La compétitivité belge : lâcher le peleton

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    Le problme de la comptitivit belge nest pas neuf.Il sagit, outre les finances publiques, dune constantedans notre histoire daprs-guerre. La manire de trai-

    ter la problmatique a toutefois volu avec le temps.Grce une meilleure connaissance de celle-ci, maisaussi sous leffet dune mondialisation toujours pluscomplexe. Juste aprs la guerre, les choses taient en-

    La comptitivit est un terme qui, ces dernires annes, est de plus en plus expli-citement prsent dans le dbat conomique. Pour notre pays et son petit marchintrieur , le fait de pouvoir concurrencer avec ltranger revt une importance vitale.Nous tranons pourtant depuis des dcennies outre de multiples atouts quelqueshandicaps tenaces. Tirons 9 leons cruciales du pass.

    Les pigesde la politique

    belge de laconcurrence

    TE XTE SOFIE BRUTSAERT

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    9 leons du pass

    LEON 1 : Sachez ce que vous voulez

    Politique belge de la concurrence

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    core assez simples compares maintenant. No-tre pays tait sorti relativement indemne de laguerre, et avait donc rapidement pu entamer sareconstruction. Mais, en 1949, notre conomiea tourn court : les salaires taient levs parceque le franc belge dvaluait beaucoup moinsque dautres monnaies europennes par rapportau dollar, et le taux de chmage tait en mme

    temps lev cause de lexplosion dmographi-que. Pour tre plus productives, les entreprisesvoulaient pleinement investir dans de nouvellesmachines, au dtriment de lemploi. La situation

    a conduit, en 1954, la Dclaration communesur la Productivit. Un exemple de bonne ad-ministration, estime Luc Denayer, secrtairedu Conseil Central de lconomie. On recon-naissait quil fallait dabord tre comptitif pouravoir une base conomique saine, et que ce nestquaprs cela quon pouvait parler de la manirede se partager le gteau. La hausse du chmage

    cette poque a galement entran une mod-ration des salaires, de sorte que nous tions denouveau sur les rails la fin des annes 50. Etque nous avions le temps de dbattre de la ma-

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    nire dont notre conomie devait voluerau cours des annes suivantes. On savait

    assez clairement cette poque ce quonvoulait atteindre, affirme Erik Buyst,professeur dhistoire conomique la KU-Leuven, savoir, attirer des producteurs de prfrence amricains de biensde consommation gnrale. Il ne restaitpourtant pas grand-chose de cet objectifexplicite dans la loi d'expansion de 1959,car tous les investissements trangers ontt intgralement subventionns. Fortheureusement, les investisseurs taientprincipalement amricains. Peut-tre enraison de lambiance positive ?

    LEON 2 : Mesurer,cest savoirNous navons jamais vraiment pos unregard adulte sur notre comptitivit. Lejeu consistait plutt voir qui aurait rai-son des syndicats ou des employeurs. Telest le sentiment de Tony Vandeputte, ad-ministrateur dlgu de la FEB jusquen2005. Trop peu de donnes objectives,voil son verdict. Il nest pas non plus vi-dent de traduire la comptitivit en chif-

    fres. Jan Smets, directeur de la Banquenationale, y est confront depuis de nom-breuses annes. Si on se base sur une vas-te dfinition de la comptitivit, on parledune conomie qui crot sans dopageet qui parvient faire participer ses ci-toyens laccroissement de la prosprit.Mais comment dfinir les innombrablesfacteurs ? Le mot concurrence comportedans tous les cas la notion de benchmark.On prend gnralement comme critre la

    part des exportations. La part de marchsur le march intrieur est galement per-

    tinente, mais beaucoup plus difficile comprendre dun point de vue statistique.La part des exportations est son tourinfluence par un tas dlments, mais lesdcideurs politiques nont de prise quesur un seul : le cot salarial. Jusquauxannes 80, de nombreuses erreurs politi-ques ont t commises par ignorance dece qutait prcisment la comptitivit,et surtout, de la manire dont les m-canismes fonctionnaient, estime TonyVandeputte. Ce fut donc une bonne ide,en 1983, de comparer lvolution de notre

    cot salarial nos 7 principaux parte-naires commerciaux : 5 pays europens,en plus des tats-Unis et du Japon. Cesgants conomiques se sont toutefois av-rs une pitre base de comparaison pourun price taker tel que la Belgique. Lesystme a t adapt en 1996. On prenddsormais comme base de comparaisonlvolution des salaires dans les trois paysvoisins.

