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Université de Lyon Université lumière Lyon 2 Institut d'Études Politiques de Lyon La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation Bonnard Camille Mémoire de Master 1 Politiques, Sociétés et Gouvernances Urbaines Sous la direction de Pinson Gilles (Soutenu le 03-09-2012)

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Université de LyonUniversité lumière Lyon 2

Institut d'Études Politiques de Lyon

La politique de la petite enfance àVénissieux : entre standardisation etdifférenciation

Bonnard CamilleMémoire de Master 1

Politiques, Sociétés et Gouvernances UrbainesSous la direction de Pinson Gilles

(Soutenu le 03-09-2012)

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Table des matièresRemerciements . . 5Introduction . . 6I.Une politique mise en œuvre par des acteurs multiples sur un territoire aux enjeuxspécifiques . . 16

A.Les acteurs de la petite enfance à Vénissieux . . 161. Le service Petite Enfance de la mairie de Vénissieux . . 162. Les partenaires non municipaux . . 18

B.Une population et un territoire particuliers . . 201. Une population jeune et précaire . . 212. L’hétérogénéité du territoire vénissian . . 22

C.Les objectifs de la politique de la petite enfance . . 241. Le projet social du service Petite Enfance de Vénissieux . . 242. Un investissement social dans la petite enfance . . 263. Un moyen de favoriser l’insertion professionnelle et sociale . . 27

II. Une politique s’inscrivant dans une certaine standardisation de l’action publique locale . . 31

A.Les évolutions récentes du cadre législatif : optimisation ou rationalisation ? . . 31

1. Le décret du 1er août 200086 . . 31

2. La circulaire du 31 janvier 2002 : la mise en place de la PSU89 . . 32

3. Le décret du 20 février 200791 . . 33

4. Le décret du 7 juin 201093 . . 33

5. La directive européenne « services » du 12 décembre 200696 . . 34B.La standardisation des pratiques et des procédures . . 35

1. Une définition particulière de la qualité . . 362. Les exigences liées à l’amélioration de la qualité . . 383. Les exigences de la CAF . . 39

C.Territorialisation et gouvernance : la petite enfance au cœur des enjeux actuels despolitiques publiques . . 42

1.La territorialisation de la politique de la petite enfance . . 422. Le poste de coordinateur enfance jeunesse : une illustration de la territorialisationet de la transversalité . . 443. Les partenariats et les problèmes de gouvernance . . 47

III. Une politique différenciée préservant une identité singulière . . 53A.Une différenciation induite par l’adaptation aux spécificités du terrain et de sa population. . 53

1.Une diversification des modes d’accueil qui reste limitée . . 532. Une diversité du public accueilli . . 553.Une population aux attentes singulières et élevées . . 57

B.La différenciation volontaire des politiques nationales . . 601. La critique des politiques nationales par les professionnels de terrain . . 602. La critique des politiques nationales par les élus . . 63

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3. La conservation de pratiques et de règles spécifiques à la ville . . 64C.Le projet global « Enfant Phare » : une autre approche de la qualité . . 67

1. Le constat d’un certain cloisonnement . . 672. L’adoption d’un « regard global » et d’un discours du « faire sens » . . 683. Les limites de la démarche . . 71

Conclusion . . 75Bibliographie . . 79

Ouvrages . . 79Articles . . 80Rapports . . 81

Documents internes du service Petite Enfance de la mairie de Vénissieux . . 81Textes juridiques . . 82Ressources en ligne . . 82

Annexes . . 84Annexe 1 : Liste des abréviations utilisées . . 84Annexe 2 : Liste des entretiens réalisés . . 84

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Remerciements

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RemerciementsJe remercie Gilles Pinson pour son accompagnement dans la réalisation de ce mémoire, ainsi queGwenola Le Naour pour avoir accepté de participer à ma soutenance.

Je remercie également toutes les personnes que j’ai rencontrées à Vénissieux et qui m’ontaidée dans mes recherches, notamment toutes celles qui ont accepté de répondre à mes questionslors d’entretiens : Mesdames Ruiz, Henner, Champmartin, Neri, et Messieurs Naton, Damblin etBély. Je suis reconnaissante à Mme Picard, maire de Vénissieux, de m’avoir accordé un momentde son temps lors de notre échange.

Un merci particulier à Victorine Margerit, ma tutrice lors de mon stage au service Enfance- Petite Enfance de la ville de Vénissieux, qui m’a donné envie d’écrire ce mémoire et qui s’esttoujours rendue très disponible pour m’aider.

Enfin, je remercie ma famille et mes amis pour leurs encouragements et leur soutien, ainsi quepour les échanges que nous avons pu avoir qui ont enrichi ma réflexion.

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La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation

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Introduction

« Ouvrir 300 000 nouvelles places en crèche », « Atteindre 100 000 places de crèchesupplémentaires en cinq ans », « Création d'un service public de la petite enfance », « Droit àla scolarité dès 2 ans »1. A l’exception de François Bayrou et Marine Le Pen, les candidats àl’élection présidentielle de 2012 ont tous développé dans leur programme un axe concernantles modes de garde pour la petite enfance. Nathalie Arthaud, François Hollande, Eva Jolyet Philippe Poutou proposaient par exemple la mise en place d’un service public de la petiteenfance, tandis que Jean-Luc Mélenchon souhaitait ouvrir 500 000 places supplémentairesd’accueil en crèche, et Nicolas Sarkozy 200 000 nouvelles places de garde d’enfants.

Bien que la petite enfance n’ait pas été un thème central de la campagne électorale,ces propositions montrent combien cette problématique est désormais intégrée dans lesprogrammes politiques. L’accueil des jeunes enfants est en effet une condition sine quanon du dynamisme démographique et de l’emploi des femmes, qui sont de plus en plusnombreuses à faire garder leur enfant pour pouvoir travailler. Ainsi, l’Unicef relève dansun rapport de 2008 sur la garde et l’éducation de l’enfant que « la génération montanted’aujourd’hui, dans les pays de l’OCDE, est la première dont les enfants passent une grandepartie de leurs premières années non dans leur propre foyer avec leur propre famille maisdans quelque structure de garde d’enfant »2. La petite enfance est par conséquent devenueun champ actif de la recherche, mais aussi de l’analyse et de l’évaluation des politiquespubliques.

Mon intérêt pour la politique de la petite enfance provient d’un stage que j’ai effectuéau sein du service Enfance-Petite Enfance de la ville de Vénissieux au mois de juin 2011.Ce stage a été l’occasion pour moi de découvrir la construction de cette politique, samise en œuvre par les différents partenaires et les enjeux qui la sous-tendent. J’ai ainsipu m’entretenir avec divers acteurs du secteur de la petite enfance à Vénissieux et cesrencontres m’ont donné envie de me questionner davantage sur cette politique, au pointd’en faire l’objet de ce mémoire.

Mais de quoi parle-t-on au juste lorsque l’on parle de « politique de la petite enfance » ?Une politique transversale

« Ce qui est bien avec la petite enfance, c’est que c’est le secteur où la logiquesystémique est le plus en jeu, c’est hyper transversal. A partir de la petite enfanceon peut penser la société dans sa globalité.3 »

Ces propos illustrent la manière dont la politique de la petite enfance peut toucher l’ensembledes politiques sociales, telles que les politiques familiales, les politiques d’insertion ouencore d’emploi. Cette transversalité est liée au fait que les politiques sociales pénètrent

1 « Comparez les programmes des candidats » [en ligne]. Le Monde, édition du 20 mars 2012. [page consultée le2 avril 2012] < http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2012/visuel/2012/03/20/comparez-les-programmes-des-candidats-a-la-presidentielle-2012_1672519_1471069.html>

2 UNICEF, Centre de recherche Innocenti. La transition en cours dans la garde et l’éducation de l’enfant. Bilan Innocenti 8,2008. 40 p.3 Entretien n°8.

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Introduction

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et dominent la plupart des politiques sectorielles locales. C’est d’ailleurs l’impression quiressort du discours des acteurs que j’ai rencontrés4. La politique de la petite enfancedevient en quelque sorte une facette d’une politique plus globale en direction de certainespopulations5.

Les politiques familiales ont été le premier cadre d’action en faveur des enfants. Laplace importante de ces politiques familiales dans les politiques sociales est une traditionfrançaise, qui distingue la France d’autres pays d’Europe dans lesquels ces politiques sontmoins institutionnalisées. Julien Damon les définit comme « des programmes publics quiidentifient les familles comme cibles d’action et qui sont mis en œuvre pour avoir un impactsur les ressources des ménages, sur la vie quotidienne des enfants et des parents, sur lespartages et les équilibres domestiques, voire sur les structures familiales elles-mêmes et

sur la dynamique démographique d’un pays.» 6 En effet, l’objectif des politiques familiales

a d’abord été principalement de soutenir la natalité française, puis de réduire les inégalitésentre les familles. Elles ont pour sources les dispositifs d’assistance et de bienfaisancedu XIXème siècle destinés aux mères et aux enfants ainsi que les caisses patronalesliées à l’emploi, qui se sont progressivement institutionnalisés au XXème siècle avec lagénéralisation des allocations familiales en 1938, puis la Sécurité Sociale en 1945 et doncla mise en place d’un système assuranciel. Au sein de la Sécurité Sociale, la branche famillea longtemps été la plus importante.

Cependant, face à l’évolution de la société et de la famille, les politiques familialesont changé de nature, en ne promouvant plus un modèle familial, mais en s’adaptantdavantage aux réalités de chaque famille, et notamment au travail croissant des femmes.Les mutations de la famille comprennent aussi la baisse du nombre d’enfants (bien que laFrance ait le taux de fécondité le plus élevé d’Europe avec environ 2 enfants par femmeen 20107), l’apparition de familles monoparentales, recomposées, pluriparentales etc. Lesrevendications féministes et de l’homoparentalité jouent aussi un rôle dans la recompositiondes politiques familiales et leur complexification.

Les politiques familiales prennent également un aspect plus social dans les années1970 en ciblant des populations prioritaires dans le but de réduire les inégalités et de luttercontre la pauvreté. Des conditions de ressources sont établies pour certaines prestations,afin de cibler les populations les plus défavorisées. La lutte se fait à la fois contre lesinégalités verticales (de revenus) et horizontales (charges liées au nombre d’enfants).

Dans les vingt dernières années, selon Julien Damon, les politiques familiales ontainsi poursuivi trois types d’objectifs : donner la priorité à la petite enfance, accompagnerles évolutions et les transformations de la parentalité, et augmenter le ciblage decertaines familles afin de réduire les dépenses publiques. La politique de la famille devientprogressivement une politique de l’enfance, et la garde des enfants devient une questionpublique dans les années 1980.

La garde des enfants a beaucoup évolué dans le temps, puisqu’au début duXXème siècle, avec l’apparition du phénomène de féminisation du marché du travail, les

4 Entretien n°1 : « C’est un travail qui est vraiment intéressant et passionnant parce qu’on fait vraiment du social. »5 GUILLOU, Anne & PENNEC, Simone. Les parcours de vie des femmes. Travail, famille et représentations publiques. Paris :L’Harmattan, 1999. Collection Le travail du social. P. 91.

6 DAMON, Julien. Questions sociales et questions urbaines. Paris : PUF, 2010. P. 119.7 TABAROT, Michèle. Rapport sur le Développement de l’offre d’accueil de la petite enfance. La documentation française,

2008. P. 13.

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enfants étaient confiés à des patronages, le plus souvent catholiques, prédécesseurs desassociations paroissiales d’activités éducatives et sportives. La IVème République voitquant à elle la naissance des premiers centres aérés et de mouvements de Jeunesseet d’Education Populaire, avec un rôle croissant de l’Etat. Progressivement le métierd’animateur apparait, c'est-à-dire que les personnes en charge des enfants sont desprofessionnels ayant des diplômes spécifiques. Le centre de loisirs n’est plus vu comme unlieu où les enfants sont uniquement gardés mais bien comme une « entité éducative » 8 ,qui devient une partie intégrante des politiques économiques et sociales des communes.La distinction opérée par Laurence Rameau est à cet égard intéressante puisqu’elle traceune évolution pour des enfants que l’on « recueille », puis que l’on « garde », et enfin quel’on « accueille »9.

Cette évolution se retrouve à Vénissieux puisque c’est d’abord un mouvementd’éducation populaire, les Francas, qui prend en charge les enfants, en partenariat avec lamairie dans les années 1960.

L’évolution en matière législative depuis les années 1980 est en outre significative.Le congé parental d’éducation est instauré en 1984 et de nouvelles prestations sontcréées : l’allocation parentale d’éducation (1985), l’allocation pour jeunes enfants (1985) etl’allocation de garde d’enfant à domicile (1986). Les allocations familiales sont égalementaugmentées de 25% en 1981. Ces allocations encouragent à l’origine les femmes à éleverles enfants à la maison, en leur reconnaissant un statut social et en compensant l’éventuelleperte de salaire. Mais face au travail croissant des femmes, les prestations familialespassent d’un système centré sur la femme au foyer vers un système plus neutre en directionde la femme active professionnellement.

Cette activité croissante des femmes oblige la collectivité à poser la question del’accueil des jeunes enfants : ainsi sont créées progressivement des crèches municipales,associatives, familiales ou encore parentales. Selon Valérie Löchen, « les points forts de lapolitique française de la petite enfance sont probablement une offre nombreuse et de qualité,

le maintien du libre choix des familles et la diversité des modes d’accueil » 10 . De plus, un

fort accent est mis sur l’accompagnement à la parentalité, c'est-à-dire non plus seulementsur l’éducation de l’enfant mais aussi la responsabilisation des parents dans cette mission.

Les années 1980 sont également celles de la décentralisation et de la territorialisationde la politique de la petite enfance. La responsabilité des lieux d’accueil pour la petiteenfance est confiée aux villes, tandis que les conseils généraux doivent via la PMI(Protection Maternelle et Infantile) se charger de leur agrément et de leur contrôle. La CAF(Caisse d’Allocations Familiales) joue aussi un rôle très important de financement à traversles contrats enfance avec les villes, mis en place en 1988, remplacés par les contratsenfance jeunesse (CEJ) en 2006.

Les années 2000 voient aussi des évolutions importantes, notamment en termes de

souplesse et d’adaptation aux besoins des parents. Le décret du 1er août 2000 crée en effetles structures multi-accueils (régulier, occasionnel ou d’urgence). On ne parle désormaisplus dans la loi de crèche ou de halte-garderie mais d’Etablissement d’Accueil du Jeune

Enfant (EAJE). La création au 1er janvier 2002 de la Prestation de Service Unique (PSU)8 LEBON, Francis. « Une politique de l'enfance, du patronage au centre de loisirs ». Education et sociétés, 2003/1 n°11. P. 14.9 RAMEAU, Laurence. Le lendemain des crèches, Réinventer l’accueil de la petite enfance. Paris : Erès, 2009. 222 p.10 LOCHEN, Valérie. Comprendre les politiques d’action sociale. Paris : Dunod, 2010. Collection Action sociale. P. 105.

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Introduction

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par la CAF contribue à cette tendance du multi-accueil en permettant de prendre en comptela réalité du nombre d’heures durant lesquelles l’enfant a été accueilli. La qualité est enoutre un objectif de plus en plus mis en avant, tant pour l’accueil que pour l’alimentation,les locaux ou l’hygiène.

Plus récemment, la PAJE (Prestation d’Accueil du Jeune Enfant) est créée en 2004.Elle regroupe les principales aides directement versées aux familles par les CAF : la primeà la naissance, l’allocation de base, le complément de libre choix du mode de garde, lecomplément de libre choix d'activité. Elle ne vise plus la famille dans sa globalité, mais d’uncôté les enfants et de l’autre les parents. L’accueil du jeune enfant doit permettre un travaild’accompagnement à la parentalité et d’aide aux familles défavorisées via la prévention.

Enfin, face à la hausse du nombre annuel de naissances est lancé en 2006 par leministre de la Famille Philippe Bas le plan Petite Enfance, qui vise à augmenter et diversifierl’offre de garde et à assouplir l’accès aux métiers de la petite enfance tout en facilitant lesouvertures de structures. Cet assouplissement vise en réalité à mieux maitriser les coûts decette politique : le prix d’une place de crèche étant très élevé, l’objectif est de la rentabiliseren faisant en sorte que plusieurs enfants puissent l’occuper11.

Les politiques pour la petite enfance résultent donc d’un véritable choix de société etd’un volontarisme politique. La petite enfance est au cœur de la politique familiale française,puisque ce secteur représente 1 % du PIB, les aides à la petite enfance s’élevant à 10,2milliards d’euros en 200612. La France se situe ainsi au troisième rang des pays de l’OCDEen matière de dépenses pour la petite enfance13. La diversité des prestations existantesmontre la volonté de soutenir les familles quel que soit le mode de garde qu’elles choisissent.Toutefois, la tendance actuelle est plutôt d’encourager les modes de garde collectifs (àtravers une diversification de ceux-ci), comme le montrent les derniers « plans pour la petiteenfance », qui contiennent tous un objectif d’augmentation du nombre de places en accueilcollectif. Cette volonté semble relever d’une orientation nouvelle de l’action publique, vers« la production de services à valeur ajoutée plus que vers le versement de prestations.14 »Comme le souligne Esping-Andersen15, l’accueil de la petite enfance peut être reconnucomme un élément central dans la réforme des Etats-Providence.

La petite enfance à VénissieuxA Vénissieux, le premier établissement d’accueil des jeunes enfants, Charréard

(transféré aujourd’hui dans la structure Pain d’Epices) a ouvert ses portes en 1966 et avaitun agrément de 20 places.Plusieurs structures sont créées tout au long des années 1970 à1990, avec différents déménagements et agrandissements. Le premier Relais d’AssistantsMaternels (RAM) est créé en 2001 (un deuxième verra le jour en 2007) et le Point Accueil,Information et Orientation des Familles (ou Point Info ou PIF) en 2003. Les nouvelles placesd’accueil collectif sont dorénavant issues de rénovations ou de changements de locaux

11 Voir infra p. 41 pour le détail de ces évolutions législatives.12 MINISTERE DES AFFAIRES ETRANGERES. La France à la loupe : la politique en faveur de la petite enfance en France.

Info Synthèse, mai 2007. P. 1.13 CANASSE, Serge. « Politiques de la petite enfance, combien ça coûte ? » [en ligne]. Carnets de santé [page consultée le

18 juillet 2012] < http://www.carnetsdesante.fr/Politiques-de-la-petite-enfance,463>14 Centre d’Analyse Stratégique. Accueil de la petite enfance : Comment continuer à assurer son développement dans le

contexte actuel des finances sociales ? Note de veille n°157, novembre 2009. P. 5.15 ESPING-ANDERSEN, Gosta & PALIER Bruno. Trois leçons sur l’Etat-providence. Paris : Seuil, 2008. Collection La

République des idées. 134 p.

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des structures existantes qui s’agrandissent. La ville de Vénissieux dispose ainsi à ce jourd’un total de 360 places en accueil collectif, dont 268 en équipements municipaux et 92 enéquipements associatifs.

La ville a signé deux contrats enfance avec la CAF, le premier de 1993 à 1997 qui avu notamment la création du poste de coordinateur enfance et d’un Lieu d’Accueil Enfant-Parent (LAEP), et le second de 1998 à 2005. Ce dernier a permis la création du premierRAM et du Point Info. De 2006 à 2010, c’est un nouveau type de contrat, le CEJ, que la villea signé avec la CAF. Une augmentation de 22 places a été possible grâce au financementde ce CEJ, ainsi que l’ouverture du deuxième RAM. Un nouveau CEJ a été signé pour lapériode 2011-2014, qui prévoit la fusion des RAM et du Point Info ainsi que la rénovation etl’augmentation de la capacité de plusieurs structures.

La petite enfance et la jeunesse semblent être des priorités politiques à Vénissieux.La ville a longtemps été dans une position avant-gardiste en étant la première à créer unservice de l’Enfance en 1966, et en disposant de nombreuses crèches. Si ce côté avant-gardiste parait moins vrai aujourd’hui, la municipalité consacre tout de même 8,6% de sonbudget 2012 à la famille (secteur qui comprend les crèches, les centres de loisirs et maisonsde l’enfance, ainsi que les dépenses en faveur des personnes âgées), soit 8,9 millionsd’euros. A ces 8,9 millions s’ajoutent 23,3 millions d’euros pour les écoles, 11 millions pourla jeunesse et le sport, et 7,9 millions pour la culture16. Notons qu’une place en accueilcollectif coûte en moyenne 15 000 euros de frais de fonctionnement annuels, et autant defrais d’investissement17. Dans son discours du 2 mai 2011, à l’occasion de la signature dunouveau CEJ, le maire de Vénissieux, Mme Picard, déclarait ainsi que « nous consacronsen volume, un euro sur deux à l’enfance et la jeunesse, et à la place qu’elles vont occuperau cœur de notre cité18 ».

Cette volonté politique est fidèle à l’histoire de Vénissieux, troisième ville du Rhône,banlieue d’ouvriers et d’immigrés, dont les maires sont communistes depuis 1944. Connuepour les émeutes du quartier des Minguettes à l’été 1981, la ville est marquée parune population précaire et une grande mixité sociale et culturelle19. Un programme derénovation urbaine est en cours à Vénissieux avec un Grand Projet de Ville nommé « RéunirVénissieux » pour les quartiers des Minguettes et de Max Barel. L’arrivée du tramway qui

relie Vénissieux à Lyon 8ème en avril 2009 fait partie de ce programme de rénovationurbaine visant à désenclaver la ville. La tradition d’éducation populaire, d’accès à la cultureet aux services publics pour tous et d’égalité des chances est très forte au sein de cette« banlieue rouge ». Cette tradition est fièrement affichée dans les discours du maire, quirevendique le caractère historique de la promotion de la jeunesse à Vénissieux : « lajeunesse, l’enfance, la petite enfance ne sont pas des sujets secondaires, mais une priorité.

16 Magazine Vénissieux Singulier Pluriel. « Budget 2012, Finances locales. » Mai 2012, n°7.17 CANASSE, Serge. « Politiques de la petite enfance, combien ça coûte ? » [en ligne]. Carnets de santé [page consultée le

18 juillet 2012] < http://www.carnetsdesante.fr/Politiques-de-la-petite-enfance,463>18 Intervention de Michèle Picard à l’occasion de la signature du Contrat Enfance Jeunesse [en ligne]. 2 mai 2011. [page

consultée le 15 juin 2012] < http://www.michele-picard.com/ >19 Une analyse détaillée des caractéristiques du territoire et de la population du terrain d’enquête est fournie dans la première

partie de cette étude.

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Introduction

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Vénissieux en a fait le cœur de son contrat communal. […] Le signe fort d’une politiquevolontariste, pertinente, au service des habitants.20 »

L’hypothèse personnelle qui a germé au cours de mon stage est donc que la politiquede la petite enfance à Vénissieux revêt un caractère singulier, notamment du fait de l’identitécommuniste de la ville. Cette étude, bien qu’elle ne soit pas comparative, visera à évaluer« l’originalité » de la politique de la petite enfance de Vénissieux ainsi que la façon dont elles’inscrit (ou non) dans les tendances nationales de cette politique.

Les enjeux de la standardisation et de la différenciationLe secteur de la petite enfance a connu une forte professionnalisation depuis les années

1950, avec diverses identités professionnelles et des valeurs qui ont émergé. Le diplôme depuéricultrice est créé en 1945, celui d’auxiliaire de puériculture en 1947. Il faut attendre 1973pour la création du diplôme d’éducateur de jeunes enfants. La crèche se décline petit à petiten crèche collective, crèche parentale, crèche familiale, puis dernièrement micro-crèche.

Au niveau des pratiques, dans les années 1980, la mission de garde de l’enfant évolueen mission d’accueil, avec une dimension éducative et affective plus présente. Pour Marie-Paule Thollon-Behar, « une véritable culture professionnelle s’est constituée, avec descontenus théoriques et des valeurs.21 » La qualité de l’accueil de l’enfant et de sa familledevient un objectif primordial et le concept de soutien à la parentalité est intégré dans lespratiques. De plus, les contrats Enfance avec la CAF encouragent les professionnels àdévelopper des projets de création de lieux d’accueil enfant-parent, d’accueil d’intervenantsartistiques, de liens passerelles avec l’école maternelle… Les professionnels doivent doncs’adapter à de nouvelles missions et développer de nouvelles compétences.

Ainsi les modes de garde n’ont cessé de s’améliorer en termes d’objectifs, de formationprofessionnelle des intervenants et de modalités d’accueil. Cette amélioration sembletoutefois quelque peu remise en cause par les évolutions législatives des dix dernièresannées, qui ont profondément modifié les pratiques professionnelles.

De manière plus générale, il paraitrait que la petite enfance subisse un processusde standardisation lié à l’amélioration de la qualité. La standardisation des normes etdes procédures garantit en effet un traitement égal des enfants. Cette standardisationcorrespond aussi à une individualisation des usagers des services sociaux, qui permet quel’enfant soit reconnu en tant qu’individu à part entière. Toutefois les contenus théoriquesqu’intègrent les professionnels au cours de leur formation ne sont peut-être pas toujoursadaptables à un terrain aux réalités spécifiques (bien qu’une partie de leur formation viseaussi à rendre les professionnels polyvalents et opérationnels dans différentes situationset avec différentes populations). Dès lors, comment adapter le métier appris et comment« faire du sur mesure » ? Comment concilier l’individualisation et l’égalité ?22

Cette standardisation ne se joue pas seulement dans les pratiques professionnellesmais aussi à mon sens dans les formes que revêt l’action publique. Celle-ci est dorénavantterritorialisée, intègre une multiplicité d’acteurs et utilise des instruments tels que lespartenariats, les contrats et les projets.

20 Intervention de Michèle Picard à l’occasion de la signature du Contrat Enfance Jeunesse [en ligne]. 2 mai 2011. [pageconsultée le 15 juin 2012] < http://www.michele-picard.com/ >

21 THOLLON-BEHAR, Marie-Paule. Du côté des professionnels. In BEN SOUSSAN, Patrick. Op. cit., p. 121.22 GUILLOU, Anne & PENNEC, Simone. Op. cit., p. 91.

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Par ailleurs, on peut relever une tendance inverse de différenciation de l’action publiquelocale du fait de la décentralisation et de l’attribution de certaines compétences, telles quela gestion de l’accueil de la petite enfance, aux municipalités.

Le danger qui apparait assez vite est de mettre en avant cette différenciation enne prenant pas assez de recul face au discours des acteurs locaux, qui tendent àvaloriser leurs pratiques en les décrivant comme originales. Comme le précise Anne-CécileDouillet, « c’est le risque, pour l’analyse scientifique, de prendre pour argent comptantle discours des acteurs locaux qui valorisent leurs spécificités.23 » La mise en avant decette différenciation se retrouve pourtant fréquemment sur les territoires, du fait de ladécentralisation notamment, ce qui laisse à penser que la différenciation est en fait unprocessus généralisé. Ainsi, « s’il faut nuancer l’idée de différenciation dans l’action publiquelocale, c’est d’abord parce que la valorisation de celle-ci répond à des évolutions communesà tous les territoires. »24

La difficulté de ce travail sera donc de distinguer ce qui relève de la différenciation entant que processus commun et actuel des politiques publiques, et ce qui relève des vraiesspécificités du territoire vénissian.

Il m’a semblé intéressant de voir en quoi la politique de la petite enfance d’uneville telle que Vénissieux se conformait ou non aux évolutions décrites précédemment.Il est évident que la mise en œuvre de la politique de la petite enfance se doit derespecter les nouvelles législations nationales et les exigences de la CAF. Toutefois, lapetite enfance n’est pas un secteur tout à fait comme les autres du fait du public qu’ilconcerne. Vénissieux est également un territoire singulier du fait de son identité politiquecommuniste et de sa population précaire. Ainsi, ces éléments particuliers laissent penserque ces tendances générales, si elles sont appliquées à Vénissieux, ne le sont peut-êtrepas dans les mêmes modalités qu’ailleurs, ou avec des effets différents. Les spécificités deVénissieux mèneraient donc à une certaine différenciation.

Nous nous demanderons donc tout au long de cette étude dans quelle mesurela politique d’accueil de la petite enfance à Vénissieux s’inscrit dans les tendancesactuelles des politiques sociales que sont la rationalisation, la standardisation desprocédures et la territorialisation.

Ce questionnement nous amènera à étudier les effets de ces processus et la manièredont les professionnels s’y adaptent, ainsi que leur ressenti face à ces évolutions, quimodifient souvent de manière non négligeable leurs pratiques.

Il faudra aussi s’interroger sur l’origine des différenciations constatées. Les élusdéveloppent-ils volontairement une politique se distinguant des politiques nationales ?Les professionnels de l’administration et du terrain choisissent-ils eux-mêmes d’adopterdes pratiques différentes ? Dans ce cas, comment adapter des pratiques censées êtrestandardisées à un terrain et une population spécifiques ?

Pour reprendre les propos de Ludovic Méasson,L’enjeu est de savoir si la territorialisation croissante de l’action publique conduità une recomposition des structures et modes de gouvernement dans le sensd’une standardisation fondée sur un certain nombre de principes modernisateurs

23 DOUILLET, Anne-Cécile. L’action publique locale dans tous ses états. Différenciation et standardisation. Paris : L’Harmattan,2012. Collection Logiques Politiques. P. 21.

24 Ibid., p.22.

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Introduction

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(contractualisation, gouvernance territoriale, approche participative, etc.) ou si, àl’inverse, la territorialisation engendre des déplacements et des recompositionsdifférentes selon les territoires, selon les types de collectivité locale et selon ledomaine d’intervention.25

J’essayerai donc au travers de mon étude de mieux cerner les effets de cette territorialisationen ce qui concerne le domaine de la politique de la petite enfance à Vénissieux.

