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Hisfory of European Ideas. Vol. 13, No. l/Z, pp. W-95, 1991 0191-6599/91 $3.00 t 0.00 Printed in Great Britain 8 1991 Pergamon Press pk. LA REVOLUTION FRANCAISE ET L’UNIVERSALISATION DU FRANCAIS NATIONAL EN FRANCE’ RENBE BALIBAR* LE QUESTIONNAIRE GRkGOIRE Le 13 aoClt 1790, le dtputi Grtgoire, mandatk par 1’Assemblte Constituante, envoie sur tout le territoire de la France g des d&putts, des Soci&Cs, des journaux et divers amis, un Questionnaire qui fera date. Le Questionnaire Grigoire est Ctroitement 1%g la Dtclaration des Droits de I’Homme et du Citoyen contenant le principe de la libre communication des opinions et des idies(Art. XI). 11 a ttt aussi important pour l’avenir des peuples (francais et autres) que d’autres Mnements plus cdnnus, comme celui de la nuit du 4 aotit 1789 pendant laquelle les d&putts rtvolutionnaires ont aboli les droits fkodaux pour fonder le nouveau droit de propriM. S’il est moins ctkbre, c’est que la rkolution des langues a mis deux sikcles g se concrttiser. GrCgoire inaugurait la politique d’universalisation de la langue de 1’Etat en France, en posant g ses correspondants une strie de questions relatives aux patois et aux moeurs des gens de la campagne. 11 y a 43 Questions. Premitre question: 1. L’usage de la langue frangaise est-il universe1 dans votre contrke? Y parle-t-on un ou plusieurs patois? De nos jours on trouvera nature1 que tous les FranCais parlent frangais en France; l’existence des patois paraPtra plus nkbuleuse. En rtalitC il faut faire un effort d’intelligence historique et il faut remettre en cause la pratique nature,lle des langages actuels, pour saisir la port&e des phrases du Questionnaire Grtgoire. Car aprts deux sikcles par le fait m&me de la Rkolution, le sens des mots franqais (usage, langue franqaise, universel, contree, patois) a tellement changt, non seulement en France mais sur la plantte, qu’on risque de mkconnaitre les Cltments du problkme. L’UNIVERSALITl? NOUVELLE DE LA LANGUE CIVILE Le premier mot du Questionnaire concerne l’usage de la langue franGaise. Ce terme, qui est apparu Ccrit en franqais chez les juristes du 12tme sikle, est ambigu. 11 dksigne simultantment un ktat de fait et ce qui provient d’une rkgle, *32, Rue Renan, 22220 TrCguier, France. 89

La revolution française et l'universalisation du français national en France 1

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Hisfory of European Ideas. Vol. 13, No. l/Z, pp. W-95, 1991 0191-6599/91 $3.00 t 0.00

Printed in Great Britain 8 1991 Pergamon Press pk.

LA REVOLUTION FRANCAISE ET L’UNIVERSALISATION DU FRANCAIS NATIONAL EN FRANCE’

RENBE BALIBAR*

LE QUESTIONNAIRE GRkGOIRE

Le 13 aoClt 1790, le dtputi Grtgoire, mandatk par 1’Assemblte Constituante, envoie sur tout le territoire de la France g des d&putts, des Soci&Cs, des journaux et divers amis, un Questionnaire qui fera date. Le Questionnaire Grigoire est Ctroitement 1% g la Dtclaration des Droits de I’Homme et du Citoyen contenant le principe de la libre communication des opinions et des idies(Art. XI). 11 a ttt aussi important pour l’avenir des peuples (francais et autres) que d’autres Mnements plus cdnnus, comme celui de la nuit du 4 aotit 1789 pendant laquelle les d&putts rtvolutionnaires ont aboli les droits fkodaux pour fonder le nouveau droit de propriM. S’il est moins ctkbre, c’est que la rkolution des langues a mis deux sikcles g se concrttiser.

GrCgoire inaugurait la politique d’universalisation de la langue de 1’Etat en France, en posant g ses correspondants

une strie de questions relatives aux patois et aux moeurs des gens de la campagne.

