80

Lanse de Lespagnol by Sara craven

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Chassée par les seuls parents qu'il lui reste, Morwenna, la petite orpheline, décide de se rendre chez Dominic Trevennon, un ami de sa mère. Mais celle-ci a laissé un souvenir amer, et la jeune fille se heurte à l'hostilité et au cynisme d'un autre Dominic Trevennon.L'ombre d'une légende plane sur la demeure. Morwenna parviendra-t-elle à la dissiper, à réhabiliter sa mère et à apprivoiser l'indomptable Dom ? Aura-t-elle la force de mener à bien des projets aussi ambitieux ?

Citation preview

  • Resume:

    Morwenna avait toujours t impulsive. Ctait un trait de famille. Mais de l sembarquer pour la Cornouaille chez de parfaits inconnus, ctait de la foliepure. Chasse par les seuls parents quil lui reste, Morwenna, la petite

  • orpheline, dcide de se rendre chez Dominic Trevennon, un ami de sa mre.Dominic Trevennon, matre du domaine, la reut avec une hostilit non

    dguise. Cet homme arrogant tait-il prvenu contre elle ?Morwenna auraitpu se sauver. Curieusement, elle nen avait pas envieLombre dune lgende plane sur la demeure. Morwenna parviendra-t-elle

    la dissiper, rhabiliter sa mre et apprivoiser lindomptable Dom?Aura-t-elle la force de mener bien des projets aussi ambitieux?

    Sara Craven

    Lansede lEspagnol

    HARLEQUIN S.A. 48, avenue Victor-Hugo Paris XVIeCet ouvrage a t publi en langue anglaise sous le titre

    HIGH TIDE AT MIDNIGHT

    1

    Trs bien. Je dsire claircir un point : elle ne peut pas rester ici!

  • La voix vhmente, presque stridente, de la nouvelle lady Kerslake franchit avec nettet la porte dusalon. La main dj leve pour frapper, Morwenna se figea. Les mots de cousine Patricia lasouffletrent. Elle pensa : mieux vaut faire semblant de navoir rien entendu. Mais rien naurait pu lafaire bouger dun centimtre! Quel soulagement de connatre enfin le fond de la pense de sa cousine! Rien voir avec la gentillesse doucereuse dont elle lavait jusqu prsent abreuve. Oh! MreLa voix de Vanessa sleva son tour, lgrement impatiente. Vous ne pouvez tout de mme pas la mettre la rue ! Elle na aucun mtier, aucune qualification.

    Elle a perdu son temps en classe, vous le savez aussi bien que moi. Que pourrait-elle bien faire, aunom du ciel? Cela ne nous concerne en rien, rpliqua froidement lady Kerslake. Elle a choisi de laisser passer

    sa chance. Si celle-ci ne se reprsente plus, elle pourrait difficilement sen plaindre ! Ctait le rlede son pre, de son vivant, de penser son avenir. Il connaissait les implications de la succession. Sans doute. Mais il ne pouvait gure prvoir sa mort et celle de son fils dans le mme accident !

    Ctait Martin, lhritier, aprs tout ! Il aurait assur lexistence de Morwenna.Immobile dans le hall, lintresse coutait ces propos dsinvoltes. Le chagrin, nouveau, lui broya

    le cur. Mais Vanessa avait raison. Personne naurait pu imaginer limpensable. Par un beau jourdautomne, quelques semaines auparavant, elle tait reste seule au monde avant mme la tombe dela nuit. Son pre et son frre taient morts dans une collision avec un camion dont les freins avaientlch dans une cte, la limite du village.Bien sr, Morwenna connaissait depuis longtemps les lois successorales. A cette poque de

    libration de la femme, elle avait mme ri de leur misogynie. Le titre de baron et tous les biensdevaient revenir uniquement aux hritiers mles. Elle ne sen tait gure soucie. Elle avait peinedix-huit ans et plus envie de samuser que de faire des projets longue chance. Son pre lyencourageait. Martin et lui taient un rempart contre ladversit. Avec eux, elle se sentait en scurit,choye et aime. Jusqu ce jour o le vent glac de la ralit lui avait montr quel point son abritait fragileSon cousin Geoffrey hritait de trs, trs peu dargent. Son pre avait en effet beaucoup spcul et

    beaucoup perdu. Avec un peu de temps, avait dit le notaire, il se serait remis flot. Mais il navaitpas eu le temps .Durant le week-end suivant les obsques, Morwenna stait curieusement sentie hors du monde.

    Larrive de cousin Geoffrey avait encore renforc ce sentiment. Elle le connaissait peine. Centait pas le cas avec son pouse dominatrice.Cousine Patricia, elle ne lignorait pas, avait espr devenir une femme riche. Ltat des finances de

    Lord Kerslake lavait indigne. Pourtant, lide de devenir lady et de sinstaller dans la maison, unpur joyau du temps de la reine Anne, lavait enfin console.Tout dabord pleine de sollicitude envers Morwenna, elle tait au fil des jours devenue plus

    distante. Ni sa fille ni elle navaient jamais t proches des Kerslake. Pourtant, le pre de Morwennaavait insist pour que Vanessa suivt les cours dans le mme tablissement scolaire que sa cousine.Morwenna stait par la suite demand si Vanessa nen navait pas conu quelque ressentimentSon hostilit tait parfois presque tangible. Depuis son arrive au Prieur de Carew, cependant,

    cette attitude stait adoucie. Restait savoir, se demandait Morwenna, si elle ne jubilait passecrtement de leur renversement de fortune. Quoiquil en ft, Morwenna tait brusquement devenueune trangre dans son propre foyer. Je ne comprends pas pourquoi tu sembles te faire du souci pour elle, poursuivait lady Kerslake.

  • Tu ne tes jamais beaucoup proccupe delle ! Maintenant non plus, rtorqua Vanessa dun ton mordant. Mais nous devons faire attention au

    quen-dira-t-on. Son pre et Martin taient trs bien vus dans la rgion. Il ne sagit pas de partir dumauvais pied. Tu as raison, soupira lady Kerslake. Quel problme ! Je nimaginais pas que cette dtestable

    fille allait sincruster ici sans rien faire ! Navait-elle pas parl dune cole de peinture ? Quand il sagit de Morwenna, on agite toujours un tas de projets mirifiques ! Mais tu as raison :

    elle devait rejoindre le cours de Lennox Christie Carcassonne. Ce mois-ci mais jignore sillentendra encore de cette oreille. Ses notes ont peu de chance dtre honores maintenant. Cest unfait connu : les riches dsuvrs de sa classe compensent le manque gagner reprsent par leslves pauvres auxquels il sintresse vraiment.Au fond de sa poche, les doigts de Morwenna se crisprent sur une enveloppe. La lettre tait arrive

    moins dune demi-heure auparavant. Par la fentre de sa chambre, elle avait vu arriver le facteur et,mue par un pressentiment, elle stait prcipite pour intercepter le courrier. Elle ne dsirait pas dutout voir le timbre franais attirer lattention de cousine Patricia.Ses pires craintes staient justifies. La lettre de Lennox Christie tait courtoise mais sans appel.

    Le travail quelle lui avait soumis Londres, crivait-il, ne justifiait pas un enseignement gratuit danssa classe. Cependant, elle pourrait le contacter nouveau au printemps, son retour en Angleterre.Dventuels progrs modifieraient peut-tre alors sa dcision primitiveElle se sentit humilie jusquaux moelles. Elle navait pourtant jamais eu trs confiance en son

    talent. Moins doue en dessin que sa mre, elle se faisait peu dillusions. Seule, une rsolutiondsespre avait pu linciter crire Lennox Christie. Elle navait pas mentionn le nom de samre. Laura Kerslake tait morte depuis plus de dix ans, et ses uvres taient passes de mode.Cousine Patricia avait mis le mme avis en arrivant au Prieur. Morwenna connaissait la suite : les

    toiles de sa mre, accroches au salon, ne tarderaient pas tre relgues dans une mansarde. Lanouvelle lady Kerslake les remplacerait par des uvres tires de la galerie londonienne quellepatronnait. Morwenna esprait seulement ne pas assister cela avant son dpart.Car elle navait jamais eu lintention de rester. Cest pourquoi les paroles saisies au vol taient

    dautant plus blessantes. Elle ntait pas un parasite. Elle aurait chercher un emploi, elle le savait.Elle tait venue dans lintention de sen entretenir avec sa cousine Patricia. Elle dsirait, toute hontebue, lui demander de lemployer dans sa galerieTout ceci tait superflu, dsormais. Vanessa reprenait la parole. Dailleurs, es-tu certaine quelle nait aucun but ? Elle est beaucoup sortie avec Guy, ces

    derniers mois. Elle va peut-tre essayer de ranimer cette vieille flamme, en croyant ainsi se tirerdaffaire pour le restant de sa vie ?Sa mre clata de rire. Je ne la crois pas nave ce point ! sexclama- t-elle. Ton frre lui a sans doute accord quelque

    attention, du vivant de Robert et de Martin. Mais les circonstances sont tout fait diffrentes,maintenant! Guy nest pas stupide. Cest une fille attirante, je te laccorde, mais si elle espre plusquune simple aventure, elle risque dtre srieusement due ! Guy a autre chose faire que desencombrer dune cousine dsargente !Morwenna en avait assez entendu. Elle senfuit prcipitamment travers le hall immense, avec ses

    riches tapis de Turquie et ses murs lambrisss, et gravit lescalier en courant.Durant les dernires semaines, une pice tait devenu son refuge. Ctait le boudoir de sa mre,

    dans laile ouest. Un endroit o cousine Patricia navait pas encore procd ce quelle nommait ses

  • petites transformations .Morwenna fit claquer la porte derrire elle. Enfin en sret, elle se jeta sur le sofa tendu de brocart

    fan et se laissa submerger par sa peine. En un sens, ctait une libration. Inquiet de sa pleur et deses yeux battus, au moment des funrailles, le mdecin lui avait prescrit des tranquillisants. Ellenavait pas pu pleurer.Le visage enfoui dans les coussins de soie, elle laissait scouler delle la rage, lhumiliation et le

    chagrin. Elle avait t si prs de tomber amoureuse de Guy ! Enfants, ils ne staient gure soucislun de lautre. Ils staient peine reconnus, lt dernier, en se retrouvant une rception. Uneattraction mutuelle les avait alors rapprochs.Mieux valait dsormais reconnatre quelle seule avait t touche. Guy pensait seulement son

    argent.Elle ne stonnait plus, maintenant, de ne lavoir pas revu depuis les obsques. Il travaillait, cest

    vrai, et venait au Prieur pour les week-ends seulement. Mme alors, il se montrait lointain. Elle luien avait t btement reconnaissante, mettant son attitude sur le compte de sa dlicatesse et dunlgitime respect pour son chagrin. Elle discernait trop tard la vrit : Guy navait plus rien gagner prolonger leurs relations. Dieu merci ! Elle avait gard ses distancesA plusieurs reprises, dans le pass, elle stait demand pourquoi Guy ne poussait pas plus avant

    dans leur intimit. Elle-mme aurait peut-tre cd son dsir de caresses et de baisers Ce sang-froid de Guy avait suffi la rendre nerveuse durant tout lt. Elle avait t prs de se quereller avecMartin ce sujet. La smillante blondeur de Guy nimpressionnait pas son frre. Il napprciait gurenon plus lhumour corrosif du jeune homme.Guy tait leur seul sujet de msentente. Elle se devait de reconnatre, maintenant, que Martin ne

    stait pas vainement mis en tte de jouer au grand- frre abusif. Il stait montr plein de sagesse.Voil pourquoi il lavait encourage sinscrire au cours de peinture ! Il sinquitait aussi de sonabsence de but dans la vie, de sa certitude insouciante de pouvoir toujours compter sur son pre etsur lui.Bien que dpourvue de vanit, Morwenna tait consciente de ses charmes. Peu dhommes taient

    capables de rsister ses ples cheveux de soie, torsads en chignon sur le sommet de sa tte, et ses grands yeux gris frangs de cils noirs. Cela expliquait sa foi nave en lamour de Guy pour elle.Accoutume ladmiration et aux hommages masculins, il ne lui tait pas venu lide que soncousin pt avoir dautres motifs de sintresser elle ! Quelle idiote ! soupira-t-elle en essuyant ses yeux ruisselants dun revers de main. Quelle

    superbe imbcile !A la fin, paupires closes, elle resta paisiblement allonge, peine secoue de temps autre par un

    sanglot. Elle se sentait puise. Elle avait peur aussi. Une certitude se dgageait de la conversationsurprise tout lheure en bas : il fallait quitter le Prieur, et vite ! Mais o aller ? Elle ne pouvaitplus compter sur lcole de peinture, et son amour-propre en lambeaux lui interdisait de demander delaide cousine Patricia.Son regard dsol fit lentement le tour de la pice. Avec une motion douloureuse, elle contempla

    les meubles anciens choisis autrefois par sa mre. Lusure des rideaux et des tapis ntait rien leurbeaut. Au-dessus de la chemine tait accroch le seul essai dauto-portrait de Laura Kerslake. Ildatait de quelques annes avant sa mort. Le visage serein, les yeux pleins dhumour et la bouche ausourire un peu contraint suggraient la certitude de lartiste de son inaptitude lart du portrait.Les yeux de Morwenna se posrent ensuite sur un petit groupe de paysages. L, on le sentait, Laura

