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LA THEORIE DU POUVOIR POPULAIRE EN AMERIQUE LATINE Hector MENDEZ L'Amérique latine est, aujourd'hui, la seule partie du monde où la construction d'une nouvelle société socialiste est encore, ou à nouveau, envisagée. Étrange situation, dans un continent qui fut le premier laboratoire à grande échelle de l'application de politiques néolibérales, de l’interdiction et de l'élimination des partis politiques de gauche, souvent accompagnée de l’élimination physique de ses militants, par des dictatures militaires. Mais le paradoxe n'est qu'apparent. C’est justement l'interdiction de la contestation politique qui a accéléré le développement de tous genres de mouvements sociaux, locaux, culturels, écologiques, paysans, féministes, indigènes, qui, luttant pour leurs revendications sont devenus autant de foyers de résistance aux régimes autoritaires. En même temps, la lutte contre les manifestations les plus visibles du néolibéralisme, misère, exploitation accrue des travailleurs, saccage de la nature, expropriation des paysans et des communautés, devenait la cause unificatrice de ces mouvements. La conjonction de ces luttes s’est traduite par de véritables insurrections populaires contre le personnel politique qui appliquait ces mesures. Partout, au Venezuela, - - 1

La Theorie Du Pouvoir Populaire

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L'Amérique latine est, aujourd'hui, la seule partie du monde où la construction d'une nouvelle société socialiste est encore ou à nouveau envisagée. Étrange situation, dans un continent qui fut le premier laboratoire à grande échelle de l'application de politiques néolibérales, de l’interdiction et de l'élimination des partis politiques de gauche, souvent accompagnée de l’élimination physique de ses militants, par des dictatures militaires

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LA THEORIE DU POUVOIR POPULAIRE EN AMERIQUE LATINE

Hector MENDEZ

L'Amérique latine est, aujourd'hui, la seule partie du monde où la construction

d'une nouvelle société socialiste est encore, ou à nouveau, envisagée. Étrange situation,

dans un continent qui fut le premier laboratoire à grande échelle de l'application de

politiques néolibérales, de l’interdiction et de l'élimination des partis politiques de

gauche, souvent accompagnée de l’élimination physique de ses militants, par des

dictatures militaires.

Mais le paradoxe n'est qu'apparent. C’est justement l'interdiction de la contestation

politique qui a accéléré le développement de tous genres de mouvements sociaux, locaux,

culturels, écologiques, paysans, féministes, indigènes, qui, luttant pour leurs

revendications sont devenus autant de foyers de résistance aux régimes autoritaires. En

même temps, la lutte contre les manifestations les plus visibles du néolibéralisme, misère,

exploitation accrue des travailleurs, saccage de la nature, expropriation des paysans et des

communautés, devenait la cause unificatrice de ces mouvements.

La conjonction de ces luttes s’est traduite par de véritables insurrections

populaires contre le personnel politique qui appliquait ces mesures. Partout, au

Venezuela, en Équateur, en Bolivie, en Argentine, au Mexique, des présidents, pourtant

élus, ont été poussés à abandonner le pouvoir et parfois, comme ce fut le cas en Argentine

en 2001, obligés de fuir pour sauver leur vie.

Disons-le d'emblée, ces mouvements populaires restent de nature très hétérogène

et leur action est peu souvent le résultat d'une quelconque direction politique unifiée.

Parfois, comme c'est le cas des zapatistes au Mexique, ils se proposent explicitement,

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selon les termes d'Holloway, de «changer le monde sans prendre le pouvoir»1 . Il

n'empêche que leur essor signe un changement d'époque. Ces mouvements font souvent

passer les forces populaires d'une logique de défense des droits contestés par le

néolibéralisme à une attitude de proposition et de revendication qui déborde souvent les

possibilités du système et ouvre sur la perspective de sa transformation globale.

La théorie du pouvoir populaire qui se répand en Amérique latine apparaît ainsi

comme une tentative de compréhension de ces expériences pratiques des masses

populaires en vue de leur projection vers la liquidation du système du capital et la

construction d'une société nouvelle. Cette tentative vise à expliciter les principaux

présupposés nouveaux de ces mouvements, mais aussi à récupérer, de façon critique, les

traditions et projets révolutionnaires du XIXe et XXe siècle, pour construire avec eux un

nouveau système, celui que le Venezuela bolivarien appelle le socialisme du XXIe siècle.