La standardisation sera ici entendue comme l’homogénéisation de la construction etdu contenu des politiques publiques ainsi que des modes de gouvernance du local. Ladifférenciation sera définie comme « le processus par lequel le contenu des politiquespubliques, les styles de mobilisation et de domination politiques, mais aussi les rapportsde pouvoir entre les différentes organisations participant à la gouvernance de ces espacesvarient d’un lieu à l’autre.26 »

Il convient en outre de souligner que le débat entre différenciation et standardisationest particulièrement aigu dans le champ des politiques sociales : comment arbitrer entrel’obligation d’un traitement identique et égalitaire des usagers d’une part, et la nécessité deprendre en compte la singularité des situations de chaque famille avec ses problématiquesparticulières d’autre part ? Le service petite enfance de Vénissieux, en ayant affaireà de nombreuses situations familiales difficiles, est particulièrement confronté à cetteambivalence, et tente d’y faire face de diverses façons.

Ce débat a de plus toujours été au cœur des travaux de science politique portantsur l’action publique locale : celle-ci est en effet d’une part le lieu d’exécution despolitiques nationales permettant une certaine unité du territoire national et d’autre part lelieu d’expression des intérêts et spécificités locales27. Selon les périodes, l’un ou l’autre desparadigmes de standardisation et de différenciation a été prédominant, bien que les deuxcoexistent toujours. Ainsi, Gilles Pinson et Hélène Reigner distinguent

la période keynesiano-fordiste d’une part, au cours de laquelle la standardisationde l’action sur le territoire national est présentée comme un des éléments cléd’un projet politique modernisateur global, la période post-keynésienne et post-fordiste, d’autre part, caractérisée par une mise en récit des vertus et nécessitésde la différenciation territoriale.28

Mon hypothèse est qu’aujourd’hui ces deux phénomènes coexistent à Vénissieux dans lecontexte de la petite enfance.

Je me concentrerai principalement sur l’étude des structures d’accueil collectif, et moinssur l’accueil individuel des assistants maternels, - pour une raison pratique qui est je n’airencontré aucun assistant maternel -, même s’ils font eux aussi partie intégrante de lapolitique de la petite enfance. Les termes d’établissement d’accueil du jeune enfant (EAJE),de structure d’accueil, de crèche ou encore de multi-accueil seront utilisés indifféremmenttout au long de ce mémoire.

25 MEASSON, Ludovic. Différenciation, incertitude, espace et politique : l’exemple des territoires de projet LEADER. In

DOUILLET, Anne-Cécile. Op. cit., p. 27.26 PINSON, Gilles et REIGNER, Hélène. Différenciation et standardisation dans la(es) politique(s) urbaine(s). In DOUILLET,

Anne-Cécile. Op.cit., p. 166.27 Ibid., p.163.

28 Ibid., p. 168.

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La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation

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Le point de vue adopté sera celui de la construction de la politique de la petite enfancepar la municipalité et le service Petite Enfance, et non le point de vue des familles, mêmesi cette politique est largement fondée sur l’évaluation des besoins de la population.

Protocole de recherche

L’enquête de terrain est fondée d’une part sur les observations et entretiens réalisésen juin 2011 au cours de mon stage, et d’autre part sur neuf entretiens supplémentaireseffectués en 2012 dans le cadre spécifique de ce mémoire.

La politique de la petite enfance étant construite et mise en œuvre par des acteursdivers, mon objectif a été de constituer un échantillon représentatif des différents profilsd’acteurs de ce champ, afin d’obtenir des points de vue variés et de pouvoir confronterles discours de chacun. Mes grilles d’entretien étaient différentes pour chaque personneinterviewée, mais contenaient cependant toutes des questions similaires ou sur les mêmesthématiques dans l’optique d’une comparaison entre les entretiens. Les entretiens menésétaient tous semi-directifs et j’ai laissé une importante liberté de parole aux acteurs. Avecleur autorisation, les entretiens étaient enregistrés.

Je me suis tout d’abord entretenue avec trois directrices d’EAJE : Mme Ruiz, directricede la crèche associative Tourni-Cotton rattachée au centre social Eugénie Cotton, dans lequartier des Minguettes ; Mme Henner, directrice de la crèche municipale Carrousel dans lequartier des Minguettes également ; Mme Champmartin, directrice de la crèche municipaleGribouille dans le quartier Moulin à Vent. Ces trois entretiens m’ont permis de comprendreles spécificités du statut municipal et du statut associatif ainsi que leurs points communs, etd’aborder les particularités de certains quartiers de Vénissieux. Les trois directrices ayantévoqué le projet global Enfant Phare29 en cours au niveau des services de l’enfance et dela petite enfance, j’ai cherché la personne en charge de la coordination de ce projet.

J’ai ainsi rencontré M. Naton, animateur en cours de formation de DEJEPS (Diplômed’Etat de la Jeunesse, de l’Education Populaire et des Sports) et en contrat d’apprentissageau sein du service Enfance – Petite Enfance. M. Naton est chargé de faire le lien entreles personnels des services de Vénissieux et un consultant extérieur qui accompagneles équipes autour de ce projet. J’ai pu m’entretenir par téléphone avec ce consultantspécialisé dans l’accompagnement de projets transversaux et de projets de développementde territoire, M. Bély, ce qui m’a permis d’obtenir un regard extérieur sur la politique de lapetite enfance menée à Vénissieux.

J’ai également interviewé par téléphone Mme Neri, la responsable du Point Info, c'est-à-dire de l’accompagnement des familles dans la recherche d’un mode de garde : elle a pume renseigner sur les critères d’attribution des places en crèche et la fusion en cours duPoint Info avec le Relais d’Assistants Maternels (RAM).

J’ai rencontré à nouveau ma tutrice de stage, Mme Margerit, directrice du serviceEnfance – Petite Enfance, ainsi que l’ancien coordinateur du Contrat Enfance Jeunesse(CEJ), M. Damblin, qui a changé de poste récemment30. Mme Margerit est puéricultrice etcadre de santé de formation, et M. Damblin est cadre A de la fonction publique (conseillerd’éducation populaire et de jeunesse) : ils ont donc une approche différente mais tous deuxont une vision globale de la politique menée à Vénissieux en matière de petite enfance etde réponse aux besoins de la population.

29 Voir infra, p. 90.30 M. Damblin est désormais directeur du service Education – Enfance. Sa remplaçante, arrivée en avril 2012, a préféré que

je m’entretienne avec M. Damblin, mais était présente lors de notre entretien.

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Introduction

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Enfin, il m’a semblé essentiel, pour un mémoire portant sur la politique de la petiteenfance, d’interroger un ou des élus, afin de mieux cerner la volonté politique à l’origine desa mise en œuvre. Il a été beaucoup moins aisé de parvenir à contacter ces personnes.J’ai tenté de rencontrer l’adjointe à la petite enfance, Mme Gicquel, mais elle n’a paspu me recevoir, étant très peu présente à la mairie de Vénissieux pour des raisonspersonnelles. J’ai en revanche réussi à réaliser un entretien avec le maire de Vénissieux,Mme Picard. Cette dernière m’a expliqué qu’historiquement l’enfance a toujours été unepriorité à Vénissieux, et que la politique petite enfance s’inscrit dans une politique municipaleplus globale.

Mme Margerit m’a par ailleurs fait parvenir divers documents internes au serviceenfance - petite enfance : le projet social et éducatif de Vénissieux, le bilan du CEJ2006-2010 et l’analyse des besoins de la population. Ceux-ci m’ont été d’une grandeaide pour obtenir des données chiffrées sur la population de Vénissieux (nombre denaissances, nombre d’enfants de moins de 6 ans, revenus des familles) ainsi que pour mieuxcomprendre l’évolution des besoins et la mise en œuvre de la politique de la petite enfance.

Mes lectures sont venues compléter ces données issues du terrain. Elles ont portésur les politiques publiques et leurs tendances actuelles, sur les politiques sociales et letravail social en général et plus particulièrement sur la politique de la petite enfance, avecnotamment bon nombre de rapports ou de notes de synthèse (de la Caisse d’AllocationsFamiliales, du Conseil d’Analyse Stratégique…).

La petite enfance est un secteur dynamique de la recherche, dans le champ de lapédagogie, de la psychologie mais aussi des sciences sociales ; il m’a donc fallu êtrevigilante dans le choix des lectures afin de cibler les thématiques liées à mon sujet.

L’ensemble de ces recherches m’a permis de combiner apports théoriques plusgénéraux et éléments concrets issus du terrain. J’ai ainsi pu analyser les entretiens à lalumière de mes lectures, et voir en quoi les pratiques vénissianes s’inscrivaient dans destendances globales (territorialisation, gouvernance, travail en partenariat) ou au contraires’en différenciaient.

Plan du mémoire

L’analyse des caractéristiques démographiques et socio-économiques de la populationet du territoire vénissians feront l’objet d’une première partie, qui sera aussi l’occasion deprésenter le service Petite Enfance de la ville ainsi que les différentes structures d’accueildes jeunes enfants et les multiples intervenants du champ de la petite enfance. La deuxièmepartie montrera en quoi la politique de la petite enfance de Vénissieux s’inscrit dans unecertaine standardisation, due aux nouvelles législations et normes encadrant le secteur dela petite enfance dans une optique de qualité, mais aussi aux modalités nouvelles de l’actionpublique locale que sont la territorialisation, la gouvernance et le travail en partenariat. Enfin,la troisième partie portera sur le caractère singulier de la politique de la petite enfance deVénissieux, induit par les spécificités de la population et l’identité « rebelle » de la ville,qui impliquent l’adoption de pratiques différenciées. La différenciation se traduit aussi parla mise en œuvre d’un projet global de management du service Petite Enfance, que nousdécrirons pour conclure cette étude.

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La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation

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I.Une politique mise en œuvre par desacteurs multiples sur un territoire auxenjeux spécifiques

A.Les acteurs de la petite enfance à Vénissieux

1. Le service Petite Enfance de la mairie de VénissieuxLe service Petite Enfance est situé au sein de la Direction Enfance Education Santé (DEES)de la mairie de Vénissieux. Cette grande direction comprend le service Education (gestiondes écoles et des cantines), le service Enfance (gestion des Maisons de l’Enfance pourl’accueil des enfants de plus de trois ans durant le temps périscolaire), le service de SantéScolaire, et le service Petite Enfance qui gère les crèches et les assistants maternels àtravers deux Relais d’Assistants Maternels.

Une particularité à Vénissieux est que la petite enfance (0-3 ans) est dissociée del’enfance (3-12 ans) alors qu’un troisième service est chargé de la jeunesse (12-17 ans).Le service petite enfance auquel nous nous intéressons ne concerne donc que les enfantsde 0 à 3 ans. Ce service est dirigé par Mme Margerit, puéricultrice et cadre de santé, quitravaille en étroite collaboration avec la coordinatrice du Contrat Enfance Jeunesse (CEJ),Mme Carcouet. Celle-ci a un rôle d’interface entre la CAF (Caisse d’Allocations Familiales),le Conseil Général et les EAJE (Etablissements d’Accueil du Jeune Enfant), rôle que nousdétaillerons plus tard.

Le Point Accueil, Information et Orientation des Familles (PIF ou Point Info), créé en2003 et situé dans les mêmes locaux que le service petite enfance, est animé par uneéducatrice de jeunes enfants, Mme Neri. Son rôle est de recevoir les familles à la recherched’un mode de garde et de les accompagner dans leur démarche. Le Point Info ne centraliseque les demandes de garde de plus de 15 heures par semaine, c'est-à-dire en mode degarde régulier. Lorsqu’il s’agit d’un mode de garde occasionnel de moins de 15 heures parsemaine, les parents s’adressent directement à la directrice de la structure. Le PIF a aussi unrôle d’observatoire de la demande et de production de statistiques afin d’analyser l’évolutiondes besoins et ainsi d’éclairer les décisions politiques.

Deux médecins de crèche travaillent par ailleurs avec le service Petite Enfance pourrecevoir les familles lors de l’entrée d’un enfant en EAJE ainsi que pour élaborer lesprotocoles d’hygiène, d’alimentation et de santé.

Mme Brouillaud, secrétaire, vient assister les personnes précitées ainsi que les EAJEdans la gestion des facturations et des contrats. Le service administratif à proprement parlerest donc assez restreint.

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I.Une politique mise en œuvre par des acteurs multiples sur un territoire aux enjeux spécifiques

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A ce service viennent s’ajouter huit EAJE municipaux (Berlingot, Capucine, Carrousel,Musicaline, Pain d’Epices, Parilly, Gribouille et la crèche familiale Sac de Billes31) et cinqEAJE associatifs (Arc en Ciel, qui est une crèche parentale, Saperlipopette, Moulin à Malice,Tourni Cotton et Graines d’Eugénie32). Les crèches associatives, bien qu’ayant un statutet une réglementation différents, sont inclues dans la commission d’attribution des placesau même titre que les crèches municipales, et respectent le projet social et éducatif de laville. Elles travaillent donc en étroite collaboration avec l’équipe municipale. Au total, 360places sont disponibles en accueil collectif, dont 268 places en équipements municipauxet 92 places en équipements associatifs. Il existe aussi un Lieu d’Accueil Parents-Enfants(LAEP), Cerf-Volant, situé dans un appartement du quartier des Minguettes.

Les assistants maternels sont au nombre de 343, parmi lesquelles moins de 200utilisent les services des deux Relais d’Assistants Maternels existant (créés respectivementen 2001 et 2007). En 2009, 63 assistants maternels adhéraient au RAM et bénéficiaient,au-delà des services d’information et d’accompagnement aux contrats, de formations, detemps collectifs avec les enfants et de temps festifs impliquant aussi les parents.

Au niveau politique, l’adjointe chargée de la petite enfance est Mme Gicquel, que jen’ai pas pu rencontrer. L’adjointe et le maire élaborent un projet politique concernant lapetite enfance à partir des analyses des besoins réalisées par les « experts » que sontles professionnels du service petite enfance. Comme l’indique Mme Margerit, « c’est uneboucle, c'est-à-dire qu’à un moment les experts font remonter au politique, le politique vamettre en place une politique qui sera mise en œuvre par les experts, et ainsi de suite.33 »

Diverses évolutions ont eu lieu ou sont en cours au sein du service petite enfance, dansle but d’améliorer l’accueil et l’accompagnement de la population.

A la faveur d’un départ au sein de la DEES, la direction des différents services a étérepensée : Mme Margerit, qui était en charge de l’enfance et de la petite enfance, estdorénavant en charge de la petite enfance et des infirmières scolaires, tandis que le nouveaudirecteur de l’éducation, M. Damblin, devient responsable de l’enfance en remplacementde la santé scolaire. L’objectif est de permettre une approche plus globale de l’enfant danstous ses temps de vie. En effet, pour M. Damblin, « rapprocher l’enfance de l’éducation çaa du sens parce que pour être en centre de loisirs, il faut être scolarisé.34 » En outre, MmeMargerit ayant une formation de professionnelle de santé, il semblait légitime qu’elle ait laresponsabilité des infirmières scolaires. Ainsi, pour M. Damblin, « ça permet de rationaliserun peu les choses et d’avoir une vision globale de l’enfant. Ces changements permettentde progresser, globalement. »35

Par ailleurs, la pression des usagers insatisfaits du fait d’une réponse négative à leurdemande de place en crèche ainsi que la volonté de mieux respecter les axes du projetsocial ont conduit à une réflexion sur la refonte des critères d’attribution des places decrèche. Les critères actuels sont : la date de la demande, le fait d’habiter à Vénissieux ou detravailler dans un EAJE de Vénissieux, le fait que les deux parents travaillent, et un critèrede revenus (si deux dossiers réunissent les précédents critères, priorité est donnée à celui

31 Celle-ci comprend 84 places d’accueil chez des assistantes maternelles rattachées à cette crèche familiale.32 Ces trois dernières crèches font partie respectivement des centres sociaux Moulin à Vent, Eugénie Cotton et Roger Vailland.33 Entretien n°6.34 Entretien n°7.35 Ibid.

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La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation

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dont les revenus sont les plus faibles). Les nouveaux critères seraient : la domiciliation àVénissieux, l’activité des deux parents (ou bien une formation), la disponibilité d’une placequi corresponde aux besoins exprimés (date d’entrée, structures demandées, horaires etamplitude hebdomadaire, âge de l’enfant, mixité du public accueilli) et la situation familiale(parent mineur, monoparentalité, niveau de ressources). Pour Mme Neri, responsable duPIF, le but est d’être « au plus près de la demande, et du coup plus juste au niveau desdossiers36 ». De même, pour Mme Margerit, il s’agit d’essayer d’être le plus juste possible :

On veut pas non plus que les crèches deviennent des crèches ghettos pourles milieux précaires exclusivement. On essaie toujours, dans nos axes, c’estmixité sociale, donc on essaie de faire des critères croisés qui maintiennentune répartition juste et équilibrée de l’ensemble de la population, mais en étantattentifs à certaines problématiques comme la monoparentalité…37

Enfin, face au manque de moyens des deux RAM, un processus a été entamé pour queceux-ci fusionnent avec le PIF, afin de créer un Point Info – RAM. Les missions des deuxtypes de structures seront ainsi rassemblées, et quatre antennes RAM seront installéesdans différents quartiers de la ville pour être situées au plus près des besoins. Cetteévolution répond au constat que les familles venaient au Point Info dans le but unique des’inscrire en crèche, alors que le rôle de ce service est d’accompagner dans la recherched’un mode de garde, quel qu’il soit.

Après quand y’avait pas de place en crèche on renvoyait ces mêmes famillesau relais. Donc on s’est dit, plutôt qu’on déçoive les familles, on va fusionnerces deux dispositifs, […] et comme c’est la même personne qui fait Point Infoet relais, elle deviendra référent de la famille, du début à la fin, et la famille aura

moins l’impression de venir s’inscrire en crèche, explique Mme Margerit 38 .

Le service petite enfance et ses acteurs sont donc en mutation constante, dans l’optiquede s’adapter aux évolutions sociétales. Ces mutations ne peuvent toutefois pas s’accompliren totale autonomie, puisque la mise en œuvre de la politique de la petite enfance dépendaussi des interactions avec différents partenaires non municipaux.

2. Les partenaires non municipauxSi la municipalité est souveraine en matière de développement de l’accueil des jeunesenfants, elle ne peut augmenter son offre d’accueil qu’avec le concours d’autres acteurs,que sont la CAF et la Protection Maternelle et Infantile (PMI). D’autres partenaires tels queles travailleurs sociaux sont également présents sur le territoire et collaborent au quotidienavec les professionnels de la petite enfance.

La CAF est le principal partenaire de la municipalité car elle finance le fonctionnementdes structures d’accueil au moyen de deux dispositifs : la Prestation de Service Unique

(PSU) et le Contrat Enfance Jeunesse (CEJ). La PSU a été mise en place en 2002 (au 1er

janvier 2003 à Vénissieux) ; elle visait à simplifier les modes de financement et à favoriserle multi-accueil. Celle-ci oblige les structures à signer des contrats avec les familles, et

36 Entretien n°2.37 Entretien n°6.38 Ibid.

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fixe un prix plafond et un prix plancher pour la participation financière des familles, qui estdésormais facturée à l’heure. Cette participation est progressive en fonction des ressourcesdes foyers, du nombre d’enfants à charge, de la présence d’un enfant handicapé, etc. Lefinancement de la CAF vient s’ajouter à la participation familiale dans la limite de 66% duprix plafond retenu selon le type d’accueil concerné39. Ces barèmes CAF garantissent quele prix payé par les familles, ou « taux d’effort », soit le même sur tout le territoire français :« qu’on aille dans une crèche à Vénissieux, à Lyon, à Paris ou en Corse, on paie le mêmetarif en fonction de ses revenus. »40 Ainsi, en 2011, la somme des participations de la CAFet des familles s’élevaient à 4,27€ par heure et par enfant. Comme le précise M. Damblin,« si la famille paie un euro, la CAF paie 3,27€ en fonction du revenu des familles, du tauxd’effort. Ca veut dire que déjà d’entrée y’a 4,27€ qui sont payés par un autre financeur quela ville ».41 Si l’on estime qu’une place en crèche municipale coûte environ dix euros parheure et par enfant à Vénissieux, les 5,73€ restants sont financés par la ville d’une part, etpar la CAF dans le cadre du CEJ d’autre part, via la PSEJ (Prestation de Service EnfanceJeunesse).

Le premier CEJ entre la CAF et la ville de Vénissieux a été signé en 2006, pourune période de quatre ans. Il correspond à la fusion des contrats « enfance » et descontrats « temps libre » qui existaient auparavant, et il s’adresse aux enfants de 0 à 17ans. Son taux de cofinancement est de 55% pris en charge par la CAF. L’objectif est defavoriser et d’optimiser l’offre d’accueil en ciblant les territoires les moins biens pourvus et enmenant une politique tarifaire accessible aux familles les plus modestes42. En contrepartie,la municipalité s’engage à rendre des comptes à la CAF et à respecter certains critères telsque le taux d’occupation ou le taux de rotation43. A Vénissieux, cette subvention du CEJs’élève à environ 900 000 voire un million d’euros par an, et ne concerne que certainescréations de places de crèche qui ont été inscrites au CEJ44.

La Protection Maternelle et Infantile, service du Conseil Général, est égalementprésente sur le territoire vénissian au sein de deux Maisons du Rhône (situéesrespectivement dans les cantons de Vénissieux-Sud et Vénissieux-Nord). Ses deux grandesmissions, la promotion de la santé de la mère et de l’enfant ainsi que la protection del’enfance, s’articulent autour de trois axes : les actions préventives autour de la naissance,le suivi de l’enfant dans son milieu de vie, et la protection des enfants en difficulté. En cequi concerne l’accueil de la petite enfance, la PMI joue un rôle majeur puisqu’elle délivrel’agrément permettant aux EAJE d’accueillir des enfants. Elle effectue ensuite un suivi etdes contrôles de ces lieux d’accueil des moins de six ans, qui doivent respecter des critèresstricts d’hygiène, d’aménagement, etc. C’est également la PMI qui forme les assistantesmaternelles et leur octroie l’agrément nécessaire à l’exercice de leur profession.

Les équipes des EAJE et la PMI travaillent en étroite collaboration dans un but de suivides familles. En effet, la PMI ayant un rôle de prévention et de protection de l’enfance, elle

39 CAF [en ligne]. La prestation de service unique pour les structures d’accueil des jeunes enfants. 2012. [page consultée le21 mai 2012] < http://www.caf.fr/sites/default/files/caf/741/psu_fiche_technique_2012.pdf >

40 Entretien n°7.41 Ibid.42 CAF [en ligne]. Le point sur le Contrat Enfance et Jeunesse. 2006. [page consultée le 21 mai 2012] < http://www.caf.fr/sites/

default/files/caf/131/Documents/plaquette_enfance_et_jeunesse.pdf >43 Voir infra p. 53.44 Entretien n°6.

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peut cibler des familles pour lesquelles l’accueil en collectivité serait bénéfique. Commel’explique Mme Ruiz, « [les puéricultrices] vont venir repérer les familles, elles vont venirdonner leur avis sur les familles prioritaires qui ont vraiment besoin. Et du coup nous quandon va considérer ces gens-là à la commission, on va mettre une petite option pour qu’ellessoient prioritaires par rapport aux autres45 ». De même, les crèches sont en lien avec lestravailleurs sociaux de la protection de l’enfance pour effectuer des bilans lorsqu’une familleest soumise à une AEMO (Action Educative en Milieu Ouvert) ou une AEA (Aide EducativeAdministrative).

Enfin, les EAJE collaborent avec les Centres Médico-Psychologiques (CMP) quicomme la PMI recommandent certaines familles pour l’accueil en collectivité selon certainscritères46. Certaines crèches reçoivent aussi des familles suivies à l’Unité Mère-Bébé del’hôpital psychiatrique du Vinatier.

La mise en réseau des acteurs47

Ce schéma montre qu’il existe sur le territoire un réseau constitué de partenaires réunisautour du suivi des familles, et en particulier des enfants et de leur bien-être. Ces partenairesagissent auprès d’une population singulière, vivant sur un territoire spécifique.

B.Une population et un territoire particuliersLa politique de la petite enfance étant fondée sur l’évaluation des besoins des familles,il convient de s’intéresser aux caractéristiques démographiques, sociales et économiques

45 Entretien n°1.46 Entretien n°1 : « Un enfant qui va pas bien, qui a des difficultés familiales, qui est pauvre en stimulations dans sa famille,

qu’il y a la barrière de la langue ou un repli de la famille sur elle-même. »47 Schéma tiré de DAVID, Olivier. « Les politiques locales en faveur de la petite enfance : de la mobilisation des acteurs à la

construction de partenariats. » Espaces et sociétés, n°24, mars 2006. P. 11.

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de la population et du territoire vénissians. Celles-ci sont en effet particulières et vontdéterminer la mise en œuvre de cette politique. On observe ainsi une précarité globale dela population ainsi qu’un nombre élevé d’enfants de moins de six ans, couplés à de grandesdifférences sociales et culturelles entre les quartiers. Nous nous baserons ici largement surle bilan du Contrat Enfance Jeunesse 2006-2010 effectuée en 2010 par le coordinateurEnfance Jeunesse48.

1. Une population jeune et précaireD’une part, les indicateurs démographiques en ce qui concerne le nombre de naissanceset d’enfants de moins de six ans sont élevés, et toujours supérieurs à la moyenne du GrandLyon. En effet, en 2009, environ 1200 naissances ont été dénombrées, le taux de natalitéatteignant 17,6‰ sur la période 1999-2008 (contre 14,5‰ dans le Rhône sur la période1999-200949). On compte 6230 enfants de moins de 6 ans, soit 37% du total du nombred’enfants50. Ils sont ceux dont la proportion a le plus augmenté entre 2006 et 2009 (+11,4%contre seulement +5,33% dans le Grand Lyon)51. Au total, la population de 0 à 14 ansreprésente près de 23% de la population vénissiane totale, soit la tranche d’âge la plusnombreuse.52 Les familles sont plus nombreuses à Vénissieux que dans le Grand Lyon, etla proportion de couples sans enfant est moindre à Vénissieux.

D’autre part, les données socio-économiques indiquent des fragilités importantes,tant au niveau économique qu’au niveau familial, avec un grand nombre de famillesmonoparentales. Celles-ci représentent en effet 30% des allocataires de la CAF àVénissieux contre 25% dans le Grand Lyon, et sont concentrées pour presque la moitiéd’entre elles dans le quartier des Minguettes. Mais ce chiffre est peut-être à nuancer : MmeRuiz, directrice de l’EAJE Graines d’Eugénie dans le quartier des Minguettes, fait remarquerque « celles [les familles] qui sont déclarées monoparentales, dans la réalité y’a les papasquoi. C’est un peu à la débrouille, c’est tellement difficile au niveau de l’emploi, et quefamilles monoparentales ça veut dire une aide de la CAF, allocation parent isolé. 53» Deplus, en 2008, 44% des allocataires ont des revenus en dessous du seuil de bas revenu(en dessous de 60% du revenu médian, calculé en fonction de la composition de la famille,soit moins de 903€ par Unité de Consommation) contre 34% pour le Grand Lyon. 30% desallocataires situés en dessous du seuil de bas revenu sont des familles monoparentales,tandis que seules 24% le sont dans le Grand Lyon. En ce qui concerne les enfants de moinsde 6 ans, 18% vivent dans une famille monoparentale, 12% dans une famille monoparentalesans emploi et 14% dans une famille en couple sans emploi. Au total, seulement 22,5% desparents avec un enfant de moins de six travaillent tous les deux, contre 43% dans le Grand

48 DAMBLIN, Matthieu. Bilan du Contrat Enfance Jeunesse 2006-2010. Ville de Vénissieux : 2010. 72 p.49 INSEE [en ligne]. Chiffres clé : Rhône. Evolution et structure de la population (mise à jour le 28 juin 2012). [page consultée le 30juin 2012] <http://www.insee.fr/fr/bases-de-donnees/default.asp?page=statistiques-locales.htm>50 Les chiffres ne sont pas disponibles pour les enfants de moins de trois ans, qui sont ceux concernés par l’accueil en crèche.51 DAMBLIN, Matthieu. Bilan du Contrat Enfance Jeunesse 2006-2010. Ville de Vénissieux : 2010. P.3.52 INSEE [en ligne]. Chiffres clé : Vénissieux. Evolution et Structure de la population (mise à jour le 30 juin 2011). [page consultée le18 avril 2012] < http://www.insee.fr/fr/bases-de-donnees/default.asp?page=statistiques-locales.htm>

53 Entretien n°1.

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Lyon54. Ces chiffres démontrent le haut niveau de chômage et la proportion importante defamilles en difficultés.

Enfin, on observe que plus de la moitié des familles qui utilisent un EAJE disposent demoins de 1520€ mensuels. La catégorie de population accueillie la plus importante est cellequi a de très bas revenus : 28% des familles accueillies ont moins de 760€ par mois55. Ainsi,l’accueil en collectivité répond principalement aux besoins des familles les plus modestes,les assistants maternels représentant une offre complémentaire mais plus onéreuse.

2. L’hétérogénéité du territoire vénissianL’analyse de la demande en matière d’accueil de la petite enfance nécessite d’étudier lesbesoins de la population à l’échelle de la ville. En effet, si des diagnostics sont réalisésau niveau départemental (schémas départementaux d’accueil du jeune enfant) ou parl’Observatoire national de la petite enfance pour repérer les déséquilibres globaux, ceux-cine permettent pas « d’apprécier l’adaptation de l’offre aux besoins56 » selon Audrey Daniel.

