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LA CONDUITE HUMAINE DU CHANGEMENT

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Illustration de couverture : FDFH

© Les Éditions DEMOS, 2000

ISBN : 2-910157-36-9

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COLLECTION DEMOS MANAGEMENT/RESSOURCES HUMAINES

LA CONDUITE HUMAINE DU CHANGEMENT

Thierry Chavel

Les Éditions DEMOS

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REMERCIEMENTS

De la parole aux actes, puis des actes au récit : les pages qui suivent résultent d'actions de

coaching, théâtre d 'échanges improbables et de rencontres fortuites avec les hommes et les

femmes qui font la diversité des situations d'entreprises que je rencontre : cet ouvrage est un

peu le leur, contributeurs souvent anonymes à la richesse du management.

Merci à mon ami Jean-Charles Valette pour ses critiques pertinentes, si précieuses pour fina-

liser ce texte. Pierre-Yves Gomez a toute ma gratitude pour sa confiance indéfectible, en plus

de l 'estime que je lui voue déjà. Enfin, ce livre n'aurait pu voir le jour sans les encouragements

et la patience de Sophie, ma femme : je lui en suis humblement reconnaissant.

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Préface

Maintenir un savoir-faire séculaire, maintenir le rang d'une famille, maintenir la mémoire d'un nom ou la renommée d'un produit. Traditionnellement, la grande affaire des dirigeants, c'était de maintenir leurs Etats ou leurs organisations malgré les modifications jugées dangereuses de l'environnement. Gérer, c'était conserver l'essentiel, contre vents et marées.

Aujourd'hui, la perspective est inversée. Managers et politiques rivalisent d'énergie et, par- fois, d'imagination pour créer les conditions d'un changement toujours recommencé et tou- jours nécessaire. La société, les marchés, les produits et les clients sont supposés évoluer en permanence. Adapter, modifier, oublier le passé sont considérées comme les conditions de la survie. Nous réalisons sans le savoir l'idéal trotskiste d'une révolution permanente. Ce qui est ancien est suspect, ce qui n'est pas en cours de modification est dangereux. La résistance au changement, les habitudes et les routines sont combattues, tandis que les valeurs considé- rées comme positives sont la flexibilité, la souplesse et la créativité. La logique de l'imper- manence constitue ainsi la manière contemporaine de gouverner les hommes. Elle se nourrit d'elle-même puisque la quête du changement est, par nature, infinie. Il suffit de considérer tout acquis comme provisoire.

L'intelligence de l'ouvrage de Thierry CHAVEL est de partir de ce constat. Le changement n'est pas une nécessité conjoncturelle due aux modifications économiques particulières que connaîtrait notre époque. C'est une manière contemporaine de gérer l'entreprise, fondée sur un mouvement perpétuel de destruction et de création de l'organisation. En conséquence, l'auteur va droit au but. Il cherche à mettre au jour les conditions qui permettent de bien gérer le changement, on devrait dire, de gérer par le changement. Car l'homme d'entreprise se pose légitimement la question de savoir non pas comment « réussir le changement », puisque le changement est toujours recommencé et donc jamais réussi, mais comment réussir à gouver- ner les hommes en se fondant sur la modification permanente de leurs façons d'agir. Ce qui pose, en effet, une sérieuse question de savoir-faire managérial.

L'idée la plus commune est de considérer que la survie de l'entreprise est l'indicateur d'une bonne gestion par le changement. Les entreprises qui échouent leur adaptation, c'est-à-dire, en fait, qui ne maîtrisent pas leur gestion par le changement, sont éliminées du marché. Il n'est pas de jour où la presse ne rapporte d'exemples de défaillances d'entreprises dues à leurs inerties, leur immobilisme ou leur absence de réactivité.

Cette idée est suffisante pour le grand public, mais n'est pas très pertinente pour le gestion- naire. Elle apparaît en effet comme une évidence, car elle explique pourquoi ceux qui ne chan- gent pas échouent. Mais elle ne permet pas de comprendre l'essentiel pour le gestionnaire :

Pourquoi et comment ceux qui changent réussissent ?

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En bonne logique, on peut avancer deux critères généraux permettant d'évaluer la qualité du

management par le changement.

Tout d'abord, un critère externe : l 'accroissement de la valeur créée. Parce que, répétons-le,

le changement est une façon de gérer les hommes au travail, et il faut que le résultat de cette

gestion augmente la valeur pour les parties prenantes de l'entreprise, à commencer par les actionnaires. Dans le processus de destruction créative que constitue le changement, la créa-

tion finale de valeur doit l 'emporter sur la destruction due à la réorganisation. La changement

ne se justifie pas en lui-même, il doit justifier une valeur économique et sociale accrue. Nous

sommes aujourd'hui dans la préhistoire de telles évaluations. La mystique du changement

opère encore de manière souvent irrationnelle, au sens où le seul fait de changer est inter-

prété positivement par les marchés. Mais ne soyons pas naïfs. Plus les actionnaires exerce-

ront avec vigilance un contrôle sur la bonne gestion de leur entreprise, plus la nécessité des

changements organisationnels devra se prouver par une création de valeur supérieure aux

coûts de réorganisation. On se posera alors plus clairement la question de la nécessité éco-

nomique du changement.

