Delperdange

L A M A I N

D U L O U P Schubert Café

T A P A G E

© Casterman (1997)

Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays. Toute reproduction, même partielle, de cet ouvrage est interdite.

Une copie ou reproduction par quelque procédé que ce soit, photographie, microfilm, bande magnétique, disque ou autre, constitue une contrefaçon passible des peines prévues par

la loi du 11 mars 1957 sur la protection des droits d'auteur.

Déposé au ministère de la Justice, Paris (loi n° 49.956 du 16 juillet 1949 sur les publications)

Traitement graphique : Casterman

Dépôt légal : septembre 1997 D. 1997 /0053 /287 ISBN 2-203-56413-X

Imprimé en Belgique par Casterman s.a., Tournai.

1

L A GRANDE ÉCHELLE pivota brusquement, d'un mouve- ment rapide. L'homme ne s'aperçut pas de ce qui le

menaçait. Il fut touché au milieu du dos et tomba aussitôt en avant, comme fauché par un coup fatal. Il agita les mains dans l'air, en quête d'un soutien, ne trouva rien, et

s'affala, tête la première, dans l'épaisseur de mousse recouvrant l'étendue d'eau, au milieu d'éclaboussures d'un

blanc surnaturel. Le corps disparut entièrement, et pendant plusieurs secondes, il n'y eut plus aucun mouvement,

comme si le liquide l'avait absorbé. Seules quelques bulles, crevant la mousse, trahissaient la présence de celui qui avait été englouti.

« Coupez ! cria sèchement une voix. Ça ne va pas, mon vieux. Ça ne va pas du tout. On va la refaire. Ça manque de naturel. On dirait des amateurs. »

La tête de l'homme qui venait de tomber émergea de la mousse. Sa perruque aux longs cheveux orange lui collait au visage, et le blanc et le rouge de son maquillage outran-

cier s'étaient mélangés, suite à ce bain forcé. Il ôta son faux nez de plastique rouge, où l'eau s'était glissée, et souffla pour dégager ses narines, avant de lancer un regard en coin en direction de son fils Julien, discrètement assis dans un angle du studio, à l'écart de l'agitation ambiante, et qui essayait d'ailleurs de se faire oublier, pour suivre des yeux la seule personne à cause de laquelle il se trouvait là.

« On se remet en place ! » cria le grand type en chemi- se blanche, du nom de Nash.

C'est lui qui dirigeait le tournage, et son nom était ins- crit au pochoir sur le dossier de la chaise de toile qu'il ne quittait que pour aboyer des ordres.

« Plus vite que ça ! » ajouta-t-il en se rasseyant. « Et cette fois-ci, essayez quelque chose de drôle, les gars. Vous êtes sûrs que vous avez déjà fait rigoler quelqu'un ? »

Le père de Julien lança à son fils un nouveau regard à la dérobée. Au cours de la dernière heure, il était tombé sept fois de suite tête la première dans un énorme bassin d'eau savonneuse, suite au coup asséné par son collègue, Arthur Cassedur, du bout de l'échelle qu'il portait sous le bras. À la première chute, les gens réunis dans le studio avaient ri de bon cœur. Isabelle elle-même avait ri, et Julien s'était dit qu'elle était plus belle encore quand elle riait, chose que, jusque-là, il avait crue impossible. Mais il avait fallu recommencer la scène. D'après Nash, une des camé- ras n'était pas exactement bien placée. La chose était rapi- dement devenue moins drôle, de moins en moins drôle au fil des cinq prises suivantes. Aucune d'elles n'avait satis- fait le réalisateur.

Le père de Julien s'appelait Alexis Alexis. En réalité, son vrai nom était Paul Sorel, mais il avait vite compris que cela ne faisait pas très sérieux pour un clown, si bien qu'il avait pris un pseudonyme. Avec son collègue Arthur Cassedur, ils apparaissaient dans des publicités télévisées pour des lessives ou des céréales. On voyait Alexis Alexis se faire d'énormes taches de confiture et de chocolat sur

son costume, pendant qu'Arthur Cassedur rigolait en dan- sant dans ses chaussures de soixante centimètres de long. Ils passaient ensuite l'un et l'autre dans une gigantesque machine à laver. Alexis Alexis en ressortait parfaitement propre, avec des vêtements comme neufs, des rayures rouges et vertes éclatantes de couleur. Quand il était gosse, Julien trouvait épatant de voir son père cinq ou six fois par soir à la télé, sur toutes les chaînes, mais son enthousias- me avait faibli à dater du jour où ses copains d'école l'avaient reconnu eux aussi, un matin où il était venu déposer Julien au lycée, en vêtements et maquillage de tra- vail.

