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F ormé au théâtre classique (et kyôgen), Oida Yoshi est arrivé à Paris en 1968 pour rejoindre la troupe internationale de recherche théâtrale de Peter Brook : il a joué sous la direction de celui-ci dans de nombreux spectacles, tels que le Mahabharata ou La conférence des oiseaux présentés à travers le monde et aux Bouffes du Nord, et s’est pro- gressivement orienté vers la mise en scène. Véritable pont entre le théâtre japonais et occidental, il raconte ses expériences et son cheminement personnel à travers trois livres : L’acteur flottant, L’acteur rusé et L’acteur invisible, parus aux éditions Actes Sud. En tant que metteur en scène, Oida Yoshi a présenté récem- ment à la Maison de la culture du Japon Yume (« Rêve ») et a accepté de répondre à quelques questions : Votre formation au théâtre classique japonais vous a-t-elle aidé ou gêné dans la pratique du théâtre occidental ? Le théâtre occidental ne m’était pas inconnu, mais lors des premiers essais d’improvisations avec Peter Brook, des mouvements japonais me sont naturellement venus. Brook m’a sommé d’arrêter tout de suite. Une grande partie de mon apprentissage a été de me débarrasser de mon bagage théâtral japonais et de travailler sur moi-même, afin de restituer quelque chose de plus originel. Dans vos livres, il est beaucoup question de votre recherche spirituelle dans la pratique du théâtre. Être comédien apprend-il à vivre dans la vie quotidienne ? D’abord, j’ai considéré que la vie quotidienne était un lieu d’étude pour le théâtre. Puis, je me suis rendu compte qu’à l’inverse, jouer pouvait aider à enrichir sa vie quoti- dienne. Concrètement, le personnage de Hamlet à un moment pleure, crie... L’acteur observe ces émotions, il se demande comment se les appro- prier et lorsqu’il arrive à restituer l’émotion juste, il est heureux. Autrement dit, Hamlet est triste mais l’acteur est heureux. Dans la vie quotidienne aussi, si la personne aimée me quitte, naturellement je suis triste, mais à l’intérieur de moi il existe un double qui observe cette émotion et ce moi triste, comme un acteur sur scène. Le théâtre m’a aidé à acquérir une mise à distance, une sérénité, qui aide à accepter tou- tes sortes d’émotions. Vous avez aussi été apprenti-moine bouddhiste. Qu’est-ce que cette expérience vous a apporté dans votre pratique d’acteur ou dans la vie en général ? Ce n’est pas du tout l’aspect religieux qui a motivé cette expérience. Je voulais saisir concrètement la place du physique dans la pratique reli- gieuse. C’est là où j’ai appris que le corps pouvait comprendre au-delà de l’intellect. Dans le bouddhisme éso- térique, on pratique la psalmodie de mantras qui demande une synchro- nisation de différentes parties du corps. Au fur et à mesure l’imagina- tion vient, et c’est là que certaines choses s’éclaircissent. Cela rejoint la pratique du théâtre. Dans L’acteur invisible, vous dites que le travail de l’acteur doit le mener, non pas à parader sur scène, mais à disparaître. Que voulez-vous dire ? Par exemple, un acteur dit aux spec- tateurs « regardez la lune » : les spectateurs admirent la belle figure qu’il esquisse en pensant « quel bon acteur ! ». Un autre acteur joue la même scène : je ne me souviendrai ni de son geste, ni de sa façon de le dire, mais j’ai vu la lune ! L’acteur Entretien avec Oida Yoshi Directeur de la publication Sawako Takeuchi Rédaction Chisato Sugita Pascale Doderisse Racha Abazied Cécile Collardey Conception graphique et maquette La Graphisterie.fr Impression Imprimerie Moutot Dépôt légal : 1 er trimestre 2015 ISSN 1291-2441 Bibliothèque Maison de la culture du Japon à Paris 101 bis, quai Branly 75740 Paris cedex 15 Tél. 01 44 37 95 50 www.mcjp.fr Ouverture Du