La qualité du management par le changement s 'évalue en second lieu par un critère interne

à l 'entreprise : l 'adhésion des employés. La valeur créée est, en effet, le produit du travail et

de sa bonne organisation. Or, considérer le changement comme un principe de gestion conduit à remettre en cause les routines et les habitudes, tout en approfondissant, en même

temps, l 'exploitation des expériences et des savoir-faire acquis. Il faut modifier des compor- tements anciens sans pour autant détruire les compétences dont ils sont porteurs. Un chan-

gement trop brutal, et c 'est la mémoire, les savoirs et les connaissances accumulés par les

salariés qui sont gaspillés. Un changement trop timide, et les inerties, les habitudes de travail et les routines l 'emportent. Aussi, l 'adhésion des salariés est un indicateur de changement

réussi. Elle suppose que ceux-ci considèrent que le changement est justifié parce qu'il permet

de reconnaître davantage leur participation à la création de valeur. Le changement valorise alors les salariés en leur permettant de mieux exploiter leurs expériences accumulés. Cette

adhésion, assez paradoxale à première vue, des employés à la modification de leur propre

comportement de travail est un signe que le changement fait sens. L'aspect créateur l 'em-

porte sur l 'aspect destructeur. Faire de l ' impermanence un élément de valorisation du travail

exige donc des managers des talents particuliers, appuyés sur des techniques et des outils.

A partir de son expérience de consultant en management, Thierry CHAVEL décrit les principes

pragmatiques et les instruments qui fondent une gestion réussie par le changement parce

qu'elle construit l 'adhésion interne. Par de nombreux exemples et cas, l'ouvrage montre, de manière convaincante, que gérer par le changement, c'est tout un savoir-faire, c 'est tout un

métier. L'auteur a connu et analysé suffisamment de situations pour en tirer, non pas des for-

mules magiques et des solutions clefs en mains, mais des témoignages et des propositions utiles. Chacun pourra les interpréter et les adapter selon la situation de son entreprise.

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Cet ouvrage précis, honnête et constructif, trouvera assurément son public : celui des

hommes et femmes d'entreprise, des consultants et des managers soucieux d'approfondir

leur métier et qui, loin des affirmations péremptoires et des recettes de cuisine, considèrent

que cette nouvelle forme de gestion des individus par le changement est une affaire passion- nante et sérieuse.

Pierre-Yves GOMEZ

Professeur de managemen t s t ratégique à l'Ecole de managemen t de Lyon Chercheur associé à la London Business School

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Chapitre premier Manager le changement , les clefs de la réussi te

« Au cours des quinze dernières années, le managemen t a été principalement

responsable de la production et de la productivité. Il doit désormais

être responsable des hommes qui produisent de la valeur. » Peter F. DRUCKER

Conduire le changement est actuellement une dimension incontournable de la performance

managériale. Avec ou sans appui extérieur, les décideurs ont aujourd'hui une priorité pour assurer la survie ou la pérennité de leur entreprise : s 'adapter.

S'adapter aux sauts technologiques, aux nouvelles exigences de leurs clients, aux nouvelles

configurations concurrentielles (nouveaux entrants, oligopoles, etc.), aux nouveaux cycles de

production... Autant de décisions qui nécessi tent des changements plus ou moins radicaux dans la vie

d 'une entreprise : modernisation de l'outil de production, mise en place de sys tèmes d'infor-

mation de gestion, acquisition de nouvelles compétences, évolution de la culture d'entre-

prise, fusion avec un concurrent, rachat d 'un fournisseur, ou bien le contraire...

En accompagnant des entreprises de secteurs et de tailles très variés, en France et en Europe,

nous avons constaté le paradoxe suivant : une fois la décision stratégique prise, les incerti-

tudes s'amplifient :

« Les produits satisferont-ils aux impératifs de la demande (délai, qualité, coûts) ? » « Les actionnaires nous accorderont-ils leur confiance ? »

« Comment les hommes vont-ils s 'approprier un nouvel environnement de travail ? »

« L'organisation sera-t-elle p lus performante après avoir fait peau neuve ? » Etc.

L'objet de ce chapitre est d 'esquisser quelques réponses, non pas à ces quest ions évidem-

ment relatives à chaque situation d'entreprise, mais à l ' interrogation simple :

■ D e q u o i d é p e n d la r é u s s i t e o u l ' é c h e c d e l a c o n d u i t e d u c h a n g e m e n t ?

A l 'épreuve des faits, le succès de la mise en œuvre d 'une réorganisation ne t ient ni du dar-

winisme - « les plus forts survivent » - ni du machiavélisme - « les plus fins se donnent les moyens ».

Un facteur déterminant de réussite réside dans la capacité des managers opérationnels

d'exercer une influence concrète sur le changement.

