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EHESS La Laïcité n'est plus ce qu'elle était Histoire de la laïcité française by Jean Baubérot; Les Laïcités françaises by Guy Bedouelle; Jean-Paul Costa; La Religion dans la démocratie. Parcours de la laïcité by Marcel Gauchet; Croyances religieuses, croyances politiques= by Marcel Gauchet Review by: Françoise Champion Archives de sciences sociales des religions, 46e Année, No. 116 (Oct. - Dec., 2001), pp. 41-52 Published by: EHESS Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30116543 . Accessed: 14/06/2014 03:25 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . EHESS is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Archives de sciences sociales des religions. http://www.jstor.org This content downloaded from 188.72.126.41 on Sat, 14 Jun 2014 03:25:01 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

La Laïcité n'est plus ce qu'elle était

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EHESS

La Laïcité n'est plus ce qu'elle étaitHistoire de la laïcité française by Jean Baubérot; Les Laïcités françaises by Guy Bedouelle;Jean-Paul Costa; La Religion dans la démocratie. Parcours de la laïcité by Marcel Gauchet;Croyances religieuses, croyances politiques= by Marcel GauchetReview by: Françoise ChampionArchives de sciences sociales des religions, 46e Année, No. 116 (Oct. - Dec., 2001), pp. 41-52Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/30116543 .

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Arch. de Sc. soc. des Rel., 2001, 116 (octobre-d6cembre) 41-52

Frangoise CHAMPION

LA LAICITE N'EST PLUS CE QU'ELLE ETAIT

Apropos de:

Histoire de la la'cite frangaise, Paris, PUF, 2000, 127 p. (coll. << Que sais-je ? >>). BAUBEROT (Jean),

Les La'cites frangaises, Paris, PUF, 1998, 266 p. (Pr6face de Ren6 R6mond) (coll. << Politique d'aujourd'hui >>).

BEDOUELLE (Guy), COSTA (Jean-Paul).

La Religion dans la ddmocratie. Parcours de la la'cite, Paris, Gallimard, 1988, 130 p. (coll. << Le d6bat >>).

GAUCHET (Marcel),

<< Croyances religieuses, croyances politiques >>, Le Debat, mai-aofit 2001, no 115, pp. 3-12.

GAUCHET (Marcel),

<< La lai'cit6 est l'un des foyers d'inquidtude d'une France inquibte >> (premiere phrase du livre de M. Gauchet) ; << I1 n'est gubre de sujet plus pr6sent qui suscite plus de passions (que la lai'cit6) >> (pr6face de R. R6mond au livre de G. Bedouelle et J.-P. Costa). Cette inqui6tude, cette passion ont suscit6 une abondante production sur la laicitd. Trois ouvrages, dont deux sont parus il y a d6j~i quelques ann6es, me retiennent ici. Ces trois ouvrages diffrrent entre eux tant par la forme et le projet intellectuel - << une approche de sociologie historique >> pour le livre de J. Baub6rot, << une contribution au d6bat actuel >> pour le livre de G. Bedouelle et J.-P. Costa, une << r6flexion >> pour le livre de M. Gauchet - que par la perspective d'analyse. Chacun de ces livres m6riterait une discussion particulibre i partir de son point de vue sp6cifique. Les rassembler dans une note critique indique un choix : plut6t que le d6bat avec chacun d'entre eux (me priver de ce d6bat n'est pas all6 sans quelques frustrations), j'ai optk pour leur mise en compl6mentarit6, une compl6mentarit6 que, pour ma part, sur les questions de << sortie de la religion >>, de lai'cit6, d'auto- nomie et d'h6t6ronomie, je pratique depuis longtemps avec les pens6es de M. Gauchet et de J. Baub6rot.

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I - Les ouvrages

1. Une contribution au debat actuel

L'id~e centrale du livre de G. Bedouelle et J.-P. Costa est la suivante : ce qu'on souligne g6ndralement au singulier, la laicite (frangaise) est en fait < polymorphe >>. Polymorphe dans l'espace (un chapitre entier est consacr i << La laicit6 en Alsace-Moselle >>), mais surtout dans le temps. La transformation dans le temps concerne en priorite les conceptions des acteurs : en un sibcle << on est pass6 d'une lai'cit6 de combat i une neutralit6 arm~e, se muant en coexistence qui tend i se d~velopper en cooperation >>. La lai'cit& de la loi et de la jurisprudence a, elle, 6t6 plus stable tout en faisant preuve de souplesse.

Les auteurs, de comp~tences diff~rentes, insistent sur leur approche pluridisci- plinaire :juridique, historique et thdologique. G. Bedouelle, religieux dominicain et professeur d'histoire de l'Eglise, a r6dig& la premiere partie de l'ouvrage, << Une histoire de la lai'cit& en France >> et la troisibme << Les religions en France et la la'- cit >>. J.-P. Costa, juriste, membre du Conseil d'Etat, a r~dig6 la seconde partie, << La lai'cit6 dans la France d'aujourd'hui >>. L'histoire de la lai'cisation de l'6cole n'est pas trait~e dans la premiere partie de l'ouvrage mais dans la seconde, cet agencement tenant manifestement au fait que J.-P. Costa, ancien directeur de cabi- net d'Alain Savary, ministre de l'Education de 1981 t 1984, s'est plus particulibre- ment investi dans la question de l'6cole. II donne des informations qui, si elles ne sont pas in6dites, n'en sont pas moins toujours int~ressantes; il plaide pour un << Pacte scolaire durable >> (p. 101) et jugeant << anachronique l'6tancheit6 du clivage entre les deux secteurs scolaires a, il en appelle A leur collaboration. En ce qui concerne la mise en perspective historique de la question de l'ecole lai'que (pp. 91-95), elle est essentiellement faite en termes de monopole de l'Etat sur l'enseignement vs la libert6 de l'enseignement.

