La littérature sur les gangs 15 ans plus tard : quoi de neuf ?

Ministère de la Sécurité publique du QuébecJournées de formation en prévention de la criminalité

7 et 8 novembre 2012Sylvie Hamel, UQTR

Karine Messier-Newman, UQTRPascale Domond, UQTR

Marc Alain, UQTRAlexis Dusonchet, IRDSJean-Philippe Pagé, UQTR

Élaborer une synthèse des connaissances sur le phénomène des gangs, tel que celui-ci se manifeste au Québec, en Amérique et ailleurs dans le monde.

Nous souhaitons que cette synthèse soit critique et contemporaine, en s’articulant autour de ce que nous savons déjà sur la question.

Objectifs

• Une synthèse critique n’est pas une revue de la littérature au sens propre du terme.

• Mais bien une démarche ciblée visant à faire surgir des éléments clés d’un corpus plus large.

• Il s’agit donc d’une démarche qui est à la fois descriptive et analytique.

• Une analyse comparative en fait, effectuée à partir d’un cadre, celui découlant d’un premier rapport publié en 1997 (Hébert, Hamel & Savoie, 1997).

Qu’est-ce qu’une synthèse critique ?

En nous appuyant sur le rapport de 1997

• Estimation de l’ampleur du phénomène• Définitions• Typologies• Organisation et fonctionnement des groupes• Caractéristiques des jeunes qui y

sont associés• Expérience des jeunes au sein de ces groupes• Processus d’affiliation et de désaffiliation• Programmes de prévention et d’intervention prometteurs

Cadre d’analyse

En nous appuyant sur nos recherches plus récentes• Les filles• Les communautés culturelles

En nous appuyant sur un comité consultatif• Politiques municipales et provinciales de lutte contre les gangs• Les stratégies d’intervention qui concernent et incluent la communauté• Comment la communauté peut s’organiser pour être moins victime de

la violence et de la criminalité des gangs• Comment peut s’articuler l’intervention policière dans l’intervention

globale et intégrée • L’exclusion et la racialisation

Et plus encore

PsycINFOPsycArticlesSociological AbstractSage Journal onlineCentre de documentation du CJM-IUJournal of Gang ResearchOffice of Juvenile Justice and Delinquency PreventionNational Youth Gang CenterInstitut national de prévention de la criminalitéCentre national de prévention du crimeThèses, mémoires, rapports

MéthodologieNous nous sommes concentrés sur les 15 dernières années et avons consulté diverses banques de données

Centre international de prévention du crimeGendarmerie Royale du CanadaSociété de criminologie du QuébecAssociation des services de réhabilitation du QuébecService de police de la ville de MontréalCentre québécois de ressources en promotion de la sécurité et en prévention de la criminalitéBlueprints for Violence PreventionNational Registry of Evidence-Bases and Delinquency Prevention

Principaux constatsDéfinition, ampleurModèles explicatifs

Caractéristiques internes et externesLe fonctionnement des gangs

Stratégies pour y faire face

Définition, ampleur

• Une nouvelle tendance à vouloir épurer la définition du concept de gang.

• Les chercheurs sont préoccupés par le besoin d’identifier les critères permettant de distinguer plus fondamentalement un gang de ce qu’il ne l’est pas.

• L’identification de critères primaires et universels constituerait un passage obligé pour que nous puissions parvenir à des comparaisons locales, nationales et internationales valides.

Définition simplifiée

«Un gang de rue a une certaine durabilité, il est composéd’un groupe de jeunes exerçant leurs activités dans la rue et étant engagés dans des activités illégales. Cet engagement criminel étant vu par le groupe comme l’une de ses caractéristiques identitaires»

(Traduction libre, Klein, 2006, p. 4)

Nouvelle proposition

Première proposition(inspirée de Klein, 1971)

«Un gang réfère à une collectivité de personnes (adolescents, jeunes adultes et adultes) qui a une identité commune, qui interagit en clique ou en groupe sur une base régulière et qui fonctionne, à des degrés divers, avec peu d’égard pour l’ordre établi. En général, les gangs regroupent des personnes de sexe masculin dont plusieurs sont issus des communautés culturelles et ils opèrent sur un territoire, en milieu urbain et à partir de règles. À cause de leur orientation antisociale, les gangs suscitent habituellement dans la communauté des réactions négatives et, de la part des représentants de la loi, une réponse négative visant à éliminer leur présence et leurs activités.»

• La criminalité• L’identité, les symboles d’appartenance• La violence

Quelques critères fondamentaux

• Encore difficile à cerner.• Mais apparemment le phénomène continue de

progresser partout dans le monde.• En 2006, le National Youth Gang Survey estimait à

26 500 le nombre de gangs répartis à travers les États-Unis (Egley & O’Donnell, 2008).

