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DANS CE NUMÉRO : DOSSIER : Le temps d’un rêve Parole de Marmotte nº13 : La chasse aux rêves est ouverte/Rêve de marmotte … 2-3 Tu rêves !… 3 Défragmentation cérebrale … 5 B’Rêve-sur-Roya… 6 Si j’avais un rêve/si j’avais un cauchemar… 6 Psychanalyse du tunnel de Tende … 7 [OREILLES TENDUES] Dialogue avec un chevreuil rêveur… 7 Du rêve à l’action … 8 Rêve de sciences … 9 Les nouveaux dieux … 10 Aux prisonniers mutinés … 11 JOURNAL DE N’IMPORTE QUI - L’art endormi … 12 PAROLE AUX USAGERS DU TRAIN … 13 CEUX QUI MARCHENT SUR NOS ROUTES … 13 INITATIVES LOCALES : Le SEL du Citron … 14 La pépinière de Bendola … 14 COURRIER DES LECTEURS … 15 ACTUALITÉS : Linky, UNESCO, Véolia, Eau, Train, Tunnel de Ten- de, Arrêté 19 tonnes, Loi de sécurité intérieure 2017… 15-16 ÉVÈNEMENTS EN ROYA - BEVERA … 16 La marmotte La marmotte déroutée déroutée Janvier 2018 - nº13 - Prix libre UN JOURNAL POUR LA ROYA Le temps d’un rêve Souvent, ses rêves sont des villes. Villes grandes, dont elle arpente le bitume sans objectif apparent. Paysages issus d’une mosaïque de sou- venirs transformés par l’imaginaire : un coin de rue sur- monté d’une maison colorée à deux étages avec une épi- cerie ou un garage donnant sur le trottoir, un édifice flan- qué d’autres édifices, le dernier rayon du soleil se reflé- tant sur leurs parois en verre. Un arbre, avec des feuilles de printemps, seul au milieu de ces reflets. D’un rêve à l’autre, ces fragments de ville se mélangent, se recompo- sent, s’allient à d’autres fragments. Morceaux de rues couvertes de boue séchée, bordées de murs peints à la chaux, de longues voies droites dont les pavés scintillent à la lueur de la lune, fils électriques d’un tramway enche- vêtrés au-dessus d’un carrefour, cloches violettes des fleurs d’un jacaranda, un bouleau dégarni par l’automne, traverses crasses lavées au jet d’eau par quelque som- nambule forcé. Ces villes, elle les explore souvent de nuit. Souvent, le ciel finit par s’éclaircir, mais le monstre urbain ne s’ébouriffe pas encore. Alors, à regarder le jour venir, dans le silence d’avant le premier chant d’oiseau, elle trouve, souvent, une sensation d’intense quiétude. La sensation d’avoir le temps. Le temps, une des multiples obsessions sur lesquelles nos rêves font le jour. Le temps qui manque, qui passe trop vite, qui passe sans qu’il ne se passe rien, qui traîne en longueur quand le sommeil nous fuit. Le temps qu’on tra- que quand on décide de ne pas dormir, qu’on croit avoir vaincu à la fin d’une nuit blanche ou lorsqu’on se lève avant le jour, quand le « tout est à faire » ne nous paralyse pas encore. Le temps qu’on perd à parfaire quelque ouv- rage qui ne nous satisfera jamais. Le temps que nos rêves mettent en scène, dilatent, tordent ou font durer. Le temps dont on refuse la tyrannie quand on se laisse aller à la rêverie. Ou le temps qu’on saisit, l’espace d’un ins- tant, lorsqu’un rêve rencontre le réel. L’hiver est la période d’hibernation chez les marmottes. Voyant s’accroître la distance entre ses souhaits et une réalité qu’elle n’arrive pas à faire sienne, la nôtre sombre peu à peu dans le sommeil : léger d’abord, profond, puis paradoxal. Le temps de prendre le temps de rêver sé- rieusement. Bonne lecture. Publication autogérée par des habitants de la vallée de la Roya - www.la-marmotte-deroutee.fr - [email protected] - 07 68 05 65 34 Inspiré d'un dessin de Michel Otthoffer

La marmotte La marmotte déroutéedéroutée · 2018. 1. 11. · Page 2 PAROLE DE MARMOTTE Nº13 10h35. [Messages reçus. Expéditeur: Stagiaire nº1] « Opération réussie. J’ai

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Page 1: La marmotte La marmotte déroutéedéroutée · 2018. 1. 11. · Page 2 PAROLE DE MARMOTTE Nº13 10h35. [Messages reçus. Expéditeur: Stagiaire nº1] « Opération réussie. J’ai

DANS CE NUMÉRO :

DOSSIER : Le temps d’un rêve

Parole de Marmotte nº13 : La chasse aux rêves est ouverte/Rêve de

marmotte … 2-3

Tu rêves !… 3

Défragmentation cérebrale … 5

B’Rêve-sur-Roya… 6

Si j’avais un rêve/si j’avais un cauchemar… 6

Psychanalyse du tunnel de Tende … 7

[OREILLES TENDUES] Dialogue avec un chevreuil rêveur… 7

Du rêve à l’action … 8

Rêve de sciences … 9

Les nouveaux dieux … 10

Aux prisonniers mutinés … 11

JOURNAL DE N’IMPORTE QUI - L’art endormi … 12

PAROLE AUX USAGERS DU TRAIN … 13

CEUX QUI MARCHENT SUR NOS ROUTES … 13

INITATIVES LOCALES :

Le SEL du Citron … 14

La pépinière de Bendola … 14

COURRIER DES LECTEURS … 15

ACTUALITÉS : Linky, UNESCO, Véolia, Eau, Train, Tunnel de Ten-

de, Arrêté 19 tonnes, Loi de sécurité intérieure 2017… 15-16

ÉVÈNEMENTS EN ROYA - BEVERA … 16

La marmotte La marmotte déroutéedéroutée

Janvier 2018 - nº13 - Prix libre

UN JOURNAL POUR LA ROYA

Le temps d’un rêve Souvent, ses rêves sont des

villes. Villes grandes, dont elle arpente le bitume sans

objectif apparent. Paysages issus d’une mosaïque de sou-

venirs transformés par l’imaginaire : un coin de rue sur-

monté d’une maison colorée à deux étages avec une épi-

cerie ou un garage donnant sur le trottoir, un édifice flan-

qué d’autres édifices, le dernier rayon du soleil se reflé-

tant sur leurs parois en verre. Un arbre, avec des feuilles

de printemps, seul au milieu de ces reflets. D’un rêve à

l’autre, ces fragments de ville se mélangent, se recompo-

sent, s’allient à d’autres fragments. Morceaux de rues

couvertes de boue séchée, bordées de murs peints à la

chaux, de longues voies droites dont les pavés scintillent

à la lueur de la lune, fils électriques d’un tramway enche-

vêtrés au-dessus d’un carrefour, cloches violettes des

fleurs d’un jacaranda, un bouleau dégarni par l’automne,

traverses crasses lavées au jet d’eau par quelque som-

nambule forcé. Ces villes, elle les explore souvent de

nuit. Souvent, le ciel finit par s’éclaircir, mais le monstre

urbain ne s’ébouriffe pas encore. Alors, à regarder le jour

venir, dans le silence d’avant le premier chant d’oiseau,

elle trouve, souvent, une sensation d’intense quiétude. La

sensation d’avoir le temps.

Le temps, une des multiples obsessions sur lesquelles nos

rêves font le jour. Le temps qui manque, qui passe trop

vite, qui passe sans qu’il ne se passe rien, qui traîne en

longueur quand le sommeil nous fuit. Le temps qu’on tra-

que quand on décide de ne pas dormir, qu’on croit avoir

vaincu à la fin d’une nuit blanche ou lorsqu’on se lève

avant le jour, quand le « tout est à faire » ne nous paralyse

pas encore. Le temps qu’on perd à parfaire quelque ouv-

rage qui ne nous satisfera jamais. Le temps que nos rêves

mettent en scène, dilatent, tordent ou font durer. Le

temps dont on refuse la tyrannie quand on se laisse aller

à la rêverie. Ou le temps qu’on saisit, l’espace d’un ins-

tant, lorsqu’un rêve rencontre le réel.

L’hiver est la période d’hibernation chez les marmottes.

Voyant s’accroître la distance entre ses souhaits et une

réalité qu’elle n’arrive pas à faire sienne, la nôtre sombre

peu à peu dans le sommeil : léger d’abord, profond, puis

paradoxal. Le temps de prendre le temps de rêver sé-

rieusement. Bonne lecture.

Publication autogérée par des habitants de la vallée de la Roya - www.la-marmotte-deroutee.fr - [email protected] - 07 68 05 65 34

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Page 2: La marmotte La marmotte déroutéedéroutée · 2018. 1. 11. · Page 2 PAROLE DE MARMOTTE Nº13 10h35. [Messages reçus. Expéditeur: Stagiaire nº1] « Opération réussie. J’ai

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PAROLE DE MARMOTTE Nº13

10h35. [Messages reçus. Expéditeur :

Stagiaire nº1] « Opération réussie. J’ai le sujet. Respiration

stable, rythme cardiaque ralenti. Toutes les caractéristiques

d’un vrai sommeil hivernal »

- Aaah ! …. (Le professeur Delporte affiche des signes mani-

festes de satisfaction en verrouillant son smartphone) Voilà

qui est fait. Excellente nouvelle. Nous allons pouvoir commen-

cer ! Enfin, si vous êtes engagée, bien sûr !

- Justement, si vous pouviez me résumer l’objet précis de mon

stage… (La candidate, d’une trentaine d’années, brune et

anguleuse, sort un stylo et un calepin. Elle est toute ouïe, et

souhaite que cela se voie).

- Le programme auquel vous avez postulé est probablement le

plus ambitieux depuis que l’Homme a marché sur la Lune. A

nous, à vous aussi, si vous avez à travailler avec moi, de le

prouver à ceux qui nous prennent pour des rigolos, là-haut, au

Ministère. Comme vous l’avez lu dans la description du poste,

il s’agit, dans un premier temps, d’une expérience de capta-

tion et d’interprétation des rêves d’un animal, une marmotte

des Alpes. Qu’est-ce qui vous pousse à faire ce stage ?

- J’ai le projet d’ouvrir un cabinet de zoothérapie [1]. Mon ex-

périence de psychologue a besoin d’être complétée par une

meilleure compréhension des affects d’animaux sauvages. Ce

stage m’offre une opportunité immanquable. Bien entendu, je

serai aussi heureuse d’apporter ma pierre à l’édifice de la

science.

- Bien. Ce que la description ne dit pas, mais que vous devez

comprendre pour mesurer l’ampleur de l’enjeu, c’est la nature

de ces rêves et le choix particulier du sujet. Cette marmotte

n’est pas comme les autres. Depuis plus d’un an, elle a aban-

donné son habitat naturel, et notre agent vient de la localiser à

15 km en aval. L’année dernière, elle

n’a pas hiberné, c’est dire à quel point

son comportement est anormal. Nous

tenons de source sérieuse qu’elle se

comporte ainsi en réaction à une modi-

fication brutale de son environnement.

Mais aussi, tenez-vous bien, il semble-

rait qu’elle soit guidée par ses rêves.

Un rêve en particulier lui a fait prendre

la direction du littoral, jusqu’à rentrer

en contact avec le RAR.

- Le RAR ?

- Renseignements animaux de la Roya.

Une organisation animale dont l’objet

pourrait être subversif. C’est ce que

nous chercherons à prouver.

- Ah…

- Vous me prenez pour un fou ?

