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6 Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie / Année 6/Décembre 2006. © 2006. Elsevier Masson SAS.Tous droits réservés. Résumé Le vieillissement de la population française incite à développer une politique de prévention gérontologique, peu présente dans notre pays. L’objectif de cette politique est la qualité de vie du plus grand nombre, pour permettre de bénéficier d’un vieillissement réussi. Il faudra améliorer la formation des professionnels de santé et promouvoir une coordination réussie du service de santé. Mots-clés Prévention, gériatrie, médecine générale. Summary Geriatric prevention in general practice: thoughts on a practical guide for practitioners Ageing of the French population is an incentive to develop a policy of prevention in gerontology far from. The aim of an ageing policy is to provide a good quality of life to most people for a “successful ageing”. Specific medical formation is necessary. Key words Prevention, gerontology, family medicine. Psychiatrie Neurologie Gériatrie Dossier Prévention en Gériatrie La prévention gériatrique en médecine générale Une réflexion pour un guide pratique à l’usage des généralistes* Ph. Prasteau Médecin généraliste. 1, rue des Vergers, 91370 Verrières-le-Buisson. Médecin coordonnateur à la Résidence de Massy, 2, avenue d’Australie, 91300 Massy. Correspondance : Ph. Prasteau, adresse ci-dessus. E-mail : [email protected] Prasteau P. NPG 2006; 6 (36): 6-11. *Article rédigé dans le cadre du Diplôme Universitaire de Prévention du Vieillissement Pathologique de la Faculté de Médecine Paris-Sud (Université Paris XI). La gérontologie préventive (1) concerne l’homme tout au long de sa vie et, paradoxalement, bien avant l’âge de la retraite, et com- mence à être de mieux en mieux codifiée : c’est une prévention primaire qui vise à repérer les facteurs prédictifs du vieillissement réussi (hypertension, poids, tabac, alcool …). La prévention en géria- trie (2) est tout autre : elle vise les retraités, et son but est de pré- server,voire d’améliorer,les capacités fonctionnelles et cognitives des patients, de réduire le recours injustifié aux soins et à l’hospi- talisation et, enfin, globalement, d’augmenter l’espérance de vie sans incapacité. La prévention en milieu gériatrique vise à per- mettre une meilleure qualité du vieillissement. Contexte législatif : la loi relative à la santé publique du 9 août 2004 « Des consultations médicales périodiques de prévention seront mises en place dans le cadre des interventions programmées de santé publique. Leur contenu et leurs modalités de réalisation seront précisés en fonction de l’objectif poursuivi. Pour un accès plus égalitaire et plus large à cette action de prévention, tout pro- fessionnel de santé pourra être amené (sous réserve de ses com- pétences) à réaliser ces consultations, et celles-ci seront prises en charge par l’assurance-maladie. Cette mesure permet,par ailleurs,

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6 Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie / Année 6/Décembre 2006. © 2006. Elsevier Masson SAS.Tous droits réservés.

Résumé

Le vieillissement de la population françaiseincite à développer une politique de préventiongérontologique, peu présente dans notre pays.L’objectif de cette politique est la qualité de viedu plus grand nombre, pour permettre debénéficier d’un vieillissement réussi. Il faudraaméliorer la formation des professionnels desanté et promouvoir une coordination réussiedu service de santé.

Mots-clésPrévention, gériatrie, médecine générale.

Summary

Geriatric prevention in generalpractice: thoughts on a practicalguide for practitionersAgeing of the French population is anincentive to develop a policy of prevention ingerontology far from. The aim of an ageingpolicy is to provide a good quality of life tomost people for a “successful ageing”. Specificmedical formation is necessary.

Key wordsPrevention, gerontology, family medicine.

Psychiatrie

Neurologie

Gériatrie

Dossier Prévention en Gériatrie

La prévention gériatrique en médecine généraleUne réflexion pour un guide pratique à l’usage des généralistes*

Ph. PrasteauMédecin généraliste. 1, rue des Vergers, 91370 Verrières-le-Buisson.Médecin coordonnateur à la Résidence de Massy, 2, avenue d’Australie, 91300 Massy.

Correspondance : Ph. Prasteau, adresse ci-dessus.E-mail : [email protected]

Prasteau P. NPG 2006; 6 (36): 6-11.

