Upload
lamdien
View
282
Download
4
Embed Size (px)
Citation preview
1.
Lecœurbattant,Emmapénétradansleluxueuxbureau.L’hommeassisàlatabledetravailnepritmêmepaslapeinedeleverlatêtedudossierqu’ilétudiait.
Lalumièreentraitàflotsparlalargebaievitréed’oùl’ondécouvraitl’undesplusjolisparcsdeLondres.C’étaitàcetemplacement,enbordureduparc,quel’hôtelGranchester,unétablissementhautdegamme, devait sa notoriété internationale. En cet instant pourtant, la vue du palace laissait Emmaindifférente:sesyeuxétaientrivéssurl’hommedontl’attentionn’avaitpasdéviéuninstantdudossierposédevantlui.
ZakConstantinides.Danslepâlesoleildenovembre,sescheveuxd’unnoirdejaisprenaientunéclatsingulier,etses
puissantesépaulesétaient impressionnantes.Toutàsaconcentration, il semblait tenducommeunfauveprêtàbondiretdégageaitunevirilitébrute,primitive,sipalpablequ’Emmasentitsoncœurs’accélérer.
Lanervosité,sansdoute.Quoid’étonnantàcela?LegrandpatronarrivaitàLondressanspréveniretlaconvoquaitdetouteurgencedanssonbureau.Quelqu’und’aussiimportantfaisaitengénéralpeudecasd’unesimpleemployéecommeelle.
Quandonl’avaitprévenue,elleaccrochaitlesrideauxdansunechambrequ’ellevenaitderénover.Ellen’avaitpaspusechanger,levestiairedupersonnelétantsituéausous-sol,etlebureaududirecteuraudernierétagedel’hôtel.Oronnefaisaitpasattendrelebigboss.C’estdoncaffubléed’unvieuxjeanet d’un grand T-shirt informe, sa tenue de travail préférée, qu’Emma était montée. Pour comble demalheur,unemèchedesescheveuxblondss’étaitéchappéedesaqueue-de-cheval faiteà lava-vite lematin. Les conditions n’étaient donc pas les meilleures pour une entrevue avec ce patronmultimillionnaire.Maisqu’yfaire?
Ilnepouvaitignorerqu’ellevenaitd’entrer.Pourtant,ilcontinuaitàlire.Unestratégiepourqu’ellecomprenned’embléequimenaitlejeu?Vulescirconstances,c’étaitinutile,maisNatavaitsouventditàEmma que son frère Zak aimait faire sentir aux autres son autorité et son pouvoir pour mieux lesmanipuler.
Rassemblantsoncourage,lajeunefemmes’éclaircitlagorgeavantdedireàmi-voix:—MonsieurConstantinides?IllevaenfinlatêteetEmmavitsonvisagetrèsbronzé,auxtraitsfermesetvirils.UnvraiGrec,mais
laressemblanceavecleclichés’arrêtaitlà,carZakConstantinidesavaitdesyeuxnonpasnoirsmaisgriscommeuncield’orage.Cesyeux fixaientEmmaàprésent,etelle sesentitcommehypnotiséepar leurétrangeéclat.
Quelque chose en elle se crispa, en même temps qu’un sombre pressentiment l’assaillait.L’intimidation sans doute, car les hommes ne la troublaient plus depuis longtemps, et unmilliardaire
obsédéparlepouvoirn’avaitaucunechancedelafairechanger,surtoutqu’onledisaitgrandséducteur,entouréenpermanenced’unharemdejoliesfemmes.
Ilplissaàpeinesesétonnantsyeuxgris.—Ne?Tuthelis?Pourquoi s’exprimait-il en grec alors qu’il parlait un anglais parfait ? Pour mieux marquer la
distanceentreeux?Emmaaffichaunsourireincertain:—JesuisEmmaGeary.Vousdésiriezmevoir,m’a-t-ondit?Zaksecalacontreledossierdesonfauteuilsanscesserdelafixer.—Eneffet,admit-ilenluiindiquantlesiègefaceàlui.Asseyez-vous,jevousprie,Mademoiselle.—Merci.Sous le regard de son interlocuteur,Emma était de plus en plus consciente de sa tenue négligée.
Maispouvait-onêtreimpeccablequandonavaitpassélamatinéeàsuspendredesrideaux?Emmaétaitdécoratrice,maisne travaillaitpasen free-lancecommebeaucoupde sescollègues :
elleavaiteulachanced’êtreembauchéeàpleintempsparl’hôtelGranchester,dontelleassuraittouslestravauxderénovationetdedécoration.Orelleétaitenpleintravailquandsonassistantel’avaitprévenuequelebigbossl’attendait.Aulieudeseruerdansl’ascenseurpourgrimperenvitesseaudernierétage,elleauraitmieuxfaitdedescendreauvestiairemettresa tenuedevilleainsiqu’unpeudeblush :ZakConstantinidesl’auraitattenduequelquesminutes,maispeut-êtrenel’aurait-ilpasfixéeainsi…
Elleportasurluiunregardcontraint:—Désolée,jen’aipaseuletempsdemechanger,et…Illacoupa:—Aucuneimportance,nousnesommespasàundéfilédemode.Le jean délavé moulait les longues cuisses de cette jeune femme qui devait avoir des jambes
ravissantes… Quant à l’opulente rondeur de ses seins, elle restait bien visible sous l’ample T-shirt.EmmaGearypossédaitsansaucundouteuncorpsderêve,mêmesielleétaitnégligée…Sesmainsenrevancheétaientsoignées,commeZakaimaitlesmainsdefemmes:ongleslongsetimpeccables,vernisrougecoraildontlacouleurluiévoquasoudainlescouchersdesoleilsurlamer,danssalointaineGrècenatale.Avait-ellesentiqu’ilétaitsensibleàsesmains?Peut-être,carelleenportauneàsapoitrine,etdanssongestesonT-shirts’étira,soulignantlacourbed’unsein.Contretouteattente,Zaksentitledésirsurgir,cequilerenditfurieux.
—Cequej’aiàvousdireestplusimportantquelafaçondontvousêteshabillée,reprit-ild’untonsisévèrequ’Emmaneputs’empêcherdesouffler:
—Dieuduciel!Vousmefaitespeur!—Vraiment?Asseyez-vous,vousai-jedit.Emmaobéitenbaissantlesyeux,etquandellelesrelevacefutpourcroiserlesprunellescouleurde
cield’oragefixéessurelleavecuneexpressionindéfinissable.Alors,sanscomprendrecomment,ellefuttroublée.Etdéconcertéeaussi,carellesesentaitsoudainterriblementfemmesousceregardétrange.
Son indifférenceausexequi,depuisdesannées, la rassurait, semblaits’êtreévanouie, la laissantvulnérable,fragile,etcraintivesurtout,devantl’hommequiluifaisaitface.
Maispeut-êtreétait-cel’émotiondesetrouverseuleaveccegrandpatronquel’onconnaissaitpeu,auGranchester.ZakConstantinidesseplaisaiteneffetdavantageàNewYorketabandonnaitvolontierslagestiondesonhôtellondonienàsondirecteur,Xenon.
Emma l’avaitpourtantaperçuune fois : c’était à l’inaugurationdu salonClairdeLune,dontelleavaitassuréleréaménagementavecsuccès.Ils’étaitmontréplutôtaimableetl’avaitmêmefélicitéepourson travail. Emma avait mis ses compliments sur le compte de la politesse, et n’y avait rien vu depersonnel, connaissant la réputation de son patron : s’il avait en effet à son actif une réussiteprofessionnellefulgurante,enrevancheilétait,disait-on,uncélibataireendurcidoubléd’unredoutable
séducteur,quiavaitbrisébiendescœurs.ZakConstantinidesreprésentait legenred’hommeàévitersil’onnevoulaitpasavoird’ennuis.Etquelqu’uncommeEmmadevaits’engarderplusquequiconque,ellequisemblaitavoirundonpourattirerleshommesàproblèmes.
Elleavaitcomprisvoilàlongtempsque,s’agissantdusexeopposé,ellen’avaitaucundiscernement.Unelacunegravequ’elleavaithélashéritéedesamère:commecelle-ci,elleavaitfaitdemauvaischoixpar le passé, et n’avait eu que ses yeux pour pleurer quand les conséquences s’étaient révéléesdramatiques.Depuis,ellemaintenaitleshommesàdistance,auplanphysiquecommeauplansentimental.Lavieétaitplusfacileainsi.
Elleprituneprofonde inspirationpour retrouver soncontrôle, et examina l’hommequi lui faisaitface.
Al’inaugurationdusalonClairdeLune,ilarboraitunsmokingcoupéàlaperfectionquiaccentuaitencoresesalluresdemagnatmultimilliardaire.Aujourd’hui,iln’étaitpluslemêmehomme.Lecoldesachemise en oxford beige était ouvert, et il en avait roulé lesmanches jusqu’aux coudes, dénudant desavant-bras musclés, couverts d’un duvet sombre et dru. Il avait de grandes mains puissantes, et desépaules larges.Laquintessencede lavirilité,voilàcequ’il était encet instant, songeaEmma,et il ensemblaitconscientettrèssatisfait.
Ilposasonstylo,secaladavantagecontresondossieretpritenfinlaparole:—Savez-vouspourquoijevousaiconvoquée,mademoiselle?Emmaesquissaunhaussementd’épaules,essayantdeseconvaincrequ’ellen’avaitrienàcraindre.—Pasdutout,non.Jemesuisposélaquestionenmontant,maisenvain.J’espèrequevousn’êtes
pasmécontentdemontravail,monsieurConstantinides?Elleavaitun teint àpeine rosé,notaZak, etde longscils trèsblondsourlaient sesyeuxverts en
amande.Curieuxqu’ellenesoitpasmaquillée…Ah!Siseulementsontravailnel’avaitpassatisfait,lasituationauraitétéplusfacile:Zakn’auraiteuqu’àlalicencierenluiordonnantdesortiràjamaisdelaviedesonfrère.Hélas,cen’étaitpassisimple.
Elleétaitdéjàenpostequandilavaitreprisl’hôtel,deuxansplustôt,etiln’avaitvuaucuneraisondenepaslagarder.ZakavaitrachetéleGranchesterparcequec’étaitsonultimeambition,paspourenchangerleconcepthôtelierquiavaitfaitsespreuvesdepuislongtemps.Lesrénovationscoûteusesjustepourleplaisir,cen’étaitpassonfort.L’argentsegagnaitetseperdaittoutaussivite,et,silui-mêmeétaitgénéreux,ilavaithorreurdugaspillage.EmmaGearyfaisaitdubontravailetavaitsurénovercertainespartiesdel’hôtelsansenmodifierl’âme,orZaksavaitreconnaîtreletalent.Ilnesesépareraitpasd’ellesaufcontraintetforcé.
Hélas,c’étaitpeut-êtrelecas,carilsemblaitquecettejeunepersonneauteintdeporcelaine,auxcheveuxblondpâleetauxonglescorail,avaitjetésondévolusursonjeunefrère.
Elle n’était pas du tout commeZak l’avait imaginée. Il l’avait pourtant rencontrée une fois,maisn’engardaitqu’unvaguesouvenir.Enoutre,lesphotosenvoyéesparledétectiveprivéqu’ilavaitmissursatracemontraientunejeunefemmevibrante,exubérantedanssafaçondes’habiller.Rienàvoiraveccellequ’ilavaitdevantlui.Malfagotée,aveccetaireffacé,ceteintdiaphane,ceslongscheveuxblondpâle, elle avait l’air fragile, vulnérable,même…En tout cas, elle n’était pas son style,même si Zaksavaitapprécierlesblondesauxseinsrondsetgénéreuxetauxlongues jambes…d’ailleurs,àmieuxyréfléchir,cetteEmmaGearyn’étaitpasnonpluslestyledefemmedeNat:sonjeunefrèreaussiaimaitlesbeautéspluséclatantes,plustypées.
Pourtant, on les voyait ensemble de plus en plus souvent. Zak ne s’en serait pas inquiété outremesuresiNatn’avaitpasétésurlepointd’entrerenpossessiond’unhéritageimportant.Zak,quidepuistoujoursprotégeaitsonjeunefrère,avaitalorsdécidédemenersapetiteenquêtesurcettejeunefemmeinconnue,etsespirescraintess’étaientvuesconfirmées.
Ilcaressad’unemaindistraitelasurfacelissedesonbureauavantderépondreàlaquestionquiluiavaitétéposée.
—Non,votretravailn’estpasencause,mademoiselle.Aucontraire,toutlemondes’enfélicite.—Heureusement!soufflaEmma,soulagée,et,pourqu’ilsaisissecombienelleappréciaitsonposte
et son statutde salariéede l’hôtel, elle ajouta : nous avonseuuneassezbonnecouverturemédiatiquepourl’ouverturedunouveaubar.Avez-vousvulescoupuresdepressequej’aienvoyéesàvotrebureaudeNewYork?Jetravaillemaintenantàlarénovationdujardind’hiveretilm’estvenuquelquesidéesdepromotion:ainsi,nousavonscontactélesorganisateursdel’expositionfloraledeChelseapour…
D’unimpérieuxgestedelamain,ilcoupanetsonenthousiasme.—Jenevousaipasfaitmontericipourparlerdécoration,mademoiselle,déclara-t-ilavecfroideur.
Cedontjeveuxvousentretenirestpluspersonnel.Voyez-vous,j’aimontrévotrecontratdetravailàmesavocats.
Emmaleregardasanscomprendre.—Vosavocats?Zakeutungested’impatience.—Oui,etilsm’ontfaitvaloirqu’ilétaittrèsrarequ’unedécoratriceaituncontratdetravailàplein
temps.Engénéral,cemétiersepratiqueenprofessionlibérale.—Moncasestassezinhabituel,eneffet,admitEmma,jedoismonstatutàvotreprédécesseur.Zakfronçalessourcils.—VousparlezdeCirod’Angelo?—Oui.Emman’oublieraitjamaislebelItalienquis’étaitmontrésicompréhensifquandelle-mêmeétaitau
plusbas.C’étaitl’époquedesonretouràLondres,etilluisemblaitavoirtouchélefond.C’estalorsqueCirod’Angeloluiavaitproposécequiluiavaitparuuncadeauduciel:unjobàpleintempsluiassurantlasécuritématérielle,etdanslequelelles’étaitlancéecommeons’accrocheàunebouéedesauvetage.
—Cirod’Angeloaimaitmafaçondetravailler,c’estpourquoiilm’aembauchéecommesalariéeduGranchester.Celametranquilliserait,m’avait-ildit.Ils’estmontrétrès…trèsbon.
«Bon » n’était pas le qualificatif qui venait à l’esprit deZak lorsqu’il songeait à l’impitoyablehommed’affairesnapolitainàquiilavaitrachetéleGranchester.
—C’estaussiungrandamateurdejoliesfemmes,etilesttrèsriche,grinça-t-il.« Et vous donc ! » aurait aimé répondre Emma, au lieu de quoi elle ouvrit de grands yeux et
rétorqua:—Excusez-moi,maisquelquechosem’échappe,monsieurConstantinides:quelestlerapportentre
moncontratetlavieprivéedeM.d’Angelo?—Vousnevoyezpas?Feignait-ellecetairfragilesiféminin?Etait-cepourl’attendrir?Possible,maisdanscecas,elle
perdaitsontemps,etZakallaitleluifairecomprendresansplusattendre.Ilpoursuivitdonc,férocetoutàcoup:
—Ehbien,jevaisvouséclairer.Ilsetrouvequejemesuisrenseignésurvous.Acepoint,ilmarquaunepauseavantdereprendred’untondevenusévère:—Ilsembleraitquevousayezuneréputationdefemmefatale,mademoiselleGeary.Emmasoutintsonregard,maislapeurs’insinuaitenelleenmêmetempsqueseréveillaientcertains
échoslongtempsrefoulésdesonpassé.—Je…jenesaispasdequoivousparlez.—Vousenêtessûre?Ellementait,Zakl’entendaitàsavoix,etelleétaitdevenuelivide.Soussapeausitransparente,il
pouvaitvoirlafineveinebleutéequibattaitàsatempe.Pouruneobscureraison,ilsedemandasielle
avaitlapeauaussidélicatepartout,etcettepenséelerenditfurieuxcontrelui-même.—Jetrouveétonnant,reprit-il,qu’unhommed’affairesaussiaviséqueCirod’Angeloaitconsentià
vous signer un contrat permanent. On peut se poser la question, avouez-le, et beaucoup de gens enviendraientviteàlaconclusionquis’impose.
Emmafrémitsousl’insulteetréagitavecforce:—Ehbien,ilssetromperaient.—Iln’yapourtantpasdefuméesansfeu,dit-on.—Onditbiendeschoses,monsieurConstantinides,maisellesnesontpastoujoursfondées.—Quoiqu’ilensoit,M.d’Angeloappartientaupassé,ilm’avendusonhôteletestrepartivivreà
Naples.Ordepuissondépart,vousêtesdevenuetrèsprochedemonjeunefrère,m’a-t-ondit.Enparlant,Zaks’étaitpenchépourmieuxguetterlaréactiond’Emma.Celle-cisetendit,troubléedelesentirsiprochequeleseffluvescitronnésdesoneaudetoilettelui
parvenaient.—VousvoulezparlerdeNathanaël?—Jen’aiqu’unfrère,mademoiselle.Lecœurdelajeunefemmebattaittrèsvite,maisellenepaniqueraitpas,non!Natneluiavait-ilpas
ditquesonfrèreétaitunvraidictateurquiobtenaittoutcequ’ilvoulaitsanssesoucierdes«dommagescollatéraux»,commeildisait?Maiselleluitiendraittête.
—Etsicequel’onvousaditétaitvrai?interrogea-t-elle,regardantZakbienenface.Fréquenterquelqu’unn’estpasuncrime,ilmesemble?
— En effet, mais quand une jeune femme connue pour ne s’intéresser qu’à des hommes richessembleavoirjetésondévolusurmonpetitfrère,çanemefaitpastrèsplaisir.
Emmeleregardasansciller:—Ce sont vos avocatsqui vousont conseillé deme traiter de croqueusedediamants,monsieur
Constantinides?demanda-t-elled’untonégal.Cettefaçonqu’elleavaitdeledéfierhérissaZak.Natavait-ilétéassezfoupourluidirelemontant
desonhéritage?—Vousperdezvotretemps,mademoiselle,assena-t-il,contrôlantsavoixdesonmieux.—Quevoulez-vousdire?—Inutiled’écarquillervosbeauxyeuxvertsoudesecouervoscheveuxblonds:sachezseulement
quemonfrèreNathanaëln’estpasàprendre.Vouspouvezd’oresetdéjàlelaisserenpaixetabandonnertoutespoir.
Si l’hommen’avait pas été aussi hautain et désagréable,Emma aurait éclaté de rire avant de luiexpliqueràquelpoint il se trompait.Caroui, ils sevoyaient trèssouventavecNat,mais leur relationétaitamicale,riendeplus.Oh!biensûr,unjourNatavaitfaitdesavancesàEmma,commeilenfaisaitsansdouteàtouteslesfemmes,maiselleluiavaitfaittoutdesuitecomprendrequec’étaitsansespoir,etilsétaientrestésbonsamis.
Emmatenaitàcetteamitié:audébut,elleyavaittrouvéduréconfortdansledésarroidesonretourà Londres. Maintenant qu’elle avait recouvré son équilibre, elle appréciait la compagnie de Nat, ets’amusaitbeaucoupaveclui.Alorsdequeldroitcetyranluiordonnait-ildenepluslevoir?
Elle seprit soudainà regretterden’avoirpuparleravecNatavantdemontervoirZak.Maisoùaurait-elletrouvéletemps?AmoinsqueZakn’aitfaitexprèsdelaconvoquerd’urgencepourqu’ellenepuissepascontactersonfrère?Possible.
—Nat est-il au courant devotredémarche ?demanda-t-elle, articulant bien chacunde sesmots.Sait-ilquevousprenezàsaplacedesdécisionsconcernantsavieprivée?Parcequ’ilmesemblequec’estàluidedéciderdesesfréquentations.
—Vousperdezvotre tempsavec lui, répétaZak, ignorant sa réponse.Natn’estpasàprendre,etsurtoutpasparunefemmecommevous.
Emmaseraidit:denouveau,ceregardgrissidurl’effraya.Etpuis,toutàcoup,ellecomprit:elleétaitdémasquée!Sonpassélarattrapait!
—Quelqu’uncommemoi?répéta-t-elled’unevoixblanche.Envoyantlaculpabilitédansleregarddelajeunefemme,Zaképrouvaunsentimentdetriomphe.— Pourquoi ne travaillez-vous pas sous votre nom de femme mariée ? interrogea-t-il. Est-ce
délibéré?Etpourquoiya-t-ildansvotreCVunvidecorrespondantàuncertainnombred’années?Ilsetutpourconsulterunefeuilledepapierdevantluiavantdelancerencore:—CarvousvousappelezEmmaPatterson,n’est-cepas?Vousavezbienétél’épouseduchanteur
derockLouisPatterson?Emmacrutdéfaillir.Oui,c’était la tristevérité,etcepassésordidequ’elleavaitespéréenterréà
jamais revenait la poursuivre. Comment avoir été assez naïve pour croire que le présent l’effaceraitquandsesgriffessinistresn’avaientcessédeguetterdansl’ombrelemomentdeserefermersurelle?
—Jenemetrompepas,n’est-cepas?interrogeaitàprésentZakConstantinides.Lajeunefemmeavalasasalive.—Non.Ilportasurelleunregardtriomphant.— Et votre ex-mari est mort d’une overdose. Alors dites-moi, madame Patterson, vous êtes
toxicomane,vousaussi?
2.
Emmatressaillit:overdose,drogue,toxico,autantdemotsassociésàd’horriblessouvenirsqu’elles’étaitefforcéed’occulterdepuisdixans,etquil’assaillaient,douloureux,destructeurs.
Impitoyable,sonpatroncontinuaitdemarteler:—Vousnem’avezpasrépondu,mademoiselleGeary,prenez-vousdeladrogue?—Non!Jen’yaijamaistouché!Jamais!Dequeldroitm’accusez-vousainsi?—J’aitouslesdroitsquandils’agitdeprotégermonjeunefrèredefemmesdangereuses.Emmaprituneprofondeinspiration,essayantdecontrôlersoncœurquibattaitàtouteallure.—J’aiépouséunhommequis’adonnaitàladrogueetbuvait,admit-elleàvoixbasse,jel’ignorais
quand nous nous sommes mariés. J’étais très jeune, et j’ai fait une erreur. Vous ne vous êtes jamaistrompé,monsieurConstantinides?
Zakeutunsouriregrinçant.Danssavieprofessionnelle,illuiétaitarrivédecommettredeserreurs,mais dans sa vie personnelle, non, il y avait veillé. Il avait une conception de la famille trèstraditionnelle,ilenétaitfier,etn’ydérogeaitjamais.Unefemmeaveclepasséd’EmmaGearyn’yavaitpassaplace.
Sans unmot, il sortit des photos d’une enveloppe sur son bureau et les fit glisser devantEmma.Celle-cipâlit.
—Ellesvousdisentquelquechose?interrogea-t-ilavecironie.Emma s’obligea à les regarder : c’était de vieux clichés. Le premier lamontrait le jour de son
mariage avec Louis. Les médias s’en étaient donné à cœur joie, à l’époque. L’histoire était siromantique : une rock star au faîte de sa célébrité qui épousait une inconnue de plus de trente ans sacadette.
Emmaeutunpincement aucœur : commeelle était jeunealors !Et sa tenuedemariée la faisaitparaîtreplusjeuneencore:robefluide,aérienne,enlégerpongédesoiefroisséblanc,etsurseslongscheveux blonds une simple couronne de fleurs des champs. On aurait dit une fée enfant, avait assuréLouis,quiavaitmêmeécritunechansonsurcethèmependantleurlunedemiel,cherchantsoninspirationdanslabouteilledewhiskytoujoursàportéedesamain.
— Bien sûr, souffla-t-elle, éparpillant les photos devant elle pour feindre de les regarder avecattention.
Il ne fallait surtout pas que Zak Constantinides se doute à quel point replonger dans le passél’épouvantait.
Tous lesclichés lamontraientavecLouis : certains journalistes lesavaient surprisà la sortiedeprestigieuxrestaurants,quandellesoutenaitsonmaridansl’espoirdedissimulerqu’iltitubait.D’autresphotosavaientétéprisesdanscesnight-clubs«incontournables»del’époque.Lajeunefemmeblonde,
toujoursenminijupemoulante,dansantensecontorsionnantavecfrénésiesurunpodiumscintillant,oudansleclair-obscurd’unepisteencombrée,luiparaissaituneétrangèremaintenant.C’estque,dutempsdeleurmariage,Emmafaisait toutpourcontenterLouis,suivantainsi lesconseilsdesamère.«Ilfautêtre telles qu’ils veulent quenous soyons, ne jamais rien leur refuser », disait celle-ci en parlant deshommes.Aprèssondésastreuxmariage,Emmaavaitcomprisàquelpointsamèresetrompait.
—Vousavezdûvousdonnerbeaucoupdemalpourobtenircesphotos,finit-ellepardire,priantlecielquesavoixnetremblepas.Ellesremontentàplusdedixans.
—Letempsnefaitrienàl’affaire:quandonveutquelquechose,onletrouve.Avouezcependantquesijedevaischoisirunebelle-sœur,vousneseriezpaslapremièresurmaliste.
C’enétaittrop.Seredressant,Emmapointalementonenavant:— Chaque fois que votre frère fréquente une femme, vous pensez qu’il va l’épouser, monsieur
Constantinides?C’estuneréactiond’unautretemps,non?—Jenesuispasnédeladernièrepluie,mademoiselle,etjeconnaisassezlesfemmespoursavoir
l’attraitqu’unhommericheexercesurelles.AuseulnomdeConstantinides, toutessontprêtesà tenterleurschances.
—Mêmeavecvous?ripostaEmmadutacautac.—Mêmeavecmoi.Lesarcasmeétait clairdans lavoixdeZak, siclairque la jeune femmeéprouvasoudain l’envie
d’êtreblessanteetdesevengerdesoninsupportableassurance.Ehbien,quellequesoitl’issuedeleurentretien,ellene lui révéleraitpasquesa relationavecNatn’étaitqu’amicale. Ilcroyaitàune liaisonsérieuseetenétaitinquiet?Tantpispourlui!Qu’ils’agite,setracasse,seridiculiseavecsesméthodesd’intimidation,ilnesauraitpaslavéritétantqu’Emman’auraitpasrevuNat.
—Vouscomprendrezque,danslamesureoùvousêtesmonemployeur,ilmesoitdifficiledevousdire en toute franchise ceque jepensedevotredémarche et devos insinuations insultantes,monsieurConstantinides,déclara-t-elleavecaplomb.Vouspourriezenprofiterpourmelicencier.
Ileutunrirenarquois.—Hélasnon,vos loisanglaises sur le travail sontdraconienneset toujoursdans lemêmesens :
l’employéestprotégé,et lepatroncoupable.Pourquej’aieleplaisirdevousrenvoyer, ilfaudraitquevouscommettiezunefautegrave.
Luienvoyeràlafigurel’élégantpotàcrayonsquitrônaitsursonbureauentrait-ildanslacatégoriedesfautesgraves?Emmacaressacette idéeuninstant,maissegardabiende lamettreàexécution,etréponditaucontrairesuruntondoucereux:
—Danscecas,nousvoilàembarquéssurlemêmebateau.J’ensuisdésoléepourvous.Voyantlevisagedesonpatronsetendre,ellecompritqu’elleavaitmarquéunpoint.—Jelesuisaussi.Zaks’adossaàsonfauteuilavantdepoursuivre,détachantbiensesmots:—Saufbiensûrsinousnousentendonssurunarrangementoùchacuntrouveraitsoncompte.—Aquoipensez-vous?Ilhaussalesépaules:—Jepourraisvousoctroyeruneforteindemnité.Emma s’obligea à écarquiller de grands yeux candides, alors qu’elle était indignée. Il croyait
pouvoirs’offrirn’importequoiavecsonargent?— De sorte qu’il serait plus intéressant pour moi de renoncer à mon job que de continuer à
travailler?—Pourquoipas?Jesaismemontrer trèsgénéreuxquandil lefaut,répondit-ilavecunedouceur
inattendue.
Sonassurancetranquilleétaitscandaleuse,biensûr,maiscequichoquaEmmaetlaprivaquelquesinstantsde toutepenséecohérente,ce fut sapropre réactionphysiqueet immédiateàcettevoixdouce,mélodieuse et…oui, sensuelle, si sensuelle qu’elle sentit s’éveiller au creux de ses reins une étrangechaleur.Etait-ce…l’émoidudésir?
Consternée, Emma semaudit. Elle qui, depuis si longtemps, restait insensible aux hommes, étaitsoudaintroubléeparunindividuodieux,macho,aussiméprisablequeméprisant.Uncomble!Enplusils’imaginaitl’achetercommeons’offreunarticledebazar!
Un instant, elle fut tentée de jouer son jeu et de mentionner une somme insensée pour voir saréaction.Elleledétromperaitensuite,disantqu’elles’étaitmoquéedelui.Maissoninstinctluidictaitlaprudence. Que Zak Constantinides n’ait que dédain pour elle n’était pas grave, s’en faire un ennemipouvaitserévélerdangereux.
Seredressantsursonsiège,elleleregardasansciller:unmilliardairequicherchaitàl’intimiderdans l’espoir absurdede contrôler la vie de son frère n’allait pas la démonter : elle avait vupire dutempsoùelleétaitmariée.
— Navrée de vous décevoir, monsieur, déclara-t-elle avec une fermeté qu’elle était loin deressentir,maismontravailmeconvient,ettantqu’ildonnerasatisfactionjeresteraiàmonposte.J’espèrequecelanevouscontrariepas.
Fixant les yeux verts, clairs comme de l’eau, Zak y lut une détermination farouche : cette jeunefemme possédait une obstination dont il serait difficile de venir à bout. Elle était une femme, sonemployée de surcroît, et osait lui tenir tête !Une confrontation sérieuse s’annonçait.Tantmieux !Zakadoraitlesaffrontementsparcequelaperspectivedegagnerl’excitaitplusquetout.C’étaitd’ailleurscequi nourrissait son ambition.MlleGeary semblait déterminée à rester à son poste, quand il lui avaitsignifiésondésirqu’elles’enaille?Onverraitquiauraitlederniermot!
L’espaced’uninstant,ilsongeaàlalicencier.Lecaséchéant,aurait-ellel’audacedelepoursuivreenjustice?Zakn’avaitjamaisperdudevantuntribunal.Maisencemomentiln’avaitniletempsniledésirdeselancerdansuneprocédure.Mieuxvalaitluisignifierqu’ildétenaitlesmoyensdel’éloignerdesonfrère.Avecousanssonaccord.
—Vousêtesunefemmetrèsobstinée,mademoiselle,déclara-t-il.—C’estuntraitdecaractèrequevouscomprenezsansaucundoute,monsieur,carvouslepartagez,
mesemble-t-il.Ilhochalatêteavantdereprendre:—Jenevous ai pas toutdit demonentretien avecmes avocats.Certainspointsquenous avons
évoquéspourraientvousintéresser.Emmaportasurluiunregardméfiant.—Vraiment?—Jelepense,oui,carvoyez-vous,riendansvotrecontratnestipulequevousdeveztravaillerdans
monhôteldeLondres.Al’expressiondesonvisage,Emmacompritqu’ellen’étaitpasauboutdesespeines.Zakaffichait
unsourirearrogant,àprésent.—J’aitoujourstravailléauGranchester,fit-ellevaloir.— Je le sais, c’est pourquoi j’ai pensé à vous offrir la possibilité d’exercer vos talents dans un
autre demes établissements.Vous savez que j’en possède partout dans lemonde.Que diriez-vous departiràl’étranger?Jesuissûrqueceseraitprofitablepourvotrecarrière.
Lasuitesedevinaitsansmal:ilallaitluiproposerunjobquelquepartdanslesCaraïbes,oupeut-être dans une capitale européenne, voire asiatique. En d’autres circonstances, Emma aurait sauté surl’occasion,mesurantsachance.Maisellesavaitpourquoiilluifaisaitpareilleproposition.