- Non, pas du tout, j’ai toujours été

convaincue que le danger était partout.

- Le fait que les animaux puissent s’organiser ne vous cho-

que pas ?

- Non, mes chats forment souvent des coalitions contre moi

pour voler de la nourriture.

- Bien. Lire les rêves de cette marmotte nous permettra d’y

retrouver des souvenirs, des images de ce qu’est le RAR. Une

forme de vidéosurveillance déléguée. Certes, ces images

seront déformées par le filtre psychique du rêve, c’est là que

nous allons avoir besoin de vous.

- Ce sera un défi passionnant !

- Je n’ai pas fini. Pour une raison qu’on ignore encore, notre

sujet semble être important pour le RAR. Une hypothèse,

encore à vérifier, est que l’organisation soit, elle aussi, inté-

ressée par ses rêves. Voire, même, qu’elle y cherche des

messages pour orienter ses actions.

- Comme dans certaines sociétés indigènes, guidées par les

rêves des chamans ?

- Par exemple. Si l’hypothèse se vérifie, intercepter les rêves

de cette marmotte nous permettra d’anticiper les mouve-

ments du RAR et d’apporter la preuve de son existence.

- Extraordinaire. Je peux vous poser une question ?

- Faites.

- Pourquoi un laboratoire de pointe comme le vôtre fait-il

appel à des stagiaires pour des missions aussi délicates ?

- Par manque de budget. Au Ministère, ils nous prennent

pour de doux rêveurs. Ils refusent obstinément d’admettre

que les animaux sont capables d’organisation et qu’ils ont

donc le potentiel de se rendre dangereux pour l’équilibre

fondamental de notre société. Ils ne se rendent pas compte

non plus des formidables débouchés commerciaux que rep-

LA CHASSE AUX RÊVES EST OUVERTE

Déroutée par sa crainte des bouleversements irréversibles que lui annoncent les travaux au col de Tende, la « petite

reine des tunnels », une marmotte des alpages de la Haute Roya, quitte son terrier et part découvrir le vaste monde à

la recherche d’une solution. « Parole de Marmotte » est son journal de bord. Elle y retrace sa quête et ses appren-

tissages du monde des Humains. Pour retrouver les précédents épisodes, lisez les pages 2 des anciens numéros.

LE TEMPS D’UN RÊVE

La Marmotte déroutée

DOSSIER :

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Page 3: La marmotte La marmotte déroutéedéroutée · 2018. 1. 11. · Page 2 PAROLE DE MARMOTTE Nº13 10h35. [Messages reçus. Expéditeur: Stagiaire nº1] « Opération réussie. J’ai

résenteront les données de notre expérience ! Les chercheurs

en biologie ou en neurosciences donneront cher pour y accé-

der ! Et que dire des gribouillards en sciences sociales qui vous

font des tartines sur l’intériorité des non-humains ? Non, au Mi-

nistère, ils nous laissent à peine survivre. Tout notre budget

part dans le matériel. Vous ne serez pas rémunérée. Ils ne fer-

ment pas notre labo parce qu’il leur donne une caution écolo,

cette fleur verte gentille qu’on colle en bas des rapports. Ils

n’ont aucune idée de la portée géostratégique et commerciale

de nos travaux. Ni de leur contribution notoire à la sécurité in-

térieure.

- En effet.

- Et puis, imaginez seulement, si on se laisse rêver un peu, pour

de bon cette fois : si nous trouvions un moyen d’orienter les

rêves du sujet ? Ce serait un pari incroyable, mais il n’est pas

complètement hors de portée. Vous savez que des expériences

sont déjà menées en ce sens sur des sujets humains, avec leurs

premières applications commerciales [2] ? Mais nous n’en som-

mes pas là. Et il nous faudra faire vite, pour remettre cette mar-

motte dans le circuit à temps. Vous le voulez, ce stage ?

- Oui, Monsieur.

- Alors, au travail !

* * *

10h36. À la sortie du tunnel ferroviaire hélicoïdal de

Berghe. Le stagiaire nº 1, regard fuyant, lunettes vissées au

bout du nez, enlève le bout de tissu imbibé d’éther du mu-

seau de la Marmotte. Il se saisit d’un sac de sport couleur

crème, aux bords renforcés et percés de trous pour y dépo-

ser délicatement la bête immobile.

* * *

10h36. À la sortie du tunnel ferroviaire hélicoïdal de

Berghe. Deux ombres encapuchonnées observent la scène.

- Enfoiré, il l’emporte.

- T’inquiète. Il a l’air d’un bleu. On va le suivre.

* * *

12h. Vallon de la Bendola, non loin du croisement avec la

RD 6204. Le lièvre-messager, essoufflé, halète sa missive à

l’oreille d’Épicure-le-Chat : « Alerte urgente au centre d’infor-

mation de Berghe : les Humains ont pris la Marmotte. Par chan-

ce ou par leur gaucherie, le centre n’a pas été découvert ».

En guise de merci, le Chat le gratifie d’une œillade perçante

et quelque peu carnassière qui le fait bondir de deux pas en

arrière.

Page 3

LE TEMPS D’UN RÊVE

Rêve de marmotte?

Dès l’automne, la durée du sommeil des marmottes s’allonge et

l'activité se réduit au ramassage d'herbes sèches pour installer

la litière du terrier d'hiver. Puis, nos amies s'endorment en

boule, la tête logée entre les pattes postérieures, les unes

contre les autres. La vie est maintenue au ralenti grâce aux

réserves de graisse accumulées.

En dépit de l'expression « dormir comme une marmotte »,

l'hibernation n'est pas un sommeil, mais plutôt une « vie

ralentie ». Toutes les deux à trois semaines, l'hibernation est

interrompue pour rejoindre les toilettes dans un état second,

ou pour... dormir ! Comme les autres mammifères, quand elle

dort, lors de ses phases de sommeil paradoxal, la marmotte

rêve et remue. Elle « défragmente son cerveau » et mémorise

(cf. p 5). Il semble ainsi que l'action réparatrice du véritable

sommeil et du rêve est indispensable pour la reine des tunnels

comme pour nous !

Janvier 2018, nº13

[1] Thérapie qui utilise la proximité d'un animal domestique ou de

compagnie auprès d'un humain souffrant de troubles mentaux, phy-

siques ou sociaux pour réduire le stress ou les conséquences d'un

traitement médical ou des problèmes postopératoires (définition de

Wikipédia).

[2] A ce sujet, lire : Guillaume Grallet, « Le high-tech veut contrôler

nos rêves ! », Le Point du 10/07/2014, disponible en ligne.

« Et si, pour le prochain numéro, on choisissait un thème léger, facile ? » - « Le rêve ? » -

« Bonne idée, enfin un sujet qui nous reposera! » Facile ? Quelle prétention ! Il nous au-

rait été impossible d’être plus loin de la réalité ! Rêve endormi, rêve éveillé, capté, inter-

prété, fou, artistique, technophile, impossible, solitaire, collectif…, - et on n’a pas fini

d’énumérer les directions dans lesquelles le thème du rêve nous entraîne. Mais puisque

c’est décidé, on tente : fermez les yeux, ouvrez les yeux, rêvons, c’est parti !

Tu rêves!

« Élève Dupont ! Je vous ai posé une question, vous rêvez ou

quoi ? »

Ben oui, je rêve tout éveillé, je suis cet oiseau qui est passé

devant la fenêtre et je pars en voyage loin de cette classe.

Capter les rêves

Fascinant monde des rêves ! Si les rêves éveillés reflètent

nos souhaits et nos états d’âmes, quand nous dormons, les

rêves deviennent plus complexes à cerner. Les surréalistes

ont joué à s’empêcher de s'endormir profondément pour

avoir accès aux images oniriques qui peuplaient les prémi-

ces de leur sommeil. Y trouver des inspirations au-delà du

réel et emmener l’autre, grâce à leurs œuvres ainsi réali-

sées, dans un monde inexploré. Beaucoup pensent qu'il y a

bien deux mondes dans lesquels nous vivons alternativement

du réel ou du rêve, mondes séparés par des portes, telle cel-

le franchie par Alice qui s'en va au pays des Merveilles. An-

dré Breton et ses amis s’étendaient avec une clé en main, la

main placée au-dessus d'une soucoupe et à chaque endor-

missement, celle-ci tombait dans la soucoupe et réveillait

celui qui la lâchait. Or, à force de s’empêcher de dormir,

donc aussi de rêver suffisamment, les deux mondes se mé-

langèrent et la folie s'installa !

Rêves et folie

Les privations de sommeil sont extrêmement dangereuses

pour l’équilibre mental, elles sont d'ailleurs utilisées depuis

des siècles comme méthode de torture, mais sait-on seule-

ment si c'est le manque de sommeil ou celui du rêve qui est

si dommageable ? Il semble bien que nos rêves nous soient

FLRF

AL

Le chemin le plus court pour aller d’un point à un autre, ce n’est pas la ligne droite, c’est le rêve (proverbe malien)

Suite : p.4

Page 4: La marmotte La marmotte déroutéedéroutée · 2018. 1. 11. · Page 2 PAROLE DE MARMOTTE Nº13 10h35. [Messages reçus. Expéditeur: Stagiaire nº1] « Opération réussie. J’ai

Page 4 Janvier 2018, nº13

indispensables même si nous ne nous en souvenons

pas suffisamment.

Les liens entre rêve et folie ont retenu l'attention de

moult psy. De nombreux thérapeutes se sont penchés

et se penchent encore sur les rêves pour guérir le

psychisme, et tout un tas de méthodes consistent à in-

terpréter les rêves à l'aide de clés, comme une langue

méconnue qui permettrait de trouver les causes du

mal de vivre. Et si c’était l'essence même de nos rêves

que de nous dire secrets et trésors ?

Rêves imposés

Détourné, « le rêve » tient dans notre société marchan-

de un rôle important pour créer les besoins et huiler la

consommation. Les rêves d’être et d’avoir se font ha-

meçons pour la pêche au consommateur. Le spot pu-

blicitaire se fait « rêve endormi » en imitant sa structu-

re irréaliste et incohérente, l'espace et le temps y sont

déformés, le fantastique y règne, les couleurs et les

formes nous appellent au pays des songes, ce monde

attirant que nous avons tant de mal à mémoriser et qui

est pour nous un besoin fondamental. Et l’acquisition

du produit vanté devient le « rêve éveillé », l’idéal

vers lequel tout un chacun tend. Ainsi, éveillé, je me

rêve au volant d'une voiture fabuleuse ; ou bien, belle

comme le jour, j'attire le magnifique autre grâce à ce

parfum irrésistible, dont il n'est même plus question de

prix. Je suis subjuguée et un jour, en passant devant

une chic parfumerie, je ne pourrai me retenir d'entrer

pour réaliser mon rêve ! C'est là que mon cerveau aura

largué ses formidables capacités pour devenir une

vulgaire éponge ! Les écrans de toutes sortes ont ce

pouvoir d'attirer notre attention et de nous abêtir. Si

nous voulons faire avec nos rêves à nous, il vaut mieux

s'en éloigner !

Mais que faire avec nos rêves ?

