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Septième colloque d’économie de la santé organisé par la MTRL et l’association Charles-Gide le 7 octobre 2017 à Lyon Musée Gadagne (petit théâtre) La médecine génomique, ou médecine “personnalisée”. Le patrimoine génétique de chacun d’entre nous bientôt à livre ouvert : que des bonnes nouvelles ?

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Septième colloque d’économie de la santéorganisé par la MTRL et l’association Charles-Gide

le 7 octobre 2017 à LyonMusée Gadagne (petit théâtre)

La médecine génomique, ou médecine “personnalisée”.Le patrimoine génétique de chacun d’entre nous

bientôt à livre ouvert : que des bonnes nouvelles ?

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bientôt à livre ouvert : que des bonnes nouvelles ?

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Gérard Roizèsdocteur en médecinedirecteur de rechercheémérite au CNRS

Jean-Louis Touraineprofesseur d’immunologie,

député du Rhône

Jean Matoukprofesseur honorairede sciences économiques

A MÉDECINE GÉNOMIQUE ouvre, à coup sûr, des pers-pectives enthousiasmantes, tant par cette capaciténouvelle de déceler dans nos gènes les risques, plus ou

moins prononcés, d’affections de caractère héréditaire quepar les possibilités réparatrices qu’elle promet grâce à desmanipulations fines de ce même matériel génétique.Faut-il pour autant considérer que cette médecine dite“personnalisée” parviendra à vaincre la plupart des maladies

qui nous affectent, alors que nombre de celles-ci relèvent deplus en plus d’un environnement qui globalement se dégradeet d’un mode de vie que la mondialisation uniformise ? Biend’autres questions encore, économiques, éthiques, se posent,comme celle-ci à laquelle on n’échappera pas : la duplicationinévitable de nos données les plus intimes n’est-elle pas incom-patible avec l’assurance qu’elles resteront toujours à l’abri desutilisations les plus condamnables ?

Jean-Yves Blayprofesseur d’oncologie médicale,

directeur généralCentre Léon-Bérard

Sébastien Bohlerjournaliste scientifique,

docteur en neurobiologiemoléculaire

L

Comme les années passées,les débats avaient lieu dans la salle de théâtre du musée Gadagne,dans le Vieux-Lyon, et ils réunissaient :

Meneur de jeu : Jean-Pierre Vacher,directeur d’antenne de Télé Lyon Métropole

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L ’an passé, évoquant déjà notre futur colloque 2017,je faisais allusion à ce chiffre 7, pour la 7e édition denos rencontres annuelles, chiffre symbole de la

recherche, de l’analyse, de la connaissance, ce qui réunitchaque année tous ceux qui nous font l’honneur de parti-ciper à ces retrouvailles automnales.

En 2015, nos éminents spécialistes du cerveau invitésà débattre du transhumanisme, de l’intelligence artifi-cielle, du clonage… avaient déjà évoqué cette médecinedu futur, ses réalisations et ses promesses, et toutes lesinterrogations qu’elle suscite.

Cet automne, on a retrouvé, dans les interventions desscientifiques réunis sur un thème très proche, le mêmepartage entre ceux qui expriment une foi éclairée en lascience levant graduellement les doutes qui naissent àchaque découverte et ceux qui relèvent que la complexitédes problèmes qui apparaissent rapidement lors de cesmêmes découvertes doit conduire à tempérer sérieuse-ment les espérances, voire les illusions, qu’elles créent.

Heureusement, ces différences d’approche n’avaientnullement le caractère d’un antagonisme radical, et cetaffrontement intellectuel donnait toute sa saveur à cettedisputatio scientifique dont vous pouvez lire, dans lespages qui suivent, la transcription intégrale.

AVANT-PROPOS

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A vant d’entrer dans le vif du sujet, le président de laMTRL a tenu à adresser quelques mots de bienve-nue à la centaine de participants de ce 7e colloque

d’économie de la santé. « Monsieur le Député, Messieurs lesprofesseurs, mesdames et Messieurs les professionnels desanté et participants à ce colloque, bienvenue à tous etmerci de votre présence nombreuse. C’est le septièmecolloque d’économie de la santé organisé par la MTRL etl’association Charles-Gide. Ce rendez-vous d’automne nouspermet chaque année d’aborder des sujets essentielstouchant à la fois à l’évolution des pratiques de santé et àl’économie sociale. Au fond, nous sommes très fiers et trèsheureux de contribuer ainsi à des rencontres et des débatsd’excellence qui s’adressent au public le plus large. Le thèmechoisi cette année de la médecine génomique, ou médecinepersonnalisée, promet d’être passionnant. »

Jean-Pierre Vacher, l’animateur de la réunion, soulèved’emblée les questions que chacun se pose : « Les perspec-tives qu’ouvre le séquençage du génome humain sontimmenses. Et, au-delà d’une médecine personnalisée, c’estaussi toute la question de la médecine prédictive qui estposée. Quelles conclusions tirer de la connaissance de plusen plus poussée de notre patrimoine génétique ? Faut-il direà tout le monde ce que nous apprennent notre génome, lamédecine génomique et la thérapie génique ? Sommes-nousen mesure de terrasser les maladies les plus dangereuses en les connaissant plus tôt ? Quel profit pour la société ?L’économie de la santé en est-elle totalement bouleversée ?Mais les questions qui se posent à nous sont aussi éthiques :

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« Voici les étapes de la révolution génétique en médecinetelles qu’il les voyait :

Les maladies multifactorielles seront largement expli-quées par quelques variants de l’ADN en associationsfortes avec elles.Cette connaissance conduira à l’amélioration du diag-nostic, ce qui sera la base de la médecine prédictive.La pharmacogénomique facilitera la prise de décisionthérapeutique.La thérapie génique traitera un grand nombre de mala-dies monogéniques.Il en découlera une augmentation substantielle de ciblespotentielles pour le développement de médicaments etde thérapies nouvelles.Adviendra ainsi l’ère de la médecine personnalisée,aujourd’hui dite de précision.

« Mais qu’en est-il en réalité ? Quel est l’état des lieux sur lesmaladies monogéniques ou mendéliennes, sur la thérapiegénique, et enfin la question centrale de la médecine prédic-tive est de savoir si l’on peut calculer un risque individuel dedévelopper une des nombreuses maladies communes oumultifactorielles. Pour finir, on montrera que la complexitéde structure et de fonctionnement de notre génomeexplique pour une large part pourquoi les annonces réité-rées périodiquement ont du mal à voir le jour.« Et j’expliquerai pourquoi, à mon avis, si le patrimoinegénétique de chacun d’entre nous sera bientôt à livre ouvert,il n’en résultera pas nécessairement que des bonnesnouvelles.

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quel usage faire de toutes ces données, et dans quelles mainspeuvent-elles tomber ? »Puis s’adressant à Gérard Roizès, notre premier interve-nant : « Quelles sont les nouvelles perspectives ouvertes parla médecine génomique ? Est-ce que l’on peut parler d’une

avancée décisive ? Est-ce uneassurance que les maladies lesplus graves seront mieux traitéescar mieux anticipées ? La théra-pie génique donne-t-elle desrésultats avérés ? »Réponse de celui-ci : « Concer-nant les perspectives et lespromesses proclamées par lamédecine prédictive il y a uncertain nombre d’années, Fran-cis Collins avait donné uneconférence sur le sujet, qui a été

reproduite dans le New England Journal of Medecine en1999. Selon lui, en partant d’une maladie avec une compo-sante génétique (ce qui est le cas de la plupart des maladies),on pouvait cloner le gène correspondant, ce qui permettraitun diagnostic rapide. Il pensait qu’ainsi on pourrait déve-lopper une pharmacogénomique, c’est-à-dire que l’on trou-verait comment chaque patient pouvait réagir à différentesmédications. Ensuite, il indiquait que la thérapie géniquepermettrait rapidement de soigner un certain nombre demaladies monogéniques, et enfin son objectif était d’obte-nir de nouveaux médicaments pour des thérapies.

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certain temps, par le recueil de cellules fœtales dans le sangcirculant de la mère, nous avons accès à l’ADN du fœtus quel’on peut séquencer et ainsi reconnaître le défaut génétiquesans recours à l’amniocentèse, notamment pour la triso-mie 21. C’est d’ailleurs le plus efficace des tests proposés en2015, avec un taux de détection de la trisomie 21 de 99,9 %pour l’analyse de l’ADN libre fœtal, contre seulement 95,8 %pour le dépistage classique, avec un taux de faux positifs deseulement 0,06 % pour le groupe test de l’ADN libre fœtalcontre 5,4 % avec les autres tests. Tout cela constitue unprogrès pour la médecine, grâce aux avancées de la génétiquemoléculaire, et par conséquent de la médecine génique.« L’idée de la thérapie génique a été émise il y a fort long-temps, en 1972, dès que les premiers gènes responsables desmaladies mendéliennes ont été caractérisés au niveau molé-culaire. L’idée s’est imposée d’apporter au cœur des cellulesoù la protéine est manquante, ou incapable de remplir safonction, ce que certains ont appelé le “gène médicament”grâce à un vecteur viral, qui a été inhibé pour ne pas fonc-tionner comme un virus, équipé du gène fonctionnel.Jusqu’à présent, ce sont surtout les annonces plus que lesprogrès réels qui ont prévalu, et ce dans un contexte definancement massif de la recherche sur les gènes et sur legénome. Globalement, bien que nous connaissions parfoisdepuis des dizaines d’années la nature des défauts molécu-laires de nombreuses maladies mendéliennes comme lamucoviscidose, les thalassémies, la drépanocytose, la dystro-phie musculaire de Duchenne, et beaucoup d’autres encore,il n’a pas été possible jusqu’ici de développer des thérapiesgéniques efficaces et pérennes.

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« Pour ce qui est des maladies mendéliennes, il s’agit là d’unprogrès incontestable pour la médecine. À l’heure actuelle,on reconnaît environ 7 000 maladies monogéniques. Lediagnostic d’un grand nombre d’entre elles a été obtenunotamment grâce au séquençage du génome humain, qui aété effectué en 2003 et qui a permis de caractériser près dela moitié de ces 7 000 maladies au niveau moléculaire. Lesconséquences sur le plan médical sont évidemment impor-tantes : le diagnostic anténatal pour les couples à risque etl’IVG ont considérablement fait diminuer la prévalence demaladies comme la mucoviscidose, l’anémie falciforme etd’autres encore. Par exemple, en Bretagne il a été observésur une période de quatorze ans une diminution de plus de30 % de l’incidence de la mucoviscidose, alors qu’unepersonne sur 25 est porteuse d’un gène muté. C’est unemaladie récessive, ce qui signifie que les deux chromosomesdoivent être porteurs du gène muté.

ATTENTION AUX DÉRIVES QUI POURRAIENT TOUCHERAU CHOIX DU PATRIMOINE GÉNÉTIQUE DU FUTUR ENFANT

« Certains pays pratiquent même le dépistage systématiquedans la population pour les maladies monogéniques les plusfréquentes, comme la mucoviscidose. Le diagnostic préim-plantatoire est également un moyen de prévenir de tellesmaladies par le tri d’embryons obtenus par stimulationovarienne, leur analyse génétique et l’implantation desembryons sains par fécondation in vitro. Mais avec un petitbémol, car les dérives sont possibles sur ce sujet, des dérivesqui pourraient toucher au choix du patrimoine génétique dufutur enfant. Enfin, cela se développe maintenant depuis un

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mois d’août 2017 ; il s’agit d’une thérapie développée parNovartis, qui consiste à modifier chez un patient descellules du système immunitaire, les cellules T. Pour cela, onintroduit dans les cellules T du sang du patient un gène quiva diriger les cellules T vers les cellules leucémiques. Et, bienque le traitement conduise parfois à des effets secondairessévères, la thérapie de Novartis a été approuvée par la FDA(Federal Drugs Administration), Novartis annonçant unerémission chez 83 % des patients traités qui présentent cetype particulier de leucémie (leucémie lymphoblastiqueaiguë). Coût : 475 000 $ !« Depuis peu, nous assistons à une relance de la thérapiegénique grâce à une technique révolutionnaire, l’édition dugénome, par un système nommé CRISPR-Cas9. Il s’agit derectifier, remplacer ou supprimer un gène grâce à un ARNguide qui va permettre de retrouver la cible, c’est-à-direquelques nucléotides, une quinzaine ou une vingtaine, sur3 milliards. Une fois la cible trouvée, l’enzyme Cas9 vacouper l’ADN sur les deux brins et ensuite le système varéparer la double coupure. À la différence de la thérapiegénique classique, qui introduit un gène par un vecteurviral, l’édition du génome permet d’agir directement enrectifiant, remplaçant ou supprimant le gène responsable.C’est évidemment une avancée considérable dans la mesureoù l’on pourra l’appliquer chez l’homme de manièreclinique. De nombreux essais sont en cours sur des animauxou des cellules souches, notamment les “cellules souchespluripotentes induites” (IPSCs) et on annonce d’ores et déjàle succès d’un certain nombre de thérapies, notammentpour le HIV, soit sur le virus, soit sur le récepteur qui

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« En septembre 2016, on comptait 2 300 essais de thérapiegénique mais peu de succès probants, ce qui a conduit à uncertain réalisme contrastant avec l’enthousiasme initial. Parexemple, le développement malheureux de la thérapiegénique pour le déficit immunitaire combiné sévère lié à l’X (DICS-X) et les cas de cancers induits après l’introduc-tion dans un vecteur viral du gène correcteur. Alain Fischer,qui est l’un des promoteurs et l’un des acteurs principauxdans ce domaine, le reconnaissait en 2014 dans un articleparu dans Nature. « Son succès a été mitigé par des effets secon-daires ou latéraux. Une stratégie différente basée sur la répara-tion du gène défectif est une alternative attractive. » Deuxièmeexemple : après quelques succès sur des chiots, l’amaurosecongénitale de Leber a été traitée par thérapie génique chezune douzaine de patients, et dans ce cas c’est un défaut dansun gène qui conduit à une altération et à une dégénéres-cence progressive de la vision, jusqu’à sa perte complète à unâge précoce. Le journal Gene Therapy annonçait en 2008« un succès en vue. Les essais de la thérapie génétique oculairesur la LCA semblent prometteurs ». Et en 2015 les mêmesauteurs rapportent que la thérapie a bien amélioré la sensibi-lité rétinienne, mais “modestement et temporairement”. Eneffet, après trois années, les effets positifs de la thérapiegénique avaient disparu. J’ajouterai enfin que le premier trai-tement autorisé en Europe, le Glybera, un médicamentvisant à prévenir des pancréatites très douloureuses, a uncoût de 1 million de dollars par patient. Il faut donc évidem-ment tenir compte de ces données lorsqu’on fait le bilan.« Il faut cependant citer ce succès récent d’une thérapiegénique, la première à être approuvée aux États-Unis, au

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imaginé et inventé un nouveau système, les “études d’asso-ciation pangénomiques” (GWASs en anglais), avec l’espoirde trouver les quelques variants prédits par Collins. Cetteapproche est bâtie sur l’hypothèse contestable suivante :« Comme ces maladies sont communes dans la population, leslocus génétiques de susceptibilité le seront également. » Nousallons donc trouver dans une cohorte de malades, compara-tivement à une cohorte de jeunes gens bien portants, unpetit nombre de marqueurs qui vont nous indiquer que lesgènes présents dans ces régions du génome sont des gènesde susceptibilité pour telle maladie. Pour cela, on utilise descentaines de milliers de polymorphismes mononucléoti-diques. On appelle cela des SNPs bi-alléliques. Cela signifieque suite à des accidents de l’évolution, des mutations… il peut arriver que certains nucléotides, sur les 3 milliards dechaînons, prennent deux formes. Par exemple, on peutavoir à un endroit un G, une guanine, et dans une partie de la population un A, ou un C qui devient un T. C’est un polymorphisme bi-allélique. D’une manière génériqueet globale, on appelle cela des polymorphismes A/a les deuxformes que cela prend dans la population. On crée alorsdeux groupes : un groupe de malades et un groupe decontrôle constitué de gens sains. On mesure pour cescentaines de milliers de polymorphismes quelle est lafréquence des deux allèles qu’on va trouver pour chacun deces polymorphismes. Dans un cas théorique où lesfréquences de A et a sont différentes dans les deux groupes,on en déduit la présence à ce locus, c’est-à-dire à cetendroit du génome, d’un marqueur lié à un facteur géné-tique de susceptibilité.

