32
Tiré à part CNRS ÉDITIONS ANNUAIRE FRANÇAIS DE DROIT INTERNATIONAL LI – 2005 – CNRS Éditions, Paris LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE FACE AUX TIRAILLEMENTS DU DROIT INTERNATIONAL : LES ARRÊTS DANS LES AFFAIRES DES ACTIVITÉS ARMÉES SUR LE TERRITOIRE DU CONGO (RDC C. OUGANDA, 19 DÉCEMBRE 2005 ; RDC C. RWANDA, 3 FÉVRIER 2006) F RANCK LATTY Depuis le début des années 90, la région dite des Grands Lacs est en proie à des troubles dont l’ampleur le dispute à la complexité 1 , au détriment des popula- tions civiles, victimes d’atrocités massives commises de toutes parts. Les affaires des Activités armées sur le territoire du Congo qui, à quelques semaines d’inter- valle, ont donné lieu à deux arrêts de la Cour internationale de Justice (CIJ) 2 , constituent le volet judiciaire, non pas du conflit régional pris dans son ensemble, mais d’un aspect spécifique de celui-ci, relatif selon la bien sobre expression de la Cour à des « activités armées » menées sur le territoire de la République démo- cratique du Congo (ci-après RDC ou Congo). Le 23 juin 1999, soit tout de même plus de six ans auparavant 3 , la RDC avait en effet déposé simultanément trois requêtes, rédigées dans des termes quasi identiques, respectivement à l’encontre de l’Ouganda, du Rwanda et du Burundi, par lesquelles elle demandait à la Cour de constater la violation par chacun de ces États de ses obligations internationales, résultant d’« actes d’ agression armée […] sur le territoire de la République démocratique du Congo en violation flagrante de la Charte des Nations Unies et de la Charte de l’Organisation de l’unité africaine » 4 . En conséquence, la RDC requérait de la Cour qu’elle juge que chacun de ces États était dans l’obligation de retirer du territoire congolais ses Franck L ATTY , maître de conférences à l’Université Paris X-Nanterre, chercheur au CEDIN. 1. Voy. par ex. Marie J OANNIDIS et Christophe C HAMPIN , « République démocratique du Congo : le dossier d’un conflit régional », La Revue internationale et stratégique , n° 33, printemps 1999, pp. 142-153. 2. CIJ, Affaire des activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda) , arrêt du 19 décembre 2005 ; CIJ, Affaire des activités armées sur le territoire du Congo (nou- velle requête : 2002) (République démocratique du Congo c. Rwanda) , compétence de la Cour et recevabi- lité de la requête, arrêt du 3 février 2006. Les deux arrêts, respectivement ci-après « arrêt de 2005 » ou arrêt « Ouganda », et « arrêt de 2006 » ou arrêt « Rwanda », ainsi que les autres pièces mentionnées ci- après sont consultables sur le site de la Cour [http://www.icj-cij.org]. Pour un commentaire de l’arrêt « Ouganda », voy. Daniel M ÜLLER , Chronique in The Law & Practice of International Courts and Tribu- nals , 2006, vol. 5, n° 1, pp. 198-209 ; Philippe W ECKEL , Chronique in RGDIP , 2006, pp. 173-184. 3. Sur la lenteur des procédures devant la Cour, voy. Alain P ELLET , « Remarks on Proceedings before the International Court of Justice », The Law & Practice of International Courts and Tribunals , 2006, vol. 5, n° 1, pp. 163-182. 4. Introduction de chacune des trois requêtes introductives d’instance du 23 juin 1999, italiques dans le texte. (*)

LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE FACE … Latty.pdf · Depuis le début des années 90, la région dite des Grands Lacs est en proie à ... CIJ, Affaire des activités armées sur

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ANNUAIRE FRANÇAIS DE DROIT INTERNATIONALLI – 2005 – CNRS Éditions, Paris

LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICEFACE AUX TIRAILLEMENTS

DU DROIT INTERNATIONAL : LES ARRÊTSDANS LES AFFAIRES DES

ACTIVITÉS ARMÉESSUR LE TERRITOIRE DU CONGO

(RDC C. OUGANDA, 19 DÉCEMBRE 2005 ;RDC C. RWANDA, 3 FÉVRIER 2006)

F

RANCK

LATTY

Depuis le début des années 90, la région dite des Grands Lacs est en proie àdes troubles

dont l’ampleur le dispute à la complexité

1

, au détriment des popula-tions civiles, victimes d’atrocités massives commises de toutes parts. Les affairesdes

Activités armées sur le territoire du Congo

qui, à quelques semaines d’inter-valle, ont donné lieu à deux arrêts de la Cour internationale de Justice (CIJ)

2

,constituent le volet judiciaire, non pas du conflit régional pris dans son ensemble,mais d’un aspect spécifique de celui-ci, relatif selon la bien sobre expression de laCour à des « activités armées » menées sur le territoire de la République démo-cratique du Congo (ci-après RDC ou Congo).

Le 23 juin 1999, soit tout de même plus de six ans auparavant

3

, la RDC avaiten effet déposé simultanément trois requêtes, rédigées dans des termes quasiidentiques, respectivement à l’encontre de l’Ouganda, du Rwanda et du Burundi,par lesquelles elle demandait à la Cour de constater la violation par chacun deces États de ses obligations internationales, résultant d’« actes d’

agression armée

[…] sur le territoire de la République démocratique du Congo en violationflagrante de la Charte des Nations Unies et de la Charte de l’Organisation del’unité africaine »

4

. En conséquence, la RDC requérait de la Cour qu’elle juge quechacun de ces États était dans l’obligation de retirer du territoire congolais ses

1. Franck L

ATTY

, maître de conférences à l’Université Paris X-Nanterre, chercheur au CEDIN.1. Voy. par ex. Marie J

OANNIDIS

et Christophe C

HAMPIN

, « République démocratique du Congo : ledossier d’un conflit régional »,

La Revue internationale et stratégique

, n° 33, printemps 1999, pp. 142-153.2. CIJ,

Affaire des activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c.Ouganda)

, arrêt du 19 décembre 2005 ; CIJ,

Affaire des activités armées sur le territoire du Congo (nou-velle requête : 2002) (République démocratique du Congo c. Rwanda)

, compétence de la Cour et recevabi-lité de la requête, arrêt du 3 février 2006. Les deux arrêts, respectivement ci-après « arrêt de 2005 » ouarrêt « Ouganda », et « arrêt de 2006 » ou arrêt « Rwanda », ainsi que les autres pièces mentionnées ci-après sont consultables sur le site de la Cour [http://www.icj-cij.org]. Pour un commentaire de l’arrêt« Ouganda », voy. Daniel M

ÜLLER

, Chronique

in The Law & Practice of International Courts and Tribu-nals

, 2006, vol. 5, n° 1, pp. 198-209 ;

Philippe W

ECKEL

, Chronique

in RGDIP

, 2006, pp. 173-184.3. Sur la lenteur des procédures devant la Cour, voy. Alain P

ELLET

, « Remarks on Proceedingsbefore the International Court of Justice »,

The

Law & Practice of International Courts and Tribunals

,2006, vol. 5, n° 1, pp. 163-182.

4. Introduction de chacune des trois requêtes introductives d’instance du 23 juin 1999, italiquesdans le texte.

(*)

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CONGO

forces ainsi que tous ses ressortissants, et qu’elle ouvre un droit à réparation aubénéfice de la RDC pour les dommages subis.

Les affaires concernant le Rwanda et le Burundi ont été rayées du rôle de laCour par ordonnances du 30 janvier 2001, à la suite du désistement de la RDCqui, à la date fixée et prolongée par la Cour, n’avait pas déposé de contre-mémoire sur la question des exceptions préliminaires soulevées par les deuxÉtats. Néanmoins, par une nouvelle requête en date du 28 mai 2002, reprenantdans une large mesure celle de 1999 bien qu’invoquant de nouveaux faits et chefsde compétence, la République démocratique du Congo a introduit une secondeinstance devant la Cour contre la République du Rwanda, qui plus est accompa-gnée d’une demande en indication de mesures conservatoires. La CIJ, dans sonordonnance du 10 juillet 2002, a refusé d’indiquer les mesures requises par leCongo, estimant qu’elle « ne dispos[ait] pas en l’espèce de la compétence

primafacie

nécessaire »

5

, sans pour autant faire droit à la demande du Rwandatendant à ce que l’affaire soit rayée du rôle, la Cour ne s’estimant pas

manifeste-ment

incompétente dans cette affaire

6

. L’arrêt rendu par la Cour le 3 février2006, qui porte sur les questions de compétence et de recevabilité soulevées parle Rwanda, confirme

secunda facie

ce que la Cour avait déjà constatée

primafacie

en 2002 : son incompétence pour connaître de la requête dirigée contre leRwanda.

L’arrêt « Ouganda » du 19 décembre 2005 se prononce quant à lui sur le fondde l’affaire. Contrairement au Rwanda, l’Ouganda avait en effet procédé à ladéclaration de juridiction obligatoire prévue à l’article 36, § 2, du statut de laCour mondiale. La rencontre de ce consentement à la juridiction de la CIJ aveccelui du Congo exprimé dans une déclaration analogue venait fonder sans doutepossible la compétence de la Cour. Celle-ci a d’ailleurs été établie

prima facie

dans l’ordonnance du 1

er

juillet 2001, par laquelle la Cour a indiqué des mesuresconservatoires à l’adresse des deux parties

7

, sans que par la suite la question dela compétence fasse l’objet de débats entre celles-ci. En revanche, celle de la rece-vabilité des demandes reconventionnelles présentées par l’Ouganda dans soncontre-mémoire, contestée par le Congo, a donné lieu à une ordonnance datée du29 novembre 2001, par laquelle la Cour a accueilli deux des trois demandesprésentées

8

. Si, dans son arrêt du 19 décembre 2005, la Cour a partiellementaccédé à l’une de ces demandes ougandaises, elle a constaté à titre principal quel’Ouganda avait violé ses obligations internationales, notamment le principe de

5. CIJ,

Affaire des activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête : 2002) (Républiquedémocratique du Congo c. Rwanda)

, demande en indication de mesures conservatoires, ordonnance du10 juillet 2002, § 89.

6.

Idem

, § 91. Sur l’ordonnance de 2002, voy. notamment Yann K

ERBRAT

, « De quelques aspects desprocédures incidentes devant la Cour internationale de Justice : les ordonnances des 29 novembre 2001et 10 juillet 2002 dans les affaires des

Activités armées sur le territoire du Congo

», cet

Annuaire

, 2002,pp. 343-361 ; Évelyne L

AGRANGE

, « Libres propos sur la juridiction internationale permanente. Autourde l’ordonnance rendue par la Cour internationale de Justice le 10 juillet 2002 »,

RGDIP

, 2003, pp. 89-108 ; Hélène R

UIZ

F

ABRI

et Jean-Marc S

OREL

, Chronique

in JDI

, 2003, pp. 868-873 ; Philippe W

ECKEL

,Chronique

in RGDIP

, 2002, pp. 955-963.7. CIJ,

Affaire des activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congoc. Ouganda)

, demande en indication de mesures conservatoires, ordonnance du 1

er

juillet 2000. Voy.Eddin H

ELALI

, Chronique

in RGDIP

, 2000, pp. 1051-1056 ; Emmanuel P

AILLARD

, « Affaire des Activitésarmées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda) Demande en indica-tion de mesures conservatoires – Ordonnance du 1

er

juillet 2000 », cet

Annuaire

, 2000, pp. 242-254 ;Hélène R

UIZ

F

ABRI

et Jean-Marc S

OREL

, Chronique

in JDI

, 2001, pp. 894-897.8. CIJ,

Affaire des activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congoc. Ouganda)

, demandes reconventionnelles, ordonnance du 29 novembre 2001. Voy. Yann K

ERBRAT

,

op. cit.

(note 6)

; Hélène R

UIZ

F

ABRI

et Jean-Marc S

OREL

, Chronique in

JDI

, 2003, pp. 864-867 ;Philippe W

ECKEL

, Chronique

in RGDIP

, 2002, pp. 423-425.

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ARMÉES

SUR

LE

TERRITOIRE

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non recours à la force et de non intervention, ainsi que les obligations qui luiincombaient en vertu du droit international relatif aux droits de l’homme et dudroit humanitaire.

Les décisions de la Cour internationale de Justice suscitent toujours unecertaine attente. En effet, le « dire » du droit par la Cour revêt une portéed’autant plus grande qu’il intervient dans un ordre juridique dépourvu de légis-lateur. Chacun des deux arrêts couvre néanmoins un domaine du droit interna-tional déjà bien balisé : respectivement le consentement à la juridiction dela Cour (arrêt « Rwanda ») et le droit des conflits armés

lato sensu

(arrêt« Ouganda »). De fait, les arrêts dans les affaires des

Activités armées sur leterritoire du Congo

ne « révolutionnent » pas le droit des gens. La solution del’arrêt « Rwanda » était tout sauf imprévisible, dans la mesure où la Cour, àcertains égards, se contente d’expliciter au stade des exceptions préliminaires cequ’elle avait déjà constaté au stade de l’urgence, lorsqu’elle s’était déclaréeincompétente

prima facie

dans son ordonnance de 2002. Et même compétente, àl’égard de l’Ouganda, la Cour a exercé sa fonction judiciaire avec une certaineprudence, sans chercher à faire œuvre normative, bien qu’ouvrant certainesperspectives. Ainsi, malgré des faits en partie comparables, l’arrêt « Ouganda »n’aura probablement pas l’impact qu’avait eu en son temps l’arrêt de la CIJdans l’affaire des

Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contrecelui-ci

9

, auquel la Cour se réfère d’ailleurs à de nombreuses reprises dans sadécision de 2005.

Cela étant, à défaut de constituer un monument jurisprudentiel, les deuxarrêts de la Cour n’en sont pas moins riches d’incursions, principales ou inci-dentes, dans de nombreux champs du droit international public, pêle-mêle : leconsentement à la juridiction de la Cour, le

jus ad bellum

, le

jus in bello

, le

juscogens

, le droit de la responsabilité internationale, la portée des déclarationsétatiques, l’administration de la preuve, etc.

La Cour a ainsi été conduite àexaminer certains aspects du droit international parmi les plus traditionnelscomme parmi les plus progressistes, les plus « volontaristes » comme les plus« objectivistes » ; à se pencher sur les règles les mieux établies comme sur cellesqui sont encore en devenir, voire sur celles qui font l’objet de tentativesd’« étirements »

10

. Véritable caisse de résonance de l’ordre juridique international, la CIJ en

reproduit les harmonies et les contradictions, les courants et les contre-courants.Car l’ordre juridique international est bien « le lieu d’affrontements de logiques etd’aspirations en conflit les unes avec les autres »

11

. Son unité ne va pas sanscertains

tiraillements

dont la Cour internationale de Justice n’a pu faire abstrac-tion lorsque, dans les affaires des

Activités armées sur le territoire du Congo

,

elles’est prononcée sur des règles du droit des gens tantôt « primaires » (

i.e.

, selon laterminologie de Hart, des normes qui règlent la conduite des sujets de droit

12

),tantôt secondaires (

i.e.

des normes qui ont pour objet, non pas la conduite des

9. Décision qualifiée d’« arrêt qui fera date dans les annales de la justice internationale », d’« arrêtexceptionnel », par Pierre Michel E

ISEMANN

(« L’arrêt de la CIJ du 27 juin 1986 (fond) dans l’affaire desactivités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci », cet

Annuaire

, 1986, p. 153).10. Voy. Joe V

ERHOEVEN

, « Les “étirements” de la légitime défense », cet

Annuaire

, 2002, pp. 49-80.11. Pierre-Marie D

UPUY

, « L’unité de l’ordre juridique international »,

RCADI

, 2002-V, vol. 297,p. 271.

