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– 3 – N° XXIII La pédagogie Montessori est-elle une bonne réponse à la crise éducative actuelle ? Anne-Célina Schmit et abbé Jacques Olivier, FSSP P lusieurs questions se posent alors. Comment arriver à instruire des enfants qui, eux, sont de moins en moins éduqués. Les enfants sont-ils faits pour l’école ou l’école est-elle faite pour eux ? Le coût élevé proposé par la plupart des structures alternatives est-t-il toujours le gage d’un enseignement de qualité ? Peut-on être certain d’avoir un retour sur investissement ? Lancinantes questions qui taraudent les parents aujourd’hui, plus que jamais. Une femme touche à tout en rupture avec son époque Maria Montessori a développé sa pé- dagogie au tout début du XX e siècle, en s’appuyant sur son expérience de médecin et d’anthropologue. Elle va bouleverser les perspectives et les paradigmes de l’époque, en tant que femme, scientifique et féministe engagée. Ses premiers travaux vont porter sur l’accueil et les apprentissages chez les enfants et adultes malades mentaux internés. Depuis de nombreuses années, les mauvaises performances des élèves aux tests PISA pointent du doigt l’incapacité de notre système scolaire à relever un niveau d’études en berne. Un certain nombre de familles, catholiques ou pas, choisissent chaque année de quitter les structures d’enseignement classiques. Parmi les alternatives proposées, les écoles Montessori connaissent un fort engouement, notamment depuis le début des années 80 et la redécouverte de l’œuvre de Maria Montessori.

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– 2 – – 3 – N° XXIIITU ES PETRUS

ÉDITORIAL

Fidélité, enfi n, à la doctrine de saint Thomas d’Aquin que l’Église couvre de son autorité et dont elle se sert comme d’un instrument de choix, de telle sorte que, autant et plus que ses autres grands docteurs, il prolonge en quelque sorte son Magistère [2].

Dans le District de France, le charisme propre de la Fraternité Saint-Pierre, hérité de ce triple attachement, a d’abord pu s’exercer dans des apostolats de type pa-roissial comme à Lyon, Perpignan, Grenoble ou encore au Port-Marly. En France, durant une vingtaine d’années, c’est donc essentiellement par des ministères de type paroissial que la Fraternité Saint-Pierre s’est développée, en recevant des mis-sions dans différents diocèses. Mais dès 2006, les apostolats dans les écoles libres ont commencé à se multiplier, soit à travers l’accompagnement d’établissements existants, soit par la fondation de nouvelles écoles. Ce nouveau type de ministère, que les constitutions de notre Fraternité sacerdotale prévoient et encouragent, a permis un rayonnement supérieur de notre congrégation en venant en aide aux familles catholiques confrontées à la crise de l’enseignement et de la transmission. Aujourd’hui, la Fraternité Saint-Pierre est présente, en France, dans une vingtaine d’établissements et près de la moitié des prêtres interviennent régulièrement dans une école. Il s’agit d’un nouveau champ apostolique dans lequel notre Fraternité tâche de s’investir de son mieux en mettant au point de nouveaux outils comme la fondation abritée Kephas ou, plus récemment, le fonds de dotation Œuvres de la Fraternité Saint-Pierre. Mais, pour essentielle qu’elle soit, il ne s’agit pas seulement d’aider à la formation humaine et chrétienne de la jeune génération, il faut aussi accompagner nos aînés en leur permettant de vivre dans la proximité du Seigneur, de manière habituelle, à travers le ministère du prêtre. Aussi, dans ce but, la Fra-ternité Saint-Pierre accompagne-t-elle la création d’une résidence Senior (la rési-dence Saint-Benoît), à Semur-en-Auxois (21) dans le diocèse de Dijon, qui ouvrira ses portes vers la fi n de l’année 2020.

