre un plus bas de-puis treize ans. Mais l’agence, elle, n’y voit pas une bonne nouvelle pour l’écologie. «Cette réduction de ressources ­financières va réduire les ­capacités de l’industrie pétro-lière pour développer cer­taines des technologies ­nécessaires aux transitions vers des ­énergies propres», peut-on lire dans son rapport d’avril sur les marchés ­pétroliers. Pour Maxime Combes, c’est se tromper de problème : «Les géants du ­secteur ont ­accumulé d’énormes quantités de liquidités depuis de nom-breuses années. Nous avons plutôt besoin que les diri-geants politiques entrent en-fin dans un rapport de force avec ces ­pétroliers pour les ­forcer à utiliser ­ces liquidi-tés dans des investissements pour la transition écologique.»Sans intervention des Etats,

dans le secteur des fossiles, de nombreuses entreprises plus petites ne bénéficient pas de ces réserves finan­-cières et devront, dans les prochaines semaines, mettre la clé sous la porte, comme Vallourec en France (lire ci-contre). «Voilà l’occasion de sauver ces entreprises à la condition qu’elles mettent en place des plans de tran­-sition pour leur personnel à moyen terme», reprend l’économiste.La climatologue Corinne Le Quéré, présidente du Haut Conseil pour le climat (une organisation scientifique ­indépendante créée à la de-mande d’Emmanuel Macron en 2019) voit une autre op-portunité dans cette situa-tion sans précédent. «Il faut utiliser ce prix faible du pé-trole pour arrêter les subven-tions aux énergies fossiles en France», dit-elle. Bien que le gouvernement assure ne pas pratiquer de telles ­aides, plusieurs acteurs, dont les estimations divergent, ­affirment le contraire. A commencer par la Commis-sion européenne, qui déclare que 7,5 milliards d’euros sont donnés par la France au sec-teur tous les ans. L’OCDE, elle, voit plus bas, avec une manne ­estimée à 4,9 mil-liards d’euros. Et l’ONG Ré-seau Action Climat bien plus haut, avec 11,2 milliards ­d’euros. «Le faible prix de l’énergie confère une marge de manœuvre pour repenser une fiscalité pérenne autour de la pollution, souligne le Haut Conseil sur le climat dans un rapport sorti mardi. La ­réduction des exonérations ­fiscales liées aux énergies fos-siles, entamée dans la loi de finances 2020, doit être me-née à son terme.»La pandémie a aussi permis aux énergies renouvelables de faire leurs preuves en si-tuation de crise. Avec la forte baisse de la demande en énergie, de nombreuses ­centrales à charbon et à gaz n’étaient plus rentables et ont dû fermer temporairement. On voit alors, ­depuis février, les renouve­lables occuper

une place sans précédent dans les mix ­énergétiques nationaux. En France, éolien, solaire, hydraulique et bio­-énergies ont produit 32 % de l’électricité du pays en mars et avril, ­contre seulement 1 % pour le gaz. L’an dernier, sur la même période, les renou-velables occupaient 17 % du mix. Il en est de même en Al-lemagne : sur les trois der-niers mois, 52 % de l’électri-cité produite provenait des renouvelables. «Cela montre à quoi ressemblera le monde si on le décarbone, explique Antony Froggatt, chercheur spécialiste de l’énergie au centre de réflexion britanni-que Chatham House. C’est

pourquoi nous devons dé­-velopper les capacités de ­stockage des renouve­lables, comme les batteries à hydro-gène.»

Course en avant. Malgré tous ces signaux positifs, les politiques peinent à saisir ces opportunités. «La Commis-sion européenne comme Em-manuel Macron assurent que la transition écologique sera au cœur des plans de relance écono­mique. Pourtant, les ré-centes décisions de sauver sans ­conditions certaines in-dustries ­polluantes en France, ou de reporter des législa-tions environnementales au niveau ­européen, montrent le contraire», dénonce Maxime Combes. Pendant ce temps-là, le pétrole continue d’être pompé du sous-sol. Au Texas, rien qu’en mars, 1 175 autorisations pour de nouveaux puits ont été déli-vrées, rapporte le Huffington Post. Soit un bond de 30 % ­depuis janvier par rapport à 2019. Une course en avant dont les premières victimes seront les travailleurs et les petites entreprises du secteur pétrolier, avant la planète tout entière.

Aude Massiot

Le baril à bas prix, les renouvelables à bas bruitMalgré le fait que l’éolien, le solaire ou l’hydroélectrique ont fait un bond dans le mix énergétique en raison de l’épidémie, prouvant ainsi leur résistance, la baisse du prix du pétrole fait craindre pour leur avenir.

«Il faut utiliser ce prix faible

du pétrole pour arrêter

les subventions aux énergies

fossiles en France.»

Corinne Le Quéréprésidente du Haut Conseil scientifique

le 12 avril. Photo Marc Chaumeil. divergences

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dans 28 minutespresente par elisabeth quindu lundi au jeudi a 20h05 sur

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8 u Libération Mercredi 22 Avril 2020

ParGuillaume Gendron Envoyé spécial à Jérusalem-EstPhotos Amnon Gutman

que la Cour suprême soit saisie. Nous, ça fait un mois qu’on se dé-brouille contre le coronavirus, seuls.» Cheveux gélifiés vers l’arrière et masque chirurgical sur la bouche, le trentenaire distribue gants et masques aux passants et leur rap-pelle les gestes barrières. D’ordi-naire, Jabarin est éducateur, un des rares jobs financés par la municipa-lité. Depuis le début du confine-ment, il est en congé sans solde.Jusqu’à présent, la gestion du coro-navirus à Jérusalem-Est a donné lieu à une bataille plus politique que sanitaire. Israël a accusé l’Autorité palestinienne de profiter de la crise pour reprendre pied dans la ville trois fois sainte que l’Etat hébreu voit comme sa «capitale unifiée». Le 14 avril, la police israélienne a fait fermer un point de dépistage ins-tallé dans une mosquée de Silwan, un quartier voisin, sous prétexte que les kits utilisés étaient fournis par Ramallah, «sans coordination préa-lable». La veille, le porte-parole de la Sulta avait condamné l’arresta-tion de deux officiels palestiniens en charge des affaires hiérosolymi-taines, dénonçant «l’obstruction de l’occupant dans la lutte contre le co-ronavirus».

«Frères siamois»Ce bras de fer n’empêche pas les doubles discours. Quelques semai-nes plus tôt, quand il a fallu impo-ser le confinement à Kufr Aqab, un autre de ces quartiers miséreux abandonnés par delà le mur, Israël a préféré déléguer la besogne aux policiers de Ramallah, une pre-mière depuis des années. «L’Auto-rité essaye de marquer des points, ce qui n’est peut-être pas le meilleur moment, résume Daniel Seide-mann, directeur de l’ONG anti-co-lonisation Jérusalem terrestre. Mais les Israéliens ont mieux à faire que de pourchasser les politiciens pales-tiniens, surtout dans les zones qu’ils ont renoncé à administrer ! Autour de Jérusalem, il y a plus de frontières qu’on ne peut imaginer : la ligne verte, les limites de la ville, les zo-nes A, B et C, le mur… Israël a tenté de contenir le virus suivant ces li-gnes, mais le virus n’a que faire des frontières ! Israéliens et Palestiniens sont des frères siamois face à l’épidé-

mie : on le voit bien quand un em-ployé palestinien de Jérusalem ra-mène le Covid dans son village de Cisjordanie…»Kamel Jabarin est plus prosaïque : «Les Israéliens ont attendu trois se-maines avant de s’impliquer, bien après la Sulta. C’est pour ça que cer-tains se sont tournés vers eux. C’est humain : on prend l’aide d’où qu’elle vienne.» Ce brouillage des repères

L a scène fait désormais partie du quotidien épidémique. Tentes, hommes en combi-

naison étanche, ambulances et pa-tients à qui l’on enfonce profondé-ment une tige dans le nez. On peut même faire le test sans avoir à sortir de sa voiture, en mode «drive». Ce qui change, c’est le décor : les domi-nos de béton et les miradors calci-nés, à la taille ridiculisée par les im-meubles juste derrière, bambous

urbains qui auraient poussé hors de contrôle. Ce poste de dépistage du coronavirus se trouve à l’entrée du camp de réfugiés palestiniens de Shuafat, qu’Israël a relégué de l’au-tre côté du mur de séparation, mais considère dans les limites de la mu-nicipalité de Jérusalem. Du point de vue du droit international, à l’instar du reste de Jérusalem-Est, Shuafat fait partie des Territoires occupés. Mais la réalité a des contours flous, désignés par une lettre : «zone C». L’Autorité palestinienne («Sulta», en arabe), sise à Ramallah, n’a pas le droit d’y opérer, mais la police is-raélienne y songe à deux fois avant

d’y mettre les pieds. Pour les 150 000 Palestiniens qui vivent de l’autre côté du mur dans cet entre-deux qui a tout de l’angle mort, la municipalité de Jérusalem n’est qu’un vague concept, par delà le checkpoint.«Depuis 2007 [date de la construc-tion du mur à cet endroit, ndlr], cette zone a été peu à peu abandon-née par toute forme d’autorité, as-sure Kamel Jabarin, habitant de Shuafat et bénévole de l’association arabo-juive Kulna Jérusalem («nous sommes tous Jérusalem»). Ce n’est que le deuxième jour où ce point de dépistage est ouvert, et il aura fallu

Dans les quartiers relégués de l’autre côté du mur de séparation, la lutte contre le Covid-19 se double

d’une bataille politique entre Israël et l’Autorité palestinienne.

Dépistage à Jérusalem-Est

«Il aura fallu saisir la Cour suprême»

événement Monde

Une jeune Palestinienne vient se faire dépister dans une clinique de Shuafat.

Point de dépistage du Covid-19,

Pulvérisateurs de produits désinfectants dans une rue de Jérusalem-Est.

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Libération Mercredi 22 Avril 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 9

induit par l’épidémie a forgé des al-liances inédites, jusque dans le bu-reau du maire Moshe Leon, pour-tant très à droite et d’ordinaire peu concerné par le sort des Palesti-niens de Jérusalem. Dans un viru-lent courrier officiel, l’édile s’est alarmé début avril du manque d’équipement et de préparation dans les trois hôpitaux de Jérusa-lem-Est, durement touchés par l’ar-rêt des aides américaines il y a deux ans.

Retard à l’allumageAccusés par le maire d’avoir failli à leurs promesses, les officiels nient tout retard à l’allumage. «Nous avons répertorié peu de cas dans ces zones, environ 200, ce qui explique pourquoi nous avons d’abord choisi de nous concentrer sur d’autres quartiers de Jérusalem, notamment ceux des juifs ultraorthodoxes, où la situation est délicate», assure le docteur Asher Salmon, du minis-tère de la Santé. Seul un décès lié au Covid-19 a été recensé à Jérusalem-Est, une femme de 78 ans. Pour les ONG, ces statistiques ne seraient que le reflet de l’absence de dépis-tage. «Franchement, on ne peut pas cacher les malades avec ce virus, ri-poste Salmon. S’il y avait un cluster à Jérusalem-Est, tout le monde ­l’aurait vu.»

ou soigner : «Certains craignent d’être ensuite rejetés par la com­-munauté. D’autres, par peur de la ­contamination, ont arrêté de venir à l’hôpital, même avec des patholo-gies graves sans lien avec le Covid. C’est inquiétant.»Dans la rue, les masques de contre-façon siglés d’une virgule Nike font fureur. Face aux ados agglutinés, la police antiémeute israélienne tente de timides incursions à proximité du checkpoint, avant de se replier à reculons. Retranchés devant le ­centre pour la jeunesse face aux bu-reaux de l’Unrwa (l’agence onu-sienne pour les réfugiés pales­-tiniens), les cadres du Fatah minimisent les tensions en sirotant leur café. «Une petite centaine de shebabs n’écoutent rien, c’est valable toute l’année, corona ou pas», lâche Imad Ibrahim, qui vante les actions du «comité unifié» : vaporisation de chlore, fabrication de bannières in-formatives. Sans les nommer, Ka-mel Jabarin note que des «associa-tions locales qui n’auraient jamais bossé avec les juifs ont temporaire-ment accepté leur aide, à travers nous». Mais il n’est pas dupe : «Après tout ça, on reviendra à la normalité du conflit. Ce sera toujours au-des-sus de l’épidémie, parce que celle-ci finira bien par avoir une fin. Alors que le conflit…» •

Les FAITS DU JOURn En France, les dernières vingt-quatre heures ont été marquées par une baisse sensible (-250) du nombre de personnes hospitalisées en réanimation. Au total, ce sont 478 personnes de moins qui sont prises en charge dans les établissements ­hospitaliers (30 106 dont 5 433 en réanimation). Le pays a enregistré 531 décès supplémentaires (387 à l’hô-pital et 144 en Ehpad), por-tant le total à 20 796 morts.n Dans le monde, la pandé-mie de coronavirus pourrait doubler en 2020 le nombre de personnes qui souffrent de la famine, selon une étude de l’ONU. Elles étaient environ 135 millions en 2019, dans 55 pays affectés par les conflits et les problèmes cli-matiques, à être en situation «d’insécurité alimentaire ai-guë», et pourraient passer à 265 millions cette année. Parmi les pays les plus tou-chés figurent le Soudan du Sud, dont 61 % de la ­population est concernée, le Yémen (53 %) et l’Afgha-nistan (37 %).n En Iran, plus de 1 000 dé-tenus étrangers ont été libé-rés provisoirement face à la propagation de l’épidémie, après des critiques d’experts des droits de l’homme de l’ONU. Début mars, les autori-tés avaient accordé des per-missions de sortie à 100 000 prisonniers. La chercheuse franco-ira-nienne Fariba Adelkhah ­serait, elle, toujours détenue.n En Allemagne, Berlin va imposer à partir du 27 avril le port du masque dans les transports en commun, vu qu’«il n’est pas possible de garantir une distance de sécurité de plusieurs ­mètres», a expliqué le maire de la ville. Dix Länder sur seize ont déjà imposé cette mesure.n La Croatie étudie la mise en place de «corridors touris-tiques» pour les visiteurs tchèques cet été, à condition qu’ils aient un certificat de non-contamination. Le tou-risme représente environ 20 % du produit intérieur brut du pays. L’an dernier, quelque 20 millions de ­touristes, dont 700 000 Tchèques, se sont rendus en ­Croatie.n Le Danemark, qui lève progressivement les restric-tions liées à la lutte contre le coronavirus, a annoncé que les rassemblements de moins de 500 personnes se-raient autorisés à compter du 11 mai et ­jusqu’au 1er sep-tembre. Jusqu’au 10 mai, ils restent limités à 10 person-nes, aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur.

Il est une inquiétude sur laquelle tous s’accordent : le ramadan, qui doit débuter jeudi soir, alors qu’Is-raël a commencé à assouplir les ­mesures de confinement. «La mis-sion, c’est d’éviter de reproduire ce qui s’est passé avec les ultraortho-doxes pendant les ­fêtes juives», ré-sume Kamel Ja-barin. Les imams ont juré de garder leurs mosquées fermées et appel-lent à ce que les if-tars (les repas de rupture du jeûne) se fassent dans les appartements, et soient limités à la famille proche. Un couvre-feu drastique, comme ce-lui instauré dans les villes juives du-rant Pessah, n’est pas d’actualité mais reste une option selon les auto-rités. Pour sa part, Kulna Jérusalem prévoit de distribuer 10 000 mas-ques et 350 paniers de nourriture d’ici la fin du mois saint.«Je n’inviterai personne, je le jure, même si je pleure de ne voir mes filles que sur WhatsApp !» assure Dalal Kalouti, âgée de 58 ans et mère de six enfants. Elle pioche dans le stock de masques de Jabarin. Pas besoin de topo, elle s’est informée sur la maladie, écoutant à la fois les brie-

fings de l’Autorité palestinienne et ceux de Nétanyahou, qu’un voisin hébréophone lui a traduits. «Sur le corona, j’écoute tout le monde !» dit-elle dans son appartement imma-culé dont les dorures et le bois laqué contrastent avec la décharge sau-

vage où brûlent les déchets le long du mur. Avec ses

rues étroites bordées de jeunes désœuvrés

et ses immeubles de douze étages aux façades à touche-touche, où s’entas-

sent des familles de six enfants en

moyenne par apparte-ment, Shuafat présente

une topographie propice au virus. «En termes de surpopulation, de paupérisation et de carences sa-nitaires, c’est bien pire que Bnei Brak», note l’humanitaire Daniel Seidemann, en référence à cette banlieue ultraorthodoxe de Tel-Aviv, l’un des principaux foyers de l’épidémie en Israël.«On attend la vague, il y a déjà 70 cas à Silwan, s’inquiète le doc-teur Ghaleb Zaria, chef d’une des trois cliniques du camp. D’autant […] qu’il sera dur de résister aux in-vitations durant le ramadan.» Autre souci, les fake news qui prolifèrent et les réticences à se faire dépister

50 km

MerMéditerranée Tel-Aviv

CISJORDANIE

GOLAN

GAZA

JORDANIE

SYRIE

LIBAN

ÉGYPTEISRAËL

Eilat

Jérusalem-Est

à l’entrée du camp de réfugiés palestiniens de Shuafat, à Jérusalem-Est, dimanche.