Dans l'exposé de cette théorie, principalement développé par les auteurs argentins,

nous commencerons par nous intéresser au principal trait commun de ces mouvements,

l'affirmation de la nature sociale du pouvoir. Nous aborderons ensuite le problème de la

condition subalterne, pour nous intéresser enfin à l’institutionnalisation du pouvoir

populaire.

I. LE POUVOIR POPULAIRE COMME POUVOIR SOCIAL.

Une précision s'impose d’emblée : l'idée de pouvoir populaire est une idée en

pleine élaboration. On peut parler, dans cette mesure, de traits communs à ces

expériences mais nullement d’une « théorie » achevée du pouvoir populaire. On peut

néanmoins en percevoir l’idée centrale. Pour le pouvoir populaire, la transformation

1 . John Holloway, Changer le monde sans prendre le pouvoir. Le sens de la révolution aujourd’hui. (Paris/Montréal: Syllepse/Luxembourg., 2007).

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sociale est avant tout une question de pouvoir2. Autant il s’agit de pouvoir quand les

classes dominantes modèlent la société, autant celui-ci est nécessaire aux classes

subalternes pour construire une société nouvelle.

Ainsi Miguel Mazzeo, un des principaux théoriciens argentins du pouvoir

populaire, le définit comme :

[…] le processus à travers lequel, les organisations des classes subalternes, dans

leur lieux de vie, de travail, d'études, de récréation, etc., se transforment en cellules

constituantes d'un pouvoir social alternatif et émancipateur, un pouvoir qui leur permet de

gagner des positions, de modifier les équilibres du pouvoir et les rapports de force et,

préparer, ainsi, la formation d'un champ contre hégémonique. C’est aussi le fait d'assumer

le pouvoir libérateur de ses propres forces et la puissance latente des classes

subordonnées, il est praxis et demande par conséquent des adhésions pratiques3.

Le premier aspect remarquable est donc la tentative de toutes ces expériences de

construire, au niveau local ou sectoriel, des instances de pouvoir en rupture avec les

médiations des marchés et de l'État. L'objectif de ces instances est double. D’une part il

s’agit de donner une relative stabilité aux expériences populaires de réappropriation

communautaire des conditions d'existence et, d’autre part, de coordonner et développer

une auto organisation nationale et populaire, capable de faire face à l'autorité de l'État.

2 . Dans un reportage pour le journal La Republica de l’Uruguay du 4 avril 2011, le journaliste demande au président du Venezuela  Hugo Chavez: Comment pensez-vous qu'il est possible de construire le nouveau socialisme, celui du XXIe siècle ? Quelle est la route critique de cette transition ? Il répond : le pouvoir. La route critique est le pouvoir, la démocratie, le pouvoir populaire.« La inesperada revolución  pacífica y plebiscitaria que rompió todos los moldes - LR21.com.uy », s. d., http://www.lr21.com.uy/comunidad/446173-la-inesperada-revolucion-pacifica-y-plebiscitaria-que-rompio-todos-los-moldes.

3 . Miguel Mazzeo, El sueño de una cosa.(Introduccion al poder popular), 1 vol. (Buenos Aires: Editorial El colectivo, 2006), http://www.editorialelcolectivo.org/ed/index.php?option=com_content&view=article&id=81%3Ael-sueno-de-una-cosa-introduccion-al-poder-popular&Itemid=1. Page 12.

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C'est aussi dans ces instances que se créent de nouveaux liens sociaux entre les opprimés

et les exploités, création qui est l'objet même de la transformation sociale.

Seules ces organisations sociales (de travailleurs avec ou sans emploi, de

quartiers, d’économie solidaire, culturelles, écologiques, etc.) et l'action collective

qu'elles développent sont source de pouvoir. Ce pouvoir ne vise pas la domination mais la

construction, en tant que sujets, du peuple et des individus qui le composent, ainsi que

l'exercice démocratique de l'autorité.

Il s’agit, en somme, pour le pouvoir populaire de construire des espaces où le

pouvoir des institutions capitalistes ne puisse pas s'exercer. Des espaces qui, en mettant

en échec les appareils idéologiques du système créent une nouvelle subjectivité populaire.

Le pouvoir populaire est donc une forme de contre-pouvoir, même si, par moments, il

peut s'articuler avec le pouvoir étatique, en utilisant les institutions d'État, pour assurer

son propre essor. On peut dire en somme, comme un écho de la souveraineté

rousseauiste, que le peuple, ainsi organisé, ne participe pas au pouvoir, il est le pouvoir.

