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Mémoire de fin d’études pour obtenir le diplôme de L’ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE LOUIS-LUMIÈRE, SECTION SON par Mélanie Plais À la recherche de la prise de son invisible Cas du piano à queue en concert Mémoire présenté publiquement le 13 juin 2012 devant le jury composé de Pascal Spitz Rapporteur École Nationale Supérieure Louis-Lumière Jean Chatauret Directeur École Nationale Supérieure Louis-Lumière Adrien Mamou-Mani Directeur Institut de Recherche et de Coordination Acoustique Musique (IRCAM)

Àlarecherchedelaprisede soninvisible Casdupianoàqueueen ......être le rapporteur, ainsi que Messieurs Jean Chatauret et Adrien Mamou-Mani qui ont encadré ce projet. Qu’ils soient

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  • Mémoire de fin d’études

    pour obtenir le diplôme de

    L’ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURELOUIS-LUMIÈRE, SECTION SON

    par

    Mélanie Plais

    À la recherche de la prise deson invisible

    Cas du piano à queue enconcert

    Mémoire présenté publiquement le 13 juin 2012 devant le jury composé de

    Pascal Spitz Rapporteur École Nationale Supérieure Louis-Lumière

    Jean Chatauret Directeur École Nationale Supérieure Louis-Lumière

    Adrien Mamou-Mani Directeur Institut de Recherche et de Coordination

    Acoustique Musique (IRCAM)

  • Remerciements

    Je remercie tout d’abord Monsieur Gérard Pelé, qui m’a autorisée àmener ce travail.

    Je remercie également Monsieur Pascal Spitz pour avoir accepeté d’enêtre le rapporteur, ainsi que Messieurs Jean Chatauret et Adrien Mamou-Mani qui ont encadré ce projet. Qu’ils soient remerciés pour leurs conseils,leurs relectures attentives et pour toutes les discussions qui m’ont permisd’avancer et d’explorer de nouvelles pistes.

    Merci à Monsieur Michel Coteret et Madame Agnès Hominal, pourleur aide logistique fort précieuse. Je remercie de plus Monsieur Florent Fajolepour son aide dans mes recherches et ses conseils de lectures.

    Merci à François Latry, Nicolas Auribault et leurs élèves du Conser-vatoire à Rayonnement Régional de Boulogne-Billancourt, qui m’ont ouvertles portes de leur studio, sans oublier les pianistes Pierre, Nicolas et Guillempour leur participation active aux séances d’enregistrement.

    Un grand merci à tous ceux qui ont aidé à la réalisation du mé-moire : Monsieur Charles Besnainou, Monsieur Arnaud Croses, MonsieurHenri Darnaux, Monsieur René Defives, Monsieur Philippe Guillaume, Ma-dame Vanessa de La Fuente, Monsieur Jean-Loïc Le Carrou et MonsieurLaurent Millot. Merci à tous les auditeurs, qui ont pris le temps de passer lestests d’écoute, malgré leurs travaux en cours.

    Merci à l’ensemble des enseignants, personnels et étudiants de l’Écolepour ces années passées ensemble.

    Une pensée particulière à ma famille et à mes proches, qui m’onttoujours épaulée...

    Merci à Toi l’Ami, parti ailleurs.

    1

  • Résumé

    La captation audiovisuelle de récitals de piano nécessite de s’adapterau rendu visuel voulu par le réalisateur. Cette adaptation peut prendre laforme d’une contrainte lorsqu’il s’agit par exemple de ne pas voir la micro-phonie employée.

    Ce mémoire explore certaines possibilités microphoniques relevant dela prise de son aussi bien que de l’acoustique, et répondant à cette contraintevisuelle, tout en cherchant comment maintenir une esthétique sonore prochede celle attendue pour de la musique classique. Nous garderons en tête l’ins-cription dans la réalité professionnelle, aussi bien sur le plan de la logistiqueque sur celui du rendu final.

    Une étude théorique du fonctionnement du piano ainsi que decertains dispositifs de captation actuellement employés sera présentée. Lesdifférentes prises de son seront ensuite analysées et soumises à un testperceptif.

    Mots-clés : Prise de son - Musique classique - Contrainte image

    2

  • Abstract

    When shooting a piano recital, the director may ask for some specific frames,which impose the other crews to modify their job to fit with his wishes. Forthe sound recording crew this can be very restrictive for example when nomicrophones nor boom should be visible.

    This masters thesis deals with both sound recording techniques andacoustics to determine whether a microphones’ combination can fit withthe director’s choices while providing sufficient sound quality in the field ofclassical music aesthetic. Professional expectations such as logistic and finalproduct quality should be kept in mind.

    First, a theoretical study of the piano will be presented, as well as se-veral recording tools. Then, the recordings obtained during the term will beanalyzed, and evaluated by subjective assessment.

    Key words : Sound recording - Classical music - Restriction due toshooting

    3

  • Table des matières

    Remerciements 1

    Introduction 10

    1 Le piano à queue : Fonctionnement et principes acoustiques 121.1 Anatomie d’un piano à queue :

    Exemple du Steinway D . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121.1.1 Description de l’instrument . . . . . . . . . . . . . . . 121.1.2 Les marteaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131.1.3 Les cordes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141.1.4 Les chevalets . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151.1.5 La table d’harmonie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151.1.6 Les raidisseurs, ou barres de table . . . . . . . . . . . . 161.1.7 Le couvercle et le reste de la structure . . . . . . . . . 16

    1.2 Concepts de l’étude physique . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171.2.1 Mise en vibration d’une corde . . . . . . . . . . . . . . 181.2.2 Comportement vibratoire des cordes du piano . . . . . 191.2.3 Transfert d’énergie vers la table d’harmonie . . . . . . 211.2.4 Propagation de l’énergie dans la table d’harmonie . . . 221.2.5 Rayonnement acoustique de la table d’harmonie . . . . 26

    2 État de l’art de la captation 272.1 Cadre de la prise de son . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27

    2.1.1 Étude de quelques enregistrements audiovisuels récents 272.1.2 Présentation de quelques systèmes microphoniques dé-

    diés à la prise de son du piano à queue . . . . . . . . . 302.2 Cadre de la recherche en acoustique . . . . . . . . . . . . . . . 32

    2.2.1 Outils de captation en acoustique . . . . . . . . . . . . 322.2.2 Outils de l’analyse acoustique . . . . . . . . . . . . . . 33

    2.3 Liens entre les domaines de la prise de son et de la rechercheen acoustique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35

    4

  • 3 Descriptif et analyse des enregistrements effectués 363.1 Dispositif microphonique placé sous le piano . . . . . . . . . . 37

    3.1.1 Utilisation de microphones de contact AKG C411 . . . 373.1.2 Utilisation de microphones miniatures DPA 4060 . . . 38

    3.2 Dispositif microphonique placé dans le piano . . . . . . . . . . 403.2.1 Microphones placés sur la partie avant du cadre . . . . 403.2.2 Microphones placés sur la partie arrière du cadre . . . 41

    3.3 Dispositif microphonique placé sur la scène . . . . . . . . . . . 433.4 Dispositifs microphoniques de référence . . . . . . . . . . . . . 43

    3.4.1 Séance du 16 mars 2012 à l’Auditorium du CRR deBoulogne-Billancourt . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44

    3.4.2 Séance du 4 mai 2012 à la Salle d’Art Lyrique du CRRde Boulogne-Billancourt . . . . . . . . . . . . . . . . . 44

    3.5 Principes de post-production des enregistrements dissimulés . 453.6 Bilan des prises de son dissimulées . . . . . . . . . . . . . . . . 463.7 Analyses objectives des prises de son . . . . . . . . . . . . . . 47

    3.7.1 Analyse de spectre sous Nuendo . . . . . . . . . . . . . 473.7.2 Analyse par Intégration de Densité Spectrale . . . . . . 523.7.3 Bilan des analyses objectives . . . . . . . . . . . . . . . 56

    4 Campagne de tests perceptifs 574.1 Choix du panel d’auditeurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 574.2 Détermination des critères d’évaluation des prises de son . . . 58

    4.2.1 Objectifs et déroulement du premier test . . . . . . . . 584.2.2 Résultats du premier test . . . . . . . . . . . . . . . . 59

    4.3 Évaluation des prises de son réalisées lors du mémoire . . . . . 594.3.1 Objectifs et déroulement du second test . . . . . . . . . 594.3.2 Résultats obtenus lors de l’évaluation des prises de son 60

    4.4 La question de la “référence” . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 614.4.1 Influence des critères musicaux . . . . . . . . . . . . . 624.4.2 Influence des habitudes d’écoute . . . . . . . . . . . . . 624.4.3 Adéquation à la référence . . . . . . . . . . . . . . . . 63

    Conclusion 64

    Bibliographie 65

    Annexes 68

    A Contenu des CD d’accompagnement 69

    5

  • B Spécifications techniques des microphones utilisés :DPA 4060, Schoeps MK21 et Schoeps BLM3 73

    C Résultats détaillés des analyses objectives sous Nuendo 4 77C.1 Analyse de spectre sous Nuendo 4 d’Opéra de Tansman . . . . 77C.2 Analyse de spectre sous Nuendo 4 du Prélude Opus 28 n˚2 de