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10 u Libération Mercredi 22 Avril 2020

P lus d’un mois après le premier tour des municipales, les pan-neaux d’affichage électoraux

qui subsistent dans les rues de Paris ressemblent à des vestiges. Des ­tra­-ces du monde d’avant, quand le Co-vid-19 n’avait pas encore tout boule-versé. «Les municipales, c’était il y a un siècle», évacue un candidat villa-niste. En pleine crise sanitaire et économique, «campagne» et «élec-tion» sont devenus comme des gros mots qu’on n’ose pas prononcer. Pourtant, le sujet reste dans un coin de toutes les têtes. Le 23 mai, des ex-perts scientifiques doivent se pro-noncer sur la possibilité d’organiser le deuxième tour fin juin. Dans le monde politique, plus personne n’y croit. L’option de la table rase est plus probable : on rejouerait alors les deux tours en octobre, voire en mars 2021, en même temps que les départementales et les régionales. En attendant, tout a été mis sur pause. Que se passera-t-il quand on appuiera sur lecture ? La campagne repartira-t-elle sur les bases du 15 mars ? Ce dimanche-là, les résul-tats tombent alors que la France se prépare au confinement. Anne ­Hidalgo, la maire sortante, fait la course largement en tête devant la LR Rachida Dati et la marcheuse Agnès Buzyn. Et encore plus loin devant l’écolo David Belliard et le député mathématicien, dissident macroniste, Cédric Villani. Dans les heures qui suivent, certains com-mencent à parler fusion de listes et accords programmatiques. Sait-on jamais. D’autres, souvent les per-dants, enterrent sans attendre le se-cond tour. «Là, tout de suite, je m’en fous», s’agace à l’époque une candi-date LREM qui pense être atteinte du Covid-19 et qui sait que son score ne lui permettra pas d’être élue au Conseil de Paris.

«Dans son trip corona»Les têtes de listes qui n’ont pas brillé lors du scrutin vont devoir convain-cre colistiers et équipes de les suivre à nouveau. Une campagne, c’est du temps et de l’argent, que les candi-dats n’ayant pas obtenu 5 % des suf-frages ne récupéreront pas. «Cela aura forcément des conséquences en termes de listes. La campagne sera influencée par les résultats du pre-mier tour», prédit le conseiller de Paris Pierre Auriacombe, venu des rangs de la droite mais ayant re-joint la liste LREM. «Certains peu-vent se dire : à quoi bon ?» admet la tête de liste LFI, Danielle Simonnet. Mais l’insoumise veut croire que la «colère» qui monte au gré de la crise sanitaire «peut se traduire en déter-mination».Dans le camp de la majorité, cer-tains sont moins optimistes. Après avoir recueilli 17,26 % des suffrages, «beaucoup de gens ont pris un coup sur la tête chez LREM, ils sont un peu KO debout», raconte un candi-dat figurant sur une des listes d’ar-rondissement de Buzyn. Le pro-blème, c’est que c’est aussi le cas de leur cheffe de file. «Elle est dans son trip corona, je ne l’imagine pas un seul instant repartir» à l’automne,

admet le même élu parisien. Depuis un mois, on dit la candidate «effon-drée». Il y aurait la violence de la campagne, trop dure à encaisser pour une novice en politique, et les regrets d’avoir quitté son ministère de la Santé mi-février alors qu’elle entendait la crise sanitaire gronder. «Je suis partie en ­sachant que les élections n’auraient pas lieu», a-t-elle assuré après coup dans un en-tretien au Monde qui a fait l’effet d’une bombe. Comment revenir après ça ? Au lendemain de ces dé-clarations, un candidat LREM ad-mettait que la campagne parisienne était «perdue» : «Je l’assume, ça n’a pas pris, mais on pouvait ­essayer de minimiser la casse. Là, sa déclara-tion va revenir tout le temps» dans la future campagne.Un mois plus tard, le reset de plus en plus probable des municipales change la donne. Il laisserait du temps aux marcheurs pour trouver une alternative. Soit, après Benja-min Griveaux puis Agnès Buzyn, un troisième candidat en six mois. A la direction de LREM, on évacue la

question : «Agnès Buzyn est et res-tera notre candidate.» Il n’empêche, des noms circulent. «On cherche le candidat miracle, plaisante un mar-cheur. Certains poussent pour Rose-lyne Bachelot», autre ex-ministre de la Santé, revenue en grâce depuis le début de la crise du Covid-19. Mais même en changeant de candidat, le prochain match est loin d’être ga-gné. «Je ne vois pas comment on peut battre Hidalgo, concède un marcheur. Il faudrait unir LR et LREM, soit la carpe et le lapin.»

Comme des adieuxSi à première vue tout est à l’arrêt, la politique reprend doucement ses droits. Dans tous les camps, les ri-deaux des locaux de campagne ont été baissés et les contrats des équi-pes suspendus mais les téléphones sonnent encore. On prend des nou-velles et on s’interroge sur la suite. Du côté de Cédric Villani, c’est le flou. Au lendemain du premier tour, le mathématicien a échangé avec David Belliard, Anne Hidalgo et Agnès Buzyn. Son camp était tiraillé

entre un grand rassemblement avec la gauche écolo et un retour à la mai-son LREM. «Il y a différentes appro-ches, comme il y en a dans ce genre de collectifs où des sensibilités coexis-tent. Il y a une adhésion très forte à la personnalité de Cédric, pour le-quel les gens sortent de leur zone de confort», analyse la députée Anne-Christine Lang, qui en convient : «Maintenant, on revient à des choses plus classiques.» Car le mathématicien, qui plaide pour un report des municipales au printemps 2021, n’est plus là pour souder ses garnisons disparates. La boucle Telegram «Agenda Paris Cé-dric Villani», qui informait la presse des actualités de campagne, clignote encore, mais elle signale désormais les interventions du député sur des sujets nationaux. Villani, vice-prési-dent de l’Office parlementaire d’éva-luation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), a la tête à la crise sanitaire. «Mon activité poli-tique est entièrement liée à l’épidé-mie, confirme le candidat à Libé. Il faut réfléchir sur ce qui va être im-

portant pour la suite pour la France, pour l’Europe. Les municipales ne sont pas le sujet du moment.» Il ne dit pas qu’il les a enterrées mais con-jugue la campagne au passé et parle comme on fait des adieux : «C’était une grande aventure. Je reste très fier de ce qu’on a réussi à faire. Ma plus grande fierté serait de réussir à faire de même avec d’autres sur la crise pour les grands défis à venir.»Le Covid-19 interroge les logiciels idéologiques, y compris au niveau municipal. Pour les écolos, le virus conforte leur projet. «Cela valide la nécessité d’un changement de mo-dèle, analyse David Belliard, leur chef de file parisien. Mais on ne sait pas quel braquet va être pris donc ça va être une bataille politique, qui va se jouer à toutes les échéances électo-rales, y compris locales. La crise du coronavirus nous dit beaucoup de choses sur la fragilité des métropoles, et notamment Paris.» Le candidat s’interroge désormais sur l’architec-ture de ce projet. Pendant la campa-gne, les écologistes parisiens, qui siègent dans la majorité menée par

ParCharlotte Belaïch

Récit

Faire l’union ou poursuivre l’opposition ? Tout changer ou garder ses listes et ses propositions ? Depuis la mise en pause du scrutin, qui pourrait repartir de zéro faute d’un second tour rapide, les troupes des candidats s’interrogent.

Anne Hidalgo à la porte de la

MUNICIPALES À PARIS

La campagne joue à stop mais encore

événement Politique

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Libération Mercredi 22 Avril 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 11

les socialistes depuis 2001, ont rabâ-ché qu’ils n’étaient plus des supplé-tifs. Belliard voulait croire à une «coalition climat» faisant des Verts le nouveau centre de gravité, entre les insoumis d’un côté et Villani de l’autre. Mais, arrivé en quatrième position avec moins de 11 % des voix au premier tour, il n’est pas en posi-tion de force. «On est dans une tout autre configuration politique, affir-me-t-il aujourd’hui. On va sortir d’une crise, c’est une situation excep-tionnelle. Il faut être ouverts et voir comment se situent les gens qui ont participé à la campagne.»En attendant, le chef du groupe EE-LV au Conseil de Paris a repris du service au sein de la majorité municipale pour gérer la crise sani-taire. A sa tête, Anne Hidalgo, dont le mandat a été prolongé, comme tous les maires sortants. Depuis le début de la crise, l’édile socialiste multiplie les initiatives. Dimanche, elle a détaillé dans le JDD son plan de déconfinement pour les 2,2 mil-lions de Parisiens. Il prévoit une multiplication des tests, accentuée

dans les quartiers classés à risque à l’issue d’un travail de cartographie avec l’AP-HP ; une mise à disposition de chambres d’hôtels pour isoler les malades ; une distribution de mas-ques ou encore l’aménagement de voies supplémentaires pour les vé-los. Un rôle de cheffe de guerre dont elle pourrait ressortir grandie.«Cela manque d’imagination dans certains champs. Avant de fermer les marchés, il fallait par exemple réflé-

ter sa deuxième place parisienne. «Ils ont voulu maintenir la date de dépôt des listes pour le second tour pour prendre LREM de vitesse», as-sure un élu parisien. Les projets d’alliance suspendus, Dati se ­concentre sur la maire sortante. Dans une tribune publiée par le Point début avril, elle pointait les insuffisances de sa concurrente. Plusieurs élus de droite lui repro-chent notamment de ne pas asper-ger les rues de Javel ou autre désin-fectant, une méthode pourtant jugée «inutile» et «dangereuse pour l’environnement» par l’Agence régio-nale de Santé.«Cette tribune est indécente, et par rapport au timing, avec une élection qui n’aura pas lieu avant des mois, ça n’a aucun sens», déplore un proche de la maire de Paris. «Dati n’a pas lâ-ché les municipales mais il ne faut pas être naïf, Hidalgo y pense aussi, relativise une marcheuse. Dati fait de la politique : elle veut montrer que l’opposition existe alors que la maire est aux manettes et peut valoriser son action.» Dans un communiqué

envoyé lundi, l’ex-garde des Sceaux de Nicolas Sarkozy écrit : «L’union nationale ne doit pas nous empêcher, nous responsables politiques pari-siens, d’alerter Anne Hidalgo sur la nécessité d’élaborer un plan de dé-confinement cohérent.» Avant de torpiller le plan socialiste.La campagne est officiellement à l’arrêt mais la vie politique locale continue, avec ses camps et ses ­confrontations. Après une période de pause, les élus de Paris doivent se retrouver par écrans interposés mardi prochain. Tout ne recom-mencera pas tout à fait comme avant car «beaucoup de groupes poli-tiques sont divisés», explique Pierre Auriacombe. Des élus LR se sont op-posés à coups de candidatures dissi-dentes, d’autres ont hésité entre LR et LREM et les marcheurs étaient écartelés entre Villani et la ligne of-ficielle. Mais malgré le bouleverse-ment ambiant, certaines choses ne changent pas : l’insoumise Danielle Simonnet réclame la réquisition des cliniques privées et la droite pari-sienne des rues plus propres. •

chir à la façon dont on pouvait mettre les producteurs en relation avec les consommateurs. Mais elle fait le job», concède la villaniste Anne-Christine Lang. «Anne Hidalgo s’en sort plutôt bien», abonde Pierre Au-riacombe. Pour ses concurrents, la position est délicate. Alors que la concorde nationale est à l’honneur, il faut avoir l’air unis, au risque de voir la sortante conforter son avance. «Certains veulent faire de la politique, d’autres estiment que l’union nationale, et parisienne, ­prime… On se pose tous beaucoup de questions», raconte le conseiller de Paris.

«Tribune indécente»Elue au premier tour dans son VIIe arrondissement, Rachida Dati, elle, a tranché. Avec son statut de première opposante, la cheffe de file LR n’entend pas regarder faire Hidalgo sans broncher. Au lende-main du premier tour, alors que cer-tains plaidaient pour un arrêt net de la campagne, la droite s’est lancée dans les négociations pour confor-

Cédric Villani conjugue

la campagne municipale

au passé et parle comme on fait

des adieux : «C’était une grande aventure. Je reste

très fier de ce qu’on a réussi à faire.»

Chapelle, à Paris, le 13 janvier. La maire sortante était arrivée en tête du premier tour, le 15 mars dernier. Photo Marc Chaumeil

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12 u Libération Mercredi 22 Avril 2020

Des CRS entrent dans un bâtiment de Villeneuve-la-Garenne, dans la nuit de lundi à mardi. Photo

Geoffroy van der Hasselt. AFP

A ulnay-sous-Bois, Gennevilliers, Evry ou encore Strasbourg. Deux jours après l’accident d’un conducteur de

moto-cross à Villeneuve-la-Garenne (Hauts-de-Seine), les mêmes scènes se répètent les unes après les autres. Dans la nuit de lundi à mardi, des incidents sporadiques ont de nou-veau éclaté. A Villeneuve-la-Garenne, avant minuit, des tirs de feux d’artifice ont visé les forces de l’ordre qui ont riposté par des jets de grenades lacrymogènes et tirs de lanceur de balle de défense (LBD). Sans forcément de lien avec l’accident survenu samedi, des

échauffourées se sont également déroulées près de Lyon et à Toulouse. A Strasbourg, dans le quartier de la Meinau, c’est une an-nexe de la mairie adjacente au commissariat qui a été la cible de cocktails Molotov. En Sei-ne-Saint-Denis, des tirs de feux d’artifice et des feux de poubelles ont été constatés à la Cité des 3 000 à Aulnay-sous-Bois ainsi qu’aux Francs-Moisins à Saint-Denis.

«Coup de portière»Contactée par Libération, la préfecture de po-lice de Paris confirme ces dégradations dans les Hauts-de-Seine et en Seine-Saint-Denis et ajoute que «la situation, toujours contrôlée par les forces de l’ordre malgré quelques tensions,

s’est apaisée vers 2 heures du matin». Neuf personnes ont été interpellées : sept à Clichy-la-Garenne et deux autres à Rueil-Malmaison, pour «détention d’engins incendiaires et parti-cipation à un groupement en vue de commettre des violences et ou des dégradations». Aucun blessé n’est à déplorer selon la préfecture. A l’AFP, la porte-parole du ministère de l’Inté-rieur, Camille Chaize, a déclaré lundi que «ces agissements sont évidemment intolérables et appellent une réponse de fermeté», indiquant que, «pour les jours à venir, des dispositifs gra-dués sont prévus pour l’ensemble des départe-ments de petite et grande couronne».A l’origine de ces tensions, les images tour-nées dans la soirée de samedi à Villeneuve-la-Garenne. On y voit un jeune homme de 30 ans au sol, en train d’être secouru par des poli-ciers. D’après les premiers témoignages, des agents à bord d’une voiture banalisée au-raient provoqué l’accident en ouvrant la por-tière au moment où passait le motard, sans casque. «Il était en train de rouler sur sa bé-cane. Il y avait une voiture de police banalisée Volkswagen Passat qui était garée, indique un témoin à Libération. Il est passé à côté d’eux. Le policier qui était à l’arrière lui a mis un coup de portière […]. Avec la vitesse, il a été éjecté, il a tapé un poteau.» Le jeune homme, grièvement blessé, a été opéré d’une fracture ouverte de la jambe et s’est vu délivrer une in-capacité totale de travail de quatre-vingt dix jours. Son avocat a déposé une plainte

contre X pour «violence en réunion avec arme et par personne dépositaire de l’autorité publi-que» et le parquet a annoncé que l’Inspection générale de la police nationale avait été saisie.

HachoirDans un ­contexte de confinement général, ces récentes images s’ajoutent aux nombreu-ses vidéos captées depuis le 16 mars dénon-çant des violences policières. Du côté de la préfecture de police de Paris, on indiquait lundi après-midi que le motard, «manquant de renverser le chef de bord, a heurté ladite portière du véhicule de police pour finir sa course dans un poteau». Condamné à qua-torze reprises, notamment pour violences ag-gravées et extorsion, l’homme était, a indiqué le parque de Nanterret, sous contrôle judi-ciaire depuis le 16 mars pour des faits de me-naces de mort matérialisées par un hachoir et verbalisé trois fois pour non-respect du confinement.Trois enquêtes concernant cette affaire ont été confiées à la Sûreté territoriale des Hauts-de-Seine. La première vise la victime de l’acci-dent pour «rodéo sauvage et mise en danger de la vie d’autrui». La deuxième, pour «ou-trage, menaces et insultes envers des personnes dépositaires de l’autorité publique», cible les personnes rassemblées autour de la scène. La dernière a été ouverte lundi pour identifier les auteurs des dégradations survenues dans la soirée de dimanche. •

ParCharles Delouche

événement France

La révolte gronde dans des quartiers populairesDepuis samedi et un accident impliquant un motard et une voiture de police à Villeneuve-la-Garenne, dans les Hauts-de-Seine, des affrontements entre jeunes et forces de l’ordre ont éclaté dans certaines communes. Ces tensions surviennent alors que plusieurs vidéos dénoncent des violences policières depuis le début du confinement.