    Kerslake avait t son affaire. Ces tableaux constituaient pour la jeune fille le groupe de Tre-

  • vennon.Trevennon. Ctait en Cornouailles, la maison o Laura avait pass toute sa jeunesse. En se

    reportant en arrire, Morwenna se rendait compte du peu de dtails dont elle disposait pour tenter dereconstituer la vie de sa mre dans cet endroit romantique. Mais elle semblait y avoir t trsheureuse. En outre, elle avait donn sa fille un prnom de l-bas. Elle ne laurait pas choisi sil luiavait rappel de mauvais souvenirs. Pourtant, son pre napprouvait pas ce choix. Il naimait pas nonplus sattarder regarder les toiles reprsentant la maison sur la falaise, la jete de Port Vennor, etlAnse de lEspagnol, avec ses rochers noirs dresss comme des sentinelles contre le flot montant dela mare.Comme si ctait hier, Morwenna se remmorait la rponse de sa mre, et son menton plein de dfi : Je nai pas seulement reprsent un lieu. Jai peint ma jeunesse et tout ce que jai alors connu :

    lamour, la paix et la scurit.Paix, amour, scurit. Autant de mots qui sonnaient le glas des propres esprances de la jeune fille.Soudain, Morwenna se raidit. Un pas rapide et dcid rsonnait dans le couloir. Puis, la porte

    souvrit sur lady Kerslake.Ah ! Te voil, Morwenna ! Je tai cherche partout. Je me demandais si tu djeunais iciElle hsita un peu avant de poursuivre : Guy vient de tlphoner pour prvenir de son arrive. Il sera avec une amie, et nous pensionsElle se tut et lui jeta un regard significatif.Morwenna se mordit les lvres. Ainsi donc, Guy amenait la dernire de ses conqutes ! A

    lvidence, sa mre venait en claireur pour sassurer de son humeur. La moutarde lui monta au nez. Comme cest gentil ! dclara-t-elle en prenant un air indiffrent. Si ma prsence est une cause

    dembarras, je peux trs bien aller djeuner sur le pouce au Lion Rouge ! Oh ! Ma chreUn sourire faux tira la bouche de lady Kerslake. Comme si nous allions te laisser faire ! Quelle petite fille stupide tu es parfois ! Voyons, tu ne

    gnes personne. Mais tu as peut-tre dautres projets? Aprs tout, tu es adulte maintenant. Tu peuxmener ta vie comme tu lentends. Il est parfaitement naturel ton ge de vouloir tre indpendante.Nous nous en voudrions de te retenir !Elle se tut, semblant attendre une confidence. Elle stait exprime dune voix maternelle et pleine

    de sollicitude. Mais Morwenna ne sy trompa point. Toute lattitude de cousine Patricia dmontrait savolont dentendre la jeune fille lui faire part de ses intentions. Lhumiliation davoir lui avouerlinanit de ses projets lui fut tout coup insupportable. Avant mme davoir rflchi, elle lana : Inutile de vous inquiter pour moi, cousine Patricia. Javais pens vous en parler au djeuner.

    Jai t invite sjourner Trevennon. Dans la famille de ma mre Jy resterai jusqu mon stage Carcassonne au printemps. La lettre est arrive ce matin. Cest une merveilleuse occasion. Ma mredisait toujours avoir trouv en Cornouailles la meilleure inspiration pour peindre.Le regard de Lady Kerslake erra sur les tableaux. Ta mre avait de la famille en Cornouailles? De la famille loigne, rpondit Morwenna, cherchant fivreusement quelques noms au fond de

    sa mmoire. Cest cest oncle Dominic qui ma crit.Un nom qui revenait souvent autrefois sur les lvres de Laura, quand elle lui contait son enfance, en

    la bordant le soir dans son lit. Tout ceci me parat bien soudain, remarqua lady Kerslake en pinant les lvres. Mais je

    suppose que tu sais ce que tu fais? As-tu dj rencontr ces cousins ?

  • Non, mais jai tellement entendu parler deux ! Jai limpression de trs bien les connatre. Dans ce cas, admit sa cousine dun ton aigrelet, cest trs aimable eux de tinviter. Tu

    nabuseras pas de leur gnrosit, je lespre. Tu ne peux souhaiter tre un fardeau pour les autrestoute ta vie ! Enfin ! Si cest seulement jusquau printemps, cela ira.Elle secoua la tte. Alors, djeunes-tu ici ou non? Ne vous en faites pas pour moi. Je vais plutt aller faire mes bagages. Comme tu voudras, admit lady Kerslake, sans dissimuler sa satisfaction.Elle se tourna vers la porte, puis hsita, comme si une pense lui venait soudain. Si tu souhaites emporter les toiles de ta mre, Morwenna, tu le peux. Nous en parlions justement

    avec Geoffrey, hier soir. Il est bon que tu gardes un souvenir delle, mme si ce nest pas lgal. Je neparle pas, bien entendu, des grands tableaux du rez-de- chausse, mais de ceux-ci. Ils ne sont certespas ce quelle a fait de mieux mais doivent avoir pour toi une valeur sentimentale.Si elle stait attendu une gratitude perdue, elle fut due. Morwenna resta impassible et

    remercia du bout des lvres.Reste seule, la jeune fille se laissa tomber sur le sofa, les jambes flageolantes. Mon Dieu, quai-je fait? murmura-t-elle.Elle avait toujours t impulsive. Ctait un trait de famille. Mais de l sembarquer pour la

    Cornouaille chez de parfaits inconnus, sans mme savoir si elle y serait la bienvenue, ctait de lafolie pure ! Dominic, dont parlait si souvent sa mre, tait-il seulement en vie ? Il devait avoir aumoins soixante ans, daprs ses recoupements. Peut-tre ne se souvenait-il mme plus de LauraKerslake !Morwenna se leva et se dirigea vers la fentre. Les yeux perdus sur la longue pelouse, elle

    rflchissait. Il lui fallait un peu de temps pour peindre srieusement et retourner chez LennoxChristie avec des toiles de bonne facture. Si Laura avait trouv sa voie artistique en Cornouaille,pourquoi pas elle? Mais sous quel prtexte se prsenter Trevennon ?Elle revint sur ses pas et sapprta quitter la pice. Soudain, une pense lui vint. Elle ne pouvait,

    bien sr, exiger dtre hberge Trevennon. Mais peut-tre lautoriserait-on, l-bas, y entreposerles toiles de sa mre durant un temps ? Elle pourrait leur expliquer sa situation Cela feraitsrement plaisir cette famille de savoir que Laura Kerslake ne les avait jamais oublis.Ctait au moins un problme rsolu. Elle se sentit soulage en gagnant sa chambre pour y trier ses

    vtements. Un petit espoir stait mme gliss au plus profond delle-mme.Les jours suivants ne furent gure agrables. Ctait se demander ce quaurait t latmosphre, si

    elle navait pas eu lintention de partir ! Sa vie ne fut gure facilite par larrive de Guy avec sondernier flirt. Brune et boucle, Georgina avait un rire donner Morwenna lenvie de mordre ! Mais en juger par lair satisfait de Guy, il navait rien remarquCe fut pourtant lattitude de Vanessa qui surprit le plus la jeune fille. Plus le moment du dpart

    approchait, et plus sa cousine se faisait cordiale. Elle lui proposa mme de laccompagner Londrespour la mettre au train de Penzance. Morwenna accepta, mais sans trop sillusionner sur cechangement dattitude. Elle souponnait Vanessa de lui rendre ce service uniquement pour sassurerde la ralit de son dpart. En outre, sa cousine semblait avoir conu pour Georgina une antipathieinstantane. Il y avait quelque raison cela : si Guy se dcidait sauter le pas et pouser Georgina,sre delle-mme et fire de sa fortune, la vie ne serait gure facile au Prieur !Chaque soir, avant la date de son dpart, Morwenna pleura avant de sendormir. Elle avait mal de

    tout quitter. Mais elle avait peur aussi de linconnu. Pourtant, quand se leva laube du grand jour, ce

  • fut comme si un grand poids lui tait t. Aprs avoir quitt le bureau o elle avait pris cong de sirGeoffrey, elle dchira en mille morceaux le chque quil venait de lui donner.Lady Kerslake retrouva ses formules sucres pour lui dire au revoir, et Morwenna dut se forcer

    pour effleurer sa joue dun baiser.Vanessa lattendait dans le hall en tapant du pied. Elle ne fit aucun effort pour aider sa cousine

    porter dans la voiture sa valise et son sac dos. Morwenna sinstalla sur le sige avant, sansregarder autour delle. Dsormais, le Prieur tait pour elle une terre interdite.Vanessa lui lana un coup dil en coin. Tu es un drle de corps, Morwenna, observa- t-elle. Un instant, tu as lair de tincruster dans la

    place, et la minute daprs, tu tenvoles vers je ne sais o ! Ou plutt, et ce nest pas rien, pour laCor- nouaille ! Tu dois tre compltement folle. Tu aurais au moins pu attendre lt! Mais en pleinhiver Dieu du Ciel !Comme Morwenna ne rpondait pas, elle poursuivit : Jesprais que Guy ferait leffort de descendre te faire ses adieux. Mais il a d craindre une

    scne de Georgina. Inutile de faire des embarras pour moi, rpliqua calmement Morwenna. Oh, voyons, MorwennaVanessa appuya sur le champignon et doubla un camion toute allure, provoquant la fureur de son

    conducteur. Tu sais trs bien ce que je veux dire ! Il sest pass quelque chose entre Guy et toi. Cela ne doit

    pas tre trs agrable pour toi de le voir avec une autre ! Je ne te blme pas de chercher un coin pouraller lcher tes plaies : jen ferais srement autant ta place. Si cela peut te consoler, je peuxtavouer que maman est absolument furieuse. Elle taurait encore prfre Georgina comme belle-fille ! Merci ! jeta schement Morwenna.Vanessa haussa les paules. Tu sais trs bien ce que je veux dire ! Aprs tout, vous tiez trs lis il a eu de la chance de

    sen tirer aussi facilement ! Sans avoir fait de moi une honnte femme ? Cest bien ce que tu veux dire ?Morwenna avait de la peine se contrler. Vanessa lui jeta un regard inquiet. Eh bien pas prcisment. Mais Guy a une liaison avec Georgina, et cest tellement peu cach

    que Tu as aussitt pens que jtais, moi aussi, tombe dans son lit, termina Morwenna. Tu sais, fit Vanessa, Guy a la rputation de ne pas perdre son temps avec des pucelles

    effarouches !Morwenna se mordit cruellement les lvres. Je vois.Elle se fora sourire. Tu peux me croire : nos relations taient bases sur des convenances personnelles. Nous

    avions nous avions tous deux besoin de nous afficher avec quelquun. Je ne le blme pas, du reste,de rechercher des jeunes filles riches. Je fais plus ou moins la mme chose, maintenant. Non? fit Vanessa visiblement intrigue. Y aurait-il un homme ?Morwenna mit un petit rire. Evidemment ! affirma-t-elle sans broncher. Sinon, pourquoi men irais-je aussi loin? Ah! Bon

  • Vanessa paraissait maintenant franchement admirative. Je savais bien que tu ntais pas aussi innocente que tu en avais lair ! Tu le connais depuis

    longtemps ?Morwenna haussa les paules. Assez, fit-elle dun ton lger. Et tu comptes te marier, ou bien suis-je indiscrte ? Cela dpend dun tas de circonstances, rpliqua sa cousine. Je sauterai le pas sil le fautElle eut un petit rire. Mais, si je peux le persuader de payer mes tudes dans une cole de dessin lanne prochaine, je

    nen ferai peut-tre rien. Dans ce cas, fit Vanessa, je te souhaite bonne chance ! Merci, rpliqua Morwenna en souriant. Mais je pense ne pas en avoir besoin.Durant un instant, elle se mprisa de jouer ce jeu, mais cela navait plus dimportance. Elle ne

    reverrait srement jamais Vanessa. Lorsquelle laurait mise au train, cette dernire se dirait Bondbarras ! et loublierait aussitt. Du reste, elle la comprenait. Tant quelle avait habit le Prieur,ses cousins navaient pas d se sentir tout fait chez eux

    Mais elle avait froid dans le dos la pense dtre dsormais seule au monde, face un avenirincertain. Et dire que parfois, dans un moment dhumeur, elle avait souhait quitter labri douillet duPrieur, rejeter la sollicitude de son pre et de Martin, pour vivre libre comme tant de sescontemporains !

