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Les maladies tropicales négligées : définition, chiffres et contexte Les maladies tropicales négligées (MTN), pathologies transmis- sibles, touchent les populations les plus pauvres de la planète, sans accès à des moyens de traitement et de prévention. L’OMS recense 17 MTN, endémiques dans 149 pays et qui frappent environ un milliard de personnes. Malgré le fort impact de ces maladies qui représentent une « pandémie chronique » au 21 e siècle, seulement 0.6 % des financements de la santé dans le monde leur sont consacrés. La notion de MTN a émergé de ce constat, les distinguant des trois maladies financées par le Fonds mondial (VIH-SIDA, paludisme, tuberculose). En 2005, l’OMS a créé un département dédié à ces pathologies, constitué notamment de deux unités définies en fonction des stratégies de lutte utilisées : • Une unité « Chimioprévention » (Preventive chemotherapy and transmission control, PCT) chargée de huit MTN pour les- quelles des traitements de masse, sans diagnostic individuel préalable, sont mis en place (filariose lymphatique, oncho- cercose, schistosomiases, géo-helminthiases, cysticercose, dracunculose, trématodoses d’origine alimentaire et trachome) ; • Une unité « Prise en charge innovante et intensive des maladies » (Innovative and intensified disease management, IDM) en charge de MTN dont le diagnostic et le traitement, difficiles, nécessitent une approche individuelle des cas (trypa- nosomiase humaine africaine -THA-, trypanosomiase améri- caine ou maladie de Chagas, leishmanioses et ulcère de Buruli). Outre les 12 MTN citées précédemment, la liste de l’OMS comprend la lèpre, le pian, les échinococcoses, la dengue, le chikungunya, et la rage. Afin de réduire au plus vite l’impact mondial des MTN, l’OMS a défini en 2012 une « feuille de route » 1 , avec des objectifs à l’horizon 2015, 2020 et 2030 et à laquelle les pays et parte- naires ont souscrit l’année suivante via, pour la première fois, une résolution spécifique de l’assemblée mondiale de la santé (résolution WHA 66.12 du 27/05/2013). Géo-politique des MTN et position française Outre l’OMS, des institutions telles que la Fondation Bill & Melinda Gates, jouent un rôle considérable dans le plaidoyer, l’orientation des priorités, le financement de la recherche, la définition des stratégies de lutte et les activités de contrôle des MTN. La Fondation Gates est ainsi à l’initiative de la Déclaration de Londres 2 par laquelle un ensemble d’institutions et de compagnies pharmaceutiques s’engagent à soutenir la lutte contre les MTN. Les États-Unis et le Royaume Uni, via l’USAID (United States Agency for International Development), le DFID (Department for International Development) et des structures satellites (RTI International, Center for Disease Control, etc.) investissent massivement dans la recherche sur les MTN, très développée dans des institutions telles qu’Emory University, la Liverpool School of Tropical Medicine, ou la London School of Hygiene 1. http://www.who.int/neglected_diseases/NTD_RoadMap_2012_Fullversion.pdf 2. http://unitingtocombatntds.org/sites/default/files/resource_file/london_declaration_on_ntds.pdf L’IRD, acteur majeur de la lutte contre les maladies tropicales négligées « Poverty can not be addressed without recognising the role NTDs play in generating it », G7 juin 2015.

L’IRD, acteur majeur de la lutte contre les maladies ... · l’université Daloa ; le programme national d’élimination de la THA (PNETHA). • En République de Guinée : le

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Les maladies tropicales négligées : définition, chiffres et contexte

Les maladies tropicales négligées (MTN), pathologies transmis-sibles, touchent les populations les plus pauvres de la planète, sans accès à des moyens de traitement et de prévention. L’OMS recense 17 MTN, endémiques dans 149 pays et qui frappent environ un milliard de personnes. Malgré le fort impact de ces maladies qui représentent une « pandémie chronique » au 21e siècle, seulement 0.6 % des financements de la santé dans le monde leur sont consacrés. La notion de MTN a émergé de ce constat, les distinguant des trois maladies financées par le Fonds mondial (VIH-SIDA, paludisme, tuberculose).

En 2005, l’OMS a créé un département dédié à ces pathologies, constitué notamment de deux unités définies en fonction des stratégies de lutte utilisées :

• Une unité « Chimioprévention » (Preventive chemotherapy and transmission control, PCT) chargée de huit MTN pour les-quelles des traitements de masse, sans diagnostic individuel préalable, sont mis en place (filariose lymphatique, oncho-cercose, schistosomiases, géo-helminthiases, cysticercose, dracunculose, trématodoses d’origine alimentaire et trachome) ;

• Une unité « Prise en charge innovante et intensive des maladies » (Innovative and intensified disease management, IDM) en charge de MTN dont le diagnostic et le traitement, difficiles, nécessitent une approche individuelle des cas (trypa-nosomiase humaine africaine -THA-, trypanosomiase améri-caine ou maladie de Chagas, leishmanioses et ulcère de Buruli).