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Libération Mercredi 22 Avril 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 13

P rofesseur de sociologie à l’uni-versité Paris-VIII-Vincennes-Saint-Denis, Michel Kokoreff tra-

vaille depuis trente ans sur les quartiers populaires.Quel regard portez-vous sur la si-tuation dans les banlieues ­depuis le début du confinement ?Il y a de la révolte dans l’air. D’un côté, on sait bien que ces territoires cu­-mulent les difficultés sociales, à com-mencer par la pauvreté. Le Covid est un puissant révélateur des inégalités dans les quartiers populaires. La déser-tification médicale est un fait ­depuis longtemps dénoncé. L’exercice de mé-tiers de première ligne (caissières, li-vreurs, ambulanciers, infirmiers…) ac-croît la vul­nérabilité des travailleurs. Ce qui explique que la Seine-Saint-De-

nis serait la plus touchée par la sur-mortalité. D’un autre côté, la focalisa-tion des ­contrôles dans les quartiers populaires (y compris à Paris intra-muros ou ­dans d’autres ­villes) a con-duit à une sur­représentation des con-traventions dans ce ­contexte. Dès le début du ­confinement, la Seine-Saint-Denis a concentré à elle seule 10 % de l’en­semble des amendes. A cet égard, la question du respect du confinement est une fausse piste. Les chiffres mon-trent très bien que les mesures ne sont pas moins respectées en Seine-Saint-Denis que dans le département voisin des Hauts-de-Seine. Cet argument vise surtout à légitimer les in­terventions rugueuses et stigmatiser à nouveau les ­populations de ces ­quartiers popu­-laires, qui jouent le rôle de boucs émissaires en temps d’épidémie.Plusieurs incidents ont éclaté ces derniers jours. Faut-il craindre une contagion ?Ce n’est pas sûr. Les ­conditions d’un déborde-ment général ne me sem-blent pas réunies, vu le contexte. Au lieu d’agi-ter le spectre des révoltes de 2005, il faudrait plutôt s’interroger sur l’immo-bilisme des politiques publiques et la fonction sociale de ces territoires dans le gouvernement de la peur. Aux ­difficultés structu­relles, comme la ­pauvreté, s’ajoutent les difficultés ­conjoncturelles liées au Covid-19, la sa-turation des hôpitaux, la surveillance, les contrôles. Dans certains quartiers, la police continue de se comporter comme une armée de ­réserve colo-niale. Cette culture de l’impunité n’est pas nouvelle, mais elle apparaît plus visible en temps de ­confinement. En décembre 2015, quand l’état d’urgence a été décrété, certains services de po-lice judiciaire ont profité de l’effet d’aubaine pour perquisitionner et in-terpeller dans des conditions excep-tionnellement garanties par la loi. On a vu toute une série d’interventions qui n’avaient aucun lien avec les attentats terroristes. Aujourd’hui, le risque est exactement le même avec l’état d’ur-gence sanitaire. Et ce n’est pas propre aux «banlieues».Avez-vous noté des changements dans les quartiers populaires ­depuis 2005 ?La physionomie de certains quartiers a profondément changé. Des dizaines de milliards ont été investis dans les opérations de rénovation urbaine. L’exemple le plus emblématique est celui de Clichy-sous-Bois, d’où est ori-ginaire le réalisateur Ladj Ly. Pour son film les Misérables, il n’a pas pu tour-ner une partie des scènes sur place car le quartier avait été entièrement ­rénové. Mais en dehors des conditions de vie souvent plus dignes, rien n’a

vraiment changé. La situation sociale des familles ne s’est pas arrangée. Le chômage des moins de 25 ans est tou-jours trois à quatre fois supérieur au niveau national. Et l’expérience des discriminations ethniques et raciales n’a jamais été aussi prégnante. Face à la désaffection des services publics, au retrait de l’Etat, face à ses options ré-pressives, à la stigmatisation, à l’isla-mophobie, les religions d’un côté, les trafics de l’autre semblent plus struc-turants de l’organisation sociale.Quel est l’impact du confinement sur l’économie parallèle ?A part la rupture des stocks, un sursaut d’énergie, un désir de vengeance, diffi-cile de répondre. Le trafic constitue une sorte de filière professionnelle qui

­redistribue les ressour-ces. Cette éco­nomie de survie est doublée d’une économie symbolique. Les avan­tages ne sont pas seulement financiers. Beaucoup d’enquêtes de terrain montrent que participer aux réseaux de trafic, c’est être quel-qu’un. Dans les représen-tations, ni l’école ni le tra-

vail légal ne permettent d’accéder à cette reconnaissance. Le business exerce ainsi son emprise sur les plus jeunes. Je suis frappé par la reproduction des schémas. Chaque génération veut éviter les im-passes de la précédente mais reste sou-mise aux ­mêmes contraintes et aux mê-mes ­risques. Comme le marché s’agrandit, que l’offre est plus forte, que rien n’est vraiment fait pour ses quar-tiers au plan social, la spirale est sans fin, la chute programmée.Comment sortir de cette situation ?Il faut la dénoncer, mais aussi changer de regard. Par exemple, en mettant ­davantage en avant les initiatives qui voient le jour dans plusieurs cités, de la région parisienne à Marseille. Face aux carences de l’Etat et à l’envoi des poli-ciers, de nombreux collectifs se dé-ploient pour faire des courses, livrer à domicile, venir en aide aux personnes âgées ou isolées, aux familles qui ont faim. A Clichy-sous-Bois, cinquante pa-lettes de nourriture ont été distribuées pendant huit jours à des cen­taines de personnes. Tous les acteurs de ces quartiers ont financé cette action soli-daire – les dealers inclus. Plus large-ment, de nombreuses prises de position militantes donnent une ­visibilité aux dérives observées aujourd’hui et exi-gent des changements en matière de lo-gement, d’emploi, d’école, de vie démo-cratique. Rapporter la situation actuelle à des causes structurelles sans pour au-tant ignorer les capacités d’auto-orga-nisation dans ces quartiers et ses ap-pels, la voie est étroite mais vitale politiquement face à ce sujet complexe.

Recueilli par Emmanuel Fansten

DR

Interview

«Ces territoires jouent le rôle

de boucs émissaires»

Pour le professeur de sociologie Michel Kokoreff, la police cultive une forme

d’impunité dans les quartiers populaires, plus visible encore durant l’épidémie.

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14 u Libération Mercredi 22 Avril 2020

L e confinement a mis en ­lumière un nouveau type de rendez-vous :

l’apéro via Zoom ou House-party, Messenger, Teams, Hangout et on en passe. Ces dernières semaines, les plate-formes de tchat vidéo ont vu le nombre d’utilisateurs s’en­-voler (entre le 15 et le 21 mars, Zoom, l’appli de Google, a été téléchargée 22 fois plus que la moyenne en France, 16 fois plus pour Teams, éla­borée par Microsoft). Ce qui peut manquer à ces retrouvailles numériques, c’est d’élargir le cercle, de croiser des incon-nus, de traîner au bar (on a le droit de rêver) en matant la foule se déhancher et de dan-ser ­jusqu’à la courbature.

Leslie Barbara Butch, DJ et figure de la communauté LGBT, organise depuis le dé-but du confinement des ­soirées sur la plateforme de tchat vidéo Zoom. Le prin-cipe de «L’appart chez moi» est simple mais étrangement peu répandu : chaque samedi soir, au moment où elle com-mence à mixer depuis son ­canapé, les participants dé-couvrent à 21 heures sur Ins-tagram le code qui leur per-mettra de se connecter à «la réunion».

Flopée de costumesLes danseurs apparaissent sur une mosaïque de petits écrans, leurs micros sont coupés, mais les uns et les autres peuvent se parler via le tchat collectif. Axel Bonni-chon, patron d’une agence de

Par Marie OttaviPhotos Lucile Boiron

La DJ Leslie Barbara Butch organise chaque samedi des soirées sur Zoom. Danses, discussions par tchat et sourires garantis :de quoi briser en musique la solitude du confinement.

Leslie Barbara Butch, samedi sur Zoom.

«L’appart chez moi»

Venons en aux fêtes

événement Vous

Samedi, près de 500 participants se sont invités chez elle, en

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Libération Mercredi 22 Avril 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 15

com avec qui Leslie Barbara Butch a imaginé le concept, se charge d’afficher les diffé-rentes personnes présentes sur l’écran principal de la fête.On voit alors se succéder une multitude de noceurs. Il y a une fille seule dans son stu-dio qui donne tout à la danse devant sa machine à laver, un couple de quadragé­-naires en train de finir leurs nouilles, une mamie qui ne sait visiblement pas com-ment ça marche, deux ­garçons avec leur chat, un moustachu de plus en plus nu, des enfants en pleine forme avant d’aller au lit, des bandes de colocs (on l’es-père), de la déco douteuse et une flopée de costumes. C’est bon enfant et émouvant de voir autant de gens danser «presque» ensemble. Olivier, réalisateur de 34 ans, s’est dandiné plusieurs ­heures dans son salon avec sa com-pagne. «Depuis le ­début du ­confinement, j’ai cherché des soirées de ce ­genre-là, expli-que-t-il. J’ai vu que ­Diplo fai-sait des mixes, Arte Concert poste un live tous les soirs, et sur Twitch, une plateforme de streaming utilisée par les gamers pour jouer ou com-menter, il y a de plus en plus de DJ qui diffusent leur mu­-sique. Mais c’est différent de

voir autant de gens danser en écoutant de la musique live. Ça fait du bien de voir du monde. Moi, je n’osais pas crier ou chanter. Finalement, chez nous, c’était une fête ­silencieuse où on n’a pas fait de bruit.»

«Pas de mains au cul»L’idée de «L’appart chez moi» est née le jour de l’anni­-versaire de Leslie Barbara Butch, qu’elle s’apprêtait à fêter en solitaire : «J’étais

toute seule le 17 mars. J’ai fait un live Instagram avec mes abonnés, on a soufflé les bou-gies et j’ai mixé pendant une heure. Avec mon ami Axel, on a eu l’idée d’organiser une fête virtuelle le samedi sui-vant. On paie un forfait qui est ajustable selon le nombre de personnes connectées. Les deux premières semaines on était 150, la semaine dernière il y avait 300 personnes.» ­Samedi, près de 500 partici-pants se sont invités chez

cément, tout le monde se mé-lange. Ça rompt l’isolement des personnes seules. Les gens se parlent, il y a de la drague mais ce n’est jamais lourd. Et y a pas de mains au cul ni de harcèlement de meuf.»

«Le bon son»Sébastien, 41 ans, est monté sur le canapé familial «avec [s] a femme et [s] a fille de 9 ans». «L’ambiance a vite décollé, souligne-t-il. C’est un peu la course à qui va se voir

affiché à l’écran et ça pimente l’expérience. La DJette a fait de super choix : du bon gros disco, des morceaux oldies et un peu d’electro. Mettre de la musique entre potes sur Zoom, on a testé plusieurs fois, et c’est difficile de trouver le bon son qui fonctionne. Nous, on n’avait rien préparé mais comme j’ai toujours une perruque sous la main, on s’est déguisés et on a dansé comme des fous.» Amélie, 39 ans, admet qu’elle n’a «pas aimé au début». Confinée seule chez elle à Paris, elle n’a pas été «tout de suite dans l’ambiance». «Les premières minutes, je n’ai pas mis la ­caméra, j’ai maté pour voir comment ça se passait. For­-cément, il n’y avait que des gens que je ne connaissais pas. J’avais bu la veille alors là j’étais à la grenadine toute la soirée. C’est devenu inté­-ressant quand on a ouvert House­party en parallèle avec des amis. J’avais l’impression de danser avec mes potes. Avant d’être en double écran, j’avais l’impression d’être dans une soirée où je n’avais pas été invitée. Je reviendrai, je suis quand même passée quatre fois à l’antenne.» ­Leslie Barbara Butch devrait encore agrandir la jauge ­samedi prochain et faire en-core des heureux. •

elle, en provenance de la communauté LGBT mais pas seulement.La soirée, censée s’achever à 23 heures, se poursuit ­irrémédiablement jusqu’à 1 heure du matin. «Comme en club, les gens me disent à la fin “allez, une dernière”, et je me prends au jeu, constate “LBB”. On est de plus en plus nombreux et on ne veut pas que les gens se retrouvent à la porte comme ça peut être le cas dans les vraies fêtes. For-

Anaïs, qui danse chez elle devant le live.

Une mosaïque de webcams, pendant la fête.

provenance de la communauté LGBT mais pas seulement.

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16 u Libération Mercredi 22 Avril 2020Expresso

Pennsylvanie : «Nous ne vivons pas dans un pays communiste»A Harrisburg, capitale d’un des Etats américains les plus touchés par le Covid-19, une manifestation a pourtant eu lieu lundi pour réclamer la fin du confinement.

Quelque part entre une parade de bikers, un raout libertarien

et la chauffe d’un meeting de Trump, des opposants aux mesures de confinement ont manifesté à Harrisburg, la ­capitale de la Pennsylvanie,

de 349 milliards de dollars (321 milliards d’euros), prévue par le colossal plan de sauve-garde de l’économie voté par le Congrès fin mars, était déjà à sec, et les élus discutent en ce moment d’une rallonge. «Le gouvernement nous a im-posé de fermer sans compen-sation, enrage David Sieberg, un prêteur sur gages. Je reçois des appels de gens en larmes qui me supplient de leur ache-ter des objets, mais je ne peux rien faire…» Le sexagénaire s’emporte : «On ne peut pas aller à l’église, ce qui est une violation du premier amende-ment. De manière générale, ça devrait être à nous de ­choisir si on souhaite prendre des risques ou non, pas au gouverneur.»A l’unisson des protestatai-res, Samantha, deux enfants et un emploi de secrétaire ré-

lundi midi. Avec ou sans masques, peu soucieux de la distanciation sociale, plu-sieurs centaines de person-nes se sont agglutinées sur les marches du Capitole de l’Etat pour demander la «réouver-ture de l’économie» et le «re-tour de [leurs] emplois» lors d’un rassemblement sem­-blable à ceux qui ont eu lieu ces derniers jours dans le Mi-chigan, en Californie ou en-core dans le Colorado.Dans leur viseur : la «surréac-tion» de l’Etat, et surtout de son ­gouverneur démocrate, Tom Wolf. Le Keystone State, Etat clé pour la présidentielle de novembre, tombé de ­justesse dans l’escarcelle de Trump en 2016, est l’un des plus touchés par le Covid-19 : plus de 33 000 cas dépistés, plus de 1 200 morts. Et après plus d’un mois de confine-

ParIsabelle Hanne Envoyée spéciale à Harrisburg (Pennsylvanie)

Des manifestants américains anticonfinement et pro-Trump, lundi à Harrisburg, en Pennsylvanie. Photo Nicholas Kamm. AFP)

ment, près de 20 % des Penn-sylvaniens au chômage. «Ça fait six semaines que je ne peux plus travailler et que je n’ai aucun revenu : je n’ai pas encore reçu le moindre dol-lar en d’alloca-tion chômage, s’agace Denise, une esthéticienne. J’ai deux bouches à nourrir, un prêt à rem-bourser… Ces fermetures, c’est de la folie.»

«Rébellion». Cette mère cé-libataire, qui se définit d’em-blée comme une «Latina pro-Trump», a entendu parler du rassemblement sur Facebook. «Mais j’étais sur le point ­d’organiser ma propre rébel-lion», affirme-t-elle. Comme de nombreux manifestants,

Cole, lui, critique la distinc-tion faite entre les travailleurs ­ «essentiels» et «non essen-

tiels», catégorie dans laquelle il est tombé. Ce masseur trentenaire du comté de Bed-ford se dit «ex-

cédé» : «Je peux acheter un Whop-

per chez Burger King, mais je ne peux

pas travailler pour nourrir ma famille.» Il suggère de «confi-ner les seniors et les plus vul-nérables», mais de «rendre leur liberté aux autres, ca­-pables d’observer des prati-ques d’hygiène de bon sens. La Terre ne devrait pas s’arrêter de tourner à cause d’un virus !»Les petits commerces sont particulièrement touchés. La semaine dernière, la cagnotte

100 km

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WashingtonDC

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MARYLAND N.J.

Harrisburg

duit a minima, trouve que Trump fait «du super bon boulot» dans sa gestion de la pandémie. Elle a reçu la ­semaine dernière le chèque du gouvernement fédéral, un paiement direct issu du ­package du Congrès. «Ça nous aide bien ce mois-ci, mais je n’ai pas envie de vivre aux crochets de l’Etat. Moi, je veux travailler et gagner mon propre argent !» Alors que le gouvernement fédéral n’était pas autant intervenu dans la vie quotidienne des Améri-cains depuis des générations, les manifestants de Harris-burg ont voulu rappeler l’im-portance de leurs «libertés ­individuelles garanties par la Constitution». Un groupe de jeunes hommes armés a pa-radé devant le Capitole pour le rappeler. «Citoyens, pas su-jets», résume une pancarte.

Concessions. «Moi je suis prête à reprendre le travail malgré la menace d’être in­-fectée», assure Denise. Elle dit qu’elle a surtout «très peur du gouverneur» : «Il abuse de ses pouvoirs en me dictant ma conduite : nous vivons dans un pays libre, pas dans un pays communiste.» Poussé par une législature contrôlée par les républicains, Tom Wolf a pourtant déjà fait quelques concessions, autorisant dès le 8 mai la vente en ligne pour les concessionnaires, la réou-verture partielle de certains magasins et le redémarrage de quelques chantiers.En face, Trump souffle le chaud et le froid. Après avoir présenté jeudi un plan de ­réouverture par étapes, il a appelé le lendemain sur Twit-ter à «libérer» certains Etats. Exprimant son soutien aux contestataires, il a plusieurs fois affirmé que les gouver-neurs (démocrates) de cer-tains Etats allaient «trop loin».Si les préoccupations écono-miques des manifestants sont bien réelles, l’organisation de leurs raouts semble, elle, plus téléphonée. Parmi leurs sou-tiens, les groupes conserva-teurs qui avaient joué un rôle prépondérant dans l’avène-ment du Tea Party, a noté lundi Theda Skocpol, prof à Harvard : «Ils envoient le ­signal aux activistes locaux que c’est le moment de sortir et de faire du bruit […] pour créer un spectacle média­-tique. Ce n’est pas une vague spontanée.» •

Harry et Meghan déclarent la guerre aux tabloïds ­britanniques Lundi, le couple princier a annoncé dans un communiqué renoncer à jamais

à «toute collaboration ou engagement» avec le Daily Mail, le Daily Mirror, le Daily Express et le Sun. Depuis, les tabloïds, qui avaient déjà mené ­pendant des mois une campagne insidieuse aux relents racistes contre ­Meghan, se déchaînent. En résumé, Harry est un pantin entre les mains d’une manipulatrice. Et le couple est lâche d’abandonner ainsi un peuple britannique aux prises avec un très méchant virus. Photo AFP

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Libération Mercredi 22 Avril 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 17

Les députés PCF

mardi, en visioconférence

de presse

maine dernière, peu avant l’examen du deuxième pro-jet de loi de finances recti­-ficative en trois semaines. Lors d’une réunion des chefs de parti pilotée par Mati-gnon, lundi, le communiste Fabien Roussel a appelé «à déconfiner le Parlement», tandis que le premier secré-taire du PS, Olivier Faure, ju-geait «insupportable de voir la démocratie mise en qua-rantaine». En conférence des présidents de groupe, mardi, a été formulée la même demande de sortir d’un «mode dégradé» pour reprendre la main, à l’heure où s’élabore le scénario du déconfinement. «On a été

Soumise depuis cinq semai-nes à des règles sanitaires draconiennes, l’Assemblée nationale (qui fut un cluster avec 22 députés, 2 ministres, 6 membres du personnel et 2 collaborateurs testés posi-tifs au Covid) va légèrement desserrer cet étau pour per-mettre des débats en comité plus large. Depuis quelques jours, des voix s’élevaient pour signaler que le fonc-tionnement en télétravail ­atteignait ses limites et s’in-quiéter d’une mise hors-jeu du Parlement dans la ges-tion de la crise. «On sent monter l’idée que débattre à 20 est compliqué», recon-naissait un ministre la se-