On l'a vu précédemment, ils sont sources sublimes

d'inspirations créatives artistiques. En peinture, nous avons

une multitude d’œuvres, en voici quelques-unes qui à mon

goût valent le détour. Dès le XVème siècle, Canavesio plonge

dans ses songes pour peindre, à la Brigue, « l’Apocalypse de

Notre-Dame-des-Fontaines » ; au XVème également, Hie-

ronymus Bosch, « Le jardin des délices » ; au XVIIIème, Wi-

lliam Blake, « l’Ancien des jours » ; au XIXème, Klimt, « le Bai-

ser » ; Khalil Gibran, « Au cœur du Lotus » ; au XXème, Dali,

« Les montres molles », Picasso, « Les demoiselles d’Avig-

non », Magritte, « Pommes ». Alors, oui, créons à partir de nos

rêves, même si le talent n'est pas toujours au rendez-vous,

nous n'en tirerons que du bon (lire, p. 12, Journal de n’importe

qui).

Nous pouvons également y chercher un sens via l’interpréta-

tion. Là, la prudence est requise car il est trop facile de pas-

ser à côté du sens caché et cela peut nous amener à de gros-

sières erreurs. Pour les rêves prémonitoires, il y a couram-

ment inversion de la signification apparente. Il y a plusieurs

types de décryptage. Avant Freud, les rêves étaient ressentis

comme des messages divins : les esprits, les dieux, voire le

diable nous parlaient à travers nos songes et les augures,

spécialistes de l'interprétation, étaient là, dans les temples,

pour décrypter. Pour Freud, le rêve est la voie royale d’accès

à l'inconscient et sa compréhension, un axe central pour la

guérison des hystéries et autres problèmes psy. Yung y ajou-

te un accès à l'inconscient collectif. De nombreux livres et

sites Internet, à utiliser toutefois avec prudence, peuvent

nous guider dans le décodage de nos rêves. Avant tout, se

souvenir de son rêve, se dire au coucher qu'on va s'en rappe-

ler, avoir un carnet et un stylo à portée de main au réveil, car

sinon tout s’évapore. Noter aussi le sentiment lié à l'image....

Bref, il y a de quoi s'occuper et il faut prendre son temps. Be-

lle chasse aux trésors !

Parlons du rêve éveillé, l’idéal à atteindre ; le plus grand

bonheur, c'est souvent de réaliser son rêve ! Les rabats joies

sont souvent là pour nous dire « tu rêves ou quoi, c'est pas

réalisable ! » C'est là que vient le combat face à ceux qui ne

croient pas aux changements ou préfèrent faire l'autruche.

Mais là encore, un piège : à force de rêver, la vie s’écoule, le

temps, lui, ne s’arrête pas, et mon rêve reste rêve. Il peut

même insidieusement devenir l'alibi de mon non-faire. Alors,

oui, rêvons et battons-nous pour réaliser nos rêves plutôt que

nos cauchemars !

PS : Il était une fois….

… quelques convives autour d’une table ; l’un sort quelques

poires bien mûres, l’autre s’exclame : “ce serait si bon de les

manger chaudes avec du chocolat fondant!” ; et l’une se lève

et en deux temps, trois mouvements, le dessert succulent est

sur la table, au grand bonheur des amis. Moralité, à plu-

sieurs, on réalise encore mieux ses rêves.

LE TEMPS D’UN RÊVE

Et Donald Trump, un mur plus haut que le Bego le long de la frontière DOSSIER Brigitte Bardot a vu en rêve la résurgence de

Notre-Dame-des Fontaines remplie de bébés phoques...

La belette

Page 5: La marmotte La marmotte déroutéedéroutée · 2018. 1. 11. · Page 2 PAROLE DE MARMOTTE Nº13 10h35. [Messages reçus. Expéditeur: Stagiaire nº1] « Opération réussie. J’ai

Page 5

[1] Michel Jouvet, De la science et des

rêves, mémoires d'un onirologue, Odile

Jacob, 2013.

[2] Une étude a montré que les animaux

privés de sommeil paradoxal mourraient

au bout de 3 à 6 semaines.

[3] Pr. Diekelmann, psychologue spécia-

liste en neurosciences cognitives à l'Uni-

versité de Tübingen (Allemagne).

La défragmentation cérébrale

LE TEMPS D’UN RÊVE

Après une journée chargée, il est temps

de se mettre au lit. Trois à cinq cycles de

sommeil de 90 à 120 minutes se suc-

cèdent, entrecoupés de périodes d'éveil

(sommeil intermédiaire). On relâche les

muscles et le rythme cardiaque pour entrer en somnolence et s'assoupir.

Durant les 4 à 12 heures de sommeil, la moitié sera caractérisée par un som-

meil léger, très sensible aux stimuli

externes. Puis l’activité cérébrale ralen-tit à son minimum durant le sommeil

lent profond. Ensuite, le sommeil pro-

fond se caractérise par l'endormisse-

ment de l’ensemble du corps (les mus-

cles, le cerveau). Cette phase de repos

total permet de récupérer la fatigue

physique accumulée (c’est aussi à ce

moment que peut survenir le somnam-

bulisme). Nos yeux sont en

mouvement et notre respira-

tion devient irrégulière, le

cerveau émet des ondes rapi-

des. Nous entrons dans un

état particulier et profond de

notre sommeil identifié à la fin des années 1950 : le sommeil

paradoxal ou sommeil rapi-

de. Il occupe environ un quart

du temps de repos mais peut

laisser penser que l'on est sur

le point de s’éveiller. Selon

l’onirologue Michel Jouvet [1],

"[cet] état ressemble à un

éveil, à cause de l'activation

corticale qui simule un vérita-

ble éveil actif : ce serait alors

un éveil paradoxal puisque le

seuil d'éveil augmente !" [1].

Les rêves, qui peuvent surve-

nir durant le sommeil léger, se

manifestent principalement

durant cette phase et ne durent

en réalité que quelques secon-

des. Ils sont généralement effa-

cés avant le cycle suivant. C'est

pourquoi on ne s'en souvient

que très rarement. Cette phase

étrange de la vie où l'être est démuni et

à la merci des prédateurs, où notre cer-

veau bouillonne et consomme beaucoup

d'én-ergie, semble vitale [2] et anime la

vie de tous les animaux.

Rêves et mémoire

Le monde onirique serait étroitement lié

à notre mémoire, notre capacité d'enre-

gistrer et d’organiser le chaos mêlant

nos souvenirs de la journée et de la se-

maine au reste de notre vécu, à nos

raisonnements, nos apprentissages, nos

interrogations, nos ressentis... Il aiderait

à organiser toutes les informations que

traite notre cerveau, à les mettre en lien

quand il le faut, à « traiter » nos malheurs

et nos bonheurs. C'est pour cela que nos

rêves sont souvent en lien (plus ou

moins direct) avec nos préoccupations

et peuvent même être perçus comme

des événements vécus. Lorsque l'on

manque de sommeil, la partie frontale

du cerveau ne fait plus le tri et "notre

capacité à décider si un souvenir est vrai

ou faux est alors affaiblie, ce qui peut en-

traîner la production de faux souve-

nirs" [3]. Le cortex pariétal et frontal,

impliqué dans l'esprit critique, est

désactivé ce qui favorise diverses ano-

malies comme la non réaction aux sons

rentrés dans les habitudes, etc.

L’imagerie cérébrale permet d'observer

l'éveil de certaines régions du cerveau

(visuelles, motrices, émotionnelles, mé-

moire autobiographique) pendant que

d'autres demeurent profondément en-

dormies (placement d'objets dans leur

contexte). Cela explique probablement

le caractère visuel des rêves et les fré-

quentes aberrations spatiales. Durant le

sommeil paradoxal, "une relative quies-

cence du réseau attentionnel peut expli-

quer pourquoi les stimuli externes déli-

vrés à ce moment sont soit ignorés, soit

automatiquement in-

corporés dans la nar-

ration du rêve, au lieu d'en interrompre

l'histoire. Ce qui suggère que le rêve est

le gardien du sommeil" [4].

Le Dr. Allan Hobson proposait, pour sa

part, en 1977, une "nouvelle théorie du

rêve", hypothèse selon laquelle "les

rêves seraient une activation-synthèse de

la conscience destinée à attribuer un sens

à des signaux aléatoires produits au cours

du sommeil", qui justifierait ce mélange

de cohérence et d'étrange.

Michel Jouvet désigne ces phases oniri-

ques comme des simulations de la réali-

té permettant de s’entraîner et donc

d’accélérer la maturation cérébrale [5];

simulations que les rêves lucides per-

mettraient de contrôler.

De nombreux facteurs altèrent la

qualité de notre sommeil : l'alcool,

la nicotine, les repas trop lourds,

la télévision, les lumières artifici-

elles le soir. Le réveil qui sonne

tous les matins briserait, selon une

étude récente, « les périodes de

sommeil paradoxal les plus lon-

gues» [6]. Une vie équilibrée et

simplement le fait de s'offrir, dans

la mesure du possible, des réveils

naturels vous aideront à mieux

vous reposer, à combler cette né-

cessité physiologique qu'est le

rêve, et donc à favoriser une bon-

ne santé mentale et la mémorisa-

tion des données.

Nos connaissances du rêve sont encore limitées. Selon de nombreux neuroscientifiques, ils permet-

traient en quelque sorte de "défragmenter" notre cerveau, organiser et synthétiser notre mémoire,

préparer le terrain pour les informations à recevoir ou à transmettre et digérer nos émotions.

La Marmotte déroutée

Andromède Lelagopède

Rêve lucide : Cette technique de rêve contrôlé

consiste à prendre connaissance de son rêve et l'orienter

pour en changer le déroulement. Cela peut commencer

par le constat d'un cauchemar afin de s’éveiller pour le

faire cesser. Mais il semblerait qu’il soit aussi possible de

modifier le cours de son rêve sans devoir s’éveiller ! [4] Pr. Martin Desseilles, du dépar-

tement de psychologie médicale de l'Univer-

sité de Namur (Belgique).

[5] En observant une corrélation entre la

quantité de sommeil paradoxal dans le règne

animal et le niveau de maturité des bébés à la

naissance.

[6] Sarah Winkel, « Rêver, c’est bon pour la

santé », 7sur7.be, 30 octobre 2017

(disponible en ligne)

Autres sources:

« Rêves, cauchemars… Que veulent-ils nous

dire », www.passeportsante.net

Jean du Chazaud, «Le rêve est-il nécessaire à

la santé ? » sur www.endocrino-

psychologie.org

Page 6: La marmotte La marmotte déroutéedéroutée · 2018. 1. 11. · Page 2 PAROLE DE MARMOTTE Nº13 10h35. [Messages reçus. Expéditeur: Stagiaire nº1] « Opération réussie. J’ai

Page 6 Janvier 2018, nº13

LE TEMPS D’UN RÊVE

B’Rêve-sur-Roya Et si l’histoire d’un village, d’un lieu, était construite par les rêves de celles et ceux qui y

ont vécu ? Et si chaque lieu avait son propre rêve ?

J’ai commencé à rêver

au temps de ma jeunes-

se, quand régnaient les guerres des

clans du Silex. J’étais au col de Brouis

affrontant vents et pluies, je me riais

des avalanches, mes bâtisseurs par di-

zaines s’en allaient graver des prières

sur le flanc du Bego pour que je rêve

encore.

A mon adolescence, je rêvais dans les

collines, de simples maisons de bois aux

fondations de pierres me servaient de

corpus. Les hommes faisaient toujours la

guerre, mais ils défrichaient aussi les

forêts, chassaient ours et loups pour pro-

téger les troupeaux, ils adoraient les

dieux de la montagne, mais

avaient oublié le Bego. Leur nombre

augmentait, un soir j’en ai compté 200.

Pour organiser leurs éternels conflits, les

hommes se soumettaient entre eux et les

chefs les faisaient travailler à m'embellir.