12. Voy. Herbert L. A. H

ART

,

Le concept de droit

, Bruxelles, Facultés universitaires Saint-Louis,1976, p. 105. Selon l’auteur, les normes (ou règles) primaires sont des règles qui « prescrivent à des êtreshumains d’accomplir ou de s’abstenir de certains comportements » ; elles « imposent des obligations » et« visent des comportements qui impliquent un mouvement ou des changements d’ordre physique ».

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ACTIVITÉS

ARMÉES

SUR

LE

TERRITOIRE

DU

CONGO

sujets, mais les normes primaires elles-mêmes)

13

, l’union de ces deux types denormes donnant corps à l’ordre juridique dans la théorie hartienne

14

. C’est àtravers ce prisme – la distinction entre normes primaires (II) et normes secondaires(I) – que seront examinés les deux arrêts de la Cour et mis en évidence lestiraillements du droit international qu’ils révèlent.

I. – LES RÈGLES SECONDAIRES DANS LES ARRÊTSSUR LES

ACTIVITÉS ARMÉES

Parmi les règes qu’il qualifie de « secondaires », Hart a isolé, à côté des règlesdites de « reconnaissance » et celles de « changement », la catégorie des règlesd’« adjudication », spécifiquement relatives à l’application du droit par lesorganes administratifs et juridictionnels

15

. Les deux arrêts dans les

Affaires desactivités armées sur le territoire du Congo

ont conduit la CIJ à s’arrêter surcertaines des « règles d’adjudication » de l’ordre juridique international, enl’occurrence celles qui ont trait à l’administration de la justice, faisant prévaloiren ce domaine le volontarisme étatique sur une conception plus intégrée del’ordre juridique international (A).

Sans que l’on sache véritablement dans quelle mesure la théorie de Hart ainfluencé la Commission du droit international des Nations Unies

16

, c’est sur unedistinction analogue entre règles primaires et secondaires que reposent les« articles » sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite,annexés à la résolution 56/83 de l’Assemblée générale des Nations Unies

17

. Enl’espèce, l’arrêt « Ouganda » fait une application des règles secondaires de laresponsabilité internationale des États qui n’est pas en tous points conformes àl’œuvre de codification de la CDI (B).

A.

Les règles d’administration de la justice internationale

Les règles relatives à l’administration de la justice internationale mises enœuvre par la Cour internationale de Justice dans ses arrêts de 2005 et de2006 concernent en premier lieu les questions de compétence et de recevabilité,qu’elle a traitées sans grande originalité par rapport à sa pratique (1). Plusinstructifs sont les larges développements qu’elle consacre dans l’arrêt de 2005 àla question de la force probante (2).

13. Herbert L. A. H

ART

,

ibid

. Les normes secondaires « veillent […] à ce que les êtres humains puis-sent, en accomplissant certains actes ou en prononçant certaines paroles, introduire de nouvelles règlesde type primaire, en abroger ou en modifier d’anciennes, ou de différentes façons, déterminer leur inci-dence ou contrôler leur mise en œuvre » ; elles « confèrent des pouvoirs » et « pourvoient à des opérationsqui entraînent non seulement un mouvement ou un changement d’ordre physique, mais la création ou lamodification de devoirs ou d’obligations ».

14. Herbert L. A. H

ART

,

id.

, p. 105 et p. 119. Pour une présentation synthétique de la théorie har-tienne, voy. Charles L

EBEN

, « De quelques doctrines de l’ordre juridique »,

Droits

, n° 33, 2001, pp. 24-25.15. Voy. Herbert L. A. H

ART

,

id.

, pp. 120-122.16. Voy. James C

RAWFORD

, Introduction in

Les Articles de la CDI sur la responsabilité de l’État

,Paris, Pedone, 2003, p. 16.

17. Articles de la CDI sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, Assembléegénérale,

Documents officiels, cinquante-sixième session, Supplément n° 10

, (A/56/10).

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ARMÉES

SUR LE TERRITOIRE DU CONGO 209

1. Compétence et recevabilité

Un tribunal, quel qu’il soit, ne peut exercer sa fonction juridictionnelle sur unlitige qu’à la double condition, d’une part, d’en avoir la compétence et, d’autrepart, que la demande qui lui est soumise soit recevable. Faute de la première, laCour n’a pas donné suite à la requête de la RDC dans l’affaire qui l’opposait auRwanda (a). Compétente en revanche à l’égard de l’Ouganda, la Cour a été acces-soirement conduite à aborder certaines questions de recevabilité (b). Dans lesdeux cas, elle l’a fait dans le respect des canons (avec la dimension conservatricequi s’attache à ce mot) du droit international.

a) Compétence

Contrairement à l’affaire de la Licéité de l’emploi de la force dans laquelle laCour avait fait reposer son incompétence au stade des exceptions préliminaires surun fondement différent de celui de son incompétence prima facie au stade del’urgence 18, la Cour n’a pas changé son fusil d’épaule dans l’affaire des Activitésarmées. De ce fait, l’arrêt de 2006 se présente comme un prolongement direct – uneversion peaufinée serait-on tenté de dire, nonobstant l’objet différent des deux déci-sions – de l’ordonnance de rejet de la demande en indication de mesures conserva-toires en date du 10 juillet 2002, du moins des arguments relatifs à la compétencequi y ont été examinés. Partant, le principe du consensualisme, selon lequel unejuridiction internationale ne peut juger un État « que si et dans la mesure où celui-cia préalablement donné son consentement à cet effet » 19, y est solidement réaffirmé.

Certes, la RDC a tenté de faire valoir deux nouveaux moyens, que la Cour avite évacués au vu de leur manque évident de pertinence. Ainsi, à la théorie duforum prorogatum que la RDC invoquait, la Cour a opposé sa jurisprudenceconstante selon laquelle l’attitude de l’État défendeur ne peut fonder sa compé-tence qu’à la condition de « pouvoir être regardée comme une “manifestation nonéquivoque” de la volonté de cet État d’accepter de manière “volontaire indiscu-table” la compétence de la Cour » (§ 21). Dès lors, ayant constaté que le Rwandaavait objecté à sa compétence « à tous les stades de la procédure et de manièreexplicite et répétée », la Cour a rejeté l’argument du forum prorogatum (§ 22). Demême, la CIJ s’est peu attardée sur le moyen spécieux, pour ne pas dire déses-péré, selon lequel, en refusant dans son ordonnance de 2002 de rayer l’affaire deson rôle au motif qu’elle n’était pas manifestement incompétente, elle aurait parlà même admis sa compétence à l’égard du Rwanda. Rappelant, dense jurispru-dence à l’appui, qu’au stade des mesures conservatoires sa compétence n’estexaminée que prima facie, la Cour a jugé que son ordonnance de 2002 ne sauraitemporter une quelconque reconnaissance de compétence, d’autant plus qu’elle yavait refusé d’indiquer les mesures conservatoires demandées justement enraison de son absence de compétence de prime abord (§ 25).

18. Dans ses ordonnances du 2 juin 1999, pour rejeter les demandes en indication de mesures conser-vatoires, la Cour s’est fondée sur son incompétence prima facie ratione materiae et ratione temporis, tandisque dans ses arrêts du 15 décembre 2004 sur les exceptions préliminaires, elle s’est estimée incompétenteau motif que la Serbie-et-Montenegro n’était pas partie au statut de la CIJ. Voy. Olivier DE FROUVILLE,« Une harmonie dissonante de la justice internationale : les arrêts de la CIJ sur les exceptions préliminai-res dans l’affaire relative à la Licéité de l’emploi de la force », cet Annuaire, 2004, pp. 353-356.

19. V° Consensualisme in Jean SALMON (dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles,Bruylant/AUF, 2001, p. 239. Voy., parmi de nombreux exemples, Droits des minorités en Haute-Silésie,arrêt du 26 avril 1928, CPJI, Série A, n° 15, p. 22 ; Usine de Chorzòw, fond, arrêt du 13 septembre 1928,CPJI, Série A, n° 17, pp. 37-38 ; Or monétaire pris à Rome en 1943, arrêt du 15 juin 1954, CIJ Recueil1954, p. 32.

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210 ACTIVITÉS ARMÉES SUR LE TERRITOIRE DU CONGO

Ces deux bases additionnelles de compétence mises à part, l’arrêt examine lesmoyens déjà invoqués au stade des mesures conservatoires. Avant même de sepencher sur les deux nouveaux chefs de compétence invoqués, la Cour a d’ailleurscommencé par évacuer, tout comme elle l’avait fait dans l’ordonnance de 2002 20,les moyens dont la RDC se prévalait dans sa requête sans les avoir jamais invoquéspar la suite ; ce à juste titre, dès lors que leur champ matériel était inapte à fonderla compétence de la Cour (cas de la convention des Nations Unies de 1947 sur lesprivilèges et immunités des institutions spécialisées) ou parce que le Rwanda n’yétait (et ne l’est toujours) pas partie (convention contre la torture de 1984).

La Cour a ensuite repris l’examen des clauses compromissoires qu’elle avaitamorcé dans son ordonnance pas loin de quatre ans plus tôt. Quoique de manièreplus étayée, aux mêmes arguments du Congo la CIJ a grosso modo apporté lesmêmes réponses. Ainsi, la Cour confirme « à seconde vue » que les conditionsprocédurales préalables au recours à la CIJ prévues par la convention sur ladiscrimination à l’égard des femmes (échec des négociations visant à résoudre ledifférend et échec d’une demande d’arbitrage ; saisine de la Cour après un délaide six mois à compter du dépôt de la demande d’arbitrage) n’ont pas été satis-faites (§§ 80-93) 21, pas plus que celles prévues dans les clauses compromissoiresde la constitution de l’OMS (§ 100), de l’acte constitutif de l’UNESCO (§ 108) et dela convention de Montréal pour la répression d’actes illicites dirigés contre lasécurité de l’aviation (§ 118). Au sujet de ces trois dernières conventions, la Coura néanmoins estimé à titre principal que la RDC n’avait pas réussi à établir dansquelle mesure elles trouveraient matériellement à s’appliquer en l’espèce 22.

Tout comme lors de la phase de l’urgence, la RDC se prévalait de clausescompromissoires bloquées par des réserves rwandaises dont elle entendaitcontester la validité. La Cour a été ainsi amenée à affûter sa motivation en lamatière.

Comme elle l’a fait dans son ordonnance de 2002 23, la Cour rappelle dansson arrêt de 2006 sa jurisprudence selon laquelle les droits et obligations consa-crés par la convention pour la prévention et la répression du crime de génocidede 1948 sont erga omnes 24, mais que « l’opposabilité d’une norme et la règle duconsentement à la juridiction sont deux choses différentes » 25 (§ 64). La RDC nes’étant pas placée sur le terrain des normes erga omnes mais sur celui desnormes impératives du droit international (jus cogens), la Cour opère une trans-position aux secondes de sa jurisprudence relatives aux premières 26 (« il en vade même… », § 64), pour en déduire que le caractère impératif de l’interdictiondu génocide ne remet pas en cause le consensualisme sur lequel repose la compé-tence de la Cour. En effet, reprenant mot pour mot son ordonnance de 2002, laCour réaffirme qu’elle « n’a de juridiction à l’égard des États que dans la mesureoù ceux-ci y ont consenti » 27 et que « [l]orsque sa compétence est prévue dansune clause compromissoire contenue dans un traité, cette compétence n’existequ’à l’égard des parties au traité qui sont liées par ladite clause, dans les limites

20. Ordonnance du 10 juillet 2002, §§ 60-62.21. Voy. cependant sur ce sujet la déclaration du juge Kooijmans et l’opinion individuelle du juge

Al-Khasawneh.22. Arrêt « Rwanda », respectivement § 99, § 107 et § 118.23. Ordonnance du 10 juillet 2002, § 71.24. Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, exceptions

préliminaires, arrêt du 11 juillet 1996, CIJ Recueil 1996, p. 616, § 31.25. Timor oriental, arrêt du 30 juin 1995, CIJ Recueil 1995, p. 102, § 29.26. Sur ce point voy. infra II, B, 2.27. Ordonnance du 10 juillet 2002, CIJ Recueil 2002, p. 102, § 57.

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stipulées par celle-ci » 28 (§ 64). Bref, la clause compromissoire ne vaut pas ergaomnes, pas plus qu’elle n’a de valeur impérative. C’est ce que rappelle d’ailleursla Cour au paragraphe 125 de son arrêt où, après avoir écarté en application duprincipe de non rétroactivité le chef de compétence tiré de l’article 66 de laconvention de Vienne sur le droit des traités en matière de différends relatifs àun conflit entre un traité et une norme impérative 29, elle rappelle que « le seulfait que des droits et obligations erga omnes ou des règles impératives du droitinternational général (jus cogens) seraient en cause dans un différend ne sauraitconstituer en soi une exception au principe selon lequel sa compétence reposetoujours sur le consentement des parties ». Il est vrai qu’autrement le prétoire dela Cour serait rapidement encombré par des plaideurs se contentant d’invoquerla violation de l’interdiction du recours à la force – norme impérative – pourfonder sa compétence 30. On peut certes le déplorer mais la Cour ne fait querendre compte de la décentralisation de l’ordre juridique international.

Bien que moins lapidairement mais ne faisant pas de l’absence d’objection dela RDC à la réserve du Rwanda un élément de la déduction 31, la Cour reprendégalement la solution qu’elle avait donnée dans son ordonnance de 2002 : lesréserves à la convention sur le génocide sont licites pour autant qu’elles sontcompatibles avec l’objet et le but de la convention. Or, pour la CIJ, tel est le cas dela réserve sur sa compétence émise par le Rwanda qui n’affecte pas les obliga-tions de fond de cet État touchant à l’interdiction du génocide 32 (§ 67). Ce faisant,la Cour a procédé à une appréciation objective de la validité de la réserve à sacompétence. Cette question a fait l’objet d’une opinion individuelle commune dela part des Juges Higgins, Koijmans, Elaraby, Owada et Simma, selon qui « ithad not been intended to suggest that the fact that a reservation relates to jurisdic-tion rather than substance necessarily results in its compatibility with the objectand purpose of a convention » 33. Les cinq juges semblaient en effet craindre quela manière dont la Cour avait formulé le paragraphe 67 de son arrêt ne prête àgénéralisation : au contraire, et de manière convaincante, les juges affirment quesont susceptibles d’être incompatibles avec l’objet et le but d’une convention, nonpas seulement les réserves sur des règles de fond (i.e. des règles primaires), maisaussi, selon les cas d’espèce, des réserves sur des règles de compétence dès lorsque celles-ci – et le raisonnement peut être étendu à d’autres règles secondaires –constitueraient un rouage essentiel de la convention.

28. Id., p. 245, § 71. 29. La RDC cherchait à se prévaloir de l’article 66 de la convention de Vienne sur le droit des traités

qui donne compétence à la CIJ pour les différends au sujet d’un conflit entre un traité (et par extensionles réserves à ce traité selon la RDC) et une norme impérative du droit international. Alors que dans sonordonnance de 2002 la Cour s’était déclarée prima facie incompétente ratione materiae (§ 75), dans sonarrêt de 2006, elle se situe sur le terrain de la non rétroactivité de la convention de Vienne, entrée envigueur entre les parties postérieurement aux conventions contre le génocide et contre la discriminationraciale. L’article 66 par ailleurs ne disposant pas d’une portée coutumière, la Cour refuse d’y voir un fon-dement à sa compétence (§ 125).

30. Voy. Christian TOMUSCHAT, « Commentaire de l’article 36 du statut de la CIJ », in AndreasZIMMERMMAN, Christian TOMUSCHAT et Karin OELLERS-FRAHM (éd), The Statute of the InternationalCourt of Justice – A Commentary, Oxford, Oxford University Press, 2006, p. 606, n° 25.

31. Cet élément est invoqué au surplus, « [s]’agissant du droit des traités », au paragraphe 68 del’arrêt.

32. La Cour constate d’ailleurs ensuite qu’elle a déjà donné effet à de telles réserves (§ 68) dans sesordonnances du 2 juin 1999 dans les affaires Licéité de l’emploi de la force concernant l’Espagne et lesÉtats-Unis d’Amérique.