    LEON 3 : Vivre

    au-dessus de sesmoyens se paie unjour ou lautre

    Les Golden Sixties nous ont rendus tm-raires. lpoque, notre comptitivit seportait bien surtout en Flandre et lesAmricains se bousculaient pour investirdans notre petit pays. La relative pnuriesur le march du travail confrait uneposition solide aux syndicats. Cest ainsique nous sommes entrs dans les annes70. Les chocs ptroliers combins notre

    mcanisme dindexation ont entran laBelgique dans une spirale inflationniste.Des syndicats combatifs sont parvenus obtenir, en plus des indexations, unehausse des salaires rels. Pas tonnantque les cots salariaux belges aient dpas-s les bornes vers la moiti des annes 70.La Belgique se porte alors plus mal quen1949, parce que la balance commercialeprsente aussi un dficit trs important,signe dexcs de dpenses. La Belgique vitau-dessus de ses moyens. Il devait y avoir,invitablement, une correction. En 1982,le franc belge a donc t dvalu de 8,5%.

    Un nouveau souffle pour lconomie, maissur les marchs financiers un choc de con-fiance qui aura encore des effets pendantde longues annes

    Nous navons jamaisvraiment pos un regard

    adulte sur notrecomptitivit

    Tony Vandeputte

    (ex-administrateur dlgu FEB)

    MMOIRES

    Fons Verplaetse, gouverneur de la Banque nationale de 1989 1998, a t le principalarchitecte de la dvaluation de 1982. En tant que gouverneur, il a prpar ladhsion de

    la Belgique la zone euro. Il a tir dimportantes conclu-

    sions conomiques de cette priode, qui ont t traduites

    avec pas mal de succs dans le Plan global de 1993. Il

    tudie ces derniers mois de nouveau lhistoire de manire

    intensive, mais cette fois-ci dans le but de coucher par

    crit sa contribution cette priode cruciale de notre his-

    toire conomique. Un autre tmoin-cl, lancien Premier

    ministre Jean-Luc Dehaene qui a remis notre cono-

    mie sur les rails grce ce Plan global est selon les

    rumeurs galement en train de mettre la dernire main

    ses mmoires. Lopuscule deTony Vandeputte, dj paru

    et plutt orientation universitaire, dcrit pour sa part

    la concertation socio-conomique interprofessionnelle

    entre 1986 et 2005. Tony Vandeputte a lui-mme t

    un tmoin privilgi de cette concertation, ce qui confre

    galement une valeur historique cet opuscule.

    Tony Vandeputte, La concer-

    tation socio-conomique inter-professionnelle 1986-2005,

    FEB, 2005. Voir Lesley

    Cornelis ([email protected]) pour

    un exemplaire gratuit.

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    55Politique belge de la concurrence

    LEON 4 : Attendre

    trop longtempsrduit les optionspolitiquesLa dvaluation de 1982 nous apprendencore une chose : plus on attend poursattaquer au problme de la concurrence,moins il reste doptions politiques. Si ontait intervenu un peu plus tt, la dva-luation naurait probablement pas eu lieu.Or, il y avait dj des plans sur la tablepour rduire les charges sur le travail et

    financer la scurit sociale par le biais desimpts indirects. Cela aurait pu marcher,mais lindcision nous a finalement con-traints prendre des mesures plus radi-cales.

    LEON 5 :La Belgique nestpas une leQui dit concurrence dit benchmark. Maisil y a plus. Au cours de notre histoireconomique daprs-guerre, la politique

    de la concurrence a presque exclusive-ment t guide par la pression externe,et non par la ncessit de rehausser notrepropre conomie. Au dbut des annes80, cette pression externe venait des mar-chs financiers, de lOCDE, du FMI et delAllemagne. Dans les annes 90, la Belgi-que voulait pouvoir adhrer la zone euroet devait pour cela sen tenir certainesrgles. Aujourdhui, le contrle de lUEest encore plus formel et notre politiquede la concurrence doit cadrer dans un con-texte europen. Car quen serait-il si tous

