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Mémoire de recherche / septembre 2011 Diplôme national de master Domaine - sciences humaines et sociales Mention - histoire, histoire de l’art et archéologie Spécialité - cultures de l’écrit et de l’image L’imprimeur du roi à Lyon au XVIII e siècle Charlène BEZIAT Sous la direction de Dominique Varry Professeur des Universités en histoire du livre et des bibliothèques à l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques

L’imprimeur du roi à Lyon au XVIIIe siècle · de la ville ainsi que ceux qui détiennent l’office royal d’imprimeur ordinaire du roi de la ville de Lyon. En ce qui concerne

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2011

Diplôme national de master

Domaine - sciences humaines et sociales

Mention - histoire, histoire de l’art et archéologie

Spécialité - cultures de l’écrit et de l’image

L’imprimeur du roi à Lyon au XVIIIe

siècle

Charlène BEZIAT

Sous la direction de Dominique Varry Professeur des Universités en histoire du livre et des bibliothèques à l’École

nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques

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BEZIAT Charlène | Diplôme national de master | Mémoire de recherche | septembre 2011 - 3 -

Droits d’auteur réservés.

Remerciements

Mes premiers remerciements s’adressent à M. Dominique Varry, mon directeur de

recherche, qui m’a guidé dans mes investigations et m’a soumis ses réflexions qui ont

enrichi mes propres questionnements.

Au quotidien, mes recherches ont été facilitées par l’aide du personnel des arch ives

municipales de la ville de Lyon, des archives départementales du Rhône et du Fonds

ancien de la bibliothèque municipale de la Part-Dieu.

Je remercie infiniment mon amie Noémie pour ses relectures attentives, ses

recommandations et son soutien indéfectible.

Enfin, merci à mes amis et à mes proches, à Julie, Agathe, Rémy, Maxime pour leurs

encouragements.

Merci à Matthieu.

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BEZIAT Charlène | Diplôme national de master | Mémoire de recherche | septembre 2011 - 4 -

Droits d’auteur réservés.

Résumé :

Au XVIIIe siècle, le pouvoir souverain a recours exclusivement aux services de

ses imprimeurs attitrés à Paris comme en province, pour réaliser les impressions

des documents officiels que produit son administration. Ces imprimeurs, qui

occupent une charge publique royale, portent le titre d’imprimeurs ordinaires du

roi. À Lyon, cette charge est occupée pendant la quasi-totalité du siècle, par une

seule famille d’imprimeurs-libraires, les Valfray, qui se distingue du paysage de

l’imprimerie et de la librairie lyonnaise par son destin exceptionnel pour le

métier.

Descripteurs :

Imprimeur ordinaire du roi

Charge publique

Office royal

Valfray

Impressions officielles

Livres ecclésiasiques

Droits d’auteurs

Droits d’auteur réservés.

Toute reproduction sans accord exprès de l’auteur à des fins autres que strictement

personnelles est prohibée.

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BEZIAT Charlène | Diplôme national de master | Mémoire de recherche | septembre 2011 - 5 -

Droits d’auteur réservés.

Sommaire

SIGLES ET ABREVIATIONS ................................................................................... 7

INTRODUCTION ....................................................................................................... 9

LA CHARGE D’IMPRIMEUR ORDINAIRE DU ROI ............................................ 15

Un imprimeur-libraire à la fonction et au statut singuliers ................................. 15 Imprimer les « travaux de ville » ......................................................................... 15 Jouir de privilèges et d’honneurs personnels ........................................................ 17

Historique de son institution ................................................................................. 20 Son origine parisienne ......................................................................................... 20 Les imprimeurs ordinaires du roi de la ville de Lyon ............................................ 24

Un office royal ....................................................................................................... 29 Pérennité et inamovibilité de la charge ................................................................ 30

Un bien commercial et patrimonial ...................................................................... 34

LA DYNASTIE DES VALFRAY .............................................................................. 38

Un destin exceptionnel pour le métier .................................................................. 38 Un siècle d’ascension sociale : 1643-1743 ........................................................... 38

Guillaume Valfray, le fondateur de la lignée lyonnaise ..................................... 38 Pierre I Valfray, l’assimilation au métier .......................................................... 41

Pierre II Valfray, l’anoblissement ..................................................................... 46 Un marqueur de leur fortune : les propriétés foncières ........................................ 52

Les stratégies déployées ........................................................................................ 58 Gagner une visibilité publique ............................................................................. 58 Les alliances matrimoniales ................................................................................. 64

La postérité de la famille ....................................................................................... 70 L’extinction de la lignée d’imprimeurs-libraires .................................................. 70

Le devenir des descendants : quelques pistes ....................................................... 74

UNE PRODUCTION ÉDITORIALE DIVERSIFIÉE .............................................. 81

Le « non livre » ...................................................................................................... 81 Les impressions ordinaires des pouvoirs .............................................................. 81 La Gazette ........................................................................................................... 87

Le livre religieux ................................................................................................... 92 Une spécialité familiale ....................................................................................... 92 Privilèges de librairie et approbations ............................................................... 102

CONCLUSION ....................................................................................................... 111

SOURCES ............................................................................................................... 117

BIBLIOGRAPHIE .................................................................................................. 121

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Sigles et abréviations

A.D.R. : Archives départementales du Rhône

B.M.L. : Bibliothèque municipale de Lyon la Part-Dieu

F.A. : Fonds ancien de la bibliothèque municipale de Lyon

lt : livre tournois

s : sol

impr. ord. : imprimeur ordinaire

ex. : exemplaire

vol. : volume

éd. : édition

T. : tome

fol. : folio

Id. : idem

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Introduction

« Si l’on cherche à résumer les principaux éléments de la condition des artisans

lyonnais pendant le XVIIIe siècle, c’est peut-être encore l’impression d’insécurité

qui domine : quelques individus dans chaque profession échappent à ces

incertitudes de la vie quotidienne. »1

Participant pleinement de ce constat formulé par Maurice Garden dans son étude sur

Lyon et les lyonnais au XVIIIe siècle, le milieu des artisans du livre lyonnais abrite à

cette période deux types d’imprimeurs-libraires : ceux qui touchés de plein fouet par la

crise traversée par l’imprimerie et la librairie provinciales font faillite ou versent dans

l’illégalité. Et ceux qui employés par les pouvoirs locaux ou royaux ont un destin

privilégié. Parmi cette seconde catégorie d’artisans nous avions distingué dans notre

mémoire de master 1, Le Consulat, l’imprimeur et le libraire à Lyon aux XVIIe et XVIII

e

siècles2, les imprimeurs-libraires employés par le Consulat lyonnais de manière régulière

ou occasionnelle, ceux qui se voient octroyer la charge publique d’imprimeur ordina ire

de la ville ainsi que ceux qui détiennent l’office royal d’imprimeur ordinaire du roi de la

ville de Lyon. En ce qui concerne cette dernière fonction officielle, deux éléments

avaient alors retenu notre attention. Le premier est l’absence de travaux complets qui

interrogent et tentent de définir le statut et la fonction d’imprimeur ordinaire du roi sous

l’Ancien Régime. Le second est l’attachement de cette distinction royale dans la ville de

Lyon à une seule famille d’imprimeurs-libraires tout au long du XVIIIe siècle. En effet,

en 1715 la charge d’imprimeur ordinaire du roi de la ville est octroyée à Pierre I Valfray

et elle est ensuite officiellement maintenue dans la famille Valfray jusqu’en 1784

lorsque meurt son petit-fils, Pierre III. Dans la perspective de prolonger notre travail de

l’an dernier et de préciser notre réflexion sur le monde du livre lyonnais et ses acteurs,

nous avons donc choisi de focaliser notre présente étude sur la figure de l’imprimeur du

roi à Lyon au dernier siècle de l’Ancien Régime, dont le parcours est intimement lié à la

dynastie des Valfray.

Dans un premier temps, l’intitulé de notre sujet a nécessité la consultation d’un

ensemble de travaux qui ont chacun participé à nous donner une vision d’ensemble du

contexte social et intellectuel lyonnais au XVIIIe

siècle. Les ouvrages fondateurs de

Pierre Grosclaude3, ceux de Louis Trénard

4, les travaux pionniers d’Henri-Jean Martin

sur l’histoire du livre ainsi que les diverses parutions de Roger Chartier sur la culture de

l’imprimé et l’histoire de la lecture ont servi de point de départ à notre étude. Afin de

cerner la spécificité de notre sujet, nous nous sommes également intéressés aux travaux

qui concernent uniquement l’histoire du livre et de l’imprimé à Lyon au XVIIIe siècle.

Dans ce domaine où les études abondent, l’essentiel des recherches a été mené par M.

Dominique Varry, avec sa collaboration ou sous sa direction, dans la perspective

d’établir une prosopographie des gens du livre à Lyon au XVIIIe siècle. Nous lui devons

notamment plusieurs monographies d’imprimeurs-libraires lyonnais : les Bruyset5, les

1 Maurice GARDEN, Lyon et les lyonnais au XVIIIe siècle, Paris, Les Belles-lettres, 1970, rééd. Paris, Flammarion, 1975

(Science), p. 202. 2 Charlène BEZIAT, Le Consulat, l’imprimeur et le libraire à Lyon aux XVII e et XVIIIe siècles, sous la direction d’Olivier Zeller,

2010, Mémoire de maîtrise, Cultures de l’écrit et de l’image, École nationale supérieure des sciences de l’information et des

bibliothèques, Université Lumière Lyon II. 3 Pierre GROSCLAUDE, La vie intellectuelle à Lyon dans la deuxième moitié du XVIII e siècle : contribution à l'histoire

littéraire de la province, Paris, A. Picard, 1933. 4 Louis TRÉNARD, Commerce et culture : le livre à Lyon au XVIIIe siècle, Lyon, Impr. Réunies, 1953. 5 Dominique VARRY, « Une famille de libraires lyonnais turbulents : les Bruyset », La lettre clandestine, n°11, 2002, p. 105-

127.

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BEZIAT Charlène | Diplôme national de master | Mémoire de recherche | septembre 2011 - 10 - Droits d’auteur réservés.

Duplain6, Jean-Baptiste Réguilliat

7 ou encore André Degoin

8 qui ont permis de mettre en

lumière le phénomène de la contrefaçon et de la production clandestine de livres

interdits.

Dans un deuxième temps, il nous a fallu croiser deux démarches de recherche : la

première, la plus générale, est centrée sur la fonction et le statut de l’imprimeur

ordinaire du roi dans une ville de province telle que Lyon. La seconde, plus spécifique,

est focalisée sur la dynastie des Valfray. En ce qui concerne la charge d’imprimeur du

roi, les ouvrages de Georges Lepreux9 et Marius Audin

10 sont essentiels malgré leurs

lacunes. En effet, seuls ces deux ouvrages ont tenté d’expliciter le statut d’imprimeur du

roi : Georges Lepreux s’est intéressé aux imprimeurs du roi parisiens et de certaines

provinces avoisinantes comme la Normandie. Et Marius Audin a travaillé sur le cas des

imprimeurs du roi lyonnais, de la création présumée de la charge au XVe siècle à sa

suppression après la Révolution. Mais, si ces deux études à visée essentiellement

biographique présentent l’essentiel de la succession des imprimeurs-libraires qui

occupèrent cette charge à Paris et à Lyon, elles ne questionnent ni le statut particulier

des imprimeurs du roi, ni leur production, ni même la nature de la charge, les enjeux de

son obtention et de sa transmission. Qu’imprime un imprimeur ordinaire du roi en

province ? Quels avantages lui confère un tel titre ? Comment un imprimeur-libraire

parvient-il à l’obtenir ? Pour tenter d’apporter de premiers éléments de réponse à ces

questions, nous nous sommes tournés à la fois vers des livres d’histoire du droit tel que

l’Introduction historique à l’étude du droit et des institutions d’Albert Rigaudière11

et

vers des travaux universitaires qui traitent des institutions urbaines et de la vie politique

de la ville de Lyon sous l’Ancien Régime. Les mémoires de Jérôme Émanuel12

et de

Fabien Adla13

qui évoquent les charges de ville lyonnaises et les privilèges qu’elles

confèrent nous ont ainsi permis d’éclairer les mécanismes et les logiques de perception,

d’acquisition et de transmission des charges officielles. Ils nous ont également incités à

replacer le rôle de cet imprimeur-libraire privilégié dans un contexte plus large que celui

de la ville de Lyon. En effet, puisqu’il réalise et diffuse les imprimés ordinaires du roi

dans les villes de province, l’imprimeur du roi est au centre des rapports étroits

qu’entretiennent au XVIIIe siècle pouvoir local et pouvoir central et il participe

consciemment ou non, à la politique centralisatrice de l’État monarchique et au

développement de son administration. Nous avons complété notre approche en

comparant nos propres investigations sur les imprimeurs du roi à Lyon au XVIIIe siècle

avec les éléments relevés par Jean-Dominique Mellot14

sur les imprimeurs du roi de la

ville de Rouen, autre ville de province où les activités d’imprimerie et de librairie sont

importantes. Et avec ceux mis en avant par Henri-Jean Martin15

pour les imprimeurs du

roi parisiens afin de déceler s’il existe ou non une spécificité lyonnaise en la matière.

6 Brigitte BACCONNIER, Cent ans de librairie au siècle des Lumières : les Duplain, sous la direction de Dominique Varry,

2007, Thèse, Histoire moderne, Université Lumière Lyon II. 7 Dominique VARRY, « Jean-Baptiste Réguilliat, imprimeur-libraire lyonnais destitué en 1767 », La lettre clandestine, n°12,

2003, p. 201-218. 8 Dominique VARRY, « André Degoin, imprimeur-libraire lyonnais condamné pour production d’ouvrages protestants (1734 -

1735) », La lettre clandestine, n°13, 2004, p. 71-84. 9 Georges LEPREUX, Gallia typographica ou répertoire biographique et chronologique de tous les imprimeurs de France depuis

les origines de l'imprimerie jusqu'à la Révolution, Paris, Champion, 1911. 10 Marius AUDIN, L'imprimeur du roi, Lyon, M. Audin, 1925 (non paginé). 11 Albert RIGAUDIÈRE, Introduction historique à l’étude du droit et des institutions, Paris, Economica, 2005 (Corpus). 12 Jérôme ÉMANUEL, Le consulat employeur: la ville de Lyon et ses commis aux XVII e et XVIIIe siècles, sous la direction

d'Olivier Zeller, 2004, Mémoire de maîtrise, Histoire moderne, Université Lumière Lyon II. 13 Fabien ADLA, Les finances municipales de Lyon au XVIIIe siècle, sous la direction de Françoise Bayard, 1995, Mémoire de

maîtrise, Histoire moderne, Université Lumière Lyon II. 14 Jean-Dominique MELLOT, L’édition rouennaise et ses marchés (vers 1600-vers 1730) : dynamisme provincial et centralisme

parisien, Paris, École des chartes, 1998. 15 Henri-Jean MARTIN, Livre, pouvoirs et société à Paris au XVIIe siècle (1598-1701), Genève, Droz, 1969.

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Introduction

BEZIAT Charlène | Diplôme national de master | Mémoire de recherche | septembre 2011 - 11 - Droits d’auteur réservés.

En ce qui concerne la famille Valfray, les livres et les travaux que nous avons pu

consulter nous obligent au même constat : celui d’une absence. En effet, il est peu fait

mention des Valfray dans les thèses, les mémoires et les diverses études sur les

imprimeurs-libraires lyonnais du XVIIIe siècle. Leur nom apparaît parfois au détour

d’une phrase ou d’une citation d’archives comme c’est le cas dans le mémoire de Nelly

Dumont16

sur l’imprimeur-libraire lyonnais Aimé Delaroche, dans l’article de

Dominique Varry sur André Degoin17

ou dans celui qu’il a consacré aux gens du livre à

Lyon au XVIIIe siècle

18. Mais aucune recherche ne leur a jusqu’ici été consacré. La

thèse de Simone Legay19

dédiée aux libraires lyonnais du XVIIe siècle a indiqué la

singularité de leur parcours en présentant les quelques découvertes que l’historienne a

faites aux archives départementales du Rhône. Mais limitées au seul XVIIe siècle, ses

recherches demandaient à être approfondies et surtout prolongées au siècle des

Lumières. Comment expliquer l’absence de recherches récentes sur cette dynastie ? Les

bibliophiles du XIXe

siècle avaient pourtant relevé son importance au sein du monde du

livre lyonnais puisque les Valfray sont présents dans le Catalogue des lyonnais dignes

de mémoire de Claude Bréghot du Lut et Antoine Péricaud20

et dans l’Armorial général

du Lyonnais, Forez et Beaujolais d’André Steyert21

.

La première hypothèse que nous pouvons avancer à ce sujet est liée à la focalisation,

légitime, des études sur les artisans du livre lyonnais autour du phénomène de la

contrefaçon. Or, les Valfray semblent avoir préféré aux dangers d’un tel commerce la

légalité et le cumul des charges officielles. Par exemple, nulles traces de leur

implication n’ont été retrouvées par Dominique Varry dans ses recherches sur la

correspondance entre les libraires lyonnais et la Société typographique de Neuchâtel22

.

Qu’est ce qui a guidé ce choix ? Leurs ambitions sont-elles semblables à celles d’Aimé

Delaroche par exemple, pour lequel Nelly Dumont23

a montré la volonté de réaliser une

production légale essentiellement dédiée à l’impression de travaux de ville ?

La retranscription par Léon Moulé du rapport de Claude Bourgelat sur le commerce de

la librairie et de l’imprimerie à Lyon en 176324

désigne même Pierre III Valfray parmi

les libraires qui sont :

« les plus dignes de la protection du ministre »25

Plus encore, la Somme typographique de Marius Audin26

et la dernière édition du

Répertoire d’imprimeurs-libraires de Jean-Dominique Mellot, Élisabeth Queval et

Antoine Monaque27

accordent aux Valfray une visibilité publique importante due à leur

16 Nelly DUMONT, Aimé Delaroche : imprimeur lyonnais du XVIIIe siècle et la presse locale, 1982, Mémoire, Diplôme supérieur

de bibliothécaire, École nationale supérieure de bibliothécaires. 17 Op. cit. 18 Dominique VARRY, « Les gens du livre à Lyon au XVIIIe siècle : trajectoires familiales, parcours individuels », Bulletin de

l’Association québécoise pour l’étude de l’imprimé, n°34, 2007, p. 8-9. 19 Simone LEGAY, Un milieu socio-professionnel : les libraires lyonnais au XVIIe siècle, 1995, Thèse, Histoire moderne,

Université Lumière Lyon II. 20 Claude BRÉGHOT DU LUT, Antoine PÉRICAUD, Catalogue des lyonnais dignes de mémoire, Lyon, Giberton et Brun, 1839,

rééd. Moirans, Éd. M.G.D., 1981. 21 André STEYERT, Armorial général du Lyonnais, Forez et Beaujolais, Lyon, A. Brun, 1860, rééd. 1892, Paris, Éd. du Palais

royal, 1974, rééd. Lyon, R. Georges, 1998. 22 Dominique VARRY, « La diffusion sous le manteau : la société typographique de Neuchâtel et les lyonnais », dans L'europe et

le livre: réseaux et pratiques du négoce de librairie XVIe-XIXe siècles, postf. de Roger Chartier, [Paris], Klincksieck, 1996

(Cahiers d'histoire du livre). 23 Op.cit. 24 Léon MOULÉ, « Rapport de Claude Bourgelat sur le commerce de la librairie et de l’imprimerie à Lyon en 176 3 », Revue

d’histoire de Lyon, 13, 1914, p. 51-65. 25 Ibid, p. 57. 26 Marius AUDIN, Somme typographique : l’imprimerie à Lyon aux XVIIIe et XIXe siècles, Volume 6. VI-III (P-W), Lyon, Musée

de l’imprimerie et de la banque de Lyon, Institut d’histoire du livre, 2007 (non paginé). 27 Jean-Dominique MELLOT (éd.), Élisabeth QUEVAL (éd.), Antoine MONAQUE (collab.), Répertoire d’imprimeurs-libraires (vers 1500-vers 1810), Paris, Bibliothèque nationale de France, 1990, nouv. éd. rev. et augm. 2004.

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BEZIAT Charlène | Diplôme national de master | Mémoire de recherche | septembre 2011 - 12 - Droits d’auteur réservés.

statut d’imprimeurs du roi et surtout aux rangs qu’ils occupèrent successivement au sein

de l’administration municipale de la ville de Lyon. Pierre I Valfray est en effet nommé

recteur de l’Hôtel-Dieu du pont du Rhône en 1703. Et son fils Pierre II, désigné recteur

et trésorier de l’hôpital général de la Charité en 1735-1736, accède à l’échevinage en

1743 et est ensuite anobli seigneur de Salornay en Dombes.

Notre seconde hypothèse s’appuie sur le parcours même de ces imprimeurs -libraires.

Étrangers au métier lyonnais par leurs origines sociales et géographiques, les Valfray

ont en un siècle atteint un statut exceptionnel pour le métier : celui de noble. Après

1744, Pierre II n’exerce donc plus le métier d’imprimeur-libraire et se retire sur ses

terres. L’affaire familiale est alors brièvement reprise par son fils Pierre III qui vend le

fonds de librairie hérité de son père en 1749 mais conserve la charge d’imprimeur

ordinaire du roi jusqu’à sa mort du fait des problèmes liés à sa succession. Nous

supposons que c’est ce retrait rapide du métier et leur départ pour leurs terres en

Dombes qui expliquent l’absence des Valfray dans le commerce du livre lyonnais dans

la deuxième partie du XVIIIe

siècle et conséquemment le silence qu’ils inspirent aux

historiens et aux historiens du livre.

Sur ces hommes tout ou presque reste donc à découvrir. D’abord, comment expliquer

l’ascension de la famille dans la société lyonnaise ? De même que l’a fait Brigitte

Bacconnier28

pour les Duplain, il nous faut comprendre de quelle façon ils se sont

assimilés à la vie lyonnaise et qu’elles ont été les stratégies employées. Alors que pour

les Duplain les alliances professionnelles ont primé, les Valfray eux, ne ce sont jamais

associés ni entre frères ni avec d’autres imprimeurs-libraires lyonnais. Leur fortune

repose essentiellement sur leurs choix éditoriaux et leurs alliances matrimoniales qui

reflètent leur volonté de dépasser leur condition d’imprimeur-libraire. La charge

d’imprimeur du roi n’est-elle pas alors qu’un moyen utilisé par les générations de

Valfray pour atteindre des fins plus élevées ? L’extinction de la dynastie après

seulement un siècle d’activités est aussi sujette à question.

De plus, l’importance acquise par leur affaire d’imprimerie et de librairie au XVIIIe

siècle soulève plusieurs interrogations : de combien de magasins, d’ateliers et de presses

disposent-ils ? Et quelle est exactement l’étendu de leur production éditoriale ? Outre la

réalisation des imprimés officiels du pouvoir souverain, les Valfray impriment l’édition

régionale de la Gazette parisienne de Théophraste Renaudot que Pierre II et Pierre III

distribuent à Lyon jusqu’en 1751. Ce sont d’ailleurs presque systématiquement les

imprimeurs du roi de la ville de Lyon qui sont affectés à cette tâche. Mais y a -t-il un lien

officiel ou officieux entre cette réimpression provinciale et la charge d’imprimeur du

roi ? En ce qui concerne l’édition de livres, ils ont choisi de se spécialiser dans

l’impression d’ouvrages religieux. Qu’est-ce qui a guidé un tel choix ? Dans ce

domaine, la lecture de l’étude de Philippe Martin29

sur les ouvrages de piété a

notamment pu éclairer la réalité des livres qui ont constitué le fonds de librairie des

Valfray. Par ailleurs, leur statut d’imprimeur du roi a-t-il pu influer sur l’attribution des

privilèges de librairie indispensables pour toutes parutions nouvelles ?

Pour tenter d’apporter des éléments de réponse à cet ensemble de questions nous nous

sommes appuyée sur des sources de nature diverse qui nous ont permis d’appréhender

d’une part la charge d’imprimeur ordinaire du roi et les prérogatives liées à son

obtention ; et d’autre part les différents aspects de la vie et du commerce de la famille

Valfray. Souvent lacunaires puisqu’il s’agit de pièces d’archives isolées relevées au fil

de nos recherches, leur variété permet néanmoins de dresser un aperçu relativement

complet du parcours réalisé par cette famille d’imprimeurs-libraires lyonnais au XVIIIe

siècle. Par ailleurs, afin de cerner au mieux les origines de la dynastie, son ascension au

28 Op. cit. 29 Philippe MARTIN, Une religion des livres, Paris, Éd. du Cerf, 2003.

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Introduction

BEZIAT Charlène | Diplôme national de master | Mémoire de recherche | septembre 2011 - 13 - Droits d’auteur réservés.

sein de la société lyonnaise et sa postérité à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIX

e

siècle, notre étude se borne à un cadre chronologique précis. Elle s’étend de 1644, date

du contrat de mariage passé entre Guillaume Valfray et Françoise Beaujollin30

, qui est

l’acte le plus ancien que nous ayons retrouvé à Lyon au sujet de la famille Valfray. A

l’année 1802, lorsqu’Alexandrine-Thadée-Françoise Valfray fait la demande d’un

certificat de résidence dans la ville de Lyon31

. Cette pièce extraite des archives de la

police de Lyon est la seule que nous ayons trouvée pour souligner les résurgences de la

famille au XIXe siècle.

En ce qui concerne la charge d’imprimeur du roi les sources auxquelles nous avons eu

accès sont partielles puisque l’essentiel des lettres patentes royales qui désignent les

imprimeurs-libraires officiels sont conservées à la Bibliothèque nationale de France.

Néanmoins nous avons retrouvé aux archives départementales du Rhône une provision

des lettres patentes accordées à Pierre II Valfray en 171632

qui a éclairé les logiques

d’obtention de la charge et les privilèges personnels qu’elle assure. Et certains arrêts

royaux comme celui qui maintient Pierre II dans sa charge en 171733

nous ont apporté

des informations intéressantes sur les pratiques qu’elle régente.

Par la suite, nous avons tenté de pénétrer dans l’intimité de la famille Valfray en

identifiant le détail de leur généalogie et les liens de parenté qu’ils ont successivement

tissés. Pour ce faire, nous nous sommes appuyée sur les sources privilégiées de l’histoire

sociale : les actes notariaux. Deux contrats de mariage, plusieurs ventes de fonds de

librairie, le testament de Pierre I Valfray et l’inventaire après décès d’Anne -Marie

Besseville l’épouse de Pierre II, ont éclairé les alliances matrimoniales qu’ils ont conclu

et l’étendue de leur descendance. Ils nous ont aussi permis de recueillir une somme

d’informations sur l’évolution de la fortune de la famille à travers les apports au mariage

des époux, en particulier les dots des futures mariées, les dons et legs qu’ils effectuent

ou encore la valeur des objets usuels, des vêtements et des meubles qui peuplent leur

intérieur. Ces sources ont également été précieuses pour cerner le comportement de ces

imprimeurs-libraires et leurs ambitions qui sont représentatives de la mentalité des

grands marchands et des négociants lyonnais du XVIIIe siècle. Nous avons ensuite

complété ce premier aperçu avec les éléments contenus dans les registres des actes et

délibérations consulaires de la ville de Lyon, qui retracent la carrière publique de Pierre

I et Pierre II Valfray au sein de l’administration municipale.

Enfin, nous nous sommes penchée sur leur production éditoriale. D’abord à travers

l’étude d’un mémoire des travaux d’impression que Pierre II a réalisé pour le Consulat

lyonnais en 173234

, qui révèle la réalisation d’imprimés officiels et de « travaux de

ville » dans le cadre de leurs fonctions d’imprimeur ordinaire du roi. Ensuite, à travers

l’analyse de l’inventaire du fonds de librairie que Pierre III dresse en 174935

, qui indique

la spécialisation de la dynastie des Valfray dans l’édition de livres religieux. Certains de

ces ouvrages présents au Fonds Ancien de la bibliothèque municipale de Lyon la Part -

Dieu, nous ont d’ailleurs servi d’objet d’étude pour apporter des éléments de réponse

aux questions qui entourent les privilèges de librairie octroyés aux Valfray.

Par ailleurs, en ce qui concerne la transcription de ces actes en annexe, nous avons

choisi dans un souci d’authenticité de reproduire l’exacte orthographe et la présentation

des documents étudiés. Seuls les retours à la ligne initiaux n’ont pas été respectés et sont

précisés par l’insertion d’une barre verticale. Les abréviations ont été développées entre

30 A.D.R., 3E 4884. 31 A.M.L., 2I29 film 23. 32 A.D.R., 1C 221. 33 B.M.L., F.A., 210251. 34 A.M.L., CC 3148. 35 A.D.R., 3E 4696.

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crochets, les mots « collés » ont été séparés et des apostrophes ont été rajoutées par

endroit.

Les divers travaux que nous avons évoquée et les perspectives ouvertes par l’ensemble

de ces sources, souvent inédites en ce qui concerne le XVIIIe siècle, nous amènent à

formuler trois questions principales : que signifie être « imprimeur du roi » au XVIIIe

siècle ? Et pour ce qui est des Valfray, sur quels éléments repose leur frappante réussite

et quel rôle a joué le statut d’imprimeur du roi dans leur ascension ?

La première partie de notre travail est consacrée à la charge d’imprimeur ordinaire du

roi. Nous avons tenté de définir le statut et la fonction de ces imprimeurs-libraires

singuliers en revenant sur l’histoire de cette institution sous l’Ancien Régime et sur les

honneurs et les privilèges qui lui sont attachés. Puis, nous nous sommes particulièrement

intéressée à la famille Valfray, dynastie d’imprimeurs du roi lyonnais au XVIIIe

siècle.

Nous nous sommes attachée à décrire leur ascension au sein de la société lyonnaise en

mettant en avant les éléments caractéristiques de leur fortune et les stratégies qui leur

ont permis d’atteindre le rang très convoité de noble. Nous présentons également les

quelques pistes que nous avons suivies en ce qui concerne leur descendance au s iècle

suivant. Enfin, nous avons étudié l’ensemble de leur production éditoriale en nous

intéressant aux ouvrages qu’ils éditent mais également au grand nombre d’imprimés

qu’ils réalisent que nous avons regroupé sous le terme de « non livre ».

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La charge d’imprimeur ordinaire du roi

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La charge d’imprimeur ordinaire du roi

Tout au long de l’Ancien Régime, les pouvoirs qu’ils soient civils ou religieux,

pratiquent une politique interventionniste en matière d’édition et de librairie. Cet état de

fait résulte de la volonté de l’Église et de l’État d’orienter la production imprimée pour

agir sur les populations36

. Pour se faire, les autorités civiles et religieuses s’attachent les

services d’imprimeurs-libraires attitrés qui, lorsqu’il s’agit d’exécuter les impressions

relatives à l’administration royale, portent le titre d’imprimeur ordinaire du roi.

UN IMPRIMEUR-LIBRAIRE À LA FONCTION ET AU STATUT SINGULIERS

Tout d’abord, face à l’absence de travaux universitaires complets et récents qui

tenteraient d’expliciter la fonction et le statut pourtant particuliers des imprimeurs-

libraires du roi dans le paysage de la librairie et de l’imprimerie du royaume de France

sous l’Ancien Régime, nous allons tenter d’apporter quelques éléments de définition

afin d’éclairer et d’interroger l’origine de la charge d’imprimeur du roi, son attribution ,

et les prérogatives qui sont liées à son obtention.

Imprimer les « travaux de ville »

Selon la définition qu’en font conjointement Marius Audin37

et Georges Lepreux38

, les

imprimeurs ordinaires du roi sont des :

« officiers royaux, rétribués en principe, exclusivement chargés de l’impression

soit des actes du pouvoir soit d’ouvrages déterminés, et jouissant, pour garantir

l’authenticité et la pureté des textes, ainsi que pour en assurer la publicité rapide,

d’immunités et d’avantages propre à la fonction et de privilèges spéciaux et

personnels. »39

Il s’agit ainsi des imprimeurs-libraires attitrés du pouvoir royal qui exécutent sur ses

ordres une somme d’impressions liées pour l’essentiel, à son administration et à sa

législation. Ils réalisent des « travaux de ville »40

nommés aussi « bibelots » ou

« bilboquets »41

, c’est-à-dire des publications éphémères d’usage quotidien (faire-part,

cartes de visite, avis ou encore billets de mort42

). Plus spécifiquement, les « travaux de

ville » recouvrent l’ensemble des documents officiels commandés directement par l’État

monarchique ou par ses intermédiaires en province, les municipalités. Afin de connaître

de la manière la plus exhaustive possible, la nature de ces impressions, nous avons

comparé les résultats du dépouillement des différentes séries des archives

départementales de la Seine-Maritime réalisé par Jean-Dominique Mellot43

avec ceux

36 Henri-Jean MARTIN, Livre, pouvoirs et société à Paris au XVIIe siècle (1598-1701), Genève, Droz, 1969, p.440. 37 Marius AUDIN, L'imprimeur du roi, Lyon, Audin, 1925 (non paginé). 38 Georges LEPREUX, Gallia typographica ou répertoire biographique et chronologique de tous les imprimeurs de Fra nce

depuis les origines de l'imprimerie jusqu'à la Révolution, Paris, Champion, 1911, p. 34. 39 Ibid. 40 Pascal FOUCHÉ (dir.), Daniel PÉCHOIN (dir.), Philippe SCHUWER (dir.), Dictionnaire encyclopédique du livre. Tome 3,

Paris, Éd. du Cercle de la librairie, 2011, p. 888. 41 Marius AUDIN, Histoire de l’imprimerie par l’image. Tome 4. Bibelots ou bilboquets, Paris, H. Jonquières, 1929 42 Dominique VARRY, "Les usages de l’imprimé : bibelots, bilboquets et billets d’enterrement XVIIe–XIXe siècles ", Les

Chartes de mariage lyonnaises. Publication de la journée d’études dirigée par Olivier Christin, qui s’est déroulée le lundi 1 3

mai 2002 au musée Gadagne, à Lyon, Lyon, Musée Gadagne, 2004, p. 47-59. 43 Jean-Dominique MELLOT, L’édition rouennaise et ses marchés (vers 1600-vers 1730) : dynamisme provincial et centralisme

parisien, Paris, École des chartes, 1998, p. 174.

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que nous avons nous-même trouvé lors du dépouillement, pour l’élaboration de notre

mémoire de master 144

, de ce que nous nommerions aujourd’hui une facture, de

l’imprimeur du roi Pierre II Valfray qui fut dressée par le Consulat lyonnais en 173245

.

Ce rapprochement a permis d’établir que les impressions réalisées par les imprimeurs du

roi à Rouen et à Lyon, à la fin du XVIIe siècle et au début du XVIII

e siècle, sont

sensiblement identiques. Les imprimeurs du roi du royaume de France impriment ainsi

essentiellement à cette période, des ordonnances, déclarations, lettres patentes, édits,

arrêts des conseils royaux ou des cours souveraines, traités, ainsi que certaines relations

de voyages ou de batailles. Ils les publient, en assurent la promulgation à la réquisition

du procureur général au Parlement et permettent leur mise en vigueur. Pour la majorité

des cas, c’est la chancellerie ou le greffe des cours qui fournissent la copie originale des

actes dont la connaissance est d’utilité publique. Ils sont ensuite mis sous presse et

reproduits selon le nombre d’exemplaire souhaité par les autorités. Le plus souvent,

ceux-ci sont destinés aux juges et aux fonctionnaires de la monarchie qui prenaient ainsi

connaissance des nouvelles décisions royales46

. Le mémoire des travaux d’impressions,

réalisés par Pierre II Valfray, nous permet de déduire à qui sont destinés les imprimés

qu’il réalise en 173247

. En effet, il reproduit systématiquement en douze exemplaires les

arrêts, déclarations et ordonnances qu’il imprime. On peut donc supposer, qu’on

retrouve au premier plan de ses destinataires, le Consulat, constitué du Prévôt des

marchands et de quatre échevins. Puis les employés de la municipalité lyonnaise et une

partie de l’élite urbaine. Les mêmes à qui il distribue la réimpression provinciale de la

Gazette parisienne de Théophraste Renaudot :

« Plus fourny pendant le courant de l'année les gazettes de France que j'ay fait porter

chaque semaine chez les prêvosts des marchans et échevins exconsuls et autres suivant

l'ordre qui m'en a été donné a raison de 10 lt pour chaque corps de gazette d'une

année »48

.

Néanmoins, il semble qu’avant la fin du XVIIe siècle et le développement de l’appareil

administratif de la monarchie sous l’impulsion de Colbert (1619-1683), secrétaire d’État

de la Maison du roi et contrôleur général des finances, les imprimeurs du ro i ont

essentiellement réimprimé les œuvres littéraires des réserves royales49

. Puis, lorsque ces

œuvres se raréfièrent parallèlement à l’augmentation du coût d’obtention des privilèges

et à celle du nombre d’imprimeurs-libraires à Paris, les imprimeurs-libraires du roi se

focalisèrent sur la réalisation des imprimés royaux. Ainsi, comme l’indique Jean-

Dominique Mellot50

au sujet de la production de l’imprimeur du roi à Rouen durant le

XVIIe siècle, la production de livres ne fait pas partie de leurs attributions directes et ils

sont plutôt spécialisés dans des imprimés aux fonctions utilitaires et immédiates qui

constituent une mine d’informations pour l’histoire sociale et politique et l’histoire de

l’imprimé au sens large. Ces impressions pouvaient dans certaines villes du royaume, en

particulier dans le capitale, et selon les périodes, absorber la quasi-totalité de la

production et de l’activité d’un imprimeur et ce d’autant plus que leur statut de feuilles

volantes leur conférait, contrairement aux livres, une liberté judiciaire, puisque leur

production ne nécessitait pas la demande d’une permission ou d’un privilège de librairie.

44 Charlène BEZIAT, Le Consulat, l’imprimeur et le libraire à Lyon aux XVII e et XVIIIe siècles, sous la direction d’Olivier Zeller,

2010, Mémoire de maîtrise, Cultures de l’écrit et de l’image, École nationale supérieure des sciences de l’information et des

bibliothèques, Université Lumière Lyon II, p. 51. 45 Cf. Annexe 1. 46 Henri-Jean MARTIN, op. cit., p. 260. 47 Cf. Annexe 1. 48 Ibid. 49 Georges LEPREUX, op. cit., p. 38. 50 Op. cit., p. 172.

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La charge d’imprimeur ordinaire du roi

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Cette importante production, aujourd’hui souvent perdue ou dispersée du fait de son

utilité et de la précarité de ses supports, s’avère lucrative pour les imprimeurs du roi. En

effet, outre la distribution de ces imprimés aux fonctionnaires royaux ou aux corps de

ville des municipalités de province, le débit public de ceux-ci était d’un profit

considérable. Les ventes se faisaient alors par l’intermédiaire des colporteurs à la criée .

Henri-Jean Martin, indique d’ailleurs dans Livre, pouvoirs et société à Paris au XVIIe

siècle51

, que les actes qui concernaient la valeur des monnaies étaient particulièrement

prisés. De plus, il faut ajouter à ce bénéfice les rémunérations liées à l’exercice de la

charge d’imprimeur du roi. En effet, le dépouillement des registres des actes et

délibérations consulaires de la ville de Lyon de 1651 à 1751 que nous avons effectué

l’année dernière52

, nous a permis d’établir que les imprimeurs du roi lyonnais

percevaient pour leurs services, dans la deuxième moitié du XVIIe siècle, 100lt de gages

par an. Puis, qu’au début du XVIIIe siècle, cette somme semble être remplacée par un

paiement semestriel ou annuel en fonction du travail fourni. Les sommes versées aux

imprimeurs du roi de la ville de Lyon fluctuent alors largement, dépassant rarement les

500lt par an avant 1715 pour ensuite atteindre régulièrement 900 à 1 000lt par an53

. Ce

récapitulatif des dépenses consulaires au profit des imprimeurs du roi lyonnais, nous

permet également de rejoindre les propos d’Henri Jean Martin54

qui indique d’une part le

profit important que réalisent les imprimeurs ordinaires du roi en imprimant pour le

pouvoir, et d’autre part, à travers les comptes et inventaires après décès d’imprimeurs du

roi qu’il a pu consulter, les dettes que l’État entretenait à leur encontre. En effet, il est

fréquent que la monarchie ou les municipalités ne puissent pas payer les impressions

qu’elles commandent aux imprimeurs et qui sont pourtant nécessaires à son

fonctionnement. Ainsi pour Lyon, nous formons l’hypothèse que les années 1720, 1722

et 1725 (nous laissons volontairement de côté les années 1715 et 1716 sur lesquel les

nous reviendrons ultérieurement), ne sont pas des années où il n’y a pas eu

d’impressions pour le pouvoir mais bien que ce sont des années impayées à l’imprimeur

du roi en charge, Pierre II Valfray. À Paris, les sommes relevées par Henri-Jean Martin,

dues à des imprimeurs du roi très sollicités par la monarchie tels Sébastien Cramoisy ou

Robert Estienne, atteignent parfois plusieurs milliers de livres tournois55

. Cependant

plusieurs avantages dont l’exonération de se pourvoir de privilèges souvent onéreux

pour imprimer, leurs assurent des revenus conséquents.

Jouir de privilèges et d’honneurs personnels

Outre leurs fonctions particulières, les imprimeurs du roi se définissent par les

avantages liés à leur position dont ne jouissent pas les autres membres du métier.

L’attribution de la charge d’imprimeur du roi détermine le statut de l’imprimeur qui la

détient, elle est décernée nominativement et publiquement par lettres patentes du roi

selon les formules en vigueur :

« Louis Par la grace de Dieu Roy de France et de Navarre à tous ceux qui ces

presentes lettres verront, Salut, […] nous avons donné et octroyé et par ces

présentes signées de notre main donnons et octroyons la d[itte] charge de notre

imprimeur et Libraire en notre Ville de Lyon vacante […] pour la voir tenir, et

d’oresnavant exercer avec pouvoir et permission d’Imprimer et mettre en Lumière

nos édits, ordonnances, arrets, reglemens, Baux de nos fermes, quittances et autres

51 Op. cit., p. 260. 52 Cf. Annexe 2. 53 Ibid. 54 Op. cit., p. 260. 55 Ibid.

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choses endepindantes, arrets de nos Cours Supérieures, et autres choses qui seront

par nous envoyées en notre [ditte] Ville, Icelles vendre et débiter Seul, […] la ditte

charge faisant a cet effet déffense à tout autres Imprimeurs ou Libraires de

L’imiter ou contrefaire et Sous quelque pretexte que ce soit à peine de trois mille

livres d’amande, confiscation des Exemplaires des pieces qui se trouveront

contrefaites et de tout autre impression que de La Sienne ou de ceux qui auront

droit de Lui […] »56

L’imprimeur ordinaire du roi, qu’il réside en province ou à Paris, est un fonctionnaire

royal indépendant qui fait partie de la Maison du roi57

. Il peut être nommé en

récompense des services que lui-même ou l’un de ses parents, a rendu dans l’exercice de

son métier, comme c’est le cas pour Pierre II Valfray, qui de même que son père, est

déjà imprimeur du clergé :

« nous avons pour cet effet jetté les yeux sur notre bien aimé P[ierre] Valfray Son

fils qui exerce la profession de Libraire et Imprimeur dans notre S[ainte] ville à la

satisfaction du public et nommement du Sieur Archevêque de Lyon qui nous en a

rendu des témoignages avantageux »58

Il est aussi toujours désigné en vertu de deux critères primordiaux :

« leur étant apparu des Bonnes, Vies Mœurs, Conversation et religion Catholique

apostolique et romaine »59

Et sa capacité à exercer le métier, comme le rappelle un arrêt du Conseil d’État du roi de

1717 :

« que les Rois predecesseurs de Sa Majesté ont toûjours reconnu l’Imprimerie

comme un Art , [et] non comme un mêtier, qu’ils n’ont jamais permis l’impression

de leurs Edits, Declarations [et] Ordonnances qu’à ceux qu’ils choisissoient entre

les plus capables, comme il est établi entre autres par une Declaration du Roy

Louis XIII. du 2. Janvier 1620 »60

.

De plus, Georges Lepreux a montré, à travers l’étude de plusieurs lettres patentes, qu’il

existe un patrimoine commun à tous les imprimeurs du roi en ce qui concerne certains

avantages et la visibilité publique qu’octroie la charge à son acquéreur61

. Tout d’abord,

tous bénéficient des honneurs d’être attaché par une fonction à la personne du roi et de

compter parmi ses officiers. De cet honneur, découlent à la fois l’autorité de pouvoir se

qualifier d’un titre et la supériorité sur les autres imprimeurs d’avoir été choisi par le

roi. En tant qu’officiers, tous sont exempts d’impôts et en tant qu’imprimeurs du roi ils

sont libres d’imprimer ou de faire imprimer en son nom. Ils ont le droit et le monopole

de l’impression de tous les actes royaux à l’exclusion de tous autres imprimeurs. Enfin,

ils bénéficient tous de l’exonération de l’achat de privilèges et de permissions de

librairie ainsi que des revenus qui résultent de la vente des imprimés dont ils ont le

monopole et des gages encore attachés au début du XVIIIe siècle, à la détention de la

charge.

Plus encore, il semble que la charge d’imprimeur du roi soit unanimement une marque

de la maîtrise artistique dans la pratique de la typographie62

. En effet, la production de

ces imprimeurs se devait d’être un conservatoire des meilleures traditions de la

56 Cf. Annexe 3. 57 Georges LEPREUX, op. cit., p. 38. 58 Cf. Annexe 3. 59 Ibid. 60 Cf. Annexe 4. 61 Op. cit., p. 33. 62 Ibid, p. 41.

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La charge d’imprimeur ordinaire du roi

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typographie françaises d’où une sévère sélection avant leur nomination et une

désignation qui se faisait souvent dans une même famille d’imprimeur-libraire, une

marque à la fois de la confiance placée dans le talent d’une dynastie, et surtout un

moyen d’attachement de ces imprimeurs-libraires au service du pouvoir et du bien

public plutôt qu’à leurs intérêts personnels. Le statut particulier des typographes royaux

s’exprime d’ailleurs aussi dans les impressions qu’ils réalisent pour le pouvoir,

puisqu’ils ne font pas figurer au titre leur propre marque mais les insignes royaux,

emblèmes de leur fonction. Les publications officielles portent également la trace de

l’apposition du sceau royal et la devise du monarque ou son monogramme63

.

Au-delà de ces avantages communs à l’ensemble des imprimeurs du roi, les véritables

raisons qui motivent le souverain à nommer tel ou tel imprimeur restent diverses et très

subjectives, tous d’ailleurs ne bénéficient pas des même faveurs. Ainsi, certains peuvent

se voir attribuer des avantages pour l’impression d’un ouvrage particulier par la langue

ou les caractères utilisés, d’autres sont autorisés à utiliser les matrices et les poinçons du

roi et d’autres encore bénéficient d’un logement pendant l’exercice de leur fonction64

.

Seul le dépouillement d’un corpus de plusieurs lettres patentes pourrait indiquer les

faveurs qui sont personnellement accordées à certains imprimeurs du roi65

. De même, en

ce qui concerne la durée pour laquelle cette charge leur est attribuée, nous ne savons que

peu de chose et bien qu’il semble qu’elle soit décernée à vie, nous ne pouvons l’affirmer

avec certitude. Une étude de plusieurs lettres patentes de différents imprimeurs-libraires

serait là encore nécessaire. Néanmoins, nous pouvons nous risquer à formuler

l’hypothèse qu’entretenir une certaine proximité avec le pouvoir monarchique ou local,

dans les villes de province, aide beaucoup à se voir attribuer une telle charge. À Paris, le

souverain favorise ainsi explicitement une élite d’imprimeurs-libraires fidèles qui

monopolisent les privilèges et la charge66

.

Si la charge d’imprimeur du roi est en principe personnelle, comme l’atteste cet arrêt du

Conseil du roi :

« Ces Charges, dont il n’y en a qu’une dans les principales Villes du Royaume sont

personnelles, [et] les Privileges qui y sont attachés se perdent par le decés de ceux

qui en sont pourvûs, sans que les veuves [et] heritiers, en qui on n’auroit pas la

même confiance, puissent s’en prevaloir »67

.

Dans les pratiques, elle se lègue le plus souvent au fils aîné ou au descendant male le

plus direct, ce qui entraîne la création de véritables dynasties d’imprimeurs du roi à

Paris comme en province68

. À Lyon, ce ne sont pas moins de treize imprimeurs qui se

partagent la charge tout au long des XVIIe et XVIII

e siècles

69, que l’on peut

pratiquement regrouper en quatre grandes familles d’imprimeurs-libraires : les Jullieron,

les Barbier, les Valfray et les Bruyset. Plus encore, bien que la charge soit attribuée en

principe à un seul imprimeur-libraire par ville de province, il apparaît que certains

l’occupent conjointement jusqu’au début du XVIIIe siècle. Mireille Caplat

70, qui a

réalisé une étude sur les imprimeurs-libraires lyonnais Guillaume et François Barbier,

relève ainsi qu’à partir de 1651 Anthoine Jullieron, qui reçoit la charge d’imprimeur du

roi en legs de son père, l’occupe conjointement à Guillaume Barbier. Il existe donc une

véritable concurrence pour l’obtention de la charge qui amène même certains

63 Ibid, p. 42. 64 Ibid, p. 34. 65 Ibid, p. 32. 66 Henri-Jean MARTIN, op. cit., p. 455. 67 Cf. Annexe 4. 68 Mireille CAPLAT, Deux libraires lyonnais au temps de Louis XIV : Guillaume et François Barbier, 1985, Mémoire de

maîtrise, Histoire moderne, École nationale supérieure de bibliothécaires, p. 7. 69 Cf. Annexe 2. 70 Op. cit., p. 7.

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imprimeurs à se prévaloir du titre sans en avoir effectivement reçu la provision. En

l’absence de lettres royales, Marius Audin71

indique que les privilèges, obligatoirement

reproduits en entier dans les livres à partir de 1701, peuvent aussi prouver la détention

réelle de la charge. Enfin, il arrive qu’elle soit transmise en même temps que le fonds de

librairie d’un imprimeur-libraire à son descendant, comme c’est le cas pour les Valfray

en 1715. Pierre I cède ainsi à son fils Pierre II en même temps que son fonds, sa charge

d’imprimeur du roi72

. Elle peut également être vendue avec le fonds dans le cas où ce

n’est pas un membre de la famille qui reprend le commerce d’imprimerie et de librairie.

Pierre III Valfray, qui choisit de ne pas continuer le métier, la vend à Aimé Delaroche en

174973

. Cependant, dans les deux cas, le nouveau titulaire de la charge doit être agréé

par les officiers royaux74

et ces passations plus ou moins officielles de charges, ne sont

pas sans créer des litiges entre imprimeurs-libraires. En 1716-1717, Pierre II Valfray

doit ainsi faire face aux réclamations de la veuve de François Barbier, le précédent

imprimeur du roi de la ville de Lyon, qui veut conserver le titre d’imprimeur du roi sur

les impressions qu’elle réalise75

. Et bien que Pierre III ait réalisé une vente devant

notaire de son fonds et de sa charge en faveur d’Aimé Delaroche, ce dernier se heurte

aux prétentions d’un autre imprimeur-libraire lyonnais, Jean-Marie I Bruyset. À la mort

de Pierre III en 1784, la charge d’imprimeur du roi revint d’ailleurs à son fils, Jean-

Marie II Bruyset, qui avait l’appui des autorités locales et royales76

.

Si nous pouvons d’ores et déjà esquisser un premier portrait des imprimeurs du roi du

royaume de France sous l’Ancien Régime, il nous faut à présent revenir sur l’origine de

la création de la charge d’imprimeur du roi pour mieux cerner dans le temps, les

logiques et les pratiques qui régentent sa détention.

HISTORIQUE DE SON INSTITUTION

Si la tentation a longtemps été grande d’attribuer à François Ier

(1494-1547) la

création de la charge d’imprimeur du roi en 1538-1539, dans la lignée de ses

nombreuses créations liées à l’univers du livre tel que le Co llège des lecteurs royaux en

1530 et le dépôt légal institué en 1537, Georges Lepreux et plus tard Marius Audin,

affirment dans leurs ouvrages respectifs77

, qu’il faut bien plus relier la création de la

charge à l’époque même de l’introduction de l’imprimerie dans le royaume de France

dans le dernier quart du XVe siècle.

Son origine parisienne

Georges Lepreux indique que dès 1487 l’imprimeur parisien Pierre le Rouge aurait été

nommé « imprimeur du roi » et que la charge aurait ensuite été développée par François

1er

, qui nomma à la fin des années 1530 plusieurs imprimeurs du roi aux fonctions bien

précises. L’une des premières spécialités des imprimeurs royaux sous François 1er

fut

semble-t-il, d’imprimer en langue française78

. Mais cette particularité ne paraît pas avoir

été reconduite par la suite et à sa place, deux charges furent créées : celle d’imprimeur

du roi pour le grec, occupée par Robert I Estienne (1503-1559) à partir de 1539, et celle

71 Op. cit. 72 Cf. Annexe 5. 73 Cf. Annexe 6. 74 Marius AUDIN, op. cit. 75 Cf. Annexe 4. 76 Marius AUDIN, op. cit. 77 Georges LEPREUX, Gallia typographica…, op. cit., et Marius AUDIN, L'imprimeur du roi…, op. cit. 78 Geroges LEPREUX, op. cit., p. 44.