    Chopin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81

    D Résultats détaillés du second test perceptif 85

    E Protocoles de tests perceptifs 88

    6

  • Table des figures

    1.1 Mécanique du piano à queue d’après [23] . . . . . . . . . . . . 131.2 Cordes [1] et chevalet [2] sur un Steinway D . . . . . . . . . . 151.3 Schéma de principe de la compression du feutre heurtant une

    corde de piano [20] . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191.4 Spectres obtenus par Julien Bensa [16] pour différentes vitesses

    d’un marteau. Plus la vitesse est élevée, plus le spectre obtenuest enrichi en hautes fréquences. . . . . . . . . . . . . . . . . . 20

    1.5 Figures de Chladni obtenues pour différentes plaques [3] etAnalyse modale pour les six premiers modes de vibration d’unetable d’harmonie, par Matt Borland [17] . . . . . . . . . . . . 24

    2.1 Vue du public et dispositif supposé de prise de son d’après [26] 282.2 Dispositif de prise de son du concert de Grigory Sokolov

    d’après [33] . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 292.3 Vue du système PM40 d’Earthworks, selon l’une des configu-

    rations propsées par le constructeur [10] . . . . . . . . . . . . 302.4 Vue du système Helpinstill en cours d’installation. Les barres

    reposent sur la table d’harmonie, par l’intermédiaires de pa-tins, ou sur le cadre par l’intermédiaire d’un support [13] . . . 31

    2.5 Découpage fréquentiel du signal lors d’une analyse IDS. . . . . 34

    3.1 Axes caméra traditionnellement utilisés lors de captations derécitals de piano solo. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37

    3.2 Microphones DPA 4060 fixés sous le barrage . . . . . . . . . . 393.3 Microphones DPA 4060 fixés sur la partie avant du cadre d’un

    Steinway D . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 413.4 Microphones DPA 4060 fixés sur la partie arrière du cadre d’un

    Yamaha C7 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 423.5 Microphones DPA 4060 fixés sur la partie arrière du cadre d’un

    Steinway D, face à la microphonie 3.2.1 . . . . . . . . . . . . . 423.6 Prise de son de référence au couple de DPA 4006, proches du

    piano . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45

    7

  • 3.7 Prises de son de référence aux couples de Schoeps MK21 et deDPA 4006 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45

    3.8 Analyse de spectre sous Nuendo 4 de la voie gauche de la prisealternative, Tansman, Opéra. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48

    3.9 Analyse de spectre sous Nuendo 4 de la voie gauche de la prisede référence, Tansman, Opéra. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49

    3.10 Analyse de spectre sous Nuendo 4 de la voie gauche de la prisealternative ré-égalisée, Tansman, Opéra. . . . . . . . . . . . . 50

    3.11 Analyse de spectre sous Nuendo 4 de la voie gauche de la prisede référence, Chopin, Prélude Opus 28 n˚2. . . . . . . . . . . 51

    3.12 Analyse de spectre sous Nuendo 4 de la voie gauche de la prisealternative, Chopin, Prélude Opus 28 n˚2. . . . . . . . . . . . 51

    3.13 Analyse de spectre sous Nuendo 4 de la voie gauche de la prisealternative corrigée, Chopin, Prélude Opus 28 n˚2. . . . . . . 52

    3.14 Analyse IDS de la prise de référence pour Opéra de Tansman. 533.15 Analyse IDS de la prise alternative pour Opéra de Tansman. . 543.16 Remixage IDS de la voie gauche d’Opéra de Tansman. . . . . . 553.17 Remixage IDS de la voie droite d’Opéra de Tansman. . . . . . 55

    4.1 Moyennes des notes obtenues par les prises de son alternativespour les quatre critères de l’étude . . . . . . . . . . . . . . . . 61

    C.1 Analyse de spectre de la voie gauche de la prise de référence,Tansman, Opéra . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78

    C.2 Analyse de spectre de la voie droite de la prise de référence,Tansman, Opéra . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78

    C.3 Analyse de spectre de la voie gauche de la prise alternative,Tansman, Opéra . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79

    C.4 Analyse de spectre de la voie droite de la prise alternative,Tansman, Opéra . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79

    C.5 Analyse de spectre de la voie gauche de la prise alternativeaprès ré-égalisation, Tansman, Opéra . . . . . . . . . . . . . . 80

    C.6 Analyse de spectre de la voie droite de la prise alternativeaprès ré-égalisation, Tansman, Opéra . . . . . . . . . . . . . . 80

    C.7 Analyse de spectre de la voie gauche de la prise de référence,Chopin, Prélude Opus 28 n˚2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82

    C.8 Analyse de spectre de la voie droite de la prise de référence,Chopin, Prélude Opus 28 n˚2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82

    C.9 Analyse de spectre de la voie gauche de la prise alternative,Chopin, Prélude Opus 28 n˚2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83

    8

  • C.10 Analyse de spectre de la voie droite de la prise alternative,Chopin, Prélude Opus 28 n˚2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83

    C.11 Analyse de spectre de la voie gauche de la prise alternativeaprès ré-égalisation, Chopin, Prélude Opus 28 n˚2 . . . . . . . 84

    C.12 Analyse de spectre de la voie droite de la prise alternativeaprès ré-égalisation, Chopin, Prélude Opus 28 n˚2 . . . . . . . 84

    D.1 Résultats détaillés des 6 auditeurs, Chopin, Prélude Opus 28n˚2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85

    D.2 Résultats détaillés des 6 auditeurs, Tansman, Opéra . . . . . . 86D.3 Résultats détaillés des 6 auditeurs, Borodine, Polovetzian Dance 86D.4 Résultats détaillés des 6 auditeurs, Bach, Air on the G String 87

    9

  • Introduction

    Filmer un récital de piano. Tout est dit, et rien à la fois. En effet,l’idée peut paraître simple, voire simpliste, mais soulève en réalité un certainnombre de questions : sur le plan de la narration : que veut-on raconter àpartir de ce concert ?, sur le plan de l’image : que veut-on montrer de ceconcert ?, et enfin sur le plan du son : que veut-on donner à entendre de ceconcert ? Le plan de la narration ne sera pas abordé au cours de ce mémoireen tant que tel, pas plus que l’image en elle-même, qui n’est pas de notreressort. Nous nous concentrerons en revanche sur leurs implications en ce quiconcerne l’enregistrement sonore.

    Nous nous intéressons ici à la musique classique, dont la principaleréférence demeure le concert acoustique (cette référence omniprésente auconcert peut faire débat, mais ce n’est pas notre propos ici), au cours duquelles auditeurs viennent écouter l’interprétation d’un pianiste sans biais ni ar-tifice : la musique n’ayant pas été prévue pour une quelconque électrification,il serait alors légitime de la jouer dans des conditions proches de celles de lacomposition.

    Ainsi, pour être au plus proche de leur sujet, certains réalisateurs nesouhaitent pas montrer au spectateur audiovisuel un quelconque appareillage,que ce soit des projecteurs, des caméras ou des microphones. . . Il s’agirait deplonger le spectateur au cœur même de la musique afin qu’il puisse s’extrairede sa position de téléspectateur pour atteindre celle de spectateur, autrementdit la position de celui qui était présent le jour de la représentation. Ce partipris de réalisation a une incidence directe sur l’enregistrement sonore, quidoit se faire aussi discret que possible, voire même invisible des axes caméra.

    Cette contrainte visuelle rentre alors en contradiction avec les habi-tudes de prise de son que nous avons développées lors d’enregistrements oùla seule contrainte était de fournir un rendu sonore le meilleur possible, en

    10

  • accord avec les attendus esthétiques de la musique classique. L’objet de cemémoire sera d’étudier les différentes possibilités de prises de son invisibles(que nous appelerons par la suite dissimulées ou alternatives) conformes àl’impératif visuel, en regard de prises de son ne se souciant que de la qualitésonore (que nous appelerons par la suite prises de son de référence). Autre-ment dit, nous chercherons à déterminer s’il est possible d’atteindre la mêmequalité sonore sous contraintes visuelles qu’en dehors de celles-ci.

    Pour mener à bien ce projet, nous commencerons par étudier le pianod’un point de vue organologique et acoustique. Celà nous permettra d’adapternos prises de son en regard du fonctionnement du piano. Le chapitre 2 feral’objet d’une étude des outils de captation utilisés aussi bien en prise deson musicale qu’en recherche acoustique, ce qui nous permettra d’élaborernos propres systèmes, décrits au chapitre 3. Ces systèmes procèderons d’undouble apport pratique, par les habitudes de prise de son que nous avonsdéveloppées, et théorique, par l’étude acoustique. Enfin, le chapitre 4 seraconsacré aux tests perceptifs, qui auront pour but de déterminer si des prisesde son alternatives sont de qualité similaire à des prises de son de référence, etpartant de là si elles peuvent être employées dans un contexte professionnel.

