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EHESS La revue "Türk Yurdu" et les musulmans de l'Empire russe, 1911-1914 Author(s): Paul Dumont Source: Cahiers du Monde russe et soviétique, Vol. 15, No. 3/4 (Jul. - Dec., 1974), pp. 315-331 Published by: EHESS Stable URL: http://www.jstor.org/stable/20169698 . Accessed: 12/06/2014 22:46 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . EHESS is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Cahiers du Monde russe et soviétique. http://www.jstor.org This content downloaded from 195.34.79.223 on Thu, 12 Jun 2014 22:46:27 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

La revue "Türk Yurdu" et les musulmans de l'Empire russe, 1911-1914

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EHESS

La revue "Türk Yurdu" et les musulmans de l'Empire russe, 1911-1914Author(s): Paul DumontSource: Cahiers du Monde russe et soviétique, Vol. 15, No. 3/4 (Jul. - Dec., 1974), pp. 315-331Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/20169698 .

Accessed: 12/06/2014 22:46

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Probl?mes de nationalit?s

en Russie et en URSS

PAUL DUMONT

LA REVUE TURK YURDU

ET LES MUSULMANS DE L'EMPIRE RUSSE

1911-1914

La r?volution manquee de 1905 avait constitu? le point de d?part d'une intense activit? politique au sein des communaut?s musulmanes de l'Empire russe1. Mais avec la dissolution de la seconde Douma, en

juin 1907, une p?riode difficile s'annonce pour les dirigeants musulmans. R?v?latrice des mauvaises dispositions du Gouvernement, la nouvelle loi ?lectorale r?duit sensiblement la repr?sentation parlementaire des Turcs de Russie : ceux-ci n'envoient ? la troisi?me Douma que neuf d?put?s, au lieu des trente-neuf ?lus lors de la pr?c?dente consultation2. Dans le m?me temps, l'ancien appareil r?pressif reprend ses droits : censure et interdiction des journaux, surveillance polici?re des leaders politiques,

mesures diverses d'intimidation3. Mais tandis qu'en Russie les choses tournent ? l'aigre, la r?volution

jeune-turque de 1908 fait de l'Empire ottoman un asile id?al pour les

r?fugi?s panturquistes fuyant la police de Nicolas IL En effet, ? Tin verse du sultan 'Abd ul-Hamid II qui s'?tait montr? fort peu accueillant ? l'?gard des ?migr?s politiques, les hommes du comit? Union et Progr?s, au pouvoir ? partir de juillet 1908, t?moignent d'une ind?niable sympathie vis-?-vis des nationalistes turcs de Russie. En cons?quence, d?s le mois de d?cembre

i. Nous ne pouvons pas, dans le cadre de cette ?tude, revenir en d?tail sur les origines du mouvement national chez les musulmans de Russie. Nous renvoyons ? l'abondante bibliographie suscit?e par la question. Cf. notamment A. Arsharuni et Kh. Gabidullin, Ocerki panislamizma i pantjurkizma v Rossii (Essais sur le panis lamisme et le panturquisme en Russie), Moscou, 1930 ; G. Ibragimov, Tatary v

revoljucii 1905 goda (Les Tatars au cours de la r?volution de 1905), Kazan', 1926 ;

plus facilement accessible, S. A. Zenkovsky, Pan-Turkism and Islam in Russia,

Cambridge (Mass.), i960 ; et, d'un point de vue un peu particulier, A. Bennigsen et Ch. Lemercier-Quelquejay, La presse et le mouvement national chez les Musulmans de Russie, Paris-La Haye, 1964.

2. S. A. Zenkovsky, op. cit., p. 105. A. Arsharuni et Kh. Gabidullin (op. cit.,

p. 38) mentionnent, eux, dix d?put?s ? la troisi?me Douma.

3. S. A. Zenkovsky, loc. cit. ; en ce qui concerne les mesures prises ? l'?gard de la presse, cf. plus particuli?rement A. Bennigsen et Ch. Lemercier-Quelquejay, op. cit.

Cahiers du Monde russe et sovi?tique, XV (3-4), juil.-d?c. 1974, pp. 315-331.

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3i6 PAUL DUMONT

1908, le publiciste Yusuf Ak?ura4, poursuivi pour violation de la nouvelle loi sur la presse, passe en Turquie, en m?me temps que l'Azerba?djanais

Ahmed Agaev5. Ali Huseyin-zade6 et Mehmed Enfin Resul-zade7, tous deux originaires de l'Azerba?djan, les suivent en 1910. Dans les m?mes

ann?es, bien d'autres ?migr?s encore ? Crim?ens, Tatars de Kazan',

Uzbeks, ?tudiants de Taskent et de Boukhara ? se retrouvent ? Istanbul, dans l'ivresse de la ? libert? ?.

Ces hommes ? Yusuf Ak?ura en t?te ?, second?s par des intellectuels

ottomans, formeront le noyau d'un puissant courant panturquiste ? l'int? rieur de l'Empire ottoman, s'appuyant sur l'appareil politique mis en

place par les Unionistes8. Sous leur impulsion, une multitude d'associa tions ? culturelles ? et de p?riodiques panturquistes verront le jour, dans la capitale ottomane, ? partir de 1909. Citons9 en particulier l'association

Turk Dernegi et son organe du m?me nom (1909-1911) ; l'association et la revue Turk Yurdu, ? partir de 1911 ; l'organisation des Turk Ocagi (Foyers turcs), en 1912 ; et des p?riodiques comme Bilgi (Connaissance)

ou Halka Dogru (Vers le peuple), fond?s en 1913.

4- A propos de Yusuf Ak?ura, cf. infra pp. 323 sq. 5. Cf. note 58. 6. Ali Huseyin-zade (1864-1941), n? ? Saljan, dans la province de Bakou, avait

fait de brillantes ?tudes de m?decine ? Saint-P?tersbourg et ? Istanbul. En 1900, il avait ?t? nomm? professeur ? l'?cole de M?decine militaire d'Istanbul. Mais

inqui?t? par la police de 'Abd ul-Hamid II, il avait quitt? son poste au bout de

quatre ans et s'?tait r?fugi? en Azerba?djan. L?, il avait activement particip? au

mouvement national, en compagnie d'Ahmed Agaev et Ali Merdan Top?ibasi, collaborant notamment ? des journaux et revues comme Hay at, F?yuzat, Kas

pij, etc. Yusuf Ak?ura, dans T?rk Yih (L'Ann?e turque, 1928, pp. 416 sq.), le range au nombre des pr?curseurs du pantouranisme. Plusieurs ann?es avant Ziya G?kalp, il avait lanc? le fameux mot d'ordre turquiste : ?

Turquisation, islamisation, occiden talisation ?. De retour ? Istanbul en 1910, il avait repris sa chaire ? l'?cole de

M?decine militaire, et continu? ? militer au sein des organisations panturques de

la capitale ottomane. Au IIIe Congr?s du parti Union et Progr?s, il avait ?t? nomm?

membre du Comit? central de ce parti. 7. Mehmed Emin Resul-zade (1884-1954) avait particip? ? l'activit? des groupes

clandestins sociaux-d?mocrates de Bakou avant de se tourner vers le nationalisme

az?ri. R?fugi? en Iran de 1908 ? 1910, il avait ?t? expuls? de ce pays en 1910, et

s'?tait alors rendu en Turquie o? il devait collaborer ? la cr?ation de diverses

associations panturques. Revenu en Azerba?djan en 1913, il fut nomm? pr?sident du parti Musavat en 1917 et joua, en mai de la m?me ann?e, un r?le de premier

plan au Ier Congr?s des Musulmans de Russie. En 1918, apr?s la proclamation de

l'Ind?pendance de l'Azerba?djan, il fut ?lu pr?sident du Comit? national. A la suite

de son arrestation, en 1920, il r?ussit ? s'?vader, continuant de jouer jusqu'? sa

mort un certain r?le dans l'?migration. 8. Ces r?fugi?s devaient trouver dans la capitale ottomane un climat ?minem

ment favorable ? leurs id?es panturquistes. On sait, en effet, qu'en d?pit de la

fa?ade ottomaniste de leur parti, les militants d'Union et Progr?s n'?taient nullement

hostiles aux nationalismes turcs. Des documents publi?s par A. B. Kuran dans son ouvrage sur le comit? Union et Progr?s (Inkil?p tarihimiz ve ittihad ve terakki,

Istanbul, 1948), et par Y. H. Bayur (T?rk inkil?bi tarihi/Histoire de la r?volution

turque, II, 4, Ankara, 1952) d?montrant au contraire l'existence d'un puissant courant pan turquiste ? l'int?rieur du mouvement jeune-turc bien avant la r?volu

tion de 1908. 9. Sur ces associations, la meilleure source est la monographie de Y. Ak?ura,

dans T?rk Yih, 1928, pp. 434 sq. ; cf. ?galement T. Z. Tunaya, T?rkiyede siyasi

partiler (Les partis politiques en Turquie), Istanbul, 1952, pp. 376 sq. ; Y. H. Bayur,

op. cit., II, 4, pp. 400 sq. ; moins d?taill?, S. A. Zenkovsky, op. cit., pp. 106 sq.

