5
PRATIQUE DU SOIN Médecine palliative 238 N° 4 – Septembre 2007 Med Pal 2007; 6: 238-242 © 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés La toilette mortuaire est-elle un stress ? Enquête auprès de 200 soignants Annie Petrognani, Équipe mobile et consultation de la douleur et de soins palliatifs, Hôpital Sainte-Périne, APHP, Paris. Summary Are nurses and nursing aid stressed by cleaning corpses? Survey of 200 caregivers Introduction – After in hospital deaths, nurses and nursing aids are called upon to wash and prepare the deceased body. This common practice is not however mentioned in any official document describing the competencies of these categories of caregivers. This activity is often discovered abruptly, like a last homage, or on the contrary as a nonsense requiring caregivers to wash and obdurate the cadaver as quickly as possible. Material and methods – A 10-item questionnaire with three chapters (identification of signs of stress, means of coping with stress, need for training) was distributed to 200 caregivers in long-term care units of the Saint-Périne hospital. The anony- mous questionnaires were returned by mail. Results and analysis – There were 92 responses (24% nurses, 76% nursing aids). Mean age was 38 years, and mean working experience 11 years. More than 50% of the caregivers had cleaned more than ten corpses. This practice triggered signs of stress which were adapted, differed, or avoided and increased cumulative stress. Signs of adapted stress were frequent (20-40% of the physical signs considered as afflicting). 11% of the responders stated the afflicting stress persisted beyond one hour after washing a corpse. Signs of differed stress were noted by 50% of the nurses and 33% of the aids. Signs of avoided stress (avoiding the situation in all cases) were noted in 25% of the nurses and 33% of the aids. 100% of the responses mentioned means invented to cope with the stress (shared words, break with a colleague). Conclusion – Caregivers in long-term care units present a considerable level of stress before, during and after washing corpses. This psychic impact and the associated somatic disor- ders are aggravated by a lack of training and anticipation. To reduce the uncertainty associated with this activity, we present an information document designed for caregivers which could be helpful in preventing the deleterious consequences of wash- ing corpses. Key-words: death, corpse, long-stay unit, prevention of stress. Résumé Introduction – Seuls les infirmier(e)s et les aides soignant(e)s sont concernés par la toilette mortuaire, acte qui n’est pourtant pas référencé dans leur décret de compétence. Cet acte est sou- vent découvert abruptement, vécu comme un dernier hommage, un dernier soin, ou souvent vécu dans le « non-sens » qui est imposé pour « laver, obturer » au plus vite le cadavre. Matériel et méthode – Un questionnaire de 10 items en 3 cha- pitres (identification des signes de stress, moyens de lutte contre le stress, besoin de formation) a été diffusé à 200 soignants de l’hôpital Sainte-Périne dans 16 USLD. Restitution écrite par courrier anonyme. Résultats et analyse – Quatre-vingt-douze réponses (24 % d’infirmier(e)s et 76 % d’aide soignant(e)s). Âge moyen 38 ans, ancienneté 11 ans. Plus de 50 % des professionnels ont réalisé plus de 10 toilettes mortuaires. Cet acte déclenche des signes de stress adapté, différé ou dépassé, et majore le stress cumulatif. Les signes de stress adapté sont fréquents (entre 20 % et 40 % de signes physiques ressentis pénibles). Onze pour cent des répondeurs attestent de la persis- tance des ressentis pénibles au-delà d’une heure après la toilette mortuaire. Les signes de stress différé sont évoqués par 50 % des IDE et 33 % des AS. Les signes de stress dépassé (évitement de la toi- lette à tout prix) sont retrouvés chez 25 % des IDE et 33 % des AS. Cent pour cent des réponses signalent des moyens improvisés par les professionnels pour lutter contre le stress (parole parta- gée, pause en binôme). Conclusion – Les soignants d’USLD présentent un niveau de stress notable avant, pendant et après l’accomplissement des toilettes mortuaires. Cet impact psychique et son cortège de troubles somatiques sont aggravés par le manque de formation et d’anticipation. Pour réduire l’incertitude relative à cet acte, nous exposons la note informative pour les soignants, qui pour- rait prévenir en partie les conséquences délétères de la toilette mortuaire sur ces professionnels. Mots clés : mort, toilette mortuaire, USLD, prévention du stress. Petrognani A. La toilette mortuaire est-elle un stress ? Enquête auprès de 200 soignants. Med Pal 2007; 6: 238-242. Adresse pour la correspondance : Annie Petrognani, Équipe mobile et consultation de la douleur et de soins pallia- tifs, Hôpital Sainte-Périne, APHP, 11, rue Chardon Lagache, 75016 Paris. e-mail : [email protected]