    11

  • Chapitre 1

    Le piano à queue :Fonctionnement et principesacoustiques

    1.1 Anatomie d’un piano à queue :Exemple du Steinway D

    1.1.1 Description de l’instrument

    Le piano fait partie de la famille des cordes frappées. Lorsque le pia-niste actionne une touche, un système de leviers va soulever l’étouffoir (lacorde ainsi libérée pourra vibrer) et lancer le marteau en direction de la(ou des) corde(s). L’impact du marteau sur la corde fait entrer celle-ci envibration. Cette vibration mécanique sera ensuite transformée en vibrationacoustique par l’intermédiaire du chevalet et de la table d’harmonie.

    La mécanique du piano-forte est attribuée à bartolomeo cristo-fori, en 1709. Celle-ci sera améliorée par sébastien erard notammentavec le mécanisme dit du double-échappement (1821) qui permet une plusgrande vitesse de répétition de la note [31].

    12

  • Un piano “standard” comporte 88 touches, soit 7 octaves 1/4. Il estintéressant de noter que les Bösendorfer 290 (“Impérial”) comportent eux 97touches (8 octaves complètes) ; cette extension de leur tessiture vers le baspermet de jouer fidèlement certaines œuvres de busoni, bartók, debussy,ravel [24]. Ces touches sont toutes de couleur noire.

    1.1.2 Les marteaux

    Le marteau est l’élément qui vient heurter les cordes lorsqu’une toucheest enfoncée, les mettant ainsi en vibration. Le mécanisme est présenté enfigure 1.1.

    Figure 1.1 – Mécanique du piano à queue d’après [23]

    La tête du marteau est composée d’une âme en bois recouverte defeutre. La sonorité du piano dépend en partie de l’épaisseur du feutre et deson état général, notamment la présence des marques laissées par les cordes.Ainsi, l’harmonisation est un travail sur les feutres qui permet de façonner letimbre de l’instrument : piquer les feutres rendra le son plus doux, les poncerle rendra plus clair [4].

    La tige du marteau, souvent en bois de hêtre, parfois d’acajou, a laparticularité d’être “accordée” naturellement à une fréquence donnée, cettefréquence changeant d’une tige à l’autre. On peut se rendre compte de cephénomène en lâchant la tige à plat sur une surface. Chez Steinway & Sons,le processus de fabrication d’un piano tient compte de cet élément, les tigesétant triées et attribuées chacune au mécanisme d’une note [5].

    13

  • La course des marteaux peut être modifiée afin de réduire le niveausonore par l’action de la pédale de gauche (ou pédale douce ou pédale unacorda). Ce mécanisme déplace le point d’impact des marteaux sur deux cordesau lieu de trois sur le piano à queue, et rapproche les marteaux des cordessur un piano droit.

    Le mécanisme des marteaux peut parfois être bruyant, que ce soità la libération de la corde par soulèvement de l’étouffoir, à la propulsiondu marteau vers la corde ou au moment de l’impact contre celle-ci (sono-rité différente de la vibration de la corde). Ce bruit peut s’entendre sur desenregistrements de référence, externes au piano, et il semble raisonnable depenser qu’il sera plus présent si l’on se rapproche du mécanisme, comme nousen avons l’intention. Reste donc à déterminer la place que nous souhaitonsaccorder à cette composante.

    1.1.3 Les cordes

    Les cordes medium et aiguës du piano sont en acier. Les cordes gravessont en plus filées de cuivre (voire doublement filées de cuivre et d’acier pourles extrêmes graves [4]), ce qui les alourdit. En effet, à longueur et tensionégales, la corde la plus lourde sonnera le plus grave. À l’origine, les cordesétaient parallèles : le pianoforte s’inscrivant dans la lignée des cithares detables, il commença par adopter leur plan de cordes. La recherche d’une plusgrande puissance de l’instrument, tout en lui conservant des dimensions rai-sonnables, a conduit au développement du plan de cordes croisé, sur deuxniveaux : les cordes graves passent au-dessus des cordes médium et aiguës cequi permet d’atteindre de plus grandes longueurs de cordes, tout en répar-tissant la tension des cordes sur le cadre (le cadre est étudié en 1.1.7) [4].Ce croisement s’est semble-t-il développé chez différents facteurs au cours duXIXe siècle : thomas loud (1802) pour le piano droit, henri pape (1839),jonas chikering (1845) pour le piano carré, pour peu à peu devenir unstandard. Steinway & Sons breveta son premier modèle de piano à queue àcordes croisées en 1859 aux États-Unis [25]. Certains facteurs tels que Erardconservèrent néanmoins des cordes parallèles jusque dans les années 1920,pour des questions de sonorité.

    14

  • Figure 1.2 – Cordes [1] et chevalet [2] sur un Steinway D

    1.1.4 Les chevalets

    Les chevalets, pièces de bois dur de type hêtre ou érable collées à latable d’harmonie, servent à transmettre à cette dernière la vibration de la(ou des) corde(s) mise(s) en vibration. Les cordes sont pour ce faire en appuisur le chevalet. Il y a un chevalet pour les notes graves (chevalet des basses)et un pour les notes médium et aiguës dit grand chevalet. Certains facteurs(Steinway & Sons et Kawai notamment) n’utilisent toutefois qu’un seul che-valet, et ce afin d’éviter toute rupture dans la transmission des vibrationsvers la table [5, 6].

    1.1.5 La table d’harmonie

    La table d’harmonie du piano a pour rôle de convertir l’énergie mé-canique reçue des chevalets en énergie acoustique transmise au milieu aérien.Cependant cette conversion d’énergie n’est pas neutre, la table apporte desmodifications spectrales participant à la couleur globale de l’instrument [27].Les choix de chaque facteur en termes de matériaux et de géométrie contri-buent à créer l’identité sonore de leurs instruments.

    15

  • La table d’harmonie est faite d’un assemblage de lames d’épicéa cou-pées dans le sens des fibres, ce bois ayant la particularité de présenter descellules longues toutes orientées dans le même sens, dans lequel la vibrationse transmet préférentiellement [5]. Du fait de la fixation à la ceinture, la tableest moins souple sur ses bords qu’en son centre.

    Afin d’assurer un bon appui des cordes sur le chevalet, et aussi pourrésister à la pression qu’il exerce sur la table d’harmonie, celle-ci est légère-ment bombée vers le haut.

    Un grand piano de concert Steinway & Sons, modèle D, mesure 2,74 mpar 1,57 m [7]. Bien que la table d’harmonie soit plus petite que l’ensemblede l’instrument, il n’en demeure pas moins que ces dimensions obligent à éloi-gner les microphones si l’on veut se placer dans l’approximation des sourcesponctuelles. Nous envisageons au contraire de nous rapprocher de la tabled’harmonie, les résultats acquis pour des sources ponctuelles ne seront doncpas utilisables en l’état dans notre cas.

    1.1.6 Les raidisseurs, ou barres de table

    Les raidisseurs sont les barres en bois collées sous la table d’harmonieet qui assurent le maintien du galbe de celle-ci. Leur fixation perpendiculai-rement aux fibres du bois permet à la vibration de se transmettre égalementtransversalement. Les raidisseurs sont plus fins à leurs extrémités qu’en leurmilieu afin maintenir la souplesse de la table [5, 6].

    1.1.7 Le couvercle et le reste de la structure

    Le couvercle du piano peut être fermé, ouvert en grand (45˚) ou enpetit (10˚). Certains pianos disposent d’une troisième possibilité d’ouverture,toute petite, permettant par exemple de passer des câbles. Le couvercle ayantpour fonction de réfléchir le son issu de la table d’harmonie, son degré d’ou-verture pourra modifier le timbre global de l’instrument (par la modificationdes contributions de la table d’harmonie et du couvercle). Les changementsinduits sur le timbre seront perçus par une microphonie externe au piano (laréférence) mais si l’on se place à l’intérieur de ce dernier, on comprend qu’il

    16

  • sera difficile d’accéder à la contribution du couvercle. Cela nous obligera àtrouver d’autres solutions, soit à la prise de son, soit en post-production.

    Le barrage est l’assemblage de poutres en bois situé sous la tabled’harmonie d’un piano à queue. Il a pour fonction de solidifier l’ensemble,soumis à des tensions extrêmement fortes. Le barrage peut également êtreconsidéré non pas comme un simple élément de renfort, mais comme unélément vibrant [5].

    Le cadre est une pièce de fonte (ou de métal) coulée d’un seul bloc,posée sur la table d’harmonie et vissée à celle-ci. Le cadre devant être résistantet souple, la fonte, cassante si elle est pure, doit être mélangée à d’autresmétaux, ce mélange étant un secret de fabrication jalousement gardé [6]. Lecadre supporte la tension des cordes. Il peut également participer au timbredu piano : certains cadres sont percés de trous circulaires qui jouent le rôlede résonnateur de Helmoltz. Boucher l’un de ces trous, par exemple avec lamain, fait entendre une légère modification du timbre [5]. De plus, le cadrevibre légèrement, ce qui peut poser problème si l’on envisage d’y fixer desmicrophones.

    La ceinture fait le tour du piano, maintenant ensemble la table d’har-monie, le cadre et le barrage. Elle est constituée de trois planches d’un seultenant, non coupées, entourant deux épaisseurs d’un assemblage de poutrescoupées.