Pour le pouvoir populaire c’est cette auto organisation des masses qui permet à la

subjectivité révolutionnaire de transformer leur pratique créatrice en théorie. C’est

l’engagement pratique dans la lutte des masses qui est essentiel pour la formation de la

conscience. La théorie révolutionnaire vient après. Comme le dit Eagleton :

Quand des hommes et des femmes impliqués dans des formes modestes et locales

de résistance politique sont transportés par l'impulsion interne de ces conflits vers une

confrontation directe avec le pouvoir de l'État, il est possible que la conscience politique

puisse se modifier de manière définitive et irréversible4.

4 . Terry Eagleton, Ideología. Una introducción., Cultura Libre. (PAIDOS, 1997). Page 168.

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Le pouvoir populaire est donc un pouvoir social. La philosophie de la libération

donne de ce pouvoir une version normative qui explique pourquoi sa légitimité est

supérieure à celle du pouvoir politique. Elle part de deux faits anthropologiques

fondamentaux : l'être humain est originairement communautaire et tous les êtres humains

veulent rester en vie. La raison première de l'existence de la communauté est qu’elle

permet de maintenir en vie les individus qui la composent. Cette puissance qui la pousse

vers la vie est le fondement du pouvoir. Elle est, dans les termes d’Enrique Dussel « la

détermination matérielle fondamentale de la définition du pouvoir politique »5. Aucun

pouvoir politique légitime ne peut exister sans ce fondement positif, social et éthique.

Cette puissance de la communauté est antérieure à tout pouvoir explicite et à toute

domination, elle est la seule instance légitime de la souveraineté, de l'autorité du

gouvernement et, en somme, de tout le politique. Ce pouvoir appartient à la communauté,

au peuple, et, il ne peut pas être « pris ». Mais, à la différence du pouvoir politique, la

puissance du peuple n'implique pas l'obéissance en contrepartie. Elle se limite à obliger le

pouvoir politique, par sa résistance ou son organisation en pouvoir d’opposition, à des

ajustements stratégiques.

Mais, le pouvoir populaire dans la mesure où il présuppose une vision antagonique

de la société, qu’il divise entre peuple et non peuple, ne peut pas ignorer le pouvoir

politique. Le pouvoir populaire est forcément en conflit, autant avec le pouvoir implicite,

institutionnel, qu’avec celui explicite, politique, des classes dominantes. Dans ce conflit,

son premier objectif est d'établir un rapport de forces lui permettant de contrer les actions

qui l’empêchent de se constituer en sujet populaire. À terme, son but politique est de

5 . Enrique A. Dussel, 20 tesis de politica, Escuela de cultura popular AC.de la OPC-CLETA en coedicion con el CREFAL.Centro de cooperacion regional para la educacion del adulto en A.L. (Mexico: Siglo XXI Editores, 2006).

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devenir hégémonique6, et restructurer ainsi le champ d'action possible de tout autre

pouvoir qui tenterait d'établir ou de rétablir des relations asymétriques de domination.

Mais, l'objectif final du pouvoir populaire est l'émancipation, l'élimination de toute

relation de domination. Seul l’opprimé peut se libérer et seul le pouvoir des classes

opprimées peut libérer. Leur objectif n'est pas de changer le titulaire de la domination, en

la laissant subsister, mais de reconquérir le monde comme leur propre monde. Le pouvoir

populaire peut être ainsi défini comme l'organisation matérielle et critique d'une volonté

opprimée qui veut échapper à sa situation sans construire pour autant une nouvelle

totalité, aussi totalitaire que celle du discours, courant aujourd'hui, « il n'y a pas

d'alternative au capitalisme ». La totalisation que prétend le pouvoir populaire est non

totalitaire. Elle n'est pas uniforme ou éternelle mais, au contraire, accepte la limitation, la

distinction, et même sa négation. Elle accepte, comme le disent les zapatistes, que

d'autres mondes soient possibles dans le même monde. Elle est la seule conception de la

totalité qui permette une démocratie réelle et une liberté véritable.

II. LE SUJET POPULAIRE. DE LA CONDITION SUBALTERNE À

L’AUTONOMIE.