11 y a 43 Questions. Premitre question:

1. L’usage de la langue frangaise est-il universe1 dans votre contrke? Y parle-t-on un ou plusieurs patois?

De nos jours on trouvera nature1 que tous les FranCais parlent frangais en France; l’existence des patois paraPtra plus nkbuleuse. En rtalitC il faut faire un effort d’intelligence historique et il faut remettre en cause la pratique nature,lle des langages actuels, pour saisir la port&e des phrases du Questionnaire Grtgoire. Car aprts deux sikcles par le fait m&me de la Rkolution, le sens des mots franqais (usage, langue franqaise, universel, contree, patois) a tellement changt, non seulement en France mais sur la plantte, qu’on risque de mkconnaitre les Cltments du problkme.

L’UNIVERSALITl? NOUVELLE DE LA LANGUE CIVILE

Le premier mot du Questionnaire concerne l’usage de la langue franGaise. Ce terme, qui est apparu Ccrit en franqais chez les juristes du 12tme sikle, est ambigu. 11 dksigne simultantment un ktat de fait et ce qui provient d’une rkgle,

*32, Rue Renan, 22220 TrCguier, France. 89

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d’un droit. L’usage articule les rapports de force avec les rapports de justice. 11 combine l’evolution sociologique des langages avec le controle ideologique et politique des langues. Le Questionnaire commence par ce terme prtcisement parce qu’il entreprend de transformer, les unes par les autres, les institutions et les

moeurs. Dans les institutions et les moeurs en 1790, la Question poke par Gregoire

ttait subversive. Elle faisait envisager d’emblte que l’usage de la languefrancaise pouvait et devait Zttre universe1 dans les contrPes, non pas comme il l’ttait, expression du pouvoir royal de droit divin, mais comme il allait le devenir concurremment aux patois.

Selon la thtologie et la politique multistculaire des langues royales, l’tcriture (dans les trois langues de la Bible: htbreu, grec et latin) faisait l’uniti: par la grace de Dieu, tandis que la diversite des langages parks manifestait la division des populations, consequence du ptcht de Babel. L’originalite des langues royales ttait de consacrer l’unitt du territoire d’un heritage royal par I’enregistrement sous l’autoritt: de l’alphabet et de la grammaire latine d’un Zangage reprksentatif de son espace. Dans l’acte des Serments de Strasbourg le 14 fevrier 842, les deux espaces ‘tudesque’ et ‘roman’ avaient represent6 la division des heritages de deux petits-fils de Charlemagne. Les termes universef, universalitk s’appliquaient au latin. Lorsque 1’AcadCmie de Berlin avait fait disserter en 1783 sur Z’universalitk de la langue francaise, elle soutenait un paradoxe, un theme du discours lettre remontant au 12eme siecle, philosophiquement dtfendu par la Couronne de France a la fin du 14eme siecle, qui mettait la langue francaise en rivalitt avec la langue latine pour la formation moderne des lettrts europtens. A la fin du 18 &me sikcle Ie bon usage dtsignait l’emploi de la langue &rite codifiee ‘a la Cour et a la Ville’ par des privilegits instruits en latin universel, qui dtveloppaient leur pensee au carrefour des langues litteraires sur le modele grtco-latin.

A l’interieur du royaume de France le bon usage rtgnait d’autoritt au-dessus des ,bas langages exclus de l’tcriture ou partiellement enregistrts qui manifestaient les differences locales et les discriminations’ entre les sujets de roi. Les bas langages groupaient un nombre confus de patois sous un terme (enregistre au 13eme sikcle) que les lexicologues actuels font remonter a un mot gaulois signifiant les pattes, membres des animaux. Les patois caracttrisaient massivement les populations des pays ou terroirs (10eme et 12kme siecles) nommes aussi contrkes (12eme sikcle) d’un terme signitiant ‘le pays d’en face’ consacrant la division des lieux de naissance en association avec le latin contra, comme l’anglais country. L’usage vulgaire dans les villes comportait un ou plusieurs patois, et de plus lesjargons des groupes fermes, I’argot et lepoissarddes ‘gueux, voleurs, marchandes de poisson’. Une place limitee etait assignee a des idiomes (terme grammatical greco-latin) reconnus comme langues enregistrees subordonntes a la langue royale selon l’usage distinctif de certaines provinces.

