La France dans l'OTAN. La culture militaire française et l'identité stratégique en question

  • Upload
    ifri

  • View
    218

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

  • 8/7/2019 La France dans l'OTAN. La culture militaire franaise et l'identit stratgique en question

    1/47

    ______________________________________________________________________

    La France dans lOTANLa culture militaire franaise

    et lidentit stratgique en question

    ______________________________________________________________________

    Anne-Henry de Russ

    Juin 2010

    .

    FFooccuuss ssttrraattggiiqquuee nn2222

    Laboratoirede Recherchesur la Dfense

  • 8/7/2019 La France dans l'OTAN. La culture militaire franaise et l'identit stratgique en question

    2/47

    LIfri est, en France, le principal centre indpendant de recherche,dinformation et de dbat sur les grandes questions internationales. Cr en1979 par Thierry de Montbrial, lIfri est une association reconnue dutilitpublique (loi de 1901).Il nest soumis aucune tutelle administrative, dfinit librement ses activits etpublie rgulirement ses travaux.

    LIfri associe, au travers de ses tudes et de ses dbats, dans une dmarcheinterdisciplinaire, dcideurs politiques et experts lchelle internationale.Avec son antenne de Bruxelles (Ifri-Bruxelles), lIfri simpose comme un desrares think tanksfranais se positionner au cur mme du dbat europen.

    Les opinions exprimes dans ce texte nengagent que la responsabilit de lauteur.

    ISBN : 978-2-86592-719-7 Ifri 2010 Tous droits rservs

    Toute demande dinformation, de reproduction ou de diffusion peut tre adresse [email protected]

    Site Internet :www.ifri.org

    Ifri-BruxellesRue Marie-Thrse, 21

    1000 Bruxelles BELGIQUETel :+32(0)22385110Fax:+32(0)22385115

    Email :[email protected]

    Ifri27 rue de la Procession

    75740 Paris Cedex 15 FRANCETel : +33 (0)1 40 61 60 00Fax : +33 (0)1 40 61 60 60

    Email :[email protected]

    mailto:[email protected]:[email protected]://www.ifri.org/http://www.ifri.org/mailto:[email protected]:[email protected]:[email protected]:[email protected]:[email protected]:[email protected]:[email protected]:[email protected]://www.ifri.org/mailto:[email protected]
  • 8/7/2019 La France dans l'OTAN. La culture militaire franaise et l'identit stratgique en question

    3/47

    Focus stratgique

    Les questions de scurit exigent dsormais une approcheintgre, qui prenne en compte la fois les aspects rgionaux et globaux,les dynamiques technologiques et militaires mais aussi mdiatiques ethumaines, ou encore la dimension nouvelle acquise par le terrorisme ou lastabilisation post-conflit. Dans cette perspective, le Centre des tudes descurit se propose, par la collection Focus stratgique , dclairer par

    des perspectives renouveles toutes les problmatiques actuelles de lascurit.

    Associant les chercheurs du centre des tudes de scurit de lIfri etdes experts extrieurs, Focus stratgique fait alterner travauxgnralistes et analyses plus spcialises, ralises en particulier parlquipe du Laboratoire de Recherche sur la Dfense (LRD).

    Lauteur

    Officier suprieur de larme de Terre, le Chef de Bataillon Anne-Henry de Russ est dtach comme chercheur au sein du Laboratoire deRecherche sur la Dfense (LRD). Diplm de lEcole spciale militaire deSaint-Cyr et du Collge interarmes de dfense (CID), il est en outretitulaire dun Master of Arts en European Policy Studies (London SouthBank University). Il suit plus particulirement les politiques de dfensefranaise et amricaine, ainsi que les interventions militairescontemporaines.

    Le comit de rdaction

    Rdacteur en chef : Etienne de DurandRdacteur en chef adjoint : Marc Hecker

    Assistante ddition : Caroline Aurelle

    Comment citer cet article

    Anne-Henry de Russ La France dans lOTAN La culture militaire

    franaise et lidentit stratgique en question , Focus stratgique, n 22,

    juin 2010.

  • 8/7/2019 La France dans l'OTAN. La culture militaire franaise et l'identit stratgique en question

    4/47

  • 8/7/2019 La France dans l'OTAN. La culture militaire franaise et l'identit stratgique en question

    5/47

    Sommaire

    Introduction _____________________________________________ 5LOTAN et la culture militaire franaise depuis 1949 ____________ 7

    Des expriences oprationnelles divergentes ___________ 7Rupture politique et maintien dun lien oprationnel ____ 14Proximit doctrinale et convergence oprationnelle

    depuis 1991 ______________________________________ 17Quels scnarios pour la culture militaire franaise ? ___________ 23

    Une affaire dimage ________________________________ 23Entre enrichissement doctrinal et rayonnement culturel _ 25Uniformisation culturelle et dpendance stratgique ____ 29

    Conclusion _____________________________________________ 35Annexes _______________________________________________ 37

    Rfrences

    _____________________________________________ 41

    Informations aux lecteurs _________________________________ 45

  • 8/7/2019 La France dans l'OTAN. La culture militaire franaise et l'identit stratgique en question

    6/47

  • 8/7/2019 La France dans l'OTAN. La culture militaire franaise et l'identit stratgique en question

    7/47

    Introduction

    lus de quarante ans aprs la dcision unilatrale du gnral De Gaullede retirer les forces armes franaises du commandement intgr de

    lOTAN, le prsident Sarkozy a dcid de faire reprendre la France sa participation pleine et entire 1 dans la structure militaire de lAllianceatlantique. Avalise par le Parlement, cette dcision a suscit peu dedbats en France, une majorit de Franais semblant par ailleurs

    lapprouver2

    Pour autant, on aurait tort de ngliger les consquences potentiellesdun tel mouvement sur la culture militaire des armes franaises. Ceseffets culturels pourraient tre par ailleurs plus importants pour larmede Terre car elle conserve une spcificit forte, en raison de son poidshistorique au sein des armes franaises et de la nature des oprationsactuellement menes par lOTAN en Afghanistan. En effet, contrairementaux alliances prcdentes, dictes par les circonstances et les rapports deforce du XIXe sicle et de la premire moiti du XXe sicle (coalitions contreNapolon, Triple Alliance, Triple entente ou encore Grande Alliance face lAxe), la vocation de lOTAN, alliance politique et militaire, nest passeulement de coordonner plusieurs armes nationales dans un conflit mais

    duniformiser et de standardiser les matriels et procdures de pays auxcultures militaires diffrentes.

    . La mise en uvre a dj dbut. En 2009, ce sont quelque200 officiers franais qui ont rejoint les tats-majors de Norfolk, Mons,Naples ou Lisbonne. Ils seront 500 en 2010. Cette dcision estlaboutissement somme toute assez logique dun processus de normalisation vis--vis de lOTAN entam dans les annes 1990 avecles oprations en Bosnie, au Kosovo et le retour au sein du Comit militaireen dcembre 1995. Les officiers y sont globalement favorables, voyantainsi la fin dune position inconfortable sur les plans technique etoprationnel, de mme que des opportunits de carrire lheure o larduction du format des armes a fortement rduit les temps deresponsabilit et de commandement.

    Lenjeu est donc de savoir si ce mouvement va conduire une otanisation , cest--dire un remplacement progressif de la culturemilitaire franaise par une culture otanienne , elle-mme fortementimprgne des pratiques, habitudes et prfrences des armesamricaines.

    1Terme officiel utilis. Pour des raisons de simplicit, on utilisera indiffremment

    participation pleine et entire , retour ou rintgration .2 Sondage Ifop ralis le 5 et 6 mars 2009.

    P

  • 8/7/2019 La France dans l'OTAN. La culture militaire franaise et l'identit stratgique en question

    8/47

    A.H. de Russ / La France dans lOTAN

    - 6 -

    Si de nombreux articles ont analys les consquences politiques du retour de la France dans lOTAN, la prsente tude, en insistantdavantage sur les aspects culturels, doctrinaux et oprationnels, entendainsi donner voir toute la gamme des effets possibles de cette dcision.Si celle-ci devait au final sapparenter une normalisation de la culturemilitaire franaise, les rpercussions politico-stratgiques de la rintgration risqueraient fort de savrer dommageables. A cet gard,en se focalisant sur la suppose perte dindpendance politico-stratgiquequentranerait directement la rintgration , le dbat stratgiquefranais sest sans doute tromp de cible.

    Dans cette logique, la prsente tude sattache tout dabord retracer les grandes tapes de la relation entre la France et lOTAN depuis1949, en insistant sur la dimension militaire et les expriencesoprationnelles propres larme franaise. Il apparat alors que lhistoirede linstitution militaire franaise la dote dune culture militairespcifique,

    diffrente de la culture militaire otanienne , elle-mme fortementinfluence par le modle amricain. A la lumire de cet hritage, quisouligne limportance propre de la dimension militaire, trop souventignore, il sagit dans un deuxime temps dapprcier les effets, sur laculture militaire nationale, de ce retour dans les structures intgres, entablissant des scnarios mesurant limpact aux niveaux technique,doctrinal et oprationnel. Il apparat au final que les aspects techniques dela rintgration, sils sont mal conduits, sont susceptibles de charrier desimplications stratgiques et politiques ngatives et de mettre en dangerlautonomie de rflexion et daction conserve jusqu maintenant.

  • 8/7/2019 La France dans l'OTAN. La culture militaire franaise et l'identit stratgique en question

    9/47

    LOTAN et la culturemilitaire franaise depuis 1949

    tude des relations entre la France et lOTAN depuis 1949 permet demesurer comment la culture militaire franaise a pu tre influence par

    la standardisation doctrinale et la valeur normative de lAlliance. Au vrai,cest moins lappartenance lorganisation intgre que les oprations

    menes en commun qui font converger les cultures stratgiques etmilitaires.

    Des expriences oprationnelles divergentes

    Si lintgration de la France dans lOTAN de sa cration au dpart dugnral De Gaulle a permis ponctuellement un enrichissement de lapense militaire franaise, la priode considre montre que les armesfranaises sont finalement assez peu impliques dans la dfense en centreEurope. Leffort militaire porte prioritairement sur la guerre dIndochine puisle conflit algrien qui voient les armes dvelopper des doctrines de contregurilla et de guerre rvolutionnaire qui deviennent des identifiants forts

    de lexprience militaire franaise.

    La France et la cration de lOTAN

    Avec la signature du trait de Washington du 4 avril 1949, qui met en placelAlliance Atlantique et forme en quelque sorte laboutissement des traitsde Dunkerque (1947) et de Bruxelles (1948), la France obtient une garantiepolitique et militaire de la part des Etats-Unis, dirige lorigine contrelAllemagne, puis roriente contre la menace sovitique. Trait strictementdfensif qui ne prend effet quen cas dattaque arme , il sapplique, envertu de larticle 6, dans une aire gographique dfinie de faon trsprcise (en Europe, en Amrique et dans locan Atlantique au Nord du

    Tropique du Cancer)3

    3

    Les ngociateurs franais auraient souhait un engagement formel etautomatique des Amricains, comparable larticle 4 du trait de Bruxelles. Maisladministration amricaine, soucieuse de conserver sa libert daction et de ne pasouvrir des dbats difficiles au Snat o le vieil isolationnisme demeurait important,n'accepte quun engagement de principe. Ainsi larticle 5 du trait de 1949 dispose-t-il quen cas dagression dunes des parties, chacune delles () assistera lapartie ou les parties ainsi attaques, en prenant aussitt () telle action quelle

    jugera ncessaire, y compris lemploi de la force arme . Voir Gnral Beaufre,LOTAN et lEurope, Paris, Calmann-Levy, 1966.