33. Paragraphe 21 de l’opinion individuelle collective des juges Higgins, Kooijmans, Elaraby,Owada et Simma.

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Le club des cinq juges cherche d’ailleurs à orienter la Cour sur une voieprogressiste en avançant certains arguments tenant à l’importance de la CIJdans le système de la convention de 1948 34, de telle sorte qu’à l’avenir et dansd’autres circonstances, la Cour pourrait être amenée à juger que des réserves àl’article IX de la convention vont à l’encontre de l’objet et du but de celle-ci 35.Seulement, l’opinion reste très laconique et ô combien prudente 36, de telle sorteque les juges semblent se situer plus dans le domaine du wishfull thinking quedans celui du droit positif. À vrai dire, l’opinion traduit une sorte de mauvaiseconscience de la part des cinq membres de la Cour, qui résulte peut-être moins del’admission de la compatibilité de la réserve avec l’objet et le but de la conventionque de l’impossibilité à concilier l’impérativité de l’interdiction du génocide, fortélément d’intégration de l’ordre juridique international, avec les structuresdécentralisées de ce système juridique : « [i]t is a matter for serious concern thatat the beginning of the twenty-first century it is still for States to chose whetherthey consent to the Court adjudicating claims that they have committedgenocide », ne peuvent s’empêcher de déplorer les juges 37. Mais c’est buter denouveau sur le principe du consensualisme, au sujet duquel la Cour a par ailleursétabli qu’« il n’existe actuellement aucune norme [de droit international général]qui imposerait à un État de consentir à la compétence de la Cour pour régler undifférend relatif à la Convention sur le génocide » (§ 69).

Le raisonnement tenu au sujet des réserves à la convention sur le génocidevaut, selon la Cour, au sujet de la réserve rwandaise à la convention sur la discri-mination raciale. À titre principal, la Cour constate toutefois que la conventionprévoit en son article 20, § 2, qu’une réserve sera considérée comme étant incom-patible avec l’objet et le but de la convention « si les deux tiers au moins des Étatsparties à la convention élèvent des objections ». Un tel seuil n’ayant pas étéatteint, et la RDC n’ayant du reste pas objecté, la Cour considère, comme dansson ordonnance de 2002 38, que la réserve rwandaise ne saurait être regardéecomme étant incompatible 39 avec l’objet et le but de la convention sur la discrimi-nation raciale (§ 77).

Au stade des exceptions préliminaires, ce qu’elle n’avait pas fait au stade desmesures conservatoires, la RDC avançait l’argument selon lequel le Rwanda

34. Les juges notent que, tandis que ce sont les États et non la Cour qui sont chargés de sur-veiller le respect de la convention, l’article IX donne à l’État suspectant la commission d’un géno-cide par une autre partie l’opportunité de saisir la Cour. De plus, l’article IX ne mentionne passeulement les différends relatifs à l’interprétation et à l’application de la convention mais égale-ment ceux relatifs à son exécution (fulfilment). Enfin, les différends que la Cour est susceptible deconnaître en application de l’article IX incluent « ceux relatifs à la responsabilité d’un État enmatière de génocide » (opinion individuelle commune, § 28). Cf. l’opinion dissidente du jugeKoroma.

35. Paragraphe 28 de l’opinion individuelle collective. Voy. aussi Olivier DE FROUVILLE, op. cit.(note 18) p. 339, note 11, selon qui, selon les termes mêmes de la CIJ dans son avis consultatif du 28 mai1951 sur les Réserves à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (CIJRecueil 1951, p. 15), la convention a pour objet et pour but à la fois de « confirmer » et de « sanctionner »des principes de morale élémentaire. Selon l’auteur, « il semble évident qu’une réserve à l’article IXporte, à cet égard, gravement atteinte à l’objet et au but de “sanction” des principes substantielsétablis ».

36. On admirera la litote : « It is thus not self evident that a reservation to Article IX could not beregarded as incompatible with the object and purpose of the Convention » (§ 29).

37. Paragraphe 25 de l’opinion. Voy. aussi la suite du paragraphe et le paragraphe 26 : « Judicialsettlement of claims relating to genocide is highly desirable ».

38. Paragraphe 67 de l’ordonnance du 10 juillet 2002. Voy. à ce sujet Hélène RUIZ FABRI et Jean-Marc SOREL, Chronique in JDI, 2003, p. 869 au sujet de l’exigence de cette condition qui ne laissea priori aucun pouvoir d’appréciation à la Cour quant à la validité de la réserve sur le fond.

39. « [N]’apparaît pas incompatible » au paragraphe 67 de l’ordonnance du 10 juillet 2002.

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aurait levé ses réserves aux conventions sur le génocide et sur la discriminationraciale, à un double titre : d’une part en adoptant un décret-loi du 15 février 1995« levant toutes les réserves émises par la République rwandaise à l’adhésion, àl’approbation et à la ratification des instruments internationaux », d’autre parten déclarant par la voix de sa ministre de la justice devant la Commission desdroits de l’homme des Nations Unies que le Rwanda lèverait « prochainement »ses réserves aux instruments relatifs aux droits de l’homme (§§ 30 et s.). Cettedéclaration avait été prononcée trois ans après l’introduction de l’instance mais,conformément à sa jurisprudence 40, la Cour a estimé qu’elle ne devait pas sanc-tionner un défaut de procédure auquel la partie pourrait aisément porter remède,en déposant une nouvelle requête (§ 54).

Le premier point est l’occasion pour la Cour de réaffirmer l’autonomie réci-proque du droit interne et du droit international, i.e. le dualisme qui les caracté-rise. Elle coupe ainsi court aux arguments du Rwanda visant à contester la validitédu décret-loi en droit rwandais, estimant que « la question de la validité et de laportée de ce décret dans l’ordre juridique interne rwandais est différente de cellede sa portée dans l’ordre juridique international » (§ 41) 41. C’est une autremanière de dire qu’« [a]u regard du droit international […] les lois nationalessont de simples faits […] » 42. Or, pour produire ses effets en droit international,le retrait de la réserve doit être conforme aux procédures établies dans cet ordrejuridique, en l’espèce la notification aux autres États. La Cour n’ayant pasconnaissance de ce que le Rwanda aurait notifié le retrait de ses réserves auxdeux conventions au Secrétaire général des Nations Unies, par l’entremise duquel lanotification est transmise aux autres États (§ 43 et § 75), elle en conclut que ledécret-loi n’a pas emporté le retrait des réserves rwandaises.

La déclaration de la ministre de la justice invoquée par la RDC est parailleurs l’occasion pour la Cour de préciser sa jurisprudence relative à ce typed’actes unilatéraux. La CIJ rappelle que le chef de l’État, le chef du gouverne-ment et le ministre des affaires étrangères « sont réputés représenter l’État duseul fait de l’exercice de leurs fonctions » (§ 47) mais par ailleurs qu’il est « deplus en plus fréquent, dans les relations internationales modernes, que d’autrespersonnes représentant un État dans des domaines déterminés soient autoriséespar cet État à engager celui-ci, par leurs déclarations, dans les matières relevantde leurs compétence » (§ 47). Le temps est en effet loin où les seuls représentantsétatiques à avoir accès à la scène internationale étaient les chefs d’État, degouvernement et de la diplomatie. Ce faisant, la Cour s’adapte à l’évolution desréalités internationales en étendant la faculté d’engager l’État à des « titulairesde portefeuilles ministériels techniques » voire à « certains fonctionnaires » (§ 47).En matière de conclusion de traités, on notera que ces personnes demeurentnéanmoins astreintes à l’obligation de production de pleins pouvoirs, le droitcoutumier exprimé dans le paragraphe 2 de la convention de Vienne indiquantque seuls le chef d’État, le chef de gouvernement et le ministre des affaires

40. Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, exceptionspréliminaires, arrêt du 11 juillet 1996, arrêt précité, note 24, p. 613, § 26.

41. Cf. le « Guide de la pratique », in Rapport de la CDI à l’Assemblée générale sur le travail de sa57e session, A/60/10, directive 2.5.5 (« Absence de conséquence au plan international de la violation desrègles internes relatives au retrait des réserves ») : « Le fait qu’une réserve ait été retirée en violationd’une disposition du droit interne d’un État ou d’une organisation internationale concernant la compé-tence et la procédure de retrait des réserves ne peut être invoqué par cet État ou cette organisationcomme viciant ce retrait ».

42. Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise, fond, arrêt du 25 mai 1926, CPJI, SérieA, n° 7, p. 19.

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étrangères sont, de par leurs fonctions et sans avoir à produire de pleins pouvoirs,considérés comme représentant leur État.

En l’espèce, la Cour a considéré que le Rwanda pouvait être engagé par lesdéclarations de sa ministre de la justice devant la Commission des droits del’homme (§ 48). Cependant, conformément à sa jurisprudence dans l’affaire desEssais nucléaires 43, la Cour a examiné le contenu réel de la déclaration et lescirconstances dans lesquelles elle a été faite. De l’absence d’objet clair et précisainsi que du contexte de la déclaration (un exposé de politique générale), la Coura déduit à bon droit que la déclaration ministérielle n’engageait pas le Rwanda detelle manière que ses réserves en seraient levées.

Ainsi, c’est à l’aune du principe consensualiste que la Cour a rejeté sa compé-tence dans l’arrêt « Rwanda », sans se laisser impressionner par le contexte« impératif » dans lequel la RDC cherchait à faire baigner la question de lacompétence. Et pour ce faire, la Cour a suivi le chemin qu’elle avait commencé àtracer dans son ordonnance de 2002, confirmant de la sorte qu’« il y a dans l’affir-mation d’une compétence prima facie un effet de “préjugement” sur lequel il estdifficile de revenir » 44.

b) Recevabilité

Plusieurs questions de recevabilité ont été abordées par la CIJ dans lesaffaires des Activités armées, sans l’amener pour autant à énoncer des solutionsinédites en la matière.

Dans l’arrêt « Rwanda » de 2006, le fait pour la Cour de se déclarer incompé-tente l’a dispensée d’examiner les arguments relatifs à la recevabilité de larequête congolaise 45. Le différend soumis à la Cour n’étant pas de ceux dont ellepouvait connaître, il est logique qu’elle ne se soit pas intéressée à la question desavoir si elle était en mesure d’exercer sur celui-ci ses pouvoirs juridictionnels.Signe toutefois que la répartition matérielle entre compétence et recevabilitén’est pas stable 46, la Cour a examiné certaines exigences relevant traditionnelle-ment de la recevabilité (notamment l’existence d’un différend) au titre de sacompétence 47. Cette pratique, conforme à une jurisprudence aussi volumineuseque constante, s’explique dès lors que ces exigences constituent des conditions àla compétence de la Cour exprimées dans une clause compromissoire (§ 88).

Dans l’arrêt de 2005, l’Ouganda essayait de se prévaloir de l’absence deconsentement du Rwanda à la compétence de la Cour (qui à ce stade n’était dureste établie que prima facie) pour faire déclarer irrecevables les demandes de laRDC touchant à sa responsabilité relativement à des combats entre troupesougandaises et rwandaises sur le territoire congolais (§§ 196 et s.). L’Ougandainvoquait à cet effet le principe de la « tierce partie indispensable » ou principe ditde l’Or monétaire 48, que la Cour a rapidement écarté en transposant directementau cas d’espèce la solution qu’elle avait adopté dans l’arrêt Certaines terres à

43. Essais nucléaires, arrêt du 20 décembre 1974, CIJ Recueil 1974, pp. 269-270, § 51 ; Différend fron-talier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt du 22 décembre, CIJ Recueil 1986, pp. 573-574, §§ 39-40.

44. Hélène RUIZ FABRI et Jean-Marc SOREL, Chronique in JDI, 2003, p. 868.45. Paragraphe 126 de l’arrêt : « N’ayant pas compétence pour connaître de la requête, la Cour n’a

pas à statuer sur celle-ci ».46. Carlo SANTULLI, Droit du contentieux international, Paris, Montchrestien, 2005, p. 145, n° 255.47. Voy. notamment les paragraphes 89 et s. de l’arrêt relatifs à la convention sur la discrimination

à l’égard des femmes.48. Or monétaire pris à Rome en 1943, arrêt du 15 juin 1954, op. cit. p. 19 ; Timor oriental, arrêt du

30 juin 1995, précité note 25 p. 90.

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phosphates à Nauru 49 : estimant que les intérêts du Rwanda ne constituaientpas « l’objet même » de sa décision et que la détermination de la responsabilité duRwanda n’en était pas un préalable, la Cour a rejeté l’exception d’irrecevabilitéfondée sur l’absence du Rwanda à l’instance. Même si la différence de traitemententre l’Ouganda et le Rwanda, pourtant tous deux impliqués, peut troubler, lasolution de la Cour n’appelle pas de critique dans la mesure où « [l]orsqueplusieurs États sont responsables du même fait internationalement illicite,la responsabilité de chaque État peut être invoquée par rapport à ce fait » 50.

C’est la question des demandes reconventionnelles de l’Ouganda qui a conduitla Cour à s’aventurer le plus en avant sur le terrain de la recevabilité. Après avoiradmis que la RDC était en droit de contester à ce stade de la procédure la receva-bilité des demandes reconventionnelles, l’ordonnance rendue le 29 novembre 2001s’étant prononcée sur la recevabilité des demandes au regard seulement del’article 80 de son règlement 51 (§§ 270 et s.), la Cour a examiné les argumentscongolais relatifs à l’irrecevabilité des deux demandes ougandaises. La premièredemande a amené la Cour à constater que le comportement de l’Ouganda n’équi-valait pas à une renonciation à son droit d’invoquer la responsabilité internatio-nale de la RDC (à l’époque le Zaïre) pour des faits remontant au régime Mobutu.Rappelant de nouveau sa jurisprudence Certaines terres à phosphates à Nauru 52

et le commentaire par la CDI de l’article 45 du projet sur la responsabilité del’État 53, la Cour « fait observer que toute renonciation à des prétentions ou à desdroits doit ou bien être expresse, ou bien pouvoir être déduite sans équivoque ducomportement de l’État » (§ 293). La Cour estime de plus qu’en l’espèce, la longuepériode écoulée entre les faits invoqués et le dépôt de la demande ne rendait pas larequête irrecevable (§ 295). Malgré l’opportunisme perceptible de la demandeougandaise, la Cour a refusé de discerner dans l’attitude de cet État une sorted’estoppel par abstention, ce qui est une manière de protéger les droits de l’Étatsouverain, l’existence d’une renonciation à ceux-ci étant appréciée avec exigence.

Si elle a rejeté l’exception d’irrecevabilité émise au sujet de la premièredemande reconventionnelle 54, la Cour a partiellement admis celle relative à ladeuxième, invoquée pour faire obstacle aux allégations par l’Ouganda de mauvaistraitements infligés à des représentants du personnel diplomatique et à d’autresressortissants ougandais. Certes, la Cour commence par admettre que l’Ougandaest fondé à invoquer, même s’il ne l’a fait qu’au stade de sa duplique, la conventionde Vienne sur les relations diplomatiques. Et dès lors que l’Ouganda se fonde direc-tement sur cette dernière pour faire valoir ses droits, les arguments d’irrecevabilitétouchant à l’institution de la protection diplomatique sont rejetés par la Cour 55. En

49. Certaines terres à phosphates à Nauru, exceptions préliminaires, arrêt du 26 juin 1992, CIJRecueil 1992, pp. 261-262, § 55.

50. Article 47 des articles de la CDI sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illi-cite, Assemblée générale, Documents officiels, cinquante-sixième session, Supplément n° 10, (A/56/10).

51. Rappelant sa jurisprudence dans l’affaire des Plates-formes pétrolières (arrêt du 6 novembre2003, CIJ Recueil 2003, p. 210, § 105), la Cour a confirmé que « [l]’examen de la question de la recevabi-lité d’une demande reconventionnelle au regard de l’article 80 porte uniquement sur la question desavoir si cette demande est en connexité directe avec l’objet de la demande principale ; il ne constitue pasun examen global de sa recevabilité » (§ 273).