La ville de Vénissieux est composée de quartiers bien distincts, ayant chacun desspécificités socio-démographiques. Afin de démontrer ces spécificités et d’étudier lesbesoins de chaque quartier, nous reprendrons ici le découpage en cinq grands quartiersqui a été effectué lors des bilans des Contrats Enfance Jeunesse en 2005 et en 2010. Cedécoupage a l’avantage de mettre en avant la distinction entre cinq « bassins de vie », c'est-à-dire d’espaces dans lesquels la population se déplace aisément entre son domicile etson lieu de travail, et auxquels elle s’identifie. Il apporte donc une vision assez globale duterritoire, en cohérence avec la zone d’influence des structures d’accueil du jeune enfant,qui dépasse le quartier immédiat du fait d’un manque de services dans certains quartiers.Ces cinq bassins sont donc le Centre-Gabriel Péri, les Minguettes, Moulin à Vent-Viviani,Jules Guesde-Parilly et Max Barel-Charréard-Pasteur.

(Image à consulter sur place au centre de documentation de l'Institut d'Etudes Politiquesde Lyon.)

Le quartier du Centre-Gabriel Péri regroupe 9156 habitants soit 16% de la populationvénissiane et 14% des enfants de moins de 12 ans. Ce quartier est en cours de réhabilitationet voit donc une nouvelle population arriver, plus jeune et avec des enfants. Les indicateursde précarité y sont moins prégnants que dans le reste de la ville ; on y dénombre davantagede retraités et de catégories socio-professionnelles supérieures et moins de personnes sansactivité professionnelle. Le nombre d’enfants est en augmentation, si bien que deux classesde maternelle ont été ouvertes en 2010.

Lequartier du Centre – Gabriel Péri compte 33 places en EAJE, réparties entre lacrèche municipale Berlingot et la crèche associative Saperlipopette. Cette dernière est en

cours d’extension pour passer de 12 à 24 places. En 2009, les places de ce secteur ont

été occupées par 148 enfants différents.En outre, 7 assistantes maternelles de la crèche

familiale accueillant chacune 2 à 3 enfants par jour habitent sur ce quartier. On recense

54 DAMBLIN, Matthieu. Op. cit., p. 20.55 Ibid, p.17.

56 DANIEL, Audrey. « Accueil de la petite enfance : une approche territoriale pour évaluer la couverture des besoins », Revuefrançaise des affaires sociales, 2011/4 n° 4, p. 33.

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I.Une politique mise en œuvre par des acteurs multiples sur un territoire aux enjeux spécifiques

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également 45 assistantes maternelles indépendantes. Le bilan du CEJ fait apparaitre que ce

quartier semble sous-équipé en EAJE car une proportion conséquente d’enfants du quartierest accueillie dans d’autres structures de la ville. Compte tenu de la demande, certainesfamilles du Centre doivent donc se déplacer pour accompagner leurs enfants dans un autresecteur de la ville que celui de leur résidence.

Le quartier des Minguettes est connupour ses difficultés sociales, et dispose d’uneimage encore négative dans les esprits, malgré le programme de rénovation urbaine encours, qui a entrainé le passage du tram et la « dé-densification » de l’habitat. Ceschangements n’ont pas amélioré la mixité de la population de ce quartier, qui demeureencore relativement isolée. Ce quartier se caractérise par sa population jeune : 47% desmoins de 12 ans y habitent, pour 37% de la population totale (21 288 habitants). Les ouvrierset les personnes sans emploi y sont plus nombreux que sur le reste de la ville. On note aussiune certaine précarité des contrats de travail, qui s’est accentuée avec la crise économique.54% des allocataires vivent en dessous du seuil de bas revenu, soit 10 points de plus quesur Vénissieux. Près d’un tiers des familles ayant un enfant de moins de six ans sont sansemploi.

Lequartier des Minguettes totalise 123 places en EAJE, soit la majorité de l’ensembledes places de la ville, avecdeux structures municipales (Carrousel et Capucine) et troisassociatives (Graine d’Eugénie, Eugénie Cotton et Arc en ciel, crèche parentale). En2009,elles ont été occupées par 501 enfants différents. Huit assistantes maternelles de la crèchefamiliale ainsi que 99 assistantes maternelles indépendantes habitent sur ce territoire. Lequartier bénéficie aussi d’un Lieu d’Accueil Enfants parents (LAEP), Cerf Volant, situéau rez-de-chaussée d’une tour d’immeuble. Ce lieu est également proposé par le Relaisd’Assistantes Maternelles comme un lieu de regroupement pour les assistantes maternellesdu secteur. Il est toutefois constaté une fréquentation faible et peu diversifiée, tant desfamilles que des assistantes maternelles, qui ne saisissent pas toujours l’objectif de ladémarche. Bon nombre d’assistantes maternelles du quartier sont sans emploi car lamauvaise image du quartier n’attire pas les familles extérieures. De plus la signature ducontrat complexe et le prix de la garde individuelle sont souvent rédhibitoires pour lesfamilles en difficultés.

Le secteur qui regroupe Parilly et Jules Guesde regroupe 7 185 individus, soit 13% dela population de la ville et 9 %des enfants de moins de 12 ans. Ce quartier est marqué parle vieillissement de sa population et par une plus grandemixitésocialequedans l’ensemblede la ville. Les indicateurs de précarité sont meilleurs que dans les autres bassins de vie,même si des disparités importantes existent à l’intérieur de ce grand territoire.

Le quartier de Parilly - Jules Guesde dénombre un seul EAJE de15 places, la crècheParilly. 63 enfants différents ont occupé ces places en 2009. 6 assistantes maternelles dela crèche familiale et 52 assistantes maternelles indépendantes habitent sur ce secteur.Les familles de Parilly - Jules Guesde ont un taux de recours aux EAJE bien supérieur autaux d’équipement57 du quartier, par conséquent le quartier apparaît comme sous-équipéau regard des besoins de la population.

Le grand territoire Max Barel-Charréard-Pasteur regroupe 8 067 individus soit 14%de la population de la ville et 13% des enfants de moins de 12 ans. Il est composé detrois quartiers distincts ayant peu de liens entre eux, et il n’a donc pas d’unité globale.Les périmètres d’intervention d’action sociale de la Maison du Rhône traversent ce grand

57 Nombre d’enfants accueillis dans les EAJE du quartier rapporté au total d’enfants de moins de six ans du quartier.

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territoire et rendent l’accès aux services sociaux plus compliqué tant pour la population quepour les professionnels dans un travail de partenariat (pour les écoles, l’EAJE, le RAM). Lescaractéristiques socio-démographiques de ce territoire sont semblables à celles du restede la ville, avec de grandes disparités sociales et économiques d’un « sous-quartier » àun autre.

Le quartier Max Barel-Charréard-Pasteur compte 36 places en EAJE, au sein de lastructure Pain d’Epices qui a été créée en 2005. En 2009, ces places ont été occupéespar 155 enfants différents. Six assistantes maternelles et 50 assistantes maternellesindépendantes exercent sur ce secteur. Les familles de Max Barel-Charréard-Pasteur ont untaux de recours aux EAJE équivalent au taux d’équipement du quartier : tous les enfants quiobtiennent une place pour un accueil en mode de garde(plus de 15 heures par semaine)ontdonc la possibilité d’être accueillis en EAJE dans le quartier. La particularité de l’EAJE Paind’Epices est d’accueillir des populations en grande difficulté sociale, notamment lors del’accueil occasionnel. Hormis les écoles, la crèche est l’un des rares services publics identifiédu secteur ; elle y joue donc un rôle social particulier.

Enfin, le grand quartier Moulin à Vent regroupe 11 484 habitants, soit 20% de lapopulation de la ville et 17% des enfants de moins de 12 ans. C’est un quartier marqué parle vieillissement de sa population et davantage de mixité sociale que pour le reste de laville. Le niveau de vie de ce territoire est en moyenne plus élevé que pour l’ensemble de laville. Il existe néanmoins d’importantes inégalités entre quartiers, notamment pour Vivianiet Joliot-Curie, plus sujets à la précarité et enclavés du fait des grands axes de circulationqui les entourent.

Le quartier Moulin à Vent Viviani totalise69 places en EAJE, dans les crèchesmunicipales Musicaline et Gribouille d’une part etla crèche associative Moulin à Maliced’autre part. 242 enfants différents ont occupé ces places en 2009. 11 assistantesmaternelles de la crèche familiale travaillent sur ce secteur ainsi que 63 assistantesmaternelles indépendantes, dont l’activité s’adresse aussi largement à des familles nonvénissianes. Les familles de Moulin à Vent ont un taux de recours aux EAJE légèrementsupérieur au taux d’équipement du quartier.

On observe donc que les crèches sont implantées sur le territoire en fonction desbesoins de la population. Toutefois les bassins de population étant fluctuants, certainsquartiers sont moins bien pourvus que d’autres en places de crèche. M. Damblin précisetoutefois qu’ « on est sur un besoin tellement fort des populations qu’elles se déplacent.58 »

C.Les objectifs de la politique de la petite enfance

1. Le projet social du service Petite Enfance de VénissieuxUn projet social inscrit l’action des services de la petite enfance dans le cadre plus large dudéveloppement territorial : « il s’agit ici de solliciter les établissements et services d’accueil

58 Entretien n°7.

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petite enfance comme contributeurs au développement éducatif et social territorial, à traversleur projet social.59 »

A Vénissieux, ce projet s’applique à l’ensemble des structures d’accueil de la ville et aété élaboré à la fois par des élus, des professionnels de la petite enfance et des directeursde centres sociaux. Ainsi, les structures associatives sont elles aussi inclues dans ce projetsocial, au même titre que les crèches municipales. Chaque EAJE décline ce projet socialau sein de son projet pédagogique d’établissement, en fonction de ses spécificités. Leprojet social s’articule en 11 axes60, adaptés au terrain spécifique que constitue la ville deVénissieux.

Le premier de ces axes est la promotion d’un accueil de qualité, fondé sur descompétences professionnelles actualisées et développées ainsi qu’une organisation et desprocédures adaptées. L’accueil de l’enfant et de sa famille se veut personnalisé et adaptéaux besoins. Il est basé sur des valeurs telles que l’équité, le respect de la diversité, la laïcitéet la coéducation.

L’accueil du jeune enfant vise aussi à dépister et prévenir les situations d’exclusion,dans une optique d’égalité des chances et de cohésion sociale. Cet axe est mis en œuvrepar une procédure favorisant les familles en situation de précarité pour l’obtention d’uneplace de crèche, pour encourager la mixité sociale. De plus, l’offre de garde occasionnelle(moins de 15 heures par semaine) et l’accueil en urgence permettent à certaines familles,malgré qu’elles n’aient pas d’emploi, de socialiser leur enfant et d’avoir accès à ce servicepublic.

L’accueil des enfants en situation de handicap constitue le troisième axe de ce projetsocial.

Le soutien des savoirs parentaux est également une orientation importante, que j’airetrouvée dans plusieurs de mes entretiens. Cet axe de soutien et d’accompagnement estrelativement nouveau, car auparavant les professionnelles étaient plus facilement dansune position de supériorité par rapport aux familles. Mme Champmartin explique ainsi quedorénavant, « l’idée c’est de faire ensemble, avec eux. Donc on n’est pas là pour leur direcomment faire parce que je pense que c’est fini ce temps où les professionnels savaientet apprenaient aux parents.61 »

Cet axe s’articule avec le suivant, intitulé « favoriser la participation citoyenne desusagers que sont les familles62 ». Depuis le décret d’août 2000 notamment63, les famillessont invitées à participer au fonctionnement de la structure, en donnant leur avis ou enparticipant à des activités collectives. Les familles sont particulièrement intégrées dans lacrèche parentale Arc en Ciel puisque celle-ci est gérée par les parents, ainsi que dans lescrèches de centres sociaux (Graines d’Eugénie et Tourni Cotton), qui peuvent davantageles accueillir dans leur globalité du fait des autres activités proposées par le centre social.

59 PUEYO Bernard, MORETON Françoise. Articuler projet social et projet éducatif dans le domaine de la petite enfance. Institut

National de Recherche Pédagogique. Contribution n°240 de la 8ème Biennale de l’Education et de la Formation. P.2.60 Direction Enfance Education Santé, ville de Vénissieux. Projet social et éducatif 0-6 ans. Les axes de travail du projet social.

16 p.61 Entretien n°5.62 Direction Enfance Education Santé, ville de Vénissieux. Projet social et éducatif 0-6 ans. Les axes de travail du projet social.

P.8.63 Voir infra, p. 42.

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Pour Mme Margerit, cet axe correspond à l’idée que « le parent est capable de. […] Qu’il soitprécaire, qu’il soit dans une difficulté sociale, psychologique, matérielle ou autre, partonsde ce que sait faire le parent, de ce qu’il a à nous montrer, et portons sur cette famille unregard digne. […] L’assistanat clairement c’est pas la solution.64 »

Le sixième axe vise à mieux prendre en compte les besoins de l’enfant entre deux ettrois ans, notamment face au déclin de la scolarisation dès deux ans et demi, en développantpar exemple un réseau d’assistantes maternelles pour l’accueil péri-scolaire.

Favoriser l’accès de tous les enfants aux activités culturelles, artistiques et sportives,ainsi que susciter les liens intergénérationnels, constituent les septième et huitième axes.

Le projet social se situe aussi au niveau administratif, avec l’idée de concourir à l’unitéde la politique de la petite enfance à Vénissieux et de promouvoir un travail en réseauentre les acteurs. Pour cela, il stipule qu’il est nécessaire de formaliser davantage les liensexistants et de distinguer les rôles de chacun pour éviter les chevauchements, tout endéveloppant la transversalité65.

L’avant-dernier axe correspond à la fusion des RAM et du Point Info66.Enfin, le projet social énonce que la politique de la petite enfance doit soutenir la

promotion sociale des professionnelles, et notamment des assistants maternels.Si le contenu de ce projet semble comparable à celui de biens d’autres villes, sa mise

en œuvre s’en différencie du fait de l’adaptation aux réalités du terrain et à la spécificitéde sa population.

Par ailleurs, la politique de la petite enfance répond à des objectifs sociétaux plus largestels que l’épanouissement des jeunes enfants et leur réussite scolaire et sociale à plus longterme, ainsi que l’insertion sociale et professionnelle des parents.

2. Un investissement social dans la petite enfanceSi le jeune enfant doit nécessairement passer beaucoup de temps auprès de ses parentspour sa sécurité affective et son développement, de nombreux travaux de recherchemontrent les effets bénéfiques de l’accueil en collectivité. Celui-ci se doit d’être de qualitéet de respecter le rythme et le bien-être de l’enfant s’il veut favoriser son développementcognitif, psycho-affectif, physique et social.

L’accueil en crèche constitue tout d’abord un premier lieu de socialisation pour l’enfant,qui va apprendre à côtoyer d’autres enfants et d’autres adultes que ceux de son cerclefamilial. Il va également intérioriser le respect des règles sociales et d’autrui. Ainsi,« les enfants gardés collectivement ont une meilleure compétence sociale, sont plusindépendants vis-à-vis des adultes, ont moins peur des étrangers, sont plus sûrs d’eux-mêmes.67 »

64 Entretien n°6.65 Direction Enfance Education Santé, ville de Vénissieux. Projet social et éducatif 0-6 ans. Les axes de travail du projet social.

P. 14.66 Voir supra, p. 24.67 FLORIN Agnès. Modes d’accueil pour la petite enfance au regard de la recherche internationale. In BEN SOUSSAN Patrick.

Le livre noir de l’accueil de la petite enfance. Toulouse : Editions Erès, 2010. Collection 1001 BB. P. 91.

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Le développement de l’offre d’accueil de la petite enfance est aussi largement considérécomme un moyen de favoriser la réussite scolaire et sociale. En effet, « en matière d’héritagesocial, les mécanismes qui comptent vraiment sont enfouis à l’âge préscolaire.68 » Lesinégalités s’établissant dès le plus jeune âge, il parait alors important de promouvoir unaccueil collectif de qualité qui permette une certaine égalité des chances. L’accueil encrèche va ensuite faciliter l’entrée et l’intégration dans le système scolaire. Cet accueil estnotamment très bénéfique pour les enfants issus de milieux en difficultés ou issus de famillesimmigrées : « pour les enfants immigrés et de ‘deuxième langue’, des services de qualitépeuvent faciliter l’intégration, l’acquisition linguistique, réduisant ainsi le handicap lors del’entrée dans le système d’éducation formelle.69 » Il est en effet avéré que les enfants issusde milieux dans lesquels on ne parle pas toujours français et ayant passé du temps encollectivité progressent davantage dans l’acquisition du langage70. Le développement d’unetelle politique semble ainsi correspondre aux enjeux présents à Vénissieux, du fait d’unepopulation en forte proportion précaire et d’origine étrangère, ne maitrisant pas toujours lefrançais.

L’investissement dans l’accueil de la petite enfance est un investissement sur lelong terme, puisqu’in fine l’objectif est de réduire la pauvreté et les inégalités, ainsi qued’améliorer la santé de la population et la formation de la main d’œuvre. Cette vision seretrouve lors de différents discours du maire de Vénissieux, qui répète fréquemment que« la jeunesse […] n’est pas un coût, mais un investissement.71 »

L’accueil de l’enfant dans un service de qualité, et par des professionnels compétentsest donc un des objectifs premiers de la politique petite enfance. Toutefois, l’enfant étanttoujours accueilli avec sa famille, les objectifs de cette politique ne se limitent pas à l’enfantmais s’étendent à la société toute entière.

3. Un moyen de favoriser l’insertion professionnelle et socialeL’objectif premier de l’accueil des jeunes enfants est d’offrir un mode de garde auxparents et donc de leur permettre de concilier leur vie professionnelle et familiale. Cela estparticulièrement vrai pour les femmes, qui sont bien souvent les premières à devoir arbitrerentre leur emploi et la garde de leur enfant. Ceci se remarque notamment dans les milieuxen difficultés : si une offre de garde peu coûteuse n’est pas disponible, la mère choisirafréquemment l’option de garder son enfant à domicile au détriment de son travail. « Ainsi,il existe une relation claire entre une offre de garde élevée et un taux d’emploi des femmesélevé. En l’absence de services de garde et d’aide publique au retour sur le marché del’emploi, les congés parentaux peuvent affaiblir le lien des femmes au marché du travail.72 »En France, le taux de fécondité est le plus élevé d’Europe avec 1,98 enfant par femme en

68 ESPING-ANDERSEN Gosta, PALIER Bruno. Trois leçons sur l’Etat-providence. Paris : Seuil, 2008. Collection La Républiquedes idées.P. 72.

69 UNICEF, Centre de recherche Innocenti. La transition en cours dans la garde et l’éducation de l’enfant. Bilan Innocenti 8,2008. P. 9.

70 FLORIN, Agnès. Op. cit., p.91.71 Intervention de Michèle Picard à l’occasion de la signature du Contrat Enfance Jeunesse [en ligne]. 2 mai 2011. [page

consultée le 15 juin 2012] < http://www.michele-picard.com/ >72 TABAROT, Michèle. Rapport sur le Développement de l’offre d’accueil de la petite enfance. La documentation française, 2008. P. 14.

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200673, ce qui montre que dans l’ensemble les femmes n’ont pas à arbitrer entre grossesseet emploi, en partie grâce à une politique d’accueil du jeune enfant efficace. La politique dela petite enfance répond donc aux objectifs de dynamiser la croissance démographique touten palliant au vieillissement de la population, mais aussi d’augmenter la population activepar le travail des femmes. Elle vient de fait alimenter le moteur de la croissance économique,en générant des emplois et en rendant les territoires dynamiques et attractifs.

La politique de la petite enfance est aussi un « des moyens d’arriver à réaliser l’égalitéhommes-femmes, puisqu’elle permet aux femmes de s’extraire de leur rôle de mère pours’investir dans une carrière professionnelle.74 » L’éducation et le soin des enfants restenttoutefois encore largement à la charge des femmes dans la société française, ce qui conduità un fort taux de travail à temps partiel parmi les emplois féminins. Parmi ceux-ci, trois surdix sont subis, ce qui représente un taux plus élevé que dans le reste de l’Europe75.

Cette situation se vérifie à Vénissieux, où bon nombre de personnes interviewéesm’ont cité la difficulté d’accueillir des enfants dont les parents ont des horaires atypiqueset irréguliers, avec beaucoup de temps partiels. Grâce au critère des deux parents quitravaillent, nécessaire pour obtenir une place régulière en crèche, la politique vénissianevise à encourager le retour à l’emploi de la population, et en particulier des femmes. Lemaire, Mme Picard, est en effet très sensible à la cause féminine :

C’est compliqué parce qu’on a beaucoup de femmes qui subissent les tempspartiels, les temps partiels imposés. […]On peut pas parler du professionnel desfemmes sans parler de la garde des enfants, quelque part. Je pense que ça vade pair, au plus vos enfants sont biens dans des services publics, au plus lesfemmes se sentent libres de faire des choses aussi. […] C’est les femmes quis’occupent des vieux, des enfants, des malades, des personnes handicapées,etc. Donc au plus vous avez des services publics forts, au plus ça donne del’émancipation aux femmes.76

Cependant, « sur certains bassins d’emploi très dégradés, les lieux d’accueil participentdavantage à soutenir les parcours d’insertion qu’à permettre l’accès à l’emploi.77 » Cettedescription correspond au cas de Vénissieux, où le taux de chômage s’élèvait à 18,6%en 200878. De fait, l’accueil des enfants en mode occasionnel (moins de 15 heures parsemaine), qui ne nécessite pas que les parents aient un emploi, permet à l’enfant de sesocialiser, mais aussi aux parents d’être en contact avec un service public et de recevoirun accompagnement. Cela leur donne aussi du temps libre, nécessaire pour effectuer leursdémarches de recherche d’emploi par exemple : « ils font ça aussi pour permettre de

73 Ibid., p. 13.74 Ibid., p. 16.75 Ibid., p. 17.

76 Entretien n°9.77 PUEYO Bernard, MORETON Françoise. Articuler projet social et projet éducatif dans le domaine de la petite enfance. Institut

National de Recherche Pédagogique. Contribution n°240 de la 8ème Biennale de l’Education et de la Formation. P.2.78 INSEE [en ligne]. Chiffres clé : Vénissieux. Evolution et Structure de la population (mise à jour le 30 juin 2011). [page consultée le18 avril 2012] < http://www.insee.fr/fr/bases-de-donnees/default.asp?page=statistiques-locales.htm >

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faire autre chose, de s’occuper des autres enfants, des démarches administratives, desdémarches personnelles…79 » Comme l’expliquent Bernard Pueyo et Françoise Moreton,

un accueil ponctuel mais régulier peut alors aider à lever les freins successifs(alphabétisation, permis de conduire…), franchir les étapes, soutenir laconstruction d’une sécurité et d’une confiance pour la mère et l’enfant, et faciliterla séparation progressive ainsi que l’élaboration de projets.

Enfin, la crèche représente pour les parents un premier lieu de contact avec le service publicet ainsi un levier d’insertion et de prévention. Pour Mme Margerit, « la petite enfance c’estla prévention, on devrait mettre le paquet ! Parce que c’est là où on a les parents, c’est là oùon a les familles, c’est là où on devrait faire passer les messages principaux ! Puisque lesfamilles amènent leur enfant, elles ont pas le choix.80 » L’accueil des familles débouche surun travail d’accompagnement à la parentalité mais aussi de citoyenneté. Il s’agit de rendreles parents acteurs et de les renforcer dans leur rôle de premier éducateur de l’enfant. MmeMargerit insiste sur l’importance de recevoir les familles de manière digne, pour leur montrerque leurs préoccupations sont prises en compte même si une solution n’est pas toujoursdisponible. En cela, elle considère réaliser un travail de citoyenneté car les parents ontainsi un droit de regard sur ce que deviennent leurs cotisations81. De la même façon, pourMme Picard, la crèche est un « lieu public, laïc et républicain », donc un lieu d’exercice decitoyenneté. Cette idée correspond à l’évolution décrite par Marc-Henry Soulet82, selon quiles nouvelles modalités du travail social visent à parvenir à la « subjectivation de l’individu »,par un accompagnement individualisé. L’autonomie et la responsabilisation sont alors desconditions d’intégration sociale.

Ainsi, les politiques publiques en faveur de la petite enfance poursuivent simultanémentplusieurs objectifs de nature différente : satisfaire les besoins des familles, socialiser lesenfants, faciliter la conciliation vie professionnelle/vie familiale et accroitre le taux d’activitédes femmes, soutenir les taux de fécondité, lutter contre la pauvreté infantile, garantirl’égalité des chances.83 » Ces objectifs peuvent parfois s’avérer contradictoires : commentpar exemple encourager les femmes à travailler sans que l’enfant ne passe trop de tempsen structure collective ? Un congé parental de longue durée peut être une réponse auxbesoins des familles, mais il risque aussi d’éloigner les parents du marché du travail, etnotamment les femmes. La mise en place d’une prestation universelle pour pallier aux coûtsque représente l’arrivée d’un enfant est aussi une solution pour soutenir la natalité, maiselle pose des problèmes d’équité84. Il s’agit donc de trouver un compromis délicat entredifférentes options de développement de la politique petite enfance.

Au terme de cette première partie, il semble nécessaire de pointer les deux enjeuxstratégiques que sont l’adaptation aux besoins territoriaux d’une part, et la coordination desintervenants d’autre part. En effet, il est clair que Vénissieux n’est pas une ville « ordinaire »,du fait de sa grande mixité sociale, des disparités entre ses quartiers, et de la précarité

79 Entretien n°7.80 Entretien n°6.81 Ibid.82 SOULET, Marc-Henry. Une solidarité de responsabilisation ? In ION, Jacques. Le travail social en débats. Paris : La Découverte,2005. Collection Alternatives Sociales. 267 p.

83 Conseil d’Analyse Stratégique. Rapport sur le service public de la petite enfance. Paris, 2007. P.5.84 Ibid., p. 5.

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de sa population. La politique de la petite enfance étant mise en œuvre par des acteursmultiples et visant des objectifs différents, se pose alors la question de la coordination :comment les partenaires peuvent-ils collaborer de manière efficace pour répondre auxbesoins de la population ? Comment concilier les objectifs, complémentaires mais parfoisaussi contradictoires de la politique petite enfance ?

C’est pour tenter de répondre à ces enjeux que d’importantes évolutions (législativesnotamment) ont eu lieu durant les dix dernières années, celles-ci allant majoritairement dansle sens d’une standardisation de la politique de la petite enfance.

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II. Une politique s’inscrivant dans une certaine standardisation de l’action publique locale

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II. Une politique s’inscrivant dans unecertaine standardisation de l’actionpublique locale

Cette deuxième partie a pour objectif de montrer en quoi la politique en faveur de la petiteenfance à Vénissieux s’inscrit dans des évolutions nationales : au niveau législatif toutd’abord, avec la parution récente de plusieurs décrets modifiant les conditions d’accueil desjeunes enfants ; mais aussi au niveau des pratiques et des procédures, avec une haussedes normes en la matière. Comme les politiques publiques dans leur ensemble, la politiquede la petite enfance tend à devenir moins sectorialisée et davantage territorialisée autour departenariats transversaux entre les différents acteurs locaux. Tous ces processus amènentainsi à une certaine standardisation de l’action publique en faveur de la petite enfance.

A.Les évolutions récentes du cadre législatif :optimisation ou rationalisation ?

Depuis les années 1970, les attentes des familles envers les lieux d’accueil ont augmentéet changé. Le regard des parents sur ces structures a évolué vers la reconnaissance de leurrôle socio-éducatif, d’éveil et de socialisation. Bien que la majorité des parents préfèrent lagarde par une assistante maternelle85, qui peut avoir des horaires plus souples et proposeun accueil plus individualisé, la demande de places de crèche n’a fait que croitre. Cettedemande s’est en outre diversifiée avec la montée des emplois aux horaires atypiques quia généré de nouveaux besoins de la part des familles. Auparavant, les parents inscrivaientleur enfant en crèche car ils travaillaient tous les deux. Dorénavant, il n’est pas rare qu’undes deux parents (voire les deux) suive une formation, ait un emploi précaire ou soit auchômage. Cela nécessite une adaptation de la part des professionnels des lieux d’accueil.Face à cela, de nouvelles formes de garde ont dû être trouvées, qui ont entrainé plusieursréformes de la législation sur l’accueil des jeunes enfants. De 2000 à 2010, trois décrets etune circulaire vont ainsi tourner une page dans l’histoire de l’accueil des jeunes enfants.

1. Le décret du 1er août 200086

Ce décret est le premier d’une série de réformes qui vont profondément transformer la priseen charge des enfants en structures d’accueil. Il commence par donner un nouveau nom aux

85 Ceci n’est toutefois pas le cas à Vénissieux, où les parents demandent en priorité une place de crèche. Voir infra, p. 77.86 FRANCE, CONSEIL D’ETAT. Décret n°2000-762 du 1 er août 2000 relatif aux établissements et services d’accueil des

enfants de moins de six ans et modifiant le code de la santé publique. Journal Officiel n°181, 6 août 2000.