Non sans un clin d'oeil aux deux auteurs qui accordent une grande importance aux deux ralliements catholiques i la d~mocratie

(. la fin du XIXe siacle et aprbs la

Grande guerre), je qualifierais leur point de vue de << catholicisme ralli6 >>, catholi- cisme d~sormais complbtement dominant (la lai'cit6 est << accept~e dans les mentali- t~s >>, p. 15), Ce point de vue conduit i reconnaitre les errements catholiques du pass& tout en tenant t souligner le c6t6 sombre du camp adverse. D'oi~ leur insis- tance sur la lai'cisation autoritaire de Napolkon, notamment sa << mainmise sur l'enseignement >>, leur insistance sur les contradictions de la loi de separation (l'art 6 << retirant d'une main ce que l'article 4 avait accord >a, p. 50) et sur le point d'achoppement qu'ont constitu6 les congregations.

La dernibre partie de l'ouvrage veut contribuer t << repenser la la'cit >>, moins ses lois, << leur contenu mime >>, que << l'application qui en est faite >>. Repenser la lai'cit6 car, i la fois << il existe incontestablement un certain malaise et une matura- tion des esprits >> (classiquement ils reviennent sur le << conflit larv6 de l'6cole >>, le << pantheon >>, le << president Mitterrand >>, le << baptime de Clovis >>) et de nouvelles questions: l'immigration, I'islam, les sectes. Ils plaident pour une collaboration <( avec le concours de tous >> en se situant r~solument aux c6t~s du Cardinal Dagens qui a conclu au << caractbre positif de la lai'cit6 >>.

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LA LAICITE N'EST PLUS CE QU'ELLE IETAIT

2. La < reflexion v de Marcel Gauchet

Ces nouvelles positions catholiques, ce << renversement copemicien de la cons- cience religieuse >> sont au fondement de l'analyse de M. Gauchet : il y a eu << r6vo- lution du croire >>. La croyance religieuse est devenue << un produit de l'esprit humain, au service de finalites terrestres >> : elle s'est mondanis6e pour parler avec la langue la plus courante chez les sociologues. L'essentiel dans la perspective adopt6e par M. Gauchet est que << l'h6t6ronomie a cess6 d'avoir un sens politique tenable >> (p. 75) : << nul parmi nous ne peut plus se concevoir, en tant que citoyen, command6 par l'au-deld >> (p. 8). On notera le sens politique que M. Gauchet donne aux termes << h6tironomie >> et << autonomie >>, un sens pricis et restreint qui 6carte les significations de type philosophique ou/et psychologique susceptibles d'obscur- cir l'analyse.

Parler de soci6ti autonome comme d'une soci6t6 << qui se donne sa propre loi et se propose l'autogouvernement pour id6al >> ne signifie aucunement une soci6t6 sans croyance mais une socidtd qui d6veloppe au sujet d'elle-mime << des croyances d'un autre ordre que la croyance religieuse >>; M. Gauchet nomme << iddologie ce nouveau type de discours et de croyance >a (cf. << Croyances religieuses, croyances politiques >, Le Dibat). Ce bouleversement fondamental s'inscrit dans le processus continu6 de sortie de la religion, processus qui constitue le mouvement meme de la moderniti qui a affect6 et continue d'affecter << l'ensemble des soci6t6s occidenta- les, sous des formes diverses >>. << Le mot laicit6 r6sume la voie singulibre que (ce processus) a emprunt6 en France >> (p. 7). L'ouvrage de M. Gauchet analyse le par- cours de la lai'cit6 en s'int6ressant moins t la question laique stricto sensu qu'd la << mutation majeure que connaissent les id6aux et la pratique de la d6mocratie >>. Ce qu'exprime trbs bien le titre du livre qui invite a l'analyse du processus d'absorp- tion de la religion dans la democratie tel qu'on peut le voir a l'oeuvre dans le par- cours de la laicit6. Celui-ci constitue pour M. Gauchet I'analyseur par excellence de la question des rapports Etat/socidte civile et, partant, de << l'entente frangaise de la ddmocratie >> qui a pour nom Rdpublique.

Trois grandes periodes constituent le parcours de la laicit6 tel que nous le retrace M. Gauchet : << la subordination absolutiste >> (dont la Constitution civile du clerg6 apparait << le parachbvement >>, p. 36) ; << la phase libdrale et r6publicaine > qui signifie la << dissociation de la socidt6 civile et de l'Etat >>, la << pluralit6 sociale de la soci6t6 civile au-deli de sa diversit6 individuelle >> : cette phase commence / s'affirmer avec le << compromis du Concordat >>, elle se r6alise pleinement avec la loi de separation de 1905, et se poursuit jusqu'au tournant des anndes 1960-1970. Depuis ces annees nous sommes entrds dans un troisieme moment du principe de lai~cit6.

Ce parcours de la lai'cite ne constitue pas le plan du livre. Aprbs les chapitres historiques, plus de la moitie de l'ouvrage est consacr6e t une explicitation du cha- pitre introductif qui pose d'emblke la principale conclusion de l'analyse du par- cours : il y a aujourd'hui << une rupture dans l'histoire de France >>.