La toilette mortuaire est-elle un stress ? Enquête auprès de 200 soignants

  • Upload
    annie

  • View
    212

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: La toilette mortuaire est-elle un stress ? Enquête auprès de 200 soignants

P R A T I Q U E D U S O I N

Médecine palliative

238

N° 4 – Septembre 2007

Med Pal 2007; 6: 238-242

© 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

La toilette mortuaire est-elle un stress ? Enquête auprès de 200 soignants

Annie Petrognani, Équipe mobile et consultation de la douleur et de soins palliatifs, Hôpital Sainte-Périne, APHP, Paris.

Summary

Are nurses and nursing aid stressed by cleaning corpses? Survey of 200 caregivers

Introduction – After in hospital deaths, nurses and nursing aids are called upon to wash and prepare the deceased body. This common practice is not however mentioned in any official document describing the competencies of these categories of caregivers. This activity is often discovered abruptly, like a last homage, or on the contrary as a nonsense requiring caregivers to wash and obdurate the cadaver as quickly as possible.Material and methods – A 10-item questionnaire with three chapters (identification of signs of stress, means of coping with stress, need for training) was distributed to 200 caregivers in long-term care units of the Saint-Périne hospital. The anony-mous questionnaires were returned by mail.Results and analysis – There were 92 responses (24% nurses, 76% nursing aids). Mean age was 38 years, and mean working experience 11 years. More than 50% of the caregivers had cleaned more than ten corpses. This practice triggered signs of stress which were adapted, differed, or avoided and increased cumulative stress. Signs of adapted stress were frequent (20-40% of the physical signs considered as afflicting). 11% of the responders stated the afflicting stress persisted beyond one hour after washing a corpse. Signs of differed stress were noted by 50% of the nurses and 33% of the aids. Signs of avoided stress (avoiding the situation in all cases) were noted in 25% of the nurses and 33% of the aids. 100% of the responses mentioned means invented to cope with the stress (shared words, break with a colleague).Conclusion – Caregivers in long-term care units present a considerable level of stress before, during and after washing corpses. This psychic impact and the associated somatic disor-ders are aggravated by a lack of training and anticipation. To reduce the uncertainty associated with this activity, we present an information document designed for caregivers which could be helpful in preventing the deleterious consequences of wash-ing corpses.

Key-words:

death, corpse, long-stay unit, prevention of stress.

Résumé

Introduction – Seuls les infirmier(e)s et les aides soignant(e)s sont concernés par la toilette mortuaire, acte qui n’est pourtant pas référencé dans leur décret de compétence. Cet acte est sou-vent découvert abruptement, vécu comme un dernier hommage, un dernier soin, ou souvent vécu dans le « non-sens » qui est imposé pour « laver, obturer » au plus vite le cadavre.Matériel et méthode – Un questionnaire de 10 items en 3 cha-pitres (identification des signes de stress, moyens de lutte contre le stress, besoin de formation) a été diffusé à 200 soignants de l’hôpital Sainte-Périne dans 16 USLD. Restitution écrite par courrier anonyme.Résultats et analyse – Quatre-vingt-douze réponses (24 % d’infirmier(e)s et 76 % d’aide soignant(e)s). Âge moyen 38 ans, ancienneté 11 ans. Plus de 50 % des professionnels ont réalisé plus de 10 toilettes mortuaires.Cet acte déclenche des signes de stress adapté, différé ou dépassé, et majore le stress cumulatif. Les signes de stress adapté sont fréquents (entre 20 % et 40 % de signes physiques ressentis pénibles). Onze pour cent des répondeurs attestent de la persis-tance des ressentis pénibles au-delà d’une heure après la toilette mortuaire.Les signes de stress différé sont évoqués par 50 % des IDE et 33 % des AS. Les signes de stress dépassé (évitement de la toi-lette à tout prix) sont retrouvés chez 25 % des IDE et 33 % des AS.Cent pour cent des réponses signalent des moyens improvisés par les professionnels pour lutter contre le stress (parole parta-gée, pause en binôme).Conclusion – Les soignants d’USLD présentent un niveau de stress notable avant, pendant et après l’accomplissement des toilettes mortuaires. Cet impact psychique et son cortège de troubles somatiques sont aggravés par le manque de formation et d’anticipation. Pour réduire l’incertitude relative à cet acte, nous exposons la note informative pour les soignants, qui pour-rait prévenir en partie les conséquences délétères de la toilette mortuaire sur ces professionnels.

