La Connaissance, la Vrit, la Science DAristote la rvolution
galilenne
Page 3
2 Quest-ce que connatre ? Dans le langage familier, le verbe
connatre est probablement le plus souvent employ avec un complment
dobjet dsignant une personne comme dans ces exemples : Tu connais
quelquun ici ? Celui-l, je le connais. Vous connaissez Charles et
Yvette, nest-ce pas? La langue ordinaire a dailleurs rifi*
ladjectif inconnu pour dsigner une personne : un inconnu. Connatre
est donc primitivement reconnatre , savoir que lon a dj peru un
objet ou encore associer des perceptions prsentes un ensemble de
perceptions passes.
Page 4
Texte : NIETZSCHE (1881 1882) ce besoin du dj-connu
L'explication suivante m'a t suggre dans la rue : j'entendais un
homme du peuple dire : il m'a reconnu et je me demandais aussitt :
qu'est-ce que le peuple peut bien entendre par connaissance ? Que
veut-il, quand il veut de la connaissance ? Rien d'autre que ceci :
ramener quelque chose d'tranger quelque chose de connu. Et nous
autres philosophes aurions-nous entendu davantage par le terme :
connaissance? Le connu signifie : ce quoi nous sommes assez habitus
pour ne plus nous en tonner, notre vie quotidienne, une rgle
quelconque dans laquelle nous serions engags, toute chose familire
enfin : qu'est-ce dire? notre besoin de connaissance ne serait-il
pas justement ce besoin du dj-connu? La volont de trouver parmi
tout ce qu'il y a d'tranger, d'extraordinaire, de douteux, quelque
chose qui ne soit plus pour nous un sujet d'inquitude? Ne serait-ce
pas l'instinct de la crainte qui nous incite connatre? La
jubilation de celui qui acquiert une connaissance ne serait-elle
pas la jubilation mme du sentiment de scurit recouvr?... NIETZSCHE,
Friedrich, Le Gai Savoir, Paris : Gallimard, 1967, pages 242 - 243
3
Page 5
4 Lintuition sensible nouvelle En dcouvrant la racine de toute
activit de connatre dans la re-connaissance, nous adoptons une
perspective empirique*. En effet, la source unique de toute
intellection se trouve dans lintuition* sensible. Dun point de vue
volutionniste, il est sans doute intressant que les animaux
craignent lapparition dun objet quils ne peuvent reconnatre daucune
faon. Un objet totalement inconnu est naturellement craint.
Page 6
5 PICURE, 342-270, p.157 La connaissance libre de la crainte
Celui qui ne connat pas fond la nature de l'univers, mais se
contente de conjectures* mythologiques, ne pourra pas se dlivrer de
la crainte qu'il prouve en face des choses les plus importantes, de
sorte que sans l'tude de la nature il n'est pas possible d'avoir
des plaisirs purs. Paroles d'picure n49, in Doctrines et Maximes
Car ce qu'il nous faut dsormais pour la vie, ce ne sont pas des
thories sans raison et des opinions vaines, c'est une doctrine qui
nous permette de vivre sans trouble. Or, pour nous assurer une
assiette inbranlable, il suffit d'expliquer toutes choses, en
restant d'accord avec les phnomnes, par plusieurs hypothses
galement possibles. Lettre Pythocls
Page 7
Texte : Nietzsche, Friedrich, 1888 Ramener quelque chose
d'inconnu quelque chose de connu, cela soulage, rassure, satisfait,
et procure en outre un sentiment de puissance. Avec l'inconnu,
c'est le danger, l'inquitude, le souci qui apparaissent -- le
premier mouvement instinctif vise liminer ces pnibles dispositions.