    Ces trois derniers éléments contribuent également à la sonorité dupiano à queue... Contributions qui seront plus ou moins perçues si l’on seplace à l’intérieur de l’instrument, au profit d’autres composantes pouvantêtre tout aussi intéressantes.

    1.2 Concepts de l’étude physique

    Nous souhaitons attirer l’attention du lecteur sur le contenu du pro-chain chapitre. Il s’agit d’une présentation des éléments de mécanique etd’acoustique utiles dans l’étude du fonctionnement du piano à queue, fondée

    17

  • sur l’étude de publications antérieures. Les démonstrations mathématiquescorrespondantes ne sont pas l’objet de ce mémoire.

    1.2.1 Mise en vibration d’une corde

    La mise en vibration d’une corde de piano résulte de l’action du doigtsur une touche, transmise au marteau par l’intermédiaire du mécanisme pré-senté au paragraphe 1.1.2, figure 1.1. La course d’une touche de piano estde 1 centimètre environ, tandis que la course du marteau correspondant estde l’ordre de 4,5 centimètres [5]. Le mécanisme ne se contente donc pas detransmettre le mouvement de la touche au marteau, mais il a également unrôle de démultiplicateur de la vitesse de déplacement.

    Le marteau de masse M est propulsé vers la corde avec une vitessev [20], soit une énergie cinétique :

    EC1 =12 · Mv

    2

    Le marteau heurte la corde à l’instant t0 avec une énergie cinétique EC2 quiprend en compte les frottements fluides dans l’air. Selon la nuance jouée, laquantité d’énergie perdue ne sera pas forcément négligeable (pour la nuanceforte oui, mais pas pour la nuance piano) [18]. La corde et le marteau restenten contact quelques instants. Durant ce contact, l’énergie cinétique du mar-teau est en partie transmise à la corde et en partie transformée en énergiepotentielle élastique du feutre [20]. Cela veut dire qu’au moment où le mar-teau fait entrer la corde en vibration, le feutre se comprime, dissipant ainsiune partie de l’énergie. L’énergie potentielle élastique se définit comme :

    EP E =12 · kx

    2

    où k est la constante de raideur du matériau et x sa compression ou sonallongement (dans le cas du feutre de marteau, on attend une compression).Selon la capacité du feutre à se comprimer, la corde recevra une quantitéd’énergie plus ou moins proche du total produit par l’action sur la touche,ce qui peut modifier le timbre. La figure 1.3, issu de [20] permet de biencomprendre ce point, bien que la déformation réelle du feutre ne soit pasaussi importante.

    Il est à noter qu’un marteau de piano présente un comportementnon-linéaire : plus il est projeté rapidement contre les cordes, plus la forcenécessaire à comprimer le feutre devient grande, par rapport au cas d’un com-portement linéaire entre la force exercée et la compression. Par conséquent,

    18

  • Figure 1.3 – Schéma de principe de la compression du feutre heurtant unecorde de piano [20]

    à force appliquée égale, le feutre se comprimera moins, et apparaîtra commecomme plus dur pour les cordes. À l’inverse, un marteau avec une faible vi-tesse de déplacement apparaîtra comme plus mou, et sera plus à même dese comprimer. De plus, un feutre mou excite moins les hautes harmoniquesd’une note, au contraire d’un feutre plus dur [36]. Sachant qu’un jeu fortea tendance à conférer au marteau une plus grande vitesse de déplacementqu’un jeu piano, on peut en déduire que plus une note est jouée forte, plusson spectre est riche, et plus sa sonorité est brillante, et qu’il ne s’agit passimplement d’une note piano dont on aurait “augmenté” le niveau sonore,comme on peut le voir sur la figure 1.4 issue de [16]. Il serait néanmoinsregrettable de se trouver dans le cas extrême d’un forte trop brillant et d’unpiano trop terne, l’équilibre étant atteint par les propriétés mécaniques dufeutre et du marteau [36].

    1.2.2 Comportement vibratoire des cordes du piano

    Le présent paragraphe vise à décrire certains des paramètres réels dela vibration des cordes, tenant compte du diamètre non nul des cordes et de

    19

  • Figure 1.4 – Spectres obtenus par Julien Bensa [16] pour différentes vitessesd’un marteau. Plus la vitesse est élevée, plus le spectre obtenu est enrichi enhautes fréquences.

    leur raideur.

    Inharmonicité des cordes

    Jusqu’à présent, nous avons considéré les cordes comme étant par-faites, notamment sans raideur, ce qui n’est pas le cas dans la réalité. Les“vraies” cordes du piano présentent une résistance mécanique à la déforma-tion (la raideur), qui nécessite d’appliquer une force importante pour obtenirun mouvement donné.

    La raideur d’une corde est l’une des causes de son inharmonicité, c’est-à-dire que la vibration de ladite corde ne fait pas intervenir une fréquencefondamentale et des harmoniques, mais une fondamentale et des partiels,dont les fréquences sont en rapport non entier avec la fréquence de la fonda-mentale [37, 35]. Par conséquent, si l’on veut synthétiser une note de piano,ce paramètre sera à prendre en compte pour obtenir un timbre susceptiblede s’approcher du timbre naturel.

    20

  • Ondes transversales et ondes longitudinales

    Le modèle de corde vibrante considéré jusqu’ici ne prenait en compteque la propagation d’ondes transversales dans la corde, c’est-à-dire uneperturbation de direction perpendiculaire à la direction de propagation. Ilconvient maintenant de prendre en considération les ondes longitudinales quise développent dans la corde en même temps, ces ondes ayant une influencesur la sonorité de l’instrument. On entend par longitudinale une perturba-tion dont la direction est parallèle à sa direction de propagation : ici la cordemise en vibration est comprimée de façon périodique. D’après Concklin, lafréquence du mode longitudinal est environ dix fois supérieure á la fréquencedu mode transversal, ce qui représente en termes musicaux une note situéeentre trois octaves plus une quinte et quatre octaves plus une tierce au-dessusde la fondamentale [21]. Cette composante supplémentaire peut donc être unatout pour la note jouée, en enrichissant le spectre, ou au contraire créer desproblèmes de justesse si elle ne se marie pas bien avec les autres composantesprésentes [21, 35].

    Ajuster la fréquence du mode transversal de la corde relève du travailde l’accordeur, qui joue sur la tension de la corde grâce aux chevilles d’accord.En revanche, celui-ci ne peut pas modifier la fréquence du mode longitudinal,qui dépend de la longueur de la partie vibrante de la corde ou de la massedu filage [21]. C’est alors au facteur de déterminer a priori la fréquence decette composante pour chaque corde, en vue d’obtenir une sonorité donnéeune fois le piano construit.

    1.2.3 Transfert d’énergie vers la table d’harmonie

    Dans le cas du piano, le transfert d’énergie vers la table d’harmoniese fait uniquement au niveau des chevalets, les extrémités des cordes n’étantpas solidaire de la table d’harmonie mais du cadre en fonte [28]. Les cordessont en appui sur le chevalet, exerçant une force verticale que l’on nommela charge. La taille du chevalet étant fixe, c’est par la hauteur du cadre parrapport à la table que l’on peut modifier la charge.

    Une charge optimale doit permettre de concilier les attentes quant auniveau du son et quant à sa durée. Une charge trop faible donnera un sonlong mais faible, tandis qu’une charge trop importante le rendra plus fortmais plus court [28].

    21

  • La transmission d’énergie des cordes vers la table d’harmonie via lechevalet ne se fait pas nécessairement de façon transparente, des filtragespouvant survenir. La mobilité étant la facilité d’une structure à se déplacersous l’action d’une force extérieure (si une force faible suffit pour engendrerun mouvement important, la mobilité sera grande, et à l’inverse, s’il fautappliquer une grande force pour obtenir un petit mouvement, la mobilité dela structure sera faible), une étude de celle-ci en fonction de la fréquence,comparée au spectre du signal transmis au chevalet, pourrait permettre decomprendre le fonctionnement fréquentiel de ce dernier [27]. Notre présenteétude ne comportera pas de mesures de mobilité, étant plus orientée vers laprise de son et vers la connaissance générale de ces éléments en vue de leurapplication dans une réflexion autour de la prise de son.

    Le transfert d’énergie entre les cordes et la table d’harmonie ayantlieu seulement au niveau du chevalet, cette zone constitue une sorte de pointchaud, où l’énergie sera la plus importante. Si nous voulons capter le maxi-mum d’énergie provenant de la table d’harmonie, il est possible de placerun microphone de contact sous la table au niveau du chevalet. Cette option,fondée sur des considérations énergétiques, sera discutée au paragraphe 3.1.1.

    1.2.4 Propagation de l’énergie dans la table d’harmo-nie

    Une fois transmise à la table d’harmonie par le chevalet, la pertur-bation va se propager dans celle-ci. Pour décrire cette propagation, deuxapproches sont utilisées : une description ondulatoire et une description mo-dale.