—Vousvoulezàtoutprixm’éloignerdeNat,n’est-cepas?
—Bravopourvotreperspicacité,mademoiselle.—Xénonestaucourantdevotreoffre?—Pourquoi ? s’insurgea Zak.Vous avez fait en sorte que lui non plus ne puisse plus rien vous
refuser?—Votrequestionestinsultante,monsieurConstantinides.Jepréfèrenepasyrépondre.—Xénonassure lagestionquotidienneduGranchester,assenaZak.Quandils’agitdeproblèmes
plusstructurelsc’estmoiquidécide.Jefaiscequejeveuxdanstousmeshôtels,jen’aidepermissionàdemanderàpersonne.
—EtsijerefusedequitterLondres?—Jecrainsquecenesoitpaspossible,ils’agiraitalorsd’unerupturedecontrat,et jeseraisen
droitdevouslicencier.Zakcroisa lesbras,commeson regardétait attirépar la rondeurgénéreusedes seinsde la jeune
femme,bienvisiblessousl’ampleT-shirt.Uninstant,ilsepritàregretterquesonfrèreaitjetésondévolusurcetteEmmaGeary.Carpouruneobscureraison,sonsensdelarepartie,sesréponsespertinentes,samanière de lui tenir tête l’avaient piqué. Plus que cela, il avait maintenant une furieuse envie de ladompter…commeunhommedompteunefemme,c’est-à-direaulit.Etleseulfaitd’ypenserexcitaitsondésir.Siellen’avaitpasété lapetiteamiedeNat,pourunpeuil l’aurait invitéecesoiràdîner.Et lasoirée se serait déroulée comme toujours quand il le voulait. Ne disait-on pas que les femmesintelligentes,siellesnefaisaientpastoujourslesmeilleuresépouses,étaientlesmeilleuresmaîtresses?
Ellelefusillaitdesesyeuxverts,àprésent,etlefeudanssesirislarendaitplusdésirableencore.—Vousavezquelquechoseàobjecter?demanda-t-ild’unevoixdemiel.Emmaprituneinspiration:—Jemedemandeseulementpourquivousvousprenez!Dieulepèreenpersonne?—Pensezcequevousvoulez,c’estàprendreouàlaisser.Toutefois,sivouspréférezuneindemnité
delicenciement,mapropositiontienttoujours.—Ohnon!rétorquaEmma,jenecèdepasauchantage.Niàlamenace,d’ailleurs.Vousnevous
débarrasserezpasdemoiaussifacilement,monsieurConstantinides.—C’estcequenousverrons.Enattendant,jevousconseillederéfléchir.Vouspouvezdisposer.Ecumantderage,Emmaselevapourgagner laporteavectoute ladignitédontelleétaitcapable.
Maisaumomentdesortir,Zakl’interpella:—Oh!Emma,encoreunechose.C’étaitlapremièrefoisqu’ill’appelaitparsonprénom,etdanssabouche,avecsavoixgraveetson
accent à peine marqué, ces deux syllabes prenaient une consonance si sensuelle qu’Emma en fut denouveautroublée.Elles’immobilisa.
—Oui?Zakplissalesyeuxtoutenl’observant,etquelquechosedanssaposturedéclenchaencorecetélan
dedésirqu’ilavaitéprouvéunpeuplustôt.Elleavaitunedémarcheondulante,merveilleuse,songea-t-ilsoudain.Malgrésesvêtementsinformes,ellesemblaitglissersurleparquet,commeunmannequinàundéfilédemode.
—Vouspourriezconsidérervotreséjourà l’étrangercommeunemiseà l’épreuve, lança-t-il,unefaçondevoirsivossentimentspourNathanaëlsurviventàl’absence.Quisait,ilspourraientmêmes’entrouverrenforcés?
Elle crut d’abord qu’il pensait ce qu’il disait et s’intéressait vraiment à son frère, mais l’éclatamusédanssesyeuxgrisladétrompavite.Ilsemoquaitdecequ’éprouvaitNat.Seulluiimportaitcequeluivoulait.Ehbien,pourunefois,ilnel’obtiendraitpas!
—Sijepeuxl’éviter,jenepartiraipas,déclara-t-elle,contenantmalsavoix,jem’efforceraipartouslesmoyensderesteràLondres,quecelavousplaiseounon.
Surcesmots,ellesortitlatêtehaute,etclaqualaportederrièreelle.
3.
—C’estundespote!Unmaniaque!—Jet’avaisprévenue.—Jesais,mais…EmmalevalesyeuxsurNathanaël.Lesdeuxfrèresseressemblaientbeaucoup,etpourtantparleur
expression,leurregard,leursvisagesétaienttrèsdifférents.Commedeuxsculpturesd’unmêmemodèlequin’auraientpasété réaliséesavec lemêmematériau.Enoutre,Natn’avaitpas lesyeuxgrisdesonfrère.Lessiensétaientnoirs.
—Tunem’avaispasditque…Emmas’interrompit.—Quequoi?lapoussaNat.Ellesemorditlalèvreetbaissalesyeuxsursonassietteàlaquelleellen’avaitpastouché,ellequi
d’habitudeavaitbonappétit.Bienqu’ellenesoitliéeàNatqueparuneamitiésolide,luidirequesonfrère l’avait troublée et qu’elle l’avait trouvé sexy ne semblait pas très adroit. En vérité, si ZakConstantinidesavaiteusurellepareileffet,c’étaitsansdouteparcequ’elleavaitététendueetintimidéeensaprésence.
—Qu’ilétaitaussiautoritaire,dominateur.—Engénéral,c’estlepropredesdespotes,fitvaloirNatenriant.Emma secoua la tête. Zak l’avait fait sortir de ses gonds,mais pire, il l’avait perturbée au plus
profond d’elle-même. Elle s’était sentie rabaissée par son mépris et, surtout, il l’avait obligée à sereplongerdansunpasséqu’elleespéraitrévolu.Depuisleurentrevue,elleétaitnerveuse,déstabilisée.
—Sais-tucequ’ilm’aproposé?—Quoidonc?—D’allertravaillerdansunautredeseshôtels.—Lequel?—Ilnel’apasdit,maispeuluiimportepourvuquecesoitàl’étranger,j’imagine.Iltientànous
séparerparceque,croit-il,j’aijetémondévolusurtoiàcausedetafortune.—Ilnepeutpasvoirunefemmesanspenserqu’ellecourtaprèssonargent,observaNat,narquois,
c’estsonobsession.Ilestvraiquenousavonseuunemauvaiseexpérience,danslafamille.Queluias-turépondu?
Emma,secalantcontreledossierdesonsiège,promenasonregardautourd’elle.Cepetitrestaurantitalienluiplaisait.IlétaitprocheduGranchesteretonymangeaitpourunprixraisonnable,àconditiondeneprendrequ’unplat.Emmainsistaitpourlefaire,demêmequ’elletenaittoujoursàpartagerl’addition,cequiamusaitbeaucoupNat.
Car ils y venaient souvent tous les deux, sauf quand Nat était amoureux, et de ce fait moinsdisponible.Maisdèsqu’ildécouvraitquesafemmedumomentn’étaitpascelledesavie,cequiétaitlecascestemps-ci,ilsdînaientoudéjeunaientensemblepresquetouslesjours.Leurrelationétaitsimple,confortable,etjusqu’àsonentrevueavecZak,cetaprès-midi,elleconvenaittoutàfaitàEmma.
—JeluiairéponduquejenequitteraiLondresquecontrainteetforcée,répondit-elle,etjeluiaiditd’alleraudiable!
Natladévisageaavecstupeur—Tuluiasditça?Emmasemitàrire:—Pasdanscestermes,maiscelarevenaitaumême.Natritàsontour.—J’auraisvouluvoirsatête!Emmabutunerapidegorgéedevin;lasimpleévocationduvisagedeZaklamettaitenémoi.Ces
yeuxgrisinsondables,cettebellebouche,volontaireetsisensuelle…lesoublierait-ellejamais?— Eh bien moi, j’espère ne jamais la revoir, dit-elle avec force. Ton frère peut garder sa
propositionde travail, etqu’iln’essaieplus jamaisdememanipuler !Ques’imagine-t-il ?Qu’ilpeutdéplacerlesgenscommelespiècesd’unéchiquier?
Natfronçalessourcils:—Tudevraisaumoinschercheràsavoiroùilveutt’envoyer.C’estpeut-êtreunebelleoccasion,
Emma.Imagine,s’ilteproposedetravailleràNewYork?Ilaunhôtelsensationnel,là-bas,surMadisonAvenue,prèsdeCentralPark.Ous’ilaentêtesonpalaceparisien,avenueGeorges-V?Ceseraittentant,non?
—Je saisque ton frèrepossèdedeshôtelsdans tous les lieuxprestigieuxdumonde,mais çanem’intéressepas!
Natmarquaunepauseavantdehasarder:—Sijetedemandaisd’acceptersaproposition?Emmaleregarda,éberluée.—Toi?TuvoudraisquejequitteLondres?Jenecomprendspas.Nathaussalesépaules.—Réfléchis,Emma.Zaksecroitresponsabledemoietmeharcèlesanscesse.—Pourquoi,grandsdieux?—L’idéequ’unefilleintéresséejettesondévolusurmoietcroquelafortunedesConstantinidesle
ronge.C’estdéjàarrivéunefoiset,depuis,ilestdevenuunaffreuxmisogyne.Devantleregardahurid’Emma,Natajouta:—Crois-leoupas,ildétestelesfemmes.Ilestvraiquesonhistoiren’estpassimple.—Laviedetonfrèrenem’intéresseenrien,rétorquaaussitôtEmmaquinevoulaitsurtoutpass’y
intéresser.N’était-cepassuffisantdesavoirqueZakConstantinidesétaitunabominablemanipulateur?—Detoutefaçonellen’apaspuêtretrèsdifférentedelatienne,ajouta-t-ellequandmême.—Ledivorcedenosparentsl’asansdouteplusaffectéquemoi,parcequ’ilétaitplusâgé.Nathaussalesépaulesavantdepoursuivreenriant:—Iln’imaginepasqu’onpuissem’apprécierpourautrechosequepourmonargent.Mesprouesses
aulit,moncharmepersonnelnecomptentpasàsesyeux,etiln’aqu’unobjectif:quejerentreaupaysépouseruneGrecquebelle,richeetdebonnefamille.
—Ettoi,Nat,situasledroitd’avoirunavis,qu’enpenses-tu?—En vérité, pour l’instant, je n’exclus aucune possibilité, répondit l’interpellé à la plus grande
surprised’Emma.Quandj’auraienviedemeranger,onverra,maispour l’instant jeveuxêtre librede
vivremavieàmaguise.Etc’estlàquetuinterviens,Emma.Situesd’accord…—Jetecomprendsdemoinsenmoins.Natsepenchaentraversdelatableetposasamainsurlasienne.—Réfléchis,reprit-il,siZakpensequec’estsérieuxentrenousetqu’ilaréussiànouséloignerl’un
de l’autre, pour une fois il me surveillera un peu moins, certain que j’ai le cœur brisé. Or quellemeilleurefaçond’oublierunamourmalheureuxqued’entrouverunautre?Pendantuntemps,donc,ilmelaisserasortiretvoirquijeveuxsansquejemesenteespionnéenpermanence.Jeseraienfinlibre.
—Etmoi,qu’estcequejegagnedansl’affaire?fitvaloirEmmasanséleverleton.Nathaussalesépaules,affichantsonsourirelepluscharmant:—L’occasion de prendre ton envol, peut-être ?Ou une nouvelle expérience professionnelle qui
enrichiratonpress-book.Pourquoipas?Qu’est-cequit’empêchedepartir?Bonnequestion.PourquoirefuseraprioridequitterleGranchester?Parcequ’Emmaétaitfurieuse
qu’un despote essaie de la manipuler de manière aussi éhontée ? Ou y avait-il une raison plusessentielle… une sorte de peur fondamentale du changement ? Après la vie chaotique qu’elle avaitconnueavecLouis, sondésirdestabilitéétaitbien légitime,mais laquestiondeNat réveillait enellequelquechosededérangeantetqu’illuifallaitcomprendre.
LeGranchesteravaitsansdoutereprésentélerefugedontelleavaittantbesoinàl’époque,demêmequesontravaill’avaitaidéeàseremettredesonmariagedésastreuxenluipermettantdedéveloppersescapacitésprofessionnelles…Emmaavaitpuainsi s’organiser lapetiteexistence tranquilledont,d’unecertainemanière, elle avait toujours eu envie.Mais cettevien’était-ellepasdevenue trop facile, tropprévisible,maintenant?
Son besoin de paix avait été une réaction à l’insécurité de sa vie passé, elle le savait. Pourtantaujourd’hui,àl’évidence,elles’étaitenliséedansuneroutinedontilétaitpeut-êtretempsdesortir.Danscecas,pourquoinepassaisircetteformidableoccasion,mêmesielleluiétaitoffertepourdesraisonsqu’elleréprouvaitetparquelqu’und’insupportable?
Aupire,querisquait-elle?QueZaktriompheavecsonodieusearroganceparceque,desonpointdevue,ilauraiteulederniermot?Etait-cesigrave?Ilnereprésentaitrienpourelle,aprèstout.
Etaumieux,quesepasserait-il?Emmaétendraitsonexpérience,et,partant,sonCVprendraitunenouvelledimension.Elleavaitdutalent,lesavait,etcecoupdepouceluipermettraitdedonnersapleinemesure.Pourquoipas?
—Je téléphoneraipeut-êtreàZakpour luidirequ’aprèsréflexion j’acceptesaproposition, finit-ellepardéclarersansbeaucoupdeconviction.
— Tu n’auras même pas à l’appeler, répliqua alors Nat d’une voix qui la mit en alerte, tu vaspouvoirleluidiredevivevoix.
Emmasetenditcommeelleportaitunregardeffaréverslaportedurestaurant:ZakConstantinidesvenaitd’yentreraussisûrdeluiques’ilenétaitpropriétaire.D’ailleurs,ill’étaitpeut-être,quisait…
Lecœurd’Emmas’emballaenmêmetempsqu’elleremarquaitlespuissantesépaulesquemettaitenvaleurlecostumesombrecoupéàlaperfection.C’estalorsqu’ellevitqu’iln’étaitpasseul.Unefemmel’accompagnait.Comments’enétonner?Unhommecommeluin’avaitquel’embarrasduchoix.
Celle qui venait d’entrer avait une allure de mannequin, avec des cheveux très courts quiencadraientunvisageauxpommetteshautesetauxtraitsravissants.Elleétaitspectaculaireetsacoupedecheveux pourtant difficile à porter lui allait à ravir. Avec saminijupe rétro et ses cuissardes en cuirblanc,ellesemblaittoutdroitsortied’unerevuedemode.
Incapable de détourner les yeux, Emma sentit le souffle lui manquer quand Zak posa une mainpossessiveaucreuxdesreinsdesacompagne,etelle lessuivitduregardcommelemaîtred’hôtel lesconduisaitàunetableunpeuisolée.Lajeunefemmes’asseyaitquandZak,promenantsonregardautourde lui, découvrit Emma et Nat. Une étrange lueur scintilla alors dans les yeux gris sombre : de
l’incrédulité,d’abord,etautrechoseaussi,qu’Emmafutbienincapabled’interpréter.Sesmainssemirentàtrembler,etlesbattementsdesoncœurredoublèrent.Qu’est-cequi,chezcethomme,provoquaitenellepareilleréactionphysique?
S’obligeantàdétournerlesyeux,elleregardaNat.—Tusavaisqu’ilviendraiticicesoir?chuchota-t-elle.—Biensûrquenon!—Siondemandaitl’additionetqu’onfilait?—Troptard,soupiraNat,ilvientversnous…Emmaéprouvaaussitôtunindiciblemalaise:sesjouess’étaientempourprées,etsoussonchandail
ses seins se tendaient.C’était très gênant !Grâce au ciel, elle était assise, car il lui semblait que sesjambesnelasupporteraientpas.
Zakavait rejoint leur table, etune forceobscureobligeaEmmaà lever lesyeux sur lui.Lebeauvisageauxtraitsdursluicausaunnouveauchoc,etellesentitsatêteluitourner.
—Ehbien,sijem’attendaisàretrouverMlleGeary,dit-ilavecunedouceurfeinte.Encompagniedemonfrère,desurcroît.Deuxvraistourtereaux.Quelcharmanttableau!
EmmanesauraitjamaispourquoielleportaalorssurNatunregardpleindetendreconnivencetoutenposantunemainpossessivesurlasienne.Etait-celecynismedansletondeZak,ouessayait-elledeseprotéger de l’émoi qu’il provoquait en elle ?Toujours est-il que, jouant àmerveille la comédie, elles’adressaàNatd’unevoixattendrie:
—Nousn’ypouvonsrien,n’est-cepas,Natchéri?Impossibledecachernotrebonheur.Elle nota l’éclair de surprise dans les yeux de son compagnon,mais tout de suite il comprit, et,
saisissantlaballeaubond,secouaàpeinelatêtepourroucouleràsontour:—C’estvrai,noussommessiheureuxensemble.Leursdeuxmainss’étaiententrecroisées,etvoyant lecontrasteentre lapeaumatedesonfrèreet
celle,trèsclaire,delajeunefemme,Zaképrouvaunesortedecrispationtoutàfaitintolérable.Plusquejamais,ilsouhaitaquesonfrèredisparaisseenGrèceetépouseunebeautélocale.
Reportantsonattentionsurcelui-ci,ilintima:—VadoncsaluerLéda.Tutesouviensd’elle,non?—Biensûr,tuessortiavecellependantsilongtemps!Ilestvraiquesanouvellecoupedecheveux
lachangebeaucoup,maiselleluivaàravir.Selevantpourobéiràl’injonctiondesonfrère,Natajoutaencore:—Direquenouspensionstousquetul’épouserais!Sansrépondre,Zakattenditqu’ilaitrejointsonamieavantdereportersonattentionsurEmma,etde
nouveaucetteinsupportablecrispationlenoua.Cen’étaitpluslamêmefemmequecellequ’ilavaitreçuedanssonbureau,cematin,etoncomprenaitmieuxque,dutempsdesonmariage,elleaitétéunevéritableidole:ellepossédaitunsex-appealindéniable!Etelleétaitd’unerarebeauté.
Pourtantriendevoyantdanssatenue:elleportaitunesimplerobedelingrispâlequimettaitenvaleursonteintclairetparfaitetlaissaitdevinersesformespleinessansmêmelessouligner.Quantàsessomptueuxcheveux,bienquemoinslongsqu’autrefois,ilstombaientsursapoitrineenvaguessoyeusesd’unblondsipâlequ’ilsfaisaientpenseràlaclartédelalune…
Brusquement, Zak éprouva la furieuse envie d’embrasser cette femme, d’écraser ses lèvresveloutéescommedespétalesderose,delesforceravecsalangueetd’envahirsabouche…
Effaréparsaréaction,maistrèsexcité,ilavalasasaliveet lui trouvaungoûtamer.Iln’étaitpasjalouxdesonpetitfrère,quandmême?Nifrustréaupointdefantasmersurunefemmequin’avaitrien—vraimentrien—pourluiplaire?
—Avez-vousréfléchiàmaproposition?demanda-t-ilsanspréambule.—Oui.
—Etalors?Commel’instantdevéritéapprochait,Emmasentitsonespritfonctionneràtoutevitesse:d’accord,
Nat voulait qu’elle accepte le job à l’étranger, mais l’individu devant elle lui semblait une raisonsuffisantepourlerefuser.Quelplaisirdeluidirenon!Pourtant,l’enviedeluidonnerunebonneleçonlatenaillait aussi. Et quelle meilleure leçon que de suivre l’avis de Nat ? D’abord, tout le monde ygagnerait :Nat, la libertéqu’ildésirait,Emma,uneexpériencevalorisante.Et, auboutducompte, cetodieuxpersonnagedevantellesaurait—elleyveillerait—qu’elles’étaitmoquéedelui,etqu’ilavaitété,àsontour,manipulé.
Elleréussitàafficherunsourirepresqueaimable.—Ehbien,j’accepte.Zakfronçalessourcils.—Commeça?—Non,àunecondition.—Iln’enestpasquestion!Zaksecoualatêteavantd’ajouter:—C’estmoiquiposelesconditions,mademoiselle,pasvous.— Je veux être de retour à Londres pour Noël, poursuivit Emma comme si elle ne l’avait pas
entendu.Ils’attendaitàcequ’elleexigeunehaussedesalaire,ouundédommagementquelconque,aussifut-il
surpris.Lesdeuxmoisd’iciàNoëlsuffiraient-ilspourqueNatsedétachedecettejeunefemme?IljetaunregardàsonfrèreenconversationtrèsaniméeavecLédaetneputréprimerunsourire.Biensûrqueoui ! Il oublierait Emma Geary en bien moins de temps ! Ne disait-on pas « loin des yeux, loin ducœur»?
—Celanedevraitpasposerdeproblème,assura-t-il,etilajoutaavantdefaireminedes’éloigner:profitezbiendevotredernierdîneràLondres!
—J’espèreavoirunpeudetempsdevantmoiavantdepartir,réagitaussitôtEmma.—Vouspartirezceweek-endpourprendrevotrenouveaupostedèslundi.—C’estuneplaisanterie?Lesyeuxgris,sombrescommeuncielténébreux,seplantèrentdansceuxd’Emma.—Jen’aijamaisétéaussisérieux,Emma.Pourlasecondefois,lafaçondontilprononçasonnommitEmmaenémoi:ildonnaitàcesdeux
syllabesuneconsonancesensuelle,presquevoluptueuse…Elleréussitpourtantàdemanderd’unevoixàpeuprèsassurée:
—Pourquoitantdeprécipitation?Zakhaussalesépaules:—Perdredutempsnesertàrien.Cesadieuxquin’enfinissentpassontpénibles.Mieuxvautune
rupturenetteetrapide.PourNatautantquepourvous.—Etvouscomptezm’envoyeroù?EnMongolie,peut-être?—Nousn’avonspasencoreouvertd’hôteldanscepays,rétorquaZakavecaisance,maiscelase
feraunjour.Non,jevousmutedansunendroitbeaucouppluscosmopolite.—Suis-jeautoriséeàsavoiroù?Vousnecomptezpasmefaireprendrel’avionlesyeuxbandés,
toutdemême?Zakfituneffortpoursecontrôler: iln’aimaitpasqu’onluitiennetête,et l’impertinencedecette
femme avait le don de lemettre en fureur.Ah, comme il aurait aimé la soumettre de la façon la plussimple,laplusprimitivequisoit!
—Celavousplairaitd’alleràNewYork?demanda-t-ildesavoixlaplusdouce.
Emmasefigea.Etait-ilsadiqueenplusdureste?Ilnepouvait ignorerqu’elleavaitvécuàNewYorksacourteviedefemmemariée,etque lavillen’évoquaitpourellequedessouvenirspénibles?Maiselleneluiendiraitrien:manipulateurcommeilétait,ilprofiteraitdesamoindrefaiblesse.Ellefeignitdoncunenthousiasmemodérépours’exclamer
—NewYork?Merveilleux!Lavillequinedortjamais.LeclichééculéarrachaunegrimaceàZakquirétorqua:—C’estcequ’ondit,eneffet.Votreplaceestretenuesurunvoldemainetunevoiturepasseravous
prendrepourvousconduireàl’aéroport.Detoutefaçon,masecrétairevousdonneratouslesdétails.Onserevoitdonclà-bas.
Sur ses mots, il tourna les talons, laissant Emma abasourdie. Comptait-il aller à New York luiaussi?Etsioui,pourquoi?Pourlasurveiller?S’assurerqu’ellenecontactaitpasNat?
Commentsavoir?Encetinstant,elles’enmoquait.Seulecomptaitpourellecetteétrangeexcitationquifaisaitbattresoncœuràtouteallureetqu’ellepréféraitnepasanalyser.
4.
NewYork !Lesgenspressés, affairéscommedes fourmis, l’accent traînant etnasillard, le traficintense, la ligne des gratte-ciel balafrant le ciel selon ce tracé si caractéristique… Calée contre ledossier en cuir souple de la limousine, Emma, perdue dans ses pensées, regardait sans les voir lesimmensesbuildingssortirdelabrumeàmesurequ’onapprochaitdeManhattan.
Zak luiayantenvoyéunevoitureà l’aéroport,elleavaitunpeuregrettédenepasprendreundescélèbrestaxisjaunesnew-yorkais.Toutcommeelleauraitaimétirerelle-mêmesavalisedansleterminalsurpeuplé,plutôtquede l’abandonner auchauffeur.Elle se serait sentie indépendante,plus assurée, etDieusaitsielleétaitdéstabilisée…
Carparuneamèreironiedelavie,cesecondvoyageàNewYorkressemblaitàs’yméprendreaupremier, et son insécurité s’en trouvait décuplée. La première fois, Emma dépendait d’un homme trèsrichedontlesdésirs,àsesyeux,avaientforcedeloi.Aprésent,ellesetrouvaitdanslamêmeposition.AcettedifférenceprèsqueLouisétaitunfaible,cequ’ellen’avaitpasdétectéàl’époque,étanttropjeune.Zak,lui,étaittoutl’inverse.Paslamoindrefaiblesse,chezceGrecvolontaire.Emmaneleconnaissaitpas,maissonintuitionleluidisaitsansl’ombred’undoute.C’étaitunêtrefort,avecuneassurance,desconvictionsetunedéterminationinébranlables.
Qu’attendait-il d’elle ?La simple promesse qu’elle ne verrait plus son frère ?Ou autre chose ?Maisquoi?
La limousine entrait dans Manhattan, et derrière la vitre fumée Emma reconnaissait les grandsmagasinsscintillantsdelumière.Voilàqu’apparaissaitSaks,surlaVeAvenue,oùLouis,unjour,luiavaitachetéuncollierdeperleshorsdeprixetassezconventionnel.Ilavaittantriquandelleenavaitfaitdeuxtourspour leposercommeunecouronnesursescheveux.C’étaitundeses raresbonssouvenirsnew-yorkais…ilyenavaithélastantd’autres,sinistres,quiresurgissaientàsonesprit.
La limousine s’engagea sur Broadway illuminé par ses gigantesques panneaux publicitaires, etEmmapensaauYankeeStadiumoùlegroupePattersondevaitfairesongrandcome-back…toutétaitprêt,lesmédiasétaientsurplace,onn’attendaitplusquelesmusiciensetpuis…leconcertavaitétéannuléquandlesorganisateurss’étaientrenducomptequeLouis,lechanteurvedette,netenaitpasdebouttantilétaitivre!
Un peu plus haut, Emma reconnut la cathédrale St. Patrick : elle s’y était glissée un jour pourallumerunciergeetpleurersurl’échecdesonmariage.Quelquetempsplustard,elleyretournait,cettefoispourpleurerlamortdesonmari.
Secouantlatêtepourchassercespéniblesévocations,lajeunefemmes’aperçutquelavoitureavaitpresquedépasséCentralParketralentissaitpours’arrêterdevant l’hôtelPembroke, joyaudelachaînequepossédaitZak.
L’immeubleétaitplusbeauencorequesur lesbrochurespublicitaires,avecsafaçadedestyleartdécoetsesdoublesportesàpanneauxdeverrebiseauté,encadrésd’épaismontantsdeboismassif.Departetd’autredecelles-ci,surletrottoir,deuxjoliescaissesdeboisverniscontenantchacuneunpetitarbre taillé à la perfection, comme un rappel que, dans cet environnement urbain, la nature avaitnéanmoinssaplace.
Leportierenlivréeouvrit laportièredelalimousineet, l’instantd’aprèsEmmapénétraitdanslehall de l’hôtel, un espace très vaste dallé de marbre qu’éclairait un gigantesque lustre à pampilles.Partout,demonumentalescompositionsflorales,etdumonde,beaucoupdemonde…
Sansdouteàcausedudécalagehoraire,etparcequ’ellesetrouvaitdansunevilleétrangère,Emmaétaitunpeudésorientée.Devait-elledemanderaucomptoirsiM.Constantinidesavaitlaisséunmessagepourelle?Oualors…
Elleeutsoudainconscienced’uneprésencemasculinequiladominait.Puisunemainbrunepritlapoignéedesavalisepourlasouleversanseffort.
—BienvenueàNewYork,ditunevoixsensuellequ’elleneconnaissaitquetrop.C’étaitZak,biensûr,et ilportaitsurelleunregardqu’ellenesut interpréter.Triomphait-ilparce
qu’ilavaitobtenucequ’ilvoulait?C’étaitpossible.Nevenait-ellepasde luiêtre livréeàNewYorkselonsesinstructions,commeunevulgairemarchandise?
Elleauraitvoulunemanifesterqu’indifférenceàsonégard,mais,pouruneobscureraison,cen’étaitpasfacile.Cethommeladésarçonnait,lamettaitmalàl’aise,etenmêmetemps,etcontretoutelogique,latroublaitprofondément.Aujourd’hui,enparticulier,oùilsemblaitsiaccessible,avecsonchandailencachemired’ungrisassortiàsesyeux,etsonjeanquimettaitenvaleurseshanchesétroitesetseslonguesjambespuissantes.
Elleeutdenouveauuneconscienceaiguëdesavirilitéetessayasereprendre:ellenevoulaitpasréagir ainsi !Pourtant sous saveste chaude—achetéepour affronterNewYork ennovembre—ellefrissonna.
—Vousavezfroid?demandaaussitôtZak.—Unpeu,dit-elleavecunefeintedésinvolture,terrifiéeàl’idéequ’ilsedoutedelavérité.Etelleajoutapourfairebonnemesure:—EnAmérique,laclimatisationmarchetoujourstropfortpourmongoût.Maisdites-moi,pourquoi
portez-vousmavalise?—Simplemarquedesavoir-vivre.Celavousdéplaît?Le savoir-vivre,Emman’yétaitguèrehabituéedans laviequ’elle avaitmenéedepuis l’enfance,
aussifut-elleuninstantprisedecourt.Maiselleserepritvite.—Vousaccueilleztousvosclientsainsi?demanda-t-elle,acide.Zaksourit:—Pastous,non,maisvousn’êtespasn’importequi,Emma.Lesmotsluiavaientéchappéavantmêmequ’ilnes’aperçoivequ’il lespensait.Maisilrefusade
s’en étonner. De même, un peu plus tôt, il n’avait cessé de consulter sa montre jusqu’à ce que sonchauffeur l’informe que le vol d’Emma avait bien atterri. Et en apprenant qu’elle était en route versManhattan,ilavaitsentisoncœurs’accélérerenmêmetempsqu’unepulsionbrûlantesurgissaitaucreuxdesesreins.
Envérité,malgrélui,iln’avaitpus’empêcherdepenseràelledepuisqu’ill’avaitrencontrée,et,pisencore,elles’étaitintroduitedanssesrêvescommeunepâleapparition,belle,irréelle,avecsesyeuxvertsetseslongscheveuxblonds.Et,danssesrêvesaumoins,ill’avaitdésiréeavecuneardeurpresquedouloureuse…
Lajeunefemmequ’ilvenaitderetrouvernecorrespondaitpourtantpasàsesfantasmesnocturnes:pasmaquillée,sescheveuxtirésenarrièreetretenusparunmauvaisélastique,elleportaitsoussagrosse
vestedesvêtementstoutàfaitquelconques.Maisellepossédaitcequelquechosed’indéfinissablequilarendait belle, lumineuse, désirable. Comment réussissait-elle à paraître aussi fragile, tout en restantfemme et séduisante ? Avait-elle travaillé sa technique comme un joueur de tennis professionnels’entraîneaurevers?
—Vousdevezêtrefatiguée,dit-ilàmi-voix,commeilremarquaitlescernesmauvessouslesyeuxverts.Venez,jevaisvousmontreroùonvousainstallée,puisnousverronscequevousvoulezfairepourledîner.