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permet l’entrée du virus chez les gens qui ont ce récepteur,ou d’autres virus. On pratique également des essais sur lescellules souches pour corriger la ß-thalassémie et l’anémiefalciforme par exemple, ou encore la correction du gène dela dystrophie musculaire chez la souris… Le développementest en cours, et on peut nourrir l’espoir, dans les années àvenir, en prenant le temps et les précautions nécessaires, deparvenir à corriger les défauts de cette technique. Mais noussommes encore loin des essais cliniques et il reste denombreux problèmes à résoudre. Le risque zéro n’existe pas,et le ciblage “absolu” avec le système CRISPR-Cas9 n’estpas absolu ; il arrive que d’autres cibles non désirées soient

atteintes, et on ne connaît pasencore les conséquences deserreurs de ciblage. On ne sait pasnon plus si on pourra éditer suffi-samment de cellules pour que lathérapie soit efficace et pérenne.« Troisième point, le plus impor-tant, celui de la médecine prédic-

tive : peut-on calculer un risque individuel de développerune des maladies communes, qui sont extrêmementnombreuses ? Après la première publication de la séquencedu génome humain, on s’est lancé dans la recherche desfacteurs génétiques de susceptibilité aux maladies multifac-torielles pour atteindre le but de la médecine prédictive,qu’on appelle aujourd’hui médecine de précision. Jusqu’àcette époque-là, les analyses de liaison familiale étaient trèsefficaces pour les maladies mendéliennes, mais totalementinopérantes pour les maladies communes. On a alors

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Peut-on calculerun risque individuel de développer une desmaladies communes,qui sont extrêmementnombreuses ?

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« Il y a donc une “héritabilité manquante” qui a denombreuses causes. De nombreux variants échappent à cegenre d’analyse. Et d’ailleurs, plus le nombre des malades,ou des patients bien portants, dans l’étude est élevé, plus lenombre de variants détectés augmente. La plupart de cesmarqueurs ne tombent pas dans les gènes. Le génome, pour98 %, est constitué par des séquences d’ADN qui ne codentpas pour les gènes, et que l’on pensait jusqu’à présent êtretotalement inutiles. En réalité, ces 98 %, ou une grandepartie de ces 98 %, influent sur le fonctionnement dugénome, et donc sur l’expression du gène. Chaquemarqueur étant analysé indépendamment des autres, celane permet pas non plus de reconnaître les interactions quiexistent entre eux, ce qui fait l’impasse sur cet aspect de lacomplexité en biologie. Dansla plupart des études, l’hérita-bilité est calculée en ajoutantla contribution supposée dechaque marqueur associé. Lesanalyses se fondent donc surl’hypothèse selon laquelle lesfacteurs génétiques n’interagissent ni entre eux ni avec lesfacteurs d’environnement, ce qui est absurde car on neconnaît généralement pas ces facteurs. L’environnement estévidemment un facteur extrêmement important dans ledéveloppement des maladies. Pour l’illustrer, une méta-phore du grand généticien américain Lewontin (1974) :« Si deux hommes posent des briques pour bâtir un mur, onpeut très facilement mesurer leurs contributions respectives encomptant le nombre de briques que chacun a posé mais, si l’un

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« Après l’enthousiasme des débuts et quelque 3 000 étudesplus tard portant sur une multitude de maladies multifac-torielles, il faut se rendre à l’évidence : le nombre demarqueurs associés à la maladie ou au trait analysé étaitélevé, parfois très élevé… Contrairement aux prévisions deFrancis Collins et de la communauté scientifique en géné-ral ! Dans le cas de la maladie de Crohn par exemple,200 régions génomiques ont été mises en évidence parcette méthode. Autre exemple, lié à la taille des individus.On sait depuis un siècle, voire plus, que la taille des indivi-dus est génétiquement déterminée dans au moins 80 % descas ; et quand on fait ce genre d’analyse on tombe sur plusde 700 marqueurs identifiés. Cela signifie qu’au minimumdes centaines de gènes sont impliqués dans le phénotype“taille des individus”. Dans la plupart des cas, le marqueurest faiblement surreprésenté. Le rapport entre les patientset les malades est un facteur de susceptibilité s’il est supé-rieur à 1 et un facteur de protection s’il est inférieur à 1 ;mais, en général, ces rapports sont faibles et à peine supé-rieurs à 1, il n’y a donc pas de grande différence entre lesdeux cohortes, patients et gens bien portants. Enfin, l’héri-tabilité est généralement faible. On s’attendait à trouveravec les marqueurs qui ont été mis en évidence une hérita-bilité génétique proche de 100 %, mais c’est extrêmementrare. La plupart du temps, c’est relativement faible.Quelques exemples : environ 20 % pour la maladie deCrohn, 6 % pour le diabète de type 2 et 20 % seulementpour la taille, alors que l’on sait depuis longtemps que lapart génétique est de 80 %.

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L’environnement estévidemment un facteurextrêmement importantdans le développementdes maladies

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mélange le mortier et que l’autre pose les briques, il seraitabsurde de mesurer leur contribution relative quantitative enmesurant le volume des briques ou du mortier. »« Par ailleurs, on ne tient pas compte de l’hétérogénéité dela maladie. Dans un groupe de malades, tous les patients nesont pas identiques. Enfin, des voies différentes peuventconduire à une même maladie. Par exemple, trois voiesconnues indépendantes conduisent à la cataracte liée à l’âge.Donc si l’on fait une analyse pangénomique pour la cata-racte liée à l’âge, on trouvera une hétérogénéité de chosesqui n’aura aucune signification réelle.« Dans ces conditions, comment peut-on calculer un risqueindividuel ? Évidemment, ce n’est pas possible, et je vousrenvoie ici à la publication de la Société française de géné-tique humaine il y a quelques années, Quelle valeur accorderaux prédictions de risques pour les maladies multifactorielles ?« On peut conclure sur ce point que, si les études pangéno-miques apportent une contribution à la connaissance scienti-fique, l’utilisation exclusive de l’information qui en résulte estdénuée de sens en matière de prédiction de santé. Elleconduit à une perception erronée du risque encouru par lesindividus. Le même Francis Collins est allé jusqu’à imaginerle cas hypothétique d’un patient en 2010 et de ses réactionsau vu des tests génétiques qui lui ont prédit son avenir. Ilpropose un tableau dans lequel il annonce un risque réduit decancer de la prostate ou de la maladie d’Alzheimer, mais desrisques assez élevés de maladies des coronaires ou de cancerdu côlon ou du poumon. Et Francis Collins commente ainsiles réactions de « ce patient hypothétique qui sera satisfait d’apprendre que les tests génétiques ne sont pas toujours porteurs

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de mauvaises nouvelles : ses risques de développer un cancer dela prostate ou la maladie d’Alzheimer sont réduits… mais il estchagriné par le fait que ses risques d’une maladie coronarienne,du cancer du côlon ou du cancer du poumon sont plutôt élevés.Mais il apprendra qu’avec un changement de son mode vie,réduire ces risques est possible. » Bien sûr que cela est possible, etc’est une aberration de réaliser des perspectives comme celle-là.Nous essaierons d’expliquer un peu plus tard pourquoi on nepeut pas arriver à la prédiction d’un risque individuel. »

De nouveau, Jean-Pierre Vacher poursuit son question-nement : « Tout savoir sur tout et tout le monde, n’est-cepas terrifiant ? Les utilisations possibles ne sont-elles pas

parfois également inquiétantes ? »

Au stade actuel de la médecine géno-mique, Sé�bastien Bohler a desinterrogations moins sombres :« Quand on va chez le médecin, on sefait prescrire un médicament, onobserve bien la prescription et onpense que le médicament va nousguérir. Et puis, parfois, on se rendcompte que ça ne marche pas, mais

que ça peut fonctionner pour d’autres. Finalement, celapose la question de la médecine personnalisée au sens le plusconcret possible. Est-ce qu’un médicament marche de lamême façon chez tout le monde, ou est-ce qu’il fautcommencer à penser à des prescriptions personnalisées pourles molécules thérapeutiques qu’on utilise au jour le jour ?

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« La question se pose aujourd’hui dans le domaine de lapsychiatrie personnalisée. Pourquoi les médicaments qu’onutilise par exemple dans le traitement de la schizophrénie,des troubles obsessionnels compulsifs, de la dépression nesont-ils pas toujours efficaces ? Il est étonnant de constaterà quel point les effets d’un antidépresseur peuvent varierselon les patients. Ce constat amène à revoir notre façon depenser en psychiatrie. Pendant des décennies, on a fait degrandes découvertes sur les antidépresseurs ou sur les antip-sychotiques, mais sans prendre en compte ce que l’on saitaujourd’hui : il n’y a pas deux cerveaux identiques. Cela n’adonc plus beaucoup de sens de parler d’une molécule quiagirait de façon générale sur le cerveau. La paroxétine est unantidépresseur qui fait partie de la panoplie des psychiatres.C’est une molécule qui est passée par toute une série d’es-sais cliniques et qui a obtenu une autorisation de mise surle marché. Elle fait l’objet de 20 millions de prescriptionspar an aux États-Unis, mais cette molécule n’est pas dénuéed’effets indésirables. Chez certains patients, elle peut provo-quer l’akathisie, un trouble qui se traduit par une trèsgrande nervosité. Les personnes n’arrivent plus à tenir enplace, ne peuvent plus rester assises… La molécule estcensée les guérir de leur anxiété mais, paradoxalement,l’anxiété devient si forte qu’elles ont besoin de changer deposition en permanence pour retrouver une forme decalme. Dans certains cas, l’anxiété entraîne une perte decontrôle et des passages à l’acte violents, vis-à-vis d’autruiou de soi-même. Cette année, la justice américaine acondamné un des laboratoires pharmaceutiques quicommercialise la paroxétine à verser pour 3 millions de

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dollars de dommages et intérêts à la veuve d’un hommevictime d’akhatisie. Cet homme avait une vie profession-nelle et personnelle tout à fait épanouie, il était associé d’ungrand cabinet d’avocats et avait deux enfants adultes enpleine santé. En 2010, suite à une surcharge de travail, il acommencé à présenter des signes d’anxiété et s’est vu pres-crire de la paroxétine. Au bout de quelques jours, il a déve-loppé ce symptôme d’agitation et d’anxiété, l’akhatisie, avecdes perceptions subjectives très fortes : il avait l’impressionde se voir sortir de sa propre peau. Finalement, au sixièmejour de son traitement,en se rendant au travail, ils’est jeté sur les rails aulieu de prendre son train.« Cette anecdote tragiquereprésente une réalité.Aujourd’hui, on estimeen France que le coût deseffets indésirables des médicaments se monte à peu près à18 000 décès par an. Cela ne concerne pas seulement lespsychotropes mais tous les médicaments, et aux États-Unisune étude de 1994 faisait état de 106 000 décès par an liésaux effets indésirables des médicaments. Par ailleurs, chezune quantité encore plus grande de patients, les médica-ments n’ont pas d’effet. Lorsqu’un patient dépressif se voitprescrire un antidépresseur, et même si l’antidépresseur n’aaucun impact sur le fonctionnement cérébral et autonomedu patient, il peut avoir des conséquences tout aussidramatiques en termes de perte d’emploi, de divorce, depassage à l’acte suicidaire…

Aujourd’hui, on estimeque le coût des effetsindésirables des médicamentsse monte, en France, à prèsde 18 000 décès par an

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més depuis des centaines de milliers d’années pour faire faceaux situations de stress : une menace, un défi à relever,parler en public par exemple. Ressentir un stress n’est pasforcément négatif, c’est le signe qu’il se produit quelque

chose avec un niveau deperformance à atteindre. Ilfaut être capable de répon-dre présent, le cerveau et lecorps vont devoir mobili-ser de l’énergie pour cela.C’est quelque chose desain en soi.

« La bonne réaction au stress commence par l’activationd’une zone du cerveau qui s’appelle l’amygdale. C’est unepetite zone de la taille d’une amande qui est impliquée dansla gestion des émotions. Cette amygdale provoque la libéra-tion par l’hypothalamus d’une hormone, la corticolibérine,qui elle-même libère par l’épiphyse une autre hormone,l’adrénocorticotrophine (ACTH). Cette hormone gagneensuite les glandes corticosurrénales, au niveau des reins, etces glandes libèrent ce que l’on appelle les glucocorticoïdes.Ces molécules messagères du stress se propagent ensuite etpréparent notre corps à faire face au stress et à relever lesdéfis du quotidien. Quel est le rôle des glucocorticoïdes ? Ilsaugmentent la fréquence cardiaque s’il faut accélérer, provo-quent la libération d’énergie dans les muscles pour pouvoirproduire des efforts plus intenses… et tout ça nous permetd’être performants en situation de stress. Mais il est trèsimportant, une fois l’alerte passée, qu’il y ait un retour aucalme, que toute cette cascade d’hormones retourne à zéro

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« Sur la carte de la prévalence de la dépression dans lemonde, on constate que de grandes zones géographiques,principalement l’Afrique du Nord, la Russie, et un peul’Amérique latine, sont des zones à forte prévalence de ladépression. Au niveau mondial, on dénombre en cemoment 350 millions de personnes dépressives. L’impactest tel que l’OMS prévoit en 2020 que la dépression sera ladeuxième cause mondiale d’incapacité, c’est-à-dire qu’onne peut plus exercer un emploi, s’occuper de sa famille, seprendre en charge, etc. Cela va devenir un énormeproblème pour l’humanité. En France, une femme surcinq, et un homme sur dix, fera ou a fait un épisodedépressif dans sa vie. Environ 30 % des patients ne répon-dent pas aux antidépresseurs. Certes, ce n’est pas le seulmoyen de traiter la dépression, mais dans les cas de dépres-sion majeure c’est quelque chose dont ne peut parfois passe passer. Se pose alors la question de la médecine person-nalisée. Pourquoi un médicament a, ou n’a pas, d’effet surun patient, on ne le sait pas. Peut-être le génome peut-ilrépondre à cette question. Je ne pense pas que le génomepermette de lire à livre ouvert dans les cellules de chacunpour savoir s’il fera une dépression ou pas au cours de savie… La bonne approche avec les nouvelles données quenous offre la génomique personnalisée est toujours de reve-nir à la physiologie d’une maladie : quand on parle d’unedépression, de quoi s’agit-il ?« La dépression aujourd’hui est analysée comme unproblème, une réaction inappropriée du corps et du cerveauface au stress. Le stress est une réaction physiologique toutà fait normale. Notre corps et notre cerveau sont program-

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Ressentir un stressn’est pas forcément négatif,c’est le signe qu’il seproduit quelque chose avecun niveau de performanceà atteindre

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cule complexe capable de se fixer sur certaines portions del’ADN pour réduire la production des hormones. Pour bienfonctionner, cette molécule doit agir en synergie avec uneautre molécule, le facteur FKBP5, qui se fixe sur le récep-teur aux glucocorticoïdes et, ensemble, ces deux moléculesforment une entité moléculaire capable de freiner le circuitdu stress. Ce facteur FKBP5 est fabriqué par un gène denotre génome qui diffère selon les individus. On entre alorsdans les variations génétiques qui vont introduire la dimen-sion personnalisée. Le gène du facteur FKBP5 se trouve surune portion du chromosome 6. Chez certaines personnes,par exemple, on trouve sur la première version du chromo-some des bases nucléoditiques C accouplées à un G et la

même chose sur l’autre chromosome ; mais chez d’autres, onne trouve pas de G ni de C sur ce chromosome mais un T etun A. Chez d’autres encore, on trouve deux fois le T et le A.De toutes petites variations qui n’ont l’air de rien mais qui

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pour que l’on puisse récupérer des forces. Cette fonctionessentielle est réalisée par les récepteurs des glucocorti-coïdes, de petites molécules présentes dans notre cerveauqui permettent de freiner cette cascade d’hormones enréduisant la libération de corticolibérine par l’hypothala-mus ; tout simplement, au niveau génétique, en se fixantsur certaines zones de l’ADN et en réduisant la synthèse decorticolibérine. Ce système de gestion du stress peut s’appa-renter à un accordéon, il a une respiration. Le problème quel’on identifie dans la dépression, c’est bien souvent unehyperactivité de ce système au début de la dépression, sansretour au calme. Cela entraîne un épuisement nerveux etphysique total avec un sentiment d’impuissance qui

conduit à la dépression.Pourquoi ce système neretourne pas au calme ?C’est parce que les récep-teurs aux glucocorticoïdesne remplissent plus leurfonction, on dit qu’ilssont désensibilisés. Ilsdeviennent incapables deréduire la libération decorticolibérine, si bienque ce système tourne enboucle en permanence.