Premier principe : n'importe quelle explication vaut mieux que pas
d'explication du tout. Comme au fond il ne s'agit que d'un dsir de
se dbarrasser d'explications angoissantes, on ne se montre pas trs
exigeant sur les moyens de les chasser : la premire ide par
laquelle l'inconnu se rvle connu fait tant de bien qu'on la tient
pour vraie . La preuve du plaisir (ou de l'efficacit) comme critre
de la vrit... Ainsi, l'instinct de causalit est provoqu et excit
par le sentiment de crainte. Aussi souvent que possible le pourquoi
? ne doit pas tant donner la cause pour elle-mme qu'une certaine
sorte de cause : une cause rassurante, qui dlivre et soulage. Que
soit pos comme cause quelque chose de dj connu, vcu par
l'exprience, inscrit dans la mmoire, c'est la premire consquence de
ce besoin. Tout ce qui est nouveau, inou, inconnu, est exclu en
tant que cause. Ainsi, on ne se contente pas de rechercher comme
cause un certain genre d'explications, mais bien une catgorie
soigneusement slectionne et privilgie d'explications, celles qui
permettent d'liminer le plus vite et le plus frquemment le
sentiment d'inconnu, de nouveau, d'inou : c'est--dire les
explications les plus courantes... Consquence : un certain type
d'explication causale l'emporte de plus en plus, se condense en
systme, et finit par dominer tout fait, ou plutt par liminer,
purement et simplement les autres causes et explications. Le
banquier pense aussitt aux affaires , le chrtien au pch , la jeune
fille son amour. Le Crpuscule des idoles, Les quatre grandes
erreurs, 5, Gallimard, p. 5. 6
Page 8
7 La connaissance entrane la dnomination Un objet que lon peut
dsigner comme connu va tre nomm. Une connaissance trs imparfaite
saccompagne de dsignations trs vagues : Cette chose, je lai dj vue
mais je ne sais pas comment a sappelle , Cet homme, je le connais
mais jai oubli son nom. Connatre cest pouvoir donner une tiquette,
un nom et pouvoir le dfinir. Je le connais bien, cest Eugne, le
comptable de la menuiserie. Ce champignon, cest un satyre puant, un
champignon qui ressemble un zizi et qui pue en se dcomposant.
Page 9
8 Stabilit de lobjet connu Cette reconnaissance, que je prsente
comme la premire pierre de ldifice de la connaissance, requiert
videmment une certaine stabilit de lobjet denqute. Je reconnatrai
quelquun qui a chang de coupe de cheveux si et seulement si dautres
traits sont rests identiques. Il faut bien que quelque chose soit
reconnu ! Mieux : cest la reconnaissance de caractres persistants
dans un objet qui nous permet den connatre le changement. Les
philosophes de lAntiquit ont soulign limportance de ce problme pour
la thorie de la connaissance. La condition pour que nous puissions
recueillir quelques bribes de connaissances est quau milieu du flux
perptuel du changement nous reconnaissions des lots de
permanence.
Page 10
9 Lidalisme platonicien Pour Platon, connatre cest contempler
ce qui dans lobjet est immuable, ternel, fixe : lide de cet objet.
Un livre sera toujours un livre -- mme quand ce livre que jobserve
sera mort -- car tous les livres ne font que reproduire lide
ternelle du livre. Platon sinsurge donc contre la philosophie
dHraclite* (le premier philosophe qualifi dobscur) dont le mot
dordre tait Tout coule. Si lunivers tait seulement impermanence,
jamais nous naurions la possibilit den rien connatre.
Page 11
10 Hraclite (VIe-Ve sicle) Magnard, p. 43. Hraclite (v. 540-v.
475 av. J.-C.), philosophe grec qui affirmait que le feu est la
source primordiale de la matire et que l'Univers entier se trouve
en continuel devenir. Il est n phse, ancienne cit grecque de l'Asie
Mineure, situe dans la Turquie actuelle. En raison de sa vie
solitaire et de sa philosophie absconse et misanthropique, on le
nomma parfois l'Hraclite l'Obscur. On ne peut pas descendre deux
fois dans le mme fleuve.
Page 12
11 Quest-ce que cest ? La question premire, originelle devant
tout objet non reconnu est : Quest-ce que cest ?. Elle est adresse
lentourage par lenfant, qui souhaite que quelquun lui dise quil
reconnat lobjet dsign et quventuellement il lui donne un nom. Une
dfinition est une rponse la question Quest-ce que cest ? en mme
temps quune cl pour une reconnaissance future dobjets semblables.