A la premiere Question les correspondants de Gregoire repondent done naturellement:

la langue francaise n’est en usage que dam les principales villes, sur les routes de communication et dans les chiteaux.

Cette reponse provient de la Societe des Amis de la Constitution de Limoges, une

L’Universalisation du Franqais National en France 91

contree caracteriste par les langages d’oc. Mais l’enqu&te men&e dans les pays

d’dil constate la meme absence de communication entre les lettres de ‘pure’ langue et les populations patoisantes. Le royaume comptait environ 20,000,OOO de sujets. Selon les rtsultats obtenus aprts quatre ans d’enqukte, plus de la moitie etaient incapables de ‘soutenir une conversation suivie’ en francais avec les 3,000,OOO susceptibles de le parler. Le Rapport precisait que le nombre de ceux qui l’tcrivaient correctement descendait au-dessous des 3,000,000, une trts faible partie des Francais approchant des spheres du pouvoir par l’bcriture.

11 ne pouvait en &tre autrement dans un monde oti les travaux manuels ttaient

radicalement s&parts des activites intellectuelles, et oti la religion Ctait prkhte soit en patois dans les campagnes soit en langue academique a la Cour; oti 1’Eglise controlait toutes les formes d’tducation selon deux appareils d’enseignement, l’un concu pour unifier la pensee aristocratique sur la base des etudes latines dans les Colleges, l’autre, appareil hettroclite, groupant des garderies saisonnikres d’enfants de villages, des ‘petites ecoles’ de paroisses oh on faisait reciter des prikres et parfois Cpeler A et B sur le latin liturgique, dispositif destine a refleter les inegalitts et les differences langagikres, y compris lorsque sur l’initiative dune congregation recente, dans quelques villes, on donnait des rudiments de savoirs utilitaires en francais academique.

La Revolution va bouleverser cet ordre etabli. Elle va insfituer a nouveau la langue francaise en fondant sa ltgitimite et son universalitt non plus sur 1’Europe des privileges mais sur le peuple francais recree a partir des populations, sans intgaliti de naissance. Les 43 Questions de Grtgoire indiquent avec precision que le regime sous lequel ‘un ou plusieurs patois’ Ctaient en usage dans les ‘contrees’ doit ‘s’aneantir’ par l’instauration de la langue commune a tous les citoyens (le terme citoyen qui dtsignait jusque-la le membre actif d’une Ville s’applique dts lors a tous les nationaux francais).

Deux siecles plus tard, l’opinion publique et les historiens protestent gentralement contre le projet d”antantissement’ touchant ce qu’on appelle maintenant des ‘langues minoritaires’. Comprenons bien que c’est l’exercice lui- meme de la langue civile qui suscite ces revendications nouvelles.

Le Questionnaire et les Rapports sur les ‘patois et idiomes’ experiment en effet la condamnation portee contre l’usage des parlers consacrant un regime d’apartheid. L’enquZte est menee comme une sorte de pathologie sociale en qu&te de ‘causes’ et de ‘remede’ aux maux de la campagne. Mais loin d’&tre une attitude particuliere aux jacobins doctrinaires, ce prejugt, qui refoule les ‘bas langages’ au-dessous de la dignitt des ‘humanites’ latino-francaises, releve de la mentalitt alors rtgnante. Les jacobins en prennent conscience et assument la responsabilitl? d’en sortir. Le Rapport de 1793 delinit l’usage exclusif des idiomes comme un ‘instrument’ du ‘dkfaut de communication’ qui sera surmontt par l’usage commun de la ‘langue rkpublicaine’.