« Ainsi, pour agir efficacement sur ces circuits du stress etéviter la dépression, il faut faire en sorte que les récepteursaux glucocorticoïdes conservent leur fonction. Pour cela, ilfaut se pencher sur leur fonctionnement. C’est une molé-

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organisé pour se défendre des intrusions, notamment desagents pathogènes : le médicament doit donc passer desbarrières pour entrer dans le cerveau, et notamment labarrière hémato-encéphalique, constituée d’un réseau defines membranes qui séparent la circulation sanguine del’intérieur du cerveau. Une molécule thérapeutique commeun antidépresseur passe au départ par le sang et doit fran-chir cette barrière pour atteindre le cerveau. Elle y arrivetant bien que mal quand elle a été bien conçue, elle diffuseà travers la membrane. Mais, une fois à l’intérieur, biensouvent elle est prise en charge par des machines molécu-laires, des protéines, qui sont produites par nos neurones,par chaque cellule de notre cerveau et qui vont les recracherdans le sang. On a très bien caractérisé l’une de ces molé-cules : le transporteur ABCB1. C’est une véritable machinemoléculaire qui fonctionne de façon très fine. Elle est capa-ble de changer de conformation et d’éjecter les molécules demédicaments. Par sa structure tridimensionnelle, elle captela molécule thérapeutique et des molécules énergétiques quivont la faire changer de configuration de façon à rééjectervers l’extérieur la molécule thérapeutique.« Comment donc amener un antidépresseur dans lecerveau ? Cette molécule est présente en plus ou moinsgrande quantité selon les individus. Certaines personnes enont beaucoup, il est donc difficile de les soigner, d’autrespersonnes en ont moins. La quantité de ces transporteursdépend du gène qui fabrique ce transporteur et d’autresparties de l’ADN, que l’on appelle des promoteurs et quidéterminent si le gène va être plus ou moins actif, s’il va enproduire plus ou moins. Ce promoteur génétique est porté

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ont un impact. Cela a été constaté dans des expérimenta-tions cliniques sur les scores de dépression des patients suivis.« Quelques exemples : le cas d’un patient admis en service depsychiatrie dans un état dépressif intense à qui on adminis-tre un antidépresseur et qui voit son score de dépression bais-ser au bout d’un mois de façon significative. Cette personnea deux T sur chacun de ses chromosomes. En revanche, lescore de dépression baisse très peu chez le patient qui a un Cet un T. Ces effets se répliquent pour quatre types d’antidé-presseurs, c’est donc quelque chose de très régulier. Un poly-morphisme sur un seul nucléotide va entraîner une réponseplus ou moins efficace aux antidépresseurs, tout simplementparce qu’on n’a pas exactement le même gène du facteurFKBP5. Tout cela explique pourquoi notre circuit du stresspeut entrer ensuite en burn out ou pas.« Nous avons là une vision rationnelle de la façon dontnotre génome va être plus ou moins réceptif aux antidépres-seurs. Avoir un antidépresseur, un médicament qui marche,c’est bien mais ce n’est pas tout. Il faut faire en sorte qu’ilarrive jusque dans le cerveau où il est censé produire ses

effets. On entre alors dans undomaine que les Anglo-Saxonsappellent le drug deliverypersonnalisé. C’est la sciencequi permet d’amener unmédicament là où il doit

produire ses effets. Or pour tous les médicaments quidoivent agir dans le cerveau on rencontre un grosproblème : il est très difficile de faire pénétrer un médica-ment dans le cerveau. Le cerveau est un organe très bien

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Problème : il esttrès difficile de fairepénétrer un médicamentdans le cerveau

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sur notre carte Vitale ? En tout cas, il va falloir absorbertoute cette information, l’assimiler et la communiquer…« Cette science qui consiste à essayer de prédire la façondont on réagit aux médicaments est très complexe et sedéveloppe. Il ne s’agit pas de lire dans une boule de cristalmais de bien manier les probabilités. D’autres maladies quela dépression sont évidemment impliquées, notamment lamaladie d’Alzheimer, la schizophrénie et les troubles del’attention avec hyperactivité. »

Après avoir remercié Sébastien Bohler, Jean-PierreVacher s’adresse à la fois au professeur d’immunologie et àl’homme politique Jean-Louis Touraine, le médecin hospi-talier mais aussi le député qui vote les lois au Parlement,faisant valoir que les progrès considérables qu’apporte lamédecine du génome ne peuvent occulter les risqueséthiques indéniables qui ont déjà été évoqués.

Jean-Louis Touraine : « La question qui nous est posée estde savoir si cette médecine génomique ne nous apporte que desbonnes nouvelles. On s’attend à ce que la réponse soit négative,et nous avons vu à travers le premier exposé que les résultats nesont pas à la hauteur des attentes formulées il y a quelquesdécennies. Je veux essayer, tout en gardant cette position nuan-cée, de démontrer que des progrès significatifs sont apportéspar cette médecine génomique. Si aujourd’hui nous n’attei-gnons pas les prédictions énoncées, c’est parce que l’évolutionse fait pas à pas, comme dans beaucoup d’autres domaines dela science, et qu’il y aura encore beaucoup d’efforts à accompliret de temps nécessaire pour atteindre l’objectif souhaité.

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par le chromosome 7 et il n’a pas exactement la mêmecomposition d’une personne à l’autre. Chez certainespersonnes, par exemple, on trouve sur le premier allèle un Tet un A, et sur le deuxième également. Dans ce cas-là, laréponse aux antidépresseurs, à l’escitalopram par exemple,est très élevée. Le taux de rémission, c’est-à-dire la périodependant laquelle on ne va plus faire d’épisodes dépressifs,atteint 45 %. Les personnes qui ont deux T présentent untaux de rémission beaucoup plus faible, de 24 % seulement,avec un taux d’effets secondaires très élevé. En revanche,chez une personne qui présente un T et un G, la réponse àl’escitalopram est beaucoup plus élevée : cet antidépresseurva être beaucoup plus efficace, avec des effets secondairesréduits. Et pour les personnes qui ont deux G, on constate45 % de rémission et très peu d’effets secondaires. Nousvoyons donc qu’il faut prendre ces deux facteurs en compte– les molécules qui permettent aux boucles du stress de secalmer, et les systèmes qui rejettent les molécules thérapeu-tiques – mais il y en a encore bien d’autres. La médecinepersonnalisée avance pas à pas pour identifier les différentsfacteurs par des études cliniques, mais il existe probable-ment des dizaines de facteurs à identifier, et il faut appren-dre à les manier en interaction les uns avec les autres.« “À chacun son cerveau”, évidemment. C’est à la fois unequestion de gènes, qui construisent nos cerveaux de façondistincte les uns des autres, et une question d’environnement.Cela signifie aussi “À chacun sa thérapie”. On ne peutqu’imaginer le travail des futures générations de médecins quidevront intégrer ces connaissances pour les discerner chez unpatient… Est-ce qu’un jour ces informations seront inscrites

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On a tendance à dire que certains gènes sont bons et d’au-tres mauvais, selon qu’ils permettent d’avoir une résistanceà une maladie, ou au contraire qu’ils la déclenchent. Enréalité, le même gène peut avoir les deux effets. Par exem-ple, ce gène qui déclenche assez fréquemment chez les Africains une forme d’anémie, la drépanocytose, leurapporte en même temps une résistance contre le paludisme.La réalité n’est pas manichéenne.« Le diagnostic permet par exemple, dans une famille àrisque, d’identifier les embryons porteurs de la maladie, deles écarter dans les procédés de fécondation in vitro pourréimplanter seulement les embryons sains. Il y a aussi lapossibilité d’agir sur ces embryons, mais c’est un autreversant de cette réflexion. Deuxièmement, si l’on accepteque cette prédisposition à des maladies monogéniques estintéressante mais ne touche qu’un petit nombre depersonnes, il y a – et ce domaine est beaucoup moinsavancé – des gènes de prédisposition à des maladies. Cesgènes sont d’une nature très variable. On le savait déjà,quand une femme a eu sa mère et ses deux grands-mèresatteintes d’un cancer du sein, elle est exposée à un fortrisque. Et c’est vrai pour beaucoup d’autres maladies. L’hé-rédité analysée très simplement montrait que les gensétaient plus ou moins prédisposés. Maintenant, tout celapeut être analysé d’une façon beaucoup plus rationnelle.Puisqu’il est question du cancer du sein, vous connaissezbien sûr le BRCA 1 et BRCA 2, Angelina Jolie l’a rendupopulaire dans le monde entier, et cela permet d’identifierdes personnes présentant des risques plus ou moins impor-tants de développer telle ou telle maladie.

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« Cette médecine génomique permet des diagnostics, et defait ces diagnostics sont importants, notamment enprésence de maladies héréditaires, des maladies que l’on ditrares mais qui sont très nombreuses, plusieurs milliers au

total, et donc pas exception-nelles. On considère qu’envi-ron une personne sur 2 000 al’une ou l’autre de ces maladiesrares, que ce soit la mucovisci-dose, la chorée de Huntington,un déficit immunitaire ouautre. Pour le diagnostic de cesmaladies, la performanceapportée par l’analyse desgènes est tout à fait évidente. Ilfaut y ajouter quelquesnuances. On a observé récem-

ment l’existence de gènes de résistance. Si, par exemple, unepersonne a les deux gènes correspondants pour la mucovis-cidose mais qu’elle a la chance d’avoir un de ces gènes derésistance, elle pourra rester porteuse des gènes sans avoir lesmanifestations de la maladie. Il faut donc rechercher dans legénome, en plus du gène qui code pour la protéine altérée,les gènes de résistance. Par ailleurs, on sait que l’ampleur dela maladie va dépendre de plusieurs facteurs, et c’est le vastedomaine de l’épigénétique, c’est-à-dire ce qui va s’ajouteraux gènes pour jouer sur l’intensité d’expression de la mala-die. Nous avons tous conscience de cette complexité. Celadit, ces outils sont devenus d’une importance considérablecomme éléments de traçage d’une maladie dans une famille.

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qu’entre ses gènes et le tabagisme il va faire assurément uninfarctus du myocarde et un cancer du poumon. Si onannonce, par exemple, à quelqu’un qu’il a trois fois plus deprobabilités de faire un diabète qu’une autre personne, il vasurveiller son alimentation, faire de l’exercice physiquerégulier, avoir une hygiène de vie qui va faire que le diabètesoit n’apparaîtra pas, soit apparaîtra trente ans plus tard.Donc même si cette science n’est pas encore aussi parfaiteque l’espéraient les premiers chercheurs, nous avons cepen-dant des pratiques utiles à mettre en œuvre aujourd’huidans la vie courante grâce à ces tests.« On parle toujours des gènes qui codent pour desprotéines, maladies, prédispositions à des maladies.Comme nous l’avons évoqué, la plus grande partie denotre génome n’est pas faite de ces gènes-là, mais oncommence à les étudier et on découvre des choses intéres-santes. Par exemple, nous avons dans notre génome unegrande partie de ce que l’on appelle des rétrovirus endo-gènes. Ce sont des rétrovirus qui ont infecté nos ancêtresil y a quelques milliers ou dizaines de milliers d’années etqui se sont introduits dans le génome, puis se sont repro-duits au fil des générations. Certains de ces rétrovirusendogènes définissent une prédisposition forte à la sclé-rose en plaques, d’autres au diabète et peut-être, mais cesrésultats sont moins complets, d’autres encore à la schizo-phrénie. Quoi qu’il en soit, pour la sclérose en plaquescomme pour le diabète, les choses sont bien avancées. Lesmoyens pour neutraliser l’expression de ces gènes sontactuellement en phase de développement thérapeutique,pour vérifier si cela aura un bénéfice et si cela peut être

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« Mais, quand on dit “à risque”, cela signifie au maximum60 % de risques. D’autres gènes peuvent prédisposer, à destaux moindres, au diabète, à certaines autres formes decancers, à des maladies auto-immunes ou à d’autres patho-logies. On touche là à des maladies plus fréquentes, mais onvoit bien que le niveau d’implication, de prédisposition, deprédiction est moins fort. On est donc obligé de l’interpré-ter de façon plus modérée. Cela ne veut pas dire que, dansl’avenir, on ne progressera pas dans ces domaines-là,puisque même en cas d’interaction entre plusieurs gènes, laprogression des connaissances permet d’y voir plus clair.

Il faudra ensuite seposer la question desavoir ce que l’on fait deces informations. Faut-il, comme on le fait enFrance, ne pas permet-tre aux gens de faire

analyser leur génome, de faire le séquençage de leurs gènes,sous le prétexte que ça les exposerait à des inquiétudes ? Ou faut-il, comme dans certains pays anglo-saxons, laisserles gens accéder à leur génome avec un soutien psycholo-gique s’il leur est difficile de vivre avec l’idée qu’ils dévelop-peront peut-être une pathologie vingt ans plus tard ? Le faitd’être informé a un intérêt, il permet d’adopter un compor-tement plus précautionneux. Dans l’exemple de Collins, oùun malade virtuel était prédisposé à une maladie corona-rienne et au cancer du poumon, je lui conseillerais de s’ar-rêter de fumer immédiatement. Il a une raison plusimpérative encore que les autres de s’arrêter de fumer parce

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Faut-il, comme on le faiten France, ne pas permettreaux gens de faire analyserleur génome ?

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« Quel est le coût de ces traitements ? Il est élevé, un petitpeu plus élevé que le traitement alternatif, la greffe demoelle osseuse. Mais il a relativement moins d’inconvé-nients. La greffe de moelle osseuse expose à des risques decomplications, dont la réaction du greffon contre l’hôtequand la compatibilité entre donneur et receveur n’est pasparfaite. La gamme de coûts est à peu près similaire.Heureusement d’ailleurs que le progrès n’est pas plusrapide, car si l’on disposait dès aujourd’hui de traitementsapplicables à des dizaines de milliers de patients, le coûtserait difficile à supporter par la Sécurité sociale et lesmutuelles. Mais, comme nous avançons pas à pas, nosfinanceurs apprendront pas à pas à trouver les ressources, etsurtout le coût des traitements va baisser considérable-ment, tout comme le génome qui ne coûte qu’un millierd’euros aujourd’hui.« Alors est-ce qu’on a le droit, chacun d’entre nous, de faireanalyser ce génome ? La règle varie d’un pays à l’autre, c’estinterdit en France mais pas en Allemagne, où on peut mêmeenvoyer des prélèvements par Internet. L’interdiction nepourra pas durer éternellement, il faudra bien réfléchir, légi-férer, analyser, apporter des conclusions. Tout cela soulèvedes questions éthiques. Que doit-on autoriser ou ne pasautoriser ? Quand on fait une thérapie génique pour traiterun malade, cela ne pose pas tellement de problèmes. Depetits risques peuvent survenir, mais ils sont encore plusgrands quand on fait une greffe de moelle osseuse. Toutgeste médical comporte un certain risque. Ce qui compte,c’est le rapport bénéfice/risque. Si le bénéfice est plusimportant que le risque, cela vaut la peine de se lancer dans

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développé sous forme de médicaments. Je ne m’avance passur les résultats, mais cela signifie qu’à côté des gènes habi-tuels il y a aussi nécessité d’analyser les autres éléments denotre patrimoine dans lesquels on trouve des facteurs desusceptibilité à certaines maladies, et qui restent à décou-vrir. Il me semble donc que l’on ne peut pas encorepromettre monts et merveilles dans ces domaines-là, maisqu’on ne peut pas non plus demeurer pessimiste. Noussommes au milieu du gué et il faut continuer à traverser larivière pour avoir la totalité des connaissances. »

QUE FAUT-IL PENSER DE LA THÉRAPIE GÉNIQUE ?

« Je ne suis pas pessimiste non plus, car il y a actuellementplus d’une centaine de personnes dans le monde qui sontguéries grâce à la thérapie génique. Certes, c’est peu parrapport à la fréquence des maladies concernées, mais c’estquand même la preuve que le système fonctionne. Prenons,par exemple, le déficit immunitaire combiné sévère(DICS), les premières tentatives par Alain Fischer se sonttraduites par l’apparition de leucémies, dont la plupartd’ailleurs ont guéri ; mais, en utilisant un autre vecteur, lerésultat est totalement bénéfique avec une guérisoncomplète et sans aucun effet adverse. C’est vrai aussi pourle déficit immunitaire associé à l’adénosine désaminase,pour le syndrome de Wiskott-Aldrich, qui est un autredéficit immunitaire, et ça commence à être vrai pour laß-thalassémie. Nous n’avons donc, pour l’instant, que lespremiers résultats concernant quelques maladies, mais celava s’étendre à des pathologies plus nombreuses et à un plusgrand nombre de malades.