Un lourd silence était tombé sur le studio suite à la

remarque lancée par Nash. Julien n'entendait plus que le bruit des gouttes qui tombaient du célèbre Alexis Alexis, dégoulinant de la tête aux pieds.

« Si on tournait le plan suivant, Philippe ? » proposa l'assistant, un jeune homme d'une vingtaine d'années. « De toute manière, mouillé pour mouillé, personne ne verra la différence, ajouta-t-il, avec un étrange mouvement de main qu'il ne cessait d'exécuter à tout propos.

— Quel plan ? demanda Nash, en s'étirant.

— Celui avec les plumes, tu sais ? » répondit l'assistant de sa voix trop aiguë.

Et de ses deux longs index dressés, il indiqua le pla- fond du studio.

Au-dessus du bassin dans lequel plongeait Alexis Alexis était accroché un grand coffre métallique, dans les cintres du plafond, au milieu d'une forêt de projecteurs. C'était de là que tomberaient les plumes qui devaient recouvrir Alexis Alexis, à sa sortie du bassin, couvert de mousse. Après quoi, le ventilateur sur pied entrerait en action pour débarrasser le clown de ces plumes et de cette mousse, faisant preuve d'une puissance et d'un souffle censés déclencher dans le cerveau de millions de téléspec- tateurs l'envie subite et frénétique de faire l'acquisition de cette merveille de la technologie moderne, le ventilateur Tristar. Julien poussa un long soupir.

« Alors, qu'est-ce que tu décides, Philippe ? reprit l'as- sistant.

— Non, non, dit Nash après une intense réflexion. Ça n'ira pas. Il me faut d'abord celui-ci en boîte. Je ne sup- porte pas de travailler en dehors de la continuité temporel- le. Même pour les mini métrages. Surtout pour les mini mét. Ça me brise tout mon élan.

— Ah oui, a dit l'assistant avec sérieux. J'oubliais la continuité temporelle. »

On comprit qu'Alexis Alexis allait avoir droit à une nouvelle chute dans la mousse. Une habilleuse s'avança pour lui remettre un costume sec, le huitième. Isabelle s'approcha également pour lui communiquer l'endroit pré-

cis où il devait se placer, même si d'après Julien, il devait connaître ça par cœur. C'était en effet la huitième fois

qu'elle le lui indiquait en moins d'une heure. Isabelle était scripte sur la plupart des tournages de

l'agence Continentale. Julien avait les yeux rivés sur elle.

Elle se mit à parler à son père, tandis qu'il passait le costu- me sec et qu'une maquilleuse effectuait les raccords sur

son visage. Puis, un doigt sur ses lèvres charnues, elle relut ce qui était inscrit sur le bloc-notes posé sur son avant-bras.

« Qu'est-ce qu'elle est belle », se dit Julien, la bouche sèche. « Qu'est-ce qu'elle est belle. » Il s'était déjà répété cette phrase des millions de fois, sans jamais se lasser.

« Mais raconte, avait demandé Thomas, le meilleur copain de Julien au lycée. Explique ce qu'elle a de si terrible. » Il

paraissait un peu énervé par le mystère entourant cette Isabelle qu'il n'avait jamais vue. « Elle est belle, avait répondu Julien, le regard vague. Dans le peloton de tête des filles qu'on connaît, je t'assure. Toutes catégories confon-

dues. » « Mieux que Nina Politto ? » avait encore demandé Thomas, en faisant référence à une des filles du lycée, que de son côté il ne se lassait pas de suivre des yeux dès qu'il en avait l'occasion, en espérant attirer son attention. Julien avait soupiré, comme si le fait de comparer Isabelle avec quelqu'un d'autre, même du calibre de Nina Politto, rele- vait de la bêtise la plus flagrante. Non, Isabelle, c'était dif- férent. Même si Julien n'arrivait pas à en dire plus. Et pour- tant, il avait l'image d'Isabelle bien fixée dans la tête, c'était sûr. Il lui suffisait de fermer les paupières pour la voir. Isabelle avait des cheveux acajou qui s'agitaient au