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A cet égard, en nous situant dans le cadre d 'une entreprise dans laquelle un changement organisationnel est en cours, chaque manager doit impérativement répondre aux questions suivantes :

■ « Faut-il adhérer aux prescriptions et imprécations de la direction pour piloter le change- men t ? »

En réalité, le discours officiel ralentit de façon paradoxale l 'appropriation concrète du chan- gement par les managers. En apprenant pourquoi et comment il est efficace de s 'en affran-

chir, le lecteur disposera d 'atouts pour vivre le changement comme une opportunité, et non

pas comme une contrainte. [1. L'impossible adhésion au discours managérial.]

■ « Quelle ligne de conduite doit-on adopter pour gérer la dimension humaine du change- men t ? »

La conduite du changement comporte des impacts psychologiques et sociaux qui requiè-

rent de la part de chaque manager une éthique individuelle qui ne s'improvise pas. A l'ap-

pui d 'exemples concrets, découvrons quelles interrogations-clefs chaque manager doit

résoudre, et comment il peut les traduire en actions simples et utiles. [2. Comment l 'éthique

vient aux managers.]

■ « Comment garder sa crédibilité de manager entre le discours officiel et le bricolage orga- nisationnel ? »

Pour beaucoup de responsables hiérarchiques, la conduite du changement sur le terrain est

une épreuve délicate, suscitant le sent iment d 'être souvent entre le marteau et l'enclume.

Ce chapitre s 'achève par une grille d 'aide à la conduite du changement, offrant au lecteur

de se positionner en fonction d 'une typologie de changements organisationnels et de styles

de managers [3. La crédibilité des managers, au risque de l'impertinence.]

I • L ' I M P O S S I B L E A D H É S I O N A U D I S C O U R S M A N A G É R I A L

La conception des projets de changement en entreprise, qu'il s 'agisse d 'une fusion entre deux

géants industriels ou du passage à l 'an 2000 du système informatique dans une PME régio-

nale, s 'accompagne toujours d 'un wagon de queue, emballage plus ou moins bien ficelé : la communication interne.

Or, cosmétique ou propagande, la communication interne du changement est souvent inap-

propriée.

A quoi cela tient-il ? Comment peut-on y remédier ?

Avant tout, il est important de décrire les ambiguïtés du discours managérial en phase de

changement.

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Plus précisément, la confiance dans le management est parfois entamée par les changements

pilotés dans l'entreprise.

Si la réussite du changement tient plus aux actes qu 'aux discours, voici en quoi les middle

managers* (entre cadres dirigeants et agents de maîtrise) sont le maillon le plus critique de

l'organisation en mutation.

I. I • Pourquoi le discours managérial est en crise

Comment conseiller des chefs d'entreprise et n 'être pas frappé par la formidable accélération

des remue-ménage que vivent les organisations depuis le début des années quatre-vingt-dix ?

Changement d'actionnariat, diversification à marche plus ou moins forcée, et surtout crois-

sance externe n 'épargnent aujourd'hui aucun site de production, aucun responsable de ser- vice, de filiale, de division. C'est un peu comme si, en une décennie, le Jardin des Plantes

s'était transformé successivement en Jardin d'Acclimatation, en parc d'attractions, puis en

Futuroscope...

Comment continuer à mobiliser l 'encadrement et les équipes lorsque les changements s'ac-

célèrent ? Comment communiquer une vision stratégique cohérente à mesure que l 'organisa-

tion devient plus instable ? Y a-t-il des leçons à tirer des réussi tes et des échecs en matière

de communication d 'une réorganisation ?

■ L a p e r t e d e v i t e s s e d e s i m p r é c a t i o n s m a n a g é r i a l e s

Les années quatre-vingt furent marquées par la montée en puissance d 'un discours managé-

rial ambitieux : à travers des chartes d'entreprise, des actions de mécénat, des campagnes de

publicité institutionnelle, des grand-messes spectaculaires, l 'entreprise faisait irruption dans

la vie publique, et la politique générale d 'entreprise débordait dans des champs extra-écono-

miques tels que l'écologie, l 'éducation, la santé publique, etc.

Le manager était alors le hérault d 'une vision positive de l 'entreprise, sorte d 'honnête homme

à l'âge du capitalisme avancé. Qu'en reste-t-il aujourd'hui ?

Quelques plans sociaux et restructurations plus tard, le mythe du management a perdu de sa superbe.

* Middle management : population comprise entre les agents de maîtrise et les cadres dirigeants.

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Désormais, une réorganisation chasse l'autre, et rares sont les entreprises qui projettent une vision à un an sans y inclure l'adaptabilité. Parfois, il n 'est guère possible d'affirmer et de

construire une vision d 'entreprise stabilisée lorsque la structure même de l 'entreprise est incertaine.

Une entreprise de la pétrochimie, filiale française d'un leader international, avait initié

une démarche visant à renforcer son identité organisationnelle à l'occasion du rappro-

chement de son réseau de distribution français avec celui d 'une marque concurrente.

En externe, une campagne de publicité assurait l ' image de qualité, de capillarité du réseau de stations-services et d'offre complémentaire à l 'intention des consommateurs.

