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Douleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement (2008) 9, 105—107 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com ÉDITORIAL La douleur neuropathique : une priorité de santé publique ? Neuropathic pain: A priority of public health? « Douleurs neuropathiques » : tel a été le thème principal du septième Congrès de la Société franc ¸aise d’évaluation et de traitement de la douleur (SFETD) qui a eu lieu en novembre 2007 au CNIT de la défense. De nombreuses communications et un grand nombre de posters ont traité cette problématique durant les quatre jours du congrès ; une journée entière de séances plénières a permis aux participants de faire le tour de la question. La pre- mière intervention a même été animée par Troels Jensen, actuel président de l’IASP. Mais au fond, pourquoi un tel engouement pour les douleurs neuropathiques (DN) ? Certaine- ment, parce que les fondamentalistes ont su s’associer aux cliniciens [1] pour mieux en préciser la physiopathologie. Mais la DN est-elle si fréquente ? Disposons-nous d’ailleurs de données épidémiologiques la concernant ? Bruxelle a pu rappeler durant le Congrès de la SFETD, grâce aux résultats d’une enquête observationnelle, qu’un patient sur trois qui consulte dans une structure ressource franc ¸aise présente une DN [2]. Mais le recrutement de ces structures, où les patients sont adressés par leur médecin traitant, ne permet pas d’extrapolation : qu’en est-il réellement au sein de la population générale ? D’un premier abord, il peut sembler difficile de répondre à ce type de question : mettre en évidence l’existence d’une DN chez un patient donné nécessite en effet un examen clinique. Cependant, des outils de dépistage [3] ont pu être développés ces dernières années. Parmi eux, le S-LANSS en Grande-Bretagne et le DN4 en France [4]. C’est une ver- sion abrégée du DN4 qui a précisément été utilisée pour réaliser en France une enquête de prévalence de la DN [5]. Seuls les sept premiers critères du questionnaire ont été évalués (brûlure, froid douloureux, décharges électriques, fourmillements, picotements, engourdissement, démangeaisons) puisqu’ils ne nécessitent qu’un interrogatoire. Un score d’au moins 3/7 était alors considéré comme significatif. L’enquête a été réalisée à grande échelle en collaboration avec la Sofres, 23 712 personnes ont renvoyé leur questionnaire. Sur cette population, 7522 personnes (soit 31,7 %) déclaraient présenter une douleur chro- nique. La prévalence de la douleur chronique modérée à sévère a, par ailleurs, pu être évaluée à 20 % de la population générale. Toujours parmi cette population, 6,9 % présentait un score DN4 simplifié d’au moins 3/7. Pondérée par l’intensité douloureuse, cette pro- portion a permis d’établir le constat suivant : 5 % de la population générale présentent des douleurs chroniques modérées à sévères avec des caractéristiques neuropathiques. Bien sûr il ne s’agit là que de données déclaratives : seul un examen clinique permettrait de confirmer si oui ou non tous ces patients présentent réellement une DN. D’autant que la sensibilité des outils de dépistage peut s’avérer moins bonne que prévu lorsqu’ils sont uti- lisés autrement qu’en entretien clinique. C’est ce qu’a pu démontrer l’équipe américaine de la Mayo Clinic de Rochester [6] pour le S-LANSS : interroger des patients par courrier ou par téléphone diminue la sensibilité de l’outil de 20 %, mais pas sa spécificité. Une chose est claire [4—6] : les outils de dépistage ne peuvent remplacer l’examen clinique pour 1624-5687/$ — see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.douler.2008.02.008

La douleur neuropathique : une priorité de santé publique

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europathic pain: A priority of public health?

