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L’Opéra de Lille L’Opéra de Lille laissez-vous conter Villes et Pays d’art et d’histoire Lille, Lomme, Hellemmes Renaissances et transformations 1700-2010 LVC Opera repro-02-02.indd 1 13/09/10 9:53:42

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  • LOpra de Lille LOpradeLillelaissez-vous conter

    Villes et Pays dart et dhistoireLille, Lomme, Hellemmes

    Renaissancesettransformations1700-2010

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  • Philippe FRUTIERALTIMAGE

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  • Le centenaire de linauguration du Grand Boulevard reliant Lille Roubaix et Tourcoing a permis de redcouvrir les volutions urbanistiques et architecturales lilloises laube du xxe sicle. La pntration de lartre au cur de la ville signe lavnement dune vision davant-garde par le remodelage dun pan entier du Vieux-Lille. Cette modernit prend la forme dun large boulevard gnreusement plant darbres inspir des penses hyginistes de la fin du xixe sicle et dun tramway lectrique permettant de desservir rapidement les trois villes. Mais cet axe denvergure qui structure la naissance de la Mtropole appelait galement un crin monumental que la Chambre de Commerce et le Nouveau Thtre (actuellement lOpra) vont incarner Lille.

    De styles trs diffrents, ces deux monuments emblmatiques situs un carrefour stratgique de la ville suscitent toujours la curiosit. Faisant une haie dhonneur au Grand Boulevard qui rejoint le cur de la ville par le boulevard Carnot, ils font galement face la Veille Bourse (1652) et au rang du Beauregard (fin du xviie sicle). Les sicles sentrechoquent, se dfient ou se rpondent sous le regard des visiteurs. La place du Thtre elle-mme semble une nigme avec son pan coup align sur le parvis de lOpra qui lui donne la forme inhabituelle dun trapze.

    Eclair dun jour nouveau par des recherches scientifiques rcentes, nous avons choisi de consacrer cette nouvelle brochure lOpra, mais aussi lhistoire des principaux lieux de spectacles qui lont prcd car depuis toujours, le public lillois entretient une relation passionnelle avec ces monuments emblmatiques, tmoins des joies et des heures sombres de la ville.

    Cette brochure, laissez-vous conter lOpra, nest pas exhaustive. Une bibliographie la fin de louvrage vous permettra de poursuivre vos recherches sur le sujet. Si la prsente brochure est modeste, son ambition est grande : donner tous lenvie de (re)dcouvrir lOpra, carrefour des arts, lieu prestigieux charg dmotions et qui porte bien au-del des frontires la renomme de la ville. La programmation artistique de lOpra saccompagne de nombreux rendez-vous qui favorisent laccs de tous ce lieu dexception, ne manquez pas ces invitations tout au long de lanne ainsi que les Journes Europennes du Patrimoine au mois de septembre.

    Ad Alta per Artes (Au sommet par les Arts)

    Devise inscrite au-dessus du groupe sculpt dominant la scne de lOpra de Lille

    Edgar Boutry, sculpteurPhotographie de couverture Anas Gadeau, Ville de Lille

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  • LeSpe

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    Bien avant le grand vaisseau de Louis-Marie Cordonnier qui donne toute sa majest lactuelle place du Thtre, bien avant mme son prdcesseur, le Grand Thtre construit par Michel Lequeux peu avant la Rvolution au mme endroit - mais dans une orientation diffrente - la vie musicale et thtrale lilloise se droulait pour lessentiel dans la salle dite de la Comdie, leve face

    au palais Rihour. Elle fut btie sur linitiative du Magistrat (le conseil municipal de lAncien Rgime) la suite de lincendie qui, dans la nuit du 17 novembre 1700, avait dtruit une salle de fortune amnage lintrieur mme du palais Rihour.

    On a conserv les noms des deux bourgeois de cette ville de Lille , deux entrepreneurs de spectacles comme on ne dit pas

    encore, qui on confie le soin de reprsenter la comdie et lopra suivant le dessein qui en sera fait : Franois-Charles Courtois et Jacques Hauburdin. Le contrat stipule que les comdiens et gens dopra ne pourront reprsenter ailleurs que sur ledit thtre, quon y renverra aussy les danseurs sur cordes, marionnettes, bestiaux, monstres et autres choses extraordinaires qui se feront

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  • UnepetiteentreprisequidonnelespectaclequatrefoislasemaineAu milieu du XVIIIe sicle, le Spectacle de Lille est une entreprise consquente qui emploie une centaine de personnes : 18 actrices et acteurs de tragdie, comdie franaise et italienne ; 11 pour lopra-bouffon, 16 danseuses et danseurs ; 1 musiciens dorchestre ; un peintre, un tapissier, un dcorateur, un perruquier, un menuisier, un charpentier, un ferblantier* , sans oublier les souffleurs, machinistes, ouvreuses, habilleuses et garons de thtre. Par comparaison, les effectifs de lAcadmie royale de musique Paris (lopra) sont, la mme poque, trois fois suprieurs. Entre les annes 1760 et la Rvolution, il y a spectacle quatre fois la semaine, les mardis, jeudis, vendredis, dimanches.

    voir lavenir condition que lesdits Courtois et Hauburdin ne pourront exiger des comdiens et gens dopra plus de neuf florins par reprsentation . Nos deux compres, qui avaient le sens des affaires, sarrangrent pour obtenir le monopole sur les ventes de biscuits, oranges, fruits, limonades, caff, chocolat et autres liqueurs que lesdits Hauburdin et Courtois payeront cette ville par forme

    darrangement perptuel pour la jouissance du terrain quils occuperont . La Comdie est inaugure en 1702. Pendant prs de quatre-vingts ans, les spectacles sy succdent : opras - genre alors nouveau, import en France depuis moins de cinquante ans - ou fragments dopras, concerts vocaux et instrumentaux, spectacles de foires, pices de thtre, tragdies et comdies. Une lgende rapporte que lors du sige de 1708, un boulet clata proximit sans interrompre le spectacle. Voltaire, notamment, y vient en personne, le 25 avril 171 pour la premire reprsentation de sa pice Mahomet (il est alors flanqu de sa nice, la redoutable Madame Denis qui habitait Lille avec son mari commissaire des guerres : devenue veuve lanne suivante, celle-ci rejoindra Paris, mnera quelque temps joyeuse vie avant de se convertir en gardienne farouche et redoute de la personne et des uvres de son illustre oncle). Si la salle nexiste plus - le quartier a t totalement reconfigur dans les annes vingt aprs la quasi-destruction du palais Rihour en 1916 - la rue de la Vieille Comdie et une plaque pose sur la faade dun restaurant de ladite rue rappellent lhistoire du lieu et le passage du grand

    homme de lettres.De lavis des chroniqueurs comme des visiteurs de passage, la Comdie ne dclencha jamais des dlires denthousiasme : on la trouvait mdiocrement belle et malgr des travaux de rnovation, elle fut toujours considre trop petite surtout pour une ville aussi nombreuse comme le signale lauteur (inconnu) dun Guide des trangers Lille paru en 1777.

    * Ferblantier (n. m.) : celui qui fabrique, vend des ustensiles en fer-blancLa Comdie, Manuscrit de Franois-Casimir Pourchez. Sur cette scne, installe face au Palais Rihour, on donne aussi bien la tragdie et la comdie que lopra.CollectionetreproBMLille

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    Nuitdu17novembre1700: le feu,lissuedeMde(Charpentier)

    On venait de reprsenter lopra de Marc-Antoine Charpentier - le grand rival de Lully Paris - le rideau tait tomb sur la salle du palais Rihour. Les causes de ce feu furent les comdiens qui jourent une pice avec feux dartifice rapporte un texte de lpoque. Jusqu la gnralisation de llectricit, le feu est le grand flau des villes et des thtres : en 1772, lincendie du thtre dAmsterdam fait 18 morts, en 1781, lOpra de Paris brle une nouvelle fois. Lille, le palais Rihour brle en 1756 puis en 1916, rduisant en cendres un fleuron de larchitecture mdivale lilloise construite pour le duc de Bourgogne Philippe le Bon. Il nen reste quune salle des gardes et la chapelle.

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    Dans la seconde moiti du XVIIIe sicle, les villes du royaume sont en pleine transformation, en province comme Paris, le climat de paix est propice un nouvel urbanisme : les villes sarent, sagrandissent, sembellissent, les thtres, salles de spectacles et dopra participent de cette douceur de vivre qui accompagne ces transformations. partir des annes 1770, Bordeaux, Rouen, Besanon, Montpellier, puis dans la rgion, Cambrai en 1773, Dunkerque en 1777, Valenciennes en 1781 soffrent de nouvelles salles de spectacle, conues non plus sur lancien modle rectangulaire qui avait

    cours jusqualors - la plupart du temps dans des anciens jeux de paume plus ou moins amnags - mais semi-circulaire ou ovale sur le principe des thtres que les voyageurs dcouvrent alors en Italie : non seulement lacoustique y gagnait mais le principe des loges permettait une sparation des publics en mme temps quune certaine intimit... lautomne 1783, une dlgation compose de quatre commissaires du Concert lillois - ces concerts privs qui se tenaient rgulirement depuis des annes - prsente lintendant Esmangart ( grand commis de ltat, patron de ladministration royale en Flandre) - un projet de construction pour une nouvelle

    salle : pour la financer, ils proposent de mettre en place une socit en tontine*. Le lieu est dj choisi : on investira la Petite Place derrire la Vieille Bourse leve en 1652 (la rue Faidherbe qui mne aujourdhui la gare nexiste pas, elle ne sera perce quen 1869). En quelques mois, les fonds sont rcolts, la tontine officiellement constitue en octobre 178 en cent actions de 1 500 livres chacune. Parmi les soixante-cinq premiers souscripteurs : les reprsentants de la grande noblesse et de la noblesse de robe, des membres de ladministration royale, une bonne partie tant par ailleurs des fidles abonns du Concert de Lille.

    Franois Watteau, La Braderie, huile sur toileCollectionetreproMusedelHospiceComtesse/P895

    Le thtre de Lille, faade principaleGravure de DurigCollectionetreproBMLille/portefeuille127,8b

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  • * Tontine (n. f.) : association dpargnants.

