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La Méthode Sociométrique en Sociologie

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La Méthode Sociométrique en SociologieAuthor(s): J.-L. MORENOSource: Cahiers Internationaux de Sociologie, Vol. 2 (1947), pp. 88-101Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/40688626 .

Accessed: 17/06/2014 02:20

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La Méthode Sociomêtrique en Sociologie1

PAR J.-L. MORENO

Pour la sociométrie, les unités sociales sont avant tout des systèmes de préférence, ou d'attraction- répulsion. Ceci est vrai des sociétés non seulement humaines, mais sub-humaines. Les trames humaines de préférence ne peuvent être observées avec exacti- tude selon les vieilles méthodes fondant l'objectivité sur la simple recollection des faits, méthodes stati- stiques, méthodes d'observation extérieure, etc. Les méthodes mêmes d'études et les techniques de recherches qui en découlent ont à subir une crise de subjectivation pour acquérir une plus profonde objec- tivité dans ce domaine. Cette objectivité nouvelle résulte du fait que les méthodes en question pénètrent dans les paliers en profondeur des processus sociaux. Cette nouvelle objectivité sociomêtrique peut être opposée à l'ancienne objectivité positiviste de Comte.

C'est grâce à cet effort de la méthode sociomêtrique vers une objectivité plus haute et plus complète que nous avons pu mettre l'accent sur les points systéma- tiques suivants :

a) L'étude des structures sociales in statu nascendi (concept de l'instant social)2 ;

1. Discours prononcé au Congrès de la Société Américaine de Sociologie, en décembre 1946.

2. Cf. Who shall survive? Washington, 1934, p. 4-5, 154-164.

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b) Le passage de l'étude sommaire des grandes collectivités sociales à la description minutieuse d'atomes sociaux, c'est-à-dire de la méthode macro- scopique à la méthode microscopique d'investigations sociologiques8 ;

c) Le développement de la sociologie des situations et des conjonctures fluctuantes (analyse des positions et des rôles sociaux).

d) L'introduction des procédés opératoires et de prise de mesures ; et surtout et avant tout :

e) Une révolution dans les relations entre l'enquê- teur et les sujets étudiés. Les sujets, eux-mêmes, furent invités, et s'y conformèrent, à enquêter les uns sur les autres. Une communauté d'un millier de personnes, par exemple, entreprit à l'instigation de la sociométrie de rendre compte de ses sentiments sociaux et au besoin de les redresser. La sociométrie devint alors, en paraphrasant le mot de Lincoln, la sociologie du peuple, pour le peuple et par le peuple. La recherche sociologique fut ainsi menée elle-même par la société et non plus par l'individu.

Cette réorientation des méthodes de recherche sus- cita l'invention d'une grande variété de nouvelles tech- niques, dont le nombre ne cesse de s'accroître. On les a distinguées selon leurs objets particuliers : Io tests sociométriques ; 2° tests d'action ; 3° tests de situa- tion ; 4° tests de rôle ; 5° tests de spontanéité ; 6° tests psycho- dramatiques ; 7° tests socio-dramatiques. Le matériel nouveau et riche de suggestions, qu'on a accumulé ainsi, exigeait des formes originales de pré- sentation ; les principales nouveautés ont été : a) le sociogramme (Moreno, North way), b) la sociomatrice (Jennings).

Nous avons opposé aux macrosociologies de Comte, Marx, Sumner, la « microsociologie »4, dont la socio-

3. Cf. Sociometry, vol. I, 1937, p. 215-217. 4. Cf. pour cette conception, Georges Gurvitch, Essais de Sociologie,

Paris, 1937, p. 67.

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J. L. Moreno

métrie est un des apôtres les plus fervents. Par confi- gurations socio-microscopiques ou microsociologiques, nous n'entendons pas seulement les petits groupes non organisés, mais aussi les unités sociales dynamiques dont ils font partie, les schémas variables d'atomes sociaux, les combinaisons d'atomes sociaux en ensembles plus vastes, invisibles à l'œil de l'observateur non armé d'instruments spéciaux (molécules sociales), les réseaux psycho-sociaux, l'interpénétration de plu- sieurs de ces réseaux en formations qui les intègrent, enfin l'étude des diades, triangles, quadrangles, pen- tagones et chaînes de personnes dont les atomes sociaux s'entre-croisent. Nous considérons l'étude de ces struc- tures atomiques élémentaires (ou microsociologiques) des relations humaines comme le prélude et le fonde- ment nécessaires pour des investigations microsocio- logiques.