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d’imprimeur du roi pour le latin. L’impression d’ouvrages en grec entraina d’ailleurs des

frais considérables pour la monarchie, qui fit graver les poinçons de trois corps complets

de caractères grecs, réalisés spécialement par le tailleur, fondeur de caractères et

imprimeur parisien Claude Garamont. Imités des caractères manuscrits, les « grecs du

roi » sont aujourd’hui célèbres pour leur histoire mouvementée. En effet, Robert

Estienne favorable aux idées de la Réforme, s’attira les foudres de la faculté de

théologie de Paris, à tel point qu’en 1552, et malgré la protection dont il bénéficiait en

tant qu’imprimeur du roi et excellent typographe, il dut quitter Paris pour Genève. Il

emporta alors avec lui une série de matrices de caractères grecs et laissa les poinçons

dans la capitale, ce qui explique que les historiens du livre identifient aujourd’hui

l’utilisation de ces caractères grecs dans des éditions genevoises d’Henri Estienne, fils

aîné de Robert, de ses descendants et de celles qu’ils ont réalisées pour le compte

d’autres imprimeurs-libraires jusqu’au début du XVIIe siècle

79. Par la suite, les charges

d’imprimeur du roi se multiplièrent à Paris, il y eut un imprimeur du roi pour l’hébreu,

pour lequel cependant la monarchie ne fit pas fondre de caractères. En 1553, Henri II

nomma un imprimeur royal pour les mathématiques et un pour la musique, Robert I

Ballard, qui fonda une dynastie d’imprimeur du roi pour la musique qui perdura

jusqu’au XVIIIe siècle. Enfin, en 1630, Louis XIII créa la charge d’imprimeur du roi

pour les langues orientales80

. Néanmoins, la plupart de ces charges furent éphémères du

fait surtout du coût onéreux des caractères qu’il fallait fondre spécialement pour

l’impression d’un nombre réduit d’ouvrages , ainsi que du niveau de maîtrise élevé que

demandait la réalisation d’une édition dans ces différentes langues et disciplines.

C’est par ailleurs à cause de la multiplication du nombre d’imprimeurs du roi dans la

capitale et de leur titre, qu’est né le qualificatif d’imprimeur « ordinaire » du roi. Le

premier à porter ce titre fut Robert II Estienne (1530-1571) nommé en 1561. Il désignait

les imprimeurs chargés des impressions « ordinaires » du pouvoir royal en opposition

aux impressions « extraordinaires » de livres en langue étrangère ou de partitions par

exemple. Le qualificatif d’ « ordinaire », applicable aussi bien aux imprimeurs du roi

qu’aux impressions réalisés par ceux-ci, permettait ainsi de distinguer les imprimeurs et

les impressions, qui concernaient le service quotidien du roi et de son administration. De

même, les dépenses attachées à ses impressions, à l’échelle nationale ou locale, étaient

appelées les dépenses « ordinaires », afin d’indiquer leur récurrence d’années en années

en opposition à des dépenses plus parcimonieuses ou exceptionnelles81

.

Dès le XVIe siècle émerge donc à Paris, une tradition de pluralité des imprimeurs du roi,

notamment à la faveur des troubles politique et religieux qui agitent le royaume. En

effet, durant cette période, les imprimeurs du roi de la capitale doivent faire face à deux

problèmes importants. D’une part, ils subissent la concurrence impitoyable des autres

imprimeurs-libraires sans charge, que Georges Lepreux nomment les « corsaires de la

typographie »82

parce qu’ils n’hésitent pas à réaliser des faux malgré la promesse de la

saisie des imprimés et les amendes encourues (près de 500lt en cas de « nul de faux »

d’après Lepreux). Et d’autre part, ils sont en concurrence les uns avec les autres puisque

leur nombre a particulièrement augmenté tout au long du siècle. Les différents

imprimeurs du roi, bien qu’ils aient le même titre et des avantages similaires dans leur

ensemble, ne formèrent jamais un corps uni et restèrent au contraire attachés à leur

indépendance et à leurs prérogatives individuelles, qui les distinguent des autres

imprimeurs-libraires mais aussi entre eux83

. Ces deux phénomènes prirent une ampleur

79Jean IRIGOIN, « La circulation des fontes grecques en Italie de 1476 à 1525 », dans Le livre et l’historien : études offertes en l’honneur du Professeur Henri-Jean Martin, Genève, Droz, 1997, p. 69. 80 Georges LEPREUX, op. cit., p. 35. 81 Charlène BEZIAT, op. cit., p. 46. 82 Op. cit., p. 39. 83 Ibid, p. 38.

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considérable pendant les guerres de religion, qui firent rage de 1562 à la signature de

l’édit de Nantes en 1598, et qui affaiblirent grandement la monarchie. Avec le règne

d’Henri IV (1553-1610) et la fin des troubles religieux, le dernier quart du XVIe siècle

est marqué par les mesures prises par le souverain pour protéger ses imprimeurs

notamment en limitant leur nombre (il ne doit en nommer que deux en principe, dans la

capitale). Mais son successeur Louis XIII (1601-1643), ne tarde pas à attribuer la charge

d’imprimeur du roi à un troisième imprimeur-libraire privilégié, ce qui marque la reprise

d’une nouvelle multiplication de la charge tout au long du XVIIe siècle

84.

Dès le début du siècle, leur nombre augmente en effet, allant jusqu’à six ou sept

imprimeurs du roi à Paris détenant conjointement la charge et usant tous des privilèges

de l’impression des actes royaux, qui émanent du Conseil du roi et du Parlement. Leurs

prérogatives sont davantage protégées et à partir de 1625, les imprimeurs du roi

engagent régulièrement des procès contre ceux qui attentent à leurs privilèges. À partir

du règne personnel de Louis XIV (1638-1715) en 1643, une partie de leur production

s’oriente vers la réalisation d’impressions qui servent la propagande monarchique , telles

que des lettres ouvertes à la population et surtout des relations d’exploits accomplis par

l’armée française85

. Ils subissent alors la concurrence de l’Imprimerie royale créée en

1640 par Richelieu (1585-1642), qui édite des ouvrages somptueux : grands in-folio aux

reliures soignées avec des planches gravées et des enluminures, afin de proclamer la

grandeur du souverain et de sa politique. Au milieu du siècle, les troubles liés à la

Fronde (1648-1653), de laquelle résulte un affaiblissement du pouvoir royal, sont à

nouveau l’occasion pour les imprimeurs-libraires qui ne détiennent pas de charge

officielle, de s’intituler imprimeur du roi sans détenir de lettres patentes. D’autres

imprimeurs, se proclament eux-mêmes imprimeurs attitrés d’un prince ou d’un corps

constitué86

. Au sortir de cette période de vacance du pouvoir, l’entrée de Colbert (1619 -

1683) au service du roi entraîne la promulgation d’un arrêt du Conseil le 21 mars 1661,

qui fait état des abus opérés par les imprimeurs-libraires et surtout qui proclame que seul

le roi a le droit de nommer et d’avoir des imprimeurs attitrés87

. Le pouvoir royal

développe dès lors une politique clientéliste avec des imprimeurs-libraires privilégiés,

qui deviennent bientôt les imprimeurs-libraires les plus importants de Paris.

Parallèlement à cette réduction progressive du nombre d’imprimeurs du roi dans la

capitale qui est officialisée par une loi de 168688

, les fonctions de ces imprimeurs

s’élargissent et deviennent de plus en plus lucratives à mesure que l’appareil

administratif de la monarchie se développe. L’institution des imprimeurs du roi prit

donc une importance nouvelle dans la deuxième moitié du XVIIe siècle. Elle permit à

l’État absolutiste de Louis XIV de s’assurer plus encore que dans le passé, de la fidélité

des puissants imprimeurs-libraires parisiens qui lui devaient leur statut, et de se garantir

d’utiles intermédiaires et indicateurs dans le monde du livre parisien , qu’il était toujours

essentiel de surveiller89

.

Tout au long du XVIIIe siècle, la monarchie poursuit sa politique de restriction vis-à-vis

de ses imprimeurs-libraires privilégiés, tant dans la capitale qu’en province90

. Elle

concentre le nombre de ses employés et ne s’adresse plus qu’exclusivement aux

imprimeurs-libraires du roi pour réaliser les impressions des ordonnances, arrêts et édits

qu’elle produit quotidiennement en nombre de plus en plus important. Auparavant, il

arrivait en effet que le roi ou les corps de ville de province, se réservent le droit de

84 Ibid, p. 40. 85 Henri-Jean MARTIN, Livre, pouvoirs et société à Paris au XVIIe siècle (1598-1701)…, op. cit. p. 673. 86 Ibid. 87 Marius AUDIN, Histoire de l’imprimerie. Radioscopie d’une ère de Gutenberg à l’informatique, Paris, Picard, 1972, p. 165. 88 Georges LEPREUX, op. cit., p. 41. 89 Henri-Jean MARTIN, op. cit. p. 675. 90 Charlène BEZIAT, op. cit., p. 23.

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La charge d’imprimeur ordinaire du roi

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s’adresser en certaines occasions, à d’autres typographes ou libraires pour réaliser des

commandes ponctuelles91

. Ainsi à Lyon, entre 1651 et 1751, le Consulat lyonnais a

recours aux services de plus d’une vingtaine d’imprimeurs-libraires lyonnais en

supplément des impressions strictement liées à son service quotidien. Ceux-ci peuvent

être employés de manière récurrente ou exceptionnelle, de façon continue ou

discontinue. Il s’agit d’artisans qui comptent le Consulat parmi leur clientèle et qui ne

détiennent aucunes charges publiques92

. Ils impriment parfois des documents officiels

tels que des tarifs, des règlements ou des jugements consulaires, en supplément de ceux

réalisés par l’imprimeur ordinaire du roi de la ville ou de l’imprimeur ordinaire de la

ville. Certains sont employés pour la spécificité des travaux qu’ils réalisent. Robert

Rigaud, imprimeur en taille douce, réalise ainsi en 1651 une planche en taille douce

représentant la ville de Lyon, destinée à être exposée dans la Chambre du Consulat93

.

Les libraires lyonnais sont également sollicités par le pouvoir local pour éditer les livres

dont il finance la production. C’est le cas notamment des ouvrages de plusieurs auteurs

jésuites tels que l’Histoire de la ville de Lyon en 1666, du révérend père Saint Aubin, et

de l’Éloge historique de Lyon en 1668, du père Ménestrier, tous deux édités chez le

libraire-relieur Benoist Coral94

. Plusieurs autres enfin, sont rémunérés par le Consulat

pour fournir chaque année des livres à la bibliothèque du collège de la Trinité, de 1670 à

1692. Parmi eux, des libraires puissants dans le monde du livre lyonnais, tels que les

Molin père et fils et Jean Anisson. Des initiatives que les mesures de restrictions qui

touchent les employés du Consulat lyonnais au XVIIIe siècle, ne parviennent pas

entièrement à supprimer, puisque le pouvoir local emploie les libraires Louis Declaustre,

Nicolas Deville et les frères Bruyset, de 1710 à 1751, pour fournir des livres pour les

prix des écoliers du collège de la Trinité95

. À Paris, la monarchie a également recours à

des imprimeurs-libraires qui ne sont pas strictement à son service, lors de la réalisation

massive et rapide d’imprimés qui soutiennent sa politique immédiate. Par exemple, suite

à la révocation de l’édit de Nantes en 1685, le pouvoir royal fait imprimer en hâte des

livres destinés aux nouveaux catholiques afin de leur permettre d’approfondir leur

connaissance de la religion. Il sollicite alors une somme d’imprimeurs-libraires parisiens

pour réaliser ces impressions96

.

Les premières décennies du XVIIIe siècle, voient ensuite s’appliquer la volonté du

souverain de ne nommer ses imprimeurs du roi et de la ville, qu’en remplacement les

uns des autres et au fur et à mesure qu’une vacance se produisait97

. Cette mesure marque

une intensification des relations qu’entretiennent les imprimeurs-libraires avec le

pouvoir. Ce dernier s’attache les services de quelques hommes qui jouissent du

monopole exclusif des impressions royales. Il devient alors exceptionnel qu’un

imprimeur-libraire tente d’empiéter sur les droits des imprimeurs royaux. Seule la

concurrence, accrue tout au long du siècle, de l’Imprimerie royale, menace leur

production. À la veille de la Révolution, un arrêt du Conseil d’État du roi interdit

d’ailleurs à tout imprimeur, d’imprimer ou de vendre les actes royaux et les sentences du

Parlement et du Conseil du roi, à moins d’en avoir été chargé par le directeur de

l’Imprimerie royale98

.

91 Henri-Jean MARTIN, op. cit., p. 675. 92 Charlène BEZIAT, op. cit., p. 20. 93 Ibid, p. 21. 94 Ibid, p. 22. 95 Ibid, p. 77. 96 Henri-Jean MARTIN, op. cit., p. 676. 97 Ibid, p. 44. 98 Georges LEPREUX, op. cit., p. 41.

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Les imprimeurs ordinaires du roi de la ville de Lyon

À Lyon, l’origine de la charge d’imprimeur ordinaire du roi, remonterait à la même

époque qu’à Paris, c’est-à-dire au dernier quart du XVe

siècle, mais il semblerait qu’elle

soit alors uniquement prise de manière honorifique par les imprimeurs, sans provision

officielle des autorités royales99

. Les sources manquent aux historiens pour pouvoir

affirmer avec certitude son investiture officielle à un imprimeur-libraire lyonnais. De

même pour le XVIe siècle, il est difficile de connaître avec précision la succession des

imprimeurs-libraires qui ont obtenu la charge, du fait tout d’abord de l’absence

fréquente de lettres patentes et surtout du désordre qui caractérise les nominations de ces

imprimeurs-libraires. En effet, les troubles religieux que connaît alors le royaume de

France entraînent tour à tour, la nomination d’imprimeurs-libraires soit proches des

idées réformatrices soit au contraire, attachés aux opinions des ligueurs. À la faveur des

inclinaisons du pouvoir royal, alors très instable, certains s’exilent en pays protestants

puis c’est au tour des imprimeurs-libraires de la Sainte Union de quitter Lyon

lorsqu’Henri IV (1553-1610) accède officiellement au pouvoir en 1589.

Marius Audin100

, qui a tenté dans son ouvrage à visée essentiellement biographique, de

présenter l’ensemble des imprimeurs ordinaires du roi lyonnais, depuis la création de la

charge, jusqu’à sa disparition après la Révolution, fait une distinction très nette entre les

libraires et les imprimeurs ordinaires du roi. Ce parti pris lui permet dès lors, de justifier

l’occupation conjointe de la charge, pendant la même période, par deux artisans du livre

lyonnais. Néanmoins, il semble qu’une telle distinction ne puisse pas être aussi stricte

compte tenu de l’aspect lacunaire et parfois contradictoire des sources sur certains

imprimeurs-libraires de la fin du XVe siècle et du début du XVI

e siècle. Par exemple,

Audin présente Guillaume Balsarin comme le premier imprimeur du roi lyonnais et Noël

Abraham comme le premier libraire du souverain, à la fin du XVe siècle. Mais, dans la

notice de la Bibliographie lyonnaise d’Henri et Julien Baudrier101

, consacrée à

Guillaume Balsarin, les Baudrier expriment clairement leurs doutes. D’abord, en ce qui

concerne la qualité d’imprimeur de Balsarin, dont ils indiquent que les documents

d’archives ne leur ont pas permis d’arriver à une telle certitude sur la fonction qu’il

exerçait réellement. Il semble qu’il ait en fait appartenu à la catégorie des libraires

commanditaires, qui se faisaient qualifier d’imprimeurs pour affirmer leurs droits sur les

publications qui sortaient de leur atelier, et pour lesquelles ils avaient obtenu un

privilège à leur nom102

. Ensuite, il semble que Guillaume Balsarin n’ait été qualifié

qu’une seule et unique fois d’imprimeur du roi, sur la souscription du livre de la Nef des

princes et des batailles de Robert de Balzac, en 1502103

. Les Baudrier indiquent que le

titre n’apparaît sur aucunes autres publications de Balsarin. Par ailleurs, Noël Abraham,

qualifié de libraire par Audin, est présenté dans le tome trois de la Bibliographie

lyonnaise, comme le :

« premier imprimeur du roi et le premier éditeur de la presse politique de Lyon »

104

bien que ses auteurs indiquent, que seules ses publications, qui portent selon l’usage les

armes ou les emblèmes de Louis XI, révèlent l’obtention de la charge.

99 Marius AUDIN, L'imprimeur du roi…, op. cit. 100 Ibid. 101 Henri BAUDRIER, Bibliographie lyonnaise : recherches sur les imprimeurs, libraires, relieurs et fondeurs de lettres de Lyon

au XVIe siècle. Tome 12. Publiée et continuée par Julien Baudrier, Lyon, A. Brun, 1895-1921, réimpr. Paris, F. de Nobele, 1964-1965, p. 37. 102 Ibid. 103 Ibid, p. 42. 104 Henri BAUDRIER, Bibliographie lyonnaise : recherches sur les imprimeurs, libraires, relieurs et fondeurs de lettres de Lyon

au XVIe siècle. Tome 3…, p. 4.

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La charge d’imprimeur ordinaire du roi

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Deux imprimeurs-libraires sont ensuite nommés par Audin à la charge d’imprimeur et

libraire du roi de la ville de Lyon : Jean Saugrain et Jean I de Tournes. Pour le premier,

libraire à Lyon, il est difficile de savoir à partir de quand il a réellement occupé la

charge puisque la notice dans l’ouvrage des Baudrier indique deux informations

différentes. D’abord, elle présente un extrait de la généalogie de Jean Saugrain, réalisée

par l’un de ses descendants, Joseph Saugrain, au XVIIIe siècle

105. Ce dernier, affirme

que son aïeul a reçu la charge par lettres patentes du roi Charles IX, le 10 juin 1568.

Mais, dans la présentation des actes d’archives retrouvés par les Baudrier sur Saugrain,

un acte royal daté de 1558 proclame :

« qu’il puisse et soit loisible à luy seul doresnavant, et sa vye durant, d’imprimer

ou faire imprimer et mectre en lumière tous et chacuns nosdictz ecditz,

ordonnances, lettres patentes, closes, publications, modérations, limitations et

arrestz de nostre Court de Parlement de Paris […] »106

Dix ans séparent les deux actes. Ce qui nous amène à penser, que si Saugrain n’occupait

effectivement pas la charge avant 1568, il en exerçait les fonctions à Lyon depuis une

décennie. Cependant, cette date demeure étonnante, car la récente étude menée par

Jérôme Sirdey107

a démontré que Jean Saugrain était un fervent éditeur d’impressions

protestantes. Or, à partir de 1568, les guerres de religion font à nouveau rage dans tout

le royaume, et la papauté prêche ardemment pour le départ des catholiques en croisade

contre les hérétiques. Il paraît donc curieux que le roi et son Conseil nomme dans une

ville déchirée par les conflits religieux, un imprimeur qui met publiquement ses presses

au service de la foi protestante.

Parallèlement, l’ouvrage d’Alfred Cartier, consacré à la bibliographie des éditions de la

famille d’imprimeurs lyonnais, de Tournes, indique que la charge d’imprimeur du roi à

Lyon, est octroyée par Henri II (1519-1559), à Jean I de Tournes en 1559, et ce malgré

sa conversion au protestantisme108

. Cartier n’a cependant retrouvé aucun document

officiel indiquant sa nomination, et c’est encore une fois, la mention que l’imprimeur

fait lui-même figuré sur ses publications, qui est la seule preuve de l’obtention de la

charge. Au milieu du XVIe siècle, la mise par écrit des nominations officielles n’est

donc pas encore systématique. En 1564, Jean I de Tournes succombe à une épidémie de

peste et c’est son fils Jean II qui devient imprimeur du roi109

. Son activité rue Raisin, est

notamment marquée par les pillages des troupes catholiques et surtout par les Vêpres

lyonnaises (1572), pendant lesquelles beaucoup de protestants ont été massacrés. Ces

troubles, sont au moins en partie responsables du départ de Jean II de Tournes pour

Genève en 1585, année où Henri III (1551-1589), signe à Nemours un édit qui interdit le

culte protestant dans le royaume de France et exhorte les protestants à abjurer ou à

s’exiler. Par ailleurs, Marius Audin, indique que le libraire Michel Jouve, un proche de

de Tournes qui était un de ses imprimeurs, aurait reçu le titre de libraire du roi. Mais

n’est-ce pas justement sa proximité avec l’imprimeur qui aurait poussé Audin à une telle

conclusion ? Il n’est d’ailleurs pas fait mention dans la notice sur Michel Jouve dans la

Bibliographie lyonnaise, de l’obtention officielle de ce titre, bien que deux actes

officiels, le premier en 1569 et le second en 1574, lui permettent :

105 Henri BAUDRIER, Bibliographie lyonnaise : recherches sur les imprimeurs, libraires, relieurs et fondeurs de lettres de Lyon

au XVIe siècle. Tome 4…, p. 318. 106 Ibid, p. 320. 107 Jérôme SIRDEY, « Deux éditeurs lyonnais aux avant-postes du combat religieux : Michel Jouve et Jean Saugrain », Journée

d’études Biblyon : livre et littérature à Lyon au XVIe siècle, vendredi 24 juin 2011 à Lyon 108 Alfred CARTIER, Bibliographie des éditions des De Tournes, imprimeurs lyonnais. Tome 1. Paris, Éd. des bibliothèques nationales de France, 1937, p. 8. 109 Ibid, p. 130.

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« d’imprimer ou faire imprimer les Edicts, Ordonnances, et Lettres Patentes ou

Closes qui seront cy-après expédiées et envoyées aux Gouverneurs, Lieutenans

généraux, ou Officiers de la Iustice de lacdite ville de Lyon, et pays de

Lyonnois. »110

Par la suite, la charge est octroyée à Jean Pillehotte, associé et gendre de Michel Jouve,

qui reprend, à la mort de ce dernier en 1580, son affaire de librairie. Celui-ci prend

également le titre d’imprimeur de la Sainte Union, et publie une foule de libelles et de

pamphlets contre Henri IV. En 1594, lorsque le roi est sacré dans la cathédrale de

Chartres et que la ville de Lyon se soumet à son autorité, Pillehotte est déchu de la

charge :

« à cause de la forfaiture et rébellion de son titulaire, chassé de ladicte ville de

Lyon, comme factieux et adhérent à nos rebelles ennemis »111

Elle revient alors conjointement à Guichard I Jullieron et Thibaud Ancelin. Par cette

nomination, Jullieron, est personnellement récompensé de sa fidélité au roi Henri IV,

puisqu’il vendit plusieurs de ses maisons pour financer les mercenaires suisses engagés

par le souverain, pour maintenir l’ordre dans la ville après sa reconquête et continuer à

se battre contre les derniers partisans de la Ligue catholique112

. Ancelin lui, a le soutien

de Barthélémy Thomé, député du Consulat auprès du pouvoir royal. Néanmoins, Marius

Audin remarque qu’à partir de 1596, le nom de Jullieron, n’apparaît plus sur les actes

officiels. Il émet alors l’hypothèse, que c’est la baisse du nombre d’imprimés produits,

par rapport aux batailles de libelles qu’avaient entraîné les discordes religieuses, qui est

à l’origine de la disparition d’un des deux imprimeurs du roi lyonnais. Il est par ailleurs

possible que l’évincement de Jullieron ait été négocié par l’imprimeur-libraire, puisque

c’est son fils, Nicolas Jullieron, qui reprend la charge en 1608, et non le fils et

successeur de Thibaud Ancelin, Barthélémy113

. Cette succession, marque le début de

l’accaparement de la charge d’imprimeur ordinaire du roi par la famille Jullieron. Il

semble cependant que les imprimeurs-libraires Jean Roussin et son fils Jacques, ont

aussi occupé la charge au XVIIe siècle. Mais bien qu’il soit fait brièvement mention de

leur fonction dans l’ouvrage de Marius Audin et dans le mémoire de Mireille Caplat,

aucune étude plus approfondie ne traite de ces imprimeurs. Ils sont par ailleurs absents

de la Bibliographie lyonnaise des Baudrier et du Répertoire d’imprimeurs-libraires de

Jean-Dominique Mellot, Élisabeth Queval et Antoine Monaque114

.

En 1628, Nicolas Jullieron, succombe prématurément d’une épidémie de peste, un an

après son père, Guichard I. La charge revient alors à son frère, Jean, qui devient à son

tour imprimeur ordinaire du roi de la ville de Lyon. Mais, alors qu’il détient toujours la

charge, un autre imprimeur-libraire lyonnais, Jean-Aymé Candy, est également nommé

imprimeur du roi en 1643. Ce dernier, est aussi l’imprimeur du clergé et le premier

imprimeur lyonnais à publier l’édition lyonnaise de la Gazette parisienne de Théophraste

Renaudot. Il l’imprime de 1640 à 1657-58, dates auxquelles sa veuve, Clemence Candy,

reprend son impression jusqu’en 1659115

. Ainsi, bien qu’il ne dut y avoir qu’un seul

imprimeur du roi dans chaque ville de province au XVIIe siècle

116, il n’est pas rare,

comme c’est le cas dans la capitale, que plusieurs imprimeurs-libraires se partagent la

110 Henri BAUDRIER, Bibliographie lyonnaise : recherches sur les imprimeurs, libraires, relieurs et fondeurs de lettres de Lyon

au XVIe siècle. Tome 2…, p. 84. 111 Ibid, p. 224. 112 Marius AUDIN, op. cit. 113 Ibid. 114 Jean-Dominique MELLOT (éd.), Élisabeth QUEVAL (éd.), Antoine MONAQUE (collab.), Répertoire d’imprimeurs-libraires

(vers 1500-vers 1810), Paris, Bibliothèque nationale de France, 1990, nouv. éd. rev. et augm. 2004 115 Charlène BEZIAT, op. cit., p. 20. 116 Marius AUDIN, op. cit.

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La charge d’imprimeur ordinaire du roi

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charge et les fonctions qui lui sont attachées. Dans la décennie 1640, un autre imprimeur

se voit aussi attribuer la charge, Guillaume I Barbier. Une confusion demeure d’ailleurs

sur la date à laquelle il l’obtient véritablement, puisque dans son étude consacrée aux

Barbier, Mireille Caplat117

, indique que Guillaume I publie un premier ouvrage en 1644

dans lequel il s’intitule imprimeur du roi. Il aurait reçu le titre lors du rachat de l’atelier

de Jacques Roussin, mort en 1643, chez qui il a effectué son apprentissage. Mais Jean-

Dominique Mellot, Élisabeth Queval et Antoine Monaque, affirment118

qu’il n’aurait en

fait détenu la charge qu’à partir de 1647, et qu’il l’aurait occupé en association avec

Jean-Aymé Candy à partir de l’année suivante119

.

Durant la décennie 1640, trois ou quatre imprimeurs-libraires auraient donc occupé

conjointement la charge d’imprimeur ordinaire du roi de la ville de Lyon. De même qu’à

Paris, cette multiplication des imprimeurs officiels à Lyon, trouve une première

explication dans l’affaiblissement du pouvoir royal qui permet à des imprimeurs -

libraires ambitieux, de s’octroyer une charge pour laquelle ils n’ont pas reçu de

provision royale. En effet, la mort de Richelieu en 1642, celle de Louis XIII en 1643 et

l’organisation de la Régence du royaume, affaiblissent considérablement le pouvoir

souverain qui est la cible des critiques et des oppositions des princes et des nobles du

royaume. En 1648, la Fronde crée un tel climat d’hostilité contre la monarchie, que la

Cour est obligée de quitter Paris pour le château de Saint-Germain-en-Laye. Il faut

ensuite attendre le retour de Louis XIV à Paris en 1652 et la fin des conflits dans

l’ensemble du royaume l’année suivante, pour que s’applique une politique de plus en

plus ferme, en ce qui concerne la nomination des imprimeurs privilégiés du roi.

C’est notamment à la faveur de cette vacance du pouvoir, que Guillaume I Barbier tente,

à l’instar des Jullieron, de fonder une dynastie d’imprimeur du roi. Originaire de

Chalon-sur-Saône, il fait parti des imprimeurs étrangers au métier lyonnais , qui s’y sont

intégrés en rachetant, à la mort de leur maître, leur atelier d’imprimerie ou leur fonds de

librairie. Lorsqu’il meurt en 1665, c’est sa veuve, Geneviève Dupuis, qui reprend son

affaire de librairie place Confort120

. Elle est alors associée à François Barbier, le fils de

Guillaume II Barbier, qui est présenté dans le Répertoire d’imprimeurs-libraires, comme

un parent de Guillaume I, fils du relieur Jean Barbier121

. Guillaume II Barbier, avait lui

aussi reçu la charge d’imprimeur ordinaire du roi dans les années 1650. À partir de

1672, c’est son fils, François Barbier, qui la détient conjointement à Anthoine Jullieron,

l’un des deux fils de Jean Jullieron, qui l’a reçu en legs en 1651 (le deuxième fils de

Jean, Guichard II, obtient lui, la charge d’imprimeur ordinaire de la ville122

).

À la fin du XVIIe siècle et au début du XVIII

e siècle, la politique de restriction du

nombre de ses imprimeurs-libraires attitrés, menée par l’État absolutiste sous la

direction de son secrétaire d’État, Jean-Baptiste Colbert, touche les imprimeurs-libraires

lyonnais au même titre que les parisiens. En effet, suite à la mort d’Anthoine Jullieron

vers 1701123

, la charge semble échoir pour un temps à la demoiselle veuve Jullieron, qui

apparaît dans les registres des actes et délibérations consulaires en 1702, 1704 et

1705124

. Néanmoins, il semble que l’absence de descendance masculine ait mis fin à la

dynastie des Jullieron, lorsque la veuve d’Anthoine cessa d’exercer le métier. François

Barbier, installé au Chef Saint-Jean, est alors officiellement institutée par lettres

117 Op. cit., p. 3. 118 Op. cit., p. 44. 119 Ibid, p. 119. 120 Mireille CAPLAT, op. cit., p. 3 et 4. 121 Op. cit., p. 44. 122 Patrice BÉGHAIN, Bruno BENOIT, Gérard CORNELOUP, Bruno THÉVENON, Dictionnaire historique de Lyon, Lyon, Éd.

Stéphane Bachès, 2009, p. 273. 123 Ibid. 124 Cf. Annexe 2.

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patentes du 18 avril 1708125

, seul imprimeur ordinaire du roi de la ville de Lyon. Une

charge qu’il occupe exclusivement jusqu’à son décès en 1715126

. Dès lors, la charge a

acquise une autorité et une stabilité, et le pouvoir n’autorise plus sa détention conjointe

par plusieurs imprimeurs-libraires127

. Les conflits pour son obtention ne tardent alors pas

à émerger. Ainsi, lorsque l’imprimeur officiel de l’archevêque et du clergé, Pierre I

Valfray, se voit octroyer la charge d’imprimeur du roi l’année de la mort de son

prédécesseur, une véritable bataille juridique de deux ans débute avec la veuve de

François Barbier, Antoinette de la Faye. En effet, Pierre I Valfray, installé rue Mercière

« À la Couronne d’or », récuse à la veuve Barbier le droit d’imprimer les actes officiels

de la monarchie puisqu’il en détient seul la charge. Quant à la veuve Barbier, elle

revendique son droit de :

« joüir du Privilege qui est attaché à sa qualité de Veuve de seul Imprimeur [et]

Libraire de Sa Majesté »128

Jusqu’en 1717, Antoinette de la Faye continue à imprimer en utilisant le titre de « Veuve

de François Barbier, seul imprimeur du roi en la ville de Lyon », alors que Valfray fait

appel au Lieutenant général de police de la ville, pour qu’il dresse des contraventions à

la veuve. Valfray ne doute pas de ses droits sur la charge et se démet d’ailleurs de celle-

ci en faveur de son fils, Pierre II, le 12 janvier 1716, qui ne tarde pas à faire reconnaître

ses prérogatives. Il fait établir par le Conseil du roi, que François Barbier ne détenait pas

légitimement la charge d’imprimeur ordinaire du roi de la ville de Lyon, et donc que sa

veuve n’a aucun droit d’imprimer les actes officiels de la monarchie :

« mais elle ne doit pas pretendre de joüir du Privilege attaché à la Charge

d’imprimeur du Roy, d’autant plus qu’il est vray de dire que ledit défunt Barbier

ne l’avoit jamais été, puisqu’il ne s’étoit point fait recevoir au Parlement, [et]

n’avoit point presté serment, [et] qu’il s’étoit seulement contenté de faire

enregister ses Provisions au Greffe de la Police de Lyon, en sorte que par ces

défauts, n’ayant jamais été veritablement Imprimeur de Sa Majesté, sa Veuve est

mal fondée de vouloir joüir d’un Privilege qui n’est point transmissible, [et] dont il

n’auroit/ pas dû joüir luy-même. »129

Le 16 mars 1717, un acte du Conseil du roi est promulgué :

« Qui maintient, garde [et] conserve Pierre Valfray dans les fonctions de la Charge

de SEUL Imprimeur [et] Libraire de SA MAJESTE dans la Ville de Lyon,

conformément à ses Lettres de Provisions.»130

Il marque l’appropriation de la charge d’imprimeur ordinaire du roi par une nouvelle

dynastie d’imprimeurs-libraires, les Valfray, qui la conserve tout au long du XVIIIe

siècle. Ainsi, le 18 juin 1740, Pierre II la lègue à son tour, à son fils, Pierre III Valfray,

qui la conserve au moins officiellement, jusqu’en 1766. Ce dernier, doit par ailleurs,

faire face à un nouveau litige concernant la charge. En effet, le 17 septembre 1749,

Pierre III, qui se retire du métier pour jouir de sa condition de noble, héritée de son père,

sur ses terres de Salornay en Dombes, vend son fonds de librairie à un autre imprimeur -

libraire lyonnais de premier ordre, Aimé Delaroche131

. Déjà imprimeur ordinaire de la

125 Cf. Annexe 4. 126 Mireille CAPLAT, op. cit., p. 38. 127 Ibid, p. 7. 128 Cf. Annexe 4. 129 Ibid. 130 Ibid. 131 Cf. Annexe 6.

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La charge d’imprimeur ordinaire du roi

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ville et de plusieurs institutions lyonnaises132

, Delaroche reçoit par cette vente la

promesse de se voir aussi attribuer la charge d’imprimeur du roi . Mais la charge est

également convoitée par une autre grande famille d’imprimeurs-libraires lyonnais : les

Bruyset. Jean-Marie I Bruyset, proche des autorités locales et royales, est notamment

soutenu par Henri Bertin, directeur de la librairie royale à partir de 1760, et Joseph

d’Hémery, inspecteur de la librairie133

. C’est lui qui est d’ailleurs nommé par le pouvoir

en 1762, pour succéder à Valfray, malgré l’accord qui a été passé entre Pierre III

Valfray et Delaroche, quelques années plus tôt et qui est néanmoins, renouvelé devant

notaire, en 1766134

. S’en suit une nouvelle bataille juridique entre les deux familles

d’imprimeurs-libraires. Aimé Delaroche, sentant peut-être, que la faveur des autorités va

à Bruyset, propose même de détenir conjointement la charge avec celui -ci135

. Mais le

pouvoir royal refuse d’avoir deux imprimeurs ordinaires du roi dans la ville de Lyon, et

à la mort de Pierre III Valfray, en 1784, nomme définitivement et exclusivement le fils

de Jean-Marie I Bruyset, Jean-Marie II, seul imprimeur du roi de la ville de Lyon. Aimé

Delaroche doit se contenter du seul titre d’imprimeur du roi dans les Dombes, bien qu’il

semble cependant, qu’il utilise le qualificatif d’imprimeur du roi, pour les impressions

qu’il réalise à Lyon, avec son gendre, Jacques-Julien Vatar136

.

La Révolution, met ensuite fin à l’institution des imprimeurs ordinaires du roi à Paris

comme en province, en même temps qu’elle supprime le système des privilèges et les

communautés de métier137

. Les Bruyset restent cependant au premier plan de l’activité

d’imprimerie et de librairie lyonnaise, puisque Jean-Marie II est nommé en 1790,

imprimeur du département de Rhône-et-Loire138

. Le titre réapparaît de manière

succincte, pendant la Restauration (1814-1830), lors de laquelle l’imprimeur lyonnais

Matthieu-Placide Rusand, l’obtient le 20 février 1815139

. Par la suite, il disparaît

définitivement avec la proclamation de la deuxième République en 1848.

Avec le XVIIIe siècle, c’est donc la fin de la pluralité de l’acquisition de la charge qui

s’affirme. Elle devient définitivement personnelle et unique dans les villes de province.

Et les conflits que son obtention suscite dans la ville de Lyon sont révélateurs du

changement de politique du pouvoir royal vis-à-vis de ses imprimeurs-libraires

privilégiés. Cette nouvelle politique joue ainsi en faveur de quelques familles puissantes

qui monopolisent la charge d’imprimeur ordinaire du roi.

UN OFFICE ROYAL

Plus qu’une charge de ville créée à l’initiative des municipalités dans lesquelles les

imprimeurs du roi exercent leur métier, la charge d’imprimeur ordinaire du roi est

décernée par volonté royale, ce qui lui confère le statut d’office royal. En l’obtenant, son

détenteur devient un officier de la monarchie qui rempli une fonction publique de

premier ordre. Ce statut, la différencie nettement des autres charges de ville et lui

confère des prérogatives propres aux offices, qui éclairent ses logiques d’appropriation

et de transmission.

132 Nelly DUMONT, Aimé Delaroche : imprimeur lyonnais du XVIIIe siècle et la presse locale, 1982, Mémoire, Diplôme

supérieur de bibliothécaire, École nationale supérieure de bibliothécaires, p. 14. 133 Dominique VARRY, « Une famille de libraires lyonnais turbulents : les Bruyset », La lettre clandestine, n°11, 2002, p. 110. 134 Nelly DUMONT, op. cit., p. 17. 135 Ibid, p. 19. 136 Ibid, p. 18-19. 137 Jean-Dominique MELLOT, L’édition rouennaise et ses marchés…, op. cit., p. 696. 138 Marius AUDIN, op. cit. 139 Lila AÏT-HATRIT, Matthieu-Placide Rusand, imprimeur-libraire lyonnais (1768-1839), sous la direction de Dominique

Varry, 2009, Mémoire de master, Cultures de l’écrit et de l’image, École nationale supérieure des sciences de l’information e t

des bibliothèques, Université Lumière Lyon II, p. 26.

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Pérennité et inamovibilité de la charge

Le XVIIIe siècle, se caractérise notamment par les lourds problèmes financiers que

connaît la monarchie. En effet, à la mort de Louis XIV en 1715, les caisses du Trésor

royal sont vides, du fait principalement de la politique étrangère menée par le souverain,

qui a engendré des guerres incessantes contre l’Espagne tout au long de son règne.

L’accession de Louis XV au pouvoir, ne put d’ailleurs changer cet état de fait, et le

siècle fut rythmé par les variations du déficit constant de l’État. Pour tenter de le

résorber, le pouvoir royal ponctionne lourdement les villes de province. Et afin de faire

face à ses demandes soudaines toujours plus importantes, la ville de Lyon est obligée

d’emprunter auprès de la ville de Gênes, d’abord pour remplir les caisses du Trésor, puis

pour payer ses précédents emprunts140

. La municipalité lyonnaise entre ainsi dans un

engrenage duquel elle ne peut plus sortir et en 1677 la ville fait banqueroute. Tout au

long du XVIIIe, sa dette, dont la monarchie est en grande partie responsable, continue à

croître plus vite que les recettes qu’elle perçoit, et à la veille de la Révolution, la

situation est intenable141

.

Ce contexte financier très difficile, explique au moins en partie, le phénomène de

restriction des employés du Consulat lyonnais au XVIIIe siècle, que nous avons constaté

en ce qui concerne les imprimeurs ordinaires du roi de la ville. En effet, les imprimeurs-

libraires, comme les autres artisans qui comptent la municipalité parmi leur clientèle,

sont relativement coûteux pour les finances municipales, puisque l’exclusivité de leur

service induit souvent une augmentation des prix de la part de ces artisans, qui n’ont

plus à craindre la concurrence142

. La plupart des réformes menées par le Consulat, à

partir de la fin du XVIIe siècle et tout au long du XVIII

e siècle, portent d’ailleurs sur la

réduction des gages des officiers de ville pour la sauvegarde des finances de Lyon143

, ce

qui peut justifier l’arrêt du paiement systématique des 100 lt de gages par an, que

touchaient les imprimeurs du roi au XVIIe siècle, et qui sont ensuite remplacées par des

gratifications moins régulières. Les dettes contractées par le pouvoir royal et par les

pouvoirs locaux au XVIIIe siècle, à l’encontre des imprimeurs royaux, sont aussi

manifestent de leurs difficultés financières.

Plus encore, la réduction du nombre des imprimeurs du roi au service de la municipalité

lyonnaise, résulte de l’affirmation de la volonté de l’État monarchique, de mieux

contrôler et surveiller le monde de l’imprimerie et de la librairie en général, dans

l’ensemble du royaume de France. À Lyon, cette politique se matérialise notamment, à

travers les règlements de 1676 et 1696, qui fixent le nombre de maîtres et interdisent

toute nouvelle accession à la maîtrise144

. Un arrêt du Conseil du roi de 1704, délimite

ensuite leur nombre dans toutes les villes du royaume. Le XVIIIe siècle, voit d’ailleurs

la systématisation des enquêtes nationales, réalisées par des membres de

l’administration monarchique, afin de mieux contrôler les imprimeurs-libraires de

province, qui entretenaient des relations étroites avec l’étranger, surtout dans les villes

frontières comme Lyon, et qui imprimaient des contrefaçons ou des livres interdits145

.

En 1699, le Bureau de la librairie est ainsi créé pour s’occuper des contentieux et des

règlements de la librairie. Rapidement nommé à sa tête, l’abbé Bignon (1662 -1743),

140 Fabien ADLA, Les finances municipales de Lyon au XVIIIe siècle, sous la direction de Françoise Bayard, 1995, Mémoire de

maîtrise, Histoire moderne, Université Lumière Lyon II, p. 148. 141 Ibid, p. 152. 142 Jérôme ÉMANUEL, Le consulat employeur: la ville de Lyon et ses commis aux XVII e et XVIIIe siècles, sous la direction

d'Olivier Zeller, 2004, Mémoire de maîtrise, Histoire moderne, Université Lumière Lyon II, p. 41. 143 Ibid, p. 50. 144 Dominique VARRY, « Gens du livre à Lyon au XVIIIe siècle », dans Des archives et des chercheurs : enquêter sur le passé.

Des archives et des hommes, catalogue de l’exposition conçue pour l’ouverture du nouveau bâtiment des Archives municipales

de Lyon, Lyon, 2001, p. 61-63. 145 Frédéric BARBIER, Trois cents ans de librairie et d’imprimerie, Genève, Droz, 1979 (Histoire et civilisation du livre), p. 35.

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neveu et adjoint du chancellier Ponchartrain (1674-1747), et futur bibliothécaire du roi

(1718), effectue une enquête en 1701, qui tend à répertorier très précisément :

l’ensemble des imprimeurs, libraires, relieurs, de chaque juridiction du royaume et les

détails de leur carrière, le nombre de presses et de fontes qu’ils possèdent, les ouvrages

qu’ils ont imprimé l’année précédent l’enquête et ceux qu’ils détiennent dans leur

magasin, enfin, l’identité et le nombre exact de compagnons et d’apprentis qui

travaillent dans leurs ateliers146

. Dès lors, chaque imprimeurs-libraires et chaque recoin

de leur atelier ou de leur boutique, étaient connus des autorités et à partir de cette

enquête, le pouvoir imposa une réforme des métiers du livre dans l’ensemble du

royaume. Le nombre d’imprimeurs-libraires fut à nouveau limité, le système des

privilèges se généralisa à l’ensemble de la production imprimée (demander un privilège

n’était auparavant nécessaire que pour l’impression de nouvelles éditions), et le

fonctionnement de l’imprimerie provinciale dut s’aligner progressivement sur le modèle

parisien147

. En 1763, une autre enquête sur le commerce de la librairie et de

l’imprimerie, spécifiquement lyonnaise cette fois, compte tenu de l’omniprésence tout

au long du siècle, de l’impression d’éditions clandestines et contrefaites dans la ville148

,

est conduite sur les mêmes principes, par l’inspecteur de la librairie lyonnaise en

fonction depuis 1760, Claude Bourgelat (1712-1779). Son rapport, s’adresse directement

au lieutenant de police de Paris, Gabriel de Sartine (1729-1801) et présente douze

imprimeurs en activité à Lyon lors de sa rédaction, en indiquant clairement ceux qui

sont les plus dignes de la protection du directeur de la librairie, Henri Bertin149

. Enfin, la

dernière enquête effectuée au XVIIIe siècle, est un État général des imprimeurs du

Royaume, dressé en 1777150

. Cependant, malgré les progrès visibles de l’appareil

administratif monarchique et l’apparente rigidité de ses actions en matière de librairie et

d’’imprimerie, nous rejoindrons les propos de Jean-Dominique Mellot dans sa thèse,

L’édition rouennaise et ses marchés (vers 1600-vers 1730) : dynamisme provincial et

centralisme parisien151

, qui nous invitent à nuancer la reprise en main effective de la

librairie provinciale au XVIIIe siècle. La constance tout au long du siècle, de la

production d’ouvrages prohibés à Lyon par exemple, qui a été mise en lumière par

Dominique Varry dans plusieurs de ses articles, est bien significative du manque

d’efficacité de cette politique et de l’écart persistant entre les lois de principe et les

pratiques.

À ces raisons, à la fois financières et politiques, à la réduction du nombre d’imprimeurs-

libraires à Lyon dans le dernier quart du XVIIe siècle et au début du XVIII

e siècle, il faut

ajouter un dernier phénomène qui touche particulièrement l’imprimerie et la librairie

lyonnaise : la raréfaction des textes. En effet, du fait de l’application du système des

privilèges en faveur des imprimeurs-libraires parisiens qui monopolisent le marché, les

lyonnais ne peuvent imprimer que les ouvrages tombés dans le domaine public, c’est-à-

dire, qui ne sont plus sous la protection d’un privilège exclusif attribué à un imprimeur

ou à un libraire152

. La crise traversée par l’ensemble de la profession à Lyon, a entraîné

la chute de plusieurs commerces de librairie qui ont fait faillite.

Néanmoins, malgré ces difficultés et les bouleversements qu’elles entraînent, le statut

d’imprimeur du roi est marqué par une grande stabilité. En effet, bien que le nombre

146 Henri-Jean MARTIN, Livre, pouvoirs et société à Paris au XVIIe siècle (1598-1701)…, op. cit. p. 762. 147 Jean-Dominique MELLOT, op. cit., p. 466. 148 Dominique VARRY, « Le livre clandestin à Lyon au XVIIIe siècle », La lettre clandestine, n°6, 1997, p. 249. 149 Léon MOULÉ, « Rapport de Claude Bourgelat sur le commerce de la librairie et de l’imprimerie à Lyon en 1763 », Revue

d’histoire de Lyon, 13, 1914, p. 57. 150 Roger CHARTIER, « L’imprimerie en France à la fin de l’Ancien Régime : l’État général des imprimeurs de 1777 », Revue

française d'histoire du livre, n°6, 1973, p. 253-279. 151 Op. cit., p. 513. 152 Jacqueline ROUBERT, « La situation de l’imprimerie lyonnaise à la fin du XVIIe siècle », dans Cinq études lyonnaises, préf.

Henri-Jean Martin, Paris, Minard-Droz, 1966 (Histoire et civilisation du livre)

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d’imprimeurs-libraires qui détiennent conjointement la charge soit réduit, à tel point

qu’elle devient réellement individuelle à Lyon lors de la nomination de François Barbier

en 1708153

, celle-ci, à l’instar de la charge d’imprimeur ordinaire de la ville154

, ne fut

jamais supprimée depuis sa création présumée, à la fin du XVe siècle. Contrairement aux

autres charges de ville, la charge d’imprimeur du roi, se caractérise donc par sa

pérennité.

Avant la décennie 1670, aucune règle ne régit les principes d’attribution, de

rémunération et de présentation à la succession d’un héritier , pour les charges de ville.

Les autorités municipales en créent à leur guise ou à l’inverse, suppriment des charges

occupés ou congédient leur titulaire, sans être obligées de nommer un successeur, même

dans le cas d’un employé mort ou démissionnaire155

. Le phénomène de multiplication de

ce que Jérôme Emanuel qualifie dans son étude156

, d’emplois de prestige, au service du

Consulat, est d’ailleurs particulièrement important à Lyon. En effet, le corps de ville

tente, en créant des charges d’ostentation, telle que celles de jardinier ordinaire de la

ville, graveur ordinaire de la ville ou encore peintre ordinaire de la vill e, de pallier

symboliquement, sa perte de pouvoir et d’indépendance effectives157

. Car, selon la

formule de Maurice Garden, l’histoire du Consulat, se résume :

« en une lente, mais incessante sujétion au pouvoir royal. »158

Son indépendance est sans cesse limitée par la monarchie, qui augmente les prérogatives

du gouverneur de la province, toujours choisit parmi les membres de la puissante famille

Villeroy159

. Par la création de ces charges, le Consulat veut donc montrer à la population

et au pouvoir souverain, qu’il peut encore s’offrir le luxe d’avoir à son service , des

artisans attitrés. Néanmoins, à l’image de la charge de graveur ordinaire de la ville par

exemple, ces charges sont bien souvent éphémères. En effet, deux ans seulement après la

création de la charge par la ville en 1654, un arrêté consulaire stipule qu’à la mort de

son détenteur, le graveur lyonnais Mimerel, la charge ne sera pas reconduite. Le

Consulat la fait ainsi disparaître, même s’il fait toujours régulièrement appel par la suite,

à plusieurs graveurs160

. La permanence des charges d’imprimeur du roi et de la ville fait

donc exception, en particulier dans le dernier quart du XVIIe siècle et au début du

XVIIIe siècle, où des réformes sont entreprises par les autorités pour réduire les

dépenses publiques, afin de répondre aux nouvelles exigences fiscales de la monarchie

et de financer la guerre de succession d’Espagne (1701-1714). Dès lors, plusieurs

hypothèses peuvent être formulées pour expliquer la seule réduction du nombre des

imprimeurs-libraires officiels de la ville de Lyon et non la suppression pure et simple

des charges qui leur sont attribuées.

La première, s’appuie sur la corrélation de plusieurs phénomènes distincts. D’abord,

l’expansion démographique sans précédent de la ville de Lyon durant cette période, qui

abrite, avec ses faubourgs, une population qui avoisine les cent dix mille habitants au

début du XVIIIe siècle, alors qu’elle n’en comptait que soixante quinze mille en tre 1650

et 1660161

. Cet accroissement de la population, ajouté aux progrès de l’alphabétisation, à

l’amélioration des voies de circulation et à une meilleure organisation des structures de

communication, tels que les réseaux postaux, induit une augmentation du nombre de

153 Mireille CAPLAT, op. cit., p. 7. 154 Charlène BEZIAT, Le Consulat, l’imprimeur et le libraire…, op. cit., p. 35. 155 Ibid, p. 137. 156 Op. cit., p. 41. 157 Ibid, p. 31. 158 Maurice GARDEN, Lyon et les lyonnais au XVIIIe siècle, Paris, Les Belles-lettres, 1970, rééd. Paris, Flammarion, 1975

(Science), p. 282. 159 Fabien ADLA, op. cit., p. 10. 160 Jérôme ÉMANUEL, op. cit., p. 41. 161 Maurice GARDEN, op. cit., p. 15.

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lecteurs potentiels. Ensuite, la mise en place de l’administration royale, qui tend à

renforcer son contrôle sur ses territoires, nécessite un échange permanent des

informations entre le pouvoir central parisien et ses représentants dans les provinces.

Enfin, le constat du recours de plus en plus généralisé à l’écrit , crée de nouveaux

besoins en matière d’imprimé, qui sont le reflet d’un bouleversement profond des usages

et des mentalités. Ainsi, ces trois facteurs combinés, indiquent la nécessité pour les

pouvoirs d’user de plus en plus systématiquement de l’imprimé et donc d’avoir recours

aux services réguliers, dans tout le royaume, d’imprimeurs-libraires pour les réaliser.

Une nécessité qui peut expliquer, au moins en partie, le maintien indéfectible des

charges d’imprimeur du roi et de la ville, à Lyon, tout au long de l’Ancien Régime.

L’étude que nous avons réalisée l’an dernier, de quatre mémoires des travaux

d’impressions de quatre imprimeurs ordinaires de la ville, relevés en tre 1652 et 1751, a

d’ailleurs montré que Lyon connaissait une croissance exponentielle du nombre

d’imprimés de ville durant cette période, puisque leur nombre y est multiplié par seize

en à peine trente ans, de 1702 à 1732162

.

La seconde hypothèse que nous formulons, pour tenter de comprendre la permanence de

cette charge, est liée à la nature même de celle-ci. En effet, la charge publique

d’imprimeur ordinaire du roi n’est pas une charge de ville, dans le sens où elle n’est pas

créée par une cité et où elle n’est pas attribuée par l’octroi d’une simple provision. Il

s’agit d’une charge royale, accordée par lettres patentes, qui élève son détenteur au rang

d’officier de la monarchie. À ce titre, elle fait partie des offices royaux, c’est-à-dire

qu’elle est une fonction publique décernée par le souverain et enregistrée par les cours

souveraines, dont le statut est réglé au moment de sa création par la proclamation d’une

ordonnance, laquelle précise les pouvoirs de l’officier, ses droits et ses prérogatives (ce

qui explique pourquoi les lettres patentes ne contiennent pas ces informations)163

.