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sation car, pour l’instant, nous ne maîtrisons pas les consé-quences, et elles seraient dramatiques car elles toucheraienttoutes les générations à venir. C’est donc une modificationde l’espèce humaine qu’on ne peut pas entreprendre sansavoir pris des précautions infinies. »

Jean-Pierre Vacher : « Je vais maintenant passer laparole à Jean Matouk et je vous renvoie à son article publiédans ce numéro 95 de la revue Mutuelle et Santé, article surles considérations économiques qu’ouvrent les perspectivesdu séquençage du génome humain. »

Jean Matouk : « Quand Pasteur a mis au point le vaccincontre la rage, certains médecins ont dû penser qu’on pour-rait étendre la vaccination à lapoliomyélite, la grippe, etc.,alors que d’autres sûrement n’ycroyaient pas. Aujourd’hui, onen est à envisager de rendre11 vaccins obligatoires. Pourl’instant, nous ne sommes pastrès avancés en génomique,mais je suis convaincu que danstrente ans nous constateronsdes avancées absolument consi-dérables. Je vais me contenterde neuf brèves remarques.« Jean-Louis Touraine a prononcé le mot “épigénétique”.Quand on parle du génome, il ne faut jamais oublier quenotre génome est modifiable par le contexte, et que ces

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ces thérapeutiques. Il faut bien encadrer tout cela et êtreprécautionneux, mais il n’y a rien de très nouveau sur leplan de la génétique. Et concernant la prédiction, les gensdétenaient déjà des informations grâce à l’analyse de leurhérédité. Ce n’est donc pas radicalement nouveau, mais unpeu plus précis, plus ciblé. Le terme de médecine “person-nalisée” est peut-être excessif puisque cela ne concerne pasdes individus mais des petits groupes de personnes.« Il reste un point non résolu, celui d’appliquer ces possibi-lités non plus pour traiter des malades, mais pour la descen-dance de ces malades, modifier en cela l’espèce humaine.C’est interdit pour l’instant, la plupart des pays développésne permettent pas que l’on modifie les gènes de notredescendance. Mais est-ce que ce problème ne sera pasabordé par nos successeurs ? Aujourd’hui, grâce à la méde-cine, tous les gènes de susceptibilité à des maladies augmen-tent. Les gens qui ont un diabète depuis l’enfance vivent, denos jours, jusqu’à un âge où ils ont des enfants eux-mêmes.Les progrès de la médecine ont permis d’allonger l’espé-rance de vie de bien des malades qui arrivent jusqu’à l’âgeadulte. Leurs gènes sont transmis à leurs enfants. Lafréquence des gènes de maladies dans l’espèce humaines’amplifie. Est-ce qu’un jour on ne sera pas conduits à éradi-quer certains gènes de maladies, de même qu’on a pu éradi-quer de la surface de la terre des agents agressifs extérieurscomme le virus de la variole ? Cette disparition peut se fairesoit en enlevant des gènes malades, soit en apportant desgènes de résistance empêchant ces gènes malades de s’expri-mer. C’est de la science-fiction, mais il faut y réfléchir sur leplan éthique. Nous ne devons pas nous lancer dans la réali-

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giques, et c’est encore un autre problème. On va voir alorsse confronter la conception anglo-saxonne et la conceptionlatine. Chez les Anglo-Saxons, vous aurez le droit de savoiret ce n’est pas un médecin qui vous le dira, ça vous tomberasur la tête. Chez nous, cela se passera sans doute par l’inter-médiaire du médecin. Il vous prescrira l’analyse génomique,que vous ferez pour 1 000 ou 2 000 € et qui sera transmisechez lui. Lui aussi va se poser la question de ce qu’il doit ou ne doit pas vous dire, c’est un problème moral. Alors,vaut-il mieux être anglo-saxon ou latin, je ne le sais pas…

UN VRAI PROBLÈME ÉTHIQUE, MORAL ET POLITIQUE

« Mais il y a surtout un problème éthique et politique austockage de ces analyses par les organismes qui vont les réali-ser. Une scientifique américaine, Anne Wojcicki, femme dufondateur de Google, a créé la société 23andMe. Cela signi-fie que la société va analyser ce que ces 23 chromosomesdisent de vous, ce que votre génome dit de vous. Désormais,pour 99 $, vous recevez une éprouvette, vous crachezdedans, vous l’envoyez à Mountain View et vous recevez aubout d’un certain temps le bilan de vos prédispositions géné-tiques pour 90 caractéristiques. Bien entendu, la confiden-tialité est assurée par ces sociétés, mais c’est comme enpolitique, cette promesse n’engage que ceux qui la reçoivent.« En sens inverse, c’est extraordinaire de réunir toutes cesanalyses génomiques dans d’immenses banques de données,exactement comme le fait la Sécurité sociale, la CNAM, quidispose d’un milliard de feuilles de maladie. Pour l’instant,peu de chercheurs y ont accès, mais imaginez le trésor quecela représente du point de vue de la santé publique et

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modifications sont transmissibles. C’est comme cela que lesespèces successives d’animaux se sont adaptées à leur envi-ronnement. Dans le cas de la pollution par exemple, lespolluants agissent sans doute sur nos gènes, il y a un effetépigénétique qui les modifie et on le transmet à nos enfants.« Deuxièmement, le génome est le déterminant essentiel denotre existence. C’est une sorte de carte d’identité active, etje suis sûr que nous allons vers une très forte demanded’analyse du génome. Ce n’est pas le séquençage total qui vaêtre demandé. Concernant les coûts, dans le cas du cancerdu sein, quand vous savez que vous avez BRCA 1 et 2, c’est1 500 € si vous vous limitez à ces deux gènes. Et c’est seule-ment 478 € si vous le faites faire pour vos filles en mêmetemps, puisque théoriquement ça se transmet. Le prix del’analyse génomique est donc accessible à tout le monde.J’ai retrouvé la fameuse lettre d’Angelina Jolie publiée dansle New York Times en 2015. Elle écrit : « J’ai donc pris la déci-sion de subir une double mastectomie préventive, je voulaisécrire cela pour dire aux autres femmes que la décision de subirune mastectomie n’a pas été facile, mais que je suis très heureusede l’avoir fait. Mes risques de développer un cancer ont chutéde 87 % à moins de 5 %. » Deux ans après, elle a égalementsubi une ablation des ovaires. Ce raisonnement va devenirimparable et, au fur et à mesure qu’on va découvrir des liai-sons entre les maladies monogéniques, bi-, tri- et quadrigé-niques, évidemment on ne résistera pas. La demanded’analyse sera extrêmement importante. Mais est-ce que j’aienvie de savoir, par exemple, que j’ai le gène, s’il existe, dela maladie de Charcot, qui est incurable, ou du cancer dupancréas ? Cela engendre de graves conséquences psycholo-

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concernée à prendre beaucoup plus tôt en compte telle outelle maladie potentielle. Aujourd’hui, rien qu’en surveil-lant vos like (“j’aime”) sur les réseaux sociaux, les sociétésqui animent ces réseaux sont capables de comprendre voscomportements. C’est le cas déjà pour Netflix et OrangeTV qui vous proposent automatiquement des films enlien avec ceux que vous commandez. En 2015, Facebooka entrepris une étude sur 86 000 volontaires ayantrépondu à un questionnaire en 100 points. Facebook amis au point un algorithme qui avec 10 like est meilleurjuge de votre personnalité que vos collègues de bureau.Avec 70 like, il vous connaît mieux que vos amis proches,et avec 100 like il vous connaît mieux que les membres devotre famille. Avec 300 like, il vous connaît mieux quevotre conjoint. Aujourd’hui, aux États-Unis, on lit plussur les livres numériques, les livres Kindle, que sur papier.Le Kindle est équipé de capteurs qui surveillent la vitesseà laquelle vous passez les pages, ce qui lui permet desavoir que tel passage vous a plus intéressé que tel autre.Avec un dispositif de reconnaissance faciale dans lelecteur (l’iPhone X en a déjà un), les sentiments, lesémotions que vous ressentez en cours de lecture consti-tueront des données extrêmement intéressantes pour tousles gens qui voudront écrire. Or l’analyse génomique nese contente pas de prévoir vos prédispositions à des mala-dies, c’est une carte d’identité, elle est comportementale.Il est évident que lorsqu’on va pouvoir croiser la saisiematérielle de vos réactions et les prédispositions géné-tiques aux émotions, la psychologie va faire des progrèsabsolument considérables.

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imaginons donc à l’avance le trésor que sera cette banque dedonnées génomiques de millions d’individus. Ce sera uneavancée considérable pour la gestion de la santé publique.« Je sais qu’il faut se méfier du libéralisme en matière dedonnées des génomes, mais d’un autre côté c’est un avan-tage considérable. Il faut savoir que, compte tenu de laconception qu’a la Chine des libertés et des individualités,et de ses capacités scientifiques, si des sociétés européennesne se développent pas ou qu’on ne les laisse pas se dévelop-per, c’est à des sociétés chinoises que vous enverrez votresalive. Vous aurez les résultats très rapidement, mais Shan-ghai aura aussi vos résultats et ils ne se gêneront pas pourpratiquer une surveillance générale de la santé publiquepotentielle des autres pays.

« Google a lancé un projet qui s’appelleGoogle Baseline Study. Il a pour objec-tif d’établir le profil d’une santé parfaiteet d’identifier ensuite les plus infimesdes déviations, grâce notamment à tousles capteurs qui sont insérés dans lesvêtements, chaussures, bracelets,lunettes, etc. Cela permettrait aux gensd’être alertés à la moindre déviation.Lorsque les personnes auront leuranalyse génomique, on aura puprogrammer que telle ou telle déviationest plus grave pour certaines d’entreelles selon leur prédisposition géno-mique. Ce sera un système d’alerteimmédiat qui incitera la personne

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Sapiens traitait de l’évolution de l’homme depuis Lucy,mais Homo Deus traite de l’avenir. Il annonce un change-ment que je qualifierais de paradigme biologique, maisc’est sans doute un très mauvais terme. Il expose d’abordce à quoi nous croyons aujourd’hui profondément, qu’ilappelle notre croyance libérale et qui sous-tend nos orga-nisations politiques, notre idéologie humaniste. Selon lui,on peut la résumer en trois hypothèses : je suis un individudonc indivisible, et il y a au fond de moi un moi authen-tique entièrement libre. Je peux savoir sur moi des chosesque personne d’autre ne peut découvrir, je ne saurais mefier à personne d’autre pour choisir à ma place carpersonne ne sait qui je suis vraiment. C’est d’ailleurs pourcela que la beauté n’est que dans l’œil du spectateur. SelonHarari, les sciences de la vie sont arrivées à un point où cestrois hypothèses sont contestables à partir de la notiond’algorithmes. Qu’est-ce qu’un algorithme ? C’est unensemble d’étapes pour atteindre un objectif. Par exemple,une recette de cuisine est un algorithme, la préparationd’un café expresso est un algorithme, or on peut, selonHarari, appliquer le concept d’algorithme aux mécanismesbiologiques. Quand un singe voit un bananier et un lionen même temps, il ressent des choses contradictoires, il aà la fois faim et peur. Mais la faim et la peur sont desmécanismes biochimiques qui vont se combiner etauxquels on ajoute nos pensées, qui sont également desmécanismes biochimiques. L’objectif final pour lesanimaux comme pour nous, c’est de survivre et nousreproduire. Pour le singe, cela signifie à la fois ne pasmourir de faim, mais également éviter de se faire manger.

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« Je distingue la génétique prédictive et l’action génétique.Dans l’action génétique, je distinguerais le fait de modifierun génome en vue d’éviter une maladie et le fait éventuelle-ment de guérir une maladie en modifiant un génome, sidans le courant de la vie, en changeant les cellules grâce àune modification du génome, les organes peuvent se régé-nérer. J’ai une insuffisance rénale, j’ai choisi de me dialyser,mais j’espère qu’un jour on pourra modifier mon génomepour que ma maladie guérisse. C’est ce que j’appellerais lagénétique curative. Et puis il y a la génétique transforma-trice, qui viserait à fabriquer le beau bébé aux yeux bleus,fort et costaud. Je n’ai rien contre les trois premières, je n’airien contre la génétique prédictive, même si elle n’est pastrès bonne, mais évidemment je suis pour et je pense quetout le monde va en avoir envie. Je n’ai rien contre la théra-pie génique ayant pour but d’éviter une maladie, ni contrecelle qui guérirait. Mais la thérapie génique transformatricepose un grave problème, et il va falloir une volonté de fer dela part des pouvoirs politiques pour faire en sorte que cetype-là d’intervention sur le génome soit interdit. Cetteintervention a été tentée par les nazis, mais évidemment ilsne connaissaient pas le génome ; elle est faite par l’hommesur tous les animaux qu’il a domestiqués et les plantes ; est-ce qu’on arrivera à l’interdire sur le génome, c’est un vraiproblème politique.« Je vais vous soumettre une réflexion terrifiante, celle quefait l’auteur israélien Yuval Harari dans son dernier livreHomo Deus, une brève histoire de l’avenir publié chez AlbinMichel en 2017. Il fait suite à son fameux Sapiens : unebrève histoire de l’humanité qui a été un succès mondial.

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Jean-Pierre Vacher : « C’est un formidable espoir pourdes maladies comme les cancers, mais tous les patients sont-ils prêts à entendre l’annonce des risques qu’ils encourent ? »

Jean-Yves Blay : « Pour reprendre une phrase du PrixNobel Michael Bishop, “le cancer est une maladie desgènes”, une maladie des gènes de la cellule tumorale. Lacancérologie, parce qu’elle a identifié cela précocement,nous a conduits à faire un énorme effort sur la caractérisa-tion génomique. Je voudraisvous faire partager dans quellemesure la révolution géno-mique que nous rencontrons aun impact majeur, ici et main-tenant, sur la prise en chargedes patients ; mais également lamasse énorme de questions quinous attendent, que nousn’avons pas résolues, et qui sontplus une promesse de travailpour les années à venir queréellement des résultats acquis.« Il m’a fallu vingt-cinq ans pour lire L’Éthique de Spinoza,et cela m’a rappelé que nous sommes, au fond, des algo-rithmes, c’est ce que dit Spinoza et il faut simplement l’accepter, c’est notre seule part de liberté. Lorsque l’onregarde les manuels de médecine en cancérologie, la prise encharge des patients suit des règles qui sont indiquées dans ceque l’on appelle de manière schématique les “recommanda-tions pratiques cliniques”. Ces recommandations pratiques

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Chez certains singes, la combinaison d’algorithmes va êtretelle qu’ils vont attendre que le lion s’en aille ou bien allerchercher une banane ailleurs, et finalement ils survivent ettransmettent ce génome à leurs descendants. Pour Harari,nous sommes une combinaison d’algorithmes biochi-miques dans toutes nos actions, avec l’objectif de survivreet de nous reproduire, comme les singes. Les organismesanimaux, donc humains, sont des algorithmes, et les êtres

humains ne sont pasdes individus mais des“dividus”, assemblagesd’algorithmes diffé-rents, sans ce moi inté-rieur qui, à nos yeux,

fait notre valeur individuelle. Ces algorithmes ne sont paslibres, ils sont façonnés par les gènes et par les pressions del’environnement, l’épigénétique. On ne prend donc pasnos décisions de manière autonome mais de façon déter-ministe et aléatoire. Il s’ensuit qu’un algorithme extérieurpourrait très bien nous connaître mieux que nous et modi-fier nos propres algorithmes. Si ce raisonnement est exact,une telle perspective, même lointaine, aura inévitablementdes répercussions sur notre organisation sociale. Quelleorganisation sociale sera adoptée par “homo sapienssapiens algorithmus” du futur ? Si le coût des transforma-tions génétiques arrête de baisser, ou devient de plus enplus cher à cause de sa complexité, seuls un certainnombre d’individus pourront se les payer et apparaîtraalors le surhomme : Nietzsche aura eu raison ! »

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On ne prend pasnos décisions de manièreautonome mais de façondéterministe et aléatoire