52. Certaines terres à phosphates à Nauru, exceptions préliminaires, arrêt précité note 49, pp. 247-250, §§ 12-21.

53. « S’il est possible d’inférer une renonciation du comportement des États concernés ou d’unedéclaration unilatérale, ce comportement ou cette déclaration doivent être sans équivoque » (A/56/10,p. 308). Le commentaire de l’article 45 se réfère lui-même à l’arrêt Certaines terres à phosphate à Nauru.

54. La Cour n’accèdera cependant pas à la demande sur le fond (§§ 297 et s.) Voy. infra II, A.55. Cf. Mandat d’arrêt du 11 avril 2000, arrêt du 14 février 2002, CIJ Recueil 2002, p. 17, § 40 ;

Avena et autres ressortissants mexicains, arrêt du 31 mars 2004, CIJ Rec. 2004, § 40.

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revanche, quand les faits allégués ne rentrent pas dans le cadre de cette conventionmais concernent des dommages à des personnes pour lesquelles l’Ouganda souhaite« prendre fait et cause » 56, les « conditions requises pour l’exercice de la protectiondiplomatique, telles qu’établies en droit international général » (§ 333) doivent êtresatisfaites. En l’absence de preuve que les personnes concernées étaient des ressor-tissants ougandais, et sans même se pencher sur la condition relative à l’épuisementdes voies de recours internes, la Cour estime que la demande de l’Ouganda sur cepoint n’était pas recevable (§ 333) 57. Ce problème d’absence de preuve relevé par laCour est d’ailleurs loin d’être isolé dans l’arrêt « Ouganda », au point qu’elle a étéamenée à apporter de précieuses indications procédurales en la matière.

2. La force probante

Tout comme ce fut le cas dans l’affaire des Activités militaires et paramili-taires au Nicaragua et contre celui-ci 58, le règlement judiciaire de l’affaire oppo-sant la RDC et l’Ouganda a comporté une dimension factuelle particulièrementimportante. Le litige se caractérisait en effet par les très nombreux points de désac-cord entre le Congo et l’Ouganda sur les modalités du déroulement des « activitésarmées » en territoire congolais. Se posaient alors de nombreux problèmes depreuve 59, touchant non pas à la question de la charge de la preuve ni même auxmoyens de preuve admissibles, mais relatifs à leur force probante.

Tenue de se prononcer sur les faits avant que de leur appliquer « les règlespertinentes du droit international » (§ 57), la Cour constate que cet exercice« implique nécessairement une évaluation des preuves » (§ 58). En l’espèce,demandeur et défendeur avaient semble-t-il privilégié la quantité (« une quantitéconsidérable de matériaux », § 58) au détriment de la qualité. Nombre de ces« matériaux » non seulement n’étaient pas probants, mais certains n’étaient mêmepas pertinents 60, ainsi que la Cour le déplore implicitement 61, tandis que parailleurs les deux parties avançaient des allégations qu’aucun élément de preuvene venait appuyer 62. Certes, la situation chaotique dans la région n’a sans doutepas favorisé l’établissement ni la récolte de moyens de preuve indiscutables par laRDC comme par l’Ouganda. Les juges ont sans doute gardé cette circonstance àl’esprit ; néanmoins, un certain agacement de la Cour est perceptible lorsqu’àplusieurs reprises, à la légèreté des parties elle oppose sa rigueur. Ainsi prend-ellela peine d’indiquer méthodiquement qu’« elle répertoriera les documents invoqués

56. CPJI, Mavrommatis, arrêt du 30 août 1924, Série A, n° 2, p. 12.57. Voy. à ce sujet l’opinion individuelle du juge Simma qui estime que la Cour n’en aurait pas

moins dû préciser que ces personnes demeuraient en tout état de cause et indépendamment de leurnationalité protégées par le droit international des droits de l’homme et le droit international humani-taire (§§ 17 et s.). Voy. supra II, A, 2.

58. Voy. Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, fond, arrêt du 27 juin1986, CIJ Recueil 1986, p. 38, § 57.

59. Cf. Pierre Michel EISEMANN, op. cit. note 9, pp. 162-164.60. Voy. par ex. le paragraphe 122 de l’arrêt.61. « La tâche de la Cour n’est pas seulement de trancher lesquels d’entre eux [les matériaux pro-

duits par les parties] doivent être considérés comme pertinents ; elle est aussi de déterminer ceux quirevêtent une valeur probante à l’égard des faits allégués » (§ 58).

62. Voy. par ex. le paragraphe 63 de l’arrêt, relativement à l’affirmation de l’Ouganda selon laquelleil aurait refusé l’invitation du Rwanda à unir ses forces aux siennes en vue de renverser le présidentKabila, au sujet de laquelle la Cour constate qu’« [a]ucune Partie n’a produit d’élément de preuve à cepropos ». Dans un sens voisin, voy. les paragraphes 64, 125, 140, 177, 249, 254, 301, 303, 304. Cf. dansl’arrêt Rwanda, le paragraphe 91 où la Cour constate que « [l]es éléments de preuve présentés à la Courn’ont pas permis d’établir à sa satisfaction que la RDC ait en fait cherché à entamer des négociationsrelatives à l’interprétation ou l’application de la convention [contre la discrimination à l’égard desfemmes] » (adde §§ 92, 100, 108).

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et se prononcera clairement sur le poids, la fiabilité et la valeur qu’elle juge devoirleur être reconnus » (§ 59).

Rares sont les règles (secondaires) de l’ordre juridique international enca-drant les moyens de preuve 63. Les juridictions internationales disposent en lamatière d’une pleine liberté d’appréciation. Les indications données par la Coursur la force probante des éléments avancés dans l’affaire « Ouganda » en sontd’autant plus précieuses. La Cour signale à ce titre qu’elle

« traitera avec prudence les éléments de preuve spécialement établis aux fins del’affaire ainsi que ceux provenant d’une source unique. Elle leur préférera desinformations fournies à l’époque des événements par des personnes ayant eu deceux-ci une connaissance directe. Elle prêtera une attention toute particulière auxéléments de preuve dignes de foi attestant de faits ou de comportements défavora-bles à l’État que représente celui dont émanent lesdits éléments (Activités mili-taires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unisd’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 41, par. 64). La Cour accorderaégalement du poids à des éléments de preuve dont l’exactitude n’a pas, mêmeavant le présent différend, été contestée par des sources impartiales. La Courrelève par ailleurs qu’une attention particulière mérite d’être prêtée aux élémentsde preuve obtenus par l’audition d’individus directement concernés et soumis à uncontre-interrogatoire par des juges rompus à l’examen et à l’appréciation degrandes quantités d’informations factuelles, parfois de nature technique » (§ 61).

Appliquant ces principes, la Cour refuse de conférer force probante à desdéclarations de ressortissants congolais recueillies dans un cadre et un contextequi « ne sauraient être tenus pour propices à l’impartialité », ou encore des décla-rations trop vagues (§ 298) ou recueillies de manière et dans des circonstancesnon indiquées 64 (§ 64). Le même sort est réservé à une cassette vidéo montrantun interrogatoire, sans traduction ni indication de la source (§ 65), à un rapportinterne non daté et non signé des services de renseignements ougandais (§ 128)ou à d’autres documents internes (§§ 133-134, 137, 298). Conformément à sajurisprudence, elle traite également « avec beaucoup de réserve » le témoignaged’un officier supérieur congolais dont il est à craindre qu’il « tendra vraisembla-blement à s’identifier aux intérêts de son pays » 65 (§ 65), ainsi qu’une déclarationpolitique du haut commandement ougandais (§ 129) et même la déclaration écritesous serment d’un ambassadeur (§ 129). Cette même prudence, la Cour la montreau sujet des informations puisées dans la presse, lorsqu’elles reposent sur unesource unique, intéressée ou inconnue 66 (§ 68, § 136). La Cour refuse encore de sefonder sur des cartes manquant de précision 67 (§ 75). Plus généralement, la Courne prend pas en compte des éléments qui ne sont « pas confirmés », qui « repos[ent]sur des informations de seconde main », qui ne disent pas ce que la partie leurfait dire, voire qui « revêt[ent] un caractère partisan » (§ 159).

63. Carlo SANTULLI, op. cit. (note 46), p. 529, n° 900.64. Sur la libre appréciation, selon les circonstances pertinentes, par le tribunal de la force pro-

bante de l’affidavit, cf. Commission des réclamations Grande-Bretagne/Mexique, Virginie Lessard Came-ron c. Mexique, décision n° 2 du 8 novembre 1929, RSA, vol. V, p. 30.

65. Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, fond, arrêt du 27 juin 1986,précité note 58, p. 43, § 70, au sujet du témoignage d’un membre du gouvernement d’un État partie à uneinstance devant la Cour.

66. La Cour se réfère à ce sujet à son arrêt du 24 mai 1980 (Personnel diplomatique et consulairedes États-Unis à Téhéran, CIJ Recueil 1980, p. 10, § 13) dans lequel elle a estimé que les informationspuisées dans la presse peuvent être utiles lorsqu’elles sont « d’une cohérence et d’une concordance totalesen ce qui concerne les principaux faits et circonstances de l’affaire ».

67. Cf. la sentence du 4 avril 1928, Ile de Palmas, RSA, vol. II, p. 853.

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En revanche, dès lors que ces éléments à faible valeur probante sont « invoquéspar l’autre partie » ou sont « corroborés par des sources impartiales et neutres », laCour semble prête à leur accorder un plus grand crédit 68. Tel est par exemple lecas de rapports internes ougandais dont la substance était confirmée par une décla-ration du département d’État des États-Unis (§ 139). De même, si la Cour estméfiante envers des déclarations spécialement établies pour l’espèce (§ 61 précité),elle se réfère sans grande hésitation à un livre de souvenirs écrit – hors de toutcontexte judiciaire – par le chef d’un mouvement armé (§§ 69, 156 et s.).

La Cour s’appuie aussi abondamment sur le rapport rendu par une commis-sion d’enquête judiciaire ougandaise (la « commission Porter ») dans la mesure oùil contient des éléments contraires aux intérêts de l’État dont ils émanent (§§ 79et s., 155, 238 et s.). Signe qu’aux modes de preuve émanant d’une seule partieelle préfère ceux qui impliquent les deux, la CIJ accepte de prendre en considéra-tion des notes diplomatiques échangées entre les deux États (§§ 335, 339) 69 ou unétat des lieux de l’ambassade ougandaise établi conjointement (§§ 336, 342). Elleaccorde un certain crédit à des rapports indépendants et publics provenantd’ONG (§§ 135, 209) et plus encore aux « éléments de preuve contenus danscertains documents de l’Organisation des Nations Unies dans la mesure où ils ontune valeur probante et sont corroborés, si nécessaire, par d’autres sourcescrédibles » (§ 205) 70. La Cour montre ainsi un attachement tout à fait particulierà l’impartialité et à la pluralité des sources des éléments de preuve 71.

Les longs développements de la Cour au sujet de la force probante des différentséléments qui lui ont été soumis débordent évidemment le cas d’espèce. Ils sont richesd’enseignements pour les États qui seront amenés à se présenter devant la Cour. Ence sens, ils viennent poser certains standards qualitatifs s’ajoutant aux restrictionsd’ordre plus quantitatif contenues dans l’« Instruction de procédure III » 72. Mais siguide de la force probante il y a, celui-ci concerne autant les plaideurs que la Courelle-même : les précisions apportées par l’arrêt « Ouganda » peuvent aussi être vuescomme un commencement d’encadrement de la liberté d’appréciation de la preuvepar le juge international. Pour peu que ces standards soient exploités en d’autrestemps (i.e. dans d’autres affaires devant la CIJ) 73 et en d’autres lieux (i.e. devantd’autres juridictions internationales) 74, la Cour aura contribué à l’enrichissementdes règles secondaires du droit international en ce domaine.

68. Interprétation a contrario du paragraphe 298 de l’arrêt (« Dans les circonstances de l’espèce, cesdocuments [internes ougandais] n’ont qu’une valeur probante réduite, car ils n’ont pas été invoqués parl’autre Partie ni corroborés par des sources impartiales et neutres »).

69. La Cour accorde une attention particulière à une note de protestation dont copie a été adresséeau Secrétaire général de l’ONU et à celui de l’OUA, sans que la RDC rejette les accusations qu’elle conte-nait (§ 335).

70. La Cour se réfère ainsi (§§ 206 et s.) de manière décisive aux rapports du Secrétaire général surla MONUC, aux rapports de la MONUC, aux rapports du rapporteur spécial de la Commission des droitsde l’homme, aux résolutions du Conseil de sécurité (§§ 150 et s.)

71. Critiquant la dépréciation par la Cour des preuves fournies par l’Ouganda, voy. l’opinion dissi-dent du juge TOMKA, §§ 2 et s.

72. L’Instruction III énonce : « La Cour a noté une tendance excessive à la multiplication et àl’allongement des annexes aux pièces de procédure. Elle demande instamment aux parties d’opérer unesélection rigoureuse des documents qu’elles annexent ». Cf. Daniel MÜLLER, Chronique in The Law& Practice of International Courts and Tribunals, 2006, vol. 5, n° 1, p. 206.

73. Voy. la plaidoirie de Thomas Franck dans l’affaire relative à l’Application de la convention pourla prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro),CR 2006/3, spéc. § 26.

74. Sur la prise en compte de la pratique juridictionnelle internationale dans l’appréciation de larecevabilité des moyens de preuve, voy. Commission générale des réclamations États-Unis/Mexique,G. L. Solis c. Mexique, 3 octobre 1928, RSA, vol. IV, p. 359 ; TPIY, Ch. 1re inst., Blaskic, jugement du3 mars 2000, ILR, vol. 122, p. 31, §§ 34-36.

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Il n’en demeure pas moins que la Cour ne retient pas nécessairement lesmêmes standards de preuve pour tous les types de litige. Ainsi, dans les diffé-rends territoriaux, elle « fait preuve » d’une plus grande flexibilité qu’en matièrede responsabilité internationale 75, domaine dont la Cour a par ailleurs appliquéles règles secondaires à l’espèce.

B. Le droit de la responsabilité internationale

Le premier, d’un point de vue chronologique, des deux arrêts rendus par laCIJ – l’arrêt « Ouganda » – est le seul à juger l’affaire sur le fond. Partant, c’est leseul à appliquer les règles secondaires du droit international relatives à laresponsabilité, dont il applique les normes relatives au fait générateur de laresponsabilité (1), tandis que les règles relatives à son contenu ne sont quepartiellement mises en œuvre à ce stade de la procédure (2). Signe que le droit dela responsabilité fait encore l’objet de tiraillements, dans les deux cas, la Cour sedémarque quelque peu de certaines des règles adoptées en 2001 par la Commis-sion du droit international dans ses articles sur la responsabilité de l’État pourfait internationalement illicite.

1. Le fait générateur de la responsabilité

Dans l’appréciation de la responsabilité respective de l’Ouganda et de laRDC, la CIJ a mis en œuvre les règles sur le fait générateur de la responsabilitéque la CDI a codifiées dans l’article 2 de ses articles sur la responsabilité de l’Étatpour fait internationalement illicite, selon lequel :

« Il y a fait internationalement illicite de l’État lorsque : a) un comportementconsistant en une action ou une omission est attribuable, d’après le droit interna-tional, à l’État ; et b) que ce comportement constitue une violation d’une obligationinternationale ».

La Cour a en l’espèce constaté plusieurs manquements au droit international.S’agissant de l’Ouganda, l’arrêt établit ainsi que cet État a violé la souverainetéet l’intégrité territoriale du Congo (§§ 148-165), qu’il a manqué aux obligations luiincombant en vertu du droit international des droits de l’homme et du droit inter-national humanitaire (§§ 205-221), ainsi qu’à celles interdisant les actes depillage et d’exploitation des ressources naturelles (§§ 237-250) ; qu’il a de plusmanqué de se conformer à l’ordonnance en indication de mesures conservatoiresrendue par la Cour le 1er juillet 2000 (§§ 262-265). La Cour a par ailleurs constatéque de son côté la RDC a violé les articles 22 et 29 de la convention de Vienne surles relations diplomatiques à la suite d’attaques contre l’ambassade ougandaise etde mauvais traitements infligés à des diplomates ougandais (§§ 306-344).

