17
La participation des enseignants du secondaire àl'encadrement des élèves: une analyse stratégique Author(s): Daniel Turcotte Source: Canadian Journal of Education / Revue canadienne de l'éducation, Vol. 20, No. 3 (Summer, 1995), pp. 333-348 Published by: Canadian Society for the Study of Education Stable URL: http://www.jstor.org/stable/1494857 . Accessed: 12/06/2014 14:45 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Canadian Society for the Study of Education is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Canadian Journal of Education / Revue canadienne de l'éducation. http://www.jstor.org This content downloaded from 185.2.32.49 on Thu, 12 Jun 2014 14:45:36 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

La participation des enseignants du secondaire à l'encadrement des élèves: une analyse stratégique

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: La participation des enseignants du secondaire à l'encadrement des élèves: une analyse stratégique

La participation des enseignants du secondaire àl'encadrement des élèves: une analysestratégiqueAuthor(s): Daniel TurcotteSource: Canadian Journal of Education / Revue canadienne de l'éducation, Vol. 20, No. 3(Summer, 1995), pp. 333-348Published by: Canadian Society for the Study of EducationStable URL: http://www.jstor.org/stable/1494857 .

Accessed: 12/06/2014 14:45

Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at .http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp

.JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range ofcontent in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new formsof scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected].

.

Canadian Society for the Study of Education is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extendaccess to Canadian Journal of Education / Revue canadienne de l'éducation.

http://www.jstor.org

This content downloaded from 185.2.32.49 on Thu, 12 Jun 2014 14:45:36 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 2: La participation des enseignants du secondaire à l'encadrement des élèves: une analyse stratégique

Articles

La participation des enseignants du secondaire a 1'encadrement des e61ves: une analyse stratigique'

Daniel Turcotte universit6 laval

L'encadrement des 616ves apparait comme une avenue ? privil6gier quant aux efforts de r6duction de l'inadaptation scolaire. Cependant, I'implication, pourtant essentielle, des enseignants dans cette voie fait souvent problbme. Partant de l'objectif g6n6ral d'en arriver A une meilleure compr6hension de la participation des enseignants A l'encadrement des •l6ves, la pr6sente recherche s'est int6ress6e l'6tude de la contribution des enseignants de quatre 6coles secondaires au systhme d'encadrement mis en place dans leur 6cole. S'appuyant sur les concepts et la d6marche de l'analyse strat6gique, cette 6tude met en lumibre les conditions et les contraintes de cette participation et en suggbre une interpr6tation bas6e sur les notions de strat6gie, de pouvoir et de jeu.

Although mainstreaming holds promise for the education of children with special needs, it is not always easy to involve classroom teachers in this strategy. My study of teachers' contributions to mainstreaming in four secondary schools uses concepts and methods drawn from the field of strategic analysis to examine conditions of and constraints on teacher involvement, and to propose an interpretation based on the notions of strategy, power, and play.

En d6pit des r6formes et des ajustements apport6s au cours des dernieres ann6es, la scolarisation de niveau secondaire demeure toujours au centre de controverses et de remises en questions. D'un cot6, les m6dias s'empressent d'6taler les situations de violence a l'6cole et d6noncent le taux 61ev6 d'abandons scolaires; de l'autre, plusieurs sp6cialistes s'interrogent sur les fagons de transformer une

r6alit6 consid6r6e comme inqui6tante. Des titres 6vocateurs comme A Nation at Risk (NCEE, 1983) ou L'dcole ditourn-e (Balthazar et B61anger, 1989) illustrent la s6v6rit6 des critiques adress6es i l'Fcole secondaire.

Aux yeux de certains observateurs, des signes de malaise indiquent qu'il y a encore des embacles dans le processus qui mene au d6veloppement complet des

61eves (Conseil sup6rieur de l'6ducation, 1982). Ces sympt6mes sont, notamment,

l'abandon scolaire, I'absent6isme, I'indiscipline, I'insuffisance de rendement, en fait tous ces comportements qui peuvent etre consid6r6s comme autant de manifestations d'une situation d'inadaptation scolaire (COPIE, 1981; Crespo et Cournoyer, 1978).

333 REVUE CANADIENNE DE L'EEDUCATION 20:3 (1995)

This content downloaded from 185.2.32.49 on Thu, 12 Jun 2014 14:45:36 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 3: La participation des enseignants du secondaire à l'encadrement des élèves: une analyse stratégique

334 DANIEL TURCOTTE

Une voie de solution fr6quemment sugg6r6e pour prevenir et r6duire ces manifestations d' inadaptation est I'encadrement des eleves. Plusieurs estiment en effet que "la qualit6 de l'encadrement des 6lves aura un grand impact sur la qualit6 de leurs apprentissages et de leur integration a la vie en societ6" (Boivin et Plante-Proulx, 1989, p. 17).

Si l'importance de l'encadrement fait g6n6ralement consensus, les activit6s auxquelles il fait r6f6rence ouvrent toutefois 'a des applications diverses. Ainsi, dans l'entente nationale des enseignants du Quebec 1986-1988, l'encadrement est defini comme une intervention aupres d'un 6lve ou d'un groupe d'1~lves visant le developpement personnel et social de l'6lve et l'invitant 'a assumer ses

responsabilitds relativement a sa propre formation (CPNCC, 1987). D'autres auteurs envisagent l'encadrement comme un ensemble de mesures et de services educatifs mis a la disposition des 1~lves d'une 6cole afin de leur permettre de

poursuivre leur formation et leur d6veloppement de faqon continue et harmo- nieuse (Dionne, 1986) ou encore comme un soutien global et continu aux 6lves sur le plan des apprentissages (Boivin et Plante-Proulx, 1989).

Lorsqu'il est question d'encadrement des 61"ves, les enseignants sont g6n6ra- lement consid6r6s comme les premieres personnes concern6es. Comme acteurs

ayant les contacts les plus 6troits et les plus r6guliers avec les 61eves, ils occupent une position privil6gi6e pour leur apporter I'aide et le soutien dont ils ont besoin pour leur permettre de poursuivre leur d6veloppement. Cependant, les

enseignants sont souvent d6crits comme non motiv6s, apathiques et responsables, en partie, des difficult6s de l'e61ve (Hohl, 1985). Sollicit6s et critiques a la fois, ils ne manifestent pas toujours un grand empressement a s'engager dans les

activit6s d'encadrement. Dans une 6tude sur le sujet, Dupont (1978) mentionne qu'& peine 40% des enseignants participent aux activit6s d'encadrement des

61eves. Son observation semble toujours d'actualit6 puisque plusieurs observa- teurs sont d'avis que la situation de l'encadrement des 61eves au secondaire demeure probl6matique et requiert des correctifs substantiels (Comit6 catholique du Conseil sup6rieur de l'6ducation, 1989; Dionne, 1986; Th6roux, 1986).