    Approche ondulatoire

    À partir de l’instant où la perturbation est générée, elle va se propagerà travers la table d’harmonie, qui constitue un milieu continu élastique, etce en s’éloignant du point d’excitation. Lorsque les ondes arrivent aux bordsde la table, le milieu change : les ondes incidentes sont en partie réfléchies.Deux cas sont à étudier :

    – Les ondes progressives et régressives sont exactement en oppositionde phase, il y a alors interférences destructives et l’énergie pour cesfréquences diminue au cours du temps ;

    22

  • – Les ondes progressives et régressives sont exactement en phase, il y ainterférences constructives et l’énergie pour ces fréquences croît théori-quement de façon infinie au cours du temps.

    L’approche ondulatoire est employée dans les instants qui suivent la pertur-bation, et tant que les ondes progressives n’ont pas rencontré les bords de latable d’harmonie (frontières du milieu de propagation). Une des grandeursutiles est le temps carctéristique

    tC =L

    c

    où L est une dimension caractéristique du milieu de propagation et c la vitessede propagation de la perturbation dans ledit milieu [20]. Pour l’épicéa, quiconstitue les tables d’harmonie, la vitesse de propagation du son est compriseentre 4000 et 6000 m/s [19]. La dimension caractéristique de la table peut êtreestimé comme la distance à parcourir entre le point d’excitation au niveaudu chevalet et le bord de la table d’harmonie, environ 2 m au maximum. Letemps caractéristique correspondant dans le cas d’un grand piano de concertest donc de

    tC =L

    c= 26000 = 0, 33 ms à tC =

    L

    c= 24000 = 0, 50 ms

    En deçà de tC = 0, 33 ms (ou 0,50 ms selon le bois), le comportement de latable pourra être décrit par l’approche ondulatoire.

    Au-delà de tC , les ondes incidentes et réfléchies se mélangent, etlorsque le temps écoulé est très grand devant le temps caractéristique tC ,au moins 10 fois, l’approche modale prime. Si l’on parle en termes musicaux,0, 50 ms correspond à la durée d’une noire jouée à ♪= 200. . . Le comporte-ment modal de la table peut s’établir, même pour un jeu prestissimo.

    Approche modale

    L’analyse modale vise à comprendre le comportement dynamiqued’une structure en fonction de la fréquence. L’une des méthodes expérimen-tales pour visualiser ce comportement consiste en la réalisation d’une figurede chladni : une plaque préalablement saupoudrée de sable fin est excitéeà l’aide d’un pot vibrant ou d’un archet. Le sable est rejeté des zones devibration maximale et se concentre alors dans les zones où la vibration estnulle, ce sont les lignes nodales. L’ensemble de ces lignes est appelé déforméemodale et correspond à la fréquence propre excitée. Une contrainte appliquéen un point de la plaque ou sur l’un de ses bords empêche la zone concer-née de vibrer, forçant ainsi une nouvelle ligne nodale : la figure de chladni

    23

  • est modifiée. Dans le cas du piano à queue, réaliser cette manipulation surune table d’harmonie libre donnera des résultats non exploitables pour uninstrument monté, en effet, la table d’harmonie in situ est encastrée dans laceinture du piano, le chevalet et le cadre y sont fixés, les cordes mettent latable en tension, ce qui crée autant de contraintes [20].

    Hormis la visualisation des lignes nodales correspondant à une fré-quence de résonnance donnée, il est possible de mesurer les déplacements dela table d’harmonie. La table est excitée par un marteau acoustique en dif-férents endroits et l’on recueille pour chaque impact les vibrations induitesen un point comme le présente Klaus Wogram dans [38]. Une telle campagnede mesures permet d’accéder aux amplitudes de déplacement de différentspoints de la table d’harmonie, pour une fréquence de résonnance donnée.Couplée à l’étude de l’impédance mécanique de la table d’harmonie, l’étudede l’amplitude de vibration pourra permettre de comprendre le rayonnementacoustique de celle-ci (paragraphe 1.2.5).

    Figure 1.5 – Figures de Chladni obtenues pour différentes plaques [3] etAnalyse modale pour les six premiers modes de vibration d’une table d’har-monie, par Matt Borland [17]

    24

  • Filtrage induit par la table d’harmonie

    La table d’harmonie du piano à queue est un milieu dissipatif, qui vaatténuer plus ou moins certaines fréquences présentes dans le signal d’exci-tation transmis par le chevalet. Ces pertes sont dues au matériau lui-même,aux frottements avec le fluide environnant dus au mouvement de la tableainsi qu’au rayonnement acoustique. Le lien mécanique avec d’autres struc-tures telles que le chevalet, les barres de table ou la ceinture peut égalementcontribuer au filtrage.

    Captation des vibrations de la table

    Nous évoquions au paragraphe 1.2.3 la possibilité de placer un micro-phone de contact sous la table d’harmonie, au niveau du chevalet. Comptetenu des rapports de masses entre le microphone (une vingtaine de grammespour l’AKG C411) et la table d’harmonie, celui-ci aura thériquement une in-fluence négligeable sur la vibration de la table, d’autant plus que la vibrationest un phénomène global et non local. Ceci demandera une attention touteparticulière lors des enregistrements, étant donné que les accordeurs arriventà percevoir une différence de timbre dès lors qu’une masse même faible estajoutée à l’un des éléments du piano (table d’harmonie, cadre).

    Le problème le plus important de ce type d’enregistrement est lié àla ponctualité du dispositif de captation, qui ne pourra rendre que partiel-lement les vibrations de la table d’harmonie. En effet, si celui-ci est placédans une zone peu ou pas excitée pour un mode donné, le signal capté seraexempt de cette fréquence. À l’inverse, si le dispositif est placé en un ventre devibration, la fréquence concernée sera surreprésentée dans l’enregistrement.Pour limiter l’influence de l’emplacement du microphone sur la table d’har-monie, on pourrait envisager de multiplier les dispositifs, mais avec le risquede modifier les propriétés vibratoires de cette dernière du fait de l’ajout d’unemasse [38]. D’un point de vue purement logistique, il faudrait aussi s’assurerde la possibilité d’installer, d’enregistrer et de mixer une dizaine (voire da-vantage) de ces microphones dans le cadre professionnel. Enfin, un capteurde type microphone de contact (ou accéléromètre) mesure l’accélération dela structure au point de contact. Il faudra alors intégrer le signal capté pourobtenir une vitesse et donc dimensionnellement parlant, un son. Là encorese pose le problème de la logistique : dispose-t-on des conditionneurs per-mettant l’utilisation d’un capteur métrologique, ou bien considère-t-on quele microphone de contact “prêt à l’emploi” délivre exactement la vitesse dedéplacement en ce point de la surface.

    25

  • 1.2.5 Rayonnement acoustique de la table d’harmonie

    La table d’harmonie du piano a pour fonction essentielle de convertirles vibrations internes à l’instrument en son audible à l’extérieur de celui-ci,jouant le même rôle qu’une membrane de haut-parleur.

    De la même manière que la table d’harmonie filtre les vibrations,elle rayonne dans une gamme de fréquences privilégiées de 100 Hz à 2000Hz d’après Wogram [38] et au-delà de 2000 Hz, le rayonnement atteint uneconstante [20]. Dans les hautes fréquences le comportement vibratoire de latable est modifié : celle-ci s’apparente à une multitude de petites zones devibration, qui rayonnent moins qu’une surface équivalente rayonnant commeun tout. Dans les basses fréquences, la table d’harmonie est dépourvue de picsde résonnance à même d’aider au rayonnement acoustique. Il est égalementà noter que l’emploi d’épicéa, de structure longitudinale, et l’assemblage enlames parallèles rend la table d’harmonie du piano anisotrope. L’anisotropiede cette structure a tendance à en diminuer le rayonnement acoustique [38].Les barres de table servent en partie à réduire l’anisotropie de la table d’har-monie, en permettant aux vibrations de se transmettre aussi de façon trans-versale [15, 38].

    Wogram met également en lumière les liens entre amplitude de vi-bration de la table d’harmonie, impédance mécanique de celle-ci et durée duson produit, dans un but prédictif (déterminer le comportement du son apriori à partir de simulations et non plus a posteriori sur des prototypes).Il montre ainsi qu’une grande amplitude de vibration de la table d’harmonieva de pair avec une faible impédance mécanique de celle-ci, et donc avec untransfert d’énergie du chevalet vers la table très efficace, ce qui résulte en unefaible durée du son. En modifiant en simulation les paramètres de rigidité etd’épaisseur de la table d’harmonie en certaines zones, on peut alors modelerles durées des sons en fonction du rendu final recherché [38].

    26

  • Chapitre 2

    État de l’art de la captation

    2.1 Cadre de la prise de son

    2.1.1 Étude de quelques enregistrements audiovisuelsrécents

    Notre mémoire portant sur la prise de son du piano à queue lors derécitals filmés, il nous paraît essentiel d’avoir une idée de ce qui peut exister.