Mais que ce soit dans les apostolats de type paroissial, dans les écoles ou auprès des personnes âgées, le ministère des prêtres de la Fraternité Saint-Pierre demeure marqué par ce triple attachement, au Successeur de Pierre, à la forme extraordi-naire du rit romain et à la doctrine de saint Thomas d’Aquin, qui lui donne une couleur propre. Daigne saint Pierre continuer de veiller sur notre Fraternité sacer-dotale, pour la sanctifi cation de ses membres et la fécondité de son apostolat ! ■

La pédagogie Montessori est-elle une bonne réponse

à la crise éducative actuelle ?Anne-Célina Schmit et abbé Jacques Olivier, FSSP

Plusieurs questions se posent alors. Comment arriver à instruire des enfants qui, eux, sont de moins en

moins éduqués. Les enfants sont-ils faits pour l’école ou l’école est-elle faite pour eux ? Le coût élevé proposé par la plupart des structures alternatives est-t-il toujours le gage d’un enseignement de qualité ? Peut-on être certain d’avoir un retour sur investissement ? Lancinantes questions qui taraudent les parents aujourd’hui, plus que jamais.

Une femme touche à tout en rupture avec son époque

Maria Montessori a développé sa pé-dagogie au tout début du XXe siècle, en s’appuyant sur son expérience de médecin et d’anthropologue. Elle va bouleverser les perspectives et les paradigmes de l’époque, en tant que femme, scientifi que et féministe engagée. Ses premiers travaux vont porter sur l’accueil et les apprentissages chez les enfants et adultes malades mentaux internés.

DIEU SOUVERAIN

– 2 –TU ES PETRUS

Depuis de nombreuses années, les mauvaises performances des élèves aux tests PISA pointent du doigt l’incapacité de notre système scolaire à relever un niveau d’études en berne. Un certain nombre de familles, catholiques ou pas, choisissent chaque année de quitter les structures d’enseignement classiques.

Parmi les alternatives proposées, les écoles Montessori connaissent un fort engouement, notamment depuis le début des années 80

et la redécouverte de l’œuvre de Maria Montessori.

2.– Paul VI, Lumen Ecclesiæ n° 22.

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– 4 – – 5 – N° XXIIITU ES PETRUS

Nous sommes en 1896, elle a 26 ans. Maria Montessori, une des toutes premières femmes médecin en Italie, participe activement à la campagne menée en faveur des droits politiques et so-ciaux des femmes et représente son pays, au congrès international pour les droits de la femme à Berlin. L’année suivante, elle ob-tient un poste dans la clinique psychiatrique de l’Université de Rome. Côtoyer des dé-fi cients mentaux la pousse à réfl échir et à agir en faveur des enfants. Elle a dans l’idée que des solutions peuvent être trouvées, ne nécessitant pas obligatoirement le recours à la médication, mais en explorant le champ éducatif.

Cette approche est novatrice. Elle va complètement bouleverser toute la métho-dologie de la prise en charge de ses jeunes patients malades mentaux. En effet, il va s’agir de placer l’enfant au cœur des ap-prentissages, et développer du matériel spé-cifi que en s’appuyant sur celui qui existe déjà en faveur des défi cients sensoriels (lettres rugueuses, etc.). Les enfants qui se trouvent sous sa responsabilité vont rapi-dement apprendre à lire, à écrire et même réussir les examens scolaires, tout comme les élèves des classes ordinaires. Elle se pose alors la question de faire partager le fruit de ses travaux et d’en faire bénéfi cier tous les enfants. Et plus seulement les dé-fi cients.

En 1907, dans la première Casa dei Bambini située dans un quartier pauvre de

Rome, elle a la charge d’enfants âgés de 3 à 6-7 ans. Maria Mon-tessori va y créer un la-boratoire de recherche

pédagogique où elle y développera sa pé-dagogie au fi l de ses découvertes, avec un environnement préparé, selon sa volonté d’un endroit idéal où l’enfant est libre dans le choix de l’activité et le matériel autocor-rectif, son attention étant focalisée unique-ment sur l’objet de l’apprentissage sans être parasitée par d’inutiles stimuli. Ici, l’ensei-gnante idéale est incarnée par une “mère sociale [1]” qui agira au travers des familles, rendant sa gestion scientifi que.