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TURK YURDU 317

Sous des noms diff?rents, ces associations pr?tendument apolitiques et ces diverses revues recouvrent en r?alit? l'activit? ?

d?bordante, il faut bien le dire ? d'un groupe de militants bien d?termin?, toujours le m?me. A la t?te du T?rk Dernegi, par exemple, nous rencontrons d?j? les membres les plus influents de T?rk Yurdu et des T?rk Ocaklan : Yusuf

Ak?ura, le po?te Mehmed Enfin10, le journaliste et p?dagogue crim?en Ismail Gasprinski11 (rest? en Crim?e, Gasprinski a n?anmoins toujours donn? sa caution morale aux organisations panturquistes d'Istanbul), les publicistes az?ris Ahmed Agaev et Ali Huseyin-zade, l'historien Fuad

K?pr?l?12, les ?crivains Halide Edip13 et Cel?l Sahir14, etc. Quelques noms

nouveaux, cependant, en 1912-1913, avec le reflux vers Istanbul des intellectuels turcs de Salonique, ? la suite de la prise de cette ville par les Grecs : Ziya G?kalp, Ali Canip, orner Seyfettin15...

i o. Mehmed Emin Yurdakul (1869-1944) est surtout connu pour avoir introduit dans la po?sie turque, d?s la fin du xixe si?cle, la langue et les rythmes populaires. Son premier recueil, Turk?e siirler (Po?mes en langue turque), publi? en 1898, marque une date importante dans l'histoire de la litt?rature turque. Po?te nationaliste, tr?s li? aux milieux politiques, Mehmed Emin fut un des collaborateurs les plus assidus de T?rk Yurdu et donna ? cette revue ses plus beaux po?mes, r?unis par la suite dans T?rk Sazi (Le

? saz ? turc). Les guerres balkaniques et la Premi?re

Guerre mondiale devaient sensiblement alt?rer son talent, en lui inspirant des morceaux ?

?piques ?

pleins d'emphase, d?di?s ? la gloire de la patrie et de l'arm?e. 11. Gasprinski passe ? juste titre pour un des principaux pr?curseurs du pantur

quisme. On trouvera ci-apr?s, pp. 320 sq., quelques indications ? son sujet. 12. Fuad K?pr?l? (1890-1966) descendait de l'illustre famille K?pr?l?, c?l?bre

dans l'histoire ottomane en raison des nombreux vizirs qu'elle avait fournis ? la

dynastie r?gnante. A l'?poque de la fondation de T?rk Yurdu, il avait vingt-deux ans

? peine, mais il t?moignait d?j? de brillantes qualit?s intellectuelles. Il devait faire par la suite une tr?s belle carri?re universitaire et, ? partir de 1935, politique. On lui doit plusieurs travaux importants, dans des domaines assez vari?s : turco

logie, histoire, folklore. Citons notamment ses conf?rences parisiennes sur ? Les ori

gines de l'Empire ottoman ? (1935) et son Histoire de la litt?rature turque (T?rk

edebiyati tarihi), Istanbul, 1926. 13. Halide Edip Adivar (1884-1964) repr?sentait, ? l'?poque qui nous occupe,

un ph?nom?ne d'une grande raret? dans la soci?t? ottomane : une femme journaliste et romanci?re. Vers 1912, elle avait d?j? publi? plusieurs livres et notamment un roman intitul? Yeni Turan (Le nouveau Touran), Istanbul, 1912. Elle ?tait une des militantes les plus en vue des Foyers turcs, o? elle donnait volontiers des conf?rences publiques. Au lendemain de la guerre, elle devait collaborer au mouve

ment de lib?ration anatolien, mais sans r?ussir ? faire admettre certaines de ses

id?es par Mustafa Kemal. Contrainte ? l'exil de 1924 ? 1938, elle publia ? l'?tranger plusieurs volumes autobiographiques (Memoirs of Halide Edip, Londres, 1926 ; The Turkish ordeal, Londres, 1928), des romans et quelques ?tudes ? caract?re

politique. Revenue en Turquie apr?s la mort d'Atat?rk, cette femme d'une vitalit?

remarquable poursuivit jusqu'? sa mort une activit? universitaire, interrompue seulement, entre 1950 et 1954, d'un mandat parlementaire.

14. Cel?l Sahir Erozan (1883-1935) occupe une place assez r?duite dans l'histoire de la litt?rature turque contemporaine. Vers 1910, cependant, il ?tait tr?s connu, notamment en tant que po?te lyrique. Conquis ? la ? nouvelle langue ?, il fut un

des principaux animateurs de la section litt?raire de T?rk Yurdu, tout en assumant la direction d'un autre organe turquiste, la revue Bilgi,

15. Ziya G?kalp, Ali Canip et orner Seyfettin ?taient les fondateurs de la revue

Gen? Kalemler (Les jeunes ?crivains) de Salonique. Ils avaient, dans le cadre de cette revue, largement contribu? ? ?tablir les bases du turquisme, tant litt?raire

(cf. les articles d'orner Seyfettin sur la ? nouvelle langue ?) que socio-politique (articles de Ziya G?kalp sur la ? nouvelle vie ?). Ziya G?kalp (1876-1924), tr?s li?

aux milieux politiques, ?tait membre du Comit? central du parti Union et Progr?s. Venu ? Istanbul en 1912, il collabora activement ? la r?daction de T?rk Yurdu,

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3i8 PAUL DUM0NT

De tous les p?riodiques publi?s par cette ?quipe au cours de la p?riode qui nous int?resse ? c'est-?-dire les quelques ann?es pr?c?dant la Pre

mi?re Guerre mondiale ? T?rk Yurdu (La Patrie turque) appara?t indiscutablement comme le meilleur et, en tout ?tat de cause, comme

le plus notoire. Certes, il se pr?sente sous un aspect assez r?barbatif :

trente-deux pages bimensuelles, aust?res, chichement illustr?es de

quelques portraits de ? bienfaiteurs des Turcs ?. Mais ces trente-deux pages proposent non seulement des textes litt?raires de qualit?, dus aux meil leurs prosateurs et po?tes de l'?poque (Mehmed Emin, Halide Edip, orner Seyfettin), mais encore d'importants articles de sociologie, d'?co

nomie, d'histoire, etc. Chaque num?ro donne en outre des ? nouvelles du monde turc ? et un aper?u de la presse chez les musulmans de Russie.

Le premier num?ro, paru le 30 novembre 1911 (17 tesrinis?ni 1327), connut un si grand succ?s qu'il fut r?imprim? plusieurs fois. Fait assez

exceptionnel dans la presse ottomane, T?rk Yurdu parvint d'embl?e ? une

large diffusion, aussi bien ? l'int?rieur de la Turquie qu'? l'ext?rieur. Il ?tait notamment mis en vente en Russie, o? les journaux en langue turque ne manquaient jamais de le signaler ? l'attention de leurs lecteurs.

Yusuf Ak?ura, le directeur de la publication, avait su rassembler autour de lui les ?l?ments les plus brillants de l'intelligentsia turque.

Aux noms que nous avons cit?s pr?c?demment, il faut ajouter ceux de Abdullah Cevdet16, Abd?lhak Hamid17, Aka G?nd?z18, Riza Tevfik19,

donnant ? cette revue de nombreux po?mes (cf. infra, n. 51) et articles, notamment

la s?rie intitul?e ? T?rklesmek, Islamlasmak, Muasirlasmak ? (Turquisation, isla

misation, modernisation). De 1915 ? 1919, il occupa la chaire de sociologie ? la

facult? des Lettres d'Istanbul et joua un r?le essentiel dans l'implantation de cette

discipline en Turquie. Intern? ? Malte en 1919, il revint en Turquie en 1921, pour

y poursuivre, jusqu'? sa mort, un intense travail intellectuel. C'est dans cette

p?riode qu'il ?crivit ses deux ouvrages les plus importants, T?rkc?l?g?n es as?an

(Les bases du turquisme), Ankara, 1923, et T?rk medeniyeti tarihi (Histoire de

la civilisation turque), publication posthume, Istanbul, 1925. orner Seyfettin (1884

1920), quoique moins connu que Ziya G?kalp, occupe n?anmoins une place de

choix dans l'histoire de la litt?rature turque contemporaine. Il fut, en effet, le prin

cipal artisan de la ? litt?rature nationale ? mise en uvre en Turquie apr?s 1908. On lui doit une multitude de nouvelles sur des sujets tr?s divers, et aussi quelques ?bauches romanesques. ?crivain nationaliste, il fr?quentait volontiers les Foyers turcs et les milieux unionistes. Mais apr?s la d?faite de 1918, il ne devait pas h?siter

? ridiculiser ses anciens compagnons des Turk Ocaklari (cf. son roman Efruz Bey) et ? d?noncer, dans ses nouvelles, les malversations de la ?

clique ? ? la t?te du parti

Union et Progr?s. Ali Canip Y?ntem (1887-1967), pour sa part, joua, entre 1910 et 1920, un r?le

certain dans la diffusion des nouvelles id?es litt?raires. Par la suite, il fit une carri?re

relativement modeste dans l'enseignement, laissant derri?re lui un certain nombre

de manuels scolaires, une anthologie de la litt?rature turque (1934) e^ une mono

graphie sur orner Seyfettin (1943). 16. Abdullah Cevdet (1869-1932) fut un des dirigeants les plus en vue du

mouvement jeune-turc. R?fugi? en Suisse, il collabora au journal Osmanh (L'Otto

man) paraissant ? Gen?ve ; dans cette m?me ville, il fonda en 1904 la revue I?tihat

(Doctrine). Revenu ? Istanbul en 1911, il y poursuivit tant bien que mal la publi cation de cette revue, malgr? les nombreuses condamnations qu'il s'attira en raison de ses opinions jug?es par trop subversives.

17. Abd?lhak Hamid Tarhan (1852-1937) est consid?r? comme un des plus grands po?tes ottomans de la fin du xixe si?cle. On lui doit de nombreux recueils

(Fin de la note iy et notes 18 et ig page suivante.)

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TURK YURDU SIC

Ispartali Hakki20, Hamdullah Suphi21, etc. Bornons-nous ? ces quelques noms, qui donnent une id?e de la vari?t? des talents qui collaboraient au T?rk Yurdu. Il est int?ressant de noter, par ailleurs, que les articles

?conomiques ?taient r?dig?s par A. I. Helphand, le c?l?bre ? marchand de r?volution ?, dit ? Parvus ?, qui se trouvait alors en Turquie22.