    Le premier enregistrement sur lequel nous avons travaillé est celuidu concert d’Adam Laloum le 17 juillet 2010 au Festival de Verbier [26].Sur cet enregistrement, aucun micro ni pied de micro ne sont visibles surla scène. Le piano semble assez large mais n’occupe pas toute la largeurde la base stéréophonique, il est éloigné et dans l’acoustique d’une salle dedimensions moyennes. Nous pensons alors à une prise de son effectuée dpuisla salle. Une vue du public depuis la scène (à 34’37”) renforce cette idée, on ydistingue dans la pénombre de la salle, ce qui s’apparente à des microphonessuspendus : Figure 2.1. Après discussion avec Marc Pasteau [8] concernant saprise de son, il s’avère que des microphones suspendus ont bien été utilisés.Il s’agit de DPA 4052, de directivité omnidirectionnelle.

    27

  • Figure 2.1 – Vue du public et dispositif supposé de prise de son d’après [26]

    L’avantage de ce type de prise de son est de laisser libre la scène et debénéficier de l’acoustique de la salle. L’inconvénient est l’enregistrement debruits parasites comme des toux ou des mouvements de portes, comme c’estle cas pour ce concert. En partie pour cette raison, des microphones DPA4015 de directivité infracardioïde ont été utilisés par la suite [8].

    Le second enregistrement étudié ici est celui du concert de Grigory So-kolov, le 4 novembre 2002 au Théâtre du Châtelet [33]. Cet enregistrementprésente quant à lui une microphonie visible des caméras : deux pieds de mi-crophones se trouvent sur scène, vers la queue du piano, et des microphonessont probablement suspendus (fil d’accroche oblique arrivant dans l’axe dumilieu de la scène). L’impact visuel reste toutefois limité, dans le sens où lesplans montrant la microphonie sont peu nombreux, et où certaines zones dela scène restent dans l’ombre : Figure 2.2.

    En termes de son, le piano est proche sans être au premier plan, et n’occupepas toute la base stéréophonique, il est dans une acoustique de salle. Le sonest puissant et défini sans être agressif.

    28

  • Figure 2.2 – Dispositif de prise de son du concert de Grigory Sokolovd’après [33]

    Un troisième enregistrement est le documentaire Pianomania, que Ro-bert Cibis et Lilian Franck ont consacré à l’accordeur Stefan Knüpfer [22]. Cedocumentaire suit plusieurs échanges entre l’accordeur et les pianistes, dansdifférents lieux, ce qui conduit à différentes prises de son. Parmi ces options,l’une d’elle a retenu notre attention. Il s’agit de l’emploi de microphonesplaques, notamment sur la séquence avec le pianiste Lang-Lang (à partir de11’47”), en plus d’autres systèmes (un couple suspendu et des microphonesdans la salle de concert). Le système de microphones plaques a l’avantagede réduire l’impact visuel si on le compare à des microphones sur pieds, cequi nous intéresse particulièrement ici. L’un des inconvénients peut être decapter davantage de bruits de pas et de claquements de chaussures qu’on nele souhaite. Ces microphones ont été utilisés lors de certaines de nos séancesd’enregistrement (voir paragraphe 3.3).

    29

  • 2.1.2 Présentation de quelques systèmes micropho-niques dédiés à la prise de son du piano à queue

    Deux systèmes de prise de son dédiés au piano nous intéressent ici.Il s’agit d’outils développés par Helpinstill et Earthworks. Nous n’avons puessayer ces systèmes, soit par manque de revendeurs en France, soit parmanque de stocks chez eux, en raison du coût élevé de ces pièces. Nousdevrons donc nous limiter à l’étude théorique de ces outils, et aux extraitséventuellement proposés par les constructeurs eux-mêmes.

    Earthworks PianoMic Series

    Nous nous intéressons en premier lieu au système PM40 développépar le constructeur Earthworks [10]. Le PM40 se présente sous la forme d’unebarre télescopique sur laquelle sont fixés deux microphones omnidirectionnels(les “40kHz Random Incidence Omnis”). La barre est faite pour se placer àl’intérieur du piano, les extrémités reposant sur la ceinture, les flexibles per-mettant d’orienter les microphones : Figure 2.3.

    Figure 2.3 – Vue du système PM40 d’Earthworks, selon l’une des configu-rations propsées par le constructeur [10]

    Les microphones “40kHz Random Incidence Omnis” sont décris par le

    30

  • constructeur comme plus à même de capter un champ diffus que les autresmicrophones, sans pour autant préciser comment [9], mais il semble que lagamme de fréquences s’étendant jusqu’à 40 kHz fasse partie des prérequis,ce qui signifierait que le reste du matériel doive suivre pour conserver lesperformances du système PM40.

    Il est possible d’accéder à partir du site du constructeur [10] à desenregistrements réalisés à l’aide de ces microphones (sans mention des condi-tions d’enregistrement et de post-production éventuelle). Il semblerait queles aigus sonnent assez “durs”, peut-être du fait de la proximité avec la mé-canique.

    L’avantage certain de ce système est l’absence de pied de micro.

    Helpinstill Piano

    Le second système ayant attiré notre attention est celui développépar Helpinstill, et fonctionnant comme un microphone de guitare électrique,c’est-à-dire qu’un système bobine-aimant capte les vibrations des cordes (etnon le rayonnement acoustique de la table d’harmonie comme le ferait unsystème microphonique traditionnel). Le système se compose de trois barresà placer le plus près possible des cordes sans les toucher, comme le montrele photogramme ci-dessous (Figure 2.4), issu de la vidéo de présentation parCharles Helpinstill disponible sur le site du constructeur [13].

    Figure 2.4 – Vue du système Helpinstill en cours d’installation. Les barresreposent sur la table d’harmonie, par l’intermédiaires de patins, ou sur lecadre par l’intermédiaire d’un support [13]

    31

  • Le constructeur ne propose pas d’enregistrement de piano sur son siteInternet. En revanche, le constructeur Earthworks propose une comparaisonentre son système et le système Helpinstill [10]. L’enregistrement proposéapparaît très détimbré, mais il ne faut pas oublier qu’il est proposé par unconcurrent direct... Il est donc très difficile de se faire une idée du rendud’un tel système. Par contre, il est bien précisé par Helpinstill lui-même quela post-production est nécessaire avec son système [14] : “A certain amountof equalization and effects (such as reverb) may be necessary to perfect thesound, but the result can be completely natural.”.

    Nous n’avons pu essayer ce système, certains points restent donc àélucider, notamment l’impact du support posé sur le cadre (vibrations ?) etde la masse ajoutée sur la table d’harmonie par les supports, les barres et lescâbles (modification des propriétés vibratoires de la table et vibrations pa-rasites ?) sur le son non amplifié entendu dans la salle. Autrement dit, est-ceque ce système modifie la sonorité du piano ? Ce point nous paraît essentieldans notre recherche, car certes nous voulons le meilleur enregistrement pos-sible compte tenu des conditions, mais sans pour autant gêner le déroulementdu concert.

    2.2 Cadre de la recherche en acoustique

    2.2.1 Outils de captation en acoustique

    Afin de déterminer le comportement vibratoire d’une pièce ou d’unestructure,plusieurs étapes sont nécessaires. Tout d’abord la mise en vibrationde ladite structure, puis la captation des signaux et leur conditionnement, etenfin l’analyse à proprement parler.

    Nous nous intéressons ici au comportement vibratoire de la tabled’harmonie du piano. Pour mettre cette structure en vibration, plusieursoutils existent, parmis lesquels le marteau d’impact. Celui-ci permet d’appli-quer à la structure une force en un point et de la mesurer en même temps. Lastructure est alors excitée sur une large gamme de fréquences, dont l’étenduedépend de la dureté de la tête : plus le matériau sera dur, plus la gamme defréquences excitées s’étendra vers le haut [12].

    32

  • Une autre façon de mettre la table d’harmonie en vibration est l’uti-lisation d’un pot vibrant, permettant lui de n’exciter qu’une seule fréquenceà la fois. Toutefois, cette méthode est destructive, il faut coller le pot vibrantà la table d’harmonie avec de la cyanolite. . . [12] On ne pourra donc pasl’utiliser sur des pianos en service dans des salles de concert.

    Selon le signal que l’on souhaite récupérer, plusieurs types de capteurspeuvent être utilisés. Si l’on s’intéresse aux vibrations de la table d’harmo-nie, des accéléromètres pourront être utilisés. Ceux-ci permettent d’accéderà l’accélération de la table d’harmonie à l’endroit exact où ils sont placés.Pour avoir une idée plus juste de l’accélération globale de la table pour uneexcitation donnée en un point donné, il sera nécessaire de procéder au qua-drillage systématique de la table. Seule la position du capteur devra varier,il faudra donc veiller à ce que l’excitation soit la même à chaque fois (re-productibilité de la perturbation). Il est à noter que ces capteurs fournissentun signal de type accélération. Le son étant une vitesse (dimensionnellementparlant), si de tels capteurs devaient être utilisés en prise de son, il faudraitnécessairement procéder à l’intégration du signal obtenu [11].

    Si par contre l’objectif est de recueillir le rayonnement acoustique de lastructure, on emploiera des capteurs microphoniques. Ces microphones sontdes outils spécifiques, de mesure, que l’on ne rencontre pas ou peu habituelle-ment dans les studios d’enregistrement où sur scène. L’un des constructeursde ces capteurs est le Danois Brüel&Kjær, qui propose des microphones detypes différents pour s’adapter au lieu de la mesure : type champ libre ser-vant en salles anechoïques, et type pression pour travailler en champ diffus(comme dans une salle réverbérante) [34].