Dès lors que la question de l’attribution de ces actes à l’État prêtait à discus-sion, la Cour a appliqué les normes secondaires du droit international en lamatière. Elle a ainsi jugé que les actes et omissions des « Forces de défense dupeuple ougandais » (UPDF) étaient imputables à l’Ouganda en tant qu’actesd’organe de l’État, et partant qu’ils devaient être regardés comme des faits del’État (§§ 213, 243), sans que soit pertinente la question de savoir si les officiers etsoldats des UPDF avaient agi à l’encontre des instructions données ou avaient

75. Voy. Robert KOLB, « General Principles of Procedural Law », in Andreas ZIMMERMAN, ChristianTOMUSCHAT et Karin OELLERS-FRAHM (Ed.), The Statute of the International Court of Justice. A Com-mentary, op. cit., note 30, p. 830, n° 62.

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outrepassé leur mandat (§§ 214, 243). Inversement, elle a considéré, au sujet duMouvement de libération du Congo (MLC), que

« le comportement du MLC n’était ni celui d’un “organe” de l’Ouganda (article 4 duprojet d’articles de la Commission du droit international sur la responsabilité del’État pour fait internationalement illicite (2001)), ni celui d’une entité exerçantdes prérogatives de puissance publique pour son compte (article 5). La Cour acherché à déterminer si le MLC avait agi “sur les instructions ou les directives ousous le contrôle de” l’Ouganda (article 8) et estime ne disposer d’aucun élémentprobant que tel était le cas. Point n’est donc besoin, en l’espèce, de se poser laquestion de savoir s’il est satisfait aux critères requis pour considérer qu’un degréde contrôle suffisant était exercé à l’égard de paramilitaires (voir Activités mili-taires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unisd’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 62-65, par. 109-115) » (§ 160).

Elle a estimé de même que, faute de preuves en ce sens, les attaques des« Forces démocratiques alliées » (FDA) contre l’Ouganda n’étaient pas attribua-bles à la RDC (§§ 131-135, 146), ce qui s’opposait à ce que la Cour considère quel’Ouganda ait agi en état de légitime défense 76. Seulement, dans le cas des FDA,la Cour n’a pas appliqué les règles d’attribution du droit de la responsabilitéinternationale (c’est au regard des éléments de preuve en sa possession qu’elle aspontanément déduit que les attaques n’étaient pas attribuables à la RDC), demême qu’elle n’a pas envisagé la légitime défense en tant que « circonstanceexcluant l’illicéité ».

La légitime défense, tout comme le consentement de la victime dudommage, tous deux invoqués en l’espèce par l’Ouganda pour justifier sesactions, font en effet partie des six cas de circonstances excluant l’illicéitéretenus par la CDI dans ses articles sur la responsabilité de l’État pour faitinternationalement illicite 77. La logique de la CDI aurait donc voulu que laCour établisse dans un premier temps l’illicéité du comportement de l’Ougandasur le territoire congolais avant que d’examiner si certaines circonstancesvenaient « neutraliser » 78 la violation constatée de ses obligations. C’est d’ail-leurs la démarche qu’elle avait suivie dans son arrêt Activités militaires et para-militaires au Nicaragua et contre celui-ci 79. Or, en l’espèce, la Cour s’est saisieimmédiatement, pour les rejeter, des arguments relatifs au consentement (§§42-54) et à la légitime défense (§§ 106-147), et n’a établi qu’ensuite la violationde l’interdiction du recours à la force (§§ 148-165) 80. Faute d’avoir préalable-ment établi l’illicéité, la Cour ne semble donc pas raisonner en termes decirconstances excluant celle-ci.

L’ordre suivi par la Cour est compréhensible dans la mesure où l’usage de laforce en légitime défense est en soi licite : il s’agit d’une exception à l’interdictiondu recours à la force et non à proprement parler une circonstance excluant l’illi-céité. En d’autres termes, la Cour a traité ici la légitime défense en tant que règle

76. Sur cette question, voy. infra II, A.77. Selon l’article 20 du texte, « [l]e consentement valide de l’État à la commission par un autre

État d’un fait donné exclut l’illicéité de ce fait à l’égard du premier État pour autant que le fait restedans les limites de ce consentement », tandis que l’article 21 énonce : « L’illicéité du fait de l’État estexclue si ce fait constitue une mesure licite de légitime défense prise en conformité avec la Charte desNations Unies ».

78. Voy. Patrick DAILLIER, Alain PELLET, Droit international public (Nguyen Quoc Dinh), Paris,LGDJ, 2002, 7e éd., p. 783, n° 480.

79. Arrêt du 27 juin 1986, précité note 58, pp. 118 et s., §§ 227 et s.80. Sur l’ordre suivi par la Cour, voy. la déclaration du juge Tomka, §§ 10-12 et Philippe WECKEL,

Chronique, in RGDIP, 2006, p. 177, n° 7.

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primaire (au même titre que l’interdiction du recours à la force dont elle constitueune restriction), alors que les articles de la CDI l’envisagent en tant que règlesecondaire (une circonstance excluant l’illicéité), ce qui ne va pas sans soulevercertains problèmes d’articulation entre droit de la Charte et droit de la responsa-bilité 81, alors même que l’article 59 du texte de la CDI prévoit que « [l]es présentsarticles sont sans préjudice de la Charte des Nations Unies ».

Le même raisonnement s’applique mutatis mutandis à la question du consen-tement, que la Cour semble avoir également envisagé en tant que norme primaireconstitutive d’une exception à l’interdiction du recours à la force. Une telleapproche n’est pas en soi révolutionnaire dans la mesure où le droit internationalautorise, en vertu du principe de souveraineté, les interventions sollicitées 82,mais elle ne va pas sans prêter le flanc à la critique en ce qu’elle contribue àouvrir la boîte de Pandore des exceptions au recours à la force – l’interventionsollicitée, et a fortiori seulement consentie, n’est pas mentionnée par la Chartedes Nations Unies, sauf à la faire rentrer dans le cadre de la légitime défensecollective.

Mais ce faisant, la Cour préserve l’effet utile de l’article 26 des articles de laCDI (« respect des normes impératives »), tout en mettant en évidence lesproblèmes soulevés par son articulation avec les articles 20 et 21 qui font duconsentement et de la légitime défense des circonstances excluant l’illicéité. Eneffet, l’article 26, pénultième du chapitre consacré aux « circonstances excluantl’illicéité », prévoit qu’« [a]ucune disposition du présent chapitre n’exclut l’illicéitéde tout fait de l’État qui n’est pas conforme à une obligation découlant d’unenorme impérative du droit international général ». Dès lors, et dans la mesure oùl’interdiction du recours à la force relève du jus cogens 83, le fait que la Cour traitela question du consentement ainsi que celle de la légitime défense en tant quenormes primaires constitutives d’exceptions à l’interdiction du recours à la forcelui évite de considérer, ce qui serait en contradiction avec l’article 26, que leconsentement et la légitime défense constituent des circonstances excluant l’illi-céité susceptibles de « couvrir » la violation d’une norme impérative du droitinternational.

2. Les conséquences du fait internationalement illicite

Ayant constaté plusieurs manquements au droit international, la Cour meten œuvre les règles secondaires du droit de la responsabilité relatives aux consé-quences juridiques du fait internationalement illicite.

Ainsi, elle n’accède pas à la demande congolaise de dire et juger quel’Ouganda était dans l’obligation de cesser tout fait illicite continu 84, faute depreuve de la continuité de ce fait (§ 254). De plus, de la même manière que dansles arrêts Lagrand et Avena elle a considéré que « l’engagement des États-Unisd’assurer la mise en œuvre des mesures spécifiques adoptées en exécution deleurs obligations au titre de [la convention de Vienne sur les relations consulairesde 1963] doit être considéré comme satisfaisant à la demande [de l’État lésé]

81. Voy. Denys ALLAND, « La légitime défense et les contre-mesures dans la codification du droitinternational de la responsabilité », JDI, 1983, pp. 728-762 ; Mathias FORTEAU, Droit de la sécurité col-lective et droit de la responsabilité internationale de l’État, Paris, Pedone, 2006, pp. 405 et s.

82. Voy. Patrick DAILLIER, Alain PELLET, op. cit. (note 78), pp. 952-953, n° 570.83. Voy. Nico SCHRIJVER, Commentaire de l’article 2, § 4, in Jean-Pierre COT, Alain PELLET,

Mathias FORTEAU (dir.), La Charte des Nations Unies. Commentaire article par article, Paris, Econo-mica, 2005, 3e édition, vol. I, pp. 459 et s. et les références citées.

84. Voy. l’article 30 des articles de la CDI.

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visant à obtenir une assurance générale de non répétition » 85, la Cour estime queles engagements pris par l’Ouganda dans un accord tripartite (RDC, Rwanda,Ouganda) relatif à la sécurité dans la région des Grands Lacs « satisfont à lademande de la RDC tendant à obtenir des garanties et assurances de non-répéti-tion spécifiques » (§ 257) 86. Ce faisant, la CIJ persiste, semble-t-il, à envisager lesassurances et garanties de non répétition comme une forme de satisfaction, alorsque les articles de la CDI prennent le soin de distinguer cette question de la répa-ration stricto sensu 87.

D’ailleurs, la frontière entre la satisfaction et les autres formes de réparationa pu paraître légèrement brouillée par le fait qu’à ce stade de la procédure, la RDC« se content[ait] de demander une déclaration générale de la Cour établissant leprincipe que réparation est due » (§ 258), ce à quoi la Cour a consenti : après avoirlapidairement constaté que les faits internationalement illicites de l’Ouganda ontcausé un préjudice à la RDC, elle « déclare que [l’Ouganda] est tenu de réparerledit préjudice en conséquence » (§ 259), tout en se réservant le droit de déter-miner la nature, les formes et le montant de la réparation en l’absence d’accordentre les parties à ce sujet (§ 260). De même, s’agissant de la deuxième demandereconventionnelle de l’Ouganda relative à la violation du droit diplomatique par leCongo, la Cour s’est limitée à « déclarer que la responsabilité de la RDC estengagée », tout en réservant à une éventuelle phase ultérieure la fourniture des« éléments de preuve établissant les circonstances particulières de ces violations,les dommages précis par l’Ouganda et l’étendue de la réparation à laquelle il adroit » (§ 344).

Ces deux « déclarations » par le juge international pourraient évoquer laforme particulière de réparation morale que constitue la satisfaction. Toutefois,elles ne portent pas (seulement) sur l’illicéité des actes incriminés 88 mais biensur le principe d’une réparation due, tant et si bien qu’il ne fait aucun doutequ’elles ne constituent pas en elles-mêmes la réparation mais bien la premièreétape avant celle-ci 89. On notera du reste que la question du dommage est à peineeffleurée par la Cour – elle se contente à ce stade d’en établir l’existence primafacie –, ce qui confirme, si besoin était, que le préjudice ne constitue pas unélément nécessaire à la naissance même de la responsabilité mais qu’il intervientplutôt au niveau des conséquences à tirer de cette responsabilité.

La Cour semble encore se situer dans l’orbite de la satisfaction lorsque, aprèsavoir rappelé le caractère obligatoire des ordonnances en indication de mesuresconservatoires 90 (§ 263), elle se borne à constater le non respect par l’Ouganda de

85. LaGrand, arrêt du 27 juin 2001, CIJ Recueil 2001, pp. 512-513, § 124 ; Avena et autres ressor-tissants mexicains, arrêt précité, note 55, § 150. Voy. Myriam BENLOLO-CARABOT, « L’arrêt de la Courinternationale de Justice dans l’affaire Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. États-Unisd’Amérique) du 31 mars 2004 », cet Annuaire, 2004, pp. 288-289 ; Laurence DUBIN, « Les garanties denon répétition à l’aune des affaires LaGrand et Avena : la révolution n’aura plus lieu », RGDIP, 2005,pp. 859-887.

86. La Cour ajoute qu’elle « attend et exige des Parties qu’elles se conforment aux obligations quileur incombent en vertu de cet accord et du droit international général (§ 257).

87. Voy. l’article 30 des articles de la CDI et son commentaire, spéc. § 11, et l’article 37 et son com-mentaire, spéc. § 5. Adde James CRAWFORD, Troisième rapport, A/CN.4/507, § 57 ; Quatrième rapport,A/CN.4/517, § 32.

88. Cf. S.A. du 6 mai 1913, affaires du Carthage et du Manouba, RSA, vol. IX, p. 472 ; CIJ, Détroitde Corfou, arrêt du 15 décembre 1949, CIJ Recueil 1949, p. 36 ; CIJ, LaGrand, arrêt précité note 85,2001, p. 508, § 116.

89. Contestant la nature dite « déclaratoire » de la décision et examinant les limites « qui s’impo-sent aux Parties lorsqu’elles entendent ainsi dissocier le principe d’une condamnation de ses implica-tions concrètes », voy. la déclaration du juge ad hoc Verhoeven.

90. CIJ, LaGrand, arrêt du 27 juin 2001, arrêt précité, note 85, p. 506, § 109.

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l’ordonnance du 1er juillet 2000, sans en tirer d’autres conséquences juridiques, nimême réserver cette question à un autre stade de la procédure (§ 264) – il est vraique, tout comme l’Allemagne dans l’affaire Lagrand, la RDC n’émettait pasd’autres demandes au sujet de cette violation 91.

Enfin, on remarquera que si la Cour évite de qualifier d’agression les actes del’Ouganda 92, elle n’en constate pas moins que « [l]’intervention militaire illicite del’Ouganda a été d’une ampleur et d’une durée telles que la Cour la considère commeune violation grave de l’interdiction de l’emploi de la force énoncée au paragraphe 4de l’article 2 de la Charte des Nations Unies » (§ 165, it. aj.). Dès lors que cetteinterdiction ressortit au jus cogens 93, le constat par la Cour du caractère « grave »de ces violations ouvre potentiellement la porte à la mise en œuvre par celle-ci durégime juridique applicable aux « violations graves d’obligations découlant denormes impératives du droit international général » prévu au chapitre III des arti-cles de la CDI sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite 94.Seulement, les conséquences particulières qui découlent de telles violations concer-nent moins l’État lésé que les États tiers (obligation de coopération pour y mettrefin, obligation de non reconnaissance et de ne prêter ni aide ni assistance au main-tien de la situation) 95, de telle sorte qu’il est peu probable que la Cour soit amenéeà mettre en œuvre ce régime spécifique dans la suite de la procédure.

S’agissant des règles secondaires mises en œuvre dans les arrêts relatifs auxaffaires des Activités armées sur le territoire du Congo, les tiraillements que connaîtl’ordre juridique international entre centralisation et décentralisation ont été solu-tionnés par la Cour dans ce second sens, ce qui ne jure pas, il faut l’admettre, avecl’état actuel de la société internationale et du droit qui lui est applicable. En parti-culier, la Cour ne s’est pas laissée abuser par le mirage séduisant mais irréalisted’un ordre juridique international à ce point intégré qu’elle pourrait se dispenserdu consentement des États à sa juridiction, même lorsque sont impliquées desnormes de caractère impératif. Si la Cour n’a pu se prononcer en termes de respon-sabilité que dans l’arrêt « Ouganda », elle a néanmoins affirmé dans l’arrêt« Rwanda » que « les États sont tenus de se conformer aux obligations qui sont lesleurs en vertu de la Charte des Nations Unies et des autres règles du droit interna-tional […] et demeurent responsables des actes contraires au droit interna-tional qui pourraient leur être attribués » (§ 127) 96. Palliatif à son incompétence etpartant, à son incapacité à examiner la responsabilité du Rwanda, elle n’a pu quese contenter de rappeler les obligations primaires des deux États sans pouvoir enassurer la « sanction », au risque d’exercer une fonction qui n’est pas la sienne 97.