    les pays de lUE modraient les salaires ?Ne serions-nous pas entrans dans unespirale descendante ? Jan Smets : Je naipas trop de craintes ce sujet, parce quily a en effet davantage de concertation auniveau europen. Mais cest vrai que celan'a pas de sens de rappeler uniquement lordre les pays qui ont des chiffres n-gatifs ; les pays qui vivent en dessous deleurs moyens portent eux aussi une partde responsabilit. LAllemagne pourraitainsi tout doucement penser des aug-mentations salariales en vue de rtablirles dsquilibres au niveau de la com-

    ptitivit. La marge de manuvre deshommes et femmes politiques nationauxest donc trs petite. Une fatalit pour cer-tains, mais je considre personnellement

    plutt comme une opportunit le fait quenous ayons, avec les autres pays, notre mot

    dire sur ce qui se passe. Cette approchecommune nempche pas que chaque payspuisse placer ses propres accents, estimeJan Smets.

    LEON 6 :La comptitivitrtablie sauto-affaiblitLa comptitivit dune conomie est unphnomne trs embtant. Un coup dil

    sur notre histoire nous apprend que leproblme ne fait que ressurgir, y comprisaprs des priodes de politique srieuse.Les conomistes prtendent que c'est tout

    Premires indexations salariales du secteur priv

    Reconstruction de la Belgique. Indexation salariale automatique gnralise dans le secteur privDclaration commune sur la Productivit

    Rorganisation montaire europenne / La loi d'expansion subventionne les investissementstrangers

    Cration de la CEE : lancement de lintgration du march UE

    Premier choc ptrolier

    Deuxime choc ptrolier

    Dvaluation du BEF de 8,5% / Sauts dindex jusquen 86 / Dsormais indice liss(moyenne des 4 derniers mois)

    Norme de comptitivit : salaires compars aux 7 principaux partenaire commerciaux

    Unification allemande / Loi de sauvegarde de la comptitivit du pays : norme salarialea posteriori

    Globalisation acclre des marchs/ Liaison du BEF au DM

    Plan global / Introduction de lindice sant (indice moins carburants, alcool et tabac)

    2 ans de blocage des salaires rels suite au Plan global

    Loi sur la comptitivit (remplace celle de 89) : introduction de la norme salariale prventive

    Pacte des gnrations

    Plan Marshall wallon

    Vlaanderen in Actie

    Handicap salarial de 4,6% par rapport aux 3 pays voisins (source CCE)

    1920

    1944

    1954

    1959

    1967

    1973

    1979

    1982

    1983

    1989

    1990

    1993

    1995

    1996

    2004

    2005

    2006

    2012

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    fait normal. Car une fois que les entre-prises occupent une bonne position con-

    currentielle, elles font de bonnes affaires,investissent, modernisent et augmententla productivit. Ce qui fait de nouveaugrimper les salaires. La loi de 1996 sur lacomptitivit a tent de rsoudre le pro-blme de manire structurelle. Mais onpeut affirmer avec certitude en 2012 quecette loi nest pas suffisante en soi pourgarantir notre comptitivit. Morale delhistoire : la comptitivit est un probl-me dont nous narriverons pas nous d-barrasser en prenant une bonne fois pourtoutes les bonnes mesures. Il sagit dun

    domaine auquel nos dcideurs politiquesseront nouveau chaque fois confrontsde manire cyclique.

    LEON 7 :Combiner est pluseffi caceIncroyable mais vrai, la Belgique se com-plique elle-mme la vie. Nous nous atta-quons ainsi nos problmes de compti-tivit au moment o nous nous trouvonsface dimportants dfis budgtaires. Ce

    fut le cas lors de la dvaluation de 1982,et du Plan global de 1993. Dans les an-nes 80, les deux problmes ont t abor-ds de manire plutt squentielle. JanSmets : Certains ont pens lpoque quesi nous rsolvions le problme de la com-ptitivit et que nous gnrions donc unenouvelle croissance conomique, crionsdes emplois et des revenus pour la scu-rit sociale, nous rtablirions galementla confiance sur les marchs (la Belgiqueavait une balance des paiements dficitai-re et la mfiance lgard du franc belge

    tait trs grande, entranant des sortiesde capitaux et des charges dintrt trsleves). Quod non. La premire partiesest rvle exacte, mais la confiance surles marchs na t rtablie quen 1990,lors de la liaison du franc belge au markallemand, aprs un remaniement dubudget tout au long de la dcennie prc-dente. Ce fut une bonne leon. Lorsquenous avons de nouveau t confronts en1993 des problmes de comptitivit et un trop grand dficit budgtaire cettefois nous devions arriver en dessous de labarre des 3% pour pouvoir adhrer la

    zone euro , nous avons adopt une ap-proche plus efficace par le biais du Planglobal (voir galement The worst moviesare remakes, p. 57).