A Onnaing, la reprise progressive de l’usine Toyota C’est une reprise à pas comptés, à l’usine Toyota d’Onnaing,

près de Valenciennes (Nord). 500 salariés, principalement des chefs d’équipe, ont pris mardi connaissance des changements de process à expliquer et à faire appliquer. Ils seront 1 200 ce jeudi pour le redémarrage de la production. Soit une seule équipe au lieu des trois habituelles, qui se partagent les trois-huit. Lire notre reportage sur Libération.fr. Photo Aimée Thirion

Jean-Paul Mari suit au jour le jour le combat d’une équipe médicale dans un hôpital d’Ile-de-France.«Docteur, je meurs ! Venez ! Tout de suite !» Quand Pierre (1), le médecin régulateur, re-çoit ce genre d’appel, il sait qu’il lui faudra prendre son temps. Pourtant, le Samu, même par téléphone, aime agir vite. En principe, les symptômes, l’âge, un «respi-rez, j’écoute», et le choix (méde-cin, ambulance ou ne rien faire) s’impose. Là, c’est autre chose. Une crise d’angoisse apocalyptique, appelée au-trefois la ­ «tétanie», un pa-tient qui respire comme une locomotive à charbon, parle de douleurs insupportables dans la poitrine, cherche de l’air, accroché à sa fenêtre…Covid à deux doigts de la mort, crise cardiaque ou crise de panique ? Vrai ou faux ? «C’est le diagnostic le plus dif-ficile à faire, dit l’urgentiste, un diagnostic d’exclusion.» Autrement dit, écarter une à une les causes graves. Pas fait pour les bizuths, les étu-diants en médecine ou même

les médecins retraités classi-ques, appelés en renfort à la régulation, déconcertés par la brutalité de la décision à prendre. D’autant qu’avec le Covid, ce genre d’appels a fini par exploser.Au début, la population, sidé-rée, écoutait la litanie quoti-dienne des petits comptables de la mort au journal de 20 heures. Tout en noir. Puis l’annonce du déconfinement a repeint tout en blanc. Mais

a angoissé cer-tains à l’idée de se retrouver en contact dehors,

avec les autres, tous infestés bien sûr ! Alors chacun dé-compense à sa manière, selon sa culture, son quartier. Il y a le «syndrome méditerranéen», démesuré, et logorrhée, «je fais un infarctus, je vais mou-rir. Venez ! Quand ? Ah ! C’est trop tard !» Parfois, on entend des accents de mamma sé-pharade : «D’accord docteur, je raccroche et je meurs…» Chez certains patients discrets, no-tamment d’origine asiatique, le danger est ailleurs : «Ma mère ne respire pas très bien» «Des douleurs poitrine ?» «Oui, aussi.» «Fortes ? Sur une échelle 0 à 10 ?», «9», «Quoi !

On vous envoie les pompiers.» Dans le doute, Pierre l’urgen-tiste dépêche un médecin pour mesurer avec un doig-tier la saturation de l’oxygène dans le sang, «mais en atten-dant, il faut leur parler, les calmer».Un numéro 15, un médecin du Samu au bout du fil, 24 heures sur 24, la régu­-lation est devenue le récep­-tacle de toutes les angoisses : «Longtemps qu’on demande une plateforme psy !» Il faut aussi éviter le «syndrome du glissement», ces malades très graves ou âgés qui se laissent couler, comprendre s’ils tra-versent une mauvaise passe ou arrivent au bout de leur vie. Lutter contre l’isolement de ceux qui vivent entourés de voisins inconnus.Même les plus forts peuvent être atteints, comme cette syndicaliste de fer, Covid +, célibataire, qui a vécu trois jours de cauchemar en se de-mandant chaque soir si elle allait se réveiller au matin. Ou mourir seule. Dans un monde où, moins visible que le Co-vid, la solitude, elle aussi, tue.

Jean-Paul Mari

(1) Les noms ont été modifiés.

«Je fais un infarctus, venez ! Ah ! C’est trop tard…»

Vu de l’hôpital

plusieurs à faire passer le message que les députés avaient des fourmis dans les jambes et qu’il fallait assou-plir la contrainte», raconte un président de groupe.La perspective d’un débat sans vote à l’Assemblée et au Sénat les 28 et 29 avril sur les «innovations numériques permettant de mieux lutter contre l’épidémie» – com-prendre l’inflammable sujet du tracking – avait été jugée trop expéditive la semaine dernière. Le gouvernement, qui présentera une déclara-tion, s’est finalement résolu à la soumettre au vote. De même pour son plan de dé-confinement sur lequel les députés se prononceront début mai. «La pression était trop forte, ce n’était plus tenable pour le gouver-nement», estime le prési-dent du groupe LR, Damien Abad. Si le Palais-Bourbon n’admet plus qu’une petite trentaine de députés en sé-ance publique, ils pourront être 75 dès la semaine pro-chaine, répartis au prorata des groupes. Et ce pour ne pas dépasser la jauge de 100 dans l’hémicycle en comp-tant les ministres et les fonctionnaires. Même si elle ne pourra pas turbiner à 577 le 11 mai, un plan progressif de déconfinement de l’As-semblée doit être présenté début mai.

Laure Equy

«La démocratie virtuelle a montré

ses limites.»

LIBÉ.FR

Le petit appartement de la fa-mille Jahan porte encore les séquelles du saccage mené par les hindouis-tes, le 26 février. Le réfrigérateur gît en morceaux, les vête-ments brûlés sont à terre. A cause du Covid, ces six rési-dents musulmans doivent ­vivre confinés dans cette scène de crime, entourés d’une communauté d’hin-dous qu’ils jugent complices. «Ils ont volé tous nos bijoux, ont tout cassé, déchiré les ­livres d’université de mon frère et jeté de l’acide sur ­notre gazinière, montre Ashina, l’une des filles de la famille. Comment voulez-vous que l’on

vive en paix ici ?» «Nous ­sommes comme des morts-vi-vants», abonde Iltaf Khan,

leur voisin à la modeste maison saccagée égale-

ment. Dehors, cette ruelle du quartier populaire de Shiv Vi-har, dans le nord-est de New Delhi, vit à un rythme étran-gement calme. Quelques ha-bitants sont adossés au mur, un ­masque sur le visage. Des ados passent leurs nerfs sur un jeu de combat sur mobile.C’est pourtant ici que le pays s’est déchiré après l’adoption, en décembre, de la loi sur la citoyenneté, qui facilite la naturalisation d’immigrés ­illégaux venant de pays voi-

sins à l’exception des musul-mans. A la mi-février, les ma-nifestations pacifiques ga-gnent ce quartier, qui compte une forte proportion de mu-sulmans. C’est alors que des milliers d’hindouistes, en-couragés par des dirigeants du Parti nationaliste hindou au pouvoir, le BJP, y descen-dent avec rage, armes à feu, barres de fer et bâtons, pour «empêcher la propagation» de cette contestation popu-laire. Entre le 25 et le 27 fé-vrier, ils pillent, brûlent les commerces musulmans et sèment la terreur, sans que la police, débordée ou com-plice, ne puisse les arrêter. La famille Jahan, qui a fui quel-

ques jours, a juste le temps de retrouver son appartement que le confinement débute, le 25 mars. Pas question d’al-ler à la soupe populaire, orga-nisée par le gouvernement régional. «Ils continuent à faire des remarques dans la rue et nous accusent de pro-pager le virus. Je ne sais pas si je serai en sécurité dans ces longues files ­d’attente», ra-conte Gulshan, la belle-sœur d’Ashina. Leur survie dépend des dons d’une association, Foundation for Poverty Alle-viation, qui soutient 6 200 fa-milles dans le nord-est de la ville.

SÉBASTIEN FARCIS (à New Delhi)

En Inde, des musulmans confinés avec leurs ennemis

Vu d’Inde

Capital Bolloré vole au secours de Lagardère… pour mieux le manger ?

C’est un événement dans le grand capitalisme français et il ressemble furieusement à un baiser de la mort. Le groupe Vivendi, (Canal +, Universal Music et Editis) a ­confirmé mardi être entré au ­capital de Lagardère, à hauteur de 10,6 %. Autrement dit, le milliar-daire Vincent Bolloré prend une position forte chez le millionnaire Arnaud Lagardère, lourdement en-

detté. «Il s’agit d’un placement financier à long terme témoi-gnant de la confiance de Vivendi dans les perspectives de ce groupe français, fort de positions de leadership interna-tional dans ses principaux métiers et qui traverse, comme beaucoup d’autres, une période difficile», affirme l’acheteur. Pour beaucoup, c’est le signe que Lagardère est acculé. Car son nouvel associé n’a pas la réputation de se contenter d’une position de minoritaire. Il pourrait être intéressé par les radios Europe 1 (pour le rapprocher du CNews de ­Canal +), Virgin et RFM, le magazine Paris Match et le Jour-nal du dimanche. Et viser une synergie dans l’édition entre Hachette et Editis, sous réserve du feu vert de l’Autorité de la concurrence. J.Le. Photo AFP

Page 18: Lib 233 ration - 22 04 2020

18 u www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Mercredi 22 Avril 2020Expresso

Le ministre de l’Education a précisé mardi que le retour à l’école se ferait par niveau, étalé sur trois semaines, avec une limite de 15 élèves par classe. Mais les syndicats réclament le détail des conditions d’hygiène.

Un calendrier et quel-ques précisions. Alors qu’Emmanuel Ma-

cron avait créé la polémique en annonçant la semaine der-nière la réouverture «progres-sive» des crèches, écoles, ­collèges et lycées à partir du 11 mai, le ministre de l’Educa-tion nationale, Jean-Michel Blanquer, a détaillé mardi

Pour y arriver «l’élève sera dans quatre situations possi-bles», précise Blanquer : soit en demi-groupe, soit «à dis-tance», soit à l’étude «si la configuration de l’établisse-ment le permet», soit dans une activité sportive si la commune peut le mettre en place. Il s’agit de «grands principes» mais il y aura «beaucoup de souplesse lo-cale», a insisté le ministre. Et si une famille ne veut pas en-voyer son enfant à l’école, ce sera possible mais dans ce cas, il aura l’obligation de sui-vre l’enseignement à dis-tance : «Un élève ne sera ja-mais en dehors de l’obligation scolaire.»

Concertation. Blanquer a aussi assuré qu’avant la ­réouverture des écoles, un «protocole sanitaire» serait établi, avec par exemple une

doctrine précise sur la néces-sité de tests ou le port du masque. Quand les condi-tions sanitaires ne seront pas respectées, un établissement «ne rouvrira pas», promet le ministre.Une souplesse sera aussi lais-sée aux territoires pour ap-précier la progressivité de la reprise. «On peut imaginer que dans certains endroits le confinement soit maintenu», a même souligné Blanquer. Ces points, qui font l’objet d’une concertation avec ­l’ensemble des partenaires sociaux et collectivités, ­ «doi-

vent encore être discutés», a-t-il précisé.La décision de rouvrir les écoles, guidée par la volonté affichée de lutter contre le creusement des inégalités dû au confinement et d’initier la reprise de l’activité économi-que, avait été largement criti-quée au cours des derniers jours. «Chaque mois d’école perdu est un énorme problème social […], c’est donc très sou-haitable d’avoir ce retour pro-gressif», a de nouveau justifié mardi Blanquer.Mais, côté syndicats ensei-gnants, ces annonces susci-

son plan d’action. Objectif : calmer l’inquiétude des pa-rents et la fronde d’une partie du corps enseignant, certains ayant le sentiment d’être «sa-crifiés sur l’autel de l’écono-mie», comme l’avait tonné le SnuiPP-FSU, premier syn-dicat du primaire.Lors d’une audition à l’As-semblée nationale, le minis-tre a évoqué un retour dans les établissements scolaires étalé sur trois semaines, par niveau de classe. La première semaine concernerait les ­élèves de grande section de maternelle, de CP et de CM2 ; la deuxième ceux des classes de sixième, troisième, pre-mière et terminale ainsi que les ateliers industriels en ­lycée professionnel ; avant une reprise des autres ni-veaux la troisième semaine. Avec des groupes ne dépas-sant pas les 15 enfants.

ParBalla Fofana

A Paris, le 14 avril. Seuls les enfants de CP, de CM2 et de grande section de maternelle retourneront à l’école dès le 11 mai. Photo Denis ALLARD

«On a le sentiment qu’on se dépêche de donner des gages pour dire “ça va reprendre”, sans avoir

pensé le protocole de reprise.»Francette Popineau secrétaire générale SnuiPP-FSU

Blanquer esquisse la rentrée du 11 mai mais reste brouillon sur le protocole sanitaire

tent encore beaucoup d’in-quiétudes. On doit «nous donner les conditions sanitai-res de cette reprise», a réagi Francette Popineau, la secré-taire générale du SnuiPP-FSU, sur RTL : «On n’a pas en-core compris si on aurait des masques, si les enfants en ­auraient, comment on mettra en place la distanciation, 15 dans une classe ça peut être beaucoup.» Elle ajoute : «On a le sentiment qu’on se dépêche de donner des gages pour dire “ça va reprendre”, mais sans avoir pensé le pro-tocole de reprise.»

«Surprise». Le premier syn-dicat du primaire a listé, dans un communiqué, nombre de conditions sanitaires qui de-vront selon lui être respec-tées. A savoir : la possibilité d’un test de dépistage sérolo-gique pour les élèves ainsi que pour les personnels en-seignants et non enseignants ; un maximum de 10 élèves par classe en primaire (à partir de 6 ans) ; le réaménagement des classes et des espaces pour respecter les distances barrières. Ainsi que d’autres mesures d’hygiène allant de la désinfection des locaux et du matériel scolaire collec-tif à la distribution de ­mas­-ques en quantité suffisante, de ­savon, de gel hydro­-alcoolique, de serviettes et de mouchoirs jetables…«Le ministre donne bien les gages d’une reprise progres-sive», a également déclaré Stéphane Crochet, de SE-Unsa. Mais de «nombreuses questions demeurent sur le plan sanitaire». «Sur quoi se fonde-t-on par exemple pour décider du nombre de 15 élèves par classe ?» interroge le diri-geant syndicaliste. Avant de remettre une couche sur le manque de concertation : «La reprise progressive a besoin d’être partagée, pourtant, Jean-Michel Blanquer a choisi de dévoiler ses hypothèses de-vant l’Assemblée nationale, sans avoir échangé avec les re-présentants des personnels. La profession n’en peut plus de découvrir par surprise ce qui se décide sans elle.» •

Nuit bouffe et Covid dans l’Ouest parisien rupin Pendant cinq jours, la chronique extra-muros raconte la nuit en période de confinement, dans plusieurs territoires :

­Daoud boit son thé (Lipton) assis sur un muret, dans un quartier résidentiel à l’ouest de Paris. La nuit, il descend quand son épouse téléphone à ses parents. «Tu penses que les gens seraient meilleurs à cause de la peur de mourir ? ­Tu rigoles, mon frère ?» Des clients gueulent. Se plaignent. Râlent. «Ils veulent que ça aille plus vite, comme si de rien n’était. Comme d’habitude en fait. Ça dit tout de la mentalité. Le monde d’après, ça n’existe pas.» Photo Iorgis Matyassy

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Page 19: Lib 233 ration - 22 04 2020

Libération Mercredi 22 Avril 2020 u 19

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Par GAëTAN GORONon s’en grille Une ?

Grille n° 1502HORIZONTALEMENT I. Cap sur la voie qui raisonne II. Il vient des Etats-Unis et est seul derrière son écran # Il vient d’Angleterre et est drôle sur nos écrans III. Il n’y a pas photo, il est raté # Prises de sang IV. On peut la cher-cher lors d’une prise de sang V. Qui a eu très vite très chaud # Il a peu connu 69, année despotique VI. Avant toujours, jamais passionnant # Bras armés de l’extrême droite VII. Mouille un peu VIII. Qui ne croit pas au son # Comme la pièce avec un trombone IX. Blanc pour arma-gnac # Même si la pièce est grande, il ne lui laisse pas d’espace X. Ils sont communs en petites communes XI. Qui a suivi le mouvementVERTICALEMENT1. Il est soit au-dessus de tout, soit en dessous de tous 2. Sacré Opus # A l’abord laborieux 3. De quoi être à moitié pardonné # Des jours de congé servent à l’alimenter 4. «Ô bonheur d’…» ! réagit Zola à table # Cocasse : on a dû l’annuler car on est bloqué dans le nôtre 5. Travail-leur du sexe # Taxant mais pas tant 6. Il encadre les modifications éditoriales # Plus chaud, pas encore froid 7. Quand le chef de gare est absent # Il a un soleil sur son drapeau 8. Résistant, écrivain, il a di-rigé le musée national d’Art moderne # Musée Modern 9. Qui cause Solutions de la précédente Hz. I. QUASSINES. II. ULIS. DÉMO. III. IMMINE. PU. IV. AIDERAS. V. ZOB. OSERA. VI. EULER. C.-À-D.. VII. CIENAGA. VIII. ÉD. RMISTE. IX. NIRO. OS. X. TRIBUNATS. XI. SÉSAMOÏDE. Vt. 1. QUINZE CENTS. 2. ULM. OUÏ-DIRE. 3. AIMA- BLE. MIA. 4. SSII. ENROBA. 5. N’DORAM. UM. 6. IDÉES. GIONO. 7. NÉ. RECASSAI. 8. EMPARA. TD. 9. SOUS-ADRESSE.

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De fortes pluies se produisent toujours enLanguedoc-Roussillon et en Corse avec desrisques d'inondations. Des averses se produi-sent de l'Aquitaine au sud de Rhône-Alpes. L’APRÈS-MIDI Les pluies persistent du Sud-Ouest aux régions méditerranéennes, maiselles perdent en intensité en Languedoc-Roussillon et en Corse. Au nord de la Loire,le soleil brille toujours autant.