    Le conditionnement du signal obtenu est la dernière étape avant quecelui-ci ne soit analysé. Le préamplificateur permet de convertir en tensionl’intensité électrique délivrée par un microphone à condensateur (notammentles Brüel&Kjær) et d’assurer l’adaptation d’impédance entre le microphoneet l’amplificateur. Celui-ci a pour rôle de donner au signal un niveau suffisantpour être analysé correctement par la suite [34].

    2.2.2 Outils de l’analyse acoustique

    Lorsqu’un signal sonore ou une vibration sont émis, il est intéressantde pouvoir les caractériser, que ce soit en niveaux (moyen, de crête, pondéréou non) ou en terme d’occupation spectrale.

    33

  • Un analyseur de spectre peut fournir le contenu fréquentiel du signalde façon dynamique, ce qui permet de visualiser l’évolution de ce contenuau cours du temps. Il est également possible de connaître le niveau moyenen décibels (avec ou sans pondération) pour chaque fréquence ou bande defréquences (octave, tiers d’octave) sur une durée d’intégration donnée (parexemple la durée de la vibration de la table).

    L’analyse d’un signal par Intégration de Densité Spectrale (IDS) estun autre type d’analyse pouvant être conduit, mis au point par Émile Leipp,et repris par Laurent Millot [32]. Il s’agit de découper fréquentiellement unsignal en sous-bandes, établies d’après la perception de l’oreille, et de déter-miner le poids de chaque sous-bande dans ce signal, en décibels [32, 11] selonla relation :

    Poids de la sous − bande = 20 · log(

    énergie dans la sous − bandeénergie totale du signal

    )

    Le découpage féquentiel est présenté en figure 2.5. Il est à noter queles deux sous-bandes extrêmes (1 et 10) ne faisaient pas partie du décou-page initial d’Émile Leipp, mais procèdent du nouveau découpage établi parLaurent Millot.

    Numéro de sous-bande IDS Couverture fréquentielle (Hz)1 0 - 502 50 - 2003 200 - 4004 400 - 8005 800 - 12006 1200 - 18007 1800 - 30008 3000 - 60009 6000 - 1500010 15000 - F s2

    Figure 2.5 – Découpage fréquentiel du signal lors d’une analyse IDS.

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  • 2.3 Liens entre les domaines de la prise deson et de la recherche en acoustique

    Établir un lien entre la recherche en acoustique, qui va permettre desavoir “comment” et “pourquoi” sonne un piano, et la prise de son, qui doitrépondre à la question comment faire pour obtenir à l’arrivée le son escompté,est l’un des axes d’étude de ce mémoire.

    Connaître le comportement de l’instrument est ici perçu comme uneaide, un atout supplémentaire dans la réflexion autour de la prise de son. Ilne s’agit aucunement de définir une seule et unique méthode de captationfondée sur la physique, ceci étant à notre sens impossible, voire même aber-rant, puisque l’un des savoir-faire de la prise de son consiste à s’adapter auxconditions (piano, pianiste, salle, œuvre, etc. . .). En revanche, cette connais-sance peut améliorer la compréhension de certains problèmes, et élargir lechamp des solutions potentielles. Ainsi, savoir que la table d’harmonie n’apas un comportement vibratoire unique mais des modes localisés différem-ment selon la fréquence peut être une piste de réflexion quant à d’éventuelsdéséquilibres spectraux rencontrés à proximité de la table.

    Enfin, et à titre purement informatif, une analyse des signaux peutéventuellement apporter des ébauches de caractères physiques en lien avecle goût de l’auditeur. Là encore, il ne s’agit absolument pas d’établir unerecette pour faire qu’un enregistrement “marche”, mais plus de comprendre(en termes rationnels) ce que l’on fait lorsque l’on place des microphones etque l’on traite les enregistrements en post-production. Sachant toutefois quedans le métier, ce sont les oreilles expérimentées de l’ingénieur du son quiprimeront sur la théorie, puisqu’au final, c’est l’oreille sera le juge de paix,et non l’appareil de mesure.

    35

  • Chapitre 3

    Descriptif et analyse desenregistrements effectués

    Ce troisième chapitre est pour nous l’occasion de présenter les diffé-rents dispositifs mis en place au cours du mémoire. Toutes les séances ontété conduite avec le double objectif d’être le moins visible possible des axescaméra les plus courants (Fig. 3.1), tout en garantissant une qualité sonoreirréprochable, ou à tout le moins conforme aux attendus esthétiques propresà la musique classique.

    Outre les techniques employées, nous présenterons des analyses cri-tiques des signaux sonores bruts et après post-production, en regard de lasonorité du piano que nous recherchions. Toutes les tentatives n’ont pas donnélieu à une post-production, certaines ayant été écartées d’emblée au profitdes enregistrements les plus prometteurs (comme on peut le faire en situa-tion réelle lorsqu’un placement de microphones ne donne pas satisfactionmais qu’un autre convient tout à fait). Le lecteur trouvera tous les extraitssur le CD d’accompagnement.

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  • Figure 3.1 – Axes caméra traditionnellement utilisés lors de captations derécitals de piano solo.

    3.1 Dispositif microphonique placé sous lepiano

    L’objectif d’invisibilité du dispositif microphonique nous a conduitsen premier lieu à envisager un placement sous le piano, ce type de plan n’étantpas un plan standard utilisé dans les captations de récitals.

    3.1.1 Utilisation de microphones de contact AKGC411

    Nos premiers essais ont été menés à l’aide de microphones de contactAKG C411, bien que ceux-ci soient utilisés préférentiellement pour la guitareacoustique. Nous souhaitions en effet savoir ce que pouvait donner un teldipositif sur un piano à queue.

    37

  • D’après notre étude théorique, placer le capteur sous le chevalet per-mettait de recueillir le maximum d’énergie en provenance des cordes (voirparagraphe 1.2.3), et ne modifiait pas les propriétés vibratoires de la tabled’harmonie (voir paragraphe 1.2.4). Cela paraissait donc un bon compromis,puisque nous pouvions enregistrer le piano sans être vus, et sans modifier lasonorité de celui-ci dans la salle de concert.

    Bien que nous nous trouvions face à Steinway D, au chevalet d’unseul tenant, nous avons souhaité utiliser deux microphones de contact, pla-cés environ au milieu de chaque zone (côté chevalet des basses et côté grandchevalet). Cela nous a permis d’entendre qu’une note excite préférentielle-ment la zone de la table d’harmonie où ses cordes font pression. Ainsi, unemontée de gamme chromatique [CD 1, Piste 1] permet de “visualiser” sur labase stéréophonique la transition entre les deux zones du chevalet :

    – de La0 à Do2 : chevalet des basses uniquement, le piano est collé dansl’enceinte droite (source réelle) ;

    – de Do#2 à Fa#3 : on suit la note dans la base stéréo ;– de Sol3 à Do8 : grand chevalet uniquement, le piano est collé dansl’enceinte gauche (source réelle).

    Un enregistrement musical a été réalisé à l’aide de ce dispositif [CD 1,Piste 2]. Le spectre obtenu est trés réduit, l’enregistrement comporte surtoutdu haut médium et de l’aigu, c’est-à-dire que nous n’avons que la partietransitoire de l’instrument, sans sa résonnance. Le timbre est très métallique,et ceci est renforcé par le bruit des étouffoirs se soulevant des cordes dès quela pédale de sustain est actionnée. Le thème joué lors de cet enregistrementest majoritairement dans le médium, ce qui conduit à un piano collé dansl’enceinte gauche durant la quasi totalité de la pièce.

    Au vu des résultats fournis par ce dispositif, nous ne pouvons pasenvisager d’enregistrer un récital avec, au vu de la piètre qualité sonore at-teinte.

    3.1.2 Utilisation de microphones miniatures DPA 4060

    L’emploi de microphones miniatures DPA 4060 nous a permis d’en-visager une autre option de placement sous le piano. Ces microphones sontomnidirectionnels, destinés en première utilisation à la voix humaine, maisservent aussi en proximité sur des cordes (il existe des systèmes de pose surle cordier chez ce même fabricant). Lors de nos essais, nous avons fixé deux

    38

  • de ces microphones sur les poutres du barrage en utilisant un mastic (pas decontact avec le bois grâce à du barnier) dans lequel étaient fichées les pincesd’accroche pour vêtements, faute d’avoir à notre disposition les pastilles defixation universelles. Le mastic avait un double rôle, tout d’abord faire tenirles microphones en place, mais aussi les isoler au maximum des vibrations dubarrage, dont nous ne pouvions estimer les conséquences éventuelles a priori.La figure 3.2 permet de visualiser le montage effectué.

    Figure 3.2 – Microphones DPA 4060 fixés sous le barrage

    Les deux capsules sont espacées de 23 cm, et situées à une trentainede cm du point de jonction des poutres du barrage (29 cm à gauche et 35cm à droite). L’écart entre la capsule et le point d’accroche est de 5 cm. Ilest à noter que ces valeurs résultent d’une démarche empirique. Nous avonscherché au cours de nos essais à obtenir le meilleur son possible, comme nousl’aurions fait pour une prise de son de référence (externe au piano).