mardi au samedi de 13h à 18h Nocturne le jeudi jusqu’à 20h Fermeture Les dimanches, lundis et jours fériés 4 n° 47 - Hiver 2015 La lettre de la bibliothèque 1 La seconde série de cette publication en fac-similé de romans français d’inspi- ration japonaise – que nous avons commencé à présenter dans la Lettre de la biblio- thèque n°45 – compte 6 volumes avec des œuvres comprises entre 1900 à 1910. Plusieurs se situent dans le Japon contemporain d’alors : une façon de rendre plus concret et moins fantasmé ce pays que lors de la période précédente ? En réalité, deux courants se dessinent. Le premier continue d’explorer la veine d’un Japon idéalisé plus ou moins fictif, comme c’est le cas des romans de Jane de la Vaudère : quelques méchants pour l’intrigue, mais le pays est, pour ses lecteurs, une merveille d’exotisme mignard avec ses jolies « mousmés » (jeunes femmes) dévouées. À travers ces romans d’aventure très appréciés, il semble clair que le public continue d’éprouver une certaine attirance pour cette contrée lointaine portée aux nues par les artistes du japonisme des décennies précédentes en quête d’une esthétique nouvelle. Le Japon se présente sous un jour beaucoup plus sombre dans les autres œuvres de cette série. En effet, la période est marquée par la guerre russo-japonaise (1904- 1905) dont le pays sortira vainqueur, ce qui ne manque pas d’ébranler la suffisance des puissances européennes. La France, qui plus est, est alliée de la Russie. Dès lors, ce n’est plus le Japon des estampes, mais une nation belliqueuse et arrogante que les romans ayant pour fond la guerre russo-japonaise décrivent. Les inévitables clichés deviennent alors dans certains titres suffocants et ouvertement racistes. La Guescha amoureuse (1904) et La cité des sourires (1907) Le quotidien Le Temps saluera la disparition de l’auteure de ces deux titres en ces termes : « On annonce la mort d’un écrivain connu, Mme Jane de La Vaudère, auteur de plusieurs ouvrages où la hardiesse du sujet n’enlevait rien à la grâce littéraire. » L’écrivain dépeint ici un Japon dont Yoshiwara, le quartier des plaisirs à Edo, est le centre chimérique, une cité de beauté et de « sourires ». Les intrigues amoureuses forment la trame de ces romans peu réalistes. Le Chinois de Mademoiselle Bambou (1907) Grand reporter ayant parcouru la Russie, la Chine et le Japon où il séjournera un an, Charles Petit met en scène un lettré chinois qui se rend au Japon à l’aube de la guerre russo-japonaise, afin de développer les liens entre ce pays et la Chine. Le pauvre homme va de surprises en déceptions, malgré toutes les visites officielles ou d’agrément qu’il enchaîne. Jusqu’à ce qu’il tombe amoureux d’une geisha à Yoshiwara — dépeint cette fois comme un lieu où évoluent « des prisonnières » au regard vide. Blanche contre Jaunes (1904) Ce roman d’aventures, aux accents fortement patriotiques, est écrit sous le pseudonyme de Pierre Maël par Charles Vincent et Charles Causse, auteurs de livres pour la jeunesse publiés chez les plus grands éditeurs. Le destin va unir une belle aristocrate russe à un courageux officier français, lesquels vont triompher, après de dangereuses aventures, des cruels Japonais... L’invasion jaune (1909) Roman fleuve écrit sous un pseudonyme par le Colonel Émile-Cyprien Driant, auteur à succès du roman colonial et patriotique ouvertement raciste. Les aventures de ce roman belliciste se déroulent sur trois continents avec des Japonais, armés par les Américains, qui menacent d’effondrement l’Europe et la Russie. P. D. comédien et metteur en scène Zoom sur... Le Japon dans la littérature française (2) Brigitte Koyama-Richard (éd.) Série 1 : 1880-1899 ; série 2 : 1900-1910 ; série 3 : 1910-1929 (13 vol.) Tokyo : Edition Synapse, 2010-2012