Mots clés :

mort, toilette mortuaire, USLD, prévention du stress.

Petrognani A. La toilette mortuaire est-elle un stress ? Enquête auprès de

200 soignants. Med Pal 2007; 6: 238-242.

Adresse pour la correspondance :

Annie Petrognani, Équipe mobile et consultation de la douleur et de soins pallia-

tifs, Hôpital Sainte-Périne, APHP, 11, rue Chardon Lagache, 75016 Paris.

e-mail : [email protected]

Page 2: La toilette mortuaire est-elle un stress ? Enquête auprès de 200 soignants

Med Pal 2007; 6: 238-242

© 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

239

www.masson.fr/revues/mp

P R A T I Q U E D U S O I N

Annie Petrognani

B

ien que les équipes d’Unité de Soins de Longue Durée(USLD) soient multiprofessionnelles, seuls les infirmier(e)s(IDE) et les aides soignant(e)s (AS) sont concernés par laréalisation de la toilette mortuaire. Nous parlons ici de l’exé-cution d’une toilette de propreté permettant une présenta-tion du corps décente si les proches désirent se recueillirune dernière fois dans ce qui fut le lieu de vie du défunt.

La formation initiale des soignants évoque plus oumoins ce temps de préparation du corps et la plupart d’en-tre eux « découvrent » cette réalité abruptement. Elle peutêtre vécue comme un dernier hommage rendu à la per-sonne soignée, comme une marque de respect vis-à-visdes proches. Mais parfois ce sont le non-sens, le « non-soin » qui s’imposent et il s’agit de « laver, obturer » leplus rapidement possible car le cadavre n’a plus sa placedans le monde des vivants. Puis il y a « l’entre-deux », lesoignant désire accompagner « son » patient jusqu’au boutet en même temps il ne supporte pas la situation : desodeurs, des bruits, des paroles, des souvenirs l’assaillentet il est « dépassé » par l’événement.

La toilette mortuaire

La toilette mortuaire n’est référencée ni dans le décretde compétences des IDE, ni dans la circulaire relative aurôle et aux missions des AS. Le manuel de la Haute Auto-rité de Santé ne donne aucun critère quant aux conditionsde sa réalisation. C’est dans le décret du 14 novembre1997 que nous trouvons les conditions dans lesquelles latoilette mortuaire doit être réalisée par l’infirmier(e) etl’aide soignant(e), ainsi que les délais, minimum 2 heureset maximum 10 heures, durant lesquels le corps mort doitou peut être conservé dans l’unité de soin.

Le droit français parle de « personne humaine », jamaisdu corps humain. Selon la doctrine, le cadavre est unechose mais une « chose sacrée ». Les soignants sont dèslors dépositaires d’un « sujet/objet » pour lequel les textesne donnent aucune définition vraiment claire.

Le stress

Chacun d’entre nous a un jour utilisé ce terme de ma-nière péjorative pour signifier ses difficultés à assumerune situation difficile. Pourtant le stress adapté est néces-saire à l’être humain tout autant que les autres grandesfonctions de son organisme. Il lui permet de se défendrecontre les agressions, par des réponses physiologiques,métaboliques et comportementales adéquates et ainsi depréserver son intégrité mentale et physique. Le stress est« focalisateur d’attention, mobilisateur d’énergie […] et in-citateur à l’action » [1]. Chaque sujet a ses propres limites,

et ce n’est pas la nature de l’agent agressif qui déterminerale degré de stress ressenti mais la manière dont cet agenta influé sur le sujet concerné.

Le sujet peut surmonter la situation dans un premiertemps puis présenter, à retardement, des signes tels qu’uneextrême fatigue, des pleurs, une irritabilité. Nous parle-rons alors de stress différé.

En état de stress adapté ou différé, la personne faitface à l’événement en puisant dans ses ressources.