Lespenséesd’Emmaétaientunpeuconfuses,aprèslevoyageetl’accueilinattendudeZak,maiscequ’ilvenaitdedéclarerlafitréagir:
—Vousvoulezdirequejevaishabiterici,auPembroke?s’exclama-t-elle,incrédule.—Evidemment.C’estde loin leplus simplepuisquevousn’êtesdétachéeàNewYorkquepour
quelquessemaines.Qu’imaginiez-vousd’autre?Emma avait envisagé un minuscule studio dans un quartier modeste, un de ces endroits où les
éboueursvousréveillentàl’aube,etoù,lesoir,lesbagarresd’ivrognesvoustiennentéveilléjusqu’àpasd’heure.Unquartieroùilauraitétédifficiledetrouveruntaxilesoir.UnendroitaussiloindeZakquepossible…
Ellepointalementonenavant,feignantunehauteurqu’elleétaitloinderessentir,etrépondit:—Jen’aipaseuletempsdebeaucoupréfléchir,jesuispartiedansunetelleprécipitation.—Ehbien,vousêtesarrivée,vouspouvezvousdétendre,maintenant.EntraversantlaréceptionendirectiondesascenseursàlasuitedeZak,elleeutconsciencequ’on
les regardait : desmembresdupersonnel, d’abord, sedemandant sansdoutepourquoi legrandpatronportait le bagage de cette jeune femme qui n’avait en apparence rien d’uneVIP. Et puis des clients :certainslevantlatêtedeleurordinateurleurjetaientuncoupd’œilappréciateur, tandisquedesjeunesfemmestrèséléganteslessuivaientduregardavecunejalousieàpeinedissimulée.
Zaknepritlaparolequelorsquelesportesdel’ascenseursefurentreferméessureux,lescoupantdumonde.Emma,ledostourné,gardaitlesyeuxfixéssurlaflèchelumineuserougeindiquantlesétages,tandisquelacabinemontait.Soncompagnondéclaraalors:
— C’est bien la première fois qu’une de mes employées montre aussi peu d’enthousiasme enapprenantqu’elleseralogéedansl’undesmeilleurshôtelsdumonde.
Emmasetournapourluifaireface.—Celavoussurprend?—Unpeu,oui.JepensaisquevousseriezcontentedeprofiterduluxelégendaireduPembroke.Emmaneput réprimer unpetit rire. Il se trompait du tout au tout !Voilà longtempsqu’elle avait
appris que l’argent et ce qu’il procurait n’étaient pas l’essentiel de la vie.Les choses simples étaientbeaucoup plus importantes que le bling-bling et le clinquant. Elle avait touché du doigt, à l’époque,combien la richesse corrompt et peut générer le vide et la solitude…Elle se souvint alors que, dansl’espritdesoncompagnon,ellen’étaitqu’unefemmeintéressée,etqu’elledevaitjouerlejeu.Ouvrantdegrandsyeuxavides,ellerétorqua:
—Jenesuispasmécontente,jel’avoue,maisdites-moi,vousm’avezréservéunesuitedeluxe?—Moinsluxueusequelamienne,murmuraZakàquisonregardn’avaitpaséchappé.Acetinstantfusaenluiledésirbrûlantdevoirlessomptueuxcheveuxcouleurdeluneéparpillés
surlesoreillersdesongrandlit,tandisquelajeunefemmeofferteleregarderait,sesyeuxvertséperdusdedésir…
Ilsemaudit intérieurementcardéjà il sentaitcettedouloureuseetexquise lourdeurdanssonbas-ventre.Aquoipensait-il?EmmaGearyreprésentaittoutcequ’ildétestaitchezlesfemmes,etenplusellesortaitavecsonfrère!
—Nousvoiciarrivés,annonça-t-ilavecbrusquerie.
Ilsavaientatteintletrente-deuxièmeétage,etEmmasortitdelacabine,notanttoutdesuiteleluxequil’entourait:lesparquetsmassifssurlesquelsétaientjetésparendroitsdesomptueuxtapisdesoie;les tableaux originaux aux murs, les magnifiques bouquets de fleurs. Quel était le prix d’une nuit auPembroke?sedemanda-t-ellesoudain.Aulieudequoielles’enquit:
—Masuiteestàcetétage?—Oui,cetteportetoutdesuiteàdroite.Installez-vous,reprit-ilquandill’eutouverte,jeviendrai
vouschercherpourledîner.Emmas’obligeaàsourire.—Cesoir,jepréféreraisprendremonrepasdansmachambre,sicelavousestégal.—Iln’enestpasquestion!lacontra-t-iltoutdesuite:c’estlapirefaçonderattraperledécalage
horaire:vousalleztomberendormieetvousvousréveillerezaumilieudelanuit,incapablederetrouverlesommeil.Enoutrenousavonsàparler.
Emmaécarquillalesyeux.—Dequoidonc?—Deriendegrave,rassurez-vous,Maisvousêtesicipourtravailler,Emma,etjenevousaipas
encoreditcequej’attendsdevous.Nousdîneronsaurestaurantdel’hôtel,etjevousexpliquerai.Onseretrouvedansuneheure,d’accord?
—Uneheureetdemie?—Entendu.Iltournalestalonsetsortit.Emmacommençaparrefermersaporte,avantdes’approcherdel’immensebaievitrée.Lavueétaitspectaculaire:unamoncellementdegratte-cieltrouésdelumièredécoupéssurleciel
devenu sombre. C’était splendide, même si Emma sentait resurgir certains souvenirs qu’elle auraitpréféréoublier…Mêmesielleétaittropfatiguéepourappréciercettebeauté.
Elles’obligeaàdéfairesavalise,sachantquesielleattendaitlelendemainsesvêtementsseraientencoreplusfroissés.Celafait,ellepassaàlasalledebainsprendreunebonnedouche.Aprèsquoi,ayantpeignésescheveuxmouillés,ellepassaunmerveilleuxpeignoirenépongeblanche,doucecommedelamousse,etdécidadesepréparerunetassedecaféavantdes’habiller.
Unefoislamachineàcafébranchée,elleréglaleclimatiseurets’installasurlegigantesquelit.Lesoreillersétaientmoelleux,divins…Lamachineàcaféfitentendresonchuintement,Emmal’entenditaumomentoùellefermaitlesyeux…
Danssonrêve,elleperçutdessonsétrangesetsecrutencoredansl’avion,puisdesbruitssourdsetétouffés…Soudain,unemainseposasursonbras,dontellesentitlachaleuràtraversl’épongedesonpeignoir.Ouvrantlesyeux,elledécouvritZakdeboutàcôtéd’elle,sonbeauvisagemontrantuneétrangetension.
Toutd’abord,ilsdemeurèrentsilencieux,leursregardsrivésl’unàl’autrecommesiletempsétaitsuspendu.Le cœurd’Emmabattait très vite, et elle sentait avecune intensité folle la présencede soncompagnon si proche et son léger parfum citronné, entêtant, excitant…Elle avait aussi la conscienceaiguëd’êtrenuesoussonpeignoir,etsesseinssetendaient,durs,presquedouloureux.
—Qu’est-cequ’ilya?finit-elleparmarmonner,leslèvressèches.—Jen’arrivaispasàvousréveiller,ditZakd’untonaccusateur.Ilavaittoujourslamainsursonbras,etEmman’avaitpasenviequ’illaretire.Parcequ’ellen’était
pasencoretoutàfaitéveillée?Ouparcequ’elleaimaitqu’illatouche?Elleétouffaunbâillement.—Jelesuis,maintenant.Zakabandonnasonbras,etgagnaàpaslentslabaievitréepours’obligeràregarderlavue.Ilvoulut
se concentrer sur les lumièresqui semblaient percer les façadesdesgratte-ciel commeautant d’éclats
phosphorescents. Surtout, ne pas penser à la vision qu’il venait d’avoir :Emma abandonnée dans sonsommeil,sibelle,sivulnérable,avecsapeaudiaphane…Etpuis,quandelles’étaitréveillée,sesyeuxvertpâleencorevaguesquis’étaientfixéssurluienunequestionmuette,commedanssesfantasmeslesplusfous…
Il semauditune fois encore : commentoubliait-il si souventdeuxchosesessentielles?D’abord,Emmareprésentaittoutcequ’ilméprisaitchezlesfemmes.Ensuite,sonfrèreétaitamoureuxd’elle.
—Jedescendsvousattendreaurestaurant,bougonna-t-il,lesdentsserrées.Rejoignez-moidansunquartd’heure.
Emmaseredressa,commeilsedirigeaitverslaporte.Ilneluiavaitpaslancéunregard,maisellesentait qu’il était furieux.Pourquoi ?Parcequ’unpeuplus tôt, quand elle s’était réveillée, il la fixaitcommeonregardeunefemmequel’ondésire?
Nevoulantpasypenserdavantage,Emmaselevaenhâte,pours’habiller,mais,enaccrochantsonpetit soutien-gorge endentelle noire, elle fut prise de culpabilité.Car oui, ses seins s’étaient dressés,commeélectriséssousregarddeZak,àsonréveil.Pire,elleavaitdésiréZakConstantinidesavecuneintensitéjamaiséprouvéeauparavant,mêmeavecsonmari!Quellehonte!
Ilétaittempsdesereprendreetdesavoircequ’ellevoulait.Zakétaitungrandséducteur,c’étaitdenotoriétépublique.Ellen’allaitpasselaisserséduire:ceseraituneautrefaçondesefairemanipuler.Oriln’enétaitpasquestion.Lesenjeuxétaienttropimportants.ElleavaittravaillédurauGranchesterpoursecréeruneréputationd’architected’intérieurtalentueuse.Celan’avaitpastoujoursétéfacile,maiselley était parvenue. Elle ne gâcherait pas tout parce qu’elle était incapable de contrôler ses réactionsphysiquesfaceàunhommequ’elleméprisait.
Nonetnon!Etpourmettretoutdesuiteleschosesaupoint,ellesecomporteraitdemanièreàluifairecomprendrequ’ilnel’intéressaitpas.
Emma possédait un physique que l’on pouvait rendre spectaculaire ou qui au contraire savait sefondredans ledécor.Elle choisit la seconde solution et optapourunpantalon enveloursnoir assortid’une ample chemise blanche très souple.Après quoi elle tira ses cheveux en arrière en une sorte dechignonfixésurlanuque.Pasuneoncedemaquillage,seulementunepairedelongspendantsd’oreilles.C’étaitsimple,pasvoyant,etdebongoût.
Mais en entrant dans le restaurant, un moment plus tard, elle comprit vite combien elle s’étaittrompée. Les clientes étaient très habillées — ou plutôt, déshabillées —, arborant des décolletésvertigineux et des bijoux somptueux, dévoilant jusqu’àmi-cuisse des jambes gainées de bas pailletés.Danssasimplicité,Emmaétaitridicule.
Cefutnéanmoinslatêtehautequ’elledonnalenomdeZakaumaîtred’hôtelquilaconduisitàlatabledecelui-ci.Entraversantlasalle,lesregardsquilasuivaientlamirentmalàl’aise:jadisaussi,onlaregardaitainsiquandelleretrouvaitLouisdansunrestaurant,etonlajugeaitsanslaconnaître,àl’aunedeceluiavecquielledînait.C’étaittrèsdéplaisant.
Elleavait lagorgenouéequandZaksedressapourl’accueillir,etvitaussitôtdanssesyeuxqu’iln’approuvait pas sa tenue : bienqu’elle l’ait choisie dans cebut précis, son amour-propre féminin serebiffasousleregardcritique.
—Ondiraitquevousvousrendezàunefêteparoissiale,fit-ilobserver,mordant.Elledétaillalecostumesombred’uneéléganceirréprochableavantderétorquer:—Etvous,ondiraitquevousallezannonceruneOPAhostileàvotreconseild’administration.Zak faillit sourire, et se rappela de justesse qu’il n’était pas là pour apprécier l’humour de
MlleGeary.Sansunmot,ilserassitcommeleserveurtendaitlemenuàEmma.—Commandons,voulez-vous,dit-ilalors, toutesonautorité retrouvée,celagagneradu temps.Je
vousrecommandelesteak,ilestexcellent.Emmaeutunsourirepoli.
—Jen’endoutepas,maisjenemangepasdeviande.—Pasdeviande,dites-vous?Emmahaussaunsourcil.—Vousm’avezbienentendue,monsieurConstantinides.Denouveau,illaregardaavecréprobation.—Pasétonnantquevoussoyezsipâle.—Vousdevriezessayer,unjour:unrégimesansviandediminuel’agressivité,dit-on.Cettefoisilsemitàrire.—Leshommes,lesvrais,sontcarnivores,Emma.Cetteassertionplutôtprimairemitlajeunefemmemalàl’aise,etelleseplongeadanslalecturedu
menu.Quipensait-il convaincreavecsesproposmachos?Etpourtant…lagêned’Emmas’accrut : ilétaitsiviril,siintrinsèquementmâlequ’onétaittentédelecroire,mêmequandonsavaitqu’ilavaittort.
Emmasentitunfrissond’appréhensioncourirtoutlelongdesondos:ZakConstantinidespossédaità l’évidence le pouvoir de faire ce qu’il voulait avec les femmes, et il le savait. Or elle s’étaitdécouvertevulnérableensaprésence.Ilnefallaitsurtoutpasqu’ils’endoute,ilseraittropheureuxd’enprofiter.
Voilàqu’ildisait,d’unevoixdoucemaintenant:—Quandabandonnerez-vousle«monsieur»avecmoi?—Jepensaisquecerappeldevotresupérioritéhiérarchiqueconfortaitvotreego.—Monegon’aaucunbesoind’êtreconforté,riposta-t-il,toujourssanséleverlavoix,aussiessayez
dem’appelerZak,jevousprie.Emmarefermalemenud’ungestebrusqueavantdeleverlesyeux:—Pourmoi,ceseradeslasagnesd’aubergineavecunesalade,s’ilvousplaît…Zak.—Etmoi,jeprendraiuneentrecôte.Aprèsavoirrendulesmenusauserveur,ilportaunregardinterrogateursursacompagne:—Duvin?LasagessedictaitàEmmadenepasenboirecesoir.Maiselleétaitfatiguéeettendue,etunesoirée
entièreentêteàtêteavecZakConstantinidesluiparaissaitau-dessusdesesforces.—Unverreseraitparfait.Zakhochalatête,donnasesordresausommelierquirevintbientôtavecdeuxverresdevinrouge,si
riche,sicapiteuxqu’Emmalehumaavecdéliceavantd’ygoûter.—Ilestparfait,dit-elle.— Je n’aime que le très bon vin, rétorquaZak avec hauteur,mais nous ne sommes pas ici pour
parlerœnologie,Emma.—Jem’endoute,admitcelle-cietsoncœurfrémit,commeellesedoutaitdecequiallaitsuivre.—J’aimeraissavoirqueleffetvousfaitceretouràNewYork,interrogea-t-il,etsavoixsefitdure
commeilajoutait:carvousavezvécuicidutempsdevotremariage,n’est-cepas?Il le savait, donc, et n’avait pas pris en compte que peut-être revenir ici la bouleverserait.
D’ailleurs, il s’enmoquait.Qu’était-elleà sesyeux?Riend’autrequ’une femmedangereusepour sonfrère,qu’ilfallaitdoncneutraliser.
Elleauraitaiméleremettreenplace,luidirequesonpasséneregardaitqu’elle,maisàquoibon?Tôtoutard,cetteconversationviendrait:ilvoulaitensavoirdavantagesurelle,etellenepourraitpasrestermuetteéternellement.Endéfinitive,uneseulechosecomptait:avait-ellehontedesonpassé?Unpeu,oui,enrevanche,elleétaitfièred’avoirsureconstruiresavie.
—Quevoulez-vousquejevousdise?interrogea-t-elle.— Comment une fille, sortie d’une ville perdue d’Angleterre, a rencontré et épousé quelqu’un
commeLouisPatterson.Etsavoirsicettegloireéphémèrevalaitleprixqu’ilafallupayer.
5.
EmmasetenditcommeellesoutenaitleregardaccusateurdeZak.—Pourquoim’interrogersurmonpassé?Jecroyaisquevoussaviezdéjàtoutgrâceàundétective
privé?Zakbutunegorgéedevin.—Jeconnaislesfaits,cesontvosmotivationsquim’intéressent.Soyonsréalistes,Emma,sivotre
relationavecmonfrèresurvitàlaséparation,etsivousdevezdevenirmabelle-sœur,j’ailedroitd’ensavoirunpeuplussurvous,non?
—Vousn’avezaucundroitsurmoi!—Danscecas,disonsleschosesautrement:pourquoifairetantdemystèredevotreviepassée?
Vousenavezhonte?Oubienvouscherchezàcachercertainsfaitsquinerelèveraientpasdelastrictelégalité?
—Absolumentpas,non!—Natestaucourantdelafaçondontvousavezvécu?—Biensûr.—Alorspourquoipasmoi?Emmabut une nouvelle gorgée de vin. Pourquoi, en effet ? Parce que, à l’inverse deNat qui ne
l’avaitjamaisjugée,Zaknemanqueraitpasdelefaire.Enoutre,ellen’avaitpasenviequecesyeuxgris,enfaced’elle,ladétaillent,ladissèquentcommeonlefaitd’unanimalenlaboratoire.C’étaithumiliant.
Néanmoins,pourquoiavoirhontedelafaçondontelleavaitétéélevéeoudumilieumodested’oùelleétaitissue?Elleavaitfaitaumieuxaveccequ’elleavait,etnes’enétaitpassimaltirée.Etait-cesafautesisamèren’étaitpastrèsintelligente,aimaitleshommes,etn’avaitjamaisconsidérésapetitefillecommesapriorité?Pire,elleneluiavaitenseignéquedemauvaisprincipes,ainsiqu’Emmaavaitmislongtempsàs’enrendrecompte.
—Voussavezquejesuisuneenfantnaturelle,j’imagine?demanda-t-elledebutenblanc.SafranchisepritZakaudépourvu.—Denosjours,cen’estplusunecausedemarginalisation.—Enthéorie,non.Danslesfaits,lavien’estpastoujoursfacilequandtoutlemondesaitquevous
n’avezjamaisvuvotrepèreetquevousnesavezmêmepasquiilest.Demême,leregarddesautresn’estpasaiséàsupporterquandilestdenotoriétépubliquequevotremèreadesamantstoujoursdifférents.
Zakpinçaleslèvres.—Votremèreétait…Emmasecoualatête:
—Non,ellen’étaitpasuneprostituée,sic’estcequevousalliezdire,maiselleaimaitleshommesetnesavaitpasleschoisir.C’estunmalheureuxdéfautdontj’aihérité.
LeregarddeZaksedurcit.—Commentcela?—JeneparlaispasdeNat,serepritaussitôtEmma,serappelantdejustessequ’elleétaitcensée
êtreamoureusedecedernier.Natestlameilleurechosequimesoitjamaisarrivée.—Laissons le sujetdemon frèredecôté, rétorquaZakavecuneviolencecontenue. Jeveuxque
vousmeparliezdePatterson.Commentl’avez-vousrencontré?Emmaneréponditpastoutdesuite tant laseuleévocationdesonmari luiétaitdouloureuse.Elle
s’étaitmontréesinaïve—d’unecandeurpresquerisiblecomptetenudel’atmosphèredanslaquelleelleavaitgrandi.
— Comment j’ai rencontré Louis ? répéta-t-elle. Par hasard, je suppose. Personne n’aurait puprévoircequiestarrivé.
—Vraiment?Denouveau,Emmagardalesilencequelquesinstants.—Mamèredansaitàmerveille,finit-ellepardéclarer.Dansd’autresconditions,elleauraitpuen
fairesonmétier,maispourunemèrecélibataire,sansargentniressourcespropres,c’étaitimpossible.Ducoup,ellen’avaitpaslaviequ’ellevoulait,loindelà;elledétestaitlestâchesdomestiques,lamaison,lacuisineetellen’aimaitpasnonpluss’occuperdemoi.Lamaternitéluipesait.Néanmoins,elleavaitlesensduspectacle,savaitcréerundécoravectroisfoisrien,etdonnaitànotremaisondesalluresdefêteàlamoindreoccasion.Etpuis,elleadoraitdanser…
Zakhochalatête:ilcomprenaitsoudainlagrâcedelajeunefemmeenfacedelui,saposturedroiteetsouple,safaçondemarcheraérienne,commesielleflottaitau-dessusdusol,quandelleétaitsortiedesonbureau,lapremièrefoisqu’ill’avaitvue.
—Ellevousaapprisàdanser?—Biensûr,oui.Emmasecalacontreledossierdesonsiègetandisqueleserveurdéposaitdevantellesonassiette
delasagnes,élégantepréparationdepâtesetdelamellesd’aubergineentouréedesaucetomate.L’instantd’après,elledétournaitlesyeuxpournepasvoirlesteaksaignantquel’onservaitàZak.
—Cesmoments où nous dansions étaient lesmeilleurs que nous passions ensemble, reprit-elle.Mamanmettait lamusiqueàfond,si fortquesouvent lesvoisinsseplaignaient,et,affublées toutes lesdeuxdeparéos,nousdansionsjusqu’àépuisement.
—Pattersonvousavuedanser,c’estcela?—Oui.Jevenaisd’avoirdix-huitanset,commecadeaud’anniversaire,mamèrem’avaitemmenée
dansl’undesnight-clubsàlamodedeLondres.Mamanétaitsiheureusedem’offrircettesoirée!Elleavaitéconomisépendantdesmoispourpayernosentrées,parceque,disait-elle,peu importeque l’onsoitpauvre,detempsentemps,ilfautsavoirfaireunefolie.Moi,biensûr,j’aitoutdesuiteétééblouie.Jamaisjen’étaisalléedansunendroitpareil.
—C’estvrai?Emmahochalatêteavantdepoursuivre.—La salle obscure était cisaillée d’éclairs lumineux de toutes les couleurs, et lamusique était
assourdissante!Jetrouvaisçabeau,maispastrèsagréable,unpeufactice.Quandledisc-jockeyapassémondisquepréféré,jesuismontéesurlepodium,pousséeparmamère,etj’aidansécommeunefolle.Louisétaitdansl’assistanceetmeregardait.Après,ilm’aditque…
—Non,jevousenprie,nemeditespasqu’ilaprétenduêtretombéamoureuxaupremierregard,lacoupaZakavecuncynismemêlédedérision.
Emmahaussalesépaules:
—Pourtantc’estcequ’ilaaffirmé.Elleétaitsurladéfensive,celas’entendaitdanssavoixetZak,quin’avaitpastouchéaucontenude
sonassiettetantill’écoutaitavecattention,essayadel’imaginer,cesoir-là.Elledevaitêtreirrésistible:si irréelle avec son teint diaphane, et ses longs cheveux blonds, si innocente aussi, et mue par cettemerveilleuseénergiedelajeunesse…
—Çaluiadonnédesidéesdechansons?demanda-t-il.— Je crois que oui. Il a écritDanseuse et fée la nuit-même. La chanson est devenue un tube
mondial,alorsiladécidéquej’étaissamuseetqu’ilnepouvaitpasvivresansmoi.Quandonesttrèsjeune,cegenredepropospeutvousmonteràlatête.
Surtoutquesamèren’avaitcessédeluirépéterquec’étaitlachancedesavie,qu’ilauraitfalluêtrefolle pour ne pas la saisir. Il est vrai que Louis la couvrait de cadeaux, se montrait attentionné etprévenant, et, plus important encore, il ne l’avait pas brusquée. Il respectait sa virginité, lui avait-ilassuré,etilattendraitqu’ilssoientmariéspourluifairel’amour.Emman’yavaitrientrouvéd’anormal,elle était sur un petit nuage, toute à son rêve devenu presque réalité. Ses premiers doutes l’avaientassaillie la veille du mariage, mais il était trop tard. Sa mère lui avait intimé d’être raisonnable, etd’acceptersonfabuleuxdestin.
Detoutcela,elleneditrienàZak,secontentantdeconclure:—Jel’aidoncépousé…Lasuite,toutlemondelaconnaît:jel’aidécouvertmortunanaprèsnotre
mariage.Ilavaitsuccombéàunmélanged’alcooletdedrogue.Jen’aipasenvied’enparler.Vousavezd’autresquestions,monsieurConstantinides?
—Jecroyaisvousavoirdemandédem’appelerZak.Elle le fixa, sans riendire.L’évocationdesonmariageetdudécèsdeLouis l’avaitbouleversée,
ébranlant son système de défense, et appeler Zak par son prénom lui paraissait soudain gênant, tropintime.Elleauraitvoululeluidire,luiavouerqu’elledevaitgardersesdistancesparceque…parceque,pouruneobscure raison, il lui inspirait unémoiqui lui faisait peur…Car samère avait gâché saviechaquefoisqu’unémoisemblableétaitdevenuchezelleunbesoin:celuid’êtredésirée,aimée,caressée,celuidesecroireaiméed’amourfût-cel’espaced’unenuit,etàn’importequelprix.MaisparlerainsiàZak,c’étaitsemettreànudevantlui,etluimontrersavulnérabilité,orilnemanqueraitpasd’enprofiter.
—Jesuisfatiguée,Zak,secontenta-t-elledesoupirer.Celavousconvient?—C’estmieux,oui.—Jevoudraisallermecoucher.—Vousn’avezrienmangé!—Vousnonplus.—C’estvrai.Zakabaissalesyeuxsursonassiette:jamaissteakneluiavaitparuaussipeuappétissant.Ilestvrai
qu’ilnesavaitquepenser:l’histoired’Emmaletouchait,etiléprouvaitàsoncorpsdéfendantuneréelleempathiepourelle.Cela,hélas,nechangeait rienauproblème.Certes,elles’étaithisséeau-dessusdeson milieu d’origine, mais comment ? Pour l’essentiel, en suscitant la passion d’hommes riches.Conclusion,ellen’étaitpasunefemmepourNat,etneleseraitjamais.
—Jevousraccompagnejusqu’àvotrechambre,déclara-t-ilsansinsister.—Inutile.—Si,j’ytiens.Parfois,avecledécalagehoraire,onestunpeudésorienté.Ellel’étaitcertes,etpasseulementàcausedudécalagehoraire.Zaklatroublait,etelles’envoulait
denepasmieuxsecontrôler.Lafatiguel’accablait,maintenant:ellemanquaitdesommeil,n’avaitàpeuprèsrienmangé,etce
vindontelleavaitbuquelquesgorgéesluibrouillaitencoredavantagelesidées.Sesjambeslaportaientàpeinelorsqu’ilsgagnèrentl’ascenseur,qu’ilsprirentheureusementavecd’autresclients,évitantainsiun
tête-à-tête qu’Emma aurait eu du mal à supporter. Au trente-deuxième étage, les portes de la cabines’ouvrirentetellesortit,Zaksurlestalons.Maisenarrivantdevantsaporte,commeellefouillaitsonsacàlarecherchedesaclé,elletrébucha.Aussitôt,ellesentitlamaindesoncompagnonsursonbras.Ellesetendit.
Atraverslafineétoffedesachemise,lesdoigtsdeZaklabrûlaientetsoncœurs’accéléra,tandisquesarespirationdevenaithaletante,commesielleavaitcouru.
L’espace de quelques instants, leurs yeux se croisèrent et se soutinrent, et le temps et l’espacecessèrentd’exister.Emmanevoyaitplusquelespupillesgrisintensequiladévoraient.Etelleeutalorslarévélationqu’elledésiraitcethomme:elleavaitenviedeluiavecuneviolence,uneexigencequ’ellen’avaitjamaisconnues.
—Zak,chuchota-t-ellesansmêmes’enrendrecompte.Ilperçut l’émoidanssavoix,etunevaguededésir lesubmergea.Lâchesonbras! s’intima-t-il,
tandisqu’uneforceobscurel’enretenait.Ilétaitcommehypnotiséparlesyeuxvertsdevenusvagues,parleslèvresentrouvertes…offertes,etilsavaitqu’eninclinantàpeinelevisageilpourraitprendrecettebouche, l’embrasser avec frénésie. Alors, il attirerait cette femme dans ses bras, presserait son sexedressécontre ladouceurdesonventre,et l’entraîneraitpour lafairesienne.Ilavait tantenvied’elle!Elle s’abandonnerait, il le savait, le sentait, et il serait en elle, goûterait sa tiédeur humide, s’yenfonceraitloin,toujoursplusloin…
Acetinstant,uneforceobscurel’obligeaàimaginerlessordidesconséquencesd’unactepareil:levisage lasmais triomphant d’Emma aumatin, son propre sentiment de culpabilité vis-à-vis deNat, etsurtoutlemomentoùilfaudraittoutluiavouer…
Atterréparsafaiblesse,honteuxd’avoirfaillicéderàsoninvitemuette,illâchalebrasd’Emma.Etait-ceainsiqu’elleavaitséduitPattersond’abord,puisCiroD’Angelo,etenfinNat,cettefemme
auxyeuxpâlesetensorcelants?Zakreculad’unpas.—Vous êtes fatiguée,m’avez-vousdit, déclara-t-il d’un ton âpre, et dans ce cas il vaut toujours
mieuxdormirseule.Et il tourna les talons, laissant Emma confondue, incapable de comprendre le mépris qui était
apparusoudaindanssonregard.
6.
Lelendemainmatinàsonréveil,Emmadécouvrituneenveloppeglisséesoussaporte.Avantmêmedel’ouvrir,ellesavaitdequiellevenait,etneputréprimerunfrissond’anticipation.
«Nousn’avonspasabordélesujetdevotretravailhiersoir,lut-ellequelquessecondesaprès.Jevousattendsà10heuresdanslesalondel’hôtel.Zak.»
Riendeplus,pasdecirconlocutions,pasdeformulesdepolitesse.Justeunordre.Enpartieàcausedeslonguesheuresdevoyageetdudécalagehoraire,Emmaavaittrèsmaldormi,
et s’était réveillée à 4 heures du matin. Dès lors, impossible de retrouver le sommeil, et pendantlongtempssonespritavaitbattu lacampagne.Commentoublierces instants intensesdans lecouloir, laveilleausoir?ElleavaiteulacertitudequeZakallaitl’embrasser.Elleavaiteutellementenviequ’illefasse!Etpasseulement!Ellerêvaitencorequ’illacaresse,l’excite,luifassel’amour…Ellequiavaitbanni les hommesde sa vie depuis sonmalheureuxmariage, et qui s’était interdit à jamais de tomberamoureuse!
Avait-elleperdulatête,ouétait-celafatiguequiavaitraisondesavolonté?Mieuxvalaitnepass’interroger,etsurtoutcesserdepenseràZakConstantinides.
Emmaallareleverlestoredelagrandebaievitréepourdécouvrirdevantl’hôtel,l’oasisdeverduredeCentralPark.LePembrokejouissaitd’unemplacementaussiexclusifqueleGranchesteràLondres.Zaksavaitcequ’ilfaisaitquandilachetaitunhôtel!
Après avoir pris sa douche, Emma s’habilla avant de se fairemonter son petit déjeuner dans sachambre.Ellen’avaitpasfaimets’obligeaàmangerdeuxtoastsavecdelaconfiture.Illefallait,sinonsafatigueprendraitledessus.Heureusementlecaféétaitdélicieux,fortetrevigorant.Aprèsdeuxtassesellesesentitbeaucoupmieux.
Ellen’enmenaitpourtantpaslargeendescendantdanslesalondel’hôtel,etsanervosités’accrutenvoyantZak.Debout, ledos tourné à laporte, il parlait avec animationdans son téléphoneportable. Ilarboraitunélégant costumegrisd’unecoupeparfaite, etEmmase félicitad’avoir choisi cematinunetenueassezchic.Ilsemblaitqu’àNewYork,pourêtreprisausérieuxquandontravaillait,ilfallaitêtrebienhabillé.
Toujoursengrandeconversation,Zakse tournaet ladécouvrit.Dès lors, ileutdeuxmotsbrefsàl’adressedesoninterlocuteuravantderaccrocher,sesyeuxgrisladétaillantavecuneexpressionqu’ellen’auraitsuinterpréter.
Peut-êtrenelatrouvait-ilpasassezélégante?Sontopenlainagetoutneufetsonjeanstretchd’unbeigetrèspâleconstituaientsansdouteàsesyeuxunetenuetropdécontractéepourlaclientèlehuppéedesonhôtel.Comment savoir ? Il venait à sa rencontre, à présent, sonvisage aux traits demarbre aussiimpénétrablequesonregard.