En 1937, elle proposera la fondation du Parti Social de l’Enfant [2]. Maria Montes-sori envisage la réforme éducative comme un véritable rempart permettant d’assurer à tout enfant un avenir meilleur, après les deux confl its mondiaux. Cette responsa-bilité sociale et sociétale se trouve fondée sur l’éducation. Il s’agit selon elle de “la seule façon de bâtir un monde nouveau et de construire la paix [3]”. Maria Montes-sori meurt en 1952, à l’âge de 81 ans, aux Pays-Bas.

Pédagogie ou philosophie de l’apprentissage ?

Maria Montessori, au sein de ses maisons pour enfants, découvre “l’enfant et son se-cret”, pour reprendre son expression. En situation d’apprentissage, l’enfant a toute la confi ance de l’adulte qui lui laisse le libre arbitre dans le choix des activités, des mani-

pulations, répétitions à l’envi ou autant que nécessaire, le tout lors de longs moments de concentration. C’est ain-si que l’enfant doit devenir plus calme, plus posé, et respecter le travail de ses camarades, sans heurts ni di-visions ; cet état de fait doit se prolonger jusque dans la sphère familiale ou l’harmo-nie et l’unité doivent ainsi prévaloir.

L’enfant absorbe tout, pouvant ainsi fa-cilement construire sa personnalité en rap-port avec les possibilités, par son environ-nement et son milieu. Cette construction se manifeste lors de périodes dites sensibles pendant lesquelles l’enfant apprend d’un aspect précis de son environnement. Selon Maria Montessori, l’enfant traverserait ain-si six périodes sensibles de la naissance à ses six ans environ : l’ordre, le mouvement, le langage, le raffi nement sensoriel, le développement social, les petits objets. Un plan de développement doit être adapté à chaque enfant, celui-ci ayant ses propres besoins, spéci-fi ques, au regard de celui des autres enfants. Chaque enfant est unique, il en va de même de sa progression dans les apprentissages.

Pour que le milieu des apprentissages soit le plus effi cient, il s’agit de pousser les limites du concept d’environnement de l’apprentissage au-delà de la simple salle de classe, telle qu’elle est traditionnellement pensée et organisée. Tout est réfl échi pour que tous les moyens mis en œuvre puissent pousser l’enfant à entrer au maximum de ses possibilités dans les apprentissages, que

ce soit sur le plan matériel, la place de chacun, les liens qui sous-tendent les rela-tions à l’intérieur du groupe et avec les adultes. Tout doit pouvoir encourager l’acti-vité autonome de chaque enfant, tout en respectant la progression des périodes sensibles. Tout le matériel Montessori

est ainsi pensé et conçu dans la perspective de laisser la liberté à chaque enfant d’explo-rer le monde, pour s’en saisir et construire sa personnalité. Les activités se subdivisent en quatre aires matérielles : la vie pratique, le sensoriel, le langage et les mathéma-tiques. Le matériel permet un autocontrôle grâce à l’autocorrection, au gré des périodes sensibles.

Pourtant, la pédagogie dite “Montessori” est indissociable de la personne qu’était

Maria Montessori, de son parcours professionnel et de ses expériences auprès des enfants, dans un contexte so-cio-historique donné. Cette

pédagogie ne se résume pas à un ensemble d’outils et de techniques. C’est avant tout une philosophie, une manière de percevoir l’enfant en le considérant comme l’acteur de sa propre construction et sur laquelle re-pose toute la richesse de la démarche mise en œuvre par les éducateurs. L’objectif de l’éducation est alors de permettre le déve-loppement et l’expression du potentiel de chaque enfant individuellement, grâce à un environnement approprié tout en respectant sa personnalité en construction. Ainsi, l’es-sentiel de l’éducation Montessori repose

LA PÉDAGOGIE MONTESSORIÉDUCATION

Féministe engagée et médecin, Maria Montessori bouleverse complètement

la méthode de prise en charge des jeunes patients malades mentaux.