Dans le stress dépassé, le sujet est empêché d’agir, sescomportements sont inefficaces : actes automatiques, hy-peragitation, sidération. Si l’entourage de la personne necomprend pas la signification de ces états, il va aggraverle processus en proférant des menaces ou en rejetant lapersonne. Celle-ci peut ressentir, après les événements, unsentiment de honte ou de culpabilité qui peut perdurersurtout si aucune explication ne lui est fournie afin dedédramatiser ce qui s’est produit.

Le stress cumulatif est davantage insidieux. C’estcomme des assiettes qui s’empileraient au fil du temps etqui finiraient par constituer une pile d’une telle lourdeurque la personne serait écrasée par un poids incommensu-rable. Le

burn out

ou syndrome d’épuisement professionneldécrit par Maslach [2] est un tableau de stress cumulatifqui concerne les soignants confrontés à de multiples si-tuations sollicitant des capacités adaptatives de plus enplus complexes.

Le stress, quelle que soit son intensité, ne crée pas debrèche dans le psychisme humain contrairement au trau-matisme psychique qui, immédiatement, ou après une pé-riode de latence plus ou moins longue, va retentir sur lerapport que l’être humain entretient avec le monde quil’entoure, comme s’il avait changé de personnalité.

Dans le cadre d’un travail universitaire (Paris VI) surle Stress et les Traumatismes majeurs, nous avons cherchéà savoir si la toilette mortuaire pouvait être une sourcede stress délétère pour les soignants d’USLD qui la réali-sent fréquemment.

Matériel et méthode

Le questionnaire a été réalisé par l’infirmière del’Équipe Mobile de Soins Palliatifs (EMSP) et la diffusionorganisée par ses soins, relayée par les cadres infirmiersaprès rencontres et accord des Directions de l’établisse-ment, et la restitution faite par courrier anonyme adresséà l’Équipe mobile de Soins Palliatifs.

Le questionnaire à visée descriptive proposait 10 itemsstructurés en 3 chapitres :

– l’identification des signes de stress ;– les moyens de lutte contre le stress ;– les besoins en formation.

Page 3: La toilette mortuaire est-elle un stress ? Enquête auprès de 200 soignants

Médecine palliative

240

N° 4 – Septembre 2007

La toilette mortuaire est-elle un stress ? Enquête auprès de 200 soignants

P R A T I Q U E D U S O I N

Résultats et analyse

Sur 200 questionnaires distribués, 92 ont été restituéssoit un taux de réponses de 46 %, soit 24 % d’infirmier(e)set 76 % d’aide soignant(e)s, participation proportionnelleau ratio IDE/AS dans les USLD. Il n’existe pas de diffé-rence significative entre les réponses de ces deux catégo-ries professionnelles.

La population ciblée

(tableau I)

regroupe les infir-mier(e)s et les aide soignant(e)s des 16 USLD de l’établis-sement. La moyenne d’âge est de 38 ans et l’anciennetéde 11 ans. Plus de 50 % des professionnels ont réalisé plusde 10 toilettes mortuaires. C’est un choix fait dans unsouci d’homogénéité de l’échantillon, mais il faut souli-gner qu’au moment de la distribution des questionnaires,les mêmes professionnels en Soins de Suite et de Réadap-tation (SSR) ont exprimé leur souhait d’être interrogés surce sujet. Ils sont aussi confrontés de plus en plus souventaux décès de personnes âgées dans leur pratique.

Les signes de stress

Les signes de stress adapté

(tableau II)

Ils sont fréquents au moment de l’événement : 40 %des soignants décrivent des bouffées de chaleur, 45 % ontla gorge serrée, 42 % ressentent une accélération durythme cardiaque. La peur du cadavre est évoquée spon-tanément à hauteur de 20 %, ainsi que la peur de pleurerou d’être seul.

Les altérations souvent sévères de l’état cutané desgrands vieillards, reliées à de longues agonies, induisentdes agressions sensorielles chez les soignants et rendentles toilettes mortuaires encore plus difficiles. A.-L. Pellat-Mersaoui [3] décrit ces « survies » au mépris de l’alimen-tation, de l’hydratation et de la biologie et s’interroge, toutcomme nous, sur le sens de ce temps où le corps de nosaînés se délite alors que leur élan de vie persiste.