    Un peu plus tard, alors que le train sbranlait, son estomac se noua. En dpit de sa crnerie, elleregrettait chacun des mots lancs tout lheure Vanessa. Vers quelles chimres courait-elle ? Pourle meilleur ou pour le pire, elle entreprenait ce voyage. Quelquun avait dit un jour, (mais qui donc?): Voyager heureux vaut mieux que darriver.

    2

    Son humeur, en atteignant Penzance, ne stait pas amliore. Sous une averse diluvienne,Morwenna inspecta les alentours sans enthousiasme. Ignorant quelle distance se trouvait Trevennon,elle nosait prendre un taxi. Ses fonds taient trop bas. Elle pensa un instant passer la nuit en ville,puis renona cette ide. Limportant tait de gagner Trevennon et dy dposer les toiles.

    Elle fit lemplette dune carte du pays et sengouffra dans un bar pour ltudier. Trevennon nyfigurait pas, mais, en buvant son caf et en grignotant un croque-monsieur, elle trouva Port Vennor.

    Lorsquelle sortit de son abri temporaire, une rafale de vent la dsquilibra. Morwenna grommela.Sa mre lui avait bien parl des coups de vent douest, mais elle navait pas imagin y treconfronte ds son arrive. Dun coup dpaule, elle rquilibra son sac dos, et courba la tte pourmieux rsister. Une fois encore, elle se demanda si elle navait pas t compltement stupide dtreainsi partie sans prvenir personne. Une certitude simposait elle, en tout cas : elle allait bienttdcouvrir ce quil en tait.

    A larrt du bus, une personne attendait dj. Ctait une jeune fille, sabritant de son mieux sous unporche voisin. Comme Morwenna dposait sa valise terre, elle lui dcocha un coup dil curieux.

    Sa courte silhouette plutt replte semblait encore plus volumineuse sous les plis de sa longue cape

  • noire. Elle avait un visage arrondi et amical, plutt joli. Elle sourit Morwenna. Triste temps ! Oui, acquiesa Morwenna en inspectant les environs. La nuit tombe vite cette poque de

    lanne. Vous allez loin ? Je ne sais trop. Jessaie de gagner une maison du nom de Trevennon. Trevennon?Son interlocutrice parut interloque. Cest trs loin dici. Il faudra que vous descendiez un endroit appel Trevennon Cross.Elle garda un instant le silence, puis reprit : Ecoutez, je ne voudrais pas tre indiscrte, mais tes-vous tout fait certaine de vouloir aller l-

    bas?Morwenna ntait en ralit plus sre de rien ! Cependant, elle crna. Bien entendu ! Je dois voir M. Trevennon. Dominic Trevennon. Vous le connaissez ? Pas personnellement en fait, il naccueille pas volontiers les gens de lextrieur sur son

    territoire !Morwenna dit adieu limage rassurante quelle stait faite du personnage. Il est donc tellement effrayant? senquit-elle dun ton lger. Cest un salaud, rpondit la jeune fille dun ton bref. Il se conduit comme sil tait le Seigneur

    tout- puissant en personne et saccroche sa vieille masure comme au dernier rempart de Cornouaille! Il dteste les touristes et les visites. Mais bien sr, si vous tes attendue, cest autre chose.Morwenna sentit son cur se serrer. Vous semblez bien le connatre ? commenta-t-elle. Pas par got, je peux vous lassurer ! Mon frre et moi avons un petit atelier de potier Saint-

    Enna, tout prs de Trevennon. Nous dsirons lagrandir et ouvrir une petite boutique. Seulement, nousnavons pas obtenu le permis de construire. Nous devons cela Dominic Trevennon. Il a peur dunsoudain afflux supplmentaire de touristes sur ses prcieuses terres. Il attache un trs grand prix satranquillit, M. Trevennon!Ctait toujours bon savoir, pensa Morwenna en jetant un coup dil sa montre. Le bus nallait

    pas tarder. Il tait encore temps de changer davis. Etait- il possible que cet homme pt tre celuidont sa mre lui avait parl avec tant daffection et de nostalgie ? Je mappelle Biddy Bradshaw, poursuivit sa compagne. Je viens dessayer dcouler notre

    production dans plusieurs boutiques. Seulement, les commerants veulent toucher une commission etcest autant de perdu pour nous !Morwenna se prsenta son tour. Tiens ! Vous avez un prnom du pays, sexclama Biddy dun air intress. Vous tes du coin,

    alors ? Moi, non. Mais ma mre a pass toute son enfance ici.A ce moment, le bus arriva. Biddy monta la premire suivie de Morwenna. Les deux jeunes filles

    changrent quelques considrations topographiques. Morwenna aurait bien aim questionner Biddyplus avant sur Trevennon, mais il y avait foule dans le bus, et elle prfra ne pas tre entendue deleurs voisins.Biddy descendit bientt et lui fournit dultimes indications. Bonne chance! ajouta-t-elle. Si vous restez un peu, venez donc nous rendre visite la poterie.Morwenna hocha la tte en souriant et lui fit un dernier signe, tandis que le vhicule sbranlait.

  • Moins de cinq minutes plus tard, elle se retrouvait seule, dans lobscurit, frissonnant au vent. Ilpleuvait toujours. Remontant son col, elle se dirigea vers le carrefour, en sabritant tant bien que malle long dune haie. La nuit tait maintenant tout fait tombe. Un ple clair de lune luttait mal contrelinvasion dune masse de nuages.

    Elle marcha quelques centaines de mtres avant de sarrter brusquement. Cest stupide ! sexclama-t-elle.Dbouclant son havresac, elle en sortit une lampe de poche et lalluma. Un pinceau de lumire

    anmique balaya la chausse. Bien entendu, les piles taient uses ! Mais cela valait mieux que rien.Un peu plus loin, apparut un grand panneau blanc ; Morwenna sen approcha et lut :

    VOIE PRIVEE VERS TREVENNON SEULEMENT. Elle sengagea dans le chemin. Le vent souffletait son visage et lui hurlait aux oreilles. Soudain,

    comme il atteignait son paroxysme, il y eut un norme craquement. Dans un bruit dchirant, un arbreseffondra en travers du chemin, juste devant elle.

    Morwenna sarrta net. Puis elle posa sa valise et se mit trembler. Elle lavait chapp belle !Lentement, elle sapprocha de larbre et lexamina. Il ntait pas trs gros mais barrait cependant la

    voie. Elle naurait aucune difficult lenjamber, mais le problme tait ailleurs. Le tronc se trouvaitentre deux courbes du chemin. Si une voiture arrivait, le chauffeur rentrerait dedans avant mmedavoir pu lapercevoir.

    La jeune fille essaya de tirer larbre par lune des grosses branches, mais ctait vraiment troplourd. La meilleure solution tait de courir vers la maison et davertir ses occupants.

    Ironiquement, le vent semblait sapaiser. Et, derrire Morwenna, assez loin encore, sleva un bruitde moteur. Elle se retourna, essayant de percer lobscurit du regard. La voiture semblait rouler trsvite. Deux phares jaunes apparurent. A tout moment, maintenant, le conducteur allait arriver surlobstacle.

    Que faire? Morwenna lana son sac et sa valise dans le foss, puis se planta au milieu du chemin etse mit faire des tourniquets avec sa lampe. La voiture parut glisser dans le ciel crpusculaire, puiselle fut sur elle. Morwenna plongea vers le foss. Mais pas assez vite ! Quelque chose laccrocha,une aile peut- tre, et elle seffondra. Il y eut un hurlement de freins. Une portire claqua. Soudain,Morwenna se sentit saisie et force de se redresser, avec une force considrable.

    Il tait grand, et ses mains dures lui faisaient mal. Ce fut sa premire impression. Il paraissait trsbrun et, en tout cas, trs en colre !

    Espce de sacre petite idiote ! Que diable faites-vous ici? Vous auriez pu tre tue!Ses doigts sincrustaient dans son bras, et elle lutta violemment pour se dgager. Vous me trouvez idiote ? hurla-t-elle son tour. Et vous ? Vous croyez que vous ne ltes pas,

    rouler tombeau ouvert par une nuit pareille? Si javais t tue, ce serait entirement de votre faute!

    Elle le sentait bien : elle ntait pas tout fait juste, car il avait frein en lapercevant. Mais, aprsune journe comme cella-l, elle avait besoin dun exutoire.

    Votre logique me parat fascinante, remarqua- t-il avec un froid ddain. Puis-je vous faireremarquer que vous vous trouvez sur une route prive ? Puis-je galement vous suggrer derebrousser chemin et daller exercer vos activits ailleurs?

    Mais jai tent de vous sauver la vie ! scria-t- elle, furieuse de se sentir trembler comme unefeuille. Ou, tout au moins, de vous empcher dtre bless ! Ce serait refaire

    Il y eut un long silence, plein dlectricit. Vous feriez bien de vous expliquer, dit-il.

  • Un arbre vient de tomber sur la route. Juste aprs ce tournant. Jallais me diriger vers la maisonpour donner lalerte, quand vous tes arriv. Alors, jai essay de vous faire signe avec cette damnetorche. Seulement, les piles sont mortes.Il y eut un autre silence. Abruptement, lhomme lana : Attendez ici.Il remonta dans sa voiture, mit le moteur en marche et roula jusquau tournant. Puis il sarrta. Je vous dois des excuses, dit-il alors, dune voix dnue dmotion. Jespre que cela ne vous empchera pas de dormir ! rpliqua-t-elle.Sa voix tremblante trahissait son moi profond. Il soupira en lentendant. Mais ceci nexplique toujours pas ce que vous faisiez ici, lana-t-il. Que sest-il pass? Vous

    vous tes trompe de route? Ce chemin ne mne qu Trevennon, termina-t-elle sa place. Je sais ! Jai appris lire, vous savez. Je me rends

    Trevennon. Je dois rencontrer M. Dominic Trevennon.Elle lentendit distinctement retenir son souffle. Cependant, lorsquil parla, sa voix tait froide et

    dnue dintrt. Vraiment? M. Trvennon vous attend? Non, admit-elle. Je dois vous avouer quil a la rputation dun homme arrogant. Mais, mme sil

    simagine tre le roi de la Cornouaille, je dois le rencontrer. Si jen juge par la description aimable que lon vous a donne de lui, il serait prfrable pour

    vous de passer au large Il me faut le voir, rtorqua-t-elle. Jai un service lui demander. Le croyez-vous vraiment homme accorder des faveurs ?Morwenna secoua la tte. Apparemment non. Mais comme il semble tre un parfait goste, il pourrait tre flatt

    dapprendreque jai travers la moiti de lAngleterre pour lui demander de me rendre un service. De plus, je ne

    suis pas tout fait une trangre Si jtais votre place, je ne me ferais pas dillusions, lana-t-il dune voix mordante. Que

    voulez-vous dire en affirmant ne pas tre une trangre ?Mais Morwenna regrettait dj den avoir trop dit. Dsole, cela me regarde, rpondit-elle. Mais je suppose que vous allez tout droit lui rpter

    notre conversation. Eh bien, allez-y ! Ne vous gnez pas. Je vous rappelle quil y a un arbre en travers de la route ! Je vais faire un dtour par la ferme et

    demander Jacky Herrick damener son tracteur. Si vous vous htez, vous arriverez Trevennonavant moi.Soudain, il parut se rappeler laccident. Etes-vous blesse? demanda-t-il. La voiture vous a peine touche Oh ! Je vous en prie, ne vous occupez donc pas de moi !En ralit, elle avait limpression davoir tout un ct meurtri. Je marrangerai pour arriver bon port. Restez tranquille, dit-il dun ton brusque. Vous vous tes peut-tre fractur quelque chose.Les dents serres, plus de colre que de douleur, elle le laissa terminer un bref mais complet

    examen de ses membres. Merci, dit-elle alors avec une exquise politesse. Vous auriez d tre vtrinaire. Je ne poursuivrai pas plus loin la comparaison, rpliqua-t-il avec une gale courtoisie. Bien que

  • plusieurs reprsentants du rgne animal me viennent lesprit. Ceci me rappelle lorsque vousarriverez Trevennon, faites attention aux chiens. Ils naiment pas beaucoup les trangers.