M. Gauchet consacre un long premier chapitre, << Le lieu et le moment a, ~ un certain nombre d'explications de sa perspective. On y volt i l'oeuvre le travail exi- geant qu'il effectue pour qualifier au plus juste les r6alites qu'il veut cerner, arriver aux conceptualisations les plus rigoureuses, degager les << logiques de types purs >>. Pour la plupart, ceux-ci visent, non pas i rdduire et comprendre dans la synchronie

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la grande diversit6 des faits empiriques, mais & moddliser des moments historiques de fagon & saisir a la marche de la d~mocratie a. C'est 1h un projet passionnant dont il faut saluer aussi la prise de risque qu'il implique (au moins pour le moment pr6- sent of nous n'avons pas de recul) : les diff~rents moments d'une r~alit6 historique toujours diverse et contradictoire se trouvent, en effet, << rduits >> i une tendance dominante, et l'analyste n'a pour l'appr~cier que sa seule intuition et ses r~frrents intellectuels particuliers.

Pour M. Gauchet le a moment remarquable >> oft nous sommes aujourd'hui et qui constitue une rupture tient i ce qu'il correspond i un < palier de d~compres- sion a (p. 16) dans le processus de sortie de la religion. Le signe en est moins le formidable affaiblissement des Eglise 6tablies que << la d~route des substituts de religion 6labords depuis le si~cle dernier >> (p. 18), c'est-i-dire des < religions s~cu- libres >>. Celles-ci ont v~ritablement < implos6 >.

Cette a implosion a signifie 1'a emancipation par rapport au cadre initial reli- gieux dans lequel se tenait (encore) notre entente du monde >> car a notre represen- tation possible de la soci~t6 continuait d'8tre marquee par le mode sacral >>. Cette analyse est particulibrement bien 6labor~e dans le texte du Debat (dont sont extrai- tes les citations pric~dentes). L'angle d'attaque de ce texte n'est pas la question de la lai'cit ; n~anmoins M. Gauchet y d6veloppe la mime problkmatique et vise la mime blucidation sur le cours de la d6mocratie. Il y synth~tise de fagon vigoureuse ce qu'il entend par l'entente religieuse du monde a que << condense la notion d'h~t~ronomie >> : << (la) dpendance envers l'invisible est simultaniment d~pen- dance envers le passe. L 'ordre hiteronome estfoncidrement passdiste (...). L'ext&- riorit6 mitaphysique radicale implique l'anthrioritd temporelle du fondement (...). La sup~riorit6 de sa source se marque dans sa precidence par rapport i la volont6 humaine (..). C'est en ce sens que les soci6t6s de religion sont des soci~t~s de tradi- tion dans un sens bien plus fort que ce que nous mettons spontandment sous ce terme. (...). Cette sup~riorit6 et cette ant~riorit6 du fondement se traduisent dans une organisation du lien collectif (...) la forme hidrarchique, diffusant l'extrandit6 du fondement dans le tissu entier des relations entre les &tres, sous l'aspect des d~pendances et des attaches organiques du sup6rieur et de l'inf~rieur a.

Cette definition de l'h6t~ronomie religieuse que se donne M. Gauchet, son insistance sur les a religions s~culibres >, signifie, on l'aura compris, que, pour lui, la sortie de la religion ne renvoie pas seulement i l'autonomisation du monde humain par rapport ;i l'emprise des religions constitutes, mais au < processus de recom- position d'ensemble du monde humain par r6-absorption, refonte et r6-6laboration de l'alt~rit6 religieuse >> (p. 14).

La sortie de la religion s'est effectude grace i une certaine a politique de l'autonomie a. M. Gauchet en retrace le parcours, lequel a conduit l'Etat r~publi- cain << opdrer sa separation non seulement avec l'Eglise, mais avec la religion, dans des conditions lib~rales a. Cette operation n'a 6t6 possible que < moyennant l'attribution a la puissance temporelle d'un principe de supr~matie i port~e spiri- tuelle >> (p. 46). Le premier moment de perc6e de l'id~e d6mocratique en France intervient dans les ann~es 1750 lorsque le rappel & la subordination de l'Eglise a se trouve associ6 & une demande entibrement in~dite, elle, de libert6 - libert6 des consciences, mais aussi libertd de la Nation >>. Se met alors en place une equation qui marquera toute l'histoire de la d~mocratie frangaise: <( l'intime liaison de la question de la libert6 personnelle avec la question de l'autoritd collective, et l'attri-

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bution d'un enjeu mdtaphysique & la question de la souverainet >> (p. 53). Rousseau dans Le Contrat social en donne une expression ddj& achevde, nous dit M. Gauchet : << Pouvoir et libert6, loin de s'exclure mutuellement, comme dans le module anglais, s'accomplissent l'un par l'autre (...). Le module de la libert& est command6 ici par l'opposition & la << religion du pr&tre >> et & la sujition qu'elle incarne. Non seule- ment il faut une autorit6 capable d'imposer la toldrance aux intoldrants, mais il faut une souverainet6 capable de mat6rialiser la puissance des hommes de se constituer eux-memes. La libert6 des personnes ne trouve son vrai sens qu'au travers de la participation & cette supreme libert6 dont la communaut6 politique a seule l'exer- cice >>.