*Article rédigé dans le cadre duDiplôme Universitaire dePrévention du VieillissementPathologique de la Faculté deMédecine Paris-Sud (UniversitéParis XI).

La gérontologie préventive (1) concerne l’homme tout au long desa vie et, paradoxalement, bien avant l’âge de la retraite, et com-mence à être de mieux en mieux codifiée : c’est une préventionprimaire qui vise à repérer les facteurs prédictifs du vieillissementréussi (hypertension,poids, tabac,alcool …). La prévention en géria-trie (2) est tout autre : elle vise les retraités, et son but est de pré-server, voire d’améliorer, les capacités fonctionnelles et cognitivesdes patients, de réduire le recours injustifié aux soins et à l’hospi-talisation et, enfin, globalement, d’augmenter l’espérance de viesans incapacité. La prévention en milieu gériatrique vise à per-mettre une meilleure qualité du vieillissement.

Contexte législatif : la loi relativeà la santé publique du 9 août 2004

« Des consultations médicales périodiques de prévention serontmises en place dans le cadre des interventions programmées desanté publique. Leur contenu et leurs modalités de réalisationseront précisés en fonction de l’objectif poursuivi. Pour un accèsplus égalitaire et plus large à cette action de prévention, tout pro-fessionnel de santé pourra être amené (sous réserve de ses com-pétences) à réaliser ces consultations, et celles-ci seront prises encharge par l’assurance-maladie. Cette mesure permet,par ailleurs,

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Prévention gériatrique en médecine générale : réflexion pour un guide pratiquePh Prasteau

d’impliquer l’ensemble des acteurs de santé dans la mise en œuvredes programmes de santé publique (professionnels de santé libé-raux). Enfin,elles seront source d’une remontée d’informations surl’état de santé de la population, pour une meilleure connaissanceet évaluation des besoins » (3).

Etat des lieux de la prévention en gériatrie

La formation en gériatrieActuellement, les consultations de prévention, que ce soit enmédecine générale ou en gériatrie, n’existent pas en France. Il y ade nombreuses raisons à cela :- la majorité des médecins en exercice aujourd’hui n’ont pas eude formation initiale pour ce qui concerne la prévention et la géria-trie ; cependant, la réforme des études médicales a enfin intégréla spécificité de la prise en charge médicale des personnes âgées,et la plupart des Facultés de Médecine ont mis en place, depuis2003, une formation reconnue par un DESC de gériatrie de type II,équivalent à une spécialité (4) ;- la formation continue spécifique en gériatrie est rare (5) :une quin-zaine de stages sur plus de 300 formations recensées par l’OGC(Organisme Gestionnaire de la Formation ProfessionnelleConventionnelle),et elle apparaît plutôt orientée sur la prévention(« évaluation »,« maintien de l’autonomie » sont des thèmes abor-dés sous la rubrique « patient en perte d’autonomie ») ;ces modulesde FMC (Formation Médicale Continue) sont parmi les plus suivis,ce qui en prouve l’absolue nécessité, et ils devraient pouvoir cou-vrir les besoins à condition que la formation continue en médecines’organise au plus près des réalités de l’exercice libéral ;- en fait, la formation se fait surtout sur le terrain : rencontresd’autres professionnels, confrontations d’expérience, lectures descomptes rendus de nos patients hospitalisés ; l’expérience acquisepar la pratique semble la meilleure formation du médecin, maisc’est une démarche aléatoire non validée. Espérons que les récentesmesures décidées par le gouvernement sur la validation des com-pétences en médecine générale jouera ce rôle et saura être au plusprès des préoccupations spécifiques de la médecine de ville.

Les institutions et la prévention Centres de santéLes CPAM (Caisse Primaire d’Assurance-Maladie) contactent direc-tement les assurés sociaux pour des bilans de santé. Il s’agit le plussouvent de personnes jeunes, âgées de moins de 55 ans.Il est à noter que la MSA (Mutualité Sociale Agricole) a fermé sescentres de santé, pour confier cette mission de prévention auxmédecins généralistes (6).Le problème des centres de santé est qu’ils sont souvent éloignésdu domicile du patient,ce qui nécessite un déplacement que seulsferont souvent les plus motivés.