L’autorité de l’office repose sur la loi générale énoncée par l’ordonnance, qui rend sa

fonction permanente. Seul son titulaire change, l’office, lui, subsiste , et doit être occupé

dès qu’il est vacant selon le principe d’inamovibilité164

. Trois cas seulement justifient

qu’un office soit inoccupé : la mort du précédent officier, sa démission ou une faute

grave qu’il aurait commise dans l’exercice de sa fonction. Achevé de se constituer au

XVIe siècle, et marqué par une grande stabilité, le statut des offices a néanmoins

continué à se développer en liaison avec l’affirmation de l’État et de sa structure

administrative. Il s’oppose à celui des commissaires, également nommés par le roi , mais

qui sont révocables à son gré165

. L’inamovibilité de la charge n’était donc pas un état de

fait, elle s’est affirmée tout au long des siècles, comme une conséquence de la tendance

naturelle des officiers à se maintenir dans leur fonction aussi longtemps que possible.

Soutenu par les parlements et les cours souveraines, qui encouragent la permanence des

officiers dans leur charge, c’est Louis XI qui consacra ce statut dans une ordonnance de

1467166

. Ainsi, même si le Consulat lyonnais est confronté à une grave crise financière,

il n’a pas le pouvoir de supprimer à sa guise, comme il le fait avec plusieurs autres

charges de ville, la charge d’imprimeur ordinaire du roi, ce qui explique sa pérennité

tout au long de l’Ancien Régime.

Par ailleurs, Jérôme Émanuel met en avant dans son étude, l’importance du processus de

nomination des employés attitrés des pouvoirs, pour comprendre les rapports

qu’entretiennent ces derniers avec les autorités locales167

. En effet, les relations du

162 Charlène BEZIAT, op. cit., p. 48. 163 Albert RIGAUDIÈRE, Introduction historique à l’étude du droit et des institutions, Paris, Economica, 2005 (Corpus), p. 530-531. 164 Ibid. 165 Ibid, p. 535. 166 Ibid, p. 531. 167 Op. cit., p. 65.

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Consulat lyonnais avec ses employés sont, par exemple, très différentes s’il s’agit

d’artisans nommés par lui à son service, ou bien nommés par le gouverneur, représentant

du roi dans la province, ou encore nommés directement par le souverain, comme c’est le

cas des imprimeurs du roi. Ces derniers, bénéficient ainsi d’une plus large autonomie

que les imprimeurs ordinaires de la ville de Lyon, qui sont dépendants du bon vouloir de

la municipalité. L’on peut supposer, que la faiblesse politique du Consulat lyonnais se

reflétait jusque dans ses rapports avec les employés officiels de la monarchie168

. Leur

indépendance était également renforcée par le caractère patrimonial des offices royaux

qui s’affirme de plus en plus dans le dernier siècle de l’Ancien Régime169

.

Un bien commercial et patrimonial

L’inamovibilité des offices royaux, et plus particulièrement de la charge d’imprimeur

du roi, a eu deux principales conséquences à travers les siècles. D’abord, l’élévation de

cet office en une propriété privée par leurs détenteurs, qui peuvent donc en disposer

comme ils le souhaitent. Puis, suite à cette appropriation, l’entrée de l’office dans le

patrimoine de la famille de ceux qui le détiennent.

Le principal marqueur de la détention d’un office à titre de bien privé, est la vénalité qui

le caractérise à partir du XIVe siècle

170. Née de la transgression du droit canonique, qui

prévoyait la résignation gratuite d’un bénéfice ecclésiastique du vivant d’un clerc, à un

autre clerc, la vénalité des offices royaux s’imposa dans le royaume de France, en trois

étapes successives. D’abord, il s’est agit d’une vénalité occulte, pour reprendre le terme

employé par Albert Rigaudière171

. C’est-à-dire, qu’elle était interdite par la monarchie,

mais qu’elle était tout de même pratiquée, surtout quand la résignation de la charge d’un

officier n’était pas destinée à un parent proche mais à un tiers. Cette pratique pris de

l’ampleur au XVe siècle, lorsque l’usage imposa qu’un officier devait désigner un

successeur de son vivant et le présenter au roi afin qu’il le nomme officiellement.

Charles VII (1403-1461) puis Louis XI (1423-1483), tentèrent de l’enrayer sans pour

autant y parvenir. Par la suite, puisque la vente des offices lui était imposée, le pouvoir

souverain décida de tirer partie de cet état de fait. Au XVIe siècle, ce dernier est

confronté à d’énormes problèmes financiers qui le poussent à organiser la vénalité des

offices à son profit : il vend les offices qui n’ont pas été résigné à la mort de leur

détenteur, aux intéressés172

. Le produit de ces ventes constitue alors des ressources assez

irrégulières. Afin de régulariser ses profits, la monarchie met en place, lors de la

réorganisation centrale des finances du royaume par François Ier

en 1552, une gestion

plus étroite des ventes d’offices. Celles-ci se multiplient alors et constituent un moyen

facile pour faire face aux besoins du Trésor royal. Néanmoins, les résignations du vivant

des officiers à un tiers étaient encore illégales, et ce n’est que sous la pression que la

monarchie accepta de rendre cette pratique légale en contrepartie de quoi, les officiers

devaient verser une taxe au Trésor royal lors de la résignation, d’un montant du quart de

la valeur de l’office. La vénalité des offices devint, par cette décision, légale173

.

Tout au long des XVIIe et XVIII

e siècle, il est difficile de savoir si la charge

d’imprimeur ordinaire du roi était ou non vénale, car si son caractère mercantile

n’apparaît pas dans les textes, il semble que ce soit un état de fait avéré. En effet, ces

pratiques ayant valeur de coutume ou au moins, d’entente tacite entre le détenteur de

168 Ibid, p. 217. 169 Albert RIGAUDIÈRE, op. cit., p. 535. 170 Ibid, p. 531. 171 Ibid, p. 532. 172 Ibid. 173 Ibid, p. 533.

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La charge d’imprimeur ordinaire du roi

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l’office et son successeur, elles n’avaient aucun besoin d’être mises par écrit174

. À la fin

du XVIIe siècle, le Consulat lyonnais entreprit d’ailleurs des mesures pour tenter

d’empêcher l’appropriation des charges par la haute bourgeoisie, en réaffirmant leur

gratuité. La recherche de plus en plus accrue des offices, avait ainsi multiplié leur prix

par cinq entre 1550 et 1630, ce qui restreignait leur accès à une catégorie aisée de la

population lyonnaise. Le corps de ville, tenta de faire prêter serment publiquement et

solennellement à ses employés et mis en place des mesures répressives en cas

d’infraction tel que la destitution et le payement d’amendes, sans grand succès. Ces

mesures furent ensuite répétées au XVIIIe siècle, ce qui indique une persistance des

pratiques de vénalité, permise par le manque de force juridique des actes consulaires175

.

La ville n’avait ni l’autorité ni les moyens financiers nécessaires pour imposer un tel

changement sans le soutien de la monarchie, pour qui la vente des offices représentait au

XVIIe siècle, 5% à 10% de ses ressources globales

176.

De plus, à la possibilité de vendre les offices, s’ajoute un autre avantage au fait de

posséder une charge royale : celle de la transmettre à ses héritiers177

. En effet, compte

tenu de leur vénalité, les charges sont considérées comme un investissement qui est

l’objet de véritables stratégies de conservation au sein d’une même famille. C’est le roi

Charles IX (1550-1574) qui, lorsqu’il fit face, comme ses prédécesseurs, à de graves

problèmes financiers, permit la délivrance de lettres de survivance à certains officiers,

en contrepartie du payement d’un tiers de la valeur de la charge au Trésor royal. Il mit

ainsi fin à la règle des quarante jours, qui n’autorisait la résignation du vivant du

détenteur d’un office, que dans un délai minimum de quarante jours avant sa mort,

lequel, en cas de mort inopinée du détenteur, revenait systématiquement à la

monarchie178

. Grâce à ces lettres, les héritiers des officiers pouvaient donc disposer de la

charge au même titre que leurs aïeux. L’office lui, devint héréditaire, puisqu’il était

transmis pour cause de mort. En 1604, Henri IV (1553-1610), allégea la taxe pour

l’obtention des lettres de survivance afin d’inciter les officiers réticents à y avoir

davantage recours. Une nouvelle taxe fut créée, la paulette, qui consacra l’office en tant

que bien commercial, dont les officiers étaient propriétaires. L’office faisait désormais

partie de leur patrimoine familial179

.

À ce titre, maintenir la charge au sein de la structure familiale, même élargie , était

primordial et les logiques de sa transmission furent établies en fonction des solidarités

familiales. Dans le corps des imprimeurs du roi lyonnais, de même que pour la majorité

des officiers, le détenteur de la charge nomme le plus souvent son fils aîné pour lui

succéder, ou un membre de sa famille proche : un frère ou un neveu. Les familles

Valfray et Bruyset au XVIIIe siècle, présentent ainsi systématiquement à la succession

au titre d’imprimeur du roi de la ville de Lyon, leur fils aîné. Les Jullieron au XVIIe

siècle, sont eux, obligés de faire face au décès prématuré et sans héritiers, de Nicolas

Jullieron en 1628, qui est imprimeur du roi en charge. Celle-ci revient alors à son frère,

Jean Jullieron, afin de ne pas perdre le titre et les bénéfices qu’elle procure à la famille.

À sa mort en 1651, elle incombe ensuite à son fils, Anthoine180

. Dans le cas d’une

famille démantelée, un parent par alliance peut aussi être désigné comme successeur.

L’association de Geneviève Dupuis, la veuve de l’imprimeur du roi Guillaume I Barbier,

avec François Barbier, qui serait le fils d’un des parents des Barbier, est un autre

exemple, tout à fait significatif de la volonté de conservation de la charge dans une

174 Jérôme ÉMANUEL, op. cit., p. 141. 175 Ibid. 176 Albert RIGAUDIÈRE, op. cit., p. 534. 177 Ibid, p. 533. 178 Ibid. 179 Ibid, p. 534. 180 Marius AUDIN, L'imprimeur du roi…, op. cit.

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BEZIAT Charlène | Diplôme national de master | Mémoire de recherche | septembre 2011 - 36 - Droits d’auteur réservés.

même famille181

. Enfin, si l’héritier est encore mineur lors de la passation de la charge,

c’est la veuve du détenteur de l’office qui exerce la fonction qui y est attachée, jusqu’à

ce qu’il soit en âge d’accéder au métier182

. À Lyon, quatre veuves ont continué à

imprimer sous le titre d’imprimeur du roi, à la suite de leurs maris : la veuve de Jean-

Aimé Candy, Clemence Candy, la veuve de Guillaume I Barbier, Geneviève Dupuis, la

veuve d’Anthoine Jullieron et la veuve de François Barbier , Antoinette de la Faye. Dans

ces quatre cas, il semble que ce soit plus l’absence d’héritiers que le tutorat d’un fils

mineur, qui explique leur reprise de l’affaire d’imprimerie et de librairie de leurs maris.

Rappelons qu’il ne s’agit pas là, d’un phénomène récent ni exclusivement français, et

que déjà au XVIe siècle, les veuves étaient amenées à participer activement au métier

183.

La veuve est d’ailleurs la seule figure féminine à pouvoir y prendre part, puisque

l’apprentissage et la maîtrise sont fermés aux femmes tout au long de l’Ancien Régime.

Leur rôle au sein de l’atelier ou de la boutique reste cependant assez flou et nous

rejoindrons les hypothèses avancées par Sabine Juratic184

, qui indique que les femmes

d’imprimeur-libraire, souvent également filles d’imprimeurs-libraires, acquéraient des

connaissances techniques tout au long de leur vie, et qu’une fois mariées, elles tenaient

souvent boutique. Cependant, comme le montre la décision prise par le Conseil du roi

dans l’affaire qui oppose la veuve de François Barbier, à la famille Valfray, l’absence

d’héritiers mâles pour reprendre la charge, entraîne son attribution à une autre famille

d’imprimeurs-libraires :

« LA REPONSE dudit Valfray, à la Replique de lad[ite] Veuve Barbier, contenant

que cette Veuve ne se fonde que sur des faits supposés, puisque le Privilege des

Veuves, tant de Lyon que de Paris, ne consiste suivant les Reglemens, que dans la

faculté de continuer le commerce d’Imprimerie [et] de Librairie, [et] que le

Privilege d’Imprimeur du Roy est personnel, qu’elle est si convaincuë de cette

verité, qu’elle se réduit à demander qu’il luy soit permis d’imprimer les Edits,

Declarations [et] Arrests du Conseil seulement aprés qu’ils auront paru : Mais

outre que cette faculté seroit directement contre la volonté de Sa Majesté

clairement expliquée dans les Provisions du Suppliant, elle seroit encore

préjudiciable à son service [et] à l’interest du public, comme il est prouvé par les

Edits [et] Déclarations des Rois predecesseurs de Sa Majesté, [et] il n’y a que la

Veuve Barbier qui se soit avisé de vouloir se conserver les droits [et] prerogatives

d’une Charge qui se perd par le decés de celuy qui en étoit revétu. Il est même

constant que la Veuve Jullieron a cessé de faire imprimer aprés le decés de son

mary, ainsi la Veuve Barbier n’a point dû avancer qu’elle en seroit la preuve ; mais

quand cela seroit il n’y avoit personne qui eût été en droit de l’en empêcher, parce

qu’il n’y avoit alors aucun Imprimeur du Roy à Lyon, ledit Barbier n’ayant été

pourvû comme il est expliqué dans ses Provisions, que plusieurs années aprés le

decés de Jullieron. »185

Les lignées des Jullieron et des Barbier ont ensuite disparu du monde de l’imprimerie et

de la librairie lyonnaise, durant le premier quart du XVIIIe siècle.

Par ailleurs, la sauvegarde du patrimoine familial est d’autant plus essentielle pour ces

imprimeurs-libraires que, comme l’indique Jean-Marc Chatelain :

181 Jean-Dominique MELLOT (éd.), Élisabeth QUEVAL (éd.), Antoine MONAQUE (collab.), Répertoire d’imprimeurs-

libraires…, op. cit., p. 44. 182 Jérôme ÉMANUEL, Le consulat employeur…, op. cit., p. 103. 183 Sabine JURATIC, « Les femmes dans la librairie parisienne au XVIIIe siècle », dans L’europe et le livre : réseaux et pratiques

du négoce de librairie XVIe-XIXe siècles, postf. de Roger Chartier, [Paris], Klincksieck, 1996 (Cahiers d'histoire du livre), p. 248. 184 Ibid, p. 265. 185 Cf. Annexe 4.

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La charge d’imprimeur ordinaire du roi

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« L’importance du fait familial dans le monde du livre , est en France, une donnée

invariante du XVIe au XIX

e siècle. »

186

La communauté familiale constitue la cellule de base du commerce d’imprimerie et de

librairie au XVIIIe siècle, ce qui fait de l’appropriation et de la conservation de la charge

d’imprimeur du roi un enjeu financier, familial et social, de premier ordre.

Le premier constat que nous pouvons formuler au sujet de la charge d’imprimeur du

roi est commun à tout acte promulgué par les autorités quelque soit la période historique

étudiée, à savoir qu’il y a un écart de principe entre les lois écrites, ici matérialisées par

les lettres patentes, et les pratiques, qui régissent, pour le cas qui nous intéresse, la

nomination et les prérogatives dont usent les imprimeurs-libraires du roi, à Paris comme

en province. En effet, contrairement à ce qu’affirment les textes, la charge est occupée

conjointement par plusieurs imprimeurs-libraires en province, jusqu’au début du XVIIIe

siècle. Elle se vend, s’achète et se lègue selon des usages anciens, souvent devenus

légitimes.

Le second constat, est celui d’une permanence puisque, de sa création à la fin du XVe

siècle, à sa première suppression, à la Révolution, la charge à toujours été maintenue par

les autorités et a toujours été occupée à Lyon, comme dans la capitale. Il est alors

intéressant de constater que cet état de fait n’est pas dû seulement, à la volonté du

pouvoir en place, mais bien à une appropriation de la charge par les familles

d’imprimeurs-libraires qui la détiennent. Elle est un véritable enjeu pour ces artisans du

livre, surtout pour des imprimeurs-libraires qui cherchent à s’établir dans le métier et à

gagner une visibilité publique, comme c’est le cas, à Lyon, de la famille Barbier,

originaire de Chalon-sur-Saône et de la famille Valfray, dont les racines sont

savoyardes187

. L’apport de prestige que l’obtention de la charge apporte, ainsi que les

revenus qu’elle génère et la sécurité qu’elle procure aux lignées d’imprimeurs-libraires

qui se la transmettent, dans un contexte économique difficile, surtout pour l’imprimerie

et la librairie provinciales, sont autant de raisons qui expliquent qu’elle soit ardemment

convoitée. Pour Georges Lepreux188

, l’accession d’un imprimeur-libraire à cette charge

est d’ailleurs, soit le triomphe du talent soit le triomphe de l’intrigue . Et nous ajouterons

qu’elle est en tout cas, l’expression de la proximité qu’entretiennent certains

imprimeurs-libraires avec les pouvoirs locaux et surtout avec la monarchie, puisqu’ils

participent consciemment ou non, à sa politique centralisatrice et au développement de

son administration. Enfin, lorsqu’il est en charge, l’imprimeur-libraire qui la détient

réalise une ascension sociale significative, qui permet souvent à ses héritiers, si les aléas

de la vie et le contexte financier le permettent, de se hisser en quelques générations, vers

le sommet de l’échelle sociale189

.

Dans le monde du livre lyonnais, la famille Valfray, dynastie d’imprimeurs ordinaires

du roi du XVIIIe siècle, s’illustre particulièrement par son ascension sociale rapide et,

pour reprendre les termes de Simone Legay, par son « étonnante réussite »190

. Nous nous

proposons à présent de centrer notre propos sur les imprimeurs du roi lyonnais dans le

dernier siècle de l’Ancien Régime, sur cette famille singulière, qui monopolise la charge

à partir de 1715, lorsque l’obtient Pierre I Valfray, jusqu’en 1784, date du décès de son

petit-fils, Pierre III, qui a cependant cessé d’exercer le métier depuis plusieurs années .

186 Jean-Marc CHATELAIN, « Famille et librairie dans la France du XVIIIe siècle », dans L’europe et le livre : réseaux et

pratiques du négoce de librairie XVIe-XIXe siècles, postf. de Roger Chartier, [Paris], Klincksieck, 1996 (Cahiers d'histoire du

livre), p. 227. 187 Simone LEGAY, Un milieu socio-professionnel: les libraires lyonnais au XVIIe siècle, 1995, Thèse, Histoire moderne,

Université Lumière Lyon II, p. 112. 188 Op. cit., p. 32. 189 Albert RIGAUDIÈRE, op. cit., p. 535. 190 Op. cit., p. 305.

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La dynastie des Valfray

Tenter de saisir les particularités du destin de la famille Valfray dans le paysage de la

librairie et de l’imprimerie lyonnaises au XVIIIe siècle nous a d’abord confronté à une

absence. En effet, il est peu fait mention des Valfray dans les mémoires, les thèses et les

divers travaux de recherche sur les imprimeurs-libraires lyonnais du XVIIIe siècle, alors

que ceux-ci ont eu une visibilité publique importante due d’une part, à l’occupation de la

charge d’imprimeur du roi à Lyon pendant tout le dernier siècle de l’Ancien Régime, et

d’autre part, du fait de leur accession à la noblesse en 1743, lorsque Pierre II Valfray ,

devient échevin. Nous nous proposons à présent de lever le voile sur le parcours de cette

famille qui se distingue dans le monde du livre lyonnais, par son destin remarquable.

UN DESTIN EXCEPTIONNEL POUR LE MÉTIER

L’étude de Simone Legay sur les libraires lyonnais du XVIIe siècle

191, a montré

l’extinction progressive à la fin du siècle, des vieilles dynasties lyonnaises

d’imprimeurs-libraires telle que les Jullieron, les Cardon ou encore les Anisson. Ces

derniers, qui devaient l’essentiel de leur prestige à leur héritage familial, sont remplacés

par des hommes nouveaux, qui deviennent les fondateurs des puissantes lignées

d’imprimeurs-libraires du XVIIIe siècle : Delaroche, Périsse, Deville, Duplain, Bruyset

et Valfray. Avec l’ascension de ces familles, c’est le portrait d’artisans qui doivent leur

réussite à leurs stratégies familiales et professionnelles qui se dessine. Parmi celles-ci, la

dynastie des Valfray se caractérise par une réussite rapide et complète.

Un siècle d’ascension sociale : 1643-1743

Guillaume Valfray, le fondateur de la lignée lyonnaise

La communauté des imprimeurs-libraires lyonnais constitue tout au long des XVIIe et

XVIIIe siècles, un groupe socio-professionnel d’artisans relativement peu nombreux :

vingt-neuf imprimeurs et douze libraires, selon le rapport de l’abbé Bignon en 1701192

.

En comparaison, d’autres communautés telles que les tailleurs d’habits par exemple,

comptent au début du XVIIIe

près de six cent membres193

. Elle comprend deux types

d’imprimeurs-libraires qui se définissent par leurs origines géographiques et sociales :

ceux issus des familles du métier lyonnais, un type qui tend peu à peu à disparaître. Et

ceux issus du vaste mouvement migratoire qui touche la ville de Lyon tout au long des

deux derniers siècles de l’Ancien Régime194

. Maurice Garden précise d’ailleurs dans son

étude que, bien que la ville ne soit pas une capitale politique et qu’elle ne possède pas de

Parlement, elle concentre 25% de la « force vive » de la province du Lyonnais, ce qui

accroît considérablement son influence et son attraction195

. Sur les soixante-cinq

libraires recensés par Simone Legay, encore actifs au début du XVIIIe siècle, treize sont

natifs des provinces lyonnaises ou d’autres régions du royaume de France, comme

Guillaume Barbier qui est originaire de Châlon-sur-Saône. Mireille Caplat indique

191 Simone LEGAY, Un milieu socio-professionnel: les libraires lyonnais au XVIIe siècle, 1995, Thèse, Histoire moderne,

Université Lumière Lyon II, p.128. 192 Jacqueline ROUBERT, « La situation de l’imprimerie lyonnaise à la fin du XVIIe siècle », dans Cinq études lyonnaises, préf.

Henri-Jean Martin, Paris, Minard-Droz, 1966 (Histoire et civilisation du livre) p. 96. 193 Ibid, p. 107. 194 Maurice GARDEN, Lyon et les lyonnais au XVIIIe siècle, Paris, Les Belles-lettres, 1970, rééd. Paris, Flammarion, 1975

(Science), p. 86. 195 Ibid, p. 87.

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La dynastie des Valfray

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d’ailleurs, dans son mémoire, qu’il n’est devenu officiellement habitant de Lyon, qu’en

1645, lors de la réception de sa lettre de naturalité délivrée par le Consulat196

. Cinq

autres libraires sont d’origines étrangères197

. Parmi eux, Guillaume Valfray, le père de

Pierre I, savoyard d’Annecy198

, pour lequel Legay indique qu’il est installé à Lyon en

1643. Elle distingue ensuite ceux qui sont issus de familles d’imprimeurs-libraires de

ceux dont les origines sociales sont complètement étrangères aux métiers du livre199

.

Près d’une dizaine des imprimeurs-libraires recensés sont soit issus d’autres corps de

métiers artisanaux : un aïeul d’Aimé Delaroche était chandelier, le libraire-relieur

Benoît Coral descend d’un chapelier, d’autres encore descendent de cartier ou de

boulanger, soit issus de la petite noblesse de robe : notaire, procureur en cours. Les

familles Deville et Valfray descendent, elles, de chirurgiens. Marius Audin précise

d’ailleurs dans sa Somme typographique, que c’est le père de Guillaume, Antoine

Valfray, qui aurait été chirurgien à Annecy200

.

Suite à ce premier tour d’horizon des origines géographiques et sociales des principales

grandes familles d’imprimeurs-libraires du XVIIIe siècle, deux constats s’imposent.

Tout d’abord, celui de l’existence d’un mouvement d’ouverture du métier lyonnais, qui

existait avant les règlements restrictifs des années 1670-1680, et qui a permis à de

nouvelles familles d’imprimeurs-libraires de s’introduire dans la Communauté. Ensuite,

on remarque que parmi les trois grandes dynasties d’imprimeur du roi qui se succèdent à

Lyon au tout début du XVIIIe siècle, à savoir les Jullieron, les Barbier et les Valfray,

deux d’entre elles ont été fondées dans les années 1640 ce qui témoigne à la fois de leur

intégration rapide dans la communauté lyonnaise et surtout de leur volonté d’accéder à

des distinctions en entretenant des relations étroites, d’abord avec le pouvoir consulaire,

puis, par l’achat d’offices royaux, avec le pouvoir souverain. Dès lors, l’obtention de la

charge d’imprimeur du roi est-elle pour ces imprimeurs une fin en soi ou au contraire,

n’est-elle qu’un moyen vers des fins plus élevées encore ? Nous verrons que la réponse à

cette question est essentiellement liée aux trajectoires collectives qu’ont choisi de s uivre

au XVIIIe siècle, certaines familles d’imprimeurs-libraires lyonnais.

Plus encore, l’appréhension des origines de certaines dynasties d’imprimeurs -libraires,

soulève plusieurs questions. En premier lieu, pourquoi des hommes tel que Guillaume

Valfray ont-ils choisi de quitter leur pays natal pour venir s’installer à Lyon ? Et ensuite,

pourquoi ont-ils décidé d’exercer un autre métier que celui de leur père ? En l’absence

de pièces d’archives qui indiqueraient les véritables raisons qui ont entraîné ces choix

individuels, nous nous bornerons à énoncer ici quelques hypothèses qui pourraient

éclairer une tendance générale. Rappelons tout d’abord la persistance du phénomène

migratoire qui transforme les campagnes, selon la formule de Maurice Garden, en :

« un réservoir permanent où la ville puise avec des besoins grandissants . »201

Ainsi, outre l’attraction naturelle qu’exerce la ville de Lyon sur la population rurale en

quête de travail, les pouvoirs urbains favorisent cette immigration en envoyant des

racoleurs officiels dans les provinces voisines et jusque dans les pays étrangers pour

vanter les mérites et les avantages de la vie au sein de la cité lyonnaise202

. Un discours

qui ne devait pas toucher que les pauvres travailleurs journaliers mais aussi les artisans

196 Mireille CAPLAT, Deux libraires lyonnais au temps de Louis XIV : Guillaume et François Barbier, 1985, Mémoire de

maîtrise, Histoire moderne, École nationale supérieure de bibliothécaires, p. 3. 197 Op. cit., p. 109. 198 Les États de Savoie qui regroupent plusieurs provinces, constituent alors des États indépendants qui ne furent réunis

brièvement à la France qu’en 1792 jusqu’en 1815, puis définitivement en 1860, par la signature du traité de Turin. 199 Ibid, p. 115. 200 Marius AUDIN, Somme typographique : l’imprimerie à Lyon aux XVIIIe et XIXe siècles, Volume 6. VI-III (P-W), Lyon, Musée

de l’imprimerie et de la banque de Lyon, Institut d’histoire du livre, 2007 (non paginé). 201 Op. cit., p. 118. 202 Ibid, p. 89.

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désireux d’investir dans une affaire prospère. Ainsi, au moins mille personnes par an

arrivent à Lyon jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, avec le désir d’y exercer un métier

permanent, toutes communautés confondues, et avec l’intention de s’y fixer

durablement203

.

En ce qui concerne le choix du métier d’imprimeur-libraire, il peut être guidé par

diverses raisons. Guillaume Valfray était peut-être le fils cadet d’Antoine, et son ainé

ayant repris le métier de son père, comme l’impose souvent le poids de la tradition, il ne

lui restait plus qu’à s’établir par ses propres moyens dans un autre métier. Le choix

d’exercer le commerce de la librairie et de l’imprimerie à Lyon a alors pu paraître

intéressant compte tenu du prestige acquit par le métier au XVIe siècle, et des

possibilités de progression qu’il permet, au sein de la hiérarchie des métiers si le jeune

homme parvient à la maîtrise204

. Il est également possible que Guillaume ou son père

aient eu des relations dans le commerce de la librairie ou de l’imprimerie lyonnaise. Un

parent, une connaissance, peut-être même un descendant d’émigrés savoyards du siècle

précédent avec qui ils auraient gardé contact et qui les aurait introduits dans le métier au

XVIIe siècle

205. L’intermédiaire d’un religieux, via les solidarités de paroisses natives,

est aussi une possibilité pour que l’accueil du nouvel arrivant soit facilité. De tout cela,

nous n’avons néanmoins pu trouver aucune preuve. En revanche, pour les fils

d’imprimeurs-libraires extérieurs au métier lyonnais, ce sont, pour la majorité, les liens

de parentèle et de sociabilité qui les mènent vers Lyon, afin soit d’entrer en

apprentissage chez un maître de la ville, soit de se perfectionner dans l’exercice de la

profession206

.

Du reste, il est difficile de savoir, si cette décision constitue ou non une ascension

sociale pour les Valfray. En effet, Marius Audin indique sans plus de détails qu’Antoine

Valfray était chirurgien207

. Or, sous l’Ancien Régime, les chirurgiens sont confondus

avec les barbiers-chirurgiens lesquels font partie du même corps de métier. L’article

consacré à cette profession dans le Dictionnaire de Trévoux208

, indique que les

chirurgiens au sens où nous l’entendons, sont dits de « robe longue », c’est-à-dire qu’ils

pratiquaient certaines opérations chirurgicales, subissaient un apprentissage, savaient

lire et pouvaient accéder à la maîtrise alors que les barbiers-chirurgiens soignaient les

blessures superficielles, effectuaient des saignées, et rasaient et coupaient les cheveux.

Un ensemble de pratiques qui ne nécessitait aucune étude. En l’absence d’informations

supplémentaires nous ne nous risquerons qu’à la déduction suivante : depuis 1572, les

règlements de la librairie rappellent que les apprentis doivent savoir lire, écr ire et

connaître le latin et parfois, le grec209

. Guillaume Valfray, s’il ne maîtrisait pas ces

savoirs avant d’entrer en apprentissage, les a donc appris par la suite. Mais peut -être a-t-

il opté pour cette profession parce qu’il possédait déjà ces connaissances, que son père

avait pu lui enseigner s’il était effectivement chirurgien, et qu’il projetait d’accéder plus

certainement et plus rapidement à la maîtrise dans ce métier plutôt que dans un autre.

Quoi qu’il en soit, l’origine non-lyonnaise de la famille Valfray n’est pas un trait

original et c’est bien par la réussite de ses membres qu’elle se singularise.

Installé à Lyon en 1643, Guillaume épouse l’année suivante, Françoise Beaujollin la

fille d’un laboureur de Saint-Didier-au-Mont-d’Or, petit bourg de la campagne

lyonnaise210

. Nous ne savons pas combien d’enfants sont nés de cette union. Seul l’acte

203 Ibid, p. 118. 204 Simone LEGAY, op. cit., p. 116. 205 Ibid, p. 113. 206 Ibid, p. 29. 207 Op. cit. 208 Dictionnaire universel françois et latin, vulgairement appelé dictionnaire de Trévoux. Tome 2, Trévoux, E. Ganeau, 1704,

nouv. éd. rev. et augm. Paris, Compagnie des libraires associés, 1771, rééd. Genève, Slatkine Reprints, 2002, p. 548. 209 Ibid, p. 33. 210 A.D.R., 3E 4884.

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de baptême de Pierre Valfray né en 1648, qui était soit l’aîné des enfants mâles, soit

enfant unique, ou encore le seul survivant mâle d’une fratrie, nous est parvenu. Le

contrat de mariage établi en 1644 entre Guillaume Valfray et Françoise Beaujol lin

indique que ce dernier exerçait déjà le métier d’imprimeur à cette date211

. Nous

supposons que Guillaume a terminé son apprentissage à Lyon. En effet, il était

obligatoire, pour les jeunes gens qui n’appartenaient pas au métier par héritage familial,

de suivre un apprentissage de quatre à cinq ans. Ils pouvaient par la suite, atteindre le

statut de compagnon que certains seulement, par de judicieux mariages avec des filles

ou des veuves d’imprimeurs-libraires établis, quittaient pour celui de maître après au

moins trois ans de compagnonnage212

. L’entrée dans chacun des trois états d’apprenti,

compagnon et maître, était marquée par une gratification dont le montant fut variable et

croissant tout au long des XVIIe et XVIII

e siècles : Simone Legay indique la somme de

30lt pour être reçu maître avant 1650 puis vers la fin du siècle, celle de 100lt213

. Et

l’étude de Brigitte Bacconnier sur la famille Duplain, imprimeurs-libraires du XVIIIe

siècle, fait mention de 1500lt réduit à 900lt pour les fils de maîtres lyonnais214

. Pour

s’établir, les compagnons devaient également posséder au moins deux presses fournies

d’une dizaine d’alphabets, de lettres grises pour les éditions de prestige et de vignettes

pour orner leurs impressions, ce qui représentait un investissement de 1000lt215

. Ils

passaient ensuite devant les syndics et adjoints de la Communauté qui examinaient leur

capacité à exercer le métier ainsi que leur respect des bonnes mœurs et de la foi

catholique. Cependant, la cherté de la réception à la maîtrise, ajoutée à la promulgation

d’arrêtés royaux en 1667, 1681 et 1712, interdisant la nomination d’aucuns nouveaux

libraires, relieurs ou imprimeurs dans tout le royaume, ont créé d’une part,

l’allongement de l’âge d’obtention à la maîtrise, et d’autre part ont souvent cantonné les

compagnons dans leur état. Certains louent alors une boutique ou impriment, sans

maîtrise216

.

Malheureusement, nous ne disposons d’aucune information supplémentaire sur

Guillaume Valfray, qui nous aurait instruits sur sa vie et sur sa carrière. En revanche, le

parcours de son fils est plus perceptible dans les documents d’archives.

Pierre I Valfray, l’assimilation au métier

D’après Marius Audin, Pierre I fut baptisé dans la paroisse Saint-Nizier, où il est

certainement né, le 5 juin 1648217

. Nous supposons qu’il a été initié au métier

d’imprimeur par son père, Guillaume Valfray. Dans l’enquête de l’abbé Bignon de 1701,

il est indiqué qu’il fit son apprentissage d’abord à Lyon pendant quatre ans, peut-être

chez un confrère de Guillaume, puis qu’il compléta sa formation à Paris pendant deux

ans, comme c’était souvent l’usage au sein de la Communauté. Ce n’est qu’au terme de

son apprentissage, qu’il revint s’établir à Lyon218

.

Bien que le statut de maître ne soit pas héréditaire il échouait fréquemment aux fils ou

aux gendres de maîtres qui quittaient le métier, du fait du rôle prépondérant des liens de

solidarités familiales dans le milieu de la librairie et de l’imprimerie lyonnaise. Mais, si

les fils de maîtres acquéraient ainsi le titre relativement tôt par rapport aux imprimeurs -

211 Ibid. 212 Simone LEGAY, op. cit., p. 36 et p. 52. 213 Ibid, p. 59 214 Brigitte BACCONNIER, Cent ans de librairie au siècle des Lumières : les Duplain, sous la direction de Dominique Varry,

2007, Thèse, Histoire moderne, Université Lumière Lyon II, p. 212. 215 Simone LEGAY, op. cit., p. 61. 216 Ibid, p. 60 et 61. 217 Op. cit., et Cf. Annexe 11. 218 Roger CHARTIER, « Livres et espace: circuits commerciaux et géographie culturelle de la librair ie lyonnaise au XVIIIe

siècle », Revue française d'histoire du livre, n°1-2, 1971, p. 96.

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libraires qui devaient l’obtenir par des stratégies matrimoniales ou commerciales, ils ne

prenaient que tardivement leur indépendance puisqu’ils travaillaient sous la coupe de

leur père, oncle ou beau-père219

. En effet, la notice consacrée à Pierre I Valfray dans le

Répertoire d’imprimeurs-libraires de Jean-Dominique Mellot, Élisabeth Queval et

Antoine Monaque220

, indique que Pierre n’aurait véritablement commencé à travailler

pour son compte qu’en 1674, peu après le remariage de sa mère, Françoise Beaujollin,

veuve depuis peu, avec l’imprimeur-libraire lyonnais Jean Grégoire. Pierre a alors vingt-

six ans. En l’absence d’acte de décès ou de testament, nous ne pouvons que supposer

que Guillaume Valfray est mort au début des années 1670 puisqu’un délai d’un an au

moins est le plus couramment respecté parmi les veuves, entre la mort du mari et le

remariage221

. Pierre s’associe immédiatement avec son beau-père qui le familiarise sans

doute avec le commerce de la librairie. Il rachète d’ailleurs la moitié de son fonds de

librairie le 13 mars 1674 : 12 644lt 18s 3d, un fonds dont la valeur globale s’élève à

25 289lt 16s 6d222

. Cette vente nous mène à penser que Jean Grégoire n’avait pas eu

d’héritier mâle ou de fils encore en vie à cette date pour reprendre son affaire.

Ensuite, Pierre I épouse en 1675223

Jeanne Bailly, l’une des filles du libraire Pierre I

Bailly. Remarquons que ce mariage à l’âge de vingt-sept ans, que l’on pourrait croire

tardif, est en fait en dessous de la moyenne d’âge au premier mariage des lyonnais qui

est de vingt-neuf ans pour les hommes au XVIIIe siècle

224. La naissance de Benoîte, leur

première fille, la même année, explique certainement la précipitation de leur union225

.

Marius Audin fait ensuite mention de la naissance de treize autres enfants226

mais nous

ne savons pas s’il s’agit effectivement du nombre d’enfants qu’a eu le couple Valfray,

ou s’il s’agit uniquement de ceux qui ont survécu aux premières années de leur vie bien

souvent meurtrières. La fécondité du couple Valfray correspond parfaitement aux

tendances de la démographie lyonnaise indiquées par Maurice Garden dans son étude227

,

à savoir : un nombre important d’enfants malgré un âge au mariage relativement tardif et

des intervalles intergénésiques très courts puisque Jeanne Bailly-Valfray accouche d’au

moins huit enfants en dix ans (1675-1685)228

. Leur premier fils supposé, Pierre, nommé

Pierre II Valfray pour le différencier de son père, naît en 1677.

Vers 1680, suite au décès de son beau-père Jean Grégoire, Pierre I rachète son fonds

d’imprimerie 8500lt229

. Mais un trouble demeure en ce qui concerne la personne qui lui

vend le fonds. En effet, le Répertoire d’imprimeurs-libraires indique en toute logique

qu’il s’agit de la mère de Pierre I, à nouveau veuve230

. Or l’acte de vente précise qu’il

est vendu par la veuve et héritière de Jean Grégoire : Antoinette Bailly, certainement sa

première épouse231

, ce qui fait dire à Simone Legay que le fonds est vendu à Pierre I par

sa belle-sœur (une sœur de sa femme Jeanne Bailly)232

. Comment se peut-il que la

première épouse de Jean Grégoire soit en vie s’il a épousé la mère de Guillaume ? Et

comment se fait-il que ce soit elle qui vende son fonds d’imprimerie ? En l’absence du

219 Ibid, p. 60. 220 Jean-Dominique MELLOT (éd.), Élisabeth QUEVAL (éd.), Antoine MONAQUE (collab.), Répertoire d’imprimeurs-libraires

(vers 1500-vers 1810), Paris, Bibliothèque nationale de France, 1990, nouv. éd. rev. et augm. 2004, p. 534. 221 Maurice GARDEN, Lyon et les lyonnais au XVIIIe siècle…, op. cit., p. 58. 222 A.D.R., 3E 5574. 223 Ibid, p. 305. 224 Maurice GARDEN, op. cit., p. 56. 225 Cf. Annexe 7. 226 Ibid. 227 Op. cit., p. 59. 228 Ibid. 229 A.D.R., 3E 6958. 230 Jean-Dominique MELLOT (éd.), Élisabeth QUEVAL (éd.), Antoine MONAQUE (collab ), op. cit., p. 267. 231 A.D.R., 3E 6958. 232 Op. cit., p. 305.

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temps nécessaire pour pousser plus avant nos recherches, nous n’avons pas pu clarifier

les détails de cette vente.

Par cette acquisition, Pierre I devient imprimeur-libraire c’est-à-dire qu’il pratique les

activités d’imprimerie mais qu’il est aussi un marchand libraire qui fait le commerce du

livre. Il fait désormais partie des artisans qui gagnent le mieux leur vie à la fin du XVIIe

siècle et qui jouissent d’une certaine considération publiqu233

. De même que son estime,

on peut supposer que ses activités se développent. Il ne se cantonne plus seulement aux

activités d’impression de livres qu’il fait le choix d’éditer ou de rééditer pour son propre

compte ou pour d’autres libraires selon la demande sur le marché, mais négocie avec les

auteurs, tient boutique pour stocker et vendre ses ouvrages et peut s’occuper de la

correction des épreuves selon son niveau d’instruction234

. Il doit aussi savoir mesurer les

risques qu’il encourt au sein du marché incertain de la librairie et selon la formule de

Robert Darnton, apprendre à :

« apprécier le portefeuille des gens avec qui [il] traite »235

Fort de ce nouveau statut, Pierre I est enfin reçu maître imprimeur en 1688236

. Cette

nomination tardive s’explique sans doute en grande partie par la promulgation de l’arrêt

du Conseil du roi de 1677 reconduit en 1681, qui n’accorde qu’une seule maîtrise par an

uniquement en remplacement d’un maître décédé. Il est installé rue Mercière, « À la

Couronne d’or » et porte la marque suivante : deux anges portant dans les airs une

couronne fleurdelisée, associée à la devise :

« Non hic, sed coelo vera corona manet »237

(Ce n’est pas ici-bas mais au ciel que

demeure la véritable couronne, symbole de la félicité).

Pierre I est ensuite élu adjoint imprimeur à la Chambre syndicale de la Communauté en

1696238

, ce qui est révélateur de la considération dont il dispose parmi ses confrères. Son

beau-père avait lui, exercé la fonction de syndic de la Communauté en 1655239

. C’est

aussi à cette date que Pierre rédige son testament :

« Au nom de Dieu amen Pardevant Les Con[seillers] du Roy no[tai]res a Lyon,

soubz[…] fut present sieur Pierre Valfray maistre Imprimeur et marchand Libraire

a Lyon Lequel de gré sein de sa personne et de ses sens son paru le memoire [et]

Entendement Considerant quil ny a rien plus Certain que la mort ny rien de plus

incertain que l’heure d’Icelle, Desirant disposer des biens qu’il a plus a dieu Luy

donner afin qu’apres son deced proces n’arrivant a raison de son hoirie […] »240

Nous ne savons pas s’il s’agit de la version définitive de celui -ci ou d’une autre version

antérieure puisqu’il est courant sous l’Ancien Régime, de réaliser plusieurs testaments

au cours de sa vie souvent par peur d’une mort brutale. Néanmoins, cette pratique reste

restreinte à une certaine catégorie de la population qui constitue 15 à 20% seulement,

des lyonnais adultes au XVIIIe siècle

241. À la fin du XVII

e siècle, Pierre Valfray fait

donc irrévocablement partie des groupes sociaux les plus favorisés de la société

lyonnaise. À ce titre, il indique qu’il veut reposer dans l’église Saint -Bonaventure,

233 Ibid, p. 91. 234 Robert DARNTON, « Stratégies financières d’une maison d’édition au XVIIIe siècle », dans L'europe et le livre: réseaux et

pratiques du négoce de librairie XVIe-XIXe siècles, postf. de Roger Chartier, [Paris], Klincksieck, 1996 (Cahiers d'histoire du

livre), p. 333. 235 Ibid, p. 344. 236 Jean-Dominique MELLOT (éd.), Élisabeth QUEVAL (éd.), Antoine MONAQUE (collab.), op. cit., p. 534. 237 Paul DELALAIN, Inventaire des marques d'imprimeurs et de libraires de la collection du Cercle de la librairie, Paris, Éd. du Cercle de la librairie, 1892, p. 120 et Cf. Illustration 1. 238 Simone LEGAY, op. cit., p. 88. 239 Ibid, p. 77. 240 Cf. Annexe 9. 241 Maurice GARDEN, op. cit., p. 157.

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attenante au couvent des Cordeliers, où résident à Lyon la communauté des moines

franciscains242

. Et il répartit la fortune qu’il a amassée entre plusieurs bénéficiaires.

D’abord, les pauvres de l’Hôtel-Dieu du pont du Rhône, de l’Aumône générale et de la

paroisse Saint-Nizier, à qui il donne 100lt, pour chacune de ces institutions. Ensuite, il

lègue plusieurs sommes d’argent à cinq de ses enfants, peut-être les seuls survivants de

la fratrie. À Benoîte, sa fille ainée devenue religieuse, il procure :

« une pension annuelle [et] viagere de la somme de trente six Livres chacun an

pour Estre Employée et continuée a ses mesme necessités de Religieuse […] »243

À son fils ainé, Pierre II, qu’il désigne pour être son héritier universel, il donne :

« La somme de Neuf mil Livres payables a sa majorité sans Interestz Jusques

aud[it] temps Et a pour tous droitz noms raisons [et] actions qu’il pourroit avoir

[et] pretendre en ses biens et hoirie le faisant et Instituant […] son heritier

particullier […] »244

Il lègue ensuite la somme de 7000lt à chacun de ses autres enfants :

« a Jean Baptiste, Jeane et Claudine Valfray ses Enfants et au postume ou postume

don dam[oise]lle Jeane Bailly sa femme pourroit Estre de present et cy apres

Enseinte du faict dud[it] testament a chacun des[dits] Enfants postumes La somme

de Sept mil livres payables aux malles a leur majorite Et aux filles aud[it] age de

majorite et si elles viennent a se marier avant le[dit] age de majorite au[dit] cas Il

veut leurs maris […] majeure Qui leur soit paye moitie aud[it]Mariage [et] Lautre

moitié Lorsquelles auront Vingt Cinq ans […] »245

Remarquons que Jean-Baptiste n’apparaît pas dans la liste des enfants établie par Marius

Audin et que Jeanne et Claudine sont probablement, les deux derniers enfants que le

couple vient d’avoir246

. La perspective que l’un de ses fils reprenne le commerce

prospère qu’il a mis en place est, par la suite, clairement envisagée par Pierre I :

« Et au cas que lesd[its] Pierre et Jean Baptiste Valfray sesd[its] fils veuillent

Excercer l’art d’Imprimerie et le negoce de Librairie Il veut qu’il soyent obliges de

prendre en payement de leurd[its] legs Les deux tiers en marchandises de librairie

[et] Imprimerie de Ceux dud[it] testateur […] »247

Enfin, il donne à sa femme le reste de ses biens qui sont des symboles de son

enrichissement :

« Qu’il lui legue aud[it] cas Ensemble tous les meubles meublancs linge joyaux

[et] argenterie monnayé […] »248

Laquelle, en cas de second mariage :

« il veut que des lors dud[it] convolat Elle remette son hoirie a sesd[its] Enfants

sur laquelle Elle se retiendra la somme de dix neuf mil livres […] »249

À la lecture de son testament, c’est donc la somme de 30 000lt que Pierre I Valfray

lègue à ses quatre enfants mineurs, et il donne à sa femme le reste de ses biens dont la

valeur est difficile à évaluer car nous n’en connaissons pas le détail. Il lui permet aussi

242 Cf. Annexe 11. 243 Cf. Annexe 9. 244 Ibid. 245 Ibid. 246 Cf. Annexe 7. 247 Cf. Annexe 9. 248 Ibid. 249 Ibid.

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de se réserver 19 000lt en cas de second mariage sur l’ensemble de son héritage qui est

donc d’une valeur supérieure à cette somme. Enfin, il prévoit de pourvoir aux dépenses

de sa fille ainée ainsi qu’à celles liées à la mise en apprentissage de ses fils :

« Il charge sad[ite] femme de les nourrir [et] entretenir scavoir les filles Jusques a

ce quelles se marient ou ayent attaint l’age de majorité Et les malles Jusques a ce

qu’ils ayent apris un Estat sortable a eux sois le Negoce de librairie ou

d’Imprimerie ou autre suivant leur Inclination Lequel Estat Elle leur fera aprendre

a ses frais Et ou sesd[its] fils ne vuivoient pas de bonne Intelligence avec

Leurd[its] mere de qu’ils voulussent se separer avant leur majorité aud[it] cas Ils

ne pourront demander pour leur pension [et] Entretien que la somme de deux cent

livres chacun pour chacun an […] »250

Au total, Pierre laisse à sa mort une fortune considérable de près de 50 000lt qui

provient peut-être pour une petite part de l’héritage de son père, mais qui émane surtout

de son commerce florissant de librairie et d’imprimerie. Des activités qu’il exerce

depuis seulement une vingtaine d’années.

Par la suite, il est nommé recteur de l’Hôtel-Dieu du pont du Rhône en 1703. Il a alors à

charge l’administration du premier hôpital lyonnais, qui accueille les malades et les

mendiants. Il semble qu’il ait aussi obtenu en ce début de siècle, la faveur d’être nommé

imprimeur officiel du clergé, comme l’indique la permission royale d’une de ses éditions

de 1709 du Bréviaire romain :

« PAR Lettres Patentes du Roy, il est permis à S[ieu]r PIERRE VALFRAY,

Libraire-Imprimeur du Clergé, d’imprimer, vendre & debiter les Missels,

Breviaires, Diurnaux, & autres Livres servant à l’Eglise, comme il est plus

amplement porté per lesdites Lettres données à Versailles, le quatorzième Avril

1703. Signées LE COMTE »251

Deux ans plus tard, il rachète pour une somme qui nous est inconnue, le fonds de

librairie de la veuve de l’imprimeur-libraire lyonnais Antoine Beaujollin, mort en

1694252

. Et en 1712, il est à nouveau désigné pour administrer une institution municipale

de charité : l’Aumône générale, qui accueille en plus des indigents, les vieillards et les

enfants abandonnés. Mais les notices du Répertoire d’imprimeurs-libraires253

et de la

Somme typographique254

sur Pierre I, s’accordent à dire qu’il a refusé la fonction de

recteur de cette institution prétextant selon Marius Audin, son âge avancé (il avait alors

64 ans). Selon la même source, il semble qu’il ait fallu l’intervention du gouverneur de

la province, le maréchal de Villeroy, pour que Valfray occupe finalement cette charge en

1713255

.

Ce petit bras-de-fer avec les autorités ne l’empêche pas pour autant de connaître la

consécration et la reconnaissance publique de ses compétences d’imprimeur-libraire et

de sa bonne réputation puisqu’il obtient en 1715 la charge d’imprimeur ordinaire du roi

de la ville de Lyon, décernée par lettres patentes du 10 novembre256

.

L’obtention de cette distinction royale marque le début du retrait progressif de Pierre I,

qui a légué son fonds de librairie à son fils, Pierre II, en mai de la même année, et qui lui

donne procuration devant notaire de sa charge d’imprimeur du roi dès décembre 1715 :

250 Ibid. 251 Cf. Illustration 1. 252 Jean-Dominique MELLOT (éd.), Élisabeth QUEVAL (éd.), Antoine MONAQUE (collab.), op. cit., p. 56. 253 Ibid, p. 534. 254 Op. cit. 255 Ibid. 256 Marius AUDIN, op. cit.

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« Pardevant [et] fait presant S[ieu]r Pierre Valfray pourveu par sa Majesté de la

Charge d’Imprimeur [et] libraire du Roy en Cette Ville de lyon par Lettres patantes

Données a Vincennes Le dixie[sme] novembre dernier signés Louis Et plus bas par

le Roy le Duc D’Orleand Regent presant […], Lequels de gré fait [et] confirme son

procureur General Special [et] Irrevocable absent auquel Il donne pouvoir de pour

et en son nom designé [et] remettre Entre les mains de sa Majesté Monseigneur le

chancelier ou autre ayant du pouvoir Lad[ite] Charge d’Imprimeur [et] libraire du

Roy de la ville de lyon Pour En pourvoir toutes fois S[ieu]r Pierre Valfray

Imprimeur [et] libraire a lyon Consentir a ce que toutes Lettres de provisions en

Soyent expédies au proffit dud[it] Valfray […] Le dixiesme Decembre mil sept

cens quinze et a signé Valfray pere. »257

Pierre II Valfray, l’anoblissement

Aîné des fils de la famille, Pierre II, né le 8 août 1677, est baptisé deux jours plus tard

dans la paroisse Saint-Nizier258

. C’est lui qui va reprendre l’affaire de son père et hisser

les Valfray à un rang social supérieur. Une fois encore, en l’absence de sources écrites

tel que les contrats d’apprentissage qui pourraient laisser une trace de la durée et du

contenu de la formation reçue par les jeunes gens qui apprennent le métier, nous ne

connaissons pas précisément le parcours de Pierre II avant son établissement. On

suppose qu’il a appris le métier auprès de son père qui l’a initié à l’art de l’imprimerie et

au commerce de la librairie. Le temps qu’il a sans doute passé à travailler auprès de lui

semble d’ailleurs avoir été très long puisque Pierre ne se marie qu’en 1714 à l’âge de

trente sept ans, ce qui est très tardif pour un premier mariage259

. Cela peut peut-être

s’expliquer par la longue carrière de son père qui ne se retire progressivement du métier

que lorsqu’il approche les soixante-dix ans. Il est possible que Pierre II ait attendu que

son père lui promette de lui céder son fonds l’année suivante (1715), pour établir un

contrat de mariage avec sa future épouse Anne-Marie Besseville en 1714. En effet,

tenter d’établir seul sa propre affaire afin de s’émanciper plus tôt de la tutelle pat ernelle

était sans doute impensable pour ces hommes, compte tenu de l’insécurité de la

conjecture économique, de la réussite de l’affaire de son père et du coût de plus en plus

élevé des frais d’installation d’une boutique au XVIIIe siècle

260. De plus, Pierre I se

retirant du métier, une place de maître était alors vacante pour son fils.