Emmasentitsesjouess’empourprer:c’estquesonémoi,hiersoirdanslecouloir,n’étaitpasdûàlafatigueniauvin:Zaklatroublaittoutautantcematin,ilétaitsibeau,siimposant…
Il fallait pourtant qu’elle se comporte avec naturel, comme n’importe quelle employée avec sonemployeur,etpourcela,avanttout,elledevaitoublierqu’elleavaiteulafaiblessedeluiracontersavie,laveille,àtable.C’étaientcesaveuxquiavaientcrééunesorted’intimitétrompeuseentreeux…
—Bonjour,lança-t-elle,affichantsonsourireleplusenjoué.Zakfutétonnédudynamismedesavoix,quedémentaientpourtantlescernesmauves,soussesyeux.—Voussemblezfatiguée,fit-ilobserver.—Jelesuis,eneffet.— Parce que, au lieu de dormir, vous avez téléphoné à mon frère toute la nuit ? demanda-t-il,
caustique.Siseulement ilsavaitcombien ilse trompait !Emman’avaitpresquepaspenséàNatdepuisson
arrivée.—Non,nousnenoussommespasparlé.D’ailleurs que diable lui aurait-elle dit ? « Pardon, Nat, mais même si ton frère est un odieux
despote,hiersoir,jerêvaisdefairel’amouraveclui,etjemeseraisabandonnéecorpsetâmeàluis’ilm’avaitembrassée.»
—Jemesuiscontentéedecompterlesmoutonsdansl’espoirdetrouverlesommeil,déclara-t-elle,mais sans beaucoup de succès, hélas. Si je ne suis pas très vive aujourd’hui, il ne faudra pas m’envouloir.
—Vousavezmangé,cematin?—Oui,jemesuisfaitmontermonpetitdéjeunerdansmachambre.Emmasouritdenouveauetajoutasuruntonmondain:—Quel beau temps d’automne ! J’ai de la chance pourmon premier jour àNewYork.Vous ne
m’aveztoujourspasditcequevousattendiezdemoi.S’agit-ilderéaménagercertainesdeschambres?Lesouriredecettejeunefemmeétaituneinviteàl’amour!Zaksentaitdéjàcettelourdeurexquiseet
douloureuseaucreuxdesesreins.Cettenuit,ilétaitrestélongtempslesyeuxgrandsouvertsdanslenoir,réfléchissantaurécitqu’elleluiavaitfaitdesonenfance.Samèrevolage,lemodestelogementoùtoutesdeuxdansaientausond’unemusiquesiassourdissantequelesvoisinsvitupéraient…Non,lavien’avaitpasgâtéEmma:petitefille,elleavaitéténégligée,pire,elleavaitététémoindelaviedissoluedesamère.Alalumièredecequ’elleavaitdit,oncomprenaitmieuxsonmariageaveccechanteurcélèbreetdroguébeaucoupplusâgéqu’elle.
MaisZakavaitfiniparretrouversonbonsens.Emman’étaitpasunevictimedelavie:c’étaitunemanipulatrice,aucontraire.Ellesavaittrèsbiencequ’ellefaisait,etsonmariageavecPattersonluiavaitpermisde tester sonemprise sur leshommes.Avec sapâlebeauté, soncorpsparfait, elle inspiraitunirrésistibledésirdeprotectionetenavaitprofité.Avait-elleracontésonhistoireàCiroentermesaussipathétiquesqu’hiersoir?C’étaitpossible,etcelaexpliquaitsansdoutequ’illuiaitsignéuncontratdetravailaussimirifique.QuantàNat,elleavait,nuldoute,trouvélesmotspouréveillerenluicetinstinctprotecteurmasculinqu’il avait confonduavec le sentiment amoureux, aupointd’abandonner saviedecoureurdejuponspourseconsacreràelle.
Zakserralesmâchoires.Ehbien,qu’ellelaisseNatenpaix,etfassesessimagréesavecunautre!Iln’était pas question qu’une femme comme elle, veuve d’un chanteur drogué de surcroît, entre dans lafamilleConstantinides.
—Venez,dit-ilàbrûle-pourpoint,sedirigeantverslaréception,jevaisvousmontrer.Commeilstraversaientlesdifférentssalonsderéceptiondel’hôtel,Emmaessayades’imprégnerde
l’atmosphèredeslieux.Dansl’avion,elleavaitétudiéavecattentiontouteslesbrochuresetprospectuspublicitairessurlePembroke,maiscequ’elledécouvraitétaitencoreplusluxueuxetplusraffiné.
LeGranchesterdeLondresétaitunpalacedetaillemodeste.Ici,ils’agissaitd’unhôtelimportantetparfait dans tous les sens du terme. L’élégance sobre qui le caractérisait avait dû coûter une fortune,Emman’étaitpasdupe,etellesedemandasiZakavaithéritédesonpèrel’argentdépensépourfaireduPembroke l’hôtel le plus prestigieux de Manhattan. Nat pourtant avait évoqué un jour une histoirecompliquée sur la fortune familiale, mais elle ne l’avait écoutée que d’une oreille. L’argent desConstantinidesnel’intéressaitpas,Natl’avaittoujourssu.Enrevanche,Zaknelecroiraitjamais.
Cederniervenaitd’ouvrirunedoubleportedestyleartdécosuperbe:—Voilàlesalonquevousdevrezréaménager,annonça-t-il.Emmapénétradansunesallepresquevide,maissplendide.L’espaceparlui-mêmeétaitsomptueux
avec ses murs recouverts de boiseries de bois massif, son plafond orné d’une mosaïque argent quiréfléchissaitlalumièreetévoquaitl’eaumouvante,etsurtoutcettemerveilleuseterrassequiprolongeaitlapièceetdonnaitdirectementsurCentralPark.
—Oh!Zak,c’estsublime!soufflaEmmaaprèsavoirpromenéunregardéblouiautourd’elle.Elleserepritvite:—Pardonnez-moicetteremarquebanale.Biensûrquecetespaceestmagnifique…—Certes,maisc’esttoujoursagréabled’entendreuneprofessionnellel’apprécier.Zakmarquaunepauseavantd’annoncer:—Jeveuxquevoustransformiezcesalon.—Seuleouavecuneéquipe?—Vousaurezuneassistanteetunbureaupourtravailler.Onvousdonneraaussiunecartedecrédit
pourengagerlesdépensesnécessaires.—Aquidevrai-jerendredescomptesquandj’auraiétablimonbudget?—Apersonne.EmmaregardaZaksanscomprendre.Celui-cihaussalesépaulesavantd’expliquer:—J’aivulesdépensesquevousengagiezauGranchester.Vousn’êtespasdispendieuse,Emma,au
contraire.Jevouslaissedonccarteblanche.Emmaneputs’empêcherdesourire.Cettemarquedeconfianceluifaisaitunplaisirimmense,mais
ellen’enditrien,etdemanda:—Commentutiliserez-vouscettesalle?Vousluivoyezunedestinationprécise?Laréponsedesoncompagnonlasidéra:—Jeveuxenfaireunsalonnuptial:lesgrandsdeNewYorketd’ailleurs,quandilssemarieront,
leferonticietyrecevrontleurfamilleetleursamis.Jeveuxquecesoitsomptueux.Puis,commeEmmaleregardait,éberluée,ilajouta:—Ondiraitquecelavousétonne?—Eneffet.—Pourquoi?Emmaréfléchit.Querisquait-elleàluidirelavérité?S’iln’étaitpascontent,illeluisignifieraitet,
aupire, larenverraitàLondres?Labelleaffaire!Haussant lesépaules,elleexpliquasurunpetit tontranquille:
—Parceque,mesemble-t-il,vousn’êtespaslegenred’hommefollementintéresséparlemariage.—Vous connaissez des hommes qui le sont ? rétorqua-t-il d’un ton acerbe. Il n’empêche que le
marchéexiste,surtoutici.Lesclientsdel’hôtelquandilssemarientretiennentsouventl’undenossalonspour y donner leur réception. A cause de la vue, bien sûr, du luxe, du service, bref, tout ce qui faitl’excellenceuniqueduPembroke.Jusqu’àprésent,j’aifaitlasourdeoreille,parcequelapublicitéquiaccompagnelelancementd’unespacepareilm’ennuie.Enoutrelemariagesembleencouragerchezlesfemmesunetendanceàl’hystériedontjemepassevolontiers.
Sonsourirecyniquen’avaitpaséchappéàEmmaquidemanda,perfide:
—Quelquechosevousadoncfaitchangerd’avis?—Quelqu’un,pourêtreprécis.Lecœurd’Emmasemitàbattreavecviolence,commeellerépétaitcommeunécho:—Quelqu’un?—Oui,unefemme.Elles’appelleLéda.Emmaavaitentenducenom,maisilluifallutquelquessecondespourréaliserqu’ils’agissaitdela
très belle jeune femme qui accompagnait Zak, ce fameux soir, dans le restaurant italien où elle-mêmedînaitavecNat.Unefemmebruneavecunecoupedecheveux trèsoriginale,qui rehaussaitencoreseshautespommettes.
—C’estlajeunefemmeavecquivousétiezàLondresl’autresoir?Cellequiportaituneminijupe,etdescuissardesencuirblanc?
—C’estelle,eneffet.—Et…et elle semarie ? interrogeadenouveauEmmaavec ladouloureuse impressionque son
cœurexplosait.Zakallait-il épouser labelleLéda?Pourquoicette éventualité éveillait-elle enelleun sentiment
brûlantquiressemblaitàs’yméprendreàdelajalousie?Emmaauraitdûêtreheureuse,aucontraire,etsedireque,sisonpatronsemariait,ilauraitmoinsdetempspoursurveillersonfrère.
—Quiépouse-t-elle?réussit-elleàdemanderd’unevoixmalassurée.—Unbanquiersuisse.Zakhaussalesépaules:—Unbravetypepastrèsexcitant,maisillarendraheureuse,jecrois.Emmapensaalorsàunephrasequ’avaitditeNat,cemêmesoir,parlantdeLéda.Quelsétaientses
termesexacts?Oui,s’adressantàZak,ilavaitlancé:«Toutlemondepensaitquetul’épouserais».Zakregrettait-ilLéda?Eprouvait-ildel’amertumeàl’idéequ’elleépouseun«bravetype»?
Lajeunefemmesetournaàdemipourluifaireface.—Quelmerveilleuxcadeauvousluioffrez!dit-elle.—C’estunedécisioncommerciale,lessentimentsn’ontrienàyvoir,rétorqua-t-ild’untondur.Sansinsister,Emmas’efforçadereportersonattentionsurleprojet.— Savez-vous ce que vous voulez pour ce salon ? demanda-t-elle. Préférez-vous un style
traditionnelouaucontrairecontemporain?Soncompagnonsecoualatête.—Cen’estpasmondomaine.Iljetaunrapideregardàsamontreavantd’ajouter:—D’unepart, jen’yconnaispasgrand-chose,etd’autrepart,celanem’intéressepas.J’imagine
quevousavezuneidéedudécorquiplaîtauxfuturesmariées,etjevouslaissedécider.Emmafronçalessourcils.—Avez-voussongéque,ayantétéobligéedeveniricisansavoirmonmotàdire,jepourraisfaire
exprèsdegâchervotresalonnuptialenledécorantenrosebonbon,parexemple?Vousimaginezcombienl’imageduPembrokeenpâtirait?Lesgourousdubongoûtnew-yorkaiss’endonneraientàcœurjoie.
Zaksepenchaet,percevantleseffluvescitronnésdesoneaudetoilette,Emmaéprouvacommeunlégervertige.
—Ilsnesegêneraientpas,eneffet,dit-ilavecdanslavoixunedangereusedouceur,maisceseraitunetrèsmauvaiseidéedevotrepart.Lesgensquicherchentàm’ennuyerleregrettenttoujours.
—Oujemetrompe,ouc’estunemenace,fitvaloirEmma.Ilsouritàpeine.—Non,justeunavertissementpourquevoussachiezquetoutn’estpaspossibleavecmoi.
—Il faudraitque jesoisbornéepournepas l’avoirdéjàcompris, rétorqua la jeune femmeavecaigreur,maisdites-moi,vousutilisezsouventcesméthodesd’intimidationavecvosemployés?
—Seulementavecceuxquiveulentmedonnerdufilà retordre,et ils sontpeunombreux,carengénéraljenelessupportepaslongtemps.
—Etsijevousdisaisquevousêtesodieuxetquejeneveuxpastravaillerpourvous?— Je serais le plus heureux des hommes, riposta Zak dont les yeux gris s’étaient animés d’un
étrangeéclat.Jeseraismêmetentédevousoffrirunandesalaireenguisedepréavis.Car il aurait gagné, Emma venait de le comprendre. Il aurait obtenu ce qu’il cherchait depuis le
début:sedébarrasserd’ellesansavoiràlalicencier.—Vousêtesodieux,cettefois,jevousledistoutnet!—C’estpossible,maislesfemmessemblentapprécierlafaçondontjelestraite.—Vousenêtessûr?—Disonsquejamaisaucunenes’estplainte.Leursregardssecroisèrent,etEmmavit lesyeuxdesoncompagnons’assombrir,enmêmetemps
quesabouchesefaisaitdure.Ilregrettaitcequ’ilvenaitdedire,etsurtoutletonsurlequelilavaitparlé.Car il s’était livré à une sorte de petit flirt tout à fait déplacé entre un patron et son employée.Maisc’étaitfait,ettantpis.
Soudain,Emmaenvisageadebaisser lemasque.Ellen’enpouvaitplus,voulaitqu’il cessede latourmenterainsi.Aquoijouait-il?Auchatetàlasouris?Etait-cesafaçondeluifaireducharme?Pluselle subissait son jeu, plus la tension croissait en elle, jusqu’à en devenir intolérable. Lui aussi étaittendu,ellelevoyait,lesentait,alorspourquoi…
C’estàcetinstantqu’unejoliejeunefemmebrunelesrejoignit.—Bonjour,Zak, lança-t-elle,etelles’immobilisa, lesvoyant figés l’unet l’autre,commesoudés
parleursregards.—Oh!Excusez-moi,reprit-elleaussitôt,jevousdérange,sansdoute?Zakreculad’unpas.Soncœurbattaitavecforce,etcommentnierqu’ilavaitbienfailliattirerEmma
danssesbras?L’aurait-ilembrasséealorsqu’elleétaitlamaîtressedesonfrère?Etait-ilcapabled’unetellebassesse?
Ilavalasasalive,s’efforçantd’oubliercehonteuxsentimentdeculpabilitémêlédefrustrationquilesubmergeait,etréussitàsourireàlanouvellevenue.
—Pasdu tout,Cindy,aucontraire. JevousprésenteEmmaGeary, ladécoratriceduGranchesterdontjevousaiparlé.Emmaetmoimettionsaupointcertainsdétailsessentielspournotrecollaboration,n’est-cepas,Emma?
LeméprisétaitclairdanslavoixdeZak,etpourtantcommeilétaitinjuste!Emmaenétaitdépitée.Ilavaitledondelarabaisseràsespropresyeux,commesielleétaitcoupable.Pourtant,latensionquiavaitjaillientreeuxavaitétéprovoquéeparceflirtdontilavaitétél’initiateur.C’estluiquiavaitparlédesonsuccèsaveclesfemmes,ellenel’avaitpasprovoqué,alorspourquoicetonméprisantmaintenant,commesielleluiavaitfaitdesavances?
Voilàqu’ilannonçait:—Cindyseravotreassistantepourleprojetdusalonnuptial.Commelanouvellevenueluitendaitlamain,Emmalaserraavecchaleur.— Pardonnez-nous, Cindy, vous êtes arrivée comme nous constations combien il est difficile et
contraignantdetravaillerpourmonsieurConstantinides,déclara-t-ellesurletondelaplaisanterie,maisj’apprendraisûrementàm’accommoderdesesexigencesetrecevraiavecplaisirtouslesconseilsquimefaciliteraientlatache.
Ellesouritpourajouter:
—Quoiqu’ilensoit,jesuisraviedevousconnaître,Cindy.Nousallonsfairedesmerveillesdanscettesallequideviendralesalonleplusdemandépourlesréceptionsdemariage.Etpuisjecomptesurvous pourme faire connaître tous les fournisseurs et tous les secrets desmeilleurs décorateurs new-yorkais!
—Ceseraavecplaisir,assuraCindy—Jevouslaissetouteslesdeux,déclaraalorsZakd’unevoixfroideetdétachée,bienqu’ilsoitfou
derage.Car non seulement Emma s’étaitmoquée de lui,mais comment ignorer lemépris dans le regard
qu’elleportaitsurlui?Cettefemmeallaittroploin!—Jepasseraidetempsentempsconstaterl’avancementdestravaux,reprit-il.Sivousavezbesoin
dequoiquecesoit,voyezl’unedemesassistantes.Emmaauraitdûêtresoulagéequ’il tourne les talons,maisunvidedouloureuxs’étaitcreusédans
soncœur,toutàcoup.CommeCindylaregardaitsanscomprendre,ellelançaàsontourimitantletondistantdeZak:—Entendu.Aundecesjours!—Leplustardseralemieux,murmura-t-il.IlavaitparlésibasqueCindyheureusementn’entenditpas.
7.
—Tuasfaittonchoix,Emma?L’interpelléeécarquillalesyeuxet,devantl’airétonnédeCindy,compritquecelle-ciluiavaitposé
unequestion.OrEmmaétaitàcepointdistraitequ’ellenel’avaitpasentendue.—Excuse-moi,balbutia-t-elle,semaudissantpoursonmanqued’attentiondeplusenplusfréquent,
cestemps-ci,j’avaislatêteailleurs.Quevoulais-tusavoir?Indiquantlesportesfenêtresouvrantsurlaterrasse,l’assistanteexpliqua:—Jemedemandaissituoptaispourdesrideauxdesoieouenvoile.Emmas’obligeaàseconcentrersurleséchantillonsétalésdevantelle.—Nil’unnil’autre,lemieux,jecrois,seracelinnaturel.Illaisserapasserassezdelumièretouten
créantuneatmosphère…EllesouritàCindyavantdepréciser:—Disons…uneatmosphèrenuptiale.Sur cesmots, elle reprit sa longue liste des points restant à régler, essayant d’y porter toute son
attention.D’habitude, quandelle travaillait, rienne comptait que sonprojet en cours, dans lequel elles’immergeaitenoublianttoutlereste.C’estcequiluiplaisaitdanslemétier.Concevoirl’aménagementd’unlieuobligeaitàsortirdesoi-mêmepourcréerunenvironnementdifférent,fruitdel’imagination.Orpourcaptercelle-cidanstoutesafertilité,ilnefallaitpenseràriend’autre.
Emmaavaitvusamèrelefairechaquefoisqu’ellesdéménageaient :parsongoûtetsacréativitépersonnelle,avectroisfoisrien,elletransformaitunnouvelappartement,aussiminablequeleprécédent,en un endroit gai, plein de vie et où on avait envie de faire la fête. C’était l’un des traits qu’Emmaadmiraitchezelle:lerefusdeselaisserabattreparlapauvreté.Elleavaitainsimontréàsafillequ’iln’était pas besoin de beaucoup d’argent pour améliorer son cadre de vie, l’imagination et le sens dumerveilleuxétaientbeaucoupplusimportants.Emmanel’avaitjamaisoublié,etpourretrouvercetalentdesamère,elleseplongeaitdanssonprojetencoursjusqu’àoublierlesmenusproblèmesdel’existencequotidienne.
Maiscettefois,ellen’yarrivaitpas.Ellesesentaitcommequelqu’unquiaétépiquéparuneguêpeetsouffred’uneréactionallergique
impossibleàcalmer.LapenséedeZaklatourmentaitsanscesse.Elleneparvenaitpasàoubliercedésirphysiquequ’iléveillaitenellerienqu’enl’effleurant,ouparunregarddesesyeuxténébreux.Manquait-elle à cepointde jugement et d’expériencepour éprouverun troublepareil face àunhommequi, parailleurs,neluiinspiraitqu’antipathie,sinonmépris?
Elle lui avait parlé de Louis, et en avait révélé plus qu’elle ne le faisait d’habitude quand onl’interrogeait.Pourquoi?Parcequ’ilavaitposélesbonnesquestions,ouparceque,commeilétaitson
patron,ilétaitenpositiondeforce?Danslesdeuxcas,cesaveuxavaientfragiliséEmma.Grâce au ciel,Cindy était vive et pleine d’énergie de sorte qu’elle ne s’offusquait pas quand la
jeune femmeavait la têteailleursou s’isolaitdans le silence.C’était engénéral après l’unedes raresvisitesdeZak,lorsqu’ilvenaitconstaterl’avancementdestravaux.
Carlesalonnuptialprenaittournure.Amesurequelestravauxavançaient,Emmaserendaitcomptecombien New York était la ville de l’efficacité. Elle découvrait d’ailleurs bien des aspects de cettemétropole,qu’ellen’avaitpassoupçonnéslorsdesonpremierséjourquelquedixansplutôt.Ilestvraiqu’alorsellen’avaitguèreconnuquedeschambresd’hôtelsombresdontonnerelevaitlesstoresqu’àlanuit, quandLouis émergeait d’un sommeil lourdoù l’avaient plongé l’alcool et la drogue…Autant desouvenirsqu’ellepréféraitoublier.
AvecCindy,aucontraire,ellesarpentaientManhattand’unpasvifdèslematin,chaudementvêtuespourseprotégerdupetitventd’automnesouventpénétrant.EnsembleellescouraientlesantiquairesdeBroadwayetdes10eet11eRues,ous’aventuraientdansSohoetChelseaàlarecherchedepiècespluscontemporaines.Aufildesjours,Emmaavaitapprisàaimerl’activitétrépidantedelaville,seslargesavenuespropresavecleursgrandstrottoirsoùilétaitsiagréabledemarcher.
Surprenant,EmmaavaitreçutrèspeudenouvellesdeNat:seulementdeuxSMSaprèssonarrivée.Elle-mêmeavaitessayédeluitéléphoner,maisn’avaitjointquesonrépondeur,etilavaitlaissésese-mailssansréponse.Avait-ilrencontréquelqu’un?
Unmatin, installée sur la terrasse, elle consultait des catalogues de linge de table pour le salonquandunbruitdepasluifitleverlatête:Zaksetenaitsurleseuildelaporte-fenêtre.
S’adjurant de rester professionnelle alors que son cœur s’emballait, Emma réussit à afficher unsourirepoli.
—Quellesurprise!s’exclama-t-elle.—Unesurpriseagréable,j’espère?renchéritZakavecironie.Lajeunefemmehaussalesépaules.Devait-ellefairesemblantd’ignorerqu’il l’évitaitdepuisson
arrivée,ouaucontrairesecomporterenadulteresponsable,etluidemanderpourquoi?— C’est à vous d’en décider, feignit-elle de plaisanter : ou vous continuez à jouer les grands
patronsquine supportentpasde restercinqminutesdans lamêmepiècequemoi,ouvousessayezdemieuxvousentendreavecmoi.
Il sortit sur la terrasse pour s’approcher. Elle était assise, bien emmitouflée dans une veste enlainage,sescheveuxblondsretenusparunélastiqueausommetdelatête.Pasuneoncedemaquillagesursonvisage,enrevancheZakremarqua toutdesuitequ’elleportaitduvernisàongles jaunepâle,de lacouleurexactedufoularddesoienouéautourdesoncou.C’étaitlapremièrefoisqu’ilvoyaitunefemmeavecduvernisjaune.
Iltiraunechaisepours’asseoiràcôtéd’elle.—Vousavezpeut-êtreraison,fit-ilobserversansbeaucoupd’amabilité.Un rapide regard avait suffi à Emma pour noter l’élégante chemise—de soie sans doute—, et
commesoufflaitunpetitventfroid,ellesuggéra:—Vousallezprendrefroid,enmanchesdechemise.Ilhaussaunsourcilnarquois.—Au risque de vous décevoir, j’ai réussi à survivre trente-six ans sans vos conseils et je n’ai
jamaisattrapédepneumonie.Emmaposasurlatablelecataloguequ’ellevenaitdeconsulter.—Etes-voustoujoursautantsurladéfensiveaveclesfemmes?Zakportasonregardsurleparc,devantlui.Non,ilnel’étaitpastoujours,maissesrelationsavec
les femmesétaient engénéral trèscodifiées : ily avait cellesavec lesquelles il faisaitdesaffairesetcellesquitravaillaientpourlui.Ilyavaitcelles—rares—avecquiilentretenaitdesrapportsaffectifs,
et celles qui partageaient son lit.Celles-là étaient nombreuses : chaque fois qu’il avait voulu coucheravecunefemme,iln’yavaitpaseudeproblème.
Jusqu’àmaintenant.Derrièresonsouriredistant,ilsesentaittendu,frustré.Envérité,ildésiraitEmmaGearyavecune
aviditéférocequiletenaitéveillélanuit,etquandilluiarrivaitdes’endormirc’étaitpourrêverd’elledansdessituationsérotiques.Ilseréveillaitalorsennageetn’avaitd’autresolutionquedeprendreunelonguedouchepour secalmer.Quesaviepasséesoit scandaleusepour leGrec fieret traditionnalistequ’ilétait,qu’elleaitunerelationavecsonfrère, rienneparvenaità tiédirsonardeurquipourtant luirenvoyaitunepiètreimagedelui-même.
—Jelesuissansdouteavecvousparcequevoussuscitezchezmoidesréactionsquejeréprouve,finit-ilparadmettre.
—Pourquoidonc?Parcequejenesuispasassezsoumise,etquejen’acceptepassansbronchertoutcequevousmedites?
Il tourna la tête pour regarder Emma, en même temps qu’il esquissait un haussement d’épaulesfataliste.
—Ilyaduvraidansvotreremarque.Votrefaçondemedéfieretvotreinsolencemesurprennent.Jen’ysuispashabitué.
—End’autrestermes,quoiquevousdisiezauxfemmes,ellessontd’accord?—Ellesn’éprouventpaslebesoindediscutermesordres.—Parcequevousaveztoujours«raison»?—C’estunpetitpluscomplexe,jelecrains.LeregarddeZakscintillasoudain,commeilajoutait:—Savez-vousquetouteslesfemmesadorentêtredominéesparunhomme?Emma secoua la tête, heureuse que le petit vent froid rafraîchisse ses joues qui menaçaient de
s’empourprer.QuandZaklaregardaitcommeencet instant, iln’étaitpasfacilede lui tenir tête,mêmequandilénonçaitdefaçonpéremptoiredeslieuxcommunsaussistupides.
—Vousdevez fréquenterdesgensbienparticuliers sivouspensezcequevousdites, rétorqua-t-elle.
—C’estpossible.Secalantcontreledossierdesonfauteuil,ZakpromenadenouveausonregardsurCentralPark.Les
arbresavaientperdutoutesleursfeuilles.Bientôtl’hiverseraitlà,etlesvacancesnetarderaientpas.SurleparvisduRockefellerCentersedresserait,commetouslesans,unimmensesapindeNoël,etlesgenspatineraient le soir sous ses guirlandes lumineuses. Le salon nuptial serait achevé, Emma rentrerait àLondres…auprèsdeNat.
Zakserralesdentscommeils’imaginaitlajeunefemmeavecsonfrère.Etsimalgrétout,quandilsseretrouveraientàNoël,ilsétaientamoureuxcommeaupremierjour?
Il avait toujours veillé sur Nat. Il s’était occupé de lui quand la famille avait explosé après ladéfectiondeleurpère,etl’avaitenversetcontretoutmaintenudanscequelui-mêmeestimaitêtreledroitchemin.Maisonnecontrôlepas toutdans lavie.Certainessituationsvouséchappent.Zakn’avaitpasoubliésamèreeffondréedanslesalon,sanglotantàfendrel’âme,tandisquesonpèreclaquaitlaportepourpartirversd’autreshorizonsenabandonnant sa famille.Qui auraitpu l’enempêcher?NiZaknipersonne!
Toutàcoup,uneimages’imposaàlui:EmmaenrobedemariéeaubrasdeNat,seslongscheveuxblonds flottant au vent. La vision se précisa au point qu’il voyait dans le détail sa robe blanche sedétachant sur le bleu intense de la Méditerranée… Peut-être donnerait-elle à Nat une ribambelled’enfants,qui,commeelle,appartiendraientalorsauclanConstantinides,etseraient liésàZakpour la
vie.Danscecas,ilseraitcontraintdelacôtoyeretdelatraitercommesabelle-sœuretnoncommelafemmequ’ildésiraitplusquetoutaumonde.
Alorscommenttuercedésirquileravageait,etpeuàpeuempoisonnaitsavieentière?Peut-êtreenlafréquentantdavantagedèsmaintenant,mêmes’illuiencoûtait…Pourl’instant,elle
avaitl’attraitirrésistibledufruitdéfendu,etilnel’endésiraitqueplus.S’ilpassaitunesoiréeavecelleàl’écouterbavarderdetoutetderiencommefontsouventlesfemmes,ilsedétendraitàmesurequ’elleluiparaîtraitbanalesinonennuyeuse.
Contretouteattenteils’entenditsoudainluidemander:—VousavezeuletempsdevisiterNewYork?LaquestionsurpritEmmaquihochalatête.—Oui.Elleavaiteneffetdécidédeconsacrersontempslibreàexplorercettevilledontellen’avaitrienvu
lors de son premier séjour. Elle avait commencé par un circuit touristique en bus, s’amusant dessuperlatifstoujoursplusenthousiastesduguide,chaquefoisquelevéhiculeralentissaitdevantl’undescélèbresgratte-cieldeManhattan.Cindyl’avaitaussiaidéeàdénicherlesmeilleuresgaleriesd’artdelaville,etl’avaitunjouraccompagnéeenferryàStatenIsland.Là,toutesdeuxs’étaientrégaléesdehotdoglongscommelebras.
—J’ai vu cequ’il y adeplus connudans laville, précisa-t-elle.Et tous les jours, je trouveunmomentpourmepromenerdansCentralPark.
Zaklaregardadroitdanslesyeux.— Ce soir, je suis invité à l’autre bout de Manhattan. Inutile que j’insiste pour que vous
m’accompagniezsivousavezdéjàparcourulavilledelongenlarge?Emmasetendit.—Pourquoim’inviteriez-vous?SaquestionétaitsidirectequeZaksourit.—Etsic’étaitpourfaireunpeumieuxconnaissanceavecvous?Aprèstout,danslecasoùmon
plandiaboliqueéchouerait,vousdeviendriezmabelle-sœur,non?Emmademeura silencieuse.C’était lemoment de lui avouer que cette prétendue idylle avecNat
étaituneplaisanterie,qu’iln’yavaitjamaisrieneudesentimentalentreeux.Maisuneobscureraisonl’enempêchaitencore:lacraintedesaréaction?Peut-être.Surtout,nefallait-ilpasd’abordprévenirNat?Celasemblaitlégitime.
Néanmoins,silapetitecomédieseprolongeait,quelleexcuseinvoquerpourrefusercetteinvitationquiressemblaitfortàunetentativederéconciliation?
—Dequelgenredesoirées’agit-il?demanda-t-elle,prudente.—Inutiledeprendrecetairméfiant, jenesuggèrepasun tête-à-têteauxchandelleschezmoi,au
coindufeu.Zaksemitàrire,puisserembrunitavantd’expliquer:—Parlonsclair:c’estunesoiréequejenepeuxpasrefuser.Vouspouvezveniravecmoisivous
voulez.Que répondre ?Qu’elle avait peur parce que, avecZak, elle se sentait trop… trop vulnérable ?
Emmahaussalesépaules.—D’accord,murmura-t-elleduboutdeslèvres.Soncompagnonplissalesyeuxavantdes’exclamer,ironique:—Quelenthousiasme!Jen’enattendaispastant!—Jefaiscequejepeux,admitEmma,dontlemauditcœurbattaitdeplusenplusvite.Dites-moi,
c’estunesoiréehabillée?
— Oui. Costumes sombres et robes longues. Je commanderai une voiture. Retrouvez-moi à20heuresàlaréception.