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crèches, qui deviennent des Etablissements d’Accueil du Jeune Enfant (EAJE). L’accentest ainsi porté sur l’accueil des familles dans leur diversité et la tenue de réunions au seinde la structure. Mme Ruiz note à ce propos le changement généré par ce décret : « avantles familles étaient dehors et nous on était dedans. Avant le décret d’août 2000 les famillesétaient peu impliquées et y’avait pas cette réflexion et ce cheminement d’ouvrir les portespour amener les familles à être actrices aussi…87 » Une avancée est aussi produite pour lesoutien à l’intégration des enfants en situation de handicap. Les établissements ou servicesdoivent par ailleurs élaborer un projet d’établissement ou de service ainsi qu’un règlementintérieur qui, après leur adoption définitive, sont transmis au Président du Conseil Général.Selon Marie-Paule Thollon-Behar, « ce projet leur a apporté une ouverture vers l’extérieuret une dynamique qui n’existaient pas toujours auparavant.88 »

Le décret permet d’unifier les règles pour les rendre communes aux différents modesd’accueil (collectif, familial, parental). Il fixe ainsi des qualifications minimales pour lesprofessionnels (notamment les directeurs de structures) ainsi qu’une capacité d’accueilmaximale en fonction des types de structures et un taux d’encadrement minimal (un adultepour cinq enfants qui ne marchent pas, un adulte pour huit enfants qui marchent). Enfin, ilintroduit la notion de « multi-accueil », c'est-à-dire la possibilité pour une structure d’accueillirà la fois des enfants en mode régulier et des enfants en occasionnel, ou bien d’associermode de garde collectif et familial. Cette nouvelle pratique va profondément changer leshabitudes et l’organisation des professionnels, qui doivent désormais s’adapter à l’accueild’un plus grand nombre d’enfants et de familles aux attentes différentes pour un mêmenombre de places.

2. La circulaire du 31 janvier 2002 : la mise en place de la PSU89

La création de la Prestation de Service Unique90 répond à la nécessité de s’adapter auxévolutions sociales citées précédemment ainsi qu’aux changements initiés par le décretd’août 2000. La PSU est définitivement appliquée pour toutes les structures depuis le31 décembre 2005. Elledevient la seule prestation de service accordée par la CAF pourles enfants de 0 à 4 ans accueillis en crèche. Elle introduit une caractéristique nouvellequant à la tarification : l’heure devient l’unité de référence pour tous les types d’accueil(la facturation se faisait auparavant au mois). Les établissements appliquent un barèmeCAF national de participation financière pour les familles, proportionnelle aux ressourcesdu foyer. Les professionnels doivent donc signer un contrat (uniquement pour les accueilsréguliers) au début de la relation avec la famille pour fixer et gérer les horaires d’accueilde l’enfant. La PSU simplifie les choses pour les parents, qui ne paient que le nombred’heures qu’ils ont effectivement utilisées. La participation financière des familles a ainsibaissé depuis 2005. Mais la PSU alourdit les tâches administratives pour les professionnelsgestionnaires, qui doivent assurer les facturations. De plus, le financement de la CAFdépendant du nombre d’heures de présence réelle des enfants, le personnel de la structuredoit veiller à ce que son taux de remplissage soit toujours supérieur à 70%, en comblantles places éventuellement vacantes. Au final, la PSU a permis d’assouplir les modalitésd’accueil par une optimisation des capacités d’accueil des équipements et des amplitudes

87 Entretien n°1.88 THOLLON-BEHAR, Marie-Paule. Du côté des professionnels. In BEN SOUSSAN, Patrick. Op. cit., p. 125.89 CAISSE NATIONALE DES ALLOCATIONS FAMILIALES. Lettre circulaire n°2002-025 du 31 janvier 2002.90 Voir aussi supra, p. 25.

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d’ouverture mieux adaptées au besoin des familles, de rendre plus lisibles les aides dela CAF en simplifiant les prestations de service, de mieux prendre en compte les besoinsatypiques et d’accompagner le développement du multi-accueil. Elle a toutefois suscité uneprofonde modification des pratiques professionnelles en introduisant une notion financièreet en demandant une réorganisation significative des EAJE.

3. Le décret du 20 février 200791

Toujours dans l’optique de mieux répondre aux besoins des familles, le gouvernementfrançais met en place en 2006 un Plan Petite Enfance. Ce dernier annonce neuf mesuresprécises92 : amplifier la création de places d’accueil, lever les obstacles au développementde ces places et faciliter le recrutement des professionnels de la petite enfance, autoriserdes micro-crèches à titre expérimental, aider les PME à créer des crèches, diffuser auxprofessionnels et à la PMI un guide d’accompagnement afin d’offrir les mêmes servicessur tout le territoire, accompagner la mise en œuvre de la loi rénovant la professiond’assistante maternelle, développer l’emploi dans les filières de la petite enfance, mieuxinformer les familles sur les possibilités de garde existantes et assouplir les modalités ducongé maternité. L’idée générale est de faire face à la pénurie de personnel diplômé et àl’augmentation des demandes de places, tout en réduisant les coûts et en assouplissant lefonctionnement des différents types d’accueil.

Le décret de février 2007 s’inscrit dans la continuité du Plan Petite Enfance. Souscertaines conditions, les postes de direction d’EAJE peuvent désormais être confiés àdes éducateurs de jeunes enfants, des infirmiers, des psychomotriciens ou des sages-femmes, ce qui était impossible avant. Ce décret autorise aussi les micro-crèches àtitre expérimental : à mi-chemin entre l’accueil individuel et l’accueil collectif, de statutmunicipal, associatif ou privé, elles sont conçues pour augmenter l’offre d’accueil danscertains territoires, notamment ruraux. Les assistants maternels de la micro-crèche peuventaccueillir de trois à neuf enfants dans une maison ou un appartement. La municipalitébénéficie ainsi de nouvelles places de crèches à moindre coût, mais la question se posede savoir si la qualité d’accueil de ces structures est à la hauteur de celle des crèchestraditionnelles.

4. Le décret du 7 juin 201093

Plusieurs des principales mesures de ce décret ont été vivement critiquées par lesprofessionnels de la petite enfance. Si le taux d’encadrement des enfants demeureinchangé, le pourcentage minimal de personnel diplômé de la petite enfance passe de 50%à 40%. Le décret donne aussi la possibilité d’accueillir des enfants en surnombre (10%pour les établissements de moins de 21 places, 15% pour les établissements entre 21 et

91 FRANCE, PREMIER MINISTRE. Décret n°2007-230 du 20 février 2007 relatif aux établissements et services d’accueil des

enfants de moins de six ans et modifiant le code de la santé publique. Journal Officiel n°45, 22 février 2007.92 RICAUD-DROISY, Hélène. Plan petite enfance 2006 et rapport sur le service public de la petite enfance 2007 : éléments d’analyse.In BEN SOUSSAN, Patrick. Op. cit., p. 111.93 FRANCE, PREMIER MINISTRE. Décret n°2010-613 du 7 juin 2010 relatif aux établissements et services d’accueil des

enfants de moins de six ans. Journal officiel n°0130, 8 juin 2010.

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40 places, 20% pour tous les autres), dans une certaine limite hebdomadaire. Les micro-crèches sont reconnues comme des structures d’accueil en tant que telles, d’une capacitémaximale de 10 places. Par ailleurs, dans un contexte de déscolarisation des enfants dedeux ans, un nouveau type d’EAJE, les jardins d’éveil, voit le jour : ceux-ci peuvent accueillirde 12 à 80 enfants de deux ou plus afin de faciliter leur entrée à l’école maternelle. Cesdeux nouveaux modes d’accueil que sont les micro-crèches et les jardins d’éveil suscitentde nombreuses inquiétudes quant à leur qualité d’accueil, du fait des réglementations plussouples auxquels ils sont assujettis en matière de qualification des personnels et de tauxd’encadrement.

C’est en réaction au projet de ce décret qu’est né au niveau national le collectif demobilisation « Pas de bébé à la consigne ». Celui-ci dénonce « la dégradation de laqualité de l'accueil et [la] marchandisation des crèches au détriment de leurs missionsd'éveil94 » que représente le décret de 2010. Les professionnels redoutent égalementune déprofessionnalisation de leur filière qui vienne détériorer les conditions d’accueil. Ilsdénoncent ainsi la hausse du taux d’accueil en surnombre rendu possible par les nouvellesrègles, la baisse de 50% à 40% du seuil minimal obligatoire de personnel qualifié. Ilss’opposent aussi à la déréglementation mise en œuvre dans les jardins d’éveil ainsi qu’àla possible création de maisons d’assistants maternels, « en réalité des crèches low cost,sans règle de fonctionnement et exposant les professionnel(le)s à de graves problèmesde responsabilité »95. Leurs revendications semblent toutefois ne pas avoir été entenduespuisque le décret de 2010 a bel et bien été adopté, et les maisons d’assistants maternelscréées.

5. La directive européenne « services » du 12 décembre 200696

Cette directive, aussi dite « directive Bolkestein », vise à libéraliser le marché européen desservices, à l’image des biens, des capitaux et des hommes. Les formalités administrativessont réduites pour les prestataires de services intervenant dans un autre Etat membre quele leur. Après le vote de cette directive en 2006, les pays européens disposaient de trois anspour la transposer dans leur législation nationale. La directive est ainsi entrée en vigueuren France fin 2009.

Elle s’applique également aux services sociaux et donc aux services de la petiteenfance, ce qui a généré de nombreuses protestations. Les professionnels de la petiteenfance craignent en effet que cette directive entraine la dérégulation progressive deleur secteur et son ouverture à la concurrence, ainsi que la suppression des subventionspubliques. Ils ont ainsi demandé à ce que la petite enfance soit exclue du champd’application de la directive et soit considérée comme un service d’intérêt général et d’utilitésociale, et non comme un service pouvant dépendre uniquement des lois du marchéintérieur européen. Cette demande a cependant été refusée par le Ministère du Travail, dela Solidarité et de la Fonction Publique pour qui l’application de la directive n’induit aucune

94 POTTIEE-SPERY, Philippe. Levée de bouclier des professionnels de la petite enfance [en ligne]. La Gazette Santé Social, 19février 2010. [page consultée le 18 mai 2012] < www.gazette-sante-social.fr/actualite/a-la-une-Levee-de-bouclier-des-professionnels-de-la-petite-enfance-16178.html >

95 Ibid.96 PARLEMENT EUROPEEN ET CONSEIL. Directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le

marché intérieur. Journal Officiel de l’Union Européenne n° L376, 27 décembre 2006.

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dérégulation ni aucun abaissement des exigences de qualité dans le secteur de la petiteenfance.

On assiste donc au niveau national voire européen à une multiplication des typesde modes de garde s’efforçant de répondre à la diversification des besoins des familles,l’assouplissement des règles permettant d’augmenter le nombre de places d’accueil. Sicette multiplicité des modes d’accueil et des gestionnaires ne va pas dans le sens de lastandardisation, cette dernière est en revanche bien présente dans la tendance généraled’assouplissement des règles d’accueil.

Ces réformes successives montrent bien la tension constante entre les aspectsquantitatif et qualitatif. La volonté est d’une part d’accueillir le plus possible d’enfants sur unnombre limité de places afin de restreindre le coût financier, et d’autre part d’améliorer laqualité de l’accueil en apportant une réponse adaptée à l’évolution des besoins des familles.

Si pour certains il s’agit d’un processus vertueux d’optimisation des équipementsd’accueil et d’une meilleure utilisation des services, pour d’autres les nouvelles législationssoumettent le secteur de la petite enfance à des normes de rentabilité et de rationalisationpeu compatibles avec ses missions initiales.

La ville de Vénissieux a bien sûr dû se conformer et s’adapter à ces réformeslégislatives. Les professionnels que j’ai rencontrés m’ont tous fait part des changementsque cela avait généré dans leur quotidien et de leur ressenti, voire parfois de leurmécontentement ou de leur incompréhension97.

D’autres adaptations ont également été nécessaires face à la hausse du nombre et del’exigence des normes et des procédures dans le champ de la petite enfance.

B.La standardisation des pratiques et des procéduresCette sous-partie a pour objectif de montrer en quoi la petite enfance n’échappe pasà la standardisation des pratiques qui a caractérisé les politiques sociales depuis laSeconde Guerre Mondiale. Ce secteur a en effet subi un processus de professionnalisationremarqué : composé à l’origine de bénévoles, il est aujourd’hui organisé en métiers, avecune multiplication des diplômes de professions du social98. C’est le cas pour le champde la petite enfance, avec les diplômes de puéricultrice, d’éducateur de jeunes enfants,d’auxiliaire de puériculture, le CAP petite enfance ou encore l’agrément d’assistant maternel.Cette professionnalisation s’est accompagnée d’une meilleure qualité du service rendu auxpopulations. Dans l’optique d’améliorer davantage cette qualité sont également apparuesde nombreuses normes pour les pratiques en matière d’hygiène, de santé ou d’alimentation.Ces recommandations entrainent une certaine standardisation du travail quotidien desprofessionnels, qui reçoivent une formation similaire sur ce sujet et sont ensuite soumis àdes normes identiques et contraignantes.

Cette standardisation a pour finalité la qualité de l’accueil, dans une double exigence desécurité et d’égalité de traitement des usagers. Nous allons voir que la qualité telle qu’elleest entendue ici répond à une définition particulière, qui n’est pas nécessairement partagéeuniversellement.

97 Voir infra, p. 81.98 ION, Jacques. Op.cit.

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1. Une définition particulière de la qualitéLe domaine de la petite enfance n’échappe pas la mise en place de référentiels de qualité nià la tendance actuelle d’évaluation des politiques publiques. En effet, parmi les évolutionsrécentes de l’action publique, l’influence du « new public management » et de sa rhétoriquede performance et d’évaluation des politiques publiques se fait particulièrement sentir. Le« new public management » correspond à l’idée d’introduire des techniques de gestionprivées dans les institutions publiques, dans un contexte de crise de l’Etat-providence, derestriction des moyens budgétaires et de nouvelles demandes des citoyens (désormaisappelés « usagers » et non plus « personnes », comme s’ils étaient devenus des « clients »de l’administration)99. Pour Pierre Muller, cela correspond à un « changement du référentielglobal : référentiel de la performance publique puis référentiel de l’efficacité globale100 ». Lerecours à la notion de prestation de service (la PSU par exemple dans le cas de la petiteenfance), la généralisation des normes relatives à la qualité et à l’évaluation introduisentainsi des pratiques managériales dans les politiques sociales.

De façon plus générale, on observe petit à petit une transformation des schémasde pensée de l’action publique. Marleen Brans et Diederick Vancoppenolle relèvent cinqchangements majeurs dans la manière dont sont pensées et construites les politiquespubliques :

la mise en place de stratégies pour mieux identifier les objectifs des politiques,le renforcement des moyens de coordination entre politiques, la dépendancetoujours plus forte par rapport à la qualité de l’information, l’importancecroissante de la fonction d’évaluation et la nécessaire implication de la sociétécivile dans le processus politique101.

Ces cinq thématiques s’appliquent de manière cohérente en ce qui concerne la politiquede la petite enfance, comme nous l’avons vu pour l’identification des objectifs multiples decette politique, et comme nous le verrons ensuite pour les autres thèmes. Nous allons icinous intéresser plus spécifiquement à l’évaluation. Jean Leca la définit comme « l’activité derassemblement, d’analyse et d’interprétation de l’information concernant la mise en œuvreet l’impact de mesures visant à agir sur une situation sociale, ainsi que la préparation demesures nouvelles102 ». Il s’agit d’évaluer non seulement l’organisation d’une administrationet son fonctionnement, mais bien l’impact de l’action publique sur une population, ses effetset sa performance par rapport aux objectifs attendus.

Cette idée centrale de performance se retrouve au cœur de la LOLF (Loi Organiquerelative aux Lois de Finances), qui organise des missions divisées en programmes, chacunétant assorti d’indicateurs de mesure de sa performance. Le Projet de Loi de Financede la Sécurité Sociale (PLFSS) est ainsi organisé en PQE (Programmes de Qualité et

99 OBERDOFF, Henri. Les institutions administratives. Paris : Armand Colin, 2002.100 MULLER, Pierre. Les politiques publiques. Paris : PUF, 2006. P. 112.101 BRANS, Marleen & VANCOPPENOLLE Diederick. « Policy-making reforms and civil service systems: an exploration

of agendas and consequences ». In PAINTER, M. & PIERRE, J. Challenges to state policy capacities, global trends and

comparative perspectives. Palgrave Macmillan, 2005. P. 171.102 LECA, Jean. « L’évaluation dans la modernisation de l’Etat ». Politiques et management public. Vol. 11, n°2, juin 1993, p. 165.

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d’Efficience)103. La petite enfance appartient par exemple au programme « Famille » :l’objectif numéro trois de ce programme est intitulé « concilier vie professionnelle et viefamiliale » et est mesuré par un indicateur sur l’offre en modes de garde. Celui-ci sedécompose en deux sous-indicateurs : l’offre de garde formelle pour 100 enfants de moinsde six ans et le taux d’occupation des EAJE. Ainsi, on constate que des mesures trèsprécises sont mises en place pour évaluer des actions liées à des objectifs plus généraux.

Ces objectifs répondent aussi à des impératifs issus de l’européanisation des politiquespubliques, puisqu’un des objectifs fixé par le Conseil Européen de Barcelone de 2002 estde mettre en place des structures d’accueil pour au moins 33% des enfants de moins troisans, afin de favoriser l’insertion des femmes sur le marché du travail104.

La performance devient donc un horizon à atteindre, légitimé par un motif d’efficacité etde correction des défaillances du système. L’usage de la statistique et des mesures chiffréesse banalise lui aussi. Le bilan du Contrat Enfance Jeunesse réalisé tous les quatre ans àVénissieux est un bon exemple d’évaluation chiffrée des effets de la politique de la petiteenfance.

L’idée de performance est associée à celle de qualité. Cette dernière est ici entenduecomme un concept lié au discours de l’évaluation, qui privilégie l’objectivité et les chiffres.Dans un monde soucieux de minimiser les risques, il s’agit de maitriser l’incertitude et d’yfaire face par « une quête de critères permanents ou stables de rationalité105 » et le recoursde plus en plus fréquent à des experts. Pour Peter Moss, cette approche correspond auparadigme positiviste de la modernité106, c'est-à-dire à un discours scientifique rationnelse voulant objectif, universel et normalisateur. La standardisation est donc un moyen deparvenir à la qualité, en décontextualisant toute politique pour lui appliquer des critères etdes normes universels. Peter Moss distingue trois groupes de critères d’évaluation pourla politique de la petite enfance : les critères de structures (taille des groupes, niveau deformation, ratio adultes/enfants, contenu du programme éducatif), de processus (ce qui sefait, les activités des enfants, les interactions entre le personnel et les enfants) et de résultats(développement de l’enfant, réussite scolaire ultérieure, satisfaction des parents). Selon lui,les résultats étant difficiles à mesurer, l’évaluation des politiques de la petite enfance s’estfocalisée sur les critères structurels et de processus. Ainsi le « comment » est davantageinterrogé et évalué que le « pourquoi » et ses résultats, ce qui aboutit à la standardisationdes procédures et des pratiques.

La qualité est ainsi un paradigme central dans le secteur de la petite enfance : on leretrouve dans tous les discours et tous les travaux de recherche sur l’accueil du jeune enfant.Il est en effet largement admis qu’étant donné le public spécifique que constituent les jeunesenfants, les structures d’accueil doivent plus que n’importe quels autres services sociauxproduire un service de qualité. Cela débouche sur de nouvelles exigences auxquellesdoivent s’adapter les professionnels dans leurs pratiques quotidiennes.

103 ELBAUM, Mireille. « Les indicateurs de performance en matière de politiques sociales : Quel sens pour l'action publique ? »Revue de l'OFCE, 2009/4 n° 111, p. 39-80.

104 TABAROT, Michèle. Op.cit., p. 18.105 MOSS, Peter et al. Au-delà de la qualité dans l’accueil et l’éducation de la petite enfance. Les langages de l’évaluation.

Toulouse : Erès, 2012. P. 160.106 Ibid., p. 170.

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2. Les exigences liées à l’amélioration de la qualitéLes évolutions précédemment citées se traduisent au quotidien dans la pratique desprofessionnels par de plus grandes exigences en matière de qualité, notamment dans lesprocédures. Au sein des EAJE, la qualité se décline sous de multiples facettes, allant desprocédures d’hygiène alimentaire à l’accueil bienveillant de l’enfant et de sa famille. Nousnous intéresserons ici à la qualité sous son aspect « technique », c'est-à-dire aux normesde sécurité, d’hygiène, d’alimentation et de santé.

Mes entretiens ainsi que mon expérience au sein du service Petite Enfance m’ont offertde multiples exemples de la prégnance des normes procédurales au quotidien dans lesstructures d’accueil. La PMI ainsi que l’ANSES (Agence Nationale de Sécurité Sanitaire del’Alimentation, de l’Environnement et du Travail) et au niveau régional l’Agence Régionalede Santé (ARS) imposent ainsi des directives en matière de santé que le service PetiteEnfance se doit de mettre en œuvre dans ses EAJE. Ces normes évoluant et étant misesà jour constamment, la mise en cohérence nécessite un suivi permanent et laborieux.

Depuis deux ans, certaines professionnelles de terrain de Vénissieux ainsi que lesmédecins de crèche ont formé un groupe de travail chargé de réécrire le protocole santéafin de l’actualiser. Ce protocole, alliant des aspects administratifs et sanitaires, est undocument de référence distribué à chaque professionnel et indiquant la conduite à tenirdans différents types de situation (fièvre, allergie, chutes…). Mme Henner, directrice de lacrèche municipale Carrousel, fait notamment partie de ce groupe de réflexion et précisequ’ « effectivement il y a des choses tout le temps à ajouter ou à réactualiser parce que çaévolue tout le temps, notamment au niveau de l’AFSSA.107 » De nombreux sujets font débatlors des réunions de ce groupe de réflexion : lors de l’une d’elles à laquelle j’ai pu assister, lespersonnes présentes ont questionné des thématiques diverses telles que la communicationentre les structures lors d’une alerte à la pollution chimique, le contenu de la trousse desecours au sein de l’EAJE, l’utilisation de thermomètres rectaux, ou encore le traitement deschocs anaphylactiques. Au niveau alimentaire, c’est la méthode HACCP (Hazard AnalysisCritical Control Point) qui prédomine. Celle-ci se définit comme une méthode ainsi qu’unsystème de gestion fondé sur sept principes et douze étapes, qui permettent d’identifier,d’évaluer et de maîtriser les dangers significatifs au regard de la sécurité des aliments.

De plus, un livret d’accueil est délivré aux parents lors du premier accueil de leurenfant en EAJE : celui-ci contient des décharges et autorisations parentales, des certificatsmédicaux ainsi qu’une fiche sur l’alimentation adaptée à l’âge de l’enfant. Ce livret est doncà la fois un outil d’accueil et de sensibilisation des parents à de bonnes pratiques de santépour leur enfant, mais aussi un moyen pour la crèche de se protéger en cas de problèmede santé chez l’enfant.

On observe en effet une extrême préoccupation de sécurité car la crèche est tenuepour responsable si l’enfant reçoit un médicament qu’il n’aurait pas dû recevoir. A titred’exemple, lors d’un entretien avec une directrice de crèche, celle-ci a été sollicitée à deuxreprises par deux professionnelles qui souhaitaient avoir son autorisation pour administrerun comprimé de paracétamol à un enfant. Même cet acte que l’on pourrait juger anodin estsous la responsabilité de la directrice afin de respecter le protocole de santé et d’assurerla sécurité des enfants.

107 Entretien n°4. L’AFSSA, l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments, a fusionné en juillet 2010 avec l’AgenceFrançaise de Sécurité Sanitaire de l’Environnement et du Travail pour donner l’ANSES.

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II. Une politique s’inscrivant dans une certaine standardisation de l’action publique locale

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Les EAJE sont régulièrement soumis à des visites de contrôle de la veille sanitaire etde la PMI, qui vérifient l’aménagement et l’hygiène des locaux, le taux d’encadrement, etc.,ce qui oblige les directrices et les professionnels à être encore plus attentifs au respect desnormes diverses.

Par ailleurs, les professionnels de la petite enfance reçoivent des formations surces thématiques leur permettant d’actualiser leurs savoirs et leurs compétences sur cesprocédures. En août 2011, deux journées de formation ont ainsi été organisées avecle CNFPT (Centre National de la Fonction Publique Territoriale). Parmi les thématiques,deux étaient particulièrement en lien avec l’adoption de pratiques jugées « bonnes »et « standard » : « Sensibilisation aux bons gestes et aux bonnes postures pour lespersonnels » et « Sécurité alimentaire, une responsabilité partagée » à propos de laméthode HACCP appliquée dans les structures éducatives. La mise en conformité auxnormes se retrouve donc dans les formations des professionnels qui reçoivent ainsi desconsignes standardisées quant aux pratiques à adopter.

Une certaine frustration est cependant perceptible lorsque les normes sont plus strictespour les crèches municipales que pour les crèches associatives. Mme Margerit déclare ainsiavec humour que « les normes sont beaucoup plus sévères pour la fonction publique eton voit que les associations ont des dérogations à toutes les normes. […] Les microbesdoivent sélectionner les crèches municipales et pas les crèches associatives !108 » Celapeut engendrer des difficultés de gestion au niveau du service Petite Enfance puisque lepersonnel de ce service est perçu comme personnel ressource et interlocuteur expert par lesprofessionnels de terrain. Ces derniers s’adressent donc en premier lieu aux personnes duservice, qui ne peuvent pas apporter une réponse uniforme en fonction du type de structureconcernée.

Ces normes sont désormais incontournables pour tous les acteurs du secteur dela petite enfance. Bien que parfois jugées « lourdes » et entrainant des modificationsorganisationnelles importantes, elles garantissent un accueil sécurisé et de qualité auxjeunes enfants.

Elles s’accompagnent en outre de contraintes de gestion générées par la CAF.

3. Les exigences de la CAFLa CAF étant le principal financeur de la politique de la petite enfance, elle exige encontrepartie de pouvoir contrôler la manière dont sont utilisés ces financements. M. Damblinreconnait qu’étant donné le taux élevé de cofinancement de la CAF, le fait qu’elle « demandedes comptes par rapport à ça n’est pas illogique109 ». Elle fixe ainsi des objectifs de qualitéet de quantité à atteindre au sein des EAJE, mesurables par différents taux et statistiques.

Les directrices de crèche doivent ainsi veiller à ce que chaque taux soit respecté chaquejour, ce qui demande une vigilance constante.

La première de ces exigences concerne le taux d’occupation ou taux de remplissage.La CAF prend en compte le taux d’occupation qui correspond aux heures d’accueileffectivement facturées aux familles, rapportées au nombre de places agréées multiplié parl’amplitude horaire d’ouverture annuelle. Ce taux doit être supérieur à 70% pour que la CAFverse la PSU. La possibilité nouvelle d’accueillir des enfants en surnombre suppose que le

108 Entretien n°6.109 Entretien n°7.

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taux d’occupation peut être supérieur à 100% sur certaines journées ; il ne doit néanmoinspas dépasser 100% sur l’ensemble de la semaine. En réalité, comme l’indique Mme Henner,le taux d’occupation n’atteint jamais 100% car « on ne peut pas avoir des enfants de 7h dumatin jusqu’à 18h30. Si j’ai un enfant qui vient de 9h à 17h30, je ne peux pas trouver unenfant de 7h à 9h et de 17h30 à 18h30.110 »

Cependant, ce taux d’occupation ne correspond pas à l’occupation réelle de lastructure, car les parents peuvent réserver et payer des heures qu’ils n’utiliseront pas parla suite, si l’enfant est malade ou s’ils ont un empêchement par exemple. La CAF demandeà ce que la différence entre le taux d’occupation réel et le taux d’occupation financier soitinférieure à 10%, afin de s’assurer que les financements et les participations financièresdes familles soient effectivement utilisés.

Le nombre d’heures réelles, lorsqu’il est rapporté au total des charges financières d’unestructure, sert à calculer le prix de revient horaire d’une place de crèche. Ce prix ne doit pas

dépasser le seuil d’exclusion de la CAF. Au 1er janvier 2012, ce seuil d’exclusion s’élevaità 15,19 euros pour une heure d’accueil en multi-accueil111. Au-delà de ce prix de revient, lastructure peut subir des sanctions financières.

La CAF impose aussi aux EAJE de limiter la participation financière des familles dansle cadre d’un taux d’effort, calculé en fonction des revenus du foyer et du nombre d’enfantsà charge.

L’obligation pour les crèches de respecter le multi-accueil (régulier et occasionnel)

depuis le décret du 1er août 2000 implique par ailleurs un taux de rotation importantdes enfants. Une place n’est plus occupée par un seul enfant mais par plusieurs quise succèdent dans une même journée. Cela aboutit pour les professionnels à accueillirdavantage d’enfants et de familles, ce qui demande un temps spécifique qui n’est parconséquent pas passé auprès des autres enfants. A Vénissieux, une place était occupée par1,07 enfant en 1999 et par 3,77 enfants en moyenne en 2009, augmentation qui démontreune optimisation des places et une meilleure utilisation des équipements112.

Une circulaire récente113 de la CAF soulève en ce moment de nombreuxquestionnements et oppositions : celle-ci demande à ce que les EAJE fournissent désormaisles couches pour les enfants, alors que les parents le faisaient auparavant. Cela représenteun coût nouveau pour les structures, non compensé par une hausse parallèle desfinancements. De plus cet achat nécessite des capacités de stockage dont tous les EAJEne disposent pas.

La CAF effectue en outre des visites de contrôle dans les EAJE. Lors de ces visites, elleexige que le trombinoscope ou un organigramme de l’équipe soit affiché, que les horairesainsi que la participation financière des familles soient également affichés clairement, quele règlement de fonctionnement soit mis à disposition des familles, et que les donnéesconcernant la structure soient à jour sur le site www.mon-enfant.fr .