    . Les Europens sefforcent alors dintgrer le pluspossible les Amricains lorganisation de dfense afin de les lier dans lapratique plus quils ne le sont dans les textes. En consquence, les

    L

  • 8/7/2019 La France dans l'OTAN. La culture militaire franaise et l'identit stratgique en question

    10/47

    A.H. de Russ / La France dans lOTAN

    - 8 -

    Amricains occupent une place prpondrante dans les commandementset les tats-majors et toutes facilits leur sont donnes pour stationnerleurs troupes en Europe4

    La France est alors pleinement intgre , encore que le termemrite dtre clarifi, tant il va peser et continue de peser sur les relationsentre la France et lOTAN. Le terme dintgration na jamais eu dexistenceofficielle dans le cadre de lAlliance atlantique et revt des ralits multipleset souvent ambigus. Frdric Bozo distingue deux principales acceptions

    de lexpression

    . Aussi, entre 1949 et 1952, la France accepte-t-elle la cration progressive de lOTAN, prvue dans larticle 9 du trait etson volution en une organisation militaire intgre, car le surcrot descurit que lui offre lengagement amricain est largement suprieur auxrisques que ces dveloppements pourraient faire peser sur la souverainet.Confronte la menace sovitique (coup de Prague en 1947, guerre deCore en 1950), la IVme Rpublique constate son impuissance etlinsuffisance de ses moyens militaires.

    5. La premire est politico-militaire et dsigne la structuredestine prparer une dfense unifie de la zone du Trait, grce desorganismes chargs de la dfinition de cette dfense aux niveaux politiqueet stratgique , sous lautorit du Conseil de lAtlantique Nord (NorthAtlantic Council NAC), organe suprme de lAlliance qui dcide lunanimit. La seconde acception de lintgration est dordre militaire ouoprationnel et dsigne les structures, commandements et procduresadopts au sein de lOTAN. Toutefois, l aussi, le terme est quelque peudvoy dans la mesure o les forces affectes (assigned) lOTANrestent en temps de paix constamment soumises leurs tats-majorsnationaux. En cas de crise ou de guerre, les forces affectes par les Etatsmembres ne peuvent passer sous commandement oprationnel OTANqu partir dun niveau dalerte qui varie considrablement dun pays alli lautre. Pourtant, il savre trs rapidement que Supreme HeadquartersAllied Powers Europe(SHAPE), cr en 1951 Rocquencourt, affirme saprminence vis--vis du groupe permanent6 et du Comit militaire,remettant en cause la subordination de lintgration militaire aux organespolitiques. La logique militaire de lintgration prend le pas sur la lettre duTrait qui ne prvoyait pas de dfense commune fonde sur lintgrationdes structures militaires7

    4

    Voir Gnral Beaufre, LOTAN et lEurope, op. cit., p.32

    . En outre, les rouages politico-militaires delAlliance et les commandements militaires intgrs sont domins par lesAnglo-Saxons et chappent donc aux Franais. Au total, les Etats-Unisassurent 7 commandements, le Royaume-Uni dispose de 5

    commandements subordonns et la France un seul, mais le plus important,celui du secteur Centre Europe, AFCENT, command en 1953 par le

    5Voir Frdric Bozo, La France et lOTAN. De la guerre froide au nouvel ordre

    europen, Travaux et recherches de lIfri, Paris, Masson, 1991, pp. 35-36.6

    Cr en mme temps que le Comit militaire, il tait compos d'un reprsentantde l'tat-major de France, du Royaume-Uni et des Etats-Unis. Il agissait en sessionpermanente en tant qu'organe excutif du Comit militaire. Le Groupe permanentfut dmantel en 1966 et son autorit transfre au Comit militaire. Il tait tabli Washington et fonctionnait avec un secrtariat. Il exera une autorit excutivejournalire sur les Groupes rgionaux de planification et sur les Commandements

    militaires allis qui leur ont succd.7Ibid., pp. 36-37.

  • 8/7/2019 La France dans l'OTAN. La culture militaire franaise et l'identit stratgique en question

    11/47

    A.H. de Russ / La France dans lOTAN

    - 9 -

    marchal Juin8

    Si lorganisation militaire reste domine par les Anglo-Saxons, lacohabitation des officiers franais avec leurs homologues amricains etbritanniques dans les couloirs de SHAPE Rocquencourt permet denrichirla pense militaire franaise, notamment dans le domaine de la stratgienuclaire. En fait, on assiste une sorte dcartlement de la pensemilitaire franaise entre la rflexion sur la grande guerre et lexpriencede la guerre rvolutionnaire .

    . Pour autant, la France participe activement au dbatstratgique transatlantique avec des figures comme le gnral Beaufre,lamiral Castex ou encore Raymond Aron.

    Entre grande guerre et contre gurilla

    Dans les annes 1950, la France connat un renouveau de sa pensemilitaire. La richesse intellectuelle de cette priode se manifeste par le

    nombre de stratgistes de valeur Pierre-Marie Gallois, Charles Ailleret,Jean-Etienne Valluy, Raymond Aron, Andr Beaufre, Lucien Poirier,Camille Rougeron et bien dautres ainsi que par la qualit et le nombre derevues militaires professionnelles : Revue de la dfense nationale, Forcesariennes franaises, Revue des Forces Terrestres, Revue militairegnrale ou encore la Revue Militaire dInformation9. Totalement intgreau sein de lOTAN, la France est alors pleinement associe aux travaux derflexion militaire en cours. En 1953, le colonel Gallois, appel devenir undes minents thoriciens franais de la dissuasion nuclaire, est sollicitpar le Gnral Norstad, adjoint Air du SACEUR, afin de participer ungroupe de travail restreint New Approach Group charg dtablir unenouvelle doctrine de lOTAN en matire de nuclaire tactique dans le cadre

    dun choc des corps de bataille en Centre-Europe avec le pacte deVarsovie. En 1955, il assiste mme une exprience nuclaire dans leNevada. Cest dans ce cadre quil se forge la conviction de la ncessitdune force de dissuasion franaise indpendante10. En effet, il souligne auSACEUR que si les Sovitiques disposent de missiles balistiques longueporte capables datteindre les Etats-Unis (ce qui sera le cas en 1960),lengagement nuclaire des Amricains en faveur des Europens risque dedevenir plus alatoire. Le gnral Norstad approuve la vision de Pierre-Marie Gallois et lincite mme attirer lattention du gouvernement franais.Ainsi, pouss par les chefs anglo-amricains de lOTAN 11

    8

    Voir Gnral Beaufre, LOTAN et lEurope, op. cit., p. 58.

    , Pierre-MarieGallois, sans doute prcd par Charles Ailleret, prcurseur de la stratgie des moyens , russit convaincre le prsident du Conseil, GuyMollet, de lancer le programme de la bombe franaise. En novembre 1956,le programme Mirage IV est lanc et confi Dassault.

    9Voir Christian Malis, La renaissance de la pense militaire franaise aprs la

    seconde Guerre mondiale , Dfense nationale et scurit collective, No. 8-9,aot-septembre 2009, p. 125.10

    Voir Christian Malis, Pierre Marie Gallois. Gopolitique, Histoire, Stratgie, Paris,LAge dHomme, 2009, pp. 358-398. Entretiens avec lauteur.11

    Voir Pierre-Marie Gallois, Entretien avec le gnral Pierre-Marie Gallois ,

    dfense nationale et scurit collective, hors-srie, juillet 2009, pp. 27-29.accessible :http://www.defnat.com/pdf/HS-PENSEE.pdf

    http://www.defnat.com/pdf/HS-PENSEE.pdfhttp://www.defnat.com/pdf/HS-PENSEE.pdfhttp://www.defnat.com/pdf/HS-PENSEE.pdfhttp://www.defnat.com/pdf/HS-PENSEE.pdf
  • 8/7/2019 La France dans l'OTAN. La culture militaire franaise et l'identit stratgique en question

    12/47

    A.H. de Russ / La France dans lOTAN

    - 10 -

    Paralllement cette exprience dterminante pour larmefranaise, le corps blind mcanis assure la dfense des frontires delEst, dans le cadre de lOTAN. En effet, partir de 1955, le rarmement delAllemagne et la cration de la Bundeswehr permettent le dplacementvers le rideau de fer de la ligne de dfense avance. Ds lors, pour leSACEUR, le corps darme franais stationn en Allemagne, rduit deuxdivisions, na plus lentranement et la logistique pour jouer un rle effectifen premire ligne12

    Pour autant, si la France est pleinement intgre dans la structuremilitaire de lOTAN ds sa cration en 1949, elle reste par ailleurs engagedans les conflits de dcolonisation, dveloppant ainsi une expriencemilitaire propre, celle de la guerre irrgulire.

    . Or cette composante continentale , composeessentiellement dappels, ne domine pas linstitution.

    Lengagement militaire franais en Indochine jusquen 1954 puis enAlgrie partir du recours au contingent en 1956 a rduit la contributionfranaise au dispositif de lOTAN la portion congrue. Aprs letraumatisme de la dfaite de 1940, la France sort en quelque sorte par lebas de la grande guerre intertatique. A partir de 1945, les armesfranaises mnent en effet des guerres face des adversaires nontatiques. Lengagement de larme franaise en Indochine et en Algrieamne les colonels Hogar, Lacheroy et Trinquier ou encore Ximens13 dvelopper une rflexion approfondie sur la guerre rvolutionnaire etles rponses quil convient dy apporter, en particulier lactionpsychologique. On peut naturellement rajouter Galula qui publia aux Etats-Unis aprs la fin de la guerre dAlgrie 14

    On retrouve ainsi une filiation historique entre deux dominantes delexprience militaire franaise, lcole continentale incarne par Foch ouJoffre et lcole coloniale dveloppe par Lyautey et Gallini. Si cestlcole continentale qui domine aprs la guerre de 1870 et dans lentre-deux-guerres, la situation sinverse aprs la Deuxime Guerre mondialedans la mesure o hormis la dissuasion et la bataille de Dien Bien Phu, quiconstitue le dernier affrontement classique de haute intensit de larme deTerre franaise, ce sont les oprations non conventionnelles qui dominent,

    . Les officiers franais sont parmi

    les premiers en Occident lire Mao et essayer de le comprendre. Ils sonten outre les hritiers de lexprience coloniale franaise de la fin du 19mesicle et notamment la politique de pacification des marchaux Gallini etLyautey, action combine de la force et de la politique et qui repose surle concept de pntration organisatrice plus connue sous le terme de tache dhuile .