La Revolution sera amende & rd-&laborer en actes le chemin << conduisant de la subordination politique de la religion & l'affirmation m6taphysique de l'auto- nomie >>. L'affrontement avec l'Eglise, qui refusait de s'accommoder de la soumis- sion & l'Etat que prdvoyait la Constitution civile du clerg6, a 6t6 << l'un des facteurs qui ont le plus contribu6 & la radicalisation des esprits, en les menant du droit de la Nation & r6genter le culte au pouvoir de l'humanit6 en corps & d6finir sa rbgle >>.

Plus de la moiti& de l'ouvrage, je l'ai dit, porte sur aujourd'hui oi << l'intdgra- tion des religions dans la d~mocratie a est << consommde > et oh << l'Etat est devenu neutre pour de bon >> (p. 72). Cette neutralit6 << pour de bon >> ne r6sulte pas seule- ment de la poursuite du travail de dissociation de la soci6t6 civile et de l'E~tat entam6 depuis deux siicles. Elle tient d'abord & ce qu'aujourd'hui, la sphere publique ayant perdu sa transcendance, les croyances religieuses changent

. la fois

de nature et de place, dans leurs modalit6s privies et leur statut public. Les religions sont socialement red6finies comme << des doctrines compr6hensi-

ves raisonnables >>, parmi d'autres, de la vie d6mocratique. Ayant une << fonction de sens >> elles sont aussi convoqu6es & intervenir dans l'espace public au titre de leur << capacit6 & fournir une comprdhension globale de la destinde de l'homme >> (p. 105). Dans ce mouvement, les religions sont ramendes a dans des horizons pure- ment s6culiers >> alors meme qu'elles sont << dignifides >>. Parce qu'est mise en exergue << leur port6e de message sur l'essentiel >>, elles sont aussi, ajoute M. Gauchet, < sauvdes socialement de la reduction identitaire

. des cultures >.

C'est que, pour M. Gauchet, les croyances religieuses sont prioritairement devenues des identit6s. Celles-ci n'ont << rien & voir avec les appartenances commu- nautaires d'autrefois ou l'ancien assujettissement & la tradition >>. En effet, s'il s'agit de constituer son vrai moi en se r6appropriant subjectivement une objectivit6 sociale - un h6ritage religieux notamment -, ces nouvelles identit6s s'affirment avant tout

. travers la revendication de reconnaissance publique appelant << une

politique de la reconnaissance >>.

Cette mutation du croire signifie une relativisation interne de la croyance: le << croyant >> comprend v6ritablement que d'autres convictions sont possibles; il a renonc6 & la pr6tention & l'universalisme. On est ainsi passe du pluralisme comme << r~gle de soci6td > (oiu le croyant n'6tait que toldrant & I'6gard des autres croyan- ces) au pluralisme << en tant que principe intellectuel >>. Au niveau de la soci6td, cette mue des croyances en identit6s conduit & un << moddle pluraliste-identitaire- minoritaire >> qui a 6troitement partie lide avec la << prdoccupation proc6durale >>. Ce moddle est aujourd'hui dominant et nous d6tourne de < l'exigence d6mocratique supreme, celle de se gouverner soi mime >>.

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3. L 'approche de sociologie historique de Jean Baubirot

C'est en tant qu'historien de la lai'cit6 que Jean Baubdrot nous donne un << Que Sais-je >> sur l'histoire de la lai'cit6 frangaise. Sa mise en perspective cherche moins i lever la polysimie du mot lai'cit6 et les divergences d'interpr~tation sur ce qu'est la laifcit6 qu'd 6clairer les raisons de ces divergences. Il semble d'ailleurs ne pas forcdment chercher i 6viter l'emploi polysimique du mot lai'citd puisque, chez lui, la lai'cit6 renvoie parfois i des faits, juridiques ou sociaux, parfois i la militance lai'que, parfois aux deux. Trois definitions probl~matiques s'affirment n~anmoins au fil des d~veloppements. Deux d'entre elles, les plus explicites, s'appuient sur les tensions qui travaillent la lai'citd. Ainsi, dans son premier chapitre, il d~finit la lai'- cite comme a< une solution originale issue du choc de quatre ingredients >> : le galli- canisme, la dissociation entre appartenance nationale et appartenance religieuse, l'impossibilit6 d'un pluralisme religieux pacifique, la a version frangaise de la phi- losophie des Lumibres mettant l'accent sur la critique des dogmes >> (p. 7). Dans son demier chapitre il estime que la lai'cit6 peut se dGfinir comme un double refus, celui de la religion officielle et celui de l'ath~isme (p. 118). Sa troisibme definition, moins explicite, est la plus pr~sente dans les analyses: la laicitd comme separation des Eglises et de l'Etat qui ne s'accompagne pas, i la diffdrence de ce qu'il en est aux Etats-Unis, d'une religion civile. Absence de religion civile parce que la soci~t6 frangaise fut le lieu et I'enjeu d'un conflit radical mettant en jeu la religion, conflit qui fit que < le lien politique et social s'est trouv6 d~gag6 de tout fondement religieux >> (p. 21).

Ces probl~matiques sont vigoureusement crois~es dans le chapitre sur la R~vo- lution frangaise, ce qui donne d'emblte de pr~cieuses cl~s pour comprendre le par- cours de la lai'cit6. Les sous-titres de ce chapitre sont i cet 6gard 6clairants: << la libert6 de conscience et ses difficults >> ; << Une Eglise (presque) nationale : la Constitution civile du clerg >a, <a Mesures et projets de laicisation >, << Les religio- sites r6volutionnaires >, a<Une separation des Eglises et de l'Etat ambigut a, << Religion civile et lai'cit >>.