    Projet de percement de la rue de la Gare, J. Leterme, 1864Lithographie sur papierCollectionetreproMusedelHospiceComtesse/D12577

    Le thtre de Lille, faade postrieure donnant sur la Petite PlaceCollectionADNLilleFrance/Repro.Jean-LucThieffryFondsCarlosBocquet

    Lintendant avait promis son appui, cest lui qui trouve larchitecte, Michel Lequeux, jeune toile montante dans le milieu des hommes de lart au nord de Paris : le thtre est la troisime commande que lui passe ladministration royale (aprs le Parlement de Flandre Douai et le nouvel htel de lintendance Lille, rue Royale, lvch actuel). Lide est de construire dans le got antique avec fronton, pristyle et colonnades comme Victor Louis, un temps pressenti par les Lillois, la conu pour Bordeaux, comme Heurtier vient de raliser le thtre des Italiens (salle Favart) Paris. lt 178, le Magistrat, initialement hostile - sur la pression des

    entrepreneurs de la Comdie, furieux de pressentir une partie de leur activit schapper - accorde le terrain. Le chantier dbute en juin 1785. Le btiment est implant dans lalignement de la Bourse : 25 m de large, 7 m de long, souvrant au sud avec six colonnes en faade et une balustrade dissimulant le toit. Sur les cts, sont prvues vingt-trois boutiques au-dessus desquelles seront amnags des entresols et un caf qui seront lous au profit des actionnaires . Moins dun an plus tard, le 15 avril 1786, le chantier est troubl par la mort tragique de Michel Lequeux assassin par un ouvrier dans les jardins de lhtel de lintendance Lille. Lmotion est

    considrable le jeune architecte, g de 33 ans laissait une jeune veuve enceinte et trois enfants en bas ge - mais le chantier continue sous la direction de ses associs, Paul-Pierre Comer et Joseph-Marie Deledicque qui, au printemps 1787, peuvent remettre les clefs du nouveau thtre aux commanditaires.

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  • Lesmalhe

    ursde

    ladirectrice

    Le lundi 16 avril 1787, la nouvelle salle de spectacle, comme on commence lappeler, est officiellement inaugure dans une grande agitation et une belle pagaille, malgr les plans savants de circulation et de police mis au point depuis des semaines par les services du Magistrat. On peut raisonnablement penser qu lexcitation de la nouveaut et du programme propos - qui sera diversement apprci tant ce soir l que les soirs suivants - venait sajouter la curiosit - et peut-tre un peu de suspicion - sur la personnalit de la directrice, Marie-Marguerite Desnarelles nomme par le Magistrat la tte de cette nouvelle institution. On ne sait malheureusement pas grand chose delle, si ce nest que sa mre, Marie-Antoinette, avait t comdienne, se produisant Lille dans les annes 1780, Marie-Marguerite jouant quant elle ses premiers rles Dunkerque avant de sjourner Gand. Ce soir de premire et les soirs suivants, les reprsentations furent marques dincidents rptition : la troupe tait juge insuffisante, le rpertoire peu attractif, le public ne cessait de mener la cabale, un siffleur, au moins, se retrouva en prison... Dans les semaines

    LettredelintendantEsmangartauMagistratdeLille(19avril1786) Il est des vnements si affreux quon a peine se les persuader. Celuy qui couta la vie ce pauvre Lequeux est de ce nombre et je vous avoue quil me cause la plus sensible douleur. Ce malheureux est la victime de son zle pour moy, pour la ville, pour un ouvrage qui naturellement devoit luy tre tranger. Vous aviez de lamiti et de lestime pour luy et il mritoit ces sentiments de la part de tous les hontes gens. Je sais quil laisse une veuve et une famille nombreuse. Je ferai pour elles tout ce qui sera en mon pouvoir et je viendrois leur secours personnellement comme vous pourrez me lindiquer. Ne mnagez pas ma bourse, elle est tout ouverte pour ce que vous croirez utile, convenable et juste. Vous me ferez plaisir dengager aussi Messieurs du Magistrat jeter un coup doeil dintrt sur le sort de cette famille si malheureuse. Nous devons nous runir tous pour verser dans son sein la seule consolation qui soit en notre pouvoir. Japprouverai tout ce que lhtel de ville croira devoir faire dans une circonstance si affligeante et si particulire. Lexemple dans ce cas ne tire aucune consquence et on peut sans danger suivre les mouvements de son cur .

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    Michel Lequeux (1753 - 1786)

    colefranaiseduXVIIIesicle.LarchitectetientlamainleplandelhteldAvelinLille(actuelrectorat,rueSaint-Jacques)quilraliseen1777,lgede24ans,danslespritnoclassique,

    CollectionetreproPalaisdesBeaux-ArtsLille

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  • ne sont ni assez propres ni assez commodes . Jusqu de terribles odeurs qui, dit-on, exhalent des urinoirs : un artisan lillois se proposera dy remdier moyennant 12 florins par urinoir... sans grand rsultat.Lintendant est nouveau sollicit, les commissaires du concert proposent daugmenter le prix des places au parterre qui passeraient de 15 18 sols : Versailles donne son accord. Mais on arrive alors au printemps 1789, les vnements senchanent, dautres problmes plus urgents surgissent.

    qui suivirent, toutes sortes de rumeurs couraient sur le thtre mal fini on voquait des murs remplis dhumidit raison pour laquelle les commerces ne trouveraient pas locataires - on parlait des choix hasardeux de la directrice, de son caractre difficile... Moins de six mois plus tard, Marie-Marguerite jetait lponge faisant part au Magistrat de son intention de se dcharger de ltat trop pnible de ses fonctions . Le thtre de Gand cherchait une directrice : sa candidature fut retenue, elle devait y rester cinq ans.

    Si le budget initial de la salle de spectacle lilloise semble navoir t que de peu dpass (168 23 livres pour une enveloppe initiale de 150 000 livres), des experts vont rapidement constater de mauvaises finitions et surtout un ensemble mal combin . Un an aprs linauguration, il faut envisager de nouveaux travaux, autour de 8 000 puis 60 000 livres. La salle ne rpond point lattente du public parce quelle nest pas assez dcore, parce que le thtre na ni ltendue, ni llvation convenable, enfin parce que les loges

    Entrelautomne1785etleprintemps1787,troisnouveauxthtresdontdeuxexistentencore,sontinaugursdanslargion:Arrasennovembre1785,Douaiendcembredelammeanne,Lilleenavril1787.

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    Thtre de Douai, tatactuel

    PhotographieDamienLanglet

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  • SouslaprotectiondApo

    llon Si on possde beaucoup de gravures, quelques peintures et

    des photographies du thtre vu de lextrieur, on nen a aucune de lintrieur. Lune des trs rares descriptions est publie dans la Feuille des Flandres du 20 avril 1787 quelques jours aprs linauguration : Le nouveau thtre est un btiment isol de toutes parts ; la face mridionale est orne de six colonnes ioniques formant porche. Tout lentour sont des arcades o lon a pratiqu des petites boutiques qui sont au nombre de quarante qui commencent dj tre occupes par diffrents marchands en tout genre. On arrivait aux guichets par lescalier du pristyle. droite et gauche dans lentre, deux larges escaliers rampe de fer menaient au parterre et au parquet. De chaque

    ct, un corridor, laccs au parterre se faisait par deux portes latrales. Ici, on restait debout, ctait, disait-on, le rendez-vous des amateurs lgers dargent , des filous et des farceurs. Une cloison mi-hauteur le sparait du parquet. La grande salle tait divise en trois rangs de loges et galeries. Au plafond, une voussure charge dornements . Sur fond bleu, Apollon au milieu des muses. Il dtache Mercure pour annoncer la ville de Lille personnifie quil prend le nouveau thtre sous sa protection. La ville dun ct est accompagne des gnies du Commerce qui rpandent la corne dabondance et dun autre ct est un groupe de gnies des Arts quelle protge ; enfin, on voit un autre groupe de gnies qui tiennent des couronnes, des branches de lauriers pour les distribuer aux enfants de Thals et Melpomne qui se distinguent dans la carrire

    difficile du thtre .Au-dessus de la scne, un aigle gigantesque, ailes dployes, tenant la foudre dans ses serres. Au retour des Bourbons en 1815, il sera enlev, sans doute rappelait-il trop les aigles de lempire napolonien. La salle pouvait accueillir un peu plus de 1 00 spectateurs.Le nombre de siges sera port plus de 2 000 aprs dimportants travaux de restauration et dagrandissement, mens en 181 et 182. Ce chantier est confi lillustre architecte lillois Charles-Csar Benvignat (1805-1877). Il modifie lemplacement des loges et agrandit la salle de spectacle. La faade principale est rehausse dun fronton et largie par lajout de deux colonnes. larrire, ldifice est agrment dune rotonde, hmicycle dun rayon de 10 mtres.

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    Thtre de Michel Lequeux aprs son agrandissement par Charles-Csar Benvignat en 1842.

    CollectionetreproMusedelHospiceComtesse/I27

    Thtre de Michel Lequeux aprs son agrandissement par Charles-Csar Benvignat en 1842.

    BibliothquemunicipaledeLille/FondsLefebvre

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  • Le grand rpertoire, les scandalesJusqu lincendie de 1903, le thtre de Lequeux, que le XIXe sicle appelle rapidement le Grand Thtre, accueille lessentiel de la vie lyrique, musicale et thtrale de Lille. Avec des effectifs et des russites variables selon les poques : une centaine de personnes sous lEmpire et la Restauration pour une moyenne de 10 reprsentations par an qui peut se monter 250 en 1815-1816. Au milieu du sicle, leffectif se monte 150 personnes : cinquante musiciens dorchestre,

    deux chefs, un chur de vingt-quatre chanteurs, une quarantaine de chanteurs pour lopra-comique (premier tnor, baryton martin, tnor comique, chanteuse lgre, premire dugne, utilits), une trentaine dacteurs pour la tragdie, le drame, la comdie, le vaudeville, un machiniste en chef, un souffleur, une costumire, un coiffeur, un chef des comparses (?). Ne manque que le fantme. Dans la seconde moiti du sicle, la scne est occupe en alternance par les troupes lyriques, sdentaires ou invites, et les reprsentations thtrales, drames et vaudevilles

    particulirement la mode. Les grands noms qui triomphent Paris viennent Lille tester leur capacit blouir les foules : lapplaudimtre, Sarah Bernardt bat tous les records avec La Dame aux camlias (en 1881, 1882, 1892), Tosca de Victorien Sardou (1888) et surtout LAiglon dEdmond Rostand (dix reprsentations en septembre 1900 pour lesquelles on sarrache les places).Un arrt municipal de 1867 - saison qualifie dexceptionnelle - institue une commission des dbuts , curieuse instance, charge, autour du directeur, de veiller au recrutement des artistes. la veille de linauguration du nouveau thtre en 1923, cette commission comptera parmi ses membres outre le directeur, un adjoint au maire, un conseiller municipal, deux professeurs du conservatoire, un journaliste, un abonn au thtre qui sera dsign par les abonns ...Pour la saison 1902-1903, le directeur Bourdette, qui vient dobtenir son troisime renouvellement, propose dix crations : trois oprettes, trois opras-comiques, trois opras parmi lesquels La Fiance de la mer (dun nomm Jean Blockx, illustre inconnu aujourdhui). Date de la premire reprsentation : le 2 avril 1903.

    Cannesbrises,chapeauxdfoncs

    En fvrier 1883, Lcho du Nord rapporte un tumulte pouvantable qui a marqu la reprsentation dun sombre drame de 1791 intitul Les Victimes clotres ou les Mystres des couvents dvoils : pendant les trois actes, ce

    ne sont que sifflets, injures, interpellations, cris, vocifrations et applaudissements. Non contents de saffronter dans la salle, partisans et adversaires vont en venir aux mains dans le foyer, les couloirs, les escaliers, cannes brises, chapeaux dfoncs. La police devra intervenir pour expulser une quinzaine de perturbateurs . Les trois actes ont t jous sans que personne nen ait entendu un tratre mot soulignera un journaliste. Rapportant, deux jours plus tard, que le prfet interdit la pice, Lcho du Nord estime que ltat du pays est dj trop troubl et les affaires ne vont pas assez bien pour quil soit prudent de laisser un entrepreneur de thtre spculer sur les antagonismes de partis et faire sa bourse aux dpens de la tranquillit publique .