J’étais de bois, mais déjà la pierre

s’échappait des fondations pour faire

des murs supportant des poutres et un

chapeau de chaume. A ce moment-là,

arriva le clan du crucifié avec ses magi-

ciens, ses architectes et ses banquiers.

Ils remplacèrent les anciens dieux par le

cloué vif et stupéfièrent la population en

construisant une nef de pierre flanquée

d’un clocher qui montait plus haut que

les arbres du bosquet sacré de la Gian-

dola. Alors, sur une crête rocheuse en-

tourée de falaises dominant la rivière,

les hommes construisirent une forteres-

se de pierre en s’inspirant des nefs du

cloué.

C’est ainsi que démarrèrent mes rêves

d’adulte, j’avais trouvé ma place. Les

hommes se regroupèrent, toutes les

masures et chaumières se retrouvèrent

au pied du château.

C’était l’âge d’or, mes plus beaux rêves

se réalisaient tous, les uns après les au-

tres. Avec les faucons, je rêvais d’une

tour dominant le ciel. Les hommes cons-

truisirent la Cruella ! Pour égayer mon

paysage, les gars de la croix édifièrent

des clochers. Même quand ils s’entre-

tuaient, je rêvais toujours, mais de pri-

sons, de canons et d’une muraille pour

protéger mes maisons.

A présent, les hommes étaient si nom-

breux que même après une peste, ou

une guerre, il en restait encore plus de

mille sur ma commune.

Les hommes pétrissaient les pierres, le

feu, le fer, maitrisaient les rivières, le

vent et même les étoiles, je rêvais d’or,

d’encens et de myrrhe. Ils me tracèrent

une route pharaonique creusée dans la

montagne, ils érigèrent une muraille qui

me rendit invincible, construisirent des

ponts au-dessus des abimes.

Puis ils détruisirent le château, et chaque

pierre, avec son petit bout de rêve,

égayait à présent leurs nouvelles de-

meures. Ils couvrirent mes toits de terre

cuite, pavèrent mes rues de galets, firent

chanter des fontaines et dansèrent à

2000 pendant la Stacada. Pour parfaire

mon paysage onirique, ils sculptèrent

des milliers d’escaliers dans la monta-

gne et créèrent un verger de 150 000

oliviers. Et, en guise de cathédrale, ils

firent surgir Santa Maria in Albi.

200 ans plus tard, le cauchemar a com-

mencé, le clan du Progrès est arrivé, il a

remplacé ma muraille par des bouchons

de voitures, transformé la terre en gou-

dron, abandonné les oliviers, cimenté les

maisons et les ponts, grillagé la rivière,

tué les paysans, remplacé les faucons par

des avions, vidé les églises, rempli les

banques ; le chemin ducal est transformé

en voie rapide, plus de charrettes, plus de

mulets, plus de moutons mais des ca-

mions. Moins de bons sens mais le Crédit

agricole, plus de veillée mais des télés,

plus de tavernes et plus de chansons... Et,

comble du cruel, ils ont creusé un lac qui

sera ma tombe ! Sous les caméras de la

Ca d'Breil, entouré d’hommes électriques

et de filles en plastique, je ne rêve plus !

Zézé Si j’avais un rêve : A l’enfant qui sommeille en chacun de nous : ferme les

yeux et fais trois vœux… Mais moi, dans mon rêve, je n’en

ai qu’un : tenir la baguette magique !

Avec elle, j’entendrai les enfants piailler sans craindre

l’asthme et les bronchiolites et courir après leur ballon

sans risquer un destin de hérisson.

Avec elle, notre train, riant comme un tarin*, est une ligne

de vie, un lieu de vie... Wagon musique, wagon livres,

wagon marché, wagon sportif, wagon terrasse, wagon pay-

sage et tranquillité, wagon « retraite et contemplation »,

wagon surprise, wagon à thème.... Et cela en incessants

allers-retours, de gare en gare fleuries aux quais enfiévrés.

(* tarin : petit oiseau chanteur de la famille des passereaux)

Si j’avais un cauchemar : Si j’avais un cauchemar à raconter, dans mon lit à l’étage...

Ma baguette magique est écrabouillée sur la route...

Et alors, je vois du gris partout, des volets tous clos, des

plantes désormais anorexiques et moribondes. Au-dessus

de moi, des viaducs occultent le soleil et les étoiles.... Je

n’ai plus qu’à partir et dire adieu à la vallée de la Roya

sacrifiée sur l’autel de nos égoïsmes … « No future »

Les Coyotes des Alpages

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La Marmotte déroutée Page 7

LE TEMPS D’UN RÊVE DOSSIER

Quelle idée saugrenue a-t-elle eu, la Marmotte, de partir à la recherche de rêveurs-rêveuses en ce premier

mois d’hiver ! Et en plus, après les fêtes, à l’entrée d’une période creuse où l’on ne rêve même plus de cadeaux ou de

repas gargantuesques ! Mais si c’était, tout au contraire, le bon moment pour prendre du recul et regarder nos rêves -

enfin, pour ceux/celles qui en ont - avec un peu de sérieux ? Quoi qu’il en soit, la Marmotte a bien fini par tomber sur

un rêveur, et pas des moindres. Son rêve ? Être un chevreuil. Voici quelques extraits de leur conversation.

Dialogue avec un chevreuil rêveur OREILLES TENDUES

M : Réalise-t-on vraiment nos rêves ? Mais déjà, pour com-

mencer, rêve-t-on vraiment ?

Élaborer tes rêves, c’est un effort, un travail presque, une tor-

ture. Délimiter ton espace de subjectivité. Là où c’est toi qui

penses, et pas la morale ou les conventions. Le temps mort, le

manque d’intensité, la mort à petit feu par ennui, c’est là que

les rêves peuvent devenir sombres, et la violence faire son

entrée. Mais la violence, tu peux la donner pour t’émanciper.

Souvent, et on le sait, même quand on croit réaliser nos rêves,

on reste dans le faux. Même quand ils contiennent quelque

chose de vrai, c’est noyé dans du faux. Quand les pubs utili-

sent des termes comme « révolution », « réalité » ou « rêve »

pour vendre un robot épluche-légumes ou une voiture, on

s’habitue à la mise en scène de la vie. Et quand on a un choix

à faire, on se réfère à un catalogue.

M : Même quand on résiste ?

Quelqu’un d’opprimé devient agressif, enfin, normalement.

Mais la plupart du temps, nos résistances sont du théâtre, un

truc à propos duquel tout le monde sait par avance qu’il sera

inoffensif – la manif en est une incarnation par excellence,

mais beaucoup d’autres formes de mobilisation le sont tout

autant, qu’on les étiquette de légalistes ou d’anarchistes. On

fait du happening. On agite un couteau en plastique, inoffensif

même s’il peut être impressionnant, le seul outil admis.

M : L’émeute, c’est aussi un jeu ?

Non, parfois, c’est spontané et ça peut devenir ingouverna-

ble. Mais quand c’est un but en soi, donc prévisible, on reste

dans les règles statistiques. Le théâtre est l’espace qu’on nous

laisse pour canaliser nos rêves et neutraliser notre violence

(fût-ce en la réalisant pour de faux). Pour orienter la créativité

et l’intelligence des gens dans le sens du pouvoir, on peut

utiliser des coups de bâton ou des récompenses. Du pain et

des jeux. Un bon spectacle est une bonne récompense.

M : Qu’on le regarde ou qu’on en soit l’acteur. Ça défrus-

tre ?

C’est ça, quand le spectacle finit, on a vécu des choses, puis

le rideau tombe et on rentre chez soi.

M : Que faire alors?

Récupérer le vrai terrain de la rue. Nous associer. Avec des

passions à partager.

M : Et pourquoi vouloir être un chevreuil ?

(Il n’y aura pas de réponse à cette question)

Jidé

L’oiseau vole en cercle Au-dessus des montagnes, les nuages se chargent d’hiver La flûte sonne sur les ruines des remparts

Oreille tendue par Andrea

Installez-vous.

Parlez-moi de vos rêves et de

vos cauchemars !

Depuis quelques temps, je rêve

que je suis deux ! Tout allait bien

pourtant y a quelques années. Et

puis, on a commencé à me faire

sentir vieux, obsolète. Terrible

sentiment. Je suis un tunnel, je

ne pouvais pas tuer mon père et

me marier avec ma mère, j’ai

donc décidé de refouler mes

complexes. Je sais, c’est une très

mauvaise habitude.

Dites m’en plus sur vos

complexes ?

En fait, je n’en avais pas il y a

encore quelques mois. Un jour,

on est venu me forer les côtés à

différents endroits et je me suis

rendu compte qu’on me ratta-

chait à une sorte d’extension de

moi, sensiblement plus récente,

mais, avec un mal-être pro-

fond…Une sacrée expérience.

Je pense qu’il s’agissait de

mon inconscient, mais à ce

moment-là, je sentis beau-

coup de souffrance. Cette

extension était si fragile…

Poursuivez !

Je crois que je manque

d’amour. Vous me suivez ?

D’apparence masculine, je

suis un symbole évidemment fé-

minin… Tandis que les véhicules

qui me traversent… phalliques,

bien entendu. Vous me suivez ?

J’ai beau avoir un bel âge, je souf-

fre de manque de reconnaissance.

J’ai l’impression que je fais peur.

Pourtant, il ne faut pas se tromper.

Bien entendu, mon moi est un tun-

nel austère. Mais mon surmoi, ce

que je cache à moi-même mais

aussi aux autres, c’est un vide

« d’amour » qui n’est pas comblé !

… Ah, ça va mieux en le disant.

Merci de m’avoir écouté.

Combien je vous dois ? Jidé

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Page 8 La Marmotte déroutée

LE TEMPS D’UN RÊVE DOSSIER

Savourer le vertige sans céder à l’appel du précipice Du rêve à l’action : Rêve (éveillé) : « production idéale ou chimérique de l’imagination destinée à satisfaire un besoin ou un désir, à refuser une réalité

difficile, à représenter ce que l’on veut accomplir » (Dictionnaire Antidote).

Les rêves éveillés n’ont pas pour vocation

première d’être réalisables, ce sont des rêves,

pas des projets. On ne rêve pas un plan d’action

ou une feuille de calcul, on rêve des situations,

des émotions. Mais nos projets peuvent se nourrir

de ces situations imaginaires et nous, avoir be-

soin d’elles pour y puiser nos intentions. Il y a des

rêves qui nous portent, nous accompagnent à la

manière d’une puissance secrète qui nous fait

prendre de la hauteur sur les problèmes du quoti-

dien. Mettant en scène quelque détail possible de

notre vie, d’autres promettent une récompense

dont l’avant-goût donne de la niaque à nos actes

et gestes. Mais, à de rares exceptions près, les

choses ne se passent pas comme on les imagine,

et les histoires qu’on se raconte restent trop sou-

vent dans la fiction. Alors, quand la promesse

s’évanouit, le rêve n’inspire plus, ne compense

plus l’insipide de la routine, il devient, au contrai-

re, un facteur d’apathie : quand la distance entre lui et le réel

se fait infranchissable, tous nos efforts nous paraissent vains.

Nos rêves impossibles rendent nos possibles ternes et creux.

De là, il n’y a qu’un pas pour qu’on s’endorme dans l’ennui du

« à quoi bon », un vide où on ne veut plus rien puisque tout

rêve nous semble être un délire. Rêver, c’est vivre dange-

reusement : suivre la ligne de crête au plus près du précipi-

ce, savourer le vertige sans y céder. Alors, pour peu qu’on

veuille garder ce quelque chose de passion qui fait que nos

vies sortent parfois de l’ordinaire, on doit apprendre à appri-

voiser notre imaginaire et à déjouer les pièges qu’il nous

tend.