91. Id., § 116. 92. Voy. infra II, A, 1, c.93. Voy. Nico SCHRIJVER, op. et loc. cit. (note 84).94. Selon l’article 40, § 2, des articles de la CDI, « [l]a violation d’une telle obligation est grave si elle

dénote de la part de l’État responsable un manquement flagrant ou systématique à l’exécution del’obligation ».

95. Voy. l’article 41 des articles de la CDI.96. Cf. le paragraphe 221 de l’arrêt « Ouganda » : « si elle s’est prononcée sur les violations du droit

international relatif aux droits de l’homme et du droit international humanitaire commises par les forcesmilitaires ougandaises sur le territoire congolais, [la Cour] observera cependant que les actes commispar les diverses parties à ce conflit complexe que connaît la RDC ont contribué aux immenses souffran-ces de la population congolaise. La Cour est profondément consciente que de nombreuses atrocités ontété commises au cours du conflit. L’ensemble des protagonistes de ce conflit ont tous le devoir de soutenirle processus de paix en RDC ainsi que d’autres plans de paix dans la région des Grands Lacs, afin que lerespect des droits de l’homme y soit garanti ».

97. Cf. les obiter dicta contenus dans les paragraphes 56 et 93 de l’ordonnance du 10 juillet 2002 etles critiques auxquels ils ont donné lieu (références citées note 6).

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C’est ainsi l’arrêt « Ouganda » qui est le plus riche d’apports quant à la portée desrègles primaires du droit international impliquées dans l’affaire des Activitésarmées sur le territoire du Congo.

II. – LES RÈGLES PRIMAIRES DANS LES ARRÊTSSUR LES ACTIVITÉS ARMÉES

Dans l’arrêt « Ouganda », la Cour a été amenée par les faits de l’espèce etl’argumentaire des parties à examiner de nombreuses règles primaires du droitinternational (i.e. des règles déterminant les droits et obligations qui dictent laconduite des sujets du droit international 98). À ce titre, elle s’est plus particulière-ment prononcée sur le contenu des droits et obligations des États dans le domainedu droit des conflits armés lato sensu 99, incluant jus ad bellum et jus in bello, sanséchapper à certaines controverses touchant à la portée de ces règles (A).

Consacré à la question de la compétence de la Cour, l’arrêt « Rwanda » ne seprononce que très incidemment sur des règles primaires de l’ordre juridiqueinternational. Il n’en aborde pas moins de front, et pour la première fois, la ques-tion du jus cogens, tandis que l’arrêt « Ouganda » met en œuvre des obligationsqui ne lui sont pas étrangères. Dès lors, le contenu du droit international impé-ratif peut être réévalué à la lumière des deux arrêts (B).

A. Le droit des conflits armés

Pour se prononcer sur la responsabilité de l’Ouganda, et reconventionnelle-ment sur celle de la RDC, la Cour a examiné le respect par ces deux États desnormes primaires qui leur incombaient et s’est prononcée, le cas échéant, sur leurportée. L’arrêt « Ouganda » contient ainsi certains apports touchant au droit de lapaix (1) et au droit « dans » la guerre (2).

1. Le jus ad bellum

S’agissant du droit de la paix – jus ad bellum ou plutôt jus contra bellum 100 –la Cour examine trois questions principales, qui sont autant d’ouvertures surd’autres règles primaires du droit international 101 : le consentement (a), la légi-time défense (b), et le recours à la force (b).

a) Le consentement

L’Ouganda prétendait qu’à partir de l’arrivée de Laurent-Désiré Kabila aupouvoir en mai 1997, la RDC avait donné son consentement à la présence detroupes ougandaises sur son territoire et que si ce consentement avait été retiréen 1998, il lui avait par la suite été implicitement renouvelé en 1999 par la signa-ture d’accords de désengagement (§ 43). La Cour s’est de ce fait penchée surl’existence d’un tel consentement, qu’elle a apprécié avec une certaine rigueur.

98. Voy. supra introduction.99. Voy. Éric DAVID, Principes de droit des conflits armés, Bruxelles, Bruylant, 2002, 3e édition,

p. 69, n° 1.1.100. Id., p. 73, n° 1.8.101. Sur l’appréhension par la CIJ du consentement et de la légitime défense en tant que normes

primaires du droit international, voy. supra I, B, 1.

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Elle a ainsi constaté que dans un premier temps, la RDC ne s’était pasopposée à la présence et aux activités de troupes ougandaises dans la zone fronta-lière de l’est du pays afin de lutter contre les forces antigouvernementales s’ytrouvant (§ 45). Toutefois, ce consentement reposant sur une « absenced’objection » (§ 46) de la RDC, celle-ci était en mesure de le retirer à tout moment,« sans formalité particulière » (§§ 47, 51), retrait qui pouvait assurément prendrela forme d’une déclaration présidentielle officielle, même si celle faite dans le casprésent par le président Kabila était passablement ambiguë (§ 51) 102. Aux yeuxde la Cour, le consentement avait expiré au plus tard lors du sommet de VictoriaFalls, lorsque la RDC avait accusé l’Ouganda et le Rwanda d’avoir envahi sonterritoire (§ 53), le retrait ayant en l’occurrence pris la forme d’une requête auprèsde la Communauté pour le développement de l’Afrique australe par laquelle leCongo demandait la condamnation de l’agression dont il était victime (§ 33).

La Cour a également interprété de manière restrictive l’accord de Lusaka,estimant que le modus operandi qu’il contenait, fixant un cadre pour le retraitordonné de toutes les forces étrangères de la RDC, n’équivalait pas à un consente-ment du Congo à la présence de troupes ougandaises (§ 99). La Cour a adopté lamême solution au sujet des accords successifs de désengagement et de cessez-le-feu conclus entre les deux parties. Peut-être eût-il été plus convaincant de consi-dérer que ces accords validaient implicitement la présence ougandaise le tempsqu’elle se désengage 103, mais que l’étendue du consentement ne couvrait pas lesactions attribuables à l’Ouganda. Au sujet du consentement exprimé pour lapériode antérieure à 1998, la Cour a en effet relevé que l’Ouganda était tenu derespecter les restrictions apportées « en ce qui concerne la localisation destroupes ou les objectifs visés » (§ 52), ce qu’il n’avait pas fait aux yeux des juges(§ 111). La Cour aurait pu tout autant transposer ce raisonnement au sujet desaccords conclus entre les parties.

La position de la Cour est ainsi très protectrice de l’État dont le consente-ment est invoqué, ce qui se justifie dans la mesure où toute exception au principede l’interdiction de l’intervention se doit d’être interprétée strictement 104, à plusforte raison lorsque la présence de troupes étrangères n’est pas sollicitée maisseulement consentie.

b) La légitime défense

L’argumentation de l’Ouganda pour justifier ses actions militaires en terri-toire congolais pendant le laps de temps (entre 1998 et 1999) au sujet duquel il nese prévalait pas du consentement du Congo, consistait à invoquer un état de légi-time défense 105, conformément à l’article 51 de la Charte des Nations Unies quireconnaît expressément un « droit naturel de légitime défense, individuelle etcollective, dans le cas où un membre des Nations Unies est l’objet d’une agressionarmée ». La Cour a ainsi cherché à savoir s’il pouvait « être établi, à titre deproposition générale, que l’Ouganda était en droit d’agir en légitime défense enRDC » (§ 118). Force est de constater que dans l’examen de cette question, la Coura manqué de pédagogie à un triple titre : dans l’appréciation des éléments de

102. Cf. supra I, A, 1, au sujet de la portée juridique des déclarations examinée dans l’arrêt« Rwanda ».

103. Voy. l’opinion individuelle du juge Parra-Aranguren, §§ 8 et s.104. Voy. Patrick DAILLIER, Alain PELLET, Droit international public (Nguyen Quoc Dinh), op. cit.,

note 78, p. 952, n° 570.105. La Cour constate cependant certains enchevêtrements des actions militaires sur les périodes

censées être alternativement couvertes par le consentement et la légitime défense (voy. §§ 112-113).

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preuve factuels, pour le moins confuse (i) ; dans son omission à se prononcer surla question de la légitime défense préventive, alors qu’elle aurait eu moyen des’en saisir (ii) ; dans l’ambiguïté qui caractérise l’énoncé de sa solution (iii).

i) La confusion est visible dans la tentative de la Cour de démêler les faits quilui sont présentés, il est vrai complexes et posant au surplus de nombreuxproblèmes de preuve 106. Mais en ne faisant pas le « tri » parmi les argumentsfactuels avancés tous azimuts par l’Ouganda pour justifier de son état de légitimedéfense, arguments qui se recoupaient dans une certaine mesure, la Cour amanqué de clarté, à plus forte raison dès lors que les arguments factuels avancésétaient en partie conditionnés par la définition juridique de la légitime défense,abordée par la Cour seulement en fin d’analyse. De l’examen quelque peuembrouillé des divers éléments de preuve examinés, il ressort cependant quel’Ouganda n’est pas parvenu à établir que le Soudan avait pris part directementou indirectement à des attaques transfrontières contre lui (§ 130) 107, ni mêmeque la RDC était impliquée dans les attaques, bien réelles, commises par lesrebelles du FDA (§§ 131-140).

ii) Tout comme dans l’arrêt Activités militaires et paramilitaires au Nicaraguaet contre celui-ci 108, la Cour n’estime pas nécessaire de se prononcer sur la ques-tion de la légitime défense préventive, l’Ouganda ayant insisté sur le fait que sonopération Safe Haven « ne constituait pas un emploi de la force visant à prévenirune attaque qu’il anticipait » (§ 143). La Cour ne peut toutefois pas s’empêcher deconstater la nature « essentiellement […] préventive » (§ 143) que le hautcommandement ougandais avait donné à cette opération 109, tant et si bien qu’unobiter dictum sur la légitime défense préventive aurait eu toute sa place dans leprésent arrêt. La tendance est en effet à l’extension du champ de la légitimedéfense 110. Une prise de position de la Cour internationale de Justice sur cetteévolution, dans un sens ou dans l’autre, aurait certainement pesé de manièredécisive sur le débat. Les probables tiraillements au sein même de la CIJ, parmises membres, sur cette question brûlante, expliquent peut-être le manqued’audace de la Cour 111.

iii) C’est au niveau de la solution donnée à la question de la légitimedéfense que l’arrêt « Ouganda » appelle le plus de commentaires. Non pas parceque celle-ci est en soi juridiquement erronée, mais parce que, étant formuléed’une manière pour le moins équivoque, elle autorise une éventuelle évolutionjurisprudentielle.

Pour établir que l’Ouganda n’était pas dans une situation de légitimedéfense, la Cour commence par observer qu’il n’avait pas porté à la connaissancedu Conseil de sécurité les événements lui imposant d’exercer son droit de légitimedéfense, alors que l’article 51 de la Charte prévoit que « [l]es mesures prises par

106. Voy. supra I, A, 2.107. À noter cependant que, sans craindre la contradiction, la Cour prend note quelques paragra-

phes plus loin d’un « rapport indépendant [qui] semble donner à entendre qu’il y aurait un certain sou-tien soudanais aux activités des FDA » (§ 135).

108. Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, arrêt du 27 juin 1986,précité, note 58, p. 103, § 194.

109. Voy. le document ougandais intitulé « Position du haut commandement sur la présence desUDPF en RDC », reproduit au paragraphe 109 de l’arrêt.

110. Voy. Un monde plus sûr : notre affaire à tous. Rapport du Groupe de personnalités de hautniveau sur les menaces, les défis et le changement, doc UN A/59/565, §§ 188 et s. Adde, sur la question dela légitime défense préventive, Antonio CASSESE, commentaire de l’article 51, in Jean-Pierre COT, AlainPELLET, Mathias FORTEAU (dir.), La Charte des Nations Unies. Commentaire article par article, op. cit.note 83, vol. I, pp. 1335-1343, spéc. pp. 1341-1343.

111. Cf. Philippe WECKEL, Chronique précitée, note 2, p. 178, n° 10.

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des Membres dans l’exercice de ce droit de légitime défense sont immédiatementportées à la connaissance du Conseil de sécurité ». Certes, la notification auConseil ne conditionne pas le « droit naturel de légitime défense » 112, mais il n’endemeure pas moins que son absence ne joue pas en faveur de l’État qui veut justi-fier ses actions armées en invoquant l’article 51 de la Charte 113.

La Cour relève ensuite que l’Ouganda ne prétend pas réagir à une agressiondes forces régulières congolaises, mais à une « agression armée » des rebelles des« Forces démocratiques alliées » (FDA). Or, pour la Cour, ces attaques ne sont pasattribuables à la RDC, faute de preuve d’implication directe ou indirecte de celle-ci (§ 146), ce dont elle déduit que « les conditions de droit et de fait justifiantl’exercice d’un droit de légitime défense par l’Ouganda à l’encontre de la RDCn’étaient pas réunies » (§ 147).

Si la Cour s’en était arrêtée là, son appréciation de la légitime défensen’aurait guère prêté à de longues discussions. La CIJ semble en effet indiquerque le droit de réagir par la force est conditionné par un acte d’agression attri-buable à un État, mais qu’il est exclu lorsque l’attaque émane de groupes armésautonomes par rapport à celui-ci 114. Ainsi, la Cour se réfère expressément à larésolution 3314 (XXIX) adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le14 décembre 1974, dont l’article 1er définit l’agression comme « l’emploi de laforce armée par un État contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indé-pendance politique d’un autre État […] » (italiques ajoutés). L’arrêt constateainsi que les attaques des FDA « n’étaient pas le fait de bandes armées ou deforces irrégulières envoyées par la RDC ou en son nom, au sens de l’article 3 g)de la résolution 3314 (XXIX) » (§ 146) 115. À ce stade, l’arrêt « Ouganda » paraîtdonc s’inscrire dans le droit fil de l’arrêt sur les Activités militaires et paramili-taires au Nicaragua et contre celui-ci qui s’était appuyé sur la même disposi-tion de la résolution 3314 pour admettre qu’une agression armée pouvaitrésulter d’une action militaire menée par des forces irrégulières envoyées parun État ou en son nom 116. L’origine nécessairement étatique de l’agression aplus récemment été confirmée par l’avis consultatif sur les Conséquences juri-diques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, quiénonce que « [l]’article 51 de la Charte reconnaît […] l’existence d’un droitnaturel de légitime défense en cas d’agression armée par un État contre unautre État » 117.

Seulement, la Cour ajoute, de manière quelque peu énigmatique, qu’« [e]nconséquence, elle n’a pas à se prononcer sur les arguments des Parties relatifs àla question de savoir si et à quelles conditions le droit international contempo-rain prévoit un droit de légitime défense pour riposter à des attaques d’enver-

112. Article 51 de la Charte des Nations Unies, italiques ajoutés. Voy. CIJ, Activités militaires etparamilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, arrêt du 27 juin 1986, précité, note 58, p. 121, § 235.

113. Cf. la sentence de la Commission des réclamations (Érythrée/Éthiopie) rendue le même jourque l’arrêt « Ouganda », dans laquelle la notification au Conseil de sécurité est présentée comme uneobligation (voy. Philippe WECKEL, chronique précitée note 2, p. 197, n° 48).

114. Voy. la déclaration du juge Koroma, §§ 8-9 et l’opinion individuelle du juge Kooijmans, § 22.115. D’après l’article 3 g), réunit les conditions d’un acte d’agression « [l]’envoi par un État

ou en son nom de bandes ou groupes armés, de forces irrégulières ou de mercenaires qui selivrent à des actes de force armée contre un autre État d’un gravité telle qu’ils équivalent auxactes énumérés ci-dessus, ou le fait de s’engager d’une manière substantielle dans une telleaction ».

116. Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, CIJ, arrêt précité, note 58,p. 104, § 195.

117. Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avisconsultatif du 9 juillet 2004, CIJ Recueil 2004, § 139 (italiques ajoutés).