1.– R.N. WELCH, Vital subjects. Race and biopolitics in Italy, 1860-1920, Liverpool University Press, 2016.2.– https://www.montessori-france.asso.fr/page/167406-maria-montessori-et-sa-vision-de-l-enfant3.– M. MONTESSORI, Le citoyen oublié, Inde, 1947.

Maria Montessori, de son parcours professionnel et de

enfants, dans un contexte so-cio-historique donné. Cette

La pédagogie dite “Montessori”est indissociable d’une personne

et d’un contexte.

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sur la liberté d’apprentissage et la liberté de l’enfant dans le processus d’acquisition des connaissances.

Une femme entre ombre et lumièreSi la pédagogie Montessori est très en

vogue et si sa mise en application peut en-thousiasmer à la fois les enseignants et les parents, la philosophie sur laquelle elle s’appuie nécessite d’être sondée, éprouvée sur les plans idéologique, spirituel et épis-témologique.

Ses fondements qui, pour leur caractère novateur en leur temps, ont véritablement bouleversé l’approche de la pédagogie de l’enfant, ont pourtant besoin d’être clarifi és au regard des attentes actuelles de l’éduca-tion et des parents qui veulent qu’un ensei-gnement sain soit autant que possible dis-pensé à leurs enfants. Des critiques récentes ont été portées par certains auteurs qui do-cumentent les relations équivoques entre-tenues avec le régime fasciste, mais aussi avec les milieux théosophiques. D’autres critiques questionnent, par ailleurs, le bien-fondé scientifi que de la méthode. De-puis la fi n des années 70, de nombreux au-teurs se sont intéressés à la vie et à l’œuvre de Maria Montessori, soit de manière très hagiographique soit au contraire de façon extrêmement critique.

Tous ses biographes affi rment faire face à la diffi culté de ne pouvoir travailler qu’à partir de sources essentiellement maté-rielles [4] et de témoignages de proches ou

d’archives provenant des associations Mon-tessori internationales ce qui constitue un véritable défi à relever. Les sources de pre-mière main représenteraient moins de neuf pour cent des références.[5]

Une relation à la spiritualité très erratique car faite de ruptures

Maria Montessori raconte que, pour fa-ciliter son accès à la faculté de médecine, elle “aurait fait appel au Pape et que c’était grâce à son intervention et en son nom qu’elle avait été autorisée à étudier la médecine [6].” Une des rares approches biographiques [7] de Montessori considère la Dottoressa sous l’angle de la religion et des mouvements initiatiques. Ainsi, lors-qu’elle s’inscrit à la faculté de médecine de Rome, bon nombre de ses enseignants sont progressistes, libéraux et francs-maçons, comme par exemple le ministre Baccelli, qui l’aidera à affronter les “vicissitudes pro-fessionnelles et académiques” de sa condi-tion de femme dans une université presque exclusivement masculine. Montessori à ce moment-là est très engagée dans le fémi-nisme libéral. Elle développe une concep-tion de la science et de l’éducation particu-lièrement proche de la pensée maçonnique. Par ailleurs, en cette fi n de XIXe siècle, “la franc-maçonnerie considère désormais que l’alphabétisation est le meilleur moyen de combattre l’infl uence cléricale” [8]. Dans cette mouvance, le maire de Rome, Ernesto Nathan, Grand Maître du Grand Orient

d’Italie deviendra un promoteur convaincu de la pédagogie Montessori et de la Casa dei Bambini.