Remarquons que 11 % de la population attestent dela persistance d’un ressenti pénible au-delà d’une heure.C’est un pourcentage faible dans l’absolu mais qu’ilconvient de souligner dans un groupe professionnel quisera de nouveau et fréquemment confronté aux mêmesstimuli. Si ces soignants se fragilisent, ils pourront pré-senter un terrain propice à l’apparition d’un syndrome destress cumulatif…

Les signes de stress différé

(tableau III)

Ils sont évoqués par la moitié des IDE et le tiers desAS (irritabilité, pleurs, asthénie). Les professionnels desanté font face à la situation « stressante » et c’est à dis-tance que les troubles de la thymie apparaissent. Les études

Tableau I : Identification de la population de soignantsinterrogée, et sa pratique.Table I: Identification of the caregiver population studied and their

practices.

AS IDE

Âge moyen 37 ans 39 ans

Durée moyenne d’exercice 12 ans 9 ans

Une seule toilette mortuaire 10 % 5 %

moins de 5 25 % 9 %

de 5 à 10 22 % 32 %

plus de 10 41 % 59 %

Tableau II : Signes physiques du stress adapté.Table II: Physical signs of adapted stress.

AS IDE

Bouche sèche 20 % 27 %

Sueurs 20 % 27 %

Mains moites 27 % 41 %

Bouffées de chaleur 37 % 41 %

Gorge serrée 54 % 36 %

Mal à respirer 21 % 27 %

Douleur abdominale 14 % 23 %

Nausée 23 % 27 %

Envie d’uriner 3 % 5 %

Mal de tête 21 % 18 %

Flou visuel 11 % 0,50 %

Tremblements 27 % 27 %

Accélération du rythme cardiaque

34 % 41 %

Moyennes 27 % 24 %

Tableau III : Présence des signes de stress différé.Table III: Presence of signs of differed stress.

AS IDE

Irritabilité 58 % 41 %

Larmes 48 % 41 %

Asthénie 47 % 36 %

Moyennes 50 % 39 %

Page 4: La toilette mortuaire est-elle un stress ? Enquête auprès de 200 soignants

Med Pal 2007; 6: 238-242

© 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

241

www.masson.fr/revues/mp

P R A T I Q U E D U S O I N

Annie Petrognani

de Leara en 1982 [4] sur la souffrance des soignantsconfrontés à la mort des patients corroborent ces résultats.

Les signes de stress dépassé

L’évitement est le plus significatif. Plus d’un quart desIDE et plus d’un tiers des AS ont évité un jour de réaliserune toilette mortuaire. C’est un chiffre non négligeabledans une population qui a un sens très fort du devoir pro-fessionnel. Neuf pour cent des personnes enquêtées ex-priment leur impuissance à assumer le surgissement de lamort dans leur pratique. Elles décrivent une impossibilitéà se préparer : « comment faire pour supporter ?, commentne pas s’attacher ?, je n’y arrive pas ».

Les moyens de lutte contre le stress

La parole

Plus de trois quarts des soignants ayant pu parler avecun(e) collègue ont été soulagés par cette élaboration d’unrécit relatant l’expérience vécue. Un quart de la popula-tion ne se prononce pas ou n’identifie pas de bénéficesau fait de mettre des mots sur l’événement.

La pause

La pause est un arrêt des activités durant une dizainede minutes visant à mettre le sujet à distance de l’événe-ment exceptionnel.

Quasiment 100 % des soignants expriment un allége-ment de la pression reliée à la réalisation de la toilettemortuaire grâce à ce « petit moyen », quand ils peuventse le permettre.

Ces chiffres reflètent bien les principes du médecinpsychiatre Salmon [5] qui identifiait en 1917 la nécessitéde moyens simples, immédiats, de proximité qui dimi-nuent la sensation de danger pour éviter l’aggravation dessymptômes.

Les besoins en formation

Pour 89 % des enquêtés, la préparation du corps de lapersonne décédée se fait en binôme et c’est alors que la« formation sur le tas », définie comme telle par 20 % dessoignants, devient efficiente et supplée à la formation ini-tiale ou continue.

Deux tiers des professionnels estiment leur formationde base insuffisante dans ce domaine. Ce résultat est ren-forcé par 32 % des commentaires qui spécifient les be-soins de connaissances sur le déroulement de la toilettemortuaire, sur les rites religieux, sur les protocoles tech-

niques, sur la prise en charge des familles et sur les ma-nières de gérer ses limites.

Comme le soulignent différents experts du stress etde sa prévention [6], l’incertitude est souvent le princi-pal facteur générateur de pression. Dès lors l’informa-tion, le conseil, le soutien sont de précieux alliés pourcombattre la vulnérabilité du sujet et la chronicisationde ses troubles.