En interne, un chargé de mission auprès de la DRH nous contacta pour accompagner le

rapprochement des deux cultures, fortement différenciées, et cimenter les prat iques de

managemen t autour d 'un projet de réorganisation du temps de travail. Des équipes se

constituèrent, impliquant l 'encadrement dans la démarche, et produisant des résultats

qui furent formalisés et diffusés dans l'entreprise.

Cinq ans après, il ne subsiste rien de ce projet managérial : la maison-mère a fusionné avec

un autre concurrent, de taille aussi gigantesque ; l 'équipe de direction française a été for-

tement remaniée ; e t la dynamique d 'aménagement du temps de travail muée en applica-

tion légaliste de la loi sur les 35 heures, selon l'accord de branche signé entre-temps.

L'impact sur l 'encadrement impliqué dans le projet initial fut un profond découragement,

un fort désengagement pa r rapport à la communication managériale, et obéra pour long-

temps la mobilisation d 'équipes dans un projet bottom-up (impliquant la base) au sein de

la nouvelle entité économique.

Pour remédier à de telles situations, on retiendra que le contenu du message - quel qu'il soit -

risque d'être contredit par de nouveaux changements. C'est donc plutôt la façon de faire passer

un message que son contenu qui est décisive - « le médium est le message », plus que jamais.

La course à la taille et le mouvement d'internationalisation risquent d 'accentuer le phéno-

mène d 'appauvrissement du message managérial. La tentation est forte pour les entreprises

qui vivent des bouleversements de leur culture organisationnelle de vendre l 'entreprise en

interne comme en externe, au lieu de tenir un discours de vérité.

Dans un cabinet de conseil en management généraliste de soixante-quinze salariés, l ' identité véhiculée à l 'extérieur était fortement structurée pa r des valeurs telles que le

respect de l'individu, le plaisir au travail, l 'expression libre de la créativité de chacun, etc.

Rapidement, les consultants et les administratifs qui rejoignaient la structure le faisaient non seulement sur des critères économiques, mais aussi parce qu 'ils se reconnaissaient

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dans cette start-up dynamique, performante, en rupture avec le modèle dominant dans ce

secteur : possibilités rapides d'association (entrée dans le capital de la firme), semaine de

quatre jours à la carte, absence de structure hiérarchique lourde, équité salariale pour hommes et femmes étaient quelques s ignes visibles de cette figure atypique du conseil.

Après huit ans d'existence, il devint de plus en plus difficile de ne pas céder aux sirènes des

grands cabinets anglo-saxons proposant d'absorber ce poisson-pilote qui devenait déran-

geant. Les dirigeants optèrent, après concertation de l 'ensemble des équipes et non sans houle, pour l'offre qui affichait le plus grand respect à l 'égard des valeurs de l'entreprise.

Certes, la communication refléta la différence affichée vis-à-vis des concurrents, aubaine

en terme d' image proposée aux clients.

Pour autant, après un an de fonctionnement, on ne distinguait plus les anciens du Cabinet

dans la structure nouvelle. Les messages diffusés au recrutement et dans les séances

internes avec les managers s 'é taient uniformisés et avaient perdu peu à peu de leur

authenticité, compte tenu du vécu professionnel réel. La fusion n 'étai t p a s un succès pour tout le monde.

A mesure que le discours managérial se standardise, il perd de son impact. En outre, les

imprécations managériales en phase de crise résistent mal à l 'épreuve des faits.

Il est beaucoup plus efficace, dans les moments d'évolution brutale traversés par l'entreprise,

de privilégier un par tage spontané et neutre des informations par rapport à une communi-

cation active et orientée : réunions informelles, messages diffusés en temps réel, actions

ciblées produisant des résultats visibles à brève échéance, groupes de travail coordonnés

de façon légère entre plusieurs départements, sont autant de façons efficaces de dire le chan-

gement, et qui collent davantage à la réalité vécue au jour le jour par les équipes.

Une grande entreprise de services pas san t du s ta tu t d'administration à celui de société

anonyme détenue p a r l 'Etat décida de conduire ce changement sous un projet global, pilo-

té en direct pa r un cadre de la Direction du personnel. Le projet, bapt isé « Processus de

transformation », connut très vite les sarcasmes des collaborateurs impliqués : « En quoi

allons-nous être transformés ? », « Pourquoi n e p a s plutôt transformer le DG ? », « On va surtout transformer nos salaires ! ».

Le message ne prenai t pas, et le rejet des mots risquait bien vite de se confondre avec

l 'échec du changement de mentali tés qui s'imposait.

L'année suivante, notre suggestion fut de simplifier les messages, de supprimer les

slogans et de leur subst i tuer des accompagnements sur mesure dans chaque départe-

ment, pilotés directement pa r l 'encadrement et débouchant sur des résul tats tangibles :

conduite opérationnelle de projets, professionnalisation du management , mise en place

du management pa r objectifs. Plus personne n e parlait de transformation, et pour tan t les prat iques de chacun s 'é taient modifiées...

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En clair, les mots clefs, ici, sont donc par tage d'information et actions locales concrètes.