T?rk Yurdu ?tait, comme nous l'avons dit, nettement orient? vers le panturquisme. A cet ?gard, il est significatif que l'appui financier ayant permis le lancement de cette revue soit venu de Russie : dix mille pi?ces d'or, envoy?es par un notable d'Orenburg, Mahmud Hasanof23. Au demeu

rant, le programme ?labor? par Yusuf Ak?ura pour sa revue ne laisse subsister aucun doute quant ? ses options :

? 1) T?rk Yurdu sera r?dig? de mani?re ? ?tre compris par la plupart

des peuples appartenant ? la race turque. En cons?quence, on se limi tera ? un vocabulaire simple. L'int?r?t de la race turque guidera le choix des sujets. 2) T?rk Yurdu tentera de d?finir un id?al susceptible d'?tre admis

par l'ensemble des Turcs.

3) T?rk Yurdu s'efforcera d'?tablir des liens d'amiti? entre les divers

peuples turcs. Il s'emploiera au progr?s moral et ?conomique de ces peuples.

de po?mes et une vingtaine de pi?ces de th??tre. La collection de T?rk Yurdu (IV et V, 1913) conserve une de ses pi?ces intitul?e Libert?.

18. Journaliste et ?crivain tr?s f?cond, Aka G?nd?z (1886-1958) joua un r?le de premier plan comme propagandiste du turquisme. Son activit? de publiciste lui valut, en 1919, d'?tre intern? ? Malte par les Anglais. A son retour, il reprit son activit? journalistique et litt?raire, tout en occupant, durant de longues ann?es

(1932-1946), un si?ge de d?put? ? l'Assembl?e nationale.

19. Riza Tevfik B?l?kbasi (1869-1949) est un des grands noms de la po?sie turque du xxe si?cle. Influenc? d'abord par la pr?ciosit? ottomane, il se tourna assez vite vers les po?tes du folklore, r?ussissant une synth?se assez remarquable entre la litt?rature savante et les formes populaires. Nomm? en 1918 ministre de l'Instruction publique, il assuma l'ann?e d'apr?s la pr?sidence du Conseil d'?tat et fit partie, en 1920, de la d?l?gation turque qui signa le trait? de S?vres. Ces compro

missions avec un pouvoir moribond lui valurent vingt ann?es d'exil (1922-1943), en Jordanie et au Liban.

20. D?put? d'Isparta au parlement ottoman (Meclis-i Mebusan), Ispartah Hakki (1869-1923) est de nos jours un ?crivain totalement oubli?. Ses ?crits parus dans T?rk Yurdu (cf. notamment K?y?mden geliyorum/Je reviens de mon village, ?dit? par S, A. Kansu, Ankara, 1971) t?moignent pourtant d'un v?ritable talent.

21. Orateur remarquable, Hamdullah Suphi Tann?ver (1885-1966) fut un des

principaux animateurs des T?rk Ocaklari. Au lendemain de la guerre de 1914-1918, il collabora au mouvement k?maliste et fut, ? deux reprises, charg? du minist?re de l'?ducation nationale. En 1931, il fut nomm? ambassadeur ? Bucarest et ne revint en Turquie qu'apr?s un long s?jour dans la capitale de la Roumanie (1931 1944). Candidat aux ?lections de 1946, il conserva son si?ge ? l'Assembl?e nationale

jusqu'en 1957. Ses discours et articles ont ?t? rassembl?s dans Dagyolu (La route de montagne), 2 vols., 1928-1931. Cf. aussi M. Baydar, Mustafa Suphi Tann?ver ve a?ilan (Mustafa Suphi Tann?ver et ses m?moires), Istanbul, 1968.

22. Sur ce curieux personnage, cf. l'important ouvrage de Z. A. B. Zeman et W. B. Scharlau, The merchant of Revolution. The life of Alexander Israel Helphand

(Parvus), 186J-1924, Londres, 1965. 23. D'apr?s M. F. Togay, Yusuf Ak?ura. Hay ah ve eserleri (Yusuf Ak?ura.

Sa vie, son uvre), Istanbul, 1944, p. 61. A l'?poque, T?rk Yurdu n'avait pas voulu faire ?tat de ce don, pour ?viter au donateur les tracasseries de la police russe : la chose fut pr?sent?e sous la forme d'une subvention du comit? Union et Progr?s.

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320 PAUL DUMONT

4) Pour atteindre ce but, la revue Turk Yurdu rassemblera des infor mations sur tout ce qui se passe ? l'int?rieur du monde turc, qu'il s'agisse d'?v?nements heureux ou tristes.

5) Au sein de l'Empire ottoman, T?rk Yurdu d?fendra les droits

politiques et ?conomiques de l'?l?ment turc et s'attachera ? propager le nationalisme turc.

6) T?rk Yurdu s'efforcera de faire obstacle ? la paresse, la n?gligence et le d?sespoir provoqu?s par l'absence d'id?al.

7) En mati?re de politique internationale, T?rk Yurdu d?fendra les int?r?ts du monde turc. ?24

Cette orientation panturquiste se manifestait non seulement dans les articles des ?migr?s venus de Russie ? Yusuf Ak?ura, Ahmed Agaev

?, mais aussi chez des Turcs ottomans comme Mehmed Emin, Halide

Edip ou Ziya G?kalp. Les ? nouvelles du monde turc ? (cf. article 4 du

programme ci-dessus) contribuaient ?galement, bien s?r, ? donner une

tonalit? panturquiste ? la revue.

*

Ce qui frappe le plus, lorsqu'on feuillette la collection de T?rk Yurdu, c'est la place consid?rable accord?e aux id?es d'Ismail Gasprinski. Plusieurs articles portent sa signature. Les ?ditoriaux de son journal, le Terc?man (VInterprete) de Baghcesaray, sont souvent repris et comment?s. C'est ? lui aussi qu'il faut attribuer les textes parus sous

le pseudonyme de Seyyah, c'est-?-dire ? Le voyageur ?25. Par ailleurs, son influence transpara?t nettement dans la production d'hommes comme

Mehmed Emin, Yusuf Ak?ura, Ahmed Agaev, Ziya G?kalp et bien d'autres.

Ag? de soixante ans ? l'?poque de la parution du premier num?ro de T?rk Yurdu, Gasprinski avait derri?re lui un pass? remarquable de

journaliste, de p?dagogue, et aussi d'homme politique26. Il avait ?t?, d?s 1883, le fondateur d'un des plus importants journaux en langue turque de l'Empire russe, le Terc?man. Ici, il s'?tait fait le d?fenseur d'un pan

turquisme mod?r?, symbolis? par le mot d'ordre : ? Unit? de langue, de

pens?e et d'action ?. En tant que p?dagogue, il avait ?t? ? l'origine d'une nouvelle m?thode d'enseignement musulman, largement r?pandue en

24. Texte cit? par Y. Ak?ura, T?rk Yih, 1928, pp. 437-439, et M. F. Togay,

op. cit., pp. 62-63. Ce document ne figure pas dans la collection de T?rk Yurdu

dont il aurait d? constituer, pourtant, la profession de foi. En t?te du premier num?ro de la revue, nous trouvons un texte beaucoup plus ?vasif : ? Nous vou

lons servir la nation turque. Voil? notre but. Le contenu de notre revue mon

trera par quels chemins nous comptons y arriver. C'est pourquoi nous estimons

qu'il est inutile d'exposer dans le d?tail nos intentions. Que Dieu nous vienne en

aide. ?

25. D'apr?s C. Seydahmet, Gasptrah Ismail Bey, Istanbul, 1934, P- II5 26. Il ne nous appartient pas de retracer en d?tail la carri?re de Gasprinski.

Nous renvoyons aux ouvrages suivants : C. Seydahmet, op. cit. ; S. A. Zenkovsky,

op. cit., chap. Ill, pp. 30 sq. ; A. Bennigsen et Ch. Lemercier-Quelquejay, op. cit.,

chap. II, pp. 35 sq. ; Ja. Validov, Ocerki istorii obrazovannosti i literatury Tatar

do revoljucii 191J g. (Histoire de la litt?rature et de la culture tatares jusqu'? la r?vo

lution de 1917), Moscou, 1933.

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TURK YURDU 32I

Russie apr?s 188427, Yusul-? cedid (la nouvelle m?thode). Cette m?thode

proposait non seulement un apprentissage rapide de la lecture et de l'?criture arabe, mais aussi une formation en langue turque et en mati?res ? la?ques ? comme les math?matiques, l'histoire, la g?ographie. Elle avait,

bien ?videmment, des vis?es socio-politiques : redresser le niveau culturel des Turcs ? l'int?rieur de l'Empire russe ; encourager, par l'enseignement du turc, l'id?e d'union ? raciale ? ; et surtout, cr?er un terrain propice ? l'implantation des sciences et techniques d'Occident parmi les musul

mans de Russie. En tant qu'homme politique, enfin, Gasprinski avait eu son heure de gloire aux congr?s de l'Ittifak (Union des musulmans de Russie) de 1905-1906, dont il avait ?t? un des principaux artisans28.

Cette activit? incessante dans les domaines les plus vari?s lui avait valu un prestige immense ? travers le ? monde turc ?. Ses id?es, m?me si elles ?taient jug?es parfois trop mod?r?es, ?taient toujours prises en

consid?ration avec le plus grand respect. Il n'est pas ?tonnant, dans ces

conditions, que nous retrouvions dans T?rk Yurdu les principales lignes de force de sa pens?e : modernisation et turquisation de l'enseignement ;

n?cessit?, au-del? de la multiplicit? des dialectes, d'une langue commune

? tous les Turcs ; panturquisme, enfin, mais tr?s nettement teint? de

respect pour le dominateur russe.