• En 1992, Miller estimait qu’il y avait environ 2 000 gangs sur le territoire américain.

Ampleur aux États-Unis

• Avec une méthodologie sensiblement similaire à celle des Américains, le Service canadien de renseignements criminels estimait en 2006 que 300 gangs de rue étaient présents à travers le pays, dont 50 au Québec, comptant environ 11 000 membres (SCRC, 2006).

• Dans la première recension, on estimait que très peu de bandes criminelles de jeunes très bien organisées étaient présentes sur notre territoire (FCM, 1994).

Ampleur au Canada

Explication du phénomène

• Émergence d’une perspective développementale(Thornberry, Khron, Lizotte, Smith & Tobin, 2003)

– Les caractéristiques de l’environnement (difficultés familiales, difficultés scolaires, pauvreté, etc.) ne deviennent nocives que dans certains contextes, reliées notamment aux caractéristiques que présentent les individus eux-mêmes (traits de personnalité, estime de soi, contrôle de soi, etc.) et qui, en partie, dépendent de leur développement.

– Cette perspective s’intéresse aussi aux moments charnières du développement normal de l’individu depuis la petite enfance jusqu’à l’âge adulte.

Nouvelles tendances explicatives

• Émergence de la notion de réseau (Fleisher & Krienert, 2004).

– Elle renvoie plus particulièrement aux processus et aux mécanismes d’entraînement, que l’on retrouve dans les réseaux sociaux naturels, qui pourraient expliquer comment, et pourquoi surtout, certains jeunes aboutissent dans l’univers des gangs.

– Famille, amis, quartier

Nouvelles tendances explicatives

• Cette notion s’est également transformée

– En 1997, l’affiliation se révélait sous forme d’étapes relativement structurées où intervenaient notamment le recrutement, l’initiation ainsi que l’obtention du statut de membre.

– Maintenant nous ne retrouvons plus tellement ces éléments dans la littérature mais une plus forte à tendance à concevoir que l’affiliation est un processus graduel, à tout le moins beaucoup plus fluide que nous le prétendions à l’époque, s’introduisant par les réseaux de connaissances.

Affiliation ?

• Avec la notion de réseau, il devient pratiquement impossible de concevoir qu’un jeune puisse complètement sortir des gangs, sinon que dans quelques exceptions.

• La désaffiliation conduit à une situation paradoxale causée par la perte d’un réseau qui comprend des bénéfices considérables tout autant qu’il engendre des risques importants.

• Une rupture brutale ne favorise donc pas nécessairement la réadaptation des jeunes considérant la valeur qu’ils accordent aux liens qu’ils développent dans ces groupes.

Désaffiliation ?

Caractéristiques internes et externes

• Encore aujourd’hui les chercheurs confirment que les jeunes qui se joignent aux gangs souffrent d’une faible estime de soi (Sanchez-Jankowski, 2003; Esbensen, Peterson, Taylor & Frenge 2010)

• En soutenant même que les gangs répondent directement à ces vulnérabilités (Mohammed, 2007) en offrant aux jeunes un moyen unique de développer leur estime par l’entremise de l’identité alternative qu’ils peuvent y développer.

Faible estime de soi

• On ajoute aussi que les problèmes que manifestent ces jeunes au plan de l’estime de soi s’associent ou sont parfois la conséquence d’autres difficultés qui sont notamment des symptômes de dépression (Klempt-North, 2007).

• Ou encore des problèmes cognitifs pouvant s’accompagner d’un diagnostic de trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (Florian-Lacy, Jefferson & Fleming, 2002, 2007).

Souffrances dissimulées

• Violence• Négligence• Maltraitance• Discipline et encadrement

Mais aussi une meilleure compréhension des contextes particuliers et des processus qui y sont associés.

Famille mise en contexte

• Pour les jeunes dont un membre fait partie des gangs pour y jouer un rôle actif, il serait pratiquement incontournable pour eux de se joindre à ces groupes (Sirpal, 2002 ; Chatterjee, 2006).

• L’adhésion des jeunes à l’univers des gangs pourrait non seulement constituer un acte de survie ou de revendication face à la famille, mais aussi un acte de conformité ou de loyauté.

Suivre les traces d’un membre de la famille

• Lorsque les parents sont eux-mêmes éprouvés dans leur parcours, sans réussir à franchir les étapes de l’adaptation et de l’intégration qu’ils devraient normalement traverser, ils deviennent souvent incapables de faire face aux tâches développementales qui habituellement sont liées au passage à l’adolescence d’un membre de la famille (Hamel et Brisebois, 2011).