110 Entretien n°4.111 CAF [en ligne]. Prestations de service. Prix plafonds et montants à compter du 1 er janvier 2012. [page consultée le 12

juillet 2012] < www.caf.fr/sites/default/files/caf/791/Documents/Partenaires/bareme_prestations_de_service_2012.pdf>112 DAMBLIN, Matthieu. Op.cit., p. 9.113 CNAF. Lettre circulaire n°2011-105 du 29 juin 2011 relative à la PSU.

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II. Une politique s’inscrivant dans une certaine standardisation de l’action publique locale

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Des tableaux de bord synthétisant l’ensemble des statistiques (réalisés tous les mois)ainsi qu’un bilan du CEJ (effectué tous les quatre ans) sont également exigés par la CAF.

L’introduction de pratiques gestionnaires et d’un impératif de rentabilité entraine uneforte hausse du temps administratif, notamment pour les directrices de structures. Celles-cidoivent en effet vérifier en permanence qu’elles respectent les taux fixés par la CAF, souspeine de voir leurs financements diminuer. Un bon exemple pratique est fourni par Marie-Paule Thollon Behar :

EAJE « Les petits lutins », lundi matin, 8 heures : deux coups de téléphone, lamaman d’Ambrine annonce que celle-ci est malade et ne viendra pas de toutela semaine, même chose pour Iliès mais seulement aujourd’hui, il reviendrapeut-être demain. Céline a noté ces absences et, entre les arrivées des enfantsavec leurs parents et leur accueil, elle consulte la liste d’attente et appellesuccessivement trois familles pour leur proposer les places vacantes. Elle saitqu’il faut assurer un taux de remplissage de 70%, sinon la structure risque d’êtreen difficulté, vis-à-vis de la CAF.114

Cet exemple montre à la fois l’effet bénéfique de l’imposition d’un taux d’occupationminimum, qui permet à certaines familles d’être « dépannées » à la dernière minute,mais aussi le caractère chronophage de cette gestion. Le temps passé auprès desenfants présents et la qualité de ce temps diminuent au profit d’appels téléphoniques auxparents. Selon Mme Thollon-Behar, « l’argument "service rendu aux parents" et l’argument"rentabilité de la structure" vont dans le même sens. Il serait certes dommageable que lesstructures ne fonctionnent qu’au tiers de leur capacité, mais le temps passé à gérer lesplaces disponibles est du temps (et de la sérénité) en moins pour les enfants présents.115 »

Enfin, suite à des directives étatiques imposant à la CNAF de réduire ses dépenses,cette dernière a dû réduire ses financements par de nouvelles règles, mises en œuvredepuis les CEJ de 2006 entre les CAF et les collectivités. Le CEJ fixe ainsi une dotationpour quatre ans qui ne peut pas évoluer. Plus important encore, le taux de financement dela CAF dans le cadre du CEJ est limité à 55% du reste à charge de la collectivité, c'est-à-dire une fois déduites la PSU, les subventions éventuelles et la participation des familles.Ce taux de cofinancement s’élevait auparavant à 70%, ce qui représente une baisse desmoyens pour bon nombre de collectivités.

Le secteur de la petite enfance est donc soumis à des restrictions budgétairescomparables à celles des autres secteurs des politiques publiques. Cette rationalisationoblige à des compromis et des adaptations dans les stratégies des collectivités si celles-ci veulent maintenir leur offre d’accueil. M. Damblin explique que Vénissieux parvientà « compenser cette diminution de prestation enfance jeunesse [PSEJ] en augmentantl’activité. […] C'est-à-dire que globalement la subvention reste à peu près stable alors qu’ily a une dégressivité. Pour la ville s’il y a une augmentation d’activité ça veut dire qu’ondépense plus.116 »

La CAF parait donc être une préoccupation constante des professionnels de la petiteenfance ; elle est omniprésente dans le discours de ces acteurs, car ses directives touchentles financements et l’organisation même des structures.

114 THOLLON BEHAR Marie-Paule. Du côté des professionnels. In BEN SOUSSAN, Patrick. Op.cit., p. 126.115 Ibid., p. 127.

116 Entretien n°7.

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La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation

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L’apparition de pratiques néo-managériales dans le champ des politiques socialessemble ainsi conduire à une standardisation à laquelle la politique de la petite enfancen’échappe pas.

Les évolutions législatives ainsi que la standardisation des normes et des pratiquessemblent quelque peu entrer en contradiction et soulèvent un paradoxe : commentconcilier l’assouplissement de la réglementation des EAJE en ce qui concerne les tauxd’encadrement et la qualification des professionnels, tout en respectant les normesexigeantes que nous venons d’étudier ? Cette idée rejoint le questionnement de LaurenceRameau et Philippe Duval : « comment ne pas risquer une forme de déréglementation àl’intérieur même d’une extrême réglementation de l’accueil des jeunes enfants ?117 » Lesauteurs soulignent aussi le risque de perdre la « cohérence éducative globale » recherchéeentre les différents services d’accueil, si chacun est soumis à des règles différentes. Ceparadoxe est par ailleurs relevé par l’ensemble des professionnels que j’ai rencontrés, quiont l’impression qu’on leur demande de « faire plus et mieux avec moins ». Beaucoupcraignent que les acteurs décisionnaires des politiques sociales, mobilisés par la qualité,substituent des normes gestionnaires aux principes qui donnaient leur sens aux professionsdu social.

Au nom de la qualité, précise Michel Chauvière, on réorganise, à grand renfortde prescriptions normatives, les conditions même de la professionnalité, endisputant ce droit aux professions elles-mêmes et aux lieux de formation.Tous sont sommés d'intégrer le nouvel ordre des pratiques et de renoncer auxrégulations obsolètes : relationnelles, cliniques ou simplement compréhensives.Ces nouveaux outils composent un triptyque : ex ante : les référentiels et lesschémas ; in itineris : les bonnes pratiques ; ex post , l'évaluation118.

Nous allons maintenant voir que la politique de la petite enfance s’inscrit également dansd’autres tendances actuelles des politiques publiques, que sont la territorialisation et lagouvernance.

C.Territorialisation et gouvernance : la petite enfanceau cœur des enjeux actuels des politiques publiques

1. La territorialisation de la politique de la petite enfanceA partir des années 1980 et des lois de décentralisation, les politiques familiales quiavaient été longtemps étatiques et centralisées commencent à entrer dans le champ decompétences des collectivités territoriales. C’est le cas des politiques de jeunesse et dela politique de la petite enfance en particulier. Cette impulsion issue de l’Etat passe par lamultiplication des dispositifs et des contrats, d’abord avec les contrats « Enfance » d’une

117 RAMEAU, Laurence et DUVAL, Philippe. Accueil de la petite enfance : pour une cohérence éducative. In BEN SOUSSAN,Patrick. Op.cit., p. 157.118 CHAUVIERE, Michel. Trop de gestion tue le social. Essai sur une discrète chalandisation. Paris : La Découverte, 2007.

Collections Alternatives Sociales. P.63.

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part et « Temps Libre » d’autre part, puis avec les Contrats Enfance Jeunesse. On passeainsi selon la formule de Renaud Epstein d’un « gouvernement centralisé du local » hérité dugaullisme à un « gouvernement négocié des territoires »119. L’Etat pousse en effet, à traversl’action de la CNAF, à ce que les collectivités territoriales développent ces politiques et cescompétences qui ne sont pourtant pas obligatoires. Comme le précise M. Damblin, « c’estdu plus qu’on considère normal pour les usagers, les citoyens, et en même temps ça restedu plus pour la collectivité. On n’est pas obligé quoi. On a 350 places en crèche, on pourraiten avoir 700, mais on pourrait n’en avoir que 50 et on ne serait pas en tort.120 » Chaquecollectivité est donc libre de développer son offre d’accueil des jeunes enfants comme ellel’entend.

Toutefois, le pouvoir et la légitimité des municipalités étant renforcés par ladécentralisation, la pression sociale exercée sur elles s’accroit121. Les citoyens attendentbeaucoup de leurs élus locaux en ce qui concerne l’offre d’accueil, ce qui oblige cesélus à répondre à cette demande. Selon Pierre Muller, les collectivités locales deviennentainsi des « producteurs de politiques publiques » et les élus doivent démontrer leurcapacité à résoudre les problèmes de leur territoire ainsi qu’à favoriser son développementéconomique et social122. « Le local apparait aujourd’hui comme un espace où l’exigenced’efficacité pourrait se réconcilier avec l’exigence de proximité.123 » Non seulement laproximité est valorisée car elle permet de mieux prendre en compte les besoins des citoyens,mais l’action à un niveau local est aussi jugée plus adaptée et moins coûteuse, donc plusefficiente.

Ce processus de décentralisation et de renforcement du local s’accompagne en outred’un changement de cadre de pensée des politiques publiques. Celles-ci ne sont peuà peu plus construites de manière sectorielle, avec chacune leur population cible, leursmoyens d’action et leurs professionnels, mais davantage pensées de manière globale sur unterritoire. Cela permet d’identifier les besoins à l’échelle du territoire et d’avoir une réflexionplus transversale, moins sectorialisée. C’est ce qu’observe notamment Pierre Muller lorsqu’ilétudie les politiques agricoles et environnementales : pour lui la sectorialité, caractéristiquedes politiques publiques d’Etat, est en crise et « l’espace local apparait comme un lieupotentiel de remise en cause de la sectorialité […] et comme un lieu où pourraient sereconstruire des relations de proximité124 ».

Du fait de cette désectorialisation, la politique de la petite enfance devient ainsiune politique transversale, faisant partie intégrante des politiques sociales et s’articulantavec elles. Ce principe de transversalité est observable dans l’ensemble des politiquespubliques. Il consiste à mobiliser les services des collectivités territoriales qui interviennentdirectement ou indirectement auprès des jeunes enfants pour les amener à travailler demanière transversale. Le constat de Jean-Pierre Halter à propos des politiques de jeunesses’applique également à la politique de la petite enfance :

119 EPSTEIN, Renaud. « Gouverner à distance. Quand l’Etat se retire des territoires ». Esprit, novembre 2005, n°11, pp.96-111.120 Entretien n°7.

121 RICHEZ, Jean-Claude. « Politiques de jeunesse : la nouvelle donne. » Agora, n°43, 1er trimestre 2007, pp. 4-10.122 MULLER, Pierre. « Les politiques publiques entre secteurs et territoires. » Politiques et management public, vol. 8 n° 3,

1990, p. 29123 Ibid., p. 31.124 Ibid.,p. 31.

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Certains élus et techniciens admettaient que l’obligation de partenariat avecl’État les avaient conduits à travailler différemment, en créant des synergiesentre services, en mettant en commun des compétences qui favorisaientl’élaboration de stratégies, en tenant compte des différentes ressourcesinternes dont disposaient la collectivité et les associations pour répondre defaçon univoque et adaptée aux problématiques de jeunesse du territoire. Cettetransversalité permettait d’avoir une vision plus globale de ces questions, unemeilleure lisibilité des actions et d’agir de manière complémentaire en internedans les institutions publiques, ainsi qu’au niveau des différents territoiresd’intervention.125

Par conséquent, la politique de la petite enfance ne se soucie plus uniquement de fournirun mode de garde mais également de permettre aux EAJE d’être un lieu de développementet d’épanouissement pour l’enfant, un lieu d’accompagnement et de soutien des parents,un lieu d’insertion sociale, etc. Pour cela, les équipes de professionnels de la petite enfancetravaillent en collaboration avec les autres services de la mairie, avec la CAF, les servicesde PMI et différents acteurs de la protection de l’enfance, afin d’assurer un suivi global desjeunes enfants et de leurs parents.

Ce travail en réseau transparait dans le discours des acteurs : « J’ai un réseau très largeau niveau des partenaires.126 », « Le partenariat c’est quelque chose de très important.127 »,« On est sur des périodes où les notions d’horizontalité fonctionnent à plein, notamment avecl’exemple des réseaux […] et notamment avec des notions de territoire par exemple.128 »

Toutefois, si la volonté de transversalité est bien présente, elle est en pratique encoredifficilement mise en œuvre du fait de la multiplicité des acteurs locaux, qui n’ont pas toujoursles mêmes objectifs ou les mêmes modes de fonctionnement.

Le coordinateur enfance jeunesse a ainsi pour rôle l’amélioration de la collaborationdes différents partenaires.

2. Le poste de coordinateur enfance jeunesse : une illustration de laterritorialisation et de la transversalité

A Vénissieux, le poste de coordinateur a été créé en même temps que la signature dupremier contrat Enfance, c'est-à-dire en 2000. Le coordinateur n’était alors en charge quedu secteur de la petite enfance. Lorsque cette personne est partie et a été remplacée parM. Damblin en 2009, le profil de poste a été modifié afin qu’il soit en cohérence avec lenouveau Contrat Enfance Jeunesse signé en 2006 et qu’il respecte les attentes de la CAF.Le nouveau coordinateur est alors devenu coordinateur du secteur de la petite enfanceet du secteur de l’enfance, et il appartient à la Direction Enfance Education Santé de laville. Le secteur de la jeunesse faisant partie d’un autre service, la ville de Vénissieux nerespecte donc pas la volonté de la CAF que le CEJ prenne en compte les enfants de 0 à18 ans. A Vénissieux, le CEJ ne concerne ainsi que les enfants de 0 à 12 ans. M. Damblinexplique que « la CAF pousse à ce que la jeunesse soit prise en compte pour avoir une vision

125 HALTER, Jean-Pierre. « Politiques territoriales de jeunesse et transversalité. » Agora, n°43, 1er trimestre 2007, p. 45.126 Entretien n°2.127 Entretien n°3.128 Entretien n°7.

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globale de la politique enfance jeunesse sur la ville, et qu’on ne scinde pas les différentspublics en fonction de leur tranche d’âge.129 » Selon lui, le fait que Vénissieux soit une villede taille importante rend difficile la création d’un véritable poste de coordinateur enfancejeunesse : « avoir une vision globale c’est difficile quand il y a beaucoup d’équipements,beaucoup d’enfants touchés, et à un moment on n’arrive plus à tout embrasser, donc il fautbien qu’on scinde et qu’on articule les choses.130 » La transversalité n’est donc pas totaleet rencontre des obstacles de cloisonnement entre les différents services municipaux.

Au niveau national, les missions des coordinateurs ne sont pas définies précisément.Leur nombre et leurs compétences vont augmenter au fur et à mesure des décennies, sansqu’aucun texte législatif ne vienne encadrer cette fonction. Seule la circulaire du 2 novembre1981131 indique que les collectivitésterritoriales participent à l’élaboration et à la mise enœuvre de la politique de la petite enfance. Ce texte recommande pour la première fois «d’accueillir la demande » des familles mais aussi de « susciter l’offre ». Il n’est toutefoisqu’incitatif et la prescription portant sur la coordination est peu précise, les coordinateurspetite enfance n’étant pas mentionnés.

Par conséquent, aucun profil de poste fixe n’existe, et des personnes de formationstrès diverses peuvent occuper cette fonction : puéricultrices, éducateurs de jeunes enfants,animateurs, travailleurs sociaux ou encore cadre de la fonction publique territoriale.

Si aucune définition claire n’est disponible, Olga Baudelot et Sylvie Rayna décrivent ceposte comme suit :

La mission de ces coordonnateurs sera, à la fois, de gérer l’existant en matièred’accueil des jeunes enfants, de faire vivre la petite enfance comme une entitéautonome et unifiée, et de développer une politique globale à leur égard. Ilsdevront se confronter à la transversalité et à la diversité, prendre en compte lesattentes nouvelles des parents pour eux-mêmes et leurs jeunes enfants. En fait,ils se trouvent au carrefour des interlocuteurs concernés par la petite enfance :les usagers, les professionnels, les décideurs et les partenaires.132

Le poste se construit donc dans une position d’interface entre les acteurs intervenant dansla mise en œuvre de la politique de la petite enfance. Il s’agit de mettre en cohérenceles diverses structures et équipes autour du projet municipal pour la petite enfance. Lecoordinateur a en outre pour rôle d’analyser la demande et de la rapprocher de l’offre,dans une optique de rapprochement entre les élus et les usagers d’une part, et entre lespersonnels et les partenaires extérieurs d’autre part.

M. Damblin déclare ainsi :Ce qui était intéressant dans le poste de coordinateur enfance jeunesse,c’est qu’on était sur l’entrée "besoins des familles", qui ne sont pas toujoursreprésentées au sein des instances de décision des mairies. […] Ca nous oblige

129 Entretien n°7.130 Ibid.

131 FRANCE, MINISTERE CHARGE DES AFFAIRES SOCIALES. Circulaire n° 4 du 2 novembre 1981 relative audéveloppement, à la coordination et à l'organisation des modes d'accueil et de garde des jeunes enfants. Bulletin officiel n° 81/49,texte n° 21963, 9 p.132 BAUDELOT, Olga & RAYNA, Sylvie. « La coordination de la petite enfance : une nouvelle fonction relationnelle. »

Recherches et prévisions, n°61, 2000, p. 63.

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à sortir un peu de la logique comptable ou gestionnaire. […] On est au service dupublic.133

L’objectif est en outre de parvenir à certaines synergies pour optimiser les actions despartenaires ainsi que les financements. Le coordinateur enfance jeunesse est l’interlocuteurprivilégié de la CAF, principal financeur de la politique de la petite enfance, et fait le lienentre cette institution et les EAJE.

Cette fonction de relation et de mise en relation s’inscrit dans l’évolution des métiersde l’intervention sociale vers le relationnel et la coordination. Elle peut par exemple êtrecomparée à la mission d’un chef de projet dans le cadre de la politique de la ville, dontl’ambition est de mettre l’accent sur les conditions de vie locales et de rapprocher leshabitants des décideurs.

La particularité du poste de coordinateur enfance jeunesse est donc de se situerdans une position très transversale. Sa seule hiérarchie est celle du chef de service,et il n’a aucune personne sous ses ordres. Cette transversalité peut alors parfoisentrer en contradiction avec la verticalité qui caractérise habituellement les organisationsmunicipales. Cela peut se traduire par exemple par une confusion entre les missions ducoordinateur et celles du directeur de service. L’axe du projet social du service PetiteEnfance précise ainsi que « le poste de coordinateur mérite d’être précisément défini et àdistinguer de celui du chef de service134 ».

Les responsabilités du coordinateur enfance jeunesse sont cependant très variablesd’une ville à l’autre, puisqu’aucun profil de poste prédéfini n’existe. A Lyon, par exemple, leposte de coordinateur enfance jeunesse est en fait occupé par deux coordinateurs petiteenfance, rattachés à la Direction de l’Enfance. Ils ne sont donc chargés que des EAJE,pour l’accueil des enfants de 0 à 3 ans. Du fait de la taille très importante de la ville,un service spécifique est chargé des questions financières et des relations avec la CAF.Les coordinateurs petite enfance travaillent ainsi uniquement sur les projets transversauxd’amélioration qualitative de l’offre d’accueil, tels que les projets artistiques dans lesstructures par exemple. De plus, des coordinatrices supplémentaires existent pour chaquearrondissement et sont responsables de la gestion des EAJE de l’arrondissement. Enrevanche, à Vénissieux, étant donné la moindre taille de la ville et les moyens financiers plusrestreints, le coordinateur enfance jeunesse a en charge à la fois les questions financières,l’analyse des besoins et de l’offre existants, les relations inter-partenariales et les diversprojets de service en cours. En somme, le coordinateur enfance jeunesse de la ville deVénissieux tente de coordonner et d’améliorer l’offre d’accueil tant au niveau quantitatifque qualitatif. Le point commun demeure la transversalité du poste, quelle que soit lamunicipalité.

Ainsi le poste de coordinateur enfance jeunesse représente une illustration pertinentede la transversalité recherchée dans le politique de la petite enfance, transversalitécaractéristique des politiques sociales actuelles. Celle-ci se met également en œuvre autravers de partenariats. Ces derniers posent toutefois question en matière de gouvernance,car la multiplicité des acteurs collaborant sur le territoire rend peu aisée la visibilité desvéritables décideurs de la politique de la petite enfance.

133 Entretien n°7.134 Direction Enfance Education Santé, ville de Vénissieux. Projet social et éducatif 0-6 ans. Les axes de travail du projet

social. P. 14.

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II. Une politique s’inscrivant dans une certaine standardisation de l’action publique locale

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3. Les partenariats et les problèmes de gouvernanceComme nous l’avons vu précédemment, de multiples acteurs interviennent dans la mise enœuvre de la politique de la petite enfance sur le territoire vénissian. Ces acteurs ont desstatuts divers : ils peuvent être issus des collectivités territoriales, comme la mairie et leConseil Général qui intervient au travers de l’action de deux Maisons du Rhône et de leurservice de PMI, ils peuvent dépendre des institutions parapubliques telles que la CAF, ouencore appartenir à des associations. Ces dernières jouent en effet un rôle croissant dansla production des politiques sociales et sont de plus en plus intégrées dans les partenariats.Les crèches associatives par exemple, jouent le même rôle de service public d’accueil desjeunes enfants que les crèches municipales.

La politique de la petite enfance subit comme d’autres politiques la rénovation de l’actionpublique, amenée par l’utilisation de nouveaux instruments. Parmi ceux-ci, on peut citer lacontractualisation (avec l’exemple du CEJ), le travail par projet (projet social et éducatif,projets d’établissement…), le travail en partenariat et la gouvernance. Nous allons nousintéresser ici à ces deux derniers instruments, qui pour Julien Damon sont des notions flouesmais « à la mode »135.

Le partenariat est surtout promu à l’échelon local et a émergé en parallèle des politiquesde lutte contre l’exclusion (politique de la ville, politiques d’insertion). Ce changementde vocabulaire est lié aux nouveaux impératifs de modernisation et de performance del’intervention publique. Le terme « partenariat » n’a cependant pas encore d’existencejuridique et relève davantage du management public. Le Dictionnaire Critique de l’ActionSociale en donne la définition suivante :

Un rapport complémentaire et équitable entre deux parties différentes parleur nature, leur mission, leurs activités, leurs ressources et leur mode defonctionnement. Dans ce rapport, les deux parties ont des contributionsmutuelles différentes mais jugées essentielles. Le partenariat est donc fondésur un respect et une reconnaissance mutuelle des contributions et des partiesimpliquées dans un rapport d’interdépendance. De plus, le partenariat laisseplace à des espaces de négociation, où les parties peuvent définir leur projetcommun.136

Cette idée d’interdépendance et de contributions mutuelles est observable dans le cas dela politique de la petite enfance, puisque la municipalité dépend des financements de laCAF et de l’agrément de la PMI pour ouvrir de nouvelles structures. Chaque participant dupartenariat autour de la politique de la petite enfance impose ses contraintes et ses critères,tout en devant respecter ceux des autres.

Julien Damon évoque par ailleurs le jeu de « co » pour désigner les nouvelles méthodesde construction des politiques sociales : « co-production, co-construction, co-animation, co-responsabilité, et, bien entendu, co-financement137 ». On tente par exemple d’inclure lapopulation dans la politique de la petite enfance et de réaliser de la « coéducation » avec lesparents. Le fonctionnement partenarial est aussi caractérisé par de nombreuses réunions

135 DAMON, Julien. « La dictature du partenariat. Vers de nouveaux modes de management public ? » Futuribles, numéro273, mars 2002, p.1.136 BARREYRE, Jean-Yves & BOUQUET, Brigitte. Dictionnaire critique de l’action sociale, article « Partenariat ». Paris :

Bayard, 2006. Collection Travail Social. 637 p.137 DAMON, Julien. Questions sociales et questions urbaines. Paris : PUF, 2010. P. 296.

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de coordination et de concertation. Durant mon mois de stage, ce type de réunion était quasiquotidien. Cette fréquence se justifie par l’idée que chacun peut participer équitablement àla construction des politiques. Cependant, des spécificités, la hiérarchie ou la conflictualitéviennent fréquemment compromettre cet idéal.

Ce travail partenarial ne va en effet pas sans poser certaines questions. A traversle foisonnement de formes que le partenariat peut prendre, il apparait davantage commeun fonctionnement imposé de l’action publique décentralisée que comme une modalitélibrement négociée. Julien Damon parle d’ailleurs de « dictature du partenariat »138 poursignifier combien le partenariat est devenu incontournable dans les politiques sociales.Selon lui, comme dans un jeu, le partenariat suppose des règles du jeu claires, un objetcommun et une égalité entre les partenaires. Or ces conditions ne sont pas toujours réunies :aucun cadre juridique clair n’existe pour les partenariats (hormis les Partenariats Publics-Privés) et les partenaires ne sont pas tous égaux. En effet, dans le cas de la politique dela petite enfance, si l’on peut considérer les EAJE associatifs comme des « prestataires deservice », ceux-ci sont largement tributaires de la municipalité pour leur financement et sontfinalement peu indépendants. De la même façon, la CAF dispose d’un certain ascendantsur la municipalité puisqu’elle finance en grande partie l’offre d’accueil. M. Damblin expliquebien cette dépendance qui oblige les élus à s’adapter aux changements décidés par la CAF,en prenant l’exemple de la baisse du taux de cofinancement du CEJ de 70% à 55% : « tousles élus se sont dits : "vous nous avez dit ça et puis vous changez les règles du jeu en coursde contrat".139 » Ainsi, le terme de partenariat n’est peut-être pas toujours adapté car lesacteurs ne sont pas constamment sur un pied d’égalité.

La notion de « partenariat » est étroitement corrélée à celle de « gouvernance ». Cettedernière est également un des mots clés de l’évolution des politiques publiques et a faitl’objet de nombreux travaux de recherche. Elle traduit les nouvelles formes que peut prendrel’action publique, sans toutefois avoir de définition précise. Pour Patrick Le Galès,

la gouvernance est d’abord un chantier de recherche qui concerne les formesde coordination, de pilotage et de direction des secteurs, des groupes, de lasociété, au-delà des organes classiques du gouvernement. […] Il s’agit d’unepiste à explorer pour expliquer notamment les formes contemporaines et lestransformations (mais aussi les permanences) de l’État et de l’action publique.[…] La gouvernance peut être définie comme un processus de coordinationd’acteurs, de groupes sociaux et d’institutions, en vue d’atteindre des objectifsdéfinis et discutés collectivement. La gouvernance renvoie alors à l’ensembled’institutions, de réseaux, de directives, de réglementations, de normes, d’usagespolitiques et sociaux ainsi que d’acteurs publics et privés qui contribuent à lastabilité d’une société et d’un régime politique, à son orientation, à la capacité dediriger et à celle de fournir des services et à assurer sa légitimité.140

La gouvernance est donc un processus faisant entrer en interaction des institutions, desréseaux d’acteurs publics ou privés ainsi que des normes, dans l’optique de fournir unservice. Ce concept semble s’appliquer à la politique de la petite enfance, qui voit despartenaires se coordonner autour de normes diverses, dans le but de produire un service à la

138 DAMON Julien, Op.cit.139 Entretien n°7.

140 LE GALES, Patrick. « Gouvernance ». In BOUSSAGUET, L. et al. Dictionnaire des politiques publiques . Paris : Les

Presses de Sciences Po, 2006, pp. 244-251.

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II. Une politique s’inscrivant dans une certaine standardisation de l’action publique locale

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population. La diversification des acteurs, des services offerts et des objectifs de la politiquede la petite enfance est une évolution importante à prendre en compte pour caractériserson mode de gouvernance.

Lhuillier et Petrella distinguent trois éléments constitutifs d’un régime de gouvernance :les acteurs impliqués dans la production du service ainsi que leur statut, les instruments depolitiques publiques utilisés en vue d’atteindre les objectifs fixés, ainsi que les modalités decoordination mises en œuvre141. La façon dont ces éléments sont combinés aboutit seloneux à quatre types de régimes de gouvernance, ces derniers pouvant faire varier fortementla participation des usagers, l’accessibilité de l’offre ou encore sa qualité.

La gouvernance publique est caractérisée par des politiques mises en œuvreprincipalement par des acteurs publics, les règles et les critères de l’intérêt général étantdéfinis par l’administration publique.

La gouvernance marchande met en concurrence les différents prestataires potentielsà travers des mécanismes tels que des appels d’offre ou de la sous-traitance, mis en placepar la puissance publique.

La gouvernance multilatérale ou partenariale implique une diversité d’acteurs publicset privés dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques locales, autourd’instances de coordination horizontale et décentralisée. Les politiques publiques sont ainsico-construites en fonction des divers intérêts représentés.

Enfin, la gouvernance citoyenne fait également participer des acteurs non institutionnels(usagers, associations…) qui permettent de faire émerger l’évolution des besoins.

Ces quatre modèles sont bien entendu des idéaux-types, et la politique de la petiteenfance constitue toujours une hybridation des ces différents types de gouvernance. AVénissieux, la gouvernance marchande n’existe quasiment pas puisqu’une seule crèched’entreprise existe et que la création de crèches privées n’est pas encouragée142. Enrevanche, les trois autres modèles de gouvernance sont présents puisque si la politique de lapetite enfance était originellement fixée par la municipalité, elle intègre aujourd’hui d’autrespartenaires, notamment associatifs, et tente d’associer la population à cette politique. Lerégime de gouvernance de la politique de la petite enfance de Vénissieux peut donc êtrecaractérisé de « mixte ». La gouvernance citoyenne demeure toutefois limitée car lesVénissians sont encore peu impliqués dans la construction de la politique de la petiteenfance. Rappelons de plus que la relation bilatérale entre la municipalité et la CAF resteprédominante par rapport aux autres. Pour Bernard Eme et Laurent Fraisse, la gouvernancelocale de la politique de la petite enfance est en fait construite sur une juxtaposition derelations bilatérales143.