« Douleurs neuropathiques » : tel a été le thème principal du septième Congrès de la Sociétéfrancaise d’évaluation et de traitement de la douleur (SFETD) qui a eu lieu en novembre2007 au CNIT de la défense. De nombreuses communications et un grand nombre de postersont traité cette problématique durant les quatre jours du congrès ; une journée entièrede séances plénières a permis aux participants de faire le tour de la question. La pre-mière intervention a même été animée par Troels Jensen, actuel président de l’IASP. Maisau fond, pourquoi un tel engouement pour les douleurs neuropathiques (DN) ? Certaine-ment, parce que les fondamentalistes ont su s’associer aux cliniciens [1] pour mieux enpréciser la physiopathologie. Mais la DN est-elle si fréquente ? Disposons-nous d’ailleursde données épidémiologiques la concernant ? Bruxelle a pu rappeler durant le Congrès dela SFETD, grâce aux résultats d’une enquête observationnelle, qu’un patient sur trois quiconsulte dans une structure ressource francaise présente une DN [2]. Mais le recrutementde ces structures, où les patients sont adressés par leur médecin traitant, ne permet pasd’extrapolation : qu’en est-il réellement au sein de la population générale ?

D’un premier abord, il peut sembler difficile de répondre à ce type de question : mettreen évidence l’existence d’une DN chez un patient donné nécessite en effet un examenclinique. Cependant, des outils de dépistage [3] ont pu être développés ces dernièresannées. Parmi eux, le S-LANSS en Grande-Bretagne et le DN4 en France [4]. C’est une ver-sion abrégée du DN4 qui a précisément été utilisée pour réaliser en France une enquêtede prévalence de la DN [5]. Seuls les sept premiers critères du questionnaire ont étéévalués (brûlure, froid douloureux, décharges électriques, fourmillements, picotements,engourdissement, démangeaisons) puisqu’ils ne nécessitent qu’un interrogatoire. Un scored’au moins 3/7 était alors considéré comme significatif. L’enquête a été réalisée à grandeéchelle en collaboration avec la Sofres, 23 712 personnes ont renvoyé leur questionnaire.Sur cette population, 7522 personnes (soit 31,7 %) déclaraient présenter une douleur chro-nique. La prévalence de la douleur chronique modérée à sévère a, par ailleurs, pu êtreévaluée à 20 % de la population générale. Toujours parmi cette population, 6,9 % présentaitun score DN4 simplifié d’au moins 3/7. Pondérée par l’intensité douloureuse, cette pro-portion a permis d’établir le constat suivant : 5 % de la population générale présentent desdouleurs chroniques modérées à sévères avec des caractéristiques neuropathiques. Biensûr il ne s’agit là que de données déclaratives : seul un examen clinique permettrait deconfirmer si oui ou non tous ces patients présentent réellement une DN. D’autant que la

sensibilité des outils de dépistage peut s’avérer moins bonne que prévu lorsqu’ils sont uti-lisés autrement qu’en entretien clinique. C’est ce qu’a pu démontrer l’équipe américainede la Mayo Clinic de Rochester [6] pour le S-LANSS : interroger des patients par courrier oupar téléphone diminue la sensibilité de l’outil de 20 %, mais pas sa spécificité. Une choseest claire [4—6] : les outils de dépistage ne peuvent remplacer l’examen clinique pour

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oser le diagnostic de DN. Ils n’ont d’ailleurs pas été créésans ce but. Mais ils gardent tout leur sens pour aider àepérer au sein d’une population de patients douloureuxhroniques ceux qui pourraient présenter une composanteeuropathique. Ce type de patient pourrait représenter 7 à% de la population générale [5,7]. Qui plus est, la qualitée vie des patients présentant des DN est particulièrementltérée [8] par la permanence de la douleur et par sa chro-obiologie. Lors d’une étude clinique réalisée auprès de5 patients porteurs d’une neuropathie diabétique ou deouleurs postzostériennes (DPZ) [9], une augmentation pro-ressive de l’intensité douloureuse, du matin huit heuresEVA autour de 5/10 en moyenne) au soir 20 heures, (EVAutour de 7/10) a pu être mise en évidence. Au-delà de’intensité douloureuse en elle-même, la DN vient égale-ent se développer sur une pathologie particulièrement

réquente : le cancer. Les DN liées au cancer sont en effetréquentes [10] : elles peuvent être liées au développemente la tumeur, mais aussi aux traitements anticancéreux.himiothérapie, radiothérapie et surtout chirurgie peuventtre à l’origine de tableaux cliniques difficiles à prendren charge [11], même chez des patients en rémission.ar exemple, le syndrome douloureux postmammectomie,ié à la lésion du nerf intercostobrachial au niveau de’aisselle, touche 40 % des femmes après curage ganglion-aire axillaire [12]. À la croisée de trois problématiquesyant fait l’objet de plans d’amélioration gouvernementauxle cancer, la douleur et les soins palliatifs), la douleur neu-opathique apparaît donc bien comme une priorité de santéublique.