En mCme temps qu’il veut aneantir l’usage d’enfermer les masses populaires dans leurs parlers, le Questionnaire GrCgoire imagine un statut probable des langages differentiels dans une nation de langue republicaine. 11 demande a ses correspondants de cerner la physionomie particulibre des langages des anciens pays: quel est leur enracinement dans les travaux des champs, les metiers, le commerce local, le droit coutumier, la pratique religieuse, le cri spontane des passions, les ouvrages imprimb de diffusion vulgaire (almanachs, chansons). La

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fondation de la langue civile va dtclencher a la fois une vision ethno-sociologique des langages due a de nouvelles moeurs, et l’enregistrement des traditions parltes. Heritage et trtsor national, le folklore sera protege contre le ‘vandalisme’

(une notion forgte par Grtgoire pour designer la tendance a dettriorer par ignorance les-oeuvres d’art).

LA PROPAGATION NECESSAIRE DU FRANCAIS PARLE

Cependant du fait m&me qu’ils rtalisent leur politique rtvolutionnaire, les fondateurs de la langue civile sont contraints de gouverner dans l’immediat par des moyens non conformes a leur ideal. 11s peuvent du jour au lendemain modifier une carte administrative, crter des dtpartements a la place des Provinces, ils ne peuvent pas faire que les ci-devant sujets des contrees communiquent universellement en francais a travers les departements. Les Rapports signalent que la politique de la langue rtpublicaine, c’est-a-dire de l’instruction publique, vaut pour ‘l’homme qui voit a longue distance’. Les Assembltes constatent chaque jour leur impuissance a briser l’inertie ou l’opposition des populations. Elles n’abandonnent pas leur projet de communication, au contraire: tous les revolutionnaires, ayant recu une formation oratoire, pensent que pour vaincre il faut convaincre. Les Comitits de Salut Public et les Tribunaux revolutionnares donnent tous les pouvoirs au discours. Mais on passe du principe d’universalisation de la langue francaise aux pro&d& de propagation du francais, que le gouvernement accepte comme ‘mesures urgentes’.

Dans la France massivement analphabtte de 1789-1795 le pouvoir reel revient ainsi a tous les Porte-parole, a tous les intermidiairies (hommes d’Eglise et de loi, administrateurs, greffiers, notables locaux) qui remplissaient deja une fonction strategique dans le royaume. Depuis la fondation de la langue royale sous Charles le Chauve, le clergt etait charge d’annoncer les ordonnances royales aux contrtes des ev&chCs. Pendant les an&es revolutionnaires ce sont des cures ‘patriotes’ ou des gens instruits hors du vulgaire qui transmettent les nouvelles, commentent en patois et idiomes les tvtnements francais. Mouvement de communion plutot que de communication, car il faut distinguer entre la propagation des opinions par enthousiasme et l’entente obtenue par intelligence;

communion surgissant ca et la sur un fond de silence et de malentendus, partout accompagnee de rejets.

Le parler francais pinetre pourtant profondtment a travers le territoire. Les elections, la vente des Biens Nationaux et surtout le Partage des Biens Communaux feront parler francais chez les frustres comme chez les btneficiaires, et il y aura un ‘arpenteur, representant des pauvres de Lendrethun (Pas-de Calais)’ pour prendre la plume et envoyer une petition a 1’Assemblte enregistrant ce langage francais en dehors de toutes les regles d’tcriture de facon presque incomprehensible; ainsi que des paysans de tous les departements qui improviseront des parlers-itcrits afin de defendre leurs intCr&ts a l’instance nationale.

La francisation approximative optree par divers moyens s’appelle alors ‘francimander’ ‘franceyer’ selon les termes enregistrts par les enqutteurs. Elle contraste radicalement avec l’universalisation de la langue nationale qui releve

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de la grammatisation. L’usage actuel de la langue francaise pro&de de cette

double origine. L’historien qui observe la gentse des langues sur la longue duree apercevra une

analogie entre la propagation des parlers des Romains parmi les populations des 3tme-4kme sikcles en Occident et la propagation du langage de Paris parmi les populations de la France en 1789-1795 et ensuite. 11 apercevra une analogie toute autre, entre la langue francaise carolingienne inscrite dans les lettres latines et la langue francaise rtpublicaine institute pour dimocratiser l’tcriture. A l’echelle des milknaires, il distinguera mieux les enjeux de l’evolution sociologique et de l’intervention politique.