La sociologie doit à la sociométrie quelques généralisations originales, parmi lesquelles les plus importantes sont : a) la thèse de la gravitation sociale ou de la mobilité sociale5 ; b) la conception socio- génétique* ; c) la conception socio-dynamique7; d) le test de réalité des configurations sociales8 ;

5. Formulée par J. L. Moreno (Who shall survive ? 1934) et reprise par Paul Deutschberger, selon l'esprit sociomé trique (« Patterns of Attraction in Changing Neighborhoods », Sociometry, vol. IX, n° 4, 1946), interprétée différemment par Samuel A. Stouffer « Intervening Oppor- tunities », American Sociological Review, 1940, John K. Stewart, The Gravitation or geographical Drawing Power of a College, 1941, « Influence of a Population at a Distance », Sociometry, 1942, et Raymond E. Bassett, Sociometry, Vol. IX, 1946.

6. Définie par J. L. Moreno, op. cit., redécouverte et approfondie par Helen H. Jennings, Leadership and Isolation, 1943, et Joan H. Cris- well, A Sociométrie Study of Race Cleavage in the Class-Room, 1939.

7. Formulée par J. L. Moreno, op. cit., Statistics of Social Configura- tions, 1937-1938, « Sociometry and the Cultural Order », Sociometry, 1943, redécouverte et approfondie par Urie Bronfenbrenner, « Measurement of Sociométrie Status » et Mary L. Nortway, « Sociometry and Problems of social Relationship », Sociometry, 1946.

8. Elaborée par J. L. Moreno et Helen H. Jennings, « Sociométrie Statistics of Social Configurations », Sociometry, 1938, et Urie Bronfen- brenner, op. cit.

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e) la théorie des atomes sociaux9 ; /) le phénomène des télé10.

a) La gravitation ou mobilités sociales. J'ai d'abord formulé ce problème comme suit : « L'humanité est une unité sociale et organique. Des impulsions sur- gissent entre les parties intégrantes de cette unité, tantôt les éloignant, tantôt les rapprochant les unes des autres. Les attractions et répulsions et leurs formes dérivées, peuvent avoir un effet, proche ou lointain, non seulement sur ceux qui en sont les acteurs immé- diats, mais aussi sur toutes les parties de cette unité que nous appelons humanité. Son organisation se développe et s'étale dans l'espace apparemment selon le principe de gravitation sociale qui semble jouer pour toute espèce de groupement, indépendamment du caractère de ses membres »u.

Treize ans se sont écoulés et maintes études ont paru depuis que ce principe fut postulé. Il n'est pas sans intérêt de comparer les méthodes employées par les sociologues selon qu'ils ne s'appuient pas sur la sociométrie, comme Stouffer (1940), Stewart (1941), Thorndike (1942) ou qu'ils l'appliquent, comme Moreno (1934), Deutschberger (1946). D'après moi, les mouve- ments de populations sont commandés par deux pro- cessus : l'un séparant les groupes, l'autre les rappro- chant. La formule sociométrique exprime la situation de la façon suivante :

Deux groupes (PI et P2) se meuvent l'un vers l'autre - entre une localité X et une localité Y - en propor- tion directe du coefficient d'attraction exercée (al) ou subie (a2), et en proportion inverse du coefficient de répulsion exercée (ri) ou subie (r2), la distance phy- sique (d) entre les deux localités étant constante et les facilités de communication entre X et Y étant égales12.

9. Elaborée par J. L. Moreno, op. cit. et Jennings, « Experimental Evidence of the Social Atom », Sociometry, 1942.

10. Formulée par J. L. Moreno, op. cit. 11. Cf. Moreno, Who shall survive op. ? cit., p. 3 and sqq. 12. Ibid., p. 342-345 ; 265-266.

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Les formules de Stouffer et Stewart, basées sur l'analyse statistique du nombre et de la distance, mêmes si elles étaient exactes en soi, ne sont pas satis- faisantes à cause de leur caractère purement symbo- lique : elles laissent de côté le coefficient proprement humain, la dynamique des relations interpersonnelles et intergroupales. Les thèses de Stouffer Stewart peuvent être aisément intégrées dans la formule sociométrique, qui alors pourrait être rédigée ainsi :

« Deux groupes (PI et P2) se meuvent l'un vers l'autre en proportion directe du coefficient d'attrac- tion exercée (al) ou subie (a2), en proportion inverse du coefficient de répulsion exercée (ri) ou subie (r2), et en proportion inverse de la distance physique (d) entre les localités X et Y où résident respectivement PI et P2, les facilités de communication entre X et Y étant constantes. »