    11Thtre de Michel Lequeux aprs son agrandissement par Charles-Csar Benvignat en 1842.

    BibliothquemunicipaledeLille/FondsLefebvre

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  • Lincend

    iede1903

    Dans la nuit du 5 au 6 avril 1903, peu de temps aprs la fin de la reprsentation qui avait fait salle comble, le feu se dclare lorchestre. Cest un court-circuit de llectricit incendiaire comme le souligneront les journalistes. Malgr lalerte rapidement donne et les moyens engags - une compagnie du 3e rgiment appele en renfort - les dgts sont considrables, mais il ny aura aucune victime. Lmotion est grande : les jours suivants, les journaux donnent la parole aux Lillois qui montrent leur attachement leur thtre, aux saisons musicales et lyriques.

    Une ncessaire reconstruction

    Au lendemain de lincendie du thtre de Michel Lequeux (1753-1786), la ncessit de sa reconstruction rallie les opinions. Un fait certain, cest quune ville comme Lille ne peut se passer dun Grand thtre crit Le Progrs du Nord du 8 avril. Les lances dincendie envoyaient encore des torrents deau sur les ruines fumantes que le conseil dadministration du conseil municipal se runissait note le mme jour Lcho du Nord. Paralllement lenqute diligente auprs des architectes-experts afin de dterminer les causes de lincendie, commence la rflexion sur la rdification du Grand

    Thtre. La restauration de lancien monument est rapidement carte. On convient quil faudra raser ce quil reste des ruines, mais que sil parat vident quon reconstruira un nouvel difice, on ne peut rester, mme provisoirement sans thtre. Pour autant, la construction dune nouvelle salle de spectacle nest pas une tche aise. Les questions de son emplacement, puis de son aspect et du cot des travaux divisent lopinion.

    O reconstruire ?

    Le choix de lemplacement du nouveau thtre est crucial. Celui-ci doit donner la ncessaire visibilit au monument et en faciliter laccs. En outre, le site retenu dterminera le cot et le

    Lincendie du Thtre vu de la rue de la Gare (actuelle rue Faidherbe)CollectionADNLilleFrance/Repro.Jean-LucThieffryFondsCarlosBocquet

    Lincendie du Thtre vu du caf JeanCollectionetreproBMLille/FondsLefebvre,2-2,40,4

    Lincendie du Thtre : la rotonde vue de la Petite Place. Cartepostale.ClichE.Cayez,photographeLilleCollectionetreproBMLille/FondsLefebvre,2-2,43,6

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  • dlai des travaux en fonction de la nature des sols et de la prsence ou non de fondations ncessitant des travaux de dmolition en amont. Plusieurs propositions sont tudies et, tour tour, cartes : square Jussieu ; place Sbastopol ; place Richeb ; rue de lHpital-Militaire, aprs le prolongement de la rue Puebla ou Jean-Sans-Peur ; les terrains rsultants de la dmolition des remparts, prs de la rue de Roubaix ou la lisire de la commune de La Madeleine Quant lemplacement du thtre disparu, celui-ci prsente les meilleurs atouts au regard de laccessibilit et de la visibilit. Nanmoins, il possde linconvnient de son exigut qui nautorise pas de larges dgagements pour isoler ldifice.

    Les ruines du Grand Thtre vues de la rue des ManneliersCollectionetreproBMLille/FondsLefebvre,2-2,43,5

    Lincendie du Thtre vu de la rue de la Gare (actuelle rue Faidherbe)CollectionADNLilleFrance/Repro.Jean-LucThieffryFondsCarlosBocquet

    Les ruines du Grand ThtreAvril 1903, Cayez, photographe LilleCollectionetreproMusedelHospiceComtesse/HCI678

    La place du Thtre aprs le dblaiement des ruines. Vue prise du caf JeanCollectionetreproBMLille/FondsLefebvre,2-2,40,6

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  • Leth

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    Une solution provisoireAux problmes de lemplacement sajoutent ceux des finances. lapproche des lections municipales de 190, les quipes du maire socialiste Gustave Delory optent pour la prudence. En attendant le moment opportun pour construire un grand thtre, nest-il pas envisageable dutiliser les primes dassurance couvrant le sinistre pour financer lrection dun thtre provisoire sur la place Sbastopol ? La consultation lance auprs des architectes lillois laisse la plupart dentre eux perplexes. Comment, en effet, esprer riger en quatre mois et avec un budget de 300 000 francs une salle de spectacles solide, scurise, fonctionnelle et esthtique de 2 000 places ? Cette somme est

    bien infrieure aux ambitions municipales !Le 20 mai 1903, date de clture de lenqute, la plupart des architectes se sont prononcs en faveur de labandon du projet. Parmi les rponses ngatives, figurent malgr tout cinq propositions. Le projet de larchitecte lillois Lonce Hainez (1866-1916) et de lentrepreneur armentirois Csar Debosque est retenu.

    Le provisoire devenu durable : le Thtre SbastopolEn dpit du pessimisme ambiant, larchitecte Lonce Hainez parvient la ralisation de cette salle de spectacles qui, en plus daccueillir des reprsentations thtrales, devait remplir le rle de cirque.

    Construction du Thtre provisoire, place SbastopolCollectionetreproBMLille/FondsLefebvre,2-2,47,1

    Le Thtre Sbastopol, faade latraleCollectionetreproBMLille/FondsLefebvre,11,90

    Le Thtre Sbastopol, faade principaleCollectionetreproBMLille/FondsLefebvre,11,94

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  • Commenc le 21 juillet 1903, cet difice en ciment arm est inaugur cent deux jours plus tard. Les concepteurs ont respect leurs engagements : le thtre a cot 39 826 francs et sa construction na pas dpass le dlai imparti.Le 30 novembre 1903, llite de la socit lilloise (Le Progrs du Nord) se rend en foule pour linauguration du thtre provisoire Sbastopol o lon donne Rossini (louverture de Guillaume Tell), Massenet, Meyerbeer, Saint-Sans, Edmond Rostand (des scnes de Cyrano). Si les journalistes notent que ldifice na pas la prtention dtre un monument aux sempiternelles colonnes et balcons chargs dor et de sculptures () la salle est gaie, bien claire,

    Vue intrieure, foyerCollectionetreproBMLille/FondsLefebvre,11,95

    Le Thtre Sbastopol, faade latrale droiteCollectionetreproBMLille/FondsLefebvre,11,93

    Le Thtre Sbastopol vu depuis la rue InkermannPhotographieServiceVilledArtetdHistoiredelavilledeLille

    on y est bien assis et de toutes les places on voit admirablement la scne qui souvre sur une grande baie de 12,50 m de large . Quant lacoustique, elle est juge gale pour ne pas dire suprieure lancien thtre . Toutes qualits loues aujourdhui encore par les musiciens et les chefs qui sy produisent. Les capacits de lentrepreneur combines limagination de larchitecte ont permis cette construction de voir le jour. Le ciment arm retenu pour la structure garnie de briques entre galement dans la composition du mortier qui habille certaines lvations intrieures et leur confre un aspect digne dun parement en pierre.

    Le style clectique du Thtre Sbastopol revisite certains lments de lAntiquit et de la Renaissance quil associe la paroi en briques, laisse visible. Le dcor est sobre mais efficace. Les deux atlantes qui portent sur leurs paules le couronnement de ldifice en constituent le principal accent.En dfinitive, solide, esthtique et pare pour lutter contre le feu, cette salle temporaire devient un thtre part entire. En dpit des projets de reconversion, voire dabandon, sa fonctionnalit a triomph sur sa nature provisoire et perdure encore...

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  • LeN

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    Les Grands Travaux ddilit et la question du Grand Thtre

    Le percement du boulevard Carnot et lrection de la Chambre de Commerce entrent dans les Grands Travaux ddilit entrepris par Charles Delesalle en 1906. Le 27 novembre de la mme anne, le maire soumet au vote du conseil municipal lrection du Grand Thtre lentre du Boulevard des Trois Villes . Ldifice prendrait place sur les parcelles en face de la Nouvelle Bourse dont la salle de spectacles serait le digne pendant . Trois ans et demi aprs lincendie du thtre de Michel Lequeux, les Lillois accueillent avec enthousiasme la construction, tant attendue, du Nouveau Thtre .

    Entre de la rue du Bois Saint-tienne et maisons de la rue des Suaires avant leur destruction pour la construction du Nouveau ThtreCollectionetreproBMLilleFondsmileDubuisson

    Le rang de maisons dmolies pour la construction du Nouveau Thtre ( droite) et de la Chambre de Commerce ( gauche). CollectionetreproBMLille/FondsmileDubuisson

    La place du Thtre en 1910CollectionetreproBMLille/FondsmileDubuisson

    Plan parcellaire du quartier du Thtre avec la pntration projete du Grand Boulevard. Bulletin de la Commission historique du dpartement du Nord, t. 27, 1908, p. 291ReproDianaPalazova-Lebleu

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  • Discours de Charles Delesalle, maire de Lille, le 27 novembre 1906

    Lutilit du projet que nous vous prsentons ne nous parat pas contestable. En mme temps que nous prparons au nouveau boulevard une entre digne de lui, nous ralisons, du mme coup, une uvre dassainissement depuis longtemps rclame, en faisant disparatre un quartier qui, tout proche du Lyce, de la Grand Place et de la Gare, contraste pniblement avec les rues avoisinantes. Enfin, nous contribuons singulirement lembellissement de notre Ville en la dotant, son centre, dune belle rue nouvelle, aussi large que la rue Faidherbe en bordure de laquelle slveront le monument grandiose de la Bourse du Commerce, du nouveau Thtre et les immeubles de rapport

    rigs sur les terrains expropris.[] Il ne suffit pas de faire de notre Ville un grand centre industriel, il faut aussi, dans lintrt de nos commerants, en faire un grand centre dattraction. Il ne suffit pas dattirer Lille des trangers pour leurs affaires, il faut les y amener aussi pour leurs distractions et leurs plaisirs, et chercher les retenir dans nos murs.Il faut enfin donner nos concitoyens les jouissances artistiques auxquelles ont droit les habitants dune grande ville comme la ntre.Aussi, avons-nous tudi, pour rpondre au vu unanime de la population, la possibilit ddifier un nouveau thtre digne de notre Cit. La salle de spectacle de la place Sbastopol, qui ne peut revendiquer quun seul mrite, celui de la rapidit avec laquelle elle fut rige, ne put

    jamais tre envisage dans lesprit mme de ses auteurs, que comme un Thtre dattente, et il fut bien spcifi, lorsque sa construction fut dcide, la suite de lincendie de 1903, quelle ne constituerait quun provisoire dont la ville sefforcerait de sortir au plus tt. []Le Nouveau Thtre, pour retrouver sa prosprit dautrefois, doit tre situ non loin de la Gare, au confluent de toutes les lignes de tramways. Sa place la plus indique nous a paru tre dans llot form par la rue des Suaires, la rue du Bois Saint-Etienne, et la rue des Sept-Sauts. Quant au monument lui-mme, notre dessein serait dlever une construction monumentale, faisant, lentre du boulevard, un digne pendant la Bourse du Commerce.