moindre de ses gestes, des yeux d'un vert lumineux dans

lesquels on avait envie de plonger et des pommettes saillantes qu'on remarquait dès qu'on arrivait à détourner

le regard de ses yeux. Elle portait ce genre de vêtements

qui donnaient furieusement envie à Julien d'en apprendre davantage sur ce qu'ils cachaient à moitié. Dès que son

père annonçait à la maison qu'un nouveau tournage était

prévu, Julien s'arrangeait pour l'accompagner. Pour tout dire. Julien était amoureux pour la première fois de sa vie.

Les techniciens s'affairaient à remettre les choses en

place avant la nouvelle prise. Certains épongeaient le sol

de carreaux blancs avec des serpillières, pour le débarras- ser de l'eau savonneuse qui avait giclé, d'autres réglaient

des projecteurs. L'habilleuse s'éloigna, le costume trempé sur les bras. Julien détourna un instant le regard d'Isabelle,

l'attention attirée par un vague mouvement au plafond au-

dessus d'elle. Les projecteurs brillaient tellement que

Julien avait beaucoup de peine à distinguer les détails autour du coffre empli de plumes.

Il cligna des paupières, pour saisir ce qui avait pu atti- rer son œil, là tout en haut, juste à la verticale de son père

et d'Isabelle, puis en revint rapidement à Isabelle, avec une légère angoisse, comme si elle avait profité de ce moment d'inattention de sa part pour s'éclipser. Mais non. Il la retrouva, toujours auprès de son père, maintenant revêtu de son nouvel habit, et qui lui souriait.

« On peut y aller ? cria Nash, se levant et claquant dans

les mains. On se dépêche, tout le monde. La technique ? O.K. ? Isabelle, ça va pour toi ? »

Elle lui répondit d'un signe de tête, avant de remettre en place du bout des doigts la grosse marguerite plantée sur la poitrine du clown, et c'est au même moment que Julien sentit sa peau se hérisser en comprenant enfin ce qui se passait.

2

s ANS HÉSITATION, Julien bondit pour se ruer vers son père et Isabelle, toujours rapprochés, épaule contre

épaule. Courant frénétiquement, il frôla le bout de l' echel-

le d'Arthur qui attendait qu'on lui dise de commencer son numéro, heurta le coude de l'habilleuse qui s'éloignait

avec le costume de clown dégoulinant, écarta sans ména- gement l'assistant qui avait fait un pas de côté et se trou-

vait sur son passage, puis, convaincu que tout était fichu, plongea tête la première, bras écartés. Il entraîna dans sa

chute Isabelle et son père, et tous trois valsèrent dans la mousse du grand bassin.

Une fraction de seconde plus tard, l'énorme coffre métallique s'écrasait sur le carrelage du studio, dans un fra- cas épouvantable qui fit trembler le sol et frémir tous ceux qui se trouvaient là.

Julien tenta de retrouver l'équilibre, mais le bassin était plus profond qu'il ne l'avait cru. Il avait de la mousse par- tout, dans les yeux, le nez et la bouche. Autour de lui s'agi-

taient des bras et des jambes. Au milieu de cette confusion,

l'idée jaillit soudain en lui que certains de ces membres appartenaient à Isabelle. Il ne put s'empêcher de serrer la jambe qu'il sentait la plus proche.

« C'est fini ? demanda la voix son père. Tu as terminé ton numéro, Julien ? »

Julien sortit la tête de la mousse, et s'essuya tant bien que mal le visage, pour apercevoir aussitôt Isabelle qui se relevait elle aussi, s'appuyant d'une main au bord du bas- sin, à deux mètres de lui. Elle ouvrait tout grand la bouche, le souffle coupé par la surprise et l'émotion. Sous son pull de coton trempé, on apercevait ses seins, dessinés de manière parfaite. Quant à la cuisse que Julien serrait, il se rendit compte que c'était celle de son père et la lâcha aus- sitôt, avant d'escalader le bord du bassin pour s'ébrouer comme un jeune chien.