Le pouvoir populaire ne se prend pas, il se construit. La méthode de sa

construction consiste à relier et projeter vers l’action politique les expériences de

socialisme pratique développées par les organisations des classes subalternes, en mettant

en évidence le caractère politique de ses conflits quotidiens. Dans ce processus il s’agit

toujours de résoudre les contradictions en fonction des intérêts des classes subalternes, en

cherchant la restructuration radicale des relations sociales et en exigeant pour cela la

6 . Pour Gramsci, le pouvoir est le produit, et non la source, d'une « hégémonie culturelle » conquise par une classe dominante sur une classe dirigeante. Un pouvoir hégémonique est donc un pouvoir appuyé, essentiellement, sur un large consensus et non sur la coercition.

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participation populaire directe. L'objectif est le dépassement de la domination, à l’origine

de la condition subalterne.

C’est la domination (que Gramsci définit dialectiquement comme une relation de

forces en conflit permanent) qui détermine les caractéristiques des classes subalternes,

éparpillement, agir épisodique, unification faible et souvent provisoire, au point que,

comme l'affirme Gramsci, elles souffrent de l'initiative des classes dominantes même

quand elles se rebellent7.

Mais, si la condition subalterne développe toujours des formes de résistance la

subjectivité des dominés commence réellement à se transformer quand le conflit devient

ouvert, c'est-à-dire quand les dominés contestent pratiquement l'hégémonie des classes

dominantes et lui font perdre son efficacité consensuelle. Ils acquièrent ainsi, dans la

confrontation, une subjectivité antagoniste. L'antagonisme n’est pas seulement objectif,

il explique aussi le niveau subjectif et comment se construisent les sujets dans un

contexte conflictuel et d'action contre hégémonique8.

Cependant, le processus n'est pas simple. Le champ populaire, est hétérogène et

contradictoire. L'antagonisme de classe se niche au sein même des opprimés, sous la

forme de traits indésirables (racisme, sexisme, xénophobie) qui sont autant d'expressions

des conditions politiques, sociales, économiques et culturelles dans lesquelles le peuple

se construit. Pour dépasser ces conditions et devenir le sujet de sa propre histoire le

pouvoir social du peuple doit se structurer de façon autonome.

7 . Antonio Gramsci, Cuadernos de la carcel. Tomo 2, vol. 2, 6 vol., Edición crítica del Instituto Gramsci. A cargo de Valentino Gerratana. (Mexico: Ediciones Era, 1975). § 14. Page 27. Cfr. Cahier 25. (XXIII), page 16.

8 . Karl Marx et Friedrich Engels, dans le Manifeste du Parti communiste, (Le livre de poche. Librairie Générale Française, 1973) lient de façon indissoluble antagonisme et conscience. « Il n’y a donc rien d'étonnant à ce que la conscience sociale de tous les siècles, malgré toute multiplicité et toute diversité, se meuve dans certaines formes communes, dans des formes de conscience qui ne se dissolvent complètement qu'avec la disparition totale de l'antagonisme de classe ». Page 33. « Mais, il ne néglige à aucun moment, de faire nâitre chez les ouvriers une conscience aussi claire que possible de l'antagonisme déclaré de la bourgeoisie et du prolétariat »(…). Page 54.

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Pour qu’on puisse parler d'autonomie des classes subalternes il faut que

l'antagonisme atteigne la rupture et la constitution d'un pouvoir alternatif ou parallèle.

C'est à ce moment, quand les classes subalternes sont capables de se donner leurs propres

règles, sans référence à celles de la domination, quand elles deviennent capables d'avoir

une politique autonome, que la constitution d’un nouveau type de relations sociales et

d’une nouvelle société deviennent possibles. Autonomie et pouvoir sont étroitement liés

dans la mesure où l'autonomie est, par définition, la capacité d'établir des normes et de se

détacher des relations de subordination. Elle suppose donc, implicitement, le pouvoir de

le faire.

Contrairement aux conceptions populistes, le pouvoir populaire considère que les

classes subalternes n’ont aucune affinité significative avec celles dominantes. Pour lui,

aucun projet national commun aux classes dominantes et au peuple n’est concevable. Un

tel projet serait, dans le meilleur des cas, une pure illusion et, le plus souvent, une forme

de ce que Gramsci appelle la révolution passive. Le peuple a besoin d’une politique

autonome pour construire son pouvoir.

Cependant, pour le pouvoir populaire, le concept d’autonomie a une portée qui va

bien au-delà de cette idée d’indépendance politique. Dans la perspective d’émancipation

qu’est la sienne, l’autonomie apparaît autant comme moyen que comme fin, mais aussi

comme processus et préfiguration.