J'ai appliqué des découvertes sociométriques faites en étudiant un petit groupe local au phénomène macrosociologique des migrations de population entre deux États. En comparant les statistiques établies par le recensement des migrations spontanées entre divers États à l'intérieur des États-Unis, d'Est en Ouest, du Sud au Nord, dans une période donnée, avec les migra- tions étudiées sociométriquement dans le cadre d'un groupe local, je suis arrivé à la conclusion que le même principe régit les mouvements migratoires dans l'un et l'autre cas. Les données sociométriques indiquaient en outre que le désir de migration (le nombre de ten- tatives ébauchées et avortées) est considérablement plus grand que les migrations réelles. Elles indiquaient aussi que les régions qui sont les buts de ces migrations virtuelles et non effectuées doivent être prises en considération dans l'analyse de la gravitation sociale. Les recensements ne rendent compte que des résultats définitifs. Us n'enregistrent pas le « phénomène social total », tout ce qui est invisible dans le processus de migration depuis le « statu nascendi » d'un désir

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embryonnaire, en passant par tous les stades inter- médiaires qui vont du projet à l'acte qui le réalise, et dont il faut tenir compte pour pleinement comprendre les mouvements migratoires13.

b) La conception socio- génétique. Cette conception, introduite par la sociométrie14, établit que les formes les plus compliquées d'organisation groupale sont sorties de formes simples ; entre les schémas les plus simples de groupes formés par des enfants et les schémas très complexes des groupes formés par des adultes, il y a de nombreux intermédiaires. Parallèle- ment à ce processus de différenciation sociale s'opèrent dans les groupes une différenciation et un développe- ment fondés sur des relations de sexe et de race. Le mode de différenciation peut varier d'une civilisation à l'autre, de la société archaïque à la société moderne, mais on peut trouver partout certaines étapes et ten- dances parallèles. Du point de vue « sociatrique » (c'est-à-dire du traitement des maux sociaux), la conception socio-génétique pose des problèmes théra- peutiques. Il est probable, en effet, qu'une étude com- parative des civilisations montrerait une grande variété dans le développement concret qui conduit les groupes d'enfants jusqu'aux groupes d'adultes, mais il est douteux que cette évolution même puisse être abolie. Le principe socio-génétique et lé principe de gravitation sociale, pris ensemble, attestent que les sociétés sont fondamentalement des sytèmes de préférence. L'aboli- tion de ces principes signifierait la disparition de ces systèmes de préférence eux-mêmes, et une méta- morphose de la nature humaine et de la société humaine dans un sens qu'on doit tenir, jusqu'à un nouvel ordre, pour utopique.

13. Deutschberger a continué l'étude de la gravitation sociale avec un appareil mathématique en soumettant directement les districts de recensement des États-Unis aux tests sociométriques et en compa- rant les schémas d'attraction selon les voisinages.

14. Op. cit., p. 65-66.

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c) La conception socio-dynamique. La conception socio-dynamique implique deux thèses. La première établit que le pourcentage des sélections émotionnelles est inégalement réparti entre les membres du groupe, abstraction faite des dimensions ou du caractère de ce groupe. Un nombre relativement petit d'individus se taille la part du lion dans la répartition des sélec- tions émotionnelles, hors de proportion avec leurs besoins et leur capacité de satisfaire à ces choix ; un plus grand nombre se répartit un taux moyen de sélections, qui ne dépasse pas leurs possibilités d'y satisfaire, et un nombre considérable reste non choisi et négligé. Les résultats mis en graphiques forment une courbe en J, plus de la moitié de la population (60 à 70 %) obtenant un coefficient inférieur à la normale, et seulement un nombre relativement petit obtenant un coefficient élevé (Northway). Bien qu'on eût attendu normalement un nombre égal, la proportion des négligés (isolés) est généralement plus grande que celle des « étoiles » ou « as » (Bronfenbrenner).