En ce qui concerne les probl?mes de l'enseignement, nous disposons en premier lieu des articles de Gasprinski lui-m?me. Citons par exemple le texte intitul? ? Aux militants de T?rk Yurdu ?29 et qui trace le bilan de vingt-cinq ann?es d'enseignement r?form?. C'est un document capital pour l'histoire du mouvement cedid en Russie. Toujours dans la lign?e des

conceptions p?dagogiques de Gasprinski, il faut retenir encore l'article de Yusuf Ak?ura intitul? ? Id?al ?30, et, du m?me auteur, deux courtes notices concernant l' uvre du p?dagogue crim?en31. Alors que le premier de ces textes n'?pargne aucune critique ? l'enseignement traditionnel dans les ?coles musulmanes, les deux suivants portent, au contraire, aux nues Yusul-? cedid. Nous rencontrons la m?me d?marche ? mais sans que le nom de Gasprinski soit cit? ? dans le chapitre sur l'?ducation r?dig? par Ziya G?kalp pour sa s?rie intitul?e ? Turquisation, islamisation,

27. D'apr?s S. A. Zenkovsky, op. cit., p. 35, il y avait en 1914 environ 5 000 ?coles musulmanes ? r?form?es ? dans l'Empire russe.

28. Cf. ? ce propos A. Arsharuni et Kh. Gabidullin, op. cit., le chapitre concer

nant les congr?s musulmans et la fondation du parti Ittifak ; voir ?galement S. A. Zenkovsky, op. cit., notamment pp. 45 sq.

29. ? T?rk Yurduculanna ?, TY, I, 7, 8, 9-23 subat 1327/22 f?vr. - 6 mars 1912,

pp. 190-195 et 236-240. D'autres articles comme ? Hind yolundan ?

(Lettre des

Indes), TY, I, 10, 22 mart 1328/4 avril 1912, pp. 307-310, et ? Hindden d?nerken ?

(Retour des Indes), TY, I, 12, 19 nisan 1328/2 mai 1912, pp. 369-731, sont eux

aussi importants, car ils projettent une lumi?re tr?s vive sur l'ampleur du projet

p?dagogique de Gasprinski. Il y est question, en effet, du voyage entrepris par ce dernier en 1910 dans la p?ninsule indienne, dans le but d'aller porter la bonne

parole (cedid) aux musulmans de Bombay. 30. ? Emel ?, TY, II, 16, 14 haziran 1328/27 juin 1912, pp. 484-491 ; cf. aussi

? Halide Hamm Efendiye ?

(A Madame Halide), TY, II, 18, 12 temmuz 1328/ 25 juil. 1912, pp. 560-564.

31. ? T?rklerin b?y?k mu'aUim ve muharriri Ismail bey Gasprinski ?

(Le grand

p?dagogue et ?crivain turc, Ismail bey Gasprinski), TY, II, 22, 6 eyl?l 1328/ 19 sept. 1912, pp. 690-695 ; ? Mu'allime dair ?, TY, VI, 12, 1914, pp. 2409-2412.

6

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322 PAUL DUMONT

modernisation ?32. Au demeurant, il est int?ressant de noter que T?rk Yurdu ne se contentait pas d'?piloguer sur ces probl?mes de l'enseigne

ment : l'organisation des Foyers turcs (T?rk Ocaklan) ? dont T?rk

Yurdu ?tait l'organe ?

s'effor?ait, dans la mesure du possible, de mettre la ? nouvelle m?thode ? en ex?cution. Gasprinski avait m?me fait courir le bruit qu'il viendrait, en personne, prendre la direction d'une ?cole ? r?form?e ? ? Istanbul33.

Les options linguistiques de T?rk Yurdu repr?sentent un autre aspect de l'influence exerc?e sur cette revue par Gasprinski. Celui-ci, on le sait, accordait une grande importance ? la question de la langue et pensait qu'un vocabulaire litt?raire commun ? ? d?faut d'un parler commun ?

serait un des facteurs d?terminants de la r?unification des peuples turcs. Dans le Terc?man, il s'?tait du reste employ? ? mettre au point cette

langue commune ? calqu?e en grande partie sur le turc ottoman ?

et le succ?s rencontr? par ce journal ? travers le ? monde turc ? confir mait ? ses yeux le bien-fond? de ses convictions. Or, T?rk Yurdu, ? cet ?gard, partageait enti?rement ses pr?occupations. Qu'on relise, par

exemple, le programme que nous avons d?j? cit? : le probl?me de la langue y figure en toute premi?re position. Les collaborateurs de T?rk Yurdu

s'obligeaient ? ?crire simplement et ? d?barrasser leur vocabulaire des mots ?trangers34. En contrepartie, ils recherchaient les vieilles racines

turques et les employaient abondamment, de mani?re ? ?tre compris par la plupart des ethnies fr?res. Le r?sultat est surprenant de lim

pidit?, d'?l?gance et de modernit? : T?rk Yurdu est une des rares revues de l'?poque dont la langue soit encore intelligible pour les Turcs

d'aujourd'hui. Bien ?videmment, cette nouvelle langue litt?raire provoquait d'ar

dentes pol?miques, et T?rk Yurdu eut ? subir plusieurs attaques violentes. Mais Ak?ura, Ziya G?kalp, Fuad K?pr?l?, et tant d'autres, n'eurent aucune peine ? pourfendre les assaillants35. Du reste, le combat ?tait

gagn? d'avance : l'audience de T?rk Yurdu, gr?ce ? la simplicit? et ? I' ? universalit? ? de son style, d?bordait largement les limites de l'Em

pire ottoman36. Ainsi que l'?crivain Gasprinski, le po?te Mehmed Emin,

32. ? T?rklesmek, Islamlasmak, Muasirlasmak ?, chap. VI, TY, IV, 23, 22 agus tos 1329/4 sept. 1913, pp. 798-815.

33. ? T?rk Yurducularma ?, art. cit., p. 240.

34. Sous l'impulsion d'?mer Seyfettin, la revue Gen? Kalemler de Salonique

(cf. supra, n. 15) avait largement contribu? ? cette simplification de la langue ?tt?raire.

35. Y. Ak?ura, ? Celai Nuri Bey'e Cevab ?

(R?ponse ? Monsieur Celai Nuri), et ?Midhat Cernai Bey Efendiye? (A Monsieur Midhat Cernai), TY, I, 5, 12 k?n? nis?n? 1327/25 janv. 1912, pp. 149-152 ; Z. G?kalp, op. cit., chap. II, TY, III, 12, 21 mart 1329/3 avril 1913, pp. 367-370 ; F. K?pr?l?,

? Edebiyatimizda milliyet

hissi ? (Le sentiment national dans notre litt?rature), TY, IV, 20, 10 temmuz 1329/

23 juil. 1913, pp. 667-678. Cf., d'autre part, Alparslan, ? Turk?enin basma gelenler

?

(Ce qui est arriv? ? la langue turque), TY, I, 8, 23 subat 1327/6 mars 1912, pp. 231

236 ; R. M. Fuad, ? T?rk dilini sadelestirmek meselesi ? (La question de la simpli

fication de la langue turque), TY, V-VI, 1914, pp. 1209-1215, 2058-2063 ; A. Canip, ?Milli edebiyat meselesi ?

(La question de la litt?rature nationale), TY, V, 1913-1914,

pp. 1014-1020, 1046-1055, 1112-1118.

36. Remarquons tout de m?me qu'une hirondelle ne fait pas le printemps, et

que le succ?s d'un Terc?man ou d'un T?rk Yurdu n'entra?na pas pour autant le

rassemblement linguistique et culturel des Turcs de Russie. On sait, au contraire,

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TURK YURDU 323

par exemple, pouvait ?tre lu ? non seulement par les Turcs d'Anatolie, mais aussi par les Turcs de Kazan', de Crim?e, du Turkestan, etc. ?37. T?rk Yurdu, en cette mati?re, ?tait bien comme le ? fr?re cadet du Terc?man ?38.

? Fr?re cadet du Terc?man ?, T?rk Yurdu l'?tait aussi, en dernier

ressort, par sa mod?ration politique. La revue, ? l'instar de Gasprinski, se refusait ? envisager la possibilit? d'un conflit entre la Russie et ses

colonies. Rappelons qu'une des id?es ma?tresses de Gasprinski ?tait que ? la lutte ouverte contre l'Occident, repr?sent? par la Russie, ?tait pour son ?poque impossible et n?faste, et que la coexistence des deux mondes

pouvait ?tre durable pour le plus grand avantage de l'Orient ?39. Cette id?e ?tait souvent reprise dans T?rk Yurdu, notamment par Yusuf

Ak?ura40. Certes, ce d?sir de conciliation proc?dait surtout d'un choix

tactique : il s'agissait de ne pas s'attirer les foudres du Gouvernement tsariste ; mais on devine aussi, chez certains militants de T?rk Yurdu

(Agaev, Ak?ura), une admiration r?elle pour la culture slave41. Cela dit, force nous est de constater que l'agressivit? de la revue ? l'?gard de

l'Empire russe devait augmenter au fil des ann?es. Tr?s proche, en 1911, de la position mod?r?e de Gasprinski, T?rk Yurdu n'h?site pas, ? partir de 1912, ? d?noncer les men?es ? panslavistes ? dans les Balkans42. Et bien

entendu, apr?s 1914, il ne sera plus du tout question d'envisager une

collaboration quelconque avec l'ennemi.