    LEON 8 :

    Les mesures linairesne conviennentpas tout le mondeNous avons lindexation automatique,mais aussi la norme salariale. Certainspays nont pas dindexation automatique,ni de norme salariale. Cette norme salari-ale protge les secteurs plus fragiles con-tre de trop fortes hausses de salaire, maisempche aussi les secteurs bien portantsde mieux rcompenser certains profils

    que dautres. Soit parce quils ont fournides prestations particulires. Soit pourlier lentreprise des spcialits difficiles trouver sur le march du travail, un pro-blme rendu plus aigu avec le vieillisse-ment de la population.

    LEON 9 : Prendregarde aux droitsacquisLa dernire leon que nous pouvons tirerdu pass est que les dcideurs politiques

    doivent prendre garde ne pas considrerune situation actuelle comme permanen-te. Les situations changent, et les mesuresqui ont un jour paru indispensables sontconsidres des annes plus tard commedes boulets. On pensait ainsi au cours desGolden Sixties que la concertation entreemployeurs et travailleurs fonctionneraittoujours. Cest partir de cette pense queles structures de la scurit sociale ont tdveloppes. Lors de temps conomiquesdifficiles, le fait que le gouvernement aitt tenu en dehors des dcisions socio-

    conomiques a souvent jou en dfaveurde la Belgique. la fin des annes 70, nos hommes etfemmes politiques confronts despousses et des spirales inflationnistes,ainsi qu un taux de chmage lev ontpris des mesures qui, en raison de leurcaractre permanent, ont entran diversproblmes. Les structures de ltat ontainsi t gonfles pour que tout le mondepuisse trouver un emploi. La prpensiondate galement de cette priode. Il auraitprobablement t plus avis de limitercette dernire mesure dans le temps, de

    sorte quelle ne puisse pas se transformeren un droit acquis. En effet, prolonger esttoujours possible, mais annuler est nette-ment plus difficile !

    On a reconnu en 1954

    quil fallait dabord trecomptitif pour avoir unebase conomique saine

    Luc Denayer (CCE)

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    Le plan mritait bienson nom la fin des annes 80, la Belgique estconfronte un draillement des cotssalariaux, ce qui entrave la croissanceconomique du pays. Lorsque la situati-on se dgrade galement au niveau inter-national, le cocktail entrane une rces-sion en 1993, ainsi quun triple challenge

    pour notre pays : une comptitivit af-faiblie, un taux de chmage lev et desdficits budgtaires frisant les 7%. LePremier ministre Jean-Luc Dehaene etson quipe sont les premiers tenter derelever le dfi laide dun Plan global.Ce plan mritait bien son nom, se rap-pelle Jan Smets, aujourdhui directeurde la Banque nationale, mais lpoquechef de cabinet de Dehaene et instigateurdu plan, car il sattaquait rellement ces questions de manire globale.

    Nous avions tir les leons des annes80, o les problmes taient abords demanire plutt squentielle. Un blocagedes salaires rels a t annonc, lindicesant (= indice des prix la consom-mation moins lalcool, le tabac et lescarburants, NDLR) a t introduit, desdiminutions de charges ont t accordesen relation avec certaines mesures visant augmenter lemploi, tout cela combin un assainissement approfondi de lascurit sociale. Cet exercice combina bien fonctionn. Gert Peersman, delUniversit de Gand, observe les choses

    avec un peu plus de recul. Il admire luiaussi la manire dont les mesures budg-taires et la comptitivit ont t reliesentre elles. Mme sil voit quelques l-

    ments ngatifs. On ralisait des cono-

    mies en paralysant les investissementspublics, entre autres. Lorsquune nou-velle route nest pas construite, personnene le ressent directement dans son por-temonnaie, mais une telle politique estnfaste pour la comptitivit long ter-me. Le Plan global augmentait en outrelimpt sur le travail en introduisant lacontribution de crise, ce qui ntait pasvraiment favorable la comptitivit desentreprises. Certains dplorent que lonnait pas retenu les points positifsdu Plan global. Lune des causes

    des problmes auxquels nous som-mes confronts aujourdhui estque nous navons pas persvrpour carter les produits ptro-liers de lindice. Et Tony Vande-putte, alors administrateur d-lgu de la FEB, regrette surtoutque la Procdure dvaluation dela comptitivit qui a t intro-duite soit reste lettre morte. Lefond du plan tait en majeure par-tie positif, mais son excution sestavre moins ambitieuse.