Plusieurs obstacles contribueraient " entraver la participation des enseignants a l'encadrement des 6lves. La surcharge de travail (nombre d'6l~ves par groupe, nombre de groupes

" rencontrer, h6t6rog6n6it6 des groupes-classe), I'ambigui't6

des taches et la rigidit6 des regles r6gissant l'organisation scolaire (regime p6dagogique, regles budg6taires, conventions collectives, grille horaire) sont des facteurs fr6quemment mentionnes a cet 6gard (Comit6 catholique du Conseil Superior de l'Education, 1989; Dionne, 1986). Cependant, selon Dupont (1978), la faible collaboration des enseignants dans 1'encadrement des e61ves serait principalement attribuable A l'enseignant lui-meme, particulibremrent

' "son manque d'intr&et et de motivation, son manque de preparation, ses difficult6s de relations avec les e61ves et son manque de sens professionnel" (p. 121).

Ces observations sur la participation des enseignants .

lI'encadrement des 61~ves, toutes 6clairantes qu'elles soient, pr6sentent deux limites importantes. La

This content downloaded from 185.2.32.49 on Thu, 12 Jun 2014 14:45:36 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 4: La participation des enseignants du secondaire à l'encadrement des élèves: une analyse stratégique

L'ENCADREMENT DES IELEVES 335

premiere est de pr6senter la participation des enseignants en termes dichotomi- ques de "collaboration-absence de collaboration" alors que dans la r6alit6, cette participation se pr6sente sous diff6rentes formes. La seconde est de situer 1'expli- cation de la participation dans un cadre d6terministe. Or, se limiter A une telle explication, c'est faire abstraction du caractere dynamique et souvent impr6visi- ble du comportement organisationnel. En effet, I'appartenance a une organisation pose certaines contraintes a l'acteur mais celui-ci n'est jamais totalement passif pour autant: "Il a ses propres buts, ses propres projets qu'il tente de poursuivre a travers les contraintes avec lesquelles il est confront6" (Friedberg, 1972, p. 28).

La pr6sente etude vise a mieux comprendre la participation des enseignants a l'encadrement des e61ves en l'abordant dans une perspective interactionniste, c'est-a-dire en approchant cette participation comme un ensemble d'actions comprehensible a la lumiere des intentions de l'enseignant et des moyens dont il dispose pour r6aliser ses intentions. La participation se pr6sente alors comme une activit6 intentionnelle, inscrite dans un contexte de rationalit6 limit6e et mettant en jeu des objectifs et des enjeux particuliers.

LE CADRE CONCEPTUEL

La participation, telle qu'entendue dans cette 6tude, d6passe la contribution aux d6cisions pour englober les contributions de tous genres qu'un acteur fait " une organisation (Dion, 1972). Abord6e dans une telle optique, tout membre d'une organisation adopte toujours une certaine forme de participation: "Chacun de nous, qu'il le veuille ou non, qu'il en soit r6ellement conscient ou non, participe a tout moment a la vie des ensembles sociaux dont il fait partie" (Friedberg, 1972, p. 87). Dans la mesure ohi "on ne peut pas ne pas avoir de comportement" (Watzlawick, Weakland et Fisch, 1975, p. 46), l'inactivit6, au meme titre que l'activit6, influence les autres et, cons6quemment, contribue ou fait entrave a la mission d'une organisation. Ainsi, il n'y a pas des individus qui participent et d'autres qui ne participent pas: il n'y a que des acteurs qui jugent pr6f6rable de s'engager dans la vie de leur organisation et d'autres qui pr6f'erent ne pas s'engager. Ainsi, la participation apparait comme une conduite strat6gique "toujours r6visable qui d6pend de la situation dans laquelle se trouvent les individus et des objectifs qu'ils visent dans leur action" (Friedberg, 1972, p. 92).

Pr6sent6e en ces termes, la participation peut &tre 6tudi6e A partir des concepts de l'analyse strat6gique (Bernoux, 1985; Crozier, 1964; Crozier et Friedberg, 1977; Friedberg, 1972). Ces concepts font principalement r6f6rence aux objectifs de l'acteur, aux enjeux de sa participation, au pouvoir qu'il d6tient dans l'organi- sation, aux contraintes et ressources dont il dispose et aux strategies qu'il utilise.

Partant de ce cadre conceptuel, I'analyse strat6gique suggere une d6marche

hypoth6tico-inductive qui part de l'experience v6cue des acteurs pour d6couvrir leurs comportements et remonter ensuite aux jeux qui lient les divers acteurs

This content downloaded from 185.2.32.49 on Thu, 12 Jun 2014 14:45:36 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 5: La participation des enseignants du secondaire à l'encadrement des élèves: une analyse stratégique

336 DANIEL TURCOTTE

entre eux. Cette d6marche renvoie A une m6thode d'6tude de cas ax6e sur "l'ob- servation et la mesure des attitudes, comportements et strategies [des acteurs] par l'6valuation de leurs ressources sp6cifiques ainsi que des contraintes de toutes sortes qui limitent leur marge de manoeuvre et pesent sur leur strat6gie" (Crozier et Friedberg, 1977, p. 94). Evidemment, une telle approche ne vise pas

' rendre compte des actions particulibres de chacun; elle cherche plut6t a fournir une representation globale de la logique du comportement des acteurs a la lumiere des contraintes que pose la r6alisation d'une action collective au sein d'un systhme structur6.

LA METHODOLOGIE

Dans le cadre de la pr6sente etude, cette d6marche fut op6rationnalis6e par la

r6alisation d'entrevues semi-dirig6es aupres de 80 informateurs provenant de quatre 6coles secondaires. La population 6tudiante de ces 6coles varie entre 1 227

el6ves pour la plus petite et 2 322 e61ves pour la plus populeuse. Le nombre d'enseignants fluctue entre 83 et 147. Deux 6coles offrent les cinq niveaux du secondaire, alors que les deux autres touchent principalement le deuxieme cycle, pour une, et le premier cycle, pour l'autre.