La question premire engendre ainsi une action classificatoire qui
est la premire construction de connaissances. Lobjet reconnu a des
caractristiques communes avec des objets dj reconnus autrefois et
ces caractristiques sont celles de la dfinition qui leur est
commune. Mais si connatre cest dabord reconnatre ce qui est
semblable, cest aussi, dans un deuxime temps, reconnatre les
diffrences. Dans tous les cas, dfinir cest dire ce qui est
essentiel, ce sans quoi lobjet ne serait pas ce quil est.
Page 13
12 L'essence de l'homme selon Aristote Pour Aristote, la facult
de connatre, lintellect, est lessence de lhomme. En cultivant son
intellect, lhomme ralise ce quil est essentiellement et par l-mme
il est heureux. L'activit de l'intellect l'emporte apparemment par
son srieux, et ne tend aucune fin en dehors d'elle-mme ; elle
semble aussi possder un plaisir achev qui lui est propre, et qui
augmentera cette activit mme ; enfin, la suffisance soi- mme, le
loisir et l'absence de fatigue qui sont accessibles un homme, ainsi
que tous les autres caractres dont on fait le lot du bienheureux,
se prsentent comme lis cette activit. Elle sera ds lors le bonheur
achev de l'homme pourvu qu'elle remplisse la longueur acheve de la
vie, car rien d'inachev ne compte parmi les lments du bonheur.
(Suite in Magnard)
Page 14
13 Savoir pour prvoir Pourtant la connaissance nest pas
seulement un instrument qui loigne la peur et permet de vivre dans
la srnit de la sagesse. Connatre permet de prvoir un effet. Bien
connatre quelquun permet de savoir comment il ragira dans telles ou
telles circonstances. Connatre une maladie cest aussi savoir
comment elle va voluer. La connaissance est une saisie de ce qui
reste invariant dans les changements, une familiarit avec la
rptition des phnomnes.
Page 15
14 COMTE, Des lois pour prvoir Sans doute, quand on envisage
l'ensemble complet des travaux de tout genre de l'espce humaine, on
doit concevoir l'tude de la nature comme destine fournir la
vritable base rationnelle de l'action de l'homme sur la nature,
puisque la connaissance des lois des phnomnes, dont le rsultat
constant est de nous les faire prvoir, peut seule videmment nous
conduire, dans la vie active, les modifier notre avantage les uns
par les autres. Nos moyens naturels et directs pour agir sur les
corps qui nous entourent sont extrmement faibles, et tout fait
disproportionns nos besoins. Toutes les fois que nous parvenons
exercer une grande action, c'est seulement parce que la
connaissance des lois naturelles nous permet d'introduire, parmi
les circonstances dtermines sous l'influence desquelles
s'accomplissent les divers phnomnes, quelques lments modificateurs,
qui, quelque faibles qu'ils soient en eux-mmes, suffisent, dans
certains cas, pour faire tourner notre satisfaction les rsultats
dfinitifs de l'ensemble des causes extrieures. En rsum, science,
d'o prvoyance ; prvoyance, d'o action. Cours de philosophie
positive, Volume 1, 1830 (Livre numrique Google)
Page 16
DESCARTES, Discours de la mthode, VI, 1637. Car elles (les
notions de physique) m'ont fait voir qu'il est possible de parvenir
des connaissances qui soient fort utiles la vie, et qu'au lieu de
cette philosophie spculative*, qu'on enseigne dans les coles, on en
peut trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et
les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux et de
tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que
nous connaissons les divers mtiers de nos artisans, nous les
pourrions employer en mme faon tous les usages auxquels ils sont
propres, et ainsi nous rendre comme matres et possesseurs de la
nature. Ce qui n'est pas seulement dsirer pour l'invention d'une
infinit d'artifices qui feraient qu'on jouirait sans aucune peine
des fruits de la terre et de toutes les commodits qui s'y trouvent,
mais principalement aussi pour la conservation de la sant, laquelle
est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres
biens de cette vie ; car mme l'esprit dpend si fort du temprament
et de la disposition des organes du corps, que, s'il est possible
de trouver quelque moyen qui rende communment les hommes plus sages
et plus habiles qu'ils n'ont t jusqu'ici, je crois que c'est dans
la mdecine qu'on doit le chercher. 15
Page 17
16 Prvision et vrit La connaissance rend possible la prvision
qui son tour permet laction efficace sur le monde. Lorsque la
prvision nest pas observe, la connaissance dont elle est tire est
fausse. Une connaissance vraie permet de raliser des prvisions qui
se vrifient par des observations. Ainsi, la vrit est la proprit des
noncs qui donnent des informations sur ltat du monde pass, prsent
ou futur. Un nonc ne peut tre vrai que sil peut tre test.