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de logique à rassembler 1 000 patients porteurs de la mêmemaladie parce qu’elles sont toutes différentes, commentallons-nous faire ? Cet objet complexe qu’est la maladiecancéreuse, qui associe la maladie elle-même, l’environne-ment de la maladie et surtout le patient lui-même,commence à se fragmenter et chaque patient devient indi-viduel. Le paradigme qui prévaut en cancérologie depuisquelques années est un paradigme simplissime : 25 000,30 000 gènes dans le génome de l’espèce humaine, le cancerest une maladie des gènes, deux cas de figure peuvent êtreenvisagés. Dans le premier cas, on a un gène muté anormalprédominant. Si ce gène muté – nommé pilote fort, driverfort en anglais – a un rôle prédominant dans la genèse ducancer, et si ce gène code pour une protéine que nouspouvons moduler, éteindre et allumer avec un médicament,évidemment nous sommes en position de force puisqu’ils’agit de bloquer la clé de démarrage de cette cellule anor-male qu’est devenue la cellule cancéreuse. Cela existe encancérologie humaine pour quelques modèles. Un modèletrès classique, historique, et qui est extrêmement puissantpour cette observation, la leucémie myéloïde chronique : onmet une anomalie génétique dans une cellule souche héma-topoïétique, on va obtenir cette maladie, et cette anomaliegénétique qui code pour une protéine anormale, si on labloque, eh bien on va quasiment guérir la maladie. Maisc’est l’exception ! Dans un article paru il y a quelquesannées, Waynberg disait que probablement 10 à 15 %maximum des maladies humaines sont équipées de pilotesforts, molécules anormales que l’on peut moduler. Ce quilaisse 85 % ou plus de patients porteurs d’un cortège de

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cliniques sont basées sur la science accumulée au cours desannées et des décennies précédentes. Elles basent les traite-ments sur la reconnaissance de la maladie. Dans les manuelsde 2017, la reconnaissance de la maladie est uniquementbasée sur l’examen microscopique de la maladie. C’est vraidepuis le XIXe siècle en médecine, et en cancérologie enparticulier. Avec cette observation se percute l’explosiongénomique que l’on constate depuis ces cinq oudix dernières années. Il s’agit au fond d’observer qu’avec lesoutils de caractérisation moléculaire l’analyse d’un génomecoûte maintenant 1 500 $, et qu’il est à notre portée deprendre quelques milliers de tumeurs, de les analyser et deles reclassifier. Nous sommes en train d’aboutir ainsi à uneclassification des maladies qui a peu de chose à voir aveccelle présente dans les manuels de médecine, de cancérolo-gie, qui guident notre traitement. Bien sûr, il s’agit de teltype de cancer du sein à l’examen microscopique, mais onest en train de fragmenter ce groupe de maladies en unemyriade de maladies très différentes sur le plan génétique,et sur le plan du comportement.« En tout état de cause, cette évolution génomique de lamédecine aboutit à une fragmentation des maladies, et aufait que chacun d’entre nous, dans le domaine de la cancé-rologie en tout cas, mais c’est le cas pour beaucoup de mala-dies, a une maladie rare. C’est un problème, parce que pouravoir ce corpus de connaissances qui nous permet de traiterles malades, nous avons pratiqué des analyses sur desmilliers de patients réputés ayant la même maladie, et nousavons progressé, pas à pas, en comparant approche A contreapproche B. Mais si maintenant on nous dit qu’il n’y a pas

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pour une protéine pour laquelle nous avons un interrup-teur, nous savons le bloquer. Pour le mélanome, le traite-ment marche remarquablement bien et donne quasiment80 à 90 % de contrôle transitoire. Peut-on en déduire que,chaque fois qu’une maladie humaine sera caractérisée parcette anomalie de ce gène entre autres, le même interrup-teur donnera le même résultat ? C’est une question quenous n’avons jamais posée de cette façon en cancérologie.Nous avons toujours posé la question : traitement du cancerdu sein, ou mélanome, A versus B. Nous n’avons jamaisdit : à travers toutes les maladies cancéreuses, est-ce quelorsqu’il y a une mutation de gènes cet interrupteur-là fonc-tionne ? C’est un changement radical de paradigme. Pour laprise en charge des patients, nous réalisons des essais dits“panier”, basket en anglais, dans lequel nous mettons 1 %des cancers du poumon, 1 % des patientes porteuses ducancer de l’ovaire, que nous soumettons à ce traitement.Cela marche pour certains mais pas pour d’autres. Un seulgène ne suffit pas, il faut comprendre quelle est la biologiede la maladie là-dedans et ce n’est pas si simple. Mais nousavons tout de même quelques résultats tout à fait remarqua-bles. Au cours de la première étude réalisée, nous sommestombés sur une maladie rare et personne n’aurait jamais faitd’études sur cette maladie-là si nous n’avions pas réalisécette étude ; parce qu’il y a dix malades par an en France etqu’elle n’est connue que de deux ou trois centres spécialisés.Il se trouve que cette mutation de BRAF est présente dans70 % des cas des patients porteurs de cette maladie et on nele savait pas. C’est une maladie assez redoutable pourlaquelle nous avons peu de traitements, et ces traitements

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mutations au sein de leur ADN, codant pour des protéinesanormales, et c’est la somme de tout qui va poser problème.Or s’il s’agit de couper une clé de contact ce sera facile, maissi nous avons vingt clés de contact à couper, qui en plustouchent à des mécanismes fondamentaux du fonctionne-ment de chaque cellule de notre organisme, ce sera uneautre paire de manches, et on ne va pas y arriver. Un certainrecul a été pris ces dernières années sur la médecine person-nalisée du cancer : peut-être avons-nous été excessivementoptimistes. Je crois qu’il faut écouter ces approches critiqueset porter un nouveau regard sur ce qu’il se passe.

« Cependant, les chiffres sontlà. Nous guérissons 50 % deplus d’un sous-groupe decancers du sein (qui repré-sente environ 15 % descancers du sein) avec desthérapeutiques ciblées sur uneanomalie moléculaire pilotefort. La leucémie myéloïdechronique et d’autres mala-dies sont guéries par cesapproches thérapeutiques,une fraction seulement. Et

cela amène une autre question dans le domaine des théra-peutiques ciblées : si l’on prend le gène BRAF, qui est mutédans 60 % des mélanomes, dans 10 % des cancers du côlon,dans 2 % des cancers du poumon, et dans à peu près 1 %de l’ensemble des cancers. Ce gène est donc très fréquem-ment muté dans les cancers de l’espèce humaine. Il code

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monde. Aux États-Unis ou de l’autre côté du Rhin, ce n’estpas gratuit et c’est accessible à un petit nombre de patientsseulement. En France, cela concerne chaque année desdizaines de milliers de patients. On a voulu, dans cetteétude réalisée sur Lyon, aller plus loin. Les résultats obtenussur un peu plus de 2 000 patients sont très instructifs parcequ’ils nous montrent l’endroit où nous devons aller. Numé-riquement, ils sont instructifs, et en voici la description : ils’agit d’une analyse de la tumeur d’un patient proposée à unpeu plus de 2 000 patients. Sur ces 2 000 patients, la moitiéa eu une de ces anomalies moléculaires pilotes. Cela signifiequ’il faut que nous augmentions notre panel d’analyse parceque nous ne sommes pas en train de couvrir l’ensemble desmutations potentielles. À l’intérieur de ces 50 %, qui ontquand même eu une mutation, la moitié seulement s’est vuproposer un traitement, parce qu’il n’y a pas de traitementpour tout ; à la fin, il faut que le patient soit en mesure derecevoir ce traitement, il faut qu’il soit en forme, il ne fautpas qu’il soit fatigué, et il ne faut pas que d’autres facteursinterviennent et interfèrent avec notre capacité de traite-ment. Nous nous retrouvons donc avec 7 % seulement despatients qui ont pu bénéficier du traitement. C’est très peu,et ces chiffres sont comparables à ceux des résultats dumonde entier. L’expérience américaine de New York et deBoston se situe entre 5 et 10 %. Cela signifie que noussommes comme les autres, mais aussi que nous avons desétapes très importantes à franchir pour améliorer cela. Ilfaut proposer ces analyses plus largement, plus tôt, plusprécises, et développer des médicaments adaptés. Il fautdonc retenir que 25 % seulement des patients à qui on

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ne marchent pas très longtemps. C’était donc un pronostictrès sombre, et il était impossible de faire des études avec sipeu de patients. Mais grâce à cette étude, un premierpatient a pu être inclus avec une réponse extraordinaire etnous avons ensuite pu inclure d’autres patients. Après troisans, tous les patients porteurs de cette maladie-là répondentau traitement tant qu’on le leur donne, et sans résistance.Nous sommes donc sur un changement complet de notremodèle. Nous avons trouvé, avec cette étude extrêmementcomplexe, un tout petit sous-groupe de malades qui, demanière tout à fait remarquable, bénéficie de ce traitement.Cela donne une assez bonne image des progrès que nousallons faire en cancérologie. Il serait illusoire, naïf, d’imagi-ner que nous allons changer les choses brutalement et fran-chir de grandes marches d’escalier, c’est une montée humbleet prudente, rationnelle, où nous allons gagner étape parétape sur des petits sous-groupes de patients.

« Évidemment, on aimeraitaller plus vite, regarder plusde gènes et essayer d’avan-cer en parallèle. C’est ceque tout le monde fait auniveau des institutions quifont de la recherche, au

niveau des grands groupes coopératifs, au niveau mondial,et la France est particulièrement bien placée avec sesprogrammes de caractérisation génétique. Nous avons lapossibilité de regarder plus large que simplement un gène,et la France met à disposition gratuitement l’analyse géné-tique des cancers pour 20 gènes clés, c’est unique au

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La France met àdisposition gratuitementl’analyse génétique descancers pour 20 gènes clés,c’est unique au monde

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tiques ciblées. La majorité des patients ne va pas répondre àun traitement immunomodulateur, pour l’instant, parmiceux qui sont à notre disposition. Par contre, environ 10 à15 % des patients qui étaient jusqu’à présent réputés incura-bles vont bénéficier d’une survie très prolongée, et sontprobablement guéris, nous le saurons d’ici 10 ans. Ce qui aconduit d’ailleurs certains à opposer les thérapeutiquesciblées aux immunothérapies, en disant : l’un repousse, l’au-tre guérit, même si c’est qu’une fraction des malades. Je croisque c’est une distinction qui est fausse, qui n’est d’ailleurspas confirmée par les faits ; en pratique, on est à peu prèsdans le même cas de figure : on guérit trop peu, mais onguérit dans les deux cas. La combinaison des deux, on l’es-père, va nous permettre des avancées.« Mais pourquoi aborder l’immunothérapie alors que notreréflexion porte aujourd’hui sur les gènes ? Pourquoi lacellule cancéreuse est-elle reconnue par le système immuni-taire, pourquoi a-t-elle en quelque sorte épuisé le systèmeimmunitaire ? Un élément me paraît être important : lecancer est une maladie desgènes, il y a des dizaines,des centaines, des milliers,parfois des centaines demilliers de mutations sur legénome d’une cellulecancéreuse chez un patient atteint de cancer. Ces muta-tions sont exprimées dans la cellule tumorale et donnentdes protéines un peu anormales. Le rôle du système immu-nitaire est de détecter le “un peu anormal” qui ne nousappartient pas. Et, de manière non surprenante, on va ainsi

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propose ces études-là peuvent effectivement se voir propo-ser un traitement, et à l’arrivée c’est moins de 10 % quipeuvent l’obtenir de facto.« J’ai passé un peu de temps sur les thérapeutiques cibléesparce que les anomalies génétiques du cancer sont la clé. Leproblème de l’immunothérapie du cancer est un problèmeancien. Il y a 60 à 70 ans, nous avions observé que la mani-pulation du système immunitaire avait un impact au niveaude la croissance de la tumeur, dans les modèles expérimen-taux mais également chez les patients ; mais on avait fait uneerreur énorme, qui était de considérer que la question étaitd’activer le système immunitaire. Il s’agissait pour nous, etc’est comme cela que j’ai été recruté au Centre Léon-Bérard,d’activer le système immunitaire en essayant de lui fairereconnaître la cellule tumorale et la détruire. Erreur straté-gique majeure : le problème n’est pas d’activer le systèmeimmunitaire puisqu’il a été activé par le cancer. Le problème,c’est qu’il a été tellement activé, et mal activé, qu’il s’estépuisé et ne peut plus fonctionner. Donc la solution n’est pasde réactiver, parce que le système immunitaire s’est déjàépuisé au sein de notre organisme, mais de lever les freins quicausent cet épuisement, et c’est ce qu’on appelle les points decontrôle immunologiques. Ces points de contrôle immuno-logiques sont actuellement, en thérapeutique, en train derévolutionner la prise en charge des cancers fréquents et rares– mélanome, cancer du poumon, cancer de la tête et du cou,certains cancers hématologiques, la liste est longue – pour laplupart desquels une fraction des patients pourra bénéficierde ces traitements-là. Dans ces traitements, les situationssont un peu différentes de ce que l’on a avec les thérapeu-

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Le rôle du systèmeimmunitaire est de détecterle “un peu anormal” qui ne nous appartient pas

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lies sur de nombreux gènes, il y aura une reconnaissancepar le système immunitaire, et à ce moment-là on pourracesser de l’épuiser avec ces nouvelles immunothérapies.

« Pour conclure, plusieurséléments sont importants, lespanels, comment va évoluer lediagnostic moléculaire en cancé-rologie, le problème de la résis-tance et puis comment arriver àcette connaissance-là. La vitesseà laquelle les choses ont évoluéest incroyable. En 2003, le

Human Genome Project regroupait 2 800 scientifiques,16 instituts majeurs, 6 pays et 2,7 milliards d’euros pourfaire la première séquence. Quinze ans après, Il suffit de1 000 €, un jour pour le résultat, et on fait cela 50 fois.Imaginez, vous avez acheté un appartement 100 000 € en2003, et il vaut 10 centimes d’euro maintenant. C’est uneréduction de coût inédite, et qui n’est pas contrebalancéepar une appropriation de la compréhension de ce que l’onfait, qui se déroule à la même vitesse. Et c’est un peu leproblème : nous avons à notre disposition des outils extra-ordinairement puissants pour nous permettre de voir ce quise passe, mais nous n’avons pas encore la compréhension dusens de ce qui se passe. Ce sont ces outils de big data, demégadonnées, qui nous permettront de les avoir. Actuelle-ment, nous avons à notre disposition une Ferrari, mais nousne savons pas comment la conduire. Dans l’immédiat, ilnous faut apprendre à conduire cette machine extrêmementpuissante que sont les outils de caractérisation génétique.

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se rendre compte que le nombre de mutations dans lesgènes des cellules tumorales est corrélé à l’activité de l’im-munothérapie. Plus il y a mutation, plus les protéines sontun peu anormales, plus le système immunitaire va êtrecapable de le reconnaître. Ce ne sont pas les seulséléments, d’autres sont importants, mais cette chargemutationnelle est probablement déterminante. Une chargetumorale forte, c’est 20 mutations pour un million debases. C’est peu, mais assez pour que le système immuni-taire détecte un problème. Cette information, cet outilprédictif, est vraie pour tous les cancers. Ça marche parcequ’il y a une charge mutationnelle chez une fraction despatients qui est importante. Donc l’analyse génétique vaporter non plus sur le fait de comprendre quelles sont lesclés de démarrage du véhicule, mais également sur tous leschocs qu’il y a eus partout sur le véhicule. Double raisonpour aller faire une analyse génétique. Et cela changecomplètement les paradigmes de traitement. Jusqu’àprésent, nous avons toujours mis à disposition un traite-ment pour soigner le cancer du sein affecté de telle ou tellecaractéristique. Il y a quelques mois, la FDA américaine –et je ne doute pas que ça sera la même chose en Europed’ici peu – a autorisé la mise sur le marché d’une immuno-thérapie dirigée non plus contre telle tumeur mais contretelles caractéristiques génétiques de cette tumeur, quelleque soit la tumeur en question, cancer de l’utérus, du seinou du côlon. La caractéristique de cette tumeur est d’êtreincapable de réparer ces petites erreurs, on appelle cela unphénotype MSI. Et si le système de réparation de l’ADNfait que la cellule tumorale est pleine de ces petites anoma-

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Des outilsextraordinairementpuissants pour nouspermettre de voir,mais pas encorela compréhensionde ce qui se passe

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résistance étant complètement différents d’un patient àl’autre, comment avoir accès à l’analyse ? En France, on estaidés, les efforts des différents gouvernements vont dans cesens. Et comment avoir une approche rigoureuse pourmontrer qu’on rend réellement service aux patients ? Fairedes essais comparant 10 000 patients à 10 000 autres n’aplus de sens, cela coûtait très cher, prenait beaucoup detemps et n’était pas pertinent. De nouvelles méthodologiesd’essai sont à l’étude, comme les essais basket déjà évoqués,où l’on regarde la même anomalie moléculaire à traversdifférentes tumeurs. D’autres méthodologies d’essaicomprennent ce qu’on appelle des N-of-1 clinical trials, etles essais avec un seul patient, où l’on compare chez unmême patient le traitement d’avant par rapport au traite-ment d’après. C’était inimaginable il y a encore cinq ansdans le domaine de la cancérologie.