    Le contexte actuel esttout fait diffrentPouvons-nous nous inspirer de ceplan, maintenant que nous som-

    The worst moviesare remakesAvons-nous besoin aujourdhui

    dun nouveau Plan global ?

    Dix ans plus tt, peu de choses prs, nos dcideurs poli-tiques se trouvaient face une situation conomique simi-laire celle daujourdhui. Leur plan le Plan global a eu lpoque des rsultats rapides. Une source dinspiration pourlquipe Di Rupo ? Ou vaut-il mieux y rflchir deux foisavant de refaire la mme chose ?

    TE XTE SOFIE BRUTSAERT

    Aujourdhui, deux chosessont structurellement

    tout fait diffrentes d'ily a 20 ans

    Jan Smets (Banque nationale)

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    mes nouveau confronts ce triplechallenge ? Jan Smets : Aujourdhui,

    deux choses sont structurellement tout fait diffrentes d'il y a 20 ans. 1) Nousvivons dans un tout autre monde suite

    la mondialisation. Nous parlons de notrecomptitivit au sein de la zone euro,mais un autre problme est que cettezone euro en tant que telle doit pouvoirconcurrencer avec des pays mergentstels que la Chine, lInde, le Brsil et laRussie. Il ne sagit pas pour cela toujoursde concurrence directe, mais nous de-vons quand mme pouvoir profiter dupouvoir dachat supplmentaire qui natdans ces pays. 2) Alors quil y avait en

    1993 une offre excdentaire sur le mar-ch du travail, aujourdhui, les entrepri-

    ses se disputent la main-duvre, et celarisque de ne faire que sempirer dans le

    futur. C'est l'effet du vieillissement. Lesremakes ne sont jamais de bons films,conclut Jan Smets, en paraphrasant leraisonnement de lancien Premier mi-nistre Jean-Luc Dehaene.

    Crise de la dette

    Il semble dores et dj trop tard pourun Plan global bis pour le gouvernementDi Rupo I. Celui-ci a dissoci lexercicebudgtaire du dbat sur la comptitivit,qui ne sera probablement lanc quaprs

    les lections sociales de mai. Cette ap-proche peut aisment sexpliquer. Unediffrence avec 1993 dont nous navonspas encore parl est le contexte de lacrise de la dette. Tous les observateursdu march se concentrent sur le carac-tre supportable et remboursable delendettement des pays et des institutionsprives. La Belgique a en fin de compteassez bien support la crise, et a mmeprsent des chiffres de croissance pluslevs que le reste de lUE. Notre grandefaiblesse est notre taux dendettementlev, autour des 100%. Cest juste titre

    que le gouvernement sest en premier lieuconcentr sur ce point, parce quil sagitplus que jamais dune condition sine quanon pour une conomie en bonne sant,estime Jan Smets.

    Et quen est-il entre-temps des effets desmesures budgtaires prises en matirede comptitivit ? Cela se passe assezbien, estime Gert Peersman. Lconomiea somme toute t plutt pargne.Mais son lgendaire sens critique lefait ajouter : Je vois malheureusement

    trop de mesures uniques dont je dduisque notre budget ne samliorera pas demanire structurelle. Dautres cono-mies devront donc encore tre ralises,mais lesquelles ? Si la population et lesentreprises se posent galement cettequestion, elles auront tendance co-nomiser Lincertitude peut miner lacroissance, alors que lon vise, avec cebudget, prcisment le contraire. Pourl'heure, la confiance des consommateursvolue de faon positive, ce qui est moinsle cas de lindice conjoncturel.

    Source : CCE, FEB. Infographie : Forward. * Pour 2011. ** Prvisions.