En tant que moyen, elle est le mythe mobilisateur, tel que le concevaient Sorel,

Gramsci ou Mariategui, l'horizon utopique, mais aussi un processus réel, celui de

l'autonomisation. En tant que fin, elle est le dénouement du processus émancipatoire, le

point d'arrivée, le modèle de société autorégulée, la condition/situation

d'autodétermination dans laquelle les sujets définissent les normes auxquelles ils se

soumettent.

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Qu'elle soit référence abstraite ou expérience concrète, c’est l’autonomie qui

donne sens au processus réel d’autonomisation, processus permanent et contradictoire

d’émancipation. Mais ce processus est loin de l’idée de l’autonomisme qui la conçoit

comme une propriété métaphasique du sujet. L’autonomie commence déjà à exister dans

le présent, à travers les expériences concrètes qui la préfigurent et qui font exister,

matériellement, le processus émancipatoire.

III. LE POUVOIR POPULAIRE ET SES INSTITUTIONS. UTOPIE ET

PRÉFIGURATION.

La puissance émancipatrice du peuple, forgée dans les conflits, doit être organisée

pour devenir un pouvoir réel avec une efficacité empirique, pour devenir, dans la

terminologie d’Enrique Dussel, potestas9. Pour lui, comme pour la théologie de la

libération, l'institutionnalisation du pouvoir est nécessaire et inévitable du fait de la

complexité des sociétés modernes. En même temps, l'institutionnalisation est le danger à

l'origine de toutes les injustices et dominations. Ainsi, la forme qu’elle prendra

déterminera si la puissance du peuple se transformera en pouvoir populaire ou si elle

restera ou retombera dans la domination.

Le pouvoir populaire se propose de créer une vie sociale à l'écart des rapports du

capital et de la valeur de change, de liquider définitivement l'aliénation, de changer le

fond même des rapports sociaux et non simplement les institutions. Il ne peut donc

accepter que son institutionnalisation aille à l'encontre de son objectif principal,

l'abolition de toute domination. Il lui faut alors, réinventer la politique à partir du social,

une politique qui soit subordonnée aux organisations populaires, seules capables de

développer un ordre social alternatif. Les organisations de base du pouvoir populaire, qui

9 . E. Dussel, 20 tesis de política. Tesis 2 [2.35].

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définissent le sens même du changement social, ne peuvent pas abandonner leur

autonomie au profit des forces proprement politiques, et tout particulièrement au profit

des partis révolutionnaires.

Or, historiquement, une conception instrumentale des mouvements de masses a

prédominé dans les mouvements révolutionnaires, les subordonnant aux partis politiques

et considérant les mouvements de masses comme un simple objet de l'action politique.

Pour le pouvoir populaire, ce n'est pas acceptable. Ce sont les organisations sociales de

base qui doivent diriger les organisations politiques, ce sont elles qui construisent le parti

et qui le transforment en instrument de consolidation de leur autonomie, de libération de

la puissance d'invention sociale du peuple et de renforcements de leur capacité

antagoniste par rapport à l'ordre établi. Dans le pouvoir populaire les masses ne sont pas

les « bénéficiaires » d'une action politique extérieure mais directement les exécutants et

destinataires de ces actions.

Cette conception de la politique a plusieurs conséquences, la première étant que

les masses ne doivent pas être unifiées par homogénéisation de leurs différences au

moyen d'une orientation externe venant du champ politique. Elles doivent au contraire

préserver leur autonomie et définir ensemble leur articulation. Chaque organisation du

peuple devient ainsi un espace autonome dans une structure organisationnelle complexe

dont la forme évolue en fonction de son rapport avec d'autres espaces. Dans cette

structure complexe, les masses élaborent leur ligne politique commune qui n’est plus la

ligne politique « correcte » définie par le parti, mais le point de vue commun qui reflète

l'ensemble d'expériences réelles du mouvement populaire.

Il est également clair, pour le pouvoir populaire, que le consensus démocratique ne

se construit pas à partir du pouvoir, il se construit entre égaux, entre sujets se

reconnaissant mutuellement en tant que tels et dans des espaces ou la distinction

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dirigeant /dirigé a été abolie. Le pouvoir populaire appelle cela l'horizontalité, composant

essentiel de la démocratie directe.