*

Penchons-nous ? pr?sent sur la production de Yusuf Ak?ura dont on

recense, entre 1911 et 1914, une quarantaine d'articles ? plusieurs

centaines de pages ?, qui constituent le massif essentiel de T?rk Yurdu**.

Ak?ura ?tait une des personnalit?s les plus en vue de l'?migration tatare en Turquie. Issu d'une famille de riches industriels de Simbirsk

(l'actuel Uljanovsk) ? o? il ?tait n? en 1876 ?, il avait fait de brillantes

?tudes, d'abord ? Istanbul, puis ? Paris. Il s'?tait int?ress? ? la politique, tr?s jeune : ? vingt-trois ans ? peine, il avait ?t? impliqu? dans un complot

mont? par de jeunes officiers contre le sultan *Abd ul-Hamid II, et puni de la r?clusion ? vie en Tripolitaine. C'est ? la suite d'une rocambolesque ?vasion qu'il s'?tait retrouv?, ? Paris, sur les bancs de la Facult? de Droit

que ce sont les particularismes dialectaux qui eurent le dessus, contribuant au

fractionnement des communaut?s.

37. ? B?y?k t?rk mu'aliminin b?y?k t?rk sairine bir mektubu ? (Une lettre du

grand p?dagogue turc au grand po?te turc), TY, VI, 12, 27 tesrinis?ni 1330/10 d?c.

1914, pp. 2404-2405.

38. L'expression est de Y. Ak?ura, ?T?rklerin b?y?k mu'allimi... ?, art. cit.,

P. ?95

39. A. Bennigsen et Ch. Lemercier-Quelquejay, op. cit., p. 37.

40. Cf., par exemple, Y. Ak?ura, ? T?rk d?nyasmda

? (A travers le monde turc),

TY, I, 1, 17 tesrinis?ni 1327/30 nov. 1911, pp. 23-24.

41. Cf. notamment les pages autobiographiques de Y. Ak?ura cit?es par M. F. Togay, op. cit., pp. 119 sq.

42. Cf., entre autres, Y. Ak?ura, ? 1328 seferi ?(La campagne de 1912), TY, III,

1-2, 18 tesrinievvel - 2 tesrinis?ni 1328/31 oct. - 15 nov. 1912, pp. 31-32, 62-64.

43. Ces articles ont fait l'objet de la th?se de E. Aybars, texte dactylographi?, ? F Institut de Turcologie (T?rkiyat Enstit?s?) d'Istanbul.

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324 PAUL DUM0NT

et de l'?cole des Sciences politiques (1899-1903). Ici, il avait fortement

subi l'influence des id?es de Renan, de Barr?s, et de ses ? ma?tres ?, les historiens Albert Sorel et Emile Boutmy. Sa r?putation de martyr de la cause jeune-turque lui avait en outre permis d'entrer en contact avec les dirigeants du comit? Union et Progr?s en exil, sans toutefois

r?ussir ? leur faire admettre ses conceptions nationalistes44. Mais rentr?

? Kazan' en 1903, il avait publi? l'ann?e suivante son U? tarz-i siyaset

(Les trois syst?mes politiques), qui critiquait les doctrines de l'ottomanisme

et de l'islamisme et posait sans ambages les fondements du nationalisme turc. Ce texte, paru dans un journal du Caire, avait eu un retentissement consid?rable. Il avait largement contribu? ? faire conna?tre le nom de son auteur dans les sph?res politiques45. Les th?ses d?velopp?es par

Ak?ura avaient amorc? d'incessantes pol?miques au sein de l'intelligentsia ottomane : jusque dans les ann?es vingt de notre si?cle, on discutait

encore, ? Istanbul et ailleurs, des m?rites compar?s des ? trois syst?mes

politiques ?46. En Russie, Yusuf Ak?ura avait su s'imposer d'embl?e aux milieux panturquistes et avait jou? un r?le de premier plan aux trois

Congr?s musulmans de 1905-190647, tout en poursuivant une remarquable carri?re de publiciste (ses articles paraissaient dans des p?riodiques comme le Kazan Muhbiri et YAl-Islah de Kazan', le Vakt d'Orenburg, le Terc?man de Baghcesaray, etc.). Il avait ?t? un des principaux artisans

du rapprochement entre l'Ittifak et le parti K. D., et un des leaders

les plus ?cout?s du groupe parlementaire musulman ? la Douma48. En 1908, condamn? par la censure du tsar, il s'?tait r?fugi? en Turquie

avec la ferme intention d'y continuer l'agitation panturquiste. Toutefois, les relations entre l'Empire russe et l'Empire ottoman ?tant, ? l'?poque,

passablement tendues, il s'?tait tout naturellement orient? vers la cr?ation d'associations culturelles pr?tendument apolitiques

? T?rk Dernegi, d'abord, puis T?rk Yurdu et Turk Ocaklari ? ? l'abri desquelles il pouvait

poursuivre son activit? sans risquer de compromettre les hommes au

pouvoir. On peut classer ses articles de T?rk Yurdu en trois groupes principaux.

En premier lieu, nous distinguons les dissertations sur les ? origines ?

de l'histoire turque ; viennent ensuite les articles concernant l'actualit?

44- Les Turcs r?fugi?s en Europe, Ahmed Riza notamment, ?taient soucieux de

m?nager l'opinion occidentale en se pr?sentant comme les champions de Votto

manisme ; ils craignaient, ? proclamer leurs vis?es nationales, de se faire passer pour de simples ?gorgeurs d'Arm?niens.

45. Cf. P. Risal, ? Les Turcs ? la recherche d'une ?me nationale ?, Mercure de

France, 16 ao?t 1912, pp. 675 sq. ; voir ?galement ?Les courants politiques dans

la Turquie contemporaine ?, Revue du Monde musulman, XXI, d?c. 1912, et ? Le

Panislamisme et le Panturquisme ?, ibid., XXII, mars 1913.

46. Cf., par exemple, l'article de F. K?pr?l?, ? T?rkl?k, Islamhk, Osmanhlik ?,

TY, IV, 21, 25 temmuz 1329/7 ao?t 1913, pp. 692-702 ; ou encore, Z. G?kalp, ?T?rklesmek, Islamlasmak, Muasirlasmak ?, TY, III-VI, 1912-1914. De nombreux

historiens se sont d?j? employ?s ? exposer le contenu de ces d?bats : cf. notamment, Y. H. Bayur, op. cit., II, 4, pp. 398-470, et, bien entendu, N. Berkes, The develop ment of secularism in Turkey, Montr?al, 1964, pp. 337 sq.

47. Cf. A. Arsharuni et Kh. Gabidullin, op. cit. ; A. S. Zenkovsky, op. cit.,

pp. 41 sq.

48. Pour plus de d?tails concernant la biographie de Y. Ak?ura, nous renvoyons aux ouvrages suivants : T?rk Yih, op. cit., pp. 396 sq. ; M. F. Togay, op. cit. ; G. von

Mende, ? Jusuf Akchura ein Vork?mpfer des Turkismus ?, Osteuropa, 9 juin 1936.

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TURK YURDU 325

asiatique ; un troisi?me lot ? constitu? d'?crits g?n?ralement assez courts ?

regroupe des mati?res vari?es telles que biographies, pol?miques, lettres, etc.

Ressortissent au premier groupe des textes comme ? Gengis Khan, d'apr?s l'historien L?on Cahun et le ma?tre Barthold ? ; ? L'histoire des Turcs et des Tatars ? ; ou encore : ? Les Turcs et les Tatars constituent un seul et m?me peuple. Les Turcs ont rendu des services ? la civilisation ?49.

Rien qu'aux titres, on devine l'objectif poursuivi par Ak?ura : affirmer l'identit? raciale des Tatars et des Turcs ottomans, et au-del?, exalter le pantouranisme. A cet ?gard, l'?tude sur Gengis Khan est particuli?re

ment significative. L'auteur y explique, ? la lumi?re des th?ories raciales en vogue ? son ?poque, que le conqu?rant mongol avait voulu ? rassembler les Turcs, les Tatars, les Mongols

? tous les Touraniens en somme ? et cr?er de la sorte un grand empire, encore plus grand que les empires turcs du pass? ? ; qu'il avait ? attaqu? l'Asie centrale et occidentale non pas pour venger la mort de quelques espions, mais pour r?aliser ce grandiose id?al ?50. Bien entendu, chez Ak?ura ce recours ? l'histoire n'?tait qu'un pr?texte. En r?alit?, il s'agissait simplement de cautionner la ? grande id?e ? des militants de T?rk Yurdu : recr?er la communaut? touranienne dans ses limites du xine si?cle. Notons toutefois que le pantouranisme d'Ak?ura ?tait, en raison de son habillage pseudo-historique, relativement

mod?r? ; les gourmands de litt?rature cocardi?re y trouveraient ? peine leur compte. En cette mati?re, l'historien subissait la concurrence d?loyale d'?crivains comme Ziya G?kalp et Mehmed Emin qui, po?tes de talent en d'autres circonstances, ?taient pass?s ma?tres ?s-pompi?risme d?s

qu'il s'?tait agi de chanter Touran51. Les id?es pantouranistes d'Ak?ura impr?gnaient aussi, bien s?r, ses

articles relatifs ? Y actualit? de l'Asie. Ces articles, intitul?s pour la plupart ? A travers le monde turc ?52, embrassaient d'un vaste coup d' il tout l'univers touranien, de la Chine au Danube, et interpr?taient les ?v?

nements de Chine ou d'Iran, par exemple, comme autant de manifes

49- ? M?verrih L?on Cahun ve mu'allim Bartold'a G?re Cenzig Han ?, TY, I, i-ii, 17 tesrinis?ni 1327

- 5 nisan 1328/30 nov. 1911

- 18 avr. 1912, pp. 17-22, 47-53> 78-82, 114-116, 139-143, i77"l83> 202-206, 240-244, 268-272, 3?3"3?7> 3^6 330 ; ? T?rk ve tatar tarihi ?

(Histoire turque et tatare), TY, II, 18-19, 12-26 tem muz 1328/25 juil.

- 8 ao?t 1912, pp. 557-560, 592-598 ; ? T?rk ve tatarlar birdir. T?rkler medeniyete hizmet etmislerdir ?, Altun Armagan, suppl. ? TY, II, 23, 20 eyl?l 1328/3 oct. 1912, pp. 37-59.

50. ? M?verrih L?on Cahun... ?, cit? d'apr?s le texte ?tabli par E. Aybars, op. cit., p. 19.

51. Citons notamment, de Z. G?kalp, les po?mes intitul?s ? Turan ?, ? Erge

nekon ?, ? Alageyik

? (Le daim),

? Altun destan ? (L'?pop?e d'or), parus dans Altun

Armagan, II, 23, 20 eylul 1328/3 oct. 1912; du m?me auteur, ? Kizilelma ? (La

pomme rouge), TY, III, 7, 10 k?n?nis?n? 1328/23 janv. 1913, pp. 193-203 ; de Mehmed Emin, Ey T?rk Uyan (R?veille-toi, ? Turc !), distribu? par la librairie T?rk Yurdu, 1914.

52. ? T?rk d?nyasmda ?, art. cit. ; ? T?rk aleminde ?, TY, I, 4, 29 k?n?nievvel

1327/11 janv. 1912, pp. 116-120 ; sous le m?me titre, II, 28 haziran 1328/11 juil. 1912, pp. 531-534 ; II, 19, 26 temmuz 1328/8 ao?t 1912, pp. 598-600 ; II, 21, 23 agustos 1328/5 ao?t 1912, pp. 663-664. Cf. d'autre part : ? 1328 seferi ?, art. cit. ; ?

Ge?en yil ?

(L'ann?e ?coul?e), TY, VI, 1330/1914, pp. 2019-2033 ; ? 1329 senesinde t?rk d?nyasi ?

(Le monde turc en 1913), TY, VI, 1330 (1914), pp. 2098-2104, 2135-2141, 2166

2169.

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326 PAUL DUM0NT

tarions d'un m?me esprit r?volutionnaire soufflant ? travers Touran53.

?videmment, une partie importante de ces textes concerne plus sp?cia lement l'Empire ottoman et les ? provinces turques ? de Russie. Il est int?ressant de noter que dans ce cadre restreint, les analyses d'Ak?ura, loin d'?tre r?actionnaires, t?moignent d'un progressisme bourgeois de

bon aloi. Ce descendant d'industriels donne la r?ussite ?conomique des hommes d'affaires tatars en mod?le ? leurs homologues ottomans ; il

approuve les bourgeois de Kazan' et des autres r?gions d'avoir su emprun ter aux Russes certains ?l?ments de civilisation porteurs de progr?s ; il consid?re, enfin, le recul du conservatisme religieux comme une victoire fondamentale sur la voie du d?veloppement54.

Les articles du troisi?me groupe ? textes divers concernant, par

exemple, les id?es de Gasprinski, les probl?mes de la ? nouvelle langue ?

litt?raire ou tel ?v?nement de l'actualit?55 ? contribuent encore ? ?toffer

l'image d'un Ak?ura progressiste, tourn? tout entier vers la mise en place d'une bourgeoisie ? nationale ? au sein des communaut?s turques. Qu'il s'agisse, en effet, d'usul-? cedid en mati?re d'?ducation, ou des derni?res

p?rip?ties de la politique ottomane, ou simplement de querelles linguis tiques, nous sentons toujours, derri?re ces pages de circonstance, la pr? sence d'un id?ologue bourgeois, soucieux d'asseoir sur des bases solides le d?collage ?conomique et politique de sa classe. Cet aspect de la pens?e d'Ak?ura nous para?t ?videmment beaucoup plus important que ses th?ories pantouranistes. Mais dans le cadre de T?rk Yurdu, ce progres sisme n'avait rien d'original et rejoignait en fait une des pr?occupations

majeures de la revue : rattraper l'Occident par le biais du turquisme. Ziya G?kalp, Ahmed Agaev et quelques autres s'?taient fait, ? c?t?

d'Ak?ura, les champions de cette id?e. On conna?t les fameuses th?ses de Ziya G?kalp : ? Islamisation, turquisation, modernisation ?56 ; toutes les arguties de T?rk Yurdu tournaient autour de ces trois mots57.

*

Ce que nous venons d'?crire ? propos d'Ak?ura pourrait ?tre r?p?t? presque mot pour mot au sujet de l'Azerba?djanais Ahmed Agaev.

53- ? T?rk aleminde ?, art. cit., I, 4, pp. 116-120.

54. Cf. ? T?rk d?nyasmda ?, art. cit. ; voir aussi ? 1329 senesinde t?rk d?nyasi ?, art. cit.

55. Cf., outre les articles donn?s en r?f?rence aux notes 30, 31 et 35, ? Mekteb m?zezi? (Le mus?e scolaire), TY, IV, 24, 5 eyl?l 1328/18 sept. 1913, pp. 844-848;

? Ittihad ve Terakki Cemiyetinin Yilhk Kongresi ?

(Le congr?s annuel de l'associa tion Union et Progr?s), TY, V, 1, 1329/1913, pp. 877-880 ; ?

Bayram ihtiyaci ?

(Le besoin de f?tes), TY, V, 4, 1329/1913-14, pp. 954-955. 56. Les th?ses de Z. G?kalp ont donn? lieu ? de nombreuses ?tudes. Cf. notam

ment N. Berkes, introduction ? Turkish nationalism and Western civilisation, Londres, 1952 ; voir aussi U. Heyd, Foundations of Turkish nationalism, Londres,

1950

57. Les aspects progressistes de la revue T?rk Yurdu ont ?t? mis en ?vi dence par E. Ju. Gasanova, ?

Progressivnye motivy v zurnale Tjurk Jurdu ?

(Les th?mes progressistes dans T?rk Yurdu), Izvestija Akademii nauk Azerbajdzanskoj SSR, s?rie de Sciences sociales, 3, 1961, pp. 149-162. Du m?me auteur, cf. aussi ? K istorii zurnala Tjurk Jurdu ? (Contribution ? l'histoire de T?rk Yurdu), ibid., 6,

pp. 127-133.

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TURK YURDU 327

A quelques particularit?s biographiques pr?s58, ils avaient suivi l'un et l'autre la m?me carri?re ? ?tudes universitaires ? Paris, journalisme, deputation ? la Douma ?, ils s'?taient r?fugi?s en Turquie dans des circonstances ? peu pr?s analogues, et ils s'?taient retrouv?s, dans le cadre de T?rk Yurdu, en possession d'un m?me capital id?ologique. Le style d'Agaev ?tait peut-?tre plus prolixe que celui d'Ak?ura ; mais tous deux traitaient des m?mes mati?res, sous des formes identiques :

essais historiques consacr?s au pass? touranien, articles d'actualit?, ?crits divers59.

Un seul point distingue v?ritablement Agaev de son confr?re : son

assiduit? ? s'occuper des probl?mes religieux. Il arrivait, certes, ? Ak?ura d'aborder occasionnellement dans T?rk Yurdu la question des relations entre les turquistes et l'Islam60, mais jamais avec la m?me insistance

qu'Agaev. Ce dernier avait ?t? fortement marqu? par la pens?e de Jamal ad-d?n al-Afghani61, dont il avait fait la connaissance ? Paris ; d'autre part, en tant qu'Az?ri, il avait ressenti tr?s jeune une haine profonde envers les divisions en sectes62, v?ritable fl?au de l'Islam. De cette double source, il tirait une passion particuli?re ? pourfendre la r?action islamique, avec des arguments qui nous paraissent assez repr?sentatifs de la position de T?rk Yurdu ? l'?gard de la religion.

L'h?ritage d'Afgh?ni est bien s?r largement invoqu?, qu'il s'agisse, par exemple, de condamner les ? inventions ? et les ? falsifications ? du conservatisme musulman ou bien, au contraire, de plaider pour une occi

58. Originaire de Choucha, en Azerba?djan, Ahmed Agaev (1865-1939) avait fait ses ?tudes ? Bakou, Saint-P?tersbourg et Paris. Durant son s?jour ? Paris (1888 1894), il avait subi l'influence de Renan et celle de ses ma?tres ? l'?cole Pratique

des Hautes ?tudes et ? l'?cole des Langues orientales. Revenu dans le Caucase en 1894, il avait enseign? le fran?ais au lyc?e de Tiflis et collabor? au journal

Kafkas. Par la suite, il avait occup? pendant un certain temps le poste de r?dacteur en chef du journal Kaspij paraissant ? Bakou. En 1904, il avait ?t?, en compagnie d'Ali H?seyin-zade et Ali Merdan Top?ibasi, ? l'origine de la publication de Hayat, un des premiers journaux en langue az?rie. Apr?s 1905, il devait ?galement parti ciper ? Y 1rs ad et ?diter le Terakki. En 1906, il avait ?t? ?lu d?put? ? la Douma,

mais les actions entreprises dans le cadre de son mandat lui avaient valu diverses tracasseries polici?res qui l'avaient contraint, fin 1908, ? quitter le Caucase. R?fugi? en Turquie, il devait jouer un r?le important au sein du mouvement turquiste.

Apr?s la guerre de 1914-1918, il fut intern? ? Malte. Lib?r? en 1921, il se rallia avec

enthousiasme ? la cause k?maliste, ce qui ne l'emp?cha pas, en 1930, de figurer au nombre des fondateurs du Parti ind?pendant (Serbest firka), point de jonction de tous les m?contents du r?gime.

59. Citons notamment : ? T?rk medeniyeti tarihi ? (Histoire de la civilisation

turque), TY, IV, 16, 17, 19, 16 mayis -

30 mayis -

27 haziran/29 mai - 12 juin - 10 juil.

1913, pp. 530-540, 550-562, 622-634 ; ? T?rk alemi ? (Le monde turc), TY, I et II,

nombreux articles ; ? S?leyman Nazif Bey'e

? (A Monsieur S?leyman Nazif), TY, IV,

21, 25 temmuz 1329/7 ao?t 1913, pp. 702-714 ; ? Cevaba Cevab ? (R?ponse ? la

R?ponse), TY, IV, 24, 5 eyl?l 1329/18 sept. 1913, pp. 825-844 ; ? Osmanh inki

l?bmm sarka tesirati ? (Influence de la r?volution ottomane sur l'Orient), TY, IV,

20, 10 temmuz 1329/23 juil. 1913, pp. 659-667 ; ? Islamda dava-i milliyet? (La nation face ? l'Islam), TY, VI, 1330/1914, pp. 2320-2329, 2381-2390.

60. Cf., par exemple, ? 1329 senesinde t?rk duny?si ?, art. cit., pp. 2135 sq.

61. Sur cet illustre r?formateur du xixe si?cle, cf. Nikki R. Keddie, Sayyid

Jam?l ad-D?n ? al-Afghani ?, A political biography, Berkeley-Los Angeles, 1972.

62. On sait, en effet, que l'Azerba?djan a ?t?, ? partir du d?but du xvie si?cle, d?chir? en permanence par de s?v?res conflits entre sunnites et chiites. Cf. ? ce

propos, par exemple, A. Z. V. Togan, ? Azerbaycan ?, dans Islam Ansiklopedisi.

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328 PAUL DUMONT

dentalisation sans complexes, dans le cadre d'une religion r?nov?e et ramen?e ? son progressisme originel63. Toujours dans la foul?e d'Afghani, on trouve chez Agaev une r?probation ?vidente vis-?-vis des sectes, consid?r?es ? juste titre comme un facteur de d?sunion au sein de la

grande communaut? islamique (sur ce point, r?p?tons-le, il faut tenir

?galement compte de l'origine az?rie d'Agaev). Mais ? l'inverse d'Afghani, qui accordait une grande importance

? l'id?e panislamique, Agaev insistait, lui, sur l'id?e nationale, et, au-del?, sur le panturquisme. L'Islam, selon lui, avait suffisamment fait la preuve de son incapacit? ? unir. Seul un nationalisme import? d'Occident, tenant

compte de la langue, de la race, de la culture et de la religion, ?tait

susceptible de garantir la r?unification des ethnies fr?res64. Au demeurant, au prix de mille subtilit?s th?ologiques, Agaev s'employait ? d?montrer

que l'Islam n'?tait pas hostile ? l'id?e nationale, mais plut?t favorable65. Il envisageait du reste la possibilit? d'une collaboration entre les panis lamistes et les panturquistes, dans la perspective d'un m?me id?al r?formateur66.

Cette offre de collaboration ne doit pas nous fourvoyer. Il ne s'agissait, tr?s probablement, que d'une pr?caution oratoire destin?e ? calmer les

militants islamistes. En r?alit?, les ?crits d'Agaev t?moignent, ne serait-ce

qu'entre les lignes, d'une antipathie ind?niable face ? l'Islam tel qu'il ?tait pratiqu? ? son ?poque. Pour Agaev, en effet, l'Islam n'est que superstitions, l?gendes, f?tichisme; farouchement conservateur, il est l'obstacle essentiel sur la voie du progr?s ; enfin, reproche majeur :

il est rong? par le sectarisme (notamment dans l'Empire russe) et repr? sente, de ce fait, une des causes principales du fractionnement parmi les Turcs67.

La question qui se pose est de savoir si de telles prises de position constituaient, comme le pr?tendaient les ennemis de T?rk Yurdu, une

manifestation indiscutable d'ath?isme, ou bien au contraire, comme l'au rait voulu Agaev, la preuve d'une pens?e sinc?rement croyante. Pour notre part, nous penchons pour la seconde hypoth?se, du moins en ce qui concerne Agaev lui-m?me (nous n'excluons pas que d'autres militants de T?rk Yurdu aient pu ?tre parfaitement agnostiques). Mais il n'en reste

pas moins que l'attitude d'Agaev ? l'?gard de la religion ?tablie nous

appara?t empreinte d'une profonde m?fiance. A ses yeux, en effet, il ne

s'agissait pas seulement de ? r?former ? l'Islam, mais de l'?liminer d?fini tivement en tant que source d'organisation politique, ?conomique, et

m?me sociale. Cette religion, jadis pleinement efficace, n'?tait plus apte ? r?gir le s?culier ; en cette mati?re, elle devait c?der la place ? la ratio nalit? occidentale. Les ? pr?jug?s religieux ?, en particulier, devaient ?tre totalement proscrits lorsque les choix ?conomiques ou politiques se

63. Cf. ? T?rk alemi ?, art. cit., I, 3, 15 k?n?nievvel 1327/28 dec. 1911, pp. 70

74 ; cf. aussi, sous le m?me titre, TY, II, 14, 17 mayis 1328/30 mai 1912, pp. 424

428. 64. ? T?rk alemi ?, art. cit., I, 5, 12 k?n?nis?ni 1327/25 janv. 1912, pp. 135-139.

65. ? Islamda dava-i milliyet ?, art. cit.

66. ? T?rk alemi ?, art. cit., I, 5, p. 139.

67. Cf. notamment ? T?rk alemi ?, art. cit., II, 14 ; II, 18, 12 temmuz 1328/

25 juil. 1912, pp. 545-55*

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TURK YURDU 329

trouvaient concern?s. Dans la course ? la modernisation, le seul service effectif que l'Islam pouvait encore rendre, c'?tait de se cantonner stricte

ment au domaine spirituel .

Cette s?v?rit? envers l'Islam, derri?re un flot de paroles mielleuses,

n'appartenait ?videmment pas en propre ? Agaev. On la retrouve, avec

des nuances, chez d'autres collaborateurs de T?rk Yurdu. Il y a l?, ? vrai

dire, comme une cons?quence logique de l'esprit progressiste inh?rent au turquisme. On ne pouvait ? la fois pr?tendre ? moderniser ? et conserver ? la religion ses anciennes pr?rogatives. Pour r?soudre cette incompati bilit?, la formule la plus astucieuse ?tait de contraindre l'Islam ? quitter partiellement la vie publique, en lui assurant une ? retraite ? honorable : la surveillance des ?mes. Telle ?tait, en tout cas, la solution propos?e par T?rk Yurdu, ? travers les ?crits d'Agaev.

Il ne nous para?t pas utile de prolonger ici cette ?tude des th?ories

d?velopp?es ? longueur d'ann?e par tel ou tel collaborateur de T?rk Yurdu : nous retrouverions fatalement la plupart des th?mes abord?s

pr?c?demment ? propos de Gasprinski, Ak?ura ou Agaev. C'est qu'il faut bien se rendre ? l'?vidence : constitu? d'un seul bloc id?ologique, T?rk Yurdu ne reculait pas toujours devant le rab?chage.

D?laissons donc les ? classiques ? du turquisme, pour nous tourner vers des ?crits beaucoup plus modestes en apparence, mais pr?cieux pour l'historien. Nous voulons parler de ces ? nouvelles ? de quelques lignes, de ces ? correspondances ? venues de Bakou, de P?tersbourg ou d'ailleurs, ou bien encore de ces extraits de la presse de Kazan', Orenburg, Baghce saray, etc. et qui finissent par occuper plusieurs pages dans chaque num?ro de T?rk Yurdu. Pour nous, ces textes disparates repr?sentent une ? source ? de tout premier plan, dans la mesure o? ils nous permettent de ? voir ? les communaut?s musulmanes de Russie ? travers le regard pan turc.

La plupart de ces textes touchent, bien s?r, ? la vie intellectuelle de ces communaut?s. T?rk Yurdu rendait r?guli?rement compte de l'activit? d'intellectuels comme Gasprinski, Ayaz Ishaki, Rizaeddin Fahreddin,

Musa Carullah Bigi, Abdullah Tukay, etc.69 ; par ailleurs, tous les journaux

68. Ces id?es, d?j? pr?sentes dans les articles de T?rk Yurdu ant?rieurs ? 1914, seront d?velopp?es plus syst?matiquement dans U? Medeniyet (Les trois civilisa

tions), ouvrage r?dig? par A. Agaev pendant sa d?tention ? Malte, en 1919-1920.

69. a ? Originaire de la province de Kazan', Ayaz Ishaki (1878-1954) avait

particip? ? l'activit? des cercles r?volutionnaires alors qu'il ?tait encore ?tudiant. En 1905, il avait ?t? l'un des fondateurs du groupe Tancilar (cf. S. A. Zenkovsky, op. cit., p. 52). D?port? en Sib?rie, il en ?tait revenu en 1913. C'est ? cette occasion

que T?rk Yurdu lui avait consacr? une notice (IV, 15, 2 mayis 1329/15 mai 1913, p. 496). En mai 1917, il devait jouer un r?le important au Ier Congr?s des Musul

mans de Russie. Hostile au r?gime sovi?tique, il se r?fugia en 1919 au Japon, puis ? Berlin et Istanbul. (A. Bennigsen et Ch. Lemercier-Quelquejay, op. cit., p. 85, n. 4, donnent une bibliographie des n?crologies qui lui ont ?t? consacr?es.)

b ? Rizaeddin Fahreddin (1859-1936), kadi ? l'Assembl?e spirituelle d'Orenburg, ?tait un des animateurs du journal Sur a paraissant dans cette ville. Cf. ? son sujet TY, III, 4, 29 tesrinis?ni 1328/12 d?c. 1912, p. 128. Th?ologien r?formiste, il fut

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330 PAUL DUMONT

? turcs ? paraissant dans l'Empire russe ?taient r?pertori?s et signal?s ? l'attention des lecteurs de la revue70 ; de nombreuses notices, enfin, ?taient consacr?es ? la cr?ation d'associations culturelles, de biblioth?ques et d'?coles, ? Kazan' ou ailleurs71. D'autres informations concernaient l'activit? ?conomique des musulmans : par exemple, l'?tablissement d'un nouvel atelier de tissage ? Kazan'72, ou l'octroi d'une concession ? un Turc de Boukhara73. Ces nouvelles ?taient bien s?r accueillies avec

beaucoup de satisfaction par T?rk Yurdu. En dernier lieu, certaines ? correspondances ? avaient pour objet de simples faits divers : un bal

? Bakou74, une f?te religieuse ? P?tersbourg75, un incendie ? Kazan'76, etc. Ce qui ?merge de prime abord, ? la lecture de ces textes, c'est, une fois

de plus, le progressisme de T?rk Yurdu : mise en vedette des intellectuels les plus novateurs de l'?poque (Gasprinski, Bigi, Tukay, etc.), r?ceptivit? aux facteurs de modernisation et de progr?s, vigilance ? l'?gard des

questions ?conomiques. Certes, il faut entendre ce progressisme dans un sens assez restreint, nettement circonscrit ? la classe bourgeoise.

nomm? en 1922 mufti de la Russie int?rieure et de la Sib?rie et conserva ce poste

jusqu'? sa mort. c ? Musa Carullah Bigi (1875-1949) ?tait, lui aussi, un th?ologien r?formiste.

A. Battal-Taymas, qui l'a bien connu, fait de lui un ? original ?, tr?s hardi dans

ses conceptions religieuses (cf. A. Battal-Taymas, Musa Carullah Bigi, Istanbul,

1958). ?crivain f?cond, il a laiss? de nombreux ouvrages qui refl?tent parfaitement les id?es de la tendance progressiste parmi les musulmans de Russie. T?rk Yurdu accordait une grande importance ? ses ?crits : cf., par exemple, Ziya,

? Halk naza

rmda birinci m?sele? (La question essentielle aux yeux du peuple), TY, III, 8,

24 k?n?nis?ni 1328/6 f?vr. 1913, pp. 252-256, compte rendu d'un ouvrage de Bigi portant ce titre ; voir aussi ? Musa Efendi Bigiev'in yeni matbaasi ?

(La nouvelle

imprimerie de Musa Efendi Bigiev), TY, V, 1329/1913, p. 912, o? il est fait ?tat d'une traduction du Coran qui aurait ?t? entreprise par Bigi (cette traduction n'a

jamais ?t? publi?e ; T?rk Yurdu, cependant, annon?ait r?guli?rement l'imminence

de sa mise sous presse : cf. notamment Y. Ak?ura, ? 1329 senesinde t?rk d?nyasi

?

art. cit., pp. 2135 sq.). d ? Le ? Pouchkine tatar ?, Abdullah Tukay (1886-1913), avait ?t? influenc?

par le socialisme. A Kazan', o? il s'?tait install? en 1907, apr?s une adolescence

pass?e ? Ural'sk, les gens pieux, ?pouvant?s, le consid?raient comme un ath?e

d?vergond?. Mais tous reconnaissaient, n?anmoins, son grand talent de po?te. A sa mort, en 1913, T?rk Yurdu devait lui consacrer un num?ro sp?cial (IV, 16,

16 mayis 1329/29 mai 1913), comportant notamment une int?ressante ?tude de

F. K?pr?l?. 70. Le contenu de ces journaux ?tait examin? ? la lumi?re du turquisme.

C'est ainsi que T?rk Yurdu reprochait l?g?rement au Bukkara-i ?erif (La noble

Bukhara) de para?tre en persan plut?t qu'en turc (? Buhara-i, ?erif ?, TY, I, 12,

19 nisan 1328/2 mai 1912, pp. 375-376). 71. Cf. par exemple

? T?rk kizlarmda maarif hevesi ? (Le d?sir d'instruction

chez les jeunes filles turques), TY, V, 1330/1914, p. 1038 ; ? Dagistanda bir t?rk

mektebi ? (Une ?cole turque au Daghestan), ibid., p. 1076 ; ?

?imal t?rklerinde

terakki eserleri ? (Les signes du progr?s chez les Turcs du Nord), ibid., p. 1136.

72. ? ?imal t?rklerinde iktisadi tesebb?sler ? (Les initiatives ?conomiques des Turcs du Nord), TY, III, 10, 21 subat 1328/6 mars 1913, p. 318.

73. ? Buharada elektrik imtiyazi ?

(La concession de l'entreprise d'?lectricit? ? Bukhara), TY, II, 20, 9 agustos 1328/22 ao?t 1912, p. 632.

74. ? Baku'dan ? (Lettre de Bakou), TY, VI, 1330/1914, pp. 2198-2202.

75. ? Petersburgda kurban bayrammm ilk g?n?

? (Le premier jour de la f?te

des sacrifices ? Saint-P?tersbourg), TY, I, 5, 12 k?n?nis?ni 1327/25 janv. 1912,

pp. 143-147.

76. ? Kazan'da b?y?k bir yangm ? (Un grand incendie ? Kazan'), TY, VI,

1330/1914, p. 2208.

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TURK YURDU 331

Les th?ses socialistes n'y ont aucune part (malgr? la pr?sence d'un Parvus

parmi les collaborateurs de T?rk Yurdu) ; bien au contraire : le socialisme est une doctrine honnie77.

D'autre part, ces textes soulignent ?videmment la pr?gnance eminente du panturquisme au sein de T?rk Yurdu. Le th?me de la solidarit? pan turque est, en effet, un de ceux qui reviennent le plus souvent sur le tapis :

qu'il s'agisse, par exemple, des collectes organis?es en Russie, ? l'?poque des guerres balkaniques, en faveur du ? croissant rouge ? ottoman78 ; ou

simplement de la d?cision de quelques ?tudiants en m?decine de P?ters

bourg de se rendre sur le front afin de soigner les bless?s de l'arm?e turque79. Mais T?rk Yurdu sur?valuait consid?rablement l'importance de telles infor mations. Celles-ci constituaient, aux yeux de la revue, la preuve ?vidente de la sympathie ?prouv?e par les Turcs de Russie ? l'?gard de l'Empire ottoman, alors qu'en r?alit? ces manifestations isol?es de fraternit? ne recouvraient aucun ?lan profond. On sait, au contraire, que les populations

musulmanes de Russie se sentaient, dans leur grande majorit?, plus soli daires de l'Empire russe que de la Turquie. Sur ce point, contentons-nous de rappeler que ces populations, ? l'annonce de la guerre, en ao?t 1914, s'?taient aussit?t rang?es sous la banni?re du tsar, n'h?sitant pas ?

prendre position contre le sultan-calife et sa ? clique ?80.

Notre enqu?te, cependant, s'arr?te ? la veille de la guerre : ? cette

?poque, les animateurs de T?rk Yurdu pouvaient encore se bercer d'illu sions. Il faudra que la d?faite soit l?, bien pr?sente, pour qu'ils consentent ? sentir l'extravagance de leurs th?ories. Dans son ouvrage sur Les bases du turquisme publi? en 1923, Ziya G?kalp, sans renier l'id?al touranien, le repoussera dans l'irr?alisable. Yusuf Ak?ura, de son c?t?, n'h?sitera pas ? proclamer, ? l'occasion de tel ou tel article post?rieur ? 192081, le carac t?re utopique des th?ses d?fendues par T?rk Yurdu. Agaev, enfin, dans une s?rie de textes r?dig?s au lendemain de la guerre82, condamnera cat?

goriquement le panturquisme, au nom d'un nationalisme d?j? k?maliste. Bien entendu, ces

autocritiques n'avaient aucune raison de d?savouer les

aspects positifs du mouvement T?rk Yurdu : l'apport d'id?es novatrices dans le domaine de l'enseignement, de la religion, de la litt?rature, etc. ; et par ailleurs, l'?laboration d'une doctrine nationaliste qui devait, dans un proche avenir, aider la bourgeoisie turque ? surmonter les obstacles

politiques et ?conomiques cons?cutifs au naufrage de l'Empire ottoman.

Meudon, 1973.

77- Cf. par exemple Z. G?kalp, ? T?rklesmek, Islamlasmak, Muasirlasmak ?,

chap. VIII, TY, VI, p. 2180.

78. ? Rusya'da Hilal-i ahmer ve Matbuat ?

(Le Croissant Rouge en Russie et la presse), TY, III, 3, 16 tesrinis?ni 1328/29 nov. 1912, pp. 94-95.

79. ? Imparatorluk haricindeki t?rklerin osmanhhga yardimi

? (L'aide des Turcs

de l'ext?rieur), TY, III, 5, 13 k?n?nievvel 1328/26 d?c. 1912, p. 159 ; ? T?rk Oca

gmda ziyafet? (Un banquet au foyer turc), TY, III, 6, 27 k?n?nievvel 1328/9 janv. 1913, p. 191.

80. Cf. A. Arsharuni et Kh. Gabidullin, op. cit., pp. 49 sq. ; S. A. Zenkovsky, op. cit., pp. 123 sq.

81. Cf. notamment T?rk Yih, 1928, p. 406. 82. U? Medeniyet, 2e ?d., Istanbul, 1972.

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