En 1899, Maria Montessori intègre la Société Théosophique, “basée sur une re-ligiosité rationaliste avec un fort penchant pour l’action sociale et l’éducation des enfants, une organisation secrète dans la-quelle les femmes avaient des responsabi-lités décisionnelles” (ibid., p. 241). La So-ciété Théosophique a donc été fondée par Helena Blavatsky, sataniste russe, en 1875, dans le but annoncé de réconcilier science et théologie [9]. Les opinions au sujet de Blavatsky sont très contrastées. Les théo-sophistes voient en elle un médium inspi-ré, guidée par sa communication mentale avec les Maîtres de la Sagesse tibétains, matérialisée par des lettres “précipitées” de façon paranormale au moyen de processus psychiques. Ces maîtres [10] qui l’auraient

LA PÉDAGOGIE MONTESSORIÉDUCATION

inspirée lui auraient enseigné comment développer ses facultés lors de retraites spirituelles dans l’Himalaya [11]. Le nom de Blavatsky revient très régulièrement à côté de celui de Maria Montessori. Ma-çonnerie et sectes secrètes : le côté caché de l’histoire dit ainsi (p. 58-59) : “Maria Montessori fut fondatrice de la méthode didactique qui porte son nom et qui fut propagée par la Société Théosophique de Helena Petrovna Blavatsky, société à la-quelle Maria Montessori appartenait” [12]. Cette société illuministe, sous le prétexte d’une connaissance universelle et exclu-sive, brasse tous les thèmes lucifériens. Il suffi t de relire l’objectif déclaré de la So-ciété qui est “d’effacer le Christianisme de la face de la terre… de chasser Dieu des Cieux” [13] en arrivant même à nier l’his-toricité de Jésus-Christ. Rudolf Steiner [14], autre célèbre pédagogue, promulgue, quant

4.– R. KRAMER, Maria Montessori A Biography, New-York, Diversion Books, 1976.5.– J.K. SMITH, Montessori revisited. Educational Studies, 8(2), 1970, p. 163-174.6.– R. KRAMER, Maria Montessori A Biography, New-York, Diversion Books, 1976, p. 40. 7.– R. FOSCHUI, Science and culture around the Montessori's fi rst “Children Houses” in Rome (1907 -

1915). Journal of the History of the Behavioral Sciences, 2008, p. 238-257.8.– M OSTENC, L’histoire de l’éducation en Italie. Bulletin critique. Histoire de l’éducation, 1994, p. 3-39.

9.– C. J. RYAN, HP Blavatsky and the theosophical movement A brief historical sketch. Pasadena (Cal), Theosophical University Pr., 1937/1975.

10.– O. HAMMER, M. ROTHSTEIN, Handbook of the theosophical current. Leyden – Boston, Brill., 201311.– R. GUÉNON, Le théosophisme, histoire d’une pseudo-religion, Paris, Les Éditions Traditionnelles, 192112.– Note 82, citée par R. GUÉNON, dans Il Theosophismo, éditions Arktos, 1987, vol. II, p. 281.13.– R. GUÉNON, op. cit, vol I, p. 13 et suivantes.14.– EPIPHANIUS, Maçonnerie et sectes secrètes : le côté caché de l'histoire, Publications du “Courrier de

Rome”, 2005, p. 173.

Helena Blavatsky, sataniste russe (1831-1891)Rudolf Steiner, occultiste autrichien

(1861-1927)

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LA PÉDAGOGIE MONTESSORIÉDUCATION

à lui, une pédagogie de l’anthroposophie, doctrine ésotérique ; secrétaire général de la Société Théosophique en Allemagne et qu’en 1903, il fonde une revue intitulée Lu-cifer, qui deviendra Lucifer-Gnosis l’année suivante. Le nom de Steiner est lui aussi très souvent évoqué avec celui de Montessori.

Il est possible que dans ce contexte, la perspective de rapprocher une perspective épistémologique de la spiritualité ait pu in-fl uencer la pédagogie scientifi que de Mon-tessori. En effet, celle-ci va rejoindre Annie Besant qui dirige la Société Théosophique. Présentée comme une militante féministe socialiste, cette dernière cofonde en 1893 l’ordre maçonnique The Order of Univer-sal Co-Freemasonry. À la mort d’Héléna Blavatsky, elle établira le siège de la Socié-

té Théosophique à Adyar, près de Chennai (Madras) en Inde où elle sera rejointe par Montessori en 1939.