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C’est une chose d’avoir accès à son génome en une journée,c’en est une autre de comprendre ce que cela signifie. Dansce contexte, il faut rester modeste et avancer pas à pas,comme on l’a toujours fait en recherche clinique, enessayant de voir si nous apportons réellement quelque chose.Une des études que nous menons consiste à voir si, en éten-dant le panel des gènes que l’on regarde, on augmente lenombre de patients que l’on sert bien, à qui l’on va donnerun traitement efficace. En parallèle, la science continued’évoluer : il y a quelques semaines, un atlas pathologiquedu transcriptome humain est paru dans la revue Science. Lavision que l’on avait jusqu’à présent doit désormais intégrerce nouveau corpus de connaissances et ça bouge très vite.Les recommandations de pratiques cliniques ne vont pas à lavitesse à laquelle on évolue sur le plan technologique, et c’estdans ce contexte-là, celui du Plan France Médecine Géno-mique 2025, que les régions Auvergne/Rhône-Alpes et Île-de-France viennent de bénéficier d’une reconnaissance surun outil extrêmement important pour essayer de progresserdans cette dimension. C’est un effort collaboratif auqueltous les centres de lutte contre le cancer, tous les CHU desrégions sont associés. Cet effort visera à proposer uneséquence complète du génome chez 9 000 patients par an àl’horizon 2025, en servant non seulement les patients de larégion mais tous les patients de la nation.« Nous savons que ce sont exactement les mêmes méca-nismes qui sont mis en jeu dans l’émergence de la résis-tance que dans la cause première de la tumeur. Il va doncfalloir envisager non seulement des analyses génétiques audépart mais tout au long du traitement. Les mécanismes de

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APRÈS UNE COURTE PAUSE,LA DISCUSSION PEUT REPRENDRE

Seconde partie de l’intervention de Gérard Roizès :« Pouvons-nous, dans le cas de la médecine prédictive,calculer un risque individuel de développer telle ou tellemaladie commune ? C’est làune ambition qui n’est pasréalisable pour des tas deraisons. Je voudrais mainte-nant me poser la question desavoir s’il existe des raisonsfondamentales qui expli-quent pourquoi la médecineprédictive a tant de mal às’imposer sur des bases pure-ment génétiques. Cela résidedans la complexité de struc-ture et de fonctionnementdu génome, qui expliquepour une large part pourquoi les annonces réitérées périodi-quement ont du mal à voir le jour.« Le “Projet génome humain” a été vendu aux autorités prèsde trois milliards de dollars avec la promesse qu’une fois la séquence du génome humain obtenue il suffirait de lire“le livre de la vie pour la comprendre”. Tant de données se

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« Les domaines de la génomique et de l’oncologie sont enrévolution permanente. En conclusion, la médecine molé-culaire du cancer est en pleine croissance. Nous avons destechnologies qui sont beaucoup plus rapidement évolutivesque notre manière de les appréhender et notre compréhen-sion de leur utilisation. La résistance est le problème. Maisle futur réside dans la bio-informatique et l’intégration del’ensemble des données. Paul Valéry a dit quelque chose quiest particulièrement pertinent dans le domaine du cancer, etque nous allons essayer de faire mentir : « Ce qui est simpleest toujours faux. Ce qui ne l’est pas est inutilisable. » Mais ilnous appartient de savoir si la complexité est effectivementutilisable en pratique et c’est à cette seule condition quenous pourrons nous en servir pour le traitement du patientatteint de cancer. »

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CD

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trois millions de régions sont des sites de liaison pour les protéines régulatrices. Tout cela signifie que cette partiedu génome est celle qui décide du fonctionnement dugénome, de l’expression des gènes, du niveau auquel ils vontfonctionner, etc.« On pensait en plus qu’une minorité de notre génome étaittranscrite. On connaissait depuis des dizaines d’années lesARNs messagers qui sont ensuite traduits dans lesprotéines, ou les ARNs de transfert qui permettent avec lesARNs ribosomaux de faire la synthèse des protéines. Enfait, plus de 80 % de notre génome est transcrit en perma-nence et en une multitude d’ARNs, que l’on classe en petitsou grands, dont les rôles sont petit à petit dévoilés. On serend compte que ces ARNs sont également impliqués dansla régulation de l’organisation du génome et dans l’expres-sion des gènes de façon très élaborée chez des organismescomplexes comme le nôtre, mais pas seulement. Les micro-ARNs régulent de nombreux processus physiologiques,développementaux ou conduisant à des maladies. Les ARNsInterférence (RNAis) rendent silencieuse l’expression desgènes ; il existe également un grand nombre de petits ARNspermettant la synthèse peptide, des petits morceaux deprotéines dont on ne sait pas dans quel processus biologiqueils pourraient intervenir. On peut ajouter une série d’autresARNs, comme les ARNs dits circulaires, qui sont restés unmystère pendant des dizaines d’années mais dont on amontré récemment que certains codaient des protéines,comme les ARNs messagers. Bien d’autres ARNs entrent enjeu dans le fonctionnement du génome et dont on ne saitpas très bien à quoi ils servent.

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sont accumulées depuis le séquençage du génome, sur sonfonctionnement et sa structure, que cette assertion, déjànaïve à l’époque, est aujourd’hui purement et simplementrisible. Pour certains, la grande surprise a été qu’à peine20 000 gènes, quasi le même nombre que pour la droso-phile, la petite mouche du vinaigre, ont été détectés par leséquençage du génome humain. C’est-à-dire à peu près 1 à2 % de notre génome ! Qui plus est, on ne connaît pas laou les fonctions de la plupart de ces gènes. Deuxièmement,90 % des gènes génèrent plusieurs protéines de fonctionsdifférentes, par un mécanisme que l’on appelle l’épissagealternatif. On a longtemps pensé que les 98 % non codantsdu génome étaient une sorte de poubelle de l’évolution. Enréalité, une large proportion contient des éléments fonc-tionnels. Il y a encore de la controverse. Il y a eu un grandprojet appelé “n-code” en Islande, et au bout duquel lespromoteurs annonçaient que 80 % des séquences noncodantes pour des protéines étaient en réalité fonction-nelles. Depuis, on discute ce pourcentage, mais que ce soit20 ou 30 %, c’est considérable. Nous savons qu’au moins

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qu’un gène produisait un messager, qui produisait uneprotéine, laquelle correspondait à une fonction. Ce conceptn’a plus cours : aujourd’hui, nous savons qu’un gène peutproduire plusieurs messagers par le système de l’épissagealternatif, et plusieurs formes de messagers, chacun de cesmessagers donnant ensuite naissance à une protéine qui estdifférente. Mais les différentes isoformes des protéines quisont produites s’engagent dans des complexes avec d’autresprotéines pour exercer leurs fonctions. Cela peut se faire soitavec les deux premières isoformes de protéines qui vont agiravec une troisième protéine de façon identique, soit avecune protéine qui a une structure intermédiaire. Ou bienencore, parfois, avec des protéines totalement différentes.Donc ces différentes isoformes de protéines s’engagent dansdes complexes avec d’autres protéines pour exercer leursfonctions. On a montré récemment que les partenairesprotéiques pouvaient être très différents dans plus de 50 %des cas. Cela augmente considérablement la diversité descomplexes protéiques fonctionnels, dont on ne peut pas nepas tenir compte, dans les maladies multifactorielles notam-ment. Ces différences drastiques d’interactions entre parte-naires protéiques provenant d’isoformes protéiquesconduisent à suggérer fortement que l’identification desvoies conduisant aux maladies ne peut se limiter au seulniveau des gènes. C’est-à-dire qu’il va intervenir des tasd’autres processus, dont nous ignorons la plupart. Le cas dela protéine p53 est emblématique à cet égard : elle a étépopulaire quand on en a fait un suppresseur de tumeur, unesorte de gardien du génome, et depuis on lui a trouvé unnombre de fonctions inimaginable, un nombre d’isoformes

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« Il y a une catégorie d’ARNs qu’on appelle “longs noncodants”, en anglais lncRNAs. “Longs” parce qu’ils fontplus de 200 chaînons, 200 nucléotides, mais ils vont jusqu’àplusieurs milliers de nucléotides. Cette année, des auteursont établi un catalogue contenant près de 28 000 lncRNAsdétectables dans des cellules humaines, dont près de 20 000sont probablement fonctionnels. Jusqu’à présent, l’expres-sion de 1 800 d’entre eux environ a été analysée dans diffé-rents types cellulaires, et beaucoup ont été associés à denombreuses maladies. Par exemple, un lncRNA est associéà la maladie cœliaque, un autre protège d’une pathologiehypertrophique cardiaque, etc. Évidemment, nous sommesau tout début de la connaissance de ces ARNs qui vontprendre une dimension et une importance considérablesdans le futur, et qui interviennent dans les processus qui conduisent à un phénotype, qu’il soit un trait normalou une maladie.

« On a longtemps penséqu’un gène dirigeait lasynthèse d’une protéine,qui remplissait une seulefonction. Cela n’est pasvrai pour la plupart desprotéines, qui, pour agir,sont généralement asso-ciées à d’autres protéines.L’épissage alternatif a

montré que plus de 90 % des gènes humains multiplient lenombre de protéines potentiellement synthétisées dans noscellules. Pendant des dizaines d’années, nous avons pensé

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Pendant des dizainesd’années, nous avons penséqu’un gène produisait UNmessager, qui produisaitUNE protéine, laquellecorrespondait à UNE fonction.Ce concept n’a pluscours

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jusque très récemment qu’il n’y avait que la 5-méthylcyto-sine qui pouvait être produite ; en réalité, on découvre deplus en plus de modifications de l’ADN qui jouent un rôledans l’épigénome et également dans les protéines quipermettent de compacter l’ADN dans la chromatine et dansles chromosomes, et qui sont soumises à des processus deméthylation et d’acétylation. Ces processus permettent,selon leur état, l’expression ou la répression des gènes. Ces modifications, en tout caspour la méthylation del’ADN, sont effectuées dansles cellules germinales primor-diales et sont restaurées defaçon spécifique au cours de lamaturation des spermato-zoïdes chez l’homme, et aprèsla naissance chez la femme.Mais il est établi de façon claire depuis quelques annéesseulement que des marques épigénétiques non contenuesdans la séquence du génome répondent à des conditionsenvironnementales durant la vie de l’organisme : le stress,l’obésité, le tabagisme, le régime alimentaire… sont desfacteurs qui jouent sur le génome en le modifiant chimique-ment. Des observations et des données expérimentalesmontrent qu’une telle information peut être transmise à ladescendance quand elle n’est pas effacée au cours du proces-sus de déméthylation. Cela n’est pas général, mais par exem-ple dans un modèle animal murin, on a pu étudierl’épigénétique de l’obésité, qui est l’un des premiers exem-ples de ce que l’on appelle le polyphénisme chez les

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différentes de modification, c’est-à-dire qu’une fois qu’uneprotéine est produite, elle est soumise à des modificationschimiques de différentes sortes qui interviennent dans lefonctionnement du système. Établir une relation entregénotypes et phénotypes nécessite de prouver expérimenta-lement l’existence d’un lien entre les deux. Cela dépendd’une série de phénotypes intermédiaires, au niveau molé-culaire, cellulaire et de l’organisme, ce qui est rarement misen évidence. On peut encore ici faire référence aux gènesmodificateurs qui sont connus depuis longtemps pour uncertain nombre de maladies monogéniques, et qui inter-viennent pour moduler la maladie dans l’hémochromatose,la mucoviscidose, l’hypercholestérolémie familiale, maladiesmonogéniques dont la gravité est variable, notamment àcause de ces gènes modificateurs. L’existence de gènessuppresseurs de mutations, qui a été montrée chez la levure,n’est pas encore démontrée chez l’homme, mais elle est trèsfortement suspectée.« L’épigénétique est un domaine qui, aujourd’hui, paraîtjouer un rôle essentiel alors qu’il était totalement insoup-çonné il y a seulement quelques années. Son rôle est crucialdans de nombreux phénomènes et dans les maladies.Chaque cellule de notre organisme contient le mêmegénome, à quelques mutations somatiques près, maischaque cellule interprète de façon spécifique les instructionsqu’il contient pour n’exprimer qu’une partie des20 000 gènes environ, aux niveaux et en temps nécessaires.Les instructions qui conduisent à cette situation sont conte-nues dans l’épigénome. Il s’agit de modifications de l’ADN,c’est-à-dire de méthylation pour l’essentiel. On croyait

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Le stress, l’obésité,le tabagisme, le régimealimentaire… sont desfacteurs qui jouent sur le génome en le modifiantchimiquement

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malades potentiels, et il faudra bien les traiter, en tout cas ilsl’exigeront. Les Britanniques sont en train de développer leprojet 100 000 génomes, ils en ont séquencé 34 000 et ilsespèrent ainsi mettre en relation certaines maladies dont desmaladies rares, certains types communs de cancers,certaines maladies infectieuses… Les Chinois ont pourprojet de séquencer un million de génomes rapidement. Onpeut se demander comment les Américains vont réagir !L’idée de base de ce développement est que la connaissancedes mutations repérées de cette manière dans un génomeindividuel permettra, en les comparant avec celles recon-nues comme prédisant ou conduisant à une maladie,d’aboutir à cette fameuse médecine prédictive.« Quelles sont les difficultés d’une telle ambition ? Leséquençage de l’exome est une approche très utilisée maisqui ne donne accès qu’à la partie codante du génome (lesexons, morceaux des messagers qui sont traduits enprotéines), mais pas du tout aux 98 % du génome qui sontexclus et qui contiennent des éléments essentiels pour lefonctionnement du génome. On espère de cette manièremettre en évidence les mutations qui ont été établiescomme responsables des maladies génétiques, notammentles plus rares. Une étude publiée en 2016, le ConsortiumExAC, consiste à faire la séquence de l’exome de dizaines de milliers d’individus, avec pour objectif final d’obtenircelles de 120 000 individus. Pour le moment, près de61 000 individus sont concernés. Première constatation :on détecte, chez ces 61 000 individus, quelque 7,4 millionsde variants, la plupart étant inconnus jusqu’à présent. Enmoyenne, chaque individu analysé présente 54 variants

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mammifères. Des individus qui ont exactement le mêmegénotype, le même génome, ont des phénotypes alternatifs.Cela a été montré chez la souris dans un modèle expéri-mental de souris isogéniques. Il a été observé qu’une muta-tion dans un gène conduisait à ce polyphénisme : unepartie des souris était obèse, l’autre non. Et ce phénomèneest observable de façon stable et transgénérationnelle, cequi suggère un mécanisme épigénétique. Nous devonstenir compte de l’épigénétique dans tout ce qui concerneles prédictions de maladies et dans leur déroulement. Il aégalement été suggéré que le stress subi par les parentspourrait être transmis aux générations suivantes, mais celan’est pas encore démontré.« L’épigénétique n’affecte pas que l’ADN ou les histones quilui sont associées. Un nouveau champ de l’épigénétique s’estouvert très récemment, il s’agit de la modification desARNs. On a pu montrer que 7 000 gènes avaient leur ARNmessager affecté de façon non aléatoire. Cette modificationaffecte l’épissage alternatif, mais également la traduction enprotéines de ces messagers et de leur stabilité. La régulationpar les modifications des ARNs messagers pourrait rendre lacomplexité de l’expression des gènes bien plus importanteencore qu’on ne le pensait jusqu’à présent.« On assiste actuellement à une sorte de fuite en avant quiest dangereuse. Il s’agit maintenant de faire la séquence dugénome de tout un chacun, ce qui devrait permettre deréaliser enfin les promesses de la médecine prédictive et defaire de chacun d’entre nous un patient en puissance. Si l’onobtient quelque succès, on pourra désigner facilement tousles gens qui sont porteurs de ces variants comme des

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certain haricot. Mais, bien qu’ils soient équipés généti-quement pour développer la maladie, ils ne la déclarerontpas s’ils n’en mangent pas. C’est la même chose pour lamaladie cœliaque…« Quelques exemples tirés de l’étude citée : des 192 variantsentièrement rapportés comme correspondant à des mala-dies mendéliennes rares et qui sont trouvés avec unefréquence élevée, seulement 9 sont prouvés correspondre àde telles maladies. Ainsi, on a montré grâce aux résultats dece consortium que les variants dans le gène codant laprotéine du prion considérés comme pathogènes étaient30 fois plus fréquents que dans la population générale. Dela même façon, ont été analysés les variants rares repérés,c’est-à-dire des variants qui sont présents de 1 à 1 000 oude 1 à 100 000 dans les gènes impliqués dans plusieurstypes de cardiomyopathies autosomales dominantes(hypertrophique, dilatée, arythmie ventriculaire droite,etc.). Le constat est le même que dans l’étude précédente :ces variants sont trop fréquents dans la population généralepour être la cause d’une maladie mendélienne à hautepénétrance. Ou encore le cas d’un patient repéré commeétant porteur d’un variant génétique associé à un dysfonc-tionnement rénal, repéré par ExAC comme ayant unefréquence trop élevée dans la population pour être, defaçon réaliste, responsable de ce dysfonctionnement. Sur950 personnes dont le génome avait été séquencé parailleurs, 5 étaient porteuses de la mutation, sans qu’aucunen’ait été diagnostiquée pour un dysfonctionnement rénal.Sur près de 600 000 génomes humains analysés, des cher-cheurs ont trouvé 13 personnes porteuses de mutations

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précédemment classés comme responsables d’une maladierare ; 41 d’entre eux présentent une fréquence anormale-ment élevée par rapport à la fréquence reconnue de cesmaladies rares, ce qui suggère fortement qu’ils ont été incor-rectement classés. Il y a plusieurs raisons à cela. Au début,pour découvrir la base génétique des maladies mendé-liennes, on procédait à ce que l’on appelle des Analyses deLiaison Familiale. Familles chez lesquelles la maladie appa-raissait de façon récurrente, génération après génération.