Les informateurs

Le fait d'6tudier quatre 6coles diff6rentes s'est r6vl61 un facteur determinant sur

l'6tendue de l'6chantillon des informateurs. Voulant 6viter un 61argissement indu de l'6chantillon tout en s'assurant d'une bonne connaissance de la r6alit6 de chacune des 6coles, nous avons jug6

' la fois r6aliste et pertinent d'6tablir ' 20

le nombre d'entretiens dans chacune des ecoles. Selon Lofland (1971), les etudes ayant recours a l'entretien qualitatif utilisent g6ndralement entre 20 et 50 entre- tiens et ce nombre est g6ndralement suffisant pour avoir une bonne connaissance d'un milieu.

Au total, 80 informateurs, dont 65 enseignants et 15 personnes appartenant A d'autres cat6gories d'acteurs (membres de la direction et autres personnels impliqu6s dans l'encadrement) ont collabor6 a cette etude. Le choix de ces informateurs fut r6alis6 avec le souci d'obtenir le plus large 6ventail possible de donnees sur la r6alit6 de l'enseignant face a l'encadrement des e61ves. Les parametres de diversification suivants ont 6t6 utilis6s: le role au sein du systhme d'encadrement, le niveau et le secteur d'enseignement, la matiere enseign6e et l'anciennet6 dans l'6cole. Ainsi, le choix des informateurs a 6t6 arrWt6 en prenant soin de rencontrer au moins un enseignant affect6 A chacune des fonctions pr6- vues au systeme d'encadrement, en s'assurant d'une representation pour chaque niveau d'enseignement dispense et pour chacune des principales matieres, et en

pr6voyant la rencontre de jeunes enseignants et d'enseignants plus exp6riment6s.

This content downloaded from 185.2.32.49 on Thu, 12 Jun 2014 14:45:36 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 6: La participation des enseignants du secondaire à l'encadrement des élèves: une analyse stratégique

L'ENCADREMENT DES E•LEVES 337

La cueillette des donnies

Les cueillette des donnees s'est d6roul6e en trois 6tapes. La premiere fut prin- cipalement ax6e sur la connaissance formelle du systhme d'encadrement mis en place dans chacune des 6coles participantes. La deuxitme 6tape a port6 sur

l'6tude du v6cu quotidien des enseignants dans la mise en application du systhme d'encadrement. Cette 6tape, qui constitue "la condition meme d'une etude

sdrieuse du champ" (Crozier et Friedberg, 1977, p. 398), a conduit a la r6ali- sation d'entrevues semi-dirig6es portant particulierement sur: (a) le r1le et les responsabilit6s de l'informateur dans le systhme d'encadrement, (b) les con- traintes qui s'imposent

' lui dans le cadre de ces activit6s et les difficult6s qui en d6coulent, (c) l'6valuation qu'il fait de sa situation-ses sources de satisfac- tion et d'insatisfaction, ses espoirs de changement et, (d) ses possibilit6s d'action face ' la situation actuelle. La troisieme 6tape a consist6 a retourner aupris de quelques informateurs afin de verifier la fid61it6 de la reconstruction des informa- tions recueillies. Cette 6tape de verification, sugg6r6e par la m6thode naturaliste (Lincoln et Guba, 1985), prolonge l'association des r6pondants a la d6marche de recherche tout en assurant une plus grande cr6dibilit6 aux r6sultats.

Analyse et traitemnent des donnies

Les donnees ainsi recueillies ont fait l'objet d'une analyse interpr6tative-descrip- tive (Tesch, 1990). Les documents accumul6s ont 6t6 r6pertori6s et 1'enregistre- ment sonore des entrevues fut transcrit int6gralement. Ces transcriptions furent ensuite soumises A une analyse th6matique a partir de la d6marche sugg6r6e par Van der Maren (1986, 1987): codage des donn6es, classement et cat6gorisation, structuration et interpretation. Apres un d6coupage bas6 sur les themes abord6s, les segments d'information extraits des entrevues individuelles ont fait l'objet d'un recoupement transversal (Deslauriers, 1987) qui a permis de faire ressortir les diff6rences et similitudes dans les propos des informateurs. Cette 6tape a conduit a l'interpr6tation des donnees par la transposition des propos des infor- mateurs en termes de structure de jeu.

LES REISULTATS

Pr6cisons d'abord l'existence, dans les quatre 6coles visit6es, d'un m6canisme formel d'encadrement des el~ves. D6sign6 comme le "systbme d'encadrement" dans trois 6coles et comme la "politique d'aide a l'l61ve en difficult6" dans l'autre, ce m6canisme pr6voit une d6marche d'intervention oi les enseignants sont appel6s

' assumer diff6rentes taches qui se regroupent en quatre attributions principales: (1) le controle (des absences, retards et comportements), (2) l'inter- vention auprbs de l'l61ve et de ses parents lorsqu'une difficult6 se pr6sente, (3)

This content downloaded from 185.2.32.49 on Thu, 12 Jun 2014 14:45:36 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 7: La participation des enseignants du secondaire à l'encadrement des élèves: une analyse stratégique

338 DANIEL TURCOTTE

la refrrence de l'61've a un autre intervenant lorsque la difficult6 persiste et enfin, (4) la transmission ecrite de renseignements sur le fonctionnement de

l'61eve. Donc, 1'essentiel de la contribution attendue des enseignants en matiere d'encadrement correspond a des activit6s de d6pistage, d'intervention et de

r6f6rence des 616ves en difficult&.

La participation: une activitU intentionnelle

L'6tude de la participation des enseignants ' la r6alisation de ces attributions fait

ressortir une diff6rence marquee entre le discours et la pratique. En effet, meme si certains ont l'impression que "cela ne donne absolument rien d'appliquer le

systhme d'encadrement," la plupart des enseignants interrog6s s'entendent pour reconnaltre l'impact positif de ce systhme, et pour affirmer la n6cessit6 d'actions

concert6es et coherentes aupres des 616ves. Cependant, leur engagement dans

l'encadrement des 616ves est g6n6ralement inconsistant. Certains enseignants se font un devoir de mettre syst6matiquement en application les modalit6s d'enca- drement pr6vues, la plupart, cependant, les appliquent de faqon selective et

irr6gulibre, et quelques-uns "negligent" meme constamment d'ex6cuter les taches qui leur sont confides. Voici quelques illustrations de cette r6alit6.