La réussite du changement ne dépend pas de la quantité d'informations managériales diffu-

sées, mais surtout de la manière dont elles sont relayées par les managers eux-mêmes, qui connaissent les at tentes de leurs équipes au cours d 'une réorganisation.

■ Q u ' a t t e n d e n t les s a l a r i é s d e l e u r s c h e f s e n p h a s e d e c r i s e ?

Lorsque le changement est annoncé, les équipes concernées vont traverser plusieurs phases au cours d 'un processus interne de transition*.

Succédant à une phase de séparation où l'on prend réellement conscience que « plus rien

n ' e s t comme avant », en étant centré sur ce que l'on perd, la phase la plus critique d 'un pro-

cessus de transition est la crise, au cours de laquelle on reste très centré sur l 'instant présent,

traversé par des moments de doute, des sentiments d 'abandon et de remise en question très

forts (de son métier, de sa carrière, de sa vie privée).

On est encore incapable d 'adhérer à une vision positive du changement, qui caractérisera la

phase suivante de renaissance. Tout message managérial stimulant à ce stade de telles

dimensions (anticipation, optimisme, prise de risque, innovation...) se solde par un échec,

parce que l'on n 'a pas encore fait le cheminement intime, comparable à un processus de deuil.

Au cours de séminaires que nous animons auprès de cadres et de dirigeants dont l'entre-

prise traverse un moment de crise aiguë, nous leur demandons parfois de se livrer à

l 'exercice suivant : après une présentat ion du schéma de transition décrit ci-dessous, ils

sont invités à marquer d 'une croix le s tade où il en sont, selon eux, sur une courbe

matérialisant ce processus, e t d 'un cercle plein le s tade où ils considèrent que l'entrepri-

se se situe, dans sa totalité.

Les résultats sont d 'une régularité remarquable, et ressemblent grossièrement à ceci :

* Cf. Frédéric NORTIER, A New Angle on Coping with Change : Managing Transition !, Journal of Management Development, 14-4, 1995.

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En par tan t du principe que les acteurs sont sincères, e t au-delà de l'effet de groupe qui

incite à se posit ionner en avance pour se valoriser (« moi je vais bien, ce sont les autres

qui ne vont pas »), ce schéma nous instruit su r la difficulté des managers à confronter l 'écart entre leur représentation du changement et la réalité vécue de la transition :

l 'entreprise n ' es t ici rien d 'autre que la résultante de ses membres, et chaque cercle plein

reflète un peu ce que chaque croix feint d ' ignorer : vivre une transition p e u t être incon-

fortable, y compris pour ceux qui sont censés piloter le changement.

Comment repérer que l'on est en phase de crise, et que dire aux salariés pour accélérer la sor-

tie de cette phase ?

Un indice qui ne trompe généralement pas est l ' intensi té des rumeurs circulant dans l'entre-

prise. Lorsque les bruits de coursive s'intensifient, c 'est le signal d 'une tension plus forte dans

l'organisation, ce qui peut dégrader le climat de travail.

Cela témoigne des inquiétudes des salariés quant au devenir de l 'entreprise, de leur service,

voire de leur propre poste. C'est aussi une preuve de vitalité de l 'entreprise, et cette agitation

est parfois nécessaire pour qu 'émerge un consensus autour d 'une organisation ou d 'une cul- ture nouvelle.

C'est pourquoi il est inefficace, au cours d 'un changement organisationnel, de vouloir mettre

un terme aux rumeurs, en cherchant des causes, en désignant des responsables, en opposant

des démentis, etc. Cela ne ferait qu'amplifier les mécanismes de bouc émissaire et de repli sur

des logiques particulières qui sont parfois à l 'œuvre dans une organisation.

Il est plus efficace à ce stade de se livrer à du de prendre

souvent la température de l 'ambiance dans les équipes et d 'ê tre à l 'écoute de ce que ressen-

tent les collaborateurs, plutôt que de délivrer des messages impératifs par voie formelle.

Repérer le plus tôt possible ce qui met le feu aux poudres d 'une rumeur permet ainsi d 'en atté- nuer les effets destructeurs.

Au cours de séminaires animés avec l 'encadrement intermédiaire d 'un acteur majeur du

trafic aérien, nous fûmes surpris de la violence avec laquelle le PDG faisait l 'objet d'at-

taques de la par t de ses cadres ; à l'évidence, il cristallisait de multiples rancœurs, frus-

trations et colères relatives à la situation économique de l'entreprise, à ses tutelles

administratives, mais aussi à la monotonie du travail, au contexte réglementaire interna- tional, etc.

* Technique d'animation d'équipes consistant à favoriser les échanges physiques avec les subordonnés.

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En renvoyant aux participants notre regard sur le symptôme d 'absence d'objectivité qui nuisait à leur impact, nous découvrîmes qu 'un événement somme toute anodin avait

déclenché le discrédit dont faisait l 'objet le dirigeant : quelques mois plus tôt, au cours

d 'une séance réunissant tout son encadrement, ce dernier avait profité d 'une pause pour

allumer un cigare sans se soucier que cela pouvait importuner son entourage.

Une visite du PDG fut improvisée le deuxième jour du séminaire, au cours de laquelle ce point de détail fut discuté, parmi d'autres, et permit à l'affaire de perdre de sa démesure.