Page 18
17 William JAMES, 1907* La vrit est un vnement qui se produit
pour une ide. Celle-ci devient vraie ; elle est rendue vraie par
certains faits. Elle acquiert sa vrit par un travail qu'elle
effectue, par le travail qui consiste se vrifier elle-mme, qui a
pour but et pour rsultat sa vrification. * In Magnard, p. 160. Ceci
est une conception moderne de la vrit: si les thories ne
correspondent pas aux faits, plutt que de nier les faits, il faut
changer les thories.
Page 19
18 Texte 26 : Galile, p. 180 Une vrification est dautant mieux
possible quune connaissance est exprime en termes quantitatifs. La
nature est descriptible en termes mathmatiques. (...) Galile : La
philosophie est crite dans ce livre immense perptuellement ouvert
devant nos yeux (je veux dire : l'Univers), mais on ne peut le
comprendre si l'on n'apprend pas d'abord connatre la langue et les
caractres dans lesquels il est crit. Il est crit en langue
mathmatique et ses caractres sont des triangles, des cercles, et
d'autres figures gomtriques sans l'intermdiaire desquelles il est
humainement impossible d'en comprendre un seul mot.
Page 20
19 Le positivisme, p.163. Texte 27 : Auguste COMTE, 1844. (...)
L'esprit humain renonce dsormais aux recherches absolues qui ne
concernaient que son enfance et circonscrit ses efforts dans le
domaine, ds lors rapidement progressif, de la vritable observation,
seule base possible des connaissances vraiment accessibles,
sagement adaptes nos besoins rels. La logique spculative* avait
jusqu'alors consist raisonner, d'une manire plus ou moins subtile,
d'aprs des principes confus, qui, ne comportant aucune preuve
suffisante, suscitaient toujours des dbats sans issue. Elle
reconnat dsormais, comme rgle fondamentale, que toute proposition
qui n'est pas strictement rductible la simple nonciation d'un fait,
ou particulier ou gnral, ne peut offrir aucun sens rel et
intelligible.
Page 21
20 Dduction* et logique spculative* La science de lAntiquit et
du Moyen-ge tait essentiellement dductive. A partir de la
connaissance dune ide gnrale (lessence), on peut dduire des
considrations particulires. Des dductions pratiques au dpart dune
analyse conceptuelle imprudente permettent malheureusement
lexercice de ce quAuguste Comte appelait, dans le texte prcdent, la
logique spculative . Aristote, par exemple, convaincu que le poids
est ce qui attire les corps vers la Terre, en dduit naturellement
quun objet dun poids deux fois plus grand quun autre tombera au sol
deux fois plus vite. Il faudra attendre que Galile ralise
lexprience pour remettre en question cette dduction.
Page 22
Enfer et chaleur Un exemple amusant de logique spculative a
circul rcemment sur Internet. Bien que son authenticit me paraisse
suspecte, je vous le propose ici parce quil ma fait beaucoup rire !
(Merci mon ami Daniel Delalande davoir attir mon attention
l-dessus.) 21 Voici la version d'une question "bonus" de chimie
pose l'universit de Nanterre. La rponse d'un tudiant a t si
loufoque que le professeur l'a partage avec ses collgues, via
Internet, et c'est pourquoi vous avez le plaisir de la lire....
Question Bonus: l'enfer est-il exothermique 1 ou endothermique 2 (1
: vacue la chaleur, 2 : absorbe la chaleur) La plupart des tudiants
ont exprim leur croyance en utilisant la loi de Boyle (si un gaz se
dilate il se refroidit et inversement) ou ses variantes. Cependant,
un tudiant eut la rponse suivante:
Page 23
La meilleure copie Premirement, nous avons besoin de connatre
comment varie la masse de l'enfer avec le temps. Nous avons besoin
de connatre quel taux les mes entrent et sortent de l'enfer. Je
pense que nous pouvons assumer sans risque qu'une fois entres en
enfer, les mes n'en ressortiront plus. Du coup aucune me ne sort.