—Entendu.Le pouls d’Emma battait toujours à toute allure quand ,plus tard, elle fouilla sa penderie à la
recherched’unerobequiconviendraitàlasoirée.Maisriendecequ’elleavaitapportédeLondresneluiplaisait. Au bout d’une demi-heure de tergiversations, sa décision fut prise, et elle sortit : elles’achèteraitunetenueneuve,etquepersonnenevienneluidemanderpourquoi,cesoir,ilétaitimpératifqu’ellesesenteéléganteetbiendanssapeau…
Ellen’avaitpasfaitdeshoppingdepuislongtemps,etc’estavecunecertaineexcitationqu’elleserenditsurMadisonAvenue,oùs’alignentlesplusbellesboutiquesdemodedeNewYork.Certaineseneffetrecelaientdesmerveilles,maisparunphénomènequ’ellen’auraitsuexpliquer,Emman’avaitpasenvied’unerobenoireclassique,illuifallaitunetenueplusoriginale,sinonspectaculaire.Etc’estainsiqu’elle eut le coup de cœur pour une robe du soir blanche dont le drapé flattait ses formes sans lesmouler,ettombaitjusqu’ausolavecuneéléganceinouïe.Lavendeusen’eutpasàlaconvaincrequ’elleluiallaitàravir:Emmalesavaitd’instinct.Maisquelquesheuresplustard,alorsqu’elles’habillaitdanssasuite,l’angoisselasaisit:danssonenthousiasme,s’était-elletrompée?Larobeétaittropdécolletée,peut-être?Zakallait-illaprendrepourcequ’ellen’étaitpas?
LeregarddeZakquandelletraversalaréceptionpourlerejoindreaccrutsanervosité.—Matenuen’estpasappropriée?interrogea-t-elled’unevoixmalassurée.Appropriée?Zakavaitlabouchesèchecommeildétaillaitlajeunefemme.Larobesansmanches
avait un décolleté profond, et son étoffe soyeuse moulait ses seins pleins et fermes, soulignait lasomptueusecourbedeseshanches,puisseslonguescuisses.Sescheveuxsiclairstombaient,souplesetvaporeux,sursesépaules…Emmaévoquait…oui,elleévoquaitunedéessegrecque:unestatueparfaitequiseseraitsoudainanimée.Zakavaitétéfoudel’invitercesoir!
—Elleesttoutàfaitappropriée,n’ayezcrainte,répliqua-t-ild’unevoixunpeurauque,toutenlaconduisantvers la limousinequi attendait, je redoute seulementdedevoirpasser la soirée à jouer lesgardesducorps.
Emmafronçalessourcils.—D’aprèscequel’onditsurvotresuccèsauprèsdesfemmes,c’estpeut-êtremoiquivaisdevoir
jouercerôle.—Parcequevouspensezêtrecapabledetenirtêteàtouteslesfemmesquivontseprécipiterdans
mesbras?plaisanta-t-il.Ellecroisasonregardet,yvoyantunéclairdedéfi,elleripostasurlemêmetonbadin:—Jepourraitoujoursessayer.Maislecœurd’Emman’étaitpasàlaplaisanterie.Ilfallaitquesoncompagnoncessedeflirterainsi
avecelle,souspeinedeluifaireperdrelecontrôled’elle-même.Commentsupporterait-ellecettesoirées’ilavaitcepouvoirdesusciterenellepareilémoi?Pourchangerdesujet,elledemanda:
—Quinousreçoit,cesoir?—Unvieilamidemonpère.Sapetite-fille,Sofia,fêtesesvingtetunans,etildonneunesoirée
poursonanniversaire.EmmahochalatêtecommeluirevenaitquelquechosequeluiavaitditNat.—Votrefrèrem’aapprisquevotrepèreétaitmortl’andernier.Je…euh…jesuisnavrée,Zak.Ilneréponditpastoutdesuite,désarçonnéens’apercevantqueNatavaitdûluidirebiendeschoses
sursafamille,etqu’Emmadevaitensavoirdavantagesurluiquebeaucoupdegens.Sansdouteplusqu’iln’étaitnécessaire,etcelaneluiplaisaitpas.
—Merci,finit-ilpardireassezsèchement.
Emma n’insista pas, et, tournant la tête, regarda par la vitre la ville scintillante de lumière quidéfilait àmesureque lavoiture roulait.Celle-ci finitpar s’arrêterdevantunhôteldont la façadeétaitdécoréedeguirlandesdefleursrosesetblanches.
Sortantdelalimousine,Emmavittoutdesuitedesphotographesdepressepostésprèsdelaported’entrée, et entendit l’exclamation de dépit de Zak. Mais elle-même avait l’habitude d’échapper auxjournalistestropcurieux:ellebaissalatêtedetellesortequesescheveuxluitombèrentdevantlevisagecommeunrideau,etellefutàl’intérieurdel’hôtelavantmêmequ’unflashimportunnel’aitimmortaliséeàcôtédeZak.Celui-ci,quiluiavaitemboîtélepas,semitàrire.
—C’estlapremièrefoisqu’unefemmeévitedesefairephotographierenmacompagnie,expliqua-t-il,commeEmmaleregardaitsanscomprendre.
—Vouspensiezquejevoulaisqu’onnousvoieensemble?—Adirevrai,jen’yavaispaspensé.Entoutcas,ladiscrétiondecettejeunefemmeetsafaçonderefusertoutepublicitéplurentàZak,et
ilsepromitderévisersespréjugésàsonégard.Serait-elleunsimauvaischoixpoursonfrère,siellelerendaitheureux?Quantàlui,quandillaconnaîtraitunpeumieux,cedésirphysiqueabsurdequ’elleluiinspiraitdisparaîtraitsansl’ombred’undoute…
Lasoiréeavait lieudans lagrandesalledebalde l’hôtel, toutentièredécoréedesmêmes fleursroses et blanches que la façade. Tous les accessoires aussi avaient été choisis dans ces deux tons, ycompris les nappes, les assiettes, et même les dragées disposées dans de ravissants présentoirs deporcelaine rose.L’effetétaitunpeufacile, songeaEmma,maisconvenaitbienpourunanniversairedejeunefille.
Bientôtl’héroïnedelasoiréesurgitdevanteux,joliebrunelongueetsouplecommeuneliane,danssarobedetullerose,etellesautaaucoupdeZak.
—ThiosZakharias!s’écria-t-elleavecenthousiasme,commejesuiscontentedetevoircesoir.Etmerci,ohmercipourmesbouclesd’oreilles!
L’interpellésourit.—Ellesteplaisent?—Ellessontsublimes.Regarde,jelesaimisescesoir.La jeune femme repoussa ses beaux cheveux noirs pour découvrir deux clips ornés d’une grosse
perlefine.—Venezboireunverredechampagne,reprit-elle,grand-pèreetMamfontletourdesinvités,vous
netarderezpasàlesvoir.Ah,voiciLoukas,ilfautquej’aillel’embrasser!Emmaéprouvaunsoudainaccèsdetimidité,sesentantétrangèreparmicesinvitésquisemblaient
tousseconnaître.Beaucoups’exprimaientengrecettouteslesconversationsétaienttrèsanimées.—Lesgensontl’airdebiens’amuser,fit-elleobserveràl’adressedeZak.—LesGrecsadorentseretrouverpourfairelafête.La remarque eut le don de détendre Emma qui dès lors profita de la soirée. Zak l’y aida en se
révélantuncompagnonattentifettrèsagréable.Pendantl’apéritif,illuiprésentabeaucoupdegensdontelle essaya de se rappeler les noms, et qui tous la dévisagèrent avec une curiosité non dissimulée.Pendant lerepas, il luiexpliqual’histoiredechacundesplatsqui leurétaientservis,et l’amusaenluiracontantlesexploitsdugrand-pèredeSofia,qui,toutjeune,avaitquittésonîlenataleavecl’intentiondefairefortune,etyétaitrevenumilliardaire.
Lerepasachevé,l’orchestrecommençaàjouer,etcommelesgenssemettaientàdanserEmmasentitsatimiditérevenir.Bientôttoutlemondedansait,etZaketelleétaientlesseulsdemeurésàleurtable.Lemalaised’Emmas’accrut:ellesesentaitcommeuneétrangèreparmitoussesgens.
Zakplissalesyeux.—Pourquoicetairtriste?Avousvoir,onpenseraitquelafindumondeapproche.
Emmahaussalesépaules,luttantdetoutescesforcescontrecetteimpressiond’êtreseuleetperduedanscemilieuinconnu.
—Jetrouvequelamusiqueesttrèsforte,dit-ellepourdonnerlechange.—Onpeutpartir,sivousvoulez.Nousavonsfaitnotredevoir,plusriennenousretient.Cettesoiréen’étaitdoncqu’unpensumpour lui,et ilnes’encachaitpas.Emma,pourune raison
absurde,enfutpeinée,caraprèstoutill’avaitpasséeavecelle.Ellelevalesyeuxsursonbeauvisage,etunetentationirrésistiblelasubmergea.Etsielledansaitaveclui?Justeunefois.
N’écoutant pas la petite sonnette d’alarme qui pourtant rugissait dans sa tête, elle sourit, ets’entenditdéclarercommesic’étaituneautrequiparlaitàsaplace:
—Lasecondesolution,c’estquenousdansions.Zaksetendit.Toutelasoirée,ilavaitluttépournepastroplaregarder,tantelleétaitbelledanssa
robedelourdesoieblanchequimoulaitsesseinssomptueux,etsoulignait lacourbemagnifiquedeseshanches…Danseravecelleseraitdelafolie.Etpourtant…Oui,pourtant, ledésirdelatenirdanssesbrasétaitplusfortquetout.Unedanse,uneseule?Oùétaitlemal?
—Sivousvoulez,murmura-t-ilenselevant.Ellepritlamainqu’illuioffraitpourlesuivresurlapiste,etcenefutqu’aumomentoùill’enlaça
qu’ellepritconsciencedesesentirsipetite,simenue,entresesbras.Sonvisageatteignaitàpeinesonépaule,etsonodeurcitronnéecaressaitsesnarines,luifaisanttournerlatête.
Dansl’orchestre,uninstrumentdominaitlesautres,lancinant,hypnotique.—J’adoreceson,murmura-t-ellecontrel’épauledeZak.—Lebouzouki?Moiaussi,jel’aime.Certainsletrouventunpeutroppopulaire,maispourmoi,
c’esttoutelaGrèce.Zak,toutendansant,sentait leshanchesdelajeunefemmeondulertandisquesescheveuxblonds
caressaientsajoue.Elledansaitcommedansunrêve…Ilfermauninstantlesyeux:comments’étonnerqu’ellesoitsilégère,sisoupleentresesbrasquandsamèreluiavaitapprisàdanser?Iln’yavaitpluspenséquandilavaitacceptédel’entraînersurlapiste.Etmaintenantilcomprenaitqu’elleaitpurendreunhommefoudedésirrienqu’endansant.C’étaitcequiétaitarrivéàcechanteurderockvieillissant:ellel’avaitenvoûté.
Ilsentaitsesseinscontresapoitrine,sentaitmêmeleurspointesdressées,dures—oùétait-ceuneillusiondesessensenfiévrés?
Ilnetiendraitpaslongtempssanssetrahir,tantcettejeunefemmel’excitait,ilsecontenaitaupointquec’enétaitdouloureux.Ettoutàcoup,ileuthontedelui.IlsedégoûtaitdedésirerEmmaàcepoint!Quelgenred’hommeétait-ilpourselaisserexciterparlafemmequ’aimaitsonfrère?Ilfallaitarrêtercette comédie, l’arrêter tout de suite. Comment avoir imaginé qu’il pourrait danser avec elle et secontrôler?
Sans que rien ne le laisse prévoir, il lâcha la taille d’Emma et se pencha pour lui murmurer àl’oreille:
—Allons-nous-en!Lavoixétaitbasse,maisletonintraitable.Emmalevasonvisageverslui.—Pourquoi?Nousvenonsjustedecommenceràdanser!Alors,encetinstant,touteslesdéfensesqueZakavaittentéd’édifier,et toutledésir intensequ’il
avaitvoulurefoulersemuèrentenunerageindicible.— Je ne sais pas si vous êtes naïve ou si vous faites semblant de l’être, Emma, mais nous ne
pouvonspascontinuerainsi,siffla-t-ilentresesdents.Nousflirtons,dansons,sansvouloiradmettrecequenousdésironsl’unetl’autre.C’estmal,etnouslesavons,vousautantquemoi.Parceque,tôtoutard,nousnepourronsplusnousarrêter.Celavousparaîtpeut-êtrenormaldesortiravecdeuxhommesà la
fois,maismoi,çanemeplaîtpas.Certes,j’aienviedevous,maiscen’estpaspossible.Sivousvouleztoutsavoir,unepartiedemoiméprisevotrecharmeenvoûtantdesirène,mêmes’ilmeséduit.Etquevousayezensorcelémonpauvrefrèremerendmalade.
Letonétaitsidur,l’accusation,siviolentequ’Emmasutqu’elledevaitluidirelavéritémaintenant.D’ailleurs,n’aurait-ellepasdûlaluirévélerplustôt?
—Vousvoustrompezdutoutautout,murmura-t-elle,relevantlatêtepourregardersoncompagnondanslesyeux.Iln’yarienentreNatetmoi,etilnes’estjamaisrienpassé.
Zaksefigea.—Jenecomprendsrienàcequevousmedites!—Natetmoisommesbonsamis,c’esttout,expliquaEmma,et,cettefois,danssahâteàrétablirla
vérité, les mots semblaient lui échapper. Je vous ai laissé croire que nous étions amoureux sur lademandedeNatquiespéraitque,noussachantséparés,vous lesurveilleriezunpeumoins. Ilenavaitassezquevoussoyezsursondostoutletemps.Enoutreiltrouvaitquepourmacarrière,c’étaitunplusdepartirquelquetempsàNewYork.C’esttout.
—C’esttout,dites-vous?UneveinesemitàbattreàlatempedeZakenmêmetempsqu’ilintégraitcequ’ilvenaitd’entendre.
Voilà des jours que sa culpabilité le torturait, sans compter les longues nuits sans sommeil où il étaitrongéparlafrustration,etcettefemme,sijolie,siattirantequ’ellesoit,effaçaittoutenquelquesmots?C’enétaittrop…
—Ons’enva !gronda-t-il en lui saisissant lepoignetpour la raccompagnerà leur tableoùelleavaitlaissésonsac.
Celui-cirécupéré,illaguidaverslasortie.—Zak…—Taisez-vous!Dehors,cettefois, lesflashsdesphotographesdepressecrépitèrent, le tempsqu’ilss’engouffrent
danslevéhicule.
8.
Emma,enproieàunsentimentd’injusticeetd’incompréhension,pritplacesurlabanquettearrière.Murédansunsilencedemarbre,soncompagnons’installaàcôtéd’elleetlalimousinedémarra.
Quel autre choixavait-ellequed’obéir àZak?Etque fairemaintenant ?Profiterd’un feu rougepour bondir hors de la voiture, et courir héler un taxi ? Ce serait un peu théâtral. N’empêche que, àmesure qu’ils approchaient du Pembroke, Emma s’en voulait de s’être mise dans une situationimpossible.
ElleauraitdûparlerdeNatplus tôt,beaucoupplus tôt, surtoutquand,depuis ledébut,elleavaitsentiqu’ilsepassaitquelquechoseentreeux.Tousdeuxavaientluttécontrecetteattirancephysiquequilespoussaitl’unversl’autre,ellen’avaitjamaisétédupe,alorspourquoiavoirniél’évidencejusqu’àcequ’elleéclate,brûlante,gênante,aucoursd’unedanse,cesoir?MaintenantZak luienvoulait, il étaitivrederage,etEmman’avaitdereprocheàadresserqu’àelle-même!
EnarrivantauPembroke,elles’attendaitàlevoirsortirdevoiturecommeunfoupourdisparaîtresans l’attendre.Mais il l’escorta jusqu’à l’ascenseuretappuyad’ungeste furieuxsur leboutondesonétage.Danslacabineoùilsétaientseuls,l’atmosphèreétaitirrespirable.Soudain,Zakexplosa:
—Pourquoi?Peux-tumedirepourquoitum’asmentisurtarelationavecmonfrère?Il la tutoyait, maintenant : était-ce la colère ? Ou bien sa manière de ravaler Emma à un rang
inférieur?—Tusavaisbien,reprit-il,contenantmalsavoix,tusavaisquenousétionsattirésl’unparl’autre,
etquecedésirentrenousnefaisaitquecroitreàmesurequenousnousvoyions?Cegenredesituationt’excite?Dis-moi,tut’amusaisàmevoirluttercontreledésirquetum’inspirais?
—Non,biensûr.—Alorspourquoinepasm’avoirditlavérité?Emma ne répondit pas tout de suite. Comment lui avouer qu’elle s’était sentie trop vulnérable,
qu’elles’étaitprotégéederrièrecettemiseenscène,carelleavaitpeurdel’emprisequ’ilexerçaitsurelle. Samère avait été si souvent flouée, ridiculisée, par des hommes dont elle avait envie et qui luipromettaientmontsetmerveillespourl’abandonnersitôtqu’ilsavaientobtenucequ’ilsvoulaient.Quantàelle-même,sonmariagedésastreuxluiavaitbienmontréqu’elleétaitcommesamère:dépourvuedetoutjugement,s’agissantdusexemasculin.
—Cen’était jamais lebonmoment, finit-ellepardire,etaussi j’avaispromisàNatquevous lelaisserieztranquille.
—Sijel’ennuyais,iln’avaitqu’àtrouverlecouragedemeledireenface!assenaZakquisecoualatête,ahurisoudainden’avoirpasvul’évidence.
Car si Nat avait été sérieusement amoureux d’Emma, il n’aurait jamais supporté d’être séparéd’elle,ill’auraitrejointeoùqu’ellesoit,àNewYorkouailleurs!Pourquois’êtrelaisséaveugler?
Parceque,commetoujours,ilétaitmuparsonbesoindetoutcontrôler.Ilmanipulaitlesgenspourqu’ils agissent pour ce que lui-même considérait comme leur bien. Il était ainsi, et n’y pouvait rienchanger.D’ailleurs,cetraitdecaractèreavaitaussisesbonscôtés:c’étaitenmaîtrisantlasituationqu’ilavaitsauvésafamille.Quandlacréaturequ’avaitépouséesonpèreensecondesnocesavaitdilapidélafortunefamiliale,c’étaitlui,Zak,quiavaitassurélasurviedetousetlesavaitprotégés.
IljetaunregardàEmma,plusravissantequejamaisavecsesyeuxvertsenamandeetsacascadedecheveuxblonds.Il la laisseraità laportedesachambreavantderemonterdanslasienneoùilboiraitsansdoutejusqu’àplussoifpournepluspenseràsapropreimbécillité.
Mais comme il fixait la somptueuse robeblanche,moulée sur cecorpsqui l’avait excité toute lasoirée,unepenséeluivint:aprèstout,pourquoipas?Querisquait-il,maintenant?
Lesportesdelacabines’ouvrirentàl’étagedelajeunefemme.Commeellesortait,Zakluisaisitlepoignetpourlaretenir.Elleperditl’équilibreet,pourl’empêcherdetomber,ill’attiracontrelui.
—Nemetouchezpas!dit-elleavecuneviolencecontenue.—Abandonnecetairdeviergeeffarouchée,veux-tu,marmonna-t-il.Cesoir,nousallonsenfinfaire
cedontnousrêvonsdepuisquenousnoussommesvuspourlapremièrefois.Jevaist’embrasser,Emma,t’embrasseràt’enfaireperdrelaraison,puisjeteferail’amourencoreetencore.Amoins,biensûr,quetun’enaiespasenvie?
Les yeux verts s’étaient embués, Zak le vit, tout comme il vit les lèvres entrouvertes quifrémissaient,offertes.
—Oui,tuenasenvie,ironisa-t-ilencore.Pourtouttedire,jem’endoutaisunpeu.D’ungestedécidé,ilappuyasurleboutondutrente-quatrièmeétage,oùsetrouvaitsasuite.—Nousavonsassezattendu, tunetrouvespas?reprit-ilcommel’ascenseur redémarrait.Lanuit
nousappartient.Etdemain,nousauronspeut-êtreenfinlesidéesclaires.Emmafrémitquandilpritsabouche,etseslèvress’ouvrirentd’elles-mêmes,tantellesavaientfaim
de l’hommequi lesembrassait.Sentantsamainpossessivesur lapeaunuedesondos,elle fut toutdesuiteenfeu.Ah!commeelleavaitenvied’êtredévêtuecontre lui !Ledésir la ravageaitavec tantdeforcequesesjambesvacillaient.
Malgrélaviolencedesonémoi,dansunepartierestéelucidedesonesprit,Emmaavaitdumalàcroireque cela lui arrivait enfin.Parceque jamais auparavant, elle n’avait rien ressenti depareil.NiavecLouisniavecpersonne.Non, jamaisellen’avaitétéemportéeparun tourbillonqui ladépassait.C’estpourquoielles’étaitcruefrigide,aidéeencelaparcequedisaientleshommesdesfemmesqu’ilsneparvenaientpasà…àexciter…
Zakfouillaittoujourssabouchelorsquelesportesdel’ascenseurs’ouvrirent,révélantsurlepalieruncoupleentenuedesoiréequiécarquilladesyeuxincrédules.
—Bonsoir,lançaZak,trèsaimablementpuis,prenantlamaind’Emma,ill’entraînadanslecouloir.Emmaentenditalorslavoixchoquéedelafemme:—Tuasvucequ’ilsfaisaient,Earl?—Oui,réponditl’interpelléavecunsoupçond’envie.La jeune femme avait les joues rouges quand ils arrivèrent devant la suite de Zak, et, quelques
instantsplustard,elleétaitbientropbouleverséeparcequiluiarrivaitpours’intéresserausomptueuxdécordelapièce.
—Jeneteproposepasdeprendreunverre,luiditalorsZak,nousavonsassezattendu,etnousnesommespasicipourça.Etpuisilyaeutropd’imposture,entrenous:cesoir,jeveuxquenoussoyonshonnêtesl’unenversl’autre.Tucomprends?
Emmahochalatête.
—Tuvasmedirecequetuveuxdemoi,reprit-il,etjeleferai.SesmotsexcitèrentEmmaencoredavantage,maiselleeutpeuraussi,carcommentsavoircequ’elle
voulait?Uninstant,ellecrutquesesnerfsallaientlatrahir,maisZakvenaitdel’attirerdanssesbras,eteffleuraitsabouchedelasienne.Alorsunfrémissementl’agitatoutentièretantelleavaitenviedelui.
—Oh!Zak,souffla-t-elle,tandisqu’ilécartaitseslèvresduboutdesalangueexigeante,mêlantsonsouffleausien.
—Dis-moi,Emma,dis-moicequiteferaitplaisir.—Je…Lesmotsrestèrentbloquésdanssagorge:commentarticulercequ’ellen’avaitjamaisentrevuque
danssesfantasmeslesplusfous?—Ceci,peut-être,murmura-t-ilenempaumantsesseinspourencaresserlespointesdressées.Emmagémit,toutsoncorpstenduàl’extrême.—Oh!oui!gémit-elle.—Jelepensaisbien.Etceci,çateplaîtaussi?Enparlant,Zakavait faitglissersamain le longduventrede la jeunefemme,sesdoigts jouantà
peinesurl’étoffeblanchedelarobe,etsapaumes’immobilisa,possessive,lourde,sursonpubis.Puis,doucement,sesdoigtsexplorèrentlerenflementsisensible,etZak,ignorantlespetitscrisdeprotestationdelajeunefemme,laissasesdoigtscourirplusbas…
—Oh!Zak,articula-elle,lavoixbrisée,lesyeuxclos,terrifiéeàl’idéedetrahiràquelpointelleétaitignorantedeschosesdel’amour.
Il ladévoraitdu regard touten lacaressant,et sentaitmonteren luiuneexcitationcommeiln’enavaitplusconnuedepuis très longtemps.Elleaussi était excitéeet il aurait trèsbienpu laprendre là,debout,sansautreformedeprocès.Iléprouvaitencore,malgrésondésir,assezderagecontreellepourenavoirenvie.Laprendrevite,sanscaresse,delafaçonlaplusprimitive,etpuislarenvoyer…
Maisledésirqu’elleluiinspiraitétaittroppuissant,tropexceptionnelpourqu’ill’assouvissesansen profiter longuement, pleinement. S’ils devaient être ensemble une fois, pas davantage, leur plaisirdureraittoutelanuit,etcettenuitseraitinoubliablepourellecommepourlui.
Il la souleva sans effort, elle ouvrit les yeux, et il y lut un abandon qui l’emplit d’une indiciblesatisfaction.Ellequiavaitprotestéquandill’avaitaffirmédécouvraitmaintenantqu’eneffetlesfemmesaimaientêtredominéespar leshommes…Caril ladominait,ohoui!Zakpouvaitfaired’ellecequ’ilvoulait,latraitercommesonesclave,s’ilenavaitenvie,ellen’étaitplusenétatdeluirésister…
Danslachambre,illadéposadeboutdevantlelit.Toujoursjuchéesurseshautstalons,elleprituneprofondeinspirationtoutens’accrochantàsesépaulespournepasvaciller.
—Enlèvetesescarpins,ordonna-t-il.Emmanotaletonautoritaire,maiselleétaittropemportéeparsessensenfiévréspours’yarrêter,et,
avecdesgestesmaladroits,ellesedébarrassad’unechaussure,puisdel’autre.Privéealorsdesesseptcentimètresdetalon,ellesesentitminusculeetvulnérable,etcesentiments’accrutencorequandZakluidemandad’untondur:
—Tarobeestneuve?Ellesecontentadehocherlatête,etilbougonnaavecuneragemalcontenue:—Tantpis!En gestes nerveux, pressés, il lui arracha la belle robe blanche qu’il envoya valser sur le sol.
Ensuite,aveclamêmefébrilité,ilsedébarrassadesavestedecostumequiatterritàsontourparterre,àcôtédelarobe—noircontreblanc, lemêmecontrastequ’entre leursdeuxpeaux: foncéepour lui,etblanchepourEmma…
—Maintenant,c’esttoiquivasdéfairemonpantalon,intima-t-ilencore.
Le ton érotique de sa voix remplit Emma d’un sentiment d’urgence jusqu’alors inconnu, et uneévidencelafrappa:cequ’elleéprouvait,cequ’ellefaisaitétaitnormal,beau,etrienaumonden’étaitplusprécieuxquecequiétaitentraindesejouerentrel’hommeetlafemmequ’ilsétaient.Desesdoigtstremblants,elleessayadefaireglisserlafermetureEclairdupantalon,tendueàl’extrêmeparl’érectiondesoncompagnon.Ilémitunsoupirdecequidevaitêtredusoulagementquandsonsexelibérésurgit,dur,imposantsouslecaleçondesoienoire.Maisilsaisit lamaind’Emmaquandcelle-cicherchaàlarefermersurluipourlecaresser.
—Non,pascettefois!Occupe-toidemachemise…Ilôtaseschaussures,puisenvoyapromenersonpantaloncommeEmmas’affairaitsurlesboutonsde
lachemise.Quandellel’eutenlevée,ilsfurenttouslesdeuxfaceàface,nusoupresque:elleavecsonpetitsoutien-gorgeetunminusculestring,etluidanssonboxer-short.
Alors la peur s’empara de nouveau d’Emma. Lemoment de vérité approchait, et la catastrophepouvaitencorearriver.Emmaconnaîtrait-ellelamêmedéceptiondoubléed’unehumiliationcuisante?EtZaksedétournerait-ild’elle,ivrederageetdefrustration?Ellesentitsesjouess’empourprer.
—Tu rougis ? interrogea Zak d’une voix presque douce, caressant de son pouce la ligne de samâchoire.
—C’est…c’estquetoutvasivite,sedéfendit-elle.—Jenesuispassûrdepouvoirattendretrèslongtemps.Zakplissalesyeuxavantdereprendre:—Dis-moicequitefaitplaisir,Emma?Querépondre?Illuiavaitdemandéd’êtrefranche,maisilauraitétéfoudeleprévenirquepeut-
être,elleneseraitpas…Non,ellenedevaitpasleluidire…quedeviendrait-elles’ildécidaitdenepasallerplusloin?Alors,Emmaarticulalesmotsqueluidictaitsoncœur,ceuxqueluiinspiraitsondésirpourlui.
—Jeveuxquetusoiscequetues,souffla-t-elle.C’étaient bien les femmes, songea Zak avec ironie. Ne saisissait-elle pas l’absurdité de ses
paroles?Ellel’avaitabusépendantunmois,etmaintenantelleluidemandaitd’êtrelui-même!Mais son désir était le plus fort, tant pis pour la rouerie des femmes, il ne tenait plus tant il la
voulaitnue,àlui,pourlui!C’étaitsafemmepourcettenuit!Theos,ill’avaitattendueassezlongtemps!Une fois dégrafé leminuscule soutien-gorge, il ne put retenir une exclamation en découvrant les
magnifiquesseinsfermesetronds.Pressémaintenant,ilfitglisserlestringlelongdeslonguescuisses,puissedébarrassatrèsvitedesonboxer-short.Ilsétaientenfinnus!L’espaced’uninstantlesouffleluimanquaparcequecetéphémèrebonheur,qu’iln’avaitenvisagéquedanssesrêveslesplustorturés,étaitenfinlà,àsaportée!
Lesyeuxd’Emmaétaient embués, et il crut y percevoir une lueur d’appréhension.Avait-elle desdoutes?Desregrets?Ilnelefallaitpas,carplusriennelesarrêteraitmaintenant.
—Tuveuxfairel’amour,n’est-cepas?demanda-t-ild’unevoixrauque.—Oui.Avecunesortedegrondementsauvage,illapritdanssesbrasettousdeuxbasculèrentsurlelit.—Oh !Emma,marmonna-t-il, la voix étranglée,Emma, j’ai tant rêvéde cet instant !Toutes les
nuits,jem’interdisaisdepenseràtoi,maistum’apparaissaisenrêve,etmonrêvedevientréalité…Ilembrassaseslèvres,puissoncou,sesoreilles,etsesépaulesjusqu’àcequ’ellepoussedespetits
crisdeplaisirsurgisduplusprofondd’elle-même.Alorssabouches’emparadelapointed’unsein,qu’iltaquina du bout de sa langue tandis que samain descendait toujours plus bas, le long de son ventre,jusqu’aucœurdesaféminité.
—Zak!gémit-ellequandundesesdoigtss’insinuaenelle.
Mais,bientôt, sesappréhensionsdisparaissaient,comme il lacaressait, explorantdesondoigt sachaleurhumide.
Le plaisir assaillitEmma commeune vague brûlante que rien n’aurait pu arrêter.Elle sentait lesbattements puissants du cœur de Zak, et respirait l’odeur de sa propre excitation, comme son corpss’épanouissaitsouscettecaresseintime.Etbientôtelleéprouvalebesoinurgent,irrésistible,d’enavoirplus,d’avoirZakenelleaussiloinqu’ilétaitpossible.
—Jet’enprie,souffla-t-elle.Ill’abandonnaletempsdetrouverdansletiroirdelatabledenuitdequoiseprotéger,etcomme
Emmagémissaitdoucementilseretournapourl’attirerdenouveaudanssesbras.Letempsdescaressesétaitpassé,pourluicommepourelle.N’ytenantplus,Zaklapénétra,glissant
loindansladouceurdesonsexe.Emma eut un petit cri étranglé et Zak crut y déceler une note… de surprise, peut-être ? Il
s’immobilisa,lasentantseraidir.Maiscelaneduraquel’espaced’unsouffle.—Emma?murmura-t-il,laregardantsanscomprendre.Elleavaitlesyeuxfermésetsonvisageétaitàpeinesoulevé,commeunefleurcherchantlesoleil.—Emma?—Fais-moil’amour,jet’enprie,Zak…Ilcommençaàremuerenelle,toujoursplusloindanssachaleurhumide,sapeausombre,presque
noire,contrelasiennesiblanche.Ilavaitcouvertsabouchedeseslèvres,etlatenaitétroitementcommeleursdeuxcorpssecabraientensembleaurythmetoujoursplusrapidedeceva-et-vientvieuxcommelemonde.
