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Damian Chirita Université Lyon 2 Institut d’Etudes Politiques de Lyon La Roumanie : histoire, identité et politique étrangère mémoire de fin d'études Séminaire « De la Baltique à la Mer Noire » Date de la soutenance : Lundi 11 juin 2007 M. Pascal Marchand, Professeur Université Lyon 2 M. Bruno Benoit, Professeur Histoire IEP Lyon

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Damian ChiritaUniversité Lyon 2

Institut d’Etudes Politiques de Lyon

La Roumanie : histoire, identité et politiqueétrangère

mémoire de fin d'étudesSéminaire « De la Baltique à la Mer Noire »

Date de la soutenance : Lundi 11 juin 2007M. Pascal Marchand, Professeur Université Lyon 2

M. Bruno Benoit, Professeur Histoire IEP Lyon

Table des matièresRemerciements . . 5Introduction . . 6I. Histoire et identité . . 9

1. L’identité – entre construction volontariste et évolution . . 9a. Les origines . . 9b. La langue . . 14c. Le territoire . . 16d. La continuité . . 17e. L’unité . . 19

2. Le positionnement géo mental – la Roumanie, un pays inexistant . . 213. Gouvernants et gouvernés – une évolution difficile des rapports au pouvoir . . 244. La relation avec les autres – l’impossible dessein de la construction d’un brand . . 28

II. Effets dans le réel – la politique étrangère . . 321. L’intégration européenne . . 34

a. Renforcement de l’intégration ou poursuite de l’élargissement : les intérêtsroumains . . 35b. Une intégration tournée vers l’extérieur . . 37c. Intégration et image . . 38

2. Roumanie / OTAN et l’axe Bucureşti/Lssondres/Washington . . 38a. Une adhésion longuement attendue . . 39b. Une expansion génératrice de tensions . . 40c. Sécurité et défense roumaine : l’identité euro atlantique . . 41

3. Le grand voisin que l’on ne peut ignorer . . 43a. Le cout de l’autonomie – le pari de l’OTAN/USA/UE . . 44b. La perspective d’un renforcement de la position russe . . 45

4. L’aire géostratégique de la Mer Noire – une valeur montante . . 46a. Le transit énergétique . . 48b. La coopération régionale . . 51

5. La République de la Moldavie – je t’aime, moi non plus . . 57a. Des facilités administratives en Roumanie pour les citoyens moldaves . . 58b. Des intentions génératrices de tensions . . 58c. L’UE – impliquée de facto . . 60d. Intérêts et hypothèses . . 61

6. Les Balkans d’Ouest – facteur de stabilité ou leader ? . . 62Conclusions et perspectives . . 65Bibliographie . . 68

Ouvrages . . 68Articles . . 68

Articles de revue . . 68Articles de presse quotidienne . . 69

Rapports et documents de travail . . 69

Discours et interviews . . 70Sources Internet . . 71

Annexes . . 74Annexe 1 . . 74Annexe 2 . . 74Annexe 3 . . 75Annexe 4 . . 76Annexe 5 . . 77Annexe 6 . . 78

Remerciements

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RemerciementsA l’IEP

Pour m’avoir donné la chance de suivre ce cursus

A M. Pascal Marchand, Professeur à l’Université Lyon 2

Pour son encadrement à la réalisation de ce mémoire ainsi que pour son sens critique

A M. Sorin Antohi, ex directeur du Center for Historical Studies, Central European University,Budapest

Pour sa disponibilité, son aide ainsi que son ouverture aux idées nouvelles

A Mme. Dorina N#stase, directrice du Romanian Centre for Studies on Globalisation

Pour ses articles ainsi que pour ses intéressantes sources bibliographiques

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Introduction

Le 1er janvier 2007 la Roumanie a finalement rejoint l’Union Européenne. 18 ans après la« chute du communisme » elle a matérialisé le « mythe du retour en Europe », est membrede l’OTAN et se dirige sans optimisme mais d’une manière certaine vers une véritableéconomie de marché. A ce moment tant attendu (et finalement presque un peu décevant)j’ai lu un entretien de Pierre Verluise avec Catherine Durandin1. Une remarque a attiré monattention. En parlant de l’intégration de Roumanie à l’OTAN (2002) Catherine Durandin décritla politique roumaine : « La direction politique actuelle de la Roumanie semble extrêmementhabile. Elle a une capacité à saisir le positif : “Nous gagnons l’OTAN. Nous gagnons la paixavec la Russie. Nous obtenons une coopération renouvelée avec la Russie.’’ ».

Peut être sans l’intention de Mme Durandin, ce passage met en évidence le « paradoxeroumain » et sa relation avec la position de la Roumanie dans sa démarche internationaleet face aux enjeux existants.

Une illustration de cette démarche est fournie par l’attitude de la Roumanie parrapport à l’UE (qu’elle vient d’intégrer) et à l’OTAN, décrite dans la stratégie de sécuriténationale2. Du début à la fin il est impossible de séparer dans le texte l’OTAN et l’UE et uneattention particulière est accordée pour alterner l’ordre des termes. OTAN/UE, UE/OTANse succèdent sans faute. Le texte parle sans cesse d’un espace euro atlantique rempli devaleurs, intérêts et objectifs communs. Dans ce contexte la stratégie roumaine est supposéeconvergente avec les concepts stratégiques de l’Alliance et avec la stratégie de sécurité del’UE. Cette dernière est déjà loin d’être unitaire, sans parler de sa cohérence avec celle del’OTAN. Le discours roumain dans ce domaine ressemble à une Nadia Comaneci essayantde faire le grand écart entre trois chaises.

Autre exemple – les Balkans. Le même document reprend une idée plus anciennedans les intentions de la politique étrangère : la Roumanie en tant que facteur de stabilitédans le Balkans. Toutefois les dirigeants roumains ont été des alliés fidèles de l’OTANdans son action de bombardement de la Serbie à partir de mars 1999 ce qui a unpeu « refroidi » des relations plutôt positives avec certains membres des Balkans. Il estvrai que dernièrement les soupçons qui pèsent sur des gendarmes roumains des forcesinternationales qui auraient tué des manifestants indépendantistes albanais a Kosovo ainsique l`opposition de la diplomatie roumaine a l`indépendance du Kosovo sont tout autantd`éléments qui peuvent rapprocher la Roumanie et la Serbie. D’autre part, exceptée laDobrogea, géographiquement la Roumanie ne fait pas tellement partie des Balkans. Et son« regional leadership »?

Autre exemple. Depuis la chute du communisme la Roumanie travaille pour accéderà une position d’une quelconque importance dans le cadre de la collaboration autour dela Mer Noire. La région, par l’importance géostratégique, politique, militaire et économiquedes acteurs, représente un point clé, notamment par le nombre des conflits voisins, par

1 Verluise Pierre, Durandin Catherine, « Géopolitique de l’Europe centrale et orientale. La Roumanie de 1989 à 2003 », sourcewww.diploweb.com , Août 2002, consultée le 06 Janvier 2007

2 Présidence de la Roumanie, « Strategia de securitate natională a României », SSNR, source : http://www.presidency.ro/static/ordine/SSNR/SSNR.pdf , avril 2006, consultée le 15 Mars 2007

Introduction

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le contact entre des intérêts divergents et en tant que « route » éventuelle pour le pétroleet le gaz de la Caspienne. La politique roumaine présente une continuité de forte belleallure dans ses efforts pour se positionner en tant que acteur incontournable et médiateurdu processus d’intégration et coopération régionale. Hélas, les USA, dans le cadre de leurstratégie concernant le programme « Black Sea Harmony », ont récemment annoncé quede leur point de vue l’acteur important dans la région est la Turquie. Et « l’axe stratégiqueBucarest – Londres – Washington » du discours politique roumain ?

La liste est loin d’atteindre sa fin. Pourtant cette énumération ne vise pas à mettreen lumière des échecs de la politique roumaine. Comme Mme. Durandin l’a signalé, laRoumanie peut se reconnaître un parcours satisfaisant couronné en 2007 avec l’intégrationeuropéenne. Alors ou est le problème ? Y a-t-il un problème ?

Essayer d’approfondir cette question est le but de ce travail ainsi que le désir decontribuer à combler un vide : la Roumanie existe peu dans la littérature concernant lapolitique internationale. Pourtant par sa taille et son développement économique actuel ainsique par sa toute récente intégration européenne elle n’est pas quantité négligeable dans lepaysage européen et son potentiel est prometteur. Allié fidèle des USA, avec des troupes enIrak et des futures bases militaires américaines sur son territoire, elle essaye de consolidersa puissance militaire, dans un paysage européen ou, rappelons le, seulement la France(et encore…) a une autonomie d’action dans ce domaine.

Il y a deux types de comportement parmi les nouveaux entrants dans l’UE. D’une partceux qui préfèrent se concentrer sur leur situation domestique et leur bien être économique,d’autre part ceux avec plus d’ambitions, qui veulent plus que le bien être, qui désirent lepouvoir politique et la reconnaissance internationale. La différence entre les deux attitudesest du même genre que celle décrite par Brezinski entre l’Allemagne et la France, entrela rédemption et la réincarnation. La Pologne et la Roumanie par exemple semblentavoir des buts similaires dans le sens de l’interprétation de Brezinski, sauf qu’elles nerêvent pas de retrouver leur gloire et position privilégiée mais de la construire. Il y a desnombreuses différences entre les deux pays. La Pologne est catholique, la Roumanieorthodoxe. Le communisme polonais n’a rien à voir avec celui roumain. Le développementpost communiste n’a pas du tout été le même. Leur taille, leur position, leur histoire et culture– que des différences. Ce mémoire n’a pas pour intention une étude comparative entre lesdeux pays. Ce bref coup d’œil permet juste de saisir deux différences essentielles – leurvisibilité (image) et leur attitude.

Non seulement on parle peu de la Roumanie à l’étranger, mais quand on en parle c’estpour évoquer les enfants dans la rue, les orphelinats, les mendiants, les prostituées, lacorruption et l’exorcisme d’une nonne en Moldavie. Ce n’est pas le rôle de ce travail decorriger cette image. Mais il est essentiel de comprendre ce problème de représentation àl’extérieur que présente le cas roumain pour mieux appréhender sa politique.

Quand on choisit de travailler sur la politique d’un pays il faut être conscient d’unechose : les sources d’information vont être partielles, déclaratives, feutrées et biaisées.Nous n’avons pas accès pour des raisons de confidentialité et de sécurité à une informationde première main. Dans un domaine déjà complexe, largement pluridisciplinaire puisqueimpliquant des domaines comme la science politique, la sociologie, l’économie, le droit etc.,les sources sont relatives, mouvantes et incomplètes. Pour y remédier – plusieurs moyens :croiser les sources, situer les informations dans le contexte, avoir des interlocuteurs leplus haut placés dans le mécanisme de décision. Dans le cas de la Roumanie les sourcessont rares, polarisées sur l’intégration européenne et souvent plutôt journalistiques oudéclaratives. La politique étrangère de la Roumanie n’a pas intéressé grand monde jusqu’à

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maintenant. Les données à croiser sont en conséquence assez rares et pas forcementà jour. Quant aux interlocuteurs haut placés – en quatrième année d’études la margede manœuvre est étroite. J’avais réussi par l’amabilité du Directeur de l’Institut d’EtudesPolitiques de Bucarest, Mr. Cristian Preda à obtenir la promesse d’un entretien avec leministre des affaires étrangères mais la mouvementée vie politique roumaine a provoquésa démission dans le cadre d’une crise politique sans précédent qui concentre l’attentiondes annalistes et hommes politiques. En clair, ce n’est pas le moment de discuter sur lapolitique étrangère roumaine.

Comprendre le contexte historique, politique, social de la Roumanie devient ainsiinévitable pour appréhender tant soit peu objectivement sa politique internationale actuelle.Pourrait-on parler seulement de politique étrangère alors que le président vient d’êtresuspendu pendant un mois, le gouvernement recomposé deux fois et une lutte acerbepour le pouvoir se déroule avec des conséquences comme la vacance des postes clédans la diplomatie (par exemple celui diplomatique de Londres) ? Pourrait-on parler desrelations avec la Russie sans savoir leur histoire et aussi la position roumaine vis-à-vis del’influence slave dans sa genèse et son identité ? Ainsi j’ai commencé ce travail par une miseen perspective : d’où viennent les roumains, quelle est leur histoire, leur identité et leursrepères ? Reprendre ces domaines en entier aurait été impossible. J’ai préféré surprendreles aspects sensibles comme les origines, la continuité, l’unité, les influences étrangères, lesreprésentations et l’exercice du pouvoir. Seulement après j’ai abordé les grands chantiersde la politique étrangère roumaine – la réussite de l’intégration européenne, la relation avecles USA/OTAN, avec la Russie, les intérêts dans le bassin de la Mer Noire et les Balkansd’Ouest ainsi que le lien tortueux avec la Moldavie.

I. Histoire et identité

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I. Histoire et identité

1. L’identité – entre construction volontariste etévolution

Dans leur approche du politique3 B. Denni et P. Lecomte font le lien entre la constructionpolitique, l’Etat et l’identité collective (à travers la culture) mais ils oublient, sans doute dansune perspective historique ou cet aspect est déjà largement accepté, de préciser que cettecorrélation s’effectue dans le cadre de la construction et fonctionnement de l’Etat-nation.Ce n’est pas sans importance tant le décalage est grand entre l’idée et la construction del’état nation entre la Roumanie et la France. Dans le cas roumain le modèle de constructionnationale fut celui français mais outre le décalage inhérent entre original et modèle il y aeu ajout des effets des aléas historiques qui ont empêché une évolution linéaire. L. Boiafait la différence entre identité ethnique et nationale et souligne l’intime interdépendanceentre construction de l’état nation et identité nationale : « En fait, ce que l’on appelle […]conscience nationale […] c’est l’idée d’Etat national, de l'Etat nation, c’est la volonté d’unecommunauté […] de former un organisme politique »4.

Avant l’affirmation de l’idée d’état nation, les roumains, qui ne savaient pas encore qu’ilsétaient roumains, vivaient tranquillement (du point de vue identitaire) au milieu des slaveset des hongrois, dans un mosaïque d’ethnies : allemands, turques, grecques, tatares, juifs,bulgares etc. Les valeurs généralement partagées étaient celles de l’orthodoxie et ils sesentaient chez eux dans l’espace est-européen. L’émergence de l’idée de l’état nation étaitbasée sur le pouvoir associé et a généré une nouvelle forme de concurrence géopolitique.Dans ce contexte, les origines différentes des roumains et implicitement leur identité lesont différenciés au sein de cette masse ce qui était un avantage pour la sauvegarde deleurs traits spécifiques mais également un inconvénient dans la pratique. Eux-mêmes ontdécouvert ces différences et ont choisi de les cultiver, parfois jusqu’à l’extrême.

a. Les originesLes origines constituent la base des mythes fondateurs de toute communauté. Ils ne sontpas des faits objectifs et leur construction tient plutôt du choix, non pas un choix scientifiquemais idéologique et servant les projets de la communauté. Il y a ainsi une construction desmythes fondateurs qui suit les besoins de la société qui les produit.

a.1. Les Daces – des aïeux difficiles à situer3 Denni Bernard, Lecomte Patrick, « La sociologie du politique », Cluj : Eikon, 2003, vol. 1, collection Universitas, série Sociologie,277 p.4 Boia Lucian, « Istorie şi mit in conştiinta romaneasca », Bucuresti : Humanitas, 2006, p. 62-4 et 63-1

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Sur le territoire de la Roumanie d’aujourd’hui vivaient il y a plus de deux millénaires lesdaces, de la grande famille des thraces, dont on conserve peu de données historiquesou archéologiques. C’était une civilisation agricole, ils connaissaient l’or et l’argent etpratiquaient le commerce. Parler d’une civilisation est aléatoire, il y a des sources quiaffirment une union sous Burebista et Decebal mais c’est un point de vue de l’époqueextérieur – les historiens romains qui n’étaient pas forcement au courant des éventuellesdivisions linguistiques et politiques puisque de toute manière les Daces étaient des« barbares ».

Les Daces vont être conquis en partie par Trajan, le dernier grand empereur romainet leur description par ce dernier souligne leur courage : « … la plus guerrière des nationsqui n’a jamais existé … ». Cette affirmation n’a pas de valeur absolue, le courage du vaincurehaussant le mérite de vainqueur. Toutefois il y d’autres traces historiques témoignant uneforte présence des daces parmi les gladiateurs à Rome, avant même la conquête romaine.

a.2. Les romains – une brève mais ô combien importante présenceLes romains vont occuper partiellement le territoire de la Roumanie actuelle pendant unsiècle et demi (165 ans précisément)5. Ensuite ils vont se retirer (milieu du IIIe siècle) au suddu Danube sous la pression des peuples migrants (Goths). L’histoire de la région va entrerdans une période avec peu de traces historiques qui porte le nom de « sombre millénaire ».Des peuples étrangers comme les Goths, les Huns, les Slaves, etc. vont se succéder etse fixer dans cette aire géographique. Il y a peu de traces historiques sur la cohabitationpendant cette période. Ce n’est qu’à partir du XIIIe et XIVe siècle que les trois principautésà l’origine de l’Etat roumain actuel sont visibles historiquement.

a.3. Les trois Petits PoucetsCes trois entités étatiques vont frayer leur chemin entre les influences des puissancesvoisines – Turquie, Pologne, Russie, Empire Austro Hongrois etc. et vont finalement accédervers le milieu du XIXe siècle à l’union politique dans le cadre de l’émergence de l’Etatnational. Ce bref passage en revue du cursus roumain, volontairement sans relief, a pourbut de rappeler qu’au moment de leur « réveil » au contact de l’Occident (début XIXe) lesroumains, qu’ils soient valaques, moldaves et dans une moindre mesure transylvains, ontconstaté humblement leur manque d’intérêt, de gloire et de culture vis-à-vis de l’Occident6.Cependant l’époque ne permettait pas de rester longuement dans un état d’honnête lucidité.Dans le contexte de concurrence nationale, ne pas pouvoir affirmer son identité équivalaità la mort. Les élites des trois pays se sont accrochées à l’origine latine, un courant quiapparaissait déjà au XVIIe chez les chroniqueurs Grigore Ureche et Miron Costin. Il estintéressant d’observer que les deux avaient fait des études en Pologne, en latin et que c’estainsi qu’ils ont pu remarquer ce que les occidentaux avaient déjà noté bien auparavant7.

a.4. Premiers instrumentalisations du passé5 Voir Annexe 1 - Carte occupation romaine en Dacia6 Pour Titu Maiorescu la culture roumaine est réduite à une « barbarie orientale ». Ionita Tautu écrivait (1828) que les roumains étaientun peuple « sans arts, sans industrie, sans lumières ». Un texte (1828) attribué au boyard Iordache Rosetti-Roznovanu affirme quele passé roumain « ne présente dans son ensemble rien d’intéressant … »7 Pour deux raisons : les occidentaux étudiaient en latin et donc pouvaient faire le rapprochement avec le roumain et avaient accèsaux textes historiques sur la conquête de la Dacie par les romans

I. Histoire et identité

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Ce tournant vers la latinité apparaît comme le plus logique vu la situation du moment. Cesorigines latines offraient bien de compensations – union culturelle et civilisationnelle avecl’Occident, prestige, noblesse. Cette découverte a été accompagnée par le glissement desrepères culturels et historiques. Les roumains tournent le dos à l’influence slave mais laRussie elle-même suit le même chemin puisqu’elle émet la prétention d’être « la troisièmeRome ». Cette tendance n’est pas spécifique aux pays de l’Est, « pour l’Europe médiévaleet moderne, Rome a représenté le principal repère mythologique »8.

Le nom – roumains (rumân, român) et la latinité de la langue ont joué un rôle importantdans l’assimilation des roumains dans la filiation locale des Romains. Toutefois les habitantsde la Moldavie s’appelaient moldaves (« moldoveni » en roumain) et cette appellationperdure encore aujourd’hui (d’autant plus qu’ils sont facilement identifiables par leur accent).

Il serait intéressant de savoir avec quel degré de lucidité les élites roumaines del’époque ont fait leurs choix mythologiques. Il est impossible de le savoir aujourd’hui maison pourrait approfondir la même question chez les élites roumaines d’aujourd’hui, tant lemoment est ressemblant par rapport à la quête identitaire.

a.5. Latinité et « tout Occident »Entre 1820 et 1866 les élites roumaines, d’une manière radicale et rapide, ont opté pour lesvaleurs occidentales de la civilisation. Il y a eu une rénovation (presque une réinvention) dela langue : une latinisation massive sous l’influence du français. Tout en glorifiant certainsépisodes les Roumains se sont détachés de leur histoire. Mais jusqu’à la deuxième guerremondiale en Roumanie la couche moyenne (bourgeoisie) de la population était mince. Cettemodernisation accélérée par le haut a rencontré la résistance des structures traditionnelles.Au phénomène initial d’imitation a succédé la critique - les « formes sans fond »9 de TituMaiorescu. Ce n’est pas l’imitation qui éveille l’ire de Maiorescu, mais le fait qu’elle reste à lasurface. L’Etat roumain avait rapidement adopté « presque tout […] du système institutionnelet législatif européen : constitution, parlement, gouvernement, lois, université, académie… »10. Ensuite le principal problème a été la mise en accord entre cette volonté modernisteet les réalités du pays. L’expérience communiste nous a privé du dénouement naturel decette évolution.

Une fois la latinité découverte, de nos jours il est difficile de lire un ouvrage ou unarticle qui décrit la Roumanie sans trouver une référence à l’image « une île de latinitédans une mer slave ». On peut aller dans n’importe quel village en Moldavie ou en PaysRoumain et demander à n’importe quel paysan qui a eu comme études seulement l’écoleprimaire quelles sont les origines des roumains. La réponse, invariable, est : « les daces etles romains ». La langue, élément définitoire (mais non pas unique) d’un peuple est latine11

– ce qu’aucun linguiste conteste.Le problème ce n’est pas dans la découverte et l’instrumentalisation de cette latinité (ou

des origines daces). Ce phénomène était normal au XIXe siècle. Le décalage est temporel– cette démarche serait-elle encore pertinente aujourd’hui ?

8 Boia Lucian, « La Roumanie, un pays à la frontiére de l’Europe», Paris : Les Belles Lettres, coll. Histoire, p. 419 Maiorescu Titu, « In contra directiei des astazi in cultura romana », dans Critice, vol. I, Bucureşti, Sedcom Libris, 2002, pp. 145-15610 Boia Lucian, « Istorie si mit in constiinta romaneasca », Bucuresti, Humanitas, 2006, p. 65-2

11 A nuancer, non pas sur le caractère latin mais sur l’importance des autres influences (slave, turque)

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Au départ la construction identitaire a suivi la logique habituelle et simplificatrice desmythes fondateurs. Dans une première interprétation qui dura jusqu’au XIXe siècle étaitretenue la victoire totale des romains et la disparition complète de la composante dace– les roumains étaient cent pour cent romains. Cette construction répondait aussi à descomplexes et frustrations : petits, insignifiants, soumis par les états plus puissants, dominéspar une aristocratie étrangère (magyare en Transylvanie)12. Les hypothèses pour justifierla pure origine romaine (pour les roumains) et par la même occasion attirer l’attention surles origines « hybrides » des hongrois ont souvent pris des tours assez fantaisistes maiscette école à travers le courant « latiniste » a gardé une position importante jusqu’à la findu XIX siècle. Le latinisme a été renforce par l’affirmation de l’identité nationale au XIXe.Il faut rappeler qu’avant les Roumains n’avaient pas ressenti le besoin de faire l’effort dese différencier des Slaves – ils avaient tous la même religion et culture, peu importaient lesorigines. La découverte des origines latines a donné également l’impulsion d’un désir derejoindre la civilisation occidentale, plus proche des valeurs de ces origines romaines.

a.6. Les Daces reviennentVers le milieu du XIXe siècle, dans le contexte de l’union des Principautés et de maturationpolitique et intellectuelle les Daces ont « ressuscité » dans l’histoire roumaine. La quêtedes origines a abandonné le latinisme dans sa forme extrême pour intégrer des racinesdaco-romaines. La récupération des Daces (accompagnée de leur idéalisation13) s’inscritdans la construction générale des mythes fondateurs modernes qui intègre une continuitéautochtone (qui complète une recherche d’origines nobles). En conséquence les roumainsen tant que peuple vont intégrer non seulement des qualités (supposés) supplémentairesmais aussi un surplus de légalité, les Daces étant les plus anciens habitants sur le territoire14.

Sans rentrer dans les détails du débat sur la proportion d’influence romaine et dacedans la constitution du peuple roumain, nous allons juste souligner que progressivement àmesure que l’identité nationale se renforçait les daces ont pris de plus en plus d’importancedans l’image symbolique de la genèse roumaine pour finir sur une conception des roumainsen tant que daces romanisés (il y eut au début du XXe siècle des auteurs soutenantune origine dace pure15). Malgré ces évolutions toutes les interprétations des élémentshistoriques visaient le même but : compenser dans l’imaginaire la marginalité sur la scèneeuropéenne de l’histoire roumaine. Ce mélange daco-romain offrait une explication degenèse qui assurait une capacité d’adaptation et d’équilibre dans les hésitations sur ladirection à prendre : nationalisme ou européanisme ? L’extrême droite pendant l’entredeux guerres tout comme le communisme dans les années 1970 et 1980 se sont appuyéset ont amplifié les origines daces pour mobiliser l’imaginaire collectif autour d’une visionnationaliste. Un courant d’opinion encore existant reprend cette tendance et même endehors des éléments nationalistes on en retrouve les traces dans l’imaginaire collectif.

12 Direction renforcée par le courant de « L’Ecole transylvaine » - mouvement culturel et nationaliste né dans le contextehistorique de l’annexion de la Transylvanie par l’Empire des Habsbourg qui visait à obtenir dans ce cadre un statut pour les roumainssimilaire à celui des hongrois et allemands13 Voir l’appréciation (en fait hors contexte) d’Hérodote sur les Gètes : « Les plus vaillants des Thraces et les plus justes »14 L’ouvrage « Istoria romanilor din Dacia traiana » (1888-1893) par A.D. Xenopol avait comme point de départ l’année 513 av. J.-C. (la première mention des Gètes dans les Histoires d’Hérodote)

15 Voir Nicolae Densusianu qui dans son ouvrage « Dacia preistorica » (1913) va jusqu’à affirmer l’appartenance du latin à lalangue des daces, dont les linguistes n’ont que peu d’éléments

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Le débat et l’influence sur l’imaginaire collectif de l’héritage daco-romain cachent desaspects potentiellement importants dans la construction roumaine actuelle.

Premièrement sont éludées les autres sources démographiques, culturelles et decivilisation qui pourtant ont eu un rôle majeur dans la genèse du peuple roumain et occupentégalement un espace dans le temps historique qui couvre plus d’un millénaire. Même l’unitédes daces ne constitue pas une notion clairement définie16.Dans le contexte d’intégrationcroissante au niveau du continent et de « construction » d’une identité européenne il seraitplus utile de diversifier les sources d’influence dans le sens d’une plus grande adaptabilité.Se cramponner à des mécanismes et repères du XIXe siècle non seulement revient à s’isolermais également à risquer de se « diluer » par manque de mythes et symboles adéquats.

Deuxièmement, ce débat sur les origines lointaines (ainsi que sur les autres mythesadditionnels) occulte le débat sur une éventuelle nécessité d’adaptation des mécanismesde construction de l’imaginaire collectif. Pourquoi adaptation ? L. Boia répond à sa manière :« …dans un sens plus général, il s’affirme aujourd’hui dans le monde un processus derelativisation des valeurs et de diversification culturelle »17.

La difficile élaboration d’un « brand » roumain qui a abouti au surprenant (et trèsartificiel) « fabulospirit » roumain est un bon exemple du décalage entre l’imaginaire etla réalité actuelle. La Roumanie s’est trouvé dans l’impossibilité de trouver parmi ses« symboles forts » un qui lui permette de communiquer avec l’extérieur.

Ce n’est pas le phénomène de représentation de l’histoire qui est problématique. L.Boia, malgré ses démarches de déconstruction historique du passé est conscient de l’utilitéinhérente au fonctionnement humain de l’imaginaire en général et du mythe en particulier.Par une autre approche, B. Denni et P. Lecomte dans leur ouvrage arrivent à la mêmeconclusion à travers leur analyse des relations société/culture et culture/politique. MariaTodorova, Sorin Antohi ou Vladimir Tismaneanu par leurs travaux montrent une attentionparticulière pour ce rôle de l’imaginaire plus spécifiquement pour le cas de Balkans et de laRoumanie. En même temps ce processus de construction suppose une logique différente,la logique de l’imaginaire, mais pas indifférente à l’initiative politique. Autrement dit, on peutdécider politiquement la construction d’un symbole mais on ne peut maîtriser son utilisationet évolution ultérieure. Il y a toutefois une obligation de cohérence, même négative, avec laréalité (sociale, économique, politique, stratégique, militaire etc.).

a.7. Le sombre millénaire

Après la retraite romaine une longue succession de migrations18 a eu lieu à travers l’espaceroumain et les sources de l’époque ne mentionnent qu’eux sans parler des habitantsautochtones. Même après les grands vagues migratoires, des populations originairesd’ailleurs ont continué de s’installer dans l’espace roumain, formant parfois dans certainesrégions la majorité (pas absolue) de la population. Le résultat de ces dynamiques est visibledans les données du recensement de 1930, données prises comme référence par LucianBoia dans ses ouvrages sur l’histoire roumaine.

16 L’unité des « géto-daces » a été un produit de l’historiographie roumaine s’appuyant sur une utilisation dépourvue de senscritique des sources antiques. En fait l’espace de la Dacie était fragmenté, les daces n’étaient pas seuls – voir les Scythes, les Celtes,les Bastarnes, les Sarmates.

17 Boia Lucian, op. cit., p. 49-218 Goths, Gépides, Huns et Avares, Slaves, Magyars, Petchenègues, Tatars

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L’historiographie et la propagande roumaine ont toujours essayé d’en marginaliserl’influence sur la constitution de l’identité nationale en présentant les interactions avecces éléments moins « nobles » ou « authentiques » comme superficielles. Le résultat estvisible aujourd’hui, dans la difficulté à se positionner en tant que peuple dans la dynamiqueeuropéenne. L’imaginaire collectif n’intègre pas une vision plus subtile, plus complexe des lagenèse et en conséquence les choix possibles qui se posent, tels qu’ils sont présentés parles dirigeants et ressentis par la conscience populaire sont de type « blanc ou noir », « Estou Ouest » etc. alors que la réalité et les possibilité sont plus complexes et que hommespolitiques au pouvoir le savent.

a.8. « Iubire 19 » est un mot d’origine russe

L’influence slave a toujours été difficilement prise en considération et son rôle a été minimisédans la construction du peuple roumain. Pourtant leur installation sur le territoire de laRoumanie date du VIe et VIIe siècle20. L’école latiniste, concentrée sur la romanité l’anaturellement laissée en dehors des recherches et par la suite cette tendance va continuer.Il a fallu attendre le début du XXe siècle pour que l’historien Ioan Bogdan prenne en compteles effets de cette cohabitation et voisinage et plus encore, qu’il affirme que les slaves étaientun des « éléments constitutifs » de la genèse roumaine21. Toutefois ses réflexions et leurpossibilités de développement n’ont pas eu de suite visible, ils sont restés dans l’ombre saufpour une courte période, dans le contexte de l’obéissance de l’après guerre face à l’Unionsoviétique. La théorie finalement acceptée pendant la montée nationaliste de l’époque deCeausescu a été que le peuple et la langue roumaine étaient déjà constituées au VIe siècle.

Ce refus de ce que l’on peut appeler « le sentiment slave dans l’âme roumaine » estcompréhensible – les russes étaient très présents et le sont restés jusqu’à aujourd’hui,une présence pas tout à fait bienveillante. L’affirmation de l’identité nationale s’est faitaussi à travers la lutte contre les grandes puissances mais parmi ces dernières seulela Russie a gardé sa position jusqu’à aujourd’hui. Cette continuité explique la résistancedu sentiment de rejet à l’encontre de la Russie et donc implicitement aussi du slavisme.Pourtant, tant que la Russie gardera sa puissance – soit-elle régionale - la Roumanie seraobligée de composer avec, d’autant plus qu’elle est dépendante de son encombrant voisin.Les dirigeants sont conscients mais l’opinion publique, un vieux sentiment de méfiance misà part, est maintenant orientée vers l’Ouest (modèle européen ou américain). On revientsans cesse au phénomène de paradoxe, de décalage presque autiste entre les masses etdirigeants, entre la forme et le fond, entre image et réalité.

b. La langueDans la construction identitaire et dans les efforts d’assimilation du passé des Roumains,le caractère latin de la langue a constitué le fil rouge, à la fois origine et boussole sur letortueux chemin vers l’Occident. Nous avons vu que cette latinité restait ignorée jusqu’auXVIIe siècle quand quelques lettrés valaques et moldaves ont fait leurs études en Pologne,

19 « Amour » en roumain20 Quand la défense byzantine sur le Danube s’est effondrée21 Ioan Bogdan – « Istoriografia româna si problemele ei actuale » (1905), « Insemnatatea studiilor slave pentru romani » (1894),« Românii si bulgarii » (1895)

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en latin. Ils ont pu ainsi faire le rapprochement entre les deux langues. L’origine latine faisaitson apparition dans l’imaginaire collectif.

L’origine latine du roumain constitue un point fixe, un repère dans le paysage mouvantet inextricable du passé. Aucun linguiste ne conteste ce point : c’est une langue romane,comme l’italien, le français, l’espagnol, le portugais. Elle présente la particularité d’avoirévolué à l’Est, dans la partie majoritairement slave du continent. C’est le dernier vestige dela partie orientale du latin.

Il est intéressant de remettre l’importance de la langue dans le contexte de l’époque.Si les Roumains se sont préoccupés sur le tard de l’origine de leur langue c’est parce queau delà des ethnies et langues, c’était la religion qui partageait l’Europe (le catholicismeet l’orthodoxie). Pendant le Renaissance Occidentale, les Roumains étaient bien intégrésdans l’orthodoxie et la culture slave. Leur découverte du latin (et le rapprochement avecle roumain) s’est faite en Pologne, pays catholique mais à l’époque plus « latin » queles principautés roumaines. D’ailleurs jusqu’au XVIIe les roumains écrivaient avec descaractères cyrilliques. Le slavon était utilisé par l’Eglise, par l’administration et par lalittérature. Le premier signe de réorientation vers l’Occident a été l’abandon progressif, auXVIIe, du slavon en faveur du roumain. En 1640 Grigore Ureche22 constate la ressemblanceentre des mots roumains et latins et en déduit une origine commune latine autant pour lesmoldaves, valaques ou transylvains. Cette origine commune ne présupposait pas un destincommun des trois pays, tendance confirmée par Miron Costin plus tard. Son ouvrage23 quitraite de l’apparition des roumains illustre en même temps les distinctions entre moldaveset valaques. Cette nette différenciation va s’estomper chez Dimitrie Cantemir24.

La culture latine constituait la référence pour l’Europe médiévale et moderne et Romele principal repère mythologique. Byzance, l’Empire romano germanique ou la Russieavaient l’ambition de reprendre ce modèle idéal. Les Principautés n’ont pas échappé à cettelogique de construction de l’imaginaire, d’autant plus qu’elle répondait à une cumulationde complexes et frustrations. La condition des Roumains de Transylvanie, un peuple depaysans sous une aristocratie étrangère, a poussé ce mécanisme à l’extrême à travers la« Scoala ardeleană » et le courant latiniste.

D’autre part après l’excès pour se rapprocher au maximum de la « pureté » latine, unmouvement de balancier a poussé ensuite la tendance vers une redécouverte des Daces– qui s’inscrit dans la typologie générale des mythes fondateurs modernes. L’interprétationmoderne met l’accent sur la continuité autochtone, dans la ligne de la démocratie (le pouvoirdu peuple) et du nationalisme. Fin XIXe et début XXe il y a des avancées et des échecs dansles deux camps (pro Rome et pro Sarmizegetusa). Comme les partisans de la l’influencedes romans avaient de leur côté la latinité de la langue le partie adverse a du trouverdes solutions, parfois très originales. Il y a ainsi le livre de Nicolae Densusianu, « Daciapreistorica » (1913) qui soutenait la thèse d’un empire mondial Dace, six millénaires av. J. C.qui aurait été à l’origine des civilisations du monde entier (et donc des romains également).Le latin était une langue dace. L’idéologie communiste s’est emparé également des Dacespour stimuler le nationalisme et justifier le « roumano centrisme » de Ceausescu.

22 Ureche Grigore, « Letopisetul Tarii Moldovei », 1640, source : http://www.scriptorium.ro/carti/grigore_ureche/grigore_ureche-letopisetul_tarii_moldovei-cadru.html , consultée le 20 Janvier 2007

23 Miron Costin, « De neamul moldovenilor », vers 1690, source : http://ro.wikisource.org/wiki/De_neamul_moldovenilor ,consultée le 18 Janvier 2007

24 Dimitrie Cantemir (1673-1723), prince de Moldavie, écrit « Hronicul vechimii romano-moldo-vlahilor »

La Roumanie : histoire, identité et politique étrangère

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Si les Daces ont eu initialement du mal à percer dans l’imaginaire roumain, ils ont eufinalement leur revanche. C’est moins le cas des slaves. Pourtant leur présence dans larégion est essentielle. Sans eux la romanité aurait eu plus de chances de se maintenirau nord et au sud du Danube. Le pan slavisme était perçu comme une menace par lesRoumains, qui ont répondu par une politique « pan latine ». Il faudra attendre Ioan Bogdan(1864-1919) qui émettait l’hypothèse que les slaves étaient un élément constitutif de lasynthèse roumaine. La quantité importante d’éléments slaves dans la langue roumaine,l’utilisation du slavon (église, état, affaires courantes) et l’origine slave de la plupart desinstitutions médiévales roumains sont tout autant d’arguments pertinents pour sa thèse. Lesarguments rationnels de Ioan Bogdan ne vont pas faire leur chemin. L’identité nationaleroumaine s’est construite par leur rupture avec le monde slave, il était difficile d’un point devue affectif d’intégrer son analyse pertinente.

Pour aborder l’état actuel des rapports avec l’influence du modèle slavon ainsi que avecses héritiers (Russie, Ukraine, Bulgarie) il est nécessaire de faire la différence entre être etidentité. Aujourd’hui la Roumanie est un état avec un territoire à priori non disputé (d’autantplus après l’intégration européenne), une population identifiée par la nationalité et unelangue parlée par la grande majorité de ses citoyens. C’est un état de fait – même si le « fait »est inévitablement déformé par sa perception par les sens et par son analyse par la raison– cohérente avec la perception et la raison et les autres faits en relation. Cet état de faitest équivalent à une existence. Dans l’analyse de l’être de la Roumanie actuelle, l’influenceslave est difficile à contourner. En ce qui concerne la langue roumaine actuelle, à priori àl’opposé d’une telle influence par son caractère latin, la partie d’origine slave est tout sauf« superficielle ». Les mots d’origine slave représentent 15-20% de l’ensemble mais il fautégalement prendre en compte leur valeur de circulation. Dans cette perspective le fond slaveest le deuxième élément constitutif de la langue roumaine. Si les structures de la grammaireet de la phonétique ressentent aussi l’influence du slavon, c’est le vocabulaire qui montrele plus grand impact, relativisé par la marginalisation et le doublement de certains termes(souvent par des néologismes d’origine française). Des nombreux suffixes et préfixes sontslaves (souvent appliqués à une racine latine) ce qui donne un caractère particulier à lalangue roumaine.

L’influence slave, tout comme dans une moindre mesure turque, grecque ou magyaredans la langue roumaine, langue symbole d’ancienneté, de gloire, de continuité estsignificative pour écart que l’on peut situer plus généralement dans le cadre des décalagesentre « être » et « identité ». Si aujourd’hui les pays slaves (surtout la Russie et l’Ukraine)ou la Turquie n’avaient que peu d’importance dans le paysage politico économique oustratégique toutes ces anciennes influences pourraient s’estomper sans disparaître et neplus constituer un point de décalage entre « être » et « identité ». Ce n’est pas le cas etles efforts de la Roumanie pour se trouver une place, soit dans le cadre de la Mer Noire,soit dans les Balkans soit en Europe Centrale etc. rendent inévitable la confrontation entreles deux perceptions.

c. Le territoireNon seulement le territoire de la Roumanie se situe à un carrefour géographique maisà l’intérieur même de ce territoire il y a des divisions qui dépassent la simple séparationdes trois entités d’origine25 : les trois territoires se divisent à leur tour en plusieurs régionsavec des traits propres, plus atténués pendant la dernière moitié du XXe siècle mais

25 Valachie, Moldavie, Transylvanie

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encore perceptibles : composition ethnique, rapports avec les divers autres espaces voisins.Lucian Boia dans ses ouvrages détaille ces morcellement suivant la séparation classiqueselon les trois territoires qui ont formé la Roumanie moderne. Il utilise les informationsstatistiques d’ordre démographique et social du recensement de 193026 ce qui permet decouvrir toutes les espaces qui ont été roumains à un moment ou à un autre de leur histoire.Les structures traditionnelles étaient encore existantes et n’avaient pas été uniformiséespar le régime communiste. L’urbanisation et plus encore l’émigration massive de certainesethnies (allemande, turque, juive) ont fait depuis disparaître certaines caractéristiques.

L’espace roumain est délimité comme un « rond », entité presque parfaite contenueentre trois grand cours d’eau : le Danube, le Nistru et la Tisa. La colonne vertébrale sont lesCarpates. En général les montagnes séparent et les fleuves réunissent (voir par exempleles grands civilisation fluviales – Egypte, Chine, Mésopotamie etc.). C’était le cas, danscertaines interprétations, pour les montagnes et les trois principautés. D’autres approchesvoyaient l’inverse. Au delà de ces différences on peut apercevoir une des figures clé del’imaginaire géographique – « la frontière naturelle ». A l’ouest la question territoriale sembleréglée et dans la symbolique collective il y a adéquation « de facto » avec les faits. Cen’est pas encore les cas à l’Est. Les politiques roumains ont toujours tenu un discoursqui gardait en filigrane le souci d’un destin commun avec la République Moldova ce quiparfois a provoqué l’agacement de cette dernière. La population roumaine, tournée vers despréoccupations plus quotidiennes et ne sentant pas un quelconque intérêt pratique danscette direction, s’est progressivement désintéressée de la question. De l’autre côté de lafrontière la construction du sentiment national appuyée par les élites politiques commence àporter ses fruits. Dans l’imaginaire la « rupture » s’estompe et le contour actuel se renforcede plus en plus.

Le détail et l’analyse par Lucian Boia des donnés démographiques de 1930 casse uneimage type. A travers ces descriptions des régions roumaines le « mythe » de la Roumanievue comme un bloc unitaire, empêchée par les voisins et les circonstances historiquesde réaliser territorialement cette identité unique est mis à mal. Ce symbole, cette imagede la Roumanie est profondément enracinée dans les représentations sociales actuelles.Pourtant cette unité est une construction récente et d’un certain point de vue artificielle. Cesont les communistes qui à travers leur mythologie nationaliste ont accentué des tendancesdéjà naturellement présentes dans le contexte de la genèse de l’Etat roumain. Le pays sedevait être un bloc, un « rond » autour de la nation (roumaine) et du dirigeant (Ceauşescu).

d. La continuitéLes Roumains traînent derrière eux une grosse casserole, un paradoxe historiographique :est-ce qu’il ont toujours occupé le territoire d’aujourd’hui. Il y a plusieurs hypothèses : soit lesRoumains se sont formés sur l’espace actuel de la Roumanie, soit sur une partie seulementde cette aire, soit dans une région qui dépasse de loin les frontières de la Roumaniemoderne, soit quelque part au sud du Danube, à l’extérieur de l’espace national. Sans rentrerdans les détails d’un débat qui a fait rage, avec des importants enjeux de revendicationterritoriale, il faut toutefois souligner la spécificité de ce problème : il y a autant d’argumentspour la continuité que pour l’hypothèse contraire. La cause principale est l’absence desources écrites sur l’espace nord danubien pour une période qui couvre plus de douze

26 « Recensamintul general al populatiei Romaniei din 29 decembrie 1930 », Sabin Mânuilă, 9 vol., Bucureşti 1938-1941, prémieret dernier recensement qui couvre la Grande Roumanie

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siècles, autant domestiques qu’étrangères27. Le peu d’indices historiques existants peuventjustifier une théorie et son contraire.

Le foyer de l’origine du peuple roumain, impérativement latin a été situé un peu partout :au sud du Danube (un royaume bulgaro-roumain), au nord, dans les Carpates (forteressenaturelle ou les roumains se seraient abritées après le départ des romains), en « Daciascitica » (Dobrogea, Muntenia, les sud de la Moldavie et de la Bessarabie) etc. L’existenced’autres restes de latinité (les macedo roumains ou aromani28) au sud de Danube permet degarder la question ouverte. Une interprétation originale et que l’on retrouve dans la littératureest celle d’un retrait dans la forêt ce qui présente l’avantage de couvrir un large territoirepuisque la forêt couvrait pratiquement toute la terre roumaine, sinon plus.

Quand les communistes sont arrivés au pouvoir ils ont hérité de ce débat et l’ontréglé à leur manière, en décidant la continuité exactement sur le territoire actuel, enéliminant la composante balkanique, et en chargeant les historiens et archéologues detrouver les preuves. Un bon exemple est la « culture Dridu » qui couvre une période allantdu VIIIe au XIe ce qui correspond à la période de cristallisation du phénomène linguistiqueet ethnique roumain. L’ironie du destin a fait que les vestiges archéologiques trouvéesmarquent un changement radical dans le style de vie des habitants au nord du Danube auVIIe siècle, quand les slaves sont arrivés. L’absence d’indices historiques écrits ne permetpas d’identifier précisément l’origine de ce changement. La plupart des chercheurs roumainssoutiennent son caractère roumain, les étrangers y voient une forte influence slave.

Si la question de la continuité ethnique au nord du Danube tient du nœud gordien, laquestion de la continuité politique n’est pas simple non plus. Pendant mille ans il y a manqued’une structure politique sur le territoire roumain. C’est très frustrant, surtout par rapport auxétats voisins qui eux peuvent présenter une telle structure. Les tentatives pour y remédieront étés nombreuses et parfois très imagées comme celle de B.P. Hasdeu essayant decouvrir cette période par la famille des rois Basarabi. Il est vrai qu’il est difficile d’accepterdans un espace de la taille de la Roumanie le manque de formes, même balbutiantes,d’organisation politique. C’est ainsi que les communistes vont lancer en 1975 le terme de« stat neorganizat » ce qui a permis la justification d’une continuité étatique de Burebista àCeausescu qui faisait de l’Etat roumain un des plus anciens d’Europe.

Lucian Boia se pose la question des conséquences possibles d’une hypothétiquedécouverte qui confirme la discontinuité des roumains au nord de Danube29 et il conclutd’une manière optimiste sur une absence d’effet qu’il explique par le « fait accompli » :les roumains sont au nord, au sud il y a les bulgares et les serbes, on ne peut plus rienfaire. Il oublie peut être, un peu facilement, le résultat des tensions en ex Yougoslaviequi perdure encore aujourd’hui. Il y a eu déjà des violences et des gestes de provocationentre roumains et hongrois et même si l’intégration européenne a limité pour un tempsl’expression de ces frictions, une preuve historiquement indiscutable pourrait envenimerles relations, dans un contexte qui voit déjà la montée du nationalisme dans les pays del’est. La solution qu’il propose tient du bon sens : le passé doit s’estomper devant les

27 Du retrait de l’administration romaine (271) à la « Gesta Hungarorum », la cronique du roi de Hongrie, Bella III (fin XIIe)28 De langue aromana, présents en Europe de Sud – Grèce, Albanie, Serbie, Bulgarie, RYM, Roumanie. Leur langue est

très proche du roumain spécialement par la grammaire et la morphologie mais l’influence extérieure principale n’est pas slave maisgrecque.

29 Boia Lucian, « La Roumanie, Un pays à la frontière de l’Europe », pp. 66

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« realitatile prezentului si exprimarii libere a optiunilor »30 mais cette remarque très senséeme redonne l’occasion de parler de l’adéquation entre recherche scientifique et actionpolitique. Comment présenter un tel raisonnement pour qu’il devienne une marchandise,un produit de valeur politique ? Comment faire le lien entre la démarche scientifique etla logique politique ? Et ensuite comment articuler le résultat avec l’imaginaire collectif,dépositaire d’innombrables couches de compréhension partielle, polarisée et diffuse autantde la réalité que de multiples idéologies. Si l’on pose la question, les roumains aujourd’huisont convaincus qu’ils existent depuis « toujours » dans l’espace national, en tant queroumains31. Si on demande qu’est ce qu’il y avait vers l’an 1000 l’incompréhension etl’étonnement vont être visibles sur le visage de votre interlocuteur : « Ben, hummm, desroumains qui … ». Serait-il si dangereux pour la stabilité de la Roumanie que le citoyensache au moins que la continuité est sujette à discussion ? Probablement …

e. L’unitéTrois moments forts marquent dans l’histoire le chemin vers le tout unitaire qu’est laRoumanie aujourd’hui : Mihai Viteazul et l’an 1600, l’union des Principautés de 1859 et laGrande Roumanie d’entre deux guerres.

Si objectivement l’éphémère conquête par Mihai Viteazul des trois régions présentepeu de valeur dans le sens d’un témoignage pour une hypothétique unité « dans l’âme »sinon dans les faits des roumains, son poids dans l’imaginaire actuel est important. En1999 une enquête32 dévoile les plus importantes personnalités historiques qui ont influencépositivement le destin des roumains : Al. I. Cuza 24.6%, Mihai Viteazul 17.7%, Stefan celMare 13.4% etc. Les deux premiers représentent tous les deux une charge symboliquesignificative associée à l’idée d’union et d’unité nationale à travers les moments de 1859et 1600. Ces résultats permettent premièrement de saisir l’importance (positive) que revêtl’idée d’unité aux yeux des roumains aujourd’hui. Ils montrent également la persistanced’une image (l’union réalisée par Mihai Viteazul) en net décalage avec les argumentshistoriques.

L’épisode de 1859 marque le début de l’existence ‘visible’ de la Roumanie : l’unificationde la Valachie (Pays Roumain) et de la Moldavie sous la direction du prince AL. I. Cuza.Bref descriptif du processus.

Les Roumains ont su profiter des opportunités historiques qui s’offraient à eux dans lecontexte d’effervescence et d’émergence des identités nationales en Europe : « le siècledes nations ». Les élites roumaines exilées en Occident avaient mis en place une missionde persuasion et propagande en faveur de la constitution de l’espace roumain en mettanten avant l’intérêt de l’Europe de stabiliser cette aire géographique. Ils ont su trouver unallié important, Napoléon III qui visait une Europe des nations sous la direction française. Al’époque les guerres russo-turques survenaient avec une régularité impressionnante maisen 1953 l’Angleterre et la France étaient inquiètes par rapport à l’expansionnisme russe enEurope. Ils vont intervenir, la Russie est défaite33 et au Congrès de paix de Paris (1856) lespuissances ont décidé du destin des principautés roumaines.

30 Boia Lucian, « Istorie si mit în conştiinţa românească », p. 212-231 Une sérieuse étude sociologique ne serait pas inutile, malheureusement je n’ai pas trouvé sur le sujet32 INSOMAR, 1999, sondage publié par le magasine « Oameni in top », N°1, juin 199933 Guerre de Crimée (1853-1856)

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Si la France soutenait un état roumain comme tampon entre la Russie et l’EmpireOttoman (et accessoirement un poste avancé de l’influence française), l’Angleterre avaitdes inquiétudes par rapport à la position de l’Empire Ottoman qui risquait de se trouveraffaiblie et pouvait générer des réactions en chaîne34. Finalement l’option retenue a été unevague union, sous le nom de « Principautés unies », avec des princes, des gouvernements,des parlements et des armées différentes.

Les deux principautés vont utiliser au maximum cette opportunité en élisant le mêmeprince ce qui a mené inévitablement vers une union effective beaucoup plus pousséeque ce que les grandes puissances avaient prévu. Cette union constitue un momentfort dans l’imaginaire identitaire national aujourd’hui en Roumanie. La consultation desmasses préalable à l’union35 et leur réponse unanime en faveur de cette dernière sontvues aujourd’hui comme une preuve irréfutable d’une conscience nationale bien définie. Cemodus opérandi est également sous entendu pour une union avec la République Moldave :les retrouvailles dans la grande maison européenne.

Au début du XXe siècle l’attitude générale roumaine par rapport à la représentationimaginaire de l’unité (que ce soit l’unité originaire, celle du Moyen Age, celle de 1600)bénéficiait d’un attitude critique de la part des historiens à la lumière d’un phénomène dematuration qui a suivi la période romantique d’exaltation de l’état nation. On n’hésitait pasà mettre en évidence le caractère profondément a national de l’union de 1600 (d’ailleurs leterme utilisé est souvent celui de conquête de la part de Mihai Viteazul) ni de souligner lesconflits et divergence d’intérêts et d’influence (Pologne pour la Moldavie et Hongrie pour laValachie). Si on accepte de corriger l’image de la supposée unité médiévale de type national,on met quand même en évidence des facteurs d’unité qui auraient pu par accumulationet dans le temps mener à travers une évolution organique à l’Etat roumain. La démarchetient plutôt de la consolidation des bases de l’idée nationale et pas d’un retour à l’idéed’une conscience nationale. Cette maturation visible à travers l’attitude scientifique critiquepar rapport au mythe de l’unité témoigne de l’évolution cohérente avec la modernisationprogressive de la société roumaine et européenne en général.

Le communisme va marquer non seulement un arrêt mais une régression dans cedomaine. Si à ses débuts le régime s’est montré peu intéressé par l’unité nationale, il y aeu réinterprétation de l’histoire pour la mettre en conformité avec l’idéologie communiste.Comme une des fondements du communisme était l’articulation intime entre pouvoirpolitique et masses populaires l’histoire ne pouvait pas prendre un autre chemin.

C’est sous Ceausescu surtout que le discours historique a suivi la doctrine officielleet a imprégné la conscience collective du mythe de l’unité permanente encore jusqu’àaujourd’hui. L’étape nationaliste de l’idéologie communiste ne pouvait se passer desarguments crées par la projection de l’idée nationale sur l’histoire. Les pierres angulaires decette construction symbolique ont été la continuité et l’unité. Le projet totalitaire et le discoursnationaliste ont intégré et valorisé de manière artificielle l’idée d’unité ce qui allait dans lesens d’une société uniformisée soudée autour de son meneur providentiel. Le passé a étéréinterprété, Mihai Viteazul est devenu unificateur et libérateur des roumains, les règnes deStefan cel Mare et Mircea cel Bătrân ont gagné la même valeur dans ce que formait une

34 La Roumanie pouvait devenir un exemple pour d’autres pays balkaniques qui seraient tentées de suivre et la Russie pouvaitprofiter de cette dynamique pour asseoir son influence dans la région

35 En 1957 des assemblées consultatives (« divans ad hoc ») représentant toutes les strates sociales ont été élues et leurréponse (à quasi unanimité) fut la demande d’une union dans un état avec le nom de Roumanie avec à la tête un prince étrangerissu d’une famille régnante européenne

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ligne ininterrompue d’efforts d’union depuis les daces et les romains. La Transylvanie a été« extraite » de l’espace austro hongrois et ramenée dans le cadre d’étroites relations avecla Moldavie et la Valachie. Finalement même dans le cadre du journal télévisé on en parlaitplus de la Moldavie (par exemple) mais du nord est du pays.

2. Le positionnement géo mental – la Roumanie, unpays inexistant

Dans l’élaboration de sa stratégie de sécurité (2006) la Roumanie se fixait deux buts : être unfacteur de stabilité pour la partie ouest des Balkans et un acteur actif dans l’élaboration desstructures sécuritaires régionales dans le bassin de la Mer Noire. Dans ce même documenton parle de l’intégration européenne mais aussi du partenariat stratégique avec l’OTAN, lesUSA et l’UK. La Roumanie « urmăreşte să joace un rol substanţial în procesul de definire şiimplementare a politicilor stabilizatoare, de cooperare şi asistenţă de securitate ale NATOşi Uniunii Europene, în Europa centrală, de est şi de sud-est » (SSNR 2006 page 18). Enmême temps à travers la Mer Noire la Roumanie se sent concernée des conflits, gelés oupas, du Caucase et de la Caspienne. Pour une personne non avisée, suite à la lecturedu texte de la stratégie de sécurité roumaine, il serait malaisé de situer sans regarder surune carte le pays. Et nous n’avons pas encore parlé de l’intention de resserrer les relationsbilatérales avec les pays du Moyen Orient et d’Asie. Mais ou se situe la Roumanie pour êtresi proche du monde entier ?

Une réponse est donnée par Boia36 à travers son analyse du mythe de Dracula,construction imaginaire symbolique cristallisant les peurs et la fascination de l’Occidentpour l’extérieur, situé dans le Carpates, ni trop proches (comme les Alpes), ni trop éloignés(comme le Tibet). C’est le décor parfait, à la marge de l’Europe, dans le « premier cerclede l’altérité »37. Cet exemple montre une des questions existentielles qui ont régi le destinRoumain depuis sa constitution : dans l’Europe ou à l’extérieur ? Une limite, si elle marqueprécisément l’intérieur, peut appartenir ou pas à l’ensemble qu’elle délimite. Ce n’est paspour autant qu’elle appartient à l’extérieur non plus.

Le premier réflexe pour situer un pays serait de regarder son positionnement par rapportaux grands ensembles géographiques. Hélas cette approche permet dans le cas de laRoumanie de saisir sa première difficulté pour se situer sur l’échiquier continental : Europede l’Est ? Balkans ? Europe Centrale ? Europe de Sud Est ?

La Roumanie d’aujourd’hui s’est constituée récemment (en termes historiques) à partirde trois entités : la Valachie (au sud, entre le Danube et les Carpates méridionales), laMoldavie (à l’est, entre le Dniestr et les Carpates orientales) et la Transylvanie (à l’ouest,dans l’arc des Carpates). Chacune des ces entités (qui ont pu constituer des royaumes àcertains moments dans l’histoire) a eu une évolution propre (malgré la proximité), la Valachieplutôt balkanique, la Moldavie tournée vers le sud, l’est et le nord a interagi avec la Pologneet les slaves russes, la Transylvanie plus occidentale, peu intéressée par ce qui se passaitau sud du Danube à l’exception du danger turc.

36 Boia Lucian, « La Roumanie, un pays à la frontière de l’Europe», page 1137 Idem, page 11

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Il faut ajouter à ces disparités des perceptions régionales un grand moment de rupture.Pendant la première moitié du XIXe siècle les élites roumaines (bien faire attention au terme« élites ») ont choisi de se détacher de l’espace oriental et de se rapprocher du modèleoccidental38. Cette rupture a déterminé l’orientation de la culture roumaine pendant les deuxsiècles qui ont suivi mais n’ont pas effacé l’héritage de siècles de culture orientale.

Ces influences culturelles diverses rendent difficile le positionnement selon les critèresculturels de Huntington. On observe quand même la persistance de la validité de sadélimitation dans le regard comparatif entre l’Europe Centrale et les Balkans à la chutedu communisme est ensuite. Ce n’est pas par hasard si dans les Balkans les régimescommunistes sont tombés suite à des transitions violentes et rapides – de ce point de vuela Roumanie s’inscrit bien dans les Balkans. Dans les pays de l’ancienne Mitteleuropa cestransitions ont étés des processus progressifs et moins brutaux.

Cet encadrement de la Roumanie dans les Balkans est à relativiser. Du point devue géographique il semble que la péninsule balkanique n’intègre pas la Roumanie39.Néanmoins par l’histoire la Roumanie est très proche des Balkans40. Sans remonter jusqu’àl’Antiquité41, le principal modèle qui a façonné la société des états pré roumains42 a étéapporté par l’Empire Byzantin. L’Empire Ottoman a dominé pendant quelques siècles lesBalkans et le territoire de la Roumanie. Pendant deux siècles les dirigeants étaient des grecsoriginaires de Fanar43 et la langue administrative était le grec. Le territoire de la Roumanied’aujourd’hui ne fait pas partie de la Péninsule Balkanique mais les liens avec les pays desBalkans ont été forts et les apports culturels importants. D’autre part les Roumains eux-mêmes entretiennent une position trouble, ambivalente avec leur appartenance balkanique.Les Balkans constituaient le domaine ou ils pouvaient acquérir une position dominante,répondant ainsi à une très ancienne frustration. En même temps dans l’imaginaire collectifles Balkans étaient un peu trop … balkaniques pour le gout des Romains. Il est suffisant derappeler que Iorga soutenait tous horizons que malgré des nombreux affinités la Roumanien’était pas un pays des Balkans. Même aujourd’hui les Roumains gardent par exemplepar rapport à leur voisin la Bulgarie un sentiment de supériorité qui n’a pas forcement desfondements réels44.

Europe Centrale ? La définition de cet ensemble est vague. Historiquement laMitteleuropa se situe sur les territoires des ex empires Allemand et Austro-hongrois ce quicorrespond aujourd’hui à l’ensemble Allemagne, Autriche, Hongrie, Pologne, RépubliqueTchèque, Slovaquie et Slovénie. La différence culturelle avec la Roumanie est trop évidente.

38 Lucian Boia affirme dans son ouvrage (« La Roumanie, un pays à la frontière de l’Europe », page 17) « Rapidement, la sociétéroumaine a adopté, dans ses grandes lignes, le modèle culturel et politique de l’Ouest », il faut comprendre « dans ses très grandeslignes » tant cette intégration s’est effectuée seulement au niveau des élites et touchant moins une population majoritairement agraire.

39 Sa frontière septentrionale est formée par le Danube et la Roumanie se situe au nord, à l’exception de la Dobrogea (entrele Danube – ouest et nord, et la mer Noire – est).

40 Je tiens à nuancer l’affirmation de Lucian Boia qui affirme que « la Roumanie est très largement balkanique » (op. cit. page15), il y a une différence perçue dans l’imaginaire social de part et d’autre (slaves, hongrois) qui atténue cette appartenance mais nenie pas les apports culturels qui ont eu lieu.

41 Les tribus thraces occupaient la moitié nord de la Péninsule Balkanique et le territoire actuel de la Roumanie42 Moldavie, Pays roumain43 Quartier grec d’Istanbul pendant l’Empire Ottoman44 La CIA sur son site estime à 15% la part de population vivant en dessous du seuil de pauvreté en Bulgarie contre 25%

en Roumanie

I. Histoire et identité

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La Transylvanie toutefois est liée historiquement à l’Europe Centrale. Si l’UE il y a quelquesannées incluait la Roumanie dans cette appellation c’était plutôt par maladresse que pourdes raisons valables.

L’Europe de Sud Est ? Que-est ce que l’Europe de Sud Est ? Il y a l’Europe deSud, ou Europe Méditerranéenne qui dans la définition de l’ONU comprend les pays declimat méditerranéen comme l’Espagne, l’Italie, la Slovénie, la Croatie etc. La Roumanieest parfois incluse dans cet ensemble, avec la Bulgarie et la France (le Sud) mais cetteclassification manque de cohérence et d’unité. Il y a l’Europe de l’Est qui regroupe les payssou domination soviétique mais depuis la chute du communisme les disparités d’évolutionliés aux différences culturelles rendent cet ensemble de moins en moins pertinent. Nousavons encore les PECO, sorte de fourre tout qui reprend l’ancienne division du Rideau deFer.

Un terme dans l’appellation PECO attire l’attention. PECO signifie Pays d’EuropeCentrale et Orientale45. Quid de l’Europe Orientale ? On trouve ce terme de divisiongéographique utilisé par exemple par la CPI qui englobe dans cet ensemble une partiedes PECO46 en excluant la République Tchèque, La Biélorussie, L’Ukraine et la Moldaviemais en incluant la Georgie. L’UE utilise souvent le terme « Europe Orientale », seulou en association avec « centrale et … » mais sans le détailler. D’autres organismesinternationaux poussent la couverture sur l’ensemble des ex pays de l’URSS (donc aussiArménie, Azerbaïdjan, Georgie, etc.). Dans la vision turque l’Europe Orientale couvre 14pays47 dont sans surprise le Chypre de Sud et le Chypre de Nord ainsi que la Turquie maisaussi la Roumanie, l’Arménie et la Georgie. Il n’est pas nécessaire d’être très subtil pourentrevoir une partie de l’ancien espace contrôlé par l’Empire Ottoman ainsi que le basin dela Mer Noire, région ou la Turquie joue un rôle important. A noter l’exclusion de la Russieet de l’Ukraine, témoin de la superposition entre deux perceptions, une historique et unegéographique.

Ce bref passage en revue des différentes perceptions des découpages géographiquesest suffisant pour mettre en évidence la difficulté du positionnement de la Roumanie surla carte mentale du continent par les autres. Comme le souligne Sorin Antohi, « "natives"are frequently ready to internalize the visitors' (imagined) normative gaze »48. Leurs propresconstructions imaginaires à travers des mécanismes comme l’extraterritorialité, la fuitehorizontale ou verticale leur ont permis de se « téléporter » dans l’espace européen etmondial. La relation avec la France au XIXe et début XXe, analysée avec brio par M. Antohià travers son « geocultural bovarism », est le meilleur exemple pour ces space jumpsroumains. Dans sa perception, la Roumanie était voisine de la France et l’affirmation deIorga en 1940 témoigne de la profondeur du manque et de la pulsion : « A country does not

45 Pologne, République Tchèque, Slovaquie, Hongrie (les 4 de Višegrad), Slovénie, Croatie, Bosnie Herzégovine, Serbie(Kosovo), Monténégro, Macédoine (les anciennes républiques yougoslaves), Roumanie, Bulgarie, Albanie (que l’on appelle souvent« les autres pays balkaniques »), Lettonie, Estonie, Lituanie (les pays baltes), Biélorussie, Ukraine, Moldavie (républiques postsoviétiques occidentales) et éventuellement la Russie

46 Albanie, Bosnie Herzégovine, Bulgarie, Croatie, Estonie, Macédoine, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Monténégro, Pologne,Roumanie, Serbie,Slovaquie, Slovénie

47 Albanie, Arménie, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Chypre du Nord, Chypre du Sud, Géorgie, Grèce, Macédoine, Malte,Moldavie, Roumanie, Turquie, Yougoslavie

48 Antohi Sorin, « Romania and the Balkans. From geocultural bovarism to ethnic ontology », Institute for Human SciencesVienne, Tr@nsit Online, N° 21/2002, source : http://www.iwm.at/index.php?option=com_content&task=view&id=235&Itemid=411 ,consultée le 12 Janvier 2007

La Roumanie : histoire, identité et politique étrangère

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belong to the space where it stands, but to the target it looks at »49. On comprend mieux àla lumière de cette remarque la stratégie roumaine de sécurité de 2006.

Cette situation de frontière permanente, d’espace de transition sans fin, n’est pasrestée sans effets. D’une part une sorte d’isolement, une réception atténuée des diversesinfluences, une résistance des structures traditionnelles et des valeurs autochtones.D’autre part il y a eu un intéressant mélange ethnique et culturel, une ouverture naturelleaccompagnée d’une instabilité latente. Ces deux tendances expliquent une partie du« paradoxe roumain » : « une polarisation intellectuelle typique »50.

3. Gouvernants et gouvernés – une évolution difficiledes rapports au pouvoir

Quand les communistes arrivent au pouvoir, en faveur des circonstances historiquesfavorables, ils vont interrompre un processus d’évolution vers la maturité politique qui touten ayant connu des évolutions notables, ne pouvait pas être cité parmi les plus avancés dela région. Le pouvoir communiste va profiter de ce stade encore embryonnaire d’évolutionde la société roumaine pour s’implanter efficacement, mieux que dans les autres paysdu bloc communiste. L’épisode communiste (un épisode long de cinquante années) estsymptomatique de la faible résistance des structures sociales en place. Pourtant à priori,mais c’était également le cas de la Russie, la Roumanie ne semblait pas un terrain propicepour accueillir l’utopie communiste. Avant la deuxième guerre mondiale c’était un pays dedroite, avec une population majoritairement agraire et donc peu tentée d’abandonner sonsens de la propriété. L’idéal entre les deux guerres était rural, une société prospère de petitspropriétaires, loin du projet d’industrialisation et collectivisation des communistes, maisaussi (dans une moindre mesure) de la social démocratie occidentale. Le parti communisteroumain avait un millier d’adhérents, et son image était entachée par le soupçon de faire lejeu de Moscou (ce qui n’était pas complètement erroné).

Pourtant quelques années plus tard les Roumains se retrouvaient dans une sociétéexpérimentant une des formes les plus pures et extrêmes du communisme, et ce pendantun demi siècle.

Beaucoup a été dit sur la période communiste en Roumanie. De notre point de vuece qui nous intéresse est ce que cet épisode met en évidence. Le communisme, avecappui extérieur, a pu s’implanter durablement et profondément en Roumanie à cause dela faible résistance de structures sociales. Grâce à cette fragilité il les a démolit de fonden comble et a pu imposer complètement sa logique. En fait la présence/absence desstructures sociétales fortes a été amplifiée en contact avec la construction communiste. Lessociétés (Pologne, République Tchèque, Hongrie) avec des structures fortes ont freiné lestransformations et ont évolué plus rapidement à la chute du communisme. Celles avec desstructures faibles, comme la Russie ou la Roumanie, ont cédé complètement.

La période communiste a complètement changé le paysage roumain. La répression apulvérisé l’élite d’avant guerre – leaders politiques, intellectuels, cadres de l’armée, hommesd’église (notamment l’église Gréco Catholique). La « masse » a été efficacement encadrée

49 Iorga N., « Ce este Sud Estul european ? », 1940, dans Antohi, op. cit.50 Boia Lucian, op. cit. page 19

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– en absence de structures sociales fortes le communisme par son système de surveillanceet répression généralisée ne permettait pas la création d’autres que les siennes. Commele souligne Lucian Boia, « Daca represiunea in vremea lui Ceausescu a fost mai blânda …aceasta se datoreaza in primul rând faptului ca societatea însasi se linistise, se asezase incadrul pregatit de comunisti ».51 La machine tournait rond.

Le pouvoir lui-même n’était pas la dictature du parti, mais d’un petit groupe. Si le partiétait une organisation de masse, la dynamique du pouvoir impliquait un nombre très restreintde personnes, d’une manière opaque, de type mafieux (l’élimination physique d’un rivaléventuel n’était pas rare52).

Si Gheorghe Gheorghiu Dej a eu une pratique plutôt discrète du pouvoir, sonsuccesseur, Nicolae Ceausescu a mené à l’absurde le culte de la personnalité. Ce n’est pasune caractéristique roumaine, les célébrations actuelles en Corée du Nord en témoignent(et les exemples ne manquent pas). Mais cette personnalisation du pouvoir a rencontré unmécanisme déjà existant dans l’imaginaire roumain – le mythe du sauveur.

Tout système politique se doit de fournir une mythologie. Les communistes, tout commeles romains en quelque sorte, sont arrivés à construire un mécanisme mythologique d’uneétonnante souplesse, malgré l’intransigeance doctrinaire. Les communistes ont intégré lescontradictions, les ont absolutisés, grâce à Hegel et à la dialectique. Le but n’était plus deles résoudre, ils devenaient la raison même d’exister du communisme tout en lui fournissantun éventail de justifications couvrant tout changement de direction.

Ceausescu a parfaitement utilisé ces avantages dans la construction de « sauveur »,de « père de la patrie ». Un choix attentif a sélectionné une liste de prédécesseurs illustres,ce qui permettait de lier l’image du « conducator » au destin même de la nation : Burebista,Decebal, Mircea cel Batrân, Stefan cel Mare, Mihi Viteazul, AL. I. Cuza.53 En arrêtant l’arbregénéalogique à Cuza (milieu du XIX) par un siècle de vide, sans une image marquante nonseulement on faisait l’impasse sur les rois d’une société bourgeoise mais également étaitcrée l’attente. La mise en scène est essentielle et le B A B A d’un spectacle est de susciterl’attente de la part du public. Cette attente devient, dans le cadre symbolique du culte dela personnalité, une attente de nature messianique, éclaire l’urgence et la nécessité d’unsauveur, amplifie l’importance de celui-ci, comparable seulement avec les héros des tempsanciens54.

L’image d’un pouvoir paternaliste, la nécessité d’un sauveur providentiel, le sentimentque le pouvoir (pas seulement politique) est une affaire d’initiés sont des mécanismes quiont survécu à la chute du régime. Ion Iliescu est apparu devant la nation, en décembre1989, comme le sauveur et d’ailleurs le mouvement politique qui a pris forme autour delui s’appelait « Frontul salvarii nationale » (FSN). Les roumains ne s’étaient pas soulevéscontre le communisme mais contre la pénurie, la famine, le froid, contre des conditions devie inhumaine et ils l’ont fait après avoir enduré pendant vingt ans. Le nouveau pouvoiravait parfaitement compris, ce n’était pas la rupture mais la continuité qui était proposée.Le sauveur Ceausescu n’était pas le bon, il était mort, les problèmes disparaissaient aveclui et un nouveau sauveur garantissait la défense contre l’anarchie et des dangers mal

51 Boia Lucian, op. cit., p. 123-152 Voir le « nettoyage » fait par Gheorghe Gheorghiu Dej : Stefan Foris (secrétaire général du parti), Lucretiu Patrascanu

(Ministre de la Justice), Ana Pauker, Vasile Luca etc.53 Boia Lucian, « Istorie si mit in constiinta româneasca », p. 358-454 Boia Lucian, « Istorie si mit in constiinta româneasca », p. 360-3

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identifiés mais très présents. Par contradiction avec le leader providentiel le danger esttoujours sournois, tapi dans l’ombre et difficilement identifiable. Seul le héros sait, grâce à unflair sans faute, l’identifier. Cette logique de l’imaginaire justifie l’opacité et la confidentialitédes actions et du fonctionnement du pouvoir.

L’ancien premier ministre M. Nastase, leader de la scène politique et candidat auxdernières élections présidentielles, se situait dans la même tendance – l’homme qui ouvraità la Roumanie les portes de l’Europe.

Actuellement aussi le jeu politique est marqué par la forte personnalisation du pouvoir,cette fois à travers M. Basescu, le président de la Roumanie (et le gagnant, de peu,devant M. Nastase). On observe cette fois ci une évolution, similaire à celle observéependant Ieltsine en Russie. Deux formes de pouvoir s’affrontent – une fortement identifiéeà la personne du Président, une autre, anonyme, constitué par les élus et leurs groupesd’influence et d’intérêt. Il est conseillé d’éviter la tentation d’idéalisation des parties en conflit.Ce n’est pas le combat entre le Bien et le Mal. La question référendaire pourrait suggérerl’arbitrage du peuple et nourrir les illusions de ceux qui espèrent qu’enfin en Roumaniece dernier trouve sa place dans la dynamique du pouvoir politique et de la démocratiereprésentative. La question du vote uninominal soulevée par M. Basescu peut constituer unargument de plus dans cette direction.

Comme le remarque judicieusement M. Cristian Parvulescu55, en Roumanie lereferendum reste un instrument d’un pouvoir limité, son utilisation actuelle dans le jeupolitique étant juste un outil dans une confrontation entre le pouvoir présidentiel et lespartis politiques. Ce cas de figure, ce type de lutte, se retrouve dans pratiquement tous lesrégimes politiques républicains, pendant les premières années d’existence. Ce qui peut êtreinterprété comme positif n’est pas une apparente prise en compte par le pouvoir (présidentielou des partis) d’un besoin de rapprocher les masses de l’exercice du pouvoir. C’est lerapprochement entre la dynamique actuelle et un pattern observé historiquement qui peutlaisser supposer par extrapolation que la situation s’inscrit dans une tendance normale dematuration politique. La base électorale n’a pas réagi, pourtant elle a été invoquée avecinsistance.

Dans l’absence d’une étude sociologique sur les rapports entre gouvernants etgouvernés actuellement en Roumanie, ce manque de position peut être entendu à prioricomme un désintéressement des individus occupés à assurer leur bien être matériel à lalumière des nouvelles opportunités et/ou comme une manque de habilitation politique. Labase électorale ne se considère peut être pas qualifiée pour juger et prendre position dansle jeu politique actuel.

N’ayant pas trouvé du travail sociologique traitant explicitement cette direction, j’ai ducroiser plusieurs données disponibles. Ainsi Fundatia pentru o societate deschisa (OpenSociety Foundation, fondée par le milliardaire américain George Soros) dans une étude56

(novembre 2005) montre que seulement 52% des personnes interviewés sont capablesde se positionner correctement dans la représentation gauche droite du spectre politique.Ce chiffre est à nuancer par l’ambigüité du positionnement des partis politiques mêmesdans le jeu politique, des alliances « contre nature » n’étant pas rares. Une autre étude du

55 Pârvulescu Cristian, « Vox populi ? », Revista 22, N° 888, source http://www.revista22.ro/ , consultée le 18 mars 200756 « BOP editia noiembrie 2005 », chapitre 4, Fundatia pentru o societate deschisa, novembre 2005, source http://www.osf.ro/

ro/publicatii.php?id_cat=2 , consultée le 17 mars 2007

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même organisme (fin 200657) confirme cette difficulté de lecture du paysage politique – 45%des personnes questionnées n’ont pas entendu parler de la division gauche/droite. L’étudeprécise que la Roumanie se situe en bas du classement parmi les ex pays communistes dupoint de vue de la capacité d’auto positionnement sur l’axe gauche/droite, devant juste lesex membres de l’URSS et, selon les données, la Bulgarie.

39% des roumains58 ne sont ni contents, ni mécontents par la démocratie dans leurpays, ce pourcentage important est à croiser avec le fait que pour presque la moitiéd’entre eux, vivre dans un pays démocratique est très important (moyenne de 8,6/10).L’incapacité d’un pourcentage important de la population sondée de se prononcer sur lasatisfaction ou l’insatisfaction apportée par la démocratie roumaine ne vient donc pas d’undésintéressement mais d’un manque de compétence pour l’évaluer.

Les études confirment la confiance des sondés dans l’Eglise et l’Armée59 et laméfiance par rapport aux partis politiques (82% d’opinion négative), le parlement (79%),le gouvernement (70%), l’administration publique (66%), les tribunaux (64%) et la police(59%). Si les personnes consultées ne font clairement pas confiance eux institutionschargée de diriger et administrer le pays, les institutions internationales (UE, ONU, OTAN)bénéficient elles d’une perception plutôt positive. Pourtant l’Eglise et l’armée n’échappentaux affaires qui entachent la réputation des autres institutions : corruption, service malassuré etc. Ce n’est donc pas sur la base de leurs performances réelles que ces institutionssont jugées. Si la connotation symbolique attachée à la religion (chrétiens des tempsdes Romains, barrage devant le péril musulman etc.) ou à l’armée (ordre, lutte pourl’indépendance etc.) peut être une raison explicative de leur popularité, c’est un manque delisibilité du paysage politique (inaccessible et diabolisé) qui expliquerait les scores négatifset aussi l’ordre dans le classement – plus l’intégration institutionnelle est grande, moins laperception négative est importante. Ainsi les partis, nébuleuse peu structurée mènent avec82% de perceptions négatives, alors que la police, structurée et sous contrôle institutionnelbénéficie d’une image meilleure, avec seulement 59% de perceptions négatives.

A travers ces données statistiques les roumains semblent méfiants du pouvoir politique,désireux et respectueux de l’autorité, ne possédant pas une lecture claire du paysagepolitique et se considérant peu habilités pour l’évaluer ou y intervenir. Comment est perçuedans ce contexte la politique étrangère roumaine ?

L’Institut pour les Politiques Publiques de Bucarest (IPP Bucuresti) a rendu public enoctobre 2005 une étude intitulée « Perceptia opiniei publice din România asupra politiciiexterne si a relatiilor internationale »60. Les conclusions montrent un intérêt faible desRoumains pour la politique extérieure cohérente avec un faible niveau d’information61.15% des sondés ne savent pas ou ne répondent aux questions. Les individus consultés

57 « BOP editia noiembrie 2006 », Fundatia pentru o societate deschisa, novembre 2005, p. 31, source http://www.osf.ro/ro/fisier_publicatii.php?id_publicatie=51 , consultée le 17 mars 2007

58 « BOP editia noiembrie 2005 », chapitre 4, Fundatia pentru o societate deschisa, novembre 2005, source http://www.osf.ro/ro/publicatii.php?id_cat=2 , consultée le 17 mars 2007

59 « BOP editia noiembrie 2005 », chapitre 3, Fundatia pentru o societate deschisa, novembre 2005, source http://www.osf.ro/ro/publicatii.php?id_cat=2 , consultée le 17 mars 2007

60 « Perceptia opiniei publice din Romania asupra politicii externe si a relatiilor internationale », IPP Bucuresti, octobre 2005,source : http://www.ipp.ro/publicatii.php , consultée le 10 mars 2007

61 « Perceptia opiniei publice din Romania asupra politicii externe si a relatiilor internationale », IPP Bucuresti, octobre 2005,source : http://www.ipp.ro/publicatii.php , consultée le 10 mars 2007, p. 28-2

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considèrent que leur opinion a très peu d’influence dans la politique étrangère roumaine.Du point de vue des sondés le terrorisme est la principale menace en Europe – je profitepour faire le lien avec l’image du sauveur national et de l’ennemi sournois et caché décriteprécédemment.

Faible intérêt, faible information, les interviewés s’estiment peu compétents dansle domaine de la politique étrangère, apanage de l’élite personnalisée dans l’image duprésident – on retrouve l’image du sauveur par rapport à un extérieur inconnu et effrayant.Le sondage montre un grand intérêt pour la santé et l’éducation, peu d’intérêt pour la cultureou la politique étrangère ce qui laisse supposer que les individus sont trop préoccupés parla réalité matérielle quotidienne pour se permettre d’investir d’autres domaines.

Toutes ces données permettent de saisir une tendance générale – le sondés necomprennent pas l’action politique, ne se sentent pas compétents dans ce domaine. Leursrepères sont affectifs – Eglise, Armée – ce qui est visible également à travers les qualitésimportantes souhaités pour le chef de l’Etat : « sa fie un bun român » et « Sa creada inDumnezeu ».62 Cet état des choses ne doit pas être dramatisé. Par rapport au passé etaux évolutions de la société, à la lumière d’une maturation politique ballottée, fragile etinterrompue pendant un demi-siècle, la situation est normale. Même si le pouvoir en placene montre pas la conscience de la nécessité d’une éducation politique et civique de lapopulation, les secousses du monde politique à travers la crise des billets (criza biletelelor)témoignent des changements en cours. L’électorat, par sa non implication dans le conflitqui oppose partis et président, assure une stabilité de climat (une stabilité de passivité) quipermet paradoxalement de cloisonner la société « civile » et « politique ». Les évolutionsultérieures, fin 2007, vont nous apprendre plus sur cet équilibre bizarre.

Entre temps la politique extérieure est le domaine réservé « de facto » des dirigeants. LaRoumanie est devenue plus active depuis 2005, et affiche clairement ses intentions à traversla Stratégie de Sécurité 2006. Parmi les acteurs et puissances qui jouent un rôle vis-à-visde cette stratégie, certains ont dans l’imaginaire collectif une forte connotation négative. LaRoumanie ne peut toutefois les ignorer. Est-ce que la conduite de sa politique étrangèresans l’implication de l’opinion publique est un avantage ? Est-il utilisé ?

4. La relation avec les autres – l’impossible dessein dela construction d’un brand

Le Ministère des Affaires Extérieures roumain a commandé aux publicitaires pour marquerl’entrée de la Roumanie dans l’UE le concept (cadre, « template » de communication)d’une campagne de promotion de l’image du pays en Europe. Il est vrai que en France parexemple la Roumanie est connue pour Dracula, Ceausescu, les enfants abandonnés dansla rue ou les orphelinats et les mendiants aux carrefours des grandes villes occidentales.Ce phénomène perceptif est légèrement réducteur (au grand dam des autochtones) etnous ne rentrerons pas dans les détails d’une stigmatisation dont Maria Todorova trace lesstéréotypes avec brio. La prise de conscience de la part du gouvernement de la nécessitéd’une correction est salutaire. Le concept retenu pour servir de cadre de la future campagneest le « fabulospirit român ».

62 « BOP editia noiembrie 2006 », Fundatia pentru o societate deschisa, novembre 2005, p. 44, source http://www.osf.ro/ro/fisier_publicatii.php?id_publicatie=51 , consultée le 17 mars 2007

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Le terme, qui n’existe pas encore dans le vocabulaire roumain, ou d’un autre pays, asuscité beaucoup de remous en Roumanie. Il est encore inconnu à l’étranger. La polémiqueportait sur l’artificialité du concept ainsi que sur sa représentativité vis-à-vis de l’identitéroumaine. Nous allons aborder quelques arguments du débat, ils sont illustratifs autant del’image que les Roumains ont d’eux-mêmes que des autres.

Dans une conférence de presse63 en février 2007, le porte parole du MAE expliquel’intention de la future campagne de promotion d’image : « Am dorit sa conturam imagineaRomâniei […], punând accent pe dimensiunea spirituala a poporului român ». Il poursuit enexpliquants que la Roumanie est « o tara cu oameni spirituali, care se bucura de viata »,le peuple roumain se caractérise par « bogatie interioara si spirit fabulos ». Le but déclaréest que le mot « esprit » devienne pour les roumains ce que le mot « conservateur » estpour les anglais ou le mot « ingénieur » est pour les allemands. Le représentant MAE noteque les roumains n’ont pas de symbole national fort et universellement connu comme lespyramides pour l’Egypte, la tour Eiffel pour Paris et la France, Big Ben pour le RoyaumeUni. En échange, plus que tout, les Roumains sont, dans la vision du gouvernement, desgens d’esprit (oameni cu spirit). Le porte parole décrit brièvement les attributs associésà d’autres nationalités : les allemands sont froids, des ingénieurs, les britanniques sontconservateurs, les italiens et les espagnols parlent beaucoup, les français sont des artistes,des romantiques.

Ce qui s’impose dans la logique du choix d’une image symbolique de la Roumanie àl’extérieur est le phénomène de fuite, dans sa dimension verticale telle qu’elle est décritepar Sorin Antohi64 - « the horizontal organization of the world is replaced with a verticalorganization, one that frees the ethnic nation from the misery of history and geography,and elevates it next to a transcendental entity ». Le choix de la spiritualité en tant que traitcaractéristique de l’identité roumaine s’inscrit dans ce que M. Antohi appelle « indigenizinguniversal categories ». Le constat du porte parole MAE est lucide – la Roumanie, pourse différencier des autres pays n’a trouvé aucun aspect matériel, concret – je rajouteraisque ce n’est pas pour ne pas l’avoir trouvé que ce type de caractéristiques n’existent pas,mais ceci est un autre débat. La solution, évidente, se situe dans la continuité de ce queMircea Eliade appelait « boycott of history » - la Roumanie avait un mandat messianique– culturel et spirituel. Si on revient à la position MAE, c’est par leur richesse spirituelle queles Roumains vont beaucoup apporter à l’Europe. La boucle est bouclée – quatre vingt ansaprès la génération 27, celle d’Eliade et Noica, la même solution est trouvée. Ce retour dansle passé est visible également à travers les traits de la France que nous venons de citer –des artistes, des romantiques – qui correspondent plutôt à l’image fin XIXe et début XXe.

Un complément d’information salutaire sur l’utilisation future du « fabulospirit » vient dela part même de son concepteur, Lucian Georgescu, le directeur de l’agence de publicitéGAV Sscholz & Friends65 : « […] ne intereseaza foarte mult o anumita categorie de public,care creste si se formeaza acum. […]Ma intereseaza o generatie care a trecut de cliseeleastea, care habar n-are de razboiul rece, de revolutia romana. Astia se uita in viitor. Si-atunci

63 « Briefing de presa », MAE Roumanie, 22 février 2007, source : http://www.mae.ro/index.php?unde=doc&id=32183 ,consultée le 16 mars 2007

64 Sorin Antohi, « Romania and the Balkans. From geocultural bovarism to ethnic ontology », Institute for Human Sciences, N°21/2002, source : http://www.iwm.at/index.php?option=com_content&task=view&id=235&Itemid=411 , consultée le 04 Janvier 2007

65 Entretien Hotnews.ro, « Fabulospirit nu est un slogan ci un template de comunicare », hotnews.ro, 4mars 2007, source : http://www.hotnews.ro/articol_66679-Lucian-Georgescu-''Fabulospirit-nu-este-un-slogan-ci-un-template-de-comunicare''.htm , consultée le 06 mars 2007

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vin pe o zona spre care acestia se duc si spun niste povesti de succes ». M. Georgescu parlede la nouvelle génération internationale, européenne mais on doit se poser la question del’impact futur d’une telle image sur la nouvelle génération roumaine, celle qui aura la chargede la construction de cette spiritualité. L’estimation est difficile et sort du cadre de ce travail.Nous allons juste souligner un aspect pratique lié au potentiel en développement roumain.La Roumanie se situe en bas du classement en Europe par le nombre des étudiants quifinissent des études supérieures (un dixième des roumains de plus de 25 ans, la moitié duniveau moyen européen). Un Roumain sur mille part étudier dans une université étrangère(trois fois moins que les bulgares). A peine 12% des Roumains qui reviennent de l’étrangeront un diplôme universitaire.66 En clair, la Roumanie produit peu d’élites, peu orientées versl’international. Le lien entre les nouvelles générations roumaine et européenne, nécessairepour la réussite du projet du « fabulospirit » est ténu.

L’exemple du « fabulospirit » permet de visualiser dans le présent une illustration dela relation des Roumains avec l’extérieur – relation ô combien complexe et qui a fait coulerbeaucoup d’encre. D’un point de vue historique, peu de peuples ont eu tellement à faireavec les étrangers par rapport aux Roumains. Ce contact ininterrompu avec l’étrangers’est effectué alors que la population autochtone était majoritairement rurale, traditionnelleet réfractaire. C’est l’élite qui a eu la responsabilité des rapports avec l’extérieur, d’où lecaractère antinomique d’un processus sans fin d’acceptation / répulsion.

Une des fiertés roumaines, qui aurait pu constituer le trait de caractère national, estl’hospitalité. On retrouve la trace de cette hospitalité dans les écrits de Dimitrie Cantemirau début du XVIIIe.67 Cette ouverture dans l’accueil des étrangers est un trait général dessociétés traditionnelles et trouve son explication dans le facteur différence – qui suscite lacuriosité pour pouvoir la satisfaire, les faveurs. Ce mécanisme garde en même temps ladistance par rapport au facteur étranger qui est investi avec des traits d’altérité, positive ounégative. Le communisme a accentué l’opposition roumain/étranger – le fameux « agenturilestrăine » de Ceausescu – non seulement par rapport à l’Occident mais aussi par rapport aubloc soviétique. Par l’isolement il y a eu fantasme de cet extérieur perçu principalement pardes produits de consommation courante qui faisaient cruellement défaut – la cartouche deKent et le paquet de café était devenus une seconde monnaie. M. Boia souligne que cetteacuité de la perception de l’extérieur en tant que étranger, terrain de peurs et fantasmesa été accompagnée par le sentiment des étrangers de l’intérieur – les Roumains partisà l’étranger, les minorités ethniques etc. Nous avons vu précédemment que la premièrequalité demandée au président est « sa fie un bun român », témoignage des sensibilitéset complexes dans l’identité.

Actuellement, par rapport aux autres pays, les USA mènent dans le top des pays quiimpressionnent le plus, suivie par l’Allemagne et à distance par la France. L’Allemagneabrite la communauté roumaine la plus nombreuse à l’étranger et le modèle d’efficacitééconomique allemand a beaucoup d’influence. Si les Etats-Unis restent un partenairegéostratégique éloigné (présents par le partenariat militaire), l’Allemagne est présente àtravers les échanges commerciaux – deuxième des partenaires à l’export et à l’import aprèsl’Italie.68 Cette présence est à mettre dans le contexte – l’Allemagne occupe une position

66 Andreea Vass, « Unde cauta studentii romani performanta », Eurocom – Revista de informare, comunicare si integrareeuropeana, Janvier 2007, source : http://eurocom.gm.ro/articol/?artID=27 , consultée le 08 février 2007

67 Cantemir Dimitrie, « Descriptio Moldaviae », « Descrierea Moldovei », Bucuresti, Litera Int., 1999, 312 p.68 CIA, Chiffres Roumanie par CIA World Factbook, source : https://www.cia.gov/cia/publications/factbook/geos/ro.html ,

consultée le 6 Mars 2007

I. Histoire et identité

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dans les trois premiers places en tant que partenaire économique dans pratiquement tousles pays de l’Europe, présence qui va jusqu’à la Turquie, le Caucase et la Caspienne. LaFrance voit son influence décroître.

Comme nous l’avons souligné au point 3 de cette partie, la politique extérieure occupepeu de place dans les préoccupations des Roumains, plus focalisés sur les réalitésdomestiques. Ce faible intérêt, conjugué avec un faible sentiment de compétence vis-à-visde la politique en général et de la politique étrangère en particulier se situe dans la continuitéd’une tradition des rapports avec l’extérieur qui restent l’apanage des élites. En mêmetemps le pays hérite de deux décennies de discours nationaliste exacerbé par Ceausescu,discours repris et continué par une part importante de la classe politique. Le résultat enbref est schizophrénique : une identité difficile à afficher (« fabulospirit »), un comportementtraditionnel réfractaire accompagne de la réalité d’un dixième de la population partie àl’étranger, une politique étrangère qui reste l’apanage des élites, élites qui n’échappent paselles mêmes aux clichés de l’imaginaire, une volonté d’importance géopolitique et le refusaffiché de choisir un camp (UE, OTAN, USA, Russie).

La Roumanie : histoire, identité et politique étrangère

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II. Effets dans le réel – la politiqueétrangère

Dans la première partie nous avons essayé de trouver des décalages significatifs dans laperception de l’identité, de l’histoire et dans la relation avec les dirigeants et avec l’étrangeren Roumanie. L’imaginaire tient de la représentation ce qui rend difficile son analyse directe.Le chercheur est obligé de passer par ses manifestations : déclarations des hommespolitiques, œuvres des autres chercheurs, écrits des hommes de lettres, sondages etc.,manifestation qui sont elles mêmes déclaratives et interprétatives. Dans la perspectiveidentitaire et historique nous allons maintenant analyser la stratégie et les orientations de lapolitique étrangère roumaine. Nous avons déjà aperçu à travers la brève analyse du conceptde « fabulospirit » le lien qui peut exister entre relations internationales et représentations(dans ce cas de soi et des autres).

J. Nye, a travers son concept de « soft power » pose la question des la capacité d’unpays d’œuvrer pour son intérêt autrement que par la force et la punition, ç’est à dire par« the attractiveness of a country’s culture, political ideals, and policies »69. L’attraction queces éléments peuvent exercer passe par leur perception à l’extérieur et donc globalementpar l’image du pays. La question des effets de l’image/représentation dans les relationinternationales n’est donc pas une question nouvelle (le livre de Nye est apparu en 2004mais le terme de « soft power » était déjà utilisé dans son livre de 1990 : « Bound to Lead :The Changing Nature of the American Power »). Nye parle d’attraction mais la questionpeut se poser dans le sens plus large des effets, sans forcement parler d’une connotationpositive ou négative de ces effets.

Si l’intérêt et donc un fort lien avec le concret occupent une place importante dans lapolitique internationale, pour ne pas dire toute la place, la définition de cet intérêt tient elle dela représentation. Même si on se place dans l’hypothèse des relations internationales vuecomme des négociations purement pragmatiques autour des buts matériels (constructiond’un oléoduc, implantation d’une base, conditions des opérations commerciales), ceux quiconnaissent les domaines de la vente, de la publicité et du marketing savent combien estimportante dans une négociation la place d’autres facteurs que les qualités intrinsèquesdu produit. Les représentations que les acteurs dans les relations internationales se fontd’eux-mêmes, des autres ainsi que de la dynamique du processus (leur appréciation du gainpossible et des risques dans une situation) déterminent souvent les issues. Cela ne signifiepas que des élément purement matériels (comme la capacité militaire) n’ont pas un rôletout aussi important – comme l’exprime d’ailleurs avec humour et une pointe d’amertumele président roumain M. Basescu concernant la position roumaine par rapport au Kosovo etaux Balkans d’Ouest : « dacă România ar avea trei mii de avioane de luptă ar putea să sepronunţe altfel în legătura cu acestă chestiune »70. Leur utilisation – dissuasion, menace –tient elle aussi du domaine représentatif.

69 Joseph S. Nye, « Soft Power », Public Affaires Press, New York, p. x-270 Le Président T. Băsescu, émission radiodifusée « Sfertul academic », Radio România Acutalitati, 3 Juillet 2006 à 14 heures,

source : www.presidency.ro , consultée le 09 mars 2007

II. Effets dans le réel – la politique étrangère

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D’autre part il ne faut pas oublier que la politique internationale est faite par des êtreshumains. Le côte institutionnel ou inter étatique tend à faire oublier cet aspect. L’imagedes rouages de la politique peut paraître sobre, protocolaire dans ses moindres détails,impersonnelle – plus les individus sous estiment leur compétence politique plus ce domainesemble hors d’atteinte, hors des schémas habituels. Pourtant le facteur humain est nonnégligeable dans ce domaine et encore une fois les propos du président roumain illustrentcette réalité : « A fost consiliul NATO unde erau toti preşedinţii de stat […] care discutând aubăgat pâinea in farfurie, în sos şi pe urmă în gură »71. S’il est limité et orienté par le cadreinstitutionnel, législatif il s’exprime toutefois tout comme un vendeur de téléviseurs apportesa touche dans la vente d’un produit dont il ne peut modifier le cadre. Tout comme le vendeurl’individu dans la politique peut monter l’échelle du pouvoir et arriver dans des positions quilui permettent même de modifier le cadre d’exercice de ce pouvoir. L’individu politique estaussi acteur social et intègre les représentations et la symbolique de l’imaginaire collectif.Ses actions – la déclaration est une des actions politiques les plus utilisées – vont refléterl’influence de ce bagage.

La base de départ de notre approche de la politique étrangère roumaine est la stratégiede sécurité roumaine d’avril 200672, document qui représente un concept intégrateurde synthèse des actions de la Roumanie dans ses relations avec l’extérieur. Déjà, àpartir du titre, les deux grandes axes qui guident la politique étrangère roumaine sontaffichées clairement : l’intégration européenne et l’intégration euro atlantique. La deuxièmedirection peut paraître paradoxale dans le contexte actuel qui a semblé marquer une sorted’opposition entre la vieille Europe et les Etats-Unis. Nous allons détailler les relations dela Roumanie avec l’OTAN et avec les USA, notons a ce moment la volonté affichée par lastratégie roumaine de sécurité de suivre, sans autre priorité que celle de l’intérêt national,ces deux grandes directions de partenariat et intégration.

Dans le cadre de ces axes principaux, la Roumanie se fixe comme objectif principalavoir un rôle conséquent dans l’implémentation des politiques de stabilisation, coopérationet sécurité de l’UE et de l’OTAN en Europe Centrale, d’Est et du Sud-Est73. Plus précisémentla Roumanie entend jour un rôle significatif en tant qu’élément de stabilité et d’intégrationrégionale sur trois directions – les Balkans d’Ouest (pays de l’ex Yougoslavie), sur safrontière d’est et nord-est (République Moldave, Ukraine)74 et dans la région de la MerNoire75.

On peut déjà remarquer une chose – au moment de son intégration dans l’UE laRoumanie garde son regard tourné vers l’extérieur de celle-ci – le horizontal escape

71 Participation du Président T. Băsescu à l’émission télévisée « Agenda politica », édition spéciale, TVR, 7 Mars 2005, 21heures, source : www.presidency.ro , consultée le 09 Mars 2007

72 Présidence de la Roumanie, « Strategia de securitate nationala a României », SSNR, source : http://www.presidency.ro/static/ordine/SSNR/SSNR.pdf , avril 2006, consultée le 15 Mars 2007

73 Présidence de la Roumanie, « Strategia de securitate nationala a României », SSNR, source : http://www.presidency.ro/static/ordine/SSNR/SSNR.pdf , avril 2006, consultée le 15 Mars 2007 – « În calitatea sa de stat aflat într-o zonă de importanţăstrategică, România urmăreşte să joace un rol substanţial în procesul de definire şi implementare a politicilor stabilizatoare, decooperare şi asistenţă de securitate ale NATO şi Uniunii Europene, în Europa centrală, de est şi de sud-est. » p. 18-3

74 Idem p.18-5 : « […] eforturile strategice vor fi directionate pentru solutionarea problemelor de securitate care afecteaza încaBalcanii de Vest si vecinatatea estica a României »

75 Idem p.19-5 : « Construire unui climat de securitate si prosperitate în zona Marii Negre reprezinta o directie distincta deactiune a acestei strategii. » (en gras dans le texte)

La Roumanie : histoire, identité et politique étrangère

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décrit par Sorin Antohi. On ne peut non plus ignorer la place importante qu’occupe dansla Stratégie de sécurité roumaine la partie concernant le fonctionnement intérieur – 11pages sur un document de 33 pages. La nécessité d’avoir une bonne gouvernance, uneadministration professionnelle et efficace, une justice démocratique, combattre la corruptionet reformer les institutions étatiques avec des responsabilités dans le domaine de la sécuriténationale sont tout autant d’arguments utilisables dans la lutte actuelle entre le président(représentant de la Roumanie à l’extérieur) et les partis. En tant que principal responsablede la politique étrangère roumaine le président trouve à travers la stratégie de sécuritéles justifications qui lui donnent légitimité pour dépasser sa zone de compétence dansson conflit avec le gouvernement issu des partis. Les tensions entre président et premierministre concernant le choix d’un nouveau ministre des affaires étrangères témoignent del’importance de ce domaine de la politique roumaine dans la lutte pour le pouvoir. Il fautrappeler également que l’ambassade de Londres, ambassade avec un rôle important dansla politique étrangère roumaine attend encore, au fin Mars 2007 son ambassadeur, sur lemême fond de désaccord entre président et premier ministre.

Pourquoi cette importance dans le conflit de la politique étrangère ? Nous avons vudans la première partie que c’est un domaine qui intéresse très peu l’électorat roumain.Ce n’est pas dans cette direction que l’on trouve une explication. Deux éléments semélangent concernant l’utilisation de la politique étrangère dans les jeux du pouvoir intérieur.Premièrement le président veut élargir son champ de compétences ainsi que sa marge demanœuvre. Nous avons vu à travers la SSNR le lien entre un domaine où il possède lalégitimité d’action, et un autre où ce n’est pas le cas. Deuxièmement, si la politique étrangèren’intéresse pas l’électorat, depuis l’intégration dans les structures de l’OTAN et de l’UE c’estdevenu un domaine avec des répercussions importantes au plan domestique – notammentà travers ses implications économiques.

Ce bref éclairage concernant la politique étrangère roumaine dans son ensemble étaitnécessaire pour compléter une vision globale avant de rentrer dans les détails. Nousallons respecter la logique de la structure de la stratégie de sécurité roumaine et traiterpremièrement les deux grands axes, UE et OTAN/USA. Contrairement au document SSNRnous allons traiter séparément et explicitement les relations avec l’UE, les USA/OTAN etla Russie pour ensuite reprendre la logique de la stratégie et traiter les trois directionsrégionales – Mer Noire, République de la Moldavie et les Balkans.

1. L’intégration européenne

Le 1er Janvier 2007 la Roumanie (et la Bulgarie) a finalement rejoint « le monde civilisé »,l’Occident, le top du top, le meilleur du best, en un mot, l’Union Européenne. A différencedu précèdent élargissement cette fois ci « le retour en Europe » s’est fait quasimentdans l’indifférence de l’opinion publique. Tel n’a pas été le cas sur le plan institutionnel.L’UE a imposé des conditions sans précèdent aux deux nouveaux en liant par exemple ladistribution des fonds aux évolutions dans des domaines comme la justice ou la reformeadministrative. Il est vrai que jamais l’UE n’avait intégrée des membres aussi pauvres – lePIB par habitant de la Roumanie représente 35% de la moyenne UE, devançant seulementla Bulgarie avec 32% (données EUROSTAT). La Roumanie occupe la 88eme place dansle classement Transparency International’s Corruption Perceptions Index de 2006, la pireposition de tous les membres UE dans ce domaine. En même temps le pays présentait

II. Effets dans le réel – la politique étrangère

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fin 2006 une croissance évaluée entre 6 et 8%, de loin supérieure à celles des anciensmembres UE et cible en 2007 un déficit budgétaire inférieur à 3%. Le chômage était fin 2006atour de 5-6%. La Roumanie représente un marché en développement très intéressant et la« manne » des fonds structurels va bénéficier aux entreprises occidentales, les entrepriseslocales n’ayant pas le savoir faire et la taille pour pouvoir répondre aux cahiers de chargesdes travaux auxquels ces fonds sont destinés. L’entrée de la Roumanie dans l’UE luiouvre des perspectives de développement économique et démocratique mais ces futuresévolutions positives ne vont pas se réaliser sans d’autres sacrifices. Les couches socialesles plus défavorisées comme les ouvriers et les paysans sont celles qui devront s’adapterle plus aux nouvelles conditions de marché de l’UE. Comme ces couches représentent unréservoir important d’électeurs il y a lieu de s’inquiéter vis-à-vis de la montée des partisnationalistes et des leaders populistes, partis qui existent déjà comme Partidul RomâniaMare (PRM) ou Partidul Noua Generaţie(PNG).

D’autre part la Roumanie (et la Bulgarie) sont situées dans une région avec un granddegré d’instabilité potentielle – Ukraine, Moldavie, pays de l’ex Yougoslavie, basin de laMer Noire. Dans un climat de doute sur l’avenir de l’élargissement européen et même del’UE telle qu’elle, la réussite ou l’échec de l’intégration des deux derniers pèsera dans labalance des futurs choix de l’UE. D’autre part la Roumanie se pose comme catalyseurdans la région en proposant de transmettre son savoir faire acquis pendant le processusd’admission aux autres pays désireux de rejoindre l’UE. Pour l’instant ce capital tient plusdu déclaratif et n’a convaincu personne tant les différences avec les reste de l’UE restentgrandes. Plus rapidement le pays rattrapera son retard, plus il va acquérir de la crédibilitérégionale qu’il va pouvoir transformer en capital politique afin d’atteindre les buts qu’il s’estfixés : « România este direct interesată să joace un rol activ şi constructiv în plan regional,să fie o punte de legătură între civilizaţii […] »76, « asumarea rolului de vector dinamic alsecurităţii în regiunea Mării Negre »77 et en général « Construcţia noii identităţi europene şieuroatlantice a României ». Notons que cette dernière citation résume l’évolution actuellede la Roumanie, dans le sens de a remarque de Brzezinski concernant la France qui viseà travers la construction européenne la réincarnation de sa puissance et l’Allemagne quiattend la rédemption. Dans le cas de la Roumanie il s’agit d’une nouvelle identité, d’unerenaissance ontologique.

a. Renforcement de l’intégration ou poursuite de l’élargissement : lesintérêts roumains

Dans ce contexte la Roumanie voit l’UE comme une caisse de résonance à travers laquelleelle pourra faire entendre sa voix. Pays faible politiquement dans le cadre international, lemoyen le plus rapide d’acquérir du poids est l’UE. Mais l’UE elle-même est un nain politiquepar rapport à sa taille et son importance économique. Pour pallier, en attendant, la Roumanieinvestit dans son partenariat stratégique avec les USA et dans son intégration dans l’OTAN.Dans les déclarations au moins le pays est un partisan déclaré du processus de poursuited’intégration européenne et de la nécessité d’un Traité Constitutionnel : « România opteazăpentru un Tratat solid, capabil să consolideze legitimitatea acţiunii politice la nivel comunitar.Fără un asemenea Tratat Uniunea nu se va putea transforma prea curând într-un actor

76 Présidence de la Roumanie, SSNR, p. 11-777 Présidence de la Roumanie, SSNR, p. 12-3

La Roumanie : histoire, identité et politique étrangère

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global, puternic şi ascultat »78. Si l’UE arrive à construire une politique étrangère communeelle va devenir du point de vue politique un acteur important sur le plan international etimplicitement la Roumanie va bénéficier également de cette puissance.

Ce qui peut paraître paradoxal est que la Roumanie est partisane également d’unepoursuite du processus d’élargissement vers les pays de l’ex Yougoslavie, la Moldavie,l’Ukraine, la Turquie et même vers les pays de la Mer Noire (excepté peut être la Russie).Or il est accepté que volume rime avec plus de difficultés d’intégration et donc avec unedilution du pouvoir, déjà peu important, de l’UE sur la scène internationale. On trouve, surce point, une attitude à priori ambiguë. Il y a plusieurs explications possibles. La Roumanieveut être un acteur clé au niveau régional. Or dans les deux aires d’influence possible – lesBalkans d’Ouest et la zone de la Mer Noire il y a plusieurs pays qui sont ou qui seraientcandidats à l’intégration européenne. On peut citer la Turquie, la Croatie, la Macédoine entant que pays déjà candidats. Si l’élargissement s’arrête, la position de la Roumanie en tantque voisin et aussi membre UE donc décideur dans le processus d’intégration n’existe plus.Finie la transmission du savoir faire, finie la négociation de l’appui politique roumain. Enmême temps si le processus d’intégration se poursuit, la position stratégique de la Roumanieen tant que frontière dans une zone sensible de l’UE va diminuer ou éventuellementdisparaître. Si l’Ukraine intègre l’UE la Roumanie n’aura plus aucune chance de jouer unrôle quelque peu important dans la région de la Mer Noire par exemple. En militant dansles deux directions le pays entretien une perspective qui lui est utile. Le mieux pour laRoumanie serait une poursuite du processus d’intégration par un Traité Constitutionnel etune politique étrangère européenne commune associé à un ralentissement non déclarédu processus d’élargissement (comme dans le cas de la Turquie). Le risque pour l’Europeserait un détournement des candidats déclarés et potentiels vers d’autres alliances – lerapprochement entre la Turquie et la Russie est un exemple pour ce cas de figure. La miseen place des la Politique Européenne de Voisinage (PEV) ainsi que des Euro régions permetde compenser les délais de négociation et retards d’intégration tout en gardant les candidatsdans le giron de l’UE.

Une autre explication pour la duplicité apparente de la politique roumaine qui s’inscritdans un cadre plus général est l’hypothèse d’une volonté d’intégration euro atlantique79 dela part des USA, le partenaire stratégique de la Roumanie. Cette hypothèse expliqueraitl’utilisation abondante du terme « euro atlantique » par les dirigeants et la diplomatieroumaine. Les USA sont partisans de la construction européenne et la tendance admissionOTAN/ admission UE est un indice dans cette direction. Pourtant ils ne sont pas trèsenthousiastes, malgré les déclarations, pour que l’UE progresse sur la voie de la PESC/PESD. Il est vrai qu’une plus grande puissance européenne dans le domaine de la politiqueétrangère et du pouvoir militaire signifierait un possible éloignement des USA et une remiseen cause de l’OTAN. En même temps le jour ou l’UE sera en mesure d’assurer totalementsa sécurité n’est pas pour demain ce qui donne de la marge aux américains. L’Allemagne,qui déploie beaucoup d’efforts afin de relancer le processus de Traité Constitutionnel80, a

78 Discours du Président T. Băsescu à la réunion avec les chefs des missions diplomatiques roumaines à l’étranger, 19 Janvier 2007,source : www.presidency.ro , consultée le 19 Mars 2007

79 Ce que la Fondation Bertelsmann appelle « la région Europe-Amérique », Hillard Pierre, « L’architecturedu bloc euro-atlantique », mondialisation.ca, février 2007, source : http://www.mondialisation.ca/index.php?context=viewArticle&code=HIL20070205&articleId=4685 , consultée le 28 Mars 2007

80 Voir la réussite, après de tractations difficiles entre Berlin et les capitales de l’UE, d’une déclaration commune de relancejusqu’au 2009 un nouveau traité, « La Déclaration de Berlin fixe à 2009 l’entrée en vigueur d’un nouveau traité européen », Le Monde,25 Mars 2007, source : http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0,36-887674,0.html , consultée le 25 Mars 2007

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aussi signé en 2004 le pacte L’alliance gérmano-américaine pour le 21 e siècle 81 . Le

texte prône une refonte des relations transatlantiques et témoigne d’une convergence destratégie entre l’Allemagne et les USA concernant l’avenir de l’UE ainsi que des relationsUE/USA. L’orientation roumaine s’inscrirait ainsi dans le cadre de cette dynamique. Il estintéressant de noter que il n’y a pas d’axe stratégique Bucarest – Berlin comme le montrel’entretien radiodiffusé du 19 Février82 avec le Président M. Băsescu – on y trouve Bucarest-Washington, Bucarest-Londres, Bucarest-Bruxelles, Bucarest-Paris mais pas de Bucarest-Berlin. Cette absence est d’autant plus remarquable dans le discours83 que l’Allemagne estun partenaire économique important pour la Roumanie (deuxième import et export aprèsl’Italie) et qu’elle abrite une importante communauté roumaine.

b. Une intégration tournée vers l’extérieurL’admission de la Roumanie et de la Bulgarie apporte à l’UE, à part des nouveaux députésd’extrême droite au Parlement européen, un marché en développement, une main d’œuvremoins chère et qualifiée dans certains domaines (comme les technologies informatiques)mais aussi un potentiel avantage géostratégique – un accès à la Mer Noire qui rapprochel’UE des anciennes républiques soviétiques (comme l’Ukraine, la Moldavie ou la Georgie)et du Moyen Orient. Ce rapprochement assure également à l’UE un couloir alternatif detransport énergétique afin d’éviter le monopole russe. En même temps cette avancéesécurise l’appartenance européenne de l’espace de l’ex Yougoslavie : «Faptul că Româniaşi Bulgaria sunt, astăzi, membri deplini ai Uniunii, completează ceea ce experţii numesc„încercuirea strategică” a Balcanilor de Vest »84.

Une caractéristique de la politique roumaine est son orientation vers l’extérieur de l’UE :le partenariat avec les USA, le bassin pontique, les Balkans d’Ouest. La Roumanie affirmeson attachement aux valeurs de l’UE (démocratie, droits de l’homme, Etat de droit, économiede marché etc.), son intention de participer à l’élaboration d’une politique étrangère etde sécurité commune et à l’adoption d’un Traité Constitutionnel mais l’Union Européenneest perçue pour l’instant comme assurant la prospérité alors que les USA représentent lepouvoir politique et militaire. Claude Karnoouh85 utilise une métaphore qui compare l’UE aune sorte de club anglais, avec ses junior et senior fellows ce qui suppose le respect denombreuses règles ainsi que le passage du temps pour acquérir de la respectabilité. Lesrelations avec les USA s’encadrent dans un type de relation à priori plus simple et plusrapide : allégeance/ soutien mutuel avec priorité pour les intérêts des USA. Il ne faut pasoublier l’avantage d’un dialogue avec un interlocuteur unique et puissant. Les relations avecles Balkans ou les autres pays de la Mer Noire présentent l’avantage d’une moins importante

81 « The German-American Alliance for the 21st Century Joint Statement », 27 Février 2004, source : http://www.whitehouse.gov/news/releases/2004/02/20040227-10.html , consultée le 27 Mars 2007

82 Le Président T. Băsescu, émission radiodiffusée « Sfertul academic », Radio România Actualităţi, 19 Février 2007, sourcewww.presidency.ro , consultée le 27 Mars 2007

83 Il y a des exceptions : « România va susţine Germania în efortul de relansare a Tratatului Constituţional », entretien avec lePrésident T. Băsescu, Deutsche Welle, 22 Septembre 2006, source : www.presidency.ro , consultée le 07 Mars 200784 Discours du Président T. Băsescu à la réunion avec les chefs des missions diplomatiques roumaines à l’étranger, 19 Janvier 2007,source : www.presidency.ro , consultée le 19 Mars 2007

85 Karnoouh Claude, « Attention, Europe ! », cairn.info, Février 2004, source : http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=OUTE&ID_NUMPUBLIE=OUTE_007&ID_ARTICLE=OUTE_007_0285 , consultée le 26 Mars 2007

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différence de niveau économique et culturel. Les similitudes sont grandes avec la Bulgarie,l’Ukraine, la Moldavie, la Turquie, la Georgie, les pays de l’ex Yougoslavie. La Roumanieest même en avance au niveau économique ou institutionnel ce qui lui permet d’exercerune diplomatie moins complexée.

c. Intégration et imageLes dirigeants roumains commencent a ne plus avoir d’illusions par rapport à l’image que lesanciens pays de l’UE se sont formés de la Roumanie : « Uniunea a reuşit să depăşească,în mod formal şi instituţional, vechilor diviziuni est-vest. […] La nivelul cetăţenilor vest-europeni, însă, persistă un deficit de cunoaştere şi ezitări în acceptarea est-europenilor caparteneri deplini şi membri ai aceleiaşi familii »86. Cette représentation qui s’inscrit dans unetradition imaginaire plus ancienne à travers l’orientalisme87 rencontre la quête des roumainspour une identité, quête exprimée même dans la stratégie de sécurité. La volonté d’élaborerun brand national, matérialisé par le fabulospirit, cadre de la future construction de cetteimage de marque, témoigne de ce besoin. Même si la construction de cette identité estaffirmée dans la direction européenne et euro atlantique la Roumanie voit pour l’instant sonaffirmation dans le cadre régional, l’UE et l’OTAN devenant juste des appuis et non desbuts identitaires.

Si la Roumanie au niveau de ses élites est consciente des ses problèmes d’image,elle réalise également les différences de situation géopolitique qui induisent des différencesde perception : « România cheamă aliaţii săi şi din interiorul UE şi din NATO, la o politicăcomună în zona Mării Negre, datorită realităţilor acestui spaţiu. Ştiţi, de foarte multe ori, estefoarte greu ca atunci când frontiera ta este Oceanul Atlantic şi următorul stat este o maredemocraţie şi o mare putere, cum sunt SUA, din acea poziţie de la Atlantic se vede într-unfel. Când eşti în frontiera orientală... »88.

Nous sommes actuellement dans un moment de passage. La Roumanie vient d’intégrerl’UE et doit passer d’un état ou le but principal de sa politique étrangère était l’acceptationà l’UE à un autre de participation effective et d’intégration. La route qui reste est longue,d’autant plus que l’UE est également dans un moment délicat, des choix importants pourson avenir sont à prendre et à assumer. Nous avons vu les principaux enjeux ainsi quel’orientation de la politique roumaine. Il manque une vraie dimension de politique intraeuropéenne mais ce but est déjà posé et transparaît dans le discours politique roumain.

2. Roumanie / OTAN et l’axe Bucureşti/Lssondres/Washington

86 Discours du Président T. Băsescu à la réunion avec les chefs des missions diplomatiques roumaines à l’étranger, 19 Janvier 2007,source : www.presidency.ro , consultée le 19 Mars 200787 Nous avons abordé cet aspect en première partie. L’histoire de cette tendance est étudiée par des travaux comme ceux de MariaTodorova, Sorin Antohi et les répercussions actuelles sont abordées par des auteurs comme Claude Karnooh et Dorina Năstase

88 Le Président T. Băsescu à l’émission télévisée « 2006 - an crucial pentru România », Realitatea TV, 20 Janvier 2006, source :www.presidency.ro , consultée le 09 Mars 2007

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Début 2007 la Roumanie a rejoint, après moult émotions, l’espace européen, non sansconditions, surveillance et clauses restrictives. Comme les autres pays ex communistesla Roumanie a adopté une attitude qui en France peu paraître ambiguë. Si le pays necesse de clamer son attachement aux valeurs, aux institutions, à la politique européenne,à chaque fois ces affirmations sont immédiatement suivies ou précédées par l’expressionde l’importance du partenariat stratégique avec l’OTAN et les USA. Un modèle du genre estle document de la Stratégie de Sécurité Nationale ou le souci d’alterner l’ordre du tandemUE/USA (OTAN) frise la perfection. On l’aura compris, la Roumanie accorde une attentionparticulière pour privilégier autant son intégration européenne que son partenariat avec lesUSA/OTAN : « […] aş vrea să înţelegem foarte bine, că România nu a optat pentru SUA saupentru Europa »89. Ce qui peut paraître illogique en France est logique en se rapprochantde la Russie.

Plusieurs facteurs expliquent l’approche roumaine. Premièrement, comme le PrésidentRoumain Traian Băsescu le remarquait90, il y a trop de membres UE qui soient égalementmembres OTAN pour que l’on puisse séparer les deux institutions. Elles restent différentes,avec des objectifs différents : la sécurité pour l’OTAN et la prospérité pour l’UE91.Deuxièmement, en absence du Traité Constitutionnel qui aurait ouvert la porte vers uneréelle politique commune, l’OTAN présente un traité d’adhésion explicite orienté vers un butprécis – la sécurité de ses membres. Entre temps la politique étrangère dans l’UE est l’affairede chaque Etat et l’UE ne peu assurer seule sa sécurité. La Roumanie est en conséquencelibre dans sa politique étrangère et obligée par sa position de trouver un moyen pour garantirsa sécurité. Le seul moyen est l’OTAN et un partenariat stratégique avec les USA.

a. Une adhésion longuement attendueLa possibilité pour la Roumanie de rejoindre l’OTAN date de la décision de l’administrationClinton (1993) d’élargir l’Union. Très rapidement, début 1994, la Roumanie a signé lePartenariat pour la paix devenant ainsi le premier pays d’Europe Centrale et Orientalea entamer sa démarche dans cette direction. Cet empressement a pu sembler suspectpuisque les dirigeants de l’époque étaient de facture communiste et beaucoup d’entre euxavaient fait leurs études à Moscou. Certains92 voient dans cette hâte l’intention de pervertiren les rejoignant des structures qui cinq ans auparavant étaient ennemies. Je pense queen 1994 le geste tient plutôt de l’opportunisme. L’image des américains qui vont arriverpour sauver la situation a longtemps donné espoir aux roumains après l’instauration ducommunisme. Le conflit en Yougoslavie impliquait l’OTAN dans le voisinage immédiat dela Roumanie. Le matériel militaire manquait d’entretien. Les russes étaient absents surla scène internationale et des nombreuses analyses occidentales appréciaient la situationchaotique en Russie comme la fin du pays en tant que pouvoir mondial. La situationintérieure de la Roumanie accusait les difficultés inhérentes à la transition et la possibilité

89 Discours du Président Traian Băsescu à la réunion avec les chefs des missions diplomatiques roumaines à l’étranger, 30 Août2006, source : www.presidency.ro , consultée le 08 Mars 2007

90 Interview télévisé accordé par le Président Traian Băsescu le 20 Janvier 2006, Realitatea TV, source : www.presidency.ro, consultée le 11 Mars 2007

91 Idem, « […] UE are, cel puţin in stadiul actual, ca principal obiectiv prosperitatea membrilor săi. »92 On peut citer Catherine Durandin en s’appuyant sur le propos du général Lebed, Verluise Pierre, Durandin Catherine, «Géopolitiquede l’Europe centrale et orientale. La Roumanie de 1989 à 2003 », Diploweb, janvier 2003, source : http://www.diploweb.com/p5duraca3.htm , consultée le 12 Janvier 2003

La Roumanie : histoire, identité et politique étrangère

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d’intégrer l’OTAN répondait à l’imaginaire collectif et constituait un bon capital électoral envue des prochaines élections (que le président sortant, M. Iliescu a perdues).

Il est certain que le désir de rejoindre l’OTAN s’est fait à la manière roumaine,brusquement et jusqu’au bout. Pour avoir des chances d’être accepté la Roumain devaitréorganiser complètement son système militaire. Ceausescu avait voulu faire de laRoumanie une grande puissance – il avait besoin d’un grande économie, d’une populationimportante et d’une grande armée. La conséquence était des effectifs trop importants del’armée. Il a fallu les dégraisser d’un tiers par des départ en retraite anticipée – un coûtimportant dans une société déjà en difficulté économique. Mettre l’armée aux standards del’OTAN a impliqué également un coût budgétaire important. Pourtant en 1997 la réponsesuite au Sommet de Madrid a été négative. Les USA ont arrondi les angles et la mêmeannée Bill Clinton se rendait en Roumanie et le pays signait un partenariat stratégique avecles américains. En 1999 au Sommet de Washington les roumains ont essayé à nouveaud’intégrer l’OTAN mais ils sont essuyés un nouvel échec, d’autant plus cuisant que laHongrie, la Pologne et la République Tchèque ont eu une réponse favorable. Pourtant laRoumanie a soutenu l’OTAN et les USA dans leurs actions même si la population n’abordaitpas la même orientation.

La chance a été le changement de politique américaine après les événements du 11Septembre 2001. En 2003 Mme. Durandin expliquait le succès de l’intégration roumaine àl’OTAN comme le résultat du rapprochement entre USA et Russie93. Il est vrai que dans lecontexte les USA possédaient une légitimité dans leur action et une approbation large ausein de la communauté internationale. Je ne crois pas que la Russie empêchait auparavantl’admission de la Roumanie et l’exemple de la Pologne ou de la Hongrie est la pour leprouver. L’attitude favorable par rapport à l’admission roumaine s’inscrit plutôt dans la ligned’un changement de cap de la politique américaine – plus active, plus assumée. Peut-être l’amélioration de la situation en Russie ainsi que les craintes vis-à-vis de sources demenaces pour la sécurité des USA dans la sphère d’influence des russes (Afghanistan, MerCaspienne, Caucase) ont généré ce qui ressemble fort a une volonté de vouloir bloquerle potentiel de manœuvre russe sur la scène internationale. Si cette hypothèse est vraie,le souci constant des USA de ne pas rompre le contact avec la Russie témoignerait d’unestratégie à long terme qui vise à éviter de l’isoler et ainsi provoquer une radicalisation dupouvoir sur place. Le but paraît une Russie faible militairement ou politiquement et quiintègre la prospérité européenne et le modèle occidental.

b. Une expansion génératrice de tensionsL’intégration de la Roumanie et de la Bulgarie dans l’OTAN en 2002 permet en mêmetemps d’avancer vers l’Ukraine et aussi de diversifier la situation dans le basin de la MerNoire, couloir de transport de l’énergie qui peut offrir une possibilité de diminuer la positionprivilégiée de la Russie vis-à-vis de l’Europe dans ce domaine. Les USA peuvent égalementainsi relativiser la position pour l’instant quasi incontournable de la Turquie dans la région,position qui donne a celle-ci les moyens d’un plus grande autonomie. L’admission dans lesstructures de l’OTAN a été poursuivie, dans le cas des pays européens, par l’intégrationdans l’UE. De cette manière l’UE aussi est devenue acteur à part entière à la Mer Noire.

93 Verluise Pierre, Durandin Catherine, «Géopolitique de l’Europe centrale et orientale. La Roumanie de 1989 à 2003 »,Diploweb, janvier 2003, source : http://www.diploweb.com/p5duraca3.htm , consultée le 12 Janvier 2003

II. Effets dans le réel – la politique étrangère

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Les USA sont en train d’implanter quatre bases militaires au sud de la Roumanie, àBabadag, le port Constanţa, l’aéroport Mihail Kogălniceanu et à Feteşti. Le commandementaméricain en Roumanie sera installé à Kogălniceanu et la base aérienne de Feteşti vafonctionner en tant qu’unité mixte. Décortiquer les possibles futures utilisations de ces basesreviendrait à analyser la politique américaine en Europe ce qui dépasserait largement lecadre de ce travail. Il suffit juste de regarder sur une carte pour voir que ces bases setrouvent à environ 1500 km de l’Iran, de la Syrie et de l’Irak. Elles permettraient égalementdes frappes sur des objectifs à l’intérieur même de la Russie. Si l’on prend en compte lesaccords avec la Pologne et la République Tchèque permettant le déploiement d’un systèmede défense antimissile par radar (Rép. Tchèque), un système de missiles antimissile et uneforce d’interception aérienne (Pologne) on comprend la remarque du ministre de la défenserusse, Serguei Ivanov qui observait que ni a Corée du Nord ni l’Iran ne possèdent desmissiles intercontinentaux capables de menacer les USA94.

Plusieurs sources alternatives et protestataires s’inquiètent d’une possible actionmilitaire des USA envers l’Iran, action qui pourrait impliquer les bases de Roumanieet Bulgarie. L’existence d’un plan d’attaque contre l’Iran est affirmée aussi par d’autressources comme le quotidien Le New Yorker 95 et également par les mises en garde deZbigniew Brzezinski pendant son audition devant le Comité du Sénat chargé des Affairesétrangères96. Selon cette hypothèse, et l’avenir proche nous la confirmera, on peut se poserla question si l’action américaine en Irak s’inscrit dans un plan d’action plus large qui viseraità faire « basculer » le Moyen Orient du côté occidental. Dans cette perspective le partenariatstratégique avec la Roumanie (tout comme les autres rapprochements avec la Bulgarie,Pologne, république Tchèque) prend une autre dimension. Il permet de progresser dansl’encerclement de la Russie, de constituer des bases militaires bien placées chez un alliéfidèle, de trouver, avec la Bulgarie, une alternative face à une Turquie un peu trop autonomeet inquiète.

c. Sécurité et défense roumaine : l’identité euro atlantiquePour la Roumanie le partenariat stratégique avec les USA est plus que la seule possibilitéd’assurer sa sécurité97, c’est également une manière de s’acheter une respectabilité etd’acquérir de l’importance. La Roumanie a été un des partenaires les plus fidèles des

USA. Elle a été le premier pays a signer le 1er août 2002 un accord bilatéral98 sur lanon extradition devant le TPI des soldats américains accusées de crimes de guerre oude crimes contre l’humanité en sachant que cela causerait l’irritation de l’UE. Le pays a

94 Ronay Gabriel, « Les USA s’apprêtent à attaquer les sites nucléaires iraniens à partir des bases en Bulgarieet en Roumanie », Sunday Herald.com repris par Mondialisation.ca, source : http://www.mondialisation.ca/index.php?context=viewArticle&code=RON20070130&articleId=4629 , consultée le 26 Mars 2007

95 « Les Etats-Unis posséderaient un plan d’attaque contre l’Iran declenchable en 24 h », Le New Yorker repris par Le Monde,26 Février 2007, source : www.lemonde.fr , consultée le 20 Mars 2007

96 Zbigniew Brzezinski, devant la Senate Foreign Relations Committee, 1 Février 2007, source : http://www.senate.gov/~foreign/testimony/2007/BrzezinskiTestimony070201.pdf , consultée le 26 Mars 200797 « Relaţia cu SUA, […] este o relaţie strategică, din punct de vedere al securităţii noastre naţionale », le Président T. Băsescu,émission radiodiffusée « Sfertul academic », Radio România Actualităţi, 19 Février 2007, source www.presidency.ro , consultéele 27 Mars 200798 Qui n’a jamais été ratifié

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repris dans sa stratégie de sécurité des concepts comme « capacitatea de anticipare si deacţiune pro-activă »99 - l’équivalent du principe de précaution, « România – parte integrantăa civilizaţiei euroatlantice, participant activ la noua construcţie europeană »100. Le termede « civilizaţie euroatlantică » est peut être à relier au rapprochement entre les USA et

l’Allemagne, matérialisé par le pacte « L’alliance germano-américaine pour le 21e siècle »101

suite à la rencontre entre le chancelier Schröder et le président Bush. Cette alliance pourraitposer les bases d’une refonte des relations entre UE, à travers un de ses éléments moteurs– l’Allemagne, et les USA. Cette refonte s’inscrirait dans le sens d’un grand ensemble euro-atlantique qui passe également par une Grande Europe102. La relance en 2007 du processusdu traité constitutionnel sous la présidence allemande est un élément qui témoigne dansce sens. Les relations proches des USA avec les nouveaux entrants (la nouvelle Europe)peuvent constituer une manière de resserrer les liens avec l’UE. En même temps en Mars2005 il a été lancé le projet de la Communauté Nord Américaine suite aux conclusionsd’un groupe de travail103 réunissant les USA, le Canada et le Mexique. Le but du projet estde construire jusqu’en 2010 une communauté économique et sécuritaire en Amérique duNord et, à moyen terme, l’intégration sécuritaire et économique euro atlantique104. Notonsque l’Allemagne est un partenaire économique de choix avec la majorité des pays excommunistes ou de l’ex URSS jusqu’à la région de la Mer Caspienne. En même tempsà travers des groupes de réflexion comme La Fondation Bertelsmann ou le Centrum fürangewandte Politikforschung (CAP) ainsi que par sa politique orientée vers la poursuitede l’intégration politique européenne et vers une plus grande collaboration avec les USAl’Allemagne montre une orientation stratégique convergente avec celle des USA sur cepoint.

A la lumière de ces pistes de réflexion l’utilisation abondante par les dirigeants roumainsd’expressions comme « identité euro atlantique » ou « espace euro atlantique » ainsique leur refus continu et affirmé d’établir une priorité entre UE et USA dans leur politiqueétrangère dépasse à priori juste le simple besoin sécuritaire. Ce qui semble incompressibleen France, plutôt opposée à cette perspective, ne l’est pas en Roumanie. La Roumanie afait ses premiers pas en Occident à travers son intégration à l’OTAN. En Europe elle a peude poids politique ou économique. De plus vu les désaccords, les réticences et la diversitéd’intérêts dans l’UE, l’alliance avec les USA présente l’avantage d’un partenariat clair. Lemarché est simple et peu coûteux pour les USA : « en échange d’une fidélité sans failletu peux te prévaloir d’être mon meilleur ami, en partenariat stratégique avec moi ». C’estdu poids politique que la Roumanie espère obtenir et effectivement jusqu’à maintenant sa

99 Présidence de la Roumanie, SSNR, p.2-2100 Présidence de la Roumanie, SSNR, p.2-3101 « The German-American Alliance for the 21st Century Joint Statement », 27 Février 2004, source : http://www.whitehouse.gov/news/releases/2004/02/20040227-10.html , consultée le 27 Mars 2007102 Pour plus de détails voire l’article « L’alliance Allemagne – USA » sur VoltaireNet.org, 26 Mars 2004, source : http://www.voltairenet.org/article13021.html#nb1 , consultée le 27 Mars 2007103 « Building a North American Community », Council of Foreign Relations (CFR), Conseil Canadien des Chefs d’Entreprise (CCCE)et Consejo Mexicano de Asuntos Internacionales (COMEXI), source : http://www.cfr.org/publication/8102/ , Mai 2005, consultée le27 Mars 2007104 « Un Partenariat UE/Etats-Unis renforcé et un marché plus ouvert pour le 21e siècle », Communication de la Commission auConseil de l’Europe, au Parlement européen et au Comité économique et social européen, COM(2005) 196 final, Bruxelles, 18 Mai2005

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fidélité par rapport à la stratégie de son grand allié a été parfaite. Comme le rappelait aumois de février M. le Président Traian Băsescu, « […] SUA sunt o putere globală, […] Sigurcă nu avem aceleaşi interese ca distanţă, ca adâncime în zona géostratégică, dar măcarpe zona Mării Negre, acolo unde ni se suprapun interesele, am considerat că este esentialsă realizăm un parteneriat cu Statele Unite »105.

Il est intéressant de remarquer un léger changement du discours présidentiel vis-à-visdes USA au cours de cette même intervention. Premièrement M. Băsescu rappelle, alorsque le journaliste ne l’avait pas fait, l’axe Bucarest-Paris. Il réaffirme, comme on vient de levoir, l’importance du partenariat avec les USA mais les termes sont moins catégoriques qued’habitude : « …nu avem aceleaşi interese… », « … măcar pe zona Mării Negre … ».Ensuite, alors que le journaliste ne l’avait guidé absolument pas dans cette direction, ildétaille l’importance de la France en tant qu’ami constant de la Roumanie. Pourquoi cettetournure ? Elections prochaines en France ? Affirmation des USA en faveur de la Turquieen tant que seul élément clé autour de la Mer Noire ? C’est probablement juste un soupçonde changement d’autant plus que la collaboration avec les USA se poursuit, peut être undes signes avant coureurs d’un changement d’approche de la part de la Roumanie suite àl’intégration européenne. A surveiller.

3. Le grand voisin que l’on ne peut ignorerEn Avril 1991 le nouveau président de la nouvelle Roumanie « libre », Ion Iliescu, s’estdépêché, et il a été le seul, de signer un traité avec l’URSS, traité finalement jamais ratifiépar la force des choses. Alors que tous les autres pays du bloc communiste regardaient versl’Ouest, la Roumanie, qui avait tellement « attendu les américains », ne pouvait s’empêcherde jeter un dernier coup d’œil vers le grand frère de l’Est. Quinze ans plus tard elle faitpartie de l’Union Européenne et son président actuel, M. Băsescu râle parce qu’il trouveinquiétante la place des investissements russes dans l’industrie roumaine. Les relations nesont pas froides entre les deux pays – la Russie ignore plus ou moins la Roumanie. Celleci aimerait pouvoir faire la même chose, hélas, la situation n’est pas réciproque.

Pourquoi tant de haine ? Il est vrai que la Russie n’a pas des raisons d’avoir un contactplus amical. La Roumanie proclame haut et fort son amitié et partenariat stratégique avecles USA, les mêmes qui implantent des bases militaires partout autour de la Russie. LaRoumanie affirme son intension d’intensification de la coopération avec des pays commela Georgie, la Moldavie et milite pour un élargissement de l’UE à l’Ukraine, terre sainte del’identité russe. La Roumanie s’inscrit dans plein de projets qui visent des routes de transporténergétique alternatives au monopole russe. La Roumanie voudrait récupérer ses réservesd’or. S’il y a un signal qui ne trompe pas sur l’état des relations Russie-Roumanie, c’est leprix du gaz que cette dernière paye. Au lieu d’acheter son gaz (un tiers de sa consommation)directement à Gazprom la Roumanie passe par un intermédiaire obligé (une compagnierusso-allemande agrée par GAZPROM). Le résultat est une forte commission répercutéesur le pris du gaz. Début mars 2007 les représentants ROMGAZ (la compagnie roumaine

105 Le Président T. Băsescu, émission radiodiffusée « Sfertul academic », Radio România Actualităţi, 19 Février 2007, sourcewww.presidency.ro , consultée le 27 Mars 2007

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du gaz) étaient à Moscou pour essayer de renégocier un achat direct106 mais la réponsea été fermement négative. La Roumanie a sa propre production de gaz, déclinante maisqui lui assure encore les deux tiers de sa consommation. Ce qui est déroutant c’est quela Roumanie, à travers la privatisation de Petrom, a perdu le contrôle sur la moitié de saproduction de gaz en faveur de la firme autrichienne de gaz et pétrole OMV.

On l’aura compris, la Russie n’a aucune raison d’avoir des bonnes relations avecla Roumanie. La Roumanie pèse tellement peu dans le jeu géopolitique, énergétique ouéconomique que la Russie se permet de l’ignorer alors que ce n’est pas le cas avec laPologne par exemple. Pragmatique, sans complexes et bénéficiant d’un consensus politiqueintérieur vis-à-vis de la défense de ses intérêts nationaux, celle-ci a osé crier au scandale etbloquer les négociations UE-Russie pour un nouvel Accord de Partenariat et Coopérationde la Réunion au sommet de Helsinki en novembre 2006 suite à l’embargo russe sur sesproduits agricoles. Par son action la Pologne a rentabilisé son appartenance à l’UE, amontré qu’elle n’étendait pas être traitée comme un membre de deuxième rang et a montréégalement à la Russie qu’elle n’est pas disposée et possède les ressources pour ne pascéder devant ce qu’était finalement du chantage. En comparaison la Roumanie, qui faitbeaucoup de bruit autour de ses projets à la Mer Noire, vis-à-vis de son rôle de vecteur destabilité et coopération, ne se donne pas les moyens de ses prétentions. Il est vrai qu’elle sesitue une étape ou deux en retard par rapport à la Pologne. Admise plus tard dans l’OTAN,elle vient d’intégrer l’UE et au niveau économique son PIB/habitant représente 60% de celuipolonais. La Russie représente pour la Roumanie le troisième importateur, surtout dans ledomaine énergétique.

Si la Pologne a su se faire entendre dans le cas que nous venons de voir, la Russiepossède les atouts nécessaires pour être dans une certaine position de force même parrapport à des intérêts des états plus importants. Un exemple est le retrait de la licenced’exploitation du gisement Sakhalin 2 du groupe Royal Dutch Shell PLC en septembre2006 pour des prétextes écologiques afin de pouvoir renégocier les clauses du contratconclu en 1993 sur la base d’un prix du baril sensiblement plus bas que maintenant. Malgrétoutes les analyses qui mettent en évidence le déclin des gisements actuellement exploités(prospectés du temps de l’ex URSS), le manque d’entretien du réseau de distribution etl’insuffisance des investissements nécessaires pour ouvrir des nouveaux champs pétrolierset renouveler le réseau de transport énergétique pour l’instant, comme le cas du groupeRoyal Dutch le prouve, la Russie a les cartes en main et le montre. Elle cherche asécuriser les sources concurrentes du bassin caspien et ce faisant non seulement gardeson monopole sur l’Europe mais s’assure des ressources en cas de manque dans sesengagements. D’ailleurs elle tente de rendre réel le projet d’un équivalent de l’OPEP dansle gaz, avec les principaux pays en termes de réserves – l’Iran, Qatar, Algérie, Libye et lesex pays soviétiques d’Asie Centrale.

a. Le cout de l’autonomie – le pari de l’OTAN/USA/UEEn face la Roumanie ne pèse pas lourd. Elle a pris à priori l’option de l’autonomie vis-à-vis de la Russie, du camp USA/OTAN/UE et finalement parie sur la nouvelle stratégiede containment des USA. Si avant le containment s’appliquait à l’URSS et au blocsoviétique, maintenant il s’applique à la Russie, si avant il était géostratégique sur des basesidéologiques, maintenant il est toujours géostratégique mais sur des bases pragmatiques.

106 « Gazprom nu va renegocia preţul pentru România », BBC Romania, 09 Mars 2007, source : http://www.bbc.co.uk/romanian/news/story/2007/03/070309_gazprom_romania.shtml , consultée le 29 Mars 2007

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La pari roumain peut potentiellement réussir au mieux à un horizon d’un dizaine – unequinzaine d’années, s’il n’y a pas de surprises. Il ne lui apporterait rien concrètement– il se base sur la stratégie américaine de transformer la Russie en un acteur de taillemoyenne. D’autre part, comme l’observait Liliana Popescu : « Relaţia transatlantică paremai problematică văzută din (Washington) DC decât de la Bucureşti. Interesul SUA pentruChina şi Pacific este prioritar. Europa este mai jos pe listă »107. Si la grande menace à l’Estdisparaîtrait, c’est peut être un gain mais entre temps, vu le prix des relations fraîches avecla Russie, il faut du concret.

Le pays essaye de placer des pions ou il peut – région pontique, gazoducs alternatifs,Balkans, Moldavie. Les efforts et concessions du partenariat stratégique avec les USA/OTAN peuvent lui apporter, si habilité, du capital politique et quelque poids stratégique.L’intégration européenne donne accès à un marché commun, à des fonds structurels, maisprésente aussi des inconvénients et demande des sacrifices. Elle nécessité du savoir fairepolitique.

Il faut l’admettre, il n’y a pas de politique Roumanie-Russie, non seulement par lavolonté de cette dernière mais aussi par le manque de poids de la part de la Roumanie.Conscientiser cet état de fait est indispensable pour élaborer une action politique cohérente.Je pense que les dirigeants roumains le savent. Non parce qu’ils affirment des qu’ils parlentde la Russie que on ne peut l’ignorer - c’est un changement pragmatique d’attitude parrapport à celle du début 2004 – mais parce que c’est une évidence.

Une question intéressante est l’avenir du voisinage de plus en plus direct entre la Russieet l’UE. Non seulement l’élargissement de l’UE accroît la surface de contact direct maisà travers une forte implication dans l’économie des nouveaux pays entrants la Russie etl’UE connaissent un resserrement implicite des liens. Rappelons-nous que dans les années’90 les russes semblaient croire à une transition rapide vers l’économie de marché et laprospérité occidentale. Est-ce que la désillusion qui a suivit, et pour laquelle l’armada deconseillers et experts de l’Ouest ne les avait nullement prépares, a complètement étoufféce désir ? A la lumière de la recentralisation du pouvoir et de la mainmise de l’Etat sur lesrichesses stratégiques ainsi que de l’utilisation de ces richesses comme levier de pressionet influence on pourrait croire à une volonté de retour vers le passé, une tentative dereconquête de la puissance passée de l’URSS. Plusieurs arguments appellent à modérercette hypothèse.

b. La perspective d’un renforcement de la position russeLe président actuel, M. Poutine est le successeur désigné de Boris Eltsine, artisan de larefonte du système politique russe, celui qui disait aux républiques de l’ex URSS « Prenezautant de souveraineté que vous voulez »108. La transition entre l’époque de M. Eltsine etcelle de M. Poutine s’est fait dans la continuité et la « rupture » apparente de la politiquerusse, domestique ou étrangère n’est en fait que correction en fonction des circonstances.Si l’approche de la Russie actuelle peut paraître un peu « rude », n’oublions pas que laRussie comme tout autre pays défend ses propres intérêts devant un Occident qui semble

107 Popescu Liliana, « SUA, România şi relaţia transatlantică », Revista 22, 4-10 Août 2006, source : www.revista22.ro , consultéele 29 Mars 2007108 MAAS Ekkehard, président de la «Deutsch-Kaukasische Gesellschaft» Berlin, « Les Tchétchènes et leur lutte désespérée pourune Tchétchénie libre », Horizons et débats, n° 20 juin 2003, source : http://www.horizons-et-debats.ch/20/20_21.htm , consultéle 9 mars 2007.

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un peu surpris et irrité. Après sa rencontre avec M. Poutine, le président roumain M. Basescusoulignait le changement de ton, direct et sans complexes du pouvoir russe, sans oublier depréciser que ce dernier restait plus discret sur sa stratégie à moyen terme109. Il est clair quele paysage social et politique actuel en Russie est loin du tableau idyllique de la démocratieet du respect des droits de l’homme. Mais après avoir constaté l’échec de l’ouverture totalevers l’économie de marché les nouveaux dirigeants russes se sont tournés vers une attitudepragmatique qui pourrait suivre, sans la copier, à moyen terme, une tendance de typechinois.

Stabiliser la situation interne, éviter une évolution extérieure qui pourrait êtreirréversible, garder des cartes à jouer, tels semblent aujourd’hui les principaux objectifsde la Russie. La diaboliser ou la déstabiliser en essayant imprudemment de profiter sansfinesse de la baisse de son pouvoir sur l’échiquier international risquerait de la pousser surdes positions extrêmes. Les russes ont compris que économie de marché est synonymede négociation et la sécurisation de leurs atouts est un premier pas inévitable dans cettelogique. La succession prochaine de Vladimir Poutine nous dira prochainement plus sur lastabilité de la tendance russe.

4. L’aire géostratégique de la Mer Noire – une valeurmontante

La guerre de l’énergie a partiellement souligné la progression de l’importancegéostratégique de la région de la Mer Noire. Le transport et la dépendance énergétiquene sont pas les seuls enjeux dans la région. Plusieurs grands acteurs sont en contact,le bassin de la Mer Noire étant en quelque sorte un témoin des rapports des grandespuissances mondiales. La région peut aussi constituer une base pour des interventionsmilitaires majeures comme celles en Afghanistan ou Irak. Plusieurs conflits110, gelés plus oumoins, sont une menace pour la stabilité dans la région et constituent tout autant de leviersde pression dans le jeu des pouvoirs. Les tensions, potentielles ou réelles empêchent lecontrôle institutionnel et favorisent l’utilisation de ce couloir en tant que plaque tournantedes trafiques en tous genres : drogues, prostitution, armes etc. Mais l’enjeu le plus importantest peut être le poids de cette aire géopolitique dans la redéfinition du paysage de l’Europeet de son voisinage.

En 2007, l’UE s’est élargie par l’intégration de la Roumanie et de la Bulgarie. Ce faisantelle a acquis un littoral important à la Mer Noire et ne peut pas l’ignorer, d’autant plus quesa stratégie de diversification des sources de fourniture et transport de l’énergie dépenden partie de ce couloir de transport. L’OTAN est lui aussi présent par ses trois membres,la Bulgarie, la Roumanie et la Turquie. Si les relations du leader implicite de l’OTAN sontclaires avec la Bulgarie et la Roumanie, tel n’est pas le cas avec la Turquie, pays pivotgéopolitique et une des deux puissances régionales avec la Russie. Déçue par les retardset incohérences des négociations avec l’UE, la Turquie entend profiter de la liberté demanœuvre que son importance croissante lui apporte et par convergence d’intérêts s’estapprochée de la Russie. Cette dernière entend poursuivre la politique de monopole et

109 Le Président T. Băsescu, Entretien sur Europa FM, réalisé par Emil Hurezeanu, 7 mars 2005, source www.presidency.ro ,consultée le 4 mars 2007.110 Transnistrie en République Moldave, Abkhazie et Ossétie du Sud en Géorgie.

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sécurisation de sa position de fournisseur incontournable d’énergie afin de reconquérir sonpouvoir passé. Ce retour en force de la Russie n’est ni surprenant ni anormal vu son potentielen ressources naturelles, sa taille, ses capacités militaires.

Les USA ont réalisé depuis quelques années déjà l’importance croissante des enjeuxdans la région. Si les rôles stratégiques de l’Ukraine et de la Turquie ne sont pasune nouveauté, les dernières évolutions de ces deux acteurs importants ainsi que del’ensemble du bassin demandent non seulement un surplus d’attention mais aussi desnouvelles approches dans les cadres des Relations Internationales. L’UE, face à sesenjeux d’approvisionnement énergétique ainsi que sous l’impulsion des nouveaux entrants(Bulgarie et Roumanie) commence également à se pencher sur la question.

Entre la Bulgarie et la Roumanie c’est cette dernière qui dans ses déclarations ainsique dans sa stratégie de sécurité déjà élaborée montre l’attitude la plus claire et assumée :« Marea Neagră este spaţiul în care România trebuie să-şi găsească respectate interesele.Avem şi interese de securitate în Marea Neagră, avem interese economice în MareaNeagră, avem interese de trafic în Marea Neagră, de trafic maritim, avem interese de mediuîn Marea Neagră. Deci, Marea Neagră nu poate să nu ne intereseze. Marea Neagră nu poatefi o mare în care noi să nu avem un punct de vedere, să abandonăm totul în baza tradiţiiloristorice, plecând de la premisa că 'aici, lasă că ştim noi, sunt stăpâni alţii care au flote mari laOdessa, unde vrem şi unde nu vrem'. Nu! Avem şi noi interese aici şi în tot mandatul meu voicăuta să încerc să dobândesc pas cu pas, câte puţin, uneori prin dialog alteori încercând săatrag comunitatea internaţională în proiecte legate de Marea Neagră în care România să-şigăsească respectate drepturile legitime »111. L’intégration régionale constitué le cheval debataille de la Roumanie à travers des initiatives comme le Forum de la Mer Noire, la BSECet la participation dans des structures sécuritaires communes comme BLACKSEAFOR,Black Sea Harmony ou l’extension d’Active Endeavour. Avec la Bulgarie les deux pays sontdes alliés fidèles des USA et de l’OTAN et ont signé des partenariats avec les USA pourabriter des bases militaires communes. La stratégie de sécurité Roumaine est basée sur

une double et indissociable implication, UE/OTAN ou, dans le texte, l’euro atlantisme 112

. Dans ce cadre la Roumanie milite activement pour plus d’intégration régionale sous latutelle de l’UE et de l’OTAN et a appelé plusieurs fois l’UE à participer à l’élaboration et àla mise en place d’un euro espace de la Mer Noire.

Même si la Roumanie semble s’appuyer beaucoup sur son appartenance à l’UE ouà l’OTAN, dans sa stratégie de sécurité elle montre clairement son intention de parvenirà travers l’intégration régionale à une autonomie croissante : « […] solutiile la problemeleregionale trebuie sa vina preponderent din cadrul regiunii»113. A travers la demande d’uneplus grande implication et responsabilité des acteurs la Roumanie espère délimiter unespace dans lequel elle pourrait avoir une certaine importance: « Asumarea rolului de vectordinamic al securitatii in regiunea Marii Negre »114. En même temps les dirigeants roumainssont conscients que parmi les acteurs de la région la Roumanie peut aspirer à la troisièmevoir quatrième place en importance après la Russie, la Turquie et l’Ukraine, non seulement

111 Le Président T. Băsescu, émission radiodiffusée « Sfertul academic », Radio România Actualităţi, 19 Février 2007, sourcewww.presidency.ro , consultée le 27 Mars 2007

112 La présidence de la Roumanie, SSNR113 Idem, p. 18-7114 Idem, p. 12-3

La Roumanie : histoire, identité et politique étrangère

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en termes de taille mais aussi comme position. Le littoral roumain ne mesure que 225 kmcomparés aux littoraux de l’Ukraine ou de la Turquie.

a. Le transit énergétiqueUne solution envisagée pour pallier à un potentiel modeste était la position du pays dans lecouloir de transport énergétique que commence à devenir la Mer Noire.

a.1. Le pétrole

La Roumanie possède les plus importantes réserves de pétrole115 en Europe Centrale etOrientale et également une industrie pétrochimique qui concentre dix des onze raffineriesdu sud est de l’Europe. La production roumaine de pétrole couvre à peine la moitié de saconsommation domestique, le pays étant dépendant de la Russie en tant que fournisseur.D’autre part la capacité de raffinage du brut dépasse largement et la production locale etles besoins domestiques.

La Roumanie, tout comme la Bulgarie, espère profiter de l’engorgement des détroitsdu Bosphore et Dardanelles par le passage des pétroliers pour se constituer en tant queroute de transport du pétrole russe ou caspien vers les Balkans et l’Europe. Elle compteconcrétiser le projet Balkan Route (ou Constanta-Omisalj pipeline)116 qui récupérerait lepétrole acheminé par pétrolier à travers la Mer Noire de Russie ou de la Mer Caspienneet le ferait transiter ensuite à travers les pays de l’ex Yougoslavie (par un oléoduc déjàexistant) jusqu’à Trieste en Italie ou le pétrole rejoignerait l’oléoduc européen Trans AlpinePipeline (TAP). En mai 2006 les ministres des pays concernés se sont mis d’accord pourdémarrer le projet d’un coût évalué à 2.3 milliards USD (env. 1.77 milliards euro). L’oléoducaura une capacité de 0.8/1.8 millions barils/jour et sera opérationnel vers 2011/2012.L’importance acquise par la Roumanie à travers ce projet est à relativiser par l’existenced’autres alternatives ou projets. Parmi les projets il y a l’oléoduc AMBO (Albanie-Macédoine-Bulgarie) dont les travaux doivent commencer fin 2006 et qui doit être opérationnel vers2008/2009, ainsi que le futur oléoduc Bourgas-Alexandroúpolis, un vieux projet initié en1993 et repris par une déclaration du 4 septembre 2006 à Athènes. Ce dernier, né de acollaboration entre la Russie, la Grèce et la Bulgarie, permettrait à la Russie de vendre sonbrut à travers la Mer Noire en évitant le Bosphore et s’inscrit dans la stratégie générale russede contrôle des voies d’acheminement du pétrole du Kazakhstan. A part ces oléoducs enprojet il existe des routes alternatives pour le transit du pétrole comme les oléoducs Brody-Odessa117 (pour l’instant utilisé par la Russie en sens inverse pour transporter du brut depuisles champs des Oural vers les pétroliers à la Mer Noire) qui relie le littoral ukrainien aupipeline Droujba Sud, le projet d’intégration des oléoducs Adria et Droujba118 (qui donneraità la Russie un nouvelle alternative d’export par l’Adriatique) et finalement le projet turque

115 Evaluées à 956 millions barils en 2006 par Oil and Gas Journal, EIA, Europe – pétrole, source : http://www.eia.doe.gov/emeu/cabs/SE_Europe/Oil.html , consultée le 22 mars 2007

116 Voir annexe 3 « Roumanie transit pétrole : détail Balkan Route »117 Voir annexe 4 « Odessa Brody Pipeline and Adria Droujba Integration Project - Ukraine »118 Voir annexe 4 « Odessa Brody Pipeline and Adria Droujba Integration Project - Ukraine »

II. Effets dans le réel – la politique étrangère

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Samsun-Ceyhan119 censé transporter du pétrole de la partie kazakhe de la Mer Caspienneà la Méditerranée (partenariat avec l’italien ENI).

Si le gouvernement a privatisé plusieurs raffineries comme Petrotel (détenuemajoritairement par la compagnie russe LUKoil) et Petromidia ainsi que le plus grand groupepétrolier roumain, Petrom (participation à 51% par OMV), Conpet, la compagnie de transportdu pétrole roumaine restera aux mains de l’état pour son importance stratégique.

a.2. Le gazLa Roumanie possède également les plus importantes réserves de gaz d’Europe Centrale etOrientale mais elle reste importateur net120, couvrant par sa propre production environ deuxtiers de ses besoins. Actuellement le pays s’approvisionne et est parcouru par le gazoducProgress 121mais plusieurs autres projets sont en route afin d’utiliser le potentiel stratégiquesur les routes de diversification de l’approvisionnement énergétique européen.

Autant dans le domaine du transport du pétrole que celui du gaz la bataille fait rage.Les deux principaux projets en concurrence pour le transit du gaz dans la région sontNabucco (soutenu par l’UE) et le South European pipeline (soutenu par la Russie). Leprincipal problème de Nabucco, dont la construction doit commencer en 2008 est l’absenceà ce jour de garanties de la part des pays producteurs de gaz. Initialement c’était l’Iran quidevait être le principal fournisseur mais les tensions liées au développement de son activiténucléaire ont oblige les promoteurs du projet de se tourner vers d’autres fournisseurs poursécuriser le débit. L’Azerbaïdjan estime une exploitation à pleine capacité du gisement deShah-Deniz en 2012 sauf que les promesses de livraisons envers diverses destinationsde celui-ci dépassent ses capacités. Afin d’assurer la sécurité d’approvisionnement l’UEsoutient également le projet de gazoduc trans caspien pour le transport du gaz turkmènevers l’Azerbaïdjan ce qui permettrait de compléter le flux. La mort de Saparmurat Nyazovouvre des nouvelles perspectives de négociation sur un terrain ou les russes semblaientavoir l’avantage.

La Russie n’entend pas perdre son monopole et monte son projet qui continue le BlueStream. A différence de Nabucco qui donne le rôle de terminal dispatcheur à l’Autriche,le projet russe qui suit pratiquement le même tracé que Nabucco s’arrête en Hongrie quiobtient ainsi une meilleure position. Le projet russe éviterait la Roumanie et passerait parla Bulgarie et la Serbie.

a.3 Perspectives énergétiquesUn facteur extrêmement important dans le cadre de cette concurrence est le temps. RichardEnnis, un des hommes d’affaires impliqués dans le montage financier du projet BalkanRoutepipeline (Pan European Oil Pipeline) d’oléoduc l’exprimait clairement : « The pipelinethat gets built first is going to win »122 en parlant des projets concurrents AMBO et Bourgas-Alexandroúpolis. La renforcement de la position roumaine en tant que pays de transit n’est

119 Voir annexe 5 « Samsun-Ceyhan Turquie »120 Son principal fournisseur reste la Russie, en 2004 un quart de la consommation domestique était fournie par Gazprom, EIA,Europe – gaz, source : http://www.eia.doe.gov/emeu/cabs/SE_Europe/NaturalGas.html , consultée le 22 mars 2007121 Voir annexe 6 « Roumanie gazoduc Progress »122 Ennis Richard, source : http://acturca.wordpress.com/2007/01/11/race-to-build-trans-balkan-oil-pipeline/ , 8 Janvier 2007,consultée le 12 mars 2007

La Roumanie : histoire, identité et politique étrangère

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pas assurée ni dans le domaine du pétrole, ni dans celui du gaz. La Bulgarie en comparaisonse retrouve impliquée dans toutes les alternatives ce qui n’est pas le cas roumain. LaHongrie n’hésite pas à jouer double jeu entre Nabucco et South European Pipeline. LaTurquie est incontournable pour l’instant par sa position qui permet d’éviter la Russie.

Une des particularités de la Roumanie en tant que pays de transit est sa moindredépendance énergétique par rapport aux autres pays d’Europe Centrale et d’Est. Cettecaractéristique n’est pas forcement un avantage dans le jeu d’influences et de pouvoirs.Un pays de transit fortement dépendent est également plus facilement contrôlable commeles exemples de l’Ukraine ou de la Biélorussie le montrent. Le gouvernement a décidéégalement d’investir dans des projets plus petits comme la construction de l’oléoduc Arad-Szeged commencée en 2006 et va permettre une connexion optimale de la Roumanieau système de pipelines Occidental via la Hongrie. La Roumanie étend ses connectionsde transit énergétique dans toutes les directions comme le montrent également le projetSiret-Cernauti avec l’Ukraine et le projet de gazoduc Giurgiu-Ruse avec la Bulgarie. Unautre exemple est le projet de transport de gaz liquéfie (gazoduc LPG)123 provenant duQatar qui serait acheminé par bateau à Constanta, projet qui permettrait la diminution dela dépendance de l’Ukraine par rapport au gaz importé de Russie. A travers ces initiativesle pays essaye de se couvrir par rapport aux différents cas de figure ou les grands projetsdans lesquels il est impliqué n’aboutiraient pas. La poursuite de l’exploitation de la centralenucléaire de Cernavodă (ouverture d’un deuxième réacteur ainsi que construction d’untroisième) s’inscrit également dans cette optique.

Même si les recherches n’ont pas encore abouti, on soupçonne des gisements depétrole et de gaz sous le plateau continental de la Mer Noire124 ce qui expliquerait le litigedevant la CIJ (initié en 2004) au sujet de L’Ile des Serpents (Insula Serpilor – actuellementsous administration ukrainienne) et de la délimitation des frontières maritimes entre laRoumanie et l’Ukraine. Ces ressources supposées peuvent expliquer l’affirmation de laprésidence roumaine présentant le pays comme quasi indépendant énergétiquement125 cequi n’est pas le cas actuellement.

Les roumains ne sont pas incontournables dans la région en tant que pays de transit.Or l’attention croissante dont bénéficie le bassin pontique est le résultat de la guerreénergétique. Les frozen conflicts de la région126 n’intéresseraient pas grand monde sansles autres enjeux, notamment énergétique. Si la Russie a retrouvé un peu de sa superbealors que on la croyait finie il y a une quinzaine d’années c’est grâce à l’envolée descours du pétrole et à ses réserves en hydrocarbures. Ainsi elle a eu la possibilité de seplacer en position de monopole en tant que fournisseur ce qui stimulé l’UE pour trouver desalternatives dont une passe par le couloir de la Mer Noire. L’implication de la Russie dansces mêmes conflits gelés suit la logique de ce jeu du chat et de la souris.

123 Communiqué de presse, visite du Président T. Băsescu en USA, conférence « Energie caspienne et le couloir de la MerNoire », allocution « Roumanie – une porte énergétique vers l’Europe de l’Est », source : www.presidency.ro , consultée le 11Mars 2007

124 Sources - Wikipédia : « Régions Pétrolieres en Europe » - http://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9gions_p%C3%A9troli%C3%A8res_en_Europe , consultée le 26 mars 2007 et Radio Canada International, fiche Roumanie - http://www.rcinet.ca/rci/fr/canada_contenu.asp?ID=821&L=fr consultée le 26 Mars 2007

125 « […] Romania nu est o ţară dependentă de importuri energetice decât într-o măsură foarte mică […] », Communiquéde presse suite à la visite du Président T. Băsescu en Azerbaidjan, 11 Octobre 2006, source : www.Presidency.ro, consultée le 09Mars 2007

126 Transnistrie, Ossétie du Sud, Abkhazie

II. Effets dans le réel – la politique étrangère

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Si la Roumanie n’acquiert pas une position intéressante dans le transit énergétiquerégional, elle devra trouver un autre moyen, probablement plus lent, de trouver del’importance. Le jeu politique est un jeu de leviers, de pressions et d’échanges donnant-donnant. Sans le pouvoir militaire, économique ou le potentiel démographique il n’y a pasde pression possible. Sans une importance dans le transit énergétique il n’y aura pas delevier ou d’intérêt réciproque. Le pays devra se contenter d’une utilisation circonstancielled’opportunités mineures. Il restera comme source de pouvoir le partenariat stratégique avecles USA dont nous avons vu déjà vu les tenants et aboutissants.

b. La coopération régionaleTrois grands acteurs sont en contact dans la région de la Mer Noire : Les USA à traversl’OTAN, l’UE et la Russie. Le basin pontique est en conséquence plus qu’un couloir detransit énergétique et ou une aire géographique qui concentre des conflits gelés. L’arearetrouve progressivement un place de ligne de front entre les USA qui essayent de sécurisersur la durée l’avantage stratégique majeur pris sur la Russie et cette dernière qui tente depréserver sa marge de manœuvre. L’UE occupe pour l’instant une position mineure parson peu d’importance politique. Par l’intérêt suscité à travers les besoins énergétiques ainsique par l’intégration des membres voisins de la Mer Noire avec un vécu historique vis-à-visde la Russie différent des pays occidentaux elle est obligée d’une manière ou d’une autrede s’impliquer. Trois zones géopolitiques s’avoisinent dans le cadre de la Mer Noire : lesBalkans, l’ex URSS et le Moyen Orient (Middle East). La région est également un couloir quipermet des trafics dans tous genres, avec des implications qui peuvent être importantes –armes (de toutes sortes), drogues, terrorisme, prostitution. Le développement de la régiondans cette direction pourrait avoir des effets menaçants la stabilité de tous les pays de l’UEà travers par exemple les réseaux terroristes qui trouveraient ainsi une porte d’entrée et decommunication avec des foyers d’instabilité.

Tous ces enjeux ouvrent des opportunités pour les autres acteurs de la région. LaTurquie peut jouer sur tous les tableaux – énergie, sécurité – et entend en profiter. L’Ukrainepar sa taille et sa position pourrait utiliser ces avantages dans son intérêt, si elle n’était pasbloquée pour l’instant par sa situation intérieure. L’Ukraine constitue l’alternative possible àla Turquie en tant que voie de passage – les deux pays sont dans la vision de Brzezinskydes pays pivot de l’ensemble eurasien. Dans le contexte de faible marge de manœuvreactuelle de l’Ukraine, il faut remarquer le rapprochement avec l’Azerbaïdjan matérialisé parla visite du premier ministre Yanukovich en décembre 2006 à Bakou, visite qui a débouchésur un projet de route alternative d’acheminement du pétrole et du gaz via la Géorgie et laMer Noire127. Cette initiative, si elle est concrétisée, ne serait dépendante ni de la Russie,ni de la Turquie (et par son appartenance des USA/OTAN).

b.1. Concurrence des projets régionauxCette dynamique génère un état de concurrence des projets régionaux dans le domainede la sécurité. Les USA auraient eu l’intention128, en février 2006, d’élargir le dispositif

127 Copley Gregory, « The globale geopolitical shift : the discovery of a New Northen Passage linking Europe with the Caucasusand Central Asia », Février 2007, source : http://acturca.wordpress.com/2007/03/06/the-global-geopolitical-shift-the-discovery-of-the-new-northern-passage-linking-europe-with-the-caucasus-and-central-asia/ , consultée le 7 Mars 2007128 Katik Mevlut, « Geopolitical competition heats up in Black Sea », eurasianet.org, Octobre 2006, source : http://www.eurasianet.org/departments/insight/articles/eav031006.shtml , consultée le 08 Mars 2007

La Roumanie : histoire, identité et politique étrangère

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méditerranéen de l’OTAN (Active Endeavour) à la Mer Noire. La Turquie, soucieuse depréserver sa position privilégie dans la région, s’est opposée au projet qui rencontraitl’adhésion d’autres pays comme la Roumanie, la Bulgarie, la Georgie et l’Ukraine. LaTurquie joue la carte de sa propre initiative de sécurité navale, Black Sea Harmony alorsqu’un autre dispositif, BlackSeaFor regroupe tous les états autour de la Mer Noire. LaTurquie considère que ces deux organisations sont, de facto, des implémentations de« Active Endeavor ». L’Union Européenne, qui est en train d’élaborer sa propre stratégiepour la région – « Black Sea Synergy » - soutient des nouveaux projets dans le cadre desenjeux de la région et compte s’appuyer sur des institutions déjà existantes comme la BSEC(Black Sea Economic Cooperation) ou le Forum pour la Mer Noire (Black Sea Forum - BSF).

Le BSF est la réponse roumaine dans ce cadre de concurrence de projets decoopération régionale. Le BSF est conçu comme un cadre de dialogue et de coopération. Ilne se place pas comme une alternative aux autres structures mais comme un complément,une plateforme de réflexion régionale destinée à construire une vision commune d’undéveloppement démocratique et durable. Il est explicitement affirmé la volonté de n’avoirde structure ou corps permanent129 afin de ne pas concurrencer les autres mécanismes decoopération de la région.

La Roumanie essaye de placer en orbite ce projet d’une manière très prudente,rassurante. Cadre minimal, objectifs pragmatiques à travers des petits projets – c’estla solution proposée par la Roumanie à pour construire un consensus collectif et uneplus grande confiance dans la région. Le profil bas affiché n’exclue pas parfois des butsambitieux. A commencer par la question de construction d’une identité de la région pontique130 qui arrêterait d’être un espace de clash des civilisations pour devenir un point de dialogueentre Orient et Occident.

Un de ses objectifs est la création d’une Eurorégion de la Mer Noire (dans le cadre duConseil de l’Europe) sur le modèle de l’Eurorégion Adriatique (6 février 2006). L’initiativeréaffirme l’importance de la BSEC en tant que « available organisations »131 et basedéjà existante à utiliser. La Roumanie compte impliquer l’UE le plus possible à traversdes dispositifs déjà existants comme la Politique Européenne de Voisinage (PEV) et sonInstrument Financier, la construction d’un marché régional et son interconnexion avec leMarché unique européen.

Si, comme à son habitude, la Roumanie cherche pour le Forum de la Mer Noire desappuis tous horizons (OTAN, UE) elle ne manque pas de préciser, ce qui est cohérent avecla Stratégie de sécurité nationale, que la responsabilité concernant les évolutions possibleset nécessaires de l’aire pontique revient premièrement aux pays de la région.

Les pays de la région ont eux des intérêts concurrents et des points de vue divergents.Ils participent pratiquement tous à chaque dispositif : les pays importants parce que lesautres pays sont conscients que aucun projet ne peut se faire sans eux et les petits pays parpeur de manquer quelque chose par leur absence même à un projet qui ne va pas à priori

129 « The Forum will have no permanent structure or bodies and it twill not duplicate the activities of the existing mechanisms ofcoopération in the region. », Déclaration commune, Bucarest, Juin 2006, Black Sea Forum, source : http://www.blackseaforum.org/joint_declaration.html , consultée le 26 Mars 2007

130 « […] să discutăm despre identitatea regiunii Mării Negre […] », Discours du Président T. Basescu, Summit du Forum dela Mer Noire, Bucarest, 5 Juin 2006, source : www.presidency.ro, consultée le 5 Mars 2007

131 Black Sea Forum, Déclaration commune, Bucarest, juin 2006, source : http://www.blackseaforum.org/joint_declaration.html, consultée le 26 Mars 2007

II. Effets dans le réel – la politique étrangère

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dans le sens de leur intérêt. Faire partie d’un mécanisme de coopération régionale donneégalement la possibilité de bloquer des initiatives qui ne conviennent pas à sa politique.

b.2. OTAN/USA et UE – prise de conscienceAu delà des acteurs locaux, l’OTAN, les USA et l’UE sont en train d’élaborer leur stratégiedans la région. Le département de la défense américain a déjà produit une premièreversion. L’idée principale est de stimuler les initiatives individuelles des pays mitoyens pourdévelopper une approche régionale de la sécurité132. On observe la cohérence entre lesdéclarations et la stratégie sécuritaire de la Roumanie et l’approche américaine. En mêmetemps les USA soutiennent pleinement la Turquie en tant que acteur clé de la dynamiquerégionale en essayant de contre balancer le rapprochement de cette dernière avec laRussie ainsi que ses appréhensions sur une diminution de son rôle ainsi que une possibleremise en cause de la Convention de Montreux de 1936. La progression de la démocratieinquiète également la Turquie aux prises avec les velléités d’indépendance des kurdessur son territoire. Les grandes lignes de la stratégie américaine restent confidentielles etles USA sont en train de se mettre d’accord sur ces orientations avec les pays impliqués.En attendant les américains encouragent vivement la participation à l’initiative sécuritairemenée par la Turquie – Black Sea Harmony. La Russie l’a déjà formellement rejointeet la Roumanie et l’Ukraine ont annoncé leur intention ferme de le faire prochainement.Si l’élaboration de la stratégie des USA dans la région témoigne de leur intérêt, lesresponsables de la défense sont conscients que l’effort demandé par les actions militairesaméricaines ailleurs peut ralentir ou retarder l’implication effective américaine.

L’UE aussi est en train d’essayer d’élaborer une approche communautaire, d’autantplus que la Roumanie a appelé plusieurs fois à une plus grande implication desstructures communautaires. Néanmoins le manque d’intégration politique ne permet pasune convergence devant les intérêts individuels liés en grande partie à la questionénergétique. Les enjeux du gaz et du pétrole sont en même temps facteurs de division touten attirant l’attention de l’UE sur la nécessité d’action pour sécuriser et utiliser efficacementce couloir de transport.

En ce qui concerne la Russie, La Mer Noire est un couloir qui pourrait permettred’éviter son monopole sur le transit de l’approvisionnement énergétique des pays de l’UEainsi que le désenclavement de la région de la Mer Caspienne. Par sa position ainsi quepar ses réserves énergétiques elle a le pouvoir de créer des engrenages d’influence afind’empêcher ces tentatives. Ce faisant non seulement elle protége une importante sourcede profit économique mais aussi elle réagit à l’encerclement par les structures de l’OTAN.Les dernières avancées comme les radars en Pologne et République Tchèque ainsi queles quatre bases en Roumanie semblent confirmer une stratégie américaine qui poursuitla doctrine de Brzezinski ce qui explique d’autant plus l’importance et la fermeté de laRussie dans sa politique énergétique. La Mer Noire fait partie du voisinage immédiat de laRussie. Celle-ci est consciente d’être l’acteur incontournable pour toute initiative régionale.La dynamique de convergence d’intérêts avec la Turquie sécurise cette position et rendl’importance des autres acteurs dérisoire.

Les relations russo-roumaines, comme nous l’avons vu auparavant, sont plutôt froideset distantes. La Russie est hostile à l’initiative roumaine de Forum de la Mer Noire enestimant qu’il y a assez de structures pour coopérer dans la région. Les roumains sont

132 COHEN Ariel, IRWIN Conway, „U.S. Strategy in the Black Sea Region” dans Executive Summary Background, publié par TheHeritage Foundation, no. 1990, 13 décembre 2006.

La Roumanie : histoire, identité et politique étrangère

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conscients que ils ne peuvent pas contourner la Russie dans leurs projets et ils affirmentdans chacune de leurs déclarations leur volonté de continuer le dialogue avec celle-ci.

b.3. Turquie et autres acteurs : hésitations et impossibilités Parmi les autres pays de la région, la Turquie est dans une position originale. D’une partsa position stratégique est indiscutable. D’autre part la conscience de sa propre valeur adeux effets. La Turquie entend bien profiter de son statut de hub énergétique et acteur clésécuritaire, et grâce à son importance elle a plus de marge de manœuvre politique. Elles’est même permis de snober les USA dans leur demande d’appui dans la guerre en Irak.L’inquiétude par rapport aux velléités sécessionnistes des kurdes accentués par l’instabilitéirakienne et par la promotion de la démocratie dans la région l’ont approchée de l’Iranqui partage le même genre de préoccupations133. Peu désireuse de voir une plus grandeprésence de l’OTAN ou d’une autre structure régionale équivalente d’une diminution deson importance individuelle la Turquie entretien des relations de plus en plus convergentesavec la Russie134. En même temps elle reste membre de l’OTAN et a mis en place avecla bénédiction des USA sa structure sécuritaire – Black Sea Harmony135. La Turquie estimpliquée dans la plupart des projets visant à une diversification des sources et moyens detransport énergétiques, en jouant parfois sur des tableaux opposés (mais tel est égalementle cas de la Hongrie par exemple). En même temps sa position privilégiée dans ce domainela transforme en une cible de choix pour les actions terroristes, comme en témoigne l’attentatdu mois d’août 2006 sur un gazoduc acheminant du gaz iranien136.

Si la position turque sur l’énergie est claire, tel n’est pas le cas de sa politique au senslarge. La Turquie a subi une importante déception devant les hésitations maladroites del’UE par rapport à sa volonté de la rejoindre. Si les Turques ont bien compris la leçon, laconclusion logique, qui est valable également dans leur relation avec l’OTAN, est d’arrêterd’être un pays pivot et de profiter des circonstances favorables pour devenir acteur137.La nostalgie de l’ancienne gloire de l’Empire Ottoman a trouvé dans ce contexte uneoccasion pour se renforcer. Il est intéressant de prendre comme exemple pour illustrer cefait la définition turque de l’Europe Orientale138 qui couvre en grande partie l’ancien espaceottoman.

Sous les feux croisés de ces ambitions, quelques pays de la région se retrouventballottés, leurs problèmes intérieurs accentués par les pressions extérieures. Ils possèdentni l’importance, ni la stabilité ou l’intégration dans les grandes structures comme l’OTAN oul’UE. Ils sont condamnés à dépendre pour l’instant du jeu des autres en subissant parfoisdes fortes tensions contradictoires comme est le cas de la Georgie et dans une moindre

133 COHEN Ariel, IRWIN Conway, „U.S. Strategy in the Black Sea Region” dans Executive Summary Background, publié par TheHeritage Foundation, no. 1990, 13 décembre 2006.134 ZUBKOV Vasily, "Russian–Turkish Energy Cooperation Worries U.S.," Turkish Daily News, 10 mai 2006, source:www.turkishdailynews.com.tr/article.php?enewsid=43005 , consulté le 7 mars 2007.135 KUCHERA Joshua, The United States Develop a Strategic Plan for the Black Sea, source: http://eurasianet.org/departments/insight/articles/eav030107.shtml , consultée 1 mars 2007.136 "PKK Claims Saturday's Gas Pipeline Explosion in Agri", Cihan News Agency, Zaman, August 21, 2006, source:www.zaman.com/?bl=hotnews&alt=&trh=20060821&hn=35840 , consultée le 14 mars 2007.

137 Brzezinski Zbigniew, Le grand échiquier. L’Amérique et le reste du monde, Paris, Ed. Hachette, 1997, p. 69.138 Albanie, Armenie, Bulgarie, Chypre du Nord, Chypre du Sud, Géorgie, Grèce, Malte, Moldavie, Roumanie, Turquie, ex

Yougoslavie.

II. Effets dans le réel – la politique étrangère

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mesure de la Moldavie. La Géorgie a pris la décision de tourner le dos à son grand etencombrant voisin et subit une importante pression de la part de ce dernier ce qui met endanger l’intégrité de son territoire à travers les velléités sécessionnistes de l’Abkhazie et del’Ossétie de sud.

Dans cette troisième catégorie d’acteurs l’Ukraine occupe une position à part. Ballottéeentre Est et Ouest elle n’est pas en mesure aujourd’hui de garder une ligne continue dans sapolitique étrangère. Après une orientation vers l’Occident très médiatisée l’Ukraine renoueavec la réalité de sa position géographique, de sa composition démographique et de sesdépendances (énergie, industrie etc.) en se rapprochant de la Russie. La guerre du gazde l’hiver 2005-2006 a affaibli le régime pro-occidental en place et a donné l’occasion auxpro-russes de revenir sur la scène politique dans une cohabitation qui laisse le pays enstand by139. Pourtant par sa taille, sa position et son potentiel de développement et lesfutures évolutions de son voisinage elle ne restera pas longtemps dans cette posture. Sesvoisins de la région devraient prendre en compte cette perspective dans l’élaboration deleurs stratégies à moyen terme, il y a là une option à poser.

b.4. Perspectives

L’analyse des perspectives possibles dans le cadre des enjeux autour de laMer Noire est un exercice sans fin. Nous avons choisi d’orienter notre approche dupoint de vue de l’UE. Même si elle manque de cohérence au niveau de sa politiqueextérieure l’UE, par sa dynamique d’élargissement ainsi que par son poids politiqueet économique, est un des acteurs incontournables de la région. Actuellement sesactions effectives ne sont pas à la hauteur de son potentiel. L’UE, à travers sa futurestratégie à la Mer Noire – Black Sea Synergy 140 – à présenter fin avril début mai2007 – a pris conscience de la nécessite d’une prise de position ferme. En attendantles détails, il transparaît déjà que la réflexion sur le sujet est encore à ses débuts.Pourtant la situation évolue sur place comme en témoigne la récente décision dela Hongrie d’accepter la proposition russe pour le projet de continuation du BlueStream 141 . Cela renforce la position russe et met en difficulté les tentatives des payseuropéens pour diminuer leur dépendance énergétique à l’égard de la Russie.

S’il est certain que la cohérence et l’unité des actions européennes nécessitentencore du temps pour aboutir, l’UE dispose déjà d’éléments lui permettant d’agirà faible coût et peu de risque politique. Par les deux derniers membres – laBulgarie et la Roumanie – elle directement impliquée dans la région pontique. LaRoumanie, comme nous l’avons constaté, possède déjà une stratégie sécuritairedepuis avril 2006 142 . Elle commence à prendre une part active dans le cadre del’intégration régionale. Son statut de membre OTAN et UE lui offre une plus grandeimportance dans la sécurisation des routes énergétiques et des frontières d’Est del’Union Européenne. La Roumanie entend assumer les responsabilités inhérentes àson voisinage avec le basin de la Mer Noire liés à l’émergence de la région en tant que

139 COHEN Ariel, IRWIN Conway, Op.cit., pp. 8 - 9.140 Turquie Européenne, source: http://www.turquieeuropeenne.org/article1814.html , consultée le 1 mars 2007.141 Curierul National, Source: http://www.curierulnational.ro/?page=articol&editie=1394&art=88836 , consultée le 13 mars

2007.142 La Présidence de la Roumanie, SSNR

La Roumanie : histoire, identité et politique étrangère

56 Chirita Damian - 2007

nouvelle route de transit des hydrocarbures du Moyen Orient et de l’Asie Centrale.L’Etat roumain et celui bulgare sont des éléments stables dans un ensemble marquépar la concentration des conflits latents. Cet élément cumulé avec leur appartenanceà l’UE et à l’OTAN fait des deux Etats des vecteurs de prospérité économique etstabilité politique.

Pays à la frontière de l’Union Européenne, la Roumanie se propose de lancerune nouvelle manière d’action dans la région de la mer Noire. Cette manière essaied’impliquer tous ceux qui peuvent contribuer à l’amélioration de la coopération régionale : lesgouvernements, les ONGs, les médias, etc. Ce modèle d’action se révèle à priori anticipatifde la future stratégie européenne. La Roumanie entend démontrer qu’elle est un acteurcapable de promouvoir les principes européens et le modèle européen de coopération dansla région de la Mer Noire.

La question de la sécurité du basin de la Mer Noire présente des risques et desprovocations. En tant que pays responsable de la sécurisation de la frontière Est de l’UnionEuropéenne, la Roumanie envisage la création des mécanismes qui contrôlent tout traficillégal, qui peuvent combattre le terrorisme et la prolifération des armes de destructionmassive. Par conséquent, elle se propose d’intensifier la coopération avec la RépubliqueMoldave, l’Ukraine, la Fédération Russe et la Caucase de Sud, tout en promouvant lesvaleurs européennes.

Les menaces dans la zone élargie de la mer Noire sont diverses. Elles peuvent êtreclassifiées dans trois catégories : les anciennes menaces (les conflits gelés, les violationsde la souveraineté des États et la présence des troupes étrangères), les menaces récentes(le trafic d’armement, de drogue et de personnes, le terrorisme international) et les plusnouveaux types de menaces (l’exportation de pratiques non démocratiques ou les pressionséconomiques unilatérales).143 La démocratisation de l’Est de l’Europe a eu des effets positifssur l’espace ex – soviétique autour de la Mer Noire. La Roumanie a exprimé son désirde contribuer à la création d’un espace de stabilité et de sécurité dans la région pontique.Par conséquent, elle entend s’impliquer plus activement dans la consolidation des régimesdémocratiques des pays riverains afin d’empêcher tout revirement du totalitarisme.

La nécessité vitale pour les pays européens de réduire leur dépendance énergétiqueest le principal facteur qui a attiré l’attention de l’UE sur la région pontique en tant que couloirde transport. « L’énergie ne doit pas devenir un facteur de pression politique. »144 affirmaitM. Basescu montrant non seulement la parfaite compréhension de la part de l’Etat roumaindes enjeux mais aussi subtilement le fait que le gaz et le pétrole sont, en fait, déjà desleviers de contrainte.

Ainsi, l’Etat roumain soutient-il la diversification des producteurs, une plus fortecoopération entre les acteurs politiques et ceux économiques, l’intensification desinvestissements dans le domaine de recherche et du développement des ressourcesénergétiques. La Roumanie est un des cinq Etats, à côté de la Turquie, la Bulgarie, l’Hongrieet l’Autriche qui va participer à la construction de l’oléoduc Nabucco. Ce projet est soutenupar l’Union Européenne qui pense ainsi réduire sa dépendance des ressources russes. Les3 300 kilomètres de longueur de Nabucco vont apporter du pétrole de la Caspienne, laplupart provenant d’Azerbaïdjan. C’est ainsi que la Roumanie devient un pays de transitdes ressources énergétiques de l’Union et, par conséquent, un pays qui gagne de plus en

143 La Présidence de la Roumanie, SSNR144 Discours du président T. Băsescu lors du sommet de l’OTAN de Riga – novembre 2006, source : www.presidency.ro ,

consultée le 28 décembre 2006.

II. Effets dans le réel – la politique étrangère

Chirita Damian - 2007 57

plus d’importance. Cependant le pari est risqué car seules les ressources de l’Azerbaïdjanne sont pas suffisantes pour rendre le projet viable en termes d’investissement. La Russieen est consciente et protège l’accès aux réserves de Kazakhstan. D’autre part l’accord deprolongement du Blue Stream entre la Hongrie et la Russie met encore plus en difficulté laréalisation du projet et diminue en même temps les possibilités roumaines de jouer un rôleen tant que pays de transit.

Ce n’est donc pas le rôle de la Roumanie en tant que voie d’acheminement desressources énergétiques qui est intéressant pour l’UE. La position géostratégique de laRoumanie s’exprime par le double chapeau de fonctions : pays de transit des ressourcesénergétiques et pays frontière de l’Union Européenne. La mise en difficulté de la premièrefonction va avoir comme conséquence une plus grande implication de la part de l’Etatroumain dans la deuxième direction. L’UE pourrait appuyer ces efforts par son poidspolitique, encore inférieur à sa taille mais suffisant pour peser dans la marge de manœuvreroumaine. La Roumanie cherche par ses actions à acquérir une respectabilité politiqueen rapport avec sa taille et son potentiel – le « plus petit pays de grande dimension del’Union »145. A travers son partenariat stratégique et son soutien sans faille pour les USASelle travaille dans ce sens. Pays pro-américain, la Roumanie représente une ancre pourles Etats-Unis dans la région de la mer Noire.146 En fait, la Roumanie est « le meilleurami »147 des USA : l’Etat roumain a soutenu les américains dans les guerres contre l’Iraqet l’Afghanistan et soutient aujourd’hui l’installation d’un système de défense américaineantimissiles.Les américains ont su répondre aux attentes roumaines et ont négocié unéchange donnant-donnant peu couteux : respectabilité contre fidélité. En attendant d’avoirélaboré une stratégie commune - ce qui peut prendre un certain temps – l’UE pourraitutiliser la même technique et garder des cartes. Sa position serait complémentaire de celledes USA, obligés par d’autres considérations d’affirmer leur soutien à la Turquie en tantqu’acteur clé dans la région.

Le soutien de l’UE permettrait à la Roumanie de se repositionner par rapport à la Russieet à la Turquie. Malgré ses efforts, la Roumanie n’a pas l’importance politique nécessairepour créer la dynamique nécessaire à ses intentions de coopération régionale. Relier cesenjeux aux relations dans le cadre général de l’Union européenne serait peut être unesolution simple à des problèmes compliqués.

5. La République de la Moldavie – je t’aime, moi nonplus

Le document de la stratégie de sécurité roumaine parle de « relaţiile speciale dintre Româniaşi Republica Moldova », de « comunitatea de istorie, limbă şi cultură » et aussi du principe« o singură naţiune, două state »148. Ce principe revient constamment dans le langage

145 Năstase Adrian, Conférence CERI, 29 novembre 2001, source : http://www.ceri-sciencespo.com/archive/feb02/artan.pdf, consultée le 2 février 2007

146 COHEN Ariel, IRWIN Conway, Op.cit., pp. 13.147 L’ambassadeur des USA en Roumanie, Nicholas Taubman dans un entretien accordé au journal România Liberă, source:

http://www.romanialibera.ro/index.php?a=1&fct=1&complet=1&idx=81558&tab=, consultée le 5 mars 2007.148 La Présidence de la Roumanie, SSNR, p. 22-1

La Roumanie : histoire, identité et politique étrangère

58 Chirita Damian - 2007

diplomatique roumain depuis trois ans. On retrouve également l’allusion, plus ou moinstransparente, des retrouvailles au sein de l’UE149, retrouvaille similaires à la réunificationallemande. La Roumanie appuie l’intégrité territoriale de la Moldavie ce qui d’ailleurs luilimite la marge de manœuvre sur d’autres fronts comme les Balkans d’Ouest et l’empêchentde prendre une position alignée sur les conclusions du médiateur de l’ONU pour le statutdu Kosovo, Martti Ahtisaari. Elle affiche également un soutien sans faille pour accélérer lapossible adhésion de la Moldavie à l’UE, dans les mêmes delais que les pays des Balkansde l’Ouest.

a. Des facilités administratives en Roumanie pour les citoyensmoldaves

La Loi de la Citoyenneté de 1991 prévoyait que n’importe quel citoyen de la RépubliqueMoldave pouvait obtenir la nationalité roumaine si un des parents ou des grands parentsl’avait avant 1940. Une centaine de milliers de moldaves ont demandé et obtenu ainsila nationalité roumaine. En 2003, suite à l’alignement aux standards de l’UE, la loi a étémodifiée en prévoyant une période de résidence en Roumanie de minimum 4 ans. Avantl’entrée de l’Roumanie dans l’UE, en 2006, plus de 500 000 demandes de naturalisationont été déposées à l’Ambassade Roumaine. En 2006 également le Président Băsescu aémis l’idée d’une union entre les deux pays dans le cadre de l’UE, idée refusée par sonhomologue moldave, Vladimir Volonin. Si avant l’intégration européenne de la Roumanieles citoyens moldaves pouvaient circuler sur le territoire roumain juste avec leur passeport,la situation a changé radicalement à partir de 01 Janvier 2007 ce qui a mis en difficultédes nombreux étudiants ou moldaves travaillant en Roumanie depuis plusieurs années. LaRoumanie s’était mis d’accord avec les autorités moldaves pour ouvrir deux consulats deplus mais le 9 Mars 2007 le ministre moldave des affaires étrangères signalait que « Laaceasta oră nu mai considerăm de actualitate deschiderea consulatelor la Balti si la Cahu »150 .

b. Des intentions génératrices de tensionsApparemment il y a de l’eau dans le gaz de la part des autorités de Chişinău. Si le présidentmoldave avait envoyé par surprise 10 000 bouteilles de vin pour remplir les caves deCotroceni, siège de l’institution présidentielle151, actuellement il ne mâche pas ses mots :« In tot cursul secolului trecut România a manifestat un interes constant faţă de teritoriulnostru », « De aceea România urmează acum o politică naţionalistă şi aşa zis unionistă »,

149 Par exemple les affirmations du Président T. Băsescu : « […] avem şi un interes naţional absolut special – Moldova. […] douăstate, o singură naţiune […] se vor întâlni şi se vor uni în interiorul UE », « vrem, prin mijloace europene, să reparăm o mare nedreptatea istoriei », émission télévisée « 2006 – an crucial pentru România », Realitatea TV, 20 Janvier 2006, source : www.presidency.ro, consultée le 08 Mars 2007150 « Republica Moldova ne-a declarat război rece », Cotidianul, 10 Mars 2007, source : http://www.cotidianul.ro/index.php?id=9672&art=25692&cHash=433fa13385 , consultée le 10 Mars 2007151 Hotnews.ro, « Voronin i-a umplut cu vin pivniţa lui Băsescu », 12 Février 2005, source : http://www.hotnews.ro/articol_14981-Voronin-i-a-umplut-cu-vin-pivnita-lui-Basescu.htm , consultée le 28 Mars 2007

II. Effets dans le réel – la politique étrangère

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« pretenţii naţionaliste bazate pe un cod genetic român »152. Il est vrai que du côté roumainle discours présidentiel vis-à-vis de la République Moldave contient des affirmations comme« o singură naţiune, două state » qui dans le cadre de la politique internationale sontinadmissibles si on considère que la République Moldave est un Etat souverain (plus oumoins à cause du manque de contrôle en Transnistrie) et que cet Etat ne manifeste pas lesmêmes intentions que la Roumanie. Le soutien sans faille de la Roumanie pour l’intégritéterritoriale de la Moldavie153 s’interprète plutôt comme l’expression de la volonté roumainede ne pas perdre un territoire qui pourra lui revenir en cas d’union avec la RépubliqueMoldave. Le fait que la Transnistrie est située à moins d’une centaine de kilomètres de lafrontière roumaine – et actuellement de la frontière UE - est souvent invoqué pour soulignerle rôle potentiel et nécessaire de la Roumanie en tant que médiateur dans la résolution d’untel conflit gelé. Pourtant le président roumain a refusé de développer quand un journalistelui a fait remarquer que les autorités de Chişinău préfèrent la Bulgarie à la Roumanie pourse rapprocher de l’UE154.

Même si la politique roumaine vis-à-vis de la République Moldave tient plus dudéclaratif, l’état roumain ne déployant pas réellement les moyens correspondant àl’expression de ses intentions155, quel serait réellement l’intérêt d’une hypothétique uniondans l’UE avec la Moldavie ? Cette dernière est un des états les plus pauvres d’Europeet ne possède pas de richesses naturelles importantes. Son économie est principalementagraire et la région séparatiste de la Transnistrie (que le gouvernement de Chişinău necontrôle plus) concentre la part la plus importante de l’industrie lourde (acier), de productiond’électricité et des produits manufacturés. La république importe la quasi totalité de sesbesoins énergétiques étant dépendante de Russie. Cette dernière a d’ailleurs doublé le prixdu gaz qu’elle vend à la Moldavie et a imposé un blocage des exportations moldaves de vinet produits agricoles (mars 2006), blocage entre temps levé suite à la négociation de l’accordde la Moldavie pour l’admission de la Russie à l’OMC. Si la Moldavie a connu en moyenne6% de croissance sur la période 2000-2005, ceci est en partie le résultat des importants fluxde devises envoyés à leurs familles par ses citoyens travaillant à l’étranger. Les réformeséconomiques on étés lentes et le pays souffre de la corruption et d’un contrôle politique fortde la part du gouvernement156. Le pays ne possède pas de sortie à la Mer Noire. Suite à laredéfinition territoriale stalinienne le lien avec le littoral appartient maintenant à l’Ukraine.

Fait assez rare pour être souligné dans les pays de l’ex URSS, la Moldavie n’est pas ensituation de déficit démographique - 0.28% en 2006 (CIA – The World factbook), avec une

152 Entretien accordé par le Président Vladimir Voronin à l’agence Reuters et repris par BBC România, « VladimirVoronin atacă dur conducerea României », 23 Mars 2007, BBC România, source : http://www.bbc.co.uk/romanian/news/story/2007/03/070323_voronin_romania.shtml , consultée le 28 Mars 2007153 « tema integrităţii teritoriale a Moldovei a fost a fost abordată şi în întâlnirea de la Washington de anul trecut cu preşedintele Bush,[…] Statele Unite […] au exprimat continuu punctul de vedere legat de inviolabilitatea frontierelor Moldovei şi de necesitatea păstrăriiintegrităţii teritoriale a Moldovei în conflictul transnistrean. », le Président T. Băsescu, entretien télévisé, TVR1, 28 Juillet 2006, source :www.presidency.ro , consultée le 09 Mars 2007154 Le Président Traian Băsescu, émission radiodifusée « Sfertul Academic », Radio România Actualităţi, 19 Février 2007, source :www.presidency.ro , consultée le 29 Mars 2008

155 L’ouverture ratée des deux consulats pour traiter le grand volume de demandes de visa et de naturalisation aurait puconstituer un premier pas vers une concrétisation des intentions roumaines. La Roumanie reste quand même le troisième partenaireà l’export et à l’import pour la République Moldave, loin derrière la Russie (export) et l’Ukraine (import) – source : CIA – The WorldFactbook

156 Chiffres et données provenant de la fiche pays, CIA – The World Factbook

La Roumanie : histoire, identité et politique étrangère

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moyenne d’âge jeune (32.3) - alors que la Roumanie est à -0.12%, l’Ukraine à -0.60% etla Russie à -0.37%. Ceci expliquerait en partie les facilités d’accès sur le territoire roumainpour les citoyens moldaves si on prend en compte que la Roumanie est confrontée nonseulement au déficit démographique mais aussi à l’exode de sa main d’œuvre.

Outre les réticences du pouvoir en place, la Roumanie devrait dans l’hypothèse d’uneunion dépasser le problème de la Transnistrie. Si le président moldave M. Voronin affirmaitque de son point de vue la solution serait d’accorder une large autonomie à la Transnistrie157,dans le cas d’une union avec la Roumanie cette dernière pourrait difficilement envisager unetelle solution qui ouvrirait la porte aux velléités d’autonomie des minorités sur son territoire.A cause de la différence de niveau économique et politique (quoique plutôt économique)une possible union aurait un coût qui pèserait lourd sur le développement roumain et iln’est pas sur que la Roumanie peut se le permettre dans l’avenir proche. La Russie, aveclaquelle les relations politiques roumaines sont fraîches, serait tentée de garder ce pionqu’est la Transnistrie pour manœuvrer dans le cas une éventuelle intégration européenne del’Ukraine, intégration qui signerait l’arrêt de l’aire d’influence russe en Europe. La Fédérationrusse n’a pas tout à fait respecté les engagements pris à l’occasion des réunions au sommetd’OSCE d’Istanbul (décembre 1999) et Porto (décembre 2002) de retirer les effectifs et

l’arsenal de la 14e Armée russe en Transnistrie. Sa stratégie s’inscrit dans la logique depréservation des ses intérêts dans son étranger proche (near abroad) et la population de laTransnistrie est composée de presque 65% de slaves (dont 60% russes et ukrainiens) cequi lui donne une raison d’intervenir.

c. L’UE – impliquée de factoL’UE à travers l’élaboration de sa nouvelle Politique européenne de voisinage (PEV) couvreseize états (ou entités étatiques)158 non UE. Parmi eux seulement quatre ont une frontièreterrestre avec l’UE et pour l’instant seulement deux manifestent des aspirations d’intégrationeuropéenne : l’Ukraine et la Moldavie. Parmi ces deux, seulement la Moldavie possède unconflit irrésolu sur son territoire. En Février 2003 l’UE et les USA ont émis une déclarationcommune qui introduisait l’embargo de la circulation des leaders politiques de Transnistriesur leurs territoires. Dans l’optique d’une intention de l’élargissement de l’UE et de l’OTANvers l’Ukraine la résolution du conflit est indispensable. Une possibilité serait une mission detipe Petersberg en Transnistrie, dans le cadre de l’accord Berlin +, mission qui bénéficieraitde l’expérience des précédentes collaborations UE-OTAN dans les Balkans. Ce serait unepremière implication de la PESD dans l’espace de l’ex URSS. Il va de soi que les modalitésdes négociations avec la Russie restent à découvrir. Un premier pas a peut être été réalisépar la décision de l’Ukraine le 3 Mars 2006 d’importer des biens de Transnistrie seulementaccompagnés des documents de douane moldaves, suite au protocole douanier Ukraine/Moldavie du 30 décembre 2005. Ce geste a rencontré l’avis positif de l’UE, des USA etde l’OSCE mais a évidemment généré les protestations russes et transnistriennes. Lesexportations de la Transnistrie ont connu une baisse sensible. La région connaissait déjà

157 Entretien accordé par le Président Vladimir Voronin à l’agence Reuters et repris par BBC România, « VladimirVoronin atacă dur conducerea României », 23 Mars 2007, BBC România, source : http://www.bbc.co.uk/romanian/news/story/2007/03/070323_voronin_romania.shtml , consultée le 28 Mars 2007158 Ukraine, Moldavie, Biélorussie, Israël, Jordanie, Liban, Libye, Palestine, Algérie, Egypte, Maroc, Syrie, Tunisie, Arménie,Azerbaidjan, Georgie, Commission Européenne – PEV source : http://ec.europa.eu/world/enp/partners/index_fr.htm , consultée le29 Mars 2007

II. Effets dans le réel – la politique étrangère

Chirita Damian - 2007 61

une immigration significative due aux conditions économiques difficiles et à l’incertitudepolitique.

d. Intérêts et hypothèsesCe bref passage en revue des conditions actuelles dans la région soulève deux questions ?Quels avantages pour la Roumanie ? Comment intervenir en tant que médiateurs alors queles déclarations à peine voilées des dirigeants roumains irritent le gouvernement moldavequi a même demandé l’appui de l’UE pour que cela cesse ?

Une possible réponse à la première question trouve son point de départ dans l’ambitionde la Roumanie de jouer un rôle clé au niveau régional. Nous avons vu les enjeux et lespossibilités autour de la Mer Noire. L’importance de l’Ukraine dans ce couloir nécessaire àl’UE pour diminuer sa dépendance énergétique à l’égard de la Russie et en tant que têtede pont vers le Caucase, la Caspienne et le Moyen Orient est significative. D’autre part lebasculement de l’Ukraine dans le camp occidental, UE et OTAN diminuerait les possibilitésde manœuvre de la Russie en Europe et la forcerait à abandonner ses prétentions depuissance mondiale. Elle serait coincée entre la Chine et l’UE. Par l’abandon de sesambitions ainsi que par un large voisinage avec l’UE elle serait plus ou moins obligée de sediriger vers plus d’ouverture et une économie de marché à l’occidentale.

Si on regarde l’insistance de la Roumanie pour rattacher la Moldavie au groupe despays candidats UE des Balkans – alors qu’elle est maintenant située par l’UE dans lamême perspective que l’Ukraine – on comprend mieux l’ambitions des « retrouvailles »au sein de l’UE. La Roumanie artisan de l’admission de la Moldavie, un large courantde sympathie au sein de la population moldave qui devrait être en grande majorité pourl’intégration européenne (selon la règle empirique : plus un pays européen est pauvre,moins il a des réticences vis-à-vis d’une UE perçue comme la voie vers la prospérité),une occasion pour une union au sein de l’UE. L’accompagnement de la Moldavie pouratteindre les standards européens offrirait les outils pour influencer sur le climat politiquece qui déboucherait éventuellement sur un changement des dirigeants (néo communistespour l’instant) tout comme la situation a évolué en Roumanie. Changement de dirigeants… changement de politique. Si la Roumanie se réunit avec la Moldavie au sein de l’UEavant l’intégration ukrainienne, la nouvelle entité roumano-moldave aurait la frontière la pluslongue avec l’Ukraine ainsi qu’une taille et population plus importante ce qui donnerait unpoids plus lourd dans l’UE. La Roumanie aurait ainsi les prétextes ainsi que plus de moyenspour peser sur l’admission de l’Ukraine et donc de devenir un acteur relativement importantnon seulement dans cette direction mais aussi à la Mer Noire. Elle aurait des nombreuxéléments à échanger ce qui lui donnerait une marge de manœuvre politique beaucoup plusimportante que celle d’aujourd’hui.

C’est un scénario ambitieux, qui peut paraître irréaliste mais qui concorde avec lesdéclarations de l’institution présidentielle roumaine ces trois dernières années. Il reste ladeuxième question. Si telle est la stratégie roumaine, l’irritation des dirigeants moldaves vis-à-vis des déclarations roumaines à peine voilées n’est pas un pas dans la bonne direction.Nous n’allons pas pousser le raisonnement trop loin et essayer de trouver les moyens dela réussite d’un scénario qui reste un hypothèse. N’oublions pas que la première conditionétait la dissociation de l’admission de la Moldavie de celle de l’Ukraine. A voir…

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La Roumanie : histoire, identité et politique étrangère

62 Chirita Damian - 2007

6. Les Balkans d’Ouest – facteur de stabilité ouleader ?

Il y a dans l’attitude de la Roumanie vis-à-vis des Balkans quelque chose dans la continuitéde la politique étrangère de Ceauşescu. Comme le décrit Lucian Boia, « Intr-o lumepolarizată de-a lungul unui multiplu sistem de falii […] el a ştiut să se prezinte pestetot ca elementul de legătură, factorul conciliator, mediatorul ideal »159. La disparition dubloc communiste ne permet plus de nos jours d’utiliser les avantages d’un apparentnon alignement comme il l’a fait. Même si des failles existent toujours dans la politiqueinternationale, la Roumanie ni par sa position géographique, ni par son importance ne peutjouer la dessus. Pourtant la soif d’une quelconque pouvoir et importance qui puisse donnerplus de poids à l’existence de la Roumanie sur la scène internationale est restée. Et lesBalkans peuvent constitue une des possibles sources d’importance pour la Roumanie.

Premièrement les pays de l’ex Yougoslavie – Macédoine, Serbie, Monténégro, Bosnie–Herzégovine, Croatie – sont tous candidats ou potentiellement candidats à l’intégrationeuropéenne. La Roumanie vient de rejoindre l’UE en janvier 2007 et compte bien utilisersa position de membre ainsi que l’expérience du cheminement vers l’UE dans ses rapportsavec ces états. Il serait présomptueux de supposer que l’intégration de ces pays candidatsdépend seulement de la position roumaine. Toutefois en tant que voisin la Roumanie pourraitsoulever ou pas un ensemble d’objections qui freinerait l’accès à l’UE des pays de l’exYougoslavie.

Deuxièmement ces pays sont tous sensiblement plus petits - en surface160, enpopulation161 et en tant qu’économies162 – que la Roumanie. De lors celle-ci peut viser uneplace de leader régional, tant au niveau politique qu’économique. Lors d’un entretien le19 Avril 2007 avec un haut diplomate (dont je ne peux citer le nom pour des raisons deconfidentialité) de l’ambassade roumaine de Londres, j’ai posé la question de la « transition »en termes de pouvoir politique international. Mon interlocuteur m’a immédiatement préciséque la transition était finie pour la Roumanie et devant mon étonnement il m’a expliquéque désormais celle-ci avait une position et un poids qui faisaient que des plus petits payscherchaient maintenant à approfondir leur coopération et leurs relations avec.

Dans les Balkans d’Ouest, la Croatie et la Macédoine sont déjà candidates àl’intégration européenne. Les autres pays – Albanie, Bosnie Herzégovine, Monténégro,Serbie ont toutes l’intention de rejoindre également l’UE même si pour l’instant il n’y apas d’instrument contractuel avec l’UE dans cette direction. Par « l’encerclement » dela région l’UE envisage implicitement de continuer l’élargissement dans cette direction.

159 Boia Lucian, « România, Tară de frontieră a Europei », p. 127-2160 Roumanie – 230 340 Km carrés, Serbie – 88 361 Km carrés, Macédoine – 24 856 Km carrés, Monténégro - 13 812 Km

carrés, Bosnie Herzégovine – 51 129 Km carrés, Croatie – 56 414 Km carrés ; source CIA World Factbook, www.cia.gov , consultéele 12 Avril 2007

161 Roumanie – 22 276 056 hab., Serbie – 10 150 265 hab., Macédoine – 2 055 915 hab., Monténégro – 684 736 hab., BosnieHerzégovine – 4 552 198 hab., Croatie – 4 493 312 hab. ; source CIA World Factbook, www.cia.gov , consultée le 12 Avril 2007

162 Roumanie – 79,17 milliards USD (PIB/hab. – 8 800 USD), Serbie – 19,9 milliards USD (PIB/hab. – 4 400 USD en incluantKosovo), Macédoine – 6,225 milliards USD (PIB/hab. – 8 200 USD), Monténégro – 2,27 milliards USD (PIB/hab. – 3 800 USD), BosnieHerzégovine – 9,158 milliards USD (PIB/hab. – 5 500 USD), Croatie – 37,35 milliards USD (PIB/hab. – 13 200 USD) ; source CIAWorld Factbook, www.cia.gov , consultée le 12 Avril 2007

II. Effets dans le réel – la politique étrangère

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Réciproquement, ces pays pourraient difficilement ne pas envisager de joindre l’UE s’ils seretrouvent entourés par celle-ci.

Plusieurs structures de collaboration régionale163 sont en place. Un exempleintéressant est la SEECP (South-East European Cooperation Process), une structurenon institutionnalisée crée en 1996 à l’initiative de la Bulgarie pour avoir un espace decoopération suite à la modification du paysage étatique dans les Balkans. Les anciennesambitions de leadership régional d’entre deux guerres de la Roumanie sont encore visiblesà travers le rappel sur le site MAE de l’action de collaboration balkanique de N. Titulescu,dont la SEECP serait la suite : « SEECP poate fi considerat drept continuatorul colaborăriibalcanice, iniţiată de Nicolae Titulescu în perioada interbelică »164. La SEECP est le seulforum de sud-est européen crée et géré par les états de la région – regional ownership. Sonbut est l’amélioration du climat politique et des relations des pays de la région. La Roumanieest à l’origine d’une charte – La Charte des relations de bon voisinage, de stabilité, sécuritéet coopération en Europe de Sud-est signée par les pays membres165 en 2000 a Bucarest.Parmi les dimensions prioritaires SEECP on peut citer la coopération économique régionale,la création d’un marché régional de l’énergie, et le développement d’un réseau ferroviairede la région. SEECP est aussi une occasion pour la Roumanie de se poser discrètement enleader de la région. Dans la description de la présidence roumaine de la SEECP sur les siteMAE on trouve parmi les buts roumains « Obiectivele … române au vizat … consolidareaconceptelor de regional ownership şi regional leadership ». Il n’est pas précisé qui seraitle « regional leader » mais le texte reste assez transparents la desssus : «… asumarearolului de catalizator al procesului integrării europene a tarilor din Europa de Sud-Est … ».

Si les ambitions sont claires et si il existe comme nous l’avons vu plusieurs dispositifs decoopération régionale, sur le terrain concret de l’activité économique la situation n’est pasla même. Malgré sa proximité la Roumanie ne se situe pas parmi les principaux partenaireséconomiques pour aucun des pays de la région, ni en tant qu’exportateur, ni en tantqu’importateur. Il est vrai que les conflits ont eu une forte influence sur l’activité économiquede ces pays mais même par rapport à des économies diminuées la Roumanie n’est pasun acteur économique important. Réciproquement aucun de ces pays n’occupe une placesignificative parmi les partenaires économiques de la Roumanie. Il y a eu des nombreuxdébats depuis le début du XXe siècle sur la position de la Roumanie dans et par rapport auxBalkans. C’est une discussion sans fin et c’est pour cette raison qu’il est utile de regarderdes aspects concrets et mesurables comme le sont par exemple les données économiques.Actuellement ces indicateurs sont clairs, la Roumanie dans son activité économique etcommerciale est loin des Balkans.

Deux aspects appellent à modérer cette affirmation. Il y a un réel intérêt roumainpour développer et intégrer la collaboration régionale dans le domaine de l’énergie et destransports. La région peut constituer un couloir d’accès court et direct vers l’Europe d’Ouest.Cet intérêt roumain c’est concrétisé dans le projet de raccordement « Balkan route » pourle pétrole dont nous avons parlé dans notre analyse des enjeux dans le bassin pontique.Ensuite les rapports économiques peuvent changer rapidement dans la perspective d’uneintégration européenne des pays de la région. La Croatie est le pays le plus avancé pourrejoindre l’UE mais sa future entrée dans l’UE ne modifierait pas d’une manière significative

163 CEFTA, SECI, ICE, OCEMN, PSESE, SEECP etc.164 Source MAE Roumanie, description SEECP, http://www.mae.ro/index.php?unde=doc&id=7265&idlnk=1&cat=3 , consultée

le 14 avril 2007165 Albanie, Bulgarie, Grèce, Macédoine, Roumanie, Serbie, Monténégro, Turquie, Bosnie Herzégovine, Croatie, Moldavie

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les rapports économiques avec la Romanie – ils ne sont pas voisins directes et la Croatieest plus à l’Ouest. L’éventuelle intégration de la Serbie serait plus de nature de modifier lesrapports économiques entre les deux pays, d’autant plus que les relations étaient amicalesavant que la Roumanie ne décide de soutenir les frappes de l’OTAN et l’embargo. Maispour l’heure les chances de la Serbie de joindre l’UE sont suspendues à la résolution dustatut du Kosovo.

Le problème du Kosovo est délicat pour la diplomatie roumaine – tiraillée entre laposition de ses partenaires et alliées (UE, ONU, USA) et le devoir de prudence vis-à-visdes possibles implications d’un tel précédent pour la Moldavie d’une part, pour ses propresminorités d’autre part. En ce qui concerne la République Moldave, les dernières affirmationsde son président en faveur d’une large autonomie de la Transnistrie vont probablementfaciliter la prise de position roumaine qui n’aura plus à faire attention de ce côté-là. Encoreque les points de vue roumain et moldave sont loin d’être accordés.

Finalement les pays des Balkans d’Ouest ne sont pas d’une importance capitale pourla Roumanie. Derrière le discours politique les objectifs affichés – intégration énergétiqueet des routes de transport (ferroviaire) – correspondent à seules opportunités que celles-ci peuvent offrir du point de vue de la Roumanie. Leurs économies sont soit trop éloignées(comme la Croatie), soit trop peu développées pour présenter un intérêt pour l’instant. Celane signifie pas que leur potentiel de développement est négligeable. Placer déjà des pionssur place serait intéressant à moyen terme mais plusieurs facteurs jouent contre ce typede stratégie. L’économie roumaine est elle-même en développement et les ressources àinvestir sont encore faibles. La Roumanie n’est pas la Russie pour placer ses pétrodollars etgazodollars. D’autre part la corruption et le manque de reforme sur place rendraient ce typed’investissement risqué. Sur les grandes occasions (infrastructures etc.) une telle actionentrerait en concurrence avec les grands du marché et la Roumanie n’a pas les épaulespour tenir dans ce genre de confrontation.

Un autre bénéfice que la Roumaine pourrait et espère obtenir par sa position et sonavancement sur le chemin de l’intégration européenne est l’influence politique. A travers sonexpérience nouvellement acquise elle espère se poser en moteur de l’intégration régionale.Quel avantage concret ? Pour l’instant un moyen de pression pour faciliter la réalisation deses projets dans l’énergie et les transports. Pour plus nous verrons par la suite.

Conclusions et perspectives

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Conclusions et perspectives

Il est impossible pour un pays de repartir à zéro. Il y a deux types de raisons – matérielleset socio identitaires. En 1989 quand le régime de Ceauşescu a été renversé, malgré lesperspectives qui s’ouvraient, certains paramètres restaient : les pays voisins, la situationgéographique, les richesses naturelles, la situation industrielle, l’état des infrastructuresetc. De la même manière les mentalités, les structures et le fonctionnement social, lessymboles, l’histoire n’ont pas non plus changé du jour au lendemain. La période communistene constitue pas seulement une parenthèse dans l’histoire du pays. C’est plus qu’unecoupure. L’épisode communiste n’a pas seulement interrompu une évolution « naturelle »mais a changé radicalement le cadre et les conditions de cette évolution. Le résultat estune situation identitaire schizophrénique, une société et un système politique qui chercheencore une voie cohérente. Le temps commence à faire son œuvre et le changementgénérationnel permet d’atténuer la double rupture dans l’histoire – l’avènement et la chutedu régime communiste. En attendant cette reconstruction socio identitaire les seuls repèresdisponibles trouvent leur origine soit dans la logique communiste (ambition de transformerla Roumanie en une quatrième puissance mondiale, histoire formatée pour servir la causedu parti et l’image du « cel mai iubit fiu al ţării ») soit dans la nostalgie de la période entre lesdeux guerres mondiales (la Grande Roumanie). Détailler ces symboles est indispensablepour comprendre le désir inconscient de la classe politique d’arriver à mener le pays versune quelconque importance et reconnaissance internationale.

Après avoir passé en revue dans la première partie les aspects « sensibles » de lasymbolique identitaire roumaine la deuxième partie nous a permis d’approcher les grandschantiers de la politique étrangère roumaine actuelle. Les avancées sont indéniables :intégration à l’OTAN, à l’UE, politique dynamique en ce qui concerne le bassin de la MerNoire. Deux aspects modèrent ce point de vue optimiste.

Dans la perspective des symboles et repères que nous avons vu en première partiece résultats sont des demi échecs ce qui est générateur des frustrations. Cette perceptionpeut influer sur l’orientation de la politique étrangère. Nous avons fait le lien entre desmécanismes comme le balkanisme et le « horizontal and vertical escape » et la directionextra UE que la politique roumaine a pris post intégration. Si la négociation politique est unprocessus pragmatique la définition des priorités de la politique est un question de choixqui souvent peut s’avérer très subjectif. Le fait de tourner le regard immédiatement aprèsl’intégration dans l’UE vers l’extérieur de celle-ci est défendable par la position de frontièreeuropéenne de la Roumanie mais soulève également des questionnements sur la volontépolitique d’investir le volet intra communautaire.

D’autre part les dernières évolutions du paysage politique interne semblent indiquerque le pays est encore loin d’avoir atteint un degré suffisant de stabilité politique sur le plandomestique pour qu’il ait la capacité de manœuvrer efficacement sur la scène internationale.Actuellement le président M. Băsescu est suspendu suite à un vote parlementaire qui aregroupe opposition et une partie de sa propre coalition gouvernementale. Si le referendumdu 19 mai 2007 a été largement en faveur de son maintient dans la fonction présidentiellele résultat des urnes doit encore recevoir la confirmation des élus dans un contexte ou les

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lois sont modifiés en temps réel pour modifier les règles du jeu politique. Certains parlentde république bananière…

Tant que le passé ne va pas être « digéré » et que l’Etat de droit ne va pasfonctionner il sera difficile de parler de la politique extérieure roumaine autrement que d’unphénomène opportuniste et contextuel, sans stratégie à moyen terme ni moyens pour laréaliser. Ce constat quelque peu sombre doit être modéré par des perspectives d’évolutionéconomique et sociale encourageants quoi que indépendants de l’action politique. Les expays communistes connaissent en majorité une croissance économique dynamique avecdes taux largement supérieurs à la moyenne des grand pays occidentaux ainsi que destaux de chômage plus bas. La Roumanie ne fait pas exception. L’intégration européennestimule l’économie même si elle impose également des restructurations douloureuses. Lesévolutions économiques vont de pair avec les évolutions sociales et ces avancées rendrontl’électorat plus exigeant obligeant ainsi la classe politique à une plus grande maturité etresponsabilité.

Même en ignorant ces paramètres intérieurs la situation en ce qui concerne la politiqueétrangère actuelle ne peut fournir qu’un bilan partiel et temporaire, la Roumanie n’ayantpas la puissance nécessaire pour influer sur le cours des choses ni au niveau régional,d’autant moins au niveau international. Le chantier le plus avancé semble être celuidu partenariat stratégique avec OTAN/USA. Si la Roumanie a été jusqu’à maintenantun allié fidèle des américains les déclarations récentes du gouvernement et du pouvoirintérimaire pendant la suspension de M. Băsescu semblaient remettre en cause cettealliance (notamment la participation des militaires roumains en Irak) ce qui a générél’inquiétude de l’ambassadeur des Etats-Unis à Bucarest. Si les USA ne souhaitent pas sepriver d’un allié mais leur principale préoccupation est maintenant dirigée vers l’Asie ce quienlève à l’Europe son statut privilégié dans la stratégie américaine. Le récent achat (pour3 milliards de dollars) d’une partie du fonds d’investissement Blackstone par une structured’état chinoise témoigne de cette importance croissante des relations USA-Chine. Détenantles plus grandes réserves en USD (majoritairement en bons du Trésor américain) celle civeut diversifier ces avoirs en investissant. Ainsi elle pallie à la baisse du dollar et accroit sapuissance et ses marges de manœuvre.

Sur le chantier européen la Roumanie avance de facto par son nouveau statut demembre mais sa politique étrangère est dirigée plutôt vers l’extérieur de l’UE. Bruxellesregarde avec inquiétudes les dernières frasques de la vie politique roumaine et l’idée quele pays a été admis trop tôt fraye son chemin. Il ne faut pas oublier que les fonds structurelsdestinés au pays supposent des conditions et les doutes de l’UE sur l’état de droit enRoumanie, sur le respect des minorités ainsi que sur la lutte anti corruption pourraientse traduire par des pénalités concrètes. L’instabilité politique simultanée en Ukraine et enRoumanie ne va pas sans générer des questions sur les risques de dérapage le long decette frontière de l’Est de l’UE. Les incidents en Estonie concernant le voisin russe et laminorité russophone alourdissent encore le bilan concernant les adhérents ex parties ouvoisins directs de l’ancien espace soviétique.

La relation avec la Russie est intimement liée à la situation dans le bassin de la MerNoire. L’importance de l’area pour le transit énergétique vient de l’inquiétude et de la volontéde l’UE de diversifier son approvisionnement énergétique et ainsi réduire sa dépendanceà l’égard de la Russie. La Russie a retrouvé du pouvoir à travers la stabilisation du payspar la présidence de V. Poutine mais aussi grâce à la manne énergétique. Elle a pu ainsirembourser de manière anticipée et à la surprise générale ses dettes et débarrassée de cepoids utiliser l’arme du gaz pour freiner la perte en capital influence.

Conclusions et perspectives

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La Roumanie essaye d’utiliser sa position pour acquérir de l’importance et elle achoisi le camp occidental. Elle avait difficilement le choix en tant que pays candidat àl’adhésion européenne. Tel n’a pas été le cas d’autres pays, adhérents de plus longue date,comme l’Hongrie qui s’est permis de jouer sur les deux tableaux dans la guerre des projetsd’acheminement énergétique. On peut donc s’attendre également à des changements depolitique roumaine maintenant qu’elle n’a plus la conditionnalité de son adhésion au dessusde sa tête.

En ce qui concerne la coopération régionale la position roumaine dépend du soutiendes USA et ces derniers semblent logiquement privilégier la carte turque. L’UE est loind’avoir une coopération politique efficace que ce soit dans le domaine de la sécurité ou dela défense. La Roumanie pourrait jouer la carte de l’implication dans l’évolution européennedans ce sens mais membre de fraîche date, sans une puissance économique, militaireou démographique il lui faudrait pour arriver à des résultats une continuité et une habiletépolitique qu’elle ne possède pas encore.

Il est difficile d’estimer les perspectives des relations avec la République Moldave. Lepetit voisin de la Roumanie est dans une situation d’inconfortable dépendance qui ne luipermet guère d’avoir une stratégie autre que celle de la survie. En face l’intérêt roumain d’unrapprochement « forcé » (pour cause de volonté d’union non partagée) n’est pas évident. LaMoldavie n’a rien à offrir et au contraire serait un poids dans l’hypothèse d’une réunification.

Les Balkans d’Ouest constituent dans l’imaginaire traditionnel un terrain naturel oula Roumanie aurait la possibilité de construire une sorte de « zone d’influence » et ainsiacquérir un statut de puissance relative. Plusieurs facteurs relèguent cette idée au niveaudu rêve. Premièrement la Roumanie ne fait pas partie géographiquement et ne se considèrepas comme appartenant identitairement aux Balkans en général. Elle a grillé ses cartesvis-à-vis de la Serbie et de toute manière la Russie joue un rôle protecteur trop importantpar rapport à celle-ci pour qu’il y ait une place significative pour la Roumanie. L’économiedes pays de l’ex Yougoslavie voisins de la Roumanie ne fonctionne pas et en conséquenceles intérêts économiques dans la région pour la Roumanie sont insignifiants. Dans cesconditions à part mettre en place des structures de coopération pour faire un peu semblantqu’il se passe quelque chose il n’y a pas grand-chose à faire pour l’instant.

La conclusion sur l’ensemble de la politique étrangère roumaine dans ses grands axesest simple. Il y a eu deux grandes réussites – l’intégration à l’OTAN et à l’UE. En ce quiconcerne l’avenir il dépend de l’évolution de la situation politique intérieure.

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Radio Canada International, fiche Roumanie - http://www.rcinet.ca/rci/fr/canada_contenu.asp?ID=821&L=fr consultée le 26 Mars 2007

Turquie européenne, http://www.turquieeuropeenne.org/article1814.html , consultée le1 mars 2007

Verluise Pierre, Durandin Catherine, « Géopolitique de l’Europe centrale et orientale. LaRoumanie de 1989 à 2003 », source www.diploweb.com , Août 2002, consultée le06 Janvier 2007

Bibliographie

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Wikipédia, « Régions Pétrolieres en Europe » - http://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9gions_p%C3%A9troli%C3%A8res_en_Europe , consultée le 26 mars 2007

La Roumanie : histoire, identité et politique étrangère

74 Chirita Damian - 2007

Annexes

Annexe 1

Carte occupation romane en DaciaLes provinces romaines Dacie, Illyrie, Pannonie, Dalmatie, Moesie Source : Wikipédia

- http://ro.wikipedia.org/wiki/Imagine:Balcani_2.jpg

Annexe 2

Annexes

Chirita Damian - 2007 75

Roumanie transit pétroleSource - Energy Information Administration (EIA) : http://www.eia.doe.gov/emeu/cabs/

SE_Europe/images/bosporus%20bypass%20map.pdf

Annexe 3

La Roumanie : histoire, identité et politique étrangère

76 Chirita Damian - 2007

Transit pétrole : détail Balkan RouteSource - Energy Information Administration (EIA) : http://www.eia.doe.gov/emeu/cabs/

SE_Europe/Oil.html

Annexe 4

Annexes

Chirita Damian - 2007 77

« Odessa Brody Pipeline » and « Adria Droujba Integration Project » UkraineSource : Energy Information Administration : http://www.eia.doe.gov/emeu/cabs/

Ukraine/Oil.html

Annexe 5

La Roumanie : histoire, identité et politique étrangère

78 Chirita Damian - 2007

Samsun Ceyhan TurquieSource : Energy Information Administration - http://www.eia.doe.gov/emeu/cabs/

Caspian/ExportIssues.html

Annexe 6

Annexes

Chirita Damian - 2007 79

Roumanie gazoduc ProgressSource : Energy Information Administration - http://www.eia.doe.gov/emeu/cabs/

romania.html