Ce qu 'a t tendent les salariés en phase de crise et dont les rumeurs peuvent être l'expression,

c 'est que les managers communiquent plutôt sur le pourquoi que sur le comment de la réor-

ganisation en cours.

Or, certains changements sont subis par le management, entraîné dans une course à la taille

ou poussé à la restructuration par un actionnaire exigeant des résultats à court terme.

De ce fait, l 'encadrement est parfois le laissé-pour-compte de la Direction Générale, chargé de mener une restructuration qui ne dit pas son nom, sans pouvoir prédire ce que véhiculera le

changement de manière concrète.

Dans de tels cas, plus le discours managérial est fort, plus il affaiblit les managers opération-

nels qui doivent le concrétiser : en effet, ceux-ci sont contraints à naviguer à vue plutôt

qu 'adopter une langue de bois qui leur sied d 'autant moins qu'ils mesurent, sur le terrain,

l 'écart entre les imprécations au changement et la réalité professionnelle : contraintes bud-

gétaires, sous-effectif chronique, menaces de grève, etc.

Comment répondre aux at tentes fortes des salariés en phase de crise, alors que le discours du

management est en perte de vitesse ?

■ U n é c a r t c r o i s s a n t e n t r e la p r a t i q u e e t la r e p r é s e n t a t i o n d u c h a n g e m e n t

La conduite du changement est devenue, en quelques années, le cœur de métier des consul-

tants généralistes, qui l 'abordent généralement sous l'angle de la conception et de la mise en

œuvre de grands systèmes d'information.

Des méthodologies de conduite de projet et de déploiement de progiciels se sont peu à peu

constituées, permettant, par une formalisation rigoureuse et la mise à disposition de dizaines

de consultants « en ligne », de mener des projets de réorganisation dans des temps records.

Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes si de telles méthodologies ne s'accom-

pagnaient pas aussi d 'une uniformisation des structures mises en place : structures hiérar- chiques simples, rationalisation des process, spécialisation des tâches, segmentation en

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procédures identifiées, le changement par l 'informatique est très souvent porteur d 'une tay-

lorisation plus ou moins affichée du travail.

Comment les équipes vivent-elles ces modes de conduite du changement ?

Beaucoup d'entreprises souffrent d 'une déresponsabilisation de leur management opération-

nel, à force d'être sous perfusion de prestataires externes. Quand ces derniers quittent l'en-

treprise, que reste-t-il de son management ?

Car la pérennité des savoir-faire, des valeurs et des comportements-clefs ne figure dans

aucun compte de résultats, et représente pourtant la spécificité même d 'une entreprise, au-

delà des ratios qu'elle peut afficher à un moment donné.

Dans ces entreprises, qu'un client avait qualifiées un jour de « driven from outside » (mana-

gées de l'extérieur), le rôle majeur des directeurs est de se porter garan ts de l ' ident i té de l'en-

treprise, en ayant un effet modèle positif de ce qu'incarne l 'entreprise pour ses salariés.

Ceci peut conduire certains managers à prendre des risques importants en s 'affranchissant

soit des injonctions stratégiques de la Direction, soit des besoins réels des collaborateurs.

Dans une grande entreprise papet ière qui avait connu plus de restructurations doulou-

reuses que d 'années calendaires depuis 1991, le directeur financier et DGA pa r intérim fit

appel aux meilleurs experts de la place pour refondre la politique d'évaluation et de rému-

nération du personnel.

Avec une gestion plus professionnelle des compétences et des emplois, l 'objectif était de

donner un souffle nouveau à une entreprise issue de regroupements et démantè lements

successifs, dont les équipes semblaient exsangues.

Le projet « Métiers 2000 » fut lancé, des séminaires se déroulèrent pour pondérer

les postes, et le DGA investit son énergie personnelle dans ce qui devenait un véritable

projet d'entreprise. Mais le référentiel des compétences et les modes d'évaluation des

collaborateurs montrèrent rapidement des limites : une approche excessivement quanti-

tative, un manque de transparence sur l'octroi d 'avantages en na ture aux commerciaux,

une classification des postes faisant voler en éclats la notion d 'ancienneté à laquelle les techniciens étaient très attachés.. .

Lorsque l 'entreprise fut rachetée, en 1996, pa r un leader scandinave de la production de

papier, la nouvelle équipe dirigeante s 'employa à remobiliser les cadres autour des

métiers de base de l 'entreprise, le projet fut sacrifié... et le DGA congédié.

Dans une phase instable, les électrochocs peuvent agir comme boomerangs sur ceux qui les

administrent. Comment anticiper et gérer ces effets imprévus de la conduite du changement ?

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Nous avons constaté que les phases de crise se traduisent par une demande d'explication du

changement - le « pourquoi ? » - , alors que le discours managérial porte pour l 'essentiel sur les aspects techniques de sa mise en œuvre - le « comment ? ».