Conclusion

Les aides soignant(e)s et les infirmier(e)s d’USLD pré-sentent un niveau de stress notable avant, pendant etaprès l’accomplissement des toilettes mortuaires. Cet im-pact psychique et son cortège de troubles somatiques sontaggravés par le manque de formation.

Nous pouvons regretter la pauvreté des textes ou desconnaissances professionnelles dans ce domaine maisnous savons aussi que la pratique des soins est très sou-vent précurseur des écrits ou des théories qui la décri-vent. De plus, le tabou social du cadavre rejaillit sur ceuxqui en ont la charge dans les unités de soin, d’autantqu’ils manquent de repères et de reconnaissance danscette tâche.

Nous proposons une note informative

(annexe 1)

concernant les conséquences que peut avoir la réalisationde la toilette mortuaire, note qui pourrait être remise auxsoignants avant qu’ils ne se trouvent confrontés à cettesituation. Inspirée des documents diffusés par les cellulesd’urgence médicopsychologiques auprès des personnesvictimes d’événements exceptionnels dans leur survenueet leur caractère effrayant, elle est un moyen simple dedécrire les risques de stress et suggère des moyens immé-diats et de proximité pour éviter qu’ils ne s’enkystent.

Cette initiative requiert l’adhésion des différents par-tenaires institutionnels et une bonne compréhension detous concernant les mécanismes en jeu.

Références

1. Crocq L. Clinique de la période post-immédiate. Le Journaldes psychologues n° 210, septembre 2003.

2. Maslach C, Jackson SE. The measurement of ExperiencedBurnout. Journal of Occupational Behaviour 1981 ; 2 :99-113.

3. Pellat-Mersaoui AL. Ces malades qui n’en finissent pas demourir. Jalmav n° 56, mars 1999.

4. Leara E. Greaf among health care workers. J Gerontol 1982 ;37 : 604-8.

5. Salmon TW. War neuroses (shell-shock). N.Y. NationalComm Mental Hygiene Mil Surgery 1917 ; 41 : 674-93.

Page 5: La toilette mortuaire est-elle un stress ? Enquête auprès de 200 soignants

Médecine palliative

242

N° 4 – Septembre 2007

La toilette mortuaire est-elle un stress ? Enquête auprès de 200 soignants

P R A T I Q U E D U S O I N

6. Crocq L, Doutheau C, Sailhan M. Les réactions émotionnellesdans les catastrophes. In : Collectif. Encyclopédie Médico-Chi-rurgicale : Psychiatrie 37113 D10 2-1987. Paris : Elsevier 1990.

7. Dupont M, Macrez A. Le décès à l’hôpital, règles et recom-mandations à l’usage des personnels. Paris : Doin Édi-tions/Éditions Lamarre 1998.

8. Lebigot F. Intérêt des soins immédiats et post-immédiatsdans les traumatismes psychiques. Med Catastrophes UrgCollectives 1999 ; 2 : 83-7.

9. Vicat N. Le corps humain : Chose ou Personne. Enjeux éthi-ques de la définition. DIU d’éthique et de pratiques médica-les, Paris, 1999-2000.

Annexe 1. Note informative à l’attention des soignants.

Appendix 1. Information document for caregivers.

Après le décès des patients vous allez réaliser la toilette mortuaire.

C’est un événement qui peut entraîner des réactions physiques et psychiques intenses, on les appelle réactions de stress.

On distingue trois réactions de stress :

– le stress utile qui permet de faire face au moment de la toilette mortuaire ;– le stress dépassé qui empêche d’agir ;– le stress cumulatif qui mène à l’épuisement et à la chute des performances.

Le stress utile

exprime votre résistance mais il coûte beaucoup d’énergie.Parler avec une collègue tout de suite ou prendre une pause de quelques minutes après la préparation du cadavre,

peuvent vous aider à évacuer la tension que vous ressentez.

Le stress dépassé ou cumulatif

a pu vous affecter, vous avez eu la sensation d’être inefficace ou écrasé par lessouvenirs d’autres toilettes mortuaires. Vous éprouvez un sentiment de honte ou de culpabilité, vous faites des cauche-mars, l’irritabilité vous gagne.

N’hésitez pas à en parler à un des psychologues de l’établissement

pour protéger votre santé et maintenir vosperformances professionnelles.

NB. Document inspiré des notes d’information diffusées par les cellules d’urgence médico-psychologiques.