LES PROPAGATEURS DU FRANCAIS UNIVERSEL: JOURNAUX ET MANUELS ELEMENTAIRES

La Declaration politique proclame la libre communication des citoyens entre eux et avec 1’Etat ‘un des droits les plus prtcieux de l’homme’. Le droit nouveau change les conditions de propagation des opinions et des id&es. La libertt de la presse (‘tout citoyen peut tcrire et imprimer librement’) entraine une mutation dans la production des journaux. Mutation quantitative: de 1789 a 1800

paraissent plus de 1350 titres, deux fois plus que pendant les 150 an&es prkedentes, et ce chiffre ne tient pas compte du deluge d’affiches, feuilles, livrets non repertories. Mutation qualitative: a la place des gazettes organes des lettres

europtens, surgissent des instruments de communication entre les classes sociales; le termejournal qui jusque-la signifiait surtout la sorte de r&it compost par un lettre devant sa propre conscience, prend alors sa signitkation actuelle avec celui de journaliste. Tout individu peut entreprendre de s’adresser universellement a un citoyen quelconque. Le Rapport Gregoire du 16 prairial an II, 1793, qui recommande de prendre des mesures urgentes pour la propagation du francais, ajoute aux journaux les livrets documentaires destines a supplanter les almanachs de la superstition, et il recommande les chansons comme la Marseillaise et la Romance de Berquin mise en musique par Jean-Jacques Rousseau. Ces papiers ne partent pas seulement de Paris; ils offrent un arsenal tres varii: d’ecritures et d’idees. 11s passent de mains en mains, ils volent et ils restent, ils se perdent dans les rues et les champs, ils suivent les itineraires compliquts des ichanges sociologiques. Au 19tme sitcle les journaux deviendront les ‘instituteurs de langue francaise’, charges de faire l’tducation politique des populations, que la Convention de 1793 n’a jamais pu trouver en chair et en OS.

Dans la revolution des langues, les journaux s’articulent directement aux manuels c%2mentaires de languefranqaise, Livres de Lecture Cow-ante. Les salles de redaction et les salles de classes sont les laboratoires de langues d’une kre nouvelle reltguant dans le passe les Academies et les salons.

Depuis l’invention de l’icriture, les rtgles du pouvoir d’expression sont fixees par les livres d’enseignement. A la fin du 18eme sibcle en France l’usage ttait fixe par la Dictionnaire et la Grammaire de I’Acadkmie francaise, au sein du colinguisme europeen, et l’enfant destine a s’instruire commencait en latin par la grammaire latine tkmentaire. La ptdagogie des Colleges venait de produire

94 Rente Balibar

(1784) un chef-d’oeuvre d’initiation aux langues: les Elkments de Grammaire latine de Lhomond auxquels ttaient subordonnes les Elkments de Grammaire francaise. Des 1790 1’Assemblte Nationale met au contours un ensemble complet de manuels tlementaires parmi lesquels une nouvelle Grammaire francaise, instrument essential de 1’Instruction Publique.

Aprb cinq ans de travaux, le 30 Brumaire an IV, octobre 1795, la Convention tcarte paradoxalement les ouvrages composts par les savants grammairiens rkolutionnaires, et recommande officiellement l’usage des Elkments de Grammaire francaise de Lhomond. Decision politique inspirte par le Rapporteur de la Commission des Manuels, qui avait enseignt a vingt ans non dans les Colleges mais dans les ‘petites icoles’ des ‘F&es’. En affranchissant les Elements de Grammaire francaise des Elements de Grammaire latine, en donnant a la Grammaire francaise la fonction d’initiation universelle aux connaissances, et en permettant a la nouvelle institution d’entrer immediatement en vigueur dans les

classes eltmentaires des ttablissements secondaires deja install&s a ‘la place des Colleges, l’arr&tt de Lakanal rendait la Revolution effective et irreversible. La nouvelle ltgitimite de la langue nationale restructurait tout le colinguisme.