Outre les 12 MTN citées précédemment, la liste de l’OMS comprend la lèpre, le pian, les échinococcoses, la dengue, le chikungunya, et la rage.

Afin de réduire au plus vite l’impact mondial des MTN, l’OMS a défini en 2012 une « feuille de route »1, avec des objectifs à l’horizon 2015, 2020 et 2030 et à laquelle les pays et parte-naires ont souscrit l’année suivante via, pour la première fois, une résolution spécifique de l’assemblée mondiale de la santé (résolution WHA 66.12 du 27/05/2013).

Géo-politique des MTN et position française

Outre l’OMS, des institutions telles que la Fondation Bill & Melinda Gates, jouent un rôle considérable dans le plaidoyer, l’orientation des priorités, le financement de la recherche, la définition des stratégies de lutte et les activités de contrôle des MTN.

La Fondation Gates est ainsi à l’initiative de la Déclaration de Londres2 par laquelle un ensemble d’institutions et de compagnies pharmaceutiques s’engagent à soutenir la lutte contre les MTN.

Les États-Unis et le Royaume Uni, via l’USAID (United States Agency for International Development), le DFID (Department for International Development) et des structures satellites (RTI International, Center for Disease Control, etc.) investissent massivement dans la recherche sur les MTN, très développée dans des institutions telles qu’Emory University, la Liverpool School of Tropical Medicine, ou la London School of Hygiene

1. http://www.who.int/neglected_diseases/NTD_RoadMap_2012_Fullversion.pdf

2. http://unitingtocombatntds.org/sites/default/files/resource_file/london_declaration_on_ntds.pdf

L’IRD, acteur majeur de la lutte contre les maladies tropicales négligées

« Poverty can not be addressed without recognising the role NTDs play in generating it », G7 juin 2015.

and Tropical Medicine. Les institutions politiques, caritatives et académiques ont également établi des liens étroits avec de nombreuses ONG richement dotées (Carter Center, Sight Savers International, Helen Keller International, etc.) et avec les entreprises pharmaceutiques qui ont mis en place des pro-grammes de donation de médicaments pour les MTN à chimio-thérapie préventive (Merck & Co., GSK, Sanofi, etc.).

La question de l’élimination des MTN a été mise à l’ordre du jour par la chancelière A. Merkel lors du dernier sommet du G7 en Allemagne (juin 2015), et une open letter envoyée aux gouver-nements du G7. Le ministère français des affaires étrangères a répondu à cette lettre.

Sur le plan européen, le programme European and Developing Countries Clinical Trial Partnership (EDCTP), initialement ciblé sur le VIH/Sida, le paludisme et la tuberculose (EDCTP1, 2003-2015), s’est ouvert aux MTN dans le cadre de son second volet EDCTP2 (2014-2023).

Le nouvel objectif de la communauté internationale, tel que mentionné dans les Objectifs du développement durable 2015-2030, est de réduire de 90 % le nombre de personnes ayant besoin d’une prévention des MTN d’ici à 2030.

Pourtant, au sein des initiatives prises au niveau international, la France a diminué ses moyens financiers consacrés aux MTN. Ces financements se voient dilués dans le Fonds mondial et autres initiatives multilatérales alors même que notre pays dispose d’un savoir-faire, de forces et de partenariats importants dans le domaine des MTN, en premier lieu à l’IRD. Rappelons ainsi que la France, via l’ex-Orstom devenu IRD, a été un acteur majeur du programme mondial de lutte contre l’onchocercose en Afrique de l’Ouest (Onchocerciasis Control Program - OCP).

Les recherches menées par l’IRD : effectifs, implantations, partenaires

L’IRD mène des recherches sur 9 des 17 MTN listées par l’OMS : les MTN dues aux trypanosomatidés (trypano-somiases africaines, maladie de Chagas, leishmanioses), l’ulcère de Buruli, la dengue, le chikungunya, et les MTN dites « à chimioprophylaxie de masse » : filariose lympha-tique, onchocercose et autres helminthiases. L’IRD se consacre également aux zoonoses négligées (trypanoso-moses animales et leishmanioses, leptospirose) et au rôle des rongeurs en tant que réservoirs pour ces zoonoses.