Centres de gériatrie Les cliniques privées : elles ne possèdent que des services de chi-rurgie ou de cardiologie. Elles n’assurent que des actes d’urgenceet de chirurgie. Ces structures sont donc totalement inadaptées àdes pratiques de prévention.Les hôpitaux généraux : ils sont saturés, et ne possèdent pas tou-jours de consultation spécialisée. Les patients les plus âgés sontsouvent redirigés vers des structures plus spécialisées quand ellesexistent dans les environs.Les structures spécifiquement gériatriques : hôpitaux privés oupublics, ils sont nombreux en région parisienne, mais ne couvrentpas en un maillage régulier toute la France.

AssociationsElles sont souvent très mal connues, tant des patients que des pro-fessionnels de santé.Les CCAS (Comité Communal d’Action Sociale),dans les mairies,pro-posent souvent un service d’aide ménagère et parfois un serviced’aides-soignantes à domicile.Des associations indépendantes proposent des auxiliaires de vie.Le CLIC (Centre Local d’Information et de Coordination), dont le rôleest souvent obscur (7), coordonne les intervenants dans un bassinde vie et aide les familles dans les démarches administratives.

RéseauxLes réseaux « officiels ». - La formule des réseaux se développe deplus en plus en France. Elle doit permettre de pallier l’éclatementdes famille et le manque des structures d’hébergement en insti-tution (4, 8, 9). Ainsi, le réseau « Hippocampes », dans l’Essonne,intervient dans le cadre de la maladie d’Alzheimer et prend encharge environ 200 personnes à domicile. Il comprend un gériatre,une infirmière, un psychologue et un psychomotricien, et réaliseun bilan médico-psychosocial pour optimiser les prises en chargeà domicile. La place du médecin traitant dans ce réseau est diffi-cile à situer : il est en charge de son patient mais dépossédé dubilan. Alors, comment assurer une réelle complémentarité, uneréelle coordination, sans tomber dans la « réunionite », chrono-phage et non financée par un système libéral (4) ?Les réseaux « bricolés ». - Beaucoup de réseaux se mettent en placeau coup par coup, entre des professionnels libéraux de terrain ettravaillant dans le même quartier. Ces réseaux informels sont,sansdoute, les plus efficaces et les moins coûteux pour la collectivité,mais ils souffrent de la démographie médicale en chute libre et dela politique des quotas. Il est souvent impossible de trouver uneinfirmière pour accompagner un patient en perte d’autonomie.

Les outils de travailLogiciels médicauxAu cabinet médical, les logiciels sur le marché ont intégré lesnotions de prévention et ont inclus des pages regroupant les fac-

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Dossier Prévention en Gériatrie

teurs de risque et les vaccinations en particulier. Mais ces logicielsgénéralistes ne comprennent pas de volet spécifique aux patientsles plus âgés.En institution, l’utilisation de logiciels plus spécifiques pose le pro-blème de la formation à ces outils. Pour des médecins de ville, cesont des problèmes de temps, une faible motivation à l’informa-tique, un nombre de malades concernés trop faible.Un logiciel informatique d’aide a été conçu pour la médecine géné-rale par l’équipe niçoise du Pr Balas (10), avec une évaluation pos-sible de 15 à 20 minutes, mais sa diffusion reste confidentielle.

Echelles d’évaluationElles sont à la disposition des médecins généralistes car diffuséesla plupart du temps dans les revues médicales de formation (10).Encore faut-il être sensibilisé à la gériatrie et prendre le temps d’ap-prendre à manipuler ces outils.

A qui s’adresse la prévention ?

La population concernée en médecine généraleLa France compte aujourd’hui plus d’un million de personnes âgéesde plus de 85 ans,dont plus de 10 000 centenaires.Elle en compteraplus de 150 000 à l’horizon 2050. En 1990, l’espérance de vie à 65ans était de 21,6 ans (4). Elle est passée à 23,15 en 2001 !Cette augmentation de la population du quatrième âge impliqueun accroissement prévisible de la demande de soins, même pourune population « en bonne santé » qui nécessitera un intense tra-vail de prévention.