    Maisons langle de la place du Thtre et de la rue des Sept-Sauts avant leur dmolition pour lrection du Nouveau Thtre. Vue prise depuis la rue des Manneliers.CollectionetreproBMLille/FondsmileDubuisson

    La place du Thtre en 1910CollectionetreproBMLille/FondsmileDubuisson

    Les travaux de dmolition prparant la pntration du Grand Boulevard et lrection des futurs Opra ( droite) et Chambre de Commerce ( gauche).CollectionetreproBMLille/FondsmileDubuisson

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    Lecon

    cours

    Le projet de la Nouvelle Bourse

    Les mutations engendres par larrive du Grand Boulevard ouvrent galement de nouvelles perspectives pour la Petite Place . Dsireuses de faire de Lille un grand centre daffaires, la municipalit et la direction de la Chambre de Commerce souhaitent lrection dun nouveau palais du commerce. Les locaux de linstitution consulaire ne suffisent plus pour les nombreux ngociants et courtiers de la rgion que runissent les transactions boursires et les activits commerciales. Les recherches dun local spacieux proximit de la Grand Place et de la Gare semblent compromises. De plus, le rythme soutenu de lindustrialisation et de la croissance dmographique lilloises ne laissent point de terrains propices accueillir une construction dune telle envergure. De son ct, la municipalit lilloise dsire offrir au Grand Boulevard une entre digne de

    son importance et de la puissance de la capitale des Flandres . Lrection du sige de la Chambre de Commerce langle gauche du futur boulevard Carnot contente les deux parties. Elles associent leurs efforts financiers et, au dbut de lanne 1906, le prsident de la Chambre de Commerce Edmond Faucheur charge larchitecte Louis-Marie Cordonnier de la construction du nouveau sige de linstitution, quelques mtres de la Vieille Bourse de Julien Destrez. Ce monument et les maisons du rang du Beauregard qui font face la nouvelle construction ont inspir Louis-Marie Cordonnier pour le style de ce btiment qui ravive les traditions locales.

    Programme

    Pour choisir larchitecte qui concrtisera le projet du thtre, la Ville de Lille dcide dorganiser un concours. Son programme est publi le 25 mai 1907. Il restreint la

    participation aux architectes rsidant Lille depuis au moins deux ans. La comptition, qui commencera le 1er juin 1907, se droulera en deux tours. Pour garantir limpartialit du jury, les envois ne doivent porter quune devise. Les noms des candidats prims ne seront identifis quaprs ouverture des enveloppes contenant leurs informations personnelles, accompagnes de la devise appose au projet.Le cot de ldifice ne dpassera pas 2 000 000 francs, hors frais de dcoration des plafonds de la salle et du foyer. La salle et la scne doivent convenir pour les reprsentations dopra, oprette, drame, comdie et ferie. Lorchestre sera conu pour un minimum de 60 musiciens. La salle doit contenir 1 600 places. Il faut galement prvoir des magasins pour les dcors, meubles et costumes, des loges pour les artistes, des bureaux

    1. 2. 3.

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    pour ladministration, un foyer pour le public, sans oublier les espaces techniques, sanitaires et des vestiaires.Le concurrent qui remportera le concours sera charg de lexcution. Sa slection est confie un jury compos de notabilits locales et darchitectes, dont la plupart extrieurs, afin dquilibrer la participation lilloise. Les projets reus seront prsents au Palais Rameau cinq jours avant les dlibrations du jury et y resteront exposs pendant deux semaines.

    Rsultats

    Au terme de la comptition qui a runi 17 projets, le 11 novembre 1907 le jury annonce une tonnante victoire. Le matre du rgionalisme flamand Louis-Marie Cordonnier remporte le concours avec un projet noclassique devant ses confrres Carl Imandt, Delemer, Gustave Dehaudt et Lonce Hainez, larchitecte du thtre Sbastopol.

    Le malicieux architecte Cordonnier

    Lorsquil se prsente au concours du Nouveau Thtre, Louis-Marie Cordonnier est dj un architecte confirm. Pour autant, son succs est plus quincertain. Relate par tous ses biographes, lintrigue est digne dune pice de thtre. En raison des nombreuses russites de ce crateur, ladmiration qui lui est porte est proportionnelle aux jalousies quil pouvait soulever. En 1907, ses dtracteurs voient dun mauvais il la possibilit que le Thtre et la Bourse, les deux fleurons de la construction lilloise du premier quart du XXe sicle, puissent incomber un seul et mme architecte. Louis-Marie Cordonnier sait que sa participation nest pas la bienvenue pour certains qui, au sein mme du jury, dsirent son limination. Sa perspicacit le conduit prsenter deux projets dont un, rgionaliste, trahit rapidement sa participation en dpit de

    4.

    5.L.-M. Cordonnier, tudes soumises au concours de 19071. Faade principale2. Faade sur le futur boulevard Carnot3. Faade postrieure4. Plans au niveau de la scne et des plafonds de la salle et du foyer5. Vue en perspective sur le Nouveau Thtre et la Nouvelle BoursePlaquesdeverreCollectionADNLilleFrance/Repro.Jean-LucThieffry

    lanonymat obligatoire. Cest le second, de style noclassique, qui remporte la comptition. Cette stratgie a permis larchitecte de dmontrer la grande tendue de son talent et de subtiliser la premire place en djouant les manuvres diriges contre lui.Aujourdhui, certains avis condamnent le paysage induit par cette victoire du style noclassique, pourtant presque exclusivement adopt par tous les concurrents au concours de 1907. Si le rgionalisme septentrional de la Chambre de Commerce diffre du noclassicisme retenu pour le thtre, les deux monuments ont tabli un dialogue stylistique qui ntait pas incongru dans le contexte clectique de lpoque. Dailleurs, ds cette priode, les Lillois les ont adopts parmi les emblmes de leur cit.

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  • Louis-MarieC

    ordo

    nnier

    Un architecte prometteur

    Louis-Marie Cordonnier (185-190) est lun des fils de Jean-Baptiste Cordonnier (1820-1902), cofondateur de la dynamique Socit des Architectes du Nord de la France en 1868. Aprs des tudes lcole des Beaux-Arts de Paris quil quitte en 1880, le jeune architecte originaire dHaubourdin sinstalle Lille. Cest aux cts de son pre quil ralise sa premire uvre, lhtel de ville de Loos (1881-188). Considrant que larchitecture doit rpondre aux exigences du confort moderne tout en tenant compte du climat, du paysage, des matriaux et de lhistoire de la rgion qui la reoit, il pose les jalons dune production rgionaliste majoritairement

    monumentale. Les communes de Loos, La Madeleine et Dunkerque lui doivent leurs palais municipaux. Ces derniers savreront dterminants pour la carrire de larchitecte et inspireront des gnrations de ses confrres du Nord.

    La conscration internationale

    peine trois ans aprs ses dbuts, Louis-Marie Cordonnier prend part au concours international de la Bourse dAmsterdam (188-1885) quil remporte devant 172 concurrents. Bien que ralis selon les plans du Nerlandais H. P. Berlage, ce projet lui vaudra la conscration tant en France du Nord que sur le plan national et international.

    Il apportera son auteur plusieurs rcompenses, dont la prestigieuse mdaille dhonneur au Salon des Artistes franais en 1892.En 1906, aprs stre vu confier lrection de la Chambre de Commerce de Lille, cest de nouveau aux Pays-Bas que le concepteur lillois fait triompher son style au concours international du Palais de la Paix La Haye. Le succs de Louis-Marie Cordonnier est retentissant : cet illustre inconnu en dehors des anciens Pays-Bas simpose devant 215 concurrents de 16 nationalits diffrentes. La rgion exulte de la victoire de cet enfant du pays qui fait lhonneur de la France et des traditions septentrionales.

    Loos - Htel de villeCollectionetreproBMLille/portefeuille121,57

    Amsterdam - Bourse de Commerce(projet non ralis)CollectionADNLilleFrance/Repro.DianaPalazova-Lebleu

    Caudry Basilique Sainte-Maxellende tat actuelPhotographieDianaPalazova-Lebleu

    Dunkerque - Htel de villetat actuelPhotographieDianaPalazova-Lebleu

    Hardelot - Villatat actuelPhotographieDianaPalazova-Lebleu

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  • Quelques ralisations

    Outre les htels de ville cits, Louis-Marie Cordonnier est lauteur de nombreuses ralisations dans les dpartements du Nord et du Pas-de-Calais. Les glises dAllouagne, Walincourt, Carnires, Caudry, le clocher de lglise Saint-Andr et le sanctuaire Notre-Dame de Pellevoisin Lille, la station balnaire dHardelot, quil conoit intgralement, ainsi que de nombreux htels particuliers figurent parmi ses uvres davant la Premire Guerre mondiale. Aprs le conflit, le crateur lillois travaille aux cts de son fils et associ, Louis-Stanislas Cordonnier (188-1960). Ensemble, ils reconstruisent les cits dArmentires, Bailleul, Comines, Merville, Laventie, les Grands Bureaux des Mines de Lens, participent au redressement de Bthune (glise Saint-Vaast), et ralisent la basilique Sainte-Thrse de Lisieux.

    Le talent de Louis-Marie Cordonnier lui a valu llection lInstitut de France (1911), la tte de la Socit centrale des Architectes (1918-1922), de la Socit des Sciences, de lAgriculture et des Arts de Lille (192), sans oublier lAcadmie des Beaux-Arts quil prside en 1929. Dnonc par certains pour sa folie des grandeurs, Louis-Marie Cordonnier ne reste pas moins un artiste passionn, un travailleur acharn et pragmatique qui a traduit, autant quil a faonn, lidentit architecturale de la rgion.

    Hardelot - Villatat actuelPhotographieDianaPalazova-Lebleu

    La Haye (Pays-Bas) - Palais de la Paix, tat actuelPhotographieDianaPalazova-Lebleu

    Bailleul - Htel de ville, tat actuelPhotographieDianaPalazova-Lebleu

    Ablain-Saint-Nazaire Mmorial Notre-Dame de Lorettetat actuelPhotographieDianaPalazova-Lebleu

    Louis-Marie Cordonnier(1854-1940)

    Louis-Marie Cordonnier dans son cabinet. En arrire-plan, dessin en perspective du projet du Nouveau ThtrePlaquedeverreCollectionADNLilleFrance/Repro.Jean-LucThieffry

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  • Lechantier

    Un chantier difficile

    Lorsque les dmolisseurs semparent de la parcelle du futur Thtre, ils dgagent un terrain qui augure un chantier difficile. Le sol est irrgulier car creus par les nombreuses caves des maisons dtruites. Les travaux de terrassement sannoncent donc longs et laborieux. De plus, les sols lillois, humides et mouvants, sont un srieux obstacle pour la stabilit ddifices aussi volumineux et lourds que la Nouvelle Bourse et le Nouveau Thtre. Pour viter les tassements et les glissements, ces constructions doivent trouver un terrain parfaitement stable et des fondations suffisamment solides pour supporter leurs poids.