De cette manière, onpouvait aboutir à uneévidence forte que certainesmutations étaient causes dela maladie. Mais récem-ment, par facilité, on achangé de tactique : larecherche de la preuve de lapathogénicité d’une muta-tion se fait en établissantque la mutation est plus

fréquente chez les malades que chez les personnes nonaffectées. Cela change tout. Deuxième raison : nousn’avons aucune idée de ce que l’on appelle la prévalenced’une maladie, c’est-à-dire son occurrence réelle, desmaladies rares. Il ne suffit pas que le gène soit muté pourque la maladie se produise : il y a des gènes modifica-teurs, mais également d’autres raisons, notamment envi-ronnementales. Par exemple, le favisme, une maladie quiatteint des Méditerranéens, de Sardaigne en particulier,et qui ne se déclenche que chez des gens qui mangent un

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Il ne suffit pas que le gène soit muté pourque la maladie seproduise : il y a des gènesmodificateurs, maiségalement d’autresraisons, notammentenvironnementales

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« 35 % des 50 patients ont été diagnostiqués commeprésentant des défauts génétiques, soit dans les partiescodantes, soit dans les parties non codantes, conduisant àdes pathologies musculaires. Donc non seulement leséquençage conduit à surévaluer le risque d’une maladieparce que les variants sont trop fréquents dans la popula-tion qui n’est pas atteinte, mais, en sens inverse, le séquen-çage de l’exome ou du génome complet fait de telleserreurs que l’on ne peut plus retrouver des aberrations quiexistent réellement. Évidemment, je ne mentionne pas leserreurs de séquençage qui font de plus en plus l’objet derapports. Ce qui est vrai pour beaucoup de maladiesmonogéniques ou mendéliennes l’est encore plus pour lesmaladies communes, maladies multifactorielles qui conju-guent l’intervention de multiples facteurs génétiques eninteraction entre eux et avec l’environnement, la plupartdu temps inconnu.« Il s’agit d’une tâche de longue haleine et très ardue, et jefais mienne cette idée émise par deux auteurs récemment :« Dans le génome de tout un chacun, il y a de multiples génotypes qui sont responsables d’une variété de phénotypes.Établir la relation de cause à effet entre un génotype candidat etle phénotype correspondant nécessite une succession de preuvesexpérimentales des causes et des conséquences. Cette relationpasse par une série de phénotypes intermédiaires au niveau molé-culaire, cellulaire et de l’organisme tout entier, phénotypes inter-médiaires connectés entre eux dans des mécanismes qui prouventla relation causale entre le(s) variant(s) et la maladie. »C’est cela qu’il faut faire, sans quoi les déboires auxquelsnous avons assisté d’une manière globale se reproduiront.

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considérées comme causales de 8 maladies monogéniquesinfantiles sévères, mais qui ne présentaient aucun dessymptômes de la maladie.« Je voudrais maintenant aborder dans le sens inverse uneautre méthode de séquençage qu’est le séquençage du trans-criptome. C’est une méthode qui commence à se dévelop-per très rapidement. Contrairement au séquençage completdu génome ou au séquençage de l’exome, c’est l’analyse del’ARN exprimée dans un tissu particulier de l’individu quel’on séquence. Dans une publication de 2017, cet exemple :on a extrait l’ARN dansce que l’on appelle letranscriptome d’un tissumusculaire malade chez63 patients, tous suspec-tés de maladies du mus-cle : 13 étaient porteursde variants connus pouraffecter la transcription,et 50 n’avaient pas étédiagnostiqués positive-ment par analyse géné-tique classique. Les13 aberrations de trans-cription ont été détectéespar cette méthode. On dispose là d’un bon contrôle interne. Cela signifieque cette méthode, si elle reconnaît d’autres aberrationsde transcription, montre que ces aberrations ont unimpact sur le phénotype.

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Non seulement leséquençage conduit àsurévaluer le risque d’unemaladie parce que les variantssont trop fréquents dans la population qui n’est pasatteinte, mais, en sensinverse, le séquençage de l’exome ou du génomecomplet fait de telles erreursque l’on ne peut plusretrouver des aberrations qui existent réellement

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C’EST MAINTENANT LE MOMENT DES QUESTIONSDANS LA SALLE

Question – Depuis le début, on a parlé de polymorphismegénétique entre individus, puis de polymorphisme au sein descellules dans une même tumeur lorsque l’on a abordé la cancé-rologie : qu’en est-il du polymorphisme des cellules dans unmême individu puisqu’on reparle de plus en plus souvent de ceque l’on appelle le darwinisme cellulaire ?

Pr Blay – C’est un des écueils majeurs : l’hétérogénéité desmutations somatiques au sein d’une même masse cellulairetumorale, y compris lorsque la masse est macroscopique-ment non détectable, lorsqu’on a très peu de cellules dansl’organisme, après un geste chirurgical par exemple. Toutmontre que cette hétérogénéité se déploie alors que la mala-die croît, et c’est sans doute un des écueils principaux desthérapeutiques ciblées, ou même de l’immunothérapie, quela capacité darwinienne à faire émerger des clones résistants.Pour autant, on observe que dans ce contexte-là, qui est uncontexte objectif et mesuré, une fraction des patients traitéspar ces différents médicaments aboutit à un contrôle de lamaladie prolongé. Pas de guérison, mais un contrôle pro-longé de plusieurs années. Cela nous interroge quand mêmesur la limite de cette sélection darwinienne, et qu’est-ce quifait que, chez certains patients, elle n’est pas opérationnelle

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Et cela nous permettra d’éviter dans le futur la multiplica-tion de cas comme le suivant : un adolescent étant mortd’un arrêt cardiaque, les membres de sa famille furentsoumis à un séquençage de leurs génomes. On identifia le“coupable génétique” de l’arrêt cardiaque de l’adolescent,ce qui permit de diagnostiquer chez plus de deux douzainesde membres de la famille une infection sérieuse du cœur.Une réanalyse des gènes de la famille a montré qu’il s’agis-sait d’une erreur d’analyse. Une consultation pour unsecond avis montra qu’en fait ils étaient porteurs d’unvariant dans un gène. On avait déjà implanté chez le frèredu défunt un défibrillateur ! Tous les membres de la familleavaient des cœurs sains, et on s’aperçut alors que l’adoles-cent décédé n’était pas porteur du variant dans le gènetrouvé dans toute la famille. Ce sera le mot de la fin pource qui me concerne. »

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somes vont être modifiés de la même manière ? Ce n’est pasévident non plus, c’est un défi qui est loin d’être résolu.Cela pour faire référence au mosaïcisme, qui se produitégalement naturellement. Je ne peux pas en dire plus là-dessus car c’est un domaine que je ne connais pas bien.

Q – Je voudrais poser une question par rapport à la thérapiegénique. J’ai entendu le “non souhaitable” et “l’inéluctable” :j’aimerais connaître la position de chacun d’entre vous sur cesquestions. Par ailleurs, pourquoi le non souhaitable serait-ilinéluctable ?

Pr Touraine – Parlons déjà du “souhaitable”. Le souhaita-ble, ce sont justement les corrections de maladies avec unchamp de plus en plus étendu, comme pour la chorée deHuntington ; à partir de ce qui est déjà obtenu dansquelques variétés de déficits immunitaires, de maladies de

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ou elle peut être contrôlée d’une autre manière ? C’est trèsintrigant, mais ça montre que beaucoup de choses restent àidentifier. Maintenant, je me pose uniquement sur desangles somatiques, pas sur des angles génétiques.

Gérard Roizès – Je ne peux pas dire beaucoup de choseslà-dessus parce que c’est un domaine qui est peu développé,mais évidemment il y a au cours de la vie des mutations quise produisent dans les cellules somatiques, comme dans lescellules germinales. Dans les cellules germinales, évidem-ment ces mutations vont être transmises aux générationssuivantes, mais dans les cellules somatiques, ma connais-sance n’est pas suffisamment importante pour en dire l’im-pact. Mais il y a un deuxième phénomène : le mosaïcisme.À un moment donné du développement de l’individu, ilpeut se produire des mutations dans certaines lignées cellu-laires qui ne vont pas se répercuter dans l’ensemble dugénome. C’est encore un domaine très compliqué. À monavis, la perspective de la modification de l’embryon n’est pasinéluctable. On peut maintenant produire des ovocytes àvolonté, alors qu’avant on était limité à un petit nombred’ovocytes. On peut désormais les produire par centaines,voire par milliers, donc vous allez pouvoir faire l’expérimen-tation, le développement, sur un grand nombre d’em-bryons, de cellules germinales. Cela change un peu ladonne. Mais pour le moment, sur l’embryon, on fait lesmodifications par ce système CRISPR-Cas9 au sein de huitcellules. Le problème réside non seulement dans le ciblage,mais aussi dans une autre interrogation : est-ce que tous lesgènes présents dans les huit cellules sur les deux chromo-

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des moyens qui permettent d’apporter de très grandesquantités de gènes dans des conditions très efficaces. Cesmoyens-là évidemment ne sont pas sans danger, et on ne vapas utiliser des moyens de cette nature pour traiter unmalade humain. Il faut donc développer des modes alterna-tifs, remplir toutes les conditions de prudence. La mise aupoint d’une thérapie génique impose dans nos réglementa-tions européennes ou américaines beaucoup plus de précau-tions que pour la mise au point de nouveaux médicaments.Il faut donc faire des études pour s’assurer qu’il n’y a pasd’effets immédiats ou retardés qui puissent être néfastes àcela. Je pense, bien sûr, qu’il peut y avoir le spectre demauvaise utilisation, il peut y avoir des résultats qui ne sontpas toujours à la hauteur des premiers espoirs, mais il fautquand même enregistrer le fait qu’année après année il y aune extension des possibilités de la thérapie génique defaçon heureuse et positive.

Jean-Yves Blay – Votre question est compliquée, mais demanière schématique il me semble qu’on doit rester fixé surdu solide, et le solide c’est la médecine basée sur les preuves.Tant qu’on est là-dessus, on ne fera pas de bêtises. Si oncommence à s’affranchir des règles et des preuves qui sontuniversellement partagées, on peut faire des bêtises. Lerisque que je vois est de s’affranchir de ces règles, de cettemédecine basée sur les preuves, pour une raison qui seraitmauvaise et qu’il nous appartient de corriger. Ce serait lefait de ne pas aller assez vite. Nous avons une exigence d’ef-ficacité pour mener à bien des études qui nous permettentde conclure, ou pas. Si l’on n’est pas capable de mettre en

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l’hémoglobine, de quelques maladies qui pour l’instant sontpeu nombreuses, on les compte sur les doigts des mains. Onpeut imaginer que demain de nombreuses maladies mono-géniques pourront être traitées par la thérapie génique, maiscela demandera peut-être des années, voire des décennies.Et puis il ne faut pas se limiter à des maladies génétiques.Dans mon laboratoire par exemple, nous travaillons sur lasouris qu’on appelle SCID humanisée. C’est une souris quidéveloppe des cellules humaines greffées, elle est équipée detout un système immunitaire humain et donc réceptive auvirus du sida, qui n’infecte que les cellules humaines oucelles de certains singes. Cette souris, avec un modèle dethérapie génique que l’on a développé, est devenue complè-tement résistante au virus du sida, puisqu’on a pu lui insé-rer deux gènes de résistance contre le VIH. Cela ne signifiepas que, demain, lesmalades du sida pourrontêtre traités de cette façon.On aimerait bien que cesoit le cas, plutôt que dedevoir prendre un traite-ment contraignant tousles jours. Il suffirait derecevoir une fois cettethérapie et ce serait dura-ble pour le reste de la vie.Mais de fait, le passage du traitement sur la souris humani-sée à l’humain demande de longues recherches, parce quepour être très efficace chez la souris, on prend les moyensqui sont les plus forts. On utilise des vecteurs, c’est-à-dire

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La mise au point d’unethérapie génique imposedans nos réglementationseuropéennes ou américainesbeaucoup plus deprécautions que pour la miseau point de nouveauxmédicaments

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sont en train de le faire pour l’intelligence. Alors que sepassera-t-il si un jour un grand nombre de Chinois sontbeaucoup plus intelligents que nous ?Maintenant, pour répondre à mon collègue [Gérard Roizès].En 1970, je finissais ma thèse, qui portait sur “le troisièmemodèle économétrique de l’économie française”. Avantmoi, il y a eu Philippe Herzog, un homme politique, qui acréé avec son collègue Gaston Olive le modèle Zogol ; puisun Américain est venu des États-Unis avec toutes les statis-tiques de l’OCDE ; je n’étais plus que le troisième. Lacomptabilité nationale française a été créée en 1945, etvingt-cinq ans plus tard on n’avait pas encore beaucoup dedonnées. Il est évident qu’aujourd’hui mes jeunes collèguesqui font la même chose que moi ont plus de chiffres, ils ont72 données. C’est énorme ! Vous nous avez montré lacomplexité du phénomène en génétique, mais à lacomplexité du phénomène, pour l’étudier, répond lenombre de données. Plus vous aurez de données statis-tiques, plus vous arriverez à démontrer les choses. Et là sepose le problème de la capacité de calcul, or la capacitéinformatique d’il y a 10 ans… C’est la loi de Moore !Surtout quand on pourra intervenir avec les ordinateursquantiques, qui existent déjà, vous allez être capable demultiplier par 100 à temps égal le nombre de calculs. Donc,ce que vous expliquiez, c’est compliqué, mais nous avons deplus en plus de données, et par conséquent, avec l’informa-tique, nous pourrons l’éclairer beaucoup plus facilement.C’est la raison pour laquelle je suis optimiste, ce n’est pas dutout parce que je suis un rêveur.

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place ces études montrant que telle thérapie génique corrigequelque chose dans des délais raisonnables, cela se feraautrement, ailleurs, dans des pays où c’est moins régulé, etce ne sera pas bien. La médecine basée sur les preuves, lascience, et une exigence d’efficacité, c’est la seule réponseque l’on peut avoir pour éviter ces écueils.