La lettre de la bibliothèque N°47

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F ormé au théâtre classique(nô et kyôgen), Oida Yoshiest arrivé à Paris en 1968pour rejoindre la troupeinternationale de recherche

théâtrale de Peter Brook : il a jouésous la direction de celui-ci dans denombreux spectacles, tels que leMahabharata ou La conférence desoiseaux présentés à travers le mondeet aux Bouffes du Nord, et s’est pro-gressivement orienté vers la mise enscène. Véritable pont entre le théâtrejaponais et occidental, il raconte sesexpériences et son cheminementpersonnel à travers trois livres :L’acteur flottant, L’acteur rusé etL’acteur invisible, parus aux éditionsActes Sud. En tant que metteur enscène, Oida Yoshi a présenté récem-ment à la Maison de la culture duJapon Yume (« Rêve ») et a acceptéde répondre à quelques questions :

Votre formation au théâtre classiquejaponais vous a-t-elle aidé ou gêné dansla pratique du théâtre occidental ?

Le théâtre occidental ne m’était pasinconnu, mais lors des premiersessais d’improvisations avec PeterBrook, des mouvements japonais mesont naturellement venus. Brook m’asommé d’arrêter tout de suite. Unegrande partie de mon apprentissage aété de me débarrasser de mon bagagethéâtral japonais et de travailler surmoi-même, afin de restituer quelquechose de plus originel.

Dans vos livres, il est beaucoup question de votre recherche spirituelledans la pratique du théâtre. Être comédien apprend-il à vivre dans lavie quotidienne ?

D’abord, j’ai considéré que la viequotidienne était un lieu d’étudepour le théâtre. Puis, je me suisrendu compte qu’à l’inverse, jouerpouvait aider à enrichir sa vie quoti-dienne. Concrètement, le personnagede Hamlet à un moment pleure,crie... L’acteur observe ces émotions,il se demande comment se les appro-prier et lorsqu’il arrive à restituer l’émotion juste, il est heureux.Autrement dit, Hamlet est tristemais l’acteur est heureux. Dans la viequotidienne aussi, si la personneaimée me quitte, naturellement je

suis triste, mais à l’intérieur de moi ilexiste un double qui observe cetteémotion et ce moi triste, comme unacteur sur scène. Le théâtre m’aaidé à acquérir une mise à distance,une sérénité, qui aide à accepter tou-tes sortes d’émotions.

Vous avez aussi été apprenti-moinebouddhiste. Qu’est-ce que cetteexpérience vous a apporté dans votre pratique d’acteur ou dans la vie en général ?

Ce n’est pas du tout l’aspect religieuxqui a motivé cette expérience. Jevoulais saisir concrètement la placedu physique dans la pratique reli-gieuse. C’est là où j’ai appris que lecorps pouvait comprendre au-delà del’intellect. Dans le bouddhisme éso-térique, on pratique la psalmodie demantras qui demande une synchro-nisation de différentes parties ducorps. Au fur et à mesure l’imagina-tion vient, et c’est là que certaineschoses s’éclaircissent. Cela rejoint lapratique du théâtre.

Dans L’acteur invisible, vous dites que letravail de l’acteur doit le mener, non pasà parader sur scène, mais à disparaître.Que voulez-vous dire ?

Par exemple, un acteur dit aux spec-tateurs « regardez la lune » : lesspectateurs admirent la belle figurequ’il esquisse en pensant « quel bonacteur ! ». Un autre acteur joue lamême scène : je ne me souviendraini de son geste, ni de sa façon de ledire, mais j’ai vu la lune ! L’acteur

Entretien avec Oida Yoshi

Directeur de la publicationSawako Takeuchi

RédactionChisato Sugita

Pascale DoderisseRacha AbaziedCécile Collardey

Conception graphique et maquette

La Graphisterie.frImpression

Imprimerie MoutotDépôt légal : 1er trimestre 2015

ISSN 1291-2441

BibliothèqueMaison de la culture

du Japon à Paris101 bis, quai Branly

75740 Paris cedex 15Tél. 01 44 37 95 50

www.mcjp.fr

OuvertureDu mardi au samedi

de 13h à 18hNocturne le jeudi jusqu’à 20h

FermetureLes dimanches,

lundis et jours fériés

4

n° 47 - Hiver 2015

La lettre de la bibliothèque

1

La seconde série de cette publication en fac-similé de romans français d’inspi-ration japonaise –que nous avons commencé à présenter dans la Lettre de la biblio-thèque n°45– compte 6 volumes avec des œuvres comprises entre 1900 à 1910.Plusieurs se situent dans le Japon contemporain d’alors : une façon de rendre plusconcret et moins fantasmé ce pays que lors de la période précédente ?

En réalité, deux courants se dessinent. Le premier continue d’explorer la veined’un Japon idéalisé plus ou moins fictif, comme c’est le cas des romans de Jane de laVaudère : quelques méchants pour l’intrigue, mais le pays est, pour ses lecteurs, unemerveille d’exotisme mignard avec ses jolies « mousmés » (jeunes femmes) dévouées.À travers ces romans d’aventure très appréciés, il semble clair que le public continued’éprouver une certaine attirance pour cette contrée lointaine portée aux nues par lesartistes du japonisme des décennies précédentes en quête d’une esthétique nouvelle.