    Mesure 1993 2012

    Handicap salarial Top de nos 3 pays voisins 107,9 114,6(1988=100)

    Inflation En % 2,8 3

    Taux de chmage En % 8,6 7,2*

    Solde budgtaire En % du PIB -7,5 -2,8

    Croissance conomique En % -1 0,2**

    Solde balance commerciale En % du PIB 3,5 1,8

    LE PLAN GLOBAL DANS LES GRANDES LIGNES Blocage des salaires rels

    Indice sant

    Nouveau calcul de lindice

    Emplois-tremplin

    Plans dexploitation en vue dune redistribution du travail lie une rduction

    forfaitaire des cotisations patronales

    Rduction des cotisations patronales pour les bas salaires

    Procdure dvaluation de la comptitivit

    COMPARAISON N'EST PAS RAISON : 1993 ET AUJOURDHUI

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    Je crains que la politi-que gouvernementaleen matire de com-ptitivit soit de nou-veau un assemblage degnralits, laissaitchapper le professeur

    Herman Daems dans De Tijd fin mars.Un grand nombre de suggestions circu-lent en effet dans les milieux acadmi-

    ques les unes plus cratives que les au-tres , pouvant servir dinspiration pourdes adaptations structurelles. On saitentre-temps dans les grandes lignes quilfaut satteler trois domaines. 1) Conti-nuer de stimuler la croissance et doncuvrer au niveau des prix et des charges.2) Ne pas laisser le march du travailsenliser cause du vieillissement. 3) Sepencher sur tous les aspects qui ont trait la productivit le moteur proprementdit de lconomie , comme la rechercheet linnovation, une meilleure collabora-

    tion entre lenseignement et les entrepri-ses, etc. Sachant que le budget disponiblepour ces chantiers est quasi inexistant...

    Une conomie plus rsistanteaux chocsUne mcanique remarquable se cachederrire notre conomie. Au moindrechoc, surtout sur le march de lnergie,linflation sort des rails. Cest donc unebonne ide de satteler la formation desprix de lnergie, comme le fait le gouver-nement aujourdhui, note Jan Smets,directeur de la Banque nationale. Mais

    il y a plus. Suite lindexation automati-que, cette vulnrabilit supplmentaire setraduit immdiatement dans les chargessalariales. Lindexation des salaires na

    rien danormal en soi tous les experts quiont collabor ce dossier taient daccordl-dessus , le problme vient plutt du

    fait que les chocs se succdent de plusen plus rapidement et que nous adaptonsautomatiquement les salaires aux haussesdes prix, ce qui profite aux fameux effetsde second tour. La spirale inflationnisterenforce tous les coups linflation, ce quinous rend moins comptitifs et rduit no-tre part des exportations.

    linverse, si notre inflation diminue, ellebaisse plus que dans les pays voisins. Etde ce fait, les salaires baissent aussi. Cestmme un peu pervers : en cas de haus-

    ses de la productivit, les prix baissent etdonc en principe aussi les salaires. Leseffets se compensent somme toute assezbien, si ce nest que nous perdons, lors despics de linflation, beaucoup demploisque nous ne rcuprons pas tout faitlors des creux. Et que nous avons accu-mul malgr la norme salariale un d-rapage de lordre de 4% par rapport nostrois principaux partenaires commerci-aux. Un poison insidieux. Le professeurGert Peersman (Ugent) a imagin unsystme antichoc qui pourrait contenteret les syndicats et les employeurs : Le

    dbat propos de lindice est trop sou-vent considr comme une lutte entre em-ployeurs et travailleurs, alors quau fond,tout le monde y gagne. Le grand avantage

    Un indice fi xe,dcoupl de linfl ation ?Quelques rflexions pour le futur

    Le problme, cest lindice ! Une formule banale dans le d-bat sur la comptitivit, selon Gert Peersman (Ugent). Unemodification de lindice est ncessaire, mais il ne faut pascroire que cela entranera une amlioration structurelle de lacomptitivit. Quoique cela pourrait, si l'on relie, notam-ment, les salaires des fonctionnaires la croissance cono-mique. Erik Buyst (KUL) explique pourquoi.

    TE XTE SOFIE BRUTSAERT

    Le dbat propos delindice est trop souventconsidr comme unelutte entre employeurset travailleurs, alors

    quau fond, tout lemonde y gagneGert Peersman (Universiteit Gent)

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    dun mcanisme dindexation est notam-ment la paix sociale qui en rsulte. Je

    plaide ds lors en faveur dune indexa-tion permanente de 2%, une fois par an,et quelle que soit linflation du moment.Ces 2% correspondent lobjectif fix parla Banque centrale europenne en mati-re dinflation, qui latteint galement enmoyenne. On garantit ainsi le pouvoirdachat sans devoir perdre en comptiti-vit, car on vite les effets de second touren dissociant les hausses des prix et dessalaires. Le mme systme pourrait treappliqu dautres indexations des prixtels que les loyers. Si lconomie se porte

    bien et que la productivit augmente,on a de la marge pour ngocier sur leshausses des salaires rels, conclut GertPeersman. Cest peut-tre aussi, soit diten passant, une manire de disciplinerquelque peu les fixeurs de prix (surtoutdans le secteur de lnergie). Il est en ef-fet trs facile aujourdhui de procder une hausse des prix en sachant que celle-ci sera de toute manire rpercute dansles salaires.