Certes, la pleine horizontalité est utopique et le plein consensus ne sera jamais

atteint, mais une telle utopie indique la direction à suivre, d'abord au sein des

organisations du peuple, ensuite dans la société tout entière. Les décisions par consensus,

la mise en commun du savoir et la rotation des tâches sont la condition de la disparition

des différences entre gouvernants et gouvernés, entre décideurs et exécutants, le rempart

contre les dérives bureaucratiques et le chemin pour la socialisation du pouvoir.

Le pouvoir populaire n’ignore pas, non plus, le dilemme classique de tout pouvoir

révolutionnaire qui propose une transformation sociale. Il est condamné à reproduire la

domination s’il emploie, pour cette transformation, les méthodes de la domination. Il ne

nie pas pour autant le commandement, mais ce commandement doit être démocratique,

dans le sens le plus strict du terme, un pouvoir exercé, en dernier ressort, par le peuple

réuni en assemblée. Le pouvoir des représentants ne peut être que dérivé et s'exercer sous

le principe de « commander en obéissant » des zapatistes. Le commandement du peuple

ne cherche pas à obtenir l'obéissance mais à faire respecter ses décisions et sa parole, et à

concrétiser son utopie. Un pouvoir, en somme, qui ne trouve pas en soi-même sa propre

finalité.

Mais, si on ne veut pas limiter la démocratie directe à une procédure consistant à

donner à toutes les voix la même valeur on doit promouvoir une participation basée sur

une égalité effective. L'horizontalité doit signifier aussi des structures qui soient elles-

mêmes formatrices et une éducation populaire libératrice. Les classes populaires ne

doivent pas avoir seulement une voix, mais la conscience d'être les porteuses des

stratégies de transformation sociale.

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C’est l'objectif recherché par l’éducation populaire. C'est à elle qu’il revient de

détecter et transmettre massivement les valeurs et les éléments politiques alternatifs au

capitalisme qui se trouvent dans les pratiques quotidiennes du peuple et de combattre

ceux implantés par le système dans la conscience des classes subordonnées. Cette

pédagogie populaire, théorisée par le brésilien Paulo Freire10, est celle qui permettra aux

classes populaires de surmonter la fragmentation propre à leur condition subalterne et

développer une horizontalité substantielle.

Mais il ne suffit d’établir des principes formels d'organisation tels que

l'horizontalité, la démocratie ou l'autonomie, les institutions doivent aussi être modelées

en fonction des fins poursuivies. Or, la définition du contenu souhaitable du pouvoir

populaire n’est concevable sans une idée de la société alternative possible.

Ainsi, face au réalisme désabusé des gauches « progressistes » qui gouvernent la

plupart des pays d'Amérique du Sud, le pouvoir populaire considère qu'on ne peut pas

imaginer une transformation sociale fondamentale sans une vision utopique. Une telle

vision permet autant la mobilisation des forces sociales que la réflexion sur l'altérité

radicale et sur le caractère systémique de la totalité sociale.

Cet utopisme doit être un utopisme « réflexif », tel que le proposait Ernst Bloch11,

un utopisme qui anticipe, par la pensée, à partir de la connaissance de ses tendances

objectives, les transformations de la société. Cette anticipation, ancrée dans la réalité,

n'est pas une illusion. Elle engage la création d'un espace révolutionnaire dans le monde

réel qui préfigure, à petite échelle, la transformation révolutionnaire du réel.

10 . Paulo Freire, Pedagogia del oprimido, s. d., http://www.ensayistas.org/critica/liberacion/varios/freire.pdf.

11 . Ernst Bloch et Françoise Wuilmart, Le principe espérance, Bibliothèque de philosophie (Paris: Gallimard, 1976).

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Mais, une telle utopie ne doit pas être assimilée à l’idée régulatrice kantienne.

Pour le pouvoir populaire, pour qu’une telle l’utopie devienne une réalité, il faut qu’elle

s'inscrive dans un corps concret, dans la chair et la pensée d'une subjectivité politique.

Elle est, comme le dit Miguel Mazzeo, « une puissance, existant dans le présent, qui se

développe, par l’initiative des sujets collectifs et non par les lois d’un quelconque devenir

historique»12. Cette synthèse de l'espoir avec la connaissance critique de la réalité et de

ses potentialités, l’utopie telle que la conçoit le pouvoir poulaire, ne peut exister qu’en

rapport aux consciences et aux subjectivités révolutionnaires qui la portent.