De l’union de Pierre II avec Anne-Marie Besseville au moins neuf enfants sont nés, dont

un fils aîné nommé Pierre III, le 23 octobre 1715261

. Quelques mois avant sa naissance,

Pierre I honora la promesse qu’il avait sans doute faite à son fils et lui cèda son fonds de

librairie d’une valeur de 112 320lt 3s, le 11 mai 1715 :

« Pard[evant] [et] furent P[rese]nt sieur Pierre Valfray bourgeois de lyon d’Une

part, Et sieur, pierre Valfray son fils marchand Libraire a Lyon d’autre part

Lesquelz delivre qui[ls] ont recognu avoir fait Entre Eux Un Inventaire general du

fond de Commerce de librairie [et] d’Imprimerie dud[it] sieur Valfray père, Lequel

ils ont […] [et] signé Le huitie[sme] du presans mois de May Et s’est trouvé

monter La Somme de Cens douze mil Trois Cens vingt livres et trois sols […] »262

Malheureusement nous n’avons pas retrouvé l’inventaire du fonds qui est mentionné ici

et qui nous aurait permis d’appréhender la production de Pierre I Valfray. Nous ne

257 A.D.R., 3E 8197. 258 Marius AUDIN, op. cit., et Cf. Annexe 11. 259 Simone LEGAY, Un milieu socio-professionnel : les libraires lyonnais au XVIIe siècle…, op. cit., p. 306. 260 Maurice GARDEN, op. cit., p. 196. 261 Cf. Annexe 7. 262 Cf. Annexe 5.

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pouvons que supposer que de même que d’autres fonds de librairie à la même époque, il

contenait bien sûr des livres et des rames de papier, mais aussi des éléments variés tel

que des étagères, rayons ou comptoir et éventuellement, des éléments plus

caractéristiques de son possesseur263

. Néanmoins, l’acte de vente du fonds de Pierre I

Valfray indique qu’il comporte des privilèges dont Valfray père se réserve la jouissance

jusqu’à la dernière échéance de paiement du fonds par Pierre II :

« Et jusques a l’entier acquitement desd[its] Cinquante mil Livres et Interestz

Les[dits] […] et Privilleges dud[it] S[ieu]r Valfray Luy demeurant reservés sur

led[it] fond de Commerce […] »264

Le don des privilèges et des permissions d’un imprimeur-libraire avec son fonds est une

pratique courante puisque les privilèges sont considérés comme des biens qui constituent

un véritable capital pour les imprimeurs-libraires qui les possèdent. Ils peuvent donc les

léguer ou les vendre, avec ou indépendamment d’un fonds, en une fois ou au détail. Ils

sont alors débités en fonction du temps qu’il reste avant leur expiration265

. Par le jeu des

ventes et des achats, un privilège peut être racheté en seconde, troisième ou quatrième

main, ce qui évite à l’acquéreur de payer les frais qui sont liés à son octroi ainsi que de

subir les délais des censeurs et de son enregistrement. De plus, l’acte de vente laisse

supposer que le fonds est dispersé dans divers lieux de vente et de stockage, ce qui est

également, chose courante :

« Et quant aux loyers tant de la maison rue Merciere quil occupent que des

magasins [et] boutiques d’Imprimerie tans a louage par led[it] S[ieu]r Valfray père

[…] »266

La somme de 112 320lt 3s caractérise un fonds d’une envergure considérable si l’on se

fie à l’échelle de valeur que donne Simone Legay dans sa thèse : au XVIIe siècle, la

valeur des plus petits fonds de librairie est estimée à 500lt alors que celle des plus

importants est de 250 000lt267

. Le fonds des Valfray est donc conséquent même si sa

valeur est ensuite retranchée de quelques livres tournois :

« deux mil trois Cent vingt Livres trois Solz pour Compensation des rabais que les

marchands pourroient faire sur ce qu’il […] Et de quelques articles contestés dont

le prix Leur aparu trop haut, tant Led[it] fond se trouver reduit a la somme de Cens

dix mil Livres […] »268

Pierre II ne paye d’ailleurs pas l’intégralité de cette somme puisqu’une partie du fonds

lui a été donné lors de son mariage. Enfin, comme nous le supposions, Valfray père

cède :

« aud[it] s[ieu]r son fils son droit de maitre Imprimeur Consentant qu’il si fasse

recevoir en son lieu [et] place […] »269

Mais, malgré la visibilité publique de Pierre I qui a occupé deux fois la charge de recteur

d’institutions de charité et qui a fait partie des membres de la Chambre syndicale de la

Communauté, Pierre II doit essuyer un premier refus lorsqu’il se présente devant les

membres élus de la Communauté le 6 août 1715 :

263 Simone LEGAY, op. cit., p. 173. 264 Op. cit. 265 Simone LEGAY, op. cit., p. 176. 266 Op. cit. 267 Op. cit., p. 171. 268 Cf. Annexe 5. 269 Ibid.

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« Pierre Valfray maitre Imprimeur et marchand Libraire a lyon a representé que

led[it] S[ieur] son père par acte du Onzieme may dernier receu par Vernoz l’un des

no[tai]res soussignez et son confrere luy a remis son fond de librairie et

Imprimerie et la subrogé en sa maitrise et privilege il desiroit sy faire recevoir et

enregistrer au livre tenus par la Communaute sous l’offre d’en observer le statut et

reglement, Lesd[its] Sieurs Comparans reconnoissent la suffisance et Capacite

dud[it] Sieur Valfray fil pour occuper la place du[dit] Sieur son père aquises toutes

Les qualités et experiences necessaires au sujet Lauroient receu volontiers avec

plaisirs, Neantmoins attendu Larrest du Vingt Cinq Janv[ier] [mil sept cent] douze

qui leur deffend de recevoir aucun maitre Ils declarent ne le pouvoir Recevoir sans

par luy en obtenir aupararavant La permission de Sa majesté ou de Monseigneur de

son Conseil ou il doit s’adresser […] »270

Ainsi, même pour le fils de Pierre I Valfray qui est le descendant d’une famille devenue

puissante dans le monde de l’imprimerie et de la librairie et dont le père est imprimeur

du roi et du clergé dans la ville de Lyon, l’accès au statut de maître reste difficile car le

pouvoir souverain contrôle de manière de plus en plus étroite le nombre et la réputation

des candidats à ce statut qui permet d’atteindre le sommet de la hiérarchie corporative.

Cependant, ce contretemps dans la réussite fulgurante des Valfray est rapidement

dépassé puisque dès l’année suivante, Pierre II est reçu à la place de son père imprimeur

ordinaire du roi dans la ville de Lyon par lettres patentes du 12 janvier 1716 :

« nous Sommes bien aises de remplir cette charge d’une personne capable de s’en

acquitter dignement ; nous avons pour cet effet jetté les yeux sur notre bien aimé

P[ierre] Valfray Son fils qui exerce la profession de Libraire et Imprimeur dans

notre S[ainte] ville à la satisfaction du public et nommement du Sieur Archevêque

de Lyon qui nous en a rendu des témoignages avantageux […] »271

L’importance d’entretenir des relations avec les autorités civiles et religieuses pour

accéder à des fonctions de premier ordre est ici mise en avant. Le rôle d’imprimeur -

libraire de l’archevêque François-Paul de Neuville, institué en 1714, a explicitement

permis à Pierre II de se voir décerner la charge d’imprimeur du roi et lui a implicitement

permis d’être reçu à la maîtrise malgré les restrictions. Le 8 février 1716, son institution

est officialisée lorsqu’il prête serment et fait enregistrer sa provision auprès du

Parlement de Paris272

. Elle est à nouveau réaffirmée le 16 mars 1717 suite à sa victoire

dans l’affaire qui l’oppose aux prétentions sur la charge d’imprimeur du roi de la veuve

de François Barbier273

. Là encore, il est certain que la proximité qu’entretient la famille

Valfray avec les différents pouvoirs a permis son succès dans cette querelle. À la mort

de Pierre I le 31 mai 1729, Pierre II est donc confortablement établi dans le métier : il

occupe deux charges officielles qui lui permettent de faire prospérer son affaire sans

courir de risques économiques ou judiciaires.

De même que son père, il est nommé en 1735-1736 :

« Recteur et Tresorier de l’hôpital general de la charité et aumône generale de cette

ville »274

Cette importante distinction publique, ainsi que les puissants soutiens dont il dispose et

l’ampleur de sa fortune, lui ouvrent alors la voie à l’obtention d’une des charges

municipales les plus convoitées : l’échevinage. En 1743, Pierre II devient échevin de la

270 A.D.R., 3E 8197. 271 Cf. Annexe 3. 272 Marius AUDIN, op. cit. 273 Cf. Annexe 4. 274 A.M.L., BB 301 f°141.

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ville de Lyon « du côté de fourvière » pour une durée de deux ans275

et parvient ensuite

au statut très convoité de noble, un siècle exactement après l’arrivée à Lyon de son aïeul

savoyard Guillaume Valfray. Sa nouvelle situation lui confère les armoiries suivantes :

« D’argent au triangle d’azur, chargé d’un soleil d’or »276

Dès lors, Pierre II cesse d’exercer les activités d’imprimerie et de librairie et se retire

vraisemblablement définitivement sur ses terres de Salornay en Dombes, desquelles il

prend le titre de seigneur Valfray de Salornay277

. Il meurt le 4 mai 1747 et est « enterré

en grande procession », selon la formule relevée par Marius Audin, à l’église Saint-

Nizier278

. À cette occasion, sa femme, Marie Besseville, fait un don de 65 400lt pour les

besoins de l’Aumône générale279

.

Par la suite, c’est son fils aîné, Pierre III, qui reprend pour un temps l’activité

d’imprimerie et le commerce de librairie. Par ailleurs, nous avons retrouvé dans le

Fonds ancien de la bibliothèque municipale de Lyon, un imprimé intitulé :

« EXERCICE LITTERAIRE SUR LA POESIE, Par Messieurs MAMERT DE

JUSSIEU, JACQUES IMBERT, PIERRE VALFRAY Pensionnaire, De Lyon.

ECOLIERS DE SECONDE. Dans la sale du Collége de la Très-Sainte Trinité, le

6. Juillet 1742. à trois heures après midi. »280

Ce traité de littérature, donné sous la forme de plusieurs entretiens entre trois étudiants

du collège de la Trinité, est présenté comme suit par ses rédacteurs :

« Nos Interlocuteurs sont trois jeunes Messieurs qui ont du goût pour les lettres, &

qui sont en coûtume de s’assembler, tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre, pour

conférer sur différens sujets de littérature, & se communiquer leurs lumiéres avec

une aisance aimable & polie, telle qu’est celle des amis entr’eux, & qui mettent par

là en commun le fruit de leurs études particuliéres. Ce rôle convient à merveille à

ceux que nous avons choisis pour le remplir : ils ont toute la délicatesse d’esprit &

tout l’empressement pour l’étude qu’il faudroit pour le réaliser avec succès. »281

Compte tenu de la date de réalisation de cet opuscule, il semble impossible de l’attribuer

à Pierre III Valfray, d’abord parce qu’il avait alors l’âge de vingt -sept ans et ensuite

parce qu’il pratiquait certainement déjà l’imprimerie et la librairie seul ou avec son père.

Il est donc plus vraisemblable de l’imputer à un de ses frères, soit Pierre né en 1718, soit

Pierre-Alexis né en 1728282

. De plus, outre les questionnements qu’il soulève sur

l’identité de ses auteurs, cet imprimé nous indique que l’ascension sociale de la famille

Valfray n’a pas profité qu’aux seuls fils ainés de chaque génération puisque nous avons

ici la preuve que certains cadets ont suivi des études ce qui est à nouveau un marqueur

de leur condition sociale privilégiée. Nous pouvons d’ailleurs faire l’hypothèse que ce

jeune homme instruit était destiné à embrasser la carrière ecclésiastique.

Enfin, un dernier document vient compléter notre connaissance du parcours de Pierre II

Valfray et de son niveau de fortune : l’inventaire après décès de sa femme Anne-Marie

Besseville283

. Notons qu’il s’agit d’un acte privé qui n’est ni obligatoire ni systématique

ce qui explique l’absence d’inventaire pour le reste des membres de la famille Valfray.

De même qu’un contrat de mariage, il est authentifié par un notaire mais reste un

275 A.M.L., BB 308 f°3v. 276 Cf. Illustration 2. 277 Marius AUDIN, op. cit. 278 Ibid et Cf. Annexe 11. 279 Ibid. 280 B.M.L., F.A., 114431. 281 Ibid. 282 Cf. Annexe 7. 283 Cf. Annexe 12.

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document beaucoup moins généralisé puisqu’on compte au XVIIIe siècle cent ou cent

cinquante inventaires par an contre mille contrats de mariage284

. Surtout, l’inventaire

après décès est établi à la demande des héritiers, d’un créancier ou encore d’un tuteur

qui représente des enfants mineurs lorsqu’il est nécessaire pour des raisons financières

ou des problèmes de succession d’évaluer la valeur des biens du défunt285

. Établi le 20

mars 1754, l’inventaire des effets d’Anne-Marie Besseville a été fait :

« à la requ[…] de M[aîtr]e Resson lainé prot. de pierre Valfray Ecuyer Sieur de

Salornay »286

On peut imaginer qu’il s’agit d’un chef d’atelier employé dans l’atelier de Pierre II qui

n’aurait pas reçu les gages qu’il escomptait pour son travail et qui demande réparation à

ses héritiers. L’inventaire est dressé par le personnel du tribunal de la sénéchaussée qui

se déplace dans la dernière demeure de la défunte :

« Nous lou[…] du Roy Commissaire […] pour proceder au […] de ladite

ord[onance] nous sommes transportés assisté dudit M[onsieur] Resson, Ledit

s[ieur] Valfray sa partye, du Greffier Soussigné et de Claude Rivoirou huissier

royal present à Lyon, dans une petite […] au devant de l’Eglise des dames

religieuses du second Monastere de la [Vi]sitation de S[ain]te Marie dit

L’anticaille […] et ayant tiré le Cordon de la cloche de la porte du couv[ent] une

dame Religieuse de lad[ite] Communauté s’Etant presentée nous l’avons invité de

Nous faire faire ouverture de la principale porte d’Entrée dud[it] monastere apres

luy avoir fait scavoir le fait de notre transport »287

Suite à la mort de son mari, Anne-Marie Besseville s’est donc retirée du monde pour

finir sa vie dans le couvent des visitandines Sainte-Marie de l’Antiquaille qui est situé

sur la colline de Fourvière où elle vivait de l’héritage laissé par son mari et de l’argent

dont son fils Pierre III, certainement héritier universel de Pierre II, lui a fait don comme

l’indique la promesse présente dans l’inventaire :

« […] avons Ensuite procédé a l’Examen, vérification et description desd[its]

papiers comme il suit. Prem(ièrement) une promesse signée Valfray en datte du 29

[décembre] 1753 En faveur de lad[ite] dame V[euv]e Valfray de la somme de

Vingt mille quatre cent Livres payable en payement de paques prochain par nous

paraphé et signé au bas et datté au dos au numéro premier. »288

Plusieurs autres documents recensés à la fin de l’inventaire indiquent d’autres

transactions qui concernent la veuve Valfray.

Dans le monastère, Anne-Marie Besseville a occupé deux chambres qui ont fait l’objet

d’une minutieuse description par les enquêteurs du tribunal de la sénéchaussée dont les

éléments recensés sont pour nous autant de marqueurs du niveau de fortune des Valfray

au milieu du XVIIIe siècle. Pour chaque ensemble d’objets une estimation financière a

été donnée comme suit :

« Prem[ieremen]t une petite table à toilette bois noyer garny de son tiroir vuide,

deux chaises ambulantes couvertes de paille, deux autres chaises a dossier, un

tabouret et un fauteuil couvert de tapisserie un autre fauteuil percé garny de son

coussin couvers de Mauquette Le tout Tres usé estimé à Trente Livres »289

284 Maurice GARDEN, op. cit., p. 155. 285 Ibid. 286 Cf. Annexe 12. 287 Ibid. 288 Ibid. 289 Ibid.

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L’ensemble des biens d’Anne-Marie Besseville peut être réparti en plusieurs catégories.

D’abord les meubles : plusieurs tables, des chaises, une couchette, une commode, et une

garde-robe. Ensuite le linge de maison : des rideaux, des draps, des couvertures, des

serviettes, une nappe. Et les vêtements de la défunte dont une partie est rangée dans la

commode :

« un Manteau et une […] Taffetas […], une Robe de satin Rayée doublée d’un

Taffetas aussy rayé, un jupon de même satin doublé de Toille verte, un paire

Mi[…] velour noir, un Mouchoir de soye Couleur Brun, un paire de Gand peau

Blanche, un Mouchoir Toille peinte, un Sac d’ouvrage Taffetas vuide et un […]

garny en Baleine double de Toille Estimé Le tout Ensemble La somme de quarante

Livres »290

Et l’autre partie dans la garde-robe qui comprend notamment des coiffes et deux paires

de souliers. Les vêtements demeurent la principale manifestation extérieure de richesse

et sont un moyen d’affirmation de son statut social et économique291

. L’inventaire

souligne d’ailleurs l’abondance des effets vestimentaires d’Anne-Marie Besseville,

comme l’atteste par exemple, la présence de :

« Cinquante neuf chemises à l’usage de femme En partye usées Estimées Ensemble

La somme de quarante Livres »292

Les indications données par le personnel de la sénéchaussée sur l’état de vétusté des

vêtements et du mobilier de la défunte qui pourrait indiquer un certain niveau

d’infortune sont à relativiser compte tenu de la qualité des éléments recensés : bois de

noyer, robes en satin, mouchoirs en soie, manteau en taffetas… etc. Et du fait de

l’inventaire lui-même pour lequel Maurice Garden a démontré qu’il existe une tendance

générale chez les rédacteurs à sous-évaluer la valeur des biens293

.

La dernière catégorie qui caractérise les biens de la défunte rassemble les objets divers.

D’abord, les ustensiles de cuisine : six assiettes en terre, une écuelle, un moulin à café et

encore :

« Une Ecuelle avec son couvercle, un gobelet, un cuiliere, une fourchette argent

fin, peusant ensemble deux mares quatre onces Estimé a raison de quarante livres

Le Mare La somme de quatre Vingt six livres »294

Comme pour les vêtements, c’est là encore la qualité de ces objets qui souligne leur

valeur. Viennent ensuite ce que Simone Legay nomme dans son étude les

« superfluités »295

, c’est-à-dire les objets divers qui ne sont pas nécessaires à la vie

quotidienne mais qui marquent l’aisance :

« Une petite Tablette Bois de noyer sur laquelle vingt deux Volumes de livres in

douze de devotion, un petit miroir a Toilette son cadre Bois pin, deux petits

Tableaux Estampes garnys de leurs verres leurs cadres Bois dorés, deux autres

petits Tableaux L’un en decoup[…] et Lautre En papier »296

La présence de livres chez la veuve d’un imprimeur-libraire peut paraître anodine ; or

dans les treize inventaires après décès de libraires lyonnais du XVIIe siècle dépouillés

par Simone Legay, aucun ne fait mention d’une bibliothèque297

. Il s’agit donc d’un fait

290 Ibid. 291 Simone LEGAY, op. cit., p. 386. 292 Ibid. 293 Op. cit., p. 156. 294 Cf. Annexe 12. 295 Op. cit., p. 389. 296 Cf. Annexe 12. 297 Op. cit., p. 380.

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rare qui participe comme la garde-robe à l’expression d’une condition économique et

sociale. Les livres font également partie du décor intérieur du lieu de vie d’Anne-Marie

Besseville, qui reflète ses goûts et son niveau de culture et d’instruction : elle possède

quatre tableaux ainsi que trois chandeliers et :

« Six pièces Tapisserie Toille peinte faisant partie Le tour de lad[ite] Chambre

estimé Ensemble vingt quatre Livres »298

Enfin le dernier élément marquant présent dans cet inventaire est tout aussi rare :

« Nous somme ensuite rentré dans La première chambre cy devant decrite ou nous

avons fait ouverture de la cassette Bois noyer fermant a clef et avons fait sorty les

papiers y Etants sous Lesquels sy est Trouvé une petite filoche soye dans laquelle

sy est trouvé deux Louis de Vingt quatre Livres cinq Ecus de six Livres un de

Trois une pièce de douze sols et deux pièces de deux sols montant Ensemble La

somme de quatre Vingt une livres Seize sols »299

La présence d’argent liquide, en particulier de deux louis d’or, finit de nous instruire sur

la grande fortune qu’on atteint les Valfray au XVIIIe siècle.

Ainsi, il n’a pas fallu plus d’un siècle à la dynastie des Valfray, pourtant étrangère au

métier lyonnais avant le XVIIe siècle, pour gravir les échelons de la réussite sociale et

atteindre la noblesse dans la première moitié du XVIIIe siècle. Leur succès s’appuie

surtout sur la grande fortune qu’ils ont amassé au fil des générations dont la mesure est

donnée par les nombreux achats et ventes de fonds de librairie qu’ils effectuent et dont

les prix augmentent à chaque transaction. Mais aussi par le montant des legs qu’ils

laissent à leurs enfants ou encore par la valeur et le nombre des biens mobiliers qu’ils

possèdent. La source précieuse que constitue l’inventaire après décès d’Anne -Marie

Besseville nous a d’ailleurs permis de mieux situer le cadre dans lequel ils vivent et

surtout d’appréhender leur train de vie.

D’autres marqueurs existent pour caractériser la richesse d’une famille telle que la

possession d’un équipage (voiture tirée par des chevaux), l’emploie de domestiques et

surtout l’importance et le nombre des propriétés foncières qu’elle possède300

. Les

sources qui étaient à notre disposition ont ainsi guidé notre choix d’étudier les biens

fonciers des Valfray à la ville et à la campagne.

Un marqueur de leur fortune : les propriétés foncières

Au XVIIIe siècle à Lyon, la possession des immeubles et plus largement de l’ensemble

des propriétés foncières, est réservée à la bourgeoisie et à la noblesse. La plupart des

artisans sont donc locataires. Cette distinction par le capital immobilier est un des

principaux marqueurs de la fortune. Dans la communauté des imprimeurs-libraires

lyonnais, il est d’ailleurs l’un des référentiels les plus fiables pour distinguer les

puissantes familles des petits artisans du livre.

En ce qui concerne les Valfray, les quelques sources que nous avons pu retrouver qui

présentent le développement de leur patrimoine immobilier, illustrent parfaitement

l’ascension sociale rapide et considérable qu’ils ont effectué. Lorsque Guillaume

Valfray arrive à Lyon en 1643, il ne bénéficie pas, à priori, d’avantages familiaux au

sein de la cité. Son mariage avec une veuve d’imprimeur a certainement facilité son

installation. En effet, comme dans tous les milieux artisanaux, le toit est le premier outil

298 Cf. Annexe 12. 299 Ibid. 300 Simone LEGAY, Un milieu socio-professionnel : les libraires lyonnais au XVIIe siècle…, op. cit., p. 391 et 394.

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de travail indispensable à la profession : il est donc vital pour les nouveaux venus dans

le métier de s’établir rapidement301

. Le hasard veut que l’une des premières habitations

louées à Lyon par les Valfray ait appartenu successivement à certains des grands

imprimeurs-libraires qui ont marqué l’histoire du livre lyonnais. Au début des années

1680, Pierre I Valfray, qui vient de racheter le fonds d’imprimerie de son beau -père à sa

mère, s’installe à son propre compte. À cette fin, il loue une maison au 54 de la rue

Mercière302

. Celle-ci avait appartenu à un groupe de trois libraires : Laurent Arnaud,

Philippe Borde et Claude II Rigaud associés de 1649 à 1662303

. Les trois libraires l’ont

occupé à partir de 1650 à la suite du libraire Claude Prost, avec qui Arnaud et Borde

étaient auparavant associés304

. Et au XVIe siècle, il semble qu’elle ait appartenu au

libraire, auteur et traducteur de textes anciens lyonnais Guillaume Rouillé (1518-1589),

dont les éditions ont largement contribué à diffuser les textes humanistes dans le

royaume de France au XVIe siècle

305. Avec la famille Valfray, c’est donc une étonnante

succession d’importants artisans du livre lyonnais qui a côtoyé les murs de cette maison

rue Mercière. Par ailleurs, il n’est pas surprenant qu’elle soit située dans la paroisse

Saint-Nizier, au cœur de l’axe principal formé par la rue Saint-Dominique, la grande rue

Mercière et la rue Mercière306

. En effet, le quartier concentre toute l’activité

d’imprimerie et de librairie et est, aux XVIIe et XVIII

e siècles, littéralement surpeuplé,

ce qui donne toute sa valeur à cette location qui a certainement dû être difficile à se

procurer307

.

Bien souvent, les locaux destinés au commerce de l’imprimerie ou de la librairie sont

distincts de l’habitation car la pratique de ces métiers demande de l’espace pour

entreposer une ou plusieurs presses, des livres ou encore des stocks de papier. Seuls les

plus petits artisans ne peuvent pas jouir de cette séparation, et il est courant, s’ils

disposent de plusieurs étages ou d’une cave par exemple, qu’une partie de leurs presses

et de leur stock de librairie soient entreposée à l’étage, au rez-de-chaussé ou à la cave de

la maison d’habitation. Ainsi, la taille et le nombre des possessions sont le reflet des

disparités sociales qui existent entre les artisans imprimeurs-libraires, et qui sont liées

au fonctionnement de leurs différentes affaires308

. Qu’il s’agisse d’habitations ou de

locaux destinés à leurs activités d’imprimerie ou de librairie , tels que des ateliers ou des

boutiques, les imprimeurs-libraires lyonnais sont majoritairement locataires. Ceux qui

ne bénéficient pas d’un héritage, en particulier, utilisent toutes leurs ressources pour

investir dans leur commerce plutôt que dans des biens fonciers : ils achètent des presses,

des caractères, du papier, une matière première indispensable à la pratique du métier

dont le prix ne cesse d’augmenter dans tout le royaume au fil des siècles309

. Trois cas de

figure caractérisent ces comportements locatifs : les artisans qui louent de petits locaux

dans l’attente de pouvoir en louer de plus grand plus tard, ceux qui louent de grandes

habitations pour ensuite sous-louer des étages ou des pièces, et ceux qui louent pour

pouvoir échanger ensuite leur location avec d’autres imprimeurs-libraires afin d’acquérir

un meilleur logement310

. Il n’est pas rare que ces artisans déménagent plusieurs fois au

301 Ibid., p. 157. 302 Marius AUDIN, Somme typographique : l’imprimerie à Lyon aux XVIIIe et XIXe siècles, Volume 6. VI-III (P-W), Lyon, Musée

de l’imprimerie et de la banque de Lyon, Institut d’histoire du livre, 2007 (non paginé). 303 Jean-Dominique MELLOT (éd.), Élisabeth QUEVAL (éd.), Antoine MONAQUE (collab.), op. cit., p. 32. 304 Ibid, p. 460. 305 Marius AUDIN, op. cit. 306 Dominique VARRY, Le Monde lyonnais du livre au XVIIIe siècle, 1999, Dossier pour l’habilitation à diriger des recherches, Université de Paris I, Panthéon-Sorbonne et Cf. Annexe 11. 307 Simone LEGAY, op. cit., p. 131. 308 Ibid. 309 Henri-Jean MARTIN, « L'édition parisienne au XVIIe siècle : quelques aspects économiques », Annales. Economies, Sociétés, Civilisations, 7, n°3, 1952, p. 312. 310 Simone LEGAY, op. cit., p. 133.

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cours de leur vie parce qu’ils sont arrivés au terme de leurs baux ou parce que leurs

relations leur ont permis de trouver mieux.

Pierre I Valfray semble avoir cumulé plusieurs de ces pratiques. En effet, en 1678, avant

de louer la maison dite « Rouillé », il loue deux arcs de boutique indépendants de son

habitation, pour 200lt à des fins soit de stockage soit de vente de ses ouvrages311

. Puis,

quelques années plus tard, il loue la maison Rouillé pour laquelle il paie un loyer de plus

de 300lt, une somme importante qui est un indicateur supplémentaire de sa réussite et de

son aisance économique. Il entrepose alors une presse d’imprimerie au premier étage et

quatre autres presses au troisième étage ce qui suppose l’emploi, si elles sont toutes en

activité, d’au moins huit compagnons et d’un ou deux apprentis pour les faire

fonctionner312

. Un chiffre confirmé par l’étude de Simone Legay qui indique qu’il a huit

compagnons à son service en 1686313

. Lorsqu’il est reçu maître imprimeur en 1742,

Pierre III Valfray détient toujours le même nombre de presses, ce qui est plus que la

majorité des imprimeurs mais moins qu’Aimé Delaroche par exemple , qui possède plus

de dix presses314

. Le rapport de l’inspecteur de la librairie Claude Bourgelat en 1763

indique par ailleurs que sur les cinq presses détenues par les Valfray, trois seulement

sont encore en activité à cette date ce qui témoigne de leur retrait progressif du métier.

Ce document exceptionnel pour la qualité des informations qu’il contient, nous permet

également de savoir que Pierre Deville était prote (chef d’atelier) chez Valfray à cette

époque315

. Le destin de la dynastie des Deville illustre d’ailleurs parfaitement le risque

toujours envisageable de faillite même au sein de grandes familles d’artisans : en 1732-

33, Nicolas Deville cède son fonds, qu’il tient de son père l’imprimeur -libraire Jean-

Baptiste I Deville, à ses trois fils Roch, Pierre et Jean qui impriment sous le nom des

« frères Deville ». Mais loin de faire fructifier l’affaire familiale, ces derniers font

faillite en 1748, peut-être à cause d’une mauvaise gestion de leur capital ou d’une

dispute entre frères ce qui est souvent le cas. Après cet échec, les frères se séparent et

Pierre, qui ne semble pas tenter de se lancer seul dans le commerce de la librairie, se fait

engager chez Valfray comme prote à la fin des années 1750316

. Tout au long du XVIIIe

siècle c’est donc près de dix personnes qui travaillent dans les ateliers des Valfray.

Il ne faut que quelques années à Pierre I pour étendre considérablement son affaire. En

1687, il loue déjà plusieurs locaux : un atelier d’imprimerie, une boutique et pas moins

de trois magasins, où il entrepose l’ensemble de sa production qui semble florissante317

.

Le nombre de ses magasins le place au niveau des plus grands libraires de l’époque,

puisque Molin en possède également trois et Anisson en a deux. Il existe d’ailleurs un

véritable marché d’échange de ces magasins et la concurrence entre les artisans pour

obtenir les meilleurs locaux au meilleur prix est sévère. Les différents couvents

lyonnais : Cordeliers, Célestins, Jacobins… etc. proposent même des chambres, des

greniers ou des cours aux imprimeurs-libraires pour qu’ils puissent stocker leurs

marchandises318

. Ils sont d’ailleurs les lieux de dépôt privilégiés d’ouvrages illicites, une

pratique qui prend une telle ampleur que le pouvoir promulgue en 1704 un arrêt du

311 Ibid, p. 153. 312Gilles FEYEL, La Gazette en province à travers ses réimpressions 1631-1752 : une recherche analytique de la diffusion d’un

ancien périodique dans toute la France avec un aperçu général et bibliographique pour chacun des centres de réimpressions de la Gazette, Amsterdam Maarssen, Holland University Press, 1982 (Études de l’Institut de recherches des relations intellectuelles

entre les pays de l’Europe occidentale au XVIIe siècle ), p. 121. 313 Simone LEGAY, op. cit., p. 52. 314 Pierre GROSCLAUDE, La vie intellectuelle à Lyon dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle: contribution à l'histoire

littéraire de la province, Paris, A. Picard, 1933, p. 171. 315 Léon MOULÉ, « Rapport de Claude Bourgelat sur le commerce de la librairie et de l’imprimerie à Lyon en 1763 », Revue

d’histoire de Lyon, 13, 1914, p. 54 et 55. 316Jean-Dominique MELLOT (éd.), Élisabeth QUEVAL (éd.), Antoine MONAQUE (collab.), op. cit., p. 197. 317 Ibid, p. 141. 318 Ibid, p. 155.

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Conseil d’État qui interdit à tous les supérieurs de la ville de Lyon de louer aucun lieu

dans l’intérieur des couvents pour magasin de libraire319

.

En 1695, Pierre renforce davantage ses ressources en sous-louant tout le second étage de

la maison Rouillé où il réside320

. Nous n’avons malheureusement pas eu le temps

d’étendre nos recherches dans les fonds notariaux, puisque les imprimeurs-libraires

établissaient souvent des contrats de louage, afin de découvrir à qui il sous -loue et quel

loyer il en retire. Par ailleurs, bien qu’il ne soit pas propriétaire de la maison rue

Mercière et qu’il ne puisse donc pas en faire don à ses descendants, la conservation de la

maison au sein de la famille Valfray jusqu’au milieu du XVIIIe siècle est rendue

possible par le legs du bail de celle-ci ainsi que de ceux du reste de leurs locations en

ville. En effet, lorsque Pierre I lègue son fonds de librairie à son fils Pierre II en 1715, il

lui fait don de l’ensemble de ses marchandises ainsi que de ses baux :

« Et quant aux loyers tant de la maison rue Merciere quil occupent que des

magasins [et] boutiques d’Imprimerie tans a louage par led[it] S[ieu]r Valfray pere

Icelluy Sieur Valfray pere y subroge led[it] s[ieu]r son fils austant pour les temps

restans des beaux dont il luy a remis les Clez depuis le douze avril dernier, a la

charge par luy s[ieu]r Valfray fils d’en payer les prix a compte de Noel dernier

[…] »321

Une transaction qui prend tout son sens dans le cadre d’un legs entre les membres d’une

même famille, mais qui n’est pas un fait systématique. La vente ou le legs d’un fonds de

librairie ou d’imprimerie ne désigne habituellement que les livres et certains effets qui

sont attachés au commerce, et non le bâtiment qui contient ces marchandises. Par

ailleurs, les clauses imposées par Pierre I, qui souhaite conserver ses appartements

jusqu’à la fin de sa vie, nous permettent d’entrer plus encore dans la réalité du lieu de

vie de la famille :

« a l’exception que led[it] s[ieu]r Valfray père se reserve Les appartements qu’il

occupe a present dont lad[ite] Maison en rue Merciere, Consistant en une Chambre

et Cuisine au deuxie[sme] Estage, Une interchambre au troisie[sme] Estage, La

grande Cave du costé de rue Merciere , une autre Cave sans la Cour, pour les

occuper pendant Le restant du bail moyennant La somme de deux Cens Cinquante

livres par année quil payera aud[it] s[ieu]r Valfray son fils a deux term[es] St Jean

Bap[tis]te [et] Noel […] »322

Ainsi il semble que deux générations de Valfray, puis trois après la naissance des

enfants de Pierre II et Marie Besseville, cohabitent dans la grande maison rue Mercière

qu’ils conservent, supposément en location, jusqu’en 1749, date à laquelle Pierre III, le

fils de Pierre II, quitte le commerce de l’imprimerie et de la librairie et revend son fonds

à l’imprimeur-libraire lyonnais Aimé Delaroche. L’acte de vente du fonds comporte lui

aussi, des indications en ce qui concerne les locations de la famille au milieu du XVIIIe

siècle :

« Lequel fond de librairie estoit renfermé en partie dans led[it] magasins dud[it]

sieur Valfray ruë St. Dominique et est pour le surplus actuellement renfermé dans

les magasins et apartemens que ledit sieur vendeur tient a louage, dependants

d’une maison situé en cette ville rue thomassin apartenante a sieur Martial

Dumarest, de même que chez les Relieurs et ailleurs […] »323

319 Brigitte BACCONNIER, op. cit., p. 200. 320 Ibid, p. 133. 321 Cf. Annexe 5. 322 Ibid. 323 Cf. Annexe 6.

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Il nous indique que Pierre III possède plusieurs magasins dans la rue Saint-Dominique et

dans la rue Thomassin, qui est perpendiculaire à la première. Le nouvel emplacement de

ses magasins est d’ailleurs représentatif du mouvement général amorcé par la

communauté des imprimeurs-libraires, qui se déplace peu à peu à la fin du XVIIIe siècle,

vers la place Louis le Grand324

. Comme ce fut le cas lors de la vente du fonds de Pierre I

Valfray à Pierre II, Delaroche se substitue à Pierre III pour payer les baux des magasins

et les conserve pour stocker le fonds qu’il vient d’acquérir. La difficulté de trouver des

locaux libres dans le quartier est à mettre directement en cause dans ce choix.

« aud[it] sieur Delaroche qui entrera pour lors en la possession et joüissance

dud[it] fond de librairie de même que des Magasins et apartemens renfermans ledit

fond a l’effet de quoi led[it] sieur Vendeur le subroge dez à present aux deux baux

qui luy ont êté passés desd[its] magasins et apartemens par sieur Antoine [..]uinet

marchand et maitre Passementier de cette ville, le premier par acte du onze juillet

mil sept cens quarante trois par devant M[aitre] Vernon et son confrère no[tai]res

en cette ville, au prix de cens vingt livres par année, le deuxième par acte sous

signatures privées du vingt neuf fevrier mil sept cens quarante quatre, au prix de

soixante livres aussi par année, lesd[its] deux baux deuement contrôlés et pour le

tems restant a expirer desd[its] baux dont led[it] sieur acquereur demeurera tenu

d’aquiter le prix a compter de la fete de noël prochain exclusivement […] »325

Grâce à cet acte, nous savons que Valfray père a loué deux de ses magasins à un

marchand et maître passementier lyonnais (un artisan qui tisse la soie et vend les

produits de son travail tel que des rubans par exemple). Ses qualificatifs indiquent qu’il

s’agit probablement d’un artisan aisé qui a accédé au rang de marchand afin d’accroître

sa fortune, ce qui nous laisse supposer qu’il est peut-être propriétaire des locaux qu’il

loue326

. Le loyer versé par Pierre II et son fils pour ce magasin, s’élève à 120lt par an

depuis la signature devant notaire du bail en 1743. L’année suivante les Valfray loue un

second magasin, certainement plus petit, au prix de 60lt par an. Au total ce sont donc

180lt qu’ils déboursent par année pour la location de deux de leurs magasins qui sont

vraisemblablement ceux situés rue Saint-Dominique. À cette somme il faut ajouter le

loyer de l’autre magasin que Pierre III loue à un certain Martial Dumarest rue

Thomassin, pour lequel nous n’avons pas d’indication de prix. Et ceux des boutiques qui

leurs sont nécessaires pour débiter les ouvrages qu’ils éditent et impriment, et celui de

son habitation principale. Ainsi, Pierre III dépense des sommes considérables en frais de

location, lesquelles constituent un marqueur fiable de son important niveau de fortune.

L’ensemble des locaux qui lui sont nécessaires pour stocker les ouvrages qu’il édite et

qu’il produit ainsi que ceux qui ne sont pas cités ici et qu’il regroupe sous le terme

vague d’« ailleurs », met également en avant l’ampleur de sa production et de son

commerce.

Par ailleurs, Marius Audin affirme que Pierre III possédait aussi des locaux aux Halles

de la grenette327

qu’il aurait acquis à la fin les années 1760 et qu’il aurait conservé

jusqu’à sa mort en 1784. Nous ne savons pas s’il s’agit d’une habitation qu’il aurait

gardée à Lyon ou de quelques magasins qu’il louerait encore en ville après son

installation sur ses terres de Salornay en Dombes328

.

Les Valfray, comme la plupart des grands imprimeurs-libraires lyonnais, possèdent en

effet, dès le dernier quart du XVIIe siècle, une propriété à la campagne. Il était alors

courant que les imprimeurs-libraires qui en avaient les moyens disposent, soit par

324 Dominique VARRY, Le Monde lyonnais du livre au XVIIIe siècle…, op. cit. et Cf. Annexe 11. 325 Cf. Annexe 6. 326 Maurice GARDEN, op. cit., p. 248. 327 Cf. Annexe 11. 328 Marius AUDIN, op. cit.

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héritage familial, soit en l’achetant, le plus souvent à la fin de leur vie, d’un domaine

rural plus ou moins grand, à proximité de la ville329

. Cet investissement était

l’expression de leur réussite et il leur permettait d’étendre plus encore leur fortune en

faisant cultiver leurs terres. Leur production assurait également la subsistance de leur

famille ce qui explique la prédominance dans les domaines ruraux, des terres, dont

l’étendue permet dans certains cas la pratique de plusieurs cultures, par rapport aux

habitations330

. Le domaine que possède Pierre I Valfray à la fin du XVIIe siècle est un

parfait exemple de cette utilisation pragmatique de l’espace rural. Achetée à une date qui

nous est inconnue, cette propriété comprenait une maison avec une cuisine, un grenier,

un fournil où se tenait le four à pain et un cellier, souvent destinait au stockage des

aliments et du vin, où se trouvaient d’ailleurs un pressoir, des tonneaux et un puits.

Attenants à cette maison, le domaine comportait aussi une grange et un clapier, ainsi

qu’un jardin d’un demi-hectare et plusieurs terres : un pré, des bois, une vigne et des

terres qui s’étendaient sur la paroisse de Mornant au sud-ouest de Lyon331

. Ce domaine

de plusieurs hectares était estimé à 3 000lt dans ce que nous supposons être un acte de

vente dressé devant notaire en 1678 par Pierre I332

. Quelles raisons avait-il de vendre un

tel bien nourricier ? Simone Legay met en avant l’hypothèse que l’entretien et la gestion

de ces terres étaient peut-être trop onéreux pour les héritiers de Pierre. La difficulté qu’il

rencontre à vendre son domaine, qui n’est racheté qu’en 1695, étaye d’ailleurs sa

supposition333

. Elle montre que le prix de vente n’est pas à mettre en cause puisque

certaines propriétés rurales sont vendues plus de 20 000lt. Plus encore, nous forgeons

l’hypothèse que la pratique des activités d’imprimerie et de librairie à Lyon et les

fonctions publiques auxquelles Pierre I se destine à la fin du siècle, ne lui aurai ent pas

permis d’être suffisamment présent sur ses terres et surtout, que ces deux objets

mobilisent alors la totalité de ses capitaux. Le plus souvent, les maisons rurales

changent de mains au gré des aléas de succession qui suivent la mort de leurs

propriétaires.

Si Pierre II Valfray n’hérite donc pas du domaine près de Mornant, il fait lui aussi

l’acquisition d’une propriété rurale à la fin des années 1730. En effet, le 10 février 1737,

il achète à l’hôpital de la Charité, dont il vient tout juste de sortir de la charge de

recteur, la rente du fief de Salornay aussi nommé fief de la Tour de Salornay, établi sur

la paroisse de Montanay en Bresse au nord de Lyon. La limite avec la Dombes est alors

si flou que le domaine est aussi fréquemment appelé fief de Salornay en Dombes334

.

Cette propriété, qui appartenait au XVIe siècle à François de Salornay est passée pendant

deux siècles entre plusieurs mains avant d’être rachetée en 1731 par un certain Bernard

Pech qui la légua à sa mort, survenue quelques années plus tard, aux pauvres de l’hôpital

de la Charité. Pierre II l’acquit ensuite officiellement le 3 août 1739 et son

dénombrement, c’est-à-dire la description des biens qui la composent, est donné le 22

mars 1740335

. Nous ne savons pas combien Valfray achète cette rente, ce qui aurait pu

nous donner une information supplémentaire sur sa fortune dans la première moitié du

XVIIIe siècle. De même, nous n’avons pas, comme pour le domaine de Mornant, un

descriptif des biens et des terres qui composent cette propriété. Il faudrait pousser plus

avant les recherches, peut-être auprès des archives départementales de l’Ain, pour en

savoir davantage sur Salornay. Cependant, nous pouvons tout de même constater que

329 Simone LEGAY, op. cit., p. 346. 330 Ibid, p. 354. 331 Ibid, p. 347. 332 Ibid, p. 361. 333 Ibid. 334 Humbert de VARAX, Histoire locale de la Principauté et « Souveraineté » de Dombes (Ain), Tome 1. Les lieux, Bourg-en-

Bresse, impr. A.G.B., 1999, p. 289. 335 Ibid, p. 290.

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l’accession de Pierre II à la noblesse a modifié son rapport à sa « maison des champs »,

selon la formule reprise par Brigitte Bacconnier dans sa thèse336

. En effet, contrairement

à ses riches confrères, Antoine II Perisse ou les frères Duplain qui possèdent eux aussi

des domaines ruraux337

, la nouvelle condition de Valfray l’engage à vivre noblement et

donc à quitter le métier. Dès lors, et bien que son ascension soit récente et qu’il fasse

partie de la noblesse dite de « cloche », c’est-à-dire qui a atteint cette condition par le

biais des charges municipales, Pierre II agit comme la plupart des nobles lyonnais : il

conserve un domicile à Lyon et fait de ses terres de Salornay sa résidence principale338

.

La différence avec le comportement de son père un peu plus de quarante ans plus tôt est

très nette, il ne s’agit plus pour lui d’avoir des terres nourricières en complément des

activités d’imprimerie et de librairie, mais bien d’accéder à un rang social supérieur et

de faire partie intégrante de la noblesse locale. La visibilité publique de son nouveau

rang est assurée lorsqu’il prend le nom de sa terre et devient seigneur de Salornay.

Désormais, le domaine constitue une part majeure du patrimoine familial des Valfray

que Pierre II lègue à son fils Pierre III dans son testament de 1740. Ce dernier prend

ensuite, deux ans après la mort de son père, le 21 avril 1749, la possession officielle du

fief de Salornay et en devient lui aussi seigneur. Il revend au même moment le fonds de

librairie que son père lui avait également légué et élit lui aussi résidence à Salornay. À

la veille de la Révolution, il semble que la rente de Salornay était toujours à la famille

Valfray339

.

Ainsi, le cas des Valfray nous permet de rejoindre les propos de Maurice Garden sur

la noblesse de robe, modèle de la noblesse lyonnaise, à partir de laquelle se crée une

noblesse terrienne qui ne participe plus directement aux charges de la ville, et qui prend

une orientation différente340

. Plus que le nombre de leurs locations en ville, la fortune et

l’importance du patrimoine des Valfray se mesurent donc par l’ampleur de leurs

domaines ruraux et le mode de vie qu’ils ont choisi d’embrasser.

LES STRATÉGIES DÉPLOYÉES

Il nous faut à présent souligner le caractère très exceptionnel de l’ascension sociale de

la dynastie des imprimeurs-libraires de la famille Valfray. En effet, les réussites

individuelles ou collectives des nouveaux lyonnais sont rares au XVIIIe siècle comme

l’indique les registres des nommées des bourgeois de la ville tout au long de cette

période341

. Dès lors, comment expliquer une telle ascension dans la société lyonnaise ? Il

semble que ce soit avant tout le résultat d’une véritable volonté des Valfray qui on t fait

le choix de s’assimiler à la vie lyonnaise en déployant simultanément deux stratégies :

l’une sur le devant de la scène publique lyonnaise et l’autre dans la discrétion de la

sphère privée.

Gagner une visibilité publique

De prime abord, l’établissement de Pierre I Valfray dans la communauté des

imprimeurs-libraires lyonnais et le début de son commerce prospère dans le dernier

quart du XVIIe siècle, peuvent paraître paradoxal avec un contexte économique et

législatif marqué par les difficultés de la plupart des artisans qui exercent le métier.

336 Op. cit., p. 186. 337 Ibid. 338 Maurice GARDEN, op. cit., p. 260. 339 Humbert de VARAX, op. cit. p. 290. 340 Op. cit., p. 262. 341 Maurice GARDEN, op. cit., p. 119.

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Rappelons en effet, que l’État monarchique tend à contrôler et à surveiller de plus en

plus le monde de l’imprimerie et de la librairie pendant cette période, d’abord en

restreignant le nombre de maître, une volonté qui s’exprime dans les règlements de 1676

et 1696 qui interdisent toutes nouvelles nominations. Puis, en réduisant le nombre

d’imprimeurs-libraires à son service qui détiennent la charge publique d’imprimeur

ordinaire du roi. Et en généralisant le système des privilèges qui crée une raréfaction des

textes, à la faveur les imprimeurs-libraires parisiens et qui entraîne la crise du monde du

livre lyonnais. Or, loin de les contraindre, ce contexte va permettre aux Valfray de

s’enrichir et de s’imposer comme des personnalités de premier ordre dans la société

lyonnaise. Leurs choix face à ces difficultés les singularisent et permettent

d’appréhender leurs véritables ambitions.

Deux principales attitudes caractérisent les parcours des grands imprimeurs-libraires

lyonnais à la fin du XVIIe siècle et tout au long du XVIII

e siècle durant lequel la

politique de durcissement du pouvoir royal est particulièrement affirmée. Tout d’abord,

il y a ceux qui choisissent l’illégalité et qui se lancent soit dans la contrefaçon

d’ouvrages protégés par un privilège, soit dans la production de livres interdits qui sont

diffusés clandestinement, deux aspects omniprésents dans le monde du livre lyonnais au

dernier siècle de l’Ancien Régime342

.

Les contrefacteurs s’attachent à éditer des ouvrages qui ont été autorisé par les autorités

royales et religieuses après le contrôle des censeurs royaux et dont l’exclusivité de la

production a été accordée à un artisan en particulier343

. Les lyonnais et plus

généralement les imprimeurs-libraires de province, se risquent à ce commerce local car

ce sont le plus souvent les imprimeurs-libraires parisiens, plus proches du pouvoir en

place et plus faciles à contrôler pour l’État souverain, qui demandent et se voient

octroyer les privilèges de librairie par lettres patentes du roi ou par autorisation des

Cours souveraines telles que les parlements. Les autres imprimeurs-libraires doivent

alors attendre que l’ouvrage tombe dans le domaine public, lorsque la durée du privilège

est écoulée, pour pouvoir l’éditer à leur guise. Or, il arrive bien souvent que celui-ci soit

prolongé pour plusieurs années supplémentaires à la demande de l’artisan privilégié , ce

qui entraîne la production de contrefaçons surtout s’il s’agit d’ouvrages qui se vendent

bien. À bien des égards, contrefaire s’est ainsi avéré une activité avantageuse pour les

imprimeurs-libraires qui s’y adonnaient car ils n’étaient pas soumis aux exigences des

éditions officielles :

« en bon papier et en beaux caractères »344

La plupart des contrefaçons étaient donc souvent réalisées sur un papier de qualité

médiocre dans de petits formats afin de réduire le plus possible le coût d’achat du

papier. Ils ne payaient ni les frais relatifs à l’octroi d’un privilège ni ceux liés à son

enregistrement et ne couraient pas le risque commercial de lancer une nouveauté

éditoriale. En contrepartie, ce commerce était sanctionné lorsqu’il était découvert lors de

visites ou de perquisitions de la police du livre, par de lourdes amendes et la

confiscation des livres contrefaits qui étaient alors remis à l’imprimeur-libraire

privilégié qui pouvait les vendre dans sa boutique345

. De par l’ampleur de sa

propagation, le phénomène de la contrefaçon revêt une importance économique et

historique pour la compréhension des pratiques et des logiques commerciales du monde

du livre sous l’Ancien Régime, en particulier à Lyon où un très grand nombre

d’imprimeurs-libraires y avaient recours. Il a notamment assuré une plus grande

342 Dominique VARRY, « Le livre clandestin à Lyon au XVIIIe siècle », La lettre clandestine, n°6, 1997, p. 249. 343 Anne SAUVY, « Livres contrefaits et livres interdits », dans Histoire de l'édition française. Tome 2. Le livre triomphant :

1660-1830, [Paris], Promodis, 1984, p. 104. 344 Ibid, p. 105. 345 Ibid, p. 106.

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diffusion à certains textes et a permis à un plus large public d’en prendre

connaissance346

.

Différent surtout dans son contenu, le livre interdit n’en est pas moins une autre

spécialité des imprimeurs-libraires lyonnais dont certains ce sont particulièrement

distingués par leur entêtement, malgré les condamnations qu’ils ont pu recevoir, à les

produire et à les diffuser clandestinement. Trois possibilités d’interdiction pouvaient

toucher les ouvrages : certains étaient autorisés dans un premier temps mais suite à un

changement politique ou à des critiques relatives à leur composition, étaient condamnés.

D’autres étaient refusés par la censure ce qui entrainait leur production illicite. Et

d’autres encore, qui présentaient des conceptions contraires aux idées officielles des

autorités étatiques ou religieuses, étaient voués dès leur rédaction à la clandestinité347

.