Zakvoulaitjouir:ilseretenaitdepuisl’instantoùill’avaitpénétrée,etjamaisdesavieiln’avaiteu autant de mal à se contrôler. Il se faisait l’impression d’un adolescent à sa première fois. Il luisemblaitqu’iln’yavaitjamaiseudefemmeavantcelle-ci,etilladésiraitcommejamaisauparavant.
Ilattenditpourtantd’entendresonsoufflesefairepluscourtetdesentirlelongfrémissementdesoncorps,commesiellesecrispaitautourdelui.Alors,seulement,illibérasasemenceavecuneviolencequilepropulsadansununiverstourbillonnantdesensationsinouïes…
CommeEmmafrémissaitencore,ils’accrochaàellepourenfouirsabouchedanslasoiepâledesescheveux,etdelongsinstantsdurantlesilencedelapiècenefuttroubléqueparleursdeuxrespirationshaletantes.
Zakauraitaiméretenircemomentpour l’éternité,mais il fallaitd’abordqu’ilsache lavérité.Sesoulevantsuruncoude,ilobservaEmma,sonvisageencoreempourpré,sesyeuxlasetcommeétonnés.
—Emma?Savoixétaitmalassurée,maisilenauraitlecœurnet.—Dis-moilavérité,Emma,tuétaisvierge?Est-cepossible?
9.
—Ausensstrict,jecrainsqueoui,admitEmma,quifermaaussitôtlesyeuxpourmasquersagêne.—Strict?Dequoiparles-tu?interrogeaZakavecimpatience.Tul’étaisoupas?La question ressemblait fort à une accusation.Emma, qui voguait encore sur les ailes du plaisir,
redescendit sur terre.Elle aurait tant aimé rester dans cet état de béatitude irréelle, quand elle venaitseulementdedécouvriràquelpointleplaisirpouvaitêtreexaltant!Hélas,Zakl’interrogeait,voulaitdesréponses,etiln’étaitpashommeàlesattendrelongtemps.
Elleseredressaàdemipourdemanderaveclassitude:—Faut-ilquenousparlionsdecelamaintenant?—Oui!Tupréfèresattendred’êtreoccupéeàaccrocherlesrideauxdanslesalonnuptial,pendant
queCindyécouteranotreconversation?—Non.—Alorsjeveuxtesexplications.—Iln’yapasgrand-choseàdire,soupiraEmma,sinonqueLouisetmoin’avonsjamaisconsommé
notremariageausenslittéralduterme.—LouisPattersonétaitpourtantcélèbrepoursesprouessessexuelles!—Ilétaitaussigrosconsommateurdedrogueetd’alcool!CroisantleregarddeZak,Emmafuttoutàcoupprochedeslarmes.Maiselleneluimontreraitpas
combienelleétaitvulnérable.—Faut-ilquejet’expliquetoutdansledétail,Zak?Tudoiscomprendrecequejeveuxdire,non?—Ilétaitimpuissant?interrogeal’interpelléaprèsunsilencepesant.Emma hocha la tête, tandis qu’un douloureux sentiment qu’elle connaissait bien l’étreignait de
nouveau.Carelles’étaitsentieresponsable,àl’époque.Pourtant,aprèsavoircherchédansleslivresetsur internet, elle avait appris que l’impuissance était l’un des effets secondaires les plus fréquents del’abus de drogues et d’alcool. Néanmoins elle s’était culpabilisée : tout était sa faute, elle était tropignorantedeschosesdel’amour,ettropfaibleaussi,puisqu’elleneparvenaitpasàempêchersonmaridesedroguer.Et si elle avait étéplus jolie, et plus attirante, plus expérimentée, peut-êtreLouis aurait-ilpu…
Louisbiensûr,aulieudelarassurer,l’avaitaucontraireconfortéedanssaculpabilité,affirmantquenon,luin’yétaitpourrien,d’ailleursiln’avaitjamaiseudeproblèmesexuelavantdelaconnaître.
—Oui,admit-elled’unetoutepetitevoix,ill’était.Zakdemeuramuetunmoment,secontentantdesecouerlatêted’unairincrédule.—J’aidumalàlecroire,finit-ilparmurmurer.—Cen’esttoutdemêmepasuncrimed’êtrevierge!tentadeprotesterEmma.
—Laquestionn’estpaslà,ettulesais!Jamaisjen’auraispul’imaginer,ettudevaist’endouter.Maissoittun’aspaspenséàmeledire,soittuasdécidédenepaslefaire.Orj’auraisvoululesavoir,Emma,etdécidersiouiounon jevoulaisêtre lepremierpour toi.Etpuis,pourquoimoi,etpourquoimaintenant?
Emmafrissonna,etremontasurelleleduvetfroissé.Avait-elleeutortdesetaire?Peut-être,maissurtoutn’avait-ellepasredouté,àuncertainniveaudeconscience,que,lesachant,unsensdel’honneurmalplacéretienneZakd’allerjusqu’aubout?
—Pourquoitoi?soupira-t-elle.Ai-jebesoindetedirecombientuesséduisant,Zak?J’avaisenviedetoi,c’étaitplusfortquemoi,situveuxlavérité.
Aprèsquelquesinstantsderéflexion,Zakdemanda:—Iln’yajamaiseupersonned’autre?Denouveau,Emmaperçutl’incrédulitédanssavoix.—Non.SonexpérienceavecLouisavait renforcésaméfianceà l’égarddeshommes,méfiancequis’était
formée à son insu en observant le comportement de sa mère. Louis l’avait complexée, lui affirmantqu’ellen’étaitpasnormaleau lit,etelle l’avaitcru,éprouvantmalgréelleunesortedesoulagementàl’idéed’êtrefrigide.Ainsi,ellen’auraitjamaisplusrienàfaireavecleshommesquin’apportaientquetourmentsetennuis.Rayerlesexemasculindesavieneluiavaitposéaucunproblème,dumoinsjusqu’aujouroùelleétaitentréedanslebureaudeZak.
—Jepensaisquej’étaisfrigide,avoua-t-elled’unetoutepetitevoix.Zakeutunrirebref.—Ehbien,jepeuxt’assurerquetunel’espas!Ilsemoquaitd’elleàprésent.Emmasentitsesjouess’empourprer,etbalbutia:— Nous avons eu tort, nous n’aurions jamais dû. Je vais filer, regagner ma chambrée, et nous
oublieronstouslesdeuxcequivientdesepasser.Joignantlegesteàlaparole,elleseredressad’unmouvementsouplepoursortirdulit.Zakréagitaussitôt:—Pasquestionquetut’enailles!s’exclama-t-ilavecunesortedesauvagerie.Nousavonstoutela
nuitdevantnous.Enparlant,ilportaitmaintenantsurelleunregardbrûlantdeconvoitise,etàsagrandehonte,Emma
sutqu’ellenerésisteraitpas.Quandill’attiradanssesbras,etelleselaissaaller,docile,heureuse.—Je suis seulementunpeuahuridedécouvrirque j’étais lepremier, souffla-t-il tout contre son
oreille,etj’espèreque…Iln’allapasplusloinetpritsabouche.Quand, de longs instants plus tard, leurs lèvres se séparèrent, Emma demanda d’une voix mal
assurée.—Qu’espères-tu?—Quetun’aspasattendusilongtempspourrien:quej’aisutedonnerduplaisir.Emma se redressa.Avait-il pitié d’elle ? La pitié !Un sentiment qu’elle redoutait entre tous, et
qu’elleavaittoujoursévitéd’inspirer!Estimait-ilqu’elleétaitàplaindrepourêtrerestéeviergejusqu’àl’âgedevingt-neufans?
—Tume demandes de noter ta performance sur une échelle de un à dix ? demanda-t-elle avechauteur.
Zakéclataderiretoutenlaserrantcontrelui.—Nonbiensûr,jen’aijamaiseubesoinqu’onmerassuredanscedomaine.Sansdoute les femmesavecqui ilavaitcouché luiavaient toujoursditquelamantmerveilleux il
était,songeaEmma,vitetroubléeparZak,quitaquinaitàprésentsesseinsduboutdelalangue.Bientôt,
ellefrémitdelatêteauxpieds,enmêmetempsqu’unfeuintenses’éveillaitaucreuxdesesreins.Rejetantlatêteenarrière,ellemurmurad’unevoixétranglée:—Oh!Zak…Ilsoulevaàpeinelatête.—Chut,articula-t-il,laisse-moifaire,lasecondefoisestsouventmeilleure.—M…meilleure?—Oui,pluslente…plusexquise…Mmh…—Zak?Que…quefais-tu?Ilavaitnichésonvisagetoutenbasdesonventre,ettournantuninstantlatête,regardaEmmaavec
unelueurquilafittremblerd’anticipation.—Jevaist’embrasserpartoutoùtuesdouceetfemme,tuvasvoircommec’estbon.Elleauraitvouluprotester,maisquandelleouvritlabouche,Zakavaitdéjàenfouisonvisageentre
sescuisses,etsalangues’aventuraitenelle…Oh!ill’embrassaitlà…ellesentaitleboutdesalanguequicherchait,taquinait,excitait…C’étaitsibon!
Emmagémit,inconscientedetoutsaufdubonheurineffablequ’illuidonnait.Sescuissess’étaientécartéesd’elles-mêmes,commepourmieuxluioffrirsonsexeépanouid’oùcoulaitlesucduplaisir.
Son secondorgasme laprit par surprise, plus fort encoreque lepremier, et elle sut alorsque leplaisir sexuel était une réalité, qu’il suffisait d’être avec l’homme que l’on désirait pour le connaîtreencoreetencore.
—Oh,Zak!gémit-elledenouveau.Sansrépondre,ilattenditlesderniersspasmesduplaisirpourseredresserd’unmouvementsouple,
et plonger en elle, long, dur, profond. Puis le rythme de son corps changea, elle le sentit se tendre,entenditsonsoupirétouffé,puiss’abandonner,lourdetbrûlantdanssonventre…
Sansunmot,ellenoualesbrasautourdesoncou.Ilnefallaitpasromprelecharme.Peut-êtrenereferaient-ilsplusjamaisl’amour?Entreeux,c’étaitl’affaired’unenuit,riend’autre.Quepouvait-elleespérerd’unhommecommeZakConstantinides?
Larespirationcalmeetrégulièredesoncompagnonlatirabrusquementdesespensées.Ildormait!Remuantlemoinspossible,elletournalatêtepourregardersabelleboucheàpeineentrouverte,etsescheveuxdejais,sisombrescontrelablancheurdel’oreiller.Détendu,ilétaitsibeau!Emmaauraitpulecontemplerdesheuresdurant!Etpourtantelleseressaisit:oùétaitpasséesalucidité?
Ellen’étaitpourZakqu’unefemmeparmi tantd’autres, inutiledese leurrer.Mieuxvalaitvoir laréalitéenface,sidouloureusesoit-elle.EnGrecorgueilleuxetmachoqu’ilétait,ilétaithorrifiéparsonpassé, il le lui avait dit lui-même, et qu’il lui ait fait l’amour ce soir n’y changeait rien. Alors quepouvait-elleespérerdelui?Qu’illaconduisedemainchezleplusgrandbijoutierdeNewYorkpourluiacheterunebaguedefiançailles?Retombesurterre,Emma,quelschoixas-tu,etquelleestlasolutionlamoinsmauvaise?
Ellepouvaitpasser lanuit iciavecZak,s’enivrerdesadoucechaleur, lecontempleravecdélicejusqu’à l’aube… Comme c’était tentant ! Mais au petit jour, il se réveillerait, et que se diraient-ils,alors?
Selontoutevraisemblance,Zakregretteraitcequis’étaitpassé.Alors,quitterlasuiteavecsarobetoutefroisséedansladurelumièredupetitmatinseraitinsupportable.Emmafrissonna.
Sic’étaituneaventured’unenuit,ehbienellegarderaitsonamour-propreintact!Enpartantsansattendrel’aube,iln’yauraitpasd’adieuxgênés,stupides,humiliants…
Prenantgardedenepasfairedebruit,Emmaseglissahorsdulit.Grâceauciel,Zaknebronchapas, et elle put récupérer ses vêtements qu’elle porta dans le salon pour se rhabiller. Ses mainstremblaientcommeelleajustaitsarobe,etl’idéequeZakseréveillelaterrifiait.Commentl’affronterait-elle sans qu’il lise en elle ? Car il risquerait de comprendre, alors, que cette nuit ne lui avait pas
seulementrévéléqu’elleétaitunefemmenormale.Emmasesentaitdésormaisplusfragileencore,commesi la barrière qu’elle avait érigée autour d’elle s’était effondrée, et qu’elle était désormais nue, sansprotection.Toutaufondd’elle-même,unequestioncommençaiteneffetàlatarauder:n’était-ellepasentraindetomberamoureusedeZakConstantinides?
Al’instantoùelleouvraitlaportesansbruit,elleaperçutsonrefletdanslegrandmiroir,au-dessusdelacheminée,etenfuteffarée.Avecsescheveuxendésordre,sarobetoutefroissée,etsurtout,surtout,l’expressionégaréedesonvisage,elleétaitl’imagemêmedelafemmedontlaseulefonctiondanslavieestdedonnerduplaisirauxhommes!Ellesemitàtrembler.
Parcequesonrefletdanslaglaceluirappelaitsamère,quandellevenaitdequitterlesbrasd’unhommequ’elleauraitvouluretenir.C’estainsiquelapetitefillequ’Emmaétaitalorslavoyaitlematin,quandelleprenaitsonpetitdéjeuneravantdepartiràl’école!Orcettepetitefilles’étaitjuréqu’elleneseraitjamaisainsi!
Aprèsavoirrécupérésonsac,Emmafilasansbruit,refermantlaportesurelle.
10.
— Si je n’étais pas bien placé pour savoir ce que je sais, je te demanderais s’il est dans teshabitudesdeprofiterdusommeild’unhommepourdisparaîtresansmêmeluidireaurevoir!
EmmaessayadepercerleregarddeZak.Quelsentimentluidictaitsesparolesénoncéessuruntontrèsdur?Lacolère?Oujusteuneviolentefrustrationparcequec’étaitellequiavaitdécidédepartir,lanuitdernière,etquepourunefoisiln’avaitpasdictésaloi?
Elleétaithabilléechaudement,etpourtantelleavaitfroid.L’hiverétaitsansdoutetropavancépourqu’elletravailleencoresurlaterrasse,maiscematin,aprèssanuitd’amour,bouleversée,enproieàunenervosité insupportable, elle avait ressenti le besoinde s’échapper, ouplutôt de lui échapper, sachantpourtantqu’illarejoindraitquandilenauraitenvie
—Jenevoulaispasteréveiller,protesta-t-ellesansconviction.—Pourquoi?—Parceque…Ellehésitaetsoudainsadécisionfutprise:pourquoijouerauchatetàlasouris?Nes’était-elle
pasmiseànuquandilsavaientfaitl’amour?Zaklaconnaissaitmaintenantmieuxquequiconque:mieuxqueLouis,etmieuxmêmequesapropremère…
—Parcequej’avaispeurquetuteréveillescematinenregrettantcequenousavionsfait.Ilyeutunsilencejusqu’àcequ’Emma,n’ytenantplus,demande:—Jenemetrompaispas,n’est-cepas?Zak avait noté son visage très pâle, et le trouble dans ses yeux verts. Elle avait rassemblé ses
cheveux enun chignonperché au sommetdu crâne, et dans sonvieux jean et sa veste en lainage, ellen’avait plus rien à voir avec la déesse grecque qui avait dansé dans ses bras, la veille. La questionqu’ellevenaitdeluiposerprouvait,s’ilenétaitbesoin,combienelleétait inexpérimentée.Unefemmeavertien’auraitjamaisétéaussidirecteaprèsuneseulenuitavecunamant:elleauraittropredoutéqu’ilneprennepeur…
Parassociationd’idées,ilpensaalorsauphotographequiavaitsurprisleurrapidesortieaprèslaréception,laveille,etilserralesdents.Cematin,touteslesrédactionsdétenaientsansdouteunclichéqu’elles publieraient un jour ou l’autre, quand l’actualité ne serait pas assez riche pour remplir leurscolonnes.Alors, à coup sûr, suivraient les spéculations habituelles sur la «mystérieuse blonde » quil’accompagnaitcesoir-là.
—Cen’étaitpeut-êtrepasunetrèsbonneidée,secontenta-t-ilderépondre.Emmasentitsoncœurvaciller.—Cen’étaitpasbonpourtoi?
Denouveau,ilserralesdents.Aquiconqueluiauraitposélaquestion,ilauraitrépondudenepasjouerlesnaïves,maisEmmaleregardaitavectantd’inquiétude!Comptetenudesonhistoire,Zakavaitledevoirdelarassurersansluidonnerdefauxespoirs.
—J’aieubeaucoupdeplaisir,aucontraire,déclara-t-ilenpesantsesmots,commetoi,jecrois?—Oui,admit-elledansunsouffle.—PrionslecielqueNatnevoiepaslesphotosqu’ontprisesdenouslesreportershiersoir.Emmaleregardaavecétonnement:—Jet’aiditqu’iln’yavaitjamaisrieneuentreluietmoi.—Ilvautmieuxquandmêmequetuneluiendisesrien,saufs’ilt’interroge,biensûr.—Iln’estpasquestionquejeparleàquiquecesoit,s’exclamaEmma,tupeuxmefaireconfiance.Etellereprituninstantplustard,malgrécequ’illuiencoûtait:—D’ailleurs,sic’estplussimplepourtoi,jepeuxrentrertoutdesuiteàLondres.Jelaisseraides
instructionsàCindy,ellesedébrouilleratrèsbien.Toutlematérielestcommandéetdevraitarriverdanslasemaine,ilneresteraplusqu’àassurerlamiseenplace.Ceseral’affairedequelquesjours.Etjenesuispasindispensablepourlasoiréed’inauguration.
Zakplissalesyeux:—D’habitude,quandjefaisl’amouràunefemme,ellen’apasenviededisparaîtreàl’autreboutdu
mondedèslelendemain,déclara-t-ilavecironie.—Jen’aipasditquej’enavaisenvie,murmuraEmma,baissantlesyeux,maisceseraitpeut-êtrele
plussage.—Tuneparsnullepart,déclaraZakd’untonquin’admettaitpaslaréplique.Aujourd’hui,tuvas
travaillercommed’habitude,etcesoir,à20heures,tuviendrasmerejoindrepourdîner.—Dîner?Commentcela?—Qu’ya-t-ildesiextravagant,comptetenudescirconstances?Saufévidemmentsituasd’autres
projets.Emmaluttacontrelesourirequimenaçaitd’illuminersonvisage.Ilnefallaitpastrahirsonbonheur,
etcefutsuruntonàpeuprèsdétachéqu’ellerépliqua:—Non,jepeuxtrèsbiendîneravectoi.—Parfait, j’aides réunionsà l’autreboutde laville, j’enverraiunevoiture te chercher, et nous
nousretrouveronsaurestaurant.Celateva?—Toutàfait.Ilseleva.Allait-ill’embrasseravantdepartir,laserrerdanssesbras,avoirungestedetendresse
rappelantqu’ilsavaientpassélanuitensembleets’étaientaimésàlafolie?Non.Ilsecontentad’unbrefsourireavantdetournerlestalons.
Ilneluiavaitmêmepasdits’ilregrettaitcequiétaitarrivé!Emmadécidadecesserd’ypenserenseconsacrantàsontravail.AvecCindy,ilrestaitencorecertainschoixàfaire:lacouleurdesbougiesqui éclaireraient les tables, par exemple, et la décision ne fut pas facile à prendre. Ensuite, il fallutaccrocheruntableauaumur,etlesdeuxjeunesfemmess’yattelèrentjusqu’àcequ’Emmafûttoutàfaitsatisfaite.
—Tuesunevraieperfectionniste!lataquinaCindyquandlatoilefutenplace.Emmaluirenditsonsourire.—Disonsquejefaisattentionauxdétails.C’estimportantdansmonmétier.
***
La journée fut trèsoccupée,mais, le soirvenu,Emmasentit renaître sanervositéen regagnant sachambreavantdesortirdîner.Pournerienarranger,quandelleouvritlejournalquiavaitétéglissésous
saportecommetouslesjoursetvoulutjeteruncoupd’œilàlarubriquepeople,elledécouvritunephotod’elle,sortantdelafêtedeSofia,escortéedeZak.
Voilà des années qu’elle ne s’était plus vue dans la presse, et elle éprouva lemême dégoût quejadis:cetteimpressionodieused’êtrelivréeenpâtureaumondeentiersansenavoirétéinformée.
C’estdanscetétatd’espritqu’elleprit sadoucheavantdes’habiller,etcontrairementà laveilleelle choisit une petite robe noire toute simple, qu’elle agrémenta d’un long sautoir en perles.Rien devoyant,cesoir:aprèscequiétaitarrivéaprèslafête,ellepréféraitpasserinaperçue.
S’étantmunie d’uneveste chaude, elle descendit à la réceptionoù le portier l’escorta jusqu’à lavoiturequil’attendait.
Un longmomentaprès,car il avait fallu traverserManhattandans ladensecirculationdusoir, lechauffeur ralentissait devant un restaurant discrètement éclairé. Cette sobriété était, Emma le savait,l’apanageduvraichic,àNewYorkcommeailleurs.
Unefoisentrée,lajeunefemmedonnalenomdeZak,etilluifutréponduqu’iln’étaitpasencorearrivé.Voulait-ellel’attendreaubar,ous’installertoutdesuiteàlatablequileurétaitréservée?
Emmaoptapourlatableet,entraversantlatrèsbellesalleàmanger,elles’efforçadegarderlatêtehautepourmieuxdissimulersanervosité.Quefaisait-elledansunendroitpareil?sedemandait-ellepourlaénièmefois.Pourquoiavoiracceptél’invitationd’unhommequin’étaitmêmepascapabled’arriveràl’heure?
Elle commanda de l’eau minérale et, comme elle en buvait une gorgée, s’aperçut qu’elle étaitl’uniquefemmeseuledel’assistance.Sonmalaises’accrut.
ZakfinitpararriveraprèsuneattentequiluiparutinterminableetEmmasentitsoncœurs’emballertantilétaitbeau.Danslalumièretamiséedurestaurant,sonteintsombreprenaitdesrefletsdorés,etellesepritàfrissonner,commeluirevenaientavecuneprécisionconfondantelessouvenirsdelanuit.
—Pardond’êtreenretard,dit-ilens’asseyant.—Cen’estpasgrave.Jemesuisamuséeàdétaillerladécorationetj’yaitrouvépasmald’idées
quinemeseraientpasvenuesàl’esprit.Zakregardaitlajeunefemmeavecattention,et,àsongranddam,ilsentitledésirsurgiraufondde
lui.—Tuestrèsbelle,cesoir.—Oh!tutrouves?Cetteroben’estque…Illacoupaenriant:—Danscecas,onrépond:«Merci,Zak.»—Merci,Zak,répéta-t-ellecommeunécho.Ilpritalorslemenupourleluitendre,disant:—Lacuisinevégétarienneestexcellenteici.Emmaleregardaavecétonnement:—Tut’ensouviens?—J’aiunebonnemémoiredesdétails.Et, toutenparlant, ilserenditcomptequ’Emmaétait touchéepar lespetitesattentions.Cen’était
pas la femmedure, intrigante, qu’il avait imaginée audébut, et cela signifiait peut-être qu’il devait laménager.Avait-ileuraisondel’inviteràdîner?Etsielles’imaginaitqueleurrelationallaitdurer?
Pourlui,évidemment,pasquestiondeselancerdansuneaffairesérieuse,maistoutdemêmeilavaitétélepremierpourelle,illuiavaitmontréqu’onpouvaitavoirduplaisirenfaisantl’amour.Ilresteraitavecelleletempsdeparacheversonéducationdanscedomaine,elleleméritaitbien.
—Tu…euh…tuasvulaphotodanslejournal?demanda-t-elle,hésitante.—Oui,etjel’aifaitretirerdetoutesleséditionsenligne.—Ilsontaccepté?
—Ilsn’ontrienàmerefusersijeleurprometsuneinterviewexclusiveet,net’inquiètepas,jeferaicequ’ilfautpourqu’onnet’importunepas.
Emmafuttouchéeparletonprotecteur:il luisemblaittoutàcoupqueriendemalnepouvaitluiarriversielleétaitsoussonaile.
Zak,quiladétaillaittoutàloisir,notasesonglesrougesang:uncontrastemarquantaveclapetiterobenoire, et il seprit à imaginer cesongles incarnat sur sapeauéchauffée…Soudain, il regrettaden’avoirpaseu recoursau roomservice, ce soir.Maisnon,Emmaenméritaitdavantage,mêmesi leurhistoireneduraitquejusqu’àsonretouràLondres,cequiétaitprobable.
—Tesonglesm’étonneronttoujours,murmura-t-il.Ilssonttoujoursimpeccables,ettoujoursd’unecouleurdifférente.C’estcurieuxpourquelqu’unquisemaquillesipeu.
Luiaussiavaitunœilpourlesdétails!Emman’enrevenaitpas.—Dansmonmétier, lesclientsadmettentvolontiersqu’onsoitvêtud’unmauvais jeanetd’unT-
shirt,expliqua-t-elle:c’estenquelquesortel’uniformedetravail.Enrevanche,nosmainsdoiventêtretrèssoignéesparcequenouslesmontronsbeaucoup:soitenexaminantaveclesclientsdeséchantillons,soitenleurprésentantdesplans,desobjetsouautres.Desmainsnégligéespeuventenvoyerunsignaltrèsnégatif.
—Pourquoiavoirchoisicerougeécarlate,cesoir?Emmasemitàrire.—Toutbêtementparcequelerougeetlenoirvonttrèsbienensemble.Zakritàsontour.— Au temps pour moi qui imaginais déjà que tu voulais m’envoyer toutes sortes de messages
subliminauxàcaractèreérotique!Ilsetutcommelesommelierarrivaitavecunebouteilledechampagneetremplissaitleurscoupes.
Aprèsquoi,lemaîtred’hôtelpritleurcommande,pendantqu’Emmas’interrogeaitsurlecomportementàadopteravecsoncompagnon.
Cequ’ilavaitditsursesonglesl’avait troublée,maiscen’étaitqu’unflirt.Fallait-ilmaintenir laconversation sur ce ton personnel, ou au contraire profiter de ce tête-à-tête pour essayer demieux leconnaître ? Flirter n’était pas dans la nature d’Emma. Pire, elle réprouvait ce petit jeu, ayant vu tropsouventsamères’ylivreravecsesamants.EnrevancheensavoirplussurZak,connaîtresesmotivationsprofondes,cequ’ilaimaitoupasetpourquoi,telétaitsonpluscherdésir.Etcomptetenudecequis’étaitpasséentreeux,Emman’avait-ellepasledroitdeluiposerquelquesquestions,sansparaîtreindiscrète?
—Tusaispasmaldechosessurmoi,déclara-t-elleàbrûle-pourpoint.—Tum’enveuxd’avoirengagéundétectiveprivé?Emmahaussalesépaules:elleavaitoubliéledétail.—Adirevrai,çam’estégal.Cequejeveuxdirec’estquetuensaisplussurmoiquemoisurtoi.
C’estinégal,ajouta-t-ellesurletondelaplaisanterie.Zakfronçalessourcils.—Natt’apourtantparlédemoi,j’imagine?—Pasbeaucoup,non.Ilnem’adonnéquelesgrandeslignesdevotrehistoirefamiliale.—Quoi,parexemple?Emmaprit sa lourde fourchetteenargentpourdéguster la saladecomposéequivenaitde luiêtre
servie.—Ilm’aditquevousaviezeuuneenfanceetuneadolescenceprivilégiées.—Privilégiées,a-t-ildit?Zakfitentendreunrirepleind’amertume.— C’est une façon de voir. Il t’a parlé de la jeune femme de chambre que ma mère avait
embauchée?
Emmaentenditperçutaussitôtl’âpretédanssavoixethochalatête.—Ilamentionnéeneffetledivorcedetesparentsetleremariagedetonpèreavecelle.Comme il était facilede résumer l’histoireenquelquesmots !Toutpouvaitparaître si simple, si
anodin,avecdesmotsbienchoisis!Zakenétaitoutré,etmarmonna,maîtrisantmalsavoix:—T’a-t-ilpréciséquelafemmedechambreenquestionn’avaitquevingtans,alorsquemonpère
enavaitcinquante-trois,qu’elleétaitbelle,avecuncorpsderêvequ’elleexhibaitvolontiers,etdelongscheveuxblonds?
—Non,ilnem’enariendit.—Cettefilleafaitàmonpèreuncharmeinsensé,etlui,biensûr,aétéflatté.Zaksetut,réfléchitavantdereprendrelaparole:— J’aurais sans doute compris qu’il couche avec elle : elle était si jolie que peu d’hommes lui
auraientrésistéenlavoyantsepromenerenBikiniautourdelapiscine.Jepeuxtedireque,cetteannée-là,tousmesamisvenaientsebaignercheznous!
Il avait prononcé cette dernière phrase avec amertume comme lui revenait ce sentiment de hontequ’ilavaitéprouvéenvoyantsonpèreparaderaveccettecréature.
—Etqu’est-ilarrivéaprès?interrogeaEmma,conscientequelesujetravageaitsoncompagnon,etqu’ildevaitselibérer.
—Cequi seproduit souventdenos joursmaisquiétaitassez rareenGrèceà l’époque,dans lemilieuoùnousvivions.Monpèreadéclaréqu’ilétaitamoureuxetvoulaitdivorcerpourépousercettefille.Mamèrenes’enestjamaisremise.
Zak, parcequ’il ne l’avait jamais acceptée, ne raconterait pas la lente descente aux enfers de samère,quiavaitsombrédansuneprofondedépressiondontelleavaitfiniparmourir.
Sonmari,biensûr,neluiétaitpasrevenu,tropabsorbéparsanouvelleviepours’inquiéterd’elle.Sanouvelleépouselerendaitfou,etilnevoyaitmêmepasqu’elleétaitentraindeleruiner.
Auboutd’unlongsilencequ’Emmasegardabienderompre,Zakreprit:—Lepire,vois-tu,c’estquepersonnen’atrouvésoncomptedanscetterupture.Monpèreafinipar
comprendre—mais il lui a fallu du temps— qu’il avait commis la plus grosse erreur de sa vie. Ilcroyaitaimer,envérité,sarelationavecsanouvellefemmen’étaitquephysique.Tousdeuxneparlaientpaslemêmelangage,n’avaientpaslamêmeculturenilesmêmesvaleurs.Jen’aipasvumonpèredesannéesdurant,maisj’aiassisté, impuissant,aulongcalvairedemamère.Notrefortuneaétédilapidéeparma…
Commeilhésitait,Emmalepressa:—Partabelle-mère?—Non!Nedispascemotenparlantd’elle!s’exclama-t-ilavecunefureurmalcontenue, jene
peuxpasassociercettefemmeaumotde«mère».Elles’estcomportéeavectropd’indignité.—Ques’est-ilpasséensuite?demandaencoreEmma,sonintuitionluisoufflantqu’iln’enavaitpas
fini.—JemesuisoccupédeNatpendantlamaladiedenotremère,etaprèssamort,puisdemonpère
quandcettegarcel’aabandonné,unefoisqu’iln’apluseuunsou.Enfin,pasàpas,sil’onpeutdire,j’aireconstituélafortunedesConstantinides.
Ilhaussaalorslesépaulescommes’ils’agissaitdepeudechose,etEmmaneditrien,commençantàcomprendrebiendestraitsdecaractèrequ’elleavaittrouvésirudes,chezcethommequilatroublaitauplus haut point. Comme il avait dû se sentir démuni en voyant s’effondrer sous ces yeux un universprivilégiéqu’ilavaitcruacquis,immuable!Ledivorcedesesparents,puislamortdesamère,etenfinla ruine et la perte du statut social avaient dû être des expériences intolérables pour un homme fiercommeZak.