En effet la ltgitimite des langues royales Ctait internationale, par la grace de Dieu. La ltgitimiti de la langue rtpublicaine est dtmocratique: elle pro&de de la libre communication des Francais en francais. Elle conserve pourtant toute sa dimension internationale; car elle pro&de de la communication directement instauree entre les populations nationales. Le grand journaliste revolutionnaire Arnaud Berquin, tournant le dos aux effets oratoires latinisants, s’inspire du style simple des prtdicateurs de pays protestants, et traduit les premieres Lessonsfor Children forgees a Londres, pour en faire soit des feuillets de propagande politique, soit des livrets de lecture courante Clementaires. A partir de 18 toute la litttrature d’apprentissage des langues nationales se constitue par traductions internationales sur la planete. Un jeune tcrivain allemand, Joachim von Campe, nommt citoyen francais par 1’Assemblee Constituante, et d’autant plus attache a sa nation allemande, va r&over le Dictionnaire et l’enseignement de l’allemand, forger la version europtenne ‘pour la jeunesse’ de Robinson Crusoe.

Deux sitcles plus tard le bicentenaire de la Revolution francaise incite a ressaisir l’essentiel des problemes de la communication en langues. 11 s’avere que le statut des partenaires sociaux et internationaux du colinguisme, inaugure par le Questionnaire Grtgoire, n’est encore qu’au debut de ses realisations.

Trt?guier, France Rente Balibar

BIBLIOGRAPHIE

Les travaux de recherche plus ou moins rtcents sur la Revolution francaise sont innombrables, mais les essais de synthtse sur la revolution de la langue sont devenus trts rares depuis une cinquantaine d’annees. Le livre de Rente Balibar renouvelle la conception des trois moments historiques de l’institution de la langue francaise (sa fondation royale, sa revolution rtpublicaine, sa realisation par le systtme scolaire actuel) selon une perspective a la fois internationale et sociale. II n’a pas ttt possible dans le cadre

L’hiversalisation du Francais National en France 95

de cet article d’entrer dans le detail des references et discussions specialisees. On indique ici les ouvrages francais miles aux idles get&ales.

BIBLIOGRAPHIE

Histoire de la langue jirancaise sous la direction de Ferdinand Brunot (Paris, Armand Colin, 1927-1943), tomes I-XIII in 8” (plusieurs tomes ont 2 volumes, specialement t IX et tX traitant de la Revolution francaise); reedition 1967 avec Bibliographie et Index sous la direction de Gerald Antoine; le tome prevu XIV a paru sans tomaison sous le titre Histoire de la Iangue francaise 1880-1914 sous la direction de G. Antoine et R. Martin; R. Balibar y a fait le chap. 2.2., I’Ecole de 1880, Ie francais national: republicain, scolaire, grammatical, primaire. HLF dans ces notes.

Jacques Chaurand, Histoire de la IanguefranCaise, ~011. Que sais-je? (Paris, P.U.F., 1969). Marcel Cohen, Histoire dune langue, Ie francais (Paris, Editions Sociales, 1967). P. Chevalier, B. Grosperrin et J. Maillet, L’enseignement francais de Ia Revolution a nos

jours, t.1 Histoire institutionnelle, t.2 Documents (Paris, La Haye, Mouton, 1968-1971).

de Certeau, Julia, Revel, Une politique de la Iangue, Ia Revolution francaise et Ies patois (Paris, Gallimard, 1975).

Francois Furet, Jacques Ozouf, Lire et Pcrire, I’alphabetisation des Francais de Calvin a Jules Ferry, (Paris, 1977).

D. Julia, Les trois couleurs du tableau noir, La Revolution (Paris, Belin, 1981). Rente Balibar, I’institution du franGais, Essai sur Ie colinguisme des Carolingiens b Ia

Republique (Paris, P.U.F., 1985). Renee Balibar, ‘L’amtnagement linguistique en France’, in Acres du CoIIoque

international sur I’ambagement Iinguistique/Ianguage planning dOttawa 1986 (Presses de 1’Universite Laval, Quebec, 1987) pp. 85-94.

Rente Balibar, ‘L’action rtvolutionnaire des lettres dans la simplification democratique de la langue francaise’, in Actes du CoIIoque international &Orleans 1986: La Revolution et I’ordre juridique prive: rationalite ou scandale? (Paris, P.U.F., 1988), t.1 p. 89.