Un exemple de consultation La visite au domicileMme B..., 74 ans, vue en visite, vit seule, en pavillon sans étage ;elle a une fille handicapée en foyer. Elle est sous tutelle. Elle sortd’une longue hospitalisation pour coronaropathie et hémiplégiedroite à la suite d’une endartériectomie carotidienne. Le bilan à lasortie d’hôpital est le suivant :- autonomie :au fauteuil,ne fait pas seule les transferts lit/fauteuil ;- continence : incontinence urinaire et fécale totale ;- audition : pas de trouble ;- vision :aucun contrôle récent,possède une paire de lunettes dontl’une des branches est cassée ;- bilan clinique : aphasie non rééduquée : la patiente ne peut sefaire comprendre ; il est impossible d’apprécier l’existence detroubles des fonctions supérieures ; mycose des grands plis, etescarres des deux talons de stade II ;- traitements : anticoagulant, dérivé nitré en timbre dermique,inhibiteur calcique et inhibiteur de l’enzyme de conversion ;- les aides à domicile semblent importantes : un kinésithérapeutedeux fois par semaine, trois passages infirmiers par semaine,deux

passages par jour d’aides-soignantes, une auxiliaire de vie troisheures par jour pour courses, repas et ménage, une télé-alarme.Conclusion de la visite. - Les aides sont importantes, mais l’auxi-liaire de vie régulièrement absente et sans aucune motivation.L’hygiène est désastreuse, la patiente se nourrit souvent de bis-cuits secs, les prises médicamenteuses sont incertaines. L’objectifsera d’éviter une hospitalisation en prévenant la iatrogénie médi-camenteuse, en assurant l’hygiène corporelle, en prévenant l’im-mobilité par la rééducation, et en assurant à la patiente un envi-ronnement chaleureux.

La consultation de préventionLa consultation se déroulera au domicile (la patiente ne souhaitepas être déplacée) et réunira l’auxiliaire de vie et sa responsable,l’infirmière libérale, l’orthophoniste, le kinésithérapeute et les res-ponsables du service d’aides-soignantes de la mairie.Les décisions prises sont :- l’établissement d’une fiche de poste précise et détaillée pourl’auxiliaire de vie (menu type avec conseils de préparation, défini-tions de règles de vie et d’hygiène,changes du lit et des vêtements,hygiène générale) ;- la réalisation d’un cahier de photos par l’orthophoniste concer-nant les actes de la vie quotidienne pour permettre à la patientede communiquer (choix de ses vêtements, choix de ses repas.…) ;- la réalisation d’un dossier médical par le médecin pour assurerle suivi et la coordination des différents intervenants ;- la réalisation d’une fiche de traitements par le médecin et d’unefeuille de suivi ;- la simplification des traitements pour en permettre unemeilleure observance, explications sur le rôle et l’importance desdifférents médicaments qui seront distribués par les auxiliaires devie. Rappelons que la Nomenclature des Actes Professionnels, titreXVI - article 16, ne prévoit la prise en charge de la surveillance d’untraitement par une infirmière que pour le diabétique ou un patientprésentant des troubles psychiatriques (11) ;- la réalisation d’un cahier de soins infirmiers ;- la réalisation d’une fiche de suivi de kinésithérapie : désignationdes objectifs (autonomie de déplacement lit/fauteuil dans un pre-mier temps,puis reprise de la marche avec déambulateur ou cannetripode dans un second temps). Le kinésithérapeute viendra tousles jours pendant 6 semaines, puis trois fois par semaine.

L’évolutionAu bout de trois mois :- la patiente se fait de mieux en mieux comprendre grâce à soncahier d’images ; elle se dit satisfaite de sa vie à domicile ;- les escarres sont en voie de cicatrisation, et la mycose des plis estguérie ;- la patiente marche avec le déambulateur et elle est autonomepour tous ses déplacements à l’intérieur ;

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- deux problèmes persistent : les auxiliaires de vie sont régulière-ment absentes, l’hygiène générale est défaillante, et la patientepeut passer plusieurs jours à ne se nourrir que de biscuits et deconserves !- le suivi des médicaments est aléatoire et une phlébite s’est déve-loppée par un mauvais suivi des traitements anticoagulants : lapatiente a dû être hospitalisée.

Discussion

Cette observation nous amène à nous poser plusieurs questionsfondamentales.