« Si tu tenais à mettre de l'ambiance, c'est réussi, reprit son père qui clapotait en s'extirpant du liquide. Tu peux me dire ce qui t'a pris ? »

Julien ne répondit pas. Son père avait compris, sans autre explication. Car le coffre se trouvait là, sous les yeux de tous. Ses parois de métal avaient cédé sous la violence de l'impact. On apercevait sans peine que ce n'étaient pas des plumes qu'il renfermait, mais des sacs de sable. Quelques sacs s'étaient éventrés, répandant leur contenu à la ronde.

« Ooohoohh ! » s'écria l'assistant, la mine horrifiée, dans le silence retombé sur le studio.

Il se mit une main devant les yeux, comme révulsé par ce spectacle.

Il réfléchit.

« Tu n'as pas soif? demanda-t-il soudain, comme si cette idée venait de le frapper. Tiens, appelle ton père. Dis- lui de venir. En attendant, je vais nous chercher à boire. »

Il poussa vers Julien un gros téléphone noir, puis se leva et quitta le bureau, laissant la porte ouverte.

Julien terminait son troisième verre d'eau gazeuse lorsque son père arriva.

« Je viens d'appeler mademoiselle Marchai, expliqua l'inspecteur Gessler. Elle est d'accord de ne pas porter plainte. De toute manière, Julien n'est pas entré par effrac- tion, et quant au sac et au blouson, il faudrait que ce soit Isabelle Martinez en personne qui fasse une déclaration de vol. Éventuellement. Mais comme je n'ai pas réussi à la joindre... »

Il eut un geste de la main, comme une feuille qui s'en- vole.

« Alors ? demanda le père de Julien. — Vous pouvez partir, dit l'inspecteur. Je ne vais pas

faire de procès-verbal. Rien n'a été inscrit nulle part. Mes hommes auront oublié cette affaire dans trois quarts d'heu- re.

— Merci, dit Paul Sorel. — Non, répliqua l'inspecteur Gessler. Parce que ça ne

veut pas dire que tout est effacé. » Il attendit, observa Julien un instant, puis son père. « Il s'est passé quelque chose, reprit-il. Vous me com-

prenez ? » Julien leva les yeux.

« Si mademoiselle Isabelle Martinez débarque ici demain, ou un autre jour, tout peut redémarrer. »

Père et fils hochèrent pensivement la tête, avant de

quitter le bureau, et de sortir du commissariat, dans la cha- leur de l'après-midi. Ils attrapèrent un taxi pour rentrer chez eux. Julien regardait au-dehors, sans rien voir. Son

père se tournait de temps à autre vers lui, hésitant à parler.

« On ne dira rien à ta mère, finit-il par déclarer, alors que la voiture s'engageait dans leur rue.

— Elle n'est pas là ? demanda Julien. — Elle fait des courses avec ta sœur.

— Ça tombe bien. » Le chauffeur s'arrêta au bas de l'immeuble, rendit la

monnaie, s'en alla avant même qu'ils aient pénétré dans le hall.

« Qu'est-ce que je dois penser de tout ça ? » demanda soudain Paul Sorel, au bas des marches.

Julien se retourna.

« Ce que tu veux. » Il haussa les épaules, puis se remit à grimper l'escalier

de pierre. « Attends », reprit son père. Julien s'arrêta sur le palier du premier étage. « Le sac a vraiment disparu ? dit son père, en le rejoi-

gnant. — Oui.

— Avec tout ce qu'il contenait ? — Oui. Bien sûr. Pourquoi ? — Pour rien. »

Paul Sorel réfléchit.

« Ou plutôt si, ajouta-t-il. Peut-être qu'il y avait là- dedans des choses auxquelles elle tenait.

— Quelles choses ?

— Je ne sais pas. Des objets personnels, des papiers,

des souvenirs. Ce qu'une femme transporte dans son sac à

main. Elle ne sera pas contente en apprenant que tout a dis-

paru. Tu as fait une bêtise, Julien, reconnais-le. — Il lui est arrivé quelque chose, répliqua Julien. J 'en

suis certain. Elle a disparu. Voilà trois jours que personne ne l'a vue.

— Ça ne veut rien dire. Elle est peut-être malade.

— J'avais ses clés, insista Julien. Elle n'a pas pu ren-

trer chez elle. Et elle n'était pas au studio jeudi soir. Sans parler du fait qu'il y avait quelqu'un chez elle quand je suis

entré, quelqu'un qui fouillait l'appartement. » Il ne put s'empêcher de frissonner.