    Le partage des bnficescomme mcanisme de

    conscientisationLes problmes imminents sur notremarch du travail sont un cas dcolepour dmontrer que les recettes du passnapportent pas toujours la solutionsimplement parce que le contexte dmo-graphique a compltement chang. Al-ors quon a tout fait pendant des annespour rduire lexcs de main-duvre

    de lintroduction de la prpension lasuppression statistique des demandeurs

    demploi , il faut aujourdhui faire lemaximum pour garder les gens le pluspossible au travail. La question du futurnest plus de savoir si lon dispose duneoffre suffisante pour fournir un emploi tous ceux qui veulent travailler, maisplutt comment trouver suffisammentde personnes motives pour satisfaire la demande. Aujourdhui, on voit dj la moindre amlioration de la conjonc-ture des tas dentreprises, aussi bien enFlandre quen Wallonie, rechercher d-sesprment de la main-duvre. Sans

    celle-ci, elles ne peuvent satisfaire lademande du march et ne sont doncpas comptitives. Si nous ne parvenonspas amliorer notre main-duvre demanire quantitative et qualitative, nousnous dirigeons tout droit vers des tensi-ons sur le march du travail qui ferontgrimper les cots salariaux. Une nouvellevague de dlocalisations nest alors pas exclure, prdit Jan Smets. Rester comp-titif devient ainsi un dfi supplmentaire relever. Le gouvernement a dj prisplusieurs mesures : relvement de lgede la retraite, mesures dans le cadre de

    lassurance chmage, etc. Mais il faudraprobablement une approche plus fermedans le futur, et les mesures linaires de-viendront compte tenu des professionscritiques toujours moins videntes.

    Erik Buyst, professeur dhistoire cono-mique la KULeuven, lance un bal-lon dessai : Je pense que les gens doi-vent davantage prendre conscience delimportance de la comptitivit denotre conomie. Pourquoi ne pas re-lier en partie leur salaire la rentabi-

    lit de leur entreprise ? On opte sou-vent pour cette solution dans le secteurpriv, mais comment y sensibiliserle personnel de la fonction publi-que ? Nous ne nous dbarrasserons pasdu problme du cot salarial trop levtant que le coin salarial restera aussilev. Les employeurs paient cher leurstravailleurs, mais ce nest pas pour celaque ces travailleurs gagnent plus quedans les pays voisins. Il y a en outre desrisques complmentaires, car les talents dont nous avons plus que jamais besoinici russissent aussi ltranger ! On

    ne peut toutefois changer ce coin salarialquen diminuant limpt sur le travail.Mais par quoi remplacer le manque gagner ? La plupart des impts sont dj

    Nous ne nousdbarrasserons pas du

    problme du cot salarialtrop lev tant que le

    coin salarial resteraaussi lev

    Erik Buyst (KULeuven)

    EFFETS DE SECOND TOUR : INFLATION EN BELGIQUE CONTRE INFLATIONDANS LA ZONE EURO (GERT PEERSMAN - UNIVERSITEIT GENT)

    Priodes dinflation sous lobjectif BCE

    Inflation

    Objectif dinflationBCE (2%)

    Inflation enBelgique

    Inflationen Europe

    Quand linflation dpasse les 2%, cest encore plus le cas en Belgique : dtrioration de la comptitivit

    Quand linflation passe sous les 2%, cest galement aussi encore plus le cas en Belgique : amliorationde la comptitivit car en raison de lindex, les salaires augmentent moins par rapport ltranger