Quand réaliser une consultation de prévention enmédecine générale ?Elle se fait rarement à la demande du patient. La pratique de laprévention ne fait pas partie de nos habitudes, et nos patients lesplus âgés ne connaissent guère que la médecine curative. A nousde les emmener sur le terrain de la prévention,en usant d’une rela-tion de confiance construite au cours des années.La prévention ne fait pas partie des pratiques officielles : pas decotation à la Sécurité Sociale. On peut, néanmoins, utiliser la cota-tion prévue pour les échelles d’évaluation ALQPOO 3,en se deman-dant si le patient acceptera de régler à son médecin 69,12 €.

Sur quels critères de décision ?Il n’existe pas de critère précis : cette consultation vise les per-sonnes âgées fragiles,en perte d’autonomie, le plus souvent à l’oc-casion d’un épisode médical aigu qui vient déstabiliser un équi-libre déjà précaire. Mais il peut s’agir aussi, comme on l’a vu, d’unedéfaillance des aidants. Il semble que l’expérience du médecin soitsouvent le critère décisionnel le plus régulier.

Comment mettre en place une consultation deprévention en médecine générale ?Il n’existe pas de support à une telle consultation : il faut donc lescréer. Le plus simple est de reprendre les échelles d’évaluation, dis-ponibles maintenant dans de nombreuses revues, et de se faireses propres fiches grâce à l’informatique. J’ai réalisé mes propresfiches (Annexe), que je laisse au domicile du patient en les plaçantdans un petit classeur toujours en évidence. Le dossier est un outilefficace : il permet,de façon synthétique,d’effectuer un bilan stan-dardisé ; il est rapide et fait sortir les axes de prévention néces-saires. Il est aussi un élément de prévention en lui-même : outil deliaison avec un médecin de garde, il peut aussi servir en cas d’hos-pitalisation comme bilan médico-social complet pour assurer lacontinuité des soins.Mais un problème subsistera toujours : si l’écrit permet de réali-

ser des transmissions efficaces, le médecin généraliste reste le seulpivot cohérent pour animer une démarche de prévention, et il luifaut beaucoup d’énergie et de conviction pour la transmettre àtous les acteurs impliqués.Autant,dans une petite commune, tous les acteurs (médecin,kiné,IDE, etc.) peuvent arriver à se connaître, au hasard des visites leplus souvent, autant dans une commune importante les liensentre tous ses professionnels sont difficiles à articuler. La confiancequi naît entre des professionnels qui se connaissent et s’appré-cient est gage de qualité dans la prise en charge des patients. Lestatut des professionnels libéraux laisse peu de place à un travailde prévention : éclatement du système, déontologie obsolète quine permet toujours pas à une infirmière la reconnaissance d’actesde prescription. Alors, plutôt que de prévention, on parle de coor-dination. Le sujet est d’actualité au travers du « parcours de soincoordonné », mais il semble qu’il soit plutôt un outil de régulationdes dépenses qu’un outil de prévention.Le développement de la nouvelle Carte Vitale prévoit, par la loi du14 août 2004 relative à l’assurance-maladie, la création pourchaque assuré social du DMP (dossier médical personnalisé) (12).Le DMP devrait comporter un volet de prévention mais, à ce jour,alors que le projet doit être développé pour le 1er juillet 2007, soncontenu n’est toujours pas défini. On peut déjà penser que ce futurdossier ne sera pas un outil efficace en matière de prévention enmilieu gériatrique : il semble que ce dossier, conçu dans l’urgence,sera surtout axé sur le sujet jeune (prévention cardiovasculaire,tabagisme). Ce projet ambitieux répond à un réel besoin : coor-donner les soins exécutés par des intervenants différents, et l’in-formatique est le moyen le plus sûr et le plus simple de réaliser celien. D’autres pays ont choisi cette même direction, en particulierla Grande-Bretagne (12). Mais le projet français risque de rencon-trer de grandes difficultés : les données seront peu fiables (lepatient restant libre des informations portées dans le DMP) et cesystème nécessite une formation et un investissement financiernon négligeable pour des professionnels libéraux déjà saturés dedemandes administratives de la part des caisses de SécuritéSociale.Il faut donc reconnaître que la prévention est aujourd’hui un actemédical non structuré,né souvent de la conviction et de la volontéde chaque professionnel de santé. La prévention demande dutemps, souvent difficile à trouver dans une période où la démo-graphie médicale est en baisse, de la formation et de l’expérience.La prévention n’est pas ou peu rémunératrice pour un profession-nel libéral.