Le systhme officiel, il serait rentable si on le jouait B fond mais il est laiss6 ' la discr6tion

de chacun et comme le systhme r6pugne B plusieurs, parfois il n'est pas utilis6. (6cole #1)

C'est un bon systime en autant que tu le mettes en application; mais souvent c'est le manque de temps. C'est sOr que le systhme serait plus efficace si chacun faisait ce qu'il a A faire comme ce doit &tre fait. Mais tu es tol6rant et tu laisses passer: pendant ce temps-IA, le systhme n'est pas appliqu6. (6cole #2)

La participation A l'encadrement prend donc forme A travers des pratiques dont la logique n'est pas imm6diatement apparente. En effet, les enseignants conti- nuent de privil6gier les actions individuelles et isol6es tout en d6nonqant l'ab- sence de concertation et en reconnaissant la n6cessit6 d'une plus grande cohesion dans les interventions aupres des 616ves. L'identification des enjeux liis a la

participation A l'encadrement fournit des 616ments d'explication ' cette apparente

contradiction.

Les objectifs et les enjeux des acteurs

L'analyse du discours des informateurs fait ressortir que la participation des enseignants a l'encadrement soulve des enjeux qui vont au-del& de l'objectif d'aider I'61've a fonctionner ad6quatement et A r6ussir au plan acad6mique. Trois de ces enjeux incitent B une mise en application limit6e du systhme d'encadre-

This content downloaded from 185.2.32.49 on Thu, 12 Jun 2014 14:45:36 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 8: La participation des enseignants du secondaire à l'encadrement des élèves: une analyse stratégique

L'ENCADREMENT DES ILEtVES 339

ment. Ils touchent l'alourdissement de la tfche, I'alt6ration de ses rapports avec les e61ves et la perception negative de la direction et des autres enseignants.

La mise en application des dispositions du systhme d'encadrement vient alour- dir une tache d6jA surcharg6e. En outre, le contr1le des absences, I'information aux parents, I'intervention auprbs de l'616ve sont des activit6s qui comportent le risque d'entrainer une alt6ration des rapports avec les 61~ves puisque ces derniers n'appr6cient g6n6ralement pas que l'enseignant "d6nonce" leur situation.

Le professeur qui se fait d6tester, les 6tudiants lui mettent des batons dans les roues tout le temps. (6cole #2)

J'ai souvent entendu des 61?ves dire: "Lui, chaque fois qu'il a un problbme, il va en parler avec les autres." Ce n'est pas bon que les 61?ves d6tectent cela; ga fait plus de tort que de bien. (6cole #3)

De plus, la recours a la procedure de r6f6rence soulbve la crainte d'etre pergu, par la direction et par les autres enseignants, comme quelqu'un qui rencontre des difficult6s en classe ou qui est incomp6tent dans la solution de ses problemes avec les e61ves. Quelques exemples:

C'est toujours un peu "tannant" de dire: "J'ai de la misbre avec cet 61&ve-lW." Les gens ont leur fiert6 et leur orgueil. (6cole #3)

11 y a des enseignants qui vont garder I'information sur les difficult6s qu'ils rencontrent pour ne pas faire palir leur 6toile. (6cole #4)

Si ces diff6rents enjeux contribuent h freiner l'empressement de l'enseignant a s'engager dans l'encadrement, d'autres consid6rations exercent une influence

oppos6e. C'est le cas de l'int ret a preserver le systhme d'encadrement; meme si ce systhme ne permet pas toujours d'apporter une solution imm6diate aux problemes que rencontre l'enseignant en classe, son impact positif sur le fonc- tionnement d'ensemble de l'6cole est largement reconnu. L'encadrement contri- bue a diminuer les problbmes de discipline dans l'6cole et, quand il y a moins de problemes de discipline, le r6le de l'enseignant s'en trouve facilit6.

11 y a vraiment un travail d'encadrement qui se fait ici A la polyvalente et tout le monde en profite. Tous les enseignants profitent des retomb6es de ce travail. (6cole #1)

Quand les l66ves sont encadr6s, cela fonctionne toujours mieux. C'est plus facile pour l'l61ve; c'est plus facile pour l'enseignant aussi. (6cole #3)

La participation des enseignants est 6galement influenc6e par les mesures utili- s6es par la direction pour assurer la mise en application du systhme. A cet 6gard, I'effort du personnel de direction s'actualise B travers quatre moyens d'action

This content downloaded from 185.2.32.49 on Thu, 12 Jun 2014 14:45:36 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 9: La participation des enseignants du secondaire à l'encadrement des élèves: une analyse stratégique

340 DANIEL TURCOTTE

principaux: la mise en place d'un climat positif, la definition de valeurs com- munes, la participation au processus decisionnel et la specification de regles formelles.

Qu'il soit associ~ ' des principes comme la solidarit6, I'autonomie, la coges-

tion ou la collaboration, un climat de travail base sur des relations harmonieuses entre la direction et les enseignants apparait, aux yeux du personnel de direction, comme un important facteur d'efficacit6 dans une organisation scolaire. La direc- tion estime notamment que l'adhesion des enseignants aux objectifs du systeme d'encadrement sera facilit6e si ces derniers se sentent respect6s comme profes- sionnels et comme personnes.

Ici, il y a beaucoup d'activit6s et c'est ce qui rend l'6cole intdressante: c'est sa vie. (...) On essaie de cr6er un milieu de vie pour les 616ves et pour les enseignants. (...) Si les gens s'impliquent, ils vont &tre heureux et fiers de leur dcole. (ecole #1)

Une deuxieme modalit6 d'action de la direction consiste a ddfinir avec les enseignants des valeurs de base qui servent de "toile defond," "d'Vepine dorsale," au fonctionnement de l'6cole. Le respect, l'excellence, la r6ussite, I'appartenance et le civisme sont de ces valeurs qui sont proposees comme guides aux ensei- gnants dans les 6coles participantes. Partant de l'idle que les actions individuelles doivent se greffer aux pr6occupations collectives, I'affirmation de valeurs com- munes est consider6e par la direction comme un incitatif a la concertation entre les acteurs.

La mise a contribution des enseignants dans le processus de planification et

d'imnplantation du systeme d'encadrement est une autre action utilis6e par la direction pour susciter leur engagement dans sa mise en application. Selon ce qui se degage des propos des informateurs, la contribution au processus decisionnel peut avoir un effet sur deux plans. Au plan pratique, les enseignants sont port6s a respecter davantage les regles d'un systeme si celui-ci repond aux besoins qu'ils ont exprim6s; ils agissent alors avec le souci de pr6server ce systeme. Par ailleurs, au plan normatif, la participation a la mise sur pied du systeme contribue

a cr6er une obligation morale d'y adh6rer.