Ces subjectivités génèrent leurs propres formes d'organisation, espaces sociaux

différents, perfectibles et construits collectivement, qui sont justement le point

d’intersection entre l'utopie et le communisme, tel que le définissait Marx, « mouvement

réel qui abolit l'état actuel »13. Ce sont ces expériences concrètes et non les idées

utopiques, qui font exister l’utopie libertaire et, comme dirait Alain Badiou, le

« communisme invariant 14».

Ce que le pouvoir populaire appelle la politique préfigurative est justement cet

effort pour concrétiser l'utopie, pour la traduire en formes organisationnelles, en actions

et en rapports sociaux correspondant à la nouvelle société désirée.

En Amérique latine cette idée de politique préfigurative n'apparaît pas liée à ses

origines anarchistes mais aux deux principales sources d'inspiration théorique du pouvoir

populaire, le marxisme gramscien et la théologie de la libération. Pour cette dernière, la

préfiguration suppose que le royaume de Dieu comme futur et utopie, existe aussi au

présent sous forme d'une éthique. En effet, pour la théologie de la libération et pour le

12 . Mazzeo, El sueño de una cosa.(Introduccion al poder popular). Page 60.13 . Karl Marx et Fredrich Engels, L’idéologie allemande. (MIA, section française., Archive Internet des

marxistes, s. d.), , http://www.marxists.org/francais/authors.htm. Page 11.14 . Selon l’idée développée par Alain Badiou et François Balmès dans : De l’idéologie (F. Maspero,

1976).

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pouvoir populaire, le problème éthique ne peut pas être réduit, comme l'a fait

historiquement la gauche traditionnelle, à un pur problème méthodologique. Le souci

concret de l'autre, du prochain, ne peut être remplacé par un engagement envers une

vérité supposée défendre un autre abstrait, l'humanité. Au contraire, la politique

d'émancipation doit être basée sur une éthique radicale d'égalité, de respect et de

responsabilité envers les autres concrets.

Pour le marxisme gramscien, le défi d'une politique préfigurative est, à son tour,

de traduire l'utopie communiste en réalisations concrètes, en nouvelles formes de pouvoir

politique certes, mais aussi économiques, sociales, culturelles et morales. On doit

construire, dans les organisations populaires, des formes nouvelles de sociabilité pratique

à vocation hégémonique.

Parmi ces réalisations, le pouvoir populaire doit permettre la construction de

nouvelles formes de vie économique. Aucune transformation sociale radicale n’est viable

sans assurer la survie du peuple et sans être en mesure de présenter des réalisations

concrètes démontrant qu'une autre forme de produire et reproduire la vie sociale est

possible. Sinon, l’ordre établi arrivera toujours à se reconstituer.

C’est le défi qui essaye de relever, en Amérique latine, l'économie solidaire, une

économie populaire orientée en même temps par des principes éthiques : valorisation du

travail, de la valeur d'usage, des relations solidaires et non compétitives, de solidarité et

responsabilité collective dans le travail. À l’économie populaire déjà existante dans les

secteurs marginaux de travailleurs sans emploi formel, elle ajoute la production

autogestionnaire, le commerce équitable et la consommation responsable. Elle vise ainsi

à remplacer la conduite aliénée et passive, induite par les supposées lois objectives de

l'économie, par une conduite éthico-politique active, propre à des sujets critiques.

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Complétée par une stratégie d'association des producteurs, cette économie

solidaire ne doit pas être seulement le refuge contre les exclusions du capital mais la

préfiguration d'une économie alternative avec ses propres sujets, produits et régulations,

une économie où, dans les termes de Holloway, les masses populaires peuvent récupérer

<reprendre possession / retrouver> un pouvoir faire socialisé15.

CONCLUSION

Il est donc clair, à partir de cette rapide description, que le centre des

préoccupations du pouvoir populaire n'est pas la conquête du pouvoir de l'État. Une telle

éventualité doit être toujours subordonnée à l'objectif d'émancipation intégrale des classes

subalternes. Les relations de domination et d’exploitation ne se nouent pas seulement au

niveau politique. Elles doivent sans doute être combattues au niveau politique, mais

aussi, à travers un long processus, dans tous les niveaux de la vie sociale.

Par conséquent, contrairement aux courants autonomes d'origine anarchiste, le

pouvoir populaire considère que, pour devenir hégémoniques, les classes subalternes

doivent s'organiser politiquement de façon permanente et disposer des moyens de se

défendre et de transformer la réalité. Cela suppose la constitution d'un outil politique.