A ce titre, une façon de réduire cet écart consiste, non sans paradoxe, à dramat iser le chan-

gemen t ; en clair, il s'agit pour les managers d 'endosser des rôles provisoires dans la conduite

du projet (pilote, allié objectif, stratège, fou du roi, l ieutenant loyal, etc.). En théâtralisant

le changement, les managers l'inscrivent dans une histoire familière de l'entreprise, et permet tent à chacun de lui donner un sens acceptable.

Une figure emblématique de ces stratégies tragi-comiques de conduite du changement est

l 'affrontement entre la logique du Directeur financier et la logique du Directeur des ressources

humaines : l 'un garant de la viabilité économique, réduisant les coûts et valorisant au mieux

les actifs ; l 'autre garant du climat social, maximisant la productivité humaine et l'implication des collaborateurs dans leur travail.

La difficulté pour les managers consiste à assumer des rôles quelque peu caricaturaux. En

affichant des att i tudes contrastées, ils permettent à tous les collaborateurs de se positionner

pendant cette étape transitoire ; en exerçant un rôle complémentaire, ils rendent le change-

ment possible.

Pour autant, la fonction paradoxale des managers vis-à-vis du discours officiel suppose un

ancrage réel, la confiance mutuelle, car la réorganisation n 'est pas une commedia dell'arte.

I.2 • La confiance dans le management, mirages et réalités

La confiance est aujourd'hui un mot-valise à manier délicatement en entreprise : tantôt ins-

t rument d 'hypnose managériale (un chef à ses troupes : « faites-moi confiance »), tantôt

blanc-seing du pouvoir (un actionnaire à son gérant : « vous avez ma confiance »). Qu'en est- il réellement de la confiance dans le management au cours de la conduite du changement ?

Notre regard place la confiance au cœur des processus de réorganisation, pour autant qu'on la définisse comme un mode de relation entre des individus, un lien social. La confiance dans

le management ne se décrète pas, elle se manifeste - ou ne se manifeste pas.

■ L a c o n f i a n c e e n v e r s l ' e n t r e p r i s e , u n e d o n n é e q u i r é s i s t e m a l a u c h a n g e m e n t

o r g a n i s a t i o n n e l

Une erreur courante dans les projets de réorganisation consiste à brocarder la Confiance

comme un totem, ce qui ne peut que la vider un peu plus de son sens, lorsque des événements

viennent contredire les promesses affichées en son nom.

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La confiance envers l 'entreprise est inséparable de la défiance. Pour pouvoir faire confiance à

une entreprise, c'est-à-dire à un projet en actes, il faut en être économe. La confiance es t une

valeur économique - sa rareté fait son prix.

Le rôle du dirigeant est de maintenir un prix élevé à cette valeur confiance, tant vis-à-vis de ses clients, de ses salariés que de ses actionnaires. En phase instable, tout se passe comme

si les publics désignés de l 'entreprise préféraient un produi t de subs t i tu t ion : la méfiance.

Dans une entreprise publique mise en concurrence et en cours de réorganisation,

nombreux étaient les managers qui soupçonnaient une filialisation rampante des activi-

tés les plus rentables de l 'établissement. Le comité de Direction, sommé pa r le ministère

de tutelle de poursuivre la rénovation des structures, e t préoccupé pa r la pression des clients sur les tarifs à la baisse, décida de réunir l 'ensemble de son encadrement au cours

d 'une journée hors les murs.

L'objectif consistait à présenter un état des lieux de l 'environnement de l'entreprise, et à

associer les cadres au changement de cap initié. Au cours des questions-réponses entre le comité de Direction et l 'encadrement, l'un des anciens de l 'encadrement s 'es t levé, a pris le

micro en main, puis a déclaré face à tous ses pairs :

« M. le Directeur, vous demandez notre confiance dans l'entreprise, j 'y travaille depuis

vingt-trois ans, ça ne me pose p a s de problème. Mais à vous, M. le Directeur, je ne vous fais pas confiance. »

En lui demandant d'expliquer cette déclaration, le directeur découvrit qu 'une réputation le

précédait, comme artisan de privatisations spectaculaires. Le verbatim fit date, et la journée

d'implication fut un échec cuisant.

On ne fabrique donc pas ex nihilo la confiance dans l'entreprise, surtout si son équipe diri- geante est contestée.

La confiance est d'autant plus mise à mal en cours de réorganisation que l'on s'attaque à ses fondements : rites, mythes fondateurs, tabous, héros, ennemis héréditaires sont autant de fer- ments du lien de confiance et de défiance à l'égard de la firme. Dans un processus de chan- gement, les frontières sont brouillées, et il est difficile pour les cadres de dire si l'entreprise a plus à gagner ou à perdre dans un premier temps.

Comment renouer un lien de confiance en terrain mouvant ?

Une méthode efficace consiste, le plus tôt possible, à établir des règles du jeu, dans la réor- ganisation, avec la plus grande transparence possible. Les règles du jeu peuvent porter sur des choses anodines (horaires de travail, fonctionnement de la cafétéria, usage d'une nouvelle charte graphique), les choses critiques n'étant pas encore suffisamment stabilisées pour être énoncées (organigramme, stratégie d'entreprise, politique sociale...).