Ces travaux impliquent 60 équivalents-temps-plein (cher-cheurs-ingénieurs-techniciens) répartis principalement au sein de 6 unités mixtes de recherche : Intertryp (IRD – Cirad – Universités de Bordeaux et Lyon ; Centre collaborateur

OMS pour la THA et laboratoire de référence OIE sur les trypanosomoses animales africaines), TransVIHMI (unité mixte internationale associant l’IRD, l’université de Mont-pellier, l’Inserm, l’université de Yaoundé et l’université Cheikh-Anta-Diop au Sénégal), Mivegec (IRD – CNRS – Université de Montpellier ; Centre national de référence pour les leishmanioses), PharmaDev (IRD – Université de Toulouse), Merit (IRD – Université Paris 5), CBGP (IRD – Cirad – INRA – Supagro).

Des recherches sur les parasites agents de MTN sont égale-ment menées à travers des collaborations avec des équipes plus « fondamentales », universités, Institut Pasteur, CNRS, par exemple via le LaBex ParaFrap.

Géo-partenariat3

Outre les ministères de la santé et les programmes nationaux des pays d’endémie, qui sont systématiquement impliqués, on peut citer en matière de recherche, de formation à la recherche, et de lutte contre les MTN :

• Au Burkina Faso : le CIRDES (implantation IRD, Centre coordinateur OMS pour la THA), et l’Institut de recherche en sciences de la santé (IRSS) à Bobo-Dioulasso.

• En Côte d’Ivoire : l’Institut Pierre Richet (IPR) et le Centre d’entomologie médicale et vétérinaire (CEMV ) à Bouaké ; l’université Daloa ; le programme national d’élimination de la THA (PNETHA).

• En République de Guinée : le programme national de lutte contre la THA/ l’Institut national de santé publique (INSP) à Conakry.

• Au Tchad : l’Institut de recherche en élevage pour le développement (IRED) à Ndjaména.

• Au Cameroun : l’université Yaoundé 1 et l’université Dschang, l’université Buea, le Centre Pasteur, le programme national de lutte contre l’onchocercose (PNLO).

3. Ne sont cités ici que les partenaires chez qui un chercheur IRD est en affectation ou en mission de longue durée, ou qui sont partenaires d’un projet international en cours.

Pose de piège à glossines en Guinée, pays d’Afrique de l’Ouest le plus touché par la THA

• Au Gabon : le Centre international de recherches medicales de Franceville (CIRMF).

• En République du Congo : le PNLO à Brazzaville.

• République démocratique du Congo : l’Institut national de recherche biomédicale (INRB) et le PNLTHA, le PNLO, le PNLF (programme national de Lutte contre les Filarioses) à Kinshasa.

• En Tunisie : l’Institut Pasteur de Tunis.

• En Équateur : le Centre de recherche sur les maladies infectieuses (CIEI) et l’université pontificale catholique d’Équateur (PUCE) de Quito.

• Au Pérou : l’université Cayetano Heredia à Lima.

• En Bolivie : l’Institut Seladis à La Paz

• En Thailande : l’université Kasetsart, l’université Mahidol à Bangkok.

• En Guyane : le Centre Pasteur.

Outils de partenariat au Sud développés par l’IRD dans le domaine des MTN

Deux laboratoires mixtes internationaux (LMI) sont dédiés aux MTN. Ces instruments de la recherche en partenariats sont co-construits et co-pilotés avec les partenaires de l’IRD au Nord et comme au Sud.

• LMI LAMIVECT : maladies à vecteurs (paludisme et MTN dont THA, leishmaniose, filariose lymphatique, onchocercose, dengue) à Bobo-Dioulasso

• LMI LAVI : substances naturelles anti-leishmaniennes isolées de la biodiversité péruvienne

Plusieurs jeunes équipes associées à l’IRD (JEAI) sont par ailleurs impliquées. Les JEAI visent à l’émergence ou au renforcement d’équipes de recherche dans les pays du Sud.

• JEAI ECOVECTRYP (2012-2015) : écologie des vecteurs de trypanosomoses au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire-Guinée

• JEAI ERHATRYP (2014-2016) : réservoir humain et animal des Trypanosomoses au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire

• JEAI VACLEISH (2012-2015) : vaccin contre la leishmaniose en Tunisie

• JEAI CIEI (2012-2015) : maladie de Chagas en Équateur

Impacts des recherches de l’IRD sur les MTN : quelques résultats marquants

MTN dues aux trypanosomatidés

• Plus de 80 000 personnes dépistées et 350 malades de la THA traités par les PNLTHA et l’IRD dans le cadre du Centre coordinateur OMS en Afrique de l’Ouest entre 2009 et 2014.

• Baisse de l’incidence de la THA en Afrique de l’Ouest, d’où l’élimination de la THA d’ici à 2020 affichée comme objectif de santé publique par l’OMS.

• Le suivi longitudinal des séropositifs non confirmés parasitolo-giquement et le phénomène de guérison spontanée décrits par les chercheurs de l’IRD sont maintenant admis par la com-munauté internationale et pris en compte dans la stratégie d’élimination de la THA.