En France, la première Maison des en-fants ouvre en octobre 1911 à Paris, près du Champ de Mars. Elle est créée par Mme Pujol, qui a “fréquenté les écoles italiennes et y a travaillé sous la direction de la doctoresse Montessori” [15]. Elle rédige en 1911, un ouvrage intitulé Jardins d’enfants – Pro-gramme général (Méthode Montessori) [16] qui est publié par la branche parisienne de la Société théosophique, que dirige au plan international l’anglaise Annie Besant depuis le décès, en 1891, de sa fondatrice, Helena Blavatsky. Nous entrevoyons ici le rôle que joue la théosophie dans l’établis-sement du mouvement de l’Éducation nou-velle, qui se développe, par la suite, à tra-vers notamment Béatrice Ensor, théosophe, fondatrice de la New Education Fellows-hip, et co-organisatrice en 1921 du congrès d’éducation tenu à Calais où est fondée la Ligue internationale de l’éducation nou-velle [17]. Les jardins d’enfants deviennent les lieux où vont se développer les théories de Maria Montessori, mais aussi d’autres pédagogues qui participent au renouveau de l’éducation.

Montessori, animée par son indépendance et son esprit d’initiative, veut développer une pédagogie scientifi que et souhaite se séparer des promoteurs immobiliers, qui lui ont permis de lancer la première Casa dei

Bambini. Elle les juge trop préoccupés par des visées philanthro-piques et par l’intérêt de leurs actionnaires pour continuer à uti-liser ses méthodes. Nous sommes en 1909, une nouvelle étape est franchie dans la dé-marche spirituelle de Montessori. Elle passe en quelques semaines d’une science libérale à une science religieuse en se rapprochant des cercles catholiques et vers 1910, un retour vers la foi chrétienne l’anime à nou-veau, l’éloignant, au moins provisoirement, des spéculations théosophiques. Elle débute avec ses plus proches collaboratrices un cours de doctrine catholique pour les no-vices des Missionnaires Franciscaines de Marie [18]. Le projet pédagogique inclut une profession de foi catholique et des devoirs moraux et intellectuels que doivent possé-der les enseignantes. C’est à cette époque que les moments de prière sont incorporés dans les activités de la Casa dei Bambini de la congrégation. Montessori publiera trois livres de pédagogie dans lesquels elle dé-fend la nécessité d’une éducation religieuse catholique pour les enfants. [19]

Hélène Lubienska de Lenval, après l’avoir rencontrée, va devenir un trait d’union entre la pédagogie Montessori et l’œuvre du Père Pierre Faure [20], s.j. Il est à l’origine de nombreuses réalisations, écoles et centres de formation pédago-gique un peu partout dans le monde, se ré-

férant à la pédagogie des Écoles Nouvelles. Dans une approche de l’enfant, plus las-

sallienne qu’ignacienne, indépendant et “homme libre”, il cherche à dépasser les confl its et les tensions [21] avec Montes-sori. Selon lui, l’accent doit être mis sur la structuration de la journée via l’introduc-tion de programmations, de plans de tra-vail et de temps de mise en commun. Cela doit permettre de réguler la liberté laissée aux élèves. Un enseignement à la fois per-sonnalisé et communautaire. “Si je m’ap-puie sur la technique montessorienne, c’est que je dois à la grande Doctoresse tout autant qu’elle devait à Séguin. Mais je n’appartiens pas à l’orthodoxie établie par la société Montessori internationale. Ma pédagogie, non seulement spiritua-

Dans une approche

En quelques temps, un projet pédagogique mûri dans la proximité de la théosophie passe d’une science libérale à une science religieuse.

15.– M. L. PUJOL, Groupe de Paris. La Femme, 7-8, Paris, Union nationale française des amis de la jeune fi lle, 1912, p. 113.

16.– M. L. PUJOL, Jardins d’enfants – Programme général. (Méthode Montessori), Paris, Société théoso-phique, 1911.