Le Japon se présente sous un jour beaucoup plus sombre dans les autres œuvresde cette série. En effet, la période est marquée par la guerre russo-japonaise (1904-1905) dont le pays sortira vainqueur, ce qui ne manque pas d’ébranler la suffisancedes puissances européennes. La France, qui plus est, est alliée de la Russie. Dès lors,ce n’est plus le Japon des estampes, mais une nation belliqueuse et arrogante que lesromans ayant pour fond la guerre russo-japonaise décrivent. Les inévitables clichésdeviennent alors dans certains titres suffocants et ouvertement racistes.

■ La Guescha amoureuse (1904) et La cité des sourires (1907)Le quotidien Le Temps saluera la disparition de l’auteure de ces deux titres en cestermes : « On annonce la mort d’un écrivain connu, Mme Jane de La Vaudère, auteur deplusieurs ouvrages où la hardiesse du sujet n’enlevait rien à la grâce littéraire. »L’écrivain dépeint ici un Japon dont Yoshiwara, le quartier des plaisirs à Edo, est lecentre chimérique, une cité de beauté et de « sourires ». Les intrigues amoureusesforment la trame de ces romans peu réalistes.

■ Le Chinois de Mademoiselle Bambou (1907)Grand reporter ayant parcouru la Russie, la Chine et le Japon où il séjournera un an,Charles Petit met en scène un lettré chinois qui se rend au Japon à l’aube de la guerrerusso-japonaise, afin de développer les liens entre ce pays et la Chine. Le pauvrehomme va de surprises en déceptions, malgré toutes les visites officielles oud’agrément qu’il enchaîne. Jusqu’à ce qu’il tombe amoureux d’une geisha à Yoshiwara— dépeint cette fois comme un lieu où évoluent « des prisonnières » au regard vide.

■ Blanche contre Jaunes (1904)Ce roman d’aventures, aux accents fortement patriotiques, est écrit sous lepseudonyme de Pierre Maël par Charles Vincent et Charles Causse, auteurs de livrespour la jeunesse publiés chez les plus grands éditeurs. Le destin va unir une bellearistocrate russe à un courageux officier français, lesquels vont triompher, après dedangereuses aventures, des cruels Japonais...

■ L’invasion jaune (1909)Roman fleuve écrit sous un pseudonyme par le Colonel Émile-Cyprien Driant, auteur àsuccès du roman colonial et patriotique ouvertement raciste. Les aventures de ce romanbelliciste se déroulent sur trois continents avec des Japonais, armés par les Américains,qui menacent d’effondrement l’Europe et la Russie.

P. D.

comédien et metteur en scène

Zoomsur...

Le Japon dans la littérature française (2)Brigitte Koyama-Richard (éd.)Série 1 : 1880-1899 ; série 2 : 1900-1910 ; série 3 : 1910-1929 (13 vol.)Tokyo : Edition Synapse, 2010-2012

ArtJean-Sébastien CLUZEL (dir.)Hokusai : Le vieux fou d’architectureParis : Seuil ; Bibliothèque nationale de France, 2014. 111p.[pagination multiple].

Nul sujet n’a semblé échapper au regardincisif du grand maître de l’estampeKatsushika Hokusai (1760–1869). Le mondedes bâtisseurs, notamment, a exercé unefascination particulière sur l’artiste. Cesdeux manga, manuels de dessins, qui ysont consacrés frappent par leur aspectavant-gardiste. Pour la première fois au

Japon, la création architecturale est appréhendée par ledessin. Hokusai prend aussi de fait position contre la longuetradition du secret artisanal chez les charpentiers et, d’unemanière générale, contre la ségrégation du savoir par lesdifférents corps de métiers. Plusieurs chapitres introductifsnous permettent de comprendre au mieux la valeur de cesœuvres, dont des exemplaires sont conservés à laBibliothèque nationale de France.

Hokusai Catalogue de l’exposition [Paris : Grand Palais,Galeries nationales, oct. 2014–jan. 2015]Paris : RMN, 2014. 415p.