Processus migratoire

• Cette notion rejoint le concept de marginalité multiple indiquant que les jeunes qui gravitent dans l’univers des gangs sont plus troublés que les autres personnes de leur âge, qu’ils vivent un sentiment d’isolement et de marginalité face à leur famille, leur culture ainsi que les autres institutions telle que l’école.

Pathologie de l’appartenance

• Les jeunes ne semblent pas y trouver leur place.• De faibles rendements qui diminuent les espoirs que ces

jeunes et leurs parents entretiennent à l’égard de leur avenir professionnel (Florian-Lacy, Jefferson, & Fleming, 2002).

• Ce portrait négatif de la performance scolaire des jeunes membres de gangs cache une rupture, c’est-à-dire le détachement de ces jeunes à l’endroit des valeurs du système scolaire.

• Faible estime de soi, étiquetage, discrimination

École démunie ?

• Plusieurs écoles réagissent à ce problème de manière répressive en procédant à la vérification des armes, à la suspension et à l’expulsion des jeunes ou en ayant recours aux forces de l’ordre (Curry & Decker, 2003; Zatz & Portillos, 2000).

• Ces moyens contribuent à détériorer le climat à l’école (Joseph, 2008), à augmenter le sentiment d’insécurité des élèves.

• Et des jeunes pourraient se lier aux gangs en raison du sentiment d’insécurité qu’ils éprouvent dans leur milieu scolaire (Howell & Egley, 2005).

Sentiment d’insécurité

• Lorsque les voies usuelles et légitimes de réalisations sont inaccessibles (travail et école), l’univers des gangs pourrait être considéré par les jeunes comme une voie marginale de réalisation permettant d’atteindre le succès économique et social, d’obtenir un statut, une certaine reconnaissance (Chatterjee, 2006).

• Dans certaines communautés, le gang constitue une véritable institution et devient le noyau organisateur de la vie sociale de la personne et de son développement.

Milieu de vie réorganisé ?

Autres caractéristiques socio-démographiques

• Une bonne proportion des candidats ne sont qu’à l’aube de leur adolescence au moment où ils s’associent au gangs (Nimmo, 2001; Chatterjee, 2006, Mourani, 2006).

• On estimait en 1997, que lorsque les jeunes se détachent des gangs, ils n’ont en moyenne que 19 ans, alors que les recherches récentes rapportent plutôt que ces groupes renferment en majorité de jeunes adultes (Franzese, Covey et Menard, 2006; Chatterjee, 2006; NYGS, 1999-2001).

Séjour prolongé

• Les recherches américaines récentes indiquent encore une prédominance des groupes issus de minorités ethniques et culturelles (Esbensen, Peterson, Taylor & Frenge, 2010).

• Mais l’attention des chercheurs semble se tourner actuellement vers l’hétérogénéité culturelle des gangs contemporains (Hamel, Fredette, Blais, & Bertot, 1998 ; Starbuck et al., 2001; Chatterjee, 2005, 2006) qui contraste avec l’homogénéitéqui lui est traditionnellement reconnue (Klein, 1995).

Origine ethnoculturelle

• Les caractéristiques internes et externes des filles ne sont apparemment pas tellement différentes de celles des garçons (Miller, 2001; Mendoza-Denton, 2008; Bell 2009).

• Les filles qui font partie de l’univers des gangs présentent un profil délinquant qui est très similaire à celui des garçons qui font aussi partie de ces groupes, avec une diversité d’offenses qui incluent notamment les attaques contre la personne (Esbensen, Peterson, Taylor & Frenge, 2010).

Genre

• La prostitution qui est gérée par les gangs serait organisée en réseau et se caractériserait par la présence de souteneurs.

• Les activités de prostitution que gèrent les gangs se pratiquent surtout dans des endroits privés, par l’entremise notamment d’agences d’escortes (Dorais, 2006).

• Cette formule est propice à la victimisation des jeunes filles qui n’associent pas leurs activités à la prostitution en tant que telle.

Victimisation

• Les jeunes filles qui se joignent aux gangs vivent un écart de maturité entre leur niveau de développement biologique et leur désir d’atteindre le statut d’adulte.

• L’affiliation aux gangs deviendrait pour elles un moyen d’afficher leur indépendance, leur autonomie et de mettre en évidence leur maturité. Mais du coup, cet intérêt pour le monde adulte les rendrait particulièrement vulnérables à la victimisation des garçons.