La diversification des modes de garde et des acteurs de la politique de la petite enfanceamènerait donc à une diversification des modes de gouvernance, voire à une hybridationde ceux-ci. Certains auteurs vont cependant plus loin et redoutent que cette diversificationmène en fait à une fragmentation de la gouvernance. Pour Eme et Fraisse, il s’agit là

141 LHUILLIER, Vincent & PETRELLA, Francesca. La régulation locale dans le secteur de la petite enfance. Charleroi : Colloque« A la recherche de solidarités », 2005. Centre de recherche interdisciplinaire pour la solidarité et l’innovation sociale. 6 p.

142 Voir infra, p. 73.143 EME, Bernard & FRAISSE, Laurent. « La gouvernance locale de la diversification des modes d’accueil : un nouvel enjeu

de "cohésion sociale" ». Recherche et prévisions, n°80, juin 2005. P. 16.

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d’un enjeu de cohésion sociale144. En effet, selon eux, malgré la décentralisation et laterritorialisation, la politique de la petite enfance demeure relativement opaque, du faitnotamment de la multiplication de ses objectifs, de ses gestionnaires et des modes degarde. La pluralité des normes locales qui en découle génère des difficultés de régulation :la diversification entraine une fragmentation voire une illisibilité de l’offre d’accueil pour lesfamilles.

De plus, une particularité française est que la réponse aux besoins des familles estfinancée à un niveau national, tandis que la gestion et la coordination se font au niveaulocal. Ainsi, « deux scènes politiques sont en jeu, l’une liée à la régulation verticale entredes appareils politico-administratifs de différents niveaux territoriaux (rapports Etat/CNAF,rapports CAF/conseils généraux/communes, etc.), l’autre à la coordination des acteursconcernés localement.145 » Des orientations sont fixées à l’échelle nationale, auxquellesles acteurs locaux doivent se plier ou au moins s’adapter. La municipalité se retrouve parconséquent dans une position relativement privilégiée : « interface entre ces deux scènes,les acteurs politiques et administratifs locaux sont, de toute évidence, dans une positionstratégique confortable au croisement des deux types de régulation ». Malgré les problèmesde gouvernance cités précédemment, on peut donc considérer que la municipalité est aucentre de l’action publique en faveur de la petite enfance et joue un rôle de pilote.

Au cours de ces dix dernières années, les collectivités locales se sont souventaffirmées comme les pilotes des dispositifs d’action en direction des enfants etdes jeunes, lorsqu’elles ont su combiner les différentes mesures proposées parl’État ou par la CAF par exemple, et quand elles ont su animer l’espace publicavec l’ensemble des partenaires, en particulier avec les associations.146

Cette situation est observable à Vénissieux, où le service Petite Enfance est le premierinterlocuteur de tous les partenaires intervenant dans la mise en œuvre de la politique dela petite enfance.

144 Ibid., p. 1.145 Ibid., p. 14.

146 HALTER, Jean-Pierre. Op. cit., p. 48.

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II. Une politique s’inscrivant dans une certaine standardisation de l’action publique locale

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Un partenariat difficile147

Finalement, comme le montre le schéma ci-dessus, les questions de gouvernance etde partenariats sont centrales dans le champ de la petite enfance comme pour l’ensembledes politiques sociales. Elles illustrent les « tâtonnements » de la puissance publique et sestentatives d’adaptation aux nouvelles réalités sociétales ainsi qu’à l’évolution des besoinsdu public. Julien Damon va même jusqu’à parler de « souk territorial » et de « bricolage »pour qualifier ces nouveaux instruments : « comme la réponse publique unilatérale estdifficilement envisageable face à la complexité et à l’individualisation des questions sociales,le "bricolage" partenarial est plus adapté.148 »

Face à ce « souk territorial », la récente note d'analyse du Centre d’AnalyseStratégique149 préconise de rendre obligatoires et publics des schémas départementaux dedéveloppement de l'offre d'accueil du jeune enfant, afin de rationaliser les moyens existantsdans les différents territoires. Dans le Rhône, une Commission Départementale de l’Accueildes Jeunes Enfants (CDAJE), constituée de professionnels, d’élus et de parents, a été crééeen 2007. Celle-ci a élaboré un Schéma Départemental de l’Accueil du Jeune Enfant et desa famille (SDAJE) pour 2012-2015, ce qui correspond à sa mission d’observatoire de l’offreet de la demande en matière d’accueil du jeune enfant. Ce schéma réaffirme des valeurs(équité, accessibilité, coéducation) et propose des orientations pour rendre cohérents lesdispositifs d’accueil du jeune enfant dans le Rhône150. Ce schéma n’a cependant aucunevaleur prescriptive et aucun élu ou professionnel de Vénissieux n’y participe. Pour M.Damblin, « c’est plus une analyse de l’existant, sur des politiques facultatives. Ca réaffirmeun cadre général, des objectifs généraux à atteindre, mais plus sur du bon sens de

147 Schéma issu de DAVID Olivier. Op.cit., p. 12.148 DAMON, Julien. Op.cit., p. 11.149 Centre d’Analyse Stratégique. Quel avenir pour l’accueil des jeunes enfants ? Note d’analyse n°257, janvier 2012. 12 p.150 DEPARTEMENT DU RHONE. Schéma départemental de l’accueil du jeune enfant et de sa famille, 2012-2015. 2012. 36 p.

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politiques publiques.151 » Mme Margerit regrette néanmoins la perte d’informations que peutreprésenter la non participation à cette instance de centralisation des besoins152.

Cette seconde partie a permis de montrer les changements multiples auxquels fait facela politique de la petite enfance, en parallèle des politiques sociales : évolutions du territoired’action, des modes de relations (État, collectivités territoriales, associations), des échelonsde décision.

La politique de la petite enfance s’inscrit donc bien dans une certaine standardisationdes politiques sociales. Ces dernières semblent toutes suivre certaines tendances actuellesde territorialisation de l’action publique, de fonctionnement partenarial et de transversalité.On peut par exemple prendre la description que fait Valérie Löchen de la politique de la ville.L’auteur la qualifie de « contractuelle, transversale, territoriale, partenariale et globale153 »,cinq adjectifs que nous avons employés pour qualifier la politique de la petite enfance. Cettedernière ne serait alors qu’une politique sociale comme une autre, subissant les mêmesenjeux et les mêmes évolutions.

La ville de Vénissieux se trouve par ailleurs confrontée à de nouvelles réglementationset de nouvelles normes de procédures et de pratiques, auxquelles les différents acteurssont contraints de s’adapter. Cependant cette adaptation se fait avec des spécificités quidemeurent, et des effets différents en comparaison d’autres villes.

151 Entretien n°7.152 Entretien n°6.153 LOCHEN, Valérie. Comprendre les politiques d’action sociale. Paris : Dunod, 2010. Collection Action sociale. 464 p.

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III. Une politique différenciée préservant une identité singulière

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III. Une politique différenciée préservantune identité singulière

Le fait que la ville de Vénissieux soit souvent surnommée « la rebelle » laisse entendre quela ville a une identité singulière. Mon enquête de terrain m’a permis d’observer que cette villene se conforme pas toujours à ce que peuvent faire d’autres villes de même envergure ou àce que les politiques nationales imposent. Cette différenciation provient pour une part d’unevolonté politique, mais aussi d’autre part d’une adaptation nécessaire aux réalités locales.

A.Une différenciation induite par l’adaptation auxspécificités du terrain et de sa population

Cette première sous-partie aura pour objectif de montrer en quoi la politique de la petiteenfance mise en œuvre à Vénissieux se différencie des tendances nationales, du fait desspécificités de la population. Comme nous l’avons vu précédemment, les habitants deVénissieux sont caractérisés par leur précarité, ce qui oblige les acteurs de la politique dela petite enfance à adapter leurs pratiques.

Le questionnement que nous aurons ici rejoint celui de Jacques Donzelot : « commentl’Etat, instance du collectif par excellence et représentant de l’intérêt général, peut-il êtrelocalisé et se déployer à travers des modes d’action ajustés à des populations spécifiquesplacées dans des situations particulières ? »154. Dans notre cas, il ne s’agit pas de l’Etat maisde la municipalité de Vénissieux, qui doit s’adapter aux besoins spécifiques de ses citoyens.

1. Une diversification des modes d’accueil qui reste limitéeL’accueil des jeunes enfants se caractérise actuellement par la diversification des formesqu’il peut prendre. Plusieurs nouveaux types de modes de garde ont été crées durant ladernière décennie, dans l’optique de répondre à une demande croissante et à des besoinsde plus en plus divers. Ainsi sont apparus le multi-accueil, les micro-crèches, les jardinsd’enfants, les maisons d’assistantes maternelles, etc. Ces modes de garde se distinguentde la crèche ou de la halte-garderie « classiques » par leur plus grande souplesse et leursnormes moins exigeantes.

A Vénissieux, si le multi-accueil a été appliqué, en conformité avec les critères de laPSU, les modes d’accueil demeurent néanmoins relativement traditionnels. On dénombrehuit EAJE municipaux dont une crèche familiale et cinq EAJE associatifs dont une crècheparentale. Une seule crèche privée d’entreprise existe sur le territoire, dans le quartierMoulin à Vent. La diversification des modes d’accueil demeure donc limitée sur le territoirevénissian.

154 DONZELOT, Jacques. Devenir de l’Etat providence et travail social. In ION, Jacques. Op.cit.

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Cette réalité s’explique pour deux raisons. La première est d’ordre socio-économique :les micro-crèches, crèches privées ou autres modes d’accueil alternatifs sont souvent pluscoûteux pour les familles que les modes d’accueil collectifs classiques, car ils ne sontpas toujours en contrat avec la CAF. Ils correspondent ainsi davantage aux besoins defamilles plus aisées qui sont prêtes à payer un prix plus élevé pour faire garder leur enfant.Les familles vénissianes, en revanche, si elles sont confrontées à ce genre de dilemme,préféreront sans doute qu’un des deux parents, probablement la mère, cesse de travaillerpour garder l’enfant à domicile. M. Damblin explique que le reste à charge n’est pas pour lastructure mais pour les familles, avec des frais à avancer. Par conséquent, « pour certainesfamilles cela convient, mais pour des familles plus précaires comme on a à Vénissieux, çarépond moins à la demande. […] A l’inverse de communes comme Lyon, on est sur un terraind’implantation moins favorable à Vénissieux, y’aurait moins de réponse de la population.155 »

Il résulte de cela que le taux de couverture (nombre de places en EAJE par rapportau nombre total d’enfants de moins de trois ans) de Vénissieux est en baisse et se situedésormais dans une moyenne plutôt basse en comparaison d’autres villes, alors qu’ilétait plutôt dans la moyenne haute auparavant. Néanmoins les villes qui ont vu leur offred’accueil augmenter ont très souvent recours aux crèches privées et aux micro-crèches,dont le nombre a explosé, comme à Lyon par exemple. Certaines villes vont même jusqu’àacheter des places de crèche privées, ce qui coûte moins cher et engage sur un terme pluscourt, sans impliquer de personnel municipal. La ville de Vénissieux a refusé ce type defonctionnement.

Le développement d’une offre privée n’est cependant pas interdit puisque l’accord dela municipalité n’est pas requis pour ouvrir une crèche privée. La mairie donne seulementun avis consultatif. La politique vénissiane n’encourage toutefois ni la diversification nila privatisation de l’accueil des jeunes enfants et le bilan du CEJ 2006-2010 indiqueque l’arrivée d’une structure privée ne faisant pas partie d’un schéma concerté dedéveloppement pose question156. Cette volonté politique, même si elle n’est pas clairementénoncée, constitue la seconde explication. En effet, la diversification des modes de gardeentraine avec elle une complexification, qui rend peu lisible une offre déjà multiple etcompliquée. Certaines familles ayant peu de connaissances du fonctionnement de l’accueildes jeunes enfants ou comprenant mal le français pourraient rester en marge de ce systèmecomplexe. Pour Mme Margerit, « la politique locale fait qu’on n’encourage pas les diversitésde modes de garde dans lesquels les parents se perdent. […] Vous complexifiez les intitulésde modes de garde et vous avez affaire à une population assez précaire, ce qui aggraveleur précarité.157 » Ainsi, la politique menée ces dernières années a consisté à rénover etréhabiliter les structures existantes, parfois en augmentant leur capacité d’accueil. Aucunenouvelle structure n’a donc ouvert à Vénissieux depuis 2002, ce qui correspond égalementà un contexte de finances limitées. En revanche, depuis cette même date, 61 placesd’accueil supplémentaires ont été créées dans des structures pré-existantes, à la faveur dechangements de locaux ou de travaux de rénovation.

Cette « non diversification » correspond par ailleurs à une volonté (consciente ou non)de ne pas fragmenter l’offre de garde. Bernard Eme et Laurent Fraisse pointent en effet lerisque que la diversification, si elle est mal régulée, puisse aller contre la justice sociale etproduise une segmentation sociale des modes de garde. Les auteurs prennent l’exemple de

155 Entretien n°7.156 DAMBLIN, Matthieu. Op.cit., p.50.157 Entretien n°6.

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la ville de Montreuil, ville de la banlieue parisienne comparable à Vénissieux car composéed’une population ouvrière et immigrée :

Alors que les tarifs des crèches municipales et non municipales respectent unbarème national qui tient compte des revenus des parents, le recours à uneassistante maternelle ou à une aide à domicile demeure inabordable pour lesfamilles à revenus modestes qui ne peuvent profiter des incitations fiscales. Lesfamilles à bas revenus ne peuvent compter que sur l’accueil collectif ou informellorsque la mère ne renonce pas à travailler.158

Ainsi la conservation d’une variété restreinte de modes d’accueil permet de préserver unecertaine mixité sociale dans les EAJE de Vénissieux, cette mixité sociale étant un des axesdu projet social et éducatif de la ville.

La diversification des modes de garde qui a lieu ailleurs reste donc limitée à Vénissieux,tant du fait de l’absence de demande de ce type d’offre que du fait d’un choix politique.On pourrait ainsi se risquer à parler de « standardisation » des modes de garde sur leterritoire vénissian (ceux-ci étant majoritairement classiques), ce qui en soi représenteraitune forme de différenciation. Ce paradoxe montre bien la relativité de ces deux termes destandardisation et différenciation, et la difficulté de leur usage, puisqu’une pratique peut àla fois relever de la standardisation et de la différenciation, en fonction de ce à quoi on lacompare.

2. Une diversité du public accueilliL’adaptation nécessaire aux caractéristiques sociales des usagers provient aussi de ladiversité de la population vénissiane. Cette diversité induit que les pratiques des équipesde terrain sont modifiées, même si les professionnels n’en ont pas toujours conscience dufait de l’habitude.

Cette diversité prend des formes multiples, allant de la diversité culturelle et ethnique(75 origines ethniques différentes ont été recensées à Vénissieux159) à la diversité sociale(différents niveaux de ressources, différents types de besoins) et à l’accueil du handicap.La crèche est toujours un lieu de rencontre avec les familles, de négociations et parfoisde malentendus, car chaque famille a des pratiques éducatives différentes. Pour GraziellaFavaro, il s’agit de trouver « un équilibre au sein de la crèche entre flexibilité et raidissementidentitaire160 » et pour cela des règles doivent être établies. La crèche est en effet le premierlieu où les familles vont être confrontées à des professionnels mais aussi à d’autres famillesayant des pratiques et des habitudes différentes. Elle joue donc en cela un rôle fondamentald’intégration interculturelle et d’apprentissage de la différence, tant pour les enfants quepour les parents.

La diversité culturelle étant une réalité qui m’avait interrogée lors de mon stage, j’aidemandé à chacune des personnes interviewées comment elle travaillait au quotidien aveccette diversité et ce qu’elle pouvait entrainer comme conséquences pratiques. La plupartont déclaré que la diversité étant une réalité quotidienne, elles n’y prêtaient plus attention

158 EME, Bernard & FRAISSE, Laurent. Op.cit., p. 12.159 DAMBLIN, Matthieu. Op.cit., p. 49.160 FAVARO, Graziella et al. Une crèche pour apprendre à vivre ensemble. Paris : Editions Erès, 2008. Collection Petite

Enfance et Diversité. 262 p.

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et « faisaient avec » sans s’en préoccuper particulièrement : « on a tellement des capacitésd’adaptation que du coup après on se rend plus compte », « c’est une problématique quiaujourd’hui est assez claire dans la tête des équipes. […] Elles ont travaillé là-dessus etc’est pas quelque chose qui pose vraiment problème. », « On se pose pas la question, onfait de la même manière pour tous les enfants », « on n’est pas focalisé dessus, on la voitplus la diversité au bout d’un moment. C’est normal. », « La diversité à Vénissieux c’esthistorique, c’est incontournable. » 161

Ces témoignages montrent que la diversité culturelle est reconnue et qu’elle sembleêtre intégrée au quotidien car devenue habituelle. Les professionnels valorisent laressemblance plutôt que la différence, même si beaucoup citent la diversité comme unesource de « richesse ». Si la prise en compte de la diversité est une valeur du projet éducatifet social, elle n’est cependant pas mise en avant dans les pratiques quotidiennes. Derrièreces discours, on perçoit également les valeurs de laïcité et d’égalité, très puissantes àVénissieux et défendues par les élus comme par les professionnels de terrain.

On peut toutefois se demander si cette notion floue de « diversité culturelle » nereprésente pas une sorte de tabou. Les questions de cultures et d’origines ethniquessouffrent en France d’un relatif non-dit, comme le montre l’interdiction de produire desstatistiques ethniques. Les professionnels que j’ai rencontrés ne semblaient pas tous à l’aisepour parler de cette thématique : mon hypothèse est donc que leurs déclarations unanimessur leur acceptation de la diversité masquent peut-être certains non-dits.

La diversité culturelle pose en effet des questions pratiques chaque jour dans lescrèches et plusieurs professionnels m’ont fait part de leurs interrogations, qui peuventconcerner les soins apportés à l’enfant, son alimentation ou encore la relation avec lesparents. Dans certaines cultures, les enfants sont allaités jusqu’à un âge très tardif et sontendormis dans les bras de leur mère ou bien avec leur biberon ; les professionnels nepouvant pas appliquer ces pratiques au sein des structures, il y a donc un décalage pouvantperturber l’enfant mais aussi les parents, notamment au moment difficile de la séparation.C’est pourquoi le lien avec les familles et le dialogue est particulièrement important. Leséquipes mènent aussi des réflexions collectives sur leurs pratiques afin de les harmoniser etde créer un climat de confiance avec les familles. Mme Ruiz remarque que lorsque l’équipeest stable et solide, les relations avec les familles se déroulent bien ; en revanche, « dèsqu’on arrive dans un flou, c’est là où on a des clashs.162 »

L’alimentation est aussi une thématique qui a causé de nombreux débats à Vénissieux.En effet, de nombreux parents demandent à ce que leurs enfants mangent de la viandehalal. Les EAJE ne souhaitant pas et n’ayant pas les moyens matériels de préparer desplats différents en fonction des enfants, une décision a été prise au niveau municipal de nepas donner de viande aux enfants censés manger de la viande halal. Il est ainsi expliquéaux parents qu’ils peuvent donner de la viande à leur enfant lors du repas du soir, un seulapport de protéine par jour étant suffisant pour un enfant. On retrouve ici l’affirmation dela valeur de laïcité.

De la même façon, les fêtes religieuses telles que Noël ou Pâques sont remplacées pardes fêtes non religieuses et célébrées sans occasion spéciale. Mme Champmartin expliquecomment cela se déroule dans l’EAJE Gribouille :

161 Entretiens n°1, 3, 4, 5, 6.162 Entretien n°1.

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On fait la fête, mais pour rien ! Parce qu’un jour on a envie de danser et demanger du chocolat ! Mais y’a pas de raison. Parce qu’après si on rentre là-dedans va falloir qu’on fête toutes les fêtes de toutes les communautés, çava être interminable. On n’est pas là pour célébrer telle ou telle journée enparticulier, donc on fait pas.163

Une autre source de malentendu peut être les règles de fonctionnement des EAJE, tels queles horaires d’ouverture. Mme Ruiz précise : « on n’a pas le même rapport à la règle etdu coup c’est difficile d’amener les familles, ne serait-ce qu’à téléphoner pour dire qu’ellesviennent pas […], d’arriver à l’heure.164 » L’enquête menée par Graziella Favaro en Italiedans des structures accueillant des familles primo-migrantes montre également que lerespect des règles (horaires, adaptation, autorisation) est la source la plus fréquente demalentendus et de tensions, car le rapport à la règle n’est pas le même selon les cultures165.

Enfin, les mères portant un voile qui dissimule leur visage sont obligées de se dévoilerpour qu’on leur confie leur enfant le soir, car la structure est responsable de ne pas confierl’enfant à une personne dont l’identité n’est pas connue. Cette vérification a parfois pu êtreconsidérée comme intrusive et irrespectueuse par certaines mères, ce qui a pu susciter desconflits avec les professionnels.

Le bilan du CEJ retrace également les évolutions en cours et les questionnementsqui en émergent, notamment les situations déroutantes auxquelles peuvent être confrontésles professionnels, les nouvelles origines géographiques des familles primo-arrivantes ouencore la place plus importante que prend la religion.166

Tous ces exemples montrent que malgré les discours des acteurs qui tendaient àminimiser l’impact de la diversité, celle-ci oblige les équipes de professionnels à adapterleurs pratiques et leurs comportements afin d’instaurer une relation de confiance avec lesfamilles. L’échange avec les familles est plus qu’ailleurs essentiel pour expliquer les normesauxquelles est soumis l’accueil des jeunes enfants. C’est aussi dans ce sens-là qu’on peutparler d’un travail d’accompagnement à la citoyenneté : « tout ça peut permettre aux famillesde reprendre des repères.167 » Cet échange est néanmoins rendu fréquemment difficilelorsque des parents maitrisent mal voire pas du tout le français.

3. Une population aux attentes singulières et élevéesLa différenciation réalisée à Vénissieux trouve aussi son origine dans les demandes etattentes spécifiques des usagers.

En effet, la majorité des demandes concernent les places en accueil collectif, lesparents souhaitant bénéficier du mode d’accueil le moins onéreux. Le bilan du CEJ recensait549 demandes d’accueil régulier (plus de 15 heures par semaine) et 782 demandesd’accueil occasionnel (moins de 15 heures par semaine) pour l’année 2009. Les demandesd’accueil occasionnel sont donc plus nombreuses, mais reçoivent plus rarement une

163 Entretien n°5.164 Ibid.165 FAVARO, Graziella. Op.cit.

166 DAMBLIN, Matthieu. Op.cit., p. 49.167 Entretien n°2.

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réponse positive : moins d’un tiers de ces demandes reçoit une réponse positive, tandisqu’à peine la moitié des demandes d’accueil régulier peut être satisfaite168.

La mise en place de la PSU n’a donc pas eu les mêmes effets à Vénissieux qu’ailleurs.La PSU avait pour objectif d’accroitre la mixité sociale dans les EAJE en supprimant le critèredes deux parents qui travaillent pour l’obtention d’une place. A Vénissieux, ce critère a étémaintenu pour l’accueil régulier, ce qui pourrait être contraire aux exigences de la PSU si cemode d’accueil était le seul existant. Cependant, la possibilité d’être accueilli en occasionnelsans aucun critère d’emploi des parents rend la politique de Vénissieux conforme à la PSU.Ainsi, selon M. Damblin,

la PSU c’est un peu un moyen de forcer la main aux structures pour qu’ellesaccueillent des enfants dont les parents ne travaillent pas. A Vénissieux ça apeut-être eu l’effet un peu inverse, parce que dans la population y’a beaucoupde taux de chômage et les crèches étaient aussi utilisées pour la socialisationdepuis longtemps.169

L’accueil en collectivité répond donc à des besoins de parents qui travaillent mais aussilargement à des parents sans emploi, ayant d’autres types de besoins. Cet accueiloccasionnel permet à la fois à l’enfant d’être confronté à la collectivité, mais aussi auxparents de disposer de temps libre pour leurs formalités administratives par exemple. Ainsi,pour M. Damblin,

Le besoin de mode de garde est assez transversal. Pas sur les mêmes volumes :celui qui travaille il a forcément besoin qu’on lui couvre tous ses temps de travail,mais celui qui travaille pas il a aussi besoin de temps pour autre chose, surtoutlorsqu’on est sur des populations en difficultés. Parce qu’on choisit pas sonrendez-vous à Pôle Emploi, on choisit pas son rendez-vous à la CAF, on subitaussi…170

Le fait que beaucoup de demandes subissent un refus m’a conduite à me demander si laville de Vénissieux manquait de places d’accueil. Le bilan du CEJ indique notamment quela population d’enfants de moins de trois ans a augmenté plus rapidement que les créationsde place. Mais lorsque j’ai posé cette question à la responsable du Point Info, celle-ci m’aexpliqué que paradoxalement certaines assistantes maternelles étaient au chômage171. Eneffet, les parents sont souvent réticents à employer une assistante maternelle, et ce pourdiverses raisons. Le premier obstacle est financier : les tarifs des assistantes maternellessont souvent plus élevés que ceux de l’accueil collectif, et les parents n’ont pas toujoursles moyens de faire l’avance du premier mois de salaire avant que l’aide de la CAF nesoit active. La deuxième difficulté est que l’emploi d’une assistante maternelle nécessitede signer un contrat complexe, engageant sur une longue durée, alors que les parents nepeuvent pas nécessairement se projeter sur un mode de garde pérenne. Les difficultés liéesà la compréhension de la langue ou à l’accès à Internet renforcent cet obstacle qu’est lecontrat. Enfin, le fait que les parents ne puissent pas choisir le quartier de leur assistantematernelle est souvent un motif de refus de ce mode de garde ; en l’occurrence, ils ne

168 DAMBLIN, Matthieu. Op.cit., p.11.169 Entretien n°7.170 Ibid.171 Entretien n°2.

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souhaitent pas que leur enfant soit gardé par une assistante maternelle des Minguettes, àcause de l’image péjorative de ce quartier auprès des familles extérieures.

Ainsi, de nombreuses assistantes maternelles, notamment du quartier des Minguettes,peinent à trouver des parents employeurs, et le recours à la « débrouille » et à des contratsofficieux (familiaux ou amicaux) sont très fréquents172.

Le nombre élevé de demandes d’accueil en collectivité montre par ailleurs la forteattente des familles vis-à-vis de la municipalité. Cette attente peut même aller jusqu’àl’exigence, comme plusieurs entretiens le décrivent : « des familles qui sont de plus en plusexigeantes par rapport au service public ; on veut tout, tout de suite, maintenant. », « cequi a changé c’est l’exigence. Le parent qui exige, et qui ne veut, qui ne nous laisse qu’unchoix, et en plus le choix le plus improbable. », « quand les gens n’ont pas ce qu’ils veulent,ils râlent, ils écrivent, ils envoient des mails, ils vont sur le site de la ville… »173.

Cette forte exigence, qui s’accompagne d’une augmentation des tendancesprocédurières, est relativement nouvelle et interroge beaucoup les professionnels. Elledémontre que les habitants attendent beaucoup de la collectivité et du service public etperçoivent l’offre d’accueil comme un droit, voire comme un dû. Pour Mme Picard, leshabitants considèrent que le fait de payer des impôts leur donne un droit d’accès auxservices publics : « j’ai le droit de. Je paie des impôts donc j’ai le droit d’avoir une place encrèche.174 » Michel Chauvière voit dans cette tendance la manifestation du consumérismedes services publics par les usagers175. Ce consumérisme serait masqué par la volontépolitique affichée de faire des usagers des citoyens autonomes et rationnels, ainsi que derenforcer leurs droits.

Pour Mme Neri, cette hausse de l’exigence, voire parfois de l’agressivité, s’expliquepar le contexte économique difficile qui précarise les familles et les place dans l’incertitude.Face à cette incertitude, l’obtention d’une place en crèche peut représenter une base destabilité sur laquelle s’appuyer pour faire des projets. Par conséquent lorsque la famillereçoit un refus, les projets sont annulés et la déception est grande176. M. Damblin voit danscette hausse des contestations des décisions municipales le signe que le service publicperd son sens et que les gens ne perçoivent plus « qu’il n’est pas un service qui répondsystématiquement à tous les besoins particuliers »177. Pour lui les règles ne sont peut-êtrepas assez claires, empêchant la population de comprendre que même si leurs attentes sontlégitimes d’un point de vue individuel, elles sont intenables au sens du service public, quise doit d’avoir des règles générales et des moyens rationalisés. Enfin, cette frustration peutaussi traduire un mécontentement plus général vis-à-vis de l’Etat et de l’institution publiqueen général, représentés à Vénissieux par la mairie.

Cette évolution oblige également l’ensemble des professionnels à revoir leurs pratiquesafin de mieux expliquer aux familles comment le système fonctionne et pourquoi lesrefus sont parfois inévitables. Un temps important est alors consacré à la « gestion de la

172 DAMBLIN, Matthieu. Op.cit., p. 49.173 Entretiens n°2, 6, 7.174 Entretien n°9.175 CHAUVIERE, Michel. Op. cit.176 Entretien n°2.177 Entretien n°7.

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frustration178 » car les parents font des courriers ou téléphonent, demandent de plus en plusfréquemment à rencontrer la chef de service voire l’élu en charge de la petite enfance oule maire.

Ainsi, l’action municipale est fortement sollicitée par les familles pour développerl’offre d’accueil collectif des jeunes enfants, et ce d’autant plus que l’offre privée est quasiinexistante à Vénissieux. Pour Audrey Daniel, « offrir une solution de garde s’imposeprogressivement comme une "obligation" faite aux collectivités jusqu’à l’inscrire dans unelogique de "service" public »179. Cela est une nécessité d’autant plus importante que lesmodes d’accueil de la petite enfance contribuent à l’ancrage des familles et à la cohésionsociale sur la commune.