17.– A. SAVOYE, J-F. CONDETTE, “Le congrès d’éducation de Calais (1921), acte fondateur de l’interna-tionalisation de l’éducation nouvelle”, Symposium “Savoir savant, savoir militant : la circulation des idées sur l’éducation (1920-1980)”, ISCHE, Genève, juin 2012.

Annie Besant, théosophe britannique (1847-1933)

18.– S. FRANC, “Montessori et la Casa dei Bambini”. Dimensions idéologique, épistémologique et spiri-tuelle de la méthode”, Tréma, 2018.

19.– M. MONTESSORI, L’enfant dans l’église, 1929 ; La messe vécue pour les enfants,1933 ; L’éducation religieuse, la vie en Jésus-Christ, 1936.

20.– P. FAURE, Précurseurs et témoins d’un enseignement personnalisé et communautaire, Tournai, Cas-terman, Coll. Orientations, 1979.

21.– P. FAURE, L’École et la Cité, Paris, Spes, 1945 ; Au Siècle de l’Enfant, Paris, Mame, 1958.

P. Pierre Faure, jésuite français (1904-1988) : une visitation résolument catholique des atouts de la méthode

Montessori.

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– 10 – – 11 – N° XXIIITU ES PETRUS

ÉDUCATION LA PÉDAGOGIE MONTESSORI

28.– S. DEHÆNE, Apprendre ! Les talents du cerveau, le défi des machines, Odile Jacob, 2018 ; Apprendre à lire : Des sciences cognitives à la salle de classe, Odile Jacob, 2011 ; Le Cerveau en action : l’ima-gerie cérébrale en psychologie cognitive, Presses Universitaires de France, Paris, 1997. R. SPERRY, Mind-brain interaction: mentalism, yes; dualism, no. R.W. SPERRY. Neuroscience 5: 195-206 (1980). Reprinted in Commentaries in the Neurosciences. A.D. SMITH, R. LLANAS AND P.G. KOSTYUK (Eds.), Oxford: Pergamon Press, pp. 651-662, 1980, Science and moral priority: merging mind, brain and human values. R.W. SPERRY. Vol. 4 of Convergence, (Ser. ed. Ruth Anshen) New York : Columbia University Press, 1982. R. Kolinsky, J. Morais, L. Cohen, S. Dehæne, Les bases neurales de l'appren-tissage de la lecture, Langue française, (3) : 17--33, 2018. F. RAMUS, Neuroéducation et neuropsycha-nalyse : du neuroenchantement aux neurofoutaises. Intellectica 2019, 69, 289-301.

29.– Ecclésiaste 1, 9-12.

liste, mais nettement catholique, s’inspire directement de la Liturgie et de la tradition monastique. La méthode Montessori me sert d’instrument [22]”. Hélène Lubienska fera rayonner sa vision novatrice de la catéchèse, tout en incarnant toujours les principes chers au Père Faure, le respect du rythme et du développement de l’enfant et de son besoin d’action, toute pédagogie relevant d’une spiritualité, d’une métaphy-sique. Aujourd’hui il en existe un nouveau développement diffusé notamment grâce à Sofi a Cavaletti [23] et la Catéchèse du bon Berger. [24]

Mais à nouveau une rupture va survenir, cette fois entre Montessori et le Père Faure incarnant, selon elle, le monde catholique qu’elle va à nouveau rejeter, le Jésuite ne comprenant pas la place excessive don-née à l’indépendance et la liberté de l’en-fant. C’est pendant cette période faite de

continuités et de ruptures [25], construite sur une suite d’avancées à la fois erratiques et signifi catives de la méthode, associée à des ten-sions confl ictuelles, que Maria Montessori sera reconnue au plan international.