De mme pour le calcul du nombre d'entres des mes en enfer, nous
devons regarder le fonctionnement des diffrentes religions qui
existent de par le monde aujourd'hui. a plupart de ces religions
affirment que si vous n'tes pas membre de leur religion, vous irez
en enfer. Comme il existe plus d'une religion exprimant cette rgle,
et comme les gens n'appartiennent pas plus d'une religion, nous
pouvons projeter que toutes les mes vont en enfer... Maintenant,
regardons la vitesse de changement de volume de l'enfer parce que
la Loi de Boyle spcifie que pour que la pression et la temprature
restent identiques en enfer, le volume de l'enfer doit se dilater
proportionnellement l'entre des mes . Par consquent cela donne deux
possibilits: 1) si l'enfer se dilate une moindre vitesse que
l'entre des mes en enfer, alors la temprature et la pression en
enfer augmenteront indfiniment jusqu' ce que l'enfer clate. 2) si
l'enfer se dilate une vitesse suprieure la vitesse d'entre des mes
en enfer, alors la temprature diminuera jusqu' ce que l'enfer gle.
Laquelle choisir ? Si nous acceptons le postulat de ma camarade de
classe Jessica m'ayant affirm durant ma premire anne d'tudiant Il
fera froid en enfer avant que je couche avec toi , et en tenant
compte du fait que j'ai couch avec elle la nuit dernire, alors
l'hypothse 2 doit tre vraie. Ainsi, je suis sr que l'enfer est
exothermique et a dj gel Le corollaire de cette thorie c'est que
comme l'enfer a dj gel, il s'ensuit qu'il n'accepte plus aucune me
et du coup qu'il n'existe plus... Laissant ainsi seul le Paradis,
et prouvant l'existence d'un tre divin ce qui explique pourquoi, la
nuit dernire, Jessica n'arrtait pas de crier "Oh....mon Dieu !...."
(Cet tudiant est le seul ayant reu la note 20/20) 22
Page 24
Induction* La science moderne induit des hypothses (lois
gnrales et thories) partir dobservations. Quand les hypothses sont
formules, les scientifiques en dduisent des consquences observables
qui doivent tre confrontes aux faits. 23
Page 25
24 Texte 29 : Franois JACOB, 1979, p.163 Je crois que le
cerveau humain a une exigence fondamentale : celle d'avoir une
reprsentation unifie et cohrente du monde qui l'entoure, ainsi que
des forces qui animent ce monde. Les mythes, comme les thories
scientifiques, rpondent cette exigence humaine. Dans tous les cas,
et contrairement ce qu'on pense souvent, il s'agit d'expliquer ce
qu'on voit par ce qu'on ne voit pas, le monde visible par un monde
invisible qui est toujours le produit de l'imagination. Par
exemple, on peut regarder la foudre comme l'expression de la colre
divine ou comme une diffrence de potentiel entre les nuages et la
Terre ; on peut regarder une maladie comme le rsultat d'un sort jet
une personne, ou comme le rsultat d'une infection virale, mais,
dans tous les cas, ce qu'on invoque comme cause ou systme
d'explication, ce sont des forces invisibles qui sont censes rgir
le monde.
Page 26
25 Texte 29 (suite). Par consquent, qu'il s'agisse d'un mythe
ou d'une thorie scientifique, tout systme d'explication est le
produit de l'imagination humaine. La grande diffrence entre mythe
et thorie scientifique, c'est que le mythe se fige. Une fois
imagin, il est considr comme la seule explication du monde
possible. Tout ce qu'on rencontre comme vnement est interprt comme
un signe qui confirme le mythe. Une thorie scientifique fonctionne
de manire diffrente. Les scientifiques s'efforcent de confronter le
produit de leur imagination (la thorie scientifique) avec la ralit
, c'est--dire l'preuve des faits observables. De plus, ils ne se
contentent pas de rcolter des signes de sa validit, ils s'efforcent
d'en produire d'autres, plus prcis, en la soumettant
l'exprimentation. Et les rsultats de celle-ci peuvent s'accorder ou
non la thorie. Et si l'accord ne se fait pas, il faut jeter la
thorie et en trouver une autre. Ainsi le propre d'une thorie
scientifique est d'tre tout le temps modifie ou amende.