Qui peut assurer les missions de prévention enmédecine générale ?Les gériatres devraient être les meilleurs interlocuteurs, mais ilssont en France en nombre insuffisant et peu d’étudiants choisis-sent cette spécialité dont l’effectif est nettement déficitaire (4).

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Dossier Prévention en Gériatrie

Notre pays compte environ 2 600 médecins titulaires d’une com-pétence ou d’une capacité de gériatrie (13). Ils exercent donc enhôpital ou en institution,et interviennent surtout à la demande dugénéraliste. En outre, leur exercice en ville n’est pas reconnucomme une spécialité et ne peut ouvrir à des honoraires compa-tibles avec le temps nécessaire à ce type de travail. Enfin, peut-onimaginer que l’on irait chez le gériatre comme on va chez lepédiatre à partir de 75 ans ? Ce n’est pas réaliste, et il faut consta-ter, une fois de plus, que seul le généraliste peut faire ce travail deprévention, car il intervient auprès des patients tout au long deleur vie.On peut faire les mêmes réflexions pour toutes les autres spécia-listes qui interviennent comme consultants autour du généralistequi coordonne.Enfin,n’oublions pas tous les autres intervenants autour de la per-sonne âgée qui ont aussi une mission de prévention en gériatrie :les infirmières, les aides-soignantes, les kinésithérapeutes, lesorthophonistes et les pédicures dans le cadre médical, les assis-tants sociaux, les bénévoles, les personnels de mairie des CCAS, lespersonnes des associations d’aide à domicile.On peut constater que les acteurs de la prévention en milieu géria-trique sont extrêmement nombreux, et que seul le généralistepeut faire le lien entre tous ces acteurs. Son rôle devient immense,et il faut bien constater que la médecine générale vit une véritablerévolution : il s’agit d’un nouveau métier, encore à défricher, lourden responsabilités, et sans doute très limité par son statut actuel.Et c’est sans doute pour ces raisons que les jeunes diplômés sedétournent de la médecine générale : presque un poste sur deuxproposé à l’internat n’est pas pourvu.

Conclusion

Il semble évident que les actions de prévention gériatrique en villene peuvent passer que par le médecin généraliste. Et pourtant,que d’obstacles sont à résoudre dans les années à venir ! En pre-mier lieu, les consultations de prévention ne sont pas structuréesen médecine générale et en particulier en gériatrie. Il va donc fal-loir s’attacher à répondre à un manque de formation de tous lesacteurs :médecins, infirmières,aides-soignantes,auxiliaires de vie.En effet, nos métiers doivent profondément changer : le spécia-liste sera de plus en plus spécialisé et le généraliste travaillera deplus en plus dans le dépistage et la prévention. Mais sommes-nousformés à cette évolution ? Une formation en médecine généraledemande beaucoup de volonté (abandonner son cabinet n’est paschose facile) et de motivation. Peu d’organismes de formation pré-voient des cycles de prévention autour de la personne âgée. Il fau-dra donc,dans les années à venir, réfléchir à d’autres modes de for-mation, plus ouverts sur la gériatrie, réunissant à l’échelon localtous les professionnels médicaux et paramédicaux autour dethèmes communs. La coordination entre les acteurs est difficile :

elle demande beaucoup de temps, elle n’est pas rémunératrice, etle statut libéral ne permet pas de travailler en équipe, même si laCPAM semble prendre conscience de son absolue nécessité (maispour la CPAM l’objectif semble plutôt économique). Et commenttravailler avec un auxiliaire que l’on ne connaît pas et dont on neconnaît pas non plus les pratiques ? L’avenir peut nous inquiéter :les patients âgés seront de plus en plus nombreux et les profes-sionnels de santé en nombre de plus en plus réduit. On peutcraindre que la prévention soit le parent pauvre de la médecinegériatrique.Espérons que les autorités publiques se lanceront dansun grand travail de réflexion qui doit engager tout le système desanté en France : le statut juridique du médecin, le financementde son activité (paiement à l’acte, capitalisation…), la formationinitiale (baisse de la densité médicale, abandon de la spécialité degénéraliste), la formation continue, et l’organisation de la coordi-nation comme seule solution pour réaliser des actions de préven-tion auprès de la personne âgée.Nos patients âgés faisant le choix de rester de plus en plus long-temps à leur domicile (souvent aussi par obligation,revenus insuf-fisants, places en institutions limitées), seule une médecine pré-ventive pourra leur assurer la qualité de vie à laquelle ils aspirent.Mais cette médecine préventive passe par l’apprentissage de nou-veaux métiers et une révolution dans notre système de santé. ■