  • 8/2/2019 La comptitivit belge : lcher le peleton

    10/10

    61Politique belge de la concurrence

    parmi les plus levs en Belgique ! Il nereste donc plus qu rduire les dpenses

    publiques de manire structurelle. ErikBuyst pense que lon peut tirer beaucoupde lexprience des Pays-Bas qui ont, tantbien que mal, dplac les services pu-blics vers le march priv. Le FMI tiredailleurs la mme conclusion dans sondernier rapport, mme sil propose ga-lement un plan comprenant un dplace-ment de la charge fiscale. Le FMI estimequune hausse de la TVA et des taxesenvironnementales et une diminutiondes postes dductibles dans limpt despersonnes physiques peuvent compen-

    ser une baisse des cotisations patronales.Gert Peersman acquiesce : Pour moi, ilfaut un glissement total de limpt surle travail vers la TVA. On obtient ainsiun quilibre budgtaire, en plus dun tasdavantages : on taxe principalement lesbaby-boomers consommateurs qui sont la base des problmes qui se posentaujourdhui. Cest une sorte dimpt surla fortune. On maintient malgr tout lepouvoir dachat, car si le cot de la main-duvre dun produit qui cote 100 EURbaisse de 10%, le produit cote encore 90EUR. Si on augmente en mme temps

    la TVA de 10%, le prix sur le marchintrieur reste environ le mme. Cesystme pourrait stimuler les exportati-ons, car on paie la TVA dans le pays deconsommation, condition que toutelUE napplique pas cette astuce. Autresobservations : si des produits deviennentmoins chers ltranger, il faut prendregarde ne pas encourager le shoppingfrontalier. Une inconnue dans ce mo-dle est le pourcentage de la baisse delimpt sur le travail que les entreprisesimputeraient effectivement dans leurs

    prix finaux. La tentation serait grande dene pas compltement jouer le jeu... Et siles prix nationaux augmentaient malgrtout, nous stimulerions notre inflation.

    Contingenter les orientations faible valeur ajouteconomique ?Un troisime chantier comprend toutesles mesures devant profiter notre pro-ductivit. On touche l aux fondementsplutt qualitatifs de notre conomie.Des plans rgionaux tels que Flandre enAction (Vlaanderen in Actie) et le Plan

    Marshall wallon remplissent partielle-ment cette mission. Mais ne devons-nouspas durgence organiser un dbat ambi-tieux, comme dans les annes 50, pour

    dterminer vers quoi nous voulons nousdiriger en ce qui concerne notre cono-

    mie ?, se demande Luc Denayer, secr-taire du Conseil Central de lconomie.Mme si une brve rflexion dmontreque nous sommes assez exigeants lorsquilsagit du profil dentreprise idal pour laBelgique : nous voulons des entreprisescompactes avec une valeur ajoute leve.Il faut dire que nous ne nous dbrouillonspas si mal si nous regardonsautour de nous : lIMEC,LMS, les entreprises de bio-technologie et les innombra-bles spin-offs des universits

    en sont de beaux exemples.Erik Buyst : tre ralistene signifie pas tre dfaitis-te. Nous devons surtout te-nir compte de nos capacits.La biotechnologie dmontreque si lon matrise bienquelque chose, le reste vientde lui-mme, jusqu un cer-tain point. Le secteur textileest galement un exemplede reconversion russie : dela production de vtementsclassiques dans les annes

    60 des produits hautementtechniques aujourdhui. Lercent discours tenu parAjit Shetty, ancien CEO de

    Janssen Pharmaceutica, selon lequel lesmultinationales aiment toujours venir enBelgique, est galement trs prometteur.Nous manquons peut-tre principale-ment de courage aujourdhui, poursuitErik Buyst. Nous avons du mal noussparer des (parties d) entreprises quine cadrent plus avec une conomie tour-ne vers le futur. Regardez Bekaert il y a

    peu : lannonce de lassainissement a tfort critique, alors que cela na aucunsens de maintenir des productions con-damnes disparatre. Des sorties doi-vent tre possibles afin de librer de laplace, de lespace et des moyens pour denouvelles orientations. Erik Buyst insisteencore une fois sur limportance de la sen-sibilisation et de la mentalit dans le dbatsur la comptitivit : Pour investir cheznous, les entreprises doivent en premierlieu se sentir les bienvenues. Et cela com-mence chez le fonctionnaire lattitudebienveillante. Pour lhistorien, la jeune

    gnration doit aussi bien rflchir seschoix dtudes. Il plaide pour contingen-ter certaines orientations ayant peu devaleur ajoute conomique.

    Le professeur Gert Peersman a imagin un

    systme d'indexation antichoc.