Mais cet outil politique doit être subordonné aux mouvements de masses. Il doit être,

comme le dit Mazzeo, un espace de globalisation et de synthèse des pratiques

anticapitalistes, contre hégémoniques, solidaires et projetées vers le socialisme et

l'émancipation16. L'outil n'est pas le sujet et tout doit être fait pour éviter sa transformation

en sujet. Sa fonction politique n’est pas de représenter les classes subalternes mais de les

15 . Holloway, Changer le monde sans prendre le pouvoir. Le sens de la révolution aujourd’hui.16. Mazzeo, El sueño de una cosa.(Introducción al poder popular). Page 160.

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aider à devenir, en créant des espaces pour articuler leurs luttes, les sujets du pouvoir, de

l'économie et la culture.

Dans l'exercice du pouvoir, le pouvoir populaire met toujours l'accent sur

l'hégémonie, comprise essentiellement comme un consensus. Ce consensus est pour lui le

fondement le plus solide de la suprématie d'une classe devenue dominante. Pourtant, il

n'ignore pas que, pendant la transition vers la nouvelle société, cette situation peut avoir

besoin d'un appareil de coercition, d'un État, qui puisse être utilisé, si nécessaire. Le

pouvoir populaire ne représente pas, par conséquent, une rupture totale avec la tradition

révolutionnaire classique, mais une nouvelle synthèse entre anciennes pratiques de lutte,

(par exemple le mot piqueteros17 vient des anciens piquets de grève), et des innovations

qui liquident les aspects ankylosés des anciennes pratiques révolutionnaires.

Par contre, le caractère long du processus qu'il propose, suppose l'abandon de

toute conception « spectaculaire » de la praxis émancipatrice. Le pouvoir populaire met

au contraire l'accent non pas sur une confrontation ouverte, situation en général

exceptionnelle, mais sur une infra politique quotidienne. Il conçoit la révolution comme

un long processus auto créatif et d’auto éducation des masses populaires ainsi que de

construction d’un environnement dans lequel la dissidence politique, qu’elles expriment

puisse toujours s'alimenter et prendre sens. On doit respecter le rythme de développement

de la conscience populaire, aller au pas du plus lent, comme disent les zapatistes.

Le pouvoir populaire n'est pas, non plus, un nouveau dogme, applicable

indépendamment de la situation concrète, mais l'idée commune surgie de diverses et

parfois contradictoires expériences de construction politique et expérimentations, ayant

17 . Mouvements autonomes de protestation, au niveau local ou professionnel, basés sur des revendications limitées, souvent aussi à caractère local qui se sont développés en Argentine lors de l’effondrement du système financier en 2001. Leur méthode privilégiée de lutte est le « piquete », groupe de personnes organisé qui coupe les routes, pendant de longues périodes, pouvant parfois atteindre des semaines ou des mois, jusqu’à obtenir satisfaction.

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comme horizon l'autonomie intégrale des classes populaires. On pourrait le comprendre

plutôt comme un ensemble de processus sociaux ouverts, complexes et multiples, visant

la conformation d'espaces publics non étatiques et le développement de logiques

différentes contenant potentiellement la négation de la logique mercantile et de celle du

pouvoir en place. C’est, en somme, une nouvelle forme de penser le politique.

Le pouvoir populaire souligne aussi le caractère pluriel des sujets engagés dans la

transformation, la pluralité du peuple. La classe ouvrière, entendue de façon classique,

n'est plus, pour le pouvoir populaire, l'acteur privilégié d'une altérité non capitaliste. Les

véritables acteurs du pouvoir social sont un large éventail des mouvements de la société

civile. Ces mouvements fonctionnent comme catalyseurs de sa massification et de son

implantation territoriale, non pas à travers la diffusion d'une conscience commune

unique, mais plutôt par la complicité des affinités pratiques. Néanmoins, l'articulation

des luttes, même si elle s’étend au-delà des périodes électorales, ne sera pas suffisante

pour la transformation sociale tant qu'on n'atteindra pas, dans la société, un large

consensus sur la nécessité de dépasser le capitalisme comme système économique et

social global. Un tel consensus est évidemment le principal objectif politique.

La théorie du pouvoir populaire propose en somme une nouvelle conception de la

transformation sociale. Latino-américaine par son origine, elle a, comme par le passé le

léninisme (avec lequel elle a, néanmoins, très peu d'affinités), une vocation universelle.

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