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gure menées par des forces irrégulières » (§ 147) 118. Ce faisant, la Cour nesemble pas exclure définitivement qu’un acte d’agression puisse résulter d’atta-ques provenant de forces autonomes vis-à-vis de tout État. Or, à première vue,cette interprétation est en contradiction avec la conclusion à laquelle elle vient àpeine de parvenir (l’absence de droit de légitime défense de l’Ouganda enl’espèce) et, à tout le moins, avec sa jurisprudence précitée. La cohérence desparagraphes 146 et 147 de l’arrêt est cependant préservée dans la mesure où ilest bien précisé que l’Ouganda n’était pas en situation d’exercer un droit de légi-time défense « à l’encontre de la RDC » (§ 147) 119, ce qui a contrario signifie qu’iln’est pas définitivement exclu qu’il le soit l’encontre des FDA. Mais on comprenddès lors mal que la Cour ne juge pas utile de se prononcer sur ce point suscep-tible d’avoir un impact non négligeable sur la résolution du différend.

Quoi qu’il en soit, la phrase inattendue de la CIJ est peut-être annoncia-trice d’une évolution de sa jurisprudence concernant la notion d’agression et ledroit de légitime défense qui est son corollaire 120. Plusieurs juges estiment eneffet que l’article 51 de la Charte ne limite pas le droit de légitime défense auxseuls cas d’agression armée provenant d’un État et que, dès lors, ce droit pour-rait être enclenché en cas d’agression émanant d’acteurs non étatiques 121.Ainsi, l’apparente contradiction contenue dans le paragraphe 147 de l’arrêt estprobablement le reflet d’un compromis entre juges « conservateurs » (ceuxattachés à l’origine exclusivement étatique de l’agression déclenchant le droitde légitime défense) et juges « progressistes » (si tant est que l’extension de lalégitime défense soit un progrès – l’expression juges « réformistes » est de cefait sans doute plus appropriée). Sans rompre avec le droit positif, l’arrêt« Ouganda » laisse la porte ouverte à une évolution postérieure au terme delaquelle un État serait fondé à exercer son droit « naturel » de légitime défenseface à une agression « transnationale » 122, « privée » 123, c’est-à-dire non attri-buable à un État.

Peut-être pour minimiser l’impact qu’aurait une telle (r)évolution jurispru-dentielle, l’arrêt constate qu’en tout état de cause, « la prise d’aéroports et devilles situés à plusieurs centaines de kilomètres de la frontière ougandaise nesemble guère proportionnée aux diverses attaques transfrontalières dontl’Ouganda se prévaut pour justifier l’exercice de son droit de légitime défense, ninécessaire pour l’exercice de ce droit » (§ 147) 124. L’incise vise a priori l’hypo-thèse de la réponse à une agression qui serait attribuable à la RDC, mais elle est

118. Dans ses plaidoiries orales, l’Ouganda avait avancé l’argument suivant : « armed attacks byarmed bands whose existence is tolerated by the territorial sovereign generate legal responsibility and the-refore constitute armed attacks for the purpose of Article 51. And thus, there is a separate, a super-addedstandard of responsibility, according to which a failure to control the activities of armed bands, creates asusceptibility to action in self-defence by neighbouring States » (CR 2005/7, p. 30, § 80).

119. Voy. l’opinion individuelle du juge Kooijmans, §§ 26-27 et l’opinion individuelle du jugeSimma, § 6.

120. Voy. Philippe WECKEL, Chronique précitée, note 2, p. 179, n° 11.121. Voy. dans l’avis consultatif du 9 juillet 2004 sur les Conséquences juridiques de l’édification

d’un mur dans le territoire palestinien occupé, l’opinion individuelle du juge Higgins (§ 33) et celle dujuge Kooijmans (§ 35). Dans l’arrêt « Ouganda », voy. l’opinion individuelle du juge Kooijmans (§ 28) etcelle du juge Simma (§ 11).

122. Joe VERHOEVEN, « Les “étirements” de la légitime défense », op. cit., note 10, p. 61.123. Ibid.124. Sur la soumission de l’exercice de la légitime défense, en vertu du droit international coutu-

mier, à la double condition de nécessité et de proportionnalité, voy. Activités militaires et paramilitairesau Nicaragua et contre celui-ci, arrêt du 27 juin 1986, arrêt précité, note 58, p. 103, § 194 ; Licéité de lamenace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif du 8 juillet 1996, CIJ Recueil 1996 (I), p. 245, §41 ; Affaire des plates-formes pétrolières, arrêt précité, note 51, pp. 35-37, §§ 73-77.

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mutatis mutandis transposable à celle d’une « agression » dont se seraient renduescoupables les FDA.

c) Le recours à la force

Après avoir évacué la question de la légitime défense, la Cour en vient à laquestion de l’interdiction du recours à la force à proprement parler 125, qu’elleentame néanmoins en rappelant que l’article 51 n’autorise pas en dehors du cadrequ’il établit « l’emploi de la force par un État pour protéger des intérêts perçuscomme relevant de la sécurité » (§ 148).

Au vu des éléments de preuve en sa possession, dont beaucoup ont pourtantété rejetés car dénués de force probante suffisante 126, la Cour constate sanspeine la violation par l’Ouganda de la souveraineté de la RDC, de l’article 2, § 4,de la Charte (§ 153), de l’interdiction coutumière de soutenir des mouvementsinsurrectionnels telle que la contient la résolution 2625 (XXV) de l’Assembléegénérale (§ 162), du principe du non-recours à la force et de la non-intervention(§ 163).

Malgré la gravité de ces violations expressément constatée (« L’inter-vention illicite de l’Ouganda a été d’une ampleur et d’une durée telles que la Courla considère comme une violation grave de l’interdiction de l’emploi de laforce […] » 127), la Cour omet cependant de qualifier d’« agression » les actions del’Ouganda 128, ce qui a suscité les critiques des juges Elaraby et Simma 129. Il nefait guère de doute que les actions de l’Ouganda correspondent à la définition del’agression telle qu’elle figure dans la résolution 3314 (XXIX) 130. Cela étant, laCour, comme le Conseil de sécurité du reste, fait montre d’une réelle réticence àemployer ce terme considéré à tort ou à raison comme stigmatisant 131. En lamatière, l’arrêt « Ouganda » ne fait que perpétuer le tabou.

2. Le jus in bello

Le jus ad bellum une fois mis en échec par le déclenchement du conflit arméentre l’Ouganda et la RDC, les deux États sont passés de l’« état de paix » àl’« état de guerre » 132, entraînant par là même l’applicabilité au différend du jusin bello. Force est de constater que l’arrêt de 2005 est peu riche d’apports en cedomaine. Il faut dire que la Cour avait eu peu de temps auparavant l’occasion dese prononcer sur différents aspects du droit des conflits armés dans son avisconsultatif sur le Mur 133, auquel l’arrêt se réfère à plusieurs reprises.

Dans une large mesure, l’arrêt « Ouganda » ne fait donc que confirmer laportée des règles primaires existantes du jus in bello, relatives au statut de

125. Sur l’ordre suivi par la Cour, voy. supra I, B, 1.126. Voy. supra I, A, 2.127. § 165, italiques ajoutés.128. À noter qu’au paragraphe 304 de son arrêt, la Cour constate néanmoins que, conformément à

l’article 51 de la Charte des Nations Unies, le Congo était en droit d’employer la force pour repousser lesattaques ougandaises, ce qui suppose implicitement l’agression.

129. Voy. l’opinion du juge Elaraby, passim et l’opinion individuelle du juge Simma, §§ 2-3.130. Voy. supra b.131. Voy. Philippe WECKEL, Chronique précitée, note 2, p. 181, n° 16.132. Patrick DAILLIER, Alain PELLET, Droit international public (Nguyen Quoc Dinh), op. cit. note

78, p. 967, n° 576.133. Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, CIJ,

arrêt précité, note 117.

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l’occupation (a), et à l’application du droit international des droits de l’homme etdu droit international humanitaire (b), des règles interdisant le pillage et l’exploi-tation des ressources naturelles (c), et du droit diplomatique (d).

a) L’occupation

La Cour s’est attachée à déterminer si l’Ouganda était ou non puissance occu-pante dans les parties du territoire congolais où ses troupes étaient présentes(§§ 166 et s.), l’enjeu étant l’application des règles propres à l’occupation mili-taire. L’occupation n’opère en effet aucun transfert de souveraineté 134 ; elle estsoumise à un régime juridique particulier. L’article 43 du règlement de La Hayede 1907 prévoit à cet effet que :

« L’autorité du pouvoir légal ayant passé de fait entre les mains de l’occupant,celui-ci prendra toutes les mesures qui dépendent de lui en vue de rétablir etd’assurer, autant qu’il est possible, l’ordre et la vie publics, en respectant, saufempêchement absolu, les lois en vigueur dans le pays ».

Rappelant son avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édifica-tion d’un mur dans le territoire palestinien occupé 135, la Cour observe que « selonle droit international coutumier tel que reflété à l’article 42 du règlement de LaHaye de 1907, un territoire est considéré comme occupé lorsqu’il se trouve placéde fait sous l’autorité de l’armée ennemie, et que l’occupation ne s’étend qu’auterritoire où cette autorité est établie et est en mesure de l’exercer » (§ 172).

Appréciant les éléments de fait en sa possession, la CIJ déduit que les forcesarmées ougandaises avaient substitué leur propre autorité à celle du gouverne-ment congolais dans le district de l’Ituri 136, mais non au-delà 137, ce dont ilrésulte que l’Ouganda était tenu de respecter dans cette région l’obligationénoncée à l’article 43 du règlement de La Haye. La Cour précise à cet effet quel’obligation en question « comprend le devoir de veiller au respect des règlesapplicables du droit international relatif aux droits de l’homme et au droit inter-national humanitaire, de protéger les habitants du territoire occupé contre lesactes de violence et de ne pas tolérer de tels actes de la part d’une quelconquetierce partie » (§ 178). De par son statut de puissance occupante, l’Ouganda étaitdonc responsable « à la fois de tout acte de ses forces armées contraire à ses obli-gations internationales et du défaut de la vigilance requise pour prévenir lesviolations des droits de l’homme et du droit international humanitaire pard’autres acteurs présents sur le territoire occupé, en ce compris les groupesrebelles agissant pour leur propre compte » (§ 179).

L’Ouganda était donc tenu de respecter les obligations spécifiques incombantà la puissance occupante 138, en plus des obligations générales que lui imposentnotamment le droit international des droits de l’homme et le droit internationalhumanitaire.

134. Voy. Éric DAVID, Principes de droit des conflits armés, op. cit. note 99, pp. 502 et s., nos 2.356et s.

135. CIJ, avis consultatif du 9 juillet 2004, précité, note 117, p. 167, § 78 et p. 172, § 89.136. Voy. cependant à ce sujet l’opinion individuelle du juge Parra-Aranguren qui regrette que

l’arrêt ne fournisse pas d’éclaircissement sur la manière dont a été remplie la condition de l’article 43 durèglement de La Haye relatif au passage de fait de « l’autorité du pouvoir légal » dans les mains del’Ouganda (§ 46).

137. Voy. le paragraphe 177 de l’arrêt.138. Au paragraphe 219 de l’arrêt, la Cour relève le caractère coutumier des articles 43, 46 et 47 du

règlement de La Haye de 1907.

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b) Le droit international des droits de l’hommeet le droit international humanitaire

Après examen des éléments de preuve, la Cour dresse une liste effrayante defaits dont se sont rendus coupables les UDPF (§ 211) 139, qu’elle attribue sanspeine à l’État ougandais (§ 213), ce qui l’amène ensuite à examiner les règles dedroit international des droits de l’homme et de droit international humanitaireapplicables à l’espèce. À ce sujet, l’arrêt « Ouganda » confirme la position déjàexprimée par la CIJ dans l’avis consultatif sur le Mur, selon laquelle « la protec-tion offerte par les conventions régissant les droits de l’homme ne cesse pas encas de conflit armé » 140 ; que, dès lors, les deux branches du droit internationalque sont le droit international relatif aux droits de l’homme et le droit interna-tional humanitaire doivent être prises en considération ; et que les instrumentsinternationaux relatifs aux droits de l’homme sont applicables « aux actes d’unÉtat agissant dans l’exercice de sa compétence en dehors de son propreterritoire » 141 (§ 216).

Plus instructive à ce sujet est l’argumentation développée par le juge SIMMAdans son opinion individuelle, qui démontre qu’en l’espèce, le droit internationaldes droits de l’homme et le droit international humanitaire s’appliquaient égale-ment aux personnes – à la nationalité indéterminée – victimes de mauvais traite-ments de la part de soldats congolais à l’aéroport de Kinshasa (hors zone deconflit armé) 142. À ce sujet, le juge allemand, déplorant par ailleurs à plusieursreprises la faiblesse coupable de l’argumentation développée par l’Ouganda danssa demande reconventionnelle, ne fait pas grand mystère des motifs qui le pous-sent à insister sur ce point pouvant paraître anecdotique au regard du reste del’affaire :

« I consider that legal arguments clarifying that in situations like the one before usno gaps exist in the law that would deprive the affected persons of any legal protec-tion, have, unfortunately, never been as important as at present, in the face ofcertain recent deplorable developments » (§ 19).

Est ici en cause la tentative, par certains États (suivez son regard…), de« rétrécir » plutôt que d’étirer le champ d’application du droit international desdroits de l’homme et du droit international humanitaire. Le juge déplore en effet« the ongoing attempts to dismantle important elements of these branches of inter-national law in the proclaimed “war” on international ter-rorism » (§ 38). Toute-fois, dans la mesure où, par ailleurs, il estime que le droit de légitime défense desÉtats doit être étendu aux « agressions » provenant d’acteurs non étatiques (ceque sont les groupes terroristes) 143, l’impression prédomine que les tiraillementsdu droit international trouvent une certaine répercussion dans le for intérieur dumembre allemand de la Cour. Son opinion indique à tout le moins que l’« étirement »

139. Meurtres, actes de torture et autres formes de traitement inhumain à l’encontre de la popula-tion civile ; destruction de villages et de bâtiments civils ; indistinction entre cible civile et militaire etomission de protéger la population civile lors d’affrontements avec d’autres combattants ; incitation auconflit ethnique et omission de prendre des mesures visant à mettre un terme à celui-ci ; implicationdans l’entraînement d’enfants-soldats ; omission de prendre des mesures visant à assurer le respect desdroits de l’homme et du droit international humanitaire dans les territoires occupés.

140. Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, CIJ,avis précité, note 117, p. 178, § 106.

141. Id., pp. 178-181, §§ 107-113 (citation au § 111). Cf. Éric DAVID, op. cit. (note 99), pp. 81 et s., nos

1.13 et s.142. Paragraphes 16 et s. de l’opinion individuelle du juge Simma.143. Voy. supra 1, b.

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du droit de légitime défense ne doit pas se faire sans que, parallèlement, soientgarantis dans son exercice le respect du droit international des droits de l’hommeet du droit international humanitaire.

c) Le pillage et l’exploitation de ressources naturelles

La CIJ est parvenue à la conclusion que des officiers et des soldats ougandaisavaient participé au pillage et à l’exploitation des ressources naturelles de laRDC et que les autorités militaires n’avaient pris aucune mesure pour mettre unterme à ces activités (§ 242). Avant de constater que l’Ouganda était internatio-nalement responsable de ces faits illicites, la Cour s’est prononcée sur la portéedu jus in bello applicable en matière de pillage et d’exploitation de ressourcesnaturelles.

L’arrêt commence par exclure l’application du principe de la souverainetépermanente de l’État sur ses ressources naturelles. Certes la Cour en reconnaît lecaractère coutumier 144, mais elle constate qu’il ne s’applique pas matériellement« au cas particulier du pillage et de l’exploitation de certaines ressources natu-relles par des membres de l’armée d’un État intervenant militairement sur leterritoire d’un autre État » (§ 244).