Veiller à ce que le rêve oriente la réalité au lieu d’en prendre

la place est un jeu d’équilibriste. Oblomov, le héros du roman

homonyme d’Ivan Gontcharov, passe sa vie sur un divan

rêvant à un pays chimérique. Les souvenirs d’enfance qu’il y

retrouve l’égarent dans la nostalgie d’un passé révolu. Sym-

bole de désœuvrement mélancolique, de perte totale de pri-

se sur la vie, Oblomov nous éclaire sur la puissance anéantis-

sante des fantasmes [1]. Ces créations psychiques, nos créa-

tions, sont faites pour exhausser nos désirs. L’extrême préci-

sion de leurs voyages immobiles rend le passage à l’acte su-

perflu. En parallèle, souvent, l’intensité des émotions qu’elles

nous procurent, alliée à la conscience de ne pouvoir les vivre

que « pour de faux », nous accaparent, nous empêchent

d’« être là » et d’être sensibles à la beauté de ce qui existe.

Notre monde imaginaire devient ainsi un puits à frustrations.

C’est un savant dosage que d’imaginer assez pour nourrir le

désir de faire et s’arrêter avant que les méandres de l’imagi-

naire ne nous retiennent prisonniers.

Une force vitale plus qu’un espoir

On rêve toujours au-dessus de nos moyens. L’admettre par

avance peut nous aider à amortir les chutes. Mais, en antici-

pant et en désamorçant ainsi nos frustrations, faut-il encore ne

pas tomber dans le travers contraire : mettre trop vite le point

final à quelque chose qu’on peut rêver de vivre ou de créer,

le juger impossible sans lui laisser une chance d’être essayé.

Un autre piège est le rôle de victime dans lequel on se com-

plait si facilement. Souvent, la réalisation de nos rêves ne dé-

pend pas seulement de nous, et les cas où les autres, l’exté-

rieur et le hasard rentrent en consonance totale avec notre

imaginaire sont aussi rares qu’un alignement planétaire.

Alors, on peut avoir tendance à rendre les autres responsa-

bles de nos échecs ou de notre inaction, on fait d’eux des ca-

che-sexes de nos peurs existentielles, boucs émissaires de

nos renoncements. Faire face à soi-même est loin d’être faci-

le. Il est peut-être plus dur encore, et plus fragilisant à priori,

de parvenir à ajuster nos rêves à ce que sont ces autres, les

autres vrais, pas tels qu’on les imagine. Et que penser alors

de l’idée folle de partager nos rêves avec eux, de prendre le

risque, pour construire des rêves communs, de voir nos rêves

se désarticuler, de ne plus être uniquement nôtres?

Un rêve devient rarement réalité sous sa forme de départ,

avec tous ses détails. Mais il peut être à l’origine de réalités

qui n’existaient pas avant lui. Un rêve ne meurt pas : soit il

nous hante, soit il se métamorphose, et cette deuxième option

laisse beaucoup de possibilités. Accepter que nos rêves évo-

luent au contact du réel implique le courage, non pas d’y re-

noncer, mais de pouvoir les mettre en pièces pour les remo-

deler, tel un échafaudage mental qu’on change régulièrement

d’endroit et qu’on ajuste sans cesse pour qu’il s’élève plus

haut tout en étant plus solidement ancré au sol. L’altérité,

même faite de blocages, apporte à cette entreprise un salutai-

re décalage, comme lorsque, confronté à une impasse d’or-

dre pratique, on cherche un regard neuf pour en sortir. Nos

rêves peuvent être des trames dont on s’amuse à revisiter les

scénarios, laissant aux situations réelles, avec ce qui les com-

pose, un large espace d’improvisation. Souvent, le contenu-

Le sanglier rêve de cimetières remplis de chasseurs, Et le chasseur, de forêts pleines de sangliers vivants.

Page 9: La marmotte La marmotte déroutéedéroutée · 2018. 1. 11. · Page 2 PAROLE DE MARMOTTE Nº13 10h35. [Messages reçus. Expéditeur: Stagiaire nº1] « Opération réussie. J’ai

Janvier 2018, nº13 Page 9

Alice

LE TEMPS D’UN RÊVE

Rêve de sciences

Des superstitions au scientisme

Pendant des millénaires, la magie, le

mysticisme et la religion ont joué un

rôle de premier plan dans la com-

préhension que les Humains avaient du

monde. Cette emprise, qui paraissait

inébranlable, a donné lieu à des régi-

mes politico-religieux dont la monar-

chie héréditaire de droit divin est l’un

des exemples paradigmatiques. Puis,

entre le XVIème et le XVIIIème siècle, les

découvertes scientifiques et les inven-

tions successives ont fait advenir un

nouveau mode de pensée incarné et

diffusé par ceux et celles que nous ap-

pelons « les Lumières » - une métaphore

pour signifier qu’ils « éclairèrent » le

monde pour le faire sortir de l’obscu-

rantisme. Les travaux de Descartes, no-

tamment sa méthode dite « rationnelle »,

c’est-à-dire fonctionnant sur des déduc-

tions logiques et sur des expériences

concrètes, favorisèrent la naissance

d’un nouveau courant de pensée : le

positivisme ou scientisme. La science

nous permettrait de tout comprendre,

de « nous rendre comme maîtres et pos-

sesseurs de la nature ».

Le scientisme, nouvelle superstition ?

L’évolution des espèces (Darwin), la

mécanique classique (Newton), la ri-

chesse des nations (Smith) ou la créa-

tion de l’univers (théorie du big-bang) :

peut-on réellement tout expliquer

scientifiquement ? Aujourd’hui, la scien-

ce est omniprésente, privilégiée dès les

bancs de l’école, vulgarisée dans les

magazines grand-public ou les émis-

sions radio, à portée de nos doigts au

travers des smartphones. La fusion nu-

cléaire nous promet une énergie quasi-

infinie, la manipulation génétique per-

met d’enrichir le golden riz en vitamine

A, nous sommes capables de faire pous-

ser des légumes dans un substrat qui

reproduit le sol martien, de sélectionner

le sexe des bébés, de refaire marcher

les handicapés moteurs et de greffer de

nouvelles têtes sur le tronc d’autres per-

sonnes, de lire sur le visage d’un dor-

meur pour savoir de quoi il rêve [1] (cf.

l’encadré p.10)… La science peut-elle

tout ? Doit-on en avoir peur ? Ou bien,

nous n’avons d’autre choix que croire

en sa toute-puissance, sans libre-

arbitre, aveuglement ?

« Science sans conscience n’est que

ruine de l’âme » (Rabelais)

Nous sommes (encore …) des êtres sen-

sibles, sujets à des émotions qui nous

sont propres. La colère, l’amour, la tris-

tesse, la joie… Sans cela, nous serions

des clones, dépossédés de nos subjecti-

vités, de notre « âme », de ce qui fait

que nous sommes ce que nous sommes.

« Je sens donc je suis », pourrions-nous

répondre aux gourous scientistes. Car

une certaine déraison plane sur les

rêves de technologie. Les mythes et la

Critique du progrès :

les néo-luddites

Le néo-luddisme est un mouvement

d'opposition à tout ou partie du progrès

technologique. Héritiers des luddites du

XIXème siècle (ouvriers et artisans an-

glais qui détruisaient les machines par

lesquelles on remplaçait leur travail),

les néo-luddites ne sont pas nécessaire-

ment technophobes mais plutôt criti-

ques des technologies et de leurs effets

sur les individus et les communautés. Ils

revendiquent un retour à des valeurs et

des pratiques plus « naturelles » et plus

simples que celles portées par la tech-

nologie moderne. (Source : Wikipédia)

même de nos rêves reste emprisonné par le déjà-vécu ou par des

idéaux figés, tout comme nos bancs d’essai pâtissent des préjugés

qu’on cultive sur nos limites. La connaissance de soi, précieuse

pour ne pas tomber trop bas, devient parfois notre plus grande

prison. En acceptant d’ouvrir nos rêves à l’inconnu, celui précisé-

ment qu’on ne peut pas imaginer, on évacue non seulement la peur

et la douleur des échecs. On s’offre le luxe de rêver au-delà de

nous, pour « devenir sans cesse » [2].

[1] Un fantasme est une « production de

l’imagination qui exprime des désirs

conscients ou inconscients », il n’est pas

forcément sexuel. Par exemple, un pro-

jet, individuel ou collectif, aux attentes

trop détaillées peut aussi en être un.

[2] « Ne soyez rien, devenez sans cesse »

est l’adage inspirant d’un des protago-

nistes du roman d’Alain Damasio « La

Zone du Dehors ».

Être immortel, dompter la nature, s’affranchir des limites de l’espace, voler… La science fait

rêver. Pourtant, le mythe du progrès scientifique infini a beaucoup été critiqué par le passé et fait tou-

jours encore (un peu) débat.

Page 10: La marmotte La marmotte déroutéedéroutée · 2018. 1. 11. · Page 2 PAROLE DE MARMOTTE Nº13 10h35. [Messages reçus. Expéditeur: Stagiaire nº1] « Opération réussie. J’ai

Page 10 La Marmotte déroutée

fiction s’en délectent : Prométhée, en vo-

lant le feu aux Dieux, en avait fait les

frais, condamné à se faire dévorer chaque

jour le foie, qui repoussait chaque nuit ;

Mary Shelley a mis en scène la folie de la

technique sans éthique dans son roman

« Frankenstein ». Parfois, l’invention dé-

truit son créateur ou peut être lourde de

menaces pour la vie telle que nous la connaissons : le nu-

cléaire serait capable de faire littéralement exploser la

planète ; les nouvelles molécules chimiques font baisser la

fertilité des espèces animales ; les manipulations généti-

ques (OGM, Crispr-Cas9) détruisent la biodiversité ou

menacent de créer des mutants ; le contrôle climatique,

encore à ses balbutiements, risque de dérégler des sys-

tèmes complexes dont on ignore encore beaucoup de

choses ; l’intelligence artificielle (IA) pourrait trouver

l’être humain gênant et vouloir le supprimer comme on

efface un fichier sur un disque dur ; etc. Si dans un premier

temps, la science nous aura permis de sortir de l’ignoran-

ce, aujourd’hui, devenue hégémonique, elle met notre

existence en question. Même si des mécanismes [2] ont

été mis en place pour brider cette science atteinte de

mégalomanie, à l’heure de la compétition mondiale et de

la marchandisation de tout, ils sont bien peu de choses (cf.

l’encadré ci-contre). Méfions-nous : n’est pas rare que les

rêves de certains soient les cauchemars des autres !

Jidé

LE TEMPS D’UN RÊVE Les nouveaux dieux : transhumanistes et

géo-ingénieurs

Peut-on réellement « augmenter » l’Humain, comme on

augmenterait le volume d’un poste radio ? C’est ce que

croient les adeptes du transhumanisme, courant se si-

tuant à la jonction des nanotechnologies (technique de l’infini-

ment petit), des biotechnologies (manipulation du vivant), de

la génétique, de la robotique et de l’informatique (intelligence

artificielle). Visant « la promotion de l'amélioration de la condi-

tion humaine à travers des technologies d'amélioration de la vie,

ayant pour but l'élimination du vieillissement et l'augmentation

des capacités intellectuelles, physiques ou psychologiques », ils

se définissent comme héritiers de l’humanisme. Mais déjà, der

-rière ces cantiques, on voit se dessiner un avenir marqué par

les inégalités. Bientôt, « il y aura des gens implantés, hybridés,

et ceux-ci domineront le monde. Les autres qui ne le seront pas,

ne seront pas plus utiles que nos vaches actuelles gardées au

pré. […] Ceux qui décideront de rester humains et refuseront de

s’améliorer auront un sérieux handicap. Ils constitueront une

sous-espèce et formeront les chimpanzés du futur » [1].