La seconde thèse établit que si les chances d'être choisi augmentent à mesure que croissent les dimen- sions du groupe et le nombre de sélections par indi- vidu, ceux qui sont au sommet de la hiérarchie (les « étoiles » et « as ») continuent à rallier un nombre de sélections directement proportionnel aux dimensions du groupe et au nombre de choix permis par individu, en sorte que le fossé se creuse encore davantage entre leur petit groupe, le groupe moyen et le groupe des négligés. Cet avantage gagné par ceux qui sont déjà « trop souvent choisis « ne peut être expliqué que par des effets d'enchaînement qui jouent dans les cas où l'on ne connaît pas directement les individus choisis. Le facteur direct est une sélection opérée parmi le proche entourage, le facteur indirect est une sélection symbolique. Un individu A peut atteindre un coeffi- cient élevé dans un groupe fondé sur des contacts directs, mais compte tenu de son « rôle » social dans des

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cercles plus larges (qu'il soit joueur de base-bail, acteur ou sénateur) son coefficient définitif peut devenir moyen (le « rôle » correspond ici à ce que l'on appelle ordinairement le statut, mais le statut a quelque chose d'abstrait, tandis que le rôle implique une fonction sociale vivante et concrète).

Le principe socio-dynamique affecte toutes les relations humaines ; il s'applique : a) au plan inter- personnel ; b) au plan intergroupal. Il joue de quelque façon, dans tous les agrégats sociaux de quelque nature qu'ils soient, et que leur critère soit la camaraderie, la recherche d'un emploi, ou des relations socio- culturelles. Il peut varier en degré, mais il est partout présent, comme une sorte de halo ou d'ambiance, ;nhérent à toute structure sociale. Une manifestation particulièrement intéressante de ce principe peut être observée dans les relations économiques. La « sur- sélection » devient analogue à la « plus-value » observée par Marx dans le processus de production et d'accu- mulation du capital. Une image altérée du phénomène du profit dans les relations économiques reflète une image altérée du phénomène des sélections sur le plan interpersonnel et intergroupal. La révolution sociale considérée comme mettant fin à la lutte des classes représente une erreur d'interprétation sociologique ; cette erreur résulte d'un saut du plan microscopique au plan macroscopique. La révolution sur le plan macrosociologique est seulement une partie de la lutte sociale. Marx s'en tenait à l'échelle macrosociologique. Il recourait cependant souvent, intuitivement, à des idées sociométriques avant la lettre, mais ne faisait que de la macrosociométrie. Aussi, en gros, se trom- pait-il rarement, mais rarement aussi avait-il entière- ment raison. N'aboutissant pas aux analyses micro- sociologiques de la sociométrie moderne, il commet- tait maintes graves erreurs de perspective15. Il serait

15. J. L. Moreno, « Marxism, Comtism and Sociometry », Socio- metry, vol. VIII, n° 2.

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bien intéressant d'examiner comment ce nouvel aspect des problèmes, s'il en avait tenu compte, eût trans- formé sa théorie de la révolution sociale. Il semble, en tout cas, qu'il eût assigné l'action révolutionnaire non seulement aux grandes unités sociales, mais aux plus petites également, aux atomes sociaux en parti- culier, ces premiers centres de préférence et de répu- gnance aptes à rendre la révolution vraiment effective et permanente. Le principe socio-dynamique ne cesse pas d'être valable dans une société socialiste ; il ne fait qu'assumer des formes différentes.

Le principe socio-dynamique met au pied du mur les thérapeutes sociaux. On peut soutenir qu'il n'est pas une loi de nature, mais une manifestation des valeurs culturelles acceptées dans la société présente. Le fait que les coefficients extrêmement élevés de sélection sont bien rares peut être dû à un facteur culturel : la valeur que nous attribuons à l'esprit de compétition et à l'habileté technique. D'autre part, il y a des chances pour que les effets socio- dynamiques puissent être réduits par des techniques thérapeutiques, comme la reconstruction des groupes fondée sur les données sociométriques et le réapprentissage de la spontanéité dans leur formation.

d) Le test de réalité des configurations sociales. La sociométrie a apporté également une contribution à la sociologie objective en formulant en termes mathé- matiques des moyens de mesurer des configurations sociales à partir de leur probabilité. Les généralisations résultant de ce test pourraient ouvrir un champ fécond aux recherches sociologiques qui portent sur l'inté- gration et la désintégration des groupes.

e) La théorie des atomes sociaux. Le vieux terme sociologique de socius9 employé métaphoriquement et sans précision dans la littérature présociométrique, a reçu par l'élaboration du concept de « l'atome social » un sens précis ; ainsi a été ouverte la voie à des hypo- thèses théoriques fécondes et aux appplications pra-