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Les nuages bas et les brouillards sontnombreux dans le Sud-Ouest avec quelquesgouttes près des Pyrénées. Le soleil brillepartout ailleurs. L’APRÈS-MIDI La douceur s'accentue. Descumulus se développent dans une ambiancede plus en plus lourde au fil des heures, avecpeut-être un risque d'averses orageuses enmontagne des Pyrénées aux Alpes.

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TF1 21h05. The Resident. Série. Bienvenue à Chastain. Avec Matt Czuchry, Emily VanCamp. 21h55. The Resident. Série. La journée de l’indépendance. Frères d’armes.

FRANCE 2 21h00. Réunions. Série. Mensonges. Le sens de la fête. 22h45. Dans les yeux d’Olivier. Documentaire. Enfants placés. Abus de faiblesse.

FRANCE 3 21h05. La carte aux trésors. Jeu. La Champagne. Présenté par Cyril Féraud. 23h30. Renversant ! Le concert des confinés. Musique.

CANAL+ 21h00. Alex Lutz. Spectacle. Enregistré aux Folies Bergère en janvier 2020. 22h45. Stéréotop. Magazine. Les images derrière la caméra.

ARTE 20h55. L’heure d’été. Comédie dramatique. Avec Juliette Binoche, Charles Berling. 22h35. À se brûler les ailes. Documentaire.

M6 21h05. Top chef. Jeu. Épisode 10. Présenté par Stéphane Rotenberg. 22h30. Top chef : les grands duels. Jeu.

FRANCE 4 21h00. The Karate Kid. Action. Avec Jaden Smith, Jackie Chan. 23h10. En quête d’une nouvelle Terre.

FRANCE 5 20h50. La grande librairie, en version confinée. Magazine. Le pouvoir d'évasion de la littérature. 22h30. C dans l’air.

PARIS PREMIÈRE 20h50. Zemmour et Naulleau. Magazine. Présenté par Éric Naulleau et Éric Zemmour. 22h20. Bernard Mabille sous toutes les coutures.

TMC 21h15. Burger Quiz. Jeu. 3 épisodes. 23h45. 90’ Enquêtes. Magazine.

W9 21h05. Enquêtes criminelles. Magazine. 2 reportages. Présenté par Nathalie Renoux. 23h10. Enquêtes criminelles.

NRJ12 21h05. FBI : Portés disparus. Série. 2 épisodes. 22h55. FBI : Portés disparus. Série.

C8 21h15. Enquête sous haute tension. Magazine. Accidents de la route, bagarres, cambrio-lages : 100 jours avec des gen-darmes de choc de l’Hérault. 23h00. Enquête sous haute tension. Magazine.

TFX 21h05. Camping Paradis. Téléfilm. Trou de mémoire. Avec Laurent Ournac. 22h50. Camping Paradis. Téléfilm. La grande invasion.

CSTAR 21h00. Froide vengeance. Téléfilm. Avec Nicolas Cage, Benjamin Bratt. 22h50. Tokarev. Film.

TF1 SÉRIES FILMS 21h00. New York section criminelle. Série. Échec et mat. Enfer carcéral. 22h40. New York section criminelle.

6TER 21h05. Elementary. Série. Chasse aux sorcières. Faux et usage de faux. 22h40. Elementary. Série. 4 épisodes.

CHÉRIE 25 21h05. Marge d’erreur. Téléfilm. Avec Anny Duperey, Julien Crampon. 23h00. Snapped : les couples tueurs.

RMC STORY 21h05. Incendies en Australie : urgence climatique. Docu-mentaire. 22h05. Climat : l’état d’alerte. Documentaire.

LCP 20h30. Droit de suite - Le documentaire. Documentaire. Enfance volée, chronique d’un déli. 21h30. Le débat. 22h00. Des clic de la conscience.

À LA TÉLÉ CE SOIR

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20 u www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Mercredi 22 Avril 2020

Idées/ Une mère et sa fille photographiées

à Presles (Val-d’Oise) le 15 avril. Photo

Emmanuel Pierrot. VU

Epidémie : sauve qui se peutPendant la guerre d’Algérie, le père de la romancière Brigitte Giraud était infirmier dans un hôpital militaire. Comme aujourd’hui face au Covid-19, il fallait trier, repérer ceux qu’on pouvait sauver. L’octogénaire a regardé le journal télévisé et il a compris : les vieux, il faudrait qu’ils laissent la place.

DR

Par Brigitte Giraud

Romancière

L orsque mon père fut appelé en Algérie, il avait demandé à suivre une formation d’in-

firmier, espérant ainsi ne pas tenir une arme. Il préférait être du côté de ceux qui sauvent, qui réparent. Pour ne pas risquer de manier un fusil, de commettre l’impensable, sans doute, et de porter le poids de la honte une vie durant.L’armée avait miraculeusement

­accédé à son souhait, et c’est en tant qu’infirmier qu’il avait été af-fecté à l’hôpital militaire de Sidi-Bel-Abbès, dans l’Oranais.C’est pendant ses années de guerre d’Algérie – 1960 et 1961 – qu’il avait découvert ce que je peux nommer aujourd’hui la «ré-vélation du soin».J’ai fini par comprendre que le jeune homme de 20 ans qui pen-sait sauver les autres avait finale-ment été sauvé par eux, les «sol-dats en pyjama» blessés, brûlés, choqués. Ne sauve pas celui qu’on croit. C’est en m’immergeant dans l’écriture (1) que j’ai approché cette zone quasi invisible. Soigner donnait un sens à sa présence en Algérie, et peut-être même un sens à sa vie.

Un jour, lors d’une rencontre à pro-pos d’Un loup pour l’homme dans un lycée d’Aix-en-Provence, un gar-çon de 17 ans m’avait demandé si c’était plus viril de tenir une arme que de soigner. J’avais mis un temps fou avant de formuler une réponse. La question de ce lycéen, je crois qu’en ce moment, j’y pense tous les jours.Après son retour d’Algérie, mon père a repris son service aux Pos-tes, télégraphes et téléphones. ­L’armée lui a dénié le droit de se ­reconvertir en infirmier dans le ­civil, je ne saurai jamais pourquoi. On n’avait pas besoin de blouses blanches, paraît-il, au début des années 60. Cela m’a toujours sem-blé suspect.Mon père avait acquis tant de

­connaissances, tant de réflexes, tant de ces gestes qui soignent et qui protègent. Quand j’étais en-fant, c’est lui qui mettait sa main sur mon front pour mesurer la fiè-vre, lui qui prenait mon pouls à mon poignet. C’est lui qui m’admi-nistra une série de piqûres dans les fesses quand, à 6 ans, je contractai la scarlatine, lui qui m’expliqua les bienfaits de la pénicilline.Quand j’ai grandi, puis tout au long de mon existence, il n’a jamais failli.Lui-même souffrait de sinusite chronique puis, en vieillissant, d’hypertension, et hélas, dans son âge avancé, d’une leucémie sévère, ce qui, pour un seul homme, fait beaucoup.J’ai toujours vu mon père recher-cher la vérité nue sur le mal qui

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l’affecte. Je l’ai toujours vu regar-der en face le résultat de ses analy-ses de sang. Il sait faire un dessin pour m’expliquer comment on place un stent dans une veine, pourquoi l’infarctus de l’hiver der-nier a été pris à temps.Ce monument rassurant qu’est mon père est devenu moins rassu-rant. Je me souviens de la pre-mière fois où j’ai osé lui suggérer de ne pas conduire sa voiture, puis du jour où j’ai dû hausser le ton pour lui interdire de conduire, alors qu’il se rebellait. Je me sou-viens que ce bras de fer avait été l’un des moments les plus pénibles de mon existence, faire rendre les armes à mon père, si j’avais pu imaginer.Mes parents ont atteint cet âge qui les place dans la catégorie des «personnes les plus fragiles» dont on entend parler depuis le début de l’épidémie de Covid-19. Plus de 80 ans, des pathologies qui les af-faiblissent. Mes parents habitent dans une petite ville éloignée de la mienne, et je ne peux leur parler qu’au téléphone.Je me surprends à les mettre en garde plus que je ne devrais, je m’adresse à eux comme ce jour où j’ai demandé à mon père de ne pas prendre le volant. Avec une ­autorité qui s’abreuve à la peur de les perdre. Non, vous n’allez pas porter une lettre à la poste, non le voisin ne vient pas tondre la pelouse, non vous n’allez pas chercher des œufs chez Robert. Non et encore non, vous n’allez pas voter. Toutes ces injonctions qui font de moi une fille quasi-ment abusive. Je deviens le parent de mes parents, comme il est écrit que nous le deviendrons dans la logique du cycle infernal des jours. Mais il y a des limites, il y a une façon. Que l’épidémie

et sa gestion rendent parfois ­grossière.Mon père attend le résultat de ses analyses de sang, et je sais que si le taux de plaquettes descend, il fau-dra organiser la transfusion, il fau-dra que je joigne le service de l’hô-pital. Il faudra que je m’arme de patience, il faudra que je prie pour que quelqu’un réponde. Je fais des incantations pour que le taux n’ait pas encore chuté. Nous surveillons la numération des plaquettes, pen-dant que d’autres surveillent le cours du CAC 40.Mon père regarde le journal télé-visé et il comprend. Il me dit que c’était pareil à l’hôpital militaire de Sidi-Bel-Abbès, il y avait des priorités. La médecine de guerre, il connaît. Il dit comme c’était l’horreur quand arrivait sur des brancards une compagnie entière qui venait de sauter sur une mine. Il dit qu’il fallait trier. Il fallait aller vite, faire les bons gestes dans l’instant, il n’y avait pas de temps à perdre, il fallait repérer ceux qu’on pouvait sauver. Il me confie cela au téléphone, il sait qu’il n’y aura pas de place pour lui s’il est infecté par le Covid-19, ni pour ma mère. Il ajoute que les vieux, il a bien compris, en regardant la télé, il faudrait qu’ils laissent la place. Même quand ils ont sauvé des vies.Mon père reparle de l’hôpital mi-litaire. Ça le prend à la gorge sou-dain. Il me raconte le jour où ce garçon était arrivé sur une civière alors qu’il était de garde. Il se sou-vient des cris et des mots pour apaiser. Le garçon avait 20 ans, comme lui. Mon père me dit le jour et la nuit passés à son chevet, les tentatives, les espoirs. Et puis, moins de quarante-huit heures plus tard, l’échec, le verdict. Mon père me raconte cela au télé-phone, d’une voix que j’ai du mal à reconnaître. A plus de 80 ans, il me livre le chagrin de son exis-tence, que j’ignorais. Le drame, dit-il, c’est quand le médecin, l’in-firmier, demeure impuissant. C’est cela qui fait le plus de mal, quand je vois à la télévision les images des services de réanima-tion débordés. C’est une illusion de penser qu’on peut sauver tout le monde. L’échec fait partie de la vie, il ajoute. Mais pendant la guerre, on ne décide pas à l’avance qui on prend, qui on laisse. On n’établit pas de critère, comme c’est le cas en ce moment. Quand tu vois que les pensionnai-res des Ehpad ne sont pas trans-portés à l’hôpital… C’est ce qui me choque le plus, les critères établis à l’avance, ce n’est plus une tragé-die, c’est un crime. •

(1) Un loup pour l’homme, éd. Flammarion 2017, J’ai lu 2018.

Mon père me dit que c’était pareil à Sidi-Bel-Abbès, il y avait des priorités. La médecine de guerre, il connaît. Il sait qu’il n’y aura pas de place pour lui s’il est infecté par le Covid-19, ni pour ma mère. […] Mais pendant la guerre, on ne décide pas à l’avance qui on prend, qui on laisse.

Le gouvernement a eu le projet de confiner plus longtemps les plus âgés, avant d’y renoncer. Le problème n’est pas tant qu’on tient compte des vulnérabilités, mais qu’on en fait un moyen systémique de discrimination sociale et de pression sur les libertés individuelles.

L es personnes de plus de 70 ans, aux-quelles pourraient s’ajouter toutes celles qui souffrent d’hypertension,

de diabète ou de surpoids, sont considé-rées comme des personnes à risque dont on avait envisagé de prolonger le confine-ment au-delà du 11 mai. Mais pourquoi cette prolongation ? Il existe deux réponses à cette question, l’une utilitariste, dans le bon sens du terme, qui vise à réduire le ris-que d’engorgement des hôpitaux en évi-tant la contamination des personnes qui ont le plus de risque de développer des for-mes graves de la maladie. Cette réponse a sa propre pertinence qui peut justifier, chez les personnes à risque, un surcroît de précautions. Le problème est cepen-dant qu’elle se confond avec une seconde réponse, celle de la protection des person-nes vulnérables, devenue une sorte de nouvelle idéologie morale dont les effets peuvent être destructeurs pour l’égalité et les libertés individuelles, et pas seulement dans le cas du Covid-19.Si un sujet vulnérable ne veut pas être pro-tégé, on ne peut pas lui imposer un confi-nement au nom de cette vulnérabilité car, de ce point de vue, il reste le seul juge des risques qu’il peut ou non prendre. On peut éventuellement le lui imposer au nom de la raison utilitariste précédente (ne pas ­risquer d’engorger les hôpitaux), mais il est alors en droit de protester contre une rupture d’égalité qui, si on n’y prend garde, pourrait s’étendre à de multiples domaines de la vie, chaque fois que des vulnérabili-tés somatiques, psychologiques, sociales, ethniques ou de genre, accroissent les ­risques courus par un sujet et imposés par conséquent aux services d’assistance, de police, de soin ou d’assurance.A vrai dire, la prise en compte des vulnéra-bilités spécifiques est déjà largement à l’œuvre dans l’analyse des aptitudes pro-fessionnelles, le calcul des coûts d’assu-

Protéger les plus vulnérables malgré eux, nouvelle idéologie morale ?

rance, des capacités de remboursement d’une dette, des possibilités de sortie d’une addiction, des perspectives de gué-rison d’une maladie ou de récidive d’un délit, etc., et on la retrouve de surcroît dans les systèmes intelligents d’enregistre-ment et d’évaluation des données person-nelles développés par les banques, les ­assurances, les services de ressources hu-maines, les agences de publicité, les systè-mes d’évaluation des performances socia-les ou éducatives, etc. Le problème ici n’est pas tant qu’on tient compte des vulnéra­-bilités, mais qu’on en fait un moyen systé-mique de discrimination sociale et de pression sur les libertés individuelles.Cette situation est une occasion de s’inter-roger sur les effets pervers d’un materna-lisme politique qui, au nom d’un souci de care et de responsabilité à l’égard des per-sonnes vulnérables, tend à légitimer l’ob-servation maniaque de la spécificité et de l’intimité des personnes, à l’aide de moyens intrusifs d’observation et d’enregistrement, faisant passer au second plan les exigences d’égalité et de liberté constitutives de la forme de vie démocratique que nous avons choisie. Ce maternalisme a aussi des effets dans le domaine de l’information publique, lorsque la convivialité lénifiante et les anecdotes de la vie confinée prennent le pas sur les informations précises concer-nant la maladie, son développement dans le monde ou les controverses suscitées par sa prise en charge officielle.Manifestement, cette maladie fait courir à chacun des risques inédits, justifiant des précautions collectives pour minimiser les pertes. Mais il existe aussi un niveau de risque qu’il incombe à chaque individu d’accepter de prendre, pour lui si ce n’est pour les autres. Or, comme dans le cas d’une addiction, le fait d’être vulnérable ne fait d’aucun sujet particulier le vecteur privilégié de propagation du virus. •

ParPatrick Pharo

DR

Sociologue, auteur de Eloge des communs, PUF (2020).