De tels actes sont en revanche interdits par le jus in bello, et la Cour cite à ceteffet l’article 47 du règlement de La Haye de 1907 et l’article 33 de la quatrièmeconvention de Genève de 1949 qui interdisent tous deux le pillage (§ 245). Cesdispositions au contenu quasi identique (« Le pillage est [formellement]interdit » 145) traitent du pillage en général et non du pillage de ressources natu-relles en particulier ; il est désormais assuré, si tant est qu’un doute ait pu surgir,que le premier inclut le second.

L’arrêt précise également que l’Ouganda avait une obligation générale devigilance qui devait le conduire à prendre les mesures adéquates pour s’assurerque ses forces armées ne se livreraient pas au pillage et à l’exploitation desressources naturelles de la RDC (§ 246). À ce devoir général s’ajoute en outrel’obligation particulière de vigilance en tant que puissance occupante, limitéeratione loci à la région sous contrôle, mais plus étendue ratione materiae etpersonae dès lors que « l’Ouganda était tenu de prendre des mesures appropriéespour prévenir le pillage et l’exploitation des ressources naturelles dans le terri-toire occupé, non seulement par des membres de ses forces armées, mais égale-ment par les personnes privées présentes dans ce district » (§ 248).

d) Le droit diplomatique

Le régime d’exception résultant des rapports de belligérance ne fait pasdisparaître certaines obligations. C’est le cas des obligations de protection desdroits de l’homme 146 ; ça l’est également des obligations découlant de la conven-tion de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques. La Cour rappelle à cetitre son arrêt dans l’affaire relative au Personnel diplomatique et consulaire àTéhéran, dans lequel elle avait insisté sur le fait que « [m]ême en cas de conflitarmé ou de rupture des relations diplomatiques, [les articles 44 et 45 de laconvention] obligent l’État accréditaire à respecter l’inviolabilité des membres

144. Ce dont le juge Koroma prend note dans sa déclaration, tout en estimant que ce principe cou-vre l’interdiction de l’exploitation de ressources naturelles par des forces armées étrangères (§ 11).

145. L’adverbe « formellement » figure dans le texte de La Haye mais non dans celui de Genève.146. Voy. supra b.

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d’une mission diplomatique ainsi que celle de ses locaux » 147 (§ 324). L’inviolabi-lité des locaux diplomatiques interdit donc que soient commises des exactions ausein de l’ambassade y compris à l’encontre de personnes n’appartenant pas aucorps diplomatique (§ 338), tandis que les diplomates sont inviolables tant ausein de l’ambassade qu’à l’extérieur de celle-ci (§§ 338-339). La Cour rappelle enoutre, conformément à sa jurisprudence Personnel diplomatique 148, que laconvention de Vienne impose à l’État accréditaire d’empêcher toute personne deporter atteinte à l’inviolabilité de la mission diplomatique (§ 342). On le voit, lesapports de l’arrêt « Ouganda » quant à la portée des règles primaires du droitdiplomatique se limitent à un rappel du droit positif, remarque valant d’ailleurspour la plupart des développements relatifs au jus in bello.

B. L’existence de normes impératives du droit international

Dans un ordre juridique où la volonté des sujets de droit a, plus que dansn’importe quel autre, une place prépondérante – fondatrice même pour les positi-vistes volontaristes –, l’introduction d’une forme d’« objectivation du système juri-dique international » 149 ne va pas sans causer certains tiraillements. Et pour-tant, la pratique internationale, au moins celle subséquente à l’adoption de laconvention de Vienne de 1969, laisse deviner l’ancrage bien réel dans le droitpositif de normes impératives de droit de gens 150.

Le concept de jus cogens est à la croisée des chemins entre règles primaires etrègles secondaires. Les règles organisant une hiérarchie normative 151 ressortis-sent en effet à la catégorie des normes secondaires (les règles sur les règles). Enrevanche, la norme de jus cogens en elle-même (par exemple l’interdiction dugénocide) appartient à la catégorie des règles primaires (celles qui imposent desdroits et obligations aux sujets de l’ordre juridique) 152. En l’espèce, l’appréhen-sion du jus cogens par la Cour internationale de Justice ne dépasse pas le stadedu constat de l’existence de règles primaires impératives. En effet, en reconnais-sant de manière explicite l’existence du jus cogens, l’arrêt « Rwanda » apporte à lanotion le sceau officiel de la Cour mondiale, qui lui faisait jusqu’alors défaut (1).Cependant, la Cour demeure très elliptique sur la portée de ces normes impéra-tives, alors que l’arrêt aurait pu l’amener à se prononcer plus en détail sur lecontenu du jus cogens à défaut d’en tirer des conséquences juridiques (2).

1. La reconnaissance du jus cogens

Jusqu’au 3 février 2006, la Cour internationale de Justice n’avait jamaisreconnu l’existence du jus cogens de manière explicite 153. « Absence, négationou présence implicite ? », s’est interrogé Pierre-Marie Dupuy au sujet de cette

147. Arrêt du 24 mai 1980, CIJ Recueil 1980, p. 40, § 86.148. Id., pp. 30-32, §§ 61-67.149. Jean COMBACAU, « Le droit international : bric-à-brac ou système ? », Archives de philosophie

du droit, 1986, vol. 31, p. 102.150. Voy. Pierre-Marie DUPUY, « L’unité de l’ordre juridique international », RCADI, 2002-V,

vol. 297, pp. 272 et s.151. Voy. notamment l’article 53 de la convention de Vienne sur le droit des traités : « Est nul tout

traité qui, au moment de sa conclusion, est en conflit avec une norme impérative du droit internationalgénéral […] ».

152. Voy. supra introduction.153. Voy. l’opinion individuelle du juge ad hoc Dugart, spéc. § 4.

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abstention patente 154. Il est vrai qu’en la matière, la Cour avait jusqu’alorssoufflé le chaud et le froid.

Le chaud lorsque, sans en reconnaître l’impérativité, la CIJ avait fait état denormes revêtues d’une autorité particulière, au travers des obligations ergaomnes mentionnées dans le célèbre obiter dictum de l’arrêt Barcelona Trac-tion 155, dans l’arrêt sur le Timor oriental 156, ou dans l’avis de 2004 sur leMur 157 ; au travers également des « principes intransgressibles du droit interna-tional coutumier » évoqués dans l’avis consultatif sur la Licéité de la menace ou del’emploi d’armes nucléaires 158.

Le froid, récemment, lorsque dans son arrêt dans l’affaire du Mandat d’arrêtdu 11 avril 2000, elle a constaté qu’« elle n’[était] pas parvenue à déduire […]l’existence, en droit international coutumier, d’une exception quelconque à larègle consacrant l’immunité de juridiction pénale et l’inviolabilité des ministresdes Affaires étrangères en exercice, lorsqu’ils sont soupçonnés d’avoir commis descrimes de guerre ou des crimes contre l’humanité » 159. On notera également quedans l’arrêt « Ouganda », comme dans l’arrêt des Activités militaires et paramili-taires, la Cour ne s’est pas engagée « dans la voie périlleuse du jus cogens » 160,alors même que la plupart des normes relatives au droit des conflits armés qu’ellea mises en œuvre (jus ad bellum et in bello) relèvent assurément du droit impé-ratif 161.

Ce silence de la Cour n’avait évidemment rien d’innocent dans la mesure où iln’est pas exceptionnel que les parties aux différends qu’elle a à connaître axent,plus ou moins substantiellement, leur argumentaire sur la notion du juscogens 162. Si la RDC n’a pas suivi cette voie dans l’affaire au fond qui l’opposait àl’Ouganda, face au Rwanda elle a en revanche tenté d’invoquer l’impérativité dela convention sur le génocide aux fins de contester la validité de la réserve rwan-daise à la clause compromissoire contenue dans cette convention 163. Mais cettefois-ci, la Cour n’a pas esquivé la question du jus cogens. Au contraire, elle a déli-bérément choisi de répondre à l’argument, ce qui l’a amené à reconnaître explici-tement l’existence du jus cogens. Après avoir rappelé

« que “l’opposabilité erga omnes d’une norme et la règle du consentement à la juri-diction sont deux choses différentes” (Timor oriental (Portugal c. Australie), CIJRecueil 1995, p. 102, par. 29), et que le seul fait que des droits et obligations ergaomnes seraient en cause dans un différend ne saurait donner compétence à laCour pour connaître de ce différend »,

154. Pierre-Marie DUPUY, op. cit. (note 150), pp. 288 et s. 155. Arrêt du 5 février 1970, CIJ Recueil 1970, p. 32, § 33.156. Arrêt du 30 juin 1995, CIJ Recueil 1995, p. 102, § 29.157. Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, CIJ,

avis précité, note 117, p. 199, § 157.158. Avis consultatif du 8 juillet 1996, précité note 124, p. 257, § 79. Dans sa déclaration jointe à

l’arrêt, le président Bedjaoui y voit des principes de jus cogens (p. 273), point sur lequel la Cour n’avaitpas jugé utile de se prononcer (p. 258, § 83).

159. Arrêt du 14 février 2002, précité note 55, § 58.160. Pierre Michel EISEMANN, op. cit. note 9, p. 188.161. Voy., au sujet du jus in bello, les développements que le juge Simma consacre à la fin de son

opinion individuelle à la communauté d’intérêts sous-jacente au droit international des droits del’homme et au droit international humanitaire (§§ 38-41). Voy. aussi Éric DAVID, Principes de droit desconflits armés, op. cit. note 99, pp. 94 et s., nos 1.29 et s. (paragraphe intitulé « Le droit des conflitsarmés : un droit largement apparenté au jus cogens »).

162. Voy. à ce titre, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, fond, CIJ,arrêt précité note 58, pp. 100-101, § 190.

163. Voy. supra I, A, 1.

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la Cour déclare :

« Il en va de même quant aux rapports entre les normes impératives du droitinternational général (jus cogens) et l’établissement de la compétence de la Cour :le fait qu’un différend porte sur le respect d’une norme possédant un tel caractère,ce qui est assurément le cas de l’interdiction du génocide, ne saurait en lui-mêmefonder la compétence de la Cour pour en connaître » (§ 64).

Tout à sa nouvelle « audace », quelques paragraphes plus loin elle estimemême nécessaire

« de rappeler que le seul fait que des droits et obligations erga omnes ou des règlesimpératives du droit international général (jus cogens) seraient en cause dans undifférend ne saurait constituer en soi une exception au principe selon lequel sacompétence repose toujours sur le consentement des parties » (§ 125).

Selon toute vraisemblance, ce changement d’attitude notable – relative-ment tardif si on observe la pratique du Tribunal pénal international pourl’ex-Yougoslavie 164, ou celle de cours régionales 165 – s’explique par l’évolution dela composition de la Cour mondiale, les tiraillements en son sein sur la questiondu jus cogens s’étant apaisés avec le départ de certains juges notoirement hostilesau concept et l’arrivée d’autres y étant moins réticents. Mais le sceau de la CIJest, à ce stade du moins, essentiellement symbolique.

2. Le contenu du jus cogens

Force est de constater que les développements de l’arrêt « Rwanda » sur le juscogens ne contiennent aucun apport quant au contenu de la notion. La Cour n’afait que le « service minimum » : la reconnaissance de son existence.

Tout au plus confirme-t-elle que l’interdiction du génocide revêt bien uncaractère impératif, mais elle n’étend pas ce constat à l’interdiction de la discri-mination raciale alors que la RDC avait tenté de faire valoir ce point (§ 73). Laposition de la CIJ interprétée a contrario atteste qu’il n’existe pas d’obligationindérogeable qui imposerait aux États de consentir à sa juridiction – ce qui nerevient pas pour autant à établir que le principe du consensualisme ressortit lui-même au jus cogens. L’arrêt ne comporte aucun éclaircissement supplémentairesur le jus cogens, ce qui contraste avec la prolixité de la Cour en 1970, lorsquedans l’affaire Barcelona Traction, elle avait profité d’un obiter dictum pourdonner moult illustrations d’obligations erga omnes :

« Ces obligations découlent par exemple, dans le droit international contemporain,de la mise hors la loi des actes d’agression et du génocide, mais aussi des principeset des règles concernant les droits fondamentaux de la personne humaine, ycompris la protection contre la pratique de l’esclavage et la discriminationraciale […] » 166.

164. Voy. notamment TPIY, Ch. 1ère inst., Le procureur c. Anto Furundzija, arrêt du 10 décembre1998, IT-95-17/1-T, § 153 [http://www.un.org/icty/furundzija/trialc2/jugement/fur-tj981210f.pdf].

165. Voy. par ex. CEDH, Al-Adsani c. Royaume-Uni, arrêt du 21 novembre 2001, § 61 [http://www.cedh.org]. Récemment, voy. TPICE, Yusuf et Al Barakaat International Foundation / Conseil etCommission, arrêt du 21 septembre 2005, aff. T-306/01, § 277 (« Le Tribunal est néanmoins habilité àcontrôler, de manière incidente, la légalité des résolutions en cause du Conseil de sécurité au regard dujus cogens, entendu comme un ordre public international qui s’impose à tous les sujets du droit inter-national, y compris les instances de l’ONU, et auquel il est impossible de déroger ») [http://www.curia.eu.int/fr/content/juris/index.htm]. Voy. Philippe WECKEL, Chronique, RGDIP, 2005, pp. 957 et s.

166. Arrêt du 5 février 1970, CIJ Recueil 1970, p. 33.

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La Cour ayant tendance à assimiler un peu trop simplement, dans lespassages de l’arrêt « Rwanda » précités, obligations erga omnes et jus cogens, onaurait pu s’attendre à ce qu’elle établisse le caractère impératif des normes déjàévoquées en 1970. Mais à cet égard, il eût surtout été souhaitable sinon instructifque la Cour amorce une tentative de distinction entre ces deux types de normesqui ne coïncident pas exactement malgré la philosophie commune qui les sous-tend. Le Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie 167 comme, dans un autre contexte,la Commission du droit international 168 ont eu l’occasion de se prononcer claire-ment sur cette question, que la CIJ aura sans doute à l’avenir l’occasion de traiterplus en détail, le tabou du jus cogens étant désormais (et enfin) levé.

** *

Les affaires des Activités armées sur le territoire du Congo, malgré leurorigine commune, ont donné lieu à deux arrêts fondamentalement différents depar leur objet et ipso facto leur solution. L’inégalité de traitement de deux Étatsimpliqués de manière globalement similaire dans un même conflit (l’un échap-pant à la juridiction de la Cour, l’autre étant déclaré responsable pour ses faitsillicites) ne manque pas de mettre en évidence les carences du système interna-tional. La Cour n’a fait cependant qu’appliquer le droit international tel qu’il est,et, dans l’ensemble, elle l’a fait de manière juridiquement convaincante. Dans lesdeux cas, elle a mis en œuvre les normes secondaires et primaires du droit desgens applicables au différend et en a réaffirmé ou précisé la portée le cas échéant.Dans cet exercice, la CIJ a eu à concilier les tendances parfois contradictoires quisous-tendent l’ordre juridique international, fondé sur l’horizontalité maisconnaissant une certaine « verticalisation » ; reposant sur une dominante interé-tatique mais s’ouvrant de plus en plus aux acteurs non étatiques ; en son seinmême, la Cour a dû réaliser la synthèse entre les approches conservatrices ouprogressistes de ses membres. L’examen global des deux arrêts laisse néanmoinspercevoir que la Cour ne s’est pas laissée déborder par ces tiraillements. Ainsi,« l’organe » de l’ordre juridique international 169, remplissant la mission implicitequi est la sienne, n’a pas échoué à en préserver l’unité.

167. TPIY, Ch. 1re inst., Le procureur c. Anto Furundzija, arrêt précité du 10 décembre 1998,§§ 151-153.

168. Voy. en particulier le paragraphe 7 du commentaire de l’introduction du chapitre III de ladeuxième partie des articles de la CDI sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illi-cite, Assemblée générale, Documents officiels, cinquante-sixième session, Supplément n° 10, (A/56/10).

169. CPJI, Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise – Fond, arrêt précité note 19,(« Au regard du droit international et de la Cour qui en est l’organe […] »).

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