C'est un systhme qui a 6t6 acceptd au niveau de l'6cole, par le syndicat, par la direction, et tout le monde y tient. Automatiquement t'es oblige de le prendre. (6cole #1)

Quand tu as particip6 A la mise sur pied d'un systhme, par le suite, c'est un peu genant de ne pas le mettre en application. (6cole #3)

La spdcification de regles d6limitant de fagon explicite la contribution attendue des enseignants dans la mise en application du systeme d'encadrement constitue une quatrieme modalit6 d'action de la direction. Les m6canismes utilis6s pour assurer le respect de ces r~gles s'inscrivent dans une dynamique de r6tribution-

This content downloaded from 185.2.32.49 on Thu, 12 Jun 2014 14:45:36 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 10: La participation des enseignants du secondaire à l'encadrement des élèves: une analyse stratégique

L'ENCADREMENT DES tLEVES 341

sanction conduisant a la r6tribution du conformisme par une r6ponse "suppor- tante" et 'a la sanction de la ddviance par "l'isolement" de l'enseignant fautif, par l'absence d'appui de la part de la direction ou par l'application de mesures

disciplinaires.

L'enseignant qui ne collabore pas au systhme, il ne reqoit pas d'aide. On lui dit: "Tu veux fonctionner seul, alors arrange-toi avec tes probl6mes!." (6cole #1)

11 y a des choses dans le systhme que tous les enseignants doivent faire; ils n'ont pas le choix. S'ils ne le font pas, je peux imposer des sanctions. (6cole #2)

Le contr1le de la direction n'arrive cependant pas 'a encadrer la participation des enseignants dans un modele unique. La mise en application du systhme d'en- cadrement donne lieu 'a un 6ventail de comportements oscillant entre la concer- tation et l'individualisme, la coh6sion et la dispersion, l'utilisation syst6matique et l'application chaotique.

La marge de libertd des enseignants

Malgr6 les contraintes qui pesent sur eux, les enseignants disposent d'une marge -de libert6 qu'ils peuvent utiliser pour n6gocier leur faqon de participer 'a l'enca- drement. Les atouts sur lesquels ils fondent cette marge de manoeuvre se regrou- pent en quatre categories: la comp6tence, la position d'interm6diaire entre l'6cole et le milieu, le contr1le de l'information et l'impr6cision des regles organisa- tionnelles.

Une premiere source de pouvoir des enseignants repose sur la compdtence qui leur est reconnue en matiere d'encadrement des 61wves. Cette comp6tence d6coule d'une part, de la nature meme de l'inadaptation scolaire; c'est un probleme complexe face auquel il est g6ndralement impossible d'identifier une intervention

id6ale et oui chaque situation appelle une action qui doit tenir compte du contexte et des acteurs en pr6sence. L'impossibilitd d'identifier une "meilleure" faqon de faire laisse a l'enseignant une importante marge de libert6 quant au moment et

?a la nature des interventions A poser. Outre le pouvoir collectif d6coulant de la zone d'incertitude li6e au ph6nomene

meme de l'inadaptation, les enseignants peuvent 6galement 61largir leur marge de libertd par la maitrise de competences particulieres en matiere de prevention ou de r6duction de l'inadaptation scolaire. Ainsi, l'enseignant qui ne fait jamais appel 'a la direction se sent moins d6pendant de son support.

Je n'ai pas d'6tudiants qui me cr6ent des embetements parce que, quand ils commencent

ha brasser, je rfgle rapidement le problme. (.. .) Je me fous des proc6dures parce que je n'ai pas besoin des autres pour diriger ma classe. (6cole #1)

This content downloaded from 185.2.32.49 on Thu, 12 Jun 2014 14:45:36 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 11: La participation des enseignants du secondaire à l'encadrement des élèves: une analyse stratégique

342 DANIEL TURCOTTE

Moi, je n'ai aucun problme de discipline en classe alors, I'opinion des autres, je m'en soucie peu. C'est ce que je pense qui est prioritaire. (. . .) Et la direction ne viendra pas demander A quelqu'un qui n'a pas de problbme de changer. (6cole #2)

En tant qu'intennrmdiaires entre les parents et l'dcole, les enseignants occupent une position strat6gique au sein de l'organisation scolaire. D'une part, c'est sur leur action en classe que repose la reputation de l'6cole; d'autre part, c'est par l'interm6diaire des liens qu'ils tissent avec les 61"ves et avec les parents que s'6tablissent les passerelles entre l'6cole et le milieu. Cette position frontaliere, qui leur permet d'avoir acces a l'information sur ce qui se passe dans l'6cole et i celle qui est v6hicul6e a l'ext6rieur de l'6cole, est d'autant plus strat6gique que les relations 6cole-milieu repr6sentent un aspect particulibrement d61icat du fonctionnement des 6coles secondaires: peu d'organisations sont aussi expos6es a la critique et a la remise en question. Comme la cr6dibilit6 d'une 6cole repose en bonne partie sur l'image qu'en projettent les enseignants, il est n6cessaire pour la direction de maintenir un climat harmonieux d'oui l'exigence d'une certaine souplesse face aux enseignants.

Une troisieme source de pouvoir des enseignants tient au contr6le qu'ils exercent sur 'infonrmation. En effet, comme la classe est g6n6ralement consid6r6e comme un "territoire prive"' oi l'enseignant est "le seul maitre apres Dieu," les enseignants sont consid6r6s comme les premiers, sinon les seuls interlocuteurs

mandat6s pour rapporter ce qui s'y passe. Comme la mise en application du

systeme d'encadrement repose en grande partie sur les informations transmises

par les enseignants puisque c'est sur la base de ces informations que sont plani- fiees, mises en place et 6valu6es les interventions li6es a" l'encadrement, le con- tr6le de l'information leur conf'ere un pouvoir important. L'exclusivit6 territoriale de la classe et le controle de l'information que cette exclusivit6 permet, contri- buent donc a la marge de libert6 dont disposent les enseignants.