Ce constat étant établi, l’heure est maintenant venue deui consacrer des référentiels de prise en charge [13]. Desecommandations de bonne pratique commencent en effet àe développer depuis 2005, année où Finnerup [14] a proposée premier un algorithme de prise en charge de la DN :

en cas de douleurs postzostériennes ou de territoire dou-loureux limité : utiliser en priorité la lidocaïne en patch(produit dont l’AMM est récente en France : VERSATIS®) ;dans les autres cas, utiliser en première intention lesantidépresseurs tricycliques et/ou les antiépileptiques(gabapentine ou prégabaline) en fonction de leurs contre-indications respectives et de leur tolérance ;en seconde ligne, l’utilisation du Tramadol® ou del’oxycodone est recommandée.

En 2006, c’est la Fédération européenne des sociétése neurologie (EFNS) qui publie ses guidelines, avec enête de liste des experts, notre consœur Attal [15]. Cesecommandations concernent surtout trois types de DN,our lesquelles des études de bonne qualité méthodologiquexistent : les polyneuropathies douloureuses, les douleursostzostériennes et les DN centrales. Là encore, les anti-épresseurs tricycliques, la gabapentine et la prégabalineont recommandés en première intention, de même que laidocaïne en topique pour les DPZ. En seconde ligne, sontités les opioïdes et le Tramadol® pour tous types de DN,e Valproate de sodium® et la capsaïcine pour les DPZ, la

amotrigine® pour les polyneuropathies et les douleurs cen-rales. Les DN postchirurgicales ou posttraumatiques sontonsidérées comme ayant le même profil de réponse auxraitements, mais ne font pas l’objet de guidelines spéci-ques.

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Éditorial

Plus récemment, le groupe de travail spécifique de l’IASPur le thème de la douleur neuropathique a publié danse numéro de décembre 2007 de la revue Pain [16] sesrecommandations fondées sur les preuves pour la prisen charge pharmacologique des douleurs neuropathiques ».olontairement evidence-based medecine, ces recomman-ations prônent une prise en charge commune à tous lesypes de DN, en respectant quatre étapes :

poser le diagnostic de douleur neuropathique, en détermi-ner le mécanisme, rechercher les comorbidités et fournirdes explications à son patient en terme de diagnostic, puisde traitement. En cas de difficultés, se faire aider d’unestructure ressource d’évaluation et de traitement de ladouleur ;traiter si possible la maladie causale (par exemple : lediabète). Initier un ou plusieurs des traitements suivants :◦ un antidépresseur tricyclique (nortriptyline, desipra-

mine) ou inhibiteur de la recapture de la sérotonineet de la noradrénaline (duloxétine, venlafaxine),

◦ un bloqueur des canaux calciques (gabapentine ou pré-gabaline),

◦ pour les patients présentant une DN localisée : lido-caïne en topique local utilisée seule ou en associationaux autres traitements de première intention,

◦ pour la gestion des pics douloureux paroxystiques, leTramadol® ou les opioïdes forts peuvent être associésaux autres molécules de première ligne ;

De plus, il faut mettre en œuvre tous les traitements nonédicamenteux appropriés.réévaluer fréquemment la douleur et la qualité de vie.Si la douleur est soulagée significativement (intensitéinférieure à 3/10) sans effets secondaires limitants : pour-suivre le traitement ;

Si le soulagement est insuffisant (intensité supérieure à/10), associer un autre traitement de première ligne. Si leoulagement est inférieur à 30 %, changer de molécule.

si l’utilisation combinée des traitements de premièreligne échoue, envisager l’utilisation de traitements dedeuxième ou troisième ligne (autres antidépresseurs ouantiépileptiques, mexiletine, antagonistes des récepteursNMDA, capsaïcine en topique local).