Page 27
Texte 30 : Karl Popper, la falsification A l'aide d'autres
noncs pralablement accepts, l'on dduit de la thorie certains noncs
singuliers que nous pouvons appeler prdictions et en particulier
des prvisions que nous pouvons facilement contrler ou raliser.
Parmi ces noncs l'on choisit ceux qui sont en contradiction avec
elle. Nous essayons ensuite de prendre une dcision en faveur (ou
l'encontre) de ces noncs dduits en les comparant aux rsultats des
applications pratiques et des exprimentations. Si cette dcision est
positive, c'est--dire si les conclusions singulires se rvlent
acceptables, ou vrifies, la thorie a provisoirement russi son test
: nous n'avons pas trouv de raisons de l'carter. Mais si la dcision
est ngative ou, en d'autres termes, si, les conclusions ont t
falsifies, cette falsification falsifie galement la thorie dont
elle tait logiquement dduite. Il faudrait noter ici qu'une dcision
ne peut soutenir la thorie que pour un temps car des dcisions
ngatives peuvent toujours l'liminer ultrieurement. Tant qu'une
thorie rsiste des tests systmatiques et rigoureux et qu'une autre
ne la remplace pas avantageusement dans le cours de la progression
scientifique, nous pouvons dire que cette thorie a fait ses preuves
ou qu'elle est corrobore . Popper, K., La Logique de la dcouverte
scientifique (1934), Paris, Ed. Payot, 1973, pp 29-30. 26
Page 28
27 Science et fausse science Lexistence ou la non-existence de
consquences observables est un des critres de dmarcation entre les
sciences et les fausses sciences. Une thorie qui naurait aucune
consquence observable nest pas testable et ne nous apprend
effectivement rien sur le monde. Pouvez-vous formuler des ides
(provenant de mythes, de religions, de campagnes de pub) qui sont
prsentes comme vraies mais nont aucune consquence testable ?
Page 29
Texte : astrologie et homopathie, Sokal, Alan () des systmes de
pense font croire en des thories ou des phnomnes que la science
moderne rejette comme radicalement invraisemblables. Par exemple,
que la trajectoire des plantes peut influencer le cours des vies
humaines - au- del des effets physiques bien connus comme la
trajectoire d'un astrode il y a 65 millions d'annes qui a
vraisemblablement eu un effet profond sur la vie sur Terre -, que
des substances dilues jusqu' ne plus laisser subsister la moindre
molcule du remde peuvent nanmoins avoir des effets thrapeutiques,
ou encore que prier distance pour des malades peut acclrer leur
gurison. Parce que ces doctrines prtendent s'appuyer sur des faits
dont chacun pourrait faire l'exprience, alors qu'il ne s'agit que
de tmoignages douteux, on les appelle pseudosciences . Sokal, A.,
Pseudosciences et postmodernisme, Paris : Odile Jacob, 2005, p. 40.
28
Page 30
Texte : mdecines alternatives, Aulas, Jean-Jacques L'apport
pistmologique de Karl Popper est inestimable. La pertinence de son
critre de dmarcation ou de falsification permet un reprage simple
des assertions pseudoscientifiques. Par exemple, l'nonc : Il existe
dans cette pice un fantme qui se cache ds qu'on l'observe n'est pas
un nonc scientifique, car il est impossible de le rfuter. Il s'agit
d'un nonc pseudo- scientifique. En revanche, l'nonc : Il existe
dans la pice o je vis une modification trs particulire de la loi de
gravitation puisque lorsque je lche un objet, celui-ci, au lieu de
tomber, monte en l'air , bien que fort curieux, est testable et
donc du registre de l'investigation scientifique. 29
Page 31
30 Ds lors, il est clair que les rats de la pense rationnelle
l'origine des thorisations pseudo-scientifiques des mdecines
alternatives recouvrent strictement les mmes phnomnes et les mmes
mcanismes que ceux qui sont en jeu par exemple dans le domaine de
la parapsychologie. Ainsi, la croyance l'effet pharmacodynamique
des remdes homopathiques est strictement du mme ordre que la
croyance aux fantmes et la croyance aux mridiens de l'acupuncture
et aux changes nergtiques recouvre les mmes illusions que la
croyance la transmission de pense. La plus grande illusion qui
baigne le cerveau de nos pseudo- scientifiques parallles est celle
qui a tay durant des sicles la pense scolastique moyengeuse :
l'illusion du post hoc ergo propter hoc, formule qui signifie
littralement aprs cela, donc cause de cela . AULAS, Jean-Jacques,
LES MDECINES DOUCES, Des illusions qui gurissent, Paris : Odile
Jacob, 1993, page 73 74.
Page 32
31 Une double illusion La rflexion pistmologique conduit penser
que seule la science nous permet dobtenir des connaissances relles
autorisant des prdictions effectives. Elle peut galement nous
prmunir dune double illusion : Laugmentation du savoir
saccompagnerait dune diminution de lignorance. La science donnerait
un sens la vie.
Page 33
32 Le savoir engendre lignorance Lacquisition dune connaissance
nouvelle signifie toujours ncessairement lapparition dun certain
nombre de questions dont la formulation ntait pas possible
auparavant. Ceci revient dire que laccroissement du savoir engendre
invitablement un accroissement de linconnu. Ce dernier ne peut plus
tre pens sur le modle dune peau de chagrin qui se rtrcirait chaque
fois quun petit morceau en serait enlev. En rduisant lignorance dun
ct, nous ltendons inexorablement dun autre ct.
Page 34
La science ne donne aucun sens nos vies Il nous faut aussi
renoncer lillusion suivant laquelle la science donnerait un sens.
Elle ne soccupe en effet ni des fins ni des valeurs. Elle ne dit
pas ce que sont le bien et le mal. Elle ne nous console en aucune
faon lorsque nous sommes dsesprs. Pour se rassurer, lhomme du XXIe
sicle nest pas beaucoup mieux nanti que lhomme de lAntiquit : il
doit lui aussi se tourner vers les religions et les mythes. Mais
attention ! Richard Dawkins nous le rappelle dans le texte suivant
ce nest pas parce que la science ne peut rpondre une question que
la religion le peut. 33
Page 35
Texte : Science et Thologie, Dawkins, Richard. en croire un
clich fastidieux (et qui la diffrence de beaucoup d'autres n'est
mme pas vrai), la science s'occuperait du comment alors que seule
la thologie aurait les moyens de rpondre au pourquoi. Au nom du
ciel, que peut bien tre une question pourquoi ? Les phrases qui
commencent par pourquoi ne sont pas toutes valables : pourquoi les
licornes sont-elles creuses ? Et certaines questions ne mritent
tout simplement pas de rponse : de quelle couleur est l'abstraction
? quelle est l'odeur de l'espoir ? Ce n'est pas parce qu'une
question peut tre formule dans une phrase grammaticalement correcte
qu'elle a un sens ou qu'elle mrite de retenir notre attention et
d'tre prise au srieux. Et mme si c'est une vraie question, ce n'est
pas parce que la science ne peut y rpondre que la religion le peut.
34
Page 36
Dawkins (suite) Peut-tre y a-t-il des questions vraiment
profondes et senses qui chapperont toujours au domaine de la
science. Peut-tre la thorie quantique frappe-t-elle dj la porte de
l'insondable. Mais si la science ne peut rpondre telle question
fondamentale, qu'est-ce qui donne penser que la religion puisse y
rpondre ? J'ai ide que ni l'astronome de Cambridge, ni celui
d'Oxford ne croient vraiment que les thologiens ont comptence
rpondre des questions trop profondes pour la science. J'ai ide que
ces deux astronomes se sont eux aussi efforcs d'tre polis : les
thologiens n'ont rien d'intressant dire sur rien ; jetons-leur un
os ronger, qu'ils se cassent les dents sur une ou deux questions
auxquelles personne ne peut et ne pourra peut-tre jamais rpondre.
la diffrence de mes amis astronomes, je ne pense pas qu'il soit mme
ncessaire de leur donner un os ronger. Reste encore trouver une
bonne raison pour supposer que la thologie ( la diffrence de
l'histoire ou de la littrature bibliques) est le moins du monde un
sujet d'tude. Dawkins, R., Pour en finir avec Dieu, Robert Laffont,
Paris, 2008, pages 66 67. 35