Au premier plan des livres refusés au XVIIIe siècle demeurent les ouvrages de

controverses religieuses. La première est la plus ancienne production de livres interdits

dans ce domaine est celle des ouvrages protestants qui sont à nouveau pourchassés dans

tout le royaume depuis la révocation de l’édit de Nantes en 1685. À Lyon, la plus lourde

condamnation pour délit de librairie au XVIIIe

siècle est d’ailleurs proclamée à

l’encontre de l’imprimeur-libraire lyonnais André Degouin qui avait dans ses magasins à

Lyon, à Villeneuve-les-Avignon et à Beaucaire plus de huit mille exemplaires

protestants illicites. Suite à la perquisition de la police du livre parisienne dans ses

magasins, les ouvrages sont brûlés et Degouin est obligé de fuir, probablement à

Genève348

. L’autre controverse religieuse majeure qui a entraîné la production de

nombreux livres clandestins est la querelle avec les jansénistes qui a donné lieu à des

débats théologiques virulents en particulier après la promulgation de la bulle Unigenitus

du pape Clément XI en 1713 qui dénonce le jansénisme et sa conception de la grâce

divine349

. La seconde catégorie d’ouvrages interdits est celle des livres qui véhiculent les

idées philosophiques, dont la production se fait surtout dans la deuxième moitié du

XVIIIe siècle. Ainsi à Lyon, l’imprimeur-libraire Jean-Baptiste Réguilliat imprime

clandestinement le Contrat social entre 1762 et 1763. L’édition est saisie et l’artisan

frôle la destitution qu’il subit cependant quelques années plus tard en 1767, puisqu’il

continuait à faire le commerce de livres prohibés350

. Les grands libraires ne sont pas non

plus étrangers à ce commerce, la famille Bruyset, puissante dynastie lyonnaise qui se

voit octroyer la charge d’imprimeur du roi à la veille de la Révolution, en est un

exemple criant. En effet, derrière une production officielle et religieuse les Bruyset

impriment clandestinement sous adresses fictives ou grâce à des permissions tacites, les

ouvrages du parti philosophique lyonnais351

. La proximité qu’ils entretiennent avec les

autorités locales et parisiennes, loin de contraindre leur commerce, leur a au contraire

permis de développer leur affaire pendant plusieurs années. Enfin, certains livres

interdits comportent une littérature jugée malsaine par les pouvoirs en place. C’est le cas

notamment de l’Histoire du Prince Apprius, roman précurseur et licencieux du XVIIIe

siècle qui fut condamné et qui ne connut que des éditions clandestines352

. Comme les

livres contrefaits, les livres prohibés étaient donc largement répandus et touchaient un

346 Ibid, p. 110. 347 Ibid. 348 Dominique VARRY, « André Degoin, imprimeur-libraire lyonnais condamné pour production d’ouvrages protestants (1734 -

1735) », La lettre clandestine, n°13, 2004, p. 72 et 83. 349 Anne SAUVY, op. cit., p. 110. 350 Dominique VARRY, « Jean-Baptiste Réguilliat, imprimeur-libraire lyonnais destitué en 1767 », La lettre clandestine, n°12,

2003, p. 205 et 214. 351 Dominique VARRY, « Une famille de libraires lyonnais turbulents : les Bruyset », La lettre clandestine, n°11, 2002, p. 105. 352 Dominique VARRY, « Priape sous le manteau : regard sur les éditions lyonnaises de l’Histoire du prince Apprius, roman

licencieux du siècle des Lumières », Gryphe : revue de la Bibliothèque municipale de Lyon , n°14, 2006, p. 13.

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public large et varié, ce qui ne rendait qu’apparante la sévérité du pouvoir en matière de

librairie353

.

L’étude de Brigitte Bacconnier sur les Duplain, une famille d’imprimeurs-libraires

lyonnais du XVIIIe siècle, illustre également parfaitement ce choix de s’adonner à la

production d’ouvrages illicites. Leur exemple est d’ailleurs d’autant plus intéressant que

leur parcours et leur ascension au sein de la société lyonnaise sont similaires en bien des

points à ceux des Valfray. En effet, le fondateur de la lignée lyonnaise, Marcellin

Duplain, était tout comme Guillaume Valfray, étranger au métier puisqu’il était le fils

d’un valet de ferme de Haute-Loire354

. Marié à la fille du libraire lyonnais Claude

Bachelu, il entre ainsi dans le métier et accède à la maîtrise au début du XVIIIe siècle.

Sa carrière terminée ce sont ensuite ses deux fils Pierre et Benoît qui reprennent le

commerce de librairie dans les années 1740 en s’associant sous le t itre des « frères

Duplain ». Dans la deuxième moitié du siècle, ils deviennent tous deux syndics et

adjoints de la communauté355

. Par la suite, ce sont leurs fils respectifs qui reprennent

chacun l’affaire de leur père et qui décident de se livrer de concert à la production

d’ouvrages contrefaits et interdits. Pierre-Jacques le fils de Pierre et Joseph-Benoît le

fils de Benoît entrent ainsi en contact dans les années 1770 avec la Société

typographique de Neuchâtel. L’activité de cette institution créée en 1769, est consacrée

à l’impression et à la diffusion d’éditions illicites dans toute l’Europe à des prix

avantageux. Elle a notamment permis grâce à son large réseau de correspondants, dont

les membres ont été révélés pour Lyon par Dominique Varry356

, de répandre les idées

des Lumières dans la société. Les lyonnais sont d’autant plus sollicités par la Société

typographique que la ville est un carrefour obligé qui ouvre le passage vers le sud du

royaume de France où sont envoyés de nombreux ouvrages protestants. Les lyonnais lui

procurent également des fournitures diverses : imprimés, fontes …etc. Rapidement

découvert et condamné, Pierre-Jacques Duplain s’exile dès la décennie 1770357

. Son

cousin en revanche, poursuit son commerce avec la Société et se lance en 1776 dans

l’édition de l’Encyclopédie. Il s’associe alors avec Charles-Joseph Panckoucke (1736-

1798) grand libraire et éditeur lillois et réalise une édition dans un format in-quarto

moins onéreux et plus aisé à diffuser358

. Malgré les déboires que connait sa production,

l’Encyclopédie cèle la fortune de Joseph-Benoît Duplain qui achète une charge d’écuyer

puis de maître d’hôtel du roi et s’installe à Paris dans les années 1780, où il renonce au

métier de libraire359

.

Ainsi le cas des Duplain permet d’illustrer l’ensemble de l’activité éditoriale lyonnaise

au XVIIIe siècle, dont une part importante est consacrée à la réalisation d’ouvrages

illégaux produits en marge d’une production licite diversifiée d’ouvrages de théologie,

Belles-Lettres, histoire, sciences ou encore jurisprudence360

. Bien que leur parcours et

leurs ambitions s’apparentent à ceux des Valfray, ces derniers ont joué d’autres

stratégies pour atteindre ces objectifs notamment en privilégiant une production légale et

en cumulant des fonctions officielles.

La carrière des Valfray est le reflet de la seconde attitude qu’adoptent certains

imprimeurs-libraires lyonnais face aux difficultés que connaît alors le monde de la

353 Anne SAUVY, op. cit., p. 119. 354 Brigitte BACCONNIER, Cent ans de librairie au siècle des Lumières : les Duplain, sous la direction de Dominique Varry,

2007, Thèse, Histoire moderne, Université Lumière Lyon II, p. 94. 355 Ibid, p. 107. 356 Dominique VARRY, « La diffusion sous le manteau : la Société typographique de Neuchâtel et les lyonnais », dans L'europe

et le livre: réseaux et pratiques du négoce de librairie XVI e-XIXe siècles, postf. de Roger Chartier, [Paris], Klincksieck, 1996

(Cahiers d'histoire du livre), p. 309. 357 Brigitte BACCONNIER, op. cit., p. 130. 358 Ibid, p. 301. 359 Ibid, p. 125 et 129. 360 Ibid, p. 316.

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librairie et de l’imprimerie. En effet, après s’être établi comme la plupart des jeunes

imprimeurs-libraires en reprenant ou en rachetant le fonds d’imprimerie et de librairie

d’un parent ou d’un membre de la communauté, Pierre I Valfray361

choisit de gagner une

visibilité publique en occupant des fonctions au sein de la Chambre syndicale des

imprimeurs-libraires. Composée d’un syndic et de quatre adjoints (deux libraires et deux

imprimeurs) en exercice pendant deux ans, la Chambre a un rôle de gestion et de

contrôle de la communauté et de sa production qui s’exprime notamment par

l’inspection de tous les ballots, paquets et malles de livres importés et exportés de la

ville de Lyon362

. Ses représentants peuvent également assister la police du livre lors des

perquisitions ou des visites dans les magasins et les ateliers des imprimeurs-libraires. En

1696 Pierre I est élu adjoint imprimeur de la communauté363

. Mais il semble qu’il est

déjà occupé cette fonction plusieurs années auparavant comme l’indique un acte notarié

de 1685 :

« furent presans sieurs Pierre Bailly, Jean Baptiste Deville, et Pierre Valfray

marchands Libraires de ceste ville Sindic et adjoints de la Communauté […]

faisans La plus grande et saine partie des Livres […] »364

La réélection de Pierre I indique qu’il jouit à la fois de compétences professionnelles,

d’un bon niveau de fortune et d’une probité importante. Elle marque le début de

l’accaparement des fonctions de la Chambre par les grands libraires lyonnais : les

Anisson, les Duplain occupèrent aussi ces postes au XVIIIe siècle

365.

La nomination de Pierre I est d’autant plus cruciale qu’elle lui permet, par le pouvoir

qu’elle confère, d’accéder à la première marche qui mène à l’échevinage. En effet, pour

atteindre une telle distinction, il est d’usage tout au long de l’Ancien Régime,

d’accomplir les étapes du cursus honorum, c’est-à-dire au sens romain du terme,

d’exercer plusieurs fonctions publiques et politiques. Ainsi après avoir obtenu un siège à

la Chambre syndicale, il est courant que les élus entrent dans les pennonnages366

afin de

devenir officier. Plusieurs membres de la communauté des imprimeurs-libraires parmi

les plus importants tel Antoine Jullieron, imprimeur du roi et de la ville et capitaine

penon du quartier Confort, se voient octroyer ces dignités367

. Cependant, il semble que

ni Pierre I ni Pierre II Valfray n’aient été officiers de milice. En revanche, ils ont tous

deux occupé les charges publiques de recteurs des deux grands hôpitaux lyonnais. Pierre

I fut nommé recteur de l’Hôtel-Dieu en 1703 puis recteur de l’Aumône générale en

1712. Et Pierre II occupa également ce poste en 1735-1736. Ils furent tous deux

désignés autoritairement parmi une liste de plusieurs notables par les recteurs en charge

et durent apporter une large contribution financière au fonctionnement des

établissements, sous la forme de prêts et de dons, pendant les deux ans de leur

rectorat368

. Par la suite il est courant que les prétendants à l’échevinage siègent au

tribunal de la Conservation, l’institution qui assure la régularité des opérations

commerciales dans la ville. Et bien que nous n’ayons pas trouvé de sources qui prouvent

que Pierre II ait été juge de la Conservation, sa nomination au statut d’échevin indique

qu’il a sans doute exercé cette fonction qui est une sorte de passage obligé vers

l’échevinage. Quoi qu’il en soit il est certain qu’il fut juge de la Conservation à partir de

361 Jean-Dominique MELLOT (éd.), Élisabeth QUEVAL (éd.), Antoine MONAQUE (collab.), Répertoire d’imprimeurs-libraires

(vers 1500-vers 1810), Paris, Bibliothèque nationale de France, 1990, nouv. éd. rev. et augm. 2004 , p. 534. 362 Pierre GROSCLAUDE, op. cit., p. 161. 363 Simone LEGAY, Un milieu socio-professionnel : les libraires lyonnais au XVIIe siècle…, op. cit., p. 88. 364 A.D.R., 3E 8177. 365 Simone LEGAY, op. cit., p. 89. 366 Milices bourgeoises qui ont pour fonction de garder les portes de la ville et de maintenir l’ordre. Elles ont également un rôle

d’apparat lors des réjouissances publiques et des entrées royales. 367 A.M.L., BB 220 f°410. 368 Simone LEGAY, op. cit., p. 447.

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La dynastie des Valfray

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l’obtention de son statut d’échevin puisque depuis 1655 les charges d’officiers du

tribunal sont jointes automatiquement aux charges municipales369

. D’après l’étude

d’Ennemond Fayard, l’obtention de l’office de juge se paie, au XVIIe siècle, près de

130 000lt370

. L’accession à l’échevinage est ensuite décidée par un vote même si c’est en

fait l’avis royal qui l’emporte. Elle procure un ensemble d’égards et de privilèges,

notamment en cas de mariage ou de décès, et d’exemptions : l’échevin est dispensé des

octrois sur le vin, les épices et autre denrées371

, du ban, de l’arrière-ban372

et de certaines

autres taxes. À l’entrée et au sortir de la charge, il doit verser plusieurs sommes d’argent

le plus souvent sous la forme de donations.

L’échevinage est donc une fonction honorifique qui se paie très cher mais dont l’apport

de prestige public est inégalable puisqu’il confère la noblesse héréditaire, un privilège

accordé par Charles VIII (1470-1498) en 1495373

. Néanmoins, rares sont les membres de

la Communauté des imprimeurs-libraires qui y parviennent : Simone Legay indique dans

sa thèse que six libraires atteignent l’échevinage au XVIIe siècle et que trois seulement,

Valfray, Anisson et Borde y accèdent au XVIIIe siècle. Leur ascension s’explique

surtout par le niveau de fortune qu’ils ont atteint , qui leur permet de rivaliser avec les

plus grands marchands lyonnais374

. Pour Pierre II Valfray qui devient échevin en 1743, il

s’agit donc avant tout d’entretenir des relations privilégiées avec le pouvoir souverain

afin d’assurer son avenir et celui de sa descendance dans la société. À cette fin il imite

le comportement des grands négociants en investissant dans les offices autant que dans

les domaines fonciers. La noblesse héritée de son père permit ainsi à Pierre III

d’acquérir l’office d’écuyer et le titre de seigneur de Salornay375

.

Plus encore, l’ascension de la famille Valfray est marquée par les choix stratégiques

qu’ils adoptent dans l’exercice de leur métier d’imprimeur-libraire. En effet, à l’inverse

des Duplain par exemple, leur carrière professionnelle est aussi le reflet de leur volonté

d’entretenir une proximité avec les pouvoirs en réalisant une production officielle et

légale.

Pour se faire, Pierre I et Pierre II cumulent les charges publiques d’imprimeur du roi et

du clergé ce qui leur procure l’exclusivité de l’édition d’une somme d’imprimés relatifs

à l’administration royale et ecclésiastique. En effet, de même qu’à Rouen par exemple,

une autre ville de province où le commerce de l’imprimerie et de la librairie a un rôle

majeur, on assiste en période de crise, à l’accaparement par quelques artisans d’un

marché fructueux que Jean-Dominique Mellot nomme le « non-livre »376

. Cette

expression désigne notamment la Gazette, les « travaux de ville » c’est-à-dire les

imprimés qui sont voués à un usage quotidien et administratif ainsi que le marché

paroissial qui comprend par exemple, les imprimés archiépiscopaux. Cette production

procure une sécurité financière aux Valfray puisqu’ils répondent à des commandes des

pouvoirs civils et religieux dont les administrations se mettent en place et se

développent. Notons néanmoins que si la détention de la charge d’imprimeur du roi est

toujours un apport de prestige elle n’est pas nécessairement un gage de fortune. Jean-

Dominique Mellot illustre parfaitement cet aspect dans sa thèse en avançant l’exemple

d’un imprimeur du roi de la ville de Rouen de la fin du XVIIe siècle dont il a retrouvé

l’inventaire après décès, lequel indique : peu de presses, aucunes terres, des dettes et un

369 Ennemond FAYARD, Études sur les anciennes juridictions lyonnaises, Paris, Guillaumin, 1863, p. 18. 370 Ibid, p. 17. 371 Taxes d’entrée dans une ville pour certaines marchandises. 372 Temps de service militaire dû par les hommes selon leur rang dans la société. 373 Robert de SAINT-LOUP, Dictionnaire de la noblesse consulaire de Lyon : généalogies et armes des 489 familles d’échevins

et prévôts des marchands de la ville de Lyon, 1499-1789, Versailles, Mémoires et documents, 2004, p. 6. 374 Simone LEGAY, op. cit., p. 447. 375 Jean-Dominique MELLOT (éd.), Élisabeth QUEVAL (éd.), Antoine MONAQUE (collab.), op. cit., p. 535. 376 Jean-Dominique MELLOT, L’édition rouennaise et ses marchés (vers 1600-vers 1730) : dynamisme provincial et centralisme

parisien, Paris, École des chartes, 1998, p. 270.

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stock de librairie peu fourni377

. Il n’y a donc pas de corrélation systématique entre la

détention de la charge d’imprimeur du roi et la richesse. Ce n’est pas le titre qui attire

les capitaux mais la manière dont les imprimeurs qui la détiennent arrivent à

s’approprier stratégiquement plusieurs marchés d’impressions.

La détermination des Valfray à cumuler des charges les rapproche de l’imprimeur -

libraire lyonnais Aimé Delaroche qui a été étudié par Nelly Dumont et dont le parcours

recoupe à bien des moments celui de la dynastie des Valfray378

. En effet, comme ces

derniers, Delaroche est l’un des rares imprimeurs-libraires du XVIIIe siècle à se voir

octroyer une charge officielle : en 1739 il est nommé imprimeur ordinaire de la ville379

bien que comme Pierre II, il ne constitue que la troisième génération d’imprimeurs -

libraires de sa famille. Il choisit lui-aussi de réaliser une production licite et cumule plus

encore que Pierre II les charges publiques : il devient l’imprimeur officiel de

monseigneur le duc de Villeroy alors gouverneur, de l’Académie des Beaux -Arts de la

ville, de l’hôpital de la Charité, des hôpitaux généraux, des Arts et Métiers, de la Société

d’agriculture, de la Sénéchaussée et succède à Pierre III au titre d’imprimeur du

clergé380

. La seule charge qu’il ne put obtenir officiellement fut celle d’imprimeur du roi

de la ville de Lyon, que Pierre III lui avait pourtant promis lorsqu’il lui vendit son fonds

en 1749381

, mais qui fut finalement octroyé à la famille Bruyset proche des pouvoirs

locaux et de certains agents de la monarchie. Delaroche fut néanmoins nommé

imprimeur ordinaire du roi dans les Dombes382

. Par sa réussite et la nature de sa

production la carrière d’Aimé Delaroche peut donc être rapprochée de celle de Pierre II

Valfray même si leurs ambitions et leur éclat dans la société lyonnaise ne furent pas

semblables. En effet, si Delaroche exerça les fonctions de syndic et d’adjoint de la

Chambre syndicale383

il ne poussa pas plus avant sa carrière dans les charges publiques

et ne put jamais, malgré sa fortune, s’élever à un rang supérieur à celui d’imprimeur -

libraire.

Enfin, il est intéressant de remarquer que les Valfray ne se contentent pas seulement de

ne pas éditer de livres contrefaits ou illicites mais qu’ils participent en tant qu’élus de la

communauté par exemple, à l’arrestation de leurs confrères. Ainsi Pierre II Valfray fait

partie des imprimeurs-libraires experts désignés par les autorités locales en 1734 pour

perquisitionner chez André Degouin à la recherche de livres protestants interdits384

. Et il

semblerait que Pierre III soit à l’origine de la demande de saisie réalisée chez Jean -

Baptiste Réguilliat en 1762-63 parce que ce dernier aurait réalisé des impressions

illégales d’arrêts du Parlement dont Pierre, en sa qualité d’imprimeur du roi, a

l’exclusivité385

. Non sans une touche de cinisme, c’est d’ailleurs lui qui imprime l’arrêt

du Conseil d’État du roi qui destitue Réguilliat en 1767386

.

Les alliances matrimoniales

Outre leurs stratégies professionnelles et politiques, l’ascension et surtout

l’assimilation très rapide des Valfray dans la société lyonnaise résultent du choix de

leurs épouses qui leur ont permis, par leurs unions, d’accéder aux rangs les plus aisés.

377 Ibid, p. 290. 378 Nelly DUMONT, Aimé Delaroche : imprimeur lyonnais du XVIIIe siècle et la presse locale, 1982, Mémoire, Diplôme

supérieur de bibliothécaire, École nationale supérieure de bibliothécaires. 379 A.M.L., BB 304 f°110. 380 Nelly DUMONT, op. cit., p. 14. 381 Cf. Annexe 6. 382 Nelly DUMONT, op. cit., p. 18. 383 Ibid, p. 13. 384 Cf. Illustration 3. 385 Dominique VARRY, « Jean-Baptiste Réguilliat, imprimeur-libraire lyonnais destitué en 1767 », La lettre clandestine, n°12,

2003, p. 214. 386 Cf. Illustration 4.

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La dynastie des Valfray

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Pour un étranger qui ne descend pas d’une dynastie d’imprimeur-libraire, s’établir au

sein de la Communauté des métiers du livre lyonnais n’est pas chose facile. Néanmoins,

plusieurs procédés existent pour aider les nouveaux venus à se constituer un capital de

départ. Le rachat d’un fonds de librairie ou d’imprimerie est un des moyens les plus

courants, de même que les alliances professionnelles sous la forme d’associations entre

plusieurs artisans ou membres de la même famille. La production des Duplain par

exemple, s’accroît lorsque Benoît et Pierre s’associent dans les années 1740 et son

apogée vient dans les années 1760 lorsqu’ils sont associés avec d’autres grands

libraires : les Bruyset, les Perisse et les Deville387

. Les Valfray eux, n’ont jamais eu

recours à de telles associations ni avec des confrères ni entre frères alors que rappelons

le, Pierre II faisait partie d’une fratrie de quatorze enfants parmi laquelle il y avait trois

autres garçons388

. Pourquoi un tel désintérêt pour les alliances professionnelles ? Il

semble qu’une des réponses à cette question nécessite un rapprochement avec les

ambitions et les logiques de la stratégie professionnelle et politique que nous avons

présenté plus haut. En effet, nous avons mis en lumière, notamment par la comparaison

de leur carrière dans le métier avec celle d’Aimé Delaroche, que les Valfray avaient

pour principal objectif l’accession à la noblesse par l’échevinage. Or, réaliser des

associations professionnelles correspond plutôt à des ambitions de réussite dans le

commerce de l’imprimerie et de la librairie ce qui n’est pas une fin mais un moyen pour

les Valfray qui cherchent à atteindre un autre but. Dès lors, il est logique qu’ils placent

leurs espoirs de réussite dans le plus sûr des procédés parmi les plus utilisés pour

s’établir : le mariage avec une fille ou une veuve d’imprimeur-libraire.

Le mariage de Guillaume Valfray avec Françoise Beaujollin, la fille d’un laboureur de

Saint-Didier, ne semble pas servir une stratégie professionnelle puisqu’il ne s’agit pas

d’une famille d’imprimeurs-libraires. Nous n’avons d’ailleurs pas pu établir un lien de

parenté entre Françoise Beaujollin et la famille d’imprimeurs-libraires lyonnais

Beaujollin à laquelle Pierre I rachète en 1705 le fonds de librairie d’Antoine Beaujollin

mort en 1694389

. Le contrat de mariage établi en 1644 ne donne aucune indication sur la

dot de la future épouse peut-être issue d’un milieu trop modeste. Seul l’apport de

Guillaume Valfray est mentionné : il promet 1500lt à se femme en cas de rupture de leur

union390

. Cependant, Guillaume n’a-t-il vraiment usé d’aucune stratégie matrimoniale

pour s’introduire et s’implanter dans la Communauté lyonnaise des imprimeurs -

libraires ? Un document mentionné par Simone Legay dans sa thèse nous permet d’en

douter. En effet, cette dernière cite le récit contenu dans un factum du XVIIe siècle qui

selon elle, concerne un oncle de Pierre I Valfray391

, et qui s’intitule

« BRIEFVE INSTRUCTION DU PROCÉZ pendant entre Claudine Colombier,

Demanderesse : Et Guillaume Valfray, Maistre Imprimeur de Lyon,

Defendeur. »392

Or il est difficile de croire en l’existence de deux homonymes vivant à Lyon au même

moment et exerçant le même métier. Nous proposons donc l’hypothèse suivante :

Guillaume Valfray, qui est mentionné dans ce factum, est bien le père de Pierre I

Valfray et non son oncle, mais il a été marié avant ou après son mariage avec Françoise

Beaujollin à la veuve de l’imprimeur lyonnais Pierre Colombier.

L’exposé des faits du procès, oppose Claudine Colombier, la sœur du défunt Pierre

Colombier à Guillaume Valfray, dans un litige au sujet de l’héritage du défunt. Celui -ci,

387 Brigitte BACCONNIER, op. cit., p. 218. 388 Cf. Annexe 7. 389 Jean-Dominique MELLOT (éd.), Élisabeth QUEVAL (éd.), Antoine MONAQUE (collab.), op. cit., p. 534. 390 A.D.R., 3E 4884. 391 Simone LEGAY, op. cit., p. 276. 392 B.M.L., F.A., 365027.

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aurait en effet désigné dans son testament, rédigé vers 1627-1628, peut-être plusieurs

années avant son décès, sa femme, Esmeraude Page, comme héritière. Cette dernière,

s’est ensuite remariée, à une date qui nous est inconnue, avec Guillaume Valfray, qui

devint à son tour, lorsqu’elle mourut, son héritier. La sœur de Pierre Colombier réclame

à Valfray l’argent qui appartenait à la défunte et qu’elle avait, selon elle, hérité de son

frère, ainsi que le remboursement des sommes que la défunte lui a prêté. Guillaume

Valfray réfute ses prétentions sur son argent et avance plusieurs arguments pour contrer

ses accusations : il affirme qu’il n’a jamais rien eu de sa femme, et surtout que s’il

détient aujourd’hui l’atelier d’imprimerie de son premier mari c’est qu’il l’a racheté

officiellement, à l’un des créanciers de Colombier, Jean Morillon :

« Il faut remarquer, que tout le bien de feu Pierre Colombier, pretendu Testateur,

ne consistoit qu’en une Imprimerie, & en quelques autres meubles, lesquels bien

furent saisis à la requeste de Iean Morillon, & autres creanciers : ledit Morillon

ayant prouué, que l’Imprimerie dudit Colombier estoit sienne ; & de fait elle luy

fut adjugée par authorité de Iustice : laquelle Imprimerie ledit Morillon fit vendre

en l’Audiance au plus offrant, & dernier encherisseur, & retira les deniers

prouenans d’icelle vente : Ce qui se verifie par l’achat mesme de ladite

Imprimerie, qui est à present entre les mains dudit Valfray »393

Selon lui, sa femme usait d’ailleurs librement de son argent :

« elle auoit tout son bien en maniement, qu’elle auoit tout le soin de son mesnage,

& de sa depense, & qu’elle alloit elle-mesme receuoir son argent chez les

Marchands, luy estant presque toûjours incommodé, & affligé des goutes, qui ne

luy permettent pas le plus souuent de faire vn seul pas, comme encor à present il y

a plus de trois mois qu’il n’a pû sortir pour aller à la Messe, si l’on ne le porte,

estant toûjours detenu au lict. Ainsi il soustient que tout l’argent de sa maison est à

luy. »394

Bien que l’issue de ce procès nous soit inconnue, le maintien de Guillaume Valfray dans

le commerce de l’imprimerie, nous incite à penser qu’il a probablement remporté cette

bataille juridique.

Dès lors deux hypothèses sont envisageables en ce qui concerne les alliances

matrimoniales de Guillaume Valfray. La première veut que bien que Guillaume ait été

reconnu installé à Lyon en 1643, il habitait peut-être déjà à Lyon depuis plusieurs

années si l’on prend en compte les délais parfois très longs d’enregistrement des

nouveaux habitants. On peut alors imaginer qu’en arrivant à Lyon il a terminé son

apprentissage chez Pierre Colombier et que lorsque celui-ci mourut, il se maria avec sa

veuve et repris son atelier d’imprimerie. Françoise Beaujollin serait alors sa deuxième

épouse, ce qui expliquerait pourquoi il n’a pas besoin de se marier avec une famille de la

Communauté d’imprimeurs-libraires étant déjà établi grâce à son premier mariage. La

deuxième hypothèse que nous pouvons formuler, veut au contraire qu’il se maria avec la

veuve Colombier en seconde noces, après la naissance de Pierre I en 1648. Cette

possibilité suppose que Guillaume Valfray, qui se serait marié avec Françoise Beaujollin

en arrivant à Lyon, disposait déjà d’un capital pour démarrer sa propre affaire peut -être

hérité de sa famille, puisque sa future épouse ne semble pas lui apporter de dot. Quoi

qu’il en soit nous ne disposons d’aucunes informations qui pourraient éclairer cette

situation.

393 Ibid. 394 Ibid.

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La dynastie des Valfray

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Par la suite, le mariage contracté par Pierre I Valfray est beaucoup plus révélateur des

attitudes au sein du métier qui est fortement marqué par l’endogamie395

. En effet, il se

sert vraisemblablement du réseau de sociabilité de sa mère et son beau-père pour trouver

sa future épouse. Après la mort de Guillaume au début de la décennie 1670, Françoise

Beaujollin se remarie avant 1674 avec l’imprimeur-libraire Jean Grégoire. Ce dernier

avait été marié une première fois, le 31 janvier 1656, à une des filles de Pierre I Bailly396

que nous supposons être Antoinette Bailly d’après l’acte de vente du fonds d’imprimerie

de Jean Grégoire en 1780397

. Jean Grégoire a donc pu introduire Pierre auprès de la

famille Bailly puisqu’il épouse Jeanne Bailly, une autre fille de Pierre I Bailly, en 1675.

Lors de cette union elle apporte une dot de 4500lt qui est l’élément primordial de la

fortune du nouveau ménage398

. Cette somme assez importante, nous indique que la

famille Bailly a un niveau de fortune élevé (surtout si l’on tient compte du fait que

Pierre I Bailly a eu plusieurs filles) et que Pierre a donc réalisé un bon mariage.

Cependant, il nous faudrait pouvoir consulter le détail de la composition de cette dot

pour savoir s’il s’agit d’argent comptant ou de biens divers dont l’évaluation réelle reste

difficile.

Le mariage de Pierre II Valfray avec Marie Besseville marque ensuite l’élargissement du

cercle endogame dans lequel évoluent les Valfray sans pour l’instant qu’ils ne sortent de

leur catégorie sociale qui est celle des maîtres de métier et des marchands. Le 8

décembre 1714 un contrat de mariage est établi devant notaire pour officialiser les

conventions passées entre les futurs époux399

. Notons qu’il ne s’agit pas là d’un acte

isolé au XVIIIe siècle dans la ville de Lyon. En effet, les sondages opérés par Maurice

Garden sur l’ensemble des mariages célébrés dans la ville et les faubourgs de Lyon

pendant cette période, montrent que 95% des mariages sont précédés de contrats, et ce

dans tous les milieux sociaux et professionnels et à tous les niveaux de fortune400

. Plus

de mille contrats sont ainsi rédigés chaque année par les notaires lyonnais tout au long

du siècle, comme suit :

« Pard[evan]t Les C[onseill]er du Roy no[tai]res a lyon soubz[…] furent presans

sieur Pierre Valfray marchand bourgeois de lyon fils de sieur Pierre Valfray aussy

marchand bourgeois au[dit] Lyon Et de dame Jeane Bailly Epoux advenir d’une

pars […] Demoiselle anne Marie Besseville fille de sieur Alexis Besseville

marchand ce cette ville et de la deffuncte dame anne Berrier Epouze advenir

d’autre par tous deux demeurant paroisse S[ain]t Nizier Lesquels de leurs grés

procedans Led[it] sieur Epoux futur de L’authorité des[dits] sieur et dame ses pere

et mere cy p[resen]t Et la[dite] dem[oise]lle Epouse future Comme majeure et de

l’avis de Sieur Charles Besseville son oncle Bourgeois de Paris aussy cy pre[sen]t

Ont les[dits] sieur [et] dem[oise]lle Epoux et Epouze future faits Les promesses de

mariage Constitutions et donnations suivants […] »401

Un phénomène qui trouve une explication avant tout juridique puisque Lyon est située

dans la zone du droit écrit où la communauté de biens n’a pas été établie ce qui institue

des incertitudes sur la condition des biens de la femme en cas de veuvage par exemple,

si une constitution de dot n’a pas été dressée formellement auparavant402

.

Ainsi, cet acte nous apprend tout d’abord des éléments d’état civil sur la future épouse

qui est également originaire de la paroisse Saint-Nizier ce qui a certainement facilité le

395 Simone LEGAY, op. cit., p. 318. 396 Jean-Dominique MELLOT (éd.), Élisabeth QUEVAL (éd.), Antoine MONAQUE (collab.), op. cit., p. 40. 397 A.D.R., 3E 6958. 398 Simone LEGAY, op. cit., p. 305. 399 Cf. Annexe 10. 400 Ibid, p. 145. 401 Cf. Annexe 10. 402 Maurice GARDEN, op. cit., p. 147.

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rapprochement des deux familles, et majeure, c’est-à-dire qu’elle a plus de vingt-cinq

ans. Elle est la fille d’un marchand, Alexis Besseville, dont la femme, Anne Berrier, est

décédée. Remarquons que bien que les époux soient tous deux majeurs, leurs parents

sont présents pour la signature de cet acte et donnent ainsi officiellement leur

consentement. Par ailleurs, alors que Pierre I se nommait « maître imprimeur et

marchand libraire » dans son testament403

, il est désigné ici, ainsi que son fils, comme

« marchand bourgeois de Lyon ». Cette distinction est à la fois, la marque de leur

volonté d’affirmation d’une promotion sociale par rapport au statut de maître

imprimeur-libraire et indique leur entrée dans le groupe des notables lyonnais, ce qui

induit pour eux : une plus grande liberté, une chance accrue de participer plus

activement à la vie de la cité et l’espoir de voir leur fortune s’accroître davantage404

. Le

contrat de mariage nous apporte d’ailleurs des renseignemen ts sur les apports au

mariage des époux. Pierre I donne à son fils, en plus des dispositions qu’il a pris pour lui

dans son testament :

« La somme de Soixante mil Livres En marchandises de son fonds de

Commerce »405

Et La future épouse se voit constituée une dot d’une valeur considérable :

« lad[ite] dem[oise]lle Epouse future se Constitue en dot tous et un chacun ses

biens ses droits presans et advenir Et par Special La Somme de trente sept mil cinq

cens Livres qui luy est Eschouer en lad[ite] suscription dud[it] sieur son père

scavoir trente cinq mil cinq cent livres en deniers comptant Et deux mil Livres en

meubles […] »406

Le montant de sa dot dépasse celui des épouses des frères Duplain par exemple : la

femme de Pierre, fille du libraire Louis Bruyset, et celle de Benoît, fille d’un négociant,

apportent en dot la somme de 20 000lt chacune, des sommes déjà considérables mais qui

restent bien inférieures au montant de la dot de Marie Besseville407

. Les apports au

mariage de Marie Besseville et Pierre II Valfray atteignent ainsi la somme globale de 97

500lt ce qui les hisse au niveau des plus grandes fortunes lyonnaises du négoce,

lesquelles cèdent le pas tout au long du XVIIIe siècle, au monde des officiers et à la

noblesse qui rassemblent les familles les plus riches408

. Leur fortune est d’ailleurs

augmentée l’année suivante par l’apport de près de 10 000lt par l’une des sœurs de

Marie Besseville, Françoise409

. Ce don ainsi que l’apposition de plus d’une vingtaine de

signatures au bas du contrat de mariage dont celle d’un oncle de Marie dont il est

indiqué qu’il est « bourgeois de Paris », témoignent de l’importance de cette union pour

l’ensemble des deux familles.

Par ailleurs, le véritable statut du père de Marie Besseville nous a été révélé par un

document judiciaire daté de 1738 qui relate le procès entre Laurent Coindat un

compagnon tireur d’or à Lyon et les héritiers Besseville dont l’épouse de Pierre II fait

partie410

. En effet, Laurent Coindat aurait été un temps apprenti puis compagnon tireur

d’or auprès de M. Besseville père, lequel n’aurait pas respecté la durée de son contrat

d’apprentissage ce qui l’empêcha d’accéder à la maîtrise. Laurent Coindat demande

donc réparation du préjudice qui lui a été fait auprès des héritiers de son ancien maître .

Ce factum nous donne ainsi le corps de métier auquel appartient le père de Marie

403 Cf. Annexe 9. 404 Maurice GARDEN, op. cit., p. 255. 405 Cf. Annexe 10. 406 Ibid. 407 Brigitte BACCONNIER, op. cit., p. 95. 408 Maurice GARDEN, op. cit., p. 263. 409 A.D.R., 3E 8197. 410 B.M.L., F.A., 26633.

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Besseville : il est marchand et maître tireur d’or c’est-à-dire qu’il réduit l’or en fils

déliés en le faisant passer dans une filière411

, notamment pour fournir les ateliers des

ouvriers en soie. Mais surtout, il nous fait part de l’implication de Pierre II dans ce

procès en sa qualité d’époux d’une des « defenderesses » :

« Le sieur Valfray prétend avoir consulté des Jurisconsultes sur la matiere, sçavans

interpretes des Statuts de la Communauté des Tireurs d’or ; il a foüillé dans sa

bibliotéque d’Arrêts ; il y a lû, à ce qu’il prétend, la condamnation de Coindat ; il

témoigne même sa surprise à ceux qui veulent l’entendre de ce qu’un indigent, un

miserable, ose traduire en Justice un homme de son crédit & de son opulence. »412

Des paroles qu’il est sans doute nécessaire de modérer puisqu’elles sont tenues par

l’avocat de Coindat maître Delorme.

Par la suite, les mariages contractés par Pierre III Valfray sont significat ifs de l’entrée

de la famille dans la noblesse. Né comme son père et son grand-père dans la paroisse

Saint-Nizier, le 23 octobre 1715, il semble qu’il ait commencé à exercer le métier vers

1738 avec son père et qu’il ait été désigné par lettres patentes du 18 juin 1740 pour lui

succéder à la charge d’imprimeur du roi de la ville413

. D’après Audin, celles-ci ne furent

enregistrées que l’année suivante, le 17 juin 1741. Pierre III a sans doute pratiqué seul le

métier à partir de l’élévation de son père au rang d’échevin et de son anoblissement,

puisque ce dernier choisit de vivre noblement, c’est-à-dire de n’exercer aucun métier. Le

24 mai 1746, Pierre III épouse Élisabeth Quatrefage de La Roquette dans la paroisse

d’Ainay (sud de la presqu’île lyonnaise)414

. Il s’agit, comme pour son père, d’un premier

mariage assez tardif puisqu’il a trente et un ans. De cette union, Marius Audin indique

seulement la naissance de deux enfants : Pierre en 1747 et Marie-Élisabeth en 1748415

.

Nous n’avons pas trouvé d’informations supplémentaires concernant la famille

Quatrefage de La Roquette, qui nous auraient permis de préciser leur condition sociale.

Seule la liste des inventaires après décès tenue par les archives départementales du

Rhône indique l’existence de l’inventaire daté de 1776, d’un certain Pierre Quatrefage

de La Roquette, négociant, mais dont l’acte est manquant416

. Nous ne pouvons donc que

supposer, compte tenu du rang atteint par les Valfray dans la société lyonnaise, qu’il

s’agit de la fille d’un négociant ou d’un officier fort riche. En secondes noces,

certainement suite au décès de sa première femme, Pierre III épouse le 13 avril 1763

Félicianne Lorenzo de Naboa dans l’église de la paroisse Saint-Pierre et Saint-Saturnin

(territoire de Cuire-La-Croix-Rousse)417

. Il a alors cinquante huit ans. Marius Audin

affirme qu’il s’agit de la fille d’un négociant de Cadix (Espagne), une indication que

nous pouvons appuyer en prenant en compte à la fois l’implantation géographique de la

famille Lorenzo de Naboa au nord de la ville de Lyon et l’importance des liens

commerciaux qui existent au XVIIIe siècle entre la France et la ville de Cadix. En effet,

leur mariage sur une des trois paroisses de La Croix-Rousse suggère que Félicianne

Lorenzo de Naboa habite ce quartier qui accueille la plupart des manufactures

lyonnaises et surtout la Grande Fabrique des étoffes de soie au rayonnement européen418

.

Il est donc fort probable que la famille Lorenzo de Naboa soit liée au commerce de la

soie, très prospère pour certains gros négociants. Ajoutons également que le mouvement

411 Dictionnaire universel françois et latin, vulgairement appelé dictionnaire de Trévoux. Tome 2, Trévoux, E. Ganeau, 1704,

nouv. éd. rev. et augm. Paris, Compagnie des libraires associés, 1771, rééd. Genève, Slatkine Reprints, 2002, p. 59. 412 Ibid. 413 Marius AUDIN, L'imprimeur du roi, Lyon, Audin, 1925 (non paginé) 414 Marius AUDIN, Somme typographique : l’imprimerie à Lyon aux XVIIIe et XIXe siècles, Volume 6. VI-III (P-W), Lyon, Musée

de l’imprimerie et de la banque de Lyon, Institut d’histoire du livre, 2007 (non paginé ) 415 Cf. Annexe 7. 416 A.D.R., BP 2264. 417 Marius AUDIN, op. cit. 418 Maurice GARDEN, op. cit., p. 211.

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important d’immigration vers la ville de Lyon au XVIIIe siècle que nous avions constaté

avec le cas de Guillaume Valfray, ne touche pas exclusivement les milieux populaires et

artisanaux mais aussi le monde des marchands et des bourgeois419

. Il ne serait donc pas

étonnant que la famille de l’épouse de Pierre III soit une famille de négociants espagnols

venus à Lyon faire fortune dans l’industrie de la soie. Enfin, l’orig ine gaditane de cette

famille s’explique au moins en partie par les liens commerciaux étroits qui existent sous

l’Ancien Régime entre le royaume de France et la ville de Cadix. En effet, depuis la

découverte des Amériques à la fin du XVe

siècle, la ville est utilisée comme port de

rattachement par les espagnols. Elle devint ainsi un haut lieu du commerce et l’une des

villes les plus riches d’Europe qui abritait une importante communauté française.

Nous regrettons de ne disposer pour aucunes des unions de Pierre III, des montants des

dots de ses épouses qui auraient pu nous éclairer sur le véritable niveau de fortune des

familles avec lesquelles se lient les Valfray à la fin du siècle. Cependant, ces deux

mariages avec des filles de négociants mettent en lumière une tendance des grands

libraires lyonnais qui s’allient par le mariage, avec le milieu des puissants commerçants

qui leur convient davantage que leur propre milieu tant au niveau de la fortune que de la

position sociale420

. Benoît Duplain et plus tard son fils, Joseph-Benoît, épousèrent

d’ailleurs eux aussi, des filles de riches négociants421

.

Pour les Duplain comme pour les Valfray, le choix de leurs épouses est bien

révélateur de leur volonté de s’élever au plus haut rang de la société lyonnaise. Pierre I

et surtout Pierre II Valfray, utilisent le commerce de l’imprimerie et de la librairie à

cette fin, ce qui fait de la charge d’imprimeur ordinaire du roi un moyen supplémentaire

pour y parvenir. Plus que s’assimiler au métier, Pierre II Valfray cherche à dépasser la

condition qu’il a hérité de ses aïeux et à encrer la lignée dans un nouvel état : celui de

noble. Un parcours qui illustre parfaitement les mots de Maurice Garden à propos de la

noblesse de la ville de Lyon dans le dernier siècle de l’Ancien Régime :

« Sa noblesse est souvent récente, elle « sent » la marchandise le plus souvent,

mais elle existe, et sa place dans l’économie de la cité est considérable au XVIIIe

siècle. »422

LA POSTÉRITÉ DE LA FAMILLE

Avec l’accession de Pierre II Valfray au rang de noble au terme de son échevinat en

1744, le destin de la dynastie des Valfray prend une nouvelle orientation. Son

cheminement vient confirmer le constat dressé par Dominique Varry sur les trajectoires

familiales des gens du livre à Lyon au XVIIIe siècle, qui révèle que les grandes

dynasties d’imprimeurs-libraires ne se perpétuent plus au-delà de la quatrième

génération423

.

L’extinction de la lignée d’imprimeurs-libraires

L’extinction d’une lignée, toutes catégories socioprofessionnelles confondues, sous

l’Ancien Régime est souvent imputable à l’absence de descendants mâles. Si une fratrie

ne compte qu’un seul fils, le destin de la famille est tout aussi précaire car celui -ci peut

419 Ibid, p. 252. 420 Simone LEGAY, op. cit., p. 319. 421 Brigitte BACCONNIER, op. cit., p. 105 et 126. 422 Op. cit., p. 259. 423 Dominique VARRY, « Les gens du livre à Lyon au XVIIIe siècle : trajectoires familiales, parcours individuels », Bulletin de

l’Association québécoise pour l’étude de l’imprimé, n°34, 2007, p. 8.

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mourir brutalement ou de maladie, peut devoir répondre à des obligations militaires ou

encore décider d’entrer dans les ordres. Le départ d’un fils unique pour l’étranger ou la

capitale peut également signer la fin d’une lignée lyonnaise424

. Plus encore, malgré la

présence de descendants mâles, certaines dynasties ne peuvent se perpétuer du fait de la

faillite de leur commerce. Ce cas de figure a pour principales causes un changement de

conjoncture économique, comme c’est le cas dans la deuxième partie du XVIIe

siècle,

une incapacité du jeune homme dont le talent n’est pas à la hauteur de celui de son père

ou une querelle entre plusieurs frères. La séparation des frères Duplain et la mauvaise

entente entre leurs enfants ont ainsi précipité la fin de leur lignée d’imprimeurs -libraires.

Dans son étude, Brigitte Bacconnier met d’ailleurs l’accent sur la rapidité de leur chute

puisqu’il a fallu soixante-dix ans pour que la renommée des Duplain soit à son apogée et

à peine cinq ans pour qu’ils disparaissent du monde du livre lyonnais425

. Le destin de la

famille Deville est un autre exemple du déclin brutal d’une grande famille

d’imprimeurs-libraires lyonnais426

. De plus, dans le cas d’une famille nombreuse, il

arrive que l’héritier universel du père, souvent son fils ainé, ne souhaite pas reprendre

l’affaire familiale car il doit alors dédommager ses frères, et si la mort de leur père

advient avant le mariage de ses sœurs c’est lui qui doit leur assurer une rente viagère,

ainsi qu’à sa mère, et les doter427

. Enfin, l’extinction d’une lignée d’artisans fortunés est

surtout due aux ambitions que fomentent les pères pour leurs fils : les riches

imprimeurs-libraires ne souhaitent pas que leurs fils reprennent le négoce et leurs

achètent des charges afin qu’ils s’élèvent dans la société428

.

Ainsi, après avoir exercé le métier d’imprimeur-libraire pendant onze ans environ et

avoir occupé la charge d’imprimeur ordinaire de la ville de Lyon pendant presque autant

d’années, Pierre III Valfray écuyer et seigneur de Salornay en Dombes, quitte

progressivement le monde du livre lyonnais à la fin de la décennie 1740. Il n’a que

trente-quatre ans lorsqu’il hérite du fief de Salornay et conclut devant notaire le 25

septembre 1749 la vente de son fonds de librairie avec l’imprimeur-libraire Aimé

Delaroche pour la somme de 125 000lt. Compte tenu de son prix, il s’agit d’un fonds

d’une ampleur et d’une valeur considérable. En comparaison les fonds de Pierre et

Benoît Duplain par exemple, qu’ils vendent plusieurs années plus tard en 1763 et 1772,

sont estimés respectivement à 80 129lt et 97 297lt429

. Valfray conserve pour l’instant son

fonds d’imprimerie ainsi que la jouissance des charges d’imprimeur ordinaire du roi et

du clergé dans la ville de Lyon :

« Renonceant même ledit sieur Valfray en faveur dud[it] sieur Delaroche a tous

nouveaux priviléges ou permissions qui pourroient lui etre acordés dans la suite

pour l’impression des usages Romains et autres livres compris dans lad[ite] vente

sous quelque presente que ce soit, a l’exception de tous les livres et usages

concernant l’Archeveché et le Clergé de Lyon et autres dioceses, que ledit sieur

Valfray se réserve ainsy que son fond d’imprimerie, tous les droits de sa charge

d’Imprimeur du Roy et de sa qualité d’imprimeur de Monseigneur L’Archeveque

et du Clergé de Lyon. »430

Les éléments que nous allons exposer ensuite closent l’implication de la lignée des

Valfray dans le monde du livre lyonnais. En l’absence de recherches plus approfondies,

424 Simone LEGAY, op. cit., p. 119. 425 Brigitte BACCONNIER, op. cit., p. 135. 426 Jean-Dominique MELLOT (éd.), Élisabeth QUEVAL (éd.), Antoine MONAQUE (collab.), Répertoire d’imprimeurs-libraires

(vers 1500-vers 1810), Paris, Bibliothèque nationale de France, 1990, nouv. éd. rev. et augm. 2004, p. 197 427 Simone LEGAY, op. cit., p. 123. 428 Ibid, p. 122. 429 Brigitte BACCONNIER, op. cit., p. 121. 430 Cf. Annexe 6.

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ils contiennent quelques incertitudes en particulier en ce qui concerne la chronologie

exacte des événements, qui mériterait certaines vérifications.

Près de vingt-ans après la vente de son fonds de librairie, en 1766-1767, Pierre III

semble vouloir se retirer définitivement du métier en cédant :

« sous seing privé ses fonds d’imprimerie & d’arrêts formé depuis un siècle avec

sa procuration ad resignandum, au prix de 40 mille livres, Sous la clause de passer

le contrat de vente par devant notaire […] »431

La procuration ad resignandum désigne l’acte par lequel Valfray remet au souverain

l’office d’imprimeur du roi qu’il possédait, afin qu’il soit à nouveau pourvu. Comme le

veut l’usage, il semble que Pierre III ait désigné son successeur en la personne d’Aimé

Delaroche. Or, un autre grand imprimeur-libraire lyonnais, Jean-Marie I Bruyset,

convoitait déjà la charge d’imprimeur du roi. Ce dernier s’était d’ailleurs fait nommer à

la survivance de Valfray le 27 novembre 1762 sous le ministère de Louis III

Phélypeaux, comte de Saint-Florentin, chancelier puis secrétaire d’État à la Maison du

roi de Louis XV. Une nomination qui fut confirmée deux ans plus tard, le 17 mai 1764,

lorsqu’il obtint un brevet de survivance qui lui donna officiellement le droit d’exercer la

charge d’imprimeur ordinaire du roi dans la ville de Lyon après le décès de Valfray432

.

Ainsi, bien qu’il semble que Pierre III ait cessé toutes activités d’imprimerie et de

librairie au moins depuis la fin des années 1760 lorsqu’il vend l’ensemble de ses fonds à

Delaroche433

, il conserve la charge d’imprimeur du roi jusqu’à la fin de sa vie. Décédé

entre le 24 et le 25 juillet 1784, Pierre III Valfray est inhumé loin de ses aïeux, dans la

paroisse de Montanay en Bresse434

.

Dès lors, les problèmes liés à sa succession à la charge d’imprimeur du roi commencent.

En effet, le lendemain de son décès, le fils de Jean-Marie I Bruyset, Jean-Marie II,

associé à son père dans leur commerce, écrit une lettre aux autorités concernées afin de

réaffirmer le droit de son père à succéder à Valfray à l’exclusion de quiconque :

« En apprenant la mort de M[onsieur] Valfray, j’ai su que sa veuve qui est sa

seconde femme [et] qu’il a épousé après que sa Majesté a eu disposé de la

survivance de sa place étoit dans le dessein de faire valoir sa qualité de veuve pour

être revêtue de la place d’Imprimeur du Roi ; Elle n’a non plus que M[onsieur]

Valfray aucun fils qui puisse ou gérer sous sa direction ou lui succéder, Elle est

absolument étrangere à l’art de l’Imprimerie que M[onsieur] Valfray retiré

entiérement à Salornay n’exerçoit plus lui-même depuis plus de vingt années, ses

prétentions tendroient à gêner la Liberté que Sa Majesté doit avoir dans le choix

des sujets qu’elle attache à son service, Elle ne peut enfin réclamer contre la

disposition d’une grace accordée à mon Père avant que son sort eut été uni à celui

de M[onsieur] Valfray ni réussir à la dénaturer puisque si elle étoit admise à

continuer à remplir la place de feu son Mari, on auroit donné à mon Pere la

survivance de deux personnes au lieu de celle du titulaire seul »435

Il est difficile de savoir si sa veuve désirait réellement, compte tenu de son rang,

poursuivre le commerce de l’imprimerie et de la librairie, car le plus souvent, à la mort

de leur mari, les épouses d’hommes fortunés reprennent leur dot et vivent

confortablement de rentes viagères436

. Par ailleurs, Bruyset affirme que ni Félicianne

431 A.D.R., 1C 221. 432 Ibid. 433 Dans sa thèse, page 219, Brigitte BACCONNIER cite cinq libraires qui se partagent le marché du livre à Lyon dans les années

1760 : Périsse, Deville, Duplain, Delaroche et Jacquenod. À cette date, les Valfray sont donc déjà absents du commerce de la

librairie. 434 Marius AUDIN, op. cit. 435 A.D.R., 1C 221. 436 Simone LEGAY, op. cit., p. 281.