Puberté précoce

Le fonctionnement des gangs

• Nous jugeons ces groupes comme instables sans véritablement connaître et comprendre les autres formes de structures qu’utilisent certains d’entre eux, parmi lesquelles nous retrouvons notamment des structures de type collégial, informel et influent qui correspondent beaucoup mieux à leur réalité (Esterle-Hedibel, 2007).

• Ce constat vaut pour l’ensemble des organisations criminelles du XXIe siècle, qui apparemment vivent d’importantes restructurations, se caractérisant par de hauts niveaux de fluidité et de complexité (Chatterjee, 2005).

Fonctionnement

• L’alliance que les gangs développent de plus en plus avec le crime organisé les amènerait à diversifier encore davantage leurs créneaux et même à s’affirmer dans certains domaines, celui du trafic de la drogue notamment (Nafekh et Stys, 2004; Delaney, 2005).

• Cette situation pourrait entraîner un durcissement de la violence, à l’extérieur des groupes et l’intérieur aussi (Papachristos, 2009).

Violence agie

• La violence dont les jeunes sont témoins dans leur communauté peut les amener à développer des problèmes de comportement externalisés et parfois même des problèmes internalisés de santé mentale (syndrome de stress post-traumatique) qui semblent être reliés de manière positive à leur désir de se joindre aux gangs (Teplin et al., 2002; Kelly, Anderson & Peden, 2009).

Violence subie

Les stratégies pour y faire face

• Les méthodes répressives se sont diversifiées– rafles, nouvelles technologies, renforcement de la loi, poursuites judiciaires, injonctions civiles,

contrôle des armes à feu ).

• Les mesures accrues mais équitables donnent les meilleurs résultats• Elles demandent d’utiliser une approche calibrée, intégrant la

répression dans un continuum d’action où interviennent différents secteurs de la communauté.

– Community Oriented Policing Services – Boston Ceasefire Project– Comprehensive Strategy of Serious Violent and Chronic Juvenile Offenders de l’Office of

Juvenile Justice and Delinquency Prevention– Comprehensive Community-Wide Approach to Gang Prevention– Intervention and Suppression Program

• Ces mesures sont calibrées en fonction de la gravité de l’infraction commise et du risque de récidive dans l’intérêt que la sanction corresponde bien aux besoins des jeunes délinquants.

Lutter contre les gangs

• Les policiers participent aussi à des projets comportant des activités de prévention, d'intervention et de mobilisation du milieu dans le but de créer de nouvelles possibilités de développement pour les jeunes.

• On revient en quelque sorte à l’organisation communautaire qui a toujours gardé bonne réputation.

• Mais souffre encore de ne pas être suffisamment évaluée.• On dit qu’aucune recherche ne nous permet de mesurer

l’impact de l’organisation communautaire sur la prolifération des gangs de rue.

• Mais est-ce là la véritable finalité de l’organisation communautaire ?

Revenir aux déterminants

• Scolarisation, formation professionnelle, accès à l’emploi• Mais aussi aide aux communautés pour s’organiser et à

s’autonomiser• Développement économique et social des zones urbaines

défavorisées • Participation à la vie communautaire (entraide)• Mentorat, éducation, santé, développement personnel• On s’adresse aussi plus directement à la rupture de l’unité

familiale qui constitue un facteur de risque étroitement associé à l’adhésion au gang

S’adresser aux conditions de vie

• On s’occupe toujours de sécurité et d’éducation

• Mais aussi des jeunes– Pour améliorer leurs aptitudes à résoudre des problèmes– Pour accroître leurs compétences sociales et cognitives– Pour améliorer leurs relations avec les pairs conventionnels– Pour réduire leurs comportements perturbateurs– Pour accroître leurs aptitudes à communiquer– Pour les aider à construire des liens avec l’école, la maison et des amis

• Certaines initiatives comprennent aussi un volet pour les parents

• Encore ici, les approches sont de plus en plus globales amenant les écoles à s’impliquer en tant que milieu de vie et comme composante d’une communauté élargie. – Le volet parascolaire est également important

Prévenir en milieu scolaire

• Pour les éduquer• Pour les renforcer

– Prévention développementale

S’adresser aux plus jeunes

• À titre de victimes des réseaux d’exploitation sexuelle• À titre de membres potentiels

S’adresser aux filles

• Traitement– Habiletés sociales– Gestion de la colère

• Suivi dans la communauté– Récidive– Influence des pairs

• Faire face aux situations de crise– Représailles– Dangers, criminalité

• Faire face à la communauté– Discrimination– Intégration

S’occuper des jeunes qui en font partie

Approches globales et intégrées• Plusieurs besoins, plusieurs acteurs, plusieurs perspectives

sylvie.hamel@uqtr.ca