    Avec ce type d’enregistrement [CD 1, Piste 3], les aigus perdent endéfinition, au profit du médium, le son n’est pas agressif. L’image stéréopho-nique est quand à elle agréable, avec un piano assez large, le bas du spectreoccupant la largeur de la base et les aigus étant plus localisés dans la moitiégauche de celle-ci. Par contre, le piano est extrêmement proche et la sallequasi absente.

    Ce dispositif microphonique a des atouts certains, comme son occu-pation spectrale intéressante bien que réduite et nécessitant un travail depost-production, mais n’est pas encore satisfaisant pour un enregistrementclassique (du fait des aigus et de l’absence de salle).

    39

  • 3.2 Dispositif microphonique placé dans lepiano

    Afin de remédier aux pertes d’aigus constatées pour les enregistre-ments effectués avec des microphones placés sous le piano, nous avons placésdes microphones DPA 4060 à l’intérieur du piano, plus précisément sur lecadre métallique, avec le même système de fixation que sur le barrage. Pources prises, nous avons travaillé avec le couvercle du piano ouvert en grand.

    3.2.1 Microphones placés sur la partie avant du cadre

    Les premiers placements de microphones à l’intérieur du piano ontpour ainsi dire copié les placements de couples microphoniques habituels avecdes omnidirectionnels (distances et angles inter-capsules), bien que nous sa-chions que les théories valables dans ce cas ne s’appliqueraient pas en grandeproximité de la source sonore. Il nous fallait cependant un point de départ.Différents placements ont été expérimentés afin de trouver la meilleure sono-rité possible avec ce type de dispositif, en corrigeant toutefois le placementde manière “logique”, par exemple en orientant les microphones dos aux mar-teaux lorsque nous constations une trop forte présence des bruits de méca-nique dans le rendu global. Dans ce cas précis, ce type de bruits étant plutôtdans les hautes fréquences, nous avons joué sur la directivité des microphonesdans ces mêmes fréquences.

    Le dispositif le plus satisfaisant que nous ayons atteint est présenté enfigure 3.3. Les capsules sont distantes d’une vingtaine de cm, et faiblementangulées (environ 45˚). On est ainsi loin des 40 cm couramment employéspour des couples de microphones omnidirectionnels traditionnels (pour les-quels la source est approximée comme ponctuelle, ce qui ne peut pas êtrele cas pour nous). Les capsules sont au-dessus des cordes, à 5 cm de leursaccroches.

    Le piano obtenu pour ce dispositif [CD 1, Piste 4] est assez satisfaisantdu point de vue de l’étendue spectrale, on retrouve les aigus par rapport audispositif sous le piano. Ce type d’extrait est très précis, grâce aux aigus sedétachant bien du médium du fait de leur légère agressivité. Il y a en effet un

    40

  • Figure 3.3 – Microphones DPA 4060 fixés sur la partie avant du cadre d’unSteinway D

    apport non négligeable de la mécanique, qui peut, selon les pièces, s’avérergênant. La proximité avec l’instrument est aussi flagrante, la salle est absentede ce type d’enregistrement, ce qui en accentue l’agressivité. Ces enregistre-ments se démarquent aussi par leur faible profondeur. À notre sens, certainespièces de Mozart nécessitant rigueur et précision de jeu peuvent mieux sup-porter une prise de son très précise que des pièces de Chopin enregistrées defaçon similaire, et pour lesquelles on attend plus de rondeur. Il ne s’agit làque d’une ébauche, mais qui suivrait somme toute la démarche adoptée dansle cas d’une prise de son non dissimulée, où l’on cherche à s’adapter à l’œuvreet au pianiste pour aller dans le même sens que lui.

    3.2.2 Microphones placés sur la partie arrière du cadre

    La seconde disposition de microphones à l’intérieur du piano fait faceà la première, “regardant” vers la salle, ainsi que le montre la figure 3.4. Lescapsules sont distantes d’une vingtaine de cm et toujoursà 5 cm de leursaccroches, mais sont parallèles entre elles, contrairement à la disposition pré-cédente (Figures 3.4 et 3.5).

    La comparaison entre les enregistrements issus des deux placements

    41

  • Figure 3.4 – Microphones DPA 4060 fixés sur la partie arrière du cadre d’unYamaha C7

    Figure 3.5 – Microphones DPA 4060 fixés sur la partie arrière du cadre d’unSteinway D, face à la microphonie 3.2.1

    internes montre que les microphones situés à l’arrière du cadre [CD 1, Piste5] donnent un son moins agressif que ceux placés à l’avant, de même qu’uneplus grande profondeur, mais perdent en médium. Ce placement de micro-phones est le plus prometteur selon nous. Il nécessite certes un travail depost-production, mais le signal brut semble le plus à même d’être travaillé.

    42

  • Pour ces deux dispositifs, on veillera à établir scrupuleusement lepassage des câbles, qui ne doivent en aucun cas toucher les cordes (sous peinede créer des vibrations parasites et de modifier le timbre de l’instrument) nipouvoir être pris dans les étouffoirs. Ceci permettra également de réduirel’impact visuel dans le cas d’un plan montrant l’intérieur du piano.

    3.3 Dispositif microphonique placé sur lascène

    Une dernière option de prise de son dissimulée s’est offerte à nous avecl’utilisation de microphones de surface Schoeps BLM 3. Nous avons placé cesmicrophones au sol devant le piano (à une cinquantaine de cm de l’aplombdu piano).

    Un tel système [CD 1, Piste 6] nous a permis de gagner sur le plan dutimbre du piano, plus proche de ce que l’on pouvait obtenir par les prises deson de référence, et sur le plan de l’éloignement du piano, qui est légérementdécollé du premier plan tout en restant proche. Le bas médium, très présent,sera à surveiller pour éviter les rendus sonores “brouillons”.

    Ce type de microphone permet d’atteindre au mieux nos deux objec-tifs. D’une part, la qualité sonore nous semble en adéquation avec ce que l’onpeut attendre pour un enregistrement de piano classique, et d’autre part,l’impact visuel est limité (ce sont les plans en plongée depuis la salle ou lesplans zénithaux qui seront principalement affectés). Néanmoins, ce type demicrophone est à cheval entre les deux catégories de dispositifs que nousavions établies, à savoir les dispositifs de référence (couples microphoniques“traditionnels”) et les dispositifs dissimulés dans l’instrument.

    3.4 Dispositifs microphoniques de référence

    Les séances d’enregistrement menées ont donné lieu à différentesprises de son en plus des prises de son dissimulées : les “références”, externesau piano.

    43

  • 3.4.1 Séance du 16 mars 2012 à l’Auditorium du CRRde Boulogne-Billancourt

    Lors de cette première séance d’enregistrement, des DPA 4006 om-nidirectionnels ont été placés dans le piano, à environ 60 cm du plan descordes, l’un à un tiers de la longueur des cordes en partant des marteaux etl’autre à un tiers de la longueur des cordes en partant de la queue.

    Cette prise de son présente l’avantage d’une belle définition mais perden salle. L’image stéréophonique est également affectée, avec une répartitionmarquée des aigus à gauche et des médium et graves à droite.

    3.4.2 Séance du 4 mai 2012 à la Salle d’Art Lyriquedu CRR de Boulogne-Billancourt

    Pour cette deuxième séance, deux prises de son de référence ont étéeffectuées. La première avec un couple d’omnidirectionnels DPA 4006 espacésde 41 cm et angulés de 45˚ (Figure 3.6). Les capsules sont très proches dupiano, à peine quelques cm en dehors. Le rendu est équilibré spectralement,le piano est large et occupe la quasi totalité de la base stéréophonique, et estlégérement décollé du premier plan. La salle est peu présente.

    La seconde prise de référence est celle qui nous servira lors des testsperceptifs, il s’agit d’un couple d’infracardioïdes Schoeps MK21 distants de24,5 cm et angulés de 80˚, placés à environ 1,50 m du piano, à une hauteurde 1,60 m (Figure 3.7). L’avantage de cette prise de son est de donner unpiano large mais sans pour autant occuper toute la largeur de la base sté-réophonique, équilibré spectralement et surtout placé dans l’acoustique de lasalle, ce qui correspond à nos attentes pour de la musique classique.

    44

  • Figure 3.6 – Prise de son de référence au couple de DPA 4006, proches dupiano

    Figure 3.7 – Prises de son de référence aux couples de Schoeps MK21 et deDPA 4006

    3.5 Principes de post-production des enregis-trements dissimulés

    De manière générale, les enregistrements dissimulés dans le piano pré-sentaient deux problèmes spectraux principaux :

    45

  • – Le premier se situait dans le bas aigu, autour de 2,2 kHz. Ceci étaitdû à la proximité avec la mécanique. Égaliser cette zone fréquentiellepermettait de limiter les bruits d’impact des marteaux, et donc l’agres-sivité que l’on pouvait percevoir dans le timbre du piano ;

    – Le second point concernait une surreprésentation de la résonance