    Mon Dieu ! sexclama Morwenna en ramassant ses bagages dans la haie.Elle rageait de ne pouvoir le regarder mieux. Il faisait trop sombre pour se rendre compte sil

    plaisantait ou non. Prise de doutes, elle shumecta les lvres. Est-ce que ils mordent? fit-elle. Il parat, rpliqua-t-il, laconique. La meilleure parade est de ne pas bouger. Nessayez surtout

    pas de courir : cela vous serait fatal ! Je limagine aisment, rtorqua Morwenna en rfrnant un dsir forcen de se laisser tomber sur

    le chemin mouill et de se mettre hurler.Au lieu de cela, elle posa une question sense : Ce serait peut-tre mieux si je connaissais leurs noms ? Oui, je le crois. Ils sappellent Whisky et Max. Vous pourrez vous en souvenir ? Je pense, rpliqua-t-elle dun air sinistre. Cest peu prs tout ce que je pourrai me rappeler

    maintenant !En frmissant, elle assujettit le lourd havresac sur ses paules. Puis elle ramassa sa valise. Dieu du Ciel ! Ce nest pas une simple visite, on dirait ! Et combien de temps comptez-vous

    sjourner Trevennon, au juste?Elle lui sourit et sapprta franchir larbre. Tout dpend de la marche des vnements, rpondit-elle. Le roi de Cornouaille aura peut-tre

    une toquade pour moi.Si elle avait espr avoir le dernier mot, elle fut dsappointe. Il aura srement quelque chose pour vous et de prfrence une bonne fesse. Au revoir, jolie

    vagabonde !Tte haute, elle attendit davoir franchi le tournant pour boiter Le vent tait compltement tomb.

    Lair, maintenant, tait plein du bruit de la mer, rugissant avant de se briser sur les falaises de granit.Il ne pleuvait plus. Il bruinait.

    Quelque part, sur sa gauche, elle aperut une lumire. On aurait dit une lampe place tout exprsentre deux rideaux. Au mme instant, la lune mergea des nuages, et Morwenna vit la masse sombre

    de la maison. Le toit et les chemines se profilaient contre le ciel obscur.Ctait peut-tre une folie de ressentir un tel soulagement, un tel sentiment de retour au bercail. Mais

    Morwenna avait tant entendu sa mre lui dcrire ces lieux, que ses yeux semplirent de larmes.Tout prs delle, un chien aboya. Un autre lui rpondit et, lintrieur de la maison, une autre lampe

    salluma. Bien sr , pensa la jeune fille, ils attendent lhomme que jai rencontr tout lheure.Sarmant de tout son courage, elle se dirigea vers la porte principale. Elle songeait la pancarte

    aperue tout lheure. Ctait vrai : la route menait seulement Trevennon. Il avait fallu une bonnedose darrogance pour lever une maison dans un endroit aussi expos aux lments. Une masure,avait dit Biddy

    Une cloche lancienne mode tait accroche sur un ct de la porte. Morwenna la tira, sans trop enattendre de rsultat. A sa grande surprise, les chiens se mirent de nouveau aboyer furieusement. Ilsdevaient tre enferms dans lun des btiments qui flanquaient la maison. Et, tandis quelle attendait,leur aboiement devint frntique, et la jeune fille entendit le bruit sourd de leur corps contre une portede bois. Ce ntait gure rconfortant, et Morwenna pria le Ciel de ne pas lcher les chiens.

    Whisky ! appela-t-elle. Max ! Sages, les chiens !Visiblement, les bons chiens-chiens stonnrent de cette voix inconnue. Ils cessrent daboyer. Ils

  • se mirent alors gmir, souffler et gratter, mais Morwenna ne sen soucia pas trop.Du reste, on venait lui ouvrir. Lestomac contract dapprhension, elle enfona ses poings dans ses

    poches. La porte pivota sur ses gonds avec le bruit appropri.Morwenna se retrouva face un petit homme trapu, engonc dans un grand tablier de boucher. Des

    rides malveillantes sillonnaient son visage. Ses yeux brillants et gris sous des sourcils broussailleuxla dvisagrent avec suspicion. Pas la bonne maison, grogna-t-il, en faisant mine de refermer la porte.Morwenna fit un pas en avant pour len empcher. Elle lui sourit dun air bnin, ignorant son air

    maussade. Monsieur Trevennon ? demanda-t-elle, en arborant une expression confiante. Pas ici, fut la dcourageante rplique. Pouvez vous en aller ! Vous voulez dire quil est parti ? Ou simplement sorti? fit-elle, brusquement angoisse. Pas votre affaire, rtorqua le gnome dun air satisfait. Allez, au revoir ! Je dois fermer cette

    porte.Quelque part lintrieur de la maison, un tlphone se mit sonner. Le visage de lhomme arbora

    une expression encore plus malveillante. Zentendez? Devrais dj avoir rpondu, au lieu de rester l discuter avec vous ! Oh ! Je vous en prie, plaida Morwenna, voyant quil sapprtait lui claquer la porte au nez. Jai

    eu une longue route ! Mme si M. Trevennon nest pas ici, pourrais-je entrer et lattendre? Non, impossible.Il semblait outr. Si M. Trevennon voulait vous voir, il aurait laiss des instructions. Tlphonez demain poliment,

    pour prendre un rendez-vous. Partez, maintenant. Il y a plein de courants dair.La porte tait sur le point de se refermer, lorsquune voix fminine appela : Reste o tu es, Zack ! Tu dois la faire entrer.La femme sapprocha deux et leva un pouce pardessus son paule. Cest lui qui la dit. a te suffit ?Cela suffisait, apparemment, car Zack laissa le battant entrouvert, juste assez pour permettre

    Morwenna de se glisser dans le hall. Elle dposa sa valise, et fit glisser le sac de ses paulesdouloureuses. Zack murmurait un commentaire dsobligeant. Tu donneras ton opinion quand on te la demandera, Zack Hubbard ! lana la femme.Puis elle regarda Morwenna sans inimiti. Vous pouvez attendre dans le bureau, miss. Il y a un bon feu. Voulez-vous une tasse de boisson

    bien chaude, pendant que vous attendez?Morwenna accepta avec gratitude et suivit la femme travers le large hall. Elle se sentait tourdie

    par la soudainet de sa victoire. Aussi ne fit-elle pas trs attention ce qui lentourait. Mais sapremire impression fut celle dun intrieur o la gne rgnait en matresse. La pice dans laquelleelle entra ne fit que confirmer ce sentiment. Un vaste bureau, en pitre tat et couvert de papiers,dominait lensemble. Face la chemine, un sofa recouvert de tissu fan et une petite tableconstituaient le seul ameublement. Le tapis rouge sombre laissait voir sa trame. Sur les murs,recouverts dun papier autrefois fleurs, des taches plus claires indiquaient la place de tableauxdepuis longtemps donns ou vendus.Morwenna se laissa tomber sur le sofa et tendit les mains vers le feu. Tout cela ne paraissait gure

    encourageant. Les Trevennon semblaient avoir eu la vie dure, depuis la dernire visite de sa mre.Sans doute tait-ce la raison pour laquelle Laura Kerslake ntait jamais revenue dans cette maison ?

  • Les Trevennon eux-mmes avaient peut-tre renonc ces runions, prfrant la savoir loigne deleur mdiocrit avec le souvenir de leur splendeurElle avisa son havresac et lattira elle. Puis elle louvrit et en sortit le paquet contenant les toiles.

    Au bout dun instant dhsitation, elle se leva et le dposa sur le bureau. Ctait l son seul passeportauprs de la famille Trevennon.Elle jeta un coup dil sur le monceau de papiers, aperut des journaux et en emporta quelques-uns

    sur le sofa. Elle en dplia un. Il sagissait dune gazette locale. Malgr ses efforts, les lignes semirent danser sous ses yeux, et elle comprit quelle tait plus fatigue quelle ne lavait pens.La porte souvrit, et la femme entra, portant un plateau. Elle le plaa sur la petite table et lana

    Morwenna un regard scrutateur. Quelque chose ne va pas? demanda cette dernire. Vous ressemblez une personne de ma connaissance. Je ne peux pas me rappeler de qui il sagit.

    Mais a me reviendra !Le cur de Morwenna battit un peu plus fort. Cette femme avait-elle connu sa mre? Avant davoir

    pu poser une question, elle entendit battre une porte. La voix de Zack tonitrua : Inez!La femme leva les yeux au ciel et se dirigea vers la porte. Elle referma soigneusement derrire elle.Morwenna considra le plateau avec amusement. Sur une petite serviette th, on avait pos une

    thire, une tasse et une soucoupe, et un petit plat contenant deux toasts beurrs. Aucun de ceslments ntait assorti lautre. Mais le th tait fort et parfum. Elle le but comme un nectar.Lorsquelle eut termin, elle sadossa nouveau au sofa et ferma les yeux. En dpit de ses

    incertitudes, elle se sentait rchauffe et en paix. Toutes sortes dimages se mirent danser sous sespaupires closes. Ctait agrable de les contempler et de sentir la chaleur du feu dissiper la fatiguede ses membres rompus.Morwenna navait aucune ide de la longueur du temps pendant lequel elle avait dormi, pas plus

    que de ce qui lavait rveille. Pourtant, elle retrouva instantanment sa lucidit et se redressa,stupfaite. Il faisait beaucoup plus clair dans la pice. Elle en comprit la raison en voyant allumeune lampe puissante pose sur le bureau.Il y avait un homme. Ds quelle le vit, elle reconnut celui quelle avait rencontr dans le chemin. Il

    tait brun, aussi sombre que la nuit derrire les fentres, grand et mince. Son visage semblait avoirt taill dans le granit des falaises nez fier, menton accus, lvres fermes le tout complt pardes yeux noirs aux lourdes paupires, fixs en cet instant sur les tableaux tals sur le bureau.Des hommes comme lui, pensa-t-elle immdiatement, devaient tre contrebandiers ou naufrageurs !Il dut sentir son regard pos sur lui, car il leva les veux. Morwenna se recroquevilla devant leur

    expression. Puis elle tenta de se persuader quelle rvait encore. Mais sa voix, lorsquelle sleva,tait bien relle. Qui diable tes-vous? dit-il. Et que faites-vous ici ? Je vous donne deux minutes pour rpondre

    avant de vous jeter dehors !

    3

  • Durant un instant, Morwenna resta ptrifie. Puis elle se releva avec imptuosit. Son chignon sedfit, et la masse de ses cheveux soyeux croula sur ses paules.

    Mais qui tes-vous donc, sinsurgea-t-elle, pour oser me traiter ainsi? Et comment avez-vous osouvrir ce paquet ? Il tait destin monsieur Trevennon. Vous avez un toupet diabolique !