    Les prouesses du bton arm

    LOpra de Lille est surtout connu pour les subterfuges stylistiques de son auteur. Pourtant, son principal intrt rside dans les choix techniques de larchitecte. Une vritable fort de 1 050 pieux en bton plants sur prs de 5 m de profondeur fixent le vaisseau du futur thtre au sol et garantissent la stabilit de son assise. Le bton arm selon le procd Hennebique forme galement le corps de ldifice. Soigneusement masqu derrire des pierres de Soignies et de Savonnires, il se fait oublier. Pourtant, cest grce au bton que Louis-Marie Cordonnier et lentrepreneur lillois Lys-Tancr parviennent implanter tous les espaces ncessaires un grand thtre, sans dpasser le budget : un vaste vestibule dentre

    do dmarre le prestigieux escalier dhonneur conduisant au foyer et de l, la salle de spectacle de 1 568 places dont 1 138 sont conserves aujourdhui. Le bton arm apporte la scurit contre lincendie, la rapidit et lconomie de lexcution, sans sacrifier la hardiesse des volumes.Ce matriau permet aussi de raliser de grandes portes en limitant les supports intermdiaires, fait particulirement avantageux pour un thtre o la vue du spectateur doit tre optimale. La salle et les galeries semblent suspendues, accroches quatre piliers disposs stratgiquement afin dassurer un maximum de stabilit, sans gner le regard. La prouesse du bton se lit dans les dimensions audacieuses des espaces intrieurs : la scne, 18,0 m de long, avec une largeur de 28 m, est suprieure la largeur du boulevard Carnot, de 25 mtres. Derrire elle sont amnags les loges, les foyers des interprtes et les bureaux de ladministration, tandis quen dessous, lespace libr grce aux portes prodigieuses du bton arm, sert lamnagement dune rotonde aux fonctions de buffet-fumoir qui accueillait le public durant les entractes. Le chantier en lui-mme est moderne. Confins derrire les palissades dlimitant la parcelle, les ouvriers optimisent lespace et leurs efforts grce lutilisation dune grue sur rails, monts au pourtour

    Lille - Chantier de la Chambre de CommerceCollectionADNLilleFrance/Repro.Jean-LucThieffry

    Lille - Chantiers de la Nouvelle Bourse et du Nouveau ThtreCollectionADNLilleFrance/Repro.Jean-LucThieffry

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  • de ldifice. Sa haute flche permet de hisser rapidement les pierres jusqu la corniche, tandis qu lintrieur de ldifice, lapprovisionnement en matriaux seffectue par un monte-charge.

    Contrer les dangers du feu

    Le Grand Thtre sillustre ainsi par son audacieuse structure en bton. Les grands dgagements ncessaires ltablissement de lescalier et de son vestibule, la ralisation du foyer, celle de la salle vont de pair avec la monumentalit et le prestige que doit revtir ldifice. Paralllement, ces dgagements participent efficacement aux prcautions anti-incendie imposes toutes les salles modernes. Dbouchant sur les nombreuses portes conduisant vers lextrieur, ils assurent lvacuation rapide et sans panique des spectateurs. Les dgagements sont doubls dun arsenal de procds permettant de se prmunir contre le feu et de lutter efficacement une fois celui-ci dclar. La scne et les loges sont quipes de 1 20 extincteurs automatiques, relis un bac de pression air comprim mlang de leau, qui est juch sous les combles. En cas de dpart de feu, 19 avertisseurs lectriques dissmins dans la salle alertent le concierge de lendroit exact du danger. Il peut alors dclencher une pompe dbitant 3 000 litres deau la minute qui propulse le liquide sous haute pression dans les extincteurs.

    M. Cordonnier nous a camp son ensemble dune faon trs crne et fort adroite, la chose ntait certes pas commode si lon se rend compte de lexigut des espaces environnants, du peu de recul de la faade principale et du point particulier que produit larrive en ville par le Nouveau Boulevard, la grande artre nouvellement cre, en nous prsentant le monument par sa faade postrieure.De toutes ces difficults, le souple talent de notre confrre en a facilement triomph, et il faut rendre hommage la sret de ses dcisions qui ont su deviner et prvoir tous ces cueils. []Nous pouvons tre, ds aujourdhui, persuads que nos concitoyens seront gr larchitecte de leur avoir difi et davoir lgu la postrit ce bel et intressant difice digne dune grande cit comme la ntre. Quil nous reste lespoir de pouvoir, un jour, y entendre et voir du bon et beau thtre, ce qui serait bien le moins que lon puisse rver dans un cadre aussi parfait et aussi confortable. Alphonse Dubuisson, LArchitecture et la Construction dans le Nord, dcembre 1912.

    Lille - Chantier du Nouveau Thtre : la structure en bton armCollectionADNLilleFrance/Repro.Jean-LucThieffry

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  • Architectureetpaysage

    Le Nouveau Thtre et son environnement urbain

    Larchitecture du Nouveau Thtre doit tenir compte des configurations urbaines dictes par la pntration du Grand Boulevard au cur de la ville de Lille. La disposition de ce vaste vaisseau (75 m de long sur 0 m de large) en oblique par rapport la place du Thtre rend la construction visible depuis la rue Faidherbe et la rue des Manneliers conduisant la GrandPlace. Paralllement, elle assure une parfaite perception de lensemble depuis la nouvelle place du Thtre o le visiteur dispose du recul ncessaire pour contempler son lvation principale. Pour autant, larchitecte doit galement composer avec le regard des passagers du tramway lectrique de monsieur Mongy . Pntrant Lille par le boulevard Carnot, ceux-ci dcouvrent le monument par sa faade postrieure, puis par son lvation latrale occidentale.

    Faade postrieure et lvations latrales

    Larchitecture du thtre traduit ces particularits dans une graduation des formes et du dcor. La faible largeur de la rue des Bons-Enfants et la vision partielle de larrire du btiment depuis le boulevard Carnot expliquent la sobrit des lvations. Rythmes par la rptition de traves* identiques aux ornements minimalistes, elles conviennent aux dplacements urbains sur le nouvel axe vou aux voitures et au tramway. lapproche de la place du Thtre, une large baie en plein cintre ouverte sur le foyer annonce le changement dambiance. Dans le fronton* qui la couronne, le dcor sculpt par Gustave Elsinger traduit la fonction de ldifice. Les bambins jouant avec des instruments de musique introduisent le visiteur sur la place du Thtre, apothose des arts lyriques.

    Faade principale

    Au-dessus dun premier niveau trs sobre, perc des portes dentre de ldifice, les larges fentres qui clairent le foyer jouent des ferronneries richement ouvrages, comme pour suggrer la richesse et la splendeur des toffes lintrieur. De chaque ct, les hauts-reliefs des sculpteurs lillois Hector Lemaire et Alphonse-Amde Cordonnier rsument la fonction de ldifice en reprsentant les allgories de la Tragdie ( droite) et de la Musique ( gauche). Elles sont places sous la protection dApollon, dieu des arts et de la lumire et de ses neuf muses qui flottent dans les nues du vent Zphyr, sous les traits juvniles dun personnage ail, dispersant des ptales de roses.

    La rue Faidherbe vue depuis le chantier du Nouveau ThtreDerrire la cabane de chantier et la palissade, la Grande Pharmacie ( gauche) et le Caf Jean ( droite).Collectionetrepro.DianaPalazova-Lebleu

    Le Nouveau Thtre et la Nouvelle BourseCollectionADNLilleFrance/Repro.Jean-LucThieffry

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  • Un monument noclassique

    Pour la ralisation du Thtre de Lille, Louis-Marie Cordonnier a puis dans les modles lgus par lun des matres des Lumires, larchitecte Victor Louis (1731-1800). Le Grand Thtre de Bordeaux, ainsi que le Thtre-Franais (actuellement la Comdie-Franaise) Paris lui fournissent des solutions pour la distribution intrieure quil adapte aux exigences du concours lillois, aux techniques du bton arm et aux nouvelles rgles de scurit. Les salles riges par Victor Louis avaient galement nourri linspiration de Charles Garnier (1825-1898) pour la conception de lOpra de Paris (1860-1875), une autre rfrence pour Louis-Marie Cordonnier. Le concepteur lillois en a retenu la forme lgrement aplatie de la toiture, prsente dans le projet

    du concours avant dtre totalement remanie dans la ralisation finale. Cette dernire doit beaucoup un autre palais clectique, lOpra-Comique, reconstruit aprs un incendie par Stanislas-Louis Bernier (185-1919) entre 1893 et 1898. Du monument de Michel Lequeux (1753-1786) le Nouveau Thtre de Lille na conserv que quelques traits de son aspect gnral, notamment la division en deux niveaux et le recours aux colonnes dordre ionique que Louis-Marie Cordonnier choisit de placer en encadrement des baies du bel-tage.

    M. Hippolyte Lefebvre, lminent statuaire, vient de remettre M. Cordonnier, architecte, la maquette dfinitive du fronton.Ce document tait indispensable pour terminer la pose des pierres de la faade.Il est ncessaire, pour hisser ces pierres, dlever un grand chafaudage, la grue qui a servi la construction du thtre nayant pas la hauteur suffisante pour mener bien le travail. Le fronton aura, en effet, une lvation de six mtres au-dessus des vases qui surmontent la faade. []La maquette du projet de M. Hippolyte Lefebvre est un hymne Apollon, dune conception puissante et dune belle inspiration.M. Hippolyte Lefebvre, pour raliser sa pense, demandera son ciseau de faire parler la pierre, en lui donnant de lexpression. Il veut, a-t-il dit, laisser la ville de Lille sa plus belle uvre. Lcho du Nord, 1 octobre 1911.

    Le Nouveau Thtre, faade principale et latraleCollectionADNLilleFrance/Repro.DianaPalazova-Lebleu

    Le Nouveau Thtre, faade latraleCollectionADNLilleFrance/Repro.Repro.Jean-LucThieffryFondsCarlosBocquet

    Le Nouveau Thtre, La Glorification des ArtsMaquette en pltre lchelle 1 : 1,Hippolyte Lefebvre, sculpteurCollectionADNLilleFrance/Repro.Repro.Jean-LucThieffry

    * Trave (n. f.) : Superposition douvertures, relles ou feintes.* Fronton (n. m.) : Couronnement de forme gnralement triangulaire

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  • Amn

    agem

    entintrieu

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    Un parcours balis

    lintrieur, le spectateur est enrl dans un parcours soigneusement tudi. Dans laxe de lentre, le grand escalier conduit un premier palier qui rpartit les visiteurs selon leurs places dans la grande salle. Les fauteuils dorchestre* sont accessibles aprs la monte de quatre marches qui prolongent le premier escalier. partir du palier, celui-ci est scind en deux voles* droites, perpendiculaires laxe central, qui dirigent vers le niveau des premires galeries. Cet tage dessert tant les places qui lui sont attaches que celles des trois galeries suprieures au moyen descaliers latraux. chaque niveau, le large pourtour cintr de la salle, qui permet au spectateur de trouver

    rapidement sa place, contient galement des vestiaires dont les nombreuses fentres font dcouvrir le paysage anim du boulevard Carnot et de lactuelle rue Lon Trulin.Les escaliers multiples facilitent laccs la salle, tout en assurant son vacuation rapide en cas de danger. La fonctionnalit de ces articulations va de pair avec un traitement dcoratif dont la richesse graduelle dsigne les espaces cls de la dambulation avant et aprs le spectacle, ainsi que pendant les entractes.