    12Voir Kenneth Hunt, NATO Without France: The Military Implications , Adelphi

    Papers,No. 32, IISS, Londres, 1966.13

    Ximens est le pseudonyme de deux gnraux francais, Maurice Prestat etSaint Macary qui exposent, en 1957, les principes de la guerre rvolutionnairedans un numro spcial de la Revue militaire dinformation.14

    Voir Etienne de Durand, France , in Thomas Rid et Thomas Keaney,

    Understanding Counterinsurgency, Doctrines, Operations and challenges, NewYork, Routledge, 2010.

  • 8/7/2019 La France dans l'OTAN. La culture militaire franaise et l'identit stratgique en question

    13/47

    A.H. de Russ / La France dans lOTAN

    - 11 -

    de la contre-rbellion des annes cinquante la matrise de la violence desannes 1990.

    A lvidence, cette spcificit historique franaise nest pas reste

    sans consquence sur la doctrine et lentranement, et plus profondmentltat desprit et les traditions, bref la culture des armes franaises. Ilimporte donc, ce stade de lanalyse, dessayer de dfinir plusprcisment les cultures militaires franaise et amricaine (et otanienne),ainsi que leurs interactions.

    Des cultures militaires divergentes

    Expriences oprationnelles et rflexions doctrinales se combinent pourproduire des cultures stratgiques et militaires qui, sans tre intangibles,nen tmoignent pas moins dune certaine permanence et de traitscaractristiques et rcurrents. Nes dans les annes 1970, la faveur du

    dsenchantement lgard des conceptions stratgiques rationalistesdiscrdites tort ou raison par la guerre du Vietnam 15, les notions deculture stratgique et de culture militaire ont donn lieu bien des dbatsquant leur pertinence et leur pouvoir explicatif. Il importe de les utiliseravec prcaution et sans en surestimer la porte, tant il est vrai quil nexistepas de caractre national stable et permanent dont on pourrait tirer desprdictions dfinitives en matire de comportements ou de performancesmilitaires. Pour autant, ces notions paraissent indispensables pour dsignerlensemble des spcificits reprables dans le temps qui caractrisent uneinstitution, un groupe ou une nation par diffrence avec les autres 16. BrunoColson donne ainsi la dfinition suivante de la culture stratgique : lensemble des attitudes et des croyances professes au sein dun

    appareil militaire propos de lobjectif politique de la guerre et de lamthode stratgique et oprationnelle la plus efficace pour latteindre 17.Dans le cadre de cette note est principalement utilise la notion de culturemilitaire, qui renvoie aux traditions doctrinales et lorientation gnrale,constatable dans la dure, dune institution militaire. Partie importante de laculture stratgique, la culture dune institution militaire comporte certainstraits distinctifs : traditions, prfrences doctrinales18

    15

    Cultures stratgique et militaire englobent des notions telles que lhistoire(expriences passes, tradition dagression ou de neutralisme), la gographie(Etats insulaires ou continentaux, disposant ou non dune profondeur stratgique),

    lorganisation et lquilibre des pouvoirs politiques, les relations civilo-militaires(libert du chef oprationnel, subordination du politique au chef militaire chez lesPrussiens) ou encore les croyances et les systmes de valeur voir Alastair I.Johnston, Thinking about Strategic Culture , International Security, Vol. 19,No. 3, Winter 1994-1995.

    , conceptions de la

    16Voir Colin S. Gray, La Guerre au XXI

    esicle, Paris, Economica, 2007, ainsi que

    Lawrence Sondhaus, Strategic Cultures and Ways of War, New York, Routledge,2006.17

    Voir Bruno Colson, Culture stratgique , in Thierry de Montbrial, Jean Klein,Dictionnaire de stratgie, Paris, PUF, 2001, p. 52. La dfinition donne renvoie engnral la culture stratgique, que lauteur distingue, plus loin dans son analyse,de la culture militaire proprement dite cf. Ibid., p.87.18

    La doctrine nonce les lments selon lesquels les forces doivent agir et tre

    coordonnes dans les diffrents types doprations pour remplir avec succs lesmissions qui leur sont confies. Elle est par nature volutive et oriente sur le court

  • 8/7/2019 La France dans l'OTAN. La culture militaire franaise et l'identit stratgique en question

    14/47

    A.H. de Russ / La France dans lOTAN

    - 12 -

    conduite des oprations (par exemple, style manuvrier ou attritionnel )19

    Dans cette perspective, les cultures militaires franaise etamricaine paraissent majoritairement divergentes pendant les annes1950, au moment o lOTAN se met en place. On a vu que la culturemilitaire franaise des annes 1950 est partage , voire cartele entrela rflexion nuclaire naissante participation la planification de dfenseOTAN, donc la grande guerre et lexprience des petites guerres,en ralit de la guerre rvolutionnaire et de la contre-insurrection. En sensinverse, les Etats-Unis sont lpoque essentiellement confronts auxproblmatiques de la guerre classique limite (guerre de Core) et surtoutde la dissuasion nuclaire. Ce nest que plus tard, au Vietnam, quilsabordent de front la problmatique de la contre-insurrection, donc une foisque les Franais en sont sortis, ce qui nempche pas par ailleurs nombre

    de contacts informels, entre autres sur la contre-insurrection

    , mthodes de planification ou encore rapport latechnologie.

    20. Le corpsdes officiers amricains est fortement marqu par la tradition europennede la grande guerre , dabord dans ltude de la mthodenapolonienne, puis aprs la victoire allemande de 1870, dans le sillage delcole prussienne. Lexprience fondatrice de la guerre de Scession etlinfluence de Jomini se conjuguent pour former une culture militairedomine par le paradigme de Grant , cest--dire par la recherche delanantissement total de ladversaire par la bataille dcisive, du fort au fort,afin dobtenir une reddition complte21. Traditionnellement, et jusqu laredcouverte du style manuvrier (maneuver warfare) des annes1970, l art oprationnel amricain ne recherche pas leffet de surpriseou le point faible de ladversaire, mais repose dabord sur la suprioritmatrielle et une puissance de feu massive22

    Il ne sagit pas l dune gnralisation simplificatrice. On a souventtendance, en effet, opposer sommairement une culture stratgiqueamricaine privilgiant emploi de la force et recours systmatique latechnologie, et une culture stratgique europenne plus mesure et politique . Cest oublier que lUS Army, en se focalisant sur la recherchede la bataille dcisive, na fait que reprendre la matrice napolono-prussienne

    .

    23

    terme ; elle senrichit des retours dexprience et couvre un large spectre duniveau opratif au niveau tactique. Entretien lEMA, mars 2010.

    . Les cultures militaires franaise et amricaine semblent

    19Voir R.A.D. Applegate et J.R. Moore, The Nature of Military Culture , Defense

    Analysis, Vol. 6, No. 3, 1990.20 Voir Elie Tenenbaum, L'influence franaise sur la stratgie amricaine decontre-insurrection. 1945-1972 , Mmoire de l'IEP de Paris sous la direction dePierre Melandri, Paris, juin 2008, 201 p.21

    Voir Russell F. Weigley, The American Way of War: A History of United StatesMilitary Strategy and Policy, Bloomington, Indiana University Press, 1973.22

    Voir Etienne de Durand, Maneuver warfare, entre Vietnam et Transformation et Michel Goya, Culture militaire franaise et manuvre , in Christian Malis(dir.), Guerre et manuvre, Paris, Economica, 2009.23

    Voir Etienne de Durand, Linterarmes aux Etats-Unis : Rivalits

    bureaucratiques, enjeux oprationnels et idologie de la jointness , Focusstratgique, No. 3, Ifri, novembre 2007.

  • 8/7/2019 La France dans l'OTAN. La culture militaire franaise et l'identit stratgique en question

    15/47

    A.H. de Russ / La France dans lOTAN

    - 13 -

    ainsi largement convergentes au XIXe sicle. Si donc certainescaractristiques propres aux institutions militaires et leurs prfrencesoprationnelles sont bien reprables dans la dure, par exemplelomniprsence des facteurs matriel et technique dans le cas amricain, ilfaut galement prendre en compte les changements qui viennent inflchirune culture militaire au point de la transformer en un autre paradigme. Endautres termes, il sagit de comprendre que les cultures militaires franaiseet amricaine ont diffrents moments de leur histoire converg ou divergen fonction de certaines expriences oprationnelles formatrices .

    Or, et a contrariodune culture militaire franaise encore marquepar les corps expditionnaires et les conflits de dcolonisation, lOTAN estpleinement engage dans la dfense de lEurope dans le cadre de laprparation dune guerre atomique de trs haute intensit. En outre, et pourdes raisons qui tiennent la taille, la capacit dinnovation technologique etlexprience des armes amricaines, la doxa otanienne est fortement

    imprgne de la culture militaire et oprationnelle amricaine, qui domineles tats-majors de lOTAN ds 195024. Cest la culture dune arme lourdeet statique en dfense de zone qui accorde une importance cardinale laprparation des forces, la planification et la mise en place dune chanelogistique solide. Lappartenance aux structures intgres renforce encore,par le biais dune culture organisationnelle partage et de rfrentielscommuns, la prgnance du modle amricain. Cette permanence delinfluence amricaine sur lOTAN transparat jusqu la fin de la guerrefroide, par exemple dans la doctrine Air Land Battle trs jominienne dinspiration applique pendant la premire guerre du Golfe etcaractrise par un emploi massif et en profondeur de la puissancearienne, afin de neutraliser les arrires de ladversaire en pralable lamanuvre aroterrestre25. Au final, lincapacit amricaine rcurrente comprendre et pratiquer la contre-insurrection, comme lhabitude franaisede limprovisation et des trous capacitaires , typique dun loignementde la grande guerre, procdent en partie dhritages historiques spcifiqueset donc de cultures militaires diffrentes. Plus gnralement, ces exemplesmontrent quune culture militaire, quelles que soient ses causes premires,produit des effets profonds, autrement dit que lexprience et les habitudesdune institution une priode donne ne sont pas neutres, mais linversetendent devenir des prfrences, exercer une influence durable et donc altrer linstitution militaire en question, au point dentraner sans doutedes consquences stratgiques et politiques. Comme la rappel Donald

    Rumsfeld, on fait la guerre avec larme quon a

    26

    Ainsi, si lintgration complte de la France dans lOTAN permet certains gards un enrichissement de la pense militaire franaise, laculture militaire franaise reste encore trs marque par les conflitscoloniaux et trs indpendante de la culture militaire amricaine et donc de

    .

    24Le SACEUR tant aussi le gnral commandant les troupes amricaines en

    Europe. Voir Gnral Beaufre, LOTAN et lEurope, op. cit., p. 56.25

    Voir Bruno Colson, Culture stratgique amricaine , in Grard Chaliand,Arnaud Blin, Dictionnaire de stratgie militaire, Paris, Perrin, 1998, p.143.26

    William Kristol, The Defense Secretary We Have, 15 dcembre 2004, accessible :http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/articles/A132-2004Dec14.html.