Son mode de pensée basé sur la relation cosmique est particulière-ment perceptible dans ses écrits. En se référant au deuxième stade

de développement théorisé par Montessori (6-12 ans), basé sur l’abstraction et la mora-lité, on peut lire que “l’éducation cosmique” a pour but de faire prendre conscience à l’enfant de sa “tâche cosmique” :

“C’est ici que l’héritage culturel per-sonnel de Montessori, d’abord en tant que catholique romaine et plus tard comme adepte de la Théosophie [26] est le plus évident. […] Montessori a structuré le tra-vail [de l’enfant] à la fois comme la ma-nifestation extérieure d’un système moral régi par la vertu et les moyens intérieurs de parvenir à une vie vertueuse”. [27]

Quelques jugements prudentiels en guise de conclusion : La pédagogie “Montessori” est très ri-

gide. – Maria Montessori exige que les enseignants ne soient formés que par elle et que les écoles Montessori n’utilisent

22.– H. LUBIENSKA DE LENVAL, Ma pédagogie en tant qu’orientation, Archives du Conseil général des sœurs de Notre-Dame de Sion, Rome, 1953.

23.– S. CAVALETTI, Le potentiel religieux de l’enfant de 3 à 6 ans, Artège, 2017 ; Le potentiel religieux de l’enfant de 6 à 12 ans, Artège, 2016.

24.– S. CAVALLETTI, P. COULTER, G. GOBBI, S. Q. MONTANARO, M.D., R ROJCEWICZ, The Good Shepherd and the Child : A Joyful Journey, Revised and Updated, Liturgy Training Publications, 2007.

25.– C.M. TRUDEAU, The Emergence of Cosmic Education. Montessori LIFE, Spring, 2002.26.– KRAMER, 1976, p. 341-345.27.– J.M. COSSENTINO, Big Work : Goodness, Vocation, and Engagement in the Montessori Method, Cur-

riculum Inquiry, 36, 2006, p. 63-92.

que le matériel et les exercices qu’elle a imaginés, sans rien y changer. Elle pas-sera d’ailleurs plus de temps et d’énergie à défendre ses idées contre les améliora-tions proposées par ses disciples qu’à se défendre contre ses détracteurs.

La pédagogie “Montessori” est très ho-rizontale. – Au risque de caricaturer, on peut craindre que cette pédagogie qui semble s’apparenter à celle d’un “en-fant-roi” ne fonctionne que pour les en-fants doués, ou bien pour les défi cients. En revanche, pour les autres, qui repré-sentent la très grande majorité, elle re-présente un réel inconvénient car il faut attendre de l’enfant qu’il veuille bien don-ner de lui-même l’envie d’apprendre, sans le contraindre à un rythme commun. Elle peut ainsi sembler trop débonnaire car

trop permissive. L’école peut-elle se per-mettre d’attendre des années pour qu’un enfant apprenne à lire et calculer, et juste, travailler, sous prétexte qu’il faudrait at-tendre qu’il ait le déclic, et même risquer qu’il ne l’ait jamais ? Les contraintes de la vie en communauté ne restent-elles pas utiles à l’apprentissage des règles de sa-voir-vivre ?

La pédagogie “Montessori” est trop simpliste. – Les études les plus récentes faisant autorité [28] dans le domaine des neurosciences, mettent en évidence des vi-sions bien plus complètes que l’approche didactique voulue par Montessori. Elles tendent à promouvoir un apprentissage très progressif, logique et rigoureux en général, qui était celui des méthodes traditionnelles bien avant Montessori. Mais nous n’en se-rons pas tout à fait étonnés, car déjà, en son temps, l’Ecclésiaste affi rmait :“Ce qui a été, c’est ce qui sera, et ce qui

s’est fait, c’est ce qui se fera, il n’y a rien de nouveau sous le soleil. S’il est une chose dont on dise : Vois ceci, c’est nouveau ! Cette chose existait déjà dans les siècles qui nous ont précédés. On ne se souvient pas de ce qui est ancien ; et ce qui arrivera dans la suite ne laissera pas de souvenir chez ceux qui vivront plus tard.” [29] ■

La pédagogie “Montessori” peut ainsi sembler trop débonnaire car trop permissive.