Références

1.Trivalle C.Gérontologie préventive.Eléments de prévention du vieillissementpathologique. Paris: Masson, 2002.2. Aquino JP, Martineau S. La prévention en gériatrie. Psychol NeuroPsychiatrVieillissement 2003; 1: 37-43.3. Giusti M. La consultation spécifique de prévention en médecine générale.Concours Med 2005; 127 (35): 1974-7.4. Chabrol A. Le médecin face au grand âge. Bulletin de l’Ordre des Médecins2006; 1.5. La formation professionnelle conventionnelle 2006 des médecins généra-listes. OGC (Organisme Gestionnaire de la Formation ProfessionnelleConventionnelle des Médecins),27,rue La Fontaine,94132 Fontenay-sous-BoisCedex.Tel: 01 48 76 19 05. E-mail : [email protected] - www.ogc.fr.6. Van Bockstael V, Devos J, Gosselin S, et al. « Seniors, soyez acteurs de votresanté » :une action expérimentale de la Mutualité Sociale Agricole.ConcoursMed 2005; 126 (18): 1039-41.7. Retrouvez les coordonnées de plus de 500 centres locaux d’information etde coordination (CLIC) sur www.personnes-agees.gouv.fr (accès par thème).8. Perrin C. Maintien des patients au domicile : quels sont les interlocuteursdu médecin ? Concours Med 2005; 127 (36): 2069-71.9. Revue trimestrielle des cadres de l’Association de Retraite des Cadres duGroupe Mornay-Europe. Numéro de janvier 2006.10. Poudens L, Catenacci E, Karim A. L’évaluation gériatrique standardisée.Concours Med 2005; 126 (30/31): 1777-83.11.Soins à domicile, la quadrature du cercle.Revue Prescrire 2006;26 (269):154.12. Le Bigot S, Grivel P. Le secret médical et l’informatisation des données desanté. Concours Med 2005; 126 (33): 1955-6.13. Le Livre blanc de la Gériatrie française. Gériatrie 2004 (ESV Production).

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Prévention gériatrique en médecine générale : réflexion pour un guide pratiquePh Prasteau

Annexe - Modèle de dossier de prévention à l’usage de la médecine générale.

NOM : Prénom Date de naissance : / / ANTÉCÉDENTS- Sans retentissement actuel :- Ayant un retentissement actuel :

ALLERGIES

VACCINATIONS

PROTHÈSES

STIMULATEUR CARDIAQUE

ALD

MODE DE VIE /ENTOURAGE FAMILIAL

AUTONOMIE- ne se déplace pas oui non- se déplace lit-fauteuil oui non- marche seule chez elle oui non

peut sortir seule oui non- a besoin d’une aide oui non

canne déambulateur fauteuil

TOILETTE- faite seule oui non- aide partielle haut oui non

bas oui non- aide totale oui non

CONTINENCE- urinaire oui non- fécale oui non

REPAS / ALIMENTATION- poids perte de poids récente- anorexie oui non- prépare seule ses repas oui non- régime

DENTS- appareil dentaire date du dernier contrôle : / /

Annexe - Modèle de dossier de prévention à l’usage de la médecine générale.

VISION- lunettes date du dernier contrôle : / /

STIMULATEUR CARDIAQUE- date du dernier contrôle et lieu : / / -

SYNTHÈSEEvaluations nécessaires IntervenantsMMS infirmièreTest de Dubois kinésithérapeuteEchelle GDS orthophonisteTest « up and go » auxiliaire de vie /

responsable CCASTest de TinettiEchelle de Zarit tuteur légal

EXAMEN CLINIQUE date :- appareil cardiovasculaire- appareil locomoteur- abdomen- bilan neuropsychique

SOINS INFIRMIERS

SOINS DE KINÉSITHÉRAPIE

SOINS D’ORTHOPHONIE

FICHE DE TRAITEMENTS

Nom du médicament ALD MATIN MIDI SOIR