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Lorenzo de Naboa ni Pierre III Valfray n’ont eu de fils alors que Marius Audin indique

dans sa Somme typographique que Pierre eut un fils de son premier mariage avec

Élisabeth Quatrefage de La Roquette nommé Pierre437

. Une information qui est aussi

reléguée par Jean-Marie I Bruyset dans une lettre du 4 août 1784 :

« m’assurant la survivance de la place de son Imprimeur à Lyon lors qu’elle

viendroit à vaquer par le decès ou la demission du S[ieur] Valfray qui en étoit pour

lors pourvu, qui n’avoit aucun fils pour lui succeder, qui dépuis, 35 ans étoit retiré

à la campagne [et] qui faisoit exercer par un tiers les fonctions de sa place, lequel

exercice par un tiers a été continué comme vous le scavez Monsieur, Jusqu’a

present. »438

Il est donc probable que Pierre IV n’est pas survécu et que Pierre III n’eut pas d’autres

enfants mâles ce qui est un élément supplémentaire pour expliquer la vente de leurs

fonds au milieu du XVIIIe siècle. À la fin du mois d’août 1784 afin de s’assurer

définitivement la survivance de la charge, les Bruyset font jouer l’ensemble de leurs

relations et concluent un accord directement avec la veuve Valfray :

« Copie de la note consignée dans les bureaux de M[onsieur] de Vergennes

relativement à l’arrangement pris entre Madame la V[euve] Valfray [et] Jean Marie

Bruyset fils. M[onsieur] Bruyset fils pour arranger avec Mad[ame] de Valfray

l’affaire de la survivance de la place d’Imprimeur du Roy à Lyon a souscrit au

profit de la Dame de Valfray trois billets faisant ensemble une somme de dix mille

livres, au moyen de laquelle somme la dame de Valfray se trouvant désintéressée

ne s’est plus opposée à l’effet de la survivance à Versailles ce 22e août 1784 en

présence de M[onsieur] le Prevôt des marchands de Lyon et de M[onsieur] L’Abbé

Girard [et] ont signé »439

Ainsi en présence des autorités royales (M. de Vergennes est ministre des affaires

étrangères, locales et ecclésiastiques) Jean-Marie II Bruyset offre 10 000lt à la veuve de

Pierre III pour qu’elle renonce à toutes prétentions sur la charge et qu’il puisse s’y faire

recevoir à la place de son père. Rapidement, Aimé Delaroche réagit à cette manœuvre et

plaide lui aussi sa cause dans un mémoire qu’il rédige à l’intention des autorités440

. Son

argumentation est batie sur trois éléments : dans un premier temps, il revient sur

l’illégalité de l’accord que Jean-Marie II a passé avec la veuve Valfray :

« La Survivance obtenue par M[onsieur] Bruyset pére ne devait être ouverte que

pour lui par le décés de M[onsieur] Valfray, le fils n’y était point appelé : une

lettre de M[onseigneur] Bertin, ministre d’Etat, à M[onseigneur] L’archevêque de

Lyon qui ma protege, dit formellement, « que jamais le fils Bruyset n’obtiendrait

la survivance de son pére ». M[onsieur] de Salornay a cette lettre en son pouvoir, il

l’a trouvée dans les papiers de son frere à la levée de Scellée ; mais ébloui par les

dix mille qu’il obtenait de M[onsieur] Bruyset, il a cru faire en l’avantage de la

Succession, en passant outre. »441

L’implication d’un des frères de Pierre III dans cette affaire est ici mise en avant, ce qui

nous pousse à supposer que la veuve de Pierre III n’est pas la véritable instigatrice de

l’accord passé avec Bruyset. Alors que Valfray était favorable à la succession de

Delaroche, son frère, dont on apprend dans le mémoire de Delaroche, qu’il est aussi son

héritier et exécuteur testamentaire, modifie brutalement la succession sans doute attiré

437 Cf. Annexe 7. 438 A.D.R., 1C 221. 439 Ibid. 440 Ibid. 441 Ibid.

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par les 10 000lt proposés par les Bruyset et par l’intérêt qu’il y a à entretenir des

relations amicales avec une famille proche des différents pouvoirs. Dans un deuxième

temps, Aimé Delaroche fait valoir sa qualité d’imprimeur du roi dans la ville de Trévoux

(capitale de la principauté des Dombes dont le territoire vient d’être rattaché au royaume

de France en 1762) une charge dont il demande le transfert dans la ville de Lyon. Et

expose sa situation personnelle : ayant atteint l’âge de soixante-dix ans, ce n’est pas à

lui que profiterais la charge mais à ses deux petits-fils orphelins, Aimé et Antoine

Vatar. Devant l’inflexibilité des autorités, il demande en 1785, le droit d’exercer la

charge d’imprimeur du roi dans la ville de Lyon conjointement à Jean -Marie II Bruyset.

Mais la réponse de M. de Vergennes à l’intendant de Lyon est négative :

« J’ai reçu, Monsieur, votre réponse sur le mémoire par lequel le S[ieur] de La

Roche demande que son ancien titre d’imprimeur du Roy en Dombes soit transféré

à Lyon pour l’exercer concurremment avec le S[ieur] Bruyset fils, pourvû après le

déces du S[ieur] Valfray ; n’y ayant eu toujours qu’un imprimeur du Roy à Lyon,

Je, vous avoue que je ne crois pas devoir proposer au Roy d’en Etablir un Second.

Je suis peu touché de l’exemple de Paris qui dans cette partie peut Etre six fois

plus considerable il ne faut pas multiplier ces places, Si on veut continuer d’en

faire un objet d’Emulation. »442

Sa décision n’étant pas immédiatement respecté, M. de Vergennes excédé met fin à cette

affaire dans une lettre menaçante à l’intendant de Lyon du 10 août 1785 :

« vous voudrés bien leur faire connoitre que cet arrangement est arrêté, qu’ils

doivent s’y conformer respectivement de manière a Eviter toute difficulté et que

celui qui en susciteroit de mauvaises, auroit bientôt a s’en repentir.»443

Cette affaire close, il n’est plus fait mention de la famille Valfray dans le monde du livre

lyonnais. L’article de Dominique Varry intitulé Le monde de l’imprimerie et de la

librairie à Lyon sous le Consulat et l’Empire444

et l’ouvrage de Jean-Baptiste Monfalcon

sur l’imprimeur lyonnais Louis Perrin445

, n’indiquent aucunes résurgences de

descendants éventuels des Valfray dans le métier au XIXe siècle.

Le devenir des descendants : quelques pistes

Puisque la lignée d’imprimeurs-libraires de la famille Valfray s’éteint avec Pierre III

en 1784 et que son fils ne semble pas avoir survécu, il nous faut chercher dans les

fratries de Pierre II et Pierre III d’autres descendants éventuels et essayer de saisir quelle

voie ils ont emprunté loin de l’imprimerie et de la librairie lyonnaise. Du fait du temps

imparti pour mener nos recherches et de la difficulté qu’un travail généalogique

suppose, nous ne pouvons livrer ici que quelques pistes éparses à propos des

descendants des Valfray à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIX

e siècle.

Rappelons-le, Pierre II Valfray est issu d’une grande fratrie de quatorze enfants446

. Il est

l’aîné des cinq garçons dont malheureusement nous ne savons rien. En revanche, le

destin de deux de ses sœurs nous sont connus. L’aîné des filles , Benoîte Valfray, née en

1675447

, est devenue religieuse. Lorsque Pierre I Valfray rédige son testament en 1696

(elle a alors vingt et un ans), Benoîte est déjà rentrée dans les ordres au couvent Sainte -

442 Ibid. 443 Ibid. 444 Dominique VARRY, « Le monde de l’imprimerie et de la librairie à Lyon sous le Consulat et l’Empire », dans Lyon sous le

Consulat et l’Empire : actes du colloque de Lyon, 15-16 avril 2005, Reyrieux, H. Cardon, 2007, p. 31-50. 445 Jean-Baptiste MONFALCON, Laurent GUILLO (éd.), Étude sur Louis Perrin imprimeur lyonnais , Paris, Éd. des Cendres,

1994. 446 Cf. Annexe 7. 447 Ibid.

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Élisabeth des deux amants (rive droite de la Saône) certainement depuis déjà sept ou

huit ans. Pierre I lui lègue :

« une pension annuelle [et] viagere de la somme de trente six Livres chacun an

pour Estre Employée et continuée a ses mesme necessités de Religieuse […] »448

Il est courant dans le milieu des riches libraires lyonnais et plus généralement des grands

marchands et des bourgeois, qu’au moins une des filles de ces familles embrassent la vie

monastique. Cette manœuvre permet notamment à leurs pères de réduire le nombre de

dot à pourvoir ou de constituer des dots plus importantes à leurs autres filles afin de

conclure des mariages plus avantageux449

. Pour la fin du XVIIe siècle Simone Legay a

relevé que le libraire Anisson avait une fille religieuse, son fils Jacques en avait deux,

Borde en avait deux également et Honorat et Rigaud une450

. Ces jeunes filles touchent

des pensions moins élevées que leurs sœurs et reçoivent des legs testamentaires réduits :

alors que ses sœurs Jeanne et Claudine ont chacune 7000lt d’héritage de leur père,

Benoîte ne reçoit que 36lt de pension. Le destin de Jeanne est d’ailleurs tout autre. E lle

aussi va servir les stratégies de son père mais en réalisant une union honorable avec un

officier. En effet, elle épouse à une date qui nous est inconnue, Jean Carra directeur de

la Cour des monnaies de Lyon qui porte le titre de baron de Vaux dans l’Armorial des

bibliophiles de Julien Baudrier451

. Un mariage dont le prestige rejaillit sur l’ensemble de

la famille Valfray et qui permit peut-être à d’autres enfants d’obtenir des faveurs dans la

société lyonnaise. Une fois encore les Valfray ne font pas exception dans le milieu des

grands libraires lyonnais puisqu’il est d’usage qu’ils marient leurs filles avec des

officiers : trésoriers de France, écuyers, conseillers ou avocats. Pour se faire, ils

constituent pour leurs filles des dots très importantes qui augmentent à chaque

génération et donnent ainsi une idée de l’évolution des fortunes des familles. Le libraire

Anisson dote chacune de ses trois filles de 16 000lt au XVIIe siècle, Borde donne

20 000lt à ses quatre filles et Rigaud constitue une dot de 34 000lt à l’une de ses

filles452

. Leurs montants rivalisent avec ceux des dots des grands négociants de la ville

et font oublier un temps la roture de ces familles qui s’endettent parfois

considérablement jusqu’à mettre en péril leurs affaires pour constituer ces dots et

contracter de grands mariages453

. Bien que nous ne connaissions pas le montant de la dot

de Jeanne Valfray, la fortune de son père et le mariage de Pierre II avec Élisabeth

Quatrefage de La Roquette qui a entrainé des dépenses importantes pour Pierre I

(rappelons qu’il lui donne à cette occasion la somme de 60 000lt) nous permettent de

penser que sa dot dut être considérable, supérieure ou égale à 30 000lt.

Le développement de la généalogie de cette première branche de la famille Valfray va

ensuite éclairer les solidarités entretenues par Pierre III dans la deuxième partie du

XVIIIe siècle

454. De leur union, nous savons que la couple Carra eut au moins une fille

baptisée Marie-Jeanne qui épousa le 16 août 1735, Charles Millanois qui était comme

son beau-père, officier directeur de la Cour des monnaies de Lyon455

. Marie-Jeanne et

Charles Millanois eurent au moins deux fils : Charles-François Millanois et Jean

Millanois. Il est fort possible que Charles acheta la charge d’écuyer que Charles -

François occupa par la suite et qui lui permis d’accéder à la noblesse. Comme les

448 Cf. Annexe 9. 449 Simone LEGAY, Un milieu socio-professionnel : les libraires lyonnais au XVIIe siècle…, op. cit., p. 332. 450 Ibid, p. 333. 451 Julien BAUDRIER, Léon GALLE, William POIDEBARD, Armorial des bibliophiles de Lyonnais, Forez, Beaujolais et Dombes, Lyon, Société des bibliophiles lyonnais, 1907, p. 407. 452 Simone LEGAY, op. cit., p. 330 et 331. 453 Ibid, p. 332. 454 Cf. Annexe 8. 455 Julien BAUDRIER, Léon GALLE, William POIDEBARD, op. cit., p. 407.

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Valfray, il prit alors le nom d’une de ses terres et devint seigneur la Thibaudière456

.

Anobli, Charles-François Millanois de la Thibaudière épousa Hugues-Françoise-

Marguerite-Sophie de Regnauld de Bellescize, fille du marquis de Bellescize. Ils eurent

un fils : Jean-Charles-François Millanois de la Thibaudière baptisé en 1791 dans la

paroisse Saint-Nizier, qui devint receveur particulier à Villefranche puis trésorier de la

ville de Lyon de 1838 à 1852. Son ex-libris est référencé dans l’Armorial des

bibliophiles de Baudrier457

. Nous supposons ensuite que la femme de Charles-François

mourut puisqu’il se remaria avec la fille d’Aimé Delaroche. Cette dernière était veuve

de l’imprimeur Jacques Vatar avec qui elle avait eu deux fils : Aimé et Antoine Vatar. Il

n’est donc pas étonnant de voir apparaître le nom de Charles-François Millanois dans

l’affaire qui oppose Delaroche à Bruyset en 1784-1785 pour l’obtention de la charge

d’imprimeur du roi dans la ville de Lyon, la fille de Delaroche étant décédée, Charles-

François est désigné comme tuteur de ses deux enfants et en cette qualité, est l’un des

plus solides soutiens de Delaroche458

. Plus encore, lorsqu’Aimé Vatar, héritier de

l’affaire d’imprimerie et de librairie de son grand-père, meurt au cours du Siège de Lyon

en 1793, c’est Charles-François Millanois qui reprend pour deux mois l’imprimerie aux

Halles de la Grenette avant d’être lui aussi condamné et exécuté459

. Cette parenté même

lointaine, entre les Valfray, les Millanois et les Delaroche au sein d’une société où les

liens de solidarités familiales priment, peut certainement expliquer au moins en partie,

pourquoi lorsque Pierre III Valfray choisit de quitter le métier il vend ses fonds de

librairie et d’imprimerie à Aimé Delaroche. Pierre préféra sans doute céder son affaire à

un homme qu’il connaît et qui est lié à sa propre lignée même si ce n’est pas par le sang,

plutôt que de la laisser à un parfait étranger.

Une preuve supplémentaire de cette proximité qu’entretenait Charles-François Millanois

avec l’ensemble de la famille Valfray nous est d’ailleurs apportée par l’inventaire après

décès d’Anne-Marie Besseville. En effet, il est également présent parmi les témoins qui

accompagnent les membres du personnel du tribunal de la sénéchaussée au couvent des

visitandines Sainte-Marie de l’Antiquaille :

« Nous lou[…] du Roy Commissaire […] pour proceder au […] de ladite

ord[onance] nous sommes transportés assisté dudit M[onsieur] Resson, Ledit

s[ieur] Valfray sa partye, du Greffier Soussigné et de Claude Rivoirou huissier

royal present à Lyon, dans une petite […] au devant de l’Eglise des dames

religieuses du second Monastere de la [Vi]sitation de S[ain]te Marie dit

L’anticaille en Etants nous y avons trouver M[onsieu]r Baltazard Michon

Chevalier lou[…] du Roy et son avocat au Bureau des finances de la Generalité de

lyon Mary et Maître des droits de dame Jeanne Valfray et M[onsieu]r Charles

Milanois lou[…] du Roy directeur de la Monnaye de Lyon fondé de la procuration

de Louïs Valfray Ecuyer avocat au parlement demeurant a Paris par acte du II du

courant recû par M[onsieu]r Varin et confrere N[otaires] a Paris et D’Alexis

Valfray de Salornay Ecuyer Lieutenant au Regiment des dragons de la Reyne par

acte du II du present recû par M[onsieur] Verron et son confrere no[taire] a

S[ain]te Anne […] »460

Cet acte nous informe sur le devenir de certains des enfants de Pierre II Valfray et Anne -

Marie Besseville en particulier les garçons. Charles-François Millanois représente à

456 Ibid. 457 Ibid. 458 A.D.R., 1C 221. 459 Nelly DUMONT, Aimé Delaroche : imprimeur lyonnais du XVIIIe siècle et la presse locale, 1982, Mémoire, Diplôme

supérieur de bibliothécaire, École nationale supérieure de bibliothécaires, p. 81. 460 Cf. Annexe 12.

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cette occasion Louis Valfray, né en 1724461

et propriétaire comme son frère Pierre III,

d’un office d’écuyer. Nous apprenons également qu’il est avocat au Parlement de Paris,

un déménagement vers la capitale qui est courant pour les riches lyonnais. Jacques-

Joseph Duplain déménagea lui aussi pour Paris en 1780, où il convoitait la charge de

maître d’hôtel du roi462

. Le frère de Louis, Alexis Valfray né en 1728 (il est le plus jeune

fils de la fratrie) est lui aussi écuyer. Il s’est engagé dans une carrière militaire au sein

d’un des régiments de cavalerie des dragons de la Reine qui ont été créé au XVIe siècle.

Et bien qu’il n’ait pas encore trente ans, il occupe le grade de lieutenant c’est -à-dire

qu’il est l’adjoint du capitaine qui commande la compagnie. Ainsi, sur sept garçons que

compte la fratrie, deux d’entre eux sont officiers et occupent des charges importantes

dans deux des principaux domaines où s’étend le pouvoir de l’État : la justice et l’armée.

En tant que fils aîné, Pierre III semble être celui qui veille et qui conserve le patrimoine

familial puisqu’il demeura sur ses terres de Salornay jusqu’à sa mort463

. Et bien que

nous ne sachions pas ce que sont devenus les autres frères de la famille Valfray, il est

fort probable que l’un d’eux soit entrée dans les ordres comme c’était l’usage dans les

riches et grandes familles, afin à la fois d’accroître davantage l’honorabilité de la lignée

et d’éviter le partage des biens paternels464

. L’Exercice litteraire sur la poesie465

que

nous avons présenté, est certainement l’ouvrage d’un des frères Valfray que la poursuite

d’études au sein du collège de la Trinité a peut-être encouragée à choisir la carrière

ecclésiastique.

De plus, l’inventaire après décès d’Anne-Marie Besseville révèle la présence de

Balthazar Michon qui est marié à Jeanne Valfray, l’une des sœurs de Pierre III née en

1720466

. Ils constituent la deuxième branche de la famille Valfray que nous avons pu

développer467

. Balthazar Michon est le fils de Léonard Michon, chevalier, conseiller et

avocat du roi au bureau des finances de Lyon468

. Il exerce les mêmes fonctions que son

père et a été anobli après son échevinage dans les années 1721-1722 (il fut recteur de la

l’hôpital de la Charité en 1714)469

. Le couple eut une fille Jeanne-Marie Michon qui

épousa en 1776 Ennemond-Augustin-Hubert de Saint-Didier, écuyer, capitaine de

cuirassiers (cavaliers), chevalier de Saint-Louis (ordre militaire honorifique créé par

Louis XIV pour récompenser les officiers les plus valeureux), baron de Riottier (sud de

Villefranche-sur-Saône) et seigneur de La Rigaudière470

. La famille de Saint-Didier,

anoblie au début du XVIIIe siècle après l’échevinage du grand-père d’Ennemond-

Augustin-Hubert, possédait un château dit du Vieux Bourg près du village de Saint -

Didier-de-Fromans (à proximité de Trévoux, au sud-est de Villefranche-sur-Saône).

C’est d’ailleurs dans la chapelle attenante à ce château que repose dame Jeanne Valfray

morte en 1777471

. À la Révolution, alors qu’Ennemond-Augustin-Hubert part faire

soigner une santé déficiente en Italie, il se retrouve inscrit sur la liste des émigrés qui

quittent le royaume de France en raison des troubles révolutionnaires. Son château est

déclaré bien national et c’est son beau-père Balthazar Michon qui le rachète afin qu’il

reste dans la famille. Par la suite, il fut légué au fils d’Ennemond-Augustin-Hubert et

Marie-Jeanne Michon, Balthazar-Augustin-Hubert de Saint-Didier (1779-1863) qui le

461 Cf. Annexe 7. 462 Brigitte BACCONNIER, op. cit., p. 128. 463 A.D.R., 1C 221. 464 Simone LEGAY, op. cit., p. 335. 465 B.M.L., F.A., 114431. 466 Cf. Annexe 7. 467 Cf. Annexe 8. 468 Julien BAUDRIER, Léon GALLE, William POIDEBARD, op. cit., p. 402. 469 Ibid, p. 403. 470 Ibid, p. 300. 471 Commission municipale Culture et Patrimoine de la commune de Saint -Didier-de Formans et association Saint-Didier

Commune Rurale (ASDCR), À la découverte de Saint-Didier-de-Formans, Saint-Didier-de-Formans, [s.n.], 2009 (disponible sur

le site < http://www.mairie-stdidierdeformans.fr/fr/information/33695/histoire.html>) (consulté en juillet 2011)

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conserva jusqu’en 1819, date à laquelle il le vendit à un seigneur de Villefranche472

. Par

ailleurs, Balthazar-Augustin-Hubert est aujourd’hui encore célèbre pour ses peintures et

ses dessins dont la plupart sont conservés au musée Gadagne de Lyon473

.

La troisième branche de la famille Valfray que nous avons pu développer , débute à la

génération suivante474

. La fille de Pierre III Valfray, Marie-Élisabeth née en 1748

épouse en 1764 Antoine-François Prost de Royer (1729-1784). Lui aussi est un membre

important de l’administration municipale puisqu’il a occupé les fonctions de recteur de

l’hôpital de la Charité, avocat, lieutenant général de police en 1772, échevin en 1773,

président du tribunal de la Conservation et général provincial subsidiaire des monnaies.

Il est également écuyer, seigneur de plusieurs terres et membre de l’Académie des

sciences, belles-lettres et arts de Lyon.475

Il est issu d’une famille de magistrats : son

père était aussi avocat, juge général des terres de l’archevêché et des comtes de Lyon et

échevin476

. Antoine-François Prost de Royer consacra la majorité de son temps à

l’administration de la ville, à la bienfaisance et aux lettres. Il eut six enfants avec Marie -

Élisabeth Valfray : François-Camille (1767), Pierre (1768), Fortunée-Jeanne-Claude

(1771), Marie-Alix-Lyon (1773), Amélie-Françoise-Élisabeth (1776) et Rodolphe-

Louis-Anne (1779)477

. Pierre embrassa la carrière militaire alors que Rodolphe devint

comme son père et son grand-père, avocat. Marie-Alix porte le prénom de Lyon parce

qu’elle naquit pendant l’échevinat de son père : elle est officiellement parrainée par la

ville, un statut qui lui fut fort utile lors de la mort de son père478

. En effet, Antoine-

François Prost de Royer consacra toute sa fortune au service de l’administration de la

ville, à sa mort ses descendants étaient donc ruinés. Marie-Alix se vit alors accordée une

pension viagère par la municipalité de la ville en 1810 en qualité de fille adoptive de

Lyon479

.

Enfin, nous avons trouvé au gré de nos prospections, une pièce dans les archives de la

police de Lyon intitulée :

« Dossier Valfray (Alexandrine Thadée)

N°618 du Greffe. Procuration du C[…] Jean Pollet, tendante à obtenir un Certificat

de Résidence à 3 Temoins. »480

Et bien que nous ne puissions prouver de manière certaine qu’il s’agisse bien d’une des

descendantes des Valfray, le rapprochement reste plausible puisque nous ne connaissons

pas le destin de tous les membres de la famille. Cet acte nous apprend qu’Alexandrine -

Thadée-Françoise Valfray était bien domiciliée à Lyon et qu’elle réside en juillet 1802

(an X) à Paris :

« Pardevant Les Notaires a Paris soussigné Fut présente Dlle

Alexandrine Thadé

françoise Valfray, fille majeure dem[eurant] auparavant à Lyon quay St. Benoit

n°81 Departement du Rhone, et aujourd’hui à Paris rue de Marivaux n°32 […]

Lepelletier »481

Il semble, d’après la suite de l’acte, qu’elle demeurait à Lyon chez des religieuses,

certainement chez les Bénédictines du clos Saint-Benoît qui tenaient un pensionnat de

jeunes filles entre les murs de leur couvent. Par cet acte, Alexandrine Valfray souhaite

472 Ibid. 473 Cf. Illustration 5. 474 Cf. Annexe 8. 475 Ennemond FAYARD, Prost de Royer : sa vie et ses œuvres, Lyon, Georg, 1885, p. 1. 476 Ibid, p. 2. 477 Ernest NIEPCE, Prost de Royer : sa vie, ses œuvres, Lyon, Vingtrinier, 1874, p. 38. 478 Ibid, p. 39. 479 Ennemond FAYARD, op. cit., p. 29. 480 Cf. Annexe 13. 481 Ibid.

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se voir octroyer un certificat de résidence dans la ville de Lyon où elle a vécu jusqu’en

1798 :

« depuis l’an mil sept cent quatre vingt neuf jusqu’au mois de Thermidor an Six de

la République française »482

Une démarche qu’elle exécute peut-être afin de prouver qu’elle ne fait pas partie des

émigrés qui ont quitté le royaume lors des troubles révolutionnaires et qui reviennent en

masse sous le Consulat (1799-1804). Les certificats de résidence devaient en effet

permettre de distinguer les émigrés des présumés émigrés. Ils étaient signés par des

témoins dont les signatures étaient ensuite authentifiées et vérifiées par les autorités.

Alexandrine Valfray présente ainsi quatre témoins lyonnais parmi des marchands de la

ville qui peuvent attester de sa présence. Et elle indique pourquoi elle réside à présent à

Paris :

« D[emoise]lle Valfray est partie de Lyon à ladite époque du 20 Thermidor an Six

pour se rendre à Paris où elle est encore pour arrangement d’affaires de famille »483

Nous pouvons dès lors établir un lien avec l’un des frères de Pierre III Valfray, Louis

Valfray, que l’inventaire après décès d’Anne-Marie Besseville indique comme étant

avocat au Parlement de Paris484

. Alexandrine-Thadée-Françoise est-elle une descendante

de Louis ? Il est fort possible qu’il ne soit pas le seul à avoir déménagé dans la capitale.

Est-elle la fille d’un autre frère, venue à Paris régler des problèmes de succession par

exemple ? Toutes les hypothèses restent envisageables. Le certificat de résidence donne

enfin, une description assez complète de la jeune fille :

« Rentière native de Lyon dép[artemen]t du Rhône, agée actuellement de Vingt

huit ans taille d’un mètre 652 millimètres Cheveux et Sourcils noirs, front moyen,

yeux bruns nez ordinaire, Bouche moyenne, menton Rond ; visage rond »485

Ce qui nous permet d’établir qu’elle serait née vers 1774 et qu’elle bénéficie d’un

certain niveau de fortune héritée de sa famille qui lui permet de vivre de rentes.

Grâce à ces quelques pistes éparses que nous avons rassemblé sur la descendance de la

famille Valfray à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIX

e siècle, nous pouvons

dresser deux constats. Le premier concerne le niveau de fortune atteint par la famille qui

ne cesse d’augmenter au fil des générations. Ainsi depuis Pierre I Valfray au XVIIe

siècle, les mariages contractés par l’ensemble des descendants filles ou garçons de la

lignée sont très avantageux et leur permettent de se hisser dans les plus hautes strates du

pouvoir local et royal. Rares sont les branches de la famille, comme celle des Prost de

Royer, qui ont vécu un déclin brutal. Le second constat est celui d’une illustre dynastie

dont les descendants, comme Balthazar-Augustin-Hubert de Saint-Didier, prolongent

dans le temps le prestige acquis au XVIIIe siècle.

Par leurs choix familiaux et professionnels qu’ils ont mis au service de leurs

ambitions politiques et financières, les Valfray illustrent parfaitement une certaine

conception de l’ascension sociale de la société d’Ancien Régime :

« une aristocratie du mérite devient peu à peu, par son activité et par ses alliances,

une aristocratie de naissance qui se fond dans les familles les plus anciennes. »486

482 Ibid. 483 Ibid. 484 Cf. Annexe 12. 485 Cf. Annexe 13. 486 Maurice GARDEN, Lyon et les lyonnais au XVIIIe siècle, Paris, Les Belles-lettres, 1970, rééd. Paris, Flammarion, 1975

(Science), p. 260.

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Leur mode de vie change au XVIIIe siècle pour s’apparenter à celui des plus riches

marchands bourgeois et à la noblesse. Néanmoins, la disparition de leur dynastie

d’imprimeurs-libraires dans la deuxième partie du siècle les singularise de ce que

Simone Legay nomme une « nouvelle classe » de grands marchands487

formée par les

Delaroche, les Bruyset ou les Perisse dont les membres sont tournés vers le travail

productif et le développement des affaires. Leur comportement les rapproche plus des

vieilles dynasties du XVIIe siècle tel les Cardon : ayant atteint un certain niveau de

fortune, Jacques Cardon a acheté des charges d’écuyer à ses deux fils et son frère

Horace, anobli seigneur de la Roche, se retire du métier :

« pour se reposer, prenant résolution de se désengager du souci et présence de tel

négoce pour jouir plus librement du fruit qu’il a plu à Dieu lui donner de son

labeur. »488

Afin de compléter le portrait de la famille Valfray que nous avons tenté d’esquisser, il

nous faut à présent aborder la question de leur production éditoriale qui est à la fois

représentative de leurs parti pris professionnels et peut-être aussi le reflet de convictions

plus intimes.

487 Simone LEGAY, op. cit., p. 454. 488 Simone LEGAY, « Les frères Cardon, marchands-libraires à Lyon, 1600-1635 », Bulletin du bibliophile, n°2, 1991, p. 425.

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Une production éditoriale diversifiée

L’étendue de la production éditoriale des Valfray peut être scindée en deux parties

distinctes dans leur forme et leur contenu. La première regroupe les imprimés

commandités par les pouvoirs locaux, royaux et ecclésiastiques qui ont un usage

quotidien. Ils sont le support de la politique de l’État monarchique et des doctrines de la

religion catholique. La deuxième partie comprend les livres qu’ils impriment et éditent

de leur propre chef ou pour le compte d’autres libraires ou institutions. Il s’agit

essentiellement de livres ecclésiastiques dont le commerce répond à une demande

importante tout au long du XVIIIe

siècle et exprime une inclination personnelle de la

famille Valfray.

LE « NON LIVRE »

L’expression « non livre » utilisée notamment par Jean-Dominique Mellot489

et

Nicolas Petit490

dans leurs études respectives, désigne l’ensemble des imprimés qui ne

peuvent être assimilés à des livres : ce sont des feuilles volantes (non destinées à être

conservées) qui échappent au circuit commercial (elles ne sont pas vendus mais

distribuées) dont l’impression ne nécessite ni privilège ni permission491

. Une grande

partie des presses des trois générations de Valfray est vouée à cette production

puisqu’ils monopolisent les charges d’imprimeur du roi de la ville de Lyon et

d’imprimeur du clergé pendant tout le XVIIIe siècle. Ils détiennent également le bail de

l’impression de l’édition régionale de la Gazette de Théophraste Renaudot qui leur

assure, de même que les actes royaux et ecclésiastiques, du travail et des revenus

réguliers.

Les impressions ordinaires des pouvoirs

Dans un premier temps, distinguons les imprimés que les Valfray réalisent en leur

qualité d’imprimeur ordinaire du roi pour le Consulat lyonnais sur ordre du pouvoir

souverain, de ceux qu’ils réalisent en leur qualité d’imprimeur officiel du clergé pour les

autorités ecclésiastiques.

Ainsi, selon la formule de Roger Chartier :

« Pour nombre d’imprimeurs (en particulier dans les villes de province), imprimer

n’est pas d’abord imprimer des livres, mais des « travaux de ville » (placards,

affiches, avis, billets, faire-part, etc.) liés à une commande locale et à des besoins

immédiats. »492

Nous l’avons vu, ce sont ces impressions qui caractérisent la fonction principale de

l’imprimeur ordinaire du roi. Elles recouvrent une partie de ce que Nicolas Petit qualifie

dans son étude de non livre, une appellation sous laquelle i l regroupe aussi les

occasionnels et les canards (récits de catastrophes naturelles, de prodiges célestes), les

livrets de la bibliothèque bleue, les brochures savantes, les épreuves d’imprimerie et tout

le matériel d’accompagnement d’une publication (ex-libris, bulletins de souscription,

489 Jean-Dominique MELLOT, L’édition rouennaise et ses marchés (vers 1600-vers 1730) : dynamisme provincial et centralisme

parisien, Paris, École des chartes, 1998, p. 270. 490 Nicolas PETIT, L’éphémère, l’occasionnel et le non livre à la bibliothèque Sainte -Geneviève (XVe-XVIIIe siècle), Paris,

Klincksieck, 1997. 491 Jean-Dominique MELLOT, op. cit., p. 272. 492 Sabine JURATIC, Dominique VARRY, Frédéric BARBIER (dir.), L'europe et le livre: réseaux et pratiques du négoce de

librairie XVIe-XIXe siècles, postf. de Roger Chartier, [Paris], Klincksieck, 1996 (Cahiers d'histoire du livre), p. 598.

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prospectus etc…)493

. Toutes ont en commun leur aspect éphémère et leur usage

quotidien ce qui rend difficile l’appréhension dans le détail d’une telle production.

Néanmoins, nous avons essayé d’apporter quelques éléments de réponse aux questions

qui concernent le tirage, la nature, le contenu ou encore le coût des imprimés officiels et

administratifs fournis par la chancellerie ou le greffe des cours souveraines pour les

faire reproduire dans chaque province. Pour se faire, nous avons consulté un mémoire

des travaux d’impressions réalisés par Pierre II Valfray en 1732494

qui, bien qu’il nous

permette de constater des tendances existantes, ne peut en aucun cas nous autoriser à

énoncer des vérités générales.

Ce mémoire se présente sous la forme que l’on retrouve le plus fréquemment dans les

archives comptables du Consulat lyonnais : il indique la date, le jour et le mois, le

nombre d’exemplaires tirés, la nature ainsi que le contenu des imprimés et leur prix. À

sa lecture, nous constatons dans un premier temps que la réalisation des imprimés usuels

est répartie sur toute l’année, du 9 janvier 1732 au 24 décembre, ce qui confirme qu’ils

permettent à Pierre II de faire tourner ses presses toute l’année, lui évitant ainsi de

connaître des périodes d’inactivité. Ensuite, en ce qui concerne le tirage des imprimés,

c’est leur nombre réduit qui nous frappe immédiatement. En effet, la quasi -totalité des

actes royaux ne sont reproduits qu’à seulement douze exemplaires (sauf la Gazette et

une relation de la prise d’Oran qui est tirée à six exemplaires) ce qui revient pour

l’année 1732, à un tirage de sept cent imprimés annuels alors que nous avons mis en

lumière dans notre précédent mémoire, qu’André II Laurent, l’imprimeur ordinaire de la

ville, tire la même année à plusieurs milliers d’exemplaires495

. Pourquoi un tel écart de

tirage ? D’abord, parce que les imprimés que réalise Pierre II Valfray cette année là ne

semblent destinés qu’à un lectorat restreint constitué du prévôt des marchands, de ses

quatre échevins et souvent d’anciens échevins et de membres de l’élite urbaine de la

ville. Au contraire, les impressions que l’imprimeur ordinaire de la ville réalise pour le

Consulat connaissent une plus grande diffusion soit parce qu’elles sont liées à un usage

courant comme les passeports ou les billets, soit parce qu’elles sont largement affichées

dans la ville pour informer l’ensemble de la population des décisions qui la concerne

directement. C’est donc l’usage de ces imprimés qui définit leur t irage.

Plus encore, si l’on poursuit la comparaison du mémoire des travaux d’impressions de

Pierre II Valfray avec celui d’André II Laurent, c’est la différence de nature des

imprimés qu’ils réalisent qui apparaît. En effet, alors que l’imprimeur ordinaire de la

ville effectue un nombre varié d’imprimés dont les plus courants sont : les billets,

quittances, ordonnances, acquis, bullettes, passeports, carcabaux… etc496

. Pierre II

Valfray réalise des actes officiels qui ne sont pas destinés à un usage collectif : arrêts,

ordonnances, déclarations du roi, lettres patentes, copies497

. Il s’agit d’imprimés

informatifs qui relatent un fait ou une décision prise par le pouvoir souverain et non de

simples documents administratifs qui sont susceptibles de passer entre toutes les mains.

Le tableau ci-dessous indique le détail de ces impressions pour l’année 1732 :

Nature des imprimés Nombre

Copie d’actes divers 4

Arrêt (sans précision d’émetteur) 25

Arrêt du Parlement 2

493 Nicolas PETIT, op. cit., p. 8. 494 Cf. Annexe 1. 495 Charlène BEZIAT, Le Consulat, l’imprimeur et le libraire à Lyon aux XVII e et XVIIIe siècles, sous la direction d’Olivier

Zeller, 2010, Mémoire de maîtrise, Cultures de l’écrit et de l’image, École nationale supérieure des sciences de l’information et

des bibliothèques, Université Lumière Lyon II, p. 48. 496 Ibid, tome 2, p. 35. 497 Cf. Annexe 1.

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Arrêt de la Cour des monnaies 1

Ordonnance du roi 5

Ordonnance de M. l’intendant 4

Ordonnance de M. du bureau des finances 1

Déclaration du roi 4

Lettres patentes du roi 2

Relation de conquête 2

Total 50

On remarque que plus de la moitié des actes réalisés par Pierre II Valfray cette année là

sont des arrêts. Suivent les ordonnances, les copies et déclarations du roi, les lettres

patentes et les relations de conquête. Il est alors intéressant de comparer ces premiers

éléments avec ceux que nous avons relevés l’an dernier d’après le mémo ire des travaux

d’impression de 1702 de François Barbier également imprimeur du roi498

. Ce dernier

réalise essentiellement des copies d’arrêts, déclarations, édits et tarifs, qu’il imprime le

plus souvent en six exemplaires, ainsi que des « feuilles de descharge » et les copies de

trois cartes pour :

« rapporter par mois et par quartier le produit de la ferme du susdit suroctroy pour

l’entrée du vin et pied fourché sur de grand papier extraordinaire non timbré »499

Ainsi, Pierre II Valfray réalise en 1732 une production plus variée que François Barbier

en 1702. Et bien que nous ne puissions pas tirer de tendances générales à partir de ces

mémoires retenus pour notre étude, cette évolution prend tout son sens si elle mise en

parallèle avec la croissance exponentielle du nombre de travaux de ville, tout imprimé

confondu, dans la première partie du XVIIIe siècle à Lyon, qui est due en partie, au

développement de l’administration royale500

. Cependant, nous ne pouvons pas pousser

plus loin la comparaison chiffrée de ces deux mémoires, compte tenu des problèmes de

quantification du tirage de François Barbier, dont le nombre d’impressions est exprimé

dans des unités de valeur différentes (nombre de copies mais aussi rames d’impression).

De plus, la diversité des sujets abordés dans les imprimés réalisés par Pierre II Valfray

en 1732 est aussi à mettre en avant. Distinguons tout d’abord les imprimés qui ont une

portée à l’échelle du royaume, de ceux qui concernent des questions locales. Ainsi, le

premier élément frappant pour l’année 1732 est le nombre réduit d’imprimés qui

concernent Lyon et sa province, regroupés dans les ordonnances de l’intendant de la

généralité de Lyon et dans celles du bureau des finances, qui est l’organe qui gère les

revenus royaux au sein de la généralité501

. Ces cinq ordonnances traitent d’éléments

aussi divers et particuliers que le maintien d’un fonctionnaire dans sa charge, la

circulation des marchandises entre deux provinces ou encore la condamnation d’un

homme à une amende et à la confiscation de ses biens :

« Ordonnances de M[onsieur] l'Intendant du vingt- six juin qui ordonne Louis Delorme

a l'amende de 3000 lt et en la confiscation de trois ballots de soie . »

502

Au contraire, l’essentiel des autres imprimés réalisés par Valfray ont un carac tère

national et concernent l’administration générale du royaume. Les ordonnances royales,

les déclarations et les lettres patentes du souverain proclament de nouvelles décisions

royales que l’imprimeur du roi par son travail diffuse aux élites urbaines :

498 Charlène BEZIAT, op. cit., tome 2, p. 51. 499 Ibid, p. 52. 500 Ibid, p. 54. 501 Circonscription administrative qui comprend les provinces du Lyonnais, du Forez et du Beaujolais. 502 Cf. Annexe 1.

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« Déclarations du Roy du trois aoust qui proroge pendant six années la levée de

différens droits et enonces contenant deux cayers. »503

Ou encore :

« Ordonnances du Roy du quinze juin pour une revue générale des troupes de milice

dans le courant de septembre prochain. »504

Les arrêts présentent un contenu beaucoup plus disparate qui inclut tous les domaines de

la vie courante. Ils peuvent être utilisés pour administrer des affaires publiques :

« Arrêts du Parlement du quatre février pour echeniller ou faire echeniller les arbres

dans ses héritages »505

Pour régler des litiges :

« Arrêts du dix-huit mars qui a condamné le S[ieur] Le Brun et le S[ieur] Julien a

remettre au S[ieur] Jean Baptiste Le Blanc les droits de presentation […] congés […]

par eux reçus. »506

Pour interdire des pratiques quotidiennes :

« Arrêts du vingt-sept novembre qui fait deffence à tous pescheurs de pescher avec des

filets et […] deffendus tant dans les rivieres naviguables et flotables que dans celles qui

ne le sont pas. »507

Pour réglementer le droit privé :

« Arrêts du cinq aoust concernant les droits d'insinuation des donations entre veufs. »508

Et surtout, dans le mémoire de 1732, pour contrôler la circulation des marchandises dans

le royaume. En effet, sur vingt-huit arrêts promulgués une dizaine concerne des biens

commerciaux et les taxes que leur transport suppose :

« Arrêts du douze aoust qui proroge jusqu’au dernier decembre 1734 les droits d'entrée

sur les bestiaux venant des pays étrangers»509

Si nous les comparons au contenu des imprimés réalisés par François Barbier en 1702,

on remarque que les copies imprimées par Barbier ont aussi pour principal objet la sortie

des marchandises hors du royaume et les droits d’entrée des produits dans la ville de

Lyon, principalement le vin et le pied fourché (bovins, ovins et porcins)510

. Une

tendance qui s’explique par le développement du commerce dans la première partie du

XVIIIe siècle en particulier avec les colonies françaises aux Antilles et les comptoirs

établis en Inde. Par ailleurs, aucune copie ne fait explicitement mention en 1702 de

l’administration d’affaires publiques ou privées, ce qui ne veut pas nécessairement dire

qu’il n’y avait pas d’actes concernant la réglementation mais qu’ils étaient moins

nombreux et que le détail n’a pas été fait pour ce mémoire.

Enfin, le dernier élément à prendre en compte pour cerner la production d’imprimés de

Pierre II Valfray en 1732 est leur prix. Il est rémunéré pour les impressions qu’il réalise

cette année là : 992lt 12s, une somme qui constitue une moyenne si l’on considère le

dépouillement des registres des actes et délibérations consulaires de la ville de Lyon que

503 Ibid. 504 Ibid. 505 Ibid. 506 Ibid. 507 Ibid. 508 Ibid. 509 Ibid. 510 Charlène BEZIAT, op. cit., tome 2, p. 51.

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nous avons effectué pour toute la première moitié du XVIIIe siècle.

511 Les rémunérations

perçues par les Valfray fluctuent parfois sensiblement de 1717, première année où Pierre

II apparaît sous le titre d’imprimeur du roi dans les registres, à 1751, bien qu’elles

avoisinent régulièrement les 1 000lt par an. C’est la croissance exponentielle du nombre

d’imprimés, conséquence directe d’un besoin grandissant de la ville de Lyon, qui est

essentiellement responsable de l’augmentation des sommes versées par le pouvoir local

aux imprimeurs du roi pendant cette période512

. Par ailleurs, le mémoire de ces

impressions nous donne aussi le détail du coût de la réalisation de chaque imprimé.

Ainsi, nous constatons une certaine stabilité de leur prix pendant toute l’année 1732, ce

qui assez rare sous l’Ancien Régime, qui est une période marquée par une grande

instabilité monétaire puisque c’est le roi qui détient le droit régalien de battre monnaie

et donc qui décide de sa valeur. De janvier à août 1712 douze exemplaires d’un même

acte sont ainsi évalués à 1lt 16s, puis ils coûtent 1lt 12s jusqu’à la fin de l’année513

. Les

imprimés qui comptent « deux cayers à six pièces »514

tels certains arrêts plus longs et

surtout les relations de conquête ou de bataille sont imprimés en douze exemplaires pour

3lt 12s (deux fois le prix d’impression d’un acte standard). Et les imprimés qui comptent

huit cahiers, ici la copie d’un procès verbal toujours tirée à douze exemplaires, coûtent

7lt 4s (quatre fois le prix d’un acte standard). Rappelons cependant que l’appréhension

de la manière dont sont fixés les prix des imprimés sous l’Ancien Régime est soumise à

bien des variables, que ce soit le format choisit, le tirage, l’insertion de décors ou

d’illustrations et surtout le prix du papier. En effet au XVIIe siècle le papier destiné à la

ville de Lyon, essentiellement fabriqué dans le grand centre papetier auvergnat a perdu

le privilège d’être une marchandise considérée comme libre et franche515

. Désormais, il

cumule les taxes de circulation, les frais de transport et divers impôts royaux qui

doublent son prix de vente à la sortie des moulins, ce qui explique que la variation du

nombre de feuillets soit un élément clé dans la détermination du prix d’un imprimé.

Pierre II Valfray occupe cependant la charge d’imprimeur du roi pendant une période de

reprise de la production des imprimés de ville dont le nombre augmente régulièrement

ce qui lui assure un profit considérable516

. Et bien que nous ne détenions pas de chiffres

pour la seconde partie du XVIIIe siècle, l’article de Dominique Varry intitulé « Batailles

de libelles à Lyon à l’occasion de la suppression de la Compagnie de Jésus »517

, nous

permet de supposer que ce fut encore le cas. En effet, l’affrontement juridique qui

opposa les jésuites aux autorités locales et royales dans les décennies 1760-1770, profita

pleinement à Pierre III qui détenait toujours officiellement la charge à Lyon et dont les

ateliers imprimèrent un grand nombre d’arrêts et d’édits royaux concernant cette

querelle, qui se termina en 1773 par l’expulsion des jésuites du royaume de France.

Par ailleurs, nous avions mis en avant dans notre précédente étude que les imprimeurs

officiels réalisent en plus des impressions ordinaires, des impressions dites

extraordinaires sous la forme de livres dont les éditions sont subventionnées par les

pouvoirs locaux518

. Parmi les quatre ouvrages édités dans la première partie du siècle

aux frais du Consulat, un seulement à notre connaissance a été réalisé par Pierre III

511 Cf. Annexe 2. 512 Charlène BEZIAT, op. cit., p. 54. 513 Cf. Annexe 1. 514 Ibid. 515 Henri-Jean MARTIN, Roger CHARTIER (dir.), Jean-Pierre VIVET (collab.) (1982-1986), Histoire de l'édition française. Tome 2. Le livre triomphant : 1660-1830, [Paris], Promodis, 1984, p. 41. 516 Charlène BEZIAT, op. cit., p. 46. 517 Dominique VARRY, « Batailles de libelles à Lyon à l’occasion de la suppression de la Compagnie de Jésus (1760 -1775) »,

Histoire et civilisation du livre : revue internationale, n°2, 2006, p. 137. 518 Charlène BEZIAT, op. cit., p. 56.

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Valfray en 1751: Tables de nombres fixes, pour opérer les principales Réductions

étrangères avec La France, par Vincent César Tapis arithméticien519

. Un ouvrage qui :

« servoit tres vite aux negociants de cette ville principalement a ceux qui font des

affaires avec l’Etranger. »520

Pour lequel il reçut 1 200lt :

« pour le dedommager des frais considerables qu’il a été obligé de faire pour

l’impression dud[it] livre et des cartes quil a fait Egalement imprimer pour facilité

la commodité des Negociants. »521

Cette somme importante a d’ailleurs rarement été atteinte parmi les livres subventionnés

par le Consulat et n’est dépassée que par les éditions successives de l’Éloge historique

de la ville de Lyon du père Claude-François Ménestrier et de l’Histoire littéraire de la

ville de Lyon du père Dominique de Colonia522

.

De plus, les trois générations de Valfray réalisent aussi les imprimés ordinaires du

clergé de la province ecclésiastique de Lyon et de ses archevêques successifs : François-

Paul de Neuville nommé en 1714, Charles-François de Chateauneuf de Rochebonne

institué en 1731, Pierre-Paul Guérin de Tencin désigné en 1740 et Antoine de Malvin de

Montazet nommé en 1758. En l’absence de sources de première main qui auraient pu

nous donner le détail des impressions qu’ils réalisent pour les autorités ecclésiastiques,

nous nous bornerons aux descriptions qu’en donnent Jean-Dominique Mellot pour

Rouen523

et Henri-Jean Martin pour Paris524

. D’une part dans la ville de Rouen, les

charges d’imprimeur du roi et d’imprimeur-libraire officiel de l’archevêché sont

occupées comme à Lyon, par une seule famille : les Viret. Jean-Dominique Mellot

indique que Viret reçoit à la fin du XVIIe siècle 84lt par an en tant que typographe

archiépiscopal et qu’il imprime essentiellement des feuilles de pardon et des directoires

(livres où les offices de chaque jour sont relatés) ainsi que des travaux plus occasionnels

tels des vies de saints, des bréviaires etc525

. Ce poste de confiance lui permet de

monopoliser le marché paroissial ce qui entraîne une vive concurrence entre les autres

imprimeurs-libraires de la communauté rouennaise pour s’assurer ce qu’il reste de

travail. Les autorités ecclésiastiques font également imprimer chaque année un flot de

publications qui vise à redéfinir le droit ou la doctrine : des mandements, lettres,

circulaires, monitoires526

et des instructions pastorales527

. Pendant cette période de crise,

la production de non livres concentra toutes les tensions puisqu’elle constituait une

activité rémunératrice quotidienne528

.

D’autre part, Henri-Jean Martin distingue dans son étude plusieurs institutions

ecclésiastiques qui ont chacune recours à des imprimeurs-libraires privilégiés pour

réaliser les documents liés à leur administration529

. D’abord, l’Assemblée du clergé qui

est l’institution représentative de l’Église de France, dispose d’un imprimeur -libraire

pour réaliser les pièces, circulaires et procès verbaux de ses réunions quinquennales.

Elle réunit des députés élus dans chaque province pour évoquer des questions diverses :

la défense du gallicanisme, le traitement du jansénisme, les rapports avec Rome etc.

519 Cf. Illustration 6. 520 A.M.L., BB 317 f°138. 521 Ibid. 522 Charlène BEZIAT, op. cit., tome 2, p. 61. 523 Jean-Dominique MELLOT, op. cit., p. 271. 524 Henri-Jean MARTIN, Livre, pouvoirs et société à Paris au XVIIe siècle (1598-1701), Genève, Droz, 1969, p. 455. 525 Jean-Dominique MELLOT, op. cit., p. 271. 526 Dans la juridiction ecclésiastique : lettre d’un juge ecclésiastique qui tend à obliger tous ceux qui ont eu connaissance d’un

crime à dire ce qu’ils savent. 527 Jean-Dominique MELLOT, op. cit., p. 174. 528 Ibid, p. 298. 529 Henri-Jean MARTIN, op. cit., p. 455.

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Ensuite, les clergés diocésains et les ordres religieux s’octroient également les services

d’imprimeurs-libraires attitrés. Pour les diocèses, il s’agit surtout d’imprimer les livres

nécessaires aux clercs. L’impression d’un bréviaire ou d’un missel représente un projet

fructueux pour un imprimeur-libraire puisque cela suppose un travail de plusieurs mois,

et que l’évêque consent parfois soit à avancer le prix du papier soit à payer une partie de

l’impression en cours de production. Dans la première partie du XVIIe siècle, le clergé

de Paris fait ainsi appel aux imprimeurs du roi Sébastien Cramoisy et Antoine Vitré pour

réimprimer des livres d’Église ce qui leur conférère des bénéfices considérables530

.

Enfin, les ordres religieux et les congrégations religieuses tels que les jésuites, les

bénédictins, les jacobins etc. disposent eux aussi d’imprimeurs-libraires pour les fournir

en papier, en grammaires et en livres pour l’enseignement. À partir de 1670 et jusqu’en

1692, le Consulat lyonnais met ainsi en place une véritable politique du livre en faveur

de la bibliothèque du collège jésuite de la Trinité auquel il procure chaque année des

livres par le biais de libraires qu’il désigne et qu’il rétribue531

. Les jésuites lyonnais font

également éditer leurs propres publications théologiques, historiques et spi rituelles

auprès des imprimeurs-libraires lyonnais. Depuis 1608, la Compagnie de Jésus avait

d’ailleurs le droit, de même que le souverain et l’Assemblée du clergé, de choisir son

imprimeur attitré, qui avait l’exclusivité des éditions de la Compagnie à l’exclusion de

tout autre532

.

Par ailleurs, pour Paris comme pour Rouen, Henri-Jean Martin533

et Jean-Dominique

Mellot534

s’accordent à dire que cette production officielle trouve son prolongement dans

l’édition du journal officiel.

La Gazette

Créée en 1631 par le médecin et journaliste Théophraste Renaudot (1586-1653), la

Gazette est un périodique destiné dans un premier temps à rapporter aux élites du

royaume et aux marchands des nouvelles de l’étranger, en particulier des conflits

successifs qui déchirent l’Europe535

. Cependant, elle devient rapidement un instrument

politique aux mains des autorités monarchiques qui s’en servent pour dominer l’opinion

publique de l’ensemble du royaume au sein duquel elle est largement diffusée par le

biais des réimpressions provinciales souvent laissées à la charge des imprimeurs du

roi536

.

La création de la Surintendance générale des postes en janvier 1630 permit à la plupart

des grandes villes du royaume de se doter de bureaux de poste qui formèrent rapidement

un véritable réseau. Dès lors, la diffusion de l’information dans l’ensemble du royaume

s’améliora grandement, ce qui fut particulièrement bénéfique à la Gazette. En province

afin d’éviter les contrefaçons, sa réimpression était assurée par des imprimeurs -libraires

locaux appelés fermiers de la Gazette puisqu’ils contractaient un bail devant notaire ou

sous seing privé auprès du propriétaire du périodique, pour avoir le droit de le

réimprimer et de le distribuer537

. Ce procédé mettait fin aux problèmes d’acheminement

de la Gazette, coûteux et très long, et il diminuait les frais de sa production puisque la

530 Ibid, p. 458. 531 Charlène BEZIAT, op. cit., p. 72. 532 Henri-Jean MARTIN, op. cit., p. 459. 533 Ibid, p. 261. 534 Jean-Dominique MELLOT, op. cit., p. 174. 535 Gilles FEYEL, L’Annonce et la nouvelle : la presse d’information en France sous l’Ancien Régime (1630 -1788), Oxford,

Voltaire foundation LTD, 2000, p. 131. 536 Ibid, p. 132. 537 Gilles FEYEL, La Gazette en province à travers ses réimpressions, 1631-1752, Amsterdam & Maarssen, Holland University

Press, 1982 (Études de l’Institut de recherches des relations intellectuelles entre les pays de l’Europe occidentale au XVII e

siècle), p. 14.