J. Baub~rot d~veloppe son histoire de la lai'cit6 en croisant l'axe chronologique et diverses probl~matiques. En priorit6 celle de la lai'cisation, i savoir, le fait de << rendre plus autonomes les individus et la sphere publique i l'6gard de l'emprise sociale du religieux >> (p. 33), << d'affranchir >> les individus, tels les instituteurs (p. 64) de la tutelle religieuse, << d'6manciper >> de l'Eglise catholique les institu- tions sociales (p. 27). I1 6tablit des seuils de lai'cisation. On notera que ceux-ci ne reposent pas seulement sur la lai'cisation entendue dans ce sens d'autonomisation de la d~pendance religieuse. J. Baub~rot prend aussi en compte le statut des Eglises ainsi que le r81e accords i la religion dans la vie sociale ; il s'attache 6galement i

specifier ce qu'il en est des divers << ingredients >> de la lai'cit6 dont la tension n'a cess6 de la travailler tout au long de son histoire. C'est ainsi qu'il analyse la logique propre au premier seuil de lai'cisation, comme celle qui tente de << concilier 6l1ments de lai'cit6 et 6lments de religion civile, de conjuguer ensemble ce qui, sous la Revolution, 6tait apparu inconciliable > (p. 30).

Un autre axe probl~matique de J. Baubdrot est a la dialectique du conflit et du pacte >>. Le conflit oppose deux manibres de penser et deux visions de la France : de son identit6 nationale - catholique ou issue des << principes de 1789 >> - et de la citoyennet6 : a< un individu encadr6 par des groupements secondaires, et principale-

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ment par l'Eglise catholique, vs < le face / face individu-Etat >, (pp. 32-33). L'his- toire de ce conflit fagonne toute l'histoire du XIXe sihcle (jusqu'd la Premiere Guerre mondiale). C'est pourquoi la dialectique du conflit et du pacte est le fil conducteur majeur des chapitres concernant ce si~cle. < Le conflit des deux France>> expose les visions antagonistes qui se combattent et triomphent de manibre alternde (de 1815 aux ann~es 1870). <<L'6cole publique et sa morale laique >> reprend les analyses d'un pr~c~dent livre, La morale la'que contre l'ordre moral (cf. Arch. 100.4) en explicitant mieux la tension entre << laicit >> et << religion civile >>, tension de plus en plus nettement au centre des analyses de J. Baub~rot. Celui-ci montre comment Jules Ferry s'est explicitement d~marqu6 de la problkma- tique de Robespierre et de Rousseau: la R~publique n'a pas A transformer ses << 50 000 instituteurs >> en un << corps de 50 000 vicaires savoyard>> (Ferry cit& par J. Baub~rot, p. 53).

L'analyse du climat intellectuel de la fin du sibcle - fait de doutes et de d~bats crois~s dans le catholicisme et dans le camp lai'que, et marqu& par le d~veloppe- ment des a doctrines de haine >> - et des tenants et aboutissants de la loi de 1905 est l'occasion pour J. Baub~rot de revenir sur la notion, parfois contest6e, de << pacte laique : <<comme toute r~alit6 conceptuelle en sociologie, la notion de pacte lai'que a un rapport (construit) avec des r~alit~s empiriques sans s'identifier ? elles. Dans ce sens, il s'agit d'un cas de figure interm~diaire entre un pacte conqu de fagon purement sp~culative comme le << pacte social >> de Rousseau et une conven- tion 6crite, typique de l'usage du mot (( pacte >> par le sens commun et le diction- naire. Au demeurant, le dictionnaire associe 6troitement <<pacte >> et paix ; or, jamais, dans l'histoire de la lai'cit6, la << paix ne fut plus invoqude que dans les propos des laY'ques qui accompagnbrent la s~paration >>.

II - Des perspectives complementaires

La difference entre les projets et les perspectives des trois ouvrages appelle moins A les confronter qu'd les faire jouer en complkmentarit6. Complkmentarit& entre les analyses de la (( sortie de la religion >> << comme processus de << transmuta- tion de l'ancien d16ment religieux en autre chose que de la religion ,>, et celles du processus d'<< autonomisation du monde humain par rapport A l'emprise 1lgislatrice du religieux >>, pour reprendre les termes de M. Gauchet lorsqu'il precise la sp~cifi- cite de sa d~marche (p. 14). Complkmentarit6 entre une approche d'abord histo- rienne (approche qui a sa propre logique et qui m'a fait appricier que J. Baub~rot se propose avant tout de faire connaitre une << histoire qui reste peu connue sans forc6ment raccrocher d'embl6e cette histoire aux pr6occupations d'aujourd'hui) et une mise en perspective effectuee a partir du moment pr6sent afin << d'interroger le probl6matique avenir de la d6mocratie>> (M. Gauchet, p. 9), le livre de G. Bedouelle et J.-P. Costa constituant avant tout un t6moignage r6flexif venant 6clai- rer, en contre-point, les analyses des deux autres.

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1. Des divergences

Me gardant d'un (trop grand) zecum~nisme je voudrais d'abord souligner que les perspectives ne sont pas seulement dissemblables : leurs differences renvoient aussi & des divergences, dont certaines sont essentielles.