    Je ne vois pas qui pourrait avoir le meilleur droit, rpondit-il dun ton dhostilit glaciale. Cestvous, lintruse, ici, pas moi! Le temps vous est compt ; aussi, je vous conseille de rpondre trs vite mes questions.

    Elle releva la tte et le dfia. Je nai rien vous dire, fit-elle. Je dsire parler monsieur Trevennon et personne dautre.Il y eut un silence prolong, charg dlectricit. Je me demande, observa-t-il, si vous nessayez pas de jouer avec moi un petit jeu susceptible

    dattirer mon attention? En ralit, vous savez parfaitement qui je suisDurant une minute, Morwenna resta muette. Elle laissa son regard errer sur lui, essayant

    dsesprment de refuser lvidence. Non, murmura-t-elle enfin. Ce ce nest pas vrai ! Vous ne pouvez pas tre Mais je vous assure bien du contraire ! Comment mavez-vous appel, au fait? Le roi de

    Cornouaille, je croisIl eut un rire plein de drision. Et voici mon chteau ! Non!Morwenna enfouit son visage cramoisi entre ses mains. Vous ne pouvez pas tre Dominic Trevennon ! Vous ntes pas assez vieux.Il eut un rire de mpris. Si cest une tentative de flatterie Pas du tout, lana-t-elle. Mais, daprs mes recoupements, Dominic Trevennon devrait avoir au

    moins soixante ans, maintenant.Il ne parut pas surpris. Il hocha simplement la tte comme pour confirmer ses dires. Maintenant, reprit-il calmement, veuillez me dire qui vous tes et la raison de votre prsence ici. Il sagit visiblement dun malentendu, rpondit- elle. Je nai plus qu mexcuser et mclipser.

    Puis-je rcuprer mes toiles, je vous prie?Il ignora sa main tendue. Pas sans explications, rtorqua-t-il. Vous aviez une faveur me demander, si mes souvenirs sont

    bons ?Elle eut un petit sourire dsol. Pas vous. Mais une personne probablement disparue, maintenant. Votre pre, peut-tre, ou Mon oncle, termina-t-il sur le mme ton. Il existe toujours, je vous remercie. Il doit tre dans sa

    chambre, pench sur son jeu dchecs.Elle lui adressa un regard stupfait. Alors puis-je le voir? Non. Vous rglerez votre problme avec moi.Il eut un mouvement de la main en direction des peintures. Je suppose quil sagit de cela. Si vous aviez lintention de nous les vendre, je vous prviens :

    vous perdez votre temps.Elle protesta. Ses yeux couraient sur les places claires sur les murs. Il avait suivi son regard et eut

  • un mince sourire. Vous ne vous trompez pas. Il y avait autrefois des toiles accroches ici. Elles avaient beaucoup

    plus de valeur que ce que vous me montrez l !Morwenna se mordit la lvre. Jadmets que ce nest pas ce quelle a fait de mieux. Mais elles ont une certaine valeur

    sentimentale. Du moins, je le croyais jusqu prsent. Sinon, je ne serais pas venue ici.Il semblait intrigu. Ces toiles sont de ma mre, expliqua-t-elle. Ma mre, Laura Kerslake, a vcu ici lorsquelle tait

    jeune. Les Trevennon ont t sa seule famille jusqu son mariage. Elle avait perdu le contact avecvous tous, je ne lignore pas, mais

    Cest elle qui vous a envoye? demanda-t-il dun ton glacial.La gorge serre, Morwenna secoua la tte. Elle est morte il y a plusieurs annes. Je suis dsol, dit-il.Ce ntait quune formule, ctait visible.Morwenna releva la tte. Je suis heureuse, dit-elle, que ma mre ne soit pas l pour constater quel point elle a t

    oublie par ceux quelle chrissait. Vous avez des jugements trop rapides.Il enfona ses mains dans ses poches. Vous avez dit vous-mme que votre mre avait perdu le contact avec les Trevennon. Vous est-il

    arriv de vous demander pourquoi ? Elle vous a peut- tre racont des bribes de sa vie ici. Maisavez-vous jamais entendu parler de la dtresse quelle a laisse derrire elle ?

    Vous mentez ! Je nai aucune raison de le faire ! dit-il en haussant les paules. Cela vous parat sans doute

    inconcevable, et Laura Kerslake a d vous fournir une version plus brillante des faits, mais cestlexacte vrit.

    Ce ne furent pas ses paroles, mais plutt sa faon de parler, rvlant clairement son indiffrence aufait dtre ou de ne pas tre cru, qui emportrent sa conviction. Morwenna fixa sur lui un regardincertain.

    Il rompit enfin le silence. Au fait! Et votre pre, le galant sir Robert? Sait-il que vous tes ici ? Mon pre est mort galement et mon frre Martin aussi. Il se sont tus en voiture, il y a

    quelques semaines. Ce sont des cousins qui ont hrit des biens, et du domaine. Tout ce qui me resteest l

    Elle montra les tableaux. Mon Dieu ! dit-il calmement. Voil ce quil en est ! Les histoires de votre mre ont d beaucoup

    vous marquer. Il y a trente-cinq ans, elle a trouv refuge ici, aprs avoir perdu ses parents. Vous enfaites autant !

    Il secoua la tte dun air incrdule. Sur le plan tactique, je vous accorde dix sur dix ! Quel dommage de vous tre si totalement

    trompe quant laccueil espr !Le mpris tait tel dans sa voix, que Morwenna sentit sa peau se hrisser. Quel plaisir ce serait de

    le frapper, de planter ses ongles dans ce visage sombre. Il ne dit rien, mais ses traits parurent reflterson amusement constater sa lutte intrieure.

  • Vous aussi, vous jugez trop vite !Elle le dfia du regard. Jadmets tre venue ici la recherche dune place pour ces peintures. Je pensais vous les

    confier en attendant de trouver un endroit o me loger. Si vous ne le faisiez pas pour moi, vouspouviez au moins le faire en souvenir de ma mre, avais-je imagin. Maintenant, je sais que je mesuis trompe.

    Il partit dun rire bref et sans joie. Compltement ! Ainsi, voil la faveur que vous vouliez me demander ! Jai peur de ne pouvoir

    vous faire ce plaisir. Il y a encore dans cette maison des personnes susceptibles de souffririnutilement au souvenir de votre mre. Mon oncle en fait partie. Il est trs malade depuis quelquesannes. Vous comprendrez ma volont de ne pas le bouleverser.

    Morwenna pouvait peine en croire ses oreilles. Qutait-il arriv pour laisser aprs tant dannesune telle amertume ? Pourtant, elle ne pouvait imaginer sa mre faisant du mal quiconque. Riennavait jamais assombri les souvenirs tendres voqus dans la mmoire de Laura par le nom deDominic Trevennon.

    Elle frissonna. Je ne peux prtendre savoir ce qui sest pass ici, dit-elle, en faisant un gros effort pour affermir

    sa voix. Je vais donc men aller et vous demander de mexcuser.Elle ramassa son havresac et se dirigea vers la porte. Mais il sinterposa. Attendez une minute, lana-t-il dun ton premptoire. Ce nest pas aussi simple ! Quespriez-

    vous gagner au juste, en venant ici ? Trs peu de chose, rpondit-elle dune voix lasse, la tte baisse. Quelques centimtres de votre

    espace. Cest tout. Ctait encore trop demander des trangers, je le vois bien. Simplement jenavais jamais pens aux habitants de cette maison comme des trangers.

    Comme cest touchant ! commenta-t-il, cynique. Dommage de navoir pas pens crire ou tlphoner au pralable ! Vous vous seriez pargn un voyage difficile. Je dois vous avouer que je nesuis pas trs convaincu par votre histoire. Nous naccueillons pas les paves ici, dsormais. Vousdevez en remercier la mmoire de votre mre.

    Morwenna leva une paule rsigne. Croyez ce quil vous plaira, dit-elle. Je vous ai racont la stricte vrit. Allons, voyons, miss Kerslake ! Vous voulez me faire vraiment croire qu aucun moment vous

    navez pens trouver ici un refuge pour vous-mme ?Oh ! Comme il aurait t merveilleux de relever la tte et de lui renvoyer ses insinuations au visage.

    Mais elle ne pouvait mentir. Pas mme pour sauver sa peau. Non, dit-elle paisiblement. Je ne peux nier y avoir pens un bref instant.Tout en parlant, elle avait lev les yeux. Il eut une expression bizarre, comme sil tait surpris de

    son aveu. Mais pourquoi, aprs tout? Il avait ce quil voulait. Rassemblant ses dernires forces, ellebaucha un mouvement vers la porte. Il ne fit cette fois aucun effort pour lempcher de partir.Comme elle allait tourner la poigne, le battant souvrit violemment, et elle fit un pas en arrire sanspouvoir rprimer un petit cri de surprise.

    Tonnerre ! Je suis navr !Debout dans lencadrement de la porte, le jeune homme, au regard dabord inquiet, la contempla

    aussitt aprs avec une franche admiration. Vous ai-je heurte ? Jignorais tout fait votre prsence ici. Je te croyais seul, Dom, aussi La jeune personne nous quitte, dit Dominic Trevennon dune voix aussi glaciale que la bise

  • hivernale. Vraiment?Le nouveau venu ne cachait pas son dsappointement. Quel dommage ! Vous habitez dans la rgion ? Cest tout fait temporaire. Je dois retourner Londres.Morwenna nosa pas lever les yeux vers Dominic Trevennon. Mais, lide de se retrouver dans

    lobscurit orageuse de cette nuit et de se mettre chercher un abri, elle se sentait anantie. Honnteavec elle-mme, elle reconnaissait avoir espr rester pour la nuit dans cette maison et sy restaurer.Il ne fallait pas trop corner ses maigres pargnes. A tout prendre, ce voyage en Cornouaille allaitsavrer la plus coteuse de ses catastrophiques impulsions. Et non seulement sur le plan financier.Sa confiance en soi tait aussi largement brche. Son seul dsir, maintenant, tait de quitter cettemaison inhospitalire, de ne plus voir cet homme si dur, si insensible. Elle avait besoin dun peu depaix pour rflchir. Sa mre semblait avoir cr de toutes pices un monde imaginaire autour de sonsjour Trevennon. Il fallait essayer de savoir pourquoi. Si vous dsirez vraiment vous en aller, reprit le jeune homme, je ne peux gure vous en

    empcher. Mais conduisez avec soin. Un arbre sest croul en travers de la route, cette nuit. Lorsqueje suis pass, Jacky Herrick tait en train de lenlever avec son tracteur. Mais il pourrait y en avoirdautres.Elle lui sourit avec effort. Alors, cest aussi bien que je sois sans voiture, dit-elle. Jespre trouver quand mme des

    autobus sur la grande route ? Oui, mais peu et pas souvent.Il ltudia un instant, sans dguiser sa curiosit. Enfin, il se retourna vers Dominic Trevennon.

    Celui- ci avait observ la scne, un sourire sardonique au coin des lvres. Dom ! Que se passe-t-il ici ? Ce nest pas srieux ? Tu ne vas pas la renvoyer cette heure et par

    ce temps ! Il y a ici au moins une demi-douzaine de chambres inutilises Oh, je vous en prie, intervint Morwenna, alarme. Je dois vraiment men aller. Trs bien. Alors, je vais vous raccompagner en voiture.Il lui dcocha un sourire si plein de charme quelle se sentit tout coup rchauffe. O tes-vous descendue ? A lhtel Towers, Port Vennor ? Euh non.Morwenna rflchit toute vitesse. En fait, je suis chez des amis. Mais ne vous drangez pas pour moi. Cela ne me drange pas. Dom, ne reste donc pas comme a ! Dis-lui de rester ! Quas-tu ? Tu

    nallais tout de mme pas la laisser partir en pleine nuit.Dominic Trevennon leva un sourcil hautain. Franchement, cela ne me concerne en rien. Miss Kerslake ma dj montr de quoi elle est

    capable, et je ne me fais pas de souci pour elle. Miss Kerslake?Dominic Trevennon hocha la tte. Tu as bien entendu. Et maintenant, pour en finir avec les prsentations, miss Kerslake, voici mon

    frre Mark.Il lui serra chaleureusement la main. Cependant, Morwenna saperut dun changement dans son

    comportement vis--vis delle. Si le fait de connatre mon identit vous incite revenir sur votre offre de me ramener, dit-elle

  • avec beaucoup de douceur, je comprendrai trs bien Quoi ? Oh, non !Mark Trevennon la considrait avec embarras. Je vous emmnerai partout o vous voudrez aller. Ds que vous le voudrez.Sans un regard pour Dominic Trevennon, elle franchit la porte. Mark la suivit.A lextrieur, tait gare une Austin-Mini. Mark dverrouilla la porte ct passager et aida la jeune

    fille sinstaller. Puis il sassit son tour. Je suis navre de tout ce qui vient de se passer, commena Morwenna avec maladresse.