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22 u www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Mercredi 22 Avril 2020

Idées/Les vies encampées, et ce que nous en savonsLa moitié de la population de la planète est confinée à domicile. Cette assignation pourrait nous donner une toute petite idée de ce qu’est la vie en camps de réfugiés. Mais nous serions encore très loin du compte…

Depuis presque un mois et demi, comme la moitié de la population de la pla-

nète, nous sommes confinés. Tout le monde s’interroge sur le boule-versement de son quotidien, sur cette restriction de liberté, et sur la durée de cette période… Nous faisons ainsi un tout petit peu l’expérience de celles et ceux qui passent leur vie en camp – de ré-fugiés, de déplacés internes, de migrants, de rétention. Une toute petite idée pratique de la vie en-

campée, sur un territoire confiné, avec la perception durcie d’un de-dans et d’un dehors, avec des au-torisations de sortie, une présence policière et des contrôles dans les lieux de passage, des tentatives de resquille, l’attente d’une fin ou d’une sortie, et l’incertitude per-manente. Dans les camps, les cas de pathologie psychique sont lé-gion, des équipes médicales sont dédiées à cela en particulier, j’ai suivi des infirmiers de MSF en Sierra Leone qui avaient leurs cir-

cuits quotidiens de distribution d’antidépresseurs dans les camps. De mon côté, en parlant avec les réfugiés, j’ai maintes fois en-tendu les mots qui évoquent la prison, l’inutilité, la lassitude, l’at-tente, j’ai vu des colères plus ou moins refoulées dues au désir de sortir pour retourner dans son pays, ou vivre librement dans le pays d’accueil, ou partir ailleurs. Mais ne pas rester enfermés.Ce qui préoccupait le plus les en-campés, c’était l’incertitude, ne pas savoir par exemple quand ils pourraient revenir chez eux, dans leur pays, c’est-à-dire à l’état anté-rieur (et normal, pensaient-ils) de leur existence. Le lieu confiné était un territoire de l’attente et de la contrainte mais, leur disait-on, ils n’avaient pas le choix, puisque c’était l’espace humanitaire, là où ils recevraient de quoi survivre. Espace d’exception, mais huma-nitaire, donc acceptable «en at-tendant». Encampés sous con-trainte, ils et elles montraient des capacités étonnantes de soumis-sion, d’adaptation et d’invention. Mais avant cela, les premiers jours ou premières semaines, c’est le temps de l’urgence, c’est-à-dire de la sidération à cause de ce qui a été vécu avant (violence, catastro-phe, fuite, faim) et qui reste im-prégné, ou parce que c’est le temps suspendu du soin et de la réparation, ou du simple fait de ne pas comprendre où l’on est. Puis la vie qui s’organise est une succession de bricolages, d’ac-commodements avec les autorités du camp, avec les nouveaux voi-sins, avec ce qu’on trouve juste autour de soi pour transformer le quotidien dans son abri, le rendre plus habitable, agréable même.Nous pourrions presque partager un «nous» commun avec les mil-lions de personnes qui, dans le monde, vivent une sorte d’enfer-mement mi-humanitaire mi-sé-curitaire, acceptant cela faute de mieux ou se révoltant parfois con-tre telle ou telle inégalité de trai-tement au sein de cette même condition. Comme si nous expéri-mentions une petite part de l’exis-tence des autres encampés, les «vrais» et durables, ou qui nous semblent tels alors qu’eux-mê-mes, comme nous aujourd’hui, se voient là par accident, par excep-tion et provisoirement. Des mil-lions de personnes sont confinées dans des camps alors qu’elles croyaient y être pour quelques jours, quelques semaines, sidé-rées d’abord, puis perturbées, puis remarquablement «résilien-tes», dit-on d’elles.Mais non, je ne pense pas que nous finirons par être abandon-nés, invisibles ou indésirables, comme le sont les réfugiés et mi-grants tenus à l’écart dans des camps faute de politique globale d’accompagnement des mobili-tés. La généralisation de l’enfer-mement, qui nous révèle l’unité de la planète aux prises avec une pandémie, révèle en même temps une forte différenciation sur le plan social et en termes de

droits humains. Nous pouvons juste saisir cet instant pour res-sentir une solidarité plus empa-thique, compréhensive et objec-tive avec les personnes dont le confinement est la vie ordinaire.Nombreux sont ceux qui sont pris au piège non seulement de l’encampement mais de l’encam-pement confiné : toute la bande de Gaza est un camp qui doit être décloisonné, le blocus doit cesser et l’enclave être ouverte pour per-mettre l’entrée de matériel de soin pour ses 2 millions d’habi-tants. Le camp de Moria sur l’île de Lesbos, en Grèce, doit être fermé et ses 20 000 occupants, enfermés sans autre motif que d’avoir voulu demander refuge à l’Europe, libérés et relogés dans des habitats sains et sécurisés. Les centres de rétention en Eu-rope, notamment en France, doi-vent être fermés et leurs occu-pants, en attente d’expulsions qui ne peuvent avoir lieu, relogés dans des conditions saines et sû-res, tout comme les 1 500 occu-pants des campements de Calais et de Grande-Synthe, enfermés dehors sans protection. Ces situa-tions montrent la dangerosité des dispositifs d’encampement du point de vue de l’accès aux soins et aux droits humains en général.Tous les camps dans le monde sont différents. Certains, les plus visibles comme Zaatari en Jorda-nie, ou certains camps de conte-neurs en Grèce continentale sont supportables et les maux de l’en-campement ne sont que ceux, dé-cuplés, que nous pouvons imagi-ner à partir de l’expérience du confinement : incertitude, man-que de liberté, absence de per-spectives, peurs. Mais pour la plu-part des encampés, en Afrique, en Asie centrale, au Proche-Orient, et pour les près de 40 000 occupants des hotspots des îles grecques, c’est la double peine du confine-ment dans l’enfermement, la pré-carité et l’abandon politique ren-dant les populations chaque jour plus fragiles face à la propagation du virus. Après que les premiers cas de ­Covid-19 ont été révélés dans les campements du Calaisis fin mars, l’Etat vient de commen-cer leur mise à l’abri. Faute d’anti-cipation, et surtout par manque d’alternative aux camps, leur dan-gerosité est ainsi reconnue, et l’ur-gence est encore une fois la seule réponse. Encore faut-il qu’elle soit menée à son terme. •

ParMichel Agier

DR

Anthropologue (IRD et EHESS). Directeur du département Policy de l’Institut des migrations (ICM). Auteur de l’Etranger qui vient. Repenser l’hospitalité (Seuil, 2018).

L'œil de Willem

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ques que toi. On s’est adoptés immédiate-ment et je t’ai présenté celle qui jouerait ta fille. En un rien de temps l’affaire était bouclée. On partait victorieux ! On a fait Carne. Tu étais devenu mon boucher ­confus et humain, trop humain. Tu as ap-porté tellement de grâce à ce personnage qui, par ses actes et ses pensées, était ton antithèse, qu’après ce premier forfait, plu-tôt que de tourner un long-métrage avec de vrais moyens, je ne voulais qu’une chose : continuer la même histoire avec toi, une suite, qu’elle soit courte ou longue, mais avec toi, et en poussant toujours plus loin cet homme acculé et enragé qu’on ne pouvait s’empêcher d’aimer. Le titre est venu très vite : Seul contre tous. Ça devait être un autre moyen-métrage, mais après deux ans de petits tournages épars et fau-chés, cette suite est devenue un film à part entière. Encore plus qu’avant nous étions devenus de grands alliés, de vrais amis qui pouvaient tout se demander, sauf l’argent, qu’on n’avait pas. Le film serait de nou-veau porté par les pensées chaotiques du boucher, avec cette spectaculaire voix grave, chaude et anachronique qui était la tienne. Et l’unique fois où tu m’as dit non, c’est lorsqu’on a enregistré cette voix off qui devait dire : «L’amour, l’amitié, ça n’existe pas. Tout ça, c’est du pipeau.»Toi, tu croyais très profondément à l’amitié

AFP

ParGaspar Noé

Cinéaste.

Philippe, mon grand ami, je viens d’apprendre que tu t’es éteint, que tu ne seras plus, que ta mémoire et

ta vie se sont fondues dans le grand vide, là où il n’y a plus de sens, ni de temps, ni d’espace. Je n’aurai plus la douce chance de te serrer dans mes bras, comme il y a un mois, à la veille du confinement général. Depuis cet après-midi où nous avons pu rire une dernière fois ensemble, le temps s’est arrêté. Un ennemi invisible a fait de notre ville un étrange paradis ­fantomatique, mélancolique. On dort. On mange. On dort encore. On suit les in-fos. On compte les malades. On compte les morts. Et aujourd’hui, ton nom s’ajoute à cette longue liste qui ne cesse de croître. On est comme dans un rêve, répétitif, ­auquel on croit sans vraiment y croire. ­Désormais, le temps qui t’a construit et qui m’a permis de te rencontrer continuera pour d’autres, qui s’éteindront à leur tour.

Nous, on s’est connus il y a trente ans, je rêvais de m’amuser à faire du cinéma, comme Buñuel ou comme Franju. Toi, de vingt-cinq ans mon aîné, tu en faisais déjà depuis longtemps. Au retour de cette sale guerre coloniale que tu n’avais pas réussi à déserter et qui t’a valu trois ans de camp disciplinaire, tu avais commencé à faire du cinéma avec Reggiani et Melville. Moi, je voulais faire un premier film avec un personnage masculin qui soit la quintes-sence de ce que je croyais être un homme normal, donc complexe et le plus souvent perdu. Ce «héros» devait être bien plus âgé que moi. C’était un vrai homme qu’il fal-lait, d’une cinquantaine d’années, avec un visage universel et intemporel comme ce-lui de Jean Gabin. Je voulais un Gaulois, direct et sentimental. J’ai vu une photo de toi et le coup de foudre a été immédiat. Tu es venu chez moi, un peu imbibé, et ri-golard face à ce jeune étranger à la diction inaudible. Tu rêvais de vrais rôles. Jouer, te transformer, pour t’amuser, pour te faire de nouveaux amis.Enfant, avec ta famille, tu avais survécu à la Seconde Guerre, et plus tard, cette fois seul, à celle d’Algérie, à laquelle tu avais été contraint de participer. Tu avais sur-vécu aux plaisirs de l’alcool et du tabac. Et même à la frustration de ne pouvoir in-carner d’autres hommes aussi charismati-

et ça te paraissait inconcevable de pronon-cer ces mots-là. Je t’ai donné raison, même si je protestais que le boucher était un homme en dépression et que de toute fa-çon, il n’était pas toi. Tu l’as enregistrée quand même. Nos regards se sont croisés et j’ai compris à cet instant que ce person-nage était en fait un mélange de nous deux. Qu’on se battait ensemble, parmi tous et contre tous, pour jouir au maximum de ce terrain de transgression que peut être le ci-néma. On a fini fièrement ce film, puis tu en as fait beaucoup d’autres, essentielle-ment avec de jeunes réalisateurs qui s’identifiaient eux aussi à toi. Et lorsque j’ai pu faire ma première production commer-ciale, Irréversible, j’ai tenu à ce que le film s’ouvre avec toi, et avec des plans plus pro-ches que pour tous les autres personnages de l’histoire. On est restés soudés toutes ces années, tels deux frères ou un neveu et son oncle préféré. Browning avait rencon-tré son Lon Chaney, Scorsese son De Niro. Et moi, loin de ces géants, je t’avais quand même rencontré toi, et je n’aurais jamais pu souhaiter mieux.Il y a quelque mois, je m’étais acheté une nouvelle caméra pour tourner de manière semi-documentaire un épilogue à la vie de notre boucher. Après ton accident, tu avais du mal à mémoriser les mots. Aussi je me faisais un plaisir à imaginer un film sans dialogues préécrits.Mais le monde nous réservait une surprise de taille. Ces tout derniers jours, tu as peut-être entrevu un futur qui ne marche pas vraiment. Nos rues sont vides, et sous le soleil les gens ont peur du présent comme de la suite. Ce virus non vivant qui se nour-rit de la vie des autres s’est frayé un chemin jusqu’à ton corps déjà très affaibli par d’au-tres maux et t’a emporté. J’espère que tes derniers instants ont été doux. Les anti-douleurs apportent parfois une paix qu’on ne rencontre pas autrement. Dans la situa-tion actuelle, il n’y a pas eu d’accolades fi-nales, tu as dû partir seul. Il n’y a pas d’en-terrement, pas de cérémonie. Je ne pourrai pas pleurer avec tes proches. Pour l’ins-tant, chacun fera son deuil seul et comme il pourra. Seul, et sans toi.La vie passe. Mais pas l’amour de ta femme, Elisabeth, ni de votre fille, Nelly, ou de vos petits-fils, Gabin et Nino, pas plus que mon amitié sans filtre ni l’empathie des specta-teurs, cinéastes et amis qui ont eu la chance de te découvrir sur un écran ou dans la vie. Les hommes s’en vont, mais avec un peu de chance certaines de leurs traces restent. Ta voix ne nous réchauffera plus, mais ses échos résonneront toujours en moi.Ah, Philippe, qu’est-ce qu’on s’est amusés ! L’amitié, ça existe. C’est toi qui avais raison. •

Philippe, à toi qui ne me parleras plusGaspar Noé, réalisateur d’«Irréversible», rend hommage à Philipe Nahon, acteur et ami mort dimanche, personnage principal de ses films «Carne» et «Seul contre tous».

Le comédien Philippe Nahon, dans le film Seul

contre tous de Gaspar Noé. Photo Gaspar Noé

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24 u www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Mercredi 22 Avril 2020

ParAnne Diatkine

dique.» Paul, c’est l’éditeur Paul Ot-chakovsky-Laurens, le fondateur des éditions P.O.L, avec qui elle vi-vait depuis 1999, tué dans un acci-dent de voiture sur une route droite en pleine journée, le 2 janvier 2018 à Marie-Galante (Guadeloupe). Une voiture leur a foncé dessus. Ils con-cevaient un film. Partons du voyage inaugural, puis-que tous ont suscité des œuvres qui transforment la voyageuse. Pour ne pas «perdre la tête» en quittant son pays et ses habitudes, la petite Em-mie dessine tout le temps, dans les

cargos et les trains. La famille Landon quitte l’Australie à bord du Marco

Polo, puis du motorship Baikal pour débarquer sur la côte Est de l’URSS, à Nahodka, et prendre le Transsibé-rien, jusqu’en Europe. Avant de se «fixer» pour quelques années à East Molesey, Surrey, en Angleterre. «Durant le voyage, j’avais compris que la page blanche me permettait de garder un chez-moi. Et j’avais re-marqué que lorsque le train s’arrê-tait, j’étais moins concentrée. Je re-gardais les gens qui s’éparpillaient dans la gare.» Pour écrire ou dessi-ner, il faut être pris dans un véhi-cule en mouvement. Des années plus tard, en regardant ses croquis d’enfant, Emmelene Landon dé-couvre des scènes d’intérieur – fem-mes se lavant les cheveux ou net-toyant la salle de bains, enfants

«O n part dans une se-maine. Prenez votre poupée préférée.» Ce

n’est ni une guerre, ni une famine, ni une pandémie, ni même la pau-vreté qui provoquèrent l’injonction des parents, et le départ soudain de la grande Australie pour une desti-nation inconnue de leurs filles, 6 et 5 ans en 1970. Mais la hâte d’en finir avec un colonialisme étrangleur et l’envie de connaître in vivo d’autres cultures – «une cu-riosité intense», se souvient Emmelene Landon, peintre, écrivaine, vidéaste, musicienne, la liste n’est pas close, puisque l’une de ses caractéristiques est qu’elle n’exclut rien, feu d’artifice de pro-jets scandés par une voix au très lé-ger accent anglais. Emmelene Landon est juvénile et elle dit son âge – 56 ans. Elle est pile au milieu de cinq générations de femmes vivantes, entre sa grand-tante, sa mère, sa fille et sa petite-fille de 11 mois, et elle se ques-tionne. «Dans ce cas, qui est-on le plus ? Petite-nièce et fille ? Ou mère et grand-mère ?» Elle est tonique et joyeuse, et fracassée de chagrin. «Deux ans après la mort de Paul, je ne suis pas sortie du deuil.» Se ra-vise : «J’ai horreur des gens qui par-lent de leur deuil. Je trouve ça impu-

voyages inspirés (6/10)

Habituée des voyages depuis l’enfance, issue d’une famille qui a séjourné en Angleterre, à New York et à Paris, la peintre et romancière australienne s’est lancée en 2002 dans un tour du monde sur un cargo. Une quête inlassable de mouvements pour s’ouvrir à de nouveaux horizons.fr

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Emmelene LandonMers d’huiles

Le Détroit de Gibraltar, huile sur toile et carte marine, 2012. Emmelene Landon ne se rêve ni baroudeuse ni grand reporter. Ce qui aimante ses départs est plus métaphysique.

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seconde fois avec sa fille de 13 ans, à Alice Springs, y tourner un film à la recherche de ce que son pays na-tal lui avait transmis. Ses histoires d’amour avec les villes portuaires l’ont amenée à transbahuter son atelier dans la gare maritime de Cherbourg. «J’ai fait des pieds et des mains pour obtenir l’autorisation. J’étais tellement intriguée par la vie en mer, et la vie secrète des navires que je voyais s’éloigner et dont je ne percevais que des lumières.» Le 11 janvier 2018, elle est intronisée écrivaine de marine, ce qui lui donne le droit d’embarquer sur les navires de la marine nationale – et de porter l’uniforme. Elle se rend au déjeuner en fauteuil roulant. Ce 11 janvier est aussi le jour de l’enter-rement de Paul Otchakovsky-Lau-rens.

Fragments de cartes Longtemps, Emmelene a cru qu’il fallait se rendre «sur place» pour peindre. Mais à quelle place ? Cel-le-ci s’évanouit quand on l’atteint. Ses tableaux donnent parfois le sen-timent d’être peints depuis la mer. Ils montrent des paysages sur les-quels s’infiltrent des fragments de cartes géographiques. Comme si, bleu pour bleu, il fallait garder la possibilité de se situer, de déchiffrer l’espace. Depuis peu, Emmelene peint également les paysages en feu de la lointaine Australie et des vol-cans sans s’y être rendue. Leur lu-mière aimante, mais c’est celle de la destruction.Emmelene Landon s’est confinée dans son atelier, place des Grandes-Rigoles, près de la station de métro Jourdain (Paris XXe), avec les livres de Joseph Conrad et un guide de na-vigation à l’usage des marins poly-nésiens intitulé Survivre à la dérive (de Bernard Robin, préface d’Alain Bombard, éditions R. Chaix, 1977), un titre polysémique à prendre dans tous les sens du terme. Il y a profu-sion de toiles, de couleurs, de fleurs. Elle prétend que ses toiles peuvent «être moches» et surgissent sans ré-flexion, qu’elle préfère le geste à l’aboutissement et que, contraire-ment à un texte publié, un tableau n’est jamais fini. Elle s’imagine sé-rieusement se rendre chez ses ache-teurs avec ses pinceaux pour les continuer. Depuis la disparition de Paul Otchakovsky-Laurens, elle s’est lancé un défi qui lui prendra plu-sieurs années. «Pour être certaine de vivre, au moins, toutes ces an-nées-là.» Une grande fiction sur les cinq océans. Qui l’a déjà conduite à Nouméa, à bord d’un navire de sou-tien et d’assistance outre-mer. •

Prochain épisode de notre série : Nicolas de Staël en Italie.

dans l’ancien terminus de la Porte Maillot. Il y avait des vieux métros aux wagons verts et rouges dans cette station éclairée par des néons bleutés, qui dataient d’avant la Se-conde Guerre mondiale.» L’atelier-métro parmi les véhicules en mou-vement est une première déclinaison de l’atelier-voyageur qu’Emmelene ne cessera d’expéri-menter. Partir non pour une desti-nation, non par souci d’exotisme, mais pour que le moyen de trans-port devienne lui-même un atelier.