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tiques. La théorie de l'atome social se fonde sur le fait que l'individu projette ses émotions sur les groupes qui l'entourent, et que ces groupes, à leur tour, pro- jettent collectivement et par l'intermédiaire de leurs membres leurs émotions sur lui ; il en résulte qu'on peut discerner un schéma d'attractions et de répulsions réciproques projetées de deux côtés à la fois, par les individus et les groupes auxquels ils participent ou desquels ils sont exclus. Ce schéma, nous l'appelons « l'atome social ». L'atome social particulier dans lequel chaque individu est intégré garde dans le temps une certaine consistance, en ce qui concerne la mesure de la mutualité et le coefficient de sélections réci- proques. L'action des schémas dans un même groupe local, à une époque donnée, constitue un facteur rela- tivement constant dans le système des attractions et des répulsions qui caractérise ce groupe. On trouve, dans un groupe donné, des modèles spécifiques de sélections et de rejets, qui se distribuent d'une façon ordonnée dans son sein. Cependant, alors que l'action de certains modèles peut être relativement constante, on peut observer que les individus qui réalisent des modèles sociaux particuliers à un moment donné peuvent, selon les circonstances, céder leurs places, plus tard, à d'autres individus ou, au contraire, se maintenir.

f) Le phénomène de « télé ». On entend par télé16, un facteur de gravitation sociale qui joue dans les relations interindividuelles et intergroupales et qui les pousse à constituer des unions, diades, triangles, quadrangles, polygones, plus positives ou plus néga- tives, que si jouait le seul hasard. L'action d'un tel facteur dans la vie sociale a été démontrée par les méthodes sociométriques. Il joue entre des personnes comme A-B, qui simplement se connaissent, ou comme A-B qui non seulement se connaissent, mais s'attirent

16. Op. cit., 158-164.

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ou se repoussent en fonction d'un ou plusieurs critères spécifiques, ou entre A-B qui ne se connaissent pas personnellement mais sont reliés l'un à l'autre par le service à la même cause. Ce facteur joue même, nous le croyons, entre des personnes qui ne se connaissent pas, ni ne sont liées l'une à l'autre par un critère quelconque. Il ne s'agit ici que de différents degrés d'intensité du « Télé ».

Contributions récentes. Les plus récentes contri- butions de la sociométrie à la méthode sociologique peuvent être divisées en plusieurs classes. A la pre- mière appartiennent les études critiques qui discutent de la possibilité de remplacer le « test sociométrique » par des techniques plus « objectives » et plus « directes » de recherche. L'étude la plus importante à ce point de vue est celle de Frank A. Stewart, qui a décrit d'une façon sociométrique la ville de Williamburg, en Virginie, en mars 1944. La conclusion de cette étude a été qu'il ny a pas de raccourci possible à prendre pour aboutir à une inspection sociométrique. Compiler des listes d'hommes influents dans la vie publique d'une ville, en utilisant la presse locale, les amener à évaluer eux- mêmes leur propre influence, à répondre à une série de questions-standard préparées d'avance pour inven- torier la personnalité humaine, de pareils procédés ne donnèrent pas satisfaction. Le type d'investigation sociométrique, fondé sur l'étude de l'entre-croisement des attractions et des répulsions qui est essentiel pour analyser qualitativement, et suivre les flux et les reflux d'influence et de prestige dans une commune, est également nécessaire lorsqu'il s'agit de retrouver les personnalités effectivement importantes, celles qui jouissent non seulement formellement, mais réelle- ment du pouvoir social.

Dans la seconde classe des contributions socio- métriques récentes figure l'étude des causes sous- jacentes aux choix et aux rejets observés parmi les membres d'un groupe. Northway considère, par

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exemple, que les choix qui sont caractérisés par des coefficients très faibles d'attraction, peuvent être dus à des facteurs psychologiques et psycho-somatiques. Ses observations sur les différences individuelles que présentent de très jeunes enfants dans leur façon de réagir à des situations d'échec, l'amènent à conclure que ces différences ont un fondement psycho-physio- logique ; il s'agit 'de l'équilibre du sytème nerveux autonome, qui est rapidement compromis par le poids des facteurs de l'environnement, et peut conduire à une désadaptation profonde lorsque les sollicitations, les exigences et les interdits de l'environnement, et particulièrement du milieu social, sont telles que le sentiment de frustration et de déception se produit très vite17. Cependant la recherche des causes psycho- somatiques qui jouent dans le cas des individus négligés et rejetés par leur milieu social, bien qu'elle soit recom- mandable en soi, peut devenir un prétexte facile et tentant pour éluder l'investigation systématique des relations d'interaction sociale chez les enfants de bas âge18. Bonney a entrepris de trouver des facteurs constants qui déterminent une relation sociale parti- culière, comme, par exemple, une amitié mutuelle, mais à la différence de Northway, il cherche la solution du problème dans la réalité sociale elle-même. Il conclut qu'on favorisera la formation de l'amitié pendant l'enfance et l'adolescence, en veillant à ce que « chaque enfant soit placé dans une école et intégré dans un voisinage qui lui procurent le plus grand nombre de compagnons atteignant ou approchant son niveau intellectuel ».