« Arrête de te monter la tête, dit son père d'un ton cou-

pant. Si tu m'avais écouté, on n'en serait pas là. À l'avenir, contente-toi de fréquenter les filles de ton âge. Cela fera beaucoup moins de problèmes pour tout le monde. Je ne

tiens plus à ce que ce genre de scène se représente, tu m'as compris ? »

Ce fut la fin de leur échange. La mère de Julien et sa

sœur n'étaient pas encore rentrées à l'appartement. Julien prit aussitôt le chemin de sa chambre. Allongé sur son lit, dans la lumière filtrant au travers des rideaux clos, il guet- ta un instant les bruits que faisait son père. Le sac d'Isabelle et son blouson de cuir avaient disparu, emportés

par cet inconnu. Que cherchait-il donc? Julien était per- suadé que la réponse à cette question se trouvait quelque

part, dans ce sac, qui semblait intéresser pas mal de gens. En procédant par élimination, il n'était pas difficile de comprendre quel était le seul objet digne d'intérêt, un objet

comportant des noms et des détails au sujet de la vie d'Isabelle.

Julien sourit. Contrairement à ce qu'il avait déclaré à

son père et aux agents, tout le contenu du sac ne s'était pas envolé du même coup. Julien remonta la jambe droite de son pantalon de toile. Au niveau de la cheville, sous plu-

sieurs couches de ruban adhésif, se trouvait le petit agenda à couverture noire.

18

type="BWD"L E LENDEMAIN ÉTAIT un dimanche. Julien avait passé la soirée du samedi, et une bonne partie de la nuit, à

feuilleter l'agenda noir, à essayer d'identifier les noms qui y apparaissaient, à se figurer l'existence d'Isabelle, à tenter de comprendre ce qui avait bien pu lui arriver. La chose n'était pas aisée, parce qu'il était sans cesse dérangé par sa sœur ou sa mère, qui se demandaient ce qu'il pouvait bien faire, cloîtré dans sa chambre depuis des heures. En les entendant approcher, Julien s'emparait d'un livre au hasard, pour faire diversion, et dissimulait le carnet du mieux possible. Quant à son père, Julien ne le revit qu'au cours du repas, et encore leurs regards ne se croisèrent-ils pas, comme si l'un et l'autre s'évitaient.

Lorsque Julien ouvrit les yeux, le dimanche, dans la clarté du matin, il était sûr d'une chose : c'était au Schubert Café que la plupart des fils de l'existence d'Isabelle le ramenaient. S'il voulait en apprendre davantage, c'était

donc là qu'il lui fallait retourner, malgré ce qui avait pu s'y passer la première fois.

Il attendit, avec de plus en plus d'impatience, que les autres membres de la famille vaquent à leurs occupations habituelles, en cette matinée dominicale. Paul Sorel fut le

premier à disparaître, en annonçant qu'il devait rencontrer son collègue Arthur, pour mettre au point un nouveau numéro auquel il avait pensé. Caroline partit un peu plus

tard, en compagnie de son amie Étoiline, qui était venue la chercher.

Lorsque Julien sortit enfin de sa chambre, sa mère se trouvait au salon, plongée dans un magazine. Des notes de piano sortaient des diffuseurs, légères et graciles. Une brise, entrée par la fenêtre ouverte, agitait les voiles.

«Je vais chez Thomas, annonça Julien. J'ai promis de lui prêter un livre. »

Sa mère leva les yeux.

« Tu rentres quand ? — À midi, dit Julien. Je te rapporte quelque chose ? » Elle réfléchit, les yeux posés sur lui. Il faillit trépigner

d'impatience, mais parvint à se contenir. Sa mère finit par remuer la tête.

« Non, non, merci. Tu vas chez Thomas ?

— Oui, c'est ce que je viens de te dire. — Bon, dit-elle. » Et elle se remit à lire.

« À tout à l'heure », dit Julien, quittant la pièce. Il dévala les escaliers plus vite que jamais. Il bondit sur

le trottoir, dans la chaleur du soleil. La lourde porte de

métal et de verre se referma dans un claquement. Le vieux concierge allait encore émettre des suppositions concernant

son état d'esprit. Mais Julien était persuadé qu'il ne devi-

nerait jamais qu'il courait ainsi en direction du Schubert Café.