Depuis trois ans, des recommandations de bonne pratiquee multiplient donc partout dans le monde pour améliorera prise en charge de DN : toutes considèrent les antidé-resseurs tricycliques, la gabapentine, la prégabaline et laidocaïne en topique local comme les traitements de pre-ière intention. Il est aussi à noter que toutes excluent le

lonazepam, dont l’utilisation dans le cadre des DN restene exception francaise [17].

Pour cette année 2008, c’est la SFETD qui prend daten présentant ses propres recommandations de bonne pra-ique pour la prise en charge des douleurs neuropathiques18]. Fruits d’un long travail d’analyse de la littérature par

a Haute Autorité en Santé (HAS) ces recommandations ontour vocation d’améliorer globalement les pratiques pro-essionnelles. Une grande partie de l’histoire reste doncncore à écrire. . . certainement dès le prochain congrès dea SFETD, consacré aux liens entre la douleur et le travail.

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La douleur neuropathique une priorité de santé publique

Références

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[2] Bruxelle J. Épidémiologie avec présentation des résultatsde l’observatoire de la SFETD. Communication orale, 7e

congrès de la SFETD, Paris La Défense 2007. Douleurs2007;8(HS1):1S37—8.

[3] Clère F. Comment améliorer le dépistage des douleurs neu-ropathiques ? Actualités brèves de douleurs. Douleurs 2007;8:262.

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[5] Bouhasira D, Lantéri-Minet M, Attal N, Laurent B, Touboul C.Prevalence of chronic pain with neuropathic characteristics inthe general population. Pain 2008;136:380—7.

[6] Weingarten TN, Watson JC, Hooten WM, Wollan PC, Melton IIILJ, Locketz AJ, et al. Validation of the S-LANSS in the commu-nity setting. Pain 2007;132:189—94.

[7] Torrance N, Smith BH, Bennett MI, Lee A. The epidemiology ofchronic pain of predominantly neuropathic origin. Results froma general population survey. J Pain 2006;7:281—9.

[8] Smith BH, Torrance N, Bennett MI, Lee A. Health and quality oflife associated with chronic pain of predominantly neuropathic

origin in the community. Clin J Pain 2007;23:143—9.

[9] Odrcich M, Bailey JM, Cahill CM, Gilron I. Chronobiologicalcharacteristics of painful diabetic neuropathy and postherpe-tic neuralgia: diurnal pain variation and effects of analgesictherapy. Pain 2006;120:207—12.

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10] Clère F. Douleurs neuropathiques liées au cancer : mieux lesconnaître pour mieux les soulager. Palliat Med 2004;3:204—13.

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14] Finnerup NB, Otto M, McQuay HJ, Jensen TS, Sindrup SH.Algorithm for neuropathic pain treatment: an evidence basedproposal. Pain 2005;118:289—305.

15] Attal N, Cruccu G, Haanpää M, Hansson P, Jensen TS, Nur-mikko T, et al. EFNS recommendations for the pharmacologicaltreatment of neuropathic pain. Eur J Neurol 2006;13:1153—69.

16] Dworkin RH, O’Connor AB, Backonja M, Farrar JT, Finne-rup NB, Jensen TS, et al. Pharmacologic management ofneuropathic pain: evidence-based recommendations. Pain2007;132:237—51.

17] Clère F, Henry F, Perriot M. Quelle place pour le clonazepamdans la douleur chronique ? Douleurs 2006;7:314—7.

18] Serrie A, Lantéri-Minnet M. Recommendations de prise encharge des douleurs neuropathiques. Communication orale, 7e

congrès de la SFETD, Paris La Défense 2007.

Florentin ClèreConsultation pluridisciplinaire de la douleur,

centre hospitalier, 216, avenue de Verdun,36000 Châteauroux, France

Adresse e-mail : [email protected]

Disponible sur Internet le 14 avril 2008