De la p~riode r~volutionnaire M. Gauchet retient avant tout la Constitution civile du clergd comme continuit6 et mime parach~vement de la politique absolu- tiste. La perspective adopt~e par M. Gauchet fait qu'il n'accorde gubre d'impor- tance au nouveau droit i la libert6 religieuse et, partant, i ce qui est essentiel pour J. Baubdrot, la dissociation de l'appartenance religieuse et de l'appartenance natio- nale. A propos de ce droit i la libert6 religieuse, M. Gauchet souligne avant tout qu'il se r~duit << i l'exercice des seuls droits individuels, tout ce qui fait lien collec- tif relevant de l'autorit& representative > (p. 41).

On notera qu'd partir d'un cadre d'analyse diff6rent cette analyse rejoint celle de G. Bedouelle et J.-P. Costa lorsqu'ils insistent eux aussi sur le point de la libert6 collective de l'Eglise. Les analyses se poursuivent diffrremment. Pour M. Gauchet le concordat napoldonien ouvre la p~riode lib~rale (c'est-i-dire un processus de dis- sociation de l'Etat et de la soci~t& civile, d'autant plus significatif que l'Eglise repr~sente tant mat~riellement que symboliquement un collectif particulibrement lourd), car l'Etat reconnait l'Eglise qui avait refuse de se soumettre a son pouvoir. G. Bedouelle et J.-P. Costa ne retiennent, eux, que le gallicanisme continue du regime des cultes reconnus et la nouvelle volont6 englobante de l'Etat qui s'arroge le monopole de diverses activit~s sociales, tout particulibrement le monopole de l'enseignement.

Ces mimes faits sont analys~s par J. Baub~rot, non pas en termes de monopole de l'Etat, mais de lai'cisation. De n~cessaire lai'cisation car, en terres catholiques, I'Eglise catholique n'a pas renonc6 i ses pritentions englobantes et se pose en concurrence et en vis-a-vis de l'Etat (A la difference des pays protestants, pays de < s~cularisation >>). La lai'cisation par l'Etat et selon les rbgles impos~es par l'Etat correspond moins, pour J. Baub~rot, i une prise de monopole qu'd une << fragmen- tation institutionnelle >>. Car, mime sous contr6le de l'Etat, il y a une autonomisa- tion des diffrrentes sphbres de la vie sociale (juridique, m~dicale), qui se dotent de leurs propres lois et r~gles de fonctionnement; l'autonomisation i l'6gard de la tutelle religieuse ne correspond pas purement et simplement i une mise sous tutelle &tatique : de la dissociation, de la separation sont i l'oeuvre.

La dissociation que retient M. Gauchet est celle de l'Etat et de la soci~t& civile; la dissociation retenue par J. Bauberot est celle qui s'opbre i partir de l'englobant << religion >. Dans la perspective de J. Baub~rot, I'Eglise (catholique) ne peut vraiment pas 8tre consid~rde comme << un groupe d'int~ret ou de pense >> (formulation de M. Gauchet) de mime nature que les syndicats ou les partis politi- ques. C'est ainsi que la s~paration de l'Eglise catholique et de l'~tat n'a pu s'op&- rer que moyennant une redefinition de l'Eglise catholique, redefinition au final impos~e par l'Etat, avec violence - les Congregations - et difficult~s - la libert6 d'organisation accord~e par l'article 4 de la Loi de Separation 6tait remise en cause par l'article 6 (cf. supra G. Bedouelle et J.-P. Costa), mime si, en definitive, s'est impos~e une loi et surtout un aprbs-loi pacificateurs.

Il y a aussi divergence essentielle entre les analyses sur l'aujourd'hui et les rai- sons qui font que la lai'cit6 est redevenue un sujet d'inqui~tude. J. Baub~rot comme

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LA LAICITE N'EST PLUS CE QU'ELLE ETAIT

G. Bedouelle et J.-P. Costa mettent en avant un certain nombre de nouvelles ques- tions (n'ayant pas forc~ment toutes directement i voir avec les religions mais avec la <( modernit6 tardive >> selon le qualificatif de J. Baub~rot), it commencer par le d~veloppement de l'islam. Ces questions viennent r~activer d'anciennes opposi- tions ou tensions. Notamment sur l'6cole ; notamment aussi, pour J. Baub~rot, la tension entre < libert6 de conscience (et ses consequences : droit de croire et de ne pas croire, pluralisme des cultes)>> et << libert6 de penser (et son implication: d~marche critique face i tout systbme dogmatique et totalisant) a (p. 118). Pour ces auteurs, meme profond~ment transformde, I'histoire de la laicit6 se poursuit sur une ligne de continuit6 - en spirale, peut-etre. Tout autre est le diagnostic de M. Gauchet: un certain parcours s'est achev6, celui de la lai'cit6 comme emancipation de l'h~t~ro- nomie religieuse, et l'inqui~tude sourd it partir de l'intbrieur mime de ce qui faisait le sens de la lai'cit6 : la mobilisation contre la figure de l'h6t~ronomie. En ddcoule un <( puisement des ressources intellectuelles et spirituelles de la laicit6 militante a (p. 29). Il s'en suit que l'histoire des rapports Etat/religions relkve maintenant d'une autre histoire que celle qui s'est d~roulke jusqu'alors.