Moi, quand j'entre dans une classe, je ferme la porte et je la mine comme je veux; c'est MA classe. Je me sens vraiment autonome. (6cole #2)

Plusieurs professeurs n'osent pas parler de ce qui se passe dans leur classe. 11 y en a qui ont moins de discipline, mais, pour cacher leurs problbmes, ils disent: "Moi je n'ai pas de problme." Pourtant, on sait tous fort bien qu'ils en ont. (6cole #4)

Enfin, la quatrieme source de pouvoir des enseignants tient "a la nature des

regles qui rigissent le systhme d'encadrement. Ces regles sont g6neralement peu explicites sur les situations qui doivent faire l'objet d'une intervention, sur les actions ' poser et sur le r6le de 1'enseignant. Alors que les regles sont g6n6rales, les situations qui se pr6sentent sont particulieres, sp6cifiques et souvent in6dites. Donc, m Ime si les rgles d6terminent les modalitAs d'application du syst'me

This content downloaded from 185.2.32.49 on Thu, 12 Jun 2014 14:45:36 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 12: La participation des enseignants du secondaire à l'encadrement des élèves: une analyse stratégique

L'ENCADREMENT DES 1"LIVES 343

d'encadrement, leur caractbre general entraine 1'existence d'une zone d'incerti- tude dont les enseignants peuvent tirer profit pour 6largir leur marge de libert6.

On constate done que les enseignants disposent d'une autonomie considerable

quant a leur participation a l'encadrement des e61ves. Cette autonomie n'est cependant pas sans limites; si elle est balisee, d'une part, par les actions de la direction, elle est 6galement assujettie, comme nous allons le voir, au fait que la

participation a l'encadrement est une activit6 qui s'inscrit dans un systhme d'action collective.

L'ENCADREMENT: UNE ACTION COLLECTIVE

La reconnaissance de la dimension collective de la participation i l'encadrement

repose sur deux observations principales: la nature collective des b6n6fices produits par le systhme d'encadrement et l'6valuation de l'impact de l'action individuelle des enseignants sur les r6sultats du systhme.

Lorsqu'ils 6valuent l'efficacit6 du systbme d'encadrement, c'est g6n6ralement au niveau du fonctionnement global de l'6cole que les enseignants en situent les

b6nefices les plus significatifs. En effet, a leurs yeux, l'impact principal de l'encadrement se situe au plan de la reduction des flaneries et de la diminution des problemes de discipline dans les corridors; pour ce qui est d'aider un e61ve en difficult6 ou de controler les troubles de comportement en classe, leur juge- ment est plus r6serv6. L'application du systeme d'encadrement n'est pas toujours une solution aux problemes qui se pr6sentent dans leur classe. Donc, bien que le systeme profite a tous les acteurs en contribuant a am61iorer le fonctionnement

general de l'6cole, chacun n'en retire pas pour autant des b6nefices personnels dans la r6alit6 de sa classe.

En outre, aux yeux des enseignants, il n'y a pas toujours de lien entre leur

participation personnelle a l'encadrement et l'efficacit6 du systhme. Ils pergoivent

g6neralement l'influence de leur participation personnelle comme plutot negli- geable sur les r6sultats du systeme: action collective et participation individuelle ne font pas un mais deux.

Ces deux observations sur les b6nefices du systhme et sur l'impact de la

participation individuelle peuvent justifier le faible int6ret des enseignants a s'engager dans l'encadrement des 616ves. En effet, dans la mesure oh la mise en

application du systhme comporte des exigences importantes et dans la mesure oh la contribution personnelle apparait avoir peu d'impact sur l'efficacit6 du sys- tbme, l'enseignant a int6r&t A laisser les autres assumer la responsabilit6 de cette mise en application: il peut alors en retirer les b6n6fices, puisqu'ils sont col- lectifs, tout en 6vitant d'en subir les inconv6nients. Cette strat6gie de d6sengage- ment ou de defection comporte cependant un risque: si elle 6tait adopt6e par tous les enseignants, le systhme deviendrait inop6rant et chacun perdrait alors les btn1fices collectifs qu'il en retire. Donc, mfme si la marge de libert6 dont ii dispose permet t l'enseignant de limiter son engagement dans l'encadrement des

This content downloaded from 185.2.32.49 on Thu, 12 Jun 2014 14:45:36 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 13: La participation des enseignants du secondaire à l'encadrement des élèves: une analyse stratégique

344 DANIEL TURCOTTE

el6ves, il doit veiller a ce que le systhme d'encadrement soit maintenu s'il veut conserver les avantages qu'il en retire. En ce sens, plus l'enseignant retire des

b6nefices du systhme, plus il sera soucieux d'en assurer la survie. On constate done que la participation a l'encadrement doit 8tre analys6e en tenant compte a la fois de l'autonomie dont dispose l'enseignant et des contraintes de l'action collective, contraintes d6coulant de l'impossibilit6 de pr6voir la participation des autres et de la n6cessit6 d'assurer la survie du systeme. Ainsi abord6e, le cadre d6cisionnel qui s'offre a l'enseignant peut &tre circonscrit a l'int6rieur de quatre possibilit6s qui sont illustr6es dans la figure suivant.

La premiere possibilit6 (voir figure 1) consiste en une application des dis- positions du systeme d'encadrement de la part de tous les acteurs (I): le systeme atteint alors une efficacit6 maximale et l'enseignant est susceptible de retirer des

b6n6fices qui d6passent son investissement. Le seconde possibilit6 implique une mise en application du systeme de la part de l'enseignant coupl6e a une defection de la part des autres acteurs (II): l'efficacit6 du systeme est alors limit6e et l'investissement individuel de l'enseignant excede largement les b6n6fices qu'il en retire. Par ailleurs, si l'enseignant fait defection mais que les autres ensei- gnants mettent en application le systeme (III), comme l'influence de la partici- pation individuelle est limit6e, les r6sultats sont satisfaisants et les b6n6fices de l'enseignant d6passent alors largement son investissement. Enfin, quatrieme possibilit6, si aucun enseignant ne met en application le systeme (IV), son

efficacit6 est nulle et 6ventuellement il sera aboli, 61iminant alors toute possibilit6 de profiter des b6n6fices collectifs qu'il produit. Donc, si dans l'imm6diat la

d6fection est une option qui n'est pas n6cessairement d6savantageuse, a long terme elle peut se rv61ler tres couiteuse.