    Jignorais tout de cette rupture entre votre famille et ma mre.Il eut un sourire contraint. Vous avez d avoir un sacr choc ! Voyez-vous, fit Morwenna, les mains serres sur son giron, jignore tout de ce que ma mre est

    suppose avoir fait, monsieur Trevennon. Votre frre parlait de misre, de vies ruines. Je ntaisquune enfant lorsque ma mre est morte. Cependant, je ne me la rappelle pas comme une personnedestructrice. Elle tait trs tendre. Ctait une cratrice au contraire. On se sentait attir par elle.

    Oui, cest bien cela Que voulez-vous dire ?Il haussa les paules. Oh ! Oubliez cela. Je trouve inutile de fouiller le pass. Je suis dsole pour vous du

    comportement de Dom, mais tout na pas t trs facile pour lui. Votre arrive a d tre la derniregoutte. Au fait, pourquoi tes-vous venue ?

    Morwenna baissa la tte. Je voulais demander votre frre de garder quelques toiles pour moi, dit-elle dune voix

    blanche.Il lui coula un regard aigu. Vous voulez parler des tableaux de votre mre ?Elle hocha la tte. Il sifflota. Dieu du Ciel ! Cest ce qui sappelle lcher le chat parmi les souris ! Mais jignore totalement pourquoi ! sexclama Morwenna, le visage blme. Je vous en prie,

    faites demi-tour. Il me faut retourner chez vous. Pourquoi ?Il avait frein et arrt la voiture le long de la route. Il semblait impatient. Croyez-moi, rtorqua Morwenna. Si javais le choix, je napprocherai plus jamais cette maison.

    Mais jai laiss ces toiles dans le bureau de votre frreMark frona les sourcils. Puis il soupira. Ecoutez, mon petit. Il vaudrait beaucoup mieux pour tout le monde nous en tenir notre dcision

    premire. Nous vous apporterons vos toiles demain matin. Daccord?Elle tait trop lasse pour discuter, maintenant. Vous y connaissez-vous en bateaux? lui demanda-t-il soudain, en remettant la voiture en marche.Morwenna secoua la tte ngativement. Lorsque vous tiez enfant, navez-vous jamais entendu parler du Lady Laura ? insista-t-il.Elle lui lana un regard interrogateur. Le Lady Laura , expliqua-t-il, tait un bateau. Un nouveau bateau dessin par mon oncle Nick.

    Une ligne rvolutionnaire. Depuis la guerre, les Trevennon ont achet un petit chantier naval PortVennor. Vous ntiez pas au courant ?

  • Elle fit un nouveau signe de dngation. Il parut presque incrdule. Votre mre, Laura Warrender avant son mariage, avait le don de sduction. Chacun se sentait

    attir par elle. Cest du moins ce que jai entendu dire. Mais de ce don prcieux, nous ne sommes pasencore remis, ici !

    Je ne puis croire que nous parlons de la mme personne, souffla Morwenna, stupfaite. Vousvous en faites une sorte de beau monstre.

    Saviez-vous quelle devait pouser oncle Nick ? Non! Le Lady Laura devait tre son cadeau de noces. Tout le monde le savait. Ce bateau allait

    faire la fortune du chantier, de la famille et des habitants de Port Vennor. Puis votre pre arriva. Iltait en vacances ici. Il venait rgulirement chez nous. Personne ne ralisa ce qui se passait jusquaumoment de leur fuite. Ensemble. Mais, en mme temps, les plans du Lady Laura disparurent.

    Et vous croyez ma mre capable de oh ! Oncle Nick ne voulait pas le croire non plus.Il marqua une pause, puis reprit : Jusquau jour o il dcouvrit le Lady Laura au Salon de la Marine. Enfin, ce ntait plus son

    nom ! Les gens qui lavaient construite, avec des matriaux meilleur march, avaient fait du bontravail de copie. Oncle Nick ne pouvait prouver le vol. Tout le monde tait au courant, et on lui a riau nez, alors. Quelquun lui dit mme de mieux choisir ses petites amies, lavenir !

    Mon Dieu ! souffla Morwenna. Que se passa- t-il aprs?Il soupira. Nous avons bien failli tre ruins. Notez bien que je ntais pas n, ce moment. Dom ma tout

    racont. Vous comprenez, maintenant, pourquoi vous navez pas t trs bien accueillie ?Morwenna resta longtemps silencieuse. Je ny crois pas, dit-elle enfin. Vous ne lavez pas connue, vous en convenez. Vous ne pouvez

    savoir quelle femme merveilleuse elle tait. Du reste, votre histoire semble galement impliquer monpre

    Il parut gn. Nous ignorons quel fut son rle dans cette affaire. Pour aggraver lhistoire, il venait de se fiancer

    avec une jeune fille de la rgion. Une amie de la famille. Vous imaginez le scandale ! Oui, rpondit Morwenna, interdite. Cependant, aprs avoir entendu ce que vous venez de me

    dire, Mark, je ne puis toujours pas croire la culpabilit de ma mre. Du reste, quelquun a-t-iljamais essay de la contacter ? De lui demander une explication ?

    Non, fit-il, surpris. Personne ne voulait plus la voir Puis oncle Nick eut une lgre attaque, il ya quelque temps. Vous comprenez la raction de mon frre, tout lheure? Il va un peu mieux, maisvous voir, vous ou les toiles de Laura, pourrait lui tre fatal.

    Il stoppa la voiture au carrefour avec la route principale : Et maintenant, dites-moi o je dois vous dposer. Vous avez parl damis, tout lheure. Ctait

    vrai ?Elle se mordit les lvres. Mais si ! Je sais o aller ! Je vais descendre l. Lorsque jaurai une adresse dfinitive, je vous la

    donnerai. Vous pourrez alors me rapporter les peintures. Jen serai heureux, dit-il avec un tout petit peu trop dempressement. Vous savez je suis dsol

    que les choses aient si mal tourn. Jen suis aussi dsole, rpliqua-t-elle dun ton uni.

  • Elle se retrouva bientt seule larrt du bus. Il faisait noir, et elle attendit longtemps. Elle avaitdcid dailer retrouver Biddy dans son atelier. Elle lhbergerait srement volontiers pour la nuit.En tout cas, elle ne stait pas trompe sur le genre de rception rserve aux visiteurs de Trevennon!

    Soudain, un bruit de moteur troua sa solitude. Elle se redressa. Mais ce ntait pas lautobus. Ctaitune voiture, roulant assez lentement. Instinctivement, Morwenna leva le bras. La voiture la dpassa,puis ralentit et la jeune fille poussa un soupir.

    Vous allez loin? lui demanda une dame dun certain ge en se penchant par la vitre ouverte. A Saint Enna seulement, rpondit Morwenna. Ce nest pas trs loin, mais jai beaucoup march

    aujourdhui et ma valise est trs lourde. Nous allons arranger cela, dit la femme. Ronald ! Veux-tu ouvrir le coffre ?Son mari tait en train de le refermer, lorsque les phares dune autre voiture trourent la nuit.

    Eblouie, Morwenna ferma les yeux. Quand elle les ouvrit nouveau, elle saperut que la voitureavait stopp derrire lautre. Un homme venait vers eux, et, en elle, la peur remplaa la surprise. Elletreignit le bras de Ronald.

    Pourrions-nous repartir tout de suite, sil vous plat ?Dj, il tait trop tard. Ainsi, vous voil !Dominic Trevennon, mains dans les poches, se planta en face deux : Et o donc croyiez-vous aller, jeune femme ?Elle le fixa un moment avec stupfaction. Comme si cela pouvait vous intresser ! lana-t-elle.Il lignora et sadressa au couple effar. Dsol si cette enfant terrible vous a drangs, dit-il. Je vais la ramener la maison.Il lui prit le bras, mais elle se dgagea, furieuse. Etes-vous devenu fou ?Elle saperut de lembarras du vieux couple et se mit les supplier de lemmener avec eux. Je ne vis pas avec lui, ajouta-t-elle. Cest un tranger pour moi. Il faut me croire ! Allons, cessez de vous conduire comme un bb ! Montez dans la voiture, lana Dominic dun

    ton sec. Ce nest pas parce que nous avons eu un petit diffrend quil faut en faire un drame !Elle laurait tu ! Alors, elle se mit lui crier sa rage au visage. Il en profita pour hausser les

    paules et faire des mimiques en direction du couple atterr. Mais je vous assure, plaida-t-elle, il ne me connat presque pas ! Allez-y ! Demandez-lui mon

    prnom. Il est incapable de vous le dire ! Cela parat raisonnable, murmura Ronald, le regard fix sur ses pieds. Heu connaissez-vous le

    prnom de cette personne ?Dominic Trevennon la lcha. Morwenna croisa ses yeux triomphants. Son nom, dit-il tranquillement, est Morwenna. Mais vous ne pouvez pas le savoir! Je ne vous lai pas dit. Mme pas Mark !Frustre de sa victoire, elle tremblait. Mais, en un instant ce fut termin pour elle. Ronald referma

    son coffre et remonta dans sa voiture, non sans rire tout bas dune plaisanterie murmure parDominic. Puis ce dernier revint vers elle, et ses doigts se refermrent sur son bras. Tte haute, elle lesuivit. Il ouvrit la portire ct passager et la poussa, sans douceur, sur le sige.

    Vous ne vous en tirerez pas aussi facilement, ragea-t-elle, tandis quil sinstallait auprs delle.Je vous le promets ! Je vous ferai regretter cela !

  • Je le regrette dj, rpliqua-t-il avec lassitude. Je vous ramne Trevennon, non par dsir devous y voir, mais parce que votre petit mange a trs bien march. Mon oncle veut vous voir.

    Votre oncle? Mais vous disiez Je sais trs bien ce que jai dit. Je ne voulais mme pas laisser mon oncle souponner votre

    petite existence. Mais je vous avais sous-estime, miss Kerslake ! Ctait un coup de gnie de laisserces toiles sur mon bureau, comme par inadvertance ! Vous avez joliment entortill Inez, galement.

    Je ne vois pas ce que vient faire votre gouvernante dans cette histoire, remarqua-t-elle. Inutile de nier votre faon de jouer de votre ressemblance avec votre mre. Inez na pas manqu

    de la remarquer. Les toiles ont fait le reste. Franchement, je ny avais mme pas pens, rpliqua-t-elle dune voix lasse. Si jai laiss ces

    peintures, ctait un pur oubli. Jtais bouleverse, comprenez-vous? Mark ne vous a pas dit Mark ma dit, si. Mais il est encore trs impressionnable ! Facilement touch par de beaux yeux

    et des courbes fminines. Cest un gibier facile ! Vous aurez plus de difficult avec moi, jen ai peur! Je nessaierai mme pas ! Comme je vous lai dj dit, je nai pas lintention de perdre mon

    temps sous votre toit. Comme vous navez srement pas apport ces toiles avec vous, je vousdemande seulement de me laisser larrt du bus le plus proche. Ensuite, je me dbrouillerai.