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main d’œuvre était moins chère en province. Le propriétaire de la Gazette détenait le

privilège qui avait été octroyé à Théophraste Renaudot par lettres patentes du roi du 30

mai 1631 et qui fut par la suite mainte fois reconduit. Il demeura dans la famille

Renaudot jusqu’en 1749, puis fut vendu à un membre de l’administration royale, le

ministre Pierre Nicolas Aunillon, pour la somme considérable de 97 000lt538

. D’après

l’étude des baux de la Gazette menée par Gilles Feyel, les fermiers détenaient le

monopole du droit d’imprimer, vendre et débiter la Gazette pour une durée de trois à

neuf ans. Les baux stipulaient qu’ils conservaient les profits de sa distribution en

contrepartie de quoi ils devaient assurer une redevance annuelle plus ou moins élevée

selon la ville ou le tirage, à son propriétaire (fermage). Aucune obligation en ce qui

concerne le décor, le format, la reproduction fidèle du texte, l’ajout ou la suppression

d’annonces et de nouvelles locales n’était précisée539

.

À Lyon, le premier fermier de la Gazette fut, selon Gilles Feyel, l’imprimeur Jacques

Roussin en 1633540

. Pour les autres, ce sont les recherches que nous avons menées pour

notre précédent mémoire dans les registres des actes et délibérations consulaires de la

ville de Lyon de 1651 à 1751, qui nous ont permis de les identifier541

. En 1640, c’est

l’imprimeur Jean-Aymé Candy, l’un des imprimeurs du roi de la ville, qui effectue les

réimpressions locales de la Gazette. Son bail est renouvelé en 1651 jusqu’en 1658, date

à laquelle sa veuve, Clemence Candy, reprend son impression pour un an542

. C’est

ensuite à l’imprimeur Jacques Olier de distribuer :

« les Gazettes ord[inai]res et extraord[inai]res [et] avec nouvelles tant imprimer

pour estre delisvrees au Consulat et aux sieurs officiers et exconsuls de lad[ite]

ville toutes les semaines. »543

Par ailleurs, Michel Loche affirme dans son ouvrage sur les journaux imprimés à Lyon

aux XVIIe et XVIII

e siècles

544, que Guillaume Barbier (il n’indique pas s’il s’agit de

Guillaume I ou Guillaume II Barbier) aurait également imprimé la Gazette à la suite de

Candy. Une hypothèse probable pour Guillaume I Barbier qui était l’associé de Jean -

Aimé Candy à partir de 1648 et jusqu’en 1651 au moins545

. À la mort de Jacques Olier

vers 1667, sa veuve Catherine Candy, reprend l’impression du périodique pour quelques

années avant que le bail ne soit cédé en 1672 à deux nouveaux fermiers : les

imprimeurs-libraires Anthoine Jullieron et François Barbier qui occupent conjointement

la charge d’imprimeur du roi. Anthoine Jullieron effectue cette tâche jusqu’au début des

années 1690. Feyel indique d’ailleurs que sur deux presses d’imprimerie qui sont en

activité dans son atelier, une est affectée à la production de la Gazette546

. Et François

Barbier poursuit son impression, vraisemblablement seul, jusqu’à sa mort en 1715. C’est

alors la veuve de François Barbier, Antoinette de la Faye, qui réalise l’édition locale de

la Gazette jusqu’au début des années 1720. Sa réimpression est ensuite reprise par son

fils, Jacques-Joseph Barbier jusqu’en 1727547

. Pierre II Valfray, l’imprimeur du roi en

charge, se voit alors octroyer le bail de la Gazette lyonnaise. Puis, lorsqu’il se retire du

métier au début des années 1740, c’est son fils Pierre III Valfray, également reçut

imprimeur du roi, qui la réimprime par « tacite reconduction » du bail expiré

538 Ibid, p. 13. 539 Ibid, p. 18. 540 Ibid, p. 5. 541 Charlène BEZIAT, op. cit., p. 27. 542 Ibid, p. 20. 543 A.M.L., BB 214 f°551. 544 Michel LOCHE, Journaux imprimés à Lyon (1633-1794), Paris, Le Vieux Papier, 1968, p. 4. 545 Jean-Dominique MELLOT (éd.), Élisabeth QUEVAL (éd.), Antoine MONAQUE (collab.), Répertoire d’imprimeurs-libraires

(vers 1500-vers 1810), Paris, Bibliothèque nationale de France, 1990, nouv. éd. rev. et augm. 2004, p. 44. 546 Op. cit., p. 55. 547 Mireille CAPLAT, Deux libraires lyonnais au temps de Louis XIV : Guillaume et François Barbier, 1985, Mémoire de

maîtrise, Histoire moderne, École nationale supérieure de bibliothécaires, p. 38.

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Une production éditoriale diversifiée

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(renouvellement) comme la majorité des fermiers548

. Un procédé auquel les nouveaux

propriétaires de la Gazette mettent fin en 1751, date à laquelle tous les baux provinciaux

de la Gazette sont révoqués549

. À Paris, un nouveau journal est lancé : les Annonces,

affiches et avis divers ou Petites affiches de Paris550

.

Ce bref historique des fermiers de la Gazette lyonnais impose d’emblée un constat

criant : les imprimeurs-libraires qui détiennent le monopole de la réimpression de la

Gazette à Lyon sont majoritairement les mêmes hommes qui occupent la charge

d’imprimeur du roi de la ville de Lyon pendant les deux derniers siècles de l’Ancien

Régime. Dès lors nous soulevons l’interrogation suivante : existe-t-il un lien officiel ou

officieux, entre la charge d’imprimeur du roi et l’attribution du bail de la Gazette ? Une

telle coïncidence a certainement poussé Aimé Vingtrinier dans son ouvrage sur les

imprimés lyonnais à y voir inévitablement l’expression de la volonté royale :

« On sait que les imprimeurs du roi avaient seuls le droit de réimprimer ce

journal. »551

Une affirmation que réfute Gilles Feyel dans son étude. En effet, il indique qu’il n’était

pas nécessaire d’être imprimeur du roi pour obtenir le bail de la Gazette puisque sur les

cent douze fermiers qu’il a recensé, quarante-quatre seulement sont imprimeurs du roi

de leur ville552

. Néanmoins, Lyon fait ici figure d’exception puisque l’essentiel de ses

fermiers, à part Jacques Olier et Jacques-Joseph Barbier qui n’étaient pas imprimeurs du

roi, occupent tous la charge ou l’ont sans doute occupé (cas de Jacques Roussin et

Guillaume Barbier). Feyel explique cet accaparement de la réimpression lyonnaise de la

Gazette par les imprimeurs du roi de la ville, par un état de fait initial (le premier

fermier, Jacques Roussin, était sans doute imprimeur du roi) qu’ils élevèrent bientôt en

règle générale : ils considérèrent ensuite que l’impression du périodique leur revenait de

droit553

. Cependant, il ne semble pas que les autorités souveraines estimèrent qu’il

s’agissait d’une prérogative strictement liée à la charge puisque lors du procès qui

opposa la veuve de François Barbier à Pierre II Valfray en 1717554

, Valfray obtint en sa

qualité d’imprimeur du roi, l’exclusivité des impressions ordinaires du souverain mais

pas le monopole de la réimpression de la Gazette que la veuve continua d’imprimer. Et

ce n’est que lorsque son fils, Jacques-Joseph Barbier, cessa sa production en 1727, que

Valfray obtint finalement le bail. Nous avançons l’hypothèse que l’apport de prestige lié

à la charge d’imprimeur du roi, ainsi que la certification qu’elle confère d’un savoir

faire typographique et surtout la proximité qu’elle suppose entre son détenteur et les

pouvoirs locaux et souverain, ont certainement facilité la monopolisation de l’édition

lyonnaise de la Gazette par les imprimeurs du roi de la ville, et ce d’autant plus qu’elle

est le support privilégié de la propagande monarchique.

En effet, depuis sa création au début des années 1630, les rédacteurs du périodique n’ont

eu de cesse de servir la politique royale en particuliers en temps de guerre et de troubles

politiques. Les gouvernements de Louis XIII et de Louis XIV en usèrent pour contrôler

l’information diffusée dans le royaume de France et combattre les « gazettes

hollandaises » de plus en plus répandues. Ils l’utilisèrent aussi pour étendre leur

propagande à l’étranger en diffusant de nombreuses pièces occasionnelles traduites dans

les principales langues européennes destinées aux élites locales555

. Dans son étude,

548 Gilles FEYEL, La Gazette en province à travers ses réimpressions, 1631-1752…, p. 25. 549 Charlène BEZIAT, op. cit., p. 28. 550 Gilles FEYEL, La Gazette en province à travers ses réimpressions, 1631-1752…, op. cit., p. 170. 551 Aimé VINTRIGNIER, Histoire des journaux de Lyon depuis leur origine jusqu’à nos jours. Première partie de 1677 à 1814, Lyon, A. Brun, 1852, p. 8. 552 Op. cit., p. 54. 553 Ibid. 554 Cf. Annexe 4. 555 Gilles FEYEL, La Gazette en province à travers ses réimpressions, 1631-1752…, op. cit., p. 32.

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Gilles Feyel montre d’ailleurs que c’est le roi et ses ministres qui procurent aux

rédacteurs les informations qu’ils publient afin d’orienter et de façonner ses lecteurs qui

sont essentiellement des nobles dont l’assentiment influe sur l’ensemble de l’opinion

publique556

. Pendant un siècle, la famille Renaudot a donc servi les ambitions

centralisatrices de l’État monarchique. Son rôle dans la nomination des imprimeurs

provinciaux de la Gazette est à minimiser et les relations étroites qu’elle entretient avec

le pouvoir appuie l’hypothèse selon laquelle les imprimeurs du roi étaient privilégiés

pour effectuer cette tâche. Ainsi, le constat de Feyel sur la presse pendant les deux

derniers siècles de l’Ancien Régime est sans appel :

« Sauf exception, jusqu’à la Révolution de 1789, l’information politique ne discuta

pas, elle célèbra. »557

Intéressons nous à présent aux questions qui entourent la production de la Gazette

lyonnaise, principalement en ce qui concerne son coût et sa forme, qui sont au premier

plan des préoccupations des Valfray. Lorsque Pierre II Valfray reprend le bail de la

Gazette lyonnaise en 1727, son fermage s’élève sans doute à la somme de 600lt par an,

une somme importante qui a cependant diminué par rapport au XVIIe siècle. En effet, les

précédents fermiers lyonnais payaient plus de 1000lt par an au propriétaire de la Gazette

car l’étendu de sa zone de distribution s’étendait dans le sud du royaume de France à

Grenoble, Avignon, Aix en Provence, Marseille et Montpellier. Au XVIIIe siècle, de

nouveaux centres de réimpression virent le jour dans ces villes, ce qui diminua le prix de

la redevance lyonnaise mais augmenta la concurrence pour ses fermiers558

. Valfray se

plaint d’ailleurs directement aux autorités de celle du Courrier d’Avignon et obtient de

la direction générale des postes que les paquets de journaux soient taxés à plein tarif au

départ d’Avignon alors qu’ils bénéficiaient jusque là de la franchise de port559

. Le prix

de vente du Courrier en est fortement renchérit, un succès qui est une preuve

supplémentaire de l’influence de la famille. Avec la multiplication du nombre de centres

de réimpressions provinciaux et l’augmentation du prix du papier, le tirage de la Gazette

lyonnaise diminue du fait de la perte d’un certain nombre d’abonnés dont les apports

constituent le bénéfice de ses imprimeurs. Afin de tirer un gain de ces réimpress ions, les

Valfray doivent donc jouer habilement avec le coût de la rame de papier, la redevance

qu’ils acquittent annuellement au propriétaire du privilège de la Gazette et le prix des

abonnements mensuels qu’ils demandent à leurs clients. Gilles Feyel a a insi établi

qu’entre 1740 et 1748 (période où la rame de papier est à 7lt et le fermage à 600lt), si

Pierre II Valfray ne réalise qu’un minimun de trois cent exemplaires il ne fait aucun

bénéfice mais n’est pas en déficit. Ce n’est qu’à partir de quatre cent exemplaires qu’il

réalise un gain de vingt-cinq pourcent et au-delà de cinq cent exemplaires, il peut

espérer obtenir un bénéfice de cinquante pourcent560

.

Face à de tels risques financiers, pourquoi les Valfray choisissent-ils de s’accaparer ce

nouveau marché officiel ? D’abord il semble que, comme pour les impressions

ordinaires du roi, Pierre II souhaite resserrer davantage ses relations avec le pouvoir et

occuper l’ensemble de ses cinq presses d’imprimerie. Ensuite, la politique étrangère de

Louis XIV a pu lui assurer d’avoir du travail. En effet, la guerre est l’un des sujets de

prédilection de la Gazette et participe souvent à la multiplication de ses réimpressions :

Gilles Feyel a ainsi relevé dans la première partie du XVIIIe siècle, trois phases

successives d’expansion de la Gazette qui correspondent à trois conflits majeurs : la

guerre de Succession d’Espagne (1701-1714), la guerre de Succession de Pologne

556 Gilles FEYEL, L’Annonce et la nouvelle…, op. cit., p. 261. 557 Ibid, p. 262. 558 Gilles FEYEL, La Gazette en province à travers ses réimpressions, 1631-1752…, op. cit., p. 47. 559 Ibid, p. 50. 560 Ibid, p. 108.

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(1733-1738) et la guerre de Succession d’Autriche (1740-1748)561

. Lors de ces deux

derniers conflits, Pierre II et son fils furent tous deux fermiers de la Gazette à Lyon, ce

qui leur a sans doute assuré un profit remarquable. Enfin, les Valfray bénéficient d’un

nouveau lectorat issu des élites locales émergentes : les marchands-bourgeois urbains

qui s’ajoutent à la noblesse et aux officiers562

.

Dans le mémoire des impressions que Pierre II Valfray réalise en 1732, il est indiqué :

« Plus fourny pendant le courant de l'année les gazettes de France que j'ay fait porter

chaque semaine chez les prêvosts des marchans et échevins exconsuls et autres suivant

l'ordre qui m'en a été donné a raison de 10 lt pour chaque corps de gazette d'une année

et les quatre-vingt-huit corps de gazettes. »563

L’abonnement qu’il délivre aux membres et anciens membres de la municipalité

lyonnaise ainsi qu’aux élites de la ville cette année là s’élève à 10lt par an en paiement

de l’ensemble des Gazettes qu’il a imprimé pour chacun d’eux pendant l’année. Nous

constatons qu’elle est lu par les hommes qui du fait de leur rang ou de leur fonction

constituent les rouages essentiels de l’administration provinciale. Le tarif de 10lt est

inférieur à celui qu’a relevé Gilles Feyel pour Paris qui est de 15lt par an entre 1748 et

1751. Un phénomène qui s’explique par l’emploi d’une main d’œuvre moins chère en

province, l’utilisation d’un nombre de page réduit et surtout parce qu’il est moins

onéreux d’imprimer sur une copie que sur un manuscrit d’auteur564

. Le prix de

l’abonnement pratiqué par Valfray est aussi en baisse par rapport à celu i que nous

avons relevé dans le mémoire des travaux d’impressions réalisés par François Barbier en

1702. En effet, ce dernier la distribue à Lyon à une dizaine de personnes, dont deux

femmes : Mme de Villeroy et Mme Dumey, pour la somme de 12lt. Un travail qui lui

rapporte annuellement 120lt565

. Trente ans plus tard, le nombre d’abonnés à la Gazette a

considérablement augmenté et le prix de son abonnement annuel a baissé de 2lt. Valfray

la distribue chaque semaine à quatre-vingt huit personnes, ce qui lui permet de s’assurer

en 1732 un revenu de 880lt. Ses réimpressions sont semble-t-il presque toujours datées

du mardi de chaque semaine jusqu’en 1730, puis du mercredi et parfois du jeudi en cas

de retard de la copie parisienne. L’édition lyonnaise a alors entre quatre et cinq jours de

retard sur l’impression de la Gazette parisienne qui paraît le samedi566

.

Par ailleurs, le mémoire des travaux d’impressions de Valfray de 1732 n’indique pas le

détail du tirage qu’il réalise qui dépend du nombre de pages reprodu ites et des choix

typographiques qu’il a opéré. Pierre II et Pierre III ont sans doute opté pour une des

dispositions typographiques provinciales les plus économiques : quatre pages in-quarto

qui comprennent chacune une double colonne de texte, alors que l ’édition parisienne

présente jusqu’en 1752 : douze pages in-quarto avec de longues lignes (30 000 à 22 000

signes au XVIIIe

siècle)567

. Ils économisent également sur le décor des impressions : le

titre est dépouillé et est suivi de la date sur la même ligne, le seul ornement

typographique est la lettre grise ou le passe-partout qui débute le texte568

. En province,

les changements de mise en page de la Gazette sont étroitement liés aux fluctuations du

prix du papier.

Malgré les difficultés que connaît le monde de l’imprimerie et de la librairie lyonnaise

pendant cette période, le maintien de la réimpression de la Gazette dans la ville

561 Ibid, p. 34. 562 Ibid, p. 97. 563 Cf. Annexe 1. 564 Gilles FEYEL, La Gazette en province à travers ses réimpressions, 1631-1752…, op. cit., p. 91. 565 Charlène BEZIAT, op. cit., p. 54. 566 Gilles FEYEL, La Gazette en province à travers ses réimpressions, 1631-1752…, op. cit., p. 126. 567 Ibid, p. 67 et 68. 568 Ibid, p. 90.

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jusqu’en 1751, alors que d’autres centres avaient fermés bien avant cette date, est un

marqueur indéniable de la réussite de sa production.

Ainsi, une grande partie de la production éditoriale des Valfray est consacrée à la

réalisation d’imprimés qui ne sont pas des livres et dont la forme et le contenu sont

dévoués au service de l’État monarchique. En tant qu’imprimeur du roi, les Valfray ont

joué un rôle dans le développement de la propagande royale dans la ville de Lyon

puisque ce sont eux qui ont l’exclusivité des imprimés administratifs et de la

réimpression de la Gazette. Cette production particulièrement florissante dans la

première moitié du XVIIIe siècle a pleinement participé à l’ascension de la famille au

sein de la société lyonnaise et à son enrichissement. Cependant, il nous faut rappeler

que nous n’avons qu’une connaissance infime de ces imprimés éphémères qui ont

souvent été perdus ou détruits. Nous avons donc tenté de suivre le précepte de Jean -

Dominique Mellot qui tend à établir une certaine représentativité éditoriale plutôt qu'une

illusoire exhaustivité bibliographique en ce qui concerne ces imprimés569

. Nos

recherches dans le catalogue des manuscrits de la Bibliothèque municipale de la Part -

Dieu nous ont néanmoins permis de découvrir un recueil intitulé : Table chronologique

des édits, arrêts, ordonnances, déclarations du Roi et autres impressions de ce genre,

qui se trouvent à Lyon chez M. Pierre Valfray, imprimeur ordinaire du Roy570

, que nous

n’avons pas eu le temps d’étudier dans le détail, et qui recense l’ensemble des travaux

de ville réalisés par les Valfray de 1689 à 1749. Son examen nous permettrait sans doute

d’en apprendre davantage sur leurs impressions de non livres.

Par ailleurs, en marge de ces imprimés, les Valfray réalisent un nombre important

d’éditions ecclésiastiques qui constituent la seconde partie de leur production éditoriale.

En effet, de même que l’État, l’Église pratique une politique d’intervention en matière

d’édition qui se reflète dans le contenu de leur fonds de librairie.

LE LIVRE RELIGIEUX

Depuis le XVIe siècle, le livre religieux connaît en France une diffusion massive

portée par les diverses controverses religieuses qui déchirent le royaume571

. Le

mouvement de Contre-Réforme a particulièrement participé à l’essor de la production

d’ouvrages qui sont le support privilégié de la propagande catholique. Dans ce domaine,

le XVIIIe siècle voit à la fois se consolider l’édition d’ouvrages traditionnels et

s’intensifier la diffusion de la littérature de dévotion, surtout en province. Deux

tendances que reflète l’affaire de librairie de la dynastie des Valfray qui a fai t de ces

livres son commerce de prédilection.

Une spécialité familiale

Notre étude de la production livresque des Valfray repose essentiellement sur une

source précieuse : l’inventaire du fonds de librairie dressé par Pierre III Valfray et Aimé

Delaroche lors de la vente du fonds de Valfray en 1749572

. Ratifié par le notaire lyonnais

Durand, cet inventaire présente l’ensemble des ouvrages imprimés ou seulement vendus

par Valfray, stockés dans ses trois magasins rue Saint-Dominique et rue Thomassin ainsi

que chez certains relieurs de la ville. Chaque livre y est scrupuleusement référencé :

569 Jean-Dominique MELLOT, L’édition rouennaise et ses marchés (vers 1600-vers 1730)…, op. cit., p. 173. 570 B.M.L., Ms 1164 et Cf. Illustration 7. 571 Henri-Jean MARTIN, Roger CHARTIER (dir.), Jean-Pierre VIVET (collab.) (1982-1986), Histoire de l'édition française.

Tome 2. Le livre triomphant : 1660-1830, [Paris], Promodis, 1984, p. 103. 572 Cf. Annexe 14.

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l’inventaire donne le nombre d’exemplaire en stock, le titre des ouvrages, s’il y a lieu le

nombre de volume qu’un titre comprend, leurs formats, parfois les dates, les lieux

d’édition et la langue dans laquelle l’ouvrage a été rédigé. Malgré la qualité des

informations qu’il contient, rappelons qu’il ne s’agit que d’un acte isolé qui ne peut être

considéré comme strictement représentatif de la production éditoriale de la dynastie des

Valfray. Sa comparaison avec l’inventaire que Pierre I dit avoir établi lorsqu’il cède son

fonds à Pierre II en 1715573

mais que nous n’avons pas retrouvé, aurait été nécessaire

pour dresser de premières conclusions sur la réalité des livres qu’ils impriment et qu’ils

vendent tout au long du XVIIIe siècle, et surtout pour pouvoir avancer des éléments sur

l’évolution supposée de leur production. Nous pouvons cependant présumer, compte

tenu du fait qu’il s’agit d’un fonds que Pierre III a hérité de son père et de son grand-

père, qu’il contient des ouvrages imprimés par les trois générations de Valfray, ce qui

donne plus de poids aux grandes tendances éditoriales que nous avons tenté de mettre en

avant et qui sont le reflet des choix opérés par les Valfray tant en ce qui concerne le

contenu que la forme des ouvrages.

L’inventaire de librairie sépare d’emblée plusieurs types d’ouvrages. D’abord, il

distingue les livres reliés et les livres non reliés qui sont conservés par paquet de feuilles

pliées et empilées car les frais de reliure sont trop coûteux pour relier en peau

l’ensemble des ouvrages en stock574

. Dans la plupart des cas, c’est d’ailleurs l’acheteur

qui fait lui-même relier le livre qu’il a acheté selon son niveau de fortune. Puis, à

l’intérieur de cette première séparation, une distinction est faite entre les livres d’usages,

c'est-à-dire les ouvrages qui décrivent les pratiques liturgiques de l’Église catholique,

des :

« autres livres dudit fonds, ou qui sont en plus grand nombre »575

Pour une raison de temps et dans le souci d’appréhender les éditions réalisées par les

Valfray dans le détail de leur contenu (sujet, langue, auteur) et de leur forme (reliure,

format), nous avons choisi de focaliser notre étude sur la partie de l’inventaire de

librairie qui recense uniquement les livres reliés (usages et autres).

Ainsi, parmi les livres d’usages, plusieurs sous-catégories sont représentées :

Livres d’Heures Bréviaire (prières), diurnal (prières de la

journée), psautier (chants)

Livres qui concernent la

messe

Missel (prières), messe pour les défunts,

messe royale et office.

Antiphonaire et graduel romains (chants).

Actions de grâce (eucharistie), entretiens

durant la messe, etc.

Livres qui concernent

d’autres temps liturgiques

Conduite à la confession et à la communion,

semaine sainte (dernière semaine du carême),

lamentations de Jérémie (vendredi saint),

rituel romain.

Ce sont tous des livres liturgiques catholiques destinés principalement aux religieux et

au clergé régulier. Leur production répond à une demande locale représentée à Lyon par

les nombreux couvents et monastères, et par le collège de la Trinité576

. Certains ouvrages

sont d’ailleurs destinés spécifiquement aux ordres religieux : Breviarum Monasticum ad

573 Cf. Annexe 5. 574 Henri-Jean MARTIN, Roger CHARTIER (dir.), Jean-Pierre VIVET (collab.), op. cit., p. 59. 575 Cf. Annexe 14. 576 Simone LEGAY, Un milieu socio-professionnel: les libraires lyonnais au XVIIe siècle, 1995, Thèse, Histoire moderne,

Université Lumière Lyon II, p. 267.

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usum Benedictum (bénédictins), Diurnal Cisterciense (cisterciens), Diurnal du Bréviaire

Romain à l’usage des Carmes & Carmélites déchaussés, Manière d’administrer les

sacremens pour les Religieuses de Sainte-Ursule (ursulines), missel avec les propres577

de Saint-François (franciscains), les propres des capucins ou les propres des carmélites.

Cet ensemble contient trente trois titres différents et deux mille sept cent trente deux

exemplaires dont les titres les plus représentés sont les missels, bréviaires et diurnaux.

Le missel romain renferme toutes les informations pour célébrer la messe, tant les

textes : prières, lectures, oraisons et chants, que les indications rituelles et musicales. Le

bréviaire romain renferme les textes de la liturgie des heures, c’est-à-dire les prières que

doivent effectuer les chrétiens jours et nuits. Il a été publié pour la première fois en 1568

par le pape Pie V, puis a été modifié à plusieurs reprises notamment par le pape Clément

VIII en 1602 et par Urbain VIII en 1631. Le diurnal constitue la partie du bréviaire qui

contient les prières diurne à savoir de la journée. Le qualificatif de romain indique qu’il

s’agit des ouvrages en usage dans le diocèse de Rome en opposition aux missels et

bréviaires locaux édités par certains évêques et surtout à ceux qui ont été réformés par

l’Église gallicane en France. En effet, au début du XVIIIe siècle, l’Église catholique de

France marque son indépendance vis-à-vis de la papauté et fait éditer des textes

« réformés » dans lesquels de nouvelles formules sont substituées aux anciennes, le culte

des saints est remplacé par le culte de Jésus Christ et les éléments mythiques sont

supprimés578

. Ces nouveaux missels et bréviaires sont alors largement répandus dans les

provinces du royaume.

L’ensemble des manuels anciens édité par les Valfray est majoritairement rédigé en

latin, en particulier les ouvrages qui concernent le cérémonial de la messe (les missels et

les recueils de chants) puisqu’elle est dite exclusivement en latin. Seuls quelques

diurnaux et des titres qui ont une visée essentiellement didactique sont en langue

vulgaire tel que Conduite à la Confession & Communion, Entretiens durant la Sainte

Messe ou encore le Rituel de Lyon qui présente les rites catholiques propres au diocèse

de Lyon. L’importante production de ces ouvrages liturgiques s’appuie notamment sur la

diversité de leurs formats. En effet, l’inventaire du fonds de Pierre III Valfray indique

qu’ils sont édités dans presque tous les formats pratiqués dans la librairie d’Ancien

Régime : in-folio, in-4°, in-8°, in-12°, in-18°, in-24° et in-32°579

. Les livres de messe et

les livres d’heures réalisés pour une lecture collective faite par les clercs sont imprimés

dans les plus grands formats in-folio magno (grand) et in-4°. Les plus petits formats sont

réservés aux diurnaux qui ne contiennent qu’une partie des prières de la liturgie des

heures. Leur format s’explique également par leur utilisation, puisqu’ils doivent être très

facilement transportables tout au long de la journée. Les bréviaires et l es diurnaux se

distinguent des autres publications des Valfray car ils sont imprimés dans la quasi -

totalité des formats, un exercice que les imprimeurs-libraires multiplient au XVIIIe

siècle comme en témoigne l’entreprise de Joseph-Benoît Duplain qui réalise des éditions

in-4° de l’Encyclopédie d’abord publiée en in-folio580

.

Formats Exemplaires reliés de bréviaires

In-4° 52

In-8° 10

In-12° 443

In-18° 83

577 Messes propres des saints qui constituent une partie des livres liturgiques catholiques. 578 Henri-Jean MARTIN, Livre, pouvoirs et société à Paris au XVIIe siècle (1598-1701), Genève, Droz, 1969, p. 779. 579 Cf. Annexe 14. 580 Brigitte BACCONNIER, Cent ans de librairie au siècle des Lumières : les Duplain, sous la direction de Dominique Varry,

2007, Thèse, Histoire moderne, Université Lumière Lyon II, p. 297.

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In-24° 3

Total 591

L’exemple des bréviaires reliés contenus dans le fonds des Valfray est éloquent : la

grande majorité des exemplaires est imprimée au format in-12° et in-18°, une tendance

qui illustre parfaitement l’imposition des livres petits format au siècle des Lumières, et

ce même dans le domaine du livre religieux car ceux-ci permettent un meilleur rapport

investissement-prix de vente pour les imprimeurs-libraires et coïncident avec des

habitudes de lectures privées et personnelles581

.

De plus, outre leur format, l’inventaire indique la nature des reliures dans lesquelles les

livres d’usages sont vendus, une information importante puisque la reliure est une valeur

ajoutée au prix de l’édition. La qualité de la peau utilisée par le relieur, sa teinture

éventuelle et la présence de dorures ou d’ornements sont autant d’éléments

supplémentaires qui peuvent nous éclairer sur leurs destinataires et sur les pratiques

auxquelles ces livres sont destinés.

Matériaux de couvrure Nbr d’exemplaires de livres

d’usages reliés

Basane 900

Façon de veau 62

Maroquin 1249

Total 2211

Ainsi, comme le montre le tableau ci-dessus, la grande majorité des livres d’usages

réalisés par Valfray sont reliés en maroquin qui est une peau de chèvre tannée, aux

grains apparents. C’est la reliure la plus courante au XVIIIe siècle

582. Pour les missels et

les bréviaires l’indication « dorés » est souvent ajoutée pour indiquer que la tranche a

été dorée à l’or fin ou que les plats sont encadrés d’un double ou d’un triple filet d’or.

Certains diurnaux et les divers exemplaires des Entretiens durant la Sainte messe ont été

couverts de maroquin de couleur : noir ou rouge et bleu.

L’autre peau la plus utilisée est la basane une peau de mouton tannée. Elle est surtout

utilisée pour couvrir les antiphonaires et les graduels, des livres qui contiennent les

chants et dont la reliure répond à des raisons de commodité. La basane peut elle aussi

être teinte : certains exemplaires sont couverts de basane verte ou noire. Les quelques

exemplaires reliés en « façon de veau » marquent le recours plus rare à ce matériau de

couvrure au XVIIIe siècle.

Enfin, plus de cinq cent exemplaires n’ont pas été relié mais broché, c'est -à-dire qu’ils

bénéficient d’une couverture d’attente en papier de couleur uni (gris, bleu, rose), marbré

(motifs rocheux) ou encore dominoté (papier imprimé puis peint, très répandu au XVIIIe

siècle, qui contient souvent des motifs géométriques ou floraux). Ce papier est ensuite

enlevé lorsque commencent les opérations de reliure. Les livres brochés concernent

essentiellement des pratiques liturgiques diverses et plus singulières : Office de Noel,

Lamentationes Jeremiae, Rituel de Lyon, Series ordinationum ou encore Conduite à la

Confession & Communion… etc. Ils sont de plus en plus rares tout au long du siècle583

.

Par ailleurs, en plus de ces livres d’usages le fonds de librairie de Pierre III Valfray

compte en 1749 un certain nombre d’autres livres que nous avons tenté de regrouper par

catégories :

581 Philippe MARTIN, Une religion des livres, Paris, Éd. du Cerf, 2003, p. 128. 582 Henri-Jean MARTIN, Roger CHARTIER (dir.), Jean-Pierre VIVET (collab.), op. cit., p. 165. 583 Ibid, p. 171.

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Religion Voir le détail dans le tableau

suivant

Droit-jurisprudence Cujacii Opera Fabroti, Corpus

civile, Ordonnances des eaux et

forêts

Histoire-géographie

Lexicon geographicum, Histoire

ancienne et romaine de Rollin,

Histoire de France par le père

Daniel, Mémoires, Dictionnaires de

Moréri, de Corneille, Eléments de

l’Histoire par Vallemont,

Révolutions romaines de

Vertot…etc.

Sciences-médecine

Histoire des plantes Daléchamp,

Médecine des pauvres Hecquet,

Géométrie de Le Clerc

Belles-lettres Lettres de Bussi Rabutin, Manière

d’étudier les Belles-Lettres Rollin

Langages

Dictionnaire de Danet, de Joubert

(français-latin), Vossii

Etymologicon linguae

Le premier constat que nous pouvons établir en ce qui concerne ces livres est celui d’un

nombre de titres beaucoup plus important que pour les livres d’usages. En effet, près de

quatre vingt titres différents sont recensés dans l’inventaire pour un total de mille sept

cent seize exemplaires ce qui est moins que pour les livres d’usages.

Les catégories de livres les moins représentées sont les sciences (trois titres, sept

exemplaires au total) et les belles-lettres (deux titres, quatre exemplaires au total). Les

deux titres en question ne sont d’ailleurs pas des ouvrages de littérature puisqu’il s’agit

d’un recueil de correspondances et d’un manuel pour enseigner et étudier les belles -

lettres. Nous n’avons retrouvé qu’un seul roman dans tout l’inventaire rangé parmi les

livres non reliés : les Amours de Théagéne et de Chariclée d’Héliodore d’Émèse, qui

conte l’histoire mythique des amours chastes d’un prince et d’une princesse d’Éthiopie.

Ce roman religieux très célèbre jusqu’au XVIIe siècle, fut traduit du grec au XVI

e siècle

par l’évêque Jacques Amyot ce qui lui valut d’ailleurs d’être récompensé par François

Ier

. La présence de deux ouvrages de droit et de jurisprudence dans le fonds des Valfray

ainsi que d’un recueil d’ordonnances est directement à rapprocher de leur fonction

d’imprimeur du roi. Il est d’ailleurs indiqué dans l’inventaire que l’exemplaire du

Corpus civile est relié « au lion moucheté », c’est-à-dire que sa couverture est en peau

de veau moucheté (peau sur laquelle des gouttes d’acides ont été jeté) estampée aux

armes de la ville de Lyon, ce qui nous informe qu’il s’agit certainement d’une

commande du Consulat. Le nombre de livres d’histoire présents dans l’inventaire

souligne les progrès de cette discipline au siècle des Lumières. La présence de plusieurs

dictionnaires historiques est également à mettre en avant puisque leur prolifération

marque profondément l’édition dans le royaume de France tout au long du siècle. Ces

deux formes de publication témoignent du goût des contemporains pour l’histoire

ancienne : Histoire ancienne, Histoire romaine et pour l’histoire de France (celle du

père Daniel a été mainte fois rééditée) ainsi que pour les récits d’érudition à visée

encyclopédique584

.

584 Henri-Jean MARTIN, Roger CHARTIER (dir.), Jean-Pierre VIVET (collab.), op. cit., p. 191.

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Une production éditoriale diversifiée

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Plus encore, le deuxième constat que nous pouvons établir est celui de la prépondérance

du livre religieux sur l’ensemble des ouvrages recensés. Ainsi, afin de cerner au plus

près la production des Valfray, nous avons subdivisé cette catégorie d’ouvrages en

plusieurs sous-catégories :

Dévotion et spiritualité

Adoration du saint sacrement,

Imitation de Jésus, Dévotion au

chœur de Jésus, Méditations de

Toniet, Retraite, Souffrances de

Jésus, Vie du Pere Lallemant,du

Pere Rigoleu, Vie de madame de

Riants, Vies des saints par un

solitaire, Vies des Pères du

désert…etc.

Théologie

Avis de saint Charles aux

Confesseurs, Avis sur l’État

religieux, Estius In Sententias,

Laymann Theologia, Menochius in

S[anctus] Scripturam, La religion

chrétienne prouvée par les

faits…etc.

Enseignement

Catéchismes : de Lyon, de

Montpellier, de la tonsure, du

Concile de Trente, Guide des

pécheurs, Homélies de Godeau,

Instructions, Martyrologue romain,

Sermons de Massillon…etc.

Écritures saintes et œuvres de

saints

Biblia sacra, Nouveau testament,

S[anctus] Bernardi opera,

Guillelmi Parisiensis opera

Histoire religieuse

Histoire du Peuple de Dieu,

Histoire Écclésiastique, Histoire de

l’Église par Choisy, Introduction à

l’Écriture Sainte Lamy… etc.

Règlement de vie Règle de saint François, de sainte

Ursule, Règlement de vie

Tout d’abord, il apparaît que, comme dans la plupart des boutiques de libraires sous

l’Ancien Régime, le fonds contient les textes sacrés de la religion catholique et des

œuvres de saints. Au XVIIIe siècle beaucoup de traductions en français du Nouveau

Testament sont d’ailleurs éditées afin de soutenir la propagande de l’Église et d’assurer

au texte une plus large diffusion dans la société585

. Les ouvrages d’histoire

ecclésiastique sont peu nombreux. En effet, face aux progrès de l’histoire profane leur

production subit alors un net recul586

. Trois sous-catégories d’ouvrages nous semblent

ensuite particulièrement représentées par les livres recensés dans l’inventaire.

D’abord, on constate l’importance numérique des traités de spiritualité et de

dévotion tels que l’Imitation de Jésus, la Dévotion au chœur de Jésus, les Méditations de

Toniet ou encore plusieurs retraites spirituelles. Un phénomène qui reflète une des

orientations prises par l’édition provinciale au XVIIIe

siècle. En effet, Jean-Dominique

585 Henri-Jean MARTIN, op. cit., p. 780. 586 Henri-Jean MARTIN, Roger CHARTIER (dir.), Jean-Pierre VIVET (collab.), op. cit., p. 100.

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Mellot indique que le livre de spiritualité est le genre le mieux représenté du domaine

sacré à Rouen car il touche un public de plus en plus large qui se renouvelle tout au long

du siècle587

. Et Philippe Martin, qui a étudié les bibliothèques des diocèses et des

séminaires de Lorraine et de Savoie, confirme l’envol de la production de la littérature

de dévotion dans ces provinces à partir de la décennie 1720588

. Ainsi l’édition des livres

de spiritualité et de dévotion glisse progressivement de la capitale vers la province tout

au long du dernier siècle de l’Ancien Régime, ce qui transforme peu à peu la géographie

éditoriale du royaume. Deux principales raisons expliquent ce phénomène. D’abord,

l’élargissement du public qui était auparavant restreint aux élites locales et aux clercs.

Au contraire, ces livres plus simples dans leur aspect et dans leur contenu que les autres

livres religieux sont destinés aux catégories populaires et en particulier à la population

rurale laïque589

. Ensuite l’enrichissement du corpus de livres anciens maintes fois

réédités comme l’Imitation de Jésus Christ de Thomas a Kempis (XVe siècle), par des

publications nouvelles réalisées par des auteurs ecclésiastiques locaux590

. Le meilleur

exemple de ces ouvrages nouveaux le plus souvent rédigés par des membres du clergé

régulier sont ceux des pères Jean Croiset (1656-1738) et Joseph-François de Gallifet

(1663-1749) dont plusieurs exemplaires sont présents dans le fonds des Valfray.

Membres de la Compagnie de Jésus, ces deux clercs ont particulièrement participé à

propager la dévotion à Lyon en publiant un véritable répertoire dévot. L’inventaire

mentionne trente cinq exemplaires de la Dévotion de Jésus Christ de Croiset édité plus

de dix fois chez Molin à la fin du XVIIe siècle, neuf exemplaires des Prônes de la sœur

Joly que Croiset a remanié et vingt et un exemplaire de sa Retraite (retraite spirituelle

avec des réflexions morales). Il contient également trois exemplaires de la Retraite du

père Gallifet, père spirituel des étudiants du collège de la Trinité.

Majoritairement, les auteurs édités par les Valfray, qu’ils leurs soient contemporains ou

non et qu’ils soient ou non lyonnais, sont d’ailleurs des religieux : Thomas a Kempis,

Louis Moréri, Pierre Danet, l’abbé de Vallemont, François-Timoléon de Choisy, Antoine

Godeau… etc. Plusieurs sont membres de congrégations religieuses : Jean Crasset

(jésuite), le père Gabriel Daniel (jésuite), Paul Laymann (jésuite), Jean-Étienne

Ménochius (jésuite), Claude Fleury (cistercien), René Aubert de Vertot (capucin)…etc.

Valfray édite aussi plusieurs Réglements de vie à l’usage des congrégations locales.

D’autres auteurs encore sont des lettrés qui ont suivi des études de théolog ie : Charles

Rollin et Charles Gobinet.

De plus, à cette littérature se joint une production de livres que nous avons regroupés

sous le terme global d’« enseignement » et qui désigne des textes qui visent à instruire et

à expliquer la doctrine chrétienne tels que les catéchismes. Ces ouvrages destinés aux

clercs tendent à atteindre les fidèles à travers eux et à encourager le sentiment de piété.

Enfin, la dernière sous-catégorie est celle des ouvrages de théologie dont les titres

recensés dans l’inventaire sont uniquement des rééditions d’œuvres du XVIe siècle

(Estius, Menochius, Laymann) qui ne font pas cas des controverses religieuses

contemporaines. L’absence de livres sur ce thème dans le fonds des Valfray et le déclin

de cette catégorie d’ouvrages à l’échelle nationale résultent directement de la volonté

royale qui n’admet plus alors aucune querelle en matière de religion. Seules les

publications destinées à achever de convertir les populations récalcitrantes au

catholicisme sont autorisées par l’État monarchique qui tente ainsi de supprimer les îlots

587 Op. cit., p. 534. 588 Op. cit., p. 142. 589 Jean-Dominique MELLOT, op. cit., p. 545. 590 Ibid, p. 320.

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Une production éditoriale diversifiée

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de résistance protestante et janséniste591

. Les controverses religieuses dominent alors le

marché du livre interdit592

.

Par ailleurs, contrairement à ce que nous avions constaté pour les livres d’usages, c’est

la langue vulgaire qui supplante le latin pour l’ensemble des autres livres reliés du

fonds. La littérature de dévotion et de spiritualité, du fait du vaste public qu’elle vise, et

les ouvrages didactiques ne comptent aucun titre en latin, ce qui il lustre le triomphe de

la langue vulgaire dans presque tous les domaines au XVIIIe siècle

593. Le grand nombre

de traductions d’ouvrages religieux qui s’étend du missel romain au Nouveau Testament,

assure une diffusion importante de la foi catholique dans le royaume. Dans l’inventaire,

seuls la Bible, les livres de droit et de jurisprudence et les rééditions d’ouvrages de

théologie du XVIe siècle sont en latin. En revanche, en ce qui concerne les formats

choisis pour la réalisation de l’ensemble de ces ouvrages la tendance est la même que

celle que nous avions relevée pour les livres d’usages :

Formats Exemplaires reliés

In-folio 67

In-4° 114

In-8° 382

In-12° 927

In-18° 29

In-24° 55

In-32° 142

Total 1716

En effet, la grande majorité des livres est éditée aux formats in-12° et in-8°. L’in-folio

est surtout affecté aux titres rédigés en latin (écritures saintes et livres de droit) et aux

dictionnaires. Le très petit format in-32° est quasiment réservé à l’Imitation de Jésus

Christ de Thomas a Kempis, qui représente quatre vingt dix huit exemplaires sur cent

quarante deux exemplaires in-32° au total. Enfin, l’inventaire nous indique que

l’essentiel de ces ouvrages a été couvert en peau de veau. Une peau lisse surtout utilisée

au XVIIe siècle594

:

Matériaux de couvrure Nbr d’exemplaires d’autres livres

reliés

Basane 0

Façon de veau/Veau 1159

Maroquin 322

Total 1481

Le maroquin est ici réservé à un nombre restreint de titres : deux traités de théologie

Avis de Saint Charles aux confesseurs et Avis sur l’état religieux, plusieurs exemplaires

de l’Imitation de Jésus Christ en latin et surtout la Bible en latin éditée à plus de deux

cents exemplaires. Les catéchismes et certaines Instructions ont été brochés (deux cent

trente cinq exemplaires au total ont été broché).

Ainsi, l’analyse succincte de l’inventaire du fonds de librairie des Valfray dressé en

1749595

nous permet d’affirmer que le livre religieux sous ses diverses formes est bien la

591 Henri-Jean MARTIN, op. cit., p. 804. 592 Henri-Jean MARTIN, Roger CHARTIER (dir.), Jean-Pierre VIVET (collab.), op. cit., p. 110. 593 Ibid, p. 184. 594 Henri-Jean MARTIN, Roger CHARTIER (dir.), Jean-Pierre VIVET (collab.), op. cit., p. 165. 595 Cf. Annexe 14.

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spécialité éditoriale de ces imprimeurs. Les dates extrêmes des quelques années

d’éditions qui sont indiquées et qui s’étendent de la fin du XVIIe siècle à la décennie

1740 nous autorisent à qualifier cette production de spécialité familiale puisqu’elle

semble avoir été adoptée par les trois générations de Valfray. Elles nous permettent aussi

de supposer, compte tenu du nombre d’ouvrages produits dans les années 1730 -1740,

que cette période a été la plus faste de la production familiale. L’affaire de librairie était

alors dirigée par Pierre II. Notons que l’inventaire indique aussi la provenance de

plusieurs éditions. Parmi les livres reliés, la mention « Paris » est accolée à quatre livres

d’usages (bréviaire, diurnal, graduel romains) et à huit autres livres dont les auteurs sont

parisiens, tel le Lexicon Geographicum de Baudrand, la Géométrie de Sébastien Le

Clerc, l’Histoire de l’Église par François-Timoléon de Choisy ou encore la traduction du

Nouveau Testament. Ces éditions nous informent sur le fait que les Valfray, comme

beaucoup d’imprimeurs-libraires lyonnais, avaient des contacts avec des libraires

parisiens pour qui ils travaillaient peut-être parfois et avec qui ils commerçaient sans

doute. Parmi les lieux de provenance des éditions aucune autre ville dans le royaume de

France ou à l’étranger n’est indiquée.

Ces éléments établis, il nous faut à présent nous demander pourquoi les Valfray ont fait

le choix d’une telle spécialité éditoriale qui semble à rebours des orientations prises par

les autres libraires lyonnais de l’époque en matière d’édition.

En effet, l’inventaire de librairie du libraire Declaustre (1754) étudié par Anne Béroujon

dans son mémoire de maîtrise596

indique que les disciplines les plus représentées parmi

les ouvrages qu’il publie sont les belles-lettres (poèmes, pièces de théâtres, romans) et

les sciences. Le livre religieux constitue moins de 30% du total des livres recensés et il

ne s’agit que de livres de théologie à propos des controverses religieuses. De même, le

catalogue de ventes des Duplain, analysé par Brigitte Bacconnier597

indique que les

frères privilégient la production littéraire et les sciences. Seuls quelques livres de

théologie sont à dénombrer. Elle compare d’ailleurs cette production avec celle de

l’imprimeur-libraire lyonnais Périsse qui est spécialisé dans le livre religieux de

théologie. Les choix éditoriaux des Duplain reflètent les tendances du siècle : ils

s’adaptent continuellement au goût du public et aux combats intellectuels du XVIIIe

siècle598

. Or, si les Valfray comme les Duplain tendent à accroitre leur fortune, ils

s’attachent toujours à le faire de la manière la plus sûre économiquement et

politiquement : les livres d’usages constituent un marché régulier alimenté par une

demande toujours importante, et les livres de dévotion et de spiri tualité bénéficient de

l’engouement d’un public de plus en plus vaste encouragé par l’Église catholique. En

choisissant cette stratégie éditoriale les Valfray s’assurent donc une fortune gagnée sans

risques, sur les traces des libraires lyonnais Anisson du XVIIe siècle, dont la réussite fut

liée au développement du même procédé599

. Ainsi, de même que pour les imprimés, ils

privilégient une production éditoriale officielle.

Plus encore, il est possible que le choix effectué par les Valfray soit aussi l’expression

de convictions plus intimes. Lorsque Simone Legay a tenté dans sa thèse d’appréhender

le comportement religieux des imprimeurs-libraires lyonnais du XVIIe siècle, elle s’est

particulièrement intéressée à leurs attitudes envers l’Église et envers les pauvres600

. Elle

a notamment déduit la force de leurs inclinations religieuses d’après les dons publics

qu’ils font de leur vivant ou dans leurs testaments aux églises de la ville et aux

institutions de charité. En ce qui concerne les Valfray plusieurs indices appuient l’idée

596 Anne BÉROUJON, Livre et société à Lyon au XVIIIe siècle, sous la direction de Françoise Bayard, 1996, Mémoire de maîtrise,

Histoire moderne, Université Lumière Lyon II, p. 28. 597 Brigitte BACCONNIER, op. cit., p. 226. 598 Ibid, p. 509. 599 Simone LEGAY, op. cit., p. 244. 600 Ibid, p. 401.

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Une production éditoriale diversifiée

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qu’ils nourrissaient peut-être une certaine sensibilité pour la religion catholique.

D’abord, le testament de Pierre I Valfray exprime sa dévotion puisqu’il demande que

plusieurs messes soient dites à son enterrement et pendant l’année qui le suit :

« Ordonne Neantmoins qu’il soit dit [et] Cellebré dans Lad[ite] Esglize ou ailleurs

un annuel de Messes basses de l’office […] Et deux Grandes L’une a son

Enterement ou Service [et] l’autre a l’an […] Le tout pour le repos de son ame,

Comme aussy qu’il soit Cellebré Incontinant apres son deceds deux Cens messes

basses dud[it] office Et a mesme Intention »601

Pierre demande que soient célébrées des messes basses c’est-à-dire par opposition aux

grandes messes, des messes non chantées pendant lesquelles le prêtre récite les prières

chaque jour de l’année qui suit son décès. Il fait ensuite deux dons : le premier aux

pauvres de la ville et le second aux pauvres de sa paroisse :

« Item donnes [et] legue aux pauvres de l’hostel dieu nostre dame de pitié du pont

du Rosne Et a Ceux de L’aumosne generalle de Cette ville a chacune des maisons

La somme de Cent livres payables six mois apres son deced Legue aux pauvres de

la paroisse s[ain]t Nizier de Ceste ville la somme de Cent livres qui seront

distribues manuellement par son heritiere apres nommée a Ceux quelle Jugera a

propos aussy six mois apres son deceds »602

Ces legs pieux d’une centaine de livres témoignent de l’héritage de la vision médiévale

du pauvre qui est dans l’imaginaire chrétien l’intercesseur privilégié auprès de Dieu

dont les bénédictions attirent la grâce sur son bienfaiteur603

. Comme la majorité des

hommes fortunés Pierre I se sert ainsi de son argent pour améliorer ou assurer son sort

dans l’au-delà. À Lyon, d’autres libraires ont manifesté plus concrètement encore leur

sensibilité religieuse et leur soutien à la Réforme catholique en finançant par exemple

des constructions religieuses604

. Ensuite, le deuxième indice dont nous disposons pour

étayer notre hypothèse nous a été révélé par l’inventaire après décès d’Anne-Marie

Besseville605

, qui indique la présence parmi ses objets quotidiens d’un nombre important

d’ouvrages de piété :

« Une petite Tablette Bois de noyer sur laquelle vingt deux Volumes de livres in

douze de devotion »606

Enfin, le dernier élément que nous avons distingué constitue la seule implication de

Pierre II Valfray dans l’impression d’un imprimé interdit. Le 20 juillet 1729 ce dernier

imprime en tant qu’imprimeur du roi de la ville de Lyon un arrêt de la Cour du

Parlement :

« PORTANT suppression d’une Feüille imprimée, commençant par ces mots : Le

25. May Fête de saint Gregoire VII. Pape & Confesseur. »607

Cette « feuille imprimée » de quatre feuillets servait de supplément au Bréviaire romain

et comportait un office consacré à la mémoire du pape Grégoire VII608

. Or, pour l’État

monarchique et le clergé du royaume de France qui tentent depuis le début du siècle de

s’affranchir de plus en plus de la papauté et de faire du roi le seul chef de l’Église en son

royaume, Grégoire VII est le symbole de l’opposition de l’autorité ecclésiastique au

601 Cf. Annexe 9. 602 Ibid. 603 Simone LEGAY, op. cit., p. 416. 604 Ibid, p. 410. 605 Cf. Annexe 12. 606 Ibid. 607 B.M.L, F.A., 110513. 608 Cf. Illustration 8.

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pouvoir souverain puisqu’il avait déclenché à la fin du XIe siècle la querelle des

investures en s’opposant farouchement à l’empereur Henri IV. L’arrêt explique

d’ailleurs clairement cette suppression :

« Nous voyons avec le dernier étonnement ce qu’il y de plus capable d’inspirer

l’excès des pretentions Ultramontaines »609

En publiant cet arrêt Valfray exécute donc son travail d’imprimeur officiel mais il

s’avère que c’est également lui qui a imprimé la même année à Lyon le supplément

interdit au Bréviaire romain. Dès lors, doit-on voir dans cette publication le reflet de ses

propres inclinations politiques et religieuses ? La présence dans son fonds de librairie de

bréviaires et de missels romains plutôt que d’exemplaires réformés par l’Église

anglicane est un élément supplémentaire à prendre en compte. Néanmoins les éléments

que nous avons présentés ne nous permettent pas d’affirmer avec certitude qu’il aurait

manifesté un comportement particulièrement religieux dans un siècle où c’est encore la

norme. Ils sont autant d’indices à approfondir.