Ce volumineux catalogue est à l’image de laplus grande exposition consacrée au maîtrede l’estampe japonaise en France,Katsushika Hokusai. Cette exposition nousfait découvrir les multiples talents d’unartiste qui a marqué l’histoire de l’art. Si tout le monde connaît l’auteur des Cent

vues du mont Fuji, avec la fameuse grande vague deKanagawa, cette exposition, qui est divisée selon les périodesmarquantes de la carrière de l’artiste, révèle la multiplicité desstyles. Ainsi, Hokusai a conçu de nombreux nishiki-e (imagesde brocart) et surimono (estampes de luxe), des livresillustrés, des peintures… On découvre également son influencesur les impressionnistes européens, ses fameuses manga ainsique ses images grotesques de monstres et de fantômesgriffonnées en quelques traits parfaitement maîtrisés. Quelsque soient les genres abordés, il se dessine toujours l’imaged’un homme en lutte pour aller de l’avant afin d’exhausser sonart à une dimension supérieure.

Jean-Jacques TSCHUDINL’éblouissement d’un regard : découverte et réception du théâtre japonais de la fin du Moyen Âge à la seconde guerre mondialeToulouse : Anacharsis, coll. Histoire, 2014. 389p.

Cet essai posthume du grand spécialiste dethéâtre japonais fait suite à son précédentouvrage encyclopédique, Histoire du théâtreclassique japonais, paru chez le mêmeéditeur en 2011. Jean-Jacques Tschudin avaitachevé la rédaction de cette dernière étudecomplémentaire avant de nous quitter,

l’été 2013. Grâce à son entourage, et à la minutieuse relecturede Madame Jacqueline Pigeot, les dernières vérifications ontfinalement pu être apportées à cet essai.S’appuyant sur de nombreux témoignages de jésuites,d’écrivains-voyageurs, ou sur les chroniques des premièrestournées européennes de troupes japonaises, le livre retracecomment l’Occident a découvert, dès le XVIe, et surtout à partirdu XIXe siècle, les arts du spectacle japonais. Au-delà de lafascination, des incompréhensions, c’est toutes les influencesmutuelles, la question de la réception et de l’apprentissaged’un art majeur qui sont au centre de cette étude.

Claude ESTÈBEYokohama Shashin : 1860–1900Paris : Yellowkorner éditions, 2014. 221p.

Yokohama Shashin se traduit littéralementpar « photographies de Yokohama », cetteexpression consacrée désigne un genre dephotos né à la fin des années 1870, produitesà Yokohama grâce aux nombreux ateliers quiy virent le jour. Il se caractérise par degrandes épreuves sur papier albuminé, depaysages, portraits et scènes du Japonsoigneusement colorées par des mains

expertes déjà rompues à l’exercice de l’estampe. Destinées àune clientèle occidentale, ces images ont largement circulé enEurope ou aux États-Unis, nourrissant l’inspiration dujaponisme. Claude Estèbe, photographe et historien de laphotographie japonaise, présente et commente une collectioninédite : si certaines de ces superbes reproductions prises enstudio tendent vers une mise en scène exotique, d’autres nousplongent avec un réalisme troublant au cœur d’un Japon encoreimprégné de l’atmosphère de l’époque Edo, avant les grandsbouleversements de la modernité.

FinanceFrédéric BURGUIÈREInstitutions et pratiques financières au Japon : De 1600 à nos joursParis : Hermann, 2014. 342p.

L’auteur, lui-même issu du monde de lafinance, livre une synthèse de l’évolution dela finance et de son rôle dans ledéveloppement de l’économie japonaisedepuis l’époque Edo (1600-1868), périodequi a précédé l’émergence du Japon commepuissance industrielle. De la refonte des monnaies au XVIIe siècle,

en passant par la création d’un système monétaire sur lemodèle occidental pendant Meiji (1868–1912), la bullefinancière des années 1980, jusqu’à la politique économiqueAbenomics du gouvernement actuel, cet ouvrage de référenceoffre une vision historique qui permet de mieux comprendreles spécificités des pratiques financières japonaises et lesdéfis qui attendent le modèle japonais.

LittératureKAWABATA YasunariPremière neige sur le mont FujiTrad. par Cécile Sakai

Paris : Albin Michel, 2014. 155p.