    Il retroussa les lvres en une sorte de rictus. Ma chre enfant, je nai plus ces toiles. Elles sont maintenant dans la chambre de mon oncle. Et

    mon oncle dsire vous voir.Elle manifesta clairement son incomprhension. Inez a trouv les peintures, expliqua-t-il. Elle les a aussitt montes oncle Nick. Inez nen fait

    jamais qu sa tte. Elle avait une vritable prdilection pour votre mre on se demande pourquoi!Il profra distinctement un juron. Excusez-moi, fit-il. Mais aprs toutes ces annes ! Nos blessures taient encore mal

    cicatrisesMorwenna fit un effort pour allger latmosphre. Si javais eu la moindre ide de toute cette histoire, dit-elle, je ne serais jamais venue. Je

    jespre seulement que la vue de ces peintures ne va pas aggraver ltat de votre oncle ? Heureusement non, rpondit-il. Mais, sil dsire vous voir, vous ne pouvez vous drober. Vous

    lui devez au moins cela. Parce que je suis la fille de mes parents ? Sil vous plat dinterprter ainsi mes paroles!Ils roulrent quelques instants en silence, puis Morwenna demanda : Comment avez-vous su mon prnom ?Son visage prit une expression sardonique. Simple dduction, dit-il. Morwenna est un prnom familial. Il semblait raisonnable de penser

    que Laura Kerslake laurait donn sa fille. Elle nous aura aussi vol cela !Ils arrivaient. Morwenna sortit de la voiture et se dirigea dun pas aveugle vers la maison.Inez la reut dans le hall. Oh ! La fille de miss Laura ! Comment ne vous ai-je pas reconnue tout de suite, ma chrie ?Morwenna se sentit crase contre sa vaste poitrine. Derrire elle, Dominic Trevennon dit dune

    voix glaciale : Gardez vos transports pour un meilleur moment, Inez ! Jaurai vous dire deux mots galement.Inez ne se laissa pas impressionner. Comment ! La fille de miss Laura tait dans la maison, et vous auriez voulu que je nen parle pas

  • M. Nick? Eh bien, il le sait maintenant. Vous pouvez la faire monter. Impossible. Monsieur dort. Il faut attendre demain. Il dort ?Son visage sassombrit comme un ciel dorage. Miss Kerslake reprend son train demain matin.Inez haussa les paules. Je ny peux rien. Il tait nerv, alors je lui ai donn un de ses comprims. Maintenant, il dort !Il lui lana un long regard scrutateur. Je vois. Autant pour moi ! Avez-vous une chambre prte pour miss Kerslake ? Je suppose que je

    nai mme pas besoin de le demander ? Non, en effet ! scria Inez. Elle en a besoin, la pauvre me ! Venez donc avec moi, ma chrie.Morwenna aurait d protester, repartir chercher un htel Port Vennor, elle le savait. Mais elle

    tait puise. Du reste, Inez ne laurait pas laisse sen aller. Aussi la suivit-elle avec obissancedans lescalier. La gouvernante lemmena dans une vaste chambre. Un bon feu brlait dans lachemine. Sur le lit, dj fait, tait pose une chemise de nuit de coupe ancienne. Morwenna lasouleva et lexamina. Puis elle posa sa joue contre le tissu lger. Silencieusement, de grosses larmesdbordrent de ses yeux. Inez fut prs delle aussitt, lenveloppant dans ses bras chaleureux.

    L, l, mon petit ! Ny pensez plus. Une bonne nuit de sommeil, cest ce quil vous faut ! Tout iramieux demain.

    Mais lorsquelle se retrouva seule, en dpit de son extrme lassitude, le sommeil fut trs long venir. Sa dernire pense cohrente, avant de sombrer dans une somnolence agite, futlapprhension dun jour encore pire que le prcdent !

    4

    Lorsquelle sveilla, un ple soleil filtrait travers les rideaux brochs. Elle resta trs calme uninstant, essayant de rappeler ses souvenirs ; puis la mmoire lui revint, et elle roula sur elle-mme entouffant un gmissement. Sa nuit ne lavait pas vraiment repose. Elle tait tendue et, lide derencontrer Nick Trevennon, elle sentit le cur lui manquer.

    Elle regarda autour delle. On lui avait mont ses bagages. Elle allait donc pouvoir se changer. Ellese leva et se dirigea vers la salle de bains contigu.

    Elle rflchit en prenant son bain. Elle ne comprenait toujours pas pourquoi Nick Trevennondsirait la voir. Aprs tout ce qui stait pass ! Que pouvait-il lui dire? Elle ne supporterait pas, coup sr, des accusations contre ses parents. Elle tait pour linstant incapable de les rcuser maiselle ny croyait pas. Elle soupira. Si seulement elle navait pas t si jeune ! Elle pourrait peut-tre,avec plus dexprience, se faire une opinion, essayer de rappeler ses souvenirs, y retrouver desrticences dans les propos de sa mre, ou des indications. Mais dune chose au moins, elle tait prte jurer : sa mre navait jamais eu le comportement dune coupable.

    Il tait dix heures lorsquelle descendit au rez-de- chausse. Elle avait faim. Toutes les portesdonnant sur le hall taient fermes.

    Elle se tenait au pied de lescalier et regardait autour delle, quand la porte dentre souvrit toute

  • grande. Deux normes chiens se prcipitrent en se bousculant. Tout de suite, ils laperurent et semirent aboyer, les oreilles dresses de faon menaante. Morwenna se figea sur place.

    Allons, les chiens, dit-elle dun ton apaisant.Mais sa voix avait une intonation peu naturelle,mme ses propres oreilles. Les molosses ne sy

    tromprent pas. Leurs aboiements devinrent assourdissants.Morwenna regarda autour delle avec nervosit. Allait-on enfin venir son aide ? Soudain, la

    suite des chiens, une jeune fille pntra dans le hall. Elle tait grande et mince. Ses cheveux noirstaient coups trs court, sculptant sa tte. Elle portait avec une lgance nonchalante un ensemblepantalon beige sur un chemisier de soie blanche.

    Elle sarrta net en apercevant Morwenna. Les chiens se prcipitrent vers elle. Elle leur caressa latte, tout en observant Morwenna avec surprise.

    Qui tes-vous? demanda-t-elle dun ton froid.Il tait tentant de lui rpondre que cela ne la regardait pas, mais Morwenna rsista la tentation. La

    nouvelle venue semblait connatre parfaitement les matres. Je mappelle Morwenna, rpondit-elle avec la mme brivet.Etonne, elle vit la jeune fille sursauter et la scruter avec encore plus dintensit. Vous essayez dtre drle? demanda-t-elle enfin. Sil en tait ainsi, ce ne serait pas trs russi, rtorqua Morwenna. Les chiens ne sont plus

    dangereux ? Oh ! Ils ne vous feront rien, observa la jeune fille dune voix indiffrente. Ils sentent seulement

    votre peur et en profitent pour tenter de vous intimider !Morwenna commenait se fcher. Cest une manie dans cette maison, lana-t-elle. Pourriez-vous mindiquer la chambre de M.

    Treven- non, je vous prie? M. Trevennon ? senquit la jeune fille en fronant les sourcils. Je ne vois vraiment pas Cest trs bien, Karen, je vais moccuper de cela !Dominic Trevennon venait de sortir du bureau. Ctait la premire fois que Morwenna le voyait au

    grand jour, et elle lobserva avec curiosit. Il portait un costume, aujourdhui. Ces vtementsclassiques ne lui convenaient pas, songea Morwenna. Il tait fait plutt pour le pourpoint et lesbottes. A la limite, elle le voyait trs bien avec un anneau loreille !

    Elle prit conscience soudain du regard de Dominic pos sur elle. Il semblait lire en elle Elledevint cramoisie.

    Bonjour, miss Kerslake, dit-il avec courtoisie. Vous avez bien dormi, jespre? Avez-vous prisvotre petit djeuner?

    Furieuse contre elle-mme, elle sentendit bgayer une rponse inaudible.Il leva un sourcil sarcastique. Rassurez-vous : nous navons pas lintention de vous laisser mourir de faim. Vous trouverez

    srement Inez la salle manger, avec tout ce dont vous aurez besoin. Merci, murmura-t-elle sans le regarder. Quand vous aurez djeun, poursuivit-il, Inez vous emmnera chez mon oncle. Co comment va votre oncle, ce matin? demanda-t-elle en shumectant les lvres. Il semble aller assez bien. Ds son rveil, il vous a demande je vous serais reconnaissant de

    rester avec lui le moins longtemps possible, cependant. Ne vous inquitez pas, rtorqua-t-elle. Je suis aussi impatiente de partir que vous de me voir

    partie !

  • Puis, sans lui jeter un regard, elle entra dans la salle manger. Mais non sans avoir entendu Karendemander :

    Chri, au nom du Ciel, quest-ce que Chri , songea-t-elle en se dirigeant vers la table. Ce devait tre sa fiance !La porte souvrit sur Inez. Ah ! Vous voil, mon petit ! Venez vite vous installer. Le th va refroidirLa gouvernante resta ses cts jusqu la fin de son opulent petit djeuner. Elle la regarda manger

    avec apptit son jambon et ses ufs brouills. Cest bien, dit-elle enfin. Vous devriez grossir encore un peu.Morwerina glissa un regard vers les formes panouies dInez et frmit intrieurement. Cela fait bien longtemps, poursuivit la gouvernante, quil ny a pas eu de jeune fille dans cette

    maison ! Si javais su, observa Morwenna avec un peu damertume, je ne serais pas venue avec ces

    peintures.Inez renifla bruyamment en commenant dbarrasser. Et pourquoi pas, je vous le demande ? Vous aviez de laffection pour ma mre ?Les traits rudes de la femme sadoucirent aussitt. a oui, je peux le dire ! Jai eu un coup en apercevant son portrait pos sur le bureau de M. Do-

    minic ! Je navais pas tout de suite remarqu votre ressemblance avec elle, hier soirMorwenna eut un sourire contraint. Mieux aurait valu ne pas vous en rendre compte, sans doute? Tout cela ne serait pas arriv. Mon petit, rtorqua Inez en se prparant quitter la pice avec son plateau charg ras bord, on

    ne lutte pas avec le Destin !Pensive, Morwenna se leva et se dirigea vers la fentre. Des roses tardives fleurissaient encore

    contre le mur ceinturant le fond du jardin. Mais les plates-bandes avaient un air abandonn.La jeune fille replaa sa tasse vide sur la table puis ouvrit la porte donnant sur le hall. Tout tait

    silencieux. Elle monta lentement lescalier. Sur le palier, toutes les portes taient galement closes,sauf une, reste entrebille. Morwenna hsita un bref instant, puis frappa lgrement. Une voixprofonde sleva :

    Oui. Qui est-ce? EntrezLa chambre semblait immense et trs claire. Deux fentres ouvertes sur les falaises et la mer

    laissaient entrer flots la lumire. Un homme tait assis dans un fauteuil haut dossier, unecouverture sur les genoux.

    Monsieur Trevannon ? demanda Morwenna un peu crispe.Il tourna la tte et la regarda. Il avait un air las. Ses cheveux gris taient stris de blanc, et ses yeux

    semplirent de chagrin en lobservant. Prs de lui, sur une petite table, taient empiles les toiles desa mre.

    Monsieur Trevennon ? demanda Morwenna un calmement, lorsque je suis arrive ici, jignoraistout de la situation. Je suis au courant, maintenant, et je suis dsole de mtre prsente dans votremaison.

    Vous lui ressemblez beaucoup, grommela-t-il comme sil navait pas entendu. Mais vous lesavez, bien sr !

    Oui, mon pre me le disait souvent.Elle frmit. Elle venait de commettre un impair. Mais il ne parut pas le remarquer.

  • Vous ne vous souvenez pas bien delle ? Javais huit ans, sa mort. Je me rappelle certains dtails. Dautres, non. Dites-moi ce que vous vous rappelez.Elle resta muette quelques secondes, puis dit avec difficult : Elle tait tendre et heureuse mme lorsquelle tomba malade. Cet endroit Trevennon et tous

    ses habitants, elle sen souvenait avec joie et affection.Elle secoua la tte. Cela doit vous sembler plutt ridicule, je suppose ? Non.Il avait ferm les yeux et appuy la tte contre le dossier de son fauteuil. Cela confirme ce que jai toujours cru et espr de Laura.Ils restrent tous deux silencieux. Enfin, il ouvrit les yeux. Voulez-vous vous asseoir ? Excusez-moi de ne mtre pas lev pour vous accueillir. Il va me

    falloir rapprendre marcher. Cest vraiment une calamit !Il se retourna vers un petit bureau plac lautre bout de la pice. Jai commenc dcrire lhistoire de la famille Trevennon. Il va me falloir classer tous ces

    papiers. Votre mre a d vous raconter nos lgendes ? Trs peu, rpondit-elle. Elle ma surtout parl de son enfance. Mais elle vous a appele Morwenna, souligna-t- il. Elle avait toujours dit : Si jai une fille, je

    lui donnerai ce prnom. Moi, bien sr, je pensais que ce serait ma filleIl parut sentir sa gne. Je suis navr. Je ne voulais pas vous ennuyer. Vous avez appris, sans doute, les vnements

    dil y a si longtemps ? Oui. Jaimais votre mre, dit-il dun ton pensif. Je lai aime ds son arrive dans cette maison. Elle,

    elle avait de laffection pour moi. Je voulais me persuader que cela me suffirait. Mais pas elle ! Il afallu des annes et beaucoup damertume pour en prendre conscience !