2. Compldmentarites

Plusieurs des analyses d~velopp~es par les trois ouvrages sont, de fait, complk- mentaires. Tout d'abord celles sur le < ralliement >> catholique. Il est au fondement de l'analyse de M. Gauchet, toute entibre consacr~e au processus d'>< absorption de la religion dans la d~mocratie >. Les d16ments i prendre en compte sont multiples et multiformes et M. Gauchet peut insister davantage sur un point dans La religion dans la democratie, davantage sur un autre dans l'article du Dibat. Dans Le Debat il souligne notamment que << Le syst6me repr~sentatif et l'acte de vote se sont riv&- 1ks de puissants transformateurs symboliques dans la dur~e >> (on notera que dans cet article il analyse comment, autour de 1900, il y eut < achbvement de la conver- sion de la pens~e religieuse en iddologie, signe que la pens~e qui se veut tradition- nelle a totalement rejoint, en realit6, les prtmisses intellectuels de la soci~t6 historique et libdrale qu'elle entend combattre (p. 8). Les modalit6s concretes du <( ralliement >>, vu du c6te catholique, sont 6voqudes dans l'ouvrage de G. Bedouelle et J.-P. Costa: &vocation a la fois du a difficile Ralliement > (pp. 40-42), avec le rappel de diverses positions catholiques des anndes 1880 i l'affaire Dreyfus, et du << second ralliement >> (pp. 61-65) sous la 1lgislature de la chambre bleu-horizon. Quant i J. Baub~rot il nous donne i suivre la mont~e d'une force nouvelle, celle du < grand diocese des esprits 6mancip6s >> comme l'a appel6 Sainte-Beuve. Evoquant le Ralliement et < l'esprit nouveau a, il estime que << loin de calmer le jeu, le Ralliement a contribu6 i d~velopper la haine contre les minori- t~s a (p. 72).

Cette convergence-compl~mentarit& des analyses sur le ralliement catholique va de pair avec la convergence des analyses sur le constant conflit, au sein du camp lai'que, entre une << lai'cite de combat >> et une lai'cit6 d'apaisement (Les lai'cites frangaises). J. Baub~rot et M. Gauchet se retrouvent aussi pour distinguer deux orientations de la militance laique. L'une, dont < la visee n'est pas intrinsbquement anti-religieuse, (...) demande simplement aux croyants de reserver leurs esp~rances individuelles de salut pour l'autre monde et d'accepter de jouer le jeu coop~ratif de l'autonomie en ce monde (M. Gauchet, p. 57). L'autre vision, << trbs iddologique >> (< le lai'cisme >> diront les catholiques), envisage la lai'citd comme une << mancipa-

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tion de la religion au nom de la libert& de penser. Elle rapproche la lai'citi de la libre pens~e >> (J. Baub~rot, p. 80). << De par la nature meme de cet antagonisme g~n~rateur avec la religion, il y aura toujours eu deux voies possibles pour la poli- tique de l'autonomie. A c6t6 de sa version lib~rale, A base de diffrrenciation des ordres, ne repoussant dans la religion que le parti politique de l'h~t~ronomie, elle aura de naissance comport6 une vision autoritaire, aspirant A la destruction de toute religion au nom de l'autonomie et tendant A l'absorption de l'existence entibre des citoyens dans la politique au titre de la rdalisation de l'autonomie a (M. Gauchet, pp. 58-59).

Les trois ouvrages convergent 6galement pour insister sur le rl61e de l'Etat. Etat qui ne veut casser l'englobant qu'est l'Eglise qu'afin de le devenir lui-mime dans l'analyse de Bedouelle et J.-P. Costa. Etat qui ne peut que vouloir soustraire de manibre combative, voire autoritaire, les diverses activitis sociales A l'emprise de l'Eglise avant de s'affirmer vraiment liberal, pour J. Baub~rot. Ainsi les R~publicains des annies 1880 confirmbrent-ils la libert6 d'enseignement, et ceux de 1905 accor- dbrent-ils (non sans contradictions) sa libert6 d'organisation A l'Eglise catholique. Pour J. Baub~rot, la lai'cit6 s'est op~rde sous pr6dominance de l'Etat-nation : elle r6sulte d'une < r~gulation 6tatique A tendance conflictuelle >>. Pour M. Gauchet, l'histoire de la lai'cit6 frangaise < est intimement li~e A l'histoire de l'Etat - de l'Etat en tant que l'un des principaux op~rateurs du processus de sortie de la reli- gion a (p. 30). Cette preeminence de l'Etat est au principe de la manibre dont, en France, s'est effectu~e la dissociation de l'Etat et de la soci~td civile, manibre fran- gaise qui a pour nom R6publique et que M. Gauchet definit << comme d~ploiement de la d~mocratie lib~rale et representative A l'intdrieur et par le moyen de l'autorit6 de l'Etat >> (p. 45).

Pour M. Gauchet la pr66minence de l'Etat ne rel~ve pas seulement d'une suprdmatie institutionnelle. La suprdmatie est aussi spirituelle. Pour lui, << l'ancienne institution englobante a n'a pu 8tre rdduite A une force sociale parmi d'autres que moyennant le transfert g < l'autorit6 publique des moyens de soutenir la concurrence et de signifier la sup~riorit6 de ses fins par rapport A l'ensemble des forces sociales a (p. 47). Les conceptions du philosophe Renouvier qui pensait qu'il fallait conf~rer A la R~publique a un veritable pouvoir spirituel > et que l'Etat a a charge d'Ames aussi bien que toute Eglise ou communaut6, mais A titre plus univer- sel >> (p. 47) sont, estime M. Gauchet, (qui s'appuie ici sur les travaux de M. C. Blais) particulibrement significatives. Autrement dit, < l'Etat a vocation ensei- gnante et normative a (p. 49).