• Mise au point des mini-écrans de lutte anti tsé-tsé grâce aux études menées dans le cadre des projets INCO-DEV (TFCAS) et de la Fondation Gates, en collaboration avec Liverpool School, d’où l’inclusion de la lutte anti tsé-tsé dans les dernières recommandations de l’OMS pour l’élimi-nation de la THA.

• Mise au point via un partenariat public privé IRD-VIRBAC du 1er vaccin contre la leishmaniose canine ayant bénéficié d’une auto-risation de mise sur le marché au niveau européen (Canileish ®).

MTN à chimioprophylaxie de masse

• Mise en évidence des effets secondaires graves survenant après la prise d’ivermectine (médicament utilisé en traitement de masse contre l’onchocercose et la filariose lymphatique) chez les personnes fortement infectées par les filaires Loa loa ; impact majeur (recommandations de l’OMS) sur la straté-gie de lutte contre l’onchocercose.

• Mise en évidence de l’absence de spécificité du test immuno-chromatographique (ICT) utilisé pour cartographier la filariose lymphatique (fausse positivité en cas de forte infection par Loa loa), remettant en cause la carte de répartition de la maladie et le niveau d’investissement nécessaire pour l’éliminer. Présentation du fonctionnement des pièges à moustique vecteurs

de la dengue et du chikungunya à La Réunion

• Mise en évidence d’une baisse d’efficacité de l’ivermectine chez Onchocerca volvulus, annonçant peut-être l’émergence d’une résistance au médicament (projet ANR).

• Mise au point d’une méthode d’évaluation rapide individuelle de la microfilarémie à Loa, permettant d’administrer l’ivermectine sans risque d’effet secondaire grave (financé par la Fondation Gates).

• Mise en évidence de l’efficacité des traitements par albenda-zole seul sur Wuchereria bancrofti (agent de la filariose lym-phatique), permettant le lancement de traitements de masse dans les zones où la loase est co-endémique (étude menée au Congo et en RDC, se poursuivant jusqu’à mi-2017).

• Mise en évidence d’une association entre onchocercose et épilepsie, projet à suivre avec l’Institut de médecine tropicale (IMT) d’Anvers.

Autres MTN

• Mise en évidence de la circulation d’agents des MTN chez des rongeurs en Afrique.

• Mise en évidence de leptospires (agents pathogènes de la leptospirose) maintenues par le biais du maraîchage urbain au Niger.

• Schistosomoses pérennisées dans la vallée du fleuve Sénégal du fait des aménagements hydroagricoles.

• Dissémination de rongeurs réservoirs de bactéries, proto-zoaires et virus pathogènes via les transports fluviaux, maritimes et routiers en Afrique de l’Ouest.

Perspectives :

• Un réseau Marie Curie « Euroleishnet » lancé en 2015, et un projet d’extension à l’homme de vaccin anti-trypanosomatidés.

• Un projet financé par la Fondation Gates sur la lutte contre les tsé-tsé (2015-2018), un projet H3Africa sur la géné-tique de la trypanosomiase (THA, Wellcome Trust), et une vraie possibilité d’élimination de la trypanosomiase à l’échelle de l’Afrique de l’Ouest d’ici à 2020.

• Plusieurs projets sur les MTN soumis à l’Union euro-péenne (EDCTP2 et H 2020), au DNDi et à la fondation B&M Gates.

• Un besoin croissant et crucial d’apports des sciences humaines et sociales à l’élimination des MTN.

Il nous semble important que la France ait connaissance de ces éléments et conscience de ses forces et de la reconnais-sance internationale de la recherche française, en particulier celle menée par l’IRD et ses partenaires sur les MTN, afin de porter plus avant sa voix dans le domaine.

Un moyen pour cela pourrait être de structurer une action française et/ou francophone sur ces thématiques (par exemple via Aviesan Sud, insistant sur l’originalité de l’approche IRD, où le partenariat Sud est omniprésent, et où la recherche peut apporter des solutions aux problèmes de terrain pour le contrôle et l’élimination de ces MTN. Cette action fédérerait les différents acteurs francophones des MTN, de la recherche à la mise en oeuvre.

44 boulevard de DunkerqueCS 90 00913 572 Marseille cedex 02

Tél. : +33(0)4 91 99 92 00Fax : +33(0)4 91 99 92 22

www.ird.fr

Dépistage de la bilharziose urinaire au Sénégal

Étude de la leishmaniose canine en laboratoire à Montpellier

IRD - Septembre 2015. © Photos IRD/Base Indigo : T. Vergoz, V.Jamonneau, F. Migot-Nabias, É. Petitdidier.