2
La géohistoire du Nipissing François Castilloux La région du Nipissing a un paysage particulier. Les explorateurs, les voyageurs et les colonisateurs ont eu de la difficulté à la décrire. Le paysage n’est pas uniforme et varie considérablement entre des terres plates et des terres rocheuses. Près de nous, il faut penser aux forêts rocheuses de Field et de River Valley, aux champs plats de Verner et de Millerand, aux terres broussailleuses de Sturgeon Falls et de Cache Bay, aux marécages de Lavigne et de Monetville, aux falaises pointues de Beaucage et de Yellek, aux pentes abruptes de Duchesnay et de North Bay, aux prairies cahoteuses de Corbeil et de Bonfield, etc. Comme nous pouvons le constater, notre région a visiblement un paysage varié. Par ailleurs, ce genre de paysage a bien été documenté depuis que les Européens ont commencé à naviguer sur le lac Nipissing. Samuel de Champlain décrit notre région comme «un pays mal agréable remplis de sapins, bouleaux et quelques chêne, force rochers et à plusieurs endroits un peu montagneux», mais près du lac Nipissing il apprécia de «bons étangs, nombre de belles prairies avec de très beau bois qui l’environnent». Après Samuel de Champlain, d’autres aventuriers ont aussi noté le paysage varié du Nipissing. En 1856, l’arpenteur Albert Salter traça une longue ligne d’arpentage qui traverse notre région jusqu’au lac Supérieur. Il traça ce qu’on appelle aujourd’hui la «Salter Baseline» et garda compte de ses observations. Il trouva que la description de Samuel de Champlain était exacte. Selon Albert Salter, le paysage autour du lac Nipissing est «rugged and broken», mais qu’il varie à certains endroits comme «The land at its entrance into Lake Nipissing is low and swampy, consisting on both sides of open prairie». En 1857, le géologue Alexander Murray explora notre région pour étudier son développement potentiel. Il remarqua rapidement le paysage varié et écrit «While the coast [of Lake Nipissing] presents this wild and desolate appearance, there are many spots not very remote from it where the character of the country is much less forbidding [...] when settlement shall at some future time reach the shore of the Lake». Depuis le début des explorations européennes, plusieurs ont écrit des témoignages semblables qui racontent le paysage varié du Nipissing. D’ailleurs, ces témoignages accordent beaucoup d’importance à la géologie, et ce, avec raison. La géologie influence l’expérience humaine et les activités économiques. Le paysage a certes contribué à l’histoire de la région et aux développements de nos communautés. Le Nipissing Ouest doit explorer davantage les facteurs géologiques qui ont influencé son passé. Cette chronique historique explore donc notre passé avec une approche géologique. La région du Nipissing a visiblement un paysage varié et certains se demandent pourquoi. Le lac Nipissing est la clé à cette question. En fait, le lac Nipissing fait partie d’un système géologique qui le lie intimement avec la rivière des Outaouais. Pour bien comprendre le paysage du Nipissing, il faut premièrement comprendre le paysage de la rivière des Outaouais. Durant la formation du Bouclier canadien il y a des millions d’années, des failles sous-terrestres ont tordu le paysage pour former ce qui est aujourd’hui la rivière des Outaouais, le lac Nipissing et ses cours d’eaux. Ces failles s’appellent «Mattawa» et «Petawawa» et, comme plusieurs autres failles, celles-ci ont produit un phénomène géologique appelé «graben». Dans ce cas-ci, les failles Mattawa et Petawawa ont produit le «graben de la rivière des Outaouais» ou «Ottawa River Graben» en anglais. Le relief d’un graben est particulier. Il prend la forme d’un grand et long corridor entre deux plateaux de sol surélevé. Ces plateaux sont appelés «horst» et, en raison de leur élévation, ils produisent des pentes abruptes qui descendent jusqu’au sol du graben. Ces pentes sont appelées «escarpement». Dans le cas du graben de la rivière des Outaouais, l’eau de la rivière coule dans le graben et les horsts sont les vallées montagneuses qui bordent en longueur les deux côtés de la rivière. Le sol du graben est plat tandis que le sol du horst est plutôt rocheux et accidenté. Lorsque le graben de la rivière des Outaouais s’est formé il y a des millions d’années, sa formation a déformé un vaste territoire atteignant, entre autres, le lac Nipissing. Bien que le lac se situe loin de la rivière des Outaouais, le graben en question a contribué à la formation du lac Nipissing et de ses cours d’eaux. Selon un rapport géologique du «Departement of Mines and Northern Affairs» (S. Lumbers : 1971), la région du lac Nipissing possède son propre graben qui est appelé le «graben du Nipissing». En fait, le graben du Nipissing est une petite extension du graben de la rivière des Outaouais. À partir de Pembroke, le graben de la rivière des Outaouais se dirige verticalement vers le Nord et est traversé par deux failles horizontales à Mattawa. Ces failles s’appellent «Nipissing» et «Crystal Falls» et ont produit le graben du Nipissing qui commence à Mattawa et s’étend horizontalement sous le lac Nipissing et ses cours d’eaux pour disparaître à l’ouest après Warren et la 81e longitude. Dans notre cas, les eaux du lac Nipissing et de la rivière Mattawa et des Français coulent en grande partie dans le graben du Nipissing. Comme le graben de la rivière des Outaouais, le graben du Nipissing a deux horsts qui, cette fois-ci, bordent horizontalement le côté nord et sud du lac Nipissing. Le horst sur le côté nord est notamment visible comme la carte géo-satellite démontre. Cet horst a tordu le paysage produisant ainsi un long escarpement horizontal entre Mattawa et Warren. Ce dernier est bien visible encore aujourd’hui et plusieurs reconnaitront les exemples suivants. L’escarpement sur la route 64 de Sturgeon Falls vers Field, celui sur la route 575 de Verner vers Field et sur l’autoroute 11 au nord de North Bay et sans oublier l’escarpement ou se