Escale à TahitiEn 2002, Emmelene Landon fait le tour du monde en cargo, «c’était ma décision», affirme-t-elle étrange-ment. Elle est seule avec des toiles, de la peinture, un Nagra, des ban-des magnétiques, des carnets, comme autant «d’amis avec lesquels converser». Ou encore : «Une ma-nière de tenir un dialogue avec le monde en plusieurs langues.» Il en résulte cinq heures de documen-taire radiophonique pour France Culture, le Tour du monde en porte-conteneurs chez Gallimard (2003), et plusieurs expositions au Havre, à Paris, à Dunkerque. Elle réfléchit : «Ce qui est toujours intéressant dans les lieux confinés, c’est de repérer les éléments qui manquent. Dans le mé-tro, comme dans les porte-conte-neurs, les moisissures et la terre étaient proscrites.» Lors d’une es-cale à Tahiti, elle achète des fleurs. «Pas de ça à bord», lui ordonne le capitaine. «Car les maladies se pro-pagent à une vitesse folle par voies maritimes. Il n’y avait pas de cas de rage en Nouvelle-Zélande, qui était notre prochaine escale. Avant de descendre, la police nous a fouillés avec des chiens. A la recherche de drogue, bien sûr, mais surtout pour vérifier qu’on n’avait pas de terre, même sous les chaussures. On ne de-vait pas transporter de germe d’un endroit à l’autre.»Curieusement, Emmelene Landon ne se rêve ni baroudeuse ni grand reporter. Ce qui aimante ses départs est plus métaphysique. Trouver son centre de gravité dans le mouve-ment. «Quand je suis en mer, ce qui me traverse l’esprit est le noyau rouge brûlant du cœur de la Terre. Je me sens en connexion avec la pen-sée aborigène qui perçoit toujours l’espace dans sa totalité : le ciel étoilé, la profondeur et la couche ter-restre sur un même horizon.» A deux reprises, elle est remontée à bord du Transsibérien, dont une fois à 18 ans pour finalement rester six mois en Chine. Elle est égale-ment repartie en Australie, une pre-mière fois juste après le bac, pen-dant une année, histoire de vérifier qu’elle ne voulait pas y vivre, et une

Le premier transport qui la ravit est minuscule : c’est le métro. Il en-thousiasme la jeune peintre et son amie Susanne Hay, elle aussi étran-gère et étudiante aux Beaux-Arts. Les deux apprenties peintres obser-vent la lumière sur les visages, la place des mains qui contredisent ou accompagnent les expressions, les attitudes. «On adorait tellement le métro, mon amie Susanne et moi.» Au point que surgit l’idée de de-mander à la RATP si elle peut leur prêter un local souterrain qu’elles transformeraient en atelier. Etre lit-téralement underground. Car 22 ans, c’est l’âge des possibles et ce-lui où les souhaits les plus fous sont exaucés. «La RATP a mis à notre disposition un vestiaire désaffecté

pour les deux filles, au moins pour tromper leur monde. Et comme toujours, d’autres carnets d’écriture et de dessins, et le violon comme viatique. Puis, quelques années plus tard, de nouveau, une traversée de l’Atlantique à l’adolescence des deux sœurs – Emmelene a 15 ans. Elle explique ce nouveau départ par une raison qui en général n’exige pas de changer de pays ni de langue. «Nos parents n’arrivaient plus du tout à nous empêcher de sortir. Ma sœur et moi étions devenues incon-trôlables.» Les filles disent banco pour la France. A condition d’être mises en pension, mais pas dans la même, ni dans la même ville. Pour Emmelene, ce sera Strasbourg. Puis Paris, où elle entre aux Beaux-Arts.

jouant aux cartes à côté d’un feu. La vie quotidienne dans un apparte-ment comme saisie à la hâte. «Je dessinais ce qui me manquait. Ces croquis ressemblent peu à des des-sins d’enfants.» Une photo la montre sur le quai, avec un nœud dans les cheveux, à côté du Transsibérien à Novossibirsk (URSS). Une photo étonnante tant le train semble gi-gantesque à côté de la gamine. «Une photo volée, car il était interdit de photographier les trains et les bâti-ments administratifs. Et sauvée des années plus tard d’un incendie dans l’appartement de mes parents.»

Atelier undergroundQu’est-ce qui pousse une famille, qui n’est ni suffisamment riche pour pouvoir facilement revenir sur ses pas si l’aventure tourne mal, ni suffisamment pauvre pour que par-tir soit une nécessité ? Qu’est-ce qui l’engage à renouveler l’expérience de s’installer sur un nouveau conti-nent, à plusieurs reprises en une seule décennie ? Alors que la ga-mine a été admise à Londres dans la prestigieuse école de musique fondée par le violoniste Yehudi Me-nuhin, la famille tente New York. Au début des années 80, il était en-core possible d’appartenir à la classe moyenne et de poser ses ba-gages à Rye, à 50 kilomètres de la ville censée ne jamais dormir. New York, une autre gageure, en-core un nouvel accent à adopter Emmelene, 6 ans, quai de Novosibirsk, Transsibérien, 1970.

CULTURE/

Le Volcan Whakaari, Nouvelle Zélande, huile sur bois, 2020. Photos Emmelene Landon

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26 u www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Mercredi 22 Avril 2020

3 Avec des poules révolutionnaires

Dans un monde parallèle, ce week-end devait se tenir le Pulp Festival, vénérable alambic dans lequel la BD tente diverses fusions avec les arts vivants et le format exposition. Si l’on ne verra rien de celles consacrées à Ulli Lust, Fanny Michaëlis et Lorenzo Mattotti, la Ferme du Buisson ne lâche pas complètement les auteurs initialement invités. Ayant carte blanche sur le site, le dessinateur Philippe Dupuy y égrène la vie secrète de «la Ferme». Celle menée par les poules pendant que les hommes vivent cloîtrés – les gallinacés profi-tant de la soudaine quiétude pour se lancer dans une adaptation scénique du révolution-naire An 01 de Gébé. «On arrête tout, on réflé-chit, et c’est pas triste.» M.C.Le Confinement côté basse-cour sur Lafermedubuisson.com

4 Avec la crème des nanarsIl se faisait appeler Akdov Telmig,

Hank Barnum, Pete La Roche, Dick Trent, Ed-die, Woody ou tout simplement «le pire met-teur en scène du monde», mais Edward Davis Wood Jr était plus connu sous le nom d’Ed Wood, cinéaste incompétent et excentrique, maître incontesté du désastre et de l’à-peu-près, qui filmait comme personne les câbles apparents, les dialogues débilitants, les as-siettes transformées en soucoupes volantes et les faux raccords. Si vous êtes passé à côté de ce non-monument du 7e art, Arte vous of-fre ce mois-ci un parfait cours de rattrapage avec la navrante Nuit des revenants, la déso-lante Fiancée du monstre, mais surtout l’in-surpassable Plan 9 from Outer Space (photo), nanar par delà les nanars où des extraterres-tres débarquent sur Terre pour ressusciter les morts, spectaculaire ratage qui culmine dans un face-à-face burlesque entre zombies mous, aliens philosophes et policiers d’opérette, et dont la poésie loqueteuse a marqué au fer rouge l’imaginaire de gens tels que Tim Bur-ton ou John Waters. L.J.B.Plan 9 From Outer Space d’Ed Wood sur le replay d’Arte.

5 Avec des contrebasses qui toussent

Fini de rire. Eteignez cette série, vomissez vos chips et recentrez-vous sur la pointe de l’avant-garde musicale pour prouver que ce confinement n’aura pas été vain. Accueillez l’Ensemble intercontemporain (EIC). La pha-lange créée par Pierre Boulez et dirigée par Matthias Pintscher propose une série de cap-tations sur sa chaîne YouTube. On y découvre entre autres la nouvelle production de Yann Robin, Triades, pour contrebasse, ensemble et dispositif électronique. Cette commande de l’EIC et de l’Ircam, où Robin, ex-pensionnaire de la Villa Médicis, fut un temps compositeur-chercheur, enregistrée en février sous la ba-guette de la cheffe Lin Liao, est un assez bon thermomètre sensitif de la peur du virus. Elle passe de l’expressivité bruitiste des grattés de contrebasse à des tutti effrayants comme une impitoyable toux qui s’annonce. G.Ti.Triades de Yann Robin sur youtube.com

En guerre contre l’ennui : de la méditation, des zombies mous et des grincementsChaque jour, «Libération» vous propose une sélection culturelle adaptée à la vie en confinement, en attendant la capitulation du Covid-19.

1 Avec du cassoulet toulousain

«Bonjour, ma colère ! Salut, ma hargne ! Et mon courroux, coucou !» La séance est ou-verte. A la barre, une célébrité (promo an-nées 80 : Renaud, Guy Bedos, Cohn-Bendit, Yannick Noah…) attend le réquisitoire du par-quet. Au pupitre, le procureur s’appelle Pierre Desproges et fait pleuvoir les brocards sur le prévenu. Programme satirique phare de France Inter il y a quarante ans, le Tribunal des flagrants délires a mis en boîte un certain nombre de figures en vogue de son époque, mollement épaulées par leur «avocat pourri d’office» Luis Rego, avec un chic pour la di-gression (cf. la recette du cassoulet toulou-sain) et une exultation du verbe palpable. L’intégralité de ces plaidoyers vintage est à ré-écouter sur le service de streaming de l’INA, Madelen, qui offre trois mois d’essai gratuit à ses nouveaux inscrits ces jours-ci. Pas de suspense possible : à la fin, tout le monde est coupable. S.O.Le Tribunal des flagrants délires sur Madelen.

2 Avec des sorciers maléfiques

Sortez les bâtons d’encens ! C’est l’heure de la méditation. Le Rubin Museum of Art de New York, dédié à l’art et la culture de l’Hima-laya, propose du jeudi au lundi, via son site Instagram, de faire découvrir aux internautes anglophones un objet de sa collection dont l’histoire servira de point d’appui à une médi-tation guidée. En huit minutes à peu près, peut ainsi être déroulé le parcours édifiant de Milarépa (1052-1135), sorcier maléfique de-venu fameux yogi, alors qu’une magnifique fresque le représentant, main à l’oreille, jus­-tifie de s’accorder quelques instants pour «écouter le monde résonner». Si l’accent mis sur l’inspire-expire pourra provoquer une lé-gère montée d’angoisse à ceux qui se remet-tent tout juste du Covid-19, nul doute que le regard bienveillant du bodhisattva Tara, de-puis sa jolie statuette dorée du XIIIe siècle, les aidera comme convenu à écarter tout danger physique. é.F-D.Daily Offering sur Instagram.com/rubinmuseum/

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«A vec la pandémie, je suis contente de ne pas être dans une compagnie

sous perfusion constante de l’Etat et de me débrouiller avec presque rien», se rassure Julie, accoudée à une fourgonnette dans la cour du Shakirail, friche artistique coincée entre un pont et un chemin de fer du nord-est de Paris (XVIIIe). Un feu de camp éclaire faiblement l’im-mense bâtisse désaffectée transfor-mée depuis presque dix ans en sal-les de répétition pour artistes émergents. Artiste bénévole, Julie assure avec d’autres le gardiennage, à défaut d’avoir accès aux espaces de travail, à cause des normes sani-taires. Vivant toute l’année sur une économie de disette, jamais à l’abri de se faire dégager par la police

(cf. l’évacuation de Mains d’œuvres en octobre), les friches artistiques, squats et autres lieux intermédiai-res subissent une précarité qui est devenue paradoxalement un atout par ces temps de Covid-19. Il suffit de jeter un œil à leurs pertes finan-cières. Curry Vavart, association qui gère sur Paris le Shakirail, le Théâtre à Durée indéterminée ou la Villa Belleville et accueille plus de 400 artistes par an, estime avoir perdu moins de 14 000 euros en mars et en avril. Et pour les gros mastodontes comme la Friche la Belle de Mai à Marseille, l’union fait la force : «On est une société coopéra-tive d’intérêt collectif. A partir de là, tout est dit ! s’exclame Alain Arnau-det, directeur de la Friche. On va tenter de trouver un équilibre entre

les 70 lieux qu’on abrite, dont cer-tains sont conventionnés, pour es-sayer de les sauver tous.»

Précaire. Difficile de mettre tout le monde dans le même sac. Chaque structure a un modèle propre, hé-rité des combats menés pour occu-per les lieux. Certains paient un loyer en dessous des réalités du marché, d’autres disposent gratui-tement de locaux grâce à la ville, parfois seulement à titre tempo-raire, ou réussissent à décrocher des subventions de fonctionnement. Mais la plupart fonctionnent avec peu de salariés, souvent deux ou trois, pratiquent une billetterie à prix libre et prêtent gracieusement ou à des prix dérisoires ateliers et salles de répétition, soucieux d’ac-compagner une scène artistique souvent aussi précaire que leurs structures. «On a bon dos d’être rési-lient, lâche Jules Desgoutte, coordi-nateur de la plateforme Artfacto-ries, qui fédère des lieux culturels,

comme la Briqueterie à Amiens (Somme), Mix’art Myrys à Toulouse ou la Friche Lamartine à Lyon (IIIe). Nos lieux reposent fortement sur l’engagement des bénévoles et si à la fin du confinement, ils sont obligés d’additionner les heures pour pou-voir toucher leurs intermittences ou de faire un travail alimentaire pre-nant à cause de l’annulation des fes-tivals d’été, ils ne pourront plus s’in-vestir.» A Doc !, squat toléré dans le XXe arrondissement de Paris, les oc-cupants ont décidé de ne pas faire payer les loyers des ateliers aux ar-tistes les plus précaires, quitte à creuser un peu plus le trou de leur trésorerie.Comme le rappellent la plupart d’en-tre eux, il est dans leur «ADN de se montrer solidaires». Lors du déconfi-nement, il risque d’y avoir un em-bouteillage pour les salles de répéti-tion et Lucie Lambert, coordinatrice du réseau Actes if (Samovar, Petit Bain, Mains d’œuvres, etc.) parle déjà de mutualiser tous ces lieux

franciliens : «On va faire le maximum pour ouvrir nos portes mais on va pas pouvoir absorber tous les artistes. Les grosses scènes pu­bliques comme pri-vées, faudrait qu’elles nous aident en ouvrant leurs espaces. Et pour les ­aides mises en place par le ministère, on espère bien y avoir autant accès que les autres !» Certaines structures prêtent également main-forte à des associations pendant le confine-ment : la Friche la Belle de Mai ac-cueille en ce moment une trentaine de sans-abri.

«Cris visuels». Lieux de travail mais aussi de vie, ces friches, où des artistes se confinent, deviennent des petites poches de résistance dans une société à l’arrêt. Sur le toit du Wonder, à Nanterre (Hauts-de-Seine), Antonin Hako agite matin et soir ses peintures bigarrées comme des drapeaux flottant au vent. Par ces «cris visuels», il entre en contact avec les habitants installés aux fe-nêtres d’en face, qui lui glissent ­poèmes, requêtes et remerciements dans un tchat qu’il a créé pour l’oc-casion. Autre bouteille à la mer, la Clef, squat illégal dans le Quartier latin. Le cinéma projette tous les vendredis, une fois la nuit tombée, un film sur un de ses murs exté-rieurs. La semaine dernière, alors que les spectateurs regardaient la Nuit du chasseur (1956), de Charles Laughton, diffusé à la demande de deux gosses du quartier, des poli-ciers ont tenté d’interrompre la pro-jection, cherchant en vain un projo – les occupants restant calfeutrés dans l’ancien cinéma. Plus de peur que de mal. Les projections en plein air continueront avec, ce vendredi, pour les habitants des immeubles voisins, l’Homme qui n’a pas d’étoile (1955), de King Vidor. Ce ne sont pas les rondes policières qui effraient le plus les cinéphiles de la Clef, mais l’astreinte de 350 euros par jour qu’ils devront payer à partir du 8 mai, conformément à une déci-sion judiciaire : «On n’a pas du tout les moyens de payer, surtout qu’on n’a plus la cagnotte prix libre main-tenant qu’on ne peut plus ouvrir. C’est un coup de poker !» Motivés à squatter quoi qu’il arrive, ils réflé-chissent à projeter, avec l’accord des distributeurs, les films fragiles et exigeants qui seront passés à la trappe pendant la période de confi-nement. Avec une programmation beaucoup plus flexible que les gran-des institutions, de nombreux lieux alternatifs se disent prêts, quand les conditions sanitaires le permet-tront, à accueillir expos, concerts et créations qui ne pourraient pas se produire… à condition, bien sûr, d’avoir les forces vives.

Annabelle Martella

Face au coronavirus, les alters veulent faire le poidsMalgré leur manque de moyens et en dépit des tracasseries administratives, squats, friches et lieux intermédiaires tentent d’apporter soutien et réconfort aux artistes et aux plus démunis.

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Antonin Hako sur le toit du Wonder, à Nanterre. Photo Nadia Paz Projo sur le mur du ciné-squat la Clef, à Paris Ve. Photo clairemma

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Du petit beurreMallory Gabsi Le Bruxellois, 23 ans, plus jeune candidat de «Top Chef» cette saison, a surmonté un grave accident

à l’œil pour laisser parler son talent de cuisinier.