Cesépreuvesexpliquaientsansdouteaussi sonbesoinde toutcontrôler.Demême, ilavaitété leseul enmesure de prendre soin de son petit frère, et on comprenaitmieuxqu’il se sente le devoir decontinuer à veiller sur lui. Enfin, Emma commençait à entrevoir pourquoi Zak avait un tel désir deréussite : jusqu’à ce soir, elle croyait qu’il avait héritéde la fortunedesConstantinides.En réalité, ill’avaitreconstituéeenrepartantdezéro.
Ensilence,elleplongealesyeuxdansceux,d’unbeaugrisprofond,desoncompagnon.L’évocationde son passé avait été douloureuse, elle le voyait à son visage tendu, à son regard torturé, et elle sedemandatoutàcouppourquoiils’étaittantconfié.C’estalorsqu’ilreprit.
—Jepensequetucomprendsmaintenantpourquoijenemesuispasmarié.Ilyeutunsilence,puis:—Jenemerappellepast’avoirjamaisposélaquestion,sedéfenditEmma.—Non,mais,àunmomentouàunautre,tuasbiendûypenser.Elleauraitpuprendreunairoutragépourluidirequ’ilprenaitsesdésirspourdesréalités.Mais,
après ce qu’il venait de lui raconter, elle n’avait pas envie de lui rendre coup pour coup. Zak avaitsouffert, elle le savaitmaintenant, lavie l’avaitblessé, alorspourquoinepas lui témoignerunpeudebontésansrienattendreenretour?Ilsuffisaitdeluirépondreavechonnêteté.
—C’estvrai,admit-elle,jemesuisposélaquestion,etjenesuissansdoutepaslaseuleàm’êtreétonnéequ’unhommecommetoi,quiatoutpourlui,restesilongtempscélibataire.
Sa franchisepritZakdecourt. Ilbutd’abordunegorgéedechampagneavantdedire,pesant sesmots:
—C’esttoiquiasparléd’inégalité,toutàl’heure,s’agissantdecequenoussavionsl’undel’autre.Ehbien,monexpériencem’aenseignéquel’égalitén’existepasdanslesrelationsentrehommeetfemme.Enamour,ilyenatoujoursunquiaimetrop,etl’autrepasassez.
—C’estcequiestarrivéavecLéda?osademanderEmma,commeluirevenaitlesouvenirdecettefemme très spectaculaire qu’elle avait vue en compagnie de Zak, à Londres. Celle aussi qui l’avaitconvaincudetransformerunesalledefêteduPembrokeensalonnuptial.EtEmman’avaitpasoubliénonpluslesmotsqueNatavaitadressésàsonfrèreausujetdecettefemme.
—Lédaareprésentépendantquelquetempsl’idéequejemefaisaisd’unefemmequel’onépouse,admit-il d’un ton agacé,mais j’avais trop d’affection pour elle pour risquer de lui faire dumal, et jen’étaispassûrdepouvoirl’éviter.
Zakpoussaunsoupiravantdereprendre:—Quoiqu’ilensoit,elleatrouvéquelqu’und’autre,ettoutestpourlemieuxdanslemeilleurdes
mondes!Emma imaginait-elle lanuancede regretdans savoix ?C’était possible.En tout cas, elledevait
prendrecequ’ilvenaitdediresurLédacommeunemiseengarde.C’étaitsansdoutesamanièredelaprévenirqu’ilnefallaitrienattendredelui.
Etvoilàqu’ilajoutait:— Certaines personnes sont faites pour des relations stables sur le long terme, d’autres pas.
J’appartiensà la secondecatégorie,Emma.Beaucoupde femmesontessayédemechanger,mais sanssuccès.Alorsmaintenantquetusaislavérité,as-tuencoreenviedepasserlanuitavecmoi?
La jeune femmecroisa le regardgris et le soutint :Zaknepromettait rien, il avait été clair, leurrelationnelamèneraitnullepart.Maissel’entendredirenechangeaitriencaravait-ellelechoix?Non,biensûr!
Elle avait attendu trop longtemps de connaître le plaisir. Zak l’y avait initiée avec un art et unegénérosité sans pareils. Allait-elle tourner le dos au bonheur parce qu’elle savait qu’il ne serait paséternel?
—Oui,j’enaienvie,dit-elled’untonaussinaturelqu’elleleput.Et,cettefois,jenepartiraipasaumilieudelanuit.
11.
Pourlapremièrefoisdesavie,Emmaavaitl’impressiondemenerl’existencenormaled’unejeunefemmedesonâge:ellesortaitavecunhomme,ilsdormaientensembleetapprenaientàseconnaîtreenpartageantleurtempslibre.C’étaituneexpériencenouvelle.
AvecLouis, il avait fallucacher leur relation,audébut : son impresario redoutait eneffetque lanouvelled’unénièmemariagenuiseàl’imagequ’ilvoulaitredonnerdelastardurock:unsex-symboltoujoursàl’affûtdesjoliesfilles.Unefoismarié,sonpointdevueavaitchangé,etlajeunessed’Emmaavait aucontraire servidecautionà lavirilitéprétenduede sonmari. Il avaitdonc falluqu’Emmasemontrepartoutavec lui.Maisoùétait l’intimité,dansuneviepareille?Surtoutque, lorsqu’ils étaientenfinseuls,Louisenprofitaitpourboireetsedroguer…
AvecZak,Emmacomprenaitenfincequ’étaitunevraierelationentreunhommeetunefemme.Elleavaitpenséqu’ilselasseraitd’elleauboutdequelquessoirées.Ouqu’ilessaieraitdelavoirlemoinspossible,saufpourpasserlanuitavecelle.Ehbien,ill’avaitsurprise!
Nonseulement,touslessoirsoupresque,ilsdînaientensembledanslesplusgrandsrestaurantsdeManhattan,maisill’emmenaitaussivoirdesexpositions,etunefoisilsétaientallésécouterunconcertauCarnegieHall.Mieux,ilavaitréussiàseprocurerdesplacespourunecomédiemusicaledeBroadwayquifaisaitsallecombledepuisdesmois.Lapièceétaitsidrôlequ’EmmaavaitriauxlarmesetZak,quil’observait,avaitsortidesapocheunimmensemouchoirimmaculépourleluitendreavecunesolennitécomiquequiavaitdenouveauprovoquél’hilaritédelajeunefemme.
IlnecherchaitdoncpasàcachersarelationavecEmma,moinsencoreàs’endéfendre,carentoutescirconstances, dans le travail comme en société, il se montrait prévenant et attentionné, manifestanttoujoursàquelpointilappréciaitsacompagnie.
Hélas,commentarrêterlacoursedutemps?L’inaugurationdusalonnuptialapprochait,etEmmasesentait comme Cendrillon, peu avant minuit, quand elle savait que son carrosse se transformerait encitrouille.SonbilletderetourpourLondresétaitpris,ellepartiraitetZakresteraitàNewYork.
Laveilledel’inauguration,celui-cil’emmenadînerdansunsomptueuxrestaurant,audernierétaged’ungratte-ciel.Autantdireenpleinciel.Unmincecroissantdelunedessinéàlaperfectionsedétachaitcommequelquemystérieuxcaractèrechinoisaumilieud’unemyriaded’étoiles.Maismalgrélasplendeurdudécor,Emmaavaitlecœurlourd:sondépartétaitsiproche,àprésent.
—Jen’auraispasdû sortir, soupira-t-elle, caressant lebordde sa coupede champagne. Il resteencoretantàfairepourl’inauguration.
—Tuastravaillétoutelajournée!—Jesais,mais…
—Tout se passera très bien, la coupaZak, je neme fais aucun souci.Mais, dis-moi, Emma, tudevraismangerdavantage,ajouta-t-ilaprèsunregardàl’assiettedelajeunefemme.
—Tunemangespasbeaucoupnonplus,rétorqua-t-elleavecunsourirenostalgique.—C’estvrai,jen’aipastrèsfaim.D’ailleursjecommenceàmedemanderpourquoinouspassons
notredernièresoiréeici,alorsquenousserionstellementmieuxdansmasuite,àl’hôtel.—Tuviensdecommanderunebouteilledechampagne!fitminedeprotesterEmma.—Quelleimportance!Jevaisdemanderl’addition.Ilsquittèrentlerestaurantpeuaprès,etprirentuntaxiparcequeZakn’avaitcommandésalimousine
quepour23heures.A l’arrièreduvéhicule, ils s’embrassèrent commedeuxadolescents, et, quand ilsfurentenfinseulsàl’hôtel,ilsprirentàpeineletempsdesedévêtiravantdefairel’amouravecpassion,deboutdans le salon, tant lamêmeurgence lesdévorait tous lesdeux.Aprèsquoi ils secouchèrentetrecommencèrent.Et recommencèrentencore.PuisEmmas’endormit sansmêmes’en rendrecompte,et,quandelle repritconscience,elleavaitencoresommeil,mais laplaceàcôtéd’elleétaitvide.Elle seredressa, lecœurbattant :dans lapâleclartéde l’aube,sedécoupait lahautesilhouettedeZakquisedéplaçaitsansbruit.
—Quelleheureest-il?demanda-t-elle,toutensommeillée.—6h10.Emmaétouffaunbâillementavantd’éclairerlalampedechevet.—C’esttôt!Tuasdesréunions,cematin?Zakl’observadanslalumièreàpeineocréedelalampe:soncorpssplendideprenaitdesreflets
d’or.Commeelleétaitbelle!Cesoirseraitleurultimenuit,ilfallaitserendreàl’évidence,demainellerepartiraitpourLondres,etceseraitlafindeleurliaison.
—Hélasoui,ettoutelajournéeaussi.—Oh!queldommage!—Inutiledefairecettejoliemoue,Emma.Zakgagna le litetsepenchapourdéposerunbaisersur lescheveuxblonds.Commeilssentaient
bon!—Tumeprovoquessansmêmelefaireexprès,plaisanta-t-il.Maistuastropàfaireaujourd’hui,toi
aussi,pourquenousnouséternisionsaulit.Cesoirestimportantpourtoi.Emmalesavait:l’inaugurationpouvaitêtreuntriomphe,maisrienn’étaitgagné.Elleavaitfaitde
sonmieux,maintenant,aupublicdejuger.L’enjeupourelleétaitdetaille,c’étaitclair,etpourZakaussi,quicomptaitsurl’événementpourmédiatisersonnouvelinvestissement.
Danslajournée,ilfaudraitmettrelamainauxderniersdétails:lesfleurs,lesbuffets,lamusique…Puisarriveraient lespersonnalités importantes, leséventuelsclients,etbiensûr toutcequeNewYorkcomptaitdecélébrités,sansparlerdesjournalistes.
Etaprès?Quandlesinvitésseraientrepartis,etquelesalonseraitauxmainsdesemployéschargésderangeretnettoyer,qu’adviendrait-ild’Emma?
Soncœurseserraetelledutfermerlesyeux,sentantpoindreleslarmes.EllerentreraitàLondres…sansZak.
Maisellenemontreraitpassafaiblesse.EnsortantavecZak,elleavaitfeintd’ignorercombienlejeuétaitdangereux.Pourtantaufondd’elle-même,elleenavaittoujourseuconscience.Aussisefaisait-ellel’effetd’unpapillonquiavolétropprèsdelalumièreets’estbrûlélesailes.
—Jelemesure,répondit-elleavecunentrainforcé.Cesoir,maréputationprofessionnelleestenjeu.
Zakpromenaseslèvressursonépaulenue.—Tun’aimeraispasquejet’épuisedèslematin,n’est-cepas?fit-ilvaloirenriant.Emmaenfouitlesdoigtsdanssescheveuxdrus.
—Tu en es sûr ? interrogea-t-elle, effleurant de ses lèvres la ligne de lamâchoire fraîchementrasée.
C’étaitàpeineunecaresse,maisZaksentitundésirfulgurantexploserdanssonventre,etd’ungestequ’ilnecontrôlaitpasilpritdanssapaumel’undesseinsdelajeunefemme.Commeleursdeuxcorpsréagissaientàl’unisson!Ils’enémerveillaitchaquefoisqu’ilsétaientensemble.Jamaisiln’avaitconnupareilaccordphysique,mêmeavecdes femmesmille foisplusexpérimentéesqu’Emma.Parfois, il luisemblaitqu’elle leconnaissaitmieuxquequiconque,qu’elleavaitpercé l’armuredont il seprotégeaitdepuistoujours…Et…celaluifaisaitunpeupeur.
Aprésent,elleleregardaitdesesimmensesyeuxverts,soncorpslascifoffert,sescuissesàpeineécartéescommeuneinviteinconsciente…Zakhésita:pourquoinepassedéshabillerenhâte,etentrerenelle,s’yperdre,s’ynoyer?Elleétaitsidouce…Ilfermauninstantlesyeux,emportéparledésir,maissa raison prit le dessus : d’abord, il n’avait pas le temps, et ensuite, il ne voulait pas lui donnerl’impressionqu’ilétaitincapabledeluirésister.Carlaruptureétaitproche,ilsdevaients’ypréparertouslesdeux.
Ilseredressad’unmouvementbrusque,repoussantsescheveuxd’unemainnerveuse.Ellerepartaitdemain,ilétaittempsdel’intégrer!
—Toutàfaitsûr,oui,marmonna-t-il,etceneseraitpasnonplusunebonneidéequejerencontreledirecteurd’unedesplus importantesbanquesaméricainesenayantencore tongoûtet tonodeursurmapeau.Rendors-toi,ajouta-t-il,etonseretrouveàl’inauguration.
Quandlaporteserefermasurlui,Emmaseleva.Ellenepourraitplusdormir,ellelesavait,aussiprit-ellesadoucheets’habilla-t-elleavantdepeindresesonglesd’unjoliblancàpeinenacré,biendansl’espritdusalonnuptial.Maiselleavaitbeaus’appliquer,sonespritvagabondaitpourrevenirtoujoursaumêmepoint.Ouplutôt,àlamêmepersonne.
Zak…L’heuredelaséparationapprochait.Emmaavaittoujourssuqu’elleétaitinéluctable.Zakluiavait
expliquéentoutefranchisecequ’ilpensaitdel’amouretdesrelations.Mais,toutaufonddesoncœur,n’avait-elle pas espéré qu’il ferait une exception pour elle ? Quelle idiote elle était ! Quelquesmerveilleuxmoments de tendresse après l’amour ne signifiaient pas qu’il voudrait un jour vivre avecelle!
Dansunsursautd’amour-propre,Emmasereprit:ens’accrochantàquelquechosequin’étaitpasréaliste, elle se comportait comme sa mère chaque fois qu’un de ses amants prenait ses distances !Allons,ducourage!SaliaisonavecZakn’étaitpasunegrandehistoired’amour,justeuneaventure,etdansl’immédiatelleavaitd’autrespréoccupations,àcommencerparl’inaugurationdecesoir.
Mueparsaconscienceprofessionnellealliéeàsondésirdesuccès,Emmapassa la journéeavecCindyàréglerlesdernierspréparatifsdelaréception.Ellesnes’arrêtèrentqu’à17heures,s’accordantune petite heure pour se préparer avant de se retrouver dans le salon afin d’y accueillir les premiersinvités.
Emmaavaitchoisideporterlabellerobedesoieblanchequ’elleavaitachetéepourl’anniversairedeSofia,etquiparaissaitneuveaprèssonpassageaupressing.QuantàCindy,elleétaitravissantedansunensembledesoiebleu,assortiàsesyeux.
Promenant leurs regards sur le salon enfin achevé, toutes deux demeurèrent silencieuses, commeimpressionnées,puisCindys’exclamaàmi-voix:
—Oh!Emma,c’estbeaucommeundécordecontedefées!L’interpelléehochalatêteet,gagnéeparl’enthousiasmedesajeuneassistante,renchérit:—C’estvrai.J’espèrequelesfuturesmariéesapprécierontaussi.Desrideauxenlinblancnaturelencadraientlesimmensesfenêtres,etlalumièresereflétaitdansde
trèsgrandsmiroirscontemporainsquidonnaient l’impressionque lasalleseprolongeaità l’infini.Sur
les tableshabilléesdenappesassortiesaux rideauxscintillaientdescouvertsenargentetde superbesverresencristal.Enfin,surélevéedansunanglede lasalle, trônaitunemagnifiquestatued’Aphrodite,ultimetoucheinattendueaudécor.Emmal’avaittrouvéeparhasardchezunantiquairedela60eRue,etavaitjugétrèsàproposlaprésencedecettedéessegrecquedel’amourdansunsalondestinéàfêterdesmariages.
Bien sûr, l’ironie de son choixne lui avait pas échappé : cette statue grecquen’était-elle pas unhommagemuet à sondieugrec à elle, cethommedont la conceptionde l’amour était si déroutante, sifrustrante ?N’avait-il pasdit un jour : «Enamour, il y en a toujoursunqui aime trop, et l’autrepasassez.»
LavoixdeCindyramenaEmmaauprésent.—Jefilevérifierquetoutestenplaceencuisine.Demeurée seule, Emma en profita pour faire une dernière inspection tandis que son esprit
recommençaitàvagabonder.Lédaserait-ellelapremièreàdonnersaréceptiondemariageici?Zak,lecaséchéant,serait-ilprésent,etregretterait-ildenepassetrouveràlaplacedumarié?
19heuressonnaientquandarrivèrentlespremiersinvités.Zakapparuttoutdesuiteaprès.Commetoujours,ilfutd’abordhappéparceuxquiétaientdéjàlà,maisillesabandonnavitepourse
dirigerversEmma.Ellebuvaitunverred’eauminérale,et,sansdireunmot,illaregardaavecuneintensitéquimitson
cœurenémoi:onauraitditqu’ilvoulaitimprimersonimageenlui.—Tudoisêtreheureuse,fit-ilobserveràmi-voixEmmaeutunsouriresansjoie.Commentaurait-ellepuêtreheureusealorsque,lelendemain,elle
seraitau-dessusdel’Atlantiquedansl’avionquil’emporteraitloindelui?—Jesuissatisfaite,oui,admit-ellesanslemoindreenthousiasme,carjepensequetutrouverasdes
clientssansdifficulté.Lecadredevraitplaireàtouteslesfuturesmariées.Oh!Regarde…Emman’achevapas saphrase, commevenaitd’entrerune jeune femme trèsbrune, à la coupede
cheveuxspectaculaire,vêtued’unerobedesoierougesang.Sonapparitionétaitsithéâtralequetouslesregardsconvergèrentsurelle.
—C’estLéda,mesemble-t-il?repritEmma.Zaktournalatête.—C’estelle,eneffet.— Zakharias, s’exclama Léda tout sourires, quelques instants après en se jetant au cou de
l’interpellé.Cesalonestmerveilleux!Quelleréussite!—C’estEmmaGearyqu’ilfautféliciter,elleétaitchargéeduprojet.LédaportasesyeuxtrèsnoirssurEmmaetcelle-civits’yéclairerunelueurdereconnaissance.—Maisoui, repritLéda, jepensaisbienvousavoirdéjàvue.Vousétiezdanscepetit restaurant
italiendeLondresavecNat,n’est-cepas?Commentva-t-il?QuediraitLédasiellesavaitlavérité?Emmasentitlerougeluimonteraufront,maiss’efforçade
fairefaceavectoutlenaturelpossible.— Il allait très bien la dernière fois que nous nous sommes vus,mais cela remonte à un certain
temps,déclara-t-elle.—Iltravaillesansdoutebeaucoup,renchéritZak,fixantdesesyeuxgrisinsondableslesirisverts
d’Emma.Maisenparlantdetravail,sivousvoulezbienm’excuser,touteslesdeux,jevoisM.lemairequivientd’arriver…
Emmal’auraitvolontiersétranglépourlalaisserainsientêteàtêteavecsonexàquiellen’avaitstrictementrienàdire!
Maiscelle-ci,aucontraire,semblaitd’humeurbavarde.—VousconnaissezZakdepuislongtemps?interrogea-t-elle.
Emmahaussalesépaules.—Quelquesmoisseulement,maisj’ail’impressiondel’avoirtoujoursconnu.—J’aiéprouvélemêmesentiment.Lédamarquaunepauseavantdedemanderdebutenblanc:—Vousêtesamoureusedelui?Emma,désarçonnée,levalesyeuxpourcroiserceuxdelajoliebrune.—C’estunequestiontrèspersonnelle,fit-elleobserversanséleverlavoix.—Jesais,etjevouslaposeparcequemoi,jel’aiété.Ettouteunekyrielled’autresfemmesaussi,
j’imagine.Maisjecroisavoirétélaseulequ’ilaitenvisagéd’épouser.Lédaeutunrirebrefavantdepoursuivre:—Quandilestsortidemavie,j’aicruenmourir.Etpuisquelquetempsaprès,j’airencontréScott,
etmaintenantnousallonsnousmarieretjesuislaplusheureusedesfemmes.Levisagedelajeunefemmes’adoucit,commeelleénonçaitencore:—Cequejevoulaisvousdire,Emma,c’estqu’ilyaunevieaprèsZakConstantinides.Un serveur venait de surgir avec un plateau de petits canapés. Profitant de la diversion, Léda
s’éclipsa,abandonnantEmmaaucombledudésarroi.Lédane luiavaitpourtantditquecequeZak luiavaitfaitclairementcomprendre,maisentendrecesvéritésdelabouched’unefemmeavaituntoutautreimpact.OrEmmanevoulaitpaspassersadernièrenuitàNewYorkennepensantqu’àsondépart.Pasplusqu’ellen’avaitenviedesavoirqu’ilyavaitunevieaprèsZak,quandellerêvaitdepassertoutesonexistenceaveclui.Pourcettedernièresoirée,ellevoulaitcroireàsonrêve,mêmes’ilétaitsansespoir…
—Tuesbienmélancolique,chrisimou?LavoixdeZaklaramenaauprésent,etellelevalesyeuxsurlui.—Non!s’exclama-t-elleavecunfauxentrain,toutvabien.—Quet’aracontéLéda?—Rienquejenesavaisdéjà.—Tuluiasditquenousétionsamants?—Biensûrquenon!Jet’aidéjàditquejen’ensoufflerairienàpersonne.Maintenant,qu’elles’en
doute,c’estpossible:lesanciennesmaîtressesontunflairparticulierpourcegenredechose,j’imagine.—Dis-moi,Emma…Ellelecoupa,redoutantcequiallaitsuivre:—Entoutcas,enchaîna-t-elle,lesalonluiplaît.Quantàmoi,j’aurailasatisfactiondequitterNew
Yorkavecl’assuranced’avoirfaitdubontravail.En la regardant avec attention pendant qu’elle parlait, Zak songea tout à coup qu’il aurait pu lui
demanderderemettresondépartdequelquesjours.Iln’yavaitpaspensé.Pourtant,s’ilavaitprisunlongweek-endavecelle,ilauraitpuluifairesesadieuxavecunpeudepanache,plutôtquedelalaisserpartiràlapremièreheuresansmêmeprendreletempsdeluidireaurevoir…
Danslasalle,lebrouhahacroissait,entrecoupéd’éclatsderirequifusaientunpeupartout:detouteévidence,lasoiréeétaitunsuccès.MaisZakn’enavaitpasconscience,soudainailleurs,assailliparundésagréablesentimentd’inachevé.Sansréfléchir,ilcaressalebrasd’Emmaetvitsesyeuxsetroubleràcesimplecontact.Quelquechosedanslaréactiondelajeunefemmedéchaînaalorssondésir,etilsentitsonsangfuser,brûlant,danssesveines.Commentparvenait-elleàlerendrefouàcepoint?Avecelle,parmoments,ilnepouvaitpluspenseràrien,obsédéparsondésirdelaposséderlà,toutdesuite,avectoutelaviolence,toutel’ardeurqu’elleluiinspirait.
Le désir qui le ravageait en cet instant était intolérable, douloureux, et son corps tout entier secrispait.
—J’aimeraistediredeuxmotsenprivé,chuchota-t-il.—Biensûr.Quand?
—Toutdesuite.—Maislaréception…—Lesgenssepasserontdenous.J’aibesoindeteparler,Emma.Lecœurd’Emmabattaitàtoutromprequandilssortirentdusalonnuptial.Uneabsurdepetitelueur
d’espoirpalpitait enelle, et faillit s’éteindrequandelle compritqu’il l’emmenaitdans sonbureau, aupremierétagedel’hôtel.
—Zak?s’étonna-t-elle,commeilclaquaitlaportesureuxetl’attiraitdanssesbras.Alorslapetitelueurd’espoirgranditpourdevenirunegrandeetbelleflamme.Ill’avaitsansdoute
attiréeiciparcequ’ilnepouvaitpasattendred’êtreseulavecelle?Peut-êtreregrettait-ilqu’ellepartelelendemain?
—Emma,articula-t-il,avantd’inclinersonvisagepourprendresabouche.Ce fut un baiser passionné, mais pas seulement : Emma eut obscurément l’impression qu’il
l’embrassaitavecunesortederage.Etcetteragelamitenfeu.Toutàcoup,ellen’enpouvaitplusd’avoirenviedecethomme,illeluifallait,maintenantettoutdesuite.Elleglissaavecfureurlesmainssoussachemisepours’agripperàsapeau,tandisqu’ildénouaitsonchignon,libérantsescheveux.
—Jeteveux,gronda-t-il,tuescommeunedroguequimedévore,meconsume,metue,mefaitdubien…
Enmarmonnant,ill’avaitsoulevéepourlapressercontresonsexedur.—Zak,soufflaEmma,oh,Zak,jeteveuxaussi!Toujours.Toujours!Lemot,telqu’ellel’avaitarticulé,aveclaforced’unecertitudeimmuable,futcommeunedouche
froidepourZak.D’unseulcoup, ilabandonnala jeunefemmeet,cherchantsonsouffleavecdifficulté,gagnalagrandebaievitrée.
Devantsonexpressiondureetfermée,Emmasentitsoncœurchavirer.Quesepassait-il?Qu’avait-elleditdemal?
—Çanevapas?Zakneréponditpas,luttantcontreledésirquicontinuaitàledévaster.Ilavaittantenvied’elle…
Toujours,avait-elledit.Lemotrésonnaitenluicommeungongquimenaçaitdeluifaireexploserlatête.Emmaétait-ellesisûredesonemprisequ’ellepensaitréussirlàoùlesautresavaientéchoué?Croyait-elleletenirpourlavie?L’idiote!Elleétaitpareilleauxautres.Iln’éprouvaitpourellequ’unviolentdésirphysiquequipasseraitavecletemps.
—Déshabille-toi,ordonna-t-iltoutàcoup.QuelquechosedanssavoixglaçaEmma.—Commentcela?—Tum’astrèsbienentendu.Enlèvetarobe!Ettonsoutien-gorge!Ettonslip!—Pourquoi?chuchota-t-elle,incrédule.—Allons,Emma,tunepeuxplusjouerlesviergeseffarouchées,surtoutavecmoi,grinça-t-ild’un
tondur.Maintenant,tuesdevenuelapluscoquinedespartenaires,etjeveuxtevoirnuedansmonbureau.C’est un fantasme que je caresse depuis quelque temps. Quand je passerai des coups de téléphoneennuyeux,jefermerailesyeuxpourmieuxmeremémorertonimage.
CommeEmmademeuraitinterdite,ilpassaunemaincomplaisantesurledevantdesonpantalonoùsonérectionétaitbienvisible.Lajeunefemmeentrouvritleslèvresenleregardant,etilreprit:
—Qu’est-cequiteretient?D’habitude,tuestoujoursprêteàmefaireplaisir.—Tefaireplaisir?répéta-t-elle,hébétée.Carillatraitaitcommesesamantsavaienttraitésamère:commeunefemmefacile,unsimpleobjet
deplaisir.— Tu te moques de qui ? interrogea-t-elle, trop effarée encore pour être en colère. Tume fais
montericiquandlafêtebatsonplein,etpourquoi?Pourquejetefasseunstrip-tease,suivijeprésume,
d’unerapidepartiedejambesenl’air?—Jenet’aijamaisentendueparlerainsi,soufflaZak.—Peuimporte,tuvoistrèsbienoùjeveuxenvenir.Tusaisquoi,Zak?Tumedonnesl’impression
d’êtreunevulgairefilledejoie.Tulefaisexprès?—Tut’esdéjàdéshabilléedevantmoi,non?—C’étaitdanstachambre.—Tuesbienconventionnelle!Maissituveux,nouspouvonsmonterdansmasuite.Aprésent,Emmaéprouvaitunetellefureurqu’ellesecontenaitdifficilement.—Pourquoitecomportes-tuainsi,Zak?dit-elleàvoixbasse,craignantdetrahirsacolère.Illadévisageasansrépondre.Pourquoi,oui?Parcequ’ilétaitmoinsdangereuxdelafairefuirenla
traitantmalqued’admettrelavraienaturedessentimentsqu’elleluiinspirait?Parcequ’ilfallaitqu’ellesachesansambiguïtéoùelleenétaitaveclui?Oubienparcequeluicherchaitàignoreroùilenétaitavecelle?
—Parcequejesuisainsi,répondit-il,laconique,etvoyantleslèvresd’Emmasemettreàtrembler,ilajoutaàvoixbasse:excuse-moi…
Emma le regardaun longmoment.Direqu’elleavait rêvé,espéréqu’un jourZak tiendraitàelle.Pauvreidiote!Unefoisdepluselledevaitregarder lavéritéenfaceetentirer les leçons.Maiscettefois,ellen’étaitpluslafillettesansdéfensequidépendaitd’unemèreinstable.Pasplusqu’ellen’étaitlatoutejeunefillesansexpériencequis’étaitlaisségriserparlanotoriétéd’unhommeetquesamèreavaitpousséeàfaireun«beau»mariage…
Maintenant,elleétaitEmma,unejeunefemmeadulte,quines’obstineraitpasdanscequ’ellesavaitêtreuneerreur.Nourrirlevainespoird’unaveniravecZakétaitunleurre,ellelesavaitdepuisledébutde leur relation,mais ladécouverteduplaisirphysiqueavaitétéun telbouleversementqu’ellen’avaitpasvoulus’yarrêter.
Emmadevaitsemontrerforte,àprésent,etregarderlaréalitéenface,sansaigreurniamertume.Ilétaittempsd’accepterZaktelqu’ilétait,etnoncommel’hommequ’elleauraitvouluqu’ilsoit.
—Net’excusepas,dit-elled’untoncalme,tun’asrienfaitdemal.—Ahbon?s’étonna-t-il,jecroyaisquetuallaismereprochertouslespéchésd’Israël.—Pasdutout,non,commetul’asdittoi-même,tuesainsi.—Mais,toi,tuledissuruntonquimedonnelesentimentd’êtreméprisable.—Cen’estpourtantpasmonintention,jetelejure.Ilhochalatêteetréfléchitquelquesinstants.Emmaeneffetétaittoujoursdirecte,etquandelleavait
quelquechoseàdire,elleledisait.Maisjamaisellen’avaitessayédelemanipulercommetantd’autres.Ainsipasunefoisellenes’étaitarrangéepoursefaireoffrirquoiquecesoit.Non,elleétaitsansmalicenidétour…
—Ecoute,dit-ilauboutd’unlongsilence,oubliecequivientdesepasser,etretournonsavecnosinvités.Après,nousdîneronsensembleaurestaurantdel’hôtel.Celateconvient?
Dixminutesplustôt,Emmaauraitétélaplusheureusedesfemmes.Maintenant,lapropositionvalaitcequ’ellevalait:unrameaud’olivierpourcalmersacolèreets’assurerqu’ellecoucheraitbienavecluicesoir.
—Merci,maisnon.Zakplissalesyeux.—Commentcela,non?L’incrédulitédanssavoixlevalesderniersdoutesd’Emma:Zakétaitbienlepersonnagearrogantet
égocentriquequ’ellesoupçonnaitdepuisledébutetilnechangeraitjamais.—Nonc’estnon,répéta-t-elle,contenantmalsavoix.Jeneredescendraipasavectoi,etnousne
dîneronspasensemblecesoir.J’aiachevémontravailici,etjevaisremonterdansmachambrefairemes
bagagespourpartirdemain.Va rejoindre tes invitésetqui sait, tu trouverasbienune jeune femmequiacceptedetefaireunstrip-teasedanstonbureauouailleurs!
—At’entendre,jesuisunêtrevil!s’exclama-t-ild’untondur.—Aumoins,c’estunsentimentquetuconnaîtras!Ilssefirentfaceunmoment,sedéfiantduregard,etcefutZakquirompitlesilence:—Soyonsclairs,Emma,siturompsainsidansl’espoirquejetecourreaprès,tufaisfausseroute.