Ce recueil regroupe six nouvelles inédites de KawabataYasunari (1899–1972) parues entre 1952 et 1960 et traduitespar Cécile Sakai, spécialiste française de l’œuvre du prixNobel de littérature. D’anciens amants qui se retrouvent aprèsla guerre, un vieil écrivain muré dans son silence, une jeunefille qui porte en son cœur sa mère suicidée… Avec des motssimples, ces récits explorent les sentiments qui, à traversheurs et malheurs, survivent à l’éloignement, à la guerre, autemps, et semblent imprégner jusqu’aux paysages. Chacundans sa singularité révèle la palette sobre mais très nuancéedu grand écrivain.

101 poèmes du Japon d’aujourd’huiTrad. par Yves-Marie Allioux et Dominique Palmé

Arles : Éd. Philippe Picquier, 2014. 181p.

Cette anthologie, composée de 101 poèmes, choisis par lepoète Ôoka Makoto en collaboration avec plusieursspécialistes de la poésie japonaise contemporaine, réunit lestextes de 55 poètes couvrant la période de l’après-guerrejusqu’à nos jours. Pour chaque poète, le choix s’est fixé sur letexte le plus représentatif de l’écriture de son auteur ou celuiqui a connu un grand retentissement lors de sa publication.Ce recueil sélectif marque les étapes importantes de l’histoirede la poésie contemporaine japonaise. Un texte deprésentation de Yagi Chûei sur les turbulences qu’a traversécette poésie, ainsi qu’un avant-propos de Ôoka Makoto,donnent les clés pour bien saisir ces poèmes dans une belletraduction française.

SATÔ HaruoMornes saisonsTrad. par Vincent Portier

Paris : Les Belles Lettres, coll. Japon, 2014. 265p.

Quittant la ville, un homme tente de s’installer à la campagnepour retrouver la paix intérieure, mais très vite sonenvironnement se fait menaçant : les paysans, roublards oujaloux, la nature elle-même devient oppressante. Ce romanpublié en 1919 s’inscrit dans un genre commun à la traditionlittéraire chinoise et japonaise, selon laquelle l’auteur-narrateur, homme de lettres, s’établit à la campagne pours’éloigner des vicissitudes de la ville et de la vie sociale. SatôHaruo (1892–1964) se révèle à travers une écriture poétique etcontemplative, teintée de romantisme et de mélancolie : peud’action, sinon des descriptions très détaillées et subtiles de lanature qui font écho aux états intérieurs de l’auteur. VincentPortier accompagne cette traduction sensible d’une postfacepermettant de mieux cerner l’univers de cet écrivain jusqu’alorsnon traduit en français, ainsi que d’une biographie détaillée.

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aussi bon soit-il, s’il faittrop forte impressionne fera pas apparaîtreles choses qui sontinvisibles sur scèneou dans la vie quo-tidienne, tandisque le bon acteurest celui qui en« disparaissant » les fait apparaîtreaux spectateurs.

Vous pratiquez le théâtre depuislongtemps en Europe, le métier a-t-ilbeaucoup changé depuis votre venue ?

Que l’on soit au Japon ou en Europe,on se concentre davantage sur l’es-sentiel de l’expression humaine en sepassant du « superflu ». Ces dernièresannées, la tendance consiste à effa-cer les aspects typiquement japonaisou du moins supposés difficiles àcomprendre pour un public d’uneautre culture, afin d’atteindre uneexpression plus globale qui touche àl’essentiel. J’ai moi-même appris àconcentrer l’expression sur ce qui estvraiment porteur de sens.

Quelles sont les notions ou les conseilsque vous aimez transmettre dans vosateliers aux acteurs français ?

J’incite les stagiaires à trouver denouvelles expressions, en se défaisantde leur passé. Il incombe à chacun defaire un travail afin de trouver lacréativité en soi, car c’est elle qui estau cœur du métier de l’acteur. Je lesaide à vivre le jeu dans leur corps etdans leur voix, et à trouver commentils sont heureux sur scène.

Yume que vous venez de présenter est une pièce japonaise. Revenez-vous à vos origines ? 

En tant que metteur en scène, je n’avais rien fait de « japonisant », jus-qu’à ce qu’on me demande de montercette pièce à partir d’un texte japonais.Cela a été intéressant de réfléchir à lafaçon d’éviter l’effet du « folklorique ».Tout en utilisant des éléments propre-ment japonais, comme le bunraku oula poésie japonaise par exemple, j’aitenté une approche qui mettrait envaleur non pas l’exotisme mais le mes-sage dans sa totalité. ■

Regards sur le fonds