Par Pierre CarreyPhoto colin delfosseEn raison du confinement les entretiens et/ou photos du portrait de dernière page peuvent être réalisés à distance.

poisson renommé à Bruxelles : «Malou ne savait pas où il al-lait, mais quel tempérament !»Au deuxième épisode du concours, on est descendu des yeux vers le sourire. Mallory Gabsi a une joie enfantine. Fait assez rare dans un thriller culinaire où les acteurs jouent leur peau, la gloire, un livre à succès, une pub pour le jambon ou l’inau-guration d’un restaurant, sa réussite est fraîche et légère. Il a toutefois les ongles rongés. «Ah là là, c’est le stress, ça !» Ainsi, le jeunot se mord les doigts sur son canapé en regardant ses ongles à la télé.Il y aurait matière à avaler le bras entier car, cette année, le suspense dépasse les bornes. L’épisode de la finale a été une première fois annulé, les 110 techniciens et 100 «dégustants» congédiés, à cause d’un candidat pris d’une gastro. Un second tournage a pu se dérouler le 10 février, mais pas la proclama-tion du gagnant. La crise sanitaire bloque toujours la mise en scène de la cérémonie… Malou, donc, n’est pas plus avancé que nous. Sauf s’il a déjà été éliminé lors d’une des épreu-ves mises en boîte cet hiver (son contrat ne lui permet pas d’en dire plus).Pour l’instant, il ne s’est raté que sur les frites. La honte nationale. Pommes de terre plongées en deux fois dans de la graisse de bœuf, selon la tradition, mais pas assez croustillantes à la sortie. Pour le reste, il triomphe quasi-ment à tous les coups, en so-litaire ou associé au Normand David Gallienne, 32 ans, titu-laire d’une étoile au Michelin, autre ­client sérieux pour la victoire. Gabsi excelle dans la maîtrise sereine. Il n’a pas le style normal de son âge, ni la transgression des codes, ni la démonstration virtuose. Au contraire. Ses tortellini au fro-mage, épure évidente, font se damner les jurés. Comme sa crêpe aux pommes, presque désinvolte. Même Jacques Maxi-min, le vieux maître, s’ébahit devant son pigeon au foie gras, salsifis, vin rouge. Une impro ? Un classique.Mallory Gabsi ne s’est pas inscrit à Top Chef pour prendre une «revanche» sur son destin – selon une autre assertion de la presse people. «Je voulais faire plaisir à mes parents», dit-il. Ils sont séparés depuis ses 8 ans, sa mère vendeuse dans un magasin de luxe, son père diplomate pour les Nations unies au Liban. A 13 ans, prouesse du système scolaire belge qui décide les destins presque au berceau, il entre à l’école hôte-lière, à Bruges. Souvenir détestable de s’entendre traiter de «petit Wallon» : «Je n’ai jamais compris cette mentalité. Je suppose que certains parents donnent cette éducation à leurs enfants. Moi, j’ai fait mes études en néerlandais. Je ne suis ni wallon, ni flamand, ni bruxellois : je suis belge. Et j’aime tout le monde.»Le virus mondial ne plombe pas son avenir outre mesure. Il s’imagine ouvrir son restaurant, mais pas avant quatre ou cinq ans, le temps de parfaire le métier. Il a cependant son idée sur la grande douceur de l’endroit. «Les clients sortiront avec le sourire, imagine-t-il. Je ne veux pas forcément quelque chose de gros, mais quelque chose de bien. J’aimerais des cuisines der-rière une vitre. On verrait toute l’équipe, même ceux qui font la plonge. Ça montrerait qu’on a besoin de tout le monde. Ce se-rait un chouette resto.» En ce temps-là, il se dit qu’il sera peut-être marié – actuellement, il est célibataire. Qu’il gagnera ho-norablement sa vie, même s’il déteste parler d’argent. Et que la médecine pourra éventuellement guérir son œil avec «une lentille magique».A 23 ans, Malou est déjà nostalgique. Quand il parle des goûts de son enfance, il a une voix très lente comme pour ne jamais finir le plat. Il se souvient de la mouloukhiya que son grand-père paternel, d’origine tunisienne, faisait revenir jusqu’à 4 heures du matin. La feuille de corète, vague cousine de l’épi-nard, devenait sauce épicée pour faire fondre la viande de bœuf à l’intérieur. Il y avait des effluves d’herbes et de harissa dans toute la maison. Il remange aussi le lapin aux pruneaux de sa grand-mère maternelle, et les petites pommes de terre tièdes au beurre en accompagnement. La famille se régalait. C’étaient des jours si beaux que le soleil transperçait les nua-ges et le toit de la véranda. •

13 décembre 1996 Naissance à Ixelles (Bruxelles).2009-2011 Ecole hôtelière à Bruges.2014 Perte accidentelle d’un œil.2015 Reprend le travail au Sea Grill (Bruxelles).2020 Candidat dans la saison 11 de Top Chef.

Pour une fois, il n’est pas tombé du lit. Malou, le surdoué belge de la cuisine, 23 ans, en lice pour la saison 11 de Top Chef actuellement à l’écran (sur M6), a pris le temps du

bonheur ce matin-là. Des œufs brouillés, une baguette «crous-tillante sur les bords, moelleuse au centre», des pétales de beurre «fondant mais pas fondu». Et «un peu trop de sel». Au téléphone, il a la voix encore luisante de beurre frais : «Je n’ai pas fait de vidéo de l’assiette pour les réseaux sociaux, j’en ai profité tranquille !» Depuis le 17 mars et jusqu’au 3 mai, suivant les directives du gouvernement fédéral, Mallory Gabsi, alias Malou, est confiné à Bruxelles avec «frère aîné et maman». Le prodige parle encore avec une voix d’adolescent, le visage d’un enfant et les problèmes d’un adulte.La pandémie a réduit à mi-temps son travail auprès du chef cuisinier Yves Mattagne, détenteur de deux étoiles au Miche-lin. Il assure le service traiteur en attendant que renaisse (le 8 août, comme prévu ?) la légendaire Villa Lorraine, jadis célè-bre pour ses poulardes truffées et ses buissons d’écrevisses. «Au moins, j’ai du travail», souligne Malou, quand la majorité de ses collègues sont au chômage et les employeurs menacés

de faillite. Il s’autorise aussi quelques extras pour la chaîne RTL-TVI. L’autre jour, il produisait ventrèche, ravioles de bou-din noir, déclinaison de betteraves, jus sucré corsé mélangeant soja, saké et haricots noirs fermentés.Au premier épisode de Top Chef, en février, nous avons vu son œil blanc immobile. Gabsi raconte. Ça s’est passé le 19 avril 2014 dans un restaurant qu’il ne nommera pas. Un collègue

veut le bizuter : il croit lui jeter de l’eau, mais c’est un seau de décapant industriel. De l’acide pur. L’œil droit est brûlé. Malou n’a pas encore 18 ans. Il parle comme le

font les survivants : «Je sais que la vie peut basculer d’une se-conde à l’autre et qu’il faut la savourer.» La presse people sa-lue : «Une leçon de courage.» Au début, il se cache derrière des lunettes de soleil. «Aujourd’hui, je n’ai plus de complexe à me montrer.» Pendant un an et demi, il a interdiction de travailler, pour ne pas infecter cette rétine perméable aux bactéries. Il aurait pu demander un arrêt médical pour deux ans et demi supplémentaires, le temps que se résorbent les lésions. Mais il a insisté pour reprendre du service avec des verres de protec-tion. Mattagne l’accueille au Sea Grill, un établissement de

Le Portrait

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Page 30: Lib 233 ration - 22 04 2020

Pour faire du pixel art, il te suffi

t de colorier à l’in-térieur d

es cases pour

former des carrés.

Pour faire un m

émory, il te faut d

es paires d

e cartes avec le mêm

e dessin

. T

u peux avoir autant de paires que tu veux. Plus tu en auras, plus le jeu sera dur. Je te p

ropose de créer le tien avec des em

ojis. Voici les m

odèles, n’oublie p

as de les dessiner deux fois.

Dessiner un carré, rien de plus sim

ple ! Choisis

sa taille en coloriant des carrés à l’horizontale. Ici, j’en ai dessiné 7. Puis j’en ai colorié 6 autres à la verticale, des deux côtés. Si tu veux un carré plein, colorie l’intérieur.

Une fois que tu as com

pris le principe, tu peux créer plein de m

otifs différents !

À T

OI D

E JO

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Un

e carte postale b

avarde, d

es bu

lles de savon

ou u

n systèm

e solaire à fabriquer : retrouve toutes mes activités

manuelles en ligne sur leptitlib

e.fr !

TU

EN V

EUX

PLU

S ?

Depuis le début du confinem

ent, je propose chaque jour sur mon site

tout un tas d’activités : des tutos pour créer ou dessiner et de sup

er idées dénichées sur Internet. V

oici ma sélection rien que p

our toi.

CRÉE TO

N MÉM

ORY EN PIXEL ART

Les pixels, ce sont d

e minuscules carrés q

ui forment les im

ages app

a-raissant sur les écrans. E

h bien, on p

eut s’en inspirer p

our faire de l’art. Ç

a s’app

elle : le pixel art. Il s’ag

it de faire d

es dessin

s avec ces carrés. Je te m

ontre comm

ent on en fait pour réaliser un mém

ory maison !

FAIS TES

ANIMAUX AVEC

DES RO

ULEAUX VIDES

12

34

Découp

e ensuite

autour de tes dessins p

our faire tes cartes. A

ttention, elles doivent toutes avoir la m

ême

taille et la mêm

e forme, sinon

elles seront vraiment trop

faciles à trouver.

Ton jeu est m

aintenant terminé.

Fais travailler ta mém

oire pour battre tes adversaires !

5

Plutôt que de les jeter, transforme tes rouleaux en carton en super anim

aux !

Pour faire un chat, plie le haut du rouleau com

me sur le m

odèle pour former deux

rabats et fermer le haut du rouleau.

À l’aide de tes feutres, tu peux décorer

le rouleau en ajoutant les yeux, un nez et les m

oustaches. Ton chat est terminé,

tu vois c’était facile !

Le chat

Dessine d

eux oreilles, puis trace une lig

ne autour du rouleau p

our les relier. D

écoupe le haut du rouleau en suivant cette ligne. La forme de ton lapin est déjà

visible. Tu peux le décorer com

me tu le souhaites avec tes feutres.

Le lapin

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PIS

TE A

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ÉTOILES

Obligé com

me tous les cirques d’an-

nuler ses spectacles et de démonter son

chapiteau, le Cirque du Soleil a lancé sa plate-

forme C

irqueConnect et m

et en ligne chaque vendredi une vidéo d’une heure faite d’extraits de ses plus grands sp

ectacles. Un p

eu de fan-taisie et de poésie tout en restant confortable-m

ent dans son canapé, mais pas seulem

ent ! Le cirq

ue t’emm

ène aussi dan

s les cou-lisses d

e ses spectacles et p

ropose

mêm

e des tutos pour se maquiller

comm

e les

artistes ou

apprendre à jongler.

MATÉRIEL NÉC

ESSAIRE

Ciseaux

Feutres ou crayons de couleur

Feuilles de papier quadrillées (tu peux aussi

dessiner tes cases)

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Imiter un

tableau célèb

re avec les m

oyens d

u bord

 : c’est le défi lan

cé aux internautes par le G

etty Museum

, un musée

de Los A

ngeles, aux É

tats-Un

is. Le prin

-cip

e : reprod

uire une œ

uvre d’art (p

einture, sculp

ture…) avec ce q

u’on trouve à la m

aison.

Une très bonne idée pour réinventer l’art et bien

rire en cette période de confinement. Il suffi

t d’un peu d’im

agination et le tour est joué ! Si tu veux trouver l’in

spiration

, regarde le h

ashtag #gettym

useumch

allenge sur Tw

itter. C

ertaines images sont fantastiques  !

As-tu retrouvé la p

einture que j’ai im

itée ?

1, 2, 3

….

RO

UG

E-GO

RG

E !

Avec le confinem

ent, moins de voitures

et d’agitation humaine et donc plus de chants

d’oiseaux à écouter par la fenêtre ! Tu ne sais pas

faire la différence entre le gazouillis du rouge-gorge et celui du m

erle ? L’application gratuite Birdnet, que tu peux installer avec tes parents, va t’aider à les reconnaître grâce au m

icro du téléphone.

Et profites-en pour compter les m

oineaux, corneilles ou encore m

ésanges observés de chez toi : la Ligue de protection des oiseaux (LPO

) a lancé «Confinés m

ais aux aguets», une vaste opération de com

ptage des oiseaux ! Il suffi

t de s’installer dans son jardin, sur son balcon ou à sa fenêtre pour les ob-

server puis les enregistrer sur le site oiseauxdesjardins.fr.

MATÉRIEL NÉC

ESSAIRE

Feutres ou crayons de couleur

Rouleaux de papier toilette

ou d’essuie-tout videsC

iseaux

Page 31: Lib 233 ration - 22 04 2020

Pour faire du pixel art, il te suffi

t de colorier à l’in-térieur d

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Depuis le début du confinem

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ANIMAUX AVEC

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ULEAUX VIDES

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À l’aide de tes feutres, tu peux décorer

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Feutres ou crayons de couleur

Feuilles de papier quadrillées (tu peux aussi

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Une très bonne idée pour réinventer l’art et bien

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MATÉRIEL NÉC

ESSAIRE

Feutres ou crayons de couleur

Rouleaux de papier toilette

ou d’essuie-tout videsC

iseaux

Page 32: Lib 233 ration - 22 04 2020

Ab

el, 9 ans,

Oullins (R

hône)

«Mes journ

ées sont super !

Mes relations avec m

a sœur sont

meilleures. A

vant, on se disputait souvent m

ais on est un peu obligés d

e jouer ensem

ble p

our ne p

as s’ennuyer et on s’entend sup

er b

ien. Je fais d

u sport tous

les jours et j’ai un temps

d’écran limité.»

VOS VIES À LA M

AISON

Voilà plus d’un m

ois maintenant qu’on nous

demande de rester confinés. Q

ue font les autres enfants chez eux ? Je leur ai p

osé la question.

Pia, 8 ans,

Vannes (M

orbihan)

«Le matin, je lis souvent H

arry Potter, j’ai presque fini le tom

e quatre. Après le déjeuner,

je fais mon travail de classe, quand ce ne sont pas

les vacances ! Ensuite, je tricote un petit pull pour mon

doudou. Je fais un peu de p

iano ou de l’urban d

ance avec m

a mam

an en suivant des cours en ligne. Parfois je peins des am

poules qui ne servent plus ou des rouleaux de papier toilette. Je fais aussi des gâteaux. Je joue avec m

on chat, Miette, j’essaie de le dresser m

ais sans succès. J’aim

e bien aussi me m

aquiller en sorcière, me déguiser.

Parfois je m’ennuie, je n’ai envie de rien faire toute

seule, mais m

a mam

an travaille. Q

uand je suis

chez mon papa, à la cam

pagne, je joue de la guitare et surtout du piano. N

ous somm

es en train d’écrire une chanson rigo-

lote sur le confinement.»

LE SA

IS-T

U ?

CO

MM

ENT S’OC

CUPAIENT

NOS

ANCÊTRES

?Le confinem

ent est une période exceptionnelle, qui p

eut te sembler

longue parfois. Mais sache que b

ien avant toi, les gens n’avaient ni télé ni Internet et ont dû trouver d’autres m

oyens de faire passer le tem

ps.

JEUX

MILLÉN

AIR

ESLe tout prem

ier jeu de société a été inventé il y a 5 0

00

ans, en Égypte. Il s’appelait le senet et c’était une sorte de jeu de l’oie. Les dés ont, eux, fait leur app

arition durant l’A

ntiquité. O

n les lançait alors en cher-chant à obtenir un nom

bre de points précis. Les cartes à jouer sont nées vers 1370

en Italie. À

l’époque, elles étaient réservées aux personnes les plus riches, alors qu’au-jourd’hui beaucoup de gens y jouent !

À VERSAILLES

, ON

Y DAN

SE TO

US

EN R

ON

DA

u château de Versailles, au XV

II e et XV

III e siècles, le quotidien était très répétitif et p

révisible pour la fam

ille royale comm

e pour les courtisans : on savait exactem

ent q

uand le roi et la reine se levaient, p

re-naient leur petit-déjeuner…

Il n’y avait plus aucune surprise ! A

lors pour avoir un peu d

’anim

ation, les b

als étaient fréquents.

«Louis XIV

aimait b

eaucoup la danse, et lui-m

ême d

ansait b

eaucoup», raconte

l’historienne Odile G

aultier-Voituriez. Le

Roi-Soleil jouait aussi au billard français,

qui n

e comp

orte pas d

e trous, contrai-rem

ent au billard

américain

. Quelq

ues

années plus tard, la reine Marie-A

ntoinette a continué la trad

ition d

u jeu, qu’elle

adorait. Elle aim

ait particulièrement les

jeux de cartes et le billard. Son mari Louis

XV

I en avait d’ailleurs un a dans son «salon des jeux», au château de V

ersailles. Cette

pièce existe toujours et on peut la visiter.

BATAILLE À B

OR

D A

ux XV

III e et XIX

e siècles, au beau milieu

de la mer, les m

atelots jouaient aux cartes et aux d

és car ces jeux étaient faciles à transporter. «C

ertaines traversées étaient très longues, com

me celles pour se rendre

en A

frique, en

Am

érique ou en

Asie, et

les marin

s n’avaient pas toujours d

u travail à faire sur le b

ateau», décrit Odile

Gaultier-V

oituriez.

Certains jeux ont été rapportés en Europe

par des marins et des diplom

ates. C’est le

cas du mah-jong, une sorte de dom

inos originaire de C

hine et du Japon. «Il a eu

tellement de succès que la haute société

européen

ne se l’est ap

prop

rié. Mais au

départ, c’était un jeu populaire en Asie»,

explique l’historienne.

ET EN C

E MO

MEN

T ?A

ujourd’hui, certaines personnes

écrivent leur journal d

e confin

e-m

ent afin de raconter cette période étonnante. C

es documents entre-

ront dan

s l’Histoire, p

uisque d

es ch

ercheu

rs ont déjà p

révu d

’en récu

pérer p

our les étud

ier et les conserver ! Fais ton propre journal d

e bord

grâce à m

on tuto, à re-

trouver sur leptitlibe.fr.

Lily Rose, 10

ans, Sm

arves (Vienne)

«Je fais des caresses et des câlins à mes

animaux m

ais mon chat bronze toute la

journée donc je m’occup

e de mon chien

qui, lui, ne bronze pas. Parfois, je le fais sauter dans m

on cerceau. J’aimerais tellem

ent avoir un jardin ! Si j’en avais un, j’aurais aussi des poules et un lapin. Je fais m

es devoirs et je fais aussi beaucoup d’activités m

anuelles : du dessin, du tricot, de la peinture à

l’huile, de la lecture, de l’écriture, des tableaux en perles.»

Chim

ène, 8 ans, A

ix-en-Provence (B

ouches-du-Rhône)

«Avec m

a sœur de 6 ans, on a décidé

de faire une pièce de théâtre tous les sam

edis soirs d

evant nos p

arents. Le sujet ? Les elfes et la m

agie. O

n invente des costum

es, on fait les décors et on écrit les dialogues.

Ensuite, on a une semaine

pour répéter.»

Dab

ina, 12 ans, Paris

«Je passe mes journées avec m

a fam

ille. J’ai un grand logement et une

terrasse donc je peux assez souvent sortir p

rendre l’air. Chaque jour, je

reçois les devoirs de mes professeurs

du collège via Pronote. Quand je n’ai

rien à faire, je suis sur Internet sur YouTube, TikTok, Snapchat ou

sur des jeux vidéo. Parfois je lis aussi.»

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LE

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