Une autre classe d'études sociométriques a porté sur les liens sociaux qui s'établissent entre gens qui ne se rencontrent pas directement. J'ai souvent invoqué « les télé entre personnes qui ne se connaissent pas ».

17. Sociometry, vol. I, n° 12, 1937, « Pathology of Interpersonal Relations ».

18. Ibid., vol. IX, n° 3, 1946.

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Bien qu'elles ne se soient pas rencontrées, si elles convergent véritablement et sont capables de satis- faire des besoins mutuels, un télé virtuel joue entre eux ; Mapheus Smith a relaté nombre d'études faites dans cette direction19.

Certaines études sociométriques ont été consacrées à l'analyse des nouvelles configurations sociales. Ainsi Charles P. Loomis20 a fait l'analyse sociométrique d'un village allemand, post-nazi, près de Hanovre et Rose Cologne21 a donné une description sociométrique d'équipes de travail.

Peut-être, à ce moment, les perspectives les plus prometteuses pour l'application des techniques socio- métriques s'ouvrent-elles dans le domaine des rela- tions entre les groupes. Le seul procédé qui est à pré- sent largement utilisé est le « sociodrame »22. Un autre procédé, qui fait actuellement son chemin, est un nou- veau test sociométrique adapté pour mesurer des relations intergroupales. Ce test diffère de celui employé pour mesurer les relations interpersonnelles par la limitation systématique et graduelle du champ à l'inté- rieur duquel les sélections sont autorisées. Alors que dans le test interpersonnel, on tendait à donner au champ des sélections la plus grande extension en garan- tissant à l'individu la capacité de s'exprimer aussi pleinement que possible, afin de pénétrer dans les profondeurs, on tend dans le test intergroupai à limiter graduellement le champ des choix et à concentrer l'attention sur des chances de sélection très restreinte. Un sociométriste étudiant des relations de voisinage pourrait inviter, par exemple, les habitants à choisir leurs compagnons parmi les nègres, les Espagnols et les réfugiés, et à exclure de leur choix les Américains

19. Ibid., vol. IX, n° 2-3, 1946. 10. Ibid., vol. IX, n° 1, 1946. 21. Ibid., vol. VI, n° 3, 1943. 22. Psychodrama, vol. I, 1946.

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autochtones. L'expression des préférences serait alors limitée aux trois groupes minoritaires. Sans qu'on porte atteinte aux particularités des choix, plus les champs sont variés et réduits, et plus les résultats revêtiront un caractère précis, nécessaire, non symbo- lique et proche de la vie réelle du groupe. Dans la mesure même où les champs de sélection seront réduits, apparaîtra une échelle allant d'un degré maximum de choix, caractéristique pour chaque individu, à un degré maximum de sélections caractéristiques pour les groupes comme tels.

Sociométrie et sciences sociales se rapprochent très rapidement. Nous en avons indiqué quelques manifestations, mais il y en a bien davantage. Les exagérations compromettantes, inévitables dans un mouvement jeune et conquérant, vont en diminuant. Ce développement illustre d'ailleurs par lui-même le principe de gravitation sociale23 qui joue également entre la sociométrie et les sciences sociales. Les facteurs qui favorisent le développement de la sociométrie vont en croissant, les facteurs qui le retardent vont en diminuant.

Director of the « Sociométrie Institute » and of the review « Sociometry »,

New York City.

23. Une estimation approximative a permis de constater que dans les dix dernières années, le « pouvoir d'attraction » de la sociométrie et des techniques qu'elle a élaborées, comme psychothérapie du groupe, psycho- drame, étude de rôles sociaux et sociodrame, s'est manifesté comme suit : En 1936, 100 % des manuscrits traitant de ces sujets étaient publiés dans Sociometry, ou n'étaient pas publiés du tout, parce que les autres pério- diques scientifiques ne leur accordaient pas le moindre intérêt. En 1946, environ 30 % seulement des travaux analogues paraissent dan? Socio- metry, et environ 70 % sont publiés dans d'autres périodiques,

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