  • 8/7/2019 La France dans l'OTAN. La culture militaire franaise et l'identit stratgique en question

    16/47

    A.H. de Russ / La France dans lOTAN

    - 14 -

    celle de lOTAN. Sur le plan politique, lchec de lopration de Suez lautomne 1956 devient un catalyseur de cette dsaffection franaise vis--vis de lOTAN et cre un choc parmi les responsables politiques etmilitaires franais. Rsumant cet tat desprit, Christian Pineau, alorsministre des Affaires trangres, estime que la principale victime delaffaire fut le pacte atlantique () Si nos allis nous avaient lchs dansdes circonstances difficiles, sinon dramatiques, ils taient capables de lefaire nouveau si lEurope son tour se trouvait menace 27

    Rupture politique et maintien dun lien oprationnel

    . Ds lesannes 1956-58, on note ainsi une inflexion de la politique de dfensefranaise dans le sens de lautonomie, notamment nuclaire, qui annonceles dcisions du gnral De Gaulle de 1966.

    Si la sortie de la France de lorganisation intgre de lOTAN en pleineGuerre froide a pu faire croire un divorce, il est davantage placer sur le

    plan politique quoprationnel. Relle sur le plan politique et symbolique, larupture na jamais eu lieu en matire de coopration oprationnelle entrelOTAN et les armes franaises. La fin de la guerre dAlgrie met un termeaux rflexions des thoriciens de la guerre rvolutionnaire au profit dunuclaire et des accords militaires au plus haut niveau maintiennent un lienoprationnel entre la France et lOTAN. Pour autant, la culture militairefranaise reste galement marque par les oprations en Afrique qui semultiplient compter des annes 1970.

    Les accords secrets qui maintiennent le statu quo

    Le retour du gnral De Gaulle aux affaires en mai 1958 marque une

    redfinition de la situation de la France dans lOTAN. Tout en poursuivantla monte en puissance de la dissuasion nuclaire nationale, legouvernement Debr dcide de retirer la flotte franaise de Mditerranedu commandement de lOTAN (mars 1959), refuse les dpts nuclairestactiques sur le territoire puis la participation la dfense arienne intgrede lOTAN. Le 7 mars 1966, de Gaulle adresse une lettre au prsidentamricain Lyndon Johnson dans laquelle il prcise la dcision franaise deretirer les forces aroterrestres franaises dployes en RFA et affectesau commandement alli en Europe. Cette dcision entrane de facto leretrait simultan des deux commandements intgrs, dont dpendent cesforces, du SHAPE et du commandement Centre-Europe ainsi que letransfert en Belgique de leur sige28

    En acceptant de maintenir le 2me Corps dArme (CA) en RFA,Bonn pose la question de la participation franaise la dfense

    . Pour autant, la France reste membre

    de lAlliance, continue de participer au Conseil de lAtlantique nord o seprennent toutes les dcisions politiques et met en place des missionsmilitaires auprs des commandements allis.

    27Voir Maurice Vasse, Aux origines du mmorandum de septembre 1958 ,

    Relations internationales, Vol. 58, t 1989, pp. 253-268.28

    Voir Maurice Vasse, La France et lOTAN : une histoire , Politique trangre,Vol. 74, No. 4, 2009, p. 864.

  • 8/7/2019 La France dans l'OTAN. La culture militaire franaise et l'identit stratgique en question

    17/47

    A.H. de Russ / La France dans lOTAN

    - 15 -

    commune29. Les accords Ailleret-Lemnitzer, entre le chef dtat-major desarmes (CEMA) et le SACEUR, permettent au 2me CA dintervenir auxcts des allis. Le volume de la participation franaise reste donc lemme aprs 1966, savoir un corps darme. Les armes franaisespassent de lintgration la coopration puisque tout engagementautomatique des forces franaises est exclu et que leur participationventuelle ne peut se faire que sous commandement national. En 1974, lesaccords Valentin-Ferber largissent les possibilits dintervention desforces franaises au 1er Corps dArme stationn en mtropole. On voitdonc bien que la dcision de 1966 nempche pas une certaine continuitavec la priode de lintgration : les forces franaises passent dun rlemarginal de dfense localise en deuxime chelon une mission decontre-attaque en rserve de la dfense avance de lOTAN. Limite surles plans militaire et oprationnel, la rupture est plus profonde dun point devue stratgique et politique. Loption de non-blligrance franaise aumoment dun conflit ou linverse le risque de sa nuclarisation prcoce

    par la France demeure une inquitude pour lAlliance au moins jusqu ladclaration dOttawa de 1974. Enfin, la dcision de 1966 apparat pour lesallis comme une contestation de lhgmonie amricaine, souventdnonce par De Gaulle, et donc susceptible de conduire une remise encause de la garantie amricaine30

    Lamorce dun rapprochement doctrinal : Maneuver warfare et cration de la FAR

    .

    A compter des annes 1960, la stratgie oprationnelle aroterrestrefranaise est intgre sinon subordonne la stratgie de dissuasion, cequi semble rduire toute rflexion approfondie sur lvolution de loutil

    militaire classique hors de son lien avec le nuclaire

    31

    . Dans les annes1970 et 1980, la France poursuit son engagement dans la dfense delAlliance aux cts des allis. Les accords Biard-Schulze de 1978consolident la coopration France OTAN en Centre-Europe entablissant des procdures communes en cas dengagement franais(itinraires, transmissions avec notamment le dploiement auprs desforces allies du systme RITA, communications des donnes du champde bataille) et dveloppent linteroprabilit indispensable la mise enuvre de la planification oprationnelle32

    29

    Michael M. Harrison, The Reluctant Ally: France and Atlantic Security, Baltimore,Johns Hopkins University Press, 1981, p. 154.

    . Ainsi, ds lpoque de la guerrefroide, la France fait le choix de la compatibilit de ses matriels et de sesprocdures avec les normes de lOTAN. Dans le domaine arien, desaccords entre laviation tactique (FATAC) et les forces ariennes allies en

    Centre Europe (AAFCE) prvoient la possibilit dengagement de laFATAC en appui de la 1re arme ou des units terrestres allies.

    30Voir Frdric Bozo, La France et lOTAN, De la guerre froide au nouvel ordre

    europen, op. cit., pp. 100-103.31

    Entretien au ministre de la Dfense, janvier 2010.32

    Les caractristiques techniques des armements (bombes, missiles, moyens detransmission), comme les procdures communes qui rgissent leur emploi, sont

    dfinies par des standardization agreements (STANAG), document cadre quidfinit, selon le domaine envisag, les normes en vigueur dans lOTAN.

  • 8/7/2019 La France dans l'OTAN. La culture militaire franaise et l'identit stratgique en question

    18/47

    A.H. de Russ / La France dans lOTAN

    - 16 -

    Dans les annes 1980, on assiste un regain de tension Est-Ouestet lURSS parat plus menaante. Face une mobilit accrue et lasupriorit numrique des forces sovitiques, lOTAN doit retrouverdavantage de profondeur oprationnelle grce la dimension arienne ense dotant des moyens permettant de neutraliser les units de 2me chelonsovitiques. Cest dans ce cadre que les Amricains adoptent la doctrine Air Land Battle trs vite transpose lOTAN de manire lgrementdiffrente sous le terme de Follow on Forces Attack (FOFA) ou doctrine Rogers . Plus globalement, cette volution sinscrit dans lcolede pense de la guerre de manuvre ( maneuver warfare ) quimarque le dbat stratgique amricain de 1976 la guerre du Golfe.Sinspirant de la tactique dinfiltration allemande tactique Hutier exprimente ds 191733, elle privilgie la dimension humaine (leshommes, le leadership et les effets psychologiques) plutt que latechnologie et lattrition pour crer la surprise et susciter la panique etleffondrement de lennemi. En matire dorganisation, elle repose sur

    linitiative des subordonns ce que rsume lexpression Auftragstaktik(enanglais, mission orders ou directive control). Le style manuvrier sedcline aux trois niveaux de laction militaire. Au niveau tactique, unesuccession de mouvements permet de placer ladversaire dans unesituation expose, maximisant ainsi la puissance de feu disponible ; sur leplan opratif, la pntration en profondeur et les dbordements successifsdsorganisent le systme adverse (le blitzkriegallemand) ; enfin au niveaustratgique, il convient de jouer sur la surprise et la vitesse en visant lesfaiblesses ennemies et la ligne de moindre rsistance physique commela ligne de moindre attente morale thorise par Liddell Hart. Si ellesemble remettre en cause la culture militaire amricaine traditionnelle dfinie plus haut, lcole de la manuvre renoue en ralit avec la tradition

    amricaine de la grande guerre et lempressement avec lequel lArmyretourne la troue de Fulda et se proccupe du front central de lOTANsapparente un refoulement du Vietnam et plus gnralement de lacontre-insurrection34

    La cration de la Force dAction Rapide (FAR)

    .

    35, en juillet 1984,dote entre autres dunits aromobiles (4me DAM), sinscrit dans cecontexte et illustre dans une certaine mesure le rapprochement desdoctrines conventionnelles de la France et de lOTAN. La mise disposition de la FAR au profit des forces allies en cas dengagement enCentre-Europe sinscrit dans la continuit des accords Ailleret-Lemnitzer

    tout en crdibilisant davantage un ventuel engagement franais

    36

    33

    Suppose en offensive de dpasser les points de rsistance pour viser lesarrires de lennemi et en dfensive de laisser ladversaire avancer pour canalisersa progression et le soumettre des contre-attaques prpares.

    . Des

    34Voir William S. Lind, The Theory and Practise of Maneuver Warfare , in

    Richard D. Hooker Jr (dir.), Maneuver Warfare. An Anthology, Novato, PresidioPress, 1993, pp. 142-190.35

    4me

    DAM, 6me

    DLB, 9me

    DIMa, 11me

    DP, 27me

    DA.36

    Ilustration de ce premier rapprochement doctrinal, le gnral Fricaud-Chagnauda t chef de la mission militaire franaise auprs de ltat-major centre Europe Brunssum de 1978 1983 et a galement jou un rle important dans le

    dveloppement de la FAR. Voir Frdric Bozo, La France et lOTAN, op. cit.,p. 126.

  • 8/7/2019 La France dans l'OTAN. La culture militaire franaise et l'identit stratgique en question

    19/47

    A.H. de Russ / La France dans lOTAN

    - 17 -

    manuvres communes de grande ampleur France-OTAN en 1986(exercice Frankischer Schield) et 1987 (exercice Moineau hardi o20 000 soldats franais sont dploys) montrent quau niveau oprationnella logique de lintgration est loin dtre ignore.

    Pour autant, larme de Terre franaise reste divise en deuxcultures, tradition continentale et tradition coloniale. Bien quun dbut derapprochement oprationnel se produise avec lOTAN, les unitsprofessionnelles assurent dans le mme temps les oprations extrieuresdans les anciennes colonies franaises, en particulier en Afrique (Tchad,Mauritanie, Rpublique Centrafricaine, Djibouti, Congo, Comores). La FAR,dployable rapidement sur les thtres doprations extrieures en cas decrise subite, y participe dans une large mesure, exprimentant ainsi petitechelle la dcentralisation du commandement et linitiative dessubordonns. Les cadres simmergent dans des civilisations aux antipodesde leurs modes de pense et daction pour imposer la paix et la scurit,

    protger la population. Les lieutenants et les capitaines de cette poquesont les officiers gnraux daujourdhui. Cest le rgne des oprationsmenes en national avec beaucoup de souplesse et de libert daction. Ony retrouve un des traits de la culture militaire franaise, savoir lautonomiede dcision et la polyvalence des tches qui spanouissent souslimportante libert daction laisse aux chelons subordonns, une foisprciss lesprit et la lettre de la mission. Aussi la culture et lexpriencemilitaire franaise militent pour une formation polyvalente des cadresjusquau niveau des plus petits chelons de combat 37

    Ainsi les armes franaises, en dpit de la dcision de 1966 et du

    dveloppement des interventions en Afrique partir des annes 1970,maintiennent un lien oprationnel avec les allis qui se voit confirm avecla fin de la guerre froide.

    .

    Proximit doctrinaleet convergence oprationnelle depuis 1991

    La disparition de la menace sovitique entrane la fois la fin de la quasi-automaticit de lengagement et une rduction trs importante du volumede forces dployes par lOTAN. Largument politico-stratgique qui avaitmotiv la dcision de 1966 perd donc de sa pertinence. Dalliancedfensive en Europe, lOTAN se transforme en force dintervention

    expditionnaire. Aussi, pour des raisons qui tiennent autant aubouleversement du contexte gostratgique quaux besoins oprationnelsressentis, quil sagisse dinteroprabilit ou de trous capacitaires, lesarmes franaises ont, en dpit dun discours politique dindpendancenationale, confirm le rapprochement doctrinal de la dcennie prcdente.

    Le choc de la guerre du Golfe

    Mme si elle nest pas une opration de lOTAN, la premire guerre duGolfe constitue un test grandeur nature pour les armes franaises dans un

    37

    Voir CDEF, Se prparer aux interventions extrieures. Lexpriencefranaise , Doctrine, n9, juin 2006.

  • 8/7/2019 La France dans l'OTAN. La culture militaire franaise et l'identit stratgique en question

    20/47

    A.H. de Russ / La France dans lOTAN

    - 18 -

    conflit de haute intensit men conjointement avec les allis. Elle marquegalement le dbut dun rapprochement oprationnel et doctrinal de plusen plus pouss entre les armes franaises et lAlliance. Lexemple delarme de lAir est, cet gard, significatif. Lopration Tempte dudsert met en lumire un certain nombre de carences des matrielsfranais en matire de technologie et dinteroprabilit. Les avions decombat franais ne disposent pas du systme didentification amis /ennemis IFF mode IV ni de capacits de vision nocturne ou encore deradio vasion de frquence38. Sur le plan doctrinal, le mode dactionfranais dattaque basse altitude, issu des impratifs de la dissuasionnuclaire, savre contre-productif. Des experts amricains soulignerontque les pertes franaises furent causes par le feu irakien, maisrsultrent plus fondamentalement de lindcision de Paris quant savoirsil convenait ou pas de se joindre aux attaques allies, ensuite de lchecdans le dveloppement lavance de tactiques efficaces39. En rponse,les aviateurs se tournent vers une approche tout OTAN sur le plan

    doctrinal, reprenant informellement leur compte le thme de lAir Powerprimaut et autonomie de la puissance arienne sur le modle amricain comme la pense de John Warden, thoricien du bombardementstratgique. Etant donn labsence de doctrine nationale formalise jusquen 2008 et la multiplication des oprations ariennes menes encommun (Bosnie, Kosovo), larme de lAir simprgne de la culture delOTAN, et travers elle, de la culture de lUS Air Force40

    Concernant larme de Terre, la premire guerre du Golfe rvlegalement des carences dordre tactique et dinteroprabilit avec lesallis. La division Daguet, forte de 12 500 hommes, est intgre dans leXVIIIe Corps aroport amricain. Elle ne peut aligner quun seul rgimentdartillerie de 155 mm, insuffisant pour appuyer dans de bonnes conditionsla manuvre prvue. Les Amricains dtachent donc auprs de la divisionfranaise plus dune brigade dartillerie

    .

    41. Pour lappui air-sol, Daguetdpend exclusivement des contrleurs ariens avancs de lUS Army.Enfin, les troupes franaises sont subordonnes aux Amricains pour lerenseignement. Au-del des enseignements tactiques, larme de Terreconstate que la cohrence oprationnelle dune coalition passeobligatoirement par linteroprabilit des doctrines, des procdures et desmatriels afin de permettre aux hommes de travailler ensemble42

    38

    Voir Etienne de Durand et Bastien Irondelle, Stratgie arienne compare, Lesdocuments du C2SD, Centre dtudes en sciences sociales de la dfense, No. 83,2006, p. 142.

    .

    39Tous les avions franais engags le 17 janvier 1991 contre laroport dAl

    Salman sont ainsi endommags par la DCA irakienne. Voir Michael Gordon etBernard Trainor, The Generals War, New York, Little, Brown and Co., 1995,pp. 172, 221.40

    Voir Etienne de Durand et Bastien Irondelle, Stratgie arienne compare, op.cit., p. 145.41

    Voir Robert H. Scales, Jr., Certain Victory : The US Army in the Gulf War, Dulles,Brasseys, Potomac Books, 1993, p. 139.42

    Voir CDEF, Enseignements tactiques, Cahier de la rflexion doctrinale, 2005,p. 30.

  • 8/7/2019 La France dans l'OTAN. La culture militaire franaise et l'identit stratgique en question

    21/47

    A.H. de Russ / La France dans lOTAN

    - 19 -

    Ainsi, compter de lopration Desert Storm, larme franaiseredcouvre les conditions dun engagement de haute intensit dans uncadre multinational. Ce besoin dinteroprabilit va sintensifier au cours dedans la dcennie 1990.

    Intgrations capacitaire et oprationnelle

    Avec la dissolution du pacte de Varsovie en juillet 1991, le contextestratgique devient beaucoup moins contraint que pendant la Guerrefroide. Entre 1950 et 1990, le bon fonctionnement de lAlliance se traduitpour chaque Etat, hormis les Etats-Unis, par un abandon de souverainetaccept sur ses forces armes. Les plans de dfense de lOTANsinscrivent dans une stratgie qui connatra deux volutions majeuresinities pour lessentiel par les Etats-Unis (MC 14/2 ; MC 14/3) dont lespropres volutions doctrinales sont transposes lOTAN. Or, cette OTANdu premier ge , exceptionnelle dans la dure et remarquablement

    efficace, prend fin avec la disparition de la menace sovitique. Il ny a doncplus dautomaticit demploi des forces. Aussi le cur mme du dispositifmilitaire intgr, savoir le systme automatique de planification militairepar abandon de souverainet, na plus de justification et chaque Etatmembre sest-il rappropri sa souverainet militaire43

    Dinstrument de dfense militaire collective, lOTAN devient unrservoir de forces tout en conservant un rle dintgration, dchange etde dfinition de normes militaires. Lors du sommet de Rome en novembre1991, lOTAN abandonne la dfense de lavant au profit des missionsde gestion de crise, hors article 5 . Ainsi, la mission originelle delAlliance disparat, mais lOrganisation reste le seul instrument multilatral

    ax sur lefficacit militaire.

    .

    Plutt que de chercher un consensus politique sur lutilit delAlliance, les Etats-Unis sefforcent depuis la fin des annes 1990 demettre en uvre une rforme des capacits militaires des allis visant rpondre aux nouvelles formes de conflit. Si les experts amricainsreconnaissent que les Europens disposent dun rel savoir faire enmatire de maintien de la paix, ils regrettent quils naient pas les moyensde conduire des oprations militaires modernes vraiment exigeantes.Encore trop consacrs la dfense territoriale, les appareils militaireseuropens ne sont pas suffisamment projetables. Cest dans ce cadre que

    les Amricains lancent en avril 1999 au sommet de Washington la DefenseCapacity Initiative (DCI) qui vise amliorer les capacits des armeseuropennes en matire de dploiement, de mobilit, de logistique et decommandement et contrle44

    43

    Voir Yves Boyer et Nicole Vilboux, Vision amricaine de lOTAN, Fondation pourla Recherche Stratgique (FRS), janvier 2010, p. 5.

    . La transformation des armes europennes

    44

    Voir Report on Allied Contribution to the Common defense , US Departmentof defense, Washington DC, mars 2000, chap II, p. 2.

  • 8/7/2019 La France dans l'OTAN. La culture militaire franaise et l'identit stratgique en question

    22/47

    A.H. de Russ / La France dans lOTAN

    - 20 -

    est perue Washington comme conditionnant la poursuite dunecoopration transatlantique efficace45

    Cest dans ce cadre que sinscrit la rorganisation des structures de

    commandement. Le commandement alli en Europe est remplac par uncommandement alli des oprations (Allied Command Operations ACO)command par le SACEUR et qui comprend trois commandements deforces interarmes (Joint Force Command) Brunssum, Naples etLisbonne. En 2002, Jacques Chirac accepte au sommet atlantique dePrague que la France participe la NATO Response Force(NRF)

    .

    46 avecla certification de plusieurs units franaises ainsi quau nouveaucommandement alli pour la transformation (Allied CommandTransformation ACT) qui sinstalle Norfolk, en Virginie. Coupl lUSJoint Forces Command, ACT est cens tre le vhicule idal de diffusiondes concepts de transformation auprs des allis en disposant de forcespuissantes (lethal) et projetables, capables dtre soutenues dans des

    rgions lointaines 47

    Ds 1994, lors du sommet de Bruxelles de lOTAN, la Franceaccepte ainsi la cration des Combined Joint Task Forces (CJTF),groupements de forces pouvant tre placs sous commandementatlantique ou sous commandement europen, ce qui est pour Parisreconnatre la prennit du rle de lAlliance, tout en incitant cettedernire reconnatre lexistence mme dun rle europen

    . Cette volont dintgration capacitaire se retrouve auniveau oprationnel.

    48. Le conflitbosniaque marque pour lOTAN le premier engagement militaire de sonhistoire49

    45

    Dans le domaine des appuis feux terrestres par exemple, la France fait partie delArtillery System Coordination Activities (ASCA) qui regroupe les artilleries descinq membres de lOTAN disposant dun systme automatis de gestion et decoordination des tirs dartillerie. Ainsi, les tirs des pices dartillerie franaisespeuvent-ils tre intgrs une manuvre des feux mene conjointement avec despices dartillerie, dautres membres de lASCA et avec la mme rapidit de

    traitement que dans un simple cadre national. Voir Laurent Fromaget, Le feudans le modle de guerre occidental, de lintgration tactique aux dommagescollatraux , Focus stratgique, n17, Ifri, juin 2009, p. 25.

    . Afin dassurer la mise en uvre des accords de Dayton signs

    en dcembre 1995 entre Serbes et Bosniaques, lOTAN dploie une forcedintervention (IFOR) puis une force de stabilisation (SFOR) de plus de60 000 soldats en Bosnie-Herzgovine. La France y est largementassocie et dploie en moyenne 7 500 hommes.

    46Forces interarmes de 25 000 hommes, projetables sur pravis de cinq jours et

    capable de durer au moins 30 jours. En 2006, le SACEUR prsente dailleurs laNRF comme le principal vecteur de transformation de lAlliance. Voir GeneralJames L. jones, Commander, United States European command, Statementbefore the Senate Armed Services Committee ,7 Mars 2006, p. 43.47

    Jim Garamone, NATO Ministers Okay Sweeping Command Changes ,American Forces Press Service, 12 juin 2003, p. 41.48

    Voir Dominique David, La France et lOTAN : une affaire dimages , RevueEtudes internationales, Vol. 50, No. 2, juin 2009, p. 294.49

    A la demande des Nations Unies, lAlliance fournit un appui arien rapproch au

    sol la Force de Protection des Nations Unies (FORPRONU) et procde desfrappes ariennes afin de protger les zones de scurit dsignes par lONU.

  • 8/7/2019 La France dans l'OTAN. La culture militaire franaise et l'identit stratgique en question

    23/47

    A.H. de Russ / La France dans lOTAN

    - 21 -

    Au Kosovo, en 1999, larme de lAir et le groupe aronaval franaissont placs sous le contrle oprationnel de lOTAN lors de loprationarienne Allied Force la France est le deuxime contributeur etassure 10 % des missions ariennes50. Pour la premire fois, les forcesfranaises, pour des raisons defficacit oprationnelle, sont places souscommandement direct de lOTAN51. Soucieux de prendre en compte lesbesoins de coordination et dinteroprabilit ncessaires, le CEMA ngocieen 2004 un accord avec le SACEUR pour organiser la mise dispositiondofficiers franais dans les structures permanentes de commandement delOTAN, SHAPE notamment. La France compte ainsi de 2004 2009environ 131 officiers insrs 52

    Depuis 2003, la France participe en Afghanistan lopration destabilisation de lOTAN, la FIAS ou ISAF (3 750 militaires en 2010)

    .

    53. Enfin,en dehors des oprations de gestion de crise, depuis 2007, larme de lAirassure rgulirement la protection du ciel de lIslande et des pays Baltes.

    Pour la premire fois depuis 1966, ce nest plus Paris mais lecommandement de lOTAN qui pourrait donner un ordre de tir un avionde combat franais54

    Ce rapprochement oprationnel et doctrinal post guerre froide particulirement marqu pour larme de lAir franaise montre que lesenjeux du retour de la France dans le commandement intgr de lOTANse situent pour lessentiel sur les plans militaire et oprationnel.

    .

    Renversement des problmatiques

    Ltude historique des rapports entre la France et lOTAN jusquaujourdhui montre que lexprience oprationnelle partage comptefinalement au moins autant que lappartenance aux structures intgres.Lide selon laquelle lautonomie stratgique franaise serait menace parune intgration dans lOTAN a perdu de sa pertinence aujourdhui. Sur leplan nuclaire, tout dabord, le problme de la compatibilit entre Ripostegradue et ultime avertissement franais, ainsi que la questionfondamentale du partage de la dcision nuclaire qui avait t au cur dudivorce De Gaulle-Kennedy, ne se posent plus aujourdhui. La participationpleine et entire de la France dans lOTAN nengage en rien la

    50Parmi les pays de lOTAN participant lopration, seuls les avions britanniques,

    canadiens et franais utilisaient des bombes guidage laser ct de lUS AirForce.51

    Dans le cadre de la mission de stabilisation de lAlliance au Kosovo (KFOR),larme de Terre franaise participe hauteur denviron 2 500 hommes et assurele commandement permanent de la Brigade multinationale Nord. Deux gnrauxfranais commandent respectivement en 2002 et 2004 lensemble de la mission delOTAN au Kosovo (soit jusqu 40 000 hommes).52

    Entretien lEMA, fvrier 2010.53

    Force Internationale dAssistance la Scurit (FIAS) ou International SecurityAssistance Force (ISAF).54

    Voir Louis Gautier, La dfense de la France aprs la guerre froide, Paris, PUF,2009, pp. 132-141.

  • 8/7/2019 La France dans l'OTAN. La culture militaire franaise et l'identit stratgique en question

    24/47

    A.H. de Russ / La France dans lOTAN

    - 22 -

    souverainet de la France sur sa force de dissuasion dont lemploi ultimereste dans les mains du prsident de la Rpublique 55

    Plus largement, pourquoi en effet rester en dehors dune

    organisation devenue conforme aux vux du gnral de Gaulle, car modulaire et gomtrie variable comme le montre lexemple descaveatsou restrictions demploi en Afghanistan

    .

    56 ? LOTAN luvre enAfghanistan est en effet tout sauf une alliance intgre. La distinction entreforces intgres et forces non intgres est devenue obsolte compte tenudes missions nouvelles de lAlliance, de la transformation de sescommandements et du processus de gnration de forces qui repose sur ladcision souveraine des Etats membres de mettre ou pas disposition delOTAN, en rserve ou en opration, units et quipements57

    Enfin, la dcision franaise de rester en dehors des structures

    intgres est apparue certains analystes comme politiquementdsavantageuse. Dune part, ce positionnement empchait la Francedexercer une influence au sein de lAlliance au regard de sa contribution.Enfin, cela discrditait la volont franaise de renforcer la PESD aux yeuxde plusieurs partenaires europens, naturellement conduits considrercelle-ci comme un cheval de Troie destin saper lOTAN

    .

    58

    On assiste donc un renversement de la problmatique dans lamesure o les consquences de la participation pleine et entire de laFrance dans la structure militaire intgre de lAlliance semblent devoir tre court terme moins politiques que militaires. Faut-il alors craindre quel otanisation des armes franaises nentrane une perte doriginalit

    intellectuelle et doctrinale, voire une uniformisation de la culture militairenationale avec en parallle, un affaiblissement capacitaire ettechnologique ? A en juger par la politique de dfense et plusgnralement lattitude de certains pays europens, l otanisation est eneffet susceptible dinduire des effets pervers qui vont de lappauvrissementintellectuel au relchement budgtaire a contrario, le Royaume-Uni est lpour prouver que ces effets nfastes nont rien dautomatique. En ce sens,cest bien le niveau technico-oprationnel qui pourrait, indirectement et terme, conditionner le niveau politique. Il convient donc danalyser lesrpercussions possibles du retour franais dans le giron otanien enenvisageant plusieurs hypothses dvolutions divergentes.

    .

    55Ibid., p. 240.

    56Entretien avec Frdric Bozo, 29 janvier 2010.

    57Voir Pierre Lellouche, Lalli indocile. La France et lOTAN de la guerre froide

    lAfghanistan, Paris, Editions du moment, 2009, pp. 241-242.58

    Voir Jeremy Ghez et F. Stephen Larrabee, France and NATO , Survival, Vol.51, n2, avril-mai 2009, p.78.

  • 8/7/2019 La France dans l'OTAN. La culture militaire franaise et l'identit stratgique en question

    25/47

    Quels scnariospour la culture militaire franaise ?

    arce que cest bien le niveau oprationnel et militaire qui, loin dtresecondaire et technique , pourrait conditionner le niveau stratgique

    et politique, la prsente tude va donc sefforcer dtablir des scnarios ,permettant dapprcier les effets du retour de la France dans les structures

    militaires intgres. Pour la clart du dbat, ces volutions venir ont tvolontairement regroupes dans trois hypothses dcole. Ces derniresrestent non exclusives et pourraient se mler dans la ralit.

    Une affaire dimage

    Compte tenu du rapprochement doctrinal et oprationnel opr ds lesannes 1980 et confirm aprs la guerre froide, de la permanence decultures militaires modeles par des sicles daffrontement et du relatifloignement entre les deux rives de lAtlantique, le retour de la France dansles structures intgres de lOTAN pourrait demeurer largementinstitutionnel et ne pas entraner deffet sur la culture militaire franaise.

    Entre loignement politique et rapprochement doctrinal

    En particulier depuis le 11 septembre, lAlliance semble tre devenue pourWashington un cadre de lgitimation politique plus quun outil militaire,comme lont illustr les guerres en Irak en 2003 et en Afghanistan compter du dploiement de la FIAS. Le fameux paradigme de lanciensecrtaire dEtat la dfense de lAdministration Bush, Donald Rumsfeld,selon lequel cest la mission qui dtermine la coalition et non la coalitionqui dtermine la mission, a laiss des traces durables 59. Les affaires dedfense transatlantiques occupent aujourdhui une place de plus en plusrduite dans la sphre intellectuelle et politique Washington. Au sein des

    think-tanksamricains, lOTAN a quasiment disparu des programmes derecherche au profit de thmes comme le terrorisme, la Homeland Securityou encore les crises en Asie centrale ou au Proche-Orient. De la mmefaon, les auditions sur lOTAN sont devenues rares au sein du Committeeon Foreign Relationsdu Snat60

    59

    Voir Hubert Vdrine, La France et la mondialisation : rapport au prsident de laRpublique , La Documentation franaise, septembre 2007, accessible :

    .

    http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/074000535/0000.pdf, p. 41.60

    Voir Yves Boyer et Nicole Vilboux, Vision Amricaine de lOTAN, op.cit., pp. 42-43.

    P

    http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/074000535/0000.pdfhttp://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/074000535/0000.pdfhttp://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/074000535/0000.pdfhttp://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/074000535/0000.pdfhttp://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/074000535/0000.pdfhttp://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/074000535/0000.pdf
  • 8/7/2019 La France dans l'OTAN. La culture militaire franaise et l'identit stratgique en question

    26/47

    A.H. de Russ / La France dans lOTAN

    - 24 -

    Sur le plan oprationnel, cette fois, on peut considrer la rintgrationcomme dj ralise. A partir de 1995, la France a effectivement acceptde revenir dans lOTAN pour des raisons defficacit. Au terme de laprsidence de Jacques Chirac en 2007, la coopration de la France aveclOTAN en matire oprationnelle et militaire sest dveloppe de tellemanire que la France aurait pu tre considre de facto comme unmembre du commandement intgr. Pour les armes techniciennes que sont larme de lAir et la Marine, le retour dans lOTAN constitue laconfirmation de pratiques quotidiennes et dun rapprochement doctrinalopr de longue date. Dans larme de Terre, les jeunes officiers ontbeaucoup agi ces dernires annes avec leurs allis en oprationsextrieures. Lintervention actuelle en Afghanistan dune brigade franaisesous commandement amricain dans le cadre de lOTAN vient par ailleursrenforcer cette intgration oprationnelle. Cette jeune gnrationconsidre donc ce retour comme naturel, leurs anciens se souvenantdavantage des efforts dploys pour refonder lautonomie militaire

    nationale 61

    Sur le plan doctrinal, les forces terrestres amricaines ont engagdepuis 2003 de nombreuses rformes conceptuelles, organisationnelles etoprationnelles afin de sadapter aux oprations menes en Irak et enAfghanistan. Mme sil est encore trop tt pour mesurer limpact enprofondeur de ces expriences sur la culture militaire amricaine, lesprventions de linstitution militaire amricaine lgard de la guerreirrgulire et la rsistance traditionnellement oppose aux mthodes de contre-insurrection ont t pour partie surmontes, au moinstemporairement

    .

    62

    Cette nouvelle orientation de la pense militaire amricaine estassez proche de la doctrine de contre-rbellion adopte par le Centre dedoctrine et dentrainement des forces (CDEF) de larme de Terre. Lacontre-rbellion constitue pour les Franais un mode daction tactique quisinsre dans une manuvre globale combinant les diffrents modesdaction de contrle du terrain et de protection des populations, avec des

    . Ainsi, le nouveau manuel de doctrine de lUS Armyet delUS Marine Corps FM 3-24 Counterinsurgency insiste sur lacomplmentarit entre action militaire et action de pacification ainsi que surlenjeu que reprsentent la population et son corollaire, la conqute descurs et des esprits . La pense de David Galula, thoricien franais dela contre-insurrection, a largement inspir les principaux rdacteurs du FM3-24, David Petraeus, John Mattis et John Nagl. Le succs du SurgeenIrak en 2007 ainsi que les rcentes directives du gnral McChrystal enAfghanistan tmoignent dune prise de conscience chez les militairesamricains : lusage de la force militaire en guerre asymtrique conduit aumieux ltablissement de conditions qui permettent le succs stratgique,rien de plus.

    61Voir Dominique David, La France et lOTAN, une affaire dimages , op. cit.,

    p. 298.62

    Voir David Ucko, The New Counterinsurgency Era, Transforming the US MilitaryFor Modern Wars, Georgetown, Georgetown University Press, 2009.

  • 8/7/2019 La France dans l'OTAN. La culture militaire franaise et l'identit stratgique en question

    27/47

    A.H. de Russ / La France dans lOTAN

    - 25 -

    formes dactions civiles au profit de ces mmes populations(dveloppement, ducation, reconstruction)63

    Ainsi, mme si sur le terrain beaucoup dunits de lArmy

    conservent une culture du combat conventionnel

    .

    64

    , la convergencedoctrinale entre les forces terrestres amricaines et les armes de Terrefranaise et britannique sest donc acclre depuis les cinq derniresannes. A supposer que cette convergence oprationnelle et doctrinale seconfirme, le retour de la France dans les structures militaires intgres delAlliance ne devrait pas affecter la culture militaire nationale. LAllianceatlantique, concert de nations, na dailleurs pas transformsystmatiquement des cultures stratgiques et tactiques europennesmodeles par des sicles daffrontement : en dpit de sa proximit aveclarme amricaine, larme britannique nen conserve pas moins uneculture militaire et une way of warfare trs spcifique. La doctrinebritannique insiste sur linitiative des chelons subordonns visant

    atteindre le centre de gravit ennemi, linverse dune approcheamricaine historiquement attache l attrition et trs marque parlobsession de la force protection . Disposant dune expertise reconnueen contre-insurrection lie son hritage colonial, larme britanniqueinsiste sur la gradation de la force dans la gestion de crise 65

    Au vrai, ce scnario, sil nest pas exclure pour un certain nombrede points, napporte par nature que peu dlments nouveaux pour ledbat. En revanche, les scnarios suivants permettent de faire ressortir deschangements potentiels quil faut suivre pour mesurer limpact quunenouvelle culture militaire franaise otanise pourrait avoir sur le niveau

    politique.

    .

    Entre enrichissement doctrinal et rayonnement culturel

    Si les armes franaises russissent techniquement leur retour dans lesstructures intgres (avec des ressources humaines appropries et uneanalyse pertinente du fonctionnement des tats-majors), on peut envisagerun enrichissement de la culture militaire franaise, voire lmergence duneculture stratgique europenne au sein de lAlliance.

    Entre stimulation et influence : le renouveau doctrinal franais confort

    La participation bientt significative dofficiers franais dans les groupes detravail de lOTAN pourrait stimuler la rflexion doctrinale et stratgique linstar des convictions nuclaires du gnral Gallois forges dans lesannes 1950 dans les couloirs de SHAPE. Paralllement, la participationaccrue de la France llaboration du corpus doctrinal de lOTAN devraitpermettre dinfluencer les choix conceptuels de lAlliance. Aussi ltat-majordes armes (EMA) a-t-il mis en place en juillet 2009 un groupe de travail

    63Voir CDEF, Doctrine de contre rbellion, Paris, janvier 2009.

    64Dpendance au feu et culture de la guerre distance.

    65Voir Pascal Vennesson, Is There a European Way of War ? , European

    University Institute, Robert Schuman Center for Advanced Studies, Vol. 35, No. 4,July 2009, pp. 634-635.

  • 8/7/2019 La France dans l'OTAN. La culture militaire franaise et l'identit stratgique en question

    28/47

    A.H. de Russ / La France dans lOTAN

    - 26 -

    visant rformer la production doctrinale franaise. Lambition est de remettre la production conceptuelle et doctrinale nationale aux standardsde lOTAN afin de disposer dlments de comparaison fiables 66

    ETATS MEMBRES DE LOTAN

    . Tout enmaintenant une capacit nationale de rflexion militaire, la France comptesinspirer de lexemple britannique en investissant la pense franaise ausein des groupes de travail multinationaux. Les Britanniques dtiennentsouvent des postes cls, notamment dans la dfinition des Allied JointPublication (AJP) o ils mnent une vritable politique concerte au plushaut niveau de leur hirarchie militaire. Ltude de llaboration desdoctrines nationales des principaux Etats membres est intressante cetgard, dans la mesure o les approches sont trs diffrentes comme lemontre le tableau ci-dessous :

    ELABORATION DE LA DOCTRINENATIONALE

    ETATS-UNIS Sans lOTAN

    ROYAUME-UNI Influencer lOTAN

    ALLEMAGNE Relayer les concepts de lOTAN

    ITALIEAdopter intgralement la doctrine de

    lOTAN

    Pour la France, tout en introduisant les avances de la rflexionconceptuelle nationale au sein des groupes de travail multinationaux, il

    sagit de fusionner le corpus doctrinal national avec celui de lOTAN bienquil soit toutefois prvu que certains documents importants fassent lobjetdun supplment national. Une fois ratifis par les pays membres delAlliance, les documents feront partie du corpus doctrinal immdiatementexploitable dans un cadre oprationnel trs souvent marqu par uneexigence dinteroprabilit pousse . Prcisons que cette rformedoctrinale se ralise prioritairement au niveau interarmes67. Les doctrinesdarmes (Allied Tactical Publication- ATP) vont donc continuer relever,pour lessentiel, du niveau national68

    Aprs cette premire phase de mise niveau du corpus doctrinal

    national, il sagit ensuite de mettre en place une phase dapprentissage desnouveaux processus OTAN et de prise de responsabilit. Cela ncessitede matriser nos changes au sein de lAlliance (pratique de langlais etcomprhension de la culture anglo-saxonne qui fonde la rflexion militairede lOTAN). Enfin, moyen terme, lenjeu est doccuper des postes de hautniveau afin de pouvoir influer directement sur les choix doctrinaux delAlliance partir des travaux labors en France et recevables par lOTAN.

    .

    66Le corpus doctrinal comprend lensemble des Allied Joint Publications(AJPs) et

    des Allied Tactical Publications(ATPs) ainsi que leurs quivalents nationaux.67

    Via le Centre Interarmes de Concepts, de Doctrine et dExprimentations(CICDE) qui va donc voir son rle de coordinateur renforc afin de garantir que les

    doctrines darme participent de la mme rflexion densemble.68 Entretien lEMA, janvier 2010.

  • 8/7/2019 La France dans l'OTAN. La culture militaire franaise et l'identit stratgique en question

    29/47

    A.H. de Russ / La France dans lOTAN

    - 27 -

    Il va alors sagir dalimenter les ples nationaux de Bruxelles, Mons etNorfolk en portant leffort sur les relations avec les officiers insrs via lesSenior National Representatives(SNR)69

    La prsence dun gnral franais comme Supreme AlliedCommand for Transformation(SACT) reprsente une opportunit majeurepour la diffusion des conceptions franaises. Jusquen 2009, en effet,compte tenu de la fusion du poste de SACT et de COMUSJFCOM

    .

    70

    Paralllement cet ventuel enrichissement doctrinal, le retoursignificatif dofficiers franais dans les tats-majors de lOTAN devrait setraduire par une meilleure acquisition des procdures de planification, laculture militaire franaise tant plutt celle de la conduite.

    , ladomination des Etats-Unis dans lOTAN, tant sur le plan politique quemilitaire, a donn un exceptionnel pouvoir dinfluence aux Amricains enmatire de rflexion doctrinale et conceptuelle. En parallle, la proximitdACT Norfolk avec le JFCOM amricain doit permettre de suivre de prsle processus de transformation de larme amricaine. Tout cela peut donclaisser augurer dune acclration du rveil doctrinal des armes franaisesiniti en 1995 tout en permettant dinfluencer la rflexion doctrinaleotanienne.

    Acqurir la culture de planification

    Si linteroprabilit porte en priorit sur des matriels et des quipements,en particulier les systmes dinformation et de communication, elleconcerne aussi la pratique de la langue anglaise par le personnel des

    tats-majors et surtout lharmonisation des procdures de planification. Lesmthodes de raisonnement utilises aux niveaux stratgique et opratifsont des outils interarmes de planification et de gnration de forcesassez similaires, quelles que soient les cultures militaires nationales. Leprocessus de planification oprationnel du Guidelines Operational Planning(GOP), guide de planification en usage lOTAN, est assez similaire lquivalent franais, la Mthode de Planification Oprationnelle (MPO).Ces deux mthodes sont trs proches et parfaitement interoprables : lamanuvre progresse sur des lignes dopration fonctionnelles, de pointdcisif en point dcisif pour converger vers le centre de gravit choisi etdont latteinte conditionne la ralisation de ltat final recherch71

    Pour autant, il convient sans doute de conserver des mthodes deraisonnement nationales certains niveaux de la planification. En effet, ilsavre que les niveaux tactiques, notamment la division et la brigade,prouvent la ncessit de pratiquer une mthode de raisonnement

    .

    69Entretien La Reprsentation Militaire Franaise (RMF) auprs de lOTAN,

    Bruxelles, fvrier 2010.70

    US JFCOM : US Joint Forces Command, commandement interarmes de latransformation en charge de la dfinition des concepts, des capacits et delentranement en interarmes.71

    Voir Denis Opplert, De la pertinence dune mthode nationale de raisonnement

    militaire , Le Casoar, accessible :http://www.saint-cyr.org/cyr-2100.php?ArtID=70&SID=79537b533281e9890f173d152460ce36.

    http://www.saint-cyr.org/cyr-2100.php?ArtID=70&SID=79537b533281e9890f173d152460ce36http://www.saint-cyr.org/cyr-2100.php?ArtID=70&SID=79537b533281e9890f173d152460ce36http://www.saint-cyr.org/cyr-2100.php?ArtID=70&SID=79537b533281e9890f173d152460ce36http://www.saint-cyr.org/cyr-2100.php?ArtID=70&SID=79537b533281e9890f173d152460ce36http://www.saint-cyr.org/cyr-2100.php?ArtID=70&SID=79537b533281e9890f173d152460ce36http://www.saint-cyr.org/cyr-2100.php?ArtID=70&SID=79537b533281e9890f173d152460ce36
  • 8/7/2019 La France dans l'OTAN. La culture militaire franaise et l'identit stratgique en question

    30/47

    A.H. de Russ / La France dans lOTAN

    - 28 -

    national. Pour les Franais, il sagit de la mthode dlaboration dunedcision oprationnelle (MEDO), autrefois appele mthode deraisonnement tactique (MRT)72. Elle insiste sur la notion d effet majeur (le je veux exprim dans un cadre espace-temps), condition essentielle raliser pour la russite de la mission. Lestimate otanien, fruit duncompromis et qui pourrait devenir terme une mthode commune auxarmes de Terre allies, prsente dimportantes diffrences avec la MEDO,prfrant notamment la notion deffet majeur lnumration dune liste detches excuter73. Afin de prserver la libert daction des subordonns,il semble prfrable de privilgier les notions d effet majeur ou d idede manuvre , spcificit de la mthode de raisonnement franaise quiprivilgie la logique indirecte au dtriment de lapproche directe, logique dela force et de la masse 74. En Afghanistan, les deux bataillons franaisde la brigade Lafayette sous commandement amricain utilisentrgulirement cette mthode nationale sans que cela interfre sur laconduite des oprations75

    Plus globalement, lutilisation systmatique de la langue anglaise enplanification, bien quelle savre incontournable, ne doit pas prendre le passur la rflexion tactique. Un souci dinteroprabilit trop pouss tend parfois vouloir concevoir en bon anglais militaire un ordre dopration trs, voiretrop complet mais tactiquement inepte. Or, les missions confies auxsubordonns doivent tre exprimes dans des termes comprhensibles partous et cohrents avec les capacits des units (TTA 106) et non sousforme de liste de composantes. Lordre dopration du gnral Leclerc pourinvestir Paris tenait en deux pages, les missions des groupementstactiques en deux lignes

    .

    76

    Vers lmergence dune culturestratgique europenne au sein de lOTAN ?

    . Pourtant, la 2me DB tait un modledinteroprabilit avec les Amricains. Enfin, dun point de vue plusconceptuel, on peut se demander si les armes franaises peuventtotalement sapproprier des concepts labors dans une autre langue,sachant que le niveau politique national va continuer lui de penser enfranais.

    En reprenant toute sa place dans les commandements et en obtenant undegr deuropanisation de ceux-ci, la France pourrait faciliter ledveloppement et la convergence des contributions europennes. Celareprsente une opportunit quil convient de saisir pour lmergence duneculture stratgique europenne au sein de lOTAN. La normalisationfranaise pourrait ainsi lever les dernires rticences de certainspartenaires europens et par exemple favoriser llaboration dune vision

    72La MEDO permet ltat-major danalyser la mission ainsi que tous les facteurs

    intervenant dans son excution tout en raccourcissant de manire importante lesdlais de rflexion et de dcision.73

    Entretien au Corps de Raction Rapide France (CRR-FR), Lille, janvier 2010.74

    Voir Jean-Pierre Gambotti, De la conception des oprations ,Objectif doctrinen40 accessible sur :http://www.cdef.terre.defense.gouv.fr/publications/Objdoc/objdoc40/article_fr/art16.pdf75

    Entretien lEMAT, mars 2010.76 CDEF, Enseignements tactiques, op. cit., p. 33.

    http://www.cdef.terre.defense.gouv.fr/publications/Objdoc/objdoc40/article_fr/art16.pdfhttp://www.cdef.terre.defense.gouv.fr/publications/Objdoc/objdoc40/article_fr/art16.pdfhttp://www.cdef.terre.defense.gouv.fr/publications/Objdoc/objdoc40/article_fr/art16.pdfhttp://www.cdef.terre.defense.gouv.fr/publications/Objdoc/objdoc40/article_fr/art16.pdfhttp://www.cdef.terre.defense.gouv.fr/publications/Objdoc/objdoc40/article_fr/art16.pdfhttp://www.cdef.terre.defense.gouv.fr/publications/Objdoc/objdoc40/article_fr/art16.pdf
  • 8/7/2019 La France dans l'OTAN. La culture militaire franaise et l'identit stratgique en question

    31/47

    A.H. de Russ / La France dans lOTAN

    - 29 -

    stratgique commune entre Franais et Allemands faisant contrepoids aubloc anglo-amricain.

    Les positions franaises sont ainsi particulirement tudies

    SHAPE. Le pouvoir est prendre dans la mesure o les Amricainssemblent donc sloigner de plus en plus de lOTAN et les Britanniquessont affaiblis aprs lengagement massif en Irak et en Afghanistan77

    Lappui des Etats-Unis au retour de la France dans les structuresmilitaires intgres a dailleurs t prpondrant dans lobtention de deuxpostes majeurs de commandement. En effet, les postes de SACT et JFCLisbonne ont t cds par les Amricains. La France nesprait pasobtenir SACT de faon permanente mais les Etats-Unis ont impos cettesolution aux Britanniques et aux Allemands. Cette confiance marque auniveau des postes trs haute visibilit existe galement dans la structure

    o la France a obtenu le poste de gnral adjoint ltat-majorinternational et va tenir la fonction dadjoint plan au sein de ltat-major deSACEUR

    .

    78. Lattribution des postes dofficiers et de sous-officiers laFrance se droule sans heurts majeurs et mme plus rapidement queprvue. 1150 postes ont t agrs par les autres Etats-membres.Lobjectif affich par la France est de 1250 postes dans la structureintgre soit 25 toiles , correspondant aux postes tenus par desofficiers gnraux. Cet effectif se ralise sur un cycle de 3 ans, dbut en2009 et qui sachve en 201279

    Si lon peut naturellement esprer que ce scnario favorable seralise, on ne peut exclure un risque de banalisation de la culture militaire

    franaise avec en retour des implications dordre stratgique voire politique.Il convient donc de prsenter ces risques afin de mieux les anticiper voirede les carter.

    .

    Uniformisation culturelle et dpendance stratgique

    La russite du retour des armes franaises dans les structures militairesintgres est conditionne par une politique volontariste en matire deressources humaines, le maintien dun effort de dfense relativementsoutenu et une appropriation rapide du processus complexe deplanification de dfense de lOTAN. Enfin, dans la mesure o lapprochecapacitaire a des implications sur la doctrine et donc terme sur la culturemilitaire, la prsente analyse sintresse aux alas que reprsente, sur leplan industriel, lobjectif dinteroprabilit systmatique avec le grand alli.

    77Entretien SHAPE, Mons, fvrier 2010.

    78Entretien lEMA, fvrier 2010.

    79Larme de Terre devrait occuper 50% des postes soit environ 750 postes

    lchance 2012. Lquilibre semble cependant compliqu raliser car les

    commandements tactiques air reprsentent une part importante de lensemble.Entretien lEMA, janvier 2010.

  • 8/7/2019 La France dans l'OTAN. La culture militaire franaise et l'identit stratgique en question

    32/47

    A.H. de Russ / La France dans lOTAN

    - 30 -

    Des consquences humaines et financires non ngligeables

    Sur le plan des effectifs, la participation pleine et entire va avoir desconsquences non ngligeables sur le volume et la qualit de la ressourceen officiers destins pourvoir les besoins des tats-majors nationaux. Les

    dtachements dans lOTAN vont venir ponctionner un vivier dj endiminution du fait de la rduction des effectifs dans le cadre de la RformeGnrale des Politiques Publiques (RGPP). Cest un problme de gestiondes ressources humaines et des carrires des personnels militaires fortpotentiel. Concrtement, il faut donc dsinhiber nos officiers par rapport la pratique de langlais qui reste encore insuffisante, valoriser le parcours OTAN et placer des officiers haut potentiel dans les placesde choix en matire de rflexion doctrinale au sein dACT mais aussi dansles tats-majors opratifs pour la remonte dinformation grce aux SeniorNational Representatives (SNR). Ce dfi prend une dimension culturelledans la mesure o se pose la question du maintien des comptences denos propres tats-majors dans les domaines stratgiques et tactiques80

    Enfin, si lon veut influencer la doctrine de lOTAN, il est sans douteopportun de valoriser des cursus de carrire au sein du CICDE.Paralllement la mise en cohrence du corpus national doctrinal, appele tre coteuse en temps et en effectifs , les tats-majors vont devoirparticiper aux tudes doctrinales en cours lOTAN.

    .

    Sur le plan budgtaire, ensuite, la participation pleine et entire vacouter au moins 650 millions deuros supplmentaires entre 2010 et 2015.Le surcot relve essentiellement de dpenses salariales qui sontestimes, une fois la normalisation acheve, 70 millions par an pour les

    indemnits et les frais dexpatriation. A ces dpenses de fonctionnementsajoutent 30 millions de cotisation supplmentaire dans le cadre de lacontribution financire annuelle de la France lOTAN (170 millionsdeuros)81

    Au vrai, linfluence franaise au sein de lOTAN ne peut rellementadvenir que si la France et les pays europens maintiennent un effort dedfense substantiel. Or, force est de constater que le niveau de dpense etles capacits militaires des membres europens de lOTAN ont en

    moyenne fortement diminu ces dernires annes, poursuivant unetendance forte initie ds avant les annes 1990

    . Ce sont des sommes importantes qui nont pas t inscritesdans la Loi de Programmation Militaire (LPM) 2009-2015 et qui risquent fortdtre prleves sur dautres programmes du budget de la dfense.

    82

    80

    Entretien avec Louis Gautier, Cour des comptes, dcembre 2009.

    . Certains responsablesmilitaires amricains estiment que des oprations interarmes

    81Entretien la Reprsentation Militaire Franaise (RMF) auprs de lOTAN,

    Bruxelles, fvrier 2010.82 Voir Yves Boyer et Nicole Vilboux, Vision Amricaine de lOTAN, op. cit., p. 36.

  • 8/7/2019 La France dans l'OTAN. La culture militaire franaise et l'identit stratgique en question

    33/47

    A.H. de Russ / La France dans lOTAN

    - 31 -

    significatives avec dautres membres de lOTAN sont de plus en plusdifficiles conduire et risquent dtre bientt impossibles 83

    Si limpact humain et financier du retour de la France dans le

    commandement intgr ne doit pas tre nglig, il en va de mme pour laplanification de dfense dont il est encore difficile de mesurer limpact sur leformat capacitaire des armes franaises.

    .

    Planification de dfense

    Une des dispositions importantes du retour de la France dans lOTAN est leretour dans le Comit des plans de dfense. Dans ce cadre, la France vadsormais participer la planification de dfense et en particulier laplanification des forces (Force Planning Process FPP) qui a pour but dedoter lAlliance des forces et des capacits dont elle a besoin pour excutertoute la gamme de ses missions, conformment au concept stratgique de

    lAlliance. Cette planification a pour objet de disposer de forces modernes,dployables et interoprables. Elle vise galement harmoniser les effortsde dfense entre allis et rationaliser loutil de dfense des pays membres.Le FPP est un processus structur