La but de la géo-ingénierie n’est ni plus ni moins de contrôler le

climat, notamment pour amoindrir les conséquences dramati-

ques d'un futur et probable réchauffement climatique produit par

nos émissions de gaz à effet de serre (GES). Un exemple ? Refroi-

dir la planète en injectant dans l’air de la stratosphère, via des

aéronefs, des particules volatiles filtrantes (soufrés) dans le but

de créer un bouclier protecteur des rayons solaires. Si les re-

cherches menées en ce sens aboutissent, il nous faudra nous pré-

parer à voir le ciel en permanence voilé avec d’autant plus de

probabilités que les dernières COP (sommets internationaux sur

le climat) ont inscrit l’usage de la géo-ingénierie dans les possi-

bles mécanismes de réduction des émissions de GES, aux côtés

des énergies renouvelables (solaire, éolien, etc.) [2]. D’autres

techniques cherchent à augmenter la capacité d’absorption du

carbone des océans (en les ensemençant avec du fer, en corri-

geant leur acidité avec de la chaux, du calcaire concassé ou en

accélérant l’érosion des roches) ou à éclaircir les nuages marins.

Il y en a qui sont même allés jusqu’à imaginer repeindre les An-

des péruviennes en blanc pour augmenter leur albédo (pouvoir

réfléchissant) ou couper les forêts boréales pour laisser à décou-

vert le tapis neigeux ! Les principales pistes jugées « sérieuses »

laissent en suspens de très nombreuses questions. Dans un ou-

vrage récent, l’essayiste australien Clive Hamilton [3] passe au

crible leurs limites : un très grand nombre d’inconnues dues à la

méconnaissance des processus complexes sur lesquels on pré-

tend intervenir, une efficacité douteuse, des coûts souvent très

élevés et surtout la nécessité de mettre en place de lourdes in-

frastructures dévoreuses d’énergie et d’autres ressources» [4]. Et

si la solution était le problème ?

[1] Voir le « Manifeste des Chimpanzés du futur contre le transhumanis-

me » de Pièces et Main d’œuvre, chimpanzesdufutur.wordpress.com,

2017.

[2] « COP23 : L'ingénierie climatique est risquée mais doit être explo-

rée, selon des experts », mediaterre.org, Florent Breuil, le 17/11/2017

[3] Lire « Les Apprentis sorciers du climat Raisons et déraisons de la

géo-ingénierie », Clive Hamilton, Seuil, Col. Anthropocène, 2013.

[4] Lire « Extractivisme, Exploitation industrielle de la nature : logiques,

conséquences, résistances », A. Bednik, Le Passager clandestin, 2016.

A lire : « La Silicolonisation du Monde » d’Eric Sadin

« Au nom de l’innovation, de l’emploi et des sacro-saints points

de croissance, le pouvoir politique est totalement à la botte du

techno-pouvoir et de son économie des start-ups. Jamais il ne

s’interroge sur les dommages collatéraux de ce soutien aveu-

gle, et plus largement d’une telle évolution. Il ne veut pas voir,

qu’au travers de ce qu’on appelle l’économie des données, se

construit sous nos yeux un modèle de civilisation basé sur la

quantification de tout, la marchandisation et la régulation conti-

nues de la vie. » […] « Cet âge de la mesure de la vie est celui

de la connaissance quantitative. […] Via les applications […], il

induit un « accompagnement algorithmique de la vie » […],

l’orientation de nos existences, de façon plus ou moins affichée

[...], par des suggestions d’ordre commercial » (Eric Sadin, l'âge

de la mesure de la vie. Une alerte contre l'emprise du tout algo-

rithmique, culturemobile.net, 27/02/2016)

[1] Lire Guillaume Grallet, « Le high-tech veut contrôler nos rêves ! »,

Le Point.fr, le 10/07/2014.

[2] Notamment le principe de précaution : en cas de risque de dom-

mages graves ou irréversibles, l'absence de certitude scientifique

absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard

l'adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de

l'environnement (Déclaration de Rio en 1992).

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Janvier 2018, nº13 Page 11

L’oiseau enragé

LE TEMPS D’UN RÊVE DOSSIER Le patron d’Alice rêve d’un tunnel de Tende triplé, pour augmenter le trafic. Et Alice rêve d’être aveugle.

S’il est un endroit où la police et l’armée ne sont plus

que des poupées de chiffons, frappant ce qui est à leur por-

tée avec de vulgaires bouts de ficelles, ça n’est ni dans les

églises, ni dans les cités ouvrières, mais dans chaque pensée

vagabonde où elles se voient mises en échec par les armes

de l’enfance. Là où tout est possible, les braves pandores

sont transpercés par le ridicule comme le torero, quand il est

pourchassé et mis en

pièces par sa victime.

La flicaille peut se dis-

soudre dans l’esprit

comme une goutte

d’eau dans un fleuve

en crue. C’est dans les

profondeurs du rêve

et le désir brutal d’un

renversement de

perspective, où liber-

té, créativité et spon-

tanéité se réunissent,

que meurt en moi le

sourire forcé de l’au-

torité. Il me suffit de

parler à mes rêves

pour que mes rêves

me répondent aus-

sitôt. J’entre dans la

forêt sans nom où la

biche de Lewis Ca-

rroll explique à Alice :

« Imagine que la maî-

tresse d’école désire

t’interpeller. Plus de

nom, la voilà qui crie

Hé ! Ho ! Mais personne ne s’appelle de la sorte, personne ne

doit donc répondre »... Heureusement forêt de la subjectivité

radicale. Le rêve ne connaît aucune morale, ni contrainte qui

ne puissent être brisées d’une simple envie.

Pendant que les bigots ou les supermarchés fourrent les din-

des de la pensée unique avec beaucoup de bienveillance, de

positif et d’abnégation, la poésie révolutionnaire explore la

négativité et la violence des rêves. Cette poésie amère, ar-

mée du désir d’en finir définitivement avec la hiérarchie et

de briser les chaînes de l’esclavage, exige de se réaliser

librement [1] - condition sans laquelle la violence insurrec-

tionnelle est soumise à la puanteur du pouvoir et à sa corro-

sion. L'homme n'est ni le bon sauvage de Rousseau, ni le per-

vers de l’Église et de La Rochefoucauld. Il est violent quand

on l’opprime, il est doux quand il est libre. En exprimant la

volonté de vivre et les passions débordantes qui en décou-

lent, « la longue révolution se prépare à écrire dans les faits,

les gestes dont les auteurs anonymes ou inconnus rejoindront

pêle-mêle Sade, Fourier, Babeuf, Marx, Lacenaire, Stirner, Lau-

tréamont, Lehautier, Vaillant, Henry, Villa, Zapata, Makhno, les

Fédérées, ceux de Hambourg, de Kiel, de Cronstadt, des As-

turies, ceux qui n’ont pas fini de jouer, avec nous qui com-

mençons à peine le grand jeu sur la liberté. » [2]. Nous attise-

rons le feu de l’imaginaire pour que nos incendies éclairent

les ruines de la réalité qu’est l’organisation de la survie.

Raoul Vaneigem, pour en accélérer le pourrissement et la

décomposition, disait un an avant les émeutes de mai 1968: «

Avec ses hantises, ses obsessions, ses flambées de haine, son

sadisme, l’intermonde semble une cache aux fauves, rendus

furieux par leur séquestration. Chacun est libre d’y descendre

à la faveur du rêve, de la drogue, de l’alcool, du délire des

sens. Il y a là une violence qui ne demande qu’à être libérée,

un climat où il est bon de se plonger, ne serait-ce qu’afin d’at-

teindre cette conscience qui danse et tue, et que Norman

Brown a appelé la « conscience dionysiaque» [3]. L’aube rouge

des émeutes ne dissout pas les créatures monstrueuses de la

nuit. Elle les habille de lumière et de feu, les répand par les

villes, par les campagnes. La nouvelle innocence, c’est le rêve

maléfique devenant réalité. La subjectivité ne se construit pas

sans anéantir ses obstacles ; elle puise dans l’intermonde la

violence nécessaire à cette fin. La nouvelle innocence est la

construction lucide d’un anéantissement. » Le désir d’en finir

avec la survie, de transformer passionnément le monde selon

la volonté de chacun, et de vivre, renaîtra toujours là où nos

rêves, mille fois, ont été brisés et mutilés par la mécanique

inhumaine de la réalité. Les fusillés de la Commune de Paris

hanteront nos nuits tant qu’ils n’auront pas été vengés ! Le

dépassement des rapports de domination et du pouvoir hié-

rarchisé propose les bases d’un rêve à la fois individuel et

collectif. La société des maîtres sans esclave reste à réaliser.

Aux prisonniers mutinés A ceux qui rêvent sur les toits…

[1] Insoumission (refus du sacrifice, de la hiérarchie, de l'enrôle-

ment, de l'idéologie...).

[2] Raoul Vaneigem, 1967, Traité de savoir-vivre à l’usage des

jeunes générations - [3] « Dionysos le dieu fou démolit les frontières,

libère les prisonniers, abolit les refoulements et abolit le principium

individuationis pour lui substituer l’unité de l’homme et l’unité de

l’homme avec la nature. », Norman O Brown, 1967.

Le commerçant rêve d’avoir un parking, Le transporteur, d’un tunnel Nice-Turin gratuit, Et le camionneur rêve de passer ailleurs.

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Page 12 La Marmotte déroutée

JOURNAL DE N’IMPORTE QUI L’art endormi "L'espace autour de moi est profond, dégagé. C'est

un grand cercle, je me tiens debout, au centre. Tout m'évo-

que une scène de théâtre : le silence, l'éclairage vif puis

l'obscurité qui m'entourent, ma solitude. Je suis profondé-

ment calme et concentré. Autour, aux limites de ce cercle

auquel j'appartiens, flottent des fresques. Elles sont immen-

ses et bariolées, elles flottent, elles dansent, elles n'ont pas

de support. Ce sont mes peintures, mes couleurs qui se for-

ment et se déforment d'une façon douce et sublime. Des rou-

ges profonds qui se noient dans les ombres, des bleus pi-

quants, électriques qui éclatent en pigments, de larges cour-

bes noires qui serpentent et découpent l'espace... La peintu-

re est vivante, elle cherche son support." Ce rêve est celui

d'un peintre, d'un ami qui ne peint plus depuis longtemps.

Le rêve - celui de l'endormi - n'est pas un art, c'est pire. Le rêve

est l'art, il en est sa racine. Chacun de nous, la nuit, sous l'em-

prise de cette transe nocturne, pratique cet art pur, originel

qu'est la transfiguration du réel. Les outils que nous utilisons

sont communs à toutes les formes d'art "éveillé" : le figuratif,

l’exagération, le symbolisme, la métaphore... Le contenu est

parfois terriblement explicite : cette femme rêve chaque nuit

de son travail, elle revit une conversation angoissée avec son

supérieur, des centaines de fois. C'est l'exagération et la répé-

tition de cette scène très réaliste qui lui donnent une portée

artistique. Parfois, au contraire, le symbolique est mis à profit

pour exprimer des messages soit indescriptibles, soit très

clairs. Je me souviens avoir rencontré "mon âme d'enfant", sous

la forme d'un enfant joueur et familier qui me rappelait genti-

ment à l'ordre, m'entraînant dans ses jeux, à une période où il

me semblait, indiciblement, la perdre. Ou encore, m'être vue

affublée d'un costume ridicule alors que j'étais, dans ce rêve

comme dans la vie, dans une situation effectivement ridicule,

poursuivant sans mesure l’attention d’un homme qui ne me

regardait pas.