La différenciation observée à Vénissieux semble donc à première vue être davantagele résultat d’une adaptation pragmatique aux besoins spécifiques de la population que lefruit d’une volonté politique particulière.

A travers mes entretiens, il est toutefois évident que de profondes divergencesexistent entre les tendances nationales, notamment les évolutions législatives, et le ressentides professionnels (tant sur le terrain qu’au niveau du service). Ces derniers n’hésitentpas à critiquer les nouvelles politiques nationales ainsi que ce qui relève pour eux del’incohérence.

B.La différenciation volontaire des politiquesnationales

1. La critique des politiques nationales par les professionnels deterrain

L’identité « rebelle » de Vénissieux se manifeste même au niveau des personnels, qui sontnombreux à dénoncer les nouvelles législations et normes nationales.

Lors des entretiens que j’ai menés avec des directrices d’EAJE, toutes m’ont fait partdes difficultés qu’elles rencontraient pour faire face aux nouvelles exigences des normesd’accueil.

En effet les changements importants apportés par les différentes réformes étudiéesprécédemment ont obligé les professionnels à profondément modifier leurs pratiques.Le travail administratif, en particulier pour les directrices de structures, a vu son tempsaugmenter de façon importante. Le multi-accueil induit par la PSU a entrainé la multiplicationdu nombre d’enfants accueillis et par là même du nombre de contrats et de familles à gérer.De plus, les familles demandent souvent à recalculer leur contrat au plus près de leursbesoins afin de minimiser leur participation financière, ce qui engendre de nouvelles chargesadministratives pour les directrices. Le paiement à l’heure introduit en outre une dimensionfinancière, voire « commerciale » pour certains, dans le rapport entre les parents et lesprofessionnels.

178 Entretien n°6.179 DANIEL Audrey. Op.cit., p. 32.

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On observe ainsi un sentiment global de manque de temps et d’une organisationsouvent « sur le fil ». Sylviane Giampino remarque que « de plus en plus de responsables,puéricultrices et éducatrices déclarent une perte de sens dans l’exercice de leur fonction :le temps passé à gérer l’administratif prévaut sur l’accompagnement "métier"180 ». C’est cequi ressort du discours de Mme Champmartin :

Le manque de sens ça nous déstabilise beaucoup. […] Et puis après je pensequ’au niveau des équipes ce qui pèse le plus c’est d’être toujours tendu, toujoursau minimum, et nous on en arrive certains jours, à compter au quart d’heureprès le nombre d’enfants et le nombre de professionnelles. […] On n’a pas desouplesse.181

Ainsi, lorsqu’une seule personne est absente, l’ensemble de l’équipe est mis en difficulté,voire même une autre structure si elle est sollicitée pour envoyer du personnel en renfort.

Les professionnels dénoncent par ailleurs les contradictions présentes entre lespolitiques mises en œuvre et la réalité du terrain. Une critique récurrente porte par exemplesur les impératifs de qualité, qui paraissent souvent peu compatibles avec les règles detaux de remplissage et la baisse autorisée de la qualification des professionnels et du tauxd’encadrement. Pour Mme Champmartin, cela est dû à un « décalage entre ceux qui font etceux qui pensent ». Selon elle, les décideurs ne réalisent pas assez la spécificité de l’accueildes jeunes enfants : « Ils se rendent pas compte mais c’est impossible. "Regardez sur unpapier vous avez tant d’adultes et y’a tant d’enfants, c’est bon, ça marche." Mais c’est pasça, parce que les enfants c’est pas des trucs qu’on range et qui tiennent… »182 De la mêmefaçon, Mme Margerit constate qu’il n’y pas « la même porte d’entrée » entre la politiquenationale et la politique menée à Vénissieux : « on n’a pas le même regard sur les choses.La loi qui part du national, elle est généraliste et elle ne prend pas en compte la particularitédu local.183 » L’impression générale est donc qu’on demande aux professionnels de l’accueilde répondre à de plus en plus d’objectifs (épanouissement de l’enfant, accompagnementà la parentalité, insertion sociale), tout en leur enlevant des moyens matériels et du tempspour le faire.

Un autre paradoxe relevé par Mme Margerit est la déprofessionnalisation de l’accueil,alors que celui-ci est supposé bénéficier d’une amélioration qualitative. Pour elle celacorrespond à une vision dévalorisante des métiers de la petite enfance : « la petite enfanceest à la portée de tous, [et il n’y a] pas besoin de formation pour s’occuper de la petiteenfance. »184 Mme Margerit cite également l’influence des politiques européennes pourexpliquer la déréglementation, peut-être en référence à la directive « Services » étudiéeprécédemment185 : « regardez bien avec l’Europe ce que ça donne. Je suis pas sûre qu’ily ait une volonté qu’on développe encore plus.186 »

180 GIAMPINO, Sylviane. Confier ses enfants : qualité, liberté, priorité. In BEN SOUSSAN, Patrick. Op.cit., p. 53.181 Entretien n°5.

182 Ibid.183 Entretien n°6.184 Ibid.185 Voir supra, p. 46.186 Entretien n°6.

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Cette baisse des exigences en ce qui concerne les qualifications entre également encontradiction avec l’augmentation des normes de procédure. Le discours de Mme Margeritest encore une fois très évocateur à ce sujet :

La norme excessive tue l’humanisme. On est tellement centré sur la normetechnique qu’on oublie le bon sens pratique. Et ça me fait très peur. Le risquezéro n’existe pas. Donc parasiter la tête des personnes avec des normesextrêmement strictes, techniques, pointues, qui prennent beaucoup de temps, çam’interroge beaucoup. Le relationnel humain du coup est forcément mis à mal.C’est la procédure, on se protège par la procédure avant de faire de l’éducatif etdu social.187

La procéduralisation croissante semble donc être préjudiciable à la qualité des relations,en ayant pour effet négatifs une certaine perte de bon sens et de temps ainsi que desproblèmes organisationnels. Ces remarques rejoignent la réflexion de Sylviane Giampino :« comment on peut céder sur l’axe liberté-créativité comme valeur clef de l’épanouissementdes tout-petits, au profit de la valeur qui désaxe : la sécurité ?188 ». De même, Sylvie Raynaparle d’un « hygiénisme moderne, d’une montée des réglementations qui inhibent au lieude soutenir le travail auprès des jeunes enfants.189 »

Enfin, il ne faut pas oublier la forte tradition syndicale qui existe à Vénissieux, avecenviron une personne syndiquée par EAJE. Des tracts sont régulièrement distribués pourprotester contre le fait que « les conditions de travail sont dégradées » et signaler que« les équipes sont dans la souffrance parce que maintenant on est dans une logique derentabilité »190. Toutefois ces revendications ne représentent pas l’opinion de l’ensembledu personnel petite enfance de Vénissieux. Mme Henner par exemple considère qu’avecune équipe quasi complète, des locaux neufs et des taux d’occupation et d’encadrementraisonnables, elle n’est pas « en souffrance »191.

Les revendications dont m’ont fait part les personnes que j’ai rencontrées rejoignent engrande partie celles du collectif « Pas de bébé à la consigne » évoquées précédemment192,bien qu’aucun professionnel n’ait mentionné son appartenance à ce collectif.

Ces critiques traduisent une certaine usure des professionnels193 face aux exigencescroissantes de la politique nationale de la petite enfance, alliée à ce qui est ressenti commeune baisse des moyens et une perte de sens. Le service de la petite enfance a doncréfléchi à un projet global qui permettrait aux équipes de terrain d’être redynamisées ens’appropriant les nouvelles problématiques194.

Ces critiques trouvent aussi leur écho dans celles des élus politiques de Vénissieux.

187 Ibid.188 GIAMPINO, Sylviane. Confier ses enfants : qualité, liberté, priorité. In BEN SOUSSAN, Patrick. Op. cit., p. 59.189 RAYNA, Sylvie. La qualité, parlons-en ! In BEN SOUSSAN, Patrick. Op.cit., p. 188.

190 Entretien n°4.191 Ibid.192 Voir supra, p. 45.193 « Toutes les nouvelles directives qui viennent de l’Etat ont impacté le moral de nos troupes », entretien n°6.194 Voir infra, p. 90.

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2. La critique des politiques nationales par les élusN’ayant pas pu rencontrer l’adjointe à la petite enfance, mon analyse va porter ici surl’entretien réalisé avec le maire de Vénissieux, Mme Picard, et sur quelques-uns de sesdiscours disponibles sur son blog195.

L’appartenance communiste du maire de Vénissieux l’a conduite depuis 2008 àfortement s’opposer aux politiques nationales. La politique de la petite enfance, de parsa transversalité, est un moyen de critiquer l’ensemble des politiques menées à l’échellenationale. En effet, tant dans ses discours que durant notre entretien, Mme Picard relie lathématique de la petite enfance à des thématiques plus larges telles que la scolarisation,la précarité sociale, le statut des femmes, etc.

Chacun de ses discours est l’occasion de dénoncer les politiques gouvernementales,sur divers thèmes. Le premier d’entre eux est le manque de considération pour la petiteenfance et la jeunesse en général, à travers la dénonciation des « apprentis sorciers en toutgenre qui font passer la jeunesse pour un coût et non pour un investissement196 ». Cetteidée est liée à la lutte contre la déscolarisation des enfants de deux ans (« le démantèlementde l’école publique en général et de la maternelle en particulier197 »). Mme Picard vajusqu’à citer explicitement des ministres : « des déclarations odieuses de Xavier Darcos auxpropositions de Nadine Morano sur les jardins d’éveil, c’est la scolarisation des 2/3 ans etla maternelle qui sont attaquées.198 » Le second porte sur la libéralisation du marché dutravail et les solutions apportées à la crise ; selon Mme Picard, « la déréglementation ades conséquences désastreuses sur l’organisation de la vie privée : temps partiels, travailde nuit, horaires fragmentés.199 » De plus, elle rappelle fréquemment « la démission etl’abandon sans précédent des missions régaliennes de l’Etat200 » et fustige « le jeu dedupes des politiciens201 » qui ne mettent pas en cohérence leurs discours et leurs actes. Cesdiscours sont donc empreints d’une certaine combativité voire agressivité et d’un appel à sedifférencier : « quelles résistances voulons-nous mettre en place face à un Etat qui remeten cause l’indépendance et l’autonomie des communes, face à une crise économique etune crise du capitalisme qui ravagent nos sociétés, et donc nos villes et nos quartiers ?202 »

Si les paroles du maire étaient plus mesurées lors de notre entretien, elles exprimaientnéanmoins des revendications claires. On retrouve parmi celles-ci la critique de « la tentationactuelle de supprimer l’école maternelle pour avoir un système de garderies payantes203 ».La baisse des moyens alloués aux communes, avec notamment la suppression de la taxe

195 Michèle Picard, maire de Vénissieux [en ligne]. [page consultée le 13 juillet 2012]. <http://www.michele-picard.com/>196 Intervention de Michèle Picard à l’occasion de l’inauguration de la crèche Gribouille [en ligne]. 16 novembre 2010. [page

consultée le 15 juin 2012] <http://www.michele-picard.com/>197 Ibid.198 Ibid.199 Ibid.200 Intervention de Michèle Picard à l’occasion de la signature du Contrat Enfance Jeunesse [en ligne]. 2 mai 2011. [page

consultée le 15 juin 2012] <http://www.michele-picard.com/>201 Ibid.202 Intervention de Michèle Picard lors de la conférence de presse « Grand rendez-vous de la ville 2011. Les Minguettes

1981-2011 » [en ligne]. 23 juin 2011. [page consultée le 15 juin 2012] <http://www.michele-picard.com/>203 Entretien n°9.

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professionnelle, et la réforme des collectivités territoriales sont en outre perçues comme« une mise au pas de l’autonomie des communes » et comme une remise en cause de« l’indépendance des choix politiques204 ». Mme Picard pointe également l’étendue de lapauvreté, en particulier celle des enfants : « je pense qu’il y a une urgence sociale dansce pays qu’on ne mesure pas suffisamment. On ne mesure pas ce que ça casse chez lesenfants. On nous présente la pauvreté comme une fatalité, mais non c’est une conséquencedu chômage, de la désindustrialisation de la France.205 » Le maire se déclare pour la victoirede la gauche mais regrette que les socialistes n’aillent pas assez loin : « c’est pas lessocialistes qui iront aussi loin que moi je le souhaiterais.206 »

Enfin, une grande fierté est perceptible dans les discours de Mme Picard. Elle insistenotamment sur la tradition historique de la ville de Vénissieux d’investir dans la jeunesse :« ça a toujours été une préoccupation de la municipalité. […] Notre ancien député AndréGerin, c’est lui qui avait porté la Journée de l’Enfance au niveau national207 » Elle affirmeaussi régulièrement combien la politique de la petite enfance menée à Vénissieux estvolontariste et se distingue des politiques nationales et des politiques menées dans d’autresvilles. Prenons quelques exemples tirés de ses discours : « la ville mène pour sa jeunesse uncombat politique exemplaire » ; « ça demande des efforts, une sacrée volonté » ; « l’ambitionet la résolution de la ville de Vénissieux en matière de politique éducative » ; « fierté ethonneur des orientations claires, nettes et volontaristes prises par l’équipe municipale enfaveur de l’enfance et de la petite enfance ». Une attention particulière est également portéeà la lutte contre la marchandisation de l’accueil de la petite enfance. La petite enfanceest considérée comme « une des pierres de base [du] pacte communal, car c’est toutsimplement l’avenir et le futur de la ville qui s’écrivent208 ».

Ainsi, pour Mme Picard, Vénissieux se distingue des autres villes et rencontre moinsde difficultés à accueillir les enfants de moins de trois ans : « quand on regarde les écolesou les crèches, le nombre de places de crèches à Lyon, ou les villes autour, on voit bienque nous on est privilégiés.209 » Cette affirmation n’est toutefois pas vérifiée et se trouve encontradiction avec le discours de M. Damblin pour qui Vénissieux se situe désormais dansune « moyenne basse210 ».

Par conséquent, la différenciation mise en avant par Mme Picard dans ses discours està nuancer car elle relève peut-être davantage d’une volonté de valorisation de la politiquemunicipale que d’une réalité.

Cette différenciation se retrouve néanmoins dans la conservation de certaines règlesspécifiques à Vénissieux.

3. La conservation de pratiques et de règles spécifiques à la ville204 Ibid.205 Ibid.206 Ibid.207 Ibid.208 Intervention de Michèle Picard à l’occasion de l’inauguration de la crèche Gribouille [en ligne]. 16 novembre 2010. [page

consultée le 15 juin 2012] <http://www.michele-picard.com/>209 Ibid.210 Entretien n°7.

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Face aux évolutions législatives et aux nouvelles règles qui en découlent, la ville deVénissieux a fait le choix de se différencier en conservant certaines règles spécifiques.

En effet, si le taux d’encadrement peut désormais être assoupli, c'est-à-dire que lesprofessionnels peuvent être moins nombreux pour un plus grand nombre d’enfants, àVénissieux, ce taux demeure inchangé à un adulte pour six enfants. Cela permet selon MmeHenner d’avoir « des conditions de travail tout à fait appropriées211 ». De plus, l’embauchede travailleurs intérimaires pour remplacer des absences est interdite (alors qu’elle peutse faire dans d’autres villes). L’objectif de cette interdiction est sans doute de privilégierla qualité et de ne pas encourager les contrats de travail précaires et coûteux. Pour MmeChampmartin, cela a toutefois pour effet négatif d’ôter toute souplesse au fonctionnementde la structure et de précariser son organisation212.

Notons aussi qu’une attention spécifique est portée aux familles en difficultés, dans uneoptique d’accompagnement social, ce reflète une volonté particulière : « il y a des gens quine respectent pas les contrats, moi je refais le point avec eux, je revois leurs besoins, et puisdes familles qui arrivent pas à se lever le matin ou pas à venir, j’arrête jamais définitivement,je les mets jamais à la porte213 », explique Mme Ruiz.

Comme vu précédemment, la diversification des modes d’accueil est limitée àVénissieux et aucune création d’équipement n’a eu lieu depuis 2002. Dans un contextebudgétaire restreint et du fait de la baisse des financements de la CAF, la municipalité aadopté une stratégie d’adaptation consistant à augmenter l’activité afin de compenser ladiminution de la prestation enfance jeunesse (PSEJ). L’activité est développée uniquementau moyen d’extensions du nombre de places des structures pré-existantes. La ville dépensedonc davantage mais cela lui permet de conserver une subvention stable d’environ unmillion d’euros214.

Par ailleurs, comme l’a précisé Mme Picard, la ville « se bat pour l’entrée en maternelleà partir de deux ans. Chaque année on inscrit les enfants à partir de deux ans et on sebat pour qu’ils soient inscrits effectivement, qu’ils soient pris en compte.215 » Cela causecependant certains problèmes car les enfants de moins de trois ans ne sont pas pris encompte dans les effectifs par l’Education Nationale. Il peut donc y avoir des fermetures declasse même s’il existe une demande pour les enfants de deux ans. Les crèches recevantpour instruction de ne pas accueillir de nouveaux enfants si ceux-ci ont plus de deux ans etdemi, certains enfants se retrouvent sans place à l’école ni à la crèche. Ce type de situationproblématique est de plus en plus fréquent et génère une importante frustration chez lesfamilles, qui se retrouvent sans aucun mode de garde (l’école représentant aussi un modede garde). Lorsqu’un enfant de plus de deux ans déjà inscrit dans un EAJE se voit refuserl’entrée à la maternelle, il conserve sa place dans la structure mais empêche un autre enfantd’y avoir accès. Pour Mme Margerit, le choix politique qui est fait de refuser une place encrèche aux enfants de plus de deux ans et demi relève du « paradoxe » : « la réalité estque les enfants nous restent sur les bras. Moi j’ai pas de solution. Et les familles se tournentvers moi quand elles ne sont pas contentes.216 »

211 Entretien n°4.212 Entretien n°5.213 Entretien n°1.214 Entretien n°7.215 Entretien n°9.216 Entretien n°6.

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Un autre type de paradoxe que l’on peut remarquer à Vénissieux est la conservationdu critère des deux parents qui travaillent pour l’obtention d’une place en accueil régulier.Ce critère a pourtant été supprimé par l’instauration de la PSU afin de favoriser l’accueild’enfants dont les parents ne travaillent pas. Vénissieux est quand même conforme auxexigences de la PSU car un enfant peut être accueilli en socialisation occasionnelle. Maisla conservation de ce critère pose question, notamment si l’on considère la longue listed’attente pour les places en accueil occasionnel. En effet, cela signifie que la priorité estdonnée aux familles ayant des emplois, qui ne sont peut-être pas celles dont les enfants ontle plus besoin de socialisation. Certains enfants vivant dans des familles où aucun parentne travaille peuvent davantage nécessiter une intégration, tandis que leurs parents peuventaussi avoir besoin de temps pour leurs formalités de recherche d’emploi par exemple. Celarejoint la réflexion d’une note du CAS :

L’accès des enfants aux crèches a longtemps été réservé aux familles dont lesparents travaillent (…). Si l’on se place du point de vue du bien-être de l’enfant,alors il faudrait sans doute donner la priorité aux enfants dont les familles ontle plus de difficultés à développer le langage, les capacités cognitives et desocialisation, notamment aux familles immigrées défavorisées.217

La ville de Lyon, par exemple, a adopté un système prenant en compte davantage decritères : un barème a été établi avec des points attribués en fonction de certaines données(emploi ou non des parents, niveau de ressources, nombre d’enfants à charge, présenced’un handicap, besoin d’un soutien à la parentalité). Le fait que les deux parents travaillentou non est un critère parmi d’autres, qui n’est pas essentiel pour l’obtention d’une place.

On s’aperçoit ici de la complexité et parfois de la contradiction qui peut exister entreles différents objectifs de l’accueil du jeune enfant. Faut-il prioritairement encouragerl’insertion professionnelle des parents ou bien privilégier l’accueil des enfants en besoin desocialisation ? La réponse à cette question provient d’un choix politique, qui à Vénissieuxs’est fait en faveur de l’insertion professionnelle des parents.

On voit bien encore une fois la tension qui existe entre la préservation de la qualité d’unepart, qui conduit la municipalité de Vénissieux à adopter une politique de différenciation, et lanécessité d’une certaine souplesse avec la confrontation aux nouvelles normes d’autre part.

Finalement, la différenciation par rapport aux politiques gouvernementales s’observeà Vénissieux tant dans les discours que dans les pratiques. Les professionnels sont trèsconcernés au quotidien par le manque de valorisation dont souffre le secteur de la petiteenfance et par les nouvelles normes, qui sont majoritairement perçues comme ayant uneffet négatif. Le maire ne cache pas non plus son indignation face à certaines tendancesnationales et met en avant les spécificités et le volontarisme de sa municipalité en matièrede politique de la petite enfance. Ces spécificités sont mises en œuvre à travers des règlesque Vénissieux est une des rares villes françaises à appliquer.

Cette différenciation se décline notamment dans un projet mis en place au sein duservice Petite Enfance, dans le but de redonner une certaine motivation aux professionnelset un sens global à la politique de la petite enfance menée à Vénissieux.

217 BRABANT-DELANNOY, Laetitia & LEMOINE, Sylvain. Accueil de la petite enfance : Comment continuer à assurer son

développement dans le contexte actuel des finances sociales ? Note de veille du CAS n°157, novembre 2009. P. 5.

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III. Une politique différenciée préservant une identité singulière

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C.Le projet global « Enfant Phare » : une autreapproche de la qualité

1. Le constat d’un certain cloisonnementLa nécessité du projet global provient tout d’abord du constat d’une certaine usureprofessionnelle, liée à l’impact des réformes citées précédemment, qui ont alourdi la chargedes professionnels et modifié de façon significative l’exercice de leur métier. Ce projet doitpallier la perte de sens ressentie par bon nombre de professionnels, en permettant de fixerà nouveau certaines valeurs importantes.

Ce projet est par ailleurs issu de l’observation d’un manque de transversalité et d’uncertain cloisonnement entre les différentes structures du service Petite Enfance, et plusgénéralement entre ce service et les autres services de la ville (services Enfance, Education,Jeunesse, Sports, Culture). Ces différents services peuvent être amenés à travailler avecles mêmes familles, parfois les mêmes enfants, sans qu’ils communiquent réellement entreeux, empêchant qu’une continuité d’action puisse s’établir. Le bilan du CEJ ainsi que leprojet social et éducatif indiquent tous deux comme perspective la nécessité d’améliorer letravail en transversalité. L’objectif est ainsi d’offrir un service plus global et moins segmentéaux familles. Pour Mme Ruiz, cela permettrait d’éviter « cette déperdition d’énergie et detravail lorsque chacun fait dans son coin218 ».

Le cloisonnement est visible en premier lieu entre les différents EAJE. Même si lesdirectrices se connaissent et se rencontrent fréquemment à la mairie lors de réunions, lesstructures en tant que telles ne travaillent pas en lien les unes avec les autres. Mme Ruizdonne un exemple pour sa structure Tourni Cotton : « on est voisins avec la crèche duCarrousel, mais c’est tout bête, on est en décalé par rapport au rythme de la journée. Ducoup c’est hyper compliqué pour faire des choses ensemble.219 » De même, pour M. Naton,« le fonctionnement des structures Enfance – Petite Enfance est assez cloisonné, chacunest un peu en autonomie, chacun fait un peu à sa sauce220 ».

De plus, alors que les services Petite Enfance, Enfance et Education sont situés ausein de la même direction et peuvent avoir en charge les mêmes enfants ou des enfantsd’une même famille, ils ne sont pas nécessairement en lien. Pour M. Naton,

Il y a un saucissonnage actuellement. Quand on regarde le rythme d’un enfant,entre l’école, la nounou, le périscolaire, la cantine, des fois l’enfant il peut passerpar un nombre important de structures ou de personnes ou de dispositifs. Ducoup ça reflète le cloisonnement des dispositifs et la structuration des servicesde la mairie. On est découpé entre éducation, enfance, culture, sports et y’a pasforcément de lien.

Deux exemples concrets illustrent ce cloisonnement : Mme Henner remarque d’une partque lorsqu’un enfant quitte la crèche pour aller à l’école, il n’y a pas de communication entreles deux structures alors que pour certains enfants présentant des problèmes particuliers

218 Entretien n°1.219 Ibid.220 Entretien n°3.

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(de santé par exemple), des liens pourraient s’avérer intéressants221. Les enfants ayant unproblème de santé particulier bénéficient en effet d’un PAI (Projet d’Accueil Individualisé) :or la procédure pour ce PAI est différente à la crèche, sur le temps scolaire et sur le tempsméridien. Mme Margerit s’interroge : « qu’est-ce qui nous empêche de faire de la cohérencemême s’il y a des institutions différentes ?222 » D’autre part, nous avons vu que les EAJEne fournissaient pas de viande halal aux enfants dont les parents le réclamaient maisrespectaient leur choix en ne leur donnant pas de viande du tout ; en revanche la cantinescolaire oblige les enfants à manger de la viande non halal, au nom de la laïcité. On observedonc là aussi un manque de cohérence entre les deux services.

Le manque de transversalité peut aussi s’expliquer par le fait que les professionnelsdes différents services ont des métiers très différents, relevant de formations et de pratiquesdifférentes. Ils n’ont par conséquent pas le même point de vue sur l’enfant et sa famille, etM. Naton précise que des a priori existent sur ce que fait chacun, voire sur ce qui se faitdans certaines structures ou certains quartiers223.

Par ailleurs, le consultant intervenant pour mettre en place ce projet global, M. Bély,semble étonné de la verticalité qui caractérise le fonctionnement de la mairie de Vénissieux :« Vénissieux est une ville communiste, avec une culture verticale très très puissante. C’estdonc une approche de changement positionnel et culturel.224 » M. Damblin confirme cespropos puisqu’il compare la mairie à une « entreprise pyramidale avec un fonctionnementdescendant, avec des directives qu’il s’agit de faire appliquer jusque tout en bas, jusqu’àl’usager.225 » Ce fonctionnement vient donc se heurter aux tendances que nous avonsétudiées précédemment de travail horizontal en réseau et en partenariat.

Enfin, cette verticalité rejoint le constat de Bernard Eme et Laurent Fraisse qu’il manqueune régulation territoriale visant une politique globale et que la politique de la petite enfanceest davantage une juxtaposition de relations bilatérales226.

Ce cloisonnement existe donc tant au niveau des services municipaux qu’entre lesdifférentes structures de la ville (EAJE, maisons de l’enfance, écoles). Le service PetiteEnfance de Vénissieux essaie de lutter contre ce cloisonnement avec un projet global, auniveau du management.

2. L’adoption d’un « regard global » et d’un discours du « faire sens »La démarche du projet global a démarré en 2008, avec l’ouverture de l’EAJE Gribouille enremplacement de la crèche Viviani. Mme Champmartin, future directrice, avait rencontréM. Bély lors d’une formation et a fait appel à lui pour aider l’équipe à écrire son projetd’établissement. M. Bély explique qu’il s’est alors « aperçu que l’équipe de terrain nepourrait se mettre en dynamique globale que si le management à Vénissieux était menédans une telle dynamique. » En commun accord avec Mme Margerit, un cursus de« formation-action » de six jours a été organisé en 2010, autour du thème « manager

221 Entretien n°4.222 Entretien n°6.

223 Entretien n°3.224 Entretien n°8.225 Entretien n°7.226 EME, Bernard & FRAISSE, Laurent. Op.cit., p. 16.

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un projet dans un environnement complexe ». Cette formation réunissait en majorité desdirectrices et directrices-adjointes (des structures municipales ou associatives) ainsi quedes professionnels de l’enfance. Il a permis de « prendre conscience des liens qu’il pouvaity avoir entre ces professionnels, du partenariat qu’on pouvait développer.227 » Un deuxièmecursus de formation a eu lieu l’année suivante, et un groupe de supervision a émergé.Celui-ci est constitué des participants au cursus mais est également ouvert à d’autresprofessionnels, qui l’ont peu à peu intégré (personnel des centres sociaux, éducatrices dejeunes enfants, adjoints des maisons de l’enfance, auxiliaires de puériculture, infirmièresscolaires). Ce groupe porte le projet tout au long de l’année et est divisé en trois sous-groupes : le premier est chargé de l’organisation du festival « Enfant Phare » pour 2014, ledeuxième travaille sur le projet de formation global de la ville, et le troisième réfléchit auxoutils transversaux qui peuvent servir à créer du lien entre les structures. Selon M. Bély,« le groupe de supervision permet l’articulation du transversal, qui est la caractéristique dugroupe, et du vertical, qui est la logique qui prime à Vénissieux228 ». Le groupe de supervisionest ainsi mobilisé chaque fois qu’un nouveau projet complexe se présente. De plus, lescrèches Capucine, Parilly et Carrousel ont par la suite bénéficié d’un accompagnement duconsultant. Petit à petit, les professionnels se sont donc approprié le projet global et M. Bélyne vient plus à Vénissieux que tous les trois mois. M. Naton a un rôle d’intermédiaire entre luiet les équipes de terrain en animant les réunions des différents groupes et en coordonnantl’ensemble du projet.

Il est donc intéressant de remarquer que ce projet a émergé du terrain pour ensuites’étendre à l’ensemble du service, ce qui modifie la tradition de verticalité évoquéeprécédemment.