Il n'eut que le temps de faire une dizaine de pas dans la

rue, avant qu'une voiture ne survienne en trombe, pour

venir s'arrêter juste devant lui, en faisant crisser ses pneus.

La portière s'ouvrit. Lorsque la voiture repartit, à toute allure, Julien était allongé sur la banquette arrière, les

mains liées, la tête sous un drap noir.

Disponible dans la même collection

Delperdange BELLE À CROQUER

Lorsqu'il cherche à retrouver Isabelle, Julien met le doigt dans un engrenage fatal.

Des inconnus le kidnappent, et l'em- mènent dans un endroit inconnu.

Ses parents, affolés, font appel à la police, mais quelles forces de l'ordre auraient le pouvoir d'affronter les forces de l'ombre et leurs puissances ? Lorsque Julien croit s'évader enfin de sa prison... Il se retrouve dans l'en- droit le plus étrange et le plus terri- fiant qu'il ait jamais connu. Au-dehors, la machination s'est mise en marche, et derrière la façade rassu- rante du Schubert Café, des inconnus continuent d'agir dans les ténèbres.

TAPAGE

LES TERREURS DE CORALIE

par Caroline B. Cooney 1 La pension infernale

2 Le secret de l'auberge 7 Les flammes accusatrices

LES AVENTURES DE NANON DUPIN

par Claude Clément 3 Le mystère de la cigale rousse

LE CYCLE DE VERTOR

par Alain Dartevelle 4 L'astre aux idiots

12 Le grand transmutateur

DEEP MAURICE ET GOLOGAN

par Thierry Robberecht 5 Pagaille chez les samouraïs

FELICE HOLMAN 6 Le Robinson du métro

LE FEU DU DRAGON

par Charles Ashton 8 Avions et dragons

CRISTAL

par Luc Dellisse 9 La voyante aux yeux verts

F R A N K

p a r D e l p e r d a n g e

1 0 C o m m e u n e b o m b e

L E S D O S S I E R S DE LA P R O T E C T I O N D E S M I N E U R S

p a r P a u l C o u t u r i a u

1 1 P r o t e c t i o n d e s m i n e u r s

S C H U B E R T C A F É

p a r D e l p e r d a n g e

1 3 La m a i n du loup

1 4 Bel le à c r o q u e r

LA MAIN DU LOUP Schuber t Café

tome 1

Julien e s t amoureux , c ' e s t ce r t a in , e t Isabelle e s t si jolie.

Il fait t o u t pour a t t i re r son a t t en t ion , mais vous savez bien

que c e n ' e s t p a s facile, s u r t o u t quand on a quinze ans .

Et voici qu 'un jour, miracle ! Isabelle r emarque Julien, e t

plus encore , elle lui fixe rendez-vous. Pour le l endemain

soir, au S c h u b e r t Café. À l 'heure convenue , Julien p o u s s e

la po r t e du S c h u b e r t Café. Tout s e m b l e normal. Des g e n s

boivent, d ' a u t r e s l isent un journal. Julien s ' ins ta l le . Et

a t t e n d . Survient alors. . . une c h o s e é t r ange .

Le S c h u b e r t Café n ' e s t pas du t o u t le pet i t é t a b l i s s e m e n t

tranquil le qu 'on croyait .

Delperdange est né en 1960. Prix Simenon pour son roman

Monk, Prix du Jeune Théâtre pour la pièce Nuit d'amour

(éd. Actes Sud/Papiers). Comme une bombe a déjà été traduit

en espagnol, en roumain, en néerlandais. En 1992, Delperdange

publiait Coup de froid (éd. Actes Sud), roman dans lequel "la ten-

sion est d 'autant plus efficace qu'elle déjoue toutes les

attentes" (Libération).

Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement

sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire qui a servi à la numérisation.

Cette édition numérique a été fabriquée par la société FeniXX au format PDF.

Couverture :

Conception graphique ‒ Coraline Mas-Prévost Programme de génération ‒ Louis Eveillard Typographie ‒ Linux Libertine, Licence OFL

*

La société FeniXX diffuse cette édition numérique en accord avec l’éditeur du livre original, qui dispose d’une licence exclusive confiée par la Sofia ‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒

dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.