Jenemarchepasauchantageaffectif.Emmaauraitvolontiershurlésafrustration,maisellesecontint.—Tuveuxsavoir,Zak?finit-ellepardéclarer,tumefaispitié.Ilyatantdebelleschosesdansla
vie,mais tu ne vois rien. Tu as trop peur de ton affect et de tes émotions. Partout tu soupçonnes desintrigues,desfemmesquiveulentt’obligeràt’engager,àtemarier.Moi,jenesuispascommeça.Jenepeuxpasimaginerchercheràobtenird’unhommecequ’ilneveutpasmedonnerlibrement.Alors,situveux bienm’excuser, je vais te dire adieu et regagnerma chambre. J’aurai quitté l’hôtel demain à lapremièreheure,etleplusviteseralemieux.
Surcesmots,etsansmêmeremarquerl’expressionsidéréedeZak,ellesortit,latêtehaute.
12.
Emma monta en hâte dans sa chambre faire ses bagages, puis redescendit à la réception pourinformerlepréposéqu’ellequittaitlePembroke.L’orgueilbiensûrlapoussaitàagirvite,maiselleavaitpeur,aussi.PeurqueZaklarejoigneetréussisseàlapersuaderdepassercettedernièrenuitaveclui.Orilne le fallaitpas.Faire l’amouravecunhommecapabledevous traiter comme ilvenaitde le faire,c’étaitnepasserespectersoi-même.Emmaavaitdoncdécidédemettretouteladistancepossibleentreeuxjusqu’audépartdesonavionpourLondres,lelendemain.
En sortant du Pembroke, elle se rendit en taxi à un hôtel proche de l’aéroport Kennedy. Unétablissementplusquemodeste,maiselleéprouvaitlebesoinderetombersurterreaprèsleluxedélirantde l’hôtel. Les murs crème de la chambre lui procurèrent un étrange réconfort, tout comme l’affreuxcouvre-litentissubleuvif.
Aprèsavoirdéposésesbagages,elledescenditàlacafétériaetbutunmauvaiscafésurunetableenFormica.Parunphénomèneétrange,cequ’elleéprouvaalorsfutdelanostalgie!Carcethôtelétaitconçupour des gens très simples. Or jadis, elle avait connu la pauvreté, avant que les circonstances ne lacatapultentdansunmondederiches.
L’argentn’étaitpasgagedebonheur,ellelesavait!AinsiLouis,quidépensaittoutcequ’ilgagnait—etilgagnaitbeaucoup—dansl’alcooletladrogue.OuZak,qui,bienquetrèsriche,n’avait,semblait-il,jamaistrouvélasérénitéintérieure.
MaispourquoipenseràZak?Ilfallaitl’effacerdesonespritetessayerd’oubliercetépisodedesaviequis’achevaitcesoir!
Cen’étaitpasfacile,hélas!Zak l’appela dans la soirée, alors qu’elle regardait un jeu stupide sur le gigantesque écran de
télévisionoccupanttoutunmur.Quandsonnoms’affichasursonportable,ellesentitsoncœurseserrer:elle aurait tout donné pour répondre, entendre sa voix, son rire…Mais elle tint bon et augmenta levolumesonoredelatélévision,avantdemettrelasonnerieduportablesursilencieux.
Il appela de nouveau le lendemain alors qu’elle attendait le départ de son vol dans la salled’embarquement.Denouveau,elleréussitànepasrépondre.Et,delonguesheuresplustard,commesonavionatterrissaitavecbeaucoupderetardàl’aéroportdeLondres,ellevitqu’ilavaitencoreappelédeuxfois.
Ellenevoulaitpas luiparler!D’ailleurs,nes’étaient-ilspas toutdit?Etpuis,entendresavoix,risquaitdelafairecraquer.Ellesouffraittantd’êtreséparéedelui!
A Londres, il faisait un temps épouvantable. Un vent déchaîné malmenait les arbres dont lesdernièresfeuillesgisaient,colléessurlachausséeparunepluieglacée.Etlecielétaitnoir,triste,bienenaccordavecl’humeurd’Emma.
Danslebusquilaramenaitchezelle,lapenséeluivintqu’ellen’avaitaucuneenviedereprendreson travail auGranchester.D’ailleurs, la garderait-on ?Après ce qui s’était passé àNewYork, rienn’étaitmoinssûr.Sionlacongédiait,ceneseraitpasplusmal:ainsisetrouveraitclosàtoutjamaiscelamentableépisodedesavie.
Maisnullelettredelicenciementnel’attendaitchezelle,etquand,lelendemaindesonarrivée,elleappelaXénon,ledirecteurduGranchester,etleplusanciencollaborateurdeZak,cefutpours’entendredirederevenirvite,carilyavaitbeaucoupdetravailpourelle.Emmaauraitdûenêtrecontente:soncœurseserra,aucontraire,carellen’avaitenviequed’unechose:secloîtrerchezelleetattendrequelablessurebéantequiluifaisaitsimalserefermepeuàpeu.
Danssachambresilencieuse,elledéfitsesbagages,etdécidadesortiracheterdequoimanger.Celalui parut bizarre, elle qui depuis son arrivée àNewYorkn’avait eu à sepréoccuperd’aucunede cespetiteschosesduquotidien.
Deretourchezelle,elleenvoyauntextoàNatpourl’informerdesonretouretluidirequ’elleleverraitvolontierspourboireunverreouuncafé.Laréponseluiparvintuneheureplustard.
Dommage,jenesuispasàLondres.Rentrelasemaineprochaine.Jecroisquejesuisamoureux!
Avait-il trouvé le grand amour, cette fois ? s’interrogea la jeune femme en se regardant dans laglace.C’estalorsqu’elles’aperçutqu’ellen’étaitpluslamême!Etpasseulementparcequesonvisageétaittiré.Ellesesentaitdifférente.Pourquoi?Comment?Parcequ’elleavaiteulaforcedetournerledosàquelquechosequi,àlalongue,auraitrisquédeluinuire.Certes,elleensouffraitmillemorts,maiselleavaitgagnéunplusgrandéquilibreintérieur.Unbénéficeréel,mêmesiellepayaitleprixfort.
Uneautreévidences’imposaalors : impossiblepourellederevenirà laviequ’elleavaitmenéeavant.Pendanttoutescesannées,elles’étaitservidesonamitiéavecNatpourseprotégerdetoutcontactaveclerestedumonde.Quecedernieraitounontrouvél’amourdesavie,ilfallaitmaintenantqu’elleaille de l’avant, si elle voulait vivre aussi pleinement que possible. Ce serait sans Zak, et elle netrouveraitpeut-êtrejamaisunhommeavecquiconstruiresonavenir,maiselledevraitessayeretsurtoutouvrirlesyeuxsurlemonde.LesparolesdeLédaluirevinrent,surgiesdetrèsloin.Oui,ildevaityavoirunevieaprèsZak.
Le lundi matin, elle se rendit au Granchester, et alla tout droit dans le bureau de Xénon quil’accueillitavecunsourireenchanté.
—J’aientendudirequevousaviezfaituntabac,auPembroke?Emmas’assitsurlesiègequ’illuiindiquaitet,portantsurluiunregardcirconspect,demanda:—Dequoivousa-t-onparlé,aujuste?—Ehbien,dusalonnuptial.C’estunsuccèsphénoménal : ilest retenu jusqu’à la finmai !Vous
vousrendezcompte?—Tantmieux,admitEmmaquisemauditcarelleneputs’empêcherd’interroger:—Quivousacommuniquécesbonnesnouvelles?—D’abord,touslesmédiasontparlédunouveausalonentermesdithyrambiques,etVogueveutà
toutprixfaireunreportage.Maisc’estZakquim’aracontévotresuccèsàl’inauguration.Lui-mêmeesttellementconquisparvotretravailqu’ilréfléchitàaménagerunespaceidentiqueici,auGranchester.
—Ici!soufflaEmma,sidérée.—Pourquoipas?Lesgenssemarientaussi,àLondres.Lemarchéestporteur.Etpourlasecondefois,l’évidences’imposaàlajeunefemme.Non,ellenepouvaitpasreveniren
arrière, en tout cas pas auGranchester. Comment réussirait-elle à travailler ici quand tout, depuis lemoindre meuble jusqu’au papier à lettres, lui rappellerait Zak ? Et où trouverait-elle l’énergie pouraménagerunautresalonnuptialalorsquel’idéemêmedumariageluidonnaitenviedepleurer?
Secouantlatête,elledittrèsvite:—Cen’estpasmoiquim’enchargerai,Xénon.—Mais…—J’aifaitdemonmieuxàNewYork,maisjeseraisincapablederecommencer.Enfait,jeneveux
plustravaillerauGranchester,je…Emmaprituneprofondeinspirationcommepourbienintégrerlecaractèreirrévocabledecequ’elle
allaitdire,maissadécisionétaitprise:—Jeveuxvousremettremadémission,conclut-elle.Xénonfronçalessourcils.—Etes-vousdevenuefolle,Emma?C’estlachancedevotrevie!Vousvousretrouverezpropulsée
auzénith,j’ensuissûr!MaisEmmasecoualatête:—Non,Xénon,ilfautquejepartetravaillerailleurs.Voustrouverezàmeremplacersansdifficulté,
lesdécorateursnemanquentpasàLondres.Etj’aimerais…Emmahésitauninstant,puispoursuivit:—J’aimeraisquevouscommuniquiezmadécisionàZak.Xénonregardalajeunefemmed’unairincrédule.—Ilvautmieuxlefairevous-même.Sielleavaitsuivisoninstinct,elleauraitprissesjambesàsoncou.Pourtant,malgrécequis’était
passéentreeux,elletrouveraitlecouragedeparleràZak.—D’accord,jeluitéléphoneraicesoiràNewYork.—Vousn’aurezpasàvousdonnercettepeine.Xénondécrochasontéléphonepourappelersasecrétaire.—Pouvez-vousdireàM.Constantinidesqu’Emmaestdansmonbureau?Emmabondit sur sespieds, enproie àun tourbillond’émotions contradictoiresmais siviolentes
qu’ellesluicoupèrentlesouffle.—Ilestici?—Commetupeuxlevoir,répliquaZak,enpénétrantdanslebureau.Emmaregrettade s’être levée ; ses jambes toutàcoupsedérobaient souselle.Avait-elleoublié
combiensaseuleprésencelabouleversait?Maiselleétaitforte,maintenant,etsauraitluitenirtêtemêmesielleavaitdumalàsecontrôler.
—Quefais-tuici?demanda-t-elled’untonfroid.Xénonouvraitdesyeuxsidérés,àprésent,l’entendanttutoyerlebigboss,ets’adresseràluisurun
tonquin’étaitenrienceluid’uneemployée.—Turefusaisdemeparlerautéléphone,rétorquaZak.—Tut’enesétonné?—Cheztoi,tantdechosesmesurprennent.—Ehbien,sijen’aipaspristesappels,c’estquejenevoulaispasteparler,déclaraEmmad’une
voixdéterminée.Etjen’ytienstoujourspas,doncjem’envais.—Tuvasd’abordm’écouter,ripostasoncompagnond’untonferme.Xénon,reprit-il,s’adressantà
sondirecteur,pourrais-tunouslaisserseulsquelquesinstants?—Restez,jevousenprie!imploraEmma.—Enaucuncas,assuraXénon,quidisparut,aussiahuriqu’embarrassé.Entendantlaportedubureauclaquersurlui,Emmas’adjurapourlasecondefoisdetrouverlaforce
qu’illuifallait.—Jeviensdedonnermadémission,annonça-t-elled’emblée.Inutiled’essayerdemefairerevenir
surmadécision.
Zakhocha la tête, conscient que le comportement de la jeune femmeexprimait unedéterminationnouvelle.Etpourtantelleétaitsipâle,semblaitsifatiguée…
—Jem’en rendscompte,eneffet,admit-il.Maissais-tu? J’aicomprisbeaucoupdechoses,cestemps-ci,Emma.
Savoixétaitâpre,àprésent,etilparlaitcommes’illuiencoûtait.—Laplusimportante,jecrois,continua-t-il,estquetum’asvraimentmanqué.Nelelaissepastetournerlatêteavecdesmotsqu’ilnepensemêmepas,songeaEmma,quifit
valoir:—Paslongtemps,entoutcas,cariln’yaquetroisjoursquenoussommesséparés.—Etsijetedisaisquecestroisjoursm’ontparulespluslongsdemavie?—Jeteprieraisdetrouveruneautreformule,rétorqualajeunefemmedutacautac:celle-làest
éculéeetindignedetoi.Zakfaillitperdrepatience,ets’irriterqu’ellesemoqueainside lui.Maisc’était la façon laplus
sûredelaperdre,sicen’étaitdéjàfait.—Jevoudraistedirejemesuisconduitcommeunidiot.—Jesuisassezdisposéeàtecroire.—Eh bien, oui, j’ai été un imbécile, dit-il à voix basse, un crétin qui n’a pas su profiter de sa
chance.—Laprochainefois,tuferasplusattention,répliquaEmma,impitoyable.Zakplissalesyeux.Jamaisiln’auraitimaginéqu’ellepuisseluirésisterainsi.— Il n’y aura pas de prochaine fois,Emma !Tune comprends donc pas ce que c’est toi que je
veux?Toi,tum’entends?Lajeunefemmeleregardaavecfroideur.—Etjedoism’enréjouir,c’estça?Pourquoias-tuchangéd’avis?Lesintermittencesducœur?
Oubientun’astrouvépersonneàl’inaugurationpourtefairelestrip-teasequejet’airefusé?—Tuesinjuste!—Pasdutout!Zakserralespoings.Ilauraittantvoulul’attirerdanssesbrasetl’embrasseravecpassion!Après,
nuldoute,elle l’auraitécouté.Maispour lapremièrefoisdesavie, iln’osaitpasavancer,fût-ced’unpas,danssadirection.
—Jeterépètequetum’asmanqué,dit-ilalors,cettefoisd’untondepetitgarçonprisenfaute.—Etmoijeterépètequecenesontquedesmots.Tucroisteniràmoiparcequej’aieul’audacede
romprenotrerelation,etsansdoutesuis-jelapremièreàlefaire.C’estcequitemotive,Zak,iltefautcequitesembleinaccessible.Voilàpourquoituasréussiàreconstituerlafortunedetafamille.Etpourquoiaussitachaîned’hôtelsestunsuccès.Maistuoubliesunechose:jesuisunêtrehumain,j’aimaliberté,etonnefaitpasdemoicequel’onveut.
Zaksentitunéclatdeglaceluitranspercerlecœur.Ilavaitsipeurdelaperdre!Ellevoyaitclairenlui, et s’il voulait la conserver, il n’y avait qu’unmoyen, qu’il redoutait plus que tout aumonde : luiouvrirsoncœur.Maisalorsilneseraitplusmaîtredesavie,puisquesonbonheurdépendraitd’elle!Lesouvenirdesamèresuppliantsonpèredenepaslaquitterlehantaitencoresouvent.Ilavaittantsouffertdelavoiràcepointanéantie.Alorss’ilsemettaitànudevantEmma,deviendrait-ilcommeelle?Emmaaurait-ellelepouvoirdelefairesouffrircommesonpèreavaitfaitsouffrirsamère?
Biensûr,ilpouvaitjouerlaprudenceetquitterEmmadansl’espoirqu’ilfiniraitparl’oublierdanslesbrasd’uneautre…
Réussirait-ilà l’oublier?Rienn’étaitmoinssûr.Dèsqu’il l’avaitvuepourlapremièrefoisdanssonbureau,ilavaitluttécontrel’attiranceinsenséequ’elleluiinspirait,et,quandillacroyaitavecsonfrère,ilavaitsouffertàendevenirfou.
Certes,ill’avaittraitéedefaçonindigne,luiavaitditdeschosesimpardonnables,mais…Lespenséesdéfilaientà toutealluredans la têtedeZak,maisunecertitudedemeurait : ilvoulait
Emma,nesupportaitpasl’idéedeneplusêtreavecelle.Alors,quellesolution?Ildevaitprendredesrisques,enparticulierceluideluimontrercombieniltenaitàelle.
—Sijetedisaisquejeregrettedet’avoirblessée,Emma?Quejeleregretteprofondément?Elleleregarda,s’efforçantd’ignorersoncœurquibattaitàtouteallure.— Cela change quoi ? demanda-t-elle toujours froide et distante. Tu crois que, parce que tu
t’excuses,j’accepteraidecontinueràtravaillerdansteshôtels?—Audiablemeshôtels!explosaZak,jeteparledenous!Denotrerelation!Ah,siseulementilluiavaitparléainsiquelquesjoursplustôt!Emmaseseraitjetéedanssesbras,
heureuseàenmourir.Curieux,toutdemême,commeletimingétaitimportantdanslavie.CarEmmatenaitàZak,ytenaitmêmetantquecequ’elleéprouvaitétaitdel’amour,ellen’endoutait
plus.Etsonintuitionluidisaitqu’ellecomptaitpourZak,qu’iléprouvaitdessentimentspourelle.Sinon,ilnel’auraitpassuiviesiviteenAngleterre.Néanmoinssoninstinctluidictaitaussilaprudence:tousdeux devaient être sûrs de ce qu’ils ressentaient l’un pour l’autre, et ne pas se contenter de quelquesparolespassionnéesdictéesparledésirderéparerlesdégâtsaprèsuneviolentedispute.Ilsavaienttropàperdre.
Leregardantdroitdanslesyeux,Emmasecoualatête,déclarantendétachantbiensesmots:—Navrée,Zak,tesexcusesnesuffisentpas.
13.
—Dis-moicequetuattendsdemoi,alors!suppliaZakpourlatroisièmefoisaumoins.IlsétaientdansunbusquiremontaituneartèretrèsencombréedeLondres.Assiscôteàcôte,ilsne
se touchaient pas, Emma y veillait, bien qu’elle trouve très difficile de le tenir ainsi à distance alorsqu’elle rêvaitdeseblottircontre lui.Néanmoins, sadéterminationétait inébranlable, sinonellene luiaurait pas proposé de la raccompagner chez elle, après leur explosive discussion dans le bureau deXénon.
—Jenelesaispasencore,admit-elle.Plutôt que de s’insurger, Zak ne la poussa pas. Elle lui donnait une seconde chance, il en avait
conscienceetneprendraitpasderisque.Lebuslesconduisaitchezelle,c’étaitsonidéeàelle,etZak,toutenregardantsanslevoirlepaysageurbaindéfilerderrièrelavitre,sedisaitavecétonnementque,pourunefois,cen’étaitpasluiquiprenaitlesinitiatives.
—Sais-tuquejen’avaisjamaismislespiedsdansunbusavant?révéla-t-il.—Ehbien,c’estuneexpérience,non?Zaksecontentadesourire.Ilnel’avaittoujourspasembrassée,nel’avaitmêmepastouchée…Ilest
vraiqu’elleneluiavaitpasencorepardonné.D’ailleurs,leferait-elle?—Pourquoimeconduireàtonappartement?demanda-t-ilencore,commel’autobuspassaitdevant
lesmagnifiquesgrillesdeHydePark.—Parcequejemesuisrenducomptequetunesavaismêmepasoùj’habitais.Tun’esjamaisvenu
chezmoi!Nousavonsvécudansunesortedebulle,Zak,sanscontactoupresqueaveclemonderéel,etsansbeaucoupdecontactaveclaviedetouslesjoursnonplus.
Zaks’aperçutalorsqu’ilenviaitEmma.Elleaumoinsétaitchezellequelquepart.Lui,non.Certes,ilavaitunesuiteluxueusedanschacundeseshôtels,etpuisilyavaitcetteîlequ’ilpossédaitdanslamerEgée,avecsasplendidemaisonsurlaplage.Maisiln’yétaitpasallédepuissilongtemps…
—J’imaginetugardescheztoiuntasdesouvenirsdetonmari?Emmaleregarda,étonnée.—Maisnon,voyons.ToutcequepossédaitLouisaétévenduàsamortpourpayersesdettesdejeu.Cesmots,ditsaveclaplusgrandesimplicité,provoquèrentchezZaklebesoinintensedeprotéger
Emma:ilvoulaitluidireque,désormais,ilétaitlà,qu’ellenerisquaitrien,qu’illatiendraitàl’abridetouteslesduretésdelavie.Maisilsavaitqueluiparlerainsiseraitd’unecertainemanièrel’insulter:n’avait-ellepassuseprotégertouteseule,pendanttoutescesannées?Etsonexistencen’avaitpasdûêtrefacile!
L’autobusralentissaitàprésent.Emmaseleva.—Onarrive.
Zak la suivit commeelledescendait l’étroitmarchepieddubus, et tousdeux se firent face sur letrottoirluisantdepluie.
—Oùsommes-nous?Emmasemitàrire.—PassurMars,rassure-toi?AHammersmith.C’estunquartiermodesteetassezéloignéducentre
deLondres.J’imaginequetun’yasjamaismislespiedsnonplus?Zakritàsontour.—Tuessaiesdemedirequemeshorizonssontlimités?Sansrépondre,elleleconduisitjusqu’àunegrossebâtissedebriquerouge,plutôtvilained’aspect.
Lesgenss’étonnaientquandilsvenaientchezellepourlapremièrefois:toussemblaients’attendreàcequel’ex-femmed’unerockstarvivedansunemaisonluxueused’unquartierultrarésidentiel.Envérité,quandelleavaitquittéLouis,elleneluiavaitdemandéqueleminimumet,àsamort,ellen’avaitplusrieneu.Néanmoinselleavaitréussiàsecréeruncadredeviequiluiplaisait.Grâceauxplafondstrèshauts, les pièces de son appartement avaient de beaux volumes, et elle avait conservé la plupart desélémentsdelaconstructiond’origine,enparticulierlescheminéesetlesmoulures.Quantauxmurspeintsd’unecouleurmastictrèsneutre,ilspermettaientauxmeublesetobjetschoisisavecsoindeprendretouteleurplace.
Zak promena son regard autour de lui, conscient de l’impression de paix qui se dégageait de cedécor.
—C’esttrèsbeau,dit-ilàmi-voix.Emmasouritdesoulagement.Elleavaitattendusonverdictavecplusd’angoissequ’ellenevoulait
l’admettre.—Tuessérieuxoutudiscelapourmefaireplaisir?—Tu sais très bien que tu as beaucoup de goût, Emma.C’est un de tes atouts, et il explique ta
réussiteprofessionnelle.Emmaleregarda.—J’enaid’autres,tupenses?Ilhaussalesépaules,prenantunairmalicieux.— Oui : par exemple l’audace avec laquelle tu es capable de tenir tête à un patron obtus et
intraitable.—Tun’esjamaisobtus,Zak,protestalajeunefemmequisentaitsacolèred’unpeuplustôtfondre
commeneigeausoleil.—Oh si ! En tout cas, je l’ai été.Mais c’est fini, Emma, tume rends au contraire si lucide, si
clairvoyant!Uneétrangelueurdansaitaufonddesyeuxgris,etEmmaeutenviedesejeterdanslesbrasdecet
hommesi fier,quipourtantn’hésitaitpasàfairesonautocritique.Maisnon, ilétaitencore troptôt.Ledésir physique, si incontrôlable entre eux, avait toujours primé, les empêchant de partager lesmenusdétailsdelaviequotidienne.S’ilsneparvenaientpasàvivreensemblelessituationslesplussimples,alorsiln’yavaitpasd’avenirpoureux.
—Veux-tuducafé?demanda-t-ellecommeilss’installaientdanslesalon.Zakn’enavaitpastrèsenvie,ilauraittantpréférél’embrasser!Puisill’auraitentraînéesurcejoli
canapédevelourspourfairel’amourencoreetencore…MaisilfallaitlaisserEmmacontinueràmenerlejeu,quoiqu’ilencoûteàsoninstinctdominateur.Ilhochadonclatête:
—Volontiers.Ellequittalapièce,etilentenditdesbruitsdeportedeplacardqu’onouvraitetrefermait,puisl’eau
qui coulait. En temps normal, il aurait regardé les livres dans la bibliothèque, mais aujourd’hui,impossibledeseconcentrer.Ilétaittroppréoccupé.
Emmareparutpeuaprèsavecunplateau.Elleremplitdeuxtassesdecafébienfort,maisnil’unnil’autren’ygoûtèrent.Ilsétaientdebout,faceàface,etseregardaientavecuneintensitépalpable.Zakfinitparromprelesilence.
—Sais-tuqueNatestamoureux?demanda-t-il,guettantavecattentionlaréactiond’Emma.—Ilm’aenvoyéuntextopourmel’annoncer,eneffet.Emmaplissalesyeuxpourdemander:—Qu’as-tuàendire?Tuvastoutmettreenœuvrepourlesséparer?Zaksourit,comprenantqu’elleneluiavaittoujourspaspardonné.—Tumecherches,n’est-cepas?demanda-t-ilavecbeaucoupdedouceur.Ehbien,jevaistedirela
vérité:jeneconnaispascettefille,jesaisjustequ’elleestgrecqueetqu’ilssontenGrèceencemoment.Maissituveuxtoutsavoir,jeconsidèrequecen’estpasmonaffaire.Qu’ill’épouses’illeveut,c’estsavie!
Ilsetutetsoutintleregardd’Emma,priantlecielpourqu’ellecroiecequ’ilallaitluidireencore.Puisilselança:
— J’en ai assez de vouloir contrôler la vie des autres. J’ai été un imbécile dem’imaginer quec’étaitpossible.
Danslapièceparfaitementsilencieuse,Emmasentitsoncœurs’accélérer,tandisqu’ellegardaitlesyeuxfixéssurlesirisgrisdesoncompagnon.
—Tun’aspasétéunimbécile,Zak,murmura-t-elle,loindelà.Tuvoulaisseulementprotégertonfrèrecommetul’avaisfaitparlepassé.MaisNatestadulte,ildoitvolerdesespropresailes,ettudoislelaissers’affranchirdetoi.
Zakbaissalesyeuxetréfléchitdelongsinstantsavantdeposerlaquestionquiluifaisaitsipeur:—Ettoi,Emma,toiaussi,tudoist’envoler,mequitter?Est-iltroptardpourquetumepardonnes
manaturedominatriceettoutcequejet’aifaitsubirdansl’espoirinavouéquetumequitterais?Crois-tuqu’iln’yaitplusd’avenirpournousdeux?
L’émotion noua la gorge d’Emma, l’empêchant de répondre. Zak dut s’en rendre compte car ilavançad’unpasdans sadirection,mais il ne l’attirapasdans sesbras. Il se contentadeprendre sonvisageentresesmainsavecunetendresseinfinie.
—Dis-moiqu’iln’estpastroptard,chuchota-t-ilavectoutel’humilitédontilétaitcapable.—Non,Zak,réussitalorsàarticulerEmma,lagorgenouéeparl’émotion,non,iln’estpastroptard,
et nous resterons ensemble aussi longtemps que nous vivrons. Plus jamais nous ne nous quitterons.Aconditionquetuledésires.
—Quepourrais-jedésirerd’autrequandjet’aimetant,Emma,mafemme!—Oh, Zak, entendre cemot dans ta bouche est le plus grand bonheur dont je puisse rêver ! Je
voudraistant…—Chut,lacoupa-t-ilavecunsouriretrèsdoux.Ilpritenfinseslèvrespourlepluspassionnédesbaisers.
Epilogue.
IlssemarièrentdanslesalonnuptialduPembroke.C’étaitlamoindredeschoses,mêmes’ilfallutconvaincreEmmaqui,audébut,nevoulaitpasenentendreparler.
—Pourquoi?s’étonnaZak,quandelleexprimasesréticences.—Parcequec’estcommesi,dansmonsubconscient,j’avaisconçucesalonpournous.Ellesouritalorspourajouter:—C’estpeut-êtrevrai,d’ailleurs.Illeurfallutcependantattendreplusieursmoiscarlesalon,quiconnaissaitunsuccèsphénoménal,
étaitretenujusqu’àlafindel’été.Emmaeutdoncletempsdes’habitueràl’idée.Cefutunefêtegrecque,avecbeaucoupdemondeetbeaucoupdebruit,maisaussiunechaleureuse
atmosphèrefamiliale.NatétaitprésentavecsafiancéeChara.Ilavaitbeaucoupchangédepuisledépartd’EmmapourNewYork.EnapprenantqueZakétaittombéamoureuxd’elle,ilavaitprévenusongrandfrèresansdétour:s’iltouchaitàuncheveud’Emma,ils’enmordraitlesdoigts!
EtZaks’étaitlaissésermonner.Lédaaussivintaumariage,accompagnéedeScott.Elleétaittoutsourires,et,quandelleembrassa
Emma,elleluiglissaàl’oreille:—J’aidumalàcroirecequejevois!Maisjesuissiheureusepourvousdeux.Ensuitelesjeunesmariéspartirentenvoyagedenocessurl’îlequepossédaitZak,danslamerEgée.
Emmaavaitapprisquel’îleavaitappartenuunjouràlafamilleConstantinides,puisavaitétévendueaumomentdelafaillitedupèredeZak.C’estcedernierquil’avaitrachetée,unefoislafortunefamilialereconstituée.Lematindeleurmariage,ill’avaitd’ailleursofferteàEmma,expliquant:
—Jeveuxquetupossèdesunpeudemapatrie,c’est-à-direunpeudemoi-même.Emmaavaitétéémueauxlarmes.
***
Ce fut tout à fait à la finde l’année, aumomentdumariagedeNat etCharaenGrèce,qu’Emmadécouvritqu’elleétaitenceinte.Maiselleattenditd’êtrerentréeàLondrespourannoncerlanouvelleàZak.Ellelefitàl’issued’ungranddînerorganiséparXénonpourfêterl’entréeduGranchesterdansl’undesguideshôtelierslesplusprisésdumonde.
Ensortantdel’hôtel,elles’arrêtaetposalamainsurlebrasdesonmari.—J’aiquelquechoseàtedire,Zak.Illaregarda,etnotal’émotiondanssesbeauxyeuxverts.—Cedoitêtreimportant.Dis-moivite,chérie.
Emmasourit.— Important, certes, et surtout c’estmoiqui vais devenir très importante.Enfin…physiquement,
ajoutalajeunefemmeenriant.Zakécarquilladesyeuxémerveillés:—Tuvasavoirunbébé?—Oui,admitEmma,radieuse,etpasunbébé,tonbébé!Zakneputréprimersajoieet,prenantsafemmedanssesbras,ill’embrassaavecfougue.Ellelui
renditsonbaiser,passionnéecommeaupremierjour,ettousdeuxoublièrentqu’ilssetrouvaientsurletrottoir,auvuetausudetoutlemonde.
C’estlavoixd’ungamind’unequinzained’annéesquilesfitretombersurterre:—Eh,lesdeuxamoureux,prenezdoncunechambreàl’hôtel,ceseraplusconfortable!ZaksouritetlevantlesyeuxsurlafaçadeilluminéeduGranchester,murmura:—Celanedevraitpasposerdeproblème…
TITREORIGINAL:PLAYINGTHEGREEK’SGAME
Traductionfrançaise:
HARLEQUIN®
estunemarquedéposéeparleGroupeHarlequin
Azur®estunemarquedéposéeparHarlequinS.A.
Photodecouverture
Femme:©VINCENTBESNAULT/CORBIS
©2012,SharonKendrick.©2013,Traductionfrançaise:HarlequinS.A.
ISBN978-2-2802-9306-8
Cetteœuvreestprotégéeparledroitd'auteuretstrictementréservéeàl'usageprivéduclient.Toutereproductionoudiffusionauprofitdetiers,àtitregratuitouonéreux, de tout ou partie de cetteœuvre, est strictement interdite et constitue une contrefaçon prévue par les articles L 335-2 et suivants duCode de laPropriétéIntellectuelle.L'éditeurseréserveledroitdepoursuivretouteatteinteàsesdroitsdepropriétéintellectuelledevantlesjuridictionscivilesoupénales.
83-85,boulevardVincent-Auriol,75646PARISCEDEX13.
ServiceLectrices—Tél.:0145824747
www.harlequin.fr