La Géohistoire du Nipissing

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Histoire du Nipissing

Citation preview

La géohistoire du Nipissing François Castilloux

La région du Nipissing a un paysage particulier. Les explorateurs, les voyageurs et les colonisateurs ont eu de la difficulté à la décrire. Le paysage n’est pas uniforme et varie considérablement entre des terres plates et des terres rocheuses. Près de nous, il faut penser aux forêts rocheuses de Field et

de River Valley, aux champs plats de Verner et de Millerand, aux terres broussailleuses de Sturgeon Falls et de Cache Bay, aux marécages de Lavigne et de Monetville, aux falaises pointues de Beaucage et de Yellek, aux pentes abruptes de Duchesnay et de North Bay, aux prairies cahoteuses de Corbeil et de Bonfield, etc. Comme nous pouvons le constater, notre région a visiblement un paysage varié. Par ailleurs, ce genre de paysage a bien été documenté depuis que les Européens ont commencé à naviguer sur le lac Nipissing. Samuel de Champlain décrit notre région comme «un pays mal agréable remplis de sapins, bouleaux et quelques chêne, force rochers et à plusieurs endroits un peu montagneux», mais près du lac Nipissing il apprécia de «bons étangs, nombre de belles prairies avec de très beau bois qui l’environnent». Après Samuel de Champlain, d’autres aventuriers ont aussi noté le paysage varié du Nipissing. En 1856, l’arpenteur Albert Salter traça une longue ligne d’arpentage qui traverse notre région jusqu’au lac Supérieur. Il traça ce qu’on appelle aujourd’hui la «Salter Baseline» et garda compte de ses observations. Il trouva que la description de Samuel de Champlain était exacte. Selon Albert Salter, le paysage autour du lac Nipissing est «rugged and broken», mais qu’il varie à certains endroits comme «The land at its entrance into Lake Nipissing is low and swampy, consisting on both sides of open prairie». En 1857, le géologue Alexander Murray explora notre région pour étudier son développement potentiel. Il remarqua rapidement le paysage varié et écrit «While the coast [of Lake Nipissing] presents this wild and desolate appearance, there are many spots not very remote from it where the character of the country is much less forbidding [...] when settlement shall at some future time reach the shore of the Lake». Depuis le début des explorations européennes, plusieurs ont écrit des témoignages semblables qui racontent le paysage varié du Nipissing. D’ailleurs, ces témoignages accordent beaucoup d’importance à la géologie, et ce, avec raison. La géologie influence l’expérience humaine et les activités économiques. Le paysage a certes contribué à l’histoire de la région et aux développements de nos communautés. Le Nipissing Ouest doit explorer davantage les facteurs géologiques qui ont influencé son passé. Cette chronique historique explore donc notre passé avec une approche géologique.