La plupart du temps, les rêves, ou du moins leurs souvenirs, ne

sont pas agréables, ni conciliants. Ils sont plutôt perturbants,

révélateurs, lancinants. Ils fouillent, bouleversent, dévorent nos

fragilités, écartèlent nos tensions. Ils peuvent faire mal, comme

seuls de vrais amis peuvent le faire, en faisant le jour sur nos

parts d'ombre, liquide révélateur de notre chambre noire. Ils

peuvent aussi être doux, simples, ou encore ennuyeux et tri-

viaux. Mais, toujours, les rêves, les miens ou ceux que l'on veut

bien me raconter, me fascinent par leur audace, leur malice,

leurs messages tordus dignes de vieux contes mystiques...

Tout le monde ne se souvient pas de ses fic-

tions nocturnes, ou alors seulement quelques

minutes au réveil, puis les images se dislo-

quent et s'évanouissent. Mais, évidemment,

ce qui est vécu est vécu, et reste inscrit dans

la "façon d'être" de chacun. Ces fictions ont

leur propre raison d'être, leur rayon d'action

incontestable, et se fichent d'accéder ou non

au filtre de la lucidité matinale. Pourtant, pour

le chanceux qui s'en rappelle, son "univers

onirique" est un sujet de contemplation hors

du commun. Il peut s'y observer comme dans

un miroir déformant, rire de ses grimaces

folles ou y trouver quelques indices utiles à sa

vie, identifier les grands thèmes qui viennent

et reviennent le "hanter" et servent parfois à

recevoir, comme sur une messagerie privée,

des messages de cette autre entité mystérieu-

se qu'est le corps.

Les songes étant fiction, transfiguration du

réel, ils agissent sur nos esprits de la même

façon que l'art. Cette opération tient principa-

lement d’un déchaussage de notre esprit de

son socle logique, rationnel. Émancipé de

celui-ci, l'esprit sensible s'exprime dans toute

sa liberté et son incohérence féconde. Je ne

m'aventurerai pas plus loin dans le ça du moi

du pourquoi du comment mais en art endor-

mi comme en art éveillé, si l'on veut appro-

cher un sens, une essence, c'est à cet esprit

ailé, vibrant de sensations mais sans mémoi-

re, sans savoir, qu'il nous faut s'adresser

d'abord.

S. Dali, Rêve causé par le vol d'une abeille autour d'une grenade (Source : Flickr.com, Médéric)

LE TEMPS D’UN RÊVE DOSSIER

N’importe qui

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Janvier 2018, nº13 Page 13

CEUX QUI MARCHENT SUR NOS ROUTES

Roya citoyenne ne sera pas dissoute. M. Bettati et Défendre la

Roya devront même lui verser 5000€ pour procédure abusive

et vexatoire. Par contre, l’appel des « 4 papis et mamie » a

confirmé leur condamnation pour aide à la circulation d’étran-

gers en situation irrégulière (800€ d’amende avec sursis),

même si le procureur général les a traités de « braves

gens »… Ils vont aller en cassation. Quant à Cédric Herrou,

poursuivi pour diffamation par le préfet, il devra attendre le

16 avril pour être fixé sur son sort. (RC)

Sur le front judiciaire

En réalité, le commerce d’esclaves ne s’est jamais

arrêté, mais, pour la première fois, une chaîne de télévi-

sion grand public (CNN) a diffusé un reportage révélant

l'existence de marchés aux esclaves près de Tripoli, en

Libye. Ventes aux enchères, travaux forcés, exploitation

sexuelle, trafic d’organes...-, la traite d’êtres humains à

l’échelle mondiale (près de 150 pays) engrangerait plus

de 27 milliards d’euros de profits par an. Cela en fait le troisième trafic le plus lucratif sur Terre, derrière la dro-

gue et la contrefaçon. Les régions les plus touchées sont

l’Afrique subsaharienne, l’Asie du Sud-Est, l’Amérique

latine, l’Europe de l'Est, l’Afrique du Nord et le Moyen-

Orient. (Source : Le trafic d'êtres humains, une industrie

planétaire et des millions de victimes, Benoît Zagdoun,

22/11/2017, francetvinfo.fr, vidéo)

Retour du trafic d’esclaves

Le 16 décembre dernier, une importante manifestation de

solidarité avec les réfugiés a rassemblé, à Menton Garavan,

près de 800 personnes, dont de nombreux demandeurs d'asi-

le, venus de toute la France, d’Italie et d'autres pays d'Europe

pour dénoncer le double discours des autorités, revendiquer

le respect du droit d'asile et des droits de l'Homme, l'ouvertu-

re des frontières, la fin des violences policières et la bien-

veillance entre humains. La mobilisation a débuté à la gare de

Menton-Garavan, lieu aujourd'hui emblématique du délit de

faciès, de la production de faux documents

pour favoriser les expulsions et de la viola-

tion du droit à la circulation des mineurs

isolés. Les autorités, mobilisées elles aussi

massivement, ont bloqué le cortège et la

circulation devant la frontière des Balzi Rossi, où fut posée

une plaque à la mémoire des 20 jeunes africain(e)s mort(e)s

en tentant de franchir la frontière ces deux dernières années.

(AL)

Manifestation pour la liberté de circulation à Menton

M : Pourquoi prenez-vous le train plutôt qu'un autre trans-

port ?

Voici un petit palmarès des raisons de vos préférences. Le

confort du train, transport « peu fatiguant », « plus repo-

sant », arrive en première position (cité 18 fois). Le prix vient

juste après (14 fois). Le train est, en effet, beaucoup moins

cher que la voiture - avec la carte zou, bien sûr, et surtout si

on est seul. En troisième place : la rapidité (10 fois), surtout

pour qui veut accéder au centre-ville (en plus, on n’a pas de

problème d’embouteillages !), suivie de la sécurité (8 fois).

Le train, dites-vous, ne croise pas les camions. Enfin, il est

jugé plus pratique (7, entre autres : il évite le problème de

stationnement en ville, offre un accès direct au centre-ville),

plus écologique (6) et plus convivial (3) que les autres mo-

yens de transport. Vous aimez y lire ou y dormir (4), y « être

tranquilles » (3) et vous y détendre, y faire des rencontres (3),

mais aussi y travailler. Le temps du voyage peut être mis à

profit pour une activité ou, simplement à « se poser avant de

travailler ou de rentrer ». L’unique moyen de transport en com-

mun sur le trajet Breil-Sospel, le train est aussi une chance

pour ceux qui n’ont pas le permis (3). Vous trouvez notre lig-

ne, en outre, « remarquable » et « agréable ». Un(e) collégien

(ne) qui l’aime pour « profiter de la vue », y voit, comme autre

avantage, celui de « laisser travailler nos parents » (les emplo-

yeurs apprécieront). Enfin, quelques détails pour le côté pra-

tique : « On peut transporter son vélo… si on n’a pas peur des

camions. Les enfants peuvent circuler, bouger, jouer. Les per-

sonnes âgées peuvent se déplacer plus facilement, […] aller aux

wc. Les personnes handicapées (mauvaise vue, problèmes

d’ouïe ou handicap majeur) peuvent se déplacer. Les scolaires

ou différents groupes peuvent se déplacer ensemble […] En fait,

il n’y a que du positif à prendre le train ».

A l’occasion du numéro 11 consacré à notre ligne de

train Nice-Vintimille-Cuneo, la Marmotte a enquêté au-

près de ses usagers (35 personnes de tout âge). Son idée

était de recueillir vos impressions, ressentis et expérien-

ces liés à l’usage du train dans votre quotidien. Pendant

toute la durée des travaux de réhabilitation de la ligne,

commencés en septembre, nous publierons de courtes

synthèses de vos réponses aux 10 questions posées.

PAROLE AUX USAGERS !

ALA. Merci à Gelsomina pour le questionnaire

Page 14: La marmotte La marmotte déroutéedéroutée · 2018. 1. 11. · Page 2 PAROLE DE MARMOTTE Nº13 10h35. [Messages reçus. Expéditeur: Stagiaire nº1] « Opération réussie. J’ai

Page 14 La Marmotte déroutée

C’était un langoureux matin de juin, de ceux qui ne nous écrasent pas encore par leur chaleur alors

que l’ombre tend déjà ses promesses rafraichissantes. On vous fait rêver ? Alors, on a bien fait de

garder ce sujet au chaud ! A Gorbio, c’est un orme tricentenaire qui projette son ombre bienvenue

sur la petite place, ses deux oliviers et une belle fontaine qui clapote joyeusement. Ce 18 juin 2017, la place est tou-

te remplie de gens, de tables et d’objets divers : vêtements, livres, vaisselle, cartes, bijoux, outils, accessoires. Un

vide-grenier ? Non, une « gratiferia », un marché gratuit où chacun peut donner ou emporter ce qu’il veut, sans for-

cément donner quelque chose en échange. La Marmotte s’y est rendue pour rencontrer le SEL du Citron, orga-nisateur de l’événement.

Ça vous fera 25 zestes !

Le SEL (système d’échange local) de Roquebrune-Menton, dit

SEL du Citron, existe depuis cinq ans et compte plus de 130

adhérents. Le prix de l’adhésion est « symbolique », 5€ pour

l’année. Une présence est exigée à au moins une réunion,

« pour pas qu’il n’y ait de personnes virtuelles et pour créer des

relations de confiance basées sur la convivialité ». Les réunions

sont mensuelles. Chacun amène des choses à donner ou pro-

pose des services à échanger. Le SEL a aussi un site Internet

(selducitron.communityforge.net), où on met ses offres et

demandes. Ceux qui rencontrent des difficultés avec Internet

peuvent compter sur d’autres membres du SEL pour les ai-

der. Les échanges se font en monnaie locale, le zeste. L’unité

de référence est l’heure de travail (60 zestes, quel que soit le

travail en question). Sur le site, chacun possède un compte en

zestes, qui démarre à zéro, ne peut pas descendre en des-

sous de - 1000, ni monter au-delà de 3000. Le but, c’est

l’échange, pas l’accumulation. On commence à zéro, et on

peut aussi faire des dons. Mais Internet ou pas, « pour que ça

fonctionne, il faut que les gens habitent assez près ».

Qu’est-ce qui s’échange le plus ? Des services. Beaucoup de

cours ou de coups de main (comme par exemple ramasser

des cerises, 25 zestes par kilo). Il y a aussi des prêts d’objets

(par exemple un karcher, 120 zests par jour) ou l’échange de

nourriture (fruits, confitures…). Par ailleurs, chaque réunion

est suivie d’un repas partagé. Certains adhèrent au SEL uni-

quement dans le but de participer à ce moment de conviviali-

té.

Quand on fait partie d’un SEL, on peut aussi prendre part à

des échanges inter-SEL, via une plateforme nationale,

SEL’Idaire (seldefrance.communityforge.net). On peut faire

des stages, apprendre quelque chose ou aider à un projet.

Comment on convertit les différentes monnaies ? En passant

par l’équivalent en heures de travail (unité de valeur). Un

autre site, route-des-sel.org, permet de recevoir des gens

chez soi ou de louer des chambres en monnaies locales (60

unités).