En se r6f6rant a ces possibilit6s, la participation peut alors etre abord6e comme le r6sultat d'une decision strat6gique oji, parmi un ensemble d'alternatives,

Les autres acteurs

L'enseignant Application Difection

I II Application efficacit6: excellente efficacit6: limit6e

III IV Difection efficacit6: bonne efficacit6: nulle

FIGURE 1

Les stratigies possibles de l'enseignant et les rdsultats previsibles

This content downloaded from 185.2.32.49 on Thu, 12 Jun 2014 14:45:36 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 14: La participation des enseignants du secondaire à l'encadrement des élèves: une analyse stratégique

L'ENCADREMENT DES ILtVES 345

l'enseignant choisit le mode de participation qui est susceptible d'&tre le plus avantageux pour lui. II devient alors possible d'expliquer l'apparente contradic- tion entre le discours des enseignants sur la n6cessit6 d'une application rigou- reuse et constante du systbme d'encadrement et I'inconsistance de leur action en la matibre. En effet, l'application rigoureuse et constante du systeme est une option avantageuse a la condition que tous les autres acteurs mettent 6galement le systeme en application; dans le cas contraire, cette option est moins "payante" puisque l'investissement de l'enseignant d6passe largement les b6n6fices qu'il peut retirer. A prime abord, l'option la plus avantageuse, d'un point de vue individuel, serait de laisser les autres acteurs assumer la mise en application du systhme. Cette option offre la possibilit6 de participer aux b6nefices collectifs sans avoir ' en assumer les inconv6nients. Toutefois, si tous les enseignants optent pour cette possibilit6, le systeme sera 6ventuellement aboli entrainant du meme coup la perte des b6nefices. Cette option comporte donc un risque non

n6gligeable. En fait, toute la difficult6 vient du fait que l'efficacit6 de la strat6gie person-

nelle de l'enseignant est fonction de celle des autres acteurs et qu'il ne connait pas cette strat6gie. Meme s'il peut tenter de l'anticiper, il fait face a une incer- titude qui limite sa marge de manoeuvre et qui situe sa decision dans un contexte de rationalit6 limit6e. La strat6gie qui apparaft la plus logique dans les circon- stances consiste a faire une application irr6gulibre ou s61ective du systhme. Cette

strat6gie permet, au plan collectif, d'assurer la survie du systhme et, au plan individuel, de maximiser son investissement. En effet, en s'impliquant dans le

systeme, meme si c'est de faqon s61ective, l'enseignant s'assure du support de la direction, il se place a l'abri d'6ventuelles sanctions, il conserve une marge de manoeuvre qu'il peut utiliser pour faire preuve de souplesse dans ses rapports avec les e61ves et il contribue a la perp6tuation d'un systeme qui lui procure des

b6n6fices collectifs. Il y a donc un int6ret chez la plupart des enseignants A pr6server le systhme meme si son efficacit6 en regard des difficult6s qu'ils rencontrent en classe n'est pas toujours a la hauteur de leurs attentes.

Vue sous cet angle, la participation a l'encadrement apparaft comme une strat6gie s'inserant dans une structure de jeu qui r6alise l'int6gration et la

r6gulation des actions individuelles en assujettissant l'int6r&t de l'enseignant a r6duire son investissement personnel A la n6cessit6 de la survie du systhme.

L'EFFET CONTRE-INTUITIF DE L'ACTION COLLECTIVE

Ces observations sur la participation des enseignants a l'encadrement des el6ves pr6sentent des similitudes avec les travaux de Olson (1971) sur les effets contre- intuitifs de l'action collective. Selon cet auteur, lorsqu'une organisation produit des services collectifs, c'est-a-dire des services qui profitent A tous les membres d'un ensemble d'individus, bien que tous ces individus aient un int6r&t individuel

This content downloaded from 185.2.32.49 on Thu, 12 Jun 2014 14:45:36 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 15: La participation des enseignants du secondaire à l'encadrement des élèves: une analyse stratégique

346 DANIEL TURCOTTE

a la production de ces services, il n'est de l'int6r&t de personne de participer a cette production. Ils ont avantage a laisser les autres assumer les "coOts" de cette production puisque, de toute fagon, ils pourront ben6ficier de ses retomb6es qui sont collectives.

Toutefois, alors qu'Olson (1971) situe l'action collective dans un contexte relationnel "d'6tat de nature," pour employer le terme de Boudon (1977), con- texte ohi les acteurs ont la latitude de s'abstenir de considerer les effets de leur comportement sur autrui, la participation des enseignants s'inscrit davantage dans un contexte de "contrat" puisqu'ils ne peuvent se determiner sans consid6rer les effets de leur action sur le maintien du systeme d'encadrement. La survie du systeme constitue donc la principale contrainte a leur libert6 d'action. Des lors,

1' absence totale d'engagement n'est acceptable que si elle demeure le fait d'une

minorit6, auquel cas elle ne peut constituer une menace veritable pour la survie du systeme, ou si la plupart des enseignants n'ont pas int6ret a ce que le systeme d'encadrement soit maintenu. C'est pourquoi le mode de participation le plus r6pandu consiste A adopter une participation s61ective t6moignant ainsi de l'in- t6r&t des enseignants de pr6server le systeme d'encadrement mis en place dans leur 6cole.

CONCLUSION

Ce texte a propos6 une interpr6tation interactionniste de la participation des enseignants a l'encadrement des 61eves. Partant d'une vision de la participation comme 6tant une activit6 intentionnelle inscrite dans un contexte de rationalit6

limit6e, nous nous sommes efforc6s, i partir de donn6es recueillies aupres de quatre-vingts informateurs, de mettre en lumiere la dynamique dans laquelle s'inscrit cette participation en relevant, entre autres, les actions utilis6es par le

personnel de direction pour inciter les enseignants a s'engager dans l'encadre- ment et les sources de pouvoir a la base de la marge de libert6 des enseignants. Nos observations sur l'importance de cette marge de libert6 concordent celles avec d'autres ouvrages sur le sujet qui pr6sentent l'6cole comme un systeme a faible interd6pendance (Weick, 1976, 1982) ou comme une bureaucratie profes- sionnelle (Mintzberg, 1982).

Mais la participation a l'encadrement des 61dves ne constitue pas pour autant une action purement individuelle s'exerqant sans contrainte; elle s'inscrit dans une structure de jeu bas6e sur la n6cessit6 d'assurer la survie du systhme, struc- ture de jeu qui r6alise l'int6gration et la r6gularisation des actions individuelles des enseignants en posant la n6cessit6 d'un engagement minimal dans l'encadre- ment des 61eves.