La région du Nipissing a visiblement un paysage varié et certains se demandent pourquoi. Le lac Nipissing est la clé à cette question. En fait, le lac Nipissing fait partie d’un système géologique qui le lie intimement avec la rivière des Outaouais. Pour bien comprendre le paysage du Nipissing, il faut premièrement comprendre le paysage de la rivière des Outaouais. Durant la formation du Bouclier canadien il y a des millions d’années, des failles sous-terrestres ont tordu le paysage pour former ce qui est aujourd’hui la rivière des Outaouais, le lac Nipissing et ses cours d’eaux. Ces failles s’appellent «Mattawa» et «Petawawa» et, comme plusieurs autres failles, celles-ci ont produit un phénomène géologique appelé «graben». Dans ce cas-ci, les failles Mattawa et Petawawa ont produit le «graben de la rivière des Outaouais» ou «Ottawa River Graben» en anglais. Le relief d’un graben est particulier. Il prend la forme d’un grand et long corridor entre deux plateaux de sol surélevé. Ces plateaux sont appelés «horst» et, en raison de leur élévation, ils produisent des pentes abruptes qui descendent jusqu’au sol du graben. Ces pentes sont appelées «escarpement». Dans le cas du graben de la rivière des Outaouais, l’eau de la rivière coule dans le graben et les horsts sont les vallées montagneuses qui bordent en longueur les deux côtés de la rivière. Le sol du graben est plat tandis que le sol du horst est plutôt rocheux et accidenté. Lorsque le graben de la rivière des Outaouais s’est formé il y a des millions d’années, sa formation a déformé un vaste territoire atteignant, entre autres, le lac Nipissing. Bien que le lac se situe loin de la rivière des Outaouais, le graben en question a contribué à la formation du lac Nipissing et de ses cours d’eaux. Selon un rapport géologique du «Departement of Mines and Northern Affairs» (S. Lumbers : 1971), la région du lac Nipissing possède son propre graben qui est appelé le «graben du Nipissing». En fait, le graben du Nipissing est une petite extension du graben de la rivière des Outaouais. À partir de Pembroke, le graben de la rivière des Outaouais se dirige verticalement vers le Nord et est traversé par deux failles horizontales à Mattawa. Ces failles s’appellent «Nipissing» et «Crystal Falls» et ont produit le graben du Nipissing qui commence à Mattawa et s’étend horizontalement sous le lac Nipissing et ses cours d’eaux pour disparaître à l’ouest après Warren et la 81e longitude. Dans notre cas, les eaux du lac Nipissing et de la rivière Mattawa et des Français coulent en grande partie dans le graben du Nipissing. Comme le graben de la rivière des Outaouais, le graben du Nipissing a deux horsts qui, cette fois-ci, bordent horizontalement le côté nord et sud du lac Nipissing. Le horst sur le côté nord est notamment visible comme la carte géo-satellite démontre. Cet horst a tordu le paysage produisant ainsi un long escarpement horizontal entre Mattawa et Warren. Ce dernier est bien visible encore aujourd’hui et plusieurs reconnaitront les exemples suivants. L’escarpement sur la route 64 de Sturgeon Falls vers Field, celui sur la route 575 de Verner vers Field et sur l’autoroute 11 au nord de North Bay et sans oublier l’escarpement ou se

situe la chute Duchesnay, Thibault Hill, Wallace Heights, etc. De plus, il faut aussi penser aux falaises pointues qui bordent le côté nord de l’autoroute 17 surtouts près de Beaucage et de Yellek. Cet escarpement est un élément géologique important pour notre région. Il force l’eau à glisser du au bas du graben vers le lac Nipissing et ses cours d’eaux. Dans une certaine mesure, l’escarpement en question semble avoir déterminé l’emplacement et la forme du lac Nipissing et de ses cours d’eaux. Le graben de la rivière des Outaouais et celui du Nipissing n’ont pas seulement influencé le sol et le paysage de notre région, mais aussi l’écosystème et les espèces vivantes qui l’habitent. La géologie du lac Nipissing et du graben du Nipissing est complexe et a énormément influencé l’environnement comme la flore, la faune et même les activités humaines. L’environnement influence les activités humaines, l’emplacement des populations, le caractère des communautés et même les activités économiques. Les activités humaines sur un horst sont bien différentes que celles sur un graben. Un horst et un graben présentent deux environnements bien différents surtout par rapport au relief, au genre de sol, aux ressources naturelles, à l’accès à l’eau, etc. Le horst au Nord du lac Nipissing est notamment important pour le Nipissing Ouest et pour comprendre l’histoire de notre région. L’histoire du Nipissing Ouest est intéressante, car celui-ci couvre aujourd’hui un territoire à la fois sur ce horst et le graben du Nipissing. Par exemple, il faut penser aux champs plats de Verner et au sol rocheux et accidenté de Field. En fait, Field, River Valley, Crystal Falls et Kipling se situent sur le horst et donc sur un sol rocheux et montagneux à près de 250 m au-dessus du niveau de la mer tandis que Sturgeon Falls, Cache Bay, Verner, Lavigne se situent sur le graben et donc sur un sol plutôt plat et à près de 200 m au-dessus du niveau de la mer. Cela explique pourquoi ces communautés ont chacune éprouvé à travers le temps un unique genre de développement. Pour mieux comprendre le passé de Nipissing Ouest, il faut aussi considérer et explorer les facteurs géologiques à travers les siècles. Cette approche s’appelle la «géohistoire». La géologie et l'environnement du Nipissing a influencé les activités économiques à travers les années. Pensons, par exemple, au commerce des fourrures à Sturgeon River House, à la coupe de bois à Field et à River Valley, aux moulins de pâte et de papier à Sturgeon Falls et à Cache Bay et aux champs cultivés de Verner et de Lavigne. Notre région

possède une géohistoire impressionnante qui couvre un paysage varié et complexe. Chaque communauté possède une géohistoire captivante dont leurs études s'avèrent être une tâche monumentale. La géohistoire répond plusieurs questions au sujet du passé du Nipissing. Des questions comme : pourquoi les Premières nations Nipissing et Dokis ont choisi les présents emplacements pour leur réserve? Pourquoi la ligne ferroviaire du CP a été construite au Nord du lac Nipissing et non au sud? Pourquoi certaines communautés se sont spécialisées dans l’agriculture tandis que d’autres en foresteries ou dans le secteur des services? Ces questions sont très intéressantes. Leurs réponses éclairent notre passé et elles se trouveront dans l’une de mes prochaines chroniques.