    Opra de Lille - Le foyer et lescalier dhonneur lors dun des nombreux Happy Days PhotographieAnasGadeau,VilledeLille

    Opra de Lille - Le foyer et lescalier dhonneur, tat actuelPhotographieDanielRapaich,VilledeLille

    Opra de Lille - une distribution la franaise, tat actuelPhotographieDanielRapaich,VilledeLille

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    *Orchestre (n. m.) : Ensemble des places assises tablies directement sur le parquet (le sol de la salle).

    *Vole (n. f.) : Portion descalier forme de marches comprise entre deux repos ou paliers.

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  • Une distribution la franaiseLa distribution des fauteuils dans la salle de spectacle est un lment essentiel de la composition architecturale. Outre de faciliter laccs et lvacuation des spectateurs, elle doit permettre chacun de voir et dentendre la reprsentation, sur la scne et dans la salle Pour lrection du thtre de Lille, Louis-Marie Cordonnier devait faire un choix entre la traditionnelle disposition en fer--cheval et la distribution novatrice en amphithtre. Consacre dans le clbre thtre de Bayreuth par Richard Wagner en 1871, cette dernire offre une vision plus galitaire grce des

    ranges de gradins droits, dont la dclivit augmente au fur et mesure que lon sloigne de la scne. En 1907, ce modle incarne une modernit en marche, qui dtrnera progressivement la salle de forme cintre.Pourtant, larchitecte lillois opte pour la forme classique en fer--cheval et organise la distribution des places la franaise . En effet, la diffrence des mythiques thtres italiens (la Scala de Milan, la Fenice de Venise) o toutes les places, hormis celles du parterre, sont rassembles en loges fermes et contigus, orientes vers la scne, les loges la franaise tendent vers une plus grande ouverture des espaces. Leurs cloisons sont

    sensiblement chancres et rduites en hauteur, voire inexistantes. lhonneur dans les ralisations thtrales de Victor Louis (1731-1800), cette distribution a t ravive par Charles Garnier lOpra de Paris (1860-1875). Le choix opr par Louis-Marie Cordonnier en 1907 avantage tant la vue de la scne que la contemplation de la parure tincelante et le charme de la femme franaise [] un spectacle auquel le public attache une aussi grande importance quau spectacle lui-mme . Tout en adaptant le monument aux exigences modernes de confort et de scurit, le concepteur lillois sinscrit ainsi dans une tradition franaise sculaire.

    Le foyer

    Le spectateur empruntant lescalier dhonneur est interpell par le grand vide que celui-ci creuse jusquau dernier niveau des galeries. La blancheur des marches se dtache sur un dcor en marbre, stuc et or qui capte le regard et le dirige vers le grand foyer, log au-dessus du vestibule. linstar de lOpra de Paris, celui-ci stend sur lintgralit de la faade principale. Ses dimensions sont importantes : 35 m de long sur 9 m de large pour ce prlude au spectacle

    qui se droule sur la scne. Largement ouvert sur lescalier, il devient la plateforme idale pour contempler les robes et les costumes qui compltent ce dcor solennel. Avec ses 315 m2, le foyer est lui-mme le prolongement du spectacle des visiteurs dont les dambulations composent le libretto dune reprsentation sociale, fortement ancre dans les murs en ce dbut du xxe sicle.

    Opra de Lille - une distribution la franaise, tat actuelPhotographieDanielRapaich,VilledeLille

    Concert du Mercredi dans le grand foyerPhotographieFrdricIovino

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  • Ausommetparle

    sarts Un palais des artsIntroduit par le programme

    sculpt des faades, le thme des arts lyriques gouverne lensemble des dcors lintrieur de ldifice. La Posie et LIdylle des sculpteurs lillois Charles Caby et Jules Dchin encadrent lescalier et annoncent la ferie. Larchitecture et lornement dfinissent le thtre comme un lieu ouvert, empli de vie et de rencontres toute heure et en toute saison, comme en tmoignent La Ronde des heures, peinture de Georges Picard sur le plafond du foyer, et Les Saisons du sculpteur Edgar Boutry, personnifies par quatre statues fminines qui encadrent les loges davant-scne. La Danse, la Musique, la Tragdie et la Comdie du mme artiste

    habillent les piliers de la structure en bton arm. Par cette disposition, elles forment leur tour les piliers allgoriques des vertus peintes par Victor Lhomme et Georges Dilly dans les huit mdaillons de la coupole dominant le public. Le message gagne en loquence lorsque le regard se tourne vers la scne : au-dessus des planches sur lesquelles se droule le spectacle vivant, par-dessus les nues et les muses, la devise Ad Alta per Artes (Au sommet par les Arts) rpond avec force la ronde dApollon qui marque le nouveau paysage lillois

    Une vitrine de lart et de lartisanat lillois

    Au-del de retenir Lille par

    les distractions et les plaisirs les trangers venus pour affaires, le Grand Thtre a galement pour vocation de transformer ces visiteurs occasionnels en ambassadeurs du rayonnement artistique et artisanal de la capitale des Flandres . La qualit des reprsentations sera le principal vecteur de sa rputation thtrale et lyrique, dont larchitecture et le dcor doivent constituer un illustre crin. Des ferronneries des portes dentre au plafond de la grande salle, chaque dtail est conu avec soin par larchitecte et confi aux meilleurs artistes et artisans rgionaux. Grand Prix de Rome, mdaills du Salon des Artistes franais, laurats de prestigieuses expositions et rcipiendaires de

    La Comdieoffresonvraivisageceuxquigravissentlesmarchesjusquausommet.Lemasquerelevetlefouetdanssamaindonnenttoutsonsensladevisequilaccompagne:Elle chtie les murs en riant (Castigat Ridendo Mores)

    La Comdie,dtails. Edgar Boutry, sculpteurPhotographieAnasGadeau,VilledeLille

    Opra de Lille - Les mdaillonsornant la coupole de la salle. Victor Lhomme et Georges Dilly, peintres, 1914PhotographieAnasGadeau,VilledeLille

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  • rcompenses rgionales et nationales, les peintres et sculpteurs du futur Opra combinent leurs talents pour faire de ce monument un palais des arts qui portera haut la renomme du Nord de la France et de la ville de Lille. Il en est de mme pour les artisans parmi lesquels figurent les maisons lilloises Buisine (boiseries) ou encore Delay et Boure-Thibaut (ferronneries). linstar des Lillois, la presse spcialise senorgueillit des choix de larchitecte prouvant quil est inutile daller chercher au loin des collaborateurs que nous pouvons trouver sur place .

    Ce palais clbrant les arts et la ville de Lille regorge de symboles de cette double signification. Parmi eux, une tte dovin sculpte enrichit

    le dcor des espaces ouverts au public. Y reconnatrez-vous le bouc, devenu un des symboles de lart thtral en raison de ltymologie du mot grec trag-dia signifiant chant du bouc ? Ou verrez-vous dans ses traits le mouton, reprsent sur de nombreuses faades de la rgion en tant quemblme de la laine et, par extension, de lindustrie textile ?Les arts et lindustrie, fleurons de la capitale des Flandres , se trouvent sans doute de nouveau runis dans ce symbole. En attestent les guirlandes que cet ovin retient de sa gueule. Tresses de fleurs

    et de fruits dans le grand foyer, elles sont composes dinstruments de musique dans la grande salle, comme pour raviver le motif de la corne dabondance qui orne, parmi tant dautres difices, la Vieille Bourse situe en face de lOpra. Les deux L adosss, frquemment adjoints lanimal et garnis de branches de laurier, estampillent son appartenance lilloise. De cette manire, ce faisceau dindices ne conduit-il pas le curieux observateur reconnatre que dans cette opulente cit les richesses matrielles vont de pair avec celles de lesprit ?Opra de Lille - Le grand foyer,

    dtail sculptPhotographieAnasGadeau,VilledeLille

    Opra de Lille - La Musique, dtailEdgar Boutry, sculpteurPhotographieAnasGadeau,VilledeLille

    Opra de Lille - LEsprance ( gauche) et llgance ( droite), dtail PhotographieAnasGadeau,VilledeLille

    Opra de Lille - La Beaut, dtail dun des huit mdaillons ornant la coupole de la sallePhotographieAnasGadeau,VilledeLille

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    Le chant du bouc ou la laine du mouton ?

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  • Lessombresheu

    resde

    Lille

    Soldats allemands devant lOpra de LilleCollectionetreproBMLille/portefeuille95,1B

    Lille aprs la Premire Guerre mondiale : les destructions de la rue Faidherbe et de la place du March-aux-PouletsCollectionetreproDianaPalazova-Lebleu

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    Lille allemande

    Alors que linauguration du thtre est prvue pour le mois doctobre 191, durant les dernires semaines du mois daot des patrouilles de reconnaissance allemandes sapprochent de la ville quelles pntrent le 2 septembre. Arrtes sur la Marne, les armes adverses entament la course la mer dans laquelle Lille est un point de renforcement de leurs positions. Le 12 octobre 191, la cit industrielle plie aprs onze jours de sige et de vigoureux bombardements qui ravagent une partie des territoires priphriques et du centre-ville. Ds lors, Lille vit lheure allemande . Le spectacle que prsentaient les rues de Lille au lendemain du bombardement est indescriptible , note dans son journal intime mile Ferr, ancien directeur de Lcho du

    ne lui ont laiss quune population dbilite et une race affaiblie, Lille veut renatre , crit le clbre critique dart Jules Duthil dans le quotidien La Dpche en date du 3 fvrier 1919. Libre par les troupes britanniques du gnral Birdwood le 17 octobre 1918, la ville revient pniblement la vie. Mettre un terme la malnutrition, rtablir lapprovisionnement de tous les quartiers en eau, lectricit, tlphone, faire redmarrer lindustrie et le commerce, reconstruire la cit dvaste et y faire revenir la vie Les priorits sont nombreuses, or, les squelles sont profondes. Les carences financires, doubles de linflation, ne permettent pas de subvenir aux besoins urgents de la population dont une partie regagne la ville aprs des annes dexil. Dans ces conditions, quoique voulue par la municipalit et les habitants, louverture du Grand Thtre sannonce lointaine.

    Nord. Laspect gnral de Lille, en dehors mme des quartiers brls, tait celui dune ville morte. [] Ceux qui, ayant quitt notre ville, la verront la fin de la guerre, auront peine retrouver dans cet amas de ruines les endroits qui leur taient familiers et certains quartiers que le pittoresque de leurs noms dsignait la curiosit publique. Sur le paysage dvast du centre-ville se dtachent la flche gothique de lglise Saint-Maurice, ainsi que la nouvelle Chambre de Commerce et le Thtre, demeurs intacts.