En matibre de principes moraux susceptibles d'avoir un pouvoir rdgulateur g~ndral, Renouvier, nous dit M. Gauchet, << place la barre autrement plus haut >> que Jules Ferry avec sa morale 6clectique, sa morale des pbres de famille.... Or, J. Baub~rot accorde, lui, une importance majeure A la constitution de la morale

lai'que telle que mise en place par J. Ferry A l'6cole. Les appreciations sur ce qui fut important dans l'affirmation rdpublicaine divergent done. Mais, ne peut-on penser que la R6publique avait << besoin >> des deux genres de morale ? Une morale fondue sur la foi positive, veritable alternative A la a grande >a m6taphysique de la religion 6tablie, pour certains; une morale a commune ,> profonddment renouvelke pour d'autres.

Avant la constitution de la morale la'que, c'est la religion qui fournissait le pilier de la morale commune. Les conceptions de Portalis, principal r~dacteur du

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Code civil, montrent de manibre particulibrement 6clairante a l'utilit6 sociale a de la religion : << La loi r~prime les crimes et dilits et ne s'immisce pas dans les rela- tions interpersonnelles oiu, pourtant, les actions nuisibles (mais non punissables) peuvent &tre commises. La religion a un r61e pr~ventif et exerce une action plus complkte que la loi : "Nous voyons les crimes que la religion n'empiche pas, mais voyons-nous ceux qu'elle arrete ? Pouvons-nous scruter les consciences et y voir tous les noirs projets que la religion y &touffe et toutes les salutaires pensdes qu'elle y fait naitre ?" (citd par J. Baub~rot, p. 28). En fait, comme le pr6cise 6gale- ment J. Baub~rot, la bonne conduite de chacun reposait aussi sur la a surveillance de tous par tous >>, caract~ristique des sociit~s << de villages, de bourgs, de quar- tiers, oii tout le monde connaissait tout le monde >> (p. 63). La fin du siacle marque << la fin de la France des terroirs >>. Dbs lors, la R~publique avait besoin d'un << atre humain moral et libre, c'est-i-dire capable d'autosurveiller sa conduite >>. La morale la'que avait I'ambition de le constituer.

Ce qui int~resse M. Gauchet est le terrain < m~taphysique >>, en particulier la question de < l'Un collectifa>>. Encore plus que la regulation quotidienne du lien social, cette question a taraude tout le XIXe sibcle post-rivolutionnaire, toute la France divis~e et se d6tachant chaque jour davantage de la religion (de l'ancienne religion). Pour M. Gauchet la nouvelle manibre de produire de << l'Un collectif>> fut << l'affirmation de la politique comme nouvel englobant, au nom de la valeur pr66- minente de l'autonomie >>. 11 estime que a l'exhaussement de l'autorit6 publique >> n'a pas repose sur l'Etat proprement dit mais sur la valeur spirituelle accord~e a

l'id~e mime de politique. La politique a pu devenir facteur d'int~gration collective car le niveau collectif fut valoris6 comme le niveau ou se realise sptcifiquement l'6mancipation humaine.

La mise en complkmentarite de ces analyses donne de notre histoire la'que et

d~mocratique une comprehension ? la fois globale et pointue (au moins pour la laY'- cite). On reste en revanche quelque peu insatisfait en ce qui concerne l'dlucidation du temps present. Je partage le diagnostic de M. Gauchet selon lequel nous sommes aujourd'hui sortis << de l'bre de l'autonomie a conqudrir contre l'h~t~ronomie >~. Mais sa moddlisation du moment actuel comme << age des identitds >> oi <a la mise en scene publique de la diversite sociale tend a devenir une fin en soi >> (p. 121) m'apparait par trop rdductrice. Elle miconnait, je crois, le fait que, sur le << ter- rain >>, il y a aussi beaucoup de revendications identitaires soucieuses, en meme temps que de leur identitY, du bien commun, et qui peuvent aussi tenter de recom- poser de l'universel. J. Baub6rot ne prete pas attention u cette question des identi- tis, pourtant aujourd'hui essentielle, et il opbre une sdlection des questions la'ques qui m'apparait trop marqude par ce qui reste du conflit religion vs militance lai'que.

G. Bedouelle et J.-P. Costa appellent a un < large consensus >> de tous ceux, catholiques et laYques, qui veulent euvrer g une nouvelle la'cit6 capable de faire face i tous les ddfis du temps present, t une < nouvelle 6thique >>. J. Baubdrot appelle ? actualiser la signification de la liberte de conscience et de la libert6 de penser, afin que < la la'cite ne soit pas simple nostalgie mais force d'avenir >>. M. Gauchet, manifestement, souhaite le < renversement du cycle present > afin que revienne la preoccupation a< de la gendralit6 publique et de l'unit6 collective r6pu-

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dides par les aspirations de l'heure a. Quant ? moi, en conclusion de cette note cri- tique, je souhaite et j'en appelle ? une large confrontation des chercheurs d'orientations diverses autour de la question < oi~ en est la lai'cit6 aujourd'hui ? >,.

Frangoise CHAMPION CNRS-Groupe de Sociologie des Religions et de la La'cite

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