Pourquoi monétariser l’échange ? « Dans les villes, ça sert à ce

que les gens se rencontrent. C’est différent dans les villages, où

le lien existe déjà, où les gens ont encore une histoire commu-

ne ». Payer, même en monnaie locale, et demander un servi-

ce ou un objet via un SEL dérange moins que de taper à la

porte du voisin. « Ça redynamise les relations, la vie. Il n’y a

pas d’âme sur le littoral. L’idée est de proposer autre chose que

le béton, la mer et le tourisme ».

INITIATIVES LOCALES

Petite tchatche avec le SEL du Citron

La pépinière de la Bendola

Dans nos vallées, les arbres ont généreusement offert aux po-

pulations ce qui constituait pendant longtemps une des princi-

pales sources et base de leur alimentation, voire de leur survie :

fruits frais et de garde, figues séchées, fruits à coques, fruits et

baies « sauvages », etc. Pourtant, les vergers vieillissent et il est

de plus en plus difficile de trouver ces précieux fruits, aux sa-

veurs et usages variés.

De nombreux habitants continuent néanmoins à planter et à fai-

re vivre les campagnes. C’est aussi pour participer à cette dy-

namique que nous avons créé notre petite pépinière à Saorge !

Nous proposons une centaine de scions de variétés fruitières

anciennes, rustiques et adaptées aux différents sols et climats,

des moyennes montagnes jusqu’au littoral.

C’est une aventure qui démarre. Aidez-nous à retrouver les vie-

lles variétés locales! Si vous connaissez de vieux arbres dont

vous aimez les fruits, faites-nous savoir ! D'autant plus que l’hi-

ver est le bon moment pour prélever des greffons !

Pour plus de détails : Tél. 0783321085

Mail : [email protected]

Catalogue : http://fr.calameo.com/read/001175433d65080e7d66c

Oreille tendue par Andrea

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Janvier 2018, nº13 Page 15

ACTUALITÉS

Candidature des Alpes de la Méditerranée à l’UNESCO

Linky, une « silicolonisation » de nos quotidiens ?

Un simple caisson mis sous scellé comptabilisant votre consommation

d’énergie ? On rigole ! Le Linky, nouveau et imposé compteur EDF,

en rajoute au rayon des options obligatoires : connecté en

permanence via le CPL (Courant Porteur Léger), en plus d’émettre

des ondes (probablement nocives) dans toutes nos installations

électriques domestiques, il communique intelligemment tous les

détails de notre activité électrique : combien de fois par nuit je me

lève ; fais-je la cuisine au micro-ondes, mon frigo est-il vide ; étais-je

chez moi ce jour-là… On peut imaginer d’autres scenarii, mais en a-t-

on vraiment besoin pour payer une facture d’énergie ? (cf. Article et encadrés pp. 9-10). Nous approfondirons ce sujet dans la

prochaine Marmotte (n° 14).

Quelques extraits des courriers que nous avons reçus - Merci!

Chère Marmotte,

Peut-être connaissez-vous le mitote, le brouillard évoqué

dans Les Quatre Accords Toltèques écrit par Don Miguel

Ruiz, le brouillard qui brouille notre rêve personnel.

Pour s'en libérer, se libérer du rêve de la planète qui nous

est imposé à notre insu dès notre naissance, 4 ac-

cords (qui résonnent comme des mantras bienveillants

rédigés pour nous aider vraiment à vivre notre vie!) :

- 1er accord : Avoir une parole impeccable; si ta parole

est impeccable, une bulle de vérité se forme autour de toi

et te préserve des sorts de la parole malveillante d'autrui,

elle ne peut plus t'atteindre.

- 2ème accord: Ne rien prendre de manière personnelle.

En effet, je ne suis pas responsable des agissements d'au-

trui, de ce qu'ils disent, font ou pensent, en bien ou en

mal.

- 3ème accord: Ne pas faire de supposition, poser des

questions.

- 4ème accord: Toujours faire de son mieux, ainsi, quoi

qu'il arrive, je n'aurai rien à me reprocher, j'aurais fait de

mon mieux.

La lecture du livre de Don Miguel Ruiz présente une aide

précieuse pour se rapprocher de ses propres rêves, elle

se termine par des prières toutes simples. Et si c'était ça

notre rêve, qui dilate l'espace et le temps, la formidable

érosion des contours... la simplicité?

[…]

Avis aux buveurs de bières et de coca, fumeurs ou adeptes de

McDo ou biscuits qui ont l’habitude de jeter leurs emballages le

long de la route Fontan-Saorge : ce trajet ressemble à une dé-

charge. Je ramasse un sac plein à chaque fois. J’aime cette va-

llée, et j’ai autre chose à faire !

COURRIER DES LECTEURS

Jidé

Enfin de l'eau !

Nous avons connu la plus longue période de sécheresse depuis plu-

sieurs décennies ! Espérons que les forêts s'en remettent et que les

sources demeurent. Sinon, nous comprendrons probablement mieux

ce qui a pu pousser nos congénères du néolithique et de l'âge du

bronze à venir graver les roches des vallons du Mercantour. Le climat

chaud et sec amena probablement les populations chercher l'eau et

l'herbe en montagne… (AL)

La candidature du site des Alpes de la Méditerra-

née au Patrimoine mondial de l’UNESCO, portée

par l'Italie, concerne une cinquantaine de commu-

nes franco-italiennes (Alpi maritime, Mercantour,

Alpes ligures, Abysses monégasques...) dont cel-

les de la Roya et la Bevera, sur une superficie d'en-

viron 200 000 hectares. Elle est basée principale-

ment sur la diversité géologique et, en second

plan, sur la biodiversité. Le grand oral décisif aura

lieu début 2018. Cet événement est d'une grande

importance car il risque d’enclencher une pompe

à touristes difficilement contrôlable. L'enjeu prin-

cipal sera de conserver une gestion locale. Les

exemples de dérives du tourisme de masse géré

par de grandes agences de voyage ne sont que

trop nombreux pour les zones déjà classées UNES-

CO. Par ailleurs, l'axe central de la vallée et les

villages ne sont pas inclus. Dommage, car nous

aurions pu profiter du cahier des charges de

l'UNESCO pour empêcher le réaménagement de

la vallée en une grande traversée alpine pour le

trafic international de marchandises… - ce qui au-

rait limité en retour les aménagements pour le

tourisme de masse ! (AL)

Page 16: La marmotte La marmotte déroutéedéroutée · 2018. 1. 11. · Page 2 PAROLE DE MARMOTTE Nº13 10h35. [Messages reçus. Expéditeur: Stagiaire nº1] « Opération réussie. J’ai

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ACTUALITÉS (suite)

La Roya italienne prête à interdire les poids-lourds

Après les mairies de la Roya française et le con-

seil départemental du 06, les maires italiens

Adriano Biancheri (Olivetta), Fausto Molinari

(Airole) et Enrico Ioculano (Ventimiglia) ont sig-

nalé leur intention d’adopter, eux aussi, un

arrêté interdisant le transit des poids-lourds de

plus de 19 tonnes sur la route de la Roya. (ALJ)

Veolia aux portes de la vallée

La Marmotte déroutée Nous cherchons toujours des illustrateurs-dessinateurs, des traducteurs

du français en italien et de nouveaux points de diffusion. Et bien sûr,

continuez à nous faire parvenir vos idées, vos réactions et réflexions, que

nous ne manquerons pas de publier dans la rubrique « Courriers des

lecteurs ». Cette vallée est la nôtre, ce journal aussi!

[email protected]

www.la-marmotte-deroutee.fr

Tél. 07 68 05 65 34

Quid du tunnel de Tende ?

La multinationale de la gestion des déchets et

du transport public est aussi championne de

la gestion (comprendre privatisation) de

l'eau dans le monde et, donc, de la mainmise

sur les sources. Dans la Roya, elle s'intéresse

à l'eau de la Maglia et de Mérim alimentant

Breil et Saorge (cf. La Marmotte nº6), pour la

revendre aux habitants de la vallée, mais aussi et surtout aux

villes côtières. Avec la mise en application de la loi NOTRE

(cf. La Marmotte n°3), la gestion de l'eau, aujourd'hui encore

en régie municipale dans la majorité de nos communes, de-

vrait être transmise à la CARF en janvier 2020. CARF dont le

cœur balance pour Veolia ? (AL).

Du côté du train

Ceux qui ont pu mettre leur museau derrière les

barrières qui cachent ce qui se passe sur le

chantier de doublement du tunnel de Tende

nous rapportent qu’on serait proche de la simu-

lation d’activité. Peut-être par peur que « la sali-

ve » ne tienne pas la montagne si bien que ça

(voir la Marmotte nº9), d’autant plus que les in-

tempéries menacent… Les expertises ont-elles

vraiment été effectuées comme il se doit? Pour-

quoi n’avons-nous aucune information ? (Jidé)

Loi de sécurité intérieure 2017 La loi de sécurité intérieure, adoptée en août 2017, transpose la plupart

des dispositifs de l’état d’urgence dans le droit commun. C’est un renver-

sement du système judiciaire, qui rend le droit français dérogatoire à de

nombreux príncipes et textes, comme par exemple la Convention euro-

péenne des droits de l’Homme. « On n’est plus dans le système de la preu-

ve, mais dans celui de présomption de culpabilité », résume l’avocate Fran-

çoise Cotta, qui a tenu une conférence sur ce sujet à l’Université populaire

de la Roya de décembre. En gros, « on est tous préjugés coupables poten-

tiels d’un crime virtuel »… qu’on pourrait éventuellement, dans le futur,

risquer de vouloir commettre !

Non seulement le préfet gagne tout un tas de prérogatives (il peut interdire

une manifestation, ordonner une perquisition ou saisir les données infor-

matiques d’un citoyen sans l’intervention d’un juge), mais on entérine aussi

le système de surveillance généralisé, déjà en place sous le régime d’état

d’urgence. La Commission nationale de contrôles des techniques du renseig-

nement (CNCTR) rapporte qu’entre octobre 2015 et octobre 2016, plus de

20 000 personnes ont fait objet d’une surveillance: 47% au titre de la pré-

vention du terrorisme, 29% pour des motifs de criminalité et de délinquan-

ce organisées, les autres, pour des raisons diverses, comme par exemple

la « préservation de l'indépendance nationale », « des intérêts majeurs de la

politique étrangère » ou encore « des intérêts économiques, industriels et

scientifiques majeurs de la France». (A)

Les travaux de rénovation sont toujours en

cours. En attendant, suite aux intempéries de

décembre, des rochers suspendus quelque part

entre Peille et l’Escarène menacent la voie fer-

rée. Des bus de substitution ont été mis en pla-

ce, mais c’est un vrai jeu de piste de savoir s’il y

en a un. (Jidé)

ÉVÈNEMENTS EN ROYA-BEVERA

31 décembre 2017 à Saorge : Baleti Rock à la salle des

fêtes pour le réveillon 2017 (19h : Apéro avec Rumpa

Baleti, repas partagé ; 22 h: Fran e i Pensieri Molesti) 1 janvier 2018 : Bonne année!

5 janvier à 19h, à Breil (A Ca de Brei) : Université

populaire de la Roya : paysannerie et véganisme.

Repas partagé. 5 janvier 2018 : Concerto senza frontiere au Centre

Social La Talpa 625 via Argine Destro à Imperia. 18h :

repas, 21h concert. 03 février à Breil (place Brancion) :

3ème Souperrr Fest'hiver, Fête de la

Soupe.

Nouveau dans la vallée : des ateliers

d'expression et de langue des

signes. Pour tout renseignement et

inscription : 06 23 64 40 59