    Une renaissance difficile

    Bombarde, incendie par lennemi, vide de ses matires premires ou fabriques, ainsi que de ses instruments de travail, ruine dans ses entreprises et dans sa clientle passes aux mains trangres ou rivales, puise par quatre annes doccupation, qui

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  • Le Deutsches Theater

    Une quinzaine de jours aprs la prise de la ville de Lille, les troupes allemandes semparent du Thtre. Aprs avoir procd des installations lectriques, le 5 novembre 191 elles entament des sries de reprsentations qui ne cesseront quen 1918.Le 6 juin 1916, linauguration de la salle de spectacle dnomme Deutsches Theater signe le ferme tablissement de loccupant dans la ville. La scne lilloise devient une scne nationale allemande, sous le regard du Kaiser Guillaume II dont le portrait a pris une place de choix dans le foyer.

    Certains dtails, dans le fastueux foyer, dnoncent loccupation, et lon stonne dy voir encore un comptoir bire, muni dune pompe bavaroise. Que de litres de bire ont t bus dans ce beau cadre ! Il nest pas jusquau plancher qui ne garde toujours la trace des lourdes bottes, mais laigle imprial a t effac ; peine si lon devine encore les ailes du sombre oiseau que chacun maintenant foule aux pieds. Louis Gall, La Dpche, 2 janvier 1919.

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    Le sombre rappel de lhistoire

    La Seconde Guerre mondiale plongera la ville dans une nouvelle occupation. Les 18 et 26 mai 190, Lille subira de nouveau les bombardements allemands. Parmi les monuments rquisitionns par ladministration militaire allemande, le Grand Thtre, que loccupant a eu le privilge dinaugurer deux dcennies plus tt. partir du 10 janvier 191, la scne lilloise redeviendra un Deutsches Theater dans lequel des troupes dOutre-Rhin joueront pour un public germanique, alors que le thtre Sbastopol accueillera les spectateurs franais. Larrive des troupes allies le 3 septembre 19 sera suivie par la restitution ds le lendemain de la salle de spectacle aux Lillois...

    Un portrait de Guillaume II pos en haut du grand escalier au moment de linauguration du Deustsches TheaterArchivesDpartementalesduNord/FondsCarlosBocquetReproPierrePigaglio

    Fleurs dans le grand escalier et dans le foyerArchivesDpartementalesduNord/FondsCarlosBocquetReproPierrePigaglio

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  • Linauguratio

    nde

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    3La douloureuse attente

    M. de Villers, directeur du thtre depuis 191, dsire mobiliser les troupes municipales et organiser la premire franaise le 2 fvrier 1919 avec LArlsienne de Georges Bizet : Mon but est [de] faire [du thtre de Lille] une grande scne de dcentralisation artistique Jespre que la sympathie des Lillois rpondra mes efforts et quils reprendront avec enthousiasme le chemin de leur

    LaquestionduNouveauThtreLille,Lcho du Nord,15avril1921,p.1(couverture).Repro.DianaPalazova-Lebleu

    Avril 1921. loccasion de la 3e fte de gymnastique prvue pour le mois prochain, la ville se prpare pour recevoir une foule de visiteurs. Parmi eux figurent deux illustres convives, le prsident de la Rpublique Millerand et le roi des Belges Albert Ier. Les dcors qui habillent progressivement les rues et les monuments pour lvnement ne parviennent pas masquer lexaspration de la population quant linaccessibilit du Nouveau Thtre. Ce lieu de vie et de rencontres demeure dsesprment ferm. Lamertume des Lillois est traduite par la plume mordante des journalistes, comme en tmoigne cette caricature publie en premire page de Lcho du Nord, le 15 avril 1921 :

    La question du Nouveau Thtre Lille. Ltonnement de nos visiteurs aux Ftes de Mai.- Quest-ce que cest que ce monument ? - On dit que cest un thtre- Jamais de la vie il parat que a ne souvre jamais.- Alors, cest peut-tre un tombeau !...

    scne municipale. Je lespre fermement. Pour eux-mmes ils ont besoin de cette dtente morale. Ils ont hte, je nen doute pas, de prter loreille des bruits plus harmonieux que ceux du champ de bataille ; il est temps quils sentent remuer en eux les mmes fibres quautrefois ; car je pense bien que rien nest bris en nous ; nous ne sommes pas des vaincus La reprsentation est repousse au 9 fvrier 1919 lorsque tout Lille, priv de thtre pendant plus de quatre annes,

    sy donne rendez-vous. On vend salle comble. Ctait un succs grandiose en perspective quelques minutes du lever de rideau, le directeur des travaux municipaux annonce davoir renoncer la reprsentation par risque de court-circuit. Cest ainsi que le Nouveau Thtre est contraint une nouvelle fermeture. Aprs quatre annes doccupation, les Lillois devront attendre prs de cinq annes supplmentaires avant de pouvoir dcouvrir leur thtre

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  • rez-de-chausse ou les galeries des divers tages. Et vraiment, le coup dil est magnifique en tous points et dune incomparable esthtique.La salle !... une splendeur douce et harmonieuse, la construction de laquelle lart le plus averti a prsid. Ce thtre est vraiment lun des plus beaux que nous ayons contempl. La grande salle accueille de prestigieux convives. Parmi eux, le maire Gustave Delory, revenu la tte de la ville en 1919, le prfet du Nord, le prsident de la Chambre de Commerce, le directeur de la Banque de France, des conseillers gnraux et municipaux ainsi que, bien sr, larchitecte Louis-Marie Cordonnier et les artistes qui ont cr ce dcor dont se dlectent les Lillois. Plus de vingt ans nous sparent de la date de lincendie de notre ancien

    thtre , dclare le maire Gustave Delory dans son allocution. La guerre survint, retardant linauguration. Ce fut loccupation !... Les Allemands jouent dans le thtre, puis les Anglais. Rsultat : de fortes dtriorations qui exigrent dimportants crdits pour tre rpares. Avant dy songer, il fallut dabord rtablir lquilibre financier de la ville.Par la suite, on se rendit compte quen retardant indfiniment lachvement du Thtre, on aggravait limportance des dgts. Et puis, lopinion publique tait l. Les Lillois voulaient leur thtre.Aujourdhui, je suis heureux de prsider linauguration de ce magnifique monument, que nous devons au talent de M. Louis Cordonnier.

    Linauguration de 1923

    Le 7 octobre 1923, 19h30, le Grand Thtre ouvre enfin ses portes pour son inauguration franaise. [La] foule des invits sengouffrait sans relche dans le magnifique difice que nous devons au talent du matre architecte Louis Cordonnier, et qui, pour la circonstance, tait superbement illumin , crit un journaliste de Lcho du Nord. Dans le vestibule, les plafonniers jettent une lueur blanche amortie, qui fait valoir encore la puret des lignes de cette partie de ldifice. Par les -cts, on aperoit dadmirables perspectives qui se perdent dans une pnombre lumineuse. Au centre, par le grand escalier dhonneur qui rutile de lumire, la foule cependant gagne le

    La Glorification des Arts, dtail du groupe sculpt couronnant la faade principalePhotographieDanielRapaich,VilledeLille

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  • Lechantierde

    restauration

    Aprs deux dcennies plutt fastes dans limmdiat aprs-guerre, les annes soixante-dix sont difficiles pour lOpra de Lille : la fin des Trente glorieuses oblige les responsables des choix dlicats sur la place de la culture et du lyrique en particulier. Les annes quatre-vingts sont celles dune exprience indite mene sur le principe dune association entre Lille, Roubaix et Tourcoing autour dun Opra du Nord un peu sur le modle de lOpra du Rhin. Lances en fanfare en 1979, les programmations rvlent autant de belles motions artistiques que, rapidement, dimmenses difficults. A partir de 1982, les mesures de restriction vident de sa substance une structure devenue invivable. En 1985, lOpra du Nord a vcu.Aprs trois annes dexpectative, lOpra de Lille ouvre nouveau ses portes en 1989 pour entamer une

    lente et patiente reconqute du public avec une quipe resserre et un projet artistique marqu notamment en 1997 par un Pellas et Mlisande (Debussy) men avec lOrchestre national de Lille. Au printemps 1998, la saison est interrompue par une nouvelle fermeture provoque cette fois par lurgente ncessit de mettre aux normes un btiment passablement vieilli et, dit-on, devenu incertain. Plusieurs annes durant, le grand vaisseau demeure silencieux sans que lon sache vritablement de quoi sera fait son avenir. On annonce dans un premier temps deux annes de travaux, mais pour quel projet artistique ? La dsignation de Lille, capitale europenne de la culture pour 200 et larrive de Martine Aubry la succession de Pierre Mauroy sont autant dlments dclencheurs. Relayant les efforts de Jacquie Buffin, adjointe la culture, la rouverture

    de lOpra est dsormais affiche comme une priorit. Les tours de table se succdent pour faire saccorder services municipaux, communautaires et rgionaux. En juillet 2001, un jury de recrutement nomme une directrice comme en 1787 ! , Caroline Sonrier, lui confiant la mission de btir un projet global, programmation artistique et fonctionnement.Au printemps 2002, le chantier de rnovation dbute avec le dmontage du lustre monumental de la grande salle. Les tudes des ingnieurs ont clairement rvl que si la structure du btiment tait saine rien na boug depuis les annes 1910 ! , lintrieur a passablement vieilli, les mises aux normes sont plus que ncessaires, imprieuses. Dcision est donc prise de mener plus quune rnovation ; une transformation comme le soulignera

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    PhotographiesDanielRapaich,VilledeLille

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  • Martine Aubry quelques semaines avant la rouverture.

    Un chantier de restauration et de modernisationDes sous-sols aux toitures, rien na t omis. La cage de scne a t compltement retravaille, quipe de matriels techniques modernes, la fosse dorchestre (70 musiciens) ramnage, agrandie, lacoustique de la salle amliore, le parterre repens - la pente a t refaite -. 1 138 siges de velours rouge sont installs (un peu moins quautrefois : on en a profit pour amnager une loge dattente afin daccueillir les tourdis arrivs en retard au spectacle !). Des semaines durant, des quipes de peintres-restaurateurs redorent au sens propre les dorures, fresques et autres sculptures de la grande salle comme du foyer. Mais cest tout l-haut, sous les toits, prs du

    paradis comme on appelait autrefois les dernires galeries des thtres litalienne, que les travaux les plus spectaculaires sont mens. Entre deux puits de lumire, les architectes Patrice Neirinck et Pierre-Louis Carlier ont conu un studio de danse, une salle pour chur et une vaste salle de rptition pouvant accueillir 100 personnes. Mariage russi du pltre blanc, du verre et du plancher en sapin de Russie, idal pour la danse dit-on. Encore plus haut, au plus prs des cieux, deux terrasses avec vue sur la ville, ouvertes exceptionnellement. Des ruches y sont aujourdhui installes.Ct coulisses, seize loges individuelles et collectives, des bureaux, ateliers de confection de costumes, lingerie, entrepts sont rnovs sur les cinq niveaux du btiment. On a veill redonner lOpra son aspect dorigine

    soulignent les deux architectes. Jusquaux magnifiques vestiaires de bois de 191 (on les voit sur les gravures de lpoque) dsormais rinstalls pour le public chaque tage !