    Son regard se posa sur Morwenna. Cela a dur jusqu maintenant, en fait. Jusqu ce que vous me regardiez avec les yeux de votre

    mre.Il sourit tristement. Dsol si cela parat sentimental, mais cest exactement ce que je ressens. Monsieur Trevennon, commena Morwenna. Nick, linterrompit-il aussitt. Appelez-moi Nick. Comme tout le monde. Seule, Laura prfrait

    mappeler Dominic. Mais maintenant cela pourrait crer une confusion avec mon neveu Oui, dit schement Morwenna. Je lai rencontr ! Et aussitt dtest, videmment ! Vous avez pass un mauvais moment avec nous, ma chre. Mais

    tout cela est termin, dsormais.En peu de mots, elle lui expliqua les raisons de son voyage Trevennon, puis ajouta : Puisque nous nous connaissons, maintenant, et que vous vous tes montr gentil, jaimerais vous

    donner ces tableaux. A vous seul !Il secoua la tte. Ce ne serait pas juste, dit-il. Cest tout ce quil vous reste de Laura, ma-t-on dit? Voulez-vous

    couter ma suggestion ? Je je nai gure de temps, balbutia-t-elle. Jai un train prendre, et

  • Vous pouvez maccorder encore quelques minutes. Jai attendu si longtemps ! Jaspirais aumoment o je la verrais entrer dans cette chambre, mais ctait trop demander !

    Elle aurait t plutt mal accueillie ! Oui, soupira-t-il. Cest vrai.Il y eut un autre silence. Morwenna se leva demi. Non, attendez !Il eut un geste pour la retenir. Vous vous demandez certainement pourquoi, parmi tous ceux ici qui ont parl de votre mre avec

    aigreur, je suis le seul la regretter? Moi, le plus malmen ! Oui, admit Morwenna, crispe. Mais ma mre na caus de tort personne. Tout cela me parat

    procder dune erreur norme. Il ny a pas eu derreur, commenta-t-il. Mes plans du Lady Laura furent bel et bien vendus

    une autre compagnie. Le seul point litigieux est la participation de votre mre cette action.Morwenna lui jeta un coup dil incrdule. Ainsi, vous ny croyez pas? scria-t-elle. Mais alors, pourquoi laisser les autres dans

    lignorance ?Il secoua la tte, dans un geste de lassitude. A lpoque o se sont passs ces vnements, jtais un homme bless et furieux. Jaimais votre

    mre et dsirais lpouser. Elle ne mavait pas donn de rponse dfinitive, mais jtais sr degagner finalement. Puis elle rencontra votre pre. Je vis rouge, lorsquelle me parla de son amourpour lui. Je lui interdis de remettre les pieds Trevennon. Ils partirent ensemble la nuit suivante, et jene lai jamais revue

    Et les plans ?Il soupira. Ils disparurent pratiquement en mme temps. Pendant un temps, jai t persuad de la culpabilit

    de Laura. Puis, lorsque je vis le bateau construit sur le mme modle au Salon de la Marine, jecompris quil sagissait dun acte dlibr. Mais tout le monde accusait dj Laura. Mon frre taitvivant, alors. Il tait convaincu de sa culpabilit. Ma belle-sur avait toujours dtest Laura, et jepense quelle tait jalouse des relations de Laura avec Robert Kerslake.

    Mais alors, si vous ny avez pas cru Jy ai dabord cru, comme tout le monde. Son dpart mavait rendu fou. Je mtais rendu ridicule

    et je ne pouvais le lui pardonner. Mme quand sa lettre arriva, je nen parlai personne. Seule, Inezsavait, bien sr

    Ainsi, ma mre vous a crit? Oui. Elle me demandait pardon et me parlait de son bonheur avec Robert. Elle esprait quun

    jour, je comprendrais notre erreur premire. Elle me souhaitait dtre heureux, un jour. Jai compris ce moment-l quel point je mtais tromp. Elle ne pouvait avoir vendu mes plans. Elle taitintelligente. Tout laurait accuse en premier. Je la connaissais bien, aussi. Sa conscience ne luiaurait pas permis de commettre un acte rprhensible.

    Mais pourquoi navez-vous rien dit ?Nick Trevennon haussa les paules. Si linnocence de Laura tait prouve, cela impliquait automatiquement la culpabilit dune autre

    personne. Les plans du Lady Laura taient connus dun nombre de gens trs limit. Mieux valait,ai-je alors pens, garder le silence et laisser peser ce blme sur Laura. Elle tait loin une nouvelleenqute aurait conduit beaucoup de drames. Plus tard, bien plus tard, je lai amrement regrett.

  • Mon chagrin stait attnu, et je comprenais mes torts. Je navais pas rpondu la lettre de Laura.Mon seul rconfort tait de penser quelle ignorait tout des accusations lances contre elle.Il leva les yeux vers Morwenna. Ma chre, si vous voulez prendre votre revanche sur moi, ce sera trs facile. Il vous suffit de

    reprendre ces peintures et de quitter cette maison pour ny jamais revenir. Jespre de tout mon curque vous ne le ferez pas.Ils se turent tous deux ; puis Morwenna poussa un bref soupir. Non, en effet, je ne pourrai pas faire cela ! Beaucoup trop de personnes ont souffert Alors, vous restez ?Le ton impatient de sa voix la surprit. Elle eut un geste apaisant. Eh bien, un peu plus longtemps peut-tre. Mais il me faudra prendre le train, et Non, non ! Vous mavez mal compris. Il faut vous installer ici, mon enfant. Vous navez aucun

    endroit o aller. Vous devez dsormais considrer Trevennon comme votre foyer. Oh non! scria-t-elle, horrifie. Cest impossible ! Mais pourquoi ? A cause de mon neveu ?Il se mit rire devant son air dconfit. Lun des privilges de linvalidit, expliqua-t-il en souriant, est le fait de voir tous ses souhaits

    se raliser. Plus personne nose vous contrarier. Mon neveu fera ma volont. Bien entendu, sonopinion sur Laura est celle de ses parents. Mais ce nest pas tout, sempressa dajouter Morwenna. Il me faut absolument trouver un emploi.

    Je ne veux pas vivre de charit. Qui parle de charit? rugit-il. Il y a ici un emploi pour vous. Jai besoin dune assistante pour la

    chronique des Trevennon. Je nai aucune exprience du secrtariat, et.. Vous savez crire, non? Alors, cela me suffit.Devant son hsitation, il plaida sa cause. Ma chre, vous maideriez vraiment beaucoup. Non seulement pour rdiger ce livre, mais pour

    rparer le mal fait Laura par ma faute. Soyez gnreuse, Morwenna ! Aidez-moi faire la paix avecmoi-mme. Mais peut-tre est-il trop tard pour rechercher la vrit ?Ctait du pur chantage, elle le savait. Mais rien ne pouvait avoir plus de poids sur sa volont que

    de voir un jour la famille Trevennon au grand complet sexcuser auprs delle du tort caus samre. Trs bien, Nick, admit-elle, je reste. Mais seulement jusqu la fin de votre livre. Ensuite, je

    partirai.Il crut bon de lui affirmer en grognant que travailler pour lui ne serait pas une sincure. Puis il lui

    demanda de lui envoyer Inez.Elle descendit au rez-de-chausse en se demandant si elle ne rvait pas. Comme pour aggraver son

    malaise, Dominic Trevennon vint lattendre au pied de lescalier. Quand vous serez prte, miss Kerslake, dit-il, je vous conduirai Penzance. Je ne pars pas, rpondit-elle en sefforant de matriser sa voix. Je vous demande pardon ?Il fronait dj furieusement les sourcils. Morwenna lui expliqua brivement la situation. Par Dieu, marmotta-t-il, quelle petite garce pleine de duplicit !Elle haussa les paules, feignant linsouciance. Cet entretien avec votre oncle tait votre ide, je vous le rappelle, lana-t-elle.

  • Ne craignez rien ; je ne suis pas prs de loublier ! Mais jai peur que vous ne trouviez pas icigrand-chose. Il ny aura rien emporter lorsque vous repartirez. Si , songea-t-elle, la rputation de ma mre ! Elle lui ddia un sourire confiant. Croyez-vous vraiment, monsieur Trevennon? Je ne suis pas de votre avis !Il la fixa dun air incrdule, puis arbora lexpression tant dteste par la jeune fille. Ainsi, cest cela? Vous ressemblez un camlon, miss Kerslake. Je narrive pas vous suivre,

    cette vitesse ! Passer tout dun coup de la pauvre pave au rle de petite chrie dun vieux monsieur!Une minute, elle le considra sans comprendre. Il en profita pour accentuer son avantage : Vous avez vraiment lintention de commencer l o votre mre a laiss tomber? Profiter de la

    solitude dun vieillard, pousser la sentimentale romance du pass, tout vous est bon ! Pourrez-vousvraiment tenir jusqu la crmonie du mariage ? Cela ne vous dgote donc pas de vendre votrecorps un homme assez vieux pour tre votre pre ?Elle descendit les deux dernires marches, puis, en y mettant toute sa force, elle le gifla. Et aussitt

    aprs, le regretta ! Mais dj, les marques de ses doigts rougissaient la joue de Dominic Trevennon. Je suis dsole, dit-elle, consciente de la pauvret de ses paroles. Vous le serez encore plus, promit-il dune voix trs douce. Oh oui, ma chre Morwenna ! Je vous

    ferai payer trs cher tout cela, et bien autre chose encore ! Cest une promesse.Il tourna les talons. La porte dentre claqua derrire lui. Un instant aprs, Morwenna entendit le

    bruit dun moteur.Lorsquil eut disparu, elle exhala un long et tremblant soupir, puis se laissa tomber sur la premire

    marche. De nouveau, une petite voix chuchotait en elle : quai-je fait, mon Dieu?

    5

    Les jours suivants furent emplis dune activit fbrile. Morwenna oublia de se livrer dedouloureux retours sur elle-mme. Ctait aussi bienNick Trevennon ne lui avait pas menti en saffir- mant comme un employeur exigeant. La jeune fille

    se plongea tout entire dans sa tche et dans lhistoire de la famille Trevennon. Celle-ci remontant lpoque des Tudor, Morwenna ne risquait pas de manquer de travail avant longtemps.La vie dans la maison sordonnait autour de deux ples. Le mnage Inez-Zack servait de lien entre

    les deux. Les frres Trevennon prenaient trs tt leur petit djeuner, puis sclipsaient. Aussittaprs, Morwenna descendait son tour. Gnralement, elle prenait son repas de midi avec Nick,mais dnait le soir dans sa chambre. Malgr les tentatives de rconciliation dInez, elle se refusait rencontrer Dominic Trevennon. Parfois seulement, Mark venait la rejoindre dans le salon, laprs-midi. Ils bavardaient amicalement. Dominic se terrait alors dans son bureau.Le quatrime jour de son sjour, un physiothra- peute vint soccuper de Nick. Il lui faisait

    rgulirement faire des exercices de radaptation, que son patient ne semblait gure apprcier. Maisil conseilla Morwenna daller prendre lair du ct de lAnse de lEspagnol. En quittant la maison,elle se sentit un peu comme une petite fille en vacances.Elle avait emport avec elle une bote de crayons et un album de dessin. Inez la pria, si elle passait

  • prs de la ferme de Jacky Herrick, de demander une douzaine dufs celui-ci.Le vent tait frais et assez fort et soulevait ses cheveux pour les rabattre ensuite sur son visage. La

    mer tait son maximum et grond