Jean Matouk – Vous recevez chez vous sûrement descoups de fil du genre : « Je sais que vous avez une villa indi-viduelle, avez-vous l’assurance pour ceci ou cela… »Comment le savent-ils ? Parce qu’une banque, une compa-gnie d’assurances, a vendu cette information, alors quec’est strictement interdit. Sur l’intervention génique, jepréfère ce terme, il y a plusieurs étapes : éventuellement lamodification du génome pour éviter la maladie, éventuel-lement le soin. Ces deux éléments-là, personne ne pourra

jamais les refuser. Ce qu’ilfaut à tout prix refuser, c’estla transformation génique,c’est-à-dire répondre audésir des gens d’avoir desbébés blonds aux yeuxbleus, intelligents, etc. Jen’ai pas dit que c’était inévi-table, je pense que nousavons encore une capacitépolitique de l’interdire.Mais ce n’est pas le cas danstous les pays. En Chine parexemple, nous le savons, ils

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commence à accuser un retard, les écarts de QI dont onparle sont bien réels, avant même toute interventiongénique. Si on ne veut pas toucher aux gènes, il faut doncaller à fond du côté de l’éducation.Sur la question de l’intervention génique dont parlait Jean-Louis Touraine, sur le fait de peut-être éliminer certainsgènes responsables de certaines maladies : aujourd’hui, si ondemande à une personne atteinte de diabète si elle auraitpréféré naître sans ce gène, je ne vois pas beaucoup demonde répondre “non”. Il ne faut donc pas non plus secramponner à des tabous. Mais là, le chantier éthique estimmense et tout indique que le rôle du politique va êtrecentral. Aujourd’hui, on est dans une situation où, quandon parle de médecinepersonnalisée, on a desgroupes de recherchecomme celui représentépar Jean-Yves Blay, quimontrent que lespouvoirs publics jouentleur rôle pour unemédecine fondée surdes preuves, une méde-cine intelligente etcitoyenne. Mais, sivous parlez de méde-cine personnalisée au quidam dans la rue, il va vous répon-dre : c’est 23andMe, c’est Google, où je peux aller me faireséquencer pour 300 €. On est dans la commercialisationd’un fantasme, celui de tout savoir sur son génome et de

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Sébastien Bohler – Jean Matouk a employé un termeintéressant, il a parlé d’intervention génique. Nous sommespartis de la thérapie génique, on est tous d’accord pour direque c’est souhaitable si on y arrive. Que ce soit inéluctable,je n’en suis pas sûr parce qu’on voit bien que ça va beaucoupmoins vite qu’on ne le croyait… Combien de thérapiesgéniques pourront réussir dans l’avenir ? Bien malin celuiqui peut le dire.Sur l’intervention génique, l’intervention sur la lignéegerminale, ou sur la sélection des embryons pour sélection-ner certains traits comme l’intelligence, il est vrai que dansl’institut de neurosciences de Pékin il y a des programmesoù les Chinois recrutent dans la population des enfantsd’un QI supérieur à 120, 130 ou 140 pour ensuite faire desétudes de génomique. Je ne sais pas jusqu’où cela ira maisprobablement qu’ils vont trouver des choses. Et la questiona été posée : que se passera-t-il si effectivement des pays enAsie du Sud-Est ont des QI bien supérieurs aux nôtres ? Onsait par exemple qu’à Singapour, aujourd’hui, le QI moyendu Singapourien est supérieur de 4 au QI moyen français.Tout simplement parce qu’ils ont investi dans l’éducation.Mais s’ils investissent ensuite dans la sélection génique, celapourrait aller beaucoup plus loin. Je ne crois pas qu’onpourra l’empêcher. Il faudra que l’on se préoccupe des ques-tions de société. Quelle société voulons-nous ? Est-ce quenous voulons une société où on refuse toute forme d’inter-vention sur les lignées germinales et sur les gènes dans lapopulation ? Et si oui, qu’est-ce que l’on fait pour rester unesociété éclairée ou le devenir davantage ? Se pose la questionde la formation des esprits, de l’éducation, parce qu’on

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On est dans lacommercialisation d’unfantasme, celui de tout savoirsur son génome et de pouvoirconnaître tous les risques dedévelopper diverses maladies.Ce fantasme est complètementdéconnecté aujourd’hui de la vraie capacité de prédiction

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Jean-Louis Touraine – Je crois que la société 23andMea été condamnée aux États-Unis pour publicité menson-gère. C’est intéressant de voir que nous touchons du doigtun problème lié à un certain décalage entre ce qu’une partiede la population croit êtreréalisable aujourd’hui, etpuis ce qui est solide, basésur des preuves et déjà effec-tif. Il y a eu des propositionspas seulement naïves, peut-être intéressées d’un point devue commercial, de gensprétendant que la rechercheétait au-delà de ce qu’elle estréellement dans les faits.Certaines personnes croientaujourd’hui que l’on peutprédire tout un tas de choses, bien au-delà de ce qui est vrai.Il est important de prendre conscience de ce décalage pourne pas être trop naïf, ne pas croire aux marchands de prédic-tions, qui pour certains n’ont guère plus d’effet que la divi-nation dans l’Antiquité. Ce sont évidemment descharlatans, qui font beaucoup de mal à la vraie médecineprédictive et à la vraie thérapie génique en prétendant deschoses inexactes. Je crois qu’il faut rétablir la vérité etmontrer de la transparence. Enfin, rappelons aux cher-cheurs que, certes, ils peuvent être enthousiastes, certes ilsont besoin de convaincre les financeurs que leur domainede travail peut être productif, mais ils n’ont pas le droit devendre du rêve au-delà de ce qui est prouvé aujourd’hui.

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pouvoir connaître tous les risques de développer diversesmaladies. Ce fantasme est complètement déconnectéaujourd’hui de la vraie capacité de prédiction, et quand JeanMatouk dit : « On va avoir plein de capteurs pour suivrenos paramètres physiologiques et pour pouvoir interve-nir plus vite », actuellement nous ne sommes pas capa-bles de faire ces interventions, voire ces prédictions, defaçon fiable, par contre on est capable de vendre beau-coup de capteurs et d’instruments connectés. Il fautdonc bien se rendre compte qu’une partie de l’engoue-ment autour de la médecine personnalisée est liée à unmarché, et qu’une grande partie des personnes qui nesont pas assez averties de ce qu’est la génomique vontêtre attirées par ce côté high-tech, et fournir par consé-quent beaucoup de données personnelles à des entre-prises privées. Là, nous ne sommes plus du tout dans laparanoïa : on a vu ce que font les écoutes de la NSA, ycompris auprès des plus grands dirigeants de ce monde.Aujourd’hui, la NSA peut savoir réellement ce qu’il y asur n’importe quel ordinateur dans le monde, sur n’im-porte quel smartphone, si elle le décide. Le jour où vousmettrez votre séquence génomique sur Facebook, ce serapareil. Il faut bien savoir si l’on veut aller vers une méde-cine citoyenne scientifique encadrée, responsable, ouvers une commercialisation. Pour l’instant, on peutcommercialiser beaucoup de gadgets qui vont capterplein de données personnelles, mais on n’est pas encorecapable de faire de la vraie prédiction. Il faut remettre leschoses dans le bon sens.

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va pouvoir modifier et ainsi transformer les gens pour qu’ilssoient porteurs d’une intelligence supérieure. Concernant lebébé blond, des programmes existent déjà, parce que c’estplus facilement accessi-ble ; par contre, en faireun coureur de mara-thon ou autre, ça faitpartie généralement desfantasmes. On peutévidemment choisir lesexe, et on pourracertainement choisird’autres choses.Un dernier point surl’éradication des gènescoresponsables, avecd’autres facteurs, decertaines maladies. Je n’y crois pas non plus, parce que noussommes dans un processus évolutif constant, et l’idée trèssouvent exprimée que l’homme moderne n’évolue plus estune idée totalement fausse. Il y a maintenant de plus en plusde données en ce sens, parce que nous n’avions pas jusqu’àprésent les outils pour caractériser l’évolution. On connaîtaujourd’hui de nombreux domaines dans lesquels l’évolu-tion s’est effectuée dans les quelques milliers d’années quinous ont précédés, l’exemple absolu étant l’intolérance aulactose. On sait maintenant que cette intolérance s’estrépandue suite à l’évolution des hommes au cours du Néoli-thique, quand ils ont commencé à élever du bétail, à boirele lait et à en être incommodés, sauf pour la petite minorité,

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C’est peut-être la cause des points de vue divers exprimésce matin, parce que les gens comme Collins et d’autresont, à un moment donné, été au-delà du raisonnable dansleurs prédictions pour un avenir proche. S’ils l’ont fait,c’est soit parce qu’ils étaient trop enthousiastes, soit parcequ’ils pensaient obtenir ainsi des moyens pour leurstravaux plus importants.

Gérard Roizès – Je suis d’accord avec ce qui vient d’êtredit. Et mes propos ne sous-entendaient pas que rien n’estfaisable et que rien ne se fera. Bien entendu, le chemin seratrès long et, pour la thérapie génique, je n’ai pas le mêmeoptimisme que certains d’entre vous, notamment avec lesystème CRISPR-Cas9.Concernant la transformation du génome, l’édition dugénome dans les embryons, personnellement je suis totale-ment contre pour des raisons scientifiques et éthiques.Notamment, on a signalé ici que les Chinois étaient en trainde recruter des petits Chinois avec des QI de 120 ou 130.Il faudrait d’abord se poser la question de la signification duQI, ce qui n’est pas une chose évidente. Deuxièmement,vous avez probablement entendu Monsieur LaurentAlexandre, pour lui il n’y a pas de problème, l’intelligenceva se réduire à quelques gènes, on va les modifier et demainles petits enfants qu’on aura modifiés de cette manièreseront des génies, etc. Je crois vraiment qu’il faut mettre cegenre d’idée au niveau du fantasme pur et simple. Un traitbanal comme la taille des individus est dépendant deplusieurs centaines de gènes : comment imaginer que l’in-telligence peut se réduire à un petit nombre de gènes qu’on

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Nous sommes dans unprocessus évolutif constant, et l’idée très souvent expriméeque l’homme moderne n’évolueplus est une idée totalementfausse. Il y a maintenant deplus en plus de données en cesens, parce que nous n’avionspas jusqu’à présent les outilspour caractériserl’évolution

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parallèles qui sont utilisées par des patients qui paientparfois des sommes considérables pour utiliser des théra-peutiques non évaluées, non prouvées. Nous avons failli àévaluer et à démontrer que ça ne marchait pas. Noussommes en train de le faire, nous avons beaucoup de retard,et il ne faut pas que la même chose se produise en géné-tique. Il faut que nous soyons efficaces et capables de procu-rer ces solutions. C’est un enjeu d’efficacité sur lequel jetrouve la France moins bonne qu’à une époque passée.Par ailleurs, l’éducation est la priorité : nous avons unproblème à régler concernant l’éducation, parce qu’onpourra bien avoir des individus dotés de QI de 130, s’ils nesavent pas lire, ça ne changera rien.

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extrêmement faible, qui l’a très bien toléré et qui a eu unavantage sélectif. C’est du darwinien pur, le couple sélec-tion/adaptation. Ne croyez pas que ça ne se produise pasaujourd’hui. Nous sommes en train de développer dansdes cohortes d’individus extrêmement importantes desanalyses de certains gènes pour savoir si, par exemple, lafréquence d’un allèle qui empêchait de résister à l’addic-tion à la cigarette avait diminué dans les générations quisuivent. Eh bien oui, entre les générations, la fréquence decet allèle a diminué : c’est donc un effet de la sélectionpositive, de la sélection darwinienne. On pense que dansles années qui viennent, et j’y crois fermement, il y aura deplus en plus de domaines dans lesquels on établira quenous évoluons et que nous nous adaptons à un environne-ment changeant.

Sébastien Bohler – Concernant l’exemple de la taille, ily a une évolution darwinienne de la taille qui a été étudiéepar un groupe de chercheurs en génétique. Par exemple,pourquoi est-ce que l’espèce humaine a tendance à gran-dir ? On s’est rendu compte qu’il y a une sélection deshommes grands par les femmes, cela a été montré. Plus unhomme est grand, plus en moyenne il a un grand nombrede descendants.

Jean-Yves Blay – Je crois que nous avons deux responsa-bilités qu’il ne faut pas sous-estimer vis-à-vis des manipula-tions génétiques. Lorsque l’on n’évalue pas sérieusement leschoses en médecine, il se passe en général des événementsassez délétères. On a vu une prolifération des médecines

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les antidépresseurs, mais il faut savoir à quel type deterrain de susceptibilité on a affaire.

Jean-Yves Blay – J’ai apprécié votre note sur le glisse-ment sémantique entre progrès et sciences. On peut avoirdu progrès sans amélioration des connaissances scienti-fiques. Force est de constater qu’aux XXe et XXIe siècles lesprincipaux progrès dans la santé humaine et dans laqualité de vie ont été obtenus par une science bien maîtri-sée et développée.

Jean-Louis Touraine – Je dirais même l’évolution del’humanité ; il faut savoir que l’évolution de l’égalitéfemmes-hommes est le résultat des progrès scientifiques.Tant qu’il n’y a pas eu de maîtrise de la procréation, dela contraception, les femmes étaient malheureusementreléguées dans une position qui n’était pas égalitaire. Etelles auraient eu beaucoup de peine à en sortir si onn’avait pas pu les détacher des drames de ces millénairespassés où une femme avait, au cours de sa vie, unedouzaine de grossesses, perdant les deux tiers de sesenfants avant l’adolescence. Les femmes étaient dans unesituation qui ne leur permettait pas d’avoir la disponibi-lité des femmes modernes, qui elles consacrent deux outrois ans de leur vie à faire des enfants puis les élèventavec leur mari, etc. Et elles ont toute la disponibilitépour travailler, se cultiver, avoir une vie égale. Le progrèsscientifique amène non seulement des bienfaits sur lasanté, sur nos conditions de vie, mais aussi des avancéessur les droits des individus.

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Q – Je souhaiterais avoir des renseignements concernant ladépression : est-ce que c’est un problème de gènes ?

Sébastien Bohler – Il y a effectivement des facteurs géné-tiques de susceptibilité, mais ce n’est pas simple : il n’y a pasun gène de la dépression. Là encore, c’est multigénique,multi-allélique. Concernant le suicide, c’est l’exempletypique où il y a uneinteraction entre envi-ronnement et gène.Vous pouvez avoir desterrains de susceptibi-lité mais qui vontdonner un passage àl’acte uniquementdans certaines condi-tions de stress, et doncde difficulté pour lesujet à gérer soit lestress, soit les événe-ments de la vie. C’est une interaction entre les deux. Là, l’intervention pharmacologique porte souvent ses fruits.On peut décrire des situations d’incapacité en termes debiologie, et la génomique s’ajoute à cela progressive-ment. De très gros programmes de recherche tententd’élucider cette nébuleuse de gènes qui peuvent être encause pour essayer de comprendre comment celamarche, et de mettre le doigt sur des terrains de suscep-tibilité dans les familles pour avoir la meilleure interven-tion possible au niveau thérapeutique. Il n’existe pas que

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Sébastien Bohler – On a parfois l’impression que leprogrès scientifique va plus vite que le progrès éthique, eton se trouve souvent dans des situations où les outils tech-niques sont arrivés tellement vite que notre dispositiféthique paraît un peu vieillot. Pour le nucléaire, par exem-ple, c’est allé très vite, mais on n’a toujours pas développé devraie doctrine éthique de dissuasion raisonnée et concertéeau niveau mondial.

Jean Matouk – Le patriarcat et la domination de lafemme, cela date des sociétés agricoles, après la révolutionnéolithique. Tous les anthropologues ont montré que dansles bandes qui précédaient l’agriculture, il n’y avait pas dutout ce genre d’inégalités. Et il existe encore quelques exem-ples de sociétés non pas matriarcales mais matrilinéairesdans lesquelles les foyers sont dirigés par des femmes. Leshommes occupent la demeure du milieu, ils vont féconderles femmes de temps en temps, mais ce sont les femmes quidirigent. Donc c’est l’agriculture qui a inventé le patriarcat,les inégalités et l’autorité des hommes !

Jean-Pierre Vacher – Sur le plan citoyen, l’égalité aquand même beaucoup tardé parce que le droit de vote desfemmes, ou le compte chèque personnel, ce n’est pas sivieux que ça !Je vous remercie tous et je laisse la parole à Romain Miglio-rini pour conclure ce 7e colloque.

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Merci à vous tous. Comme me le dit un vieil ami quej’adore : « Tu fais toujours l’abeille, tu butines sans arrêt, unpeu partout. » J’espère que vous êtes vous aussi des abeilles,que vous aimez bien butiner et que vous avez ainsi apprisbeaucoup de choses ce matin. Merci à nos intervenants deleur disponibilité et pour tout ce qu’ils vous ont apporté.

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Directeur de la publicationRomain Migliorini

TranscriptionAmandine RaymondChristian Charron

Réalisation graphiqueSylvaine Baeyens

Achevé d’imprimer sur les presses de l’imprimerie Sepec en décembre 2017

Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5. 2e et 3e al., d’unepart, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et nondestinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et courtes citations dans un but d’exemple et d’illustrations, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (Art. 1-L.22-4).Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc unecontrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

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