    Durant toutes ces annes, le chantier (cot total : 17,5 millions deuros) est lobjet de toutes les curiosits du public. Il ouvre quand lOpra ? entend-on en ville. Aux visites organises durant lanne 2003, on se presse en foule pour arpenter en avant-premire ce que beaucoup considrent comme le plus beau btiment lillois, lun des plus chargs dhistoire et dme. Quelque 7 500 personnes sur une seule journe davril, toutes gnrations confondues : les plus anciennes voquant leurs souvenirs des annes soixante on y a vu diriger Roberto Benzi ! -, les plus jeunes multipliant les cest vachement beau !

    PhotographiesDanielRapaich,VilledeLille

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    Dcem

    bre20

    03LO

    pra,retrouvelaville

    Ouverture aux gnrations, tous les rpertoires, toutes les cultures : cest la mission confie lquipe qui, partir de dcembre 2003, met en place les programmations du nouvel Opra de Lille bties dune saison sur lautre autour de la notion de cration (lyrique, musicale, chorgraphique et internationale).Un programme variLyrique. Trois-quatre productions par saison, puises dans le rpertoire Mozart (Don Giovanni ouvre le feu en janvier 200), Rossini (Le Barbier de Sville, LItalienne Alger), Puccini (Madame Butterfly), Bizet (Carmen), Verdi (La Traviata, Rigoletto,

    Macbeth), Gounod (Faust) sont ralises avec lOrchestre de Lille et souvent diriges par Jean-Claude Casadesus avec qui lOpra entretient une relation privilgie, ainsi quavec lOrchestre de Picardie. Ces productions sont confies des metteurs en scne de renomme mondiale (David McVicar, Richard Jones, etc.) ou de jeunes metteurs en scne de thtre qui font Lille leurs premires armes lyriques (Jean-Franois Sivadier, Yves Beaunesne, Jean-Yves Ruf). Avec son ensemble Le Concert dAstre en rsidence artistique lOpra de Lille, Emmanuelle Ham conduit plus spcifiquement les productions baroques de Monteverdi

    (Orfeo) Haendel (Tamerlano, Jules Csar, Orlando) et jusqu Mozart (Les Noces de Figaro) , lensemble Ictus de Bruxelles (direction Georges-Elie Octors), galement en rsidence artistique, se chargeant des partitions contemporaines telles que la cration dopras commands par lOpra de Lille Georges Aperghis ou Michal Levinas.Danse. Depuis la rouverture en dcembre 2003 marque par la venue du danseur amricain Bill T. Jones, lOpra invite les grands noms de la chorgraphie contemporaine : Anne-Teresa de Keersmaeker, Sasha Waltz, Sidi Larbi Cherkaoui, Robyn Orlin, Maguy Marin, etc. ainsi

    PhotographiesDanielRapaich,VilledeLille

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  • que des artistes davant-garde la personnalit singulire. Ainsi le chorgraphe Christian Rizzo est accueilli en rsidence de cration de 2007 2012, prsentant lOpra de Lille chacun de ses nouveaux spectacles.Concerts, rcitals, spectacles musicaux dclins sous diffrentes formes les concerts du mercredi 18 h dans le foyer se succdent au fil des saisons. Sans oublier des spectacles dcals, telle cette mmorable soire night-clubbing du plus bel effet autour de Tom Waits et Kurt Weill par les musiciens dIctus un 31 dcembre (plus de 1 000 spectateurs dans la salle).

    Une ouverture tous les publics Cest autour des Happy Days, Happy Times et autres invitations lances aux familles que lOpra ouvre grand ses portes : trois ou quatre rendez-vous chaque anne, avec concerts, spectacles et animations tous les tages, petits ballons et parc poussettes dans le hall pour les Happy Days enfants ! A la toute premire dition, en octobre 200, quelque 12 500 personnes ont ainsi arpent les coins et recoins du btiment de Louis-Marie Cordonnier, une autre manire, joyeuse et ludique, de sinitier aux motions de la musique et du monde de lopra.

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    LOpramodernisouvreendcembre2003avecdenouvellessallesderptitionprtesaccueillirlesartistesdanslesmeilleuresconditionspossibles,maisgalementoffrirauxspectateursdesreprsentationsplusintimistes.

    Atelier danse dans le studio, fvrier 2010Photographie:FrdricIovino

    Noces de FigaroPhotographie:FrdricIovino

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    Remerciements

    Ce laissez-vous conter lOpra de Lille naurait pu voir le jour sans le soutien de Catherine Cullen, adjointe au Maire dlgue la Culture et Prsidente de lOpra et de Dominique Plancke, conseiller municipal dlgu au Patrimoine. Inscrit dans la programmation 2010 du service Ville dart et dhistoire, il a reu le soutien de la Direction Rgionale des Affaires Culturelles. Nous tenons remercier vivement Vronique Chatenay-Dolto, Directrice de la DRAC et Colette Dran, conseillre Patrimoine. Nous souhaitons galement souligner le partenariat fructueux avec toute lquipe qui anime lOpra et remercier vivement sa directrice, Caroline Sonrier, pour le soutien ce projet.

    Direction de publication

    Chantal Zamolo, Animateur de larchitecture et du patrimoine de la ville de Lille sous la direction dAnnie Durand, Directrice du patrimoine culturel

    Rdaction

    Diana Palazova-Lebleu, Docteur en histoire de lart contemporain, spcialit architecture, auteur de la thse sur Louis-Marie Cordonnier architecte de lOpra de Lille, sous la direction de Franois Robichon et avec la collaboration de Marie-Josphe Lussien-Maisonneuve (Universit de Lille 3)

    Jean-Marie Duhamel, Docteur en histoire, Journaliste la Voix du Nord, auteur de deux livres consacrs lOpra de Lille

    Nous tenons remercier

    Pourleurscontributionsiconographiquesetprcieuxconseils

    Archives Dpartementales du Nord, Michel Vangheluwe, Jean-Luc Thieffry et Pierre PigaglioArchives Municipales de Lille, Michel Sarter et toute son quipeLa Mdiathque Jean Lvy, Isabelle Duquesne, Laure DelrueMuse de lHospice Comtesse, Martine NMiliPalais des Beaux-Arts de Lille, Florence Raymond

    Pourleursrelectures

    Service Ville dart et dhistoire : Sandra Jodry, Jacinthe Franois et Chiraz Hamila

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    Pour en savoir plus...

    BOSSUYT, Jeanne, LOpra de Lille, Lille, Association Christophe Dieudonn, 1997, n. p. (coll. Itinraires du Patrimoine n 18)COLLECTIF, Thtre et architecture, catalogue de lexposition tenue Lille du 1 novembre 1985 au janvier 1986, Tourcoing, d. cole darchitecture de Lille et des Rgions Nord, 1985, 97 p.DUHAMEL, Jean-Marie, Lille, un opra dans la ville : 1702-2004, Lille, d. La Voix du Nord, 200, 111 p.DUHAMEL, Jean-Marie, LOpra de Lille : la mmoire retrouve, Lille, d. La Voix du Nord, 200, 51 p.LUSSIEN-MAISONNEUVE, Marie-Josphe, De lclectisme au rgionalisme : lpanouissement artistique aprs 1850 , dans LOTTIN, Alain, BUISSIRE, ric (dir.), Deux mille ans du Nord-Pas-de-Calais, t. 2 : De la Rvolution au XXIe sicle, Lille, La Voix du Nord, 2002, p. 116 122.PALAZOVA-LEBLEU, Diana, La place de Louis-Marie et Louis-Stanislas Cordonnier dans les volutions architecturales et urbanistiques en Europe septentrionale (1881-1940), thse de doctorat en histoire de lart, sous la dir. de M. Franois Robichon, avec la coll. de Mme Marie-Josphe Lussien-Maisonneuve, universit de Lille 3, dcembre 2009, 2 vol., 877 p.PROUSE DE MONTCLOS, Jean-Marie, Architecture : mthode et vocabulaire, Paris, Centre des Monuments nationaux / ditions du Patrimoine, 200 (1re d. 1972), 622 p.PIERRARD, Pierre, Histoire de Lille, Paris, d. Mazarine, 1982, 287 p.TRNARD, Louis (dir.), Histoire de Lille, : du XIXe sicle au seuil du XXIe sicle, Paris, d. Perrin, 1999, 52 p.WEISS-DUCRET, Florence, Le thtre Sbastopol : uvre majeure dans loeuvre de Lonce Hainez architecte, mmoire de matrise sous la dir. de M. Souchal, Villeneuve dAscq, universit de Lille 3, 1983, 2 vol.

    Carmen en live, mai 2010Photographie:FrdricIovino

    Dansethorslesmurs,lOprarayonnesurlaville.LcrangantestsituprsdelancienemplacementdelascneduThtreconstruitparMichelLequeux.

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    Conu et ralis par le service Ville dart et dhistoire de la Direction du patrimoine de la ville de Lille avec les contributions de Diana Palazova-Lebleu, docteur en histoire de lart et de Jean-MarieDuhamel, docteur en histoire, journaliste la Voix du Nord et sous la direction de ChantalZamolo, animateur de larchitecture et du patrimoine.Crdits photo : Anas Gadeau, Daniel Rapaich, FrdricIovino,Damien Langlet,Diana Palazova-Lebleu, serviceVAH,Philippe Frutier (Altimage), Archives Dpartementales duNord, BibliothqueMunicipale de Lille,Muse de lHospiceComtesse,PalaisdesBeaux-ArtsdeLille.Mise en forme graphique : ReprocolorImpression : ImpressionDirecteTirage : 10000exSeptembre 2010 - Ne pas jeter sur la voie publiqueImprim sur papier recycl

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    Lille appartient au rseau national des Villes et Pays dart et dhistoireLe ministre de la culture, direction gnrale des patrimoines, attribue lappellation Villes et Pays dart et dhistoire aux collectivits locales qui animent leur patrimoine. Il garantit la comptence des guides-confrenciers et des animateurs de larchitecture et du patrimoine, ainsi que la qualit de leurs actions. Des vestiges antiques larchitecture du XXIe sicle, les Villes et Pays dart et dhistoire mettent en scne le patrimoine dans sa diversit. Aujourdhui, un rseau de 137 villes et pays vous offre son savoir-faire sur toute la France.

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    LOffice du Tourisme de LilleAssociation sans but lucratif, lOffice de Tourisme est loutil privilgi de la politique de dveloppement du tourisme de la Ville de Lille. Il est charg par celle-ci de laccueil, de linformation des visiteurs et de la promotion de la ville. Par ailleurs, partenaire structurant de la politique municipale de valorisation du patrimoine, il commercialise les visites, menes par les guides-confrenciers quil encadre, en lien troit avec la Ville.

    Si vous tes en groupeLille vous propose des visites toute lanne sur rservation.Renseignements lOffice du Tourisme.

    RenseignementsService Ville dart et dhistoireHtel de ville B.P. 66759033 Lille cedex03 28 55 30 13mail : [email protected]

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