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A cet égard, un accompagnement individuel du directeur général est opportun pour déve- lopper et éclaircir les deux volets de son leadership :

➣ pilote du comité de Direction, partie prenante dans les décisions d'action et garant de la cohérence avec les interlocuteurs du groupe HARMONIE ;

➣ « patron » du PALACE HOTEL, développant un style de leadership susceptible de mobi-

liser toutes les énergies autour d 'un « sens commun » - et de sortir de la dialectique « mercenaire » ou « séducteur ».

■ Le comité de direction : un travail individuel et collectif visera à amorcer une logique

collégiale, en ne donnant plus prise aux guérillas internes qui minent cette instance. Les

objectifs de cette étape pour chaque cadre se déclinent ainsi :

➣ mieux se connaître individuellement : repérer ses propres points forts et points faibles

en tant que manager, et se situer par rapport au reste de l'équipe, pour engager des pro-

cessus de développement professionnel ;

> mieux s 'apprécier mutuel lement : apprendre à travailler ensemble en instaurant ou en

faisant évoluer des règles du jeu plus explicites (périmètre, fréquence et durée des

séances, réunions transversales, etc.) ;

➣ mieux valoriser les équipes : un travail fondateur de la nouvelle équipe de management

pourra consister à définir, illustrer et véhiculer dans les équipes de chacun quelques com-

portements clefs de management que la direction du PALACE HOTEL entend favoriser.

Pour mémoire, les premières décisions concrètes prises dans ce cadre furent :

■ le recrutement d 'un « coordonnateur du pôle restauration », évitant l 'épineuse question

hiérarchique du « Palais », mais fonctionnant comme interface entre le room service, les

banquets et le restaurant ; ■ suite à la mobilité du directeur d'exploitation au sein du groupe, le redimensionnement du

poste de son successeur, venant de la concurrence, qui aura en charge les départements

opérationnels seuls, hormis le chef cuisine reportant uniquement au Directeur général ;

■ la mise en place concertée, avec l 'ensemble du personnel, de définitions de fonctions dans une démarche Qualité menée sur le site. La prochaine étape pour le directeur des Ressources humaines consiste à élaborer un référentiel des compétences du PALACE

HOTEL et à instaurer la pratique d'entretiens individuels d'appréciation.

■ Ce qu'il faut retenir... ■ Une fusion-absorption n ' es t pas toujours le commencement d 'un changement : c 'est par-

fois le point d 'aboutissement d 'un échec managérial qu'il faut décrypter sans tarder.

■ Une s t ra tégie de rupture s ' impose parfois pour rénover les pratiques de management

d 'une organisation : se limiter à régler les conflits manifestes, c'est alors le plus sûr moyen

de perpétuer la dynamique perverse de la structure.

■ Une « muta t ion » organisationnelle peut mal s'accommoder de managers « mercenaires »

ou « séducteurs » : un projet fédérateur, même simple, est le plus sûr moyen d'élargir l'ho- rizon de l'action.

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Chapitre V Le vade-mecum du consultant en conduite du changement Les études de cas qui précèdent soulignent que les situations les plus diverses requièrent

toutes une même attention portée aux dimensions humaines du changement ; si les réponses

apportées sont différenciées en fonction du type de manager et du type de changement orga-

nisationnel, les questions posées sont souvent identiques.

En s'inspirant des expériences de managers que nous avons rencontrés dans des contextes

professionnels très variés, nous avons rassemblé quelques idées directrices des « bonnes pra-

tiques » de management qui nous semblent suffisamment génériques pour faire l'objet du

présent chapitre.

Ce vade-mecum du consultant pourra servir de fil directeur aux managers, consultants et res-

ponsables de Ressources humaines vivant un changement organisationnel :

■ d 'une part, pour s 'assurer que les vingt points clefs sont bien pris en compte dans le projet

organisationnel, et pour y remédier dans le cas contraire ;

■ d'autre part, pour acquérir des réflexes de diagnostic organisationnel qui s 'appuient sur des

grilles simples de sciences humaines, en complément des protocoles d'audit du changement

fournis par les sciences de l'ingénieur et par les méthodes d'expertise-comptable.

1. Accepter les contradictions dans l 'attitude de ses collaborateurs ; tenir le cap du change-

ment en restant à l 'écoute des équipes.

2. Se donner le t emps de vivre le changement : voir, écouter, sentir le climat de travail en res-

tant au contact du terrain ; « apprendre en faisant » la conduite du changement ; utiliser

ses propres erreurs pour améliorer le fonctionnement de l'organisation.

3. Oser réagir au changement ; « changer, c'est prendre un risque » ; cultiver son sens cri- tique pour avancer.

4. Se fixer des objectifs e t des délais réalistes au fil du projet, et célébrer les étapes franchies avec les acteurs concernés.

5. Repérer la « carte-mère » de l'organisation, derrière les organigrammes et les messages

explicites : imaginaires collectifs, histoires communes, enjeux de pouvoir et d'affects.

6. Dépasser les stéréotypes sociologiques tels que la « résistance au changement » et explo- rer les logiques d'action réellement en présence.