Ce projet s’inscrit dans une démarche systémique229 afin d’aider les professionnels àdévelopper les axes communs de leurs pratiques, puisque tous ont notamment la valeurcommune de la famille. Il est intéressant de remarquer que les professionnels adoptenttous le même discours quand je leur demande de décrire le projet global : « travailler surle décloisonnement, travailler sur les valeurs et le sens, travailler ensemble », « on lève lenez du guidon pour prendre de la hauteur et changer notre vision », « une dynamique, unprocessus qui crée du lien et qui met en lien les professionnels de l’enfance et de la petiteenfance », « un fil conducteur pour amener les services à travailler ensemble », « c’esthyper-transversal, c’est vraiment une cohérence globale qu’on cherche ». Les mots « lien »,« transversal », « regard global », « ensemble », « sens » et « cohérence » figurent parmiceux qui reviennent le plus souvent. M. Bély ajoute la notion de co-construction qui pourlui caractérise le management global. Cette co-construction s’illustre par exemple pour lesformations du CNFPT : depuis l’an dernier, le sous-groupe chargé du projet de formationglobal a modifié le cahier des charges pour faire évoluer les formations traditionnellesassez techniques proposées par le CNFPT. Les thématiques des formations ont ainsi étéreformulées pour intégrer davantage de transversalité, ainsi qu’une réflexion sur le bien-être au travail230.

L’approche systémique La théorie systémique voit le jour dans les années1940 aux Etats-Unis sous l’influence de l’école Palo Alto, qui travaillait sur la

227 Entretien n°3.228 Entretien n°8.

229 Voir encadré page suivante.230 Entretien n°5.

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théorie de la communication et de la relation entre les individus. Elle s’étenden Europe dans les années 1970, et s’applique notamment dans le champdu travail social et de la thérapie familiale. Cette approche est fondée surune conception synthétique et non pas analytique de la réalité. Elle consisteà considérer un système non pas comme une somme d’unité mais commeun ensemble d’interactions entre des unités. Par exemple, dans un contextedéterminé, un individu est toujours en interrelation avec l’environnement etavec les autres membres du groupe. Le principe de totalité implique quele comportement de chaque élément du groupe est lié aux comportementsde tous les autres et en dépend directement. Cette approche a été penséenotamment par Edgar Morin, qui l’associe aux notions de complexité etd’incertitude. La complexité est liée à la multiplicité des composantes d’unsystème mais aussi et surtout à l’imprévisibilité des comportements de cescomposantes. Quant à l’incertitude, elle est selon Edgar Morin caractéristiquede nos sociétés contemporaines : « nous sommes condamnés à la penséeincertaine, à une pensée criblée de trous, à une pensée qui n’à aucunfondement absolu de certitude, mais nous sommes capables de penser dans

ces conditions dramatiques. 231 »

Une autre valeur centrale dans le projet global est la créativité. Celle-ci est miseen œuvre durant les séminaires de formation, au travers d’ateliers créatifs (constructionde panneaux imagés, rédaction de contes ou d’articles) ou de jeux permettant de faireémerger une réflexion collective. Pour M. Naton, « on parle beaucoup de managementdans les métiers du social alors qu’on a d’autres outils comme le jeu, la créativité,l’imaginaire qui marchent aussi bien voire mieux et qui correspondent plus aux valeursqu’on porte.232 » M. Bély précise qu’il « faut travailler sur les synergies, pour qu’ensuiteles gens accompagnent la créativité des autres233 ». La créativité se retrouve égalementdans les projets d’établissement de certains EAJE, notamment Gribouille. Cette structureaccueille en effet régulièrement des artistes (chanteurs, danseurs) dans le cadre de projetsartistiques construits sur une année. Par ailleurs, l’idée de mettre en place un curriculumde la petite enfance commence à émerger. Celui-ci serait une sorte de livre de « recettes »évolutif et participatif, dans lequel les équipes pourrait partager des techniques, des gestes,des pratiques pédagogiques ou encore des jeux. Sylvie Rayna le définit comme « unsocle commun » et comme « l’ensemble des objectifs, valeurs, normes qui sous-tendent etencadrent les pratiques d’accueil et d’éducation234 ». Le curriculum permettrait de renouvelerle rapport des professionnels à l’enfant, aux parents, mais aussi le rapport au sein deséquipes et avec les gestionnaires. Les familles seraient amenées à participer elles aussi,toujours une optique de co-construction.

Ce travail autour du sens donné aux pratiques correspond à la définition de la qualitételle que la décrit Peter Moss dans son ouvrage Au-delà de la qualité. Cette visionde la qualité se distingue de celle issue du management traditionnel, fondée sur lesnormes et l’évaluation. Selon Peter Moss, « le pouvoir que la décentralisation donne d’une

232 Entretien n°3.233 Entretien n°8.234 RAYNA, Sylvie et al. Pour un accueil de qualité de la petite enfance : quel curriculum ? Paris : Editions Erès, 2009. Collection

Petite enfance et parentalité. P. 15.

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main, l’évaluation peut la reprendre de l’autre.235 » Ce constat aboutit au questionnementsuivant : « à mesure que la possibilité de standardiser décline face à la diversité et lacomplexité, pourquoi ne pas rechercher une façon de comprendre comment l’institutionfonctionne réellement plutôt que d’évaluer sa conformité à une norme de plus en plusproblématique ?236 » Il s’agit donc de remplacer le discours de l’évaluation par celui du« faire sens », qui correspond à une approche postmoderne : ce nouveau langage sebase la co-construction et l’évaluation participative, en se servant de la diversité du localau lieu d’appliquer l’universalité, car « amoindrir la diversité revient à réduire le possibleet la créativité237 ». Il se situe dans l’incertitude et ne propose donc pas une logique desolution. Ainsi, une vision alternative des structures d’accueil des jeunes enfants est mise enavant. Ces dernières sont vues comme des « forums de la société civile » promouvant unedémocratie participative locale. Cette idée de participation est d’ailleurs reprise par M. Bély,pour qui « les relations parents/professionnels/enfants sont une métaphore de la démocratieparticipative238 ».

De même, pour Sylvie Rayna la qualité de l’accueil des jeunes enfants ne se réduit pasà la définition de normes quantifiables (espaces, encadrement, notamment) mais est unenotion pluridimensionnelle : « sa définition relève d’un processus participatif de constructiond'un socle commun de valeurs et de principes pédagogiques.239 »

Le projet Enfant Phare a donc pour objectif de redonner un sens aux pratiques desprofessionnels et ainsi d’améliorer la qualité du service offert à la population. Unanimementconvaincus que ce projet apporte beaucoup aux équipes, les professionnels semblentenjoués et motivés quand ils en parlent, comme en témoigne Mme Champmartin : « on al’impression de travailler avec du sens, de savoir pourquoi on le fait, et quel sens ça a pournous en tant que professionnelles et c’est ça qui est important.240 »

3. Les limites de la démarcheLe projet Enfant Phare génère des effets bénéfiques indéniables pour la dynamisation et lamotivation des équipes de terrain. Il présente cependant certaines limites, en partie du faitde son caractère récent et encore peu abouti.

La première remarque porte sur le petit nombre de personnels du service de l’Enfanceimpliqué dans ce processus. En effet, si le projet est porté par le service Petite Enfance,son but est de s’ouvrir aux autres services. Le service Enfance est pourtant peu représentédans le groupe de supervision, ce qui s’explique pour une part par le grand nombre devacataires encadrés par seulement 18 permanents, tandis que le service Petite Enfancecompte une centaine de professionnels permanents. Ce manque de stabilité empêchedonc une implication sur le long terme. Mais M. Bély ajoute que « les professionnels del’animation étaient beaucoup moins présents, car ils sont enfermés dans des logiques de

235 MOSS, Peter et al. Au-delà de la qualité dans l’accueil et l’éducation de la petite enfance. Les langages de l’évaluation.Toulouse : Erès, 2012. P. 157.

236 Ibid., p. 175.237 Ibid., p. 285.238 Entretien n°8.239 RAYNA, Sylvie et al. Op. cit., p. 16.240 Entretien n°5.

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pouvoir, alors que la petite enfance c’est plus circulaire, la question des valeurs se posenécessairement.241 » Sans savoir vraiment ce que sous-entend l’expression « logiques depouvoir », on peut supposer que le projet Enfant Phare résonne de manière plus pertinentepour les professionnels de la petite enfance que pour ceux de l’animation.

La mise en lien et la transversalité ne sont pas des objectifs faciles à atteindre, commeen témoigne l’organisation d’une journée sous la forme d’un forum entre les différentsservices de la ville. Cette journée s’est déroulée au mois de février 2012 et réunissait despersonnes du service culturel, du service des sports, de la petite enfance, de l’animationainsi que quelques associations comme le Centre Associatif Boris Vian, et une personnedu Grand Projet de Ville. C’est au cours de cette journée que le nom du projet « EnfantPhare » a été trouvé. Pour M. Naton, cette journée a bien fonctionné pour les services del’Enfance et de la Petite Enfance, mais moins pour les services culturels et sportifs, qu’il asentis « en décalage » et « déstabilisés242 ». La conclusion tirée de cette journée a donc étéde prendre davantage de temps, en travaillant d’abord prioritairement avec les personnelsde l’enfance et de la petite enfance.

Une autre illustration de résistance à un fonctionnement décloisonné est l’absenced’implication des élus dans cette démarche. L’adjointe à la petite enfance est très peuprésente pour des raisons personnelles et lorsque j’ai interrogé le maire sur sa connaissancedu projet Enfant Phare, elle semblait peu au fait du processus en cours. Il résulte de celaque les professionnels de terrain sont les principaux porteurs du projet et que la volonté dechangement semble davantage provenir d’eux que des élus. M. Bély explique son regret dene pas pouvoir être en lien avec les politiques :

Sur le terrain il y a une vraie intention de sortir des sentiers battus. Mais elle seheurte à des logiques qui ne rejoignent pas ces intentions, il y a des difficultésd’articulation. Par exemple je n’ai jamais rencontré le Directeur Général desServices ni aucun élu en trois ans. Ce qui est grave c’est qu’ils nous laissentfaire, ils sont au courant de ce qu’on fait mais ils n’en voient pas la portée. C’estla seule ville où je n’arrive pas à monter à ce niveau, ça ne peut pas se jouer.J’interviens aussi à Montpellier, là bas j’ai organisé un séminaire de managementavec les professionnels de terrain, les coordonnateurs, et aussi les managersde la direction générale des services. A Vénissieux rien n’émerge. Le travail deterrain ne suffit pas s’il ne peut pas remonter.243

M. Naton confirme cette impression : « il y a une volonté très forte des professionnels deterrain de se mettre en lien, de travailler avec les autres, d’échanger leurs pratiques. Ladéclinaison technique du projet sur le terrain est portée par les professionnels.244 »

La conséquence de cette forte implication des professionnels peut être une certaineusure professionnelle. En effet, la mise en place d’un projet tel que le projet Enfant Pharenécessite beaucoup de temps et est un travail de longue haleine. Les participants n’ont pastous la même culture professionnelle, ne travaillent pas tous dans le même contexte, etsont souvent absorbés par la réalité du quotidien. Comme l’explique Mme Champmartin,« tous ces projets ça demande des temps de rencontre, de réunion, de formation, donc

241 Entretien n°8.242 Entretien n°3.

243 Ibid.244 Entretien n°3.

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on multiplie… Parfois au bout d’un moment c’est un peu difficile, ça reste un boulot. C’estune grande exigence. Ca demande à chacun de s’investir, de s’impliquer, ça demande dutemps.245 » Pour M. Naton, la difficulté est donc de « trouver les articulations entre leschoses246 », c'est-à-dire entre le travail quotidien et les projets de long terme.

En outre, on peut observer un certain écart entre le discours des acteurs et leurspratiques, car les mots employés (transversalité, regard global, systémie…) sont encorepeu appliqués dans les pratiques. Les professionnels peinent parfois à expliquer ce qui secache derrière certains « grands mots », ce qui peut donner l’impression que le discours aété intégré sans qu’il corresponde à une réalité concrète. Par exemple, lorsque j’ai interrogéMme Champmartin sur le sens qu’elle donnait au concept de « curriculum », sa réponse aété très évasive : « c’est un ensemble de perspectives, je sais pas, c’est un modèle un peu…C’est difficile hein… Je vois mais mettre des mots exacts…247 » Le manque de concrétisationpeut par conséquent se révéler un peu décourageant.

Plusieurs professionnels précisent par ailleurs que s’ils trouvent le temps de participerà ces projets, c’est en partie grâce à la politique menée à Vénissieux, qui conserve un tauxd’encadrement relativement élevé et donc une certaine souplesse en comparaison d’autresvilles. De plus l’intervention d’un consultant extérieur nécessite un budget spécifique, ce quimontre que la ville est prête à investir dans le secteur de la petite enfance. Ainsi, même siles élus ne sont pas personnellement impliqués dans le projet Enfant Phare, la politique dequalité mise en place à Vénissieux pour l’accueil de la petite enfance permet à ce projetde se développer.

Enfin, un des objectifs non encore atteints du projet Enfant Phare est celui dela participation des familles. Il faut souligner que le projet étant situé au niveau dumanagement, il est difficile d’y inclure les familles. Cependant, l’optique générale étant cellede la co-construction, il me parait important de remarquer que cette volonté de rendre lapopulation actrice demeure difficile à mettre en œuvre. Malgré les discours des acteurs etle contenu du projet social visant à rendre les parents « premiers éducateurs » de leursenfants, l’impression générale est que l’on « agit sur » une population plutôt que de « faireavec » elle. Mme Neri explique par exemple que « les parents ont besoin de cadres, commeles enfants, si on donne pas des limites à un enfant il s’y perd et il arrive pas à se construire.[….] Un cadrage ça canalise et ça structure les familles, et les familles elles ont aussibesoin de ça.248 » Ces propos peuvent être mis en perspective avec la réflexion de Marc-Henry Soulet, pour qui l’Etat providence est passé d’un principe de solidarité à un principede responsabilité des individus, dans un logique d’individualisation et d’autonomisation249.Il semble qu’à Vénissieux, au contraire, le fait que la population soit dans des situationssouvent difficiles préserve une forme d’assistance.

Au final, si le projet global Enfant Phare rencontre certaines difficultés et des résistancesdues à un cloisonnement bien ancré des services municipaux, il a le mérite de redonnerun souffle et une dynamique au travail quotidien des professionnels. Ces derniers n’ontainsi plus l’impression de « faire pour faire » mais d’agir en réfléchissant au sens de leurspratiques. « C’est dans le discours, dans l’attitude, mais pour que ça marche, faut pas que

245 Entretien n°5.246 Entretien n°3.247 Ibid.248 Entretien n°2.249 SOULET, Marc-Henry. Une solidarité de responsabilisation ? In ION, Jacques. Op.cit.

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le dire, faut pas que l’écrire, faut le vivre.250 » indique Mme Champmartin. On peut avancerl’hypothèse que pour l’heure, la démarche et la dynamique initiées par le projet comptentdavantage que les résultats à court terme.

Si l’on se replace dans la perspective de la différenciation, on peut dire que Vénissieuxse démarque des tendances nationales à plusieurs égards. La différenciation est toutd’abord induite par l’adaptation aux caractéristiques socio-économiques du territoire ainsiqu’à sa diversité culturelle, qui obligent les professionnels à modifier leurs pratiques.La population vénissiane présente une forte attente vis-à-vis de la municipalité et desbesoins singuliers auxquels répond par conséquent une offre singulière, moins diversifiéequ’ailleurs. De plus, tant les professionnels que les élus sont en opposition avec la politiquede la petite enfance menée au niveau national et n’hésitent pas à en dénoncer lesparadoxes. Cela aboutit à la conservation de pratiques et de règles spécifiques à la villede Vénissieux.

Enfin, le projet Enfant Phare démontre une capacité de différenciation par rapportaux évolutions nationales, différenciation issue non pas d’une volonté politique mais d’unengagement des acteurs de terrain, animés par la volonté de redonner du sens à leur travail,notamment en plaçant l’enfant au centre de leurs actions.

250 Entretien n°5.

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Conclusion

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Conclusion

Lors de mon stage au sein du service Petite Enfance de Vénissieux, j’avais eu l’impressionque la politique de la petite enfance menée à Vénissieux était hors du commun et avant-gardiste. Cette étude a permis de montrer que si Vénissieux a été avant-gardiste pendantun temps - premier service de l’enfance, taux de couverture du territoire en places decrèches élevé -, cet avant-gardisme n’est plus d’actualité, ou plus de la même façon.Les professionnels eux-mêmes le reconnaissent : si la volonté politique semble toujoursprésente, elle s’est développée parallèlement au niveau national et dans d’autres villes, cequi place Vénissieux dans une moyenne en matière de développement de l’offre d’accueil.

Pour répondre à notre question initiale, il semble que la politique de la petite enfancede Vénissieux se situe à mi-chemin entre standardisation et différenciation, et qu’il n’estpas aisé de tracer une ligne de démarcation nette entre ces processus. Les deux sontétroitement liés et peuvent être complémentaires. Le projet global Enfant Phare constitueun bon exemple de cette imbrication entre différenciation et standardisation. En effet, si lecontenu de ce projet constitue une certaine différenciation, sa forme (celle d’un projet avecl’intervention d’un consultant d’un cabinet privé) demeure toutefois conforme aux tendancesactuelles des politiques publiques. De la même façon, pour Peter Moss, différenciation etstandardisation peuvent coexister :

Nous admettons que le discours de la qualité pourrait être particulièrementutile pour certaines questions hautement techniques, peut-être par exemple,l’hygiène alimentaire ou les normes de construction destinées à assurer lasécurité physique… Adopter le discours du faire sens n’implique pas le rejet de laquantification.251

Il convient d’ajouter que la perception de ce qui relève ou non de la différenciation varie d’unacteur à un autre. Pour M. Naton par exemple, le projet global appartient à « une tendance,peut-être pas générale ou massive, mais qui se fait dans d’autres villes252 ». L’instrumentdu curriculum est notamment utilisé en Allemagne et au Canada. En revanche, M. Bélydéclare que « c’est une démarche qui se fait très peu, les modèles dominants étant trèscartésiens253 » et qu’il ne connait pas de consultant engagé dans le même type de démarcheque lui. De même, lors de notre entretien, Mme Ruiz vante le côté avant-gardiste et originalde la politique de la petite enfance de Vénissieux et notamment du projet global, et reconnaitquelques minutes plus tard que « c’est une réflexion qui se fait au niveau mondial et qu’onn’est pas en décalé par rapport à tout ce qui se fait254 ». Elle explique également avoirréalisé lors d’une conférence de Peter Moss que le projet Enfant Phare s’inscrivait dans« le discours du faire sens » prôné par l’auteur, ce dont les acteurs de Vénissieux n’ontprobablement pas conscience. Certains acteurs perçoivent la démarche comme uniquealors qu’un processus similaire peut être entrepris ailleurs. Mme Champmartin indique par

251 MOSS, Peter et al. Op.cit., p. 195.252 Entretien n°3.253 Entretien n°8.254 Entretien n°1.

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exemple que si la créativité peut sembler un axe original des projets pédagogiques de laville, des aspects créatifs et artistiques sont en fait de plus en plus fréquemment inclus dansles projets d’EAJE d’autres villes255.

Pour synthétiser, on peut donc parler de tendances globales qui prennent des formesdifférentes selon les villes, illustrant le métissage et la tension constante entre imitation etinnovation.

Par ailleurs, d’un point de vue plus politique, le fait que la mairie soit communistene semble pas jouer un rôle significatif. Cela ressort assez peu dans le discours desacteurs et semble peu impacter la construction de la politique de la petite enfance,même si certaines valeurs telles que l’égalité, la laïcité, l’éducation populaire demeurentcaractéristiques du communisme. Le caractère communiste ressort peut-être davantagedans l’organisation administrative, avec un fonctionnement très vertical décrit par M. Bély.Cette identité communiste génère cependant quelques paradoxes dus au respect strict decertains principes, relevés par les acteurs. La limitation de l’accueil en crèche à deux anset demi, qui vise à défendre la scolarisation dès deux ans, conduit par exemple à ce quecertains enfants n’aient de place ni à l’école ni en crèche, car l’Education Nationale ne prendpas en compte les enfants de moins de trois ans dans les effectifs de classes. L’interdictionde recruter des intérimaires peut en outre nuire au bon fonctionnement d’une structure enmanque de personnel. C’est donc une certaine rigidité que les professionnels vénissiansde la petite enfance dénoncent parfois.

Ils reconnaissent néanmoins quasi unanimement la présence à Vénissieux d’unevolonté politique en matière de développement de l’offre d’accueil de la petite enfance. Lesmoyens attribués à cette politique ainsi que la conservation de règles spécifiques tellesqu’un taux d’encadrement d’un professionnel pour six enfants garantissent le maintien dela qualité et d’un environnement de travail agréable.

Il me semble toutefois important de nuancer ces propos car mes recherches ont aussimontré le fort cloisonnement qui existait entre le terrain et les élus. Ces derniers ne sont pasimpliqués dans la démarche du projet Enfant Phare, et beaucoup d’impulsions semblentrésulter de la volonté des responsables de service et des professionnels de terrain. Ence sens, Mme Margerit et M. Damblin forment un binôme stratégique à la tête des quatreservices de la DEES et ont un rôle d’interface entre les élus et les acteurs de terrain.La politique de la petite enfance de Vénissieux parviendrait donc à préserver une identitésingulière, malgré les contraintes obligeant à se plier aux exigences nationales et lesinterdépendances dues à la multiplicité des acteurs.

On peut aussi avancer l’idée que cette différenciation est pour une part induite parl’adaptation aux réalités du territoire et de la population : elle ne serait alors qu’un fait socialbanal lié à l’appropriation du territoire par les acteurs. Comme l’expliquent Gilles Pinson etHélène Reigner,

La différenciation n’est peut-être pas à attendre des acteurs et organisationsimpliqués dans la compétition électorale locale ; elle procède peut-être davantagedu type de territoire considéré, des positions des territoires dans les hiérarchiesspatiales, de leur spécialisation productive et équations socio-économiques qui yprévalent.256

255 Entretien n°5.256 PINSON, Gilles & REIGNER, Hélène. In DOUILLET, Anne-Cécile. Op. cit., p. 167.

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Conclusion

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Dans le cas de Vénissieux, la proportion importante de familles en situation difficile impliquedes traitements au cas par cas et donc une nécessaire « déstandardisation »257. Cela montrela tension entre les revendications individuelles et légitimes de ces familles d’une part etl’intérêt général d’autre part, qui oblige à adopter des règles collectives.

Il me parait finalement important de valoriser la forte volonté des professionnels deterrain de Vénissieux de sans cesse améliorer le service rendu à la population et l’accueilfourni aux enfants et à leurs familles.

Pour conclure, élargissons le débat à la politique de la petite enfance à un niveaunational pour cerner les évolutions potentielles auxquelles seront confrontés les acteurs dela petite enfance à Vénissieux.

La note de veille n°157 du Conseil d’Analyse Stratégique propose des perspectivespour 2017 et élabore plusieurs recommandations dans une optique d’amélioration de l’offred’accueil du jeune enfant. Un premier axe est la clarification de la gouvernance de cettepolitique, car « l’éclatement de la compétence petite enfance constitue aujourd’hui unfrein à la mise en œuvre d’une politique à la fois plus ambitieuse, plus rationnelle et pluséquitable.258 » Un second axe réside dans la mise en cohérence des dispositifs variés d’aideaux parents ayant de jeunes enfants : le CAS préconise ainsi un maillage de guichetsuniques sur le territoire, avec un référent « mode de garde », un peu à l’image du référent« pôle Emploi ». Ces guichets pourraient même évoluer en agences rassemblant l’ensembledes acteurs et des dispositifs. Des schémas locaux de l’offre d’accueil pourraient alors êtremis en place, qui mentionneraient les créations de places et les moyens mis en œuvre.Le CAS pointe aussi la nécessité de prévoir des solutions de garde pour les demandesspécifiques (horaires atypiques, handicap, urgence) ainsi qu’un accès privilégié aux modesde garde pour certains publics ou territoires (les territoires soumis à la politique de la ville parexemple, ce qui serait le cas de Vénissieux). Les parents pourraient disposer d’un numérounique d’enregistrement sur le site www.mon-enfant.fr afin d’évaluer le service rendu.Enfin, le CAS évoque la création d’un Objectif national des dépenses pour l’enfance (Onde),par analogie avec l’Ondam (Objectif national des dépenses de l’assurance maladie), pourmettre en cohérence les moyens et les objectifs de la politique de la petite enfance. Toutesces perspectives s’inscriraient donc dans les tendances actuelles des politiques publiquesde rationalisation des moyens et de création d’agences.

Par ailleurs, certains auteurs comme Julien Damon émettent l’idée de la mise en placed’un service public de la petite enfance à vocation générale259 (idée reprise par plusieurscandidats aux élections présidentielles de 2012). Celui-ci permettrait aux parents de faciliterla conciliation entre leur vie professionnelle et leur vie familiale. Ce service public de lapetite enfance pourrait être accompagné d’un droit opposable au mode de garde, à l’imagedu droit au logement opposable. Les conditions de mise en œuvre de ces idées restentnéanmoins floues et nécessiteraient une amélioration importante de la coordination desdifférents acteurs. A ce jour, aucune démarche n’a été entreprise dans ce sens, bien quela création d’un service public de la petite enfance fasse partie du programme de FrançoisHollande.

257 ASTIER, Isabelle. Qu’est-ce qu’un travail public ? Le cas des métiers de la ville et de l’insertion. In ION, Jacques. Op. cit.258 Centre d’Analyse Stratégique. Accueil de la petite enfance : comment continuer à assurer son développement dans le

contexte actuel des finances sociales ? Note de veille n°157, novembre 2009. P. 8.259 DAMON, Julien. Comment donner corps à un « service public de la petite enfance » ? CAS, Note de veille n°34, 13

novembre 2006. 8 p.

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Enfin, un élément essentiel à prendre compte est l’européanisation d’un nombrecroissant de secteurs des politiques publiques. Bien que les politiques sociales demeurentencore largement l’apanage des Etats membres, l’exemple de la directive « Services » ouBolkestein montre que les impératifs européens s’étendent à des domaines de plus en plusvariés. Ainsi, dans le cadre de la stratégie « Europe 2020 pour la croissance et l’emploi »,l’objectif d’un taux d’emploi des femmes de 75% a été fixé260. Celui-ci impliquera donc dedévelopper l’offre d’accueil des jeunes enfants.

Les prochaines années verront donc probablement des changements importantsen matière d’offre d’accueil des jeunes enfants, auxquels la ville de Vénissieux et sesprofessionnels de la petite enfance devront faire face et s’adapter une nouvelle fois.

260 MINISTERE DU TRAVAIL ET DE L’EMPLOI. « Stratégie Europe 2020 : pour la croissance et l’emploi » [en ligne]. 10 octobre2011. [page consultée le 20 juillet 2012] <travail-emploi.gouv.fr/europe-international,884/l-action-europeenne-et,1707/europe,2073/strategie-europe-2020-pour-la,14036.htm>

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La politique de la petite enfance à Vénissieux : entre standardisation et différenciation

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Annexes

Annexe 1 : Liste des abréviations utilisées∙ AEA : Aide Educative Administrative∙ AEMO : Aide Educative en Milieu Ouvert∙ AFSSA : Agence Française de la Sécurité Sanitaire des Aliments∙ ANSES : Agence Nationale de la Sécurité Sanitaire∙ ARS : Agence Régionale de Santé∙ CAF : Caisse d’Allocations Familiales∙ CAS : Centre d’Analyse Stratégique∙ CDAJE : Commission Départementale de l’Accueil des Jeunes Enfants∙ CEJ : Contrat Enfance Jeunesse∙ CMP : Centre Médico-Psychologique∙ CNAF : Caisse Nationale d’Allocations Familiales∙ CNFPT : Centre National de la Fonction Publique Territoriale∙ DEES : Direction Enfance Education Santé∙ EAJE : Etablissement d’Accueil du Jeune Enfant∙ HACCP : Hazard Analysis Critical Control Point∙ LAEP : Lieu d’Accueil Parent Enfant∙ LOLF : Loi Organique relative aux Lois de Finance∙ PAI : Projet d’Accueil Individualisé∙ PAJE : Prestation d’Accueil du Jeune Enfant∙ PIF : Point accueil Information et orientation des Familles∙ PLFSS : Projet de Loi de Finances de la Sécurité Sociale∙ PMI : Protection Maternelle et Infantile∙ PQE : Programme de Qualité et d’Efficience∙ PSEJ : Prestation de Service Enfance Jeunesse∙ PSU : Prestation de Service Unique∙ SDAJE : Schéma Départemental de l’Accueil du Jeune Enfant et de sa Famille

Annexe 2 : Liste des entretiens réalisés∙ Entretien n°1 : Marie-Lydie Ruiz, directrice de la crèche Tourni Cotton du centre social

Eugénie Cotton, dans le quartier des Minguettes

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Annexes

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∙ Entretien n°2 : Carole Neri, responsable du Point Accueil, Orientation et Informationdes Familles au sein du service Petite Enfance

∙ Entretien n°3 : Milan Naton, coordinateur du projet global Enfant Phare, enapprentissage au sein de la Direction Education Enfance Santé

∙ Entretien n°4 : Nicole Henner, directrice de la crèche municipale Carrousel, dans lequartier des Minguettes

∙ Entretien n°5 : Isabelle Champmartin, directrice de la crèche municipale Gribouille,dans le quartier Moulin à Vent

∙ Entretien n°6 : Victorine Margerit, responsable des services Petite-Enfance et SantéScolaire

∙ Entretien n°7 : Matthieu Damblin, responsable des services Education et Enfance,ancien coordinateur enfance-jeunesse

∙ Entretien n°8 : Pascal Bély, consultant du cabinet Trigone, spécialisé en conseil à lafonction publique

∙ Entretien n°9 : Michèle Picard, maire de Vénissieux

A consulter sur place au centre de documentation de l'Institut d'Etudes Politiques deLyon