Pour finir, la question de la survivance du contenu du fonds des Valfray après sa vente à

l’imprimeur-libraire Aimé Delaroche reste à poser. La lecture du mémoire de Lila Aït-

Hatrit sur l’imprimeur-libraire lyonnais Matthieu-Placide Rusand (1768-1839)610

qui ne

fait pas mention des Valfray, nous a cependant permis de nous interroger sur le parcours

des livres publiés par la dynastie des Valfray à la fin du XVIIIe

siècle et au début du

XIXe siècle. Après la vente, nous imaginons aisément que ce fonds ainsi que le fonds

d’imprimerie des Valfray vendu en 1766-1767 à Delaroche ont été joints aux siens.

Peut-être les a-t-il alors entreposés dans plusieurs locaux notamment dans son nouvel

atelier aux Halles de la Grenette611

. Or cet atelier d’imprimerie, qui changea maintes fois

de propriétaires à la fin du siècle au gré des événements révolutionnaires, échoua en

1814 à l’imprimeur-libraire Matthieu-Placide Rusand. Ce dernier fut l’un des plus grand

imprimeur-libraire lyonnais de la première moitié du XIXe siècle et il est intéressant de

remarquer qu’il est comme les Valfray, spécialisé dans le livre religieux. Il fut aussi l’un

des derniers imprimeurs du roi de la ville de Lyon nommé pendant la Restauration le 20

février 1815612

. Dès lors, nous pouvons supposer que certains livres qui constituaient le

fonds des Valfray ont accompagné la passation de l’atelier d’imprimerie des Halles de la

Grenette et que des ouvrages édités par les trois générations de Valfray sont encore sur

le marché du livre lyonnais dans le premier quart du XIXe siècle.

Privilèges de librairie et approbations

L’appréhension de la production éditoriale de la famille Valfray nécessite de

s’intéresser au-delà de la matérialité des exemplaires et de leur contenu, aux logiques

qui régentent la librairie d’Ancien Régime et en particulier au système des privilèges.

Mis en place à la fin du XVe siècle en Allemagne et en Italie, l’obtention par un

imprimeur-libraire d’un privilège afin de protéger une édition nouvelle apparaît dans le

royaume de France sous le règne de François Ier

pendant les guerres d’Italie. Son

attribution est alors précédée d’un contrôle religieux du contenu de l’ouvrage effectué

avant sa publication par les censeurs de la faculté de théologie de Paris. Au fil du siècle,

les autorités civiles tentent de s’approprier ce contrôle ce qui est chose faite en 1566 lors

de la promulgation de l’Ordonnance de Moulins par Charles IX : obtenir un privilège

609 B.M.L., F.A., 110513. 610 Lila AÏT-HATRIT, Matthieu-Placide Rusand, imprimeur-libraire lyonnais (1768-1839), sous la direction de Dominique

Varry, 2009, Mémoire de master, Cultures de l’écrit et de l’image, École nationale supérieure des sciences de l’information et

des bibliothèques, Université Lumière Lyon II. 611 Nelly DUMONT, Aimé Delaroche : imprimeur lyonnais du XVIIIe siècle et la presse locale, 1982, Mémoire, Diplôme

supérieur de bibliothécaire, École nationale supérieure de bibliothécaires, p. 22. 612 Lila AÏT-HATRIT, op. cit., p. 26.

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royal devient alors obligatoire pour toute parution d’une nouvelle édition. Dès lors et

jusqu’au XVIIIe siècle, les privilèges de librairie se définissent comme :

« le monopole d’impression d’un texte ou d’un ensemble de textes accordé par la

personne royale ou une autorité politique à un auteur ou un libraire pour une durée

déterminée. »613

Il s’agit pour reprendre l’expression de Claire Lévy-Lelouch614

, d’un texte régigraphe

qui vise à autoriser après un examen préalable par la chancellerie royale et ses censeurs,

l’édition ou la réédition exclusive d’un ouvrage par un imprimeur-libraire pendant un

temps donné615

. Pour les Valfray qui réalisent une production éditoriale officielle, les

demandes de privilèges sont donc systématiques. Afin de ne pas nous borner à un exposé

général sur le système des privilèges et son application au XVIIIe siècle, nous avons

choisi d’étudier de manière concrète quatre privilèges attribués aux Valfray, contenus

dans quatre ouvrages imprimés par Pierre I et Pierre II à la fin du XVIIe siècle et dans la

première moitié du XVIIIe

siècle. Cette période est la plus productive pour la famille et

celle où ils sont le plus influents puisque Pierre II est imprimeur du roi et du clergé dans

la ville de Lyon. Cependant, ce modeste échantillon ne nous permet de ne donner qu’un

aperçu des privilèges accordés aux Valfray et il ne nous autorise pas à tirer des

conclusions générales ou particulières.

Deux questionnements ont guidé notre réflexion sur les privilèges de librairie obtenus

par les Valfray : leurs fonctions d’imprimeur officiel des autorités civiles et religieuses

ont-elles facilité l’octroi de privilèges ? Et est-ce que les privilèges qui leur ont été

attribués sont différents dans leur forme ou leur contenu des privilèges habituellement

délivrés aux imprimeurs-libraires du XVIIIe siècle ? Pour tenter d’éclairer ces

interrogations nous nous sommes appuyé sur le corpus suivant :

Titre des ouvrages

Date et lieu

d’impression

Date du

privilège

Exposant

Durée

Place du privilège

dans l’ouvrage et

spécificités

N°1 :

Instructions familieres

sur l'oraison mentale,

en forme de dialogue,

où l’on explique les

divers degrez par

lesquels on peut

s’avancer dans ce saint

exercice616

Lyon, 1686 1685

Antoine

Uvarin

(lib.

parisien)

6 ans

- Au début de

l’ouvrage après la

Table et les

approbations.

- Extrait du

privilège.

N°2 :

Relation et dissertation

sur la peste du

Gévaudan, dédiées à

Monseigneur le

maréchal de Villeroy617

Lyon, 1722 1722 Pierre II

Valfray 3 ans

- Au début de

l’ouvrage après la

dédicace et

l’adresse au lecteur.

613 Pascal FOUCHÉ (dir.), Daniel PÉCHOIN (dir.), Philippe SCHUWER (et al.), Dictionnaire encyclopédique du livre. Tome 3,

Paris, Éd. du Cercle de la librairie, 2011, p. 362. 614 Claire LÉVY-LELOUCH , « Quand le privilège de librairie publie le roi », dans De la publication entre Renaissance et

Lumières, Paris, Fayard, 2002, p. 140. 615 François FURET (dir.), Livre et société dans la France du XVIIIe siècle. Volume 1. Paris, Mouton et Co, 1965 (Civilisations et

sociétés), p. 10. 616 B.M.L., F.A., 335003 et Cf. Annexe 15. 617 B.M.L., F.A., 354376 et Cf. Annexe 16.

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N°3 :

La vie de la vénérable

Mère Suzanne-Marie

de Riants de Villerey,

religieuse de l'ordre de

la Visitation dans la

maison de l'Antiquaille

de Lyon618

Lyon, 1726 1725 Pierre II

Valfray

5 ans - À la fin de

l’ouvrage

(l’approbation est

au début de

l’ouvrage).

N°4 :

La Vie du Pere Jean

Rigoleu de la

Compagnie de Jesus.

Avec ses Traitez de

Dévotion & ses Lettres

Spirituelles619

Lyon, 1739

(4ème

édition

revue,

corrigée et

augmentée).

1738 Pierre II

Valfray 3 ans

- À la fin de

l’ouvrage après la

permission et

l’approbation.

- La permission

délivrée avant le

privilège a été

attribué à Antoine

Michallet (lib.

parisien)

Dans un premier temps, intéressons nous aux éléments que l’on retrouve invariablement dans

les quatre privilèges. Mis à part le privilège des Instructions familieres sur l'oraison mentale,

en forme de dialogue qui n’est reproduit que sous forme d’extrait, les autres privilèges sont

tous reproduits dans leur intégralité ce qui est une des conséquences de la décision royale de

1701. Celle-ci étend le régime des privilèges à toute la production éditoriale du royaume,

généralise la censure préalable et fait obligation aux imprimeurs de reproduire l’intégralité du

privilège qui leur a été cédé ou accordé620

. Cette décision marque l’affirmation de

l’accroissement de la rigueur censoriale et législative sous le règne de Louis XIV et

s’accompagne de l’obligation de faire figurer sur la page de garde des ouvrages la mention :

« Avec approbation et privilège du roi ». Trois des privilèges présentés sont des privilèges

d’imprimeur destinés à Pierre II Valfray. Seul celui des Instructions familieres est un

privilège délivré au libraire parisien Antoine Uvarin621

. Ce sont tous des privilèges

particuliers qui ne valent que pour un seul ouvrage dans le seul royaume de France. Et ils ont

tous les quatre été octroyés par le chancelier de France, chevalier garde des sceaux qui valide

la procédure d’attribution des lettres patentes, rédigées par les secrétaires qui les signent, en

apposant le sceau royal. C’est lui qui a à charge le bon fonctionnement de la librairie dans le

royaume. Les privilèges des ouvrages n°2 et 3 mentionnent d’ailleurs le sieur Fleuriau

d’Armenonville et celui du livre n°4 le sieur Daguesseau qui furent tous deux gardes des

sceaux de Louis XV. Ensuite, en ce qui concerne la structure formelle des privilèges qui ont

été reproduits en entier on constate une grande homogénéité. Pour chacun d’entre eux on

retrouve d’abord la suscription :

« LOUIS PAR LA GRACE DE DIEU ROY DE FRANCE ET DE NAVARRE »

Suivie de l’adresse :

« A nos amés & feaux Conseillers les Gens tenans nos Cours de Parlement … »

Et de l’exposé qui énonce les circonstances de la demande du privilège :

618 B.M.L., F.A., 325235, Cf. Annexe 17 et Illustration 9. 619 B.M.L., F.A., 325238 et Cf. Annexe 18. 620 Jean-Dominique MELLOT, L’édition rouennaise et ses marchés (vers 1600-vers 1730)…, op. cit., p. 693. 621 Un doute persiste sur le nom de ce dernier. Il n’apparaît pas dans le Répertoire d’imprimeurs-libraires de Jean-Dominique

MELLOT, Élisabeth QUEVAL et Antoine MONAQUE.

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« Nôtre bien amé PIERRE VALFRAY, […] Nous ayant fait remontrer qu’il lui auroit

été mis en main un Manuscrit qui a pour titre… »

Dans le cas des privilèges n°2 et n°4 il s’agit d’ailleurs plus de suppliantes :

« Nous ayant fait supplier de lui accorder nos Lettres de permission»622

Vient ensuite la décision royale :

« Nous lui avons permis & permettons par ces Presentes d’imprimer ou faire imprimer

ledit Livre cy-dessus scpecifié ».

Cette décision peut être aussi explicitement la marque d’une faveur royale personnelle à

l’égard de l’exposant comme c’est le cas dans le privilège n°3 :

« A CES CAUSES, voulant traiter favorablement ledit Exposant, Nous lui avons permis

& permettons par ces Presentes d’imprimer ou faire imprimer ledit Livre cy-dessus

scpecifié »623

La durée des privilèges est ensuite indiquée, elle varie ici entre trois et cinq ans ce qui semble

une durée relativement courte pour des privilèges royaux. Elisabeth Armstrong 624

a par

exemple porté à notre connaissance que la durée des privilèges royaux s’étendait de six à dix

ans au XVIIe siècle. Néanmoins il n’existe pas de règle fixe en la matière et des critères

économiques et de prestige sont à prendre en compte. En effet, les ouvrages qui nous

intéressent sont quatre titres populaires qui rendent sans doute la demande d’un privilège plus

long inutile puisque les trois ou cinq ans pendant lesquels les livres sont protégés suffiront

certainement à l’imprimeur-libraire pour les écouler et ainsi rentrer dans les frais qu’il a

avancé pour l’impression. Trois sont des livres de dévotion sur la pratique de l’oraison, la vie

d’une religieuse lyonnaise et celle d’un jésuite. Et le dernier relate un fait local contemporain :

la peste qui a sévi dans le Gévaudan. Ils sont susceptibles d’être achetés et lus par un large

public du fait de leurs thèmes mais aussi parce qu’ils sont rédigés en français, que leurs

formats (in-12° et in-8°) sont adaptés à un usage familier et que leur coût est sans doute peu

élevé puisqu’ils ne nécessitent pas de frais d’impression ou de reliure outranciers. Pour les

trois privilèges reproduits en entier, il est stipulé que le privilège court « à compter du jour de

la date desdites Presentes » et non à partir du jour où l’ouvrage est achevé d’imprimer, autre

conséquence d’une décision royale prise en 1701.

Viennent ensuite les clauses auxquelles est soumise la délivrance du privilège. Elles indiquent

toutes : l’enregistrement des lettres patentes sur le registre de la communauté des libraires et

imprimeurs de Paris dans un délai de trois mois, l’obligation d’imprimer le livre dans le seul

royaume de France et de le faire conformément au Règlement de la librairie (daté du 10 et 19

avril 1725), ainsi que la contrainte, avant que le livre ne soit proposé à la vente, d’en remettre

plusieurs exemplaires aux autorités, en l’état dans lequel l’autorisation lui a été accordé, pour

la bibliothèque publique du roi (deux exemplaires), pour la bibliothèque du château du Louvre

et pour la bibliothèque du chancelier garde des sceaux de France.

Enfin, les privilèges se terminent toutes par un protocole final similaire qui clôt leur

procédure d’attribution :

« CAR tel est nôtre plaisir »

Cette formule est suivie de la date, de la signature et du nom du secrétaire qui a rédigé le

texte. Pour les privilèges n°2 et n°3, il n’y a ni mention de signature ni mention de la scellée

de la lettre comme on peut le trouver parfois625

. Suivent ensuite les mentions légales de

622 Cf. Annexes 16 et 18. 623 Cf. Annexe 17. 624 Elisabeth ARMSTRONG, Before copyright. The French book-privilege system (1498-1526), Cambridge, Cambridge

University press, 1990. 625 Cf. Annexes 16 et 17.

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l’enregistrement du privilège soit sur le registre de la communauté des libraires et imprimeurs

de Paris (trois sur quatre) soit sur le registre de la chambre syndicale des libraires de Paris.

Par ailleurs, si l’extrait du privilège n° 1626

ne présente pas tous les éléments que nous venons

d’énoncer il contient cependant ceux qui semblent avoir le plus d’importance pour ses

contemporains : la date de délivrance du privilège, la signature du souverain et la mention de

scellé. Ainsi que le nom du solliciteur, le titre de l’ouvrage, la durée du privilège (six ans), la

mention d’exclusivité :

« avec deffenses à toutes personnes de quelque qualité & condition qu’elles soient,

Imprimeurs, Libraires, ou autres, d’Imprimer, vendre, ny debiter, ledit Livre, sous

quelque pretexte que ce soit »627

Et l’indication de la peine encourue :

« mille livres d’amende, & de tous dépens dommages & interêts »628

Suit comme pour les autres privilèges, l’enregistrement sur le registre de la communauté des

libraires et imprimeurs de Paris par un syndic.

Sur le plan formel ces quatre privilèges bien que rédigés parfois à plus de dix ans d’intervalle,

présentent donc une certaine unité. Tentons à présent de souligner leurs spécificités.

Le premier élément qui les différencie est la place qu’ils occupent respectivement dans

chacun des ouvrages : les privilèges n°1 et 2 sont reproduits au début alors que les n°3 et 4

sont à la fin des livres. D’abord, ce choix est toujours tributaire de raisons économiques : le

prix du papier en continuelle augmentation incite l’imprimeur à glisser le privilège là où il y a

des feuillets de libres. Ensuite, le privilège peut être rejeté à la fin de l’ouvrage s’il contient

plusieurs autres pièces liminaires telles que l’adresse du libraire au lecteur comme c’est le cas

par exemple dans La vie de la vénérable Mère Suzanne-Marie de Riants de Villerey ou une

dédicace, une préface et une table comme dans La Vie du Pere Jean Rigoleu de la Compagnie

de Jesus. À l’inverse lorsqu’il est placé au début comme dans la Relation et dissertation sur la

peste du Gévaudan, on peut supposer que cela donne une certaine solennité au livre. Il fait

partie du corpus formé par l’ensemble des pièces liminaires qui atteste du sérieux et de

l’importance de cet ouvrage. On y trouve notamment : une dédicace au duc de Villeroy, une

adresse au lecteur, le « Consentement de Messieurs les Présidens & Commissaires deputé

pour le fait de la santé de la Ville de Lyon » et surtout la reproduction de la lettre de

« Messieurs LE MOINE, & BAILLY, envoyé à MONSEIGNEUR L’ARCHEVE’QUE de

Lyon. », deux médecins de Paris. Le privilège est alors un gage royal de la véracité du récit

qui est relaté ce qui donne un certain poids à cet ouvrage local. De même dans les Instructions

familieres sur l'oraison mentale, en forme de dialogue, l’extrait du privilège qui est placé au

début de l’ouvrage après l’approbation des docteurs de la Sorbonne, est un gage

supplémentaire pour le lecteur d’y trouver de bonnes instructions pour pratiquer l’oraison

selon les préceptes de l’Église catholique.

Par ailleurs, le privilège reproduit dans cet ouvrage publié en 1686, présente une spécificité

plus intéressante encore. En effet, il est indiqué sur la page de garde du livre qu’il est :

« imprimé à Paris mais se vend à Lyon »

Une telle indication suscite la formulation de deux hypothèses. La première suppose que l’on

a affaire à une double adresse ou adresse biaisée : alors que Pierre I Valfray est présenté

comme simple diffuseur de l’ouvrage il est peut être en fait celui qui l’imprime. Mais le

privilège est au nom d’un autre libraire : le parisien Uvarin. Or, les deux approbations ne font

mention d’aucun nom et la permission royale n’a pas été reproduite on ne sait donc pas qui est

626 Cf. Annexe 15. 627 Ibid. 628 Ibid.

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à l’origine du projet d’impression (la permission est délivrée au préalable du privilège). La

deuxième hypothèse que l’on peut donc formuler à partir de cette découverte est que

l’impression est bien réalisée par Uvarin à Paris puisqu’il en a le privilège, mais qu’il existe

une entente entre lui et Pierre I Valfray qui imprime le livre en même temps à Lyon. Peut-être

s’agit-il d’un cas de privilège partagé entre les deux imprimeurs-libraires ou d’un privilège

double dont l’objectif est pour l’imprimeur-libraire parisien d’éviter que son livre ne soit

contrefait en province dès sa publication.

Une autre spécificité mérite d’être relevée dans le privilège de La Vie du Pere Jean Rigoleu

de la Compagnie de Jesus629

dont la quatrième édition est achevée d’imprimer par Pierre II

Valfray en 1739. Cette fois le privilège est bien au nom de Pierre II Valfray mais la

permission des censeurs ecclésiastiques, octroyée par le Révérend Père Provincial des

jésuites, a été donné en 1685 à l’imprimeur-libraire parisien Antoine Michallet. Natif de

Lyon, cet imprimeur quitte la ville pour la capitale vers 1663. Après plusieurs difficultés il est

admis à la maîtrise en 1676 et est nommé imprimeur ordinaire du roi de la ville de Paris en

1687630

. Comme les Valfray il se spécialise dans l’édition de livres de dévotion et de

spiritualité et met ses presses au service exclusif de la propagande de l’État monarchique en

faveur de l’unité de la religion mise en place à la suite de la révocation de l’édit de Nantes en

1685. Selon Henri-Jean Martin il fournit près de 30 000 traductions des Épîtres du Nouveau

Testament, 30 000 exemplaires de l’Imitation de Jésus Christ et 160 000 catéchismes à

l’usage des nouveaux convertis631

. Des chiffres impressionnants que ses ateliers ne peuvent

certainement pas atteindre seuls. Face à cette surcharge d’impressions Michallet comme la

plupart des imprimeurs-libraires parisiens, se tourna sans doute vers les imprimeurs-libraires

lyonnais qu’il connaissait. Georges Lepreux indique d’ailleurs dans son étude qu’il envoyait

parfois son épouse à Lyon notamment chez les Valfray pour faire imprimer les ouvrages qu’il

ne pouvait lui-même réaliser632

. Dès lors on peut supposer qu’Antoine Michallet partageait le

privilège qu’il avait sollicité en son nom pour éditer ce livre avec Pierre I Valfray afin qu’il

l’imprime en province à la fin du XVIIe siècle. À la mort de Michallet en 1699 Valfray a alors

peut-être demandé un privilège à son nom pour cet ouvrage, qu’il a ensuite légué à Pierre II

avec l’ensemble de son fonds en 1715. On suppose que Pierre II réalise cette nouvelle édition

revue, corrigée et augmentée de La Vie du Pere Jean Rigoleu de la Compagnie de Jesus afin

de continuer son privilège avant que le livre ne tombe dans le domaine public. Entre les

publications successives de Michallet et celles de Valfray, on peut penser que depuis au

moins 1686 (date de la première édition supposée du livre d’après le catalogue de la BNF), La

Vie du Pere Jean Rigoleu n’est jamais tombée dans le domaine public ce qui est une preuve

de son succès éditorial.

Par ailleurs, le privilège reproduit dans La vie de la vénérable Mère Suzanne-Marie de Riants

de Villerey comporte lui aussi des éléments remarquables633

. En effet, dans les trois privilèges

reproduits en entier on trouve après la délivrance de la décision royale et avant les clauses la

mention suivante :

« Faisons deffenses à toutes sortes de personnes, de quelque qualité & condition

qu’elles soient, d’en introduire d’impression étrangere dans aucun lieu de nôtre

obéïssance »634

Or, il a explicitement été rajouté dans ce privilège l’interdiction de contrefaire l’ouvrage (le

mot apparaît à deux reprises) :

629 Cf. Annexe 18. 630 Georges LEPREUX, Gallia typographica ou répertoire biographique et chronologique de tous les imprimeurs de France

depuis les origines de l'imprimerie jusqu'à la Révolution, Paris, Champion, 1911, p. 397. 631 Henri-Jean MARTIN, Livre, pouvoirs et société à Paris au XVIIe siècle (1598-1701), Genève, Droz, 1969, p. 676. 632 Georges LEPREUX, op. cit., p. 399. 633 Cf. Annexe 17. 634 Ibid.

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« comme aussi à tous Imprimeurs, Libraires & autres, d’imprimer, faire imprimer,

vendre, faire vendre, debiter ni contrefaire ledit Livre en tout ni en partie, ni d’en faire

aucuns Extraits sous quelque pretexte que ce soit d’augmentation, correction,

changement de titre ou autrement »635

Cet ajout résulte sans doute de deux phénomènes conjoints. D’abord, il est lié aux usages de

la librairie lyonnaise qui est déjà dans la première partie du XVIIIe siècle un haut lieu de la

contrefaçon, une pratique qui découle d’ailleurs en partie de l’accaparement du système des

privilèges par les imprimeurs-libraires parisiens. En premier lieu, les autorités tentent à

plusieurs reprises d’endiguer cette pratique en durcissant la répression comme en témoignent

les promesses de sanctions contre les contrefacteurs :

« à peine de confiscation des Exemplaires contrefaits, de quinze cens livres d’amende

contre chacun des contrevenans, dont un tiers à Nous, un tiers à l’Hôtel-Dieu de Paris,

l’autre tiers audit Exposant, & de tous dépens, dommages & interests »636

Des sanctions qui ne cessent d’ailleurs de s’affermir tout au long du siècle malgré la demande

toujours croissante d’ouvrages637

. Puis dans un second temps devant l’ampleur du

phénomène, la législation s’assouplie lorsque l’abbé Bignon crée les permissions tacites qui

rendent l’octroi d’un privilège moins systématique pour toute parution d’un nouvel

ouvrage638

. Néanmoins malgré cette création un autre phénomène demeure en province : les

imprimeurs-libraires tentent d’obtenir un privilège en prétextant un ajout ou une correction,

aussi infime soit-elle, à une publication déjà privilégiée. On peut donc supposer que ce sont

aussi les dérives de cette pratique dans la première moitié du siècle qui ont poussé les

autorités à ajouter la mention :

« ni d’en faire aucuns Extraits sous quelque pretexte que ce soit d’augmentation,

correction, changement de titre ou autrement »639

Enfin, ce privilège est également le seul à porter la dimension d’un don fait au lecteur par le

solliciteur du privilège :

« qu’il souhaiteroit imprimer ou faire imprimer, & donner au public »640

Cette formule renvoie aux fondements mêmes du régime des privilèges qui est basé sur un

système de don et de contre don. En effet, le roi donne son approbation au solliciteur qui

reçoit ce don matérialisé par le privilège et qu’il redonne ensuite par la publication de

l’ouvrage, au public. D’une privata lex, le privilège en tant que récompense de la grâce royale

devient un droit qui sert le bien public en apportant la connaissance à une plus grande échelle.

Les spécificités des privilèges attribués aux Valfray résident donc essentiellement dans leur

mode d’attribution et dans les pratiques éditoriales qu’ils dévoilent. Cet échantillon trop

modeste ne peut néanmoins pas nous permettre de savoir s’ils ont bénéficié de faveurs

particulières du pouvoir royal pour obtenir ou prolonger un privilège en cours. Une étude

approfondie des privilèges octroyés spécifiquement aux imprimeurs du roi de Paris et de

province serait nécessaire pour approfondir notre réflexion.

Ainsi la production éditoriale des Valfray se caractérise à la fois par sa diversité et par sa

nature résolument officielle. La réalisation d’imprimés de ville, de la Gazette et de livres

autorisés permet à cette dynastie d’imprimeurs-libraires de s’imposer à Lyon à la tête des

marchés civils et religieux au XVIIIe siècle et de se bâtir une solide fortune. En marge de la

635 Ibid. 636 Ibid. 637 Jean-Dominique MELLOT, op. cit., p. 693. 638 Ibid. 639 Cf. Annexe 17. 640 Ibid.

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Une production éditoriale diversifiée

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production intellectuelle et philosophique qui a longtemps semblé caractériser la librairie du

royaume de France au siècle des Lumières, l’inventaire de leur fonds de librairie reflète la

persistance d’une littérature religieuse traditionnelle dont l’amplitude qui s’étend des traités

de théologie aux petits manuels de dévotion, atteint tous les publics. Par ailleurs, peut-être

faut-il chercher aussi dans cette spécialisation éditoriale les raisons qui ont poussé Pierre III

Valfray à quitter le monde de l’imprimerie et de la librairie lyonnaise dans la deuxième partie

du siècle. En effet, la création en 1777 des permissions simples qui rendent inutiles la

demande de privilèges pour imprimer un certains nombre d’ouvrages a participé au déclin de

la production du livre religieux, devancée par les livres de sciences et de littérature641

. Et dans

le domaine des imprimés royaux la concurrence de l’Imprimerie royale, de plus en plus sévère

au cours du siècle, menace de devenir un monopole à la veille de la Révolution642

.

641 François FURET, op. cit., p. 20. 642 Georges LEPREUX, op. cit., p. 41.

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Conclusion

Au terme de notre étude, les divers champs explorés ont permis de mettre en avant

plusieurs points et d’apporter des éléments de réponse aux interrogations qui entourent

la figure de l’imprimeur du roi à Lyon au XVIIIe

siècle.

En premier lieu, il apparaît à présent clairement qu’il existe un écart entre la charge

telle qu’elle est présentée dans les lettres patentes royales et les pratiques que son

obtention entraine. En effet, alors que les textes proclament son caractère personnel et

intransmissible, l’étude du cas lyonnais a permis de montrer la persistance des usages de

passation de la charge au dernier siècle de l’Ancien Régime. Les deux principaux litiges

qui entourent sa détention au XVIIIe siècle ont notamment révélé la reconnaissance de

ces pratiques par les autorités souveraines et donc leur légalité de fait : dans l’affaire qui

oppose Pierre I et Pierre II Valfray à la veuve Barbier de 1716 à 1717 pour l’obtention

de la charge d’imprimeur du roi à Lyon, la préférence est donnée à Pierre II qui la reçoit

suite au désistement de son père en sa faveur. De même à la fin du siècle lorsque Pierre

III cesse de l’exercer, les prétentions d’Aimé Delaroche sont balayées par celles de Jean -

Marie I Bruyset qui se retire immédiatement au profit de son fils Jean-Marie II. Ces

affrontements juridiques entre grands imprimeurs-libraires lyonnais sont caractéristiques

d’une part de l’appropriation de la charge par ses détenteurs. En effet ils en font

progressivement une propriété privée qu’ils considèrent comme un bien patrimonial : ils

peuvent donc à leur guise la léguer à leurs descendants ou la vendre à d’aut res membres

du métier. D’autre part ces litiges montrent que l’obtention de la charge est un véritable

enjeu pour les imprimeurs-libraires. Une aspiration qui s’explique à la fois par les

privilèges et les honneurs qui sont attachés à son exercice et par la sécurité économique

qu’elle assure. Être imprimeur ordinaire du roi signifie faire partie des officiers royaux

qui sont attachés par leur fonction à la personne royale. C’est détenir un titre et la

supériorité d’avoir été choisi par le roi, ce qui permet d’acquérir une importante

visibilité publique. C’est aussi jouir d’exonérations d’impôts et de l’achat de privilèges

de librairie. Et surtout, c’est détenir le monopole de l’impression de tous les actes

royaux à l’exclusion de tous autres imprimeurs-libraires et bénéficier des revenus

importants et réguliers que ces impressions génèrent. Un gage de sécurité financière qui

protège de la faillite les lignées d’imprimeurs-libraires qui se la transmettent dans un

contexte économique et social difficile en particulier pour l’imprimerie et la librairie

provinciales. Par ailleurs, l’obtention et la conservation de la charge d’imprimeur

ordinaire du roi au sein d’une dynastie d’artisans du livre est d’autant plus cruciale pour

les imprimeurs-libraires étrangers socialement ou géographiquement au métier lyonnais

tel les Barbier ou les Valfray puisqu’elle leur permet de s’établir et de s’assimiler à la

société lyonnaise.

Plus encore que par la permanence de pratiques héritées du XVIe siècle, la charge

d’imprimeur ordinaire du roi se caractérise au XVIIIe

siècle par un changement majeur

que l’étude du cas lyonnais a permis de mettre en lumière : la fin de la pluralité de

l’acquisition de la charge en province et son accaparement par des dynasties

d’imprimeurs-libraires qui entretiennent des relations étroites avec le pouvoir souverain.

Ces deux phénomènes sont intimement liés à la politique royale en ce qui concerne

l’imprimerie et la librairie. En effet, la mise en place de nouvelles structures

gouvernementales et administratives et la volonté centralisatrice de la monarchie qui

s’exprime de plus en plus au siècle des Lumières, ont notamment entrainé la croissance

exponentielle du nombre d’imprimés de ville dans la cité lyonnaise643

. Dès lors dans le

643 Charlène BEZIAT, Le Consulat, l’imprimeur et le libraire à Lyon aux XVII e et XVIIIe siècles..., op. cit., p. 54.

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souci de contrôler au plus près cette production et les hommes qui la réalisent, les

autorités royales concentrent l’activité des impressions officielles sur une seule famille

d’imprimeurs-libraires qu’ils soutiennent et à qui ils permettent de s’élever

socialement : les Valfray.

Imprimeurs du roi de père en fils de 1715 à 1784, la dynastie des Valfray s’illustre

particulièrement par la rapidité de son ascension au sein de la société lyonnaise qui est

couronnée par l’acquisition de la noblesse au terme de l’échevinage de Pierre II en 1744,

un siècle seulement après l’arrivée à Lyon de son aïeul Guillaume Valfray. Le caractère

exceptionnel de leur réussite repose sur trois éléments qui sont le reflet de leurs

choix tant dans le domaine publique que dans la sphère privée.

D’abord, face aux problèmes de raréfaction des textes en province et au monopole des

imprimeurs-libraires parisiens sur le système des privilèges, les Valfray cherchent à

cumuler les charges publiques dans l’administration municipale lyonnaise. En deux

générations ils franchissent toutes les étapes du cursus honorum et parviennent à

l’échevinage : Pierre I commence par exercer les fonctions d’adjoint au sein de la

Chambre syndicale des imprimeurs-libraires puis il est nommé recteur de l’Hôtel Dieu

en 1703 et recteur de l’Aumône générale en 1712. Son fils, Pierre II, occupe la même

fonction en 1735 et atteint le statut d’échevin en 1743. En investissant dans les offices

ils imitent le comportement des grands négociants lyonnais du XVIIIe siècle et réalisent

un parcours rarement égalé dans la communauté des imprimeurs-libraires puisque

seulement deux autres artisans du livre ont été anoblis dans la première moitié du

siècle : Anisson et Borde. Outre par leur statut d’imprimeur du roi qui leur permet

d’entretenir une proximité avec les pouvoirs locaux et souverains qui désignent les

membres de l’administration municipale, leur ascension s’explique par le niveau de

fortune qu’ils ont atteint et qui leur a permis de financer leur carr ière publique.

Les Valfray doivent principalement leurs richesses à leurs judicieuses alliances

matrimoniales qui ont à chaque génération accru le patrimoine de la famille. Dans un

premier temps marqués par l’endogamie du milieu des imprimeurs-libraires lyonnais

puisque Pierre I se marie avec la fille de son confrère Pierre I Bailly, leurs mariages

quittent très vite le cercle des artisans du livre. Pierre II épouse la fille d’un maître tireur

d’or qui n’est pas d’une catégorie sociale supérieure mais qui est très fortuné : il

constitue à sa fille, Anne-Marie Besseville, une dot considérable de plus de 30 000

livres. Puis les deux mariages contractés par son fils, Pierre III, apparaissent significatifs

de l’entrée de la famille dans la noblesse puisqu’il épouse en première noce Élisabeth

Quatrefage de la Roquette, la fille d’un marchand et en seconde noce Félicianne Lorenzo

de Naboa la fille d’un négociant de Cadix. Ces mariages qui suscitent de la part des

familles des époux des apports importants, reflètent une tendance du milieu des grands

imprimeurs-libraires lyonnais qui s’allient avec les puissants commerçants de la ville

dont le niveau de fortune et la position sociale sont égales à la leur. Ils ont également un

rôle majeur dans l’assimilation de la famille Valfray dans la société lyonnaise.

Enfin, les derniers éléments sur lesquels repose leur réussite sont leurs choix éditoriaux.

Au lieu de verser dans le commerce de livres contrefaits ou l’édition d’ouvrages

prohibés, les Valfray préfèrent au contraire réaliser une production licite et officielle qui

est avantageuse financièrement et qui ne comprend aucun risque. Pour se faire, ils

s’approprient sur plusieurs générations les marchés publics tant civils que religieux en

cumulant les charges d’imprimeur du clergé et d’imprimeur du roi de la ville de Lyon.

Une grande partie de leur production est donc consacrée à la réalisation d’imprimés ou

« non livres », dont la forme et le contenu sont au service du fonctionnement des

administrations étatique et ecclésiastique. En tant qu’imprimeurs officiels du pouvoir

royal, les Valfray ont notamment joué un rôle clé dans la diffusion de la propagande

monarchique dans la ville de Lyon en particulier lorsqu’ils impriment dans la première

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Conclusion

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moitié du XVIIIe siècle, l’édition provinciale de la Gazette de Théophraste Renaudot. De

plus, en marge de ce marché florissant, ils ont su se constituer un fonds de librairie

important qu’ils se sont légués de pères en fils et que chaque imprimeur -libraire de la

famille a enrichi de ses publications. Le contenu de ce fonds reflète la spécialisation des

Valfray dans l’édition de livres religieux et indique la persistance d’une littérature

traditionnelle au siècle des Lumières, à rebours de la production intellectuelle et

philosophique du temps. Il est essentiellement constitué d’ouvrages à l’usage des clercs

et de livres de dévotion destinés à un large public.

Ainsi, le déploiement de ces stratégies tout au long de la première moitié du XVIIIe

siècle leur a permis de constituer un patrimoine familial important dont la mesure est

déterminée par les dons et legs qu’ils réalisent, le nombre et la valeur des biens fonciers

qu’ils louent et qu’ils possèdent à la ville et à la campagne ou encore les biens mobiliers

et domestiques qui peuplent leur intérieur et témoignent de leur train de vie quotidien.

Leur réussite apparaît d’autant plus remarquable et personnelle si on la met en regard du

destin de la dynastie des Barbier par exemple, dont le parcours initial est proche de celui

des Valfray644

. Également étrangers au métier lyonnais avant le XVIIe siècle, Guillaume

puis François Barbier furent aussi imprimeurs du roi de la ville de Lyon. Ils

s’associèrent avec plusieurs imprimeurs-libraires lyonnais, conclurent des alliances au

sein de ce milieu et entretinrent une proximité avec les autorités locales. Leur

production éditoriale était proche de celle des Valfray puisqu’ils réalisèrent des

imprimés de ville, éditèrent la Gazette et les œuvres des jésuites de la ville. Néanmoins,

leur niveau de fortune n’atteignit jamais celui des Valfray et ils ne s’élevèrent pas au -

dessus de leur condition sociale d’imprimeurs-libraires. Les litiges qui les opposèrent

d’abord aux puissants imprimeurs-libraires parisiens Cramoisy à la fin du XVIIe siècle

puis aux Valfray dans la première partie du XVIIIe siècle, affaiblirent sans doute leurs

appuis au sein des autorités. Face aux difficultés du commerce du livre pendant cette

période, à la monopolisation des marchés publics par les Valfray et à l’absence supposée

de descendants, la dynastie des Barbier s’est éteinte au moment ou celle des Valfray

atteignait son apogée.

Il faut attendre la deuxième partie du XVIIIe siècle pour voir le retrait volontaire de la

famille Valfray du monde de l’imprimerie et de la librairie lyonnaise, alors que leur

affaire était toujours prospère, ce qui indique que leurs activités n’étaient pas tournées

vers la réussite commerciale. Pierre I et surtout Pierre II Valfray, ont usé du métier

d’imprimeur-libraire pour asseoir leur fortune et pouvoir ensuite contracter des mariages

de plus en plus avantageux et acheter des charges de ville afin de s’élever jusqu’au plus

haut rang de la société lyonnaise et accéder à la noblesse. Par ce comportement, ils se

singularisent des autres grands imprimeurs-libraires lyonnais du siècle tel Aimé

Delaroche, Jean-Marie I Bruyset et son fils, ou les frères Périsse dont la réussite est liée

au moins en partie à leur adaptation au marché du livre et de l’imprimé. Ils ne sont pas

« modernes » au sens où l’entend Brigitte Bacconnier pour les Duplain645

c'est-à-dire

que leur production éditoriale ne véhicule pas le courant des Lumières. Au contraire,

leurs ambitions sont plus proches des grandes dynasties lyonnaises du XVIIe siècle

comme les Cardon ou les Anisson dont les parcours étaient aussi guidés par leur volonté

de noblesse. Dès lors, la charge d’imprimeur du roi, qui joue un rôle central dans leur

ascension sociale puisqu’elle leur assure des revenus, un prestige social et des rappor ts

étroits avec le pouvoir, apparaît bien comme un moyen pour atteindre cet objectif.

644 Mireille CAPLAT, Deux libraires lyonnais au temps de Louis XIV : Guillaume et François Barbier, 1985, Mémoire de

maîtrise, Histoire moderne, École nationale supérieure de bibliothécaires. 645 Brigitte BACCONNIER, Cent ans de librairie au siècle des Lumières : les Duplain, sous la direction de Dominique Varry,

2007, Thèse, Histoire moderne, Université Lumière Lyon II, p. 511.

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À partir du milieu du XVIIIe siècle, la famille Valfray appartient à la noblesse dite de

« cloche »646

, Pierre II et Pierre III obtiennent le titre de seigneur et quittent peu à peu le

métier pour vivre noblement. Leur mode de vie change pour s’apparenter à celui des

plus riches marchands bourgeois de la ville : ils s’installent sur leurs terres de Salornay

en Dombes, vendent leurs fonds de librairie et d’imprimerie et ne semblent plus

participer aux fonctions municipales. Plus encore, ils portent une attention soutenue à

l’avenir de leurs enfants : Pierre II achète des offices d’écuyer pour ses fils et marie sa

fille Jeanne à Balthazar Michon, officier royal anobli. Et Pierre III unit sa fille Marie-

Élisabeth à Antoine-François Prost de Royer également officier. Ses orientations signent

le retrait définitif de la famille du monde de l’imprimerie et de la librairie lyonnaise.

Les suites à donner à notre travail sont nombreuses. En effet, les sources que nous

avons utilisées sont partielles et laissent plusieurs points dans l’ombre en ce qui

concerne la charge d’imprimeur du roi et la famille Valfray.

Une étude à l’échelle nationale sur les imprimeurs du roi sous l’Ancien Régime

mériterait d’être menée compte tenu du poids de ses détenteurs et de leur production

dans le monde du livre durant cette période. Pour se faire, un dépouillement massif des

lettres patentes royales serait à entreprendre afin de cerner les spécificités liées à son

obtention et les changements que son institution connaît au fil des siècles. Pour Lyon,

les détails de la succession des imprimeurs-libraires à cette charge demandent à être

vérifiés et un travail similaire à celui que Georges Lepreux647

avait entrepris pour Paris

et certaines autres provinces du royaume serait nécessaire. Enfin, des recherches dans la

collection Anisson, le dernier directeur de l’Imprimerie royale, conservée à la

Bibliothèque nationale de France et que nous n’avons pas eu le temps de consulter,

seraient indispensables pour étendre notre connaissance de la figure de l’imprimeur

ordinaire du roi à Lyon et dans l’ensemble du royaume au XVIIIe siècle. Elle contient

notamment une somme de documents relatifs au régime de la librairie et de l’imprimerie

pendant cette période et particulièrement les archives de l’Inspection de la librairie. Par

ailleurs, l’appréhension de la production imprimée des imprimeurs du roi demeure

difficile compte tenu du nombre de ces imprimés et du caractère éphémère de leur

support. En effet, les travaux de ville correspondent à des usages quotidiens : souvent

réemployés à des fins diverses ou détruits, ils ont rarement été conservé. Néanmoins,

l’étude de ceux qui nous sont parvenus pourrait éclairer les questions qui entourent les

pratiques urbaines de l’imprimé sous l’Ancien Régime et leurs évolutions, comme a déjà

tenté de le faire Anne Béroujon pour le siècle précédent dans sa thèse, L’écrit dans la

ville. Espaces, échanges et identités à Lyon au XVIIe

siècle648

.

En ce qui concerne la famille Valfray, les documents sur lesquels reposent notre étude

ont essentiellement été collectés aux archives départementales du Rhône. Afin

d’approfondir nos connaissances sur cette famille, un dépouillement systématique des

actes notariaux sur le modèle réalisé par Simone Legay dans sa thèse649

serait précieux.

Les liasses 1C 221 et 3E 8197 que nous n’avons pas eu le temps de parcourir dans le

détail, demanderaient une lecture plus soutenue car elles contiennent plusieurs

documents divers : la première rassemble des actes relatifs à l’affaire qui oppose Aimé

Delaroche et la famille Bruyset à la fin du XVIIIe siècle et plusieurs documents sur les

fonctions et les prérogatives des imprimeurs du roi à cette période. Et la seconde

comprend des actes qui intéressent particulièrement les Valfray et leurs affaires. De

646 Noblesse acquise par les fonctions municipales. 647 Georges LEPREUX, Gallia typographica ou répertoire biographique et chronologique de tous les imprimeurs de France

depuis les origines de l'imprimerie jusqu'à la Révolution, Paris, Champion, 1911. 648 Anne BÉROUJON, L’écrit dans la ville. Espaces, échanges et identités à Lyon au XVII e siècle, sous la direction de Françoise

Bayard, 2006, Thèse de doctorat, Histoire Moderne, Université Lumière Lyon II. 649 Simone LEGAY, Un milieu socio-professionnel : les libraires lyonnais au XVIIe siècle, 1995, Thèse, Histoire moderne,

Université Lumière Lyon II.

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Conclusion

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plus, il serait bon d’élargir nos recherches aux archives municipales de la ville de Lyon

notamment dans les registres paroissiaux, ce qui permettrait d’identifier de manière

exacte les différents membres de la famille. La continuation du dépouillement des

registres des actes et délibérations consulaires que nous avions effectuée pour

l’élaboration de notre mémoire de master 1, permettrait également d’approfondir notre

connaissance de leur production d’imprimés et de livres pour le Consulat lyonnais. Par

ailleurs, dans la perspective de l’appréhension globale de leur production éditoriale un

relevé des ouvrages qui sont conservés au fonds ancien de la bibliothèque municipale de

Lyon la Part-Dieu serait nécessaire. Une part des imprimés que les Valfray ont réalisé y

sont conservés et il serait intéressant de les comparer à l’inventaire dressé dans le

manuscrit anonyme, Table chronologique des édits, arrêts, ordonnances, déclarations

du Roi et autres impressions de ce genre, qui se trouvent à Lyon chez M. Pierre Valfray,

imprimeur ordinaire du Roy650

. Une étude de bibliographie matérielle de certains des

livres édités par les Valfray pourrait également être menée. Enfin, les quelques pistes

que nous avons avancé à propos des descendants de la famille à la fin du XVIIIe siècle et

au début du XIXe siècle trouveraient peut-être un prolongement dans des recherches au

sein des archives départementales de l’Ain puisque les Valfray se sont définitivement

retirés sur leurs terres de Salornay en Dombes sur la paroisse de Montanay en Bresse.

Les questions que nous avons soumises à M. Humbert de Varax, auteur de l’ouvrage

Histoire locale de la Principauté et « Souveraineté » de Dombes (Ain)651

, sur le devenir

du fief de Salornay après la Révolution sont cependant restées sans réponses.

Malgré ces lacunes, notre travail se propose néanmoins d’apporter notre modeste

contribution à l’étude prosopographique des gens du livre à Lyon entreprise par M.

Dominique Varry. Il permet de mettre fin au silence qui pesait sur le destin de la

dynastie des Valfray et d’éclairer le parcours professionnel d’imprimeurs-libraires qui se

singularisent dans le monde de l’imprimerie et de la librairie lyonnaise du XVIIIe siècle

par leurs choix éditoriaux résolument légaux et révélateurs d’une production livresque

provinciale traditionnelle au siècle des Lumières.

650 Ms 1164. 651 Humbert de VARAX, Histoire locale de la Principauté et « Souveraineté » de Dombes (Ain), Tome 1. Les lieux, Bourg-en-

Bresse, Impr. A.G.B., 1999.

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Sources

Sources manuscrites

Archives municipales de Lyon

Série BB : Administration communale

Répertoires chronologiques et analytiques des actes et délibérations consulaires de la

ville de Lyon de 1651 à 1751 : BB 209, 225, 236, 247, 256, 263, 269, 276, 283, 290,

298, 309 et 318.

Registres des actes et délibérations consulaires de la ville de Lyon :

BB 214 f°551. L’imprimeur Jacques Olier est désigné pour imprimer l’édition locale de

la Gazette. 1659.

BB 220 f°410. Provision de la charge d’imprimeur ordinaire de la ville accordée à

Anthoine Jullieron. 1665.

BB 301 f°141. Pierre II Valfray est nommé recteur et trésorier de l’hôpital général de la

charité. 1736.

BB 304 f°110. Provision de la charge d’imprimeur ordinaire de la ville accordée à Aimé

Delaroche. 1739.

BB 308 f°3v. Pierre II Valfray est nommé échevin de la ville de Lyon. 1743.

BB 317 f°138. Pierre III Valfray édite les Tables de nombres fixes, pour opérer les

principales Réductions étrangères avec La France, pour le Consulat. 1751.

Série CC : Impôts et comptabilité

CC 3148. Mémoire des travaux d’impressions réalisés par Pierre II Valfray. 1732.

Série I : Archives de la police (1790-1870)

2I29 film 23. Certificat de résidence dans la ville de Lyon délivré à Alexandrine-

Thadée-Françoise Valfray. An X (1802).

Archives départementales du Rhône, section ancienne

Série C : Administrations provinciales de l’Ancien Régime

Sous-série 1C : Intendance et généralité du Lyonnais (1622-1790)

1C 221. La liasse comprend plusieurs actes (58 pièces) qui concernent l’affaire opposant

Delaroche aux Bruyset pour la succession à la charge d’imprimeur ordinaire du roi de la

ville de Lyon dont :

Les lettres patentes du roi qui nomme Pierre II Valfray à la charge de seul imprimeur et

libraire du roi dans la ville de Lyon. 1716.

Une lettre de Jean-Marie II Bruyset. 1784.

Une lettre de Jean-Marie I Bruyset. 1784.

La copie de la note consignée dans les bureaux de M. de Vergennes relative à

l’arrangement pris entre la veuve Valfray et Jean Marie II Bruyset. 1784.

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Un mémoire d’Aimé Delaroche. 1784.

Une lettre de M. de Vergennes à l’intendant de Lyon. 1785.

Série E : Familles et seigneuries

Sous-série 3E : Notaires (1380-1790)

3E 4696. Vente du fonds de librairie de Pierre III Valfray à Aimé Delaroche et

inventaire du fonds.1749.

3E 4884. Contrat de mariage passé entre Guillaume Valfray et Françoise Beaujollin.

1644.

3E 5574. Vente de la moitié du fonds de librairie de Jean Grégoire à Pierre I Valfray.

1674.

3E 6958. Vente du fonds d’imprimerie de Jean Grégoire à Pierre I Valfray. 1680.

3E 8177. Acte relatif au prêt par un particulier d’une somme d’argent pour subvenir aux

besoins de la Communauté. 1685.

3E 8178. Testament de Pierre I Valfray. 1696. Notaire Vernon.

3E 8196. Contrat de mariage passé entre Pierre II Valfray et Anne-Marie Besseville.

1714.

3E 8197. La liasse comprend plusieurs actes dont :

La vente du fonds de commerce de Pierre I Valfray à son fils Pierre II Valfray. 1715.

La procuration faite par Pierre I en faveur de son fils de la charge d’imprimeur ordinaire

du roi de la ville de Lyon. 1715.

La présentation de Pierre II Valfray devant les syndics et adjoints de la Communauté

afin d’accèder à la maîtrise (refus). 1715.

Le testament de Françoise Besseville. 1715.

Inventaires après décès

BP 2194. Inventaire après décès d’Anne-Marie Besseville. 1754.

BP 2264. Inventaire après décès de Pierre Quatrefage de La Roquette. 1776. Manquant.

Bibliothèque municipale de Lyon la Part-Dieu, Fonds général des manuscrits

Ms 1164. Table chronologique des édits, arrêts, ordonnances, déclarations du Roi et

autres impressions de ce genre, qui se trouvent à Lyon chez M. Pierre Valfray,

imprimeur ordinaire du Roy, (sans non d’auteur ni de date).

Sources imprimées

Bibliothèque municipale de Lyon la Part-Dieu, Fonds ancien

110513. Arrest de la cour du Parlement PORTANT suppression d’une Feüille imprimée,

commençant par ces mots : Le 25. May Fête de saint Gregoire VII. Pape & Confesseur,

Lyon, de l’Imprimerie de P. Valfray, Imprimeur ord. du Roy, 1729

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111902. Arrêt du Conseil d'Etat du Roi, qui destitue le nommé Réguillat de la qualité de

Marchand Libraire-Imprimeur à Lyon…, Lyon, de l’Imprimerie de P. Valfray,

Imprimeur du Roi, 1767

114431. Exercice litteraire sur la poesie. Par Messieurs Mamert de Jussieu, Jacques

Imbert, Pierre Valfray Pensionnaire, De lyon, Lyon, chez Henri Declaustre, 1742

210251. Arrest du Conseil d’État du Roy, Qui maintient, garde & conserve Pierre

Valfray dans les fonctions de la Charge de seul Imprimeur & Libraire de sa majeste

dans la Ville de Lyon, conformément à ses Lettres de Provisions , Lyon, [s.n.], 30 avril

1717

26633. Memoire pour Laurent Coindat, Compagnon Tireur d'or à Lyon, Demandeur…,

Lyon, de l’imprimerie de Jean-Denis Juttet, 1738

325235. La vie de la vénérable Mère Suzanne-Marie de Riants de Villerey, religieuse de

l'ordre de la Visitation dans la maison de l'Antiquaille de Lyon, Lyon, Valfray, 1726

335003. COURBON, Noël, Instructions familieres sur l'oraison mentale, en forme de

dialogue, où l’on explique les divers degrez par lesquels on peut s’avancer dans ce saint

exercice, Lyon, chez Pierre Valfay, 1686

345383. TAPIS, Vincent César, Tables de nombres fixes, pour opérer les principales

Réductions étrangères avec La France, Lyon, chez Pierre Valfray imprimeur ord. du

Roy, 1751

354376. Relation et dissertation sur la peste du Gévaudan, dédiées à Monseigneur l e

maréchal de Villeroy, Lyon, Pierre Valfray, 1722

355238. CHAMPION, Pierre, La Vie du Pere Jean Rigoleu de la Compagnie de Jesus.

Avec ses Traitez de Dévotion & ses Lettres Spirituelles, Lyon, chez Pierre Valfray,

Imprimeur du Roy et du Clergé, 1739

365027. Briefve instruction du procéz pendant entre Claudine Colombier,

Demanderesse: Et Guillaume Valfray, Maistre Imprimeur de Lyon, Defendeur , [s.l.],

[s.n.], [s.d.]

SJ L 042/22,1T.01. Breviarium romanum, ex decreto sacro-sancti concilii Tridentini

restitutum, Lyon, chez Pierre Valfray imprimeur du clergé, 1709

Chomarat Est 17134. De par le Roy. Pierre Poulletier Chevalier, Conseiller du Roy en

ses Conseils, Maître des Requêtes Honoraire de son Hôtel, Intendant de Justice, Police

& Finances de la Ville & Generalité de Lyon. Sçavoir faisons, [...] Contre André

Degoin, Maître Libraire & Imprimeur audit Lyon, accusé d'imprimer & de faire

commerce d'une quantité considerable de Livres contraires à la Religion…, Lyon, de

l’Imprimerie de Pierre Valfray Imprimeur ordinaire du Roy, 1735

Sources électroniques

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