Evidemment, l'optique adopt6e dans cette etude s'est limit6e a aborder la participation des enseignants sous l'angle de la mise en application du systeme formel d'encadrement des 61~ves, n6gligeant par le fait m~me les initiatives personnelles non r6f6r6es au systhme. Mais il faut garder i l'esprit que notre

This content downloaded from 185.2.32.49 on Thu, 12 Jun 2014 14:45:36 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 16: La participation des enseignants du secondaire à l'encadrement des élèves: une analyse stratégique

L'ENCADREMENT DES ELEVES 347

d6marche visait principalement a saisir la logique de la participation des ensei- gnants A un systeme d'action 6labor6 en vue d'une action collective. Par l'adop- tion d'une perspective interactionniste, la pr6sente 6tude a voulu se d6marquer de l'explication d6terministe v6hicul6e par les 6tudes ant6rieures sur la parti- cipation des enseignants a l'encadrement des 61eves. A cet 6gard, I'interpr6tation propos6e ici nous apparait apporter un 6clairage suppl6mentaire sur l'encadre- ment des 61eves tout en contribuant i enrichir la compr6hension de l'action collective au sein de l'organisation scolaire.

NOTE

Cette recherche a 6t6 r6alis6e avec l'aide financibre du fonds FCAR. L'auteur remercie M.

Louis-Philippe Boucher et M. Gilles A. Bonneau, professeurs A l'Universit6 du Qu6bec A Chicoutimi, pour leur encadrement dans la r6alisation de cette 6tude.

REFERENCES

Balthazar, L. et B61anger, J. (1989). L'dcole ditournde. Montr6al: Boreal.

Bernoux, P. (1985). La sociologie des organisations. Paris: Seuil.

Boivin, G. et Plante-Proulx, L. (1989). Les services d'encadrement et de surveillance a l' cole: guide d'orientation. Quebec: Gouvernement du Qu6bec.

Boudon, R. (1977). Effets pervers et ordre social. Paris: Presses Universitaires de France.

-Comit6 Catholique du Conseil Superieur de l'Iducation. (1989). L',cole

catholique: le ddfi de son

projet jducatif. Quebec: Ministare de l'ducation.

Conseil franco-qu6bdcois d'orientation pour la prospective et l'innovation en 6ducation [COPIE]. (1981). L'inadaptation scolaire (3 volumes). Qu6bec: Ministare

de l'Education.

Conseil patronal de n6gociation pour les commissions scolaires pour catholiques [CPNCC]. (1987). Entente intervenue entre le CPNCC et la CEQ: 1986-1988.

Conseil Suptrieur de I'Education. (1982). Vivre a l',cole

secondaire: un printemps d'embacles et

d'espoir. Quebec: Ministare

de l'iducation.

Crespo, M. et Cournoyer, M. (1978). IEcole polyvalente et inadaptation scolaire. Montr6al: Commission des Ecoles catholiques de Montr6al.

Crozier, M. (1964). Le phdnomtne bureaucratique. Paris: Seuil.

Crozier, M. et Friedberg, E. (1977). L'acteur et le systnme. Paris: Seuil.

Deslauriers, J. P. (1987). L'analyse en recherche qualitative. Cahiers de recherche sociologique, 5(2), 145-152.

Dion, L. (1972). Dynamique de la socit,

librale. Qu6bec: Presses de I'Universit6 Laval.

Dionne, G. (1986). L'encadrement et le suivi de l'616ve ... Comment? Dans Comit6 des 6tats g6ndraux, Les actes des

,tats gentraux sur la qualit6 de l'dducation: exposes des personnes- ressources (pp. 108-112). Qu6bec: Comit6 des 6tats g6n6raux.

Dupont, C. (1978). L'implication des enseignants au niveau secondaire dans les activits d'encadre- ment, de rdcupdration, de surveillance et de supervision d'activits

,tudiantes comprises dans leur

charge individuelle d'enseignement. Montr6al: ,cole

Nationale d'Administration publique.

Friedberg, E. (1972). L'analyse sociologique des organisations. Pour, 28, 11-97.

This content downloaded from 185.2.32.49 on Thu, 12 Jun 2014 14:45:36 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 17: La participation des enseignants du secondaire à l'encadrement des élèves: une analyse stratégique

348 DANIEL TURCOTTE

Hohl, J. (1985). Les milieux "socio-dconomiquemnent faibles" analyseurs de l'6cole. Dans M. Crespo et C. Lessard (dirs.), Education en milieu urbain (pp. 75-105). Montr6al: Presses de l'Universit6 de Montr6al.

Lincoln, Y. S. et Guba, E. G. (1985). Naturalistic inquiry. Beverly Hills, CA: Sage.

Lofland, J. ( 1971). Analyzing social setting: A guide to qualitative observation and analysis. Belmont, CA: Wadsworth.

Mintzberg, H. (1982). Structure et dynamique des organisations. Montreal: Agence d'Arc.

National Commission on Excellence in Education [NCEE]. (1983). A nation at risk. Washington, DC: NCEE.

Olson, M. (1971 ). The logic of collective action: Public goods and the theory of groups. Cambridge: Harvard University Press.

Silverman, D. (1973). La thdorie des organisations. Paris: Dunod.

Tesch, R. (1990). Qualitative research: Analysis types and software tools. New York: Falmer Press.

Th6roux, Y. L. (1986). L'encadrement et le suivi de l'616ve ... Comment?. Dans Comit6 des 6tats g6neraux, Les actes des Otats gindraux sur la qualitd de l'dducation: expos's des personnes ressources (pp. 121-123). Qudbec: Comit6 des 6tats g6n6raux.

Van der Maren, J. M. (1986). Questions sur les r6gles A partir d'analogies extremes: I'interpretation comme interface, traduction et divination. Dans J. M. Van der Maren (dir.), L'interprdtation des donnees dans la recherche qualitative (pp. 45-58). Montreal: Universit6 de Montreal.

Van der Maren, J. M. (1987). Mdthodes qualitatives de recherche en education. Montreal: C.I.R.A.D.E.

Watzlawick, P., Weakland, J. et Fisch, R. (1975). Changements, paradoxes et psychothe'rapie. Paris: Seuil.

Weick, K. E. (1976). Educational organisations as loosely coupled systems, Administrative Science

Quarterly, 21, 1-19.

Weick, K. E. (1982). Administering education in loosely coupled schools. Phi Delta Kappan, 63, 673-676.

Daniel Turcotte est professeur a I'cole de service social, Universit6 Laval, Cit6 universitaire, Ste-Foy, Qu6bec, G1K 7P4.

This content downloaded from 185.2.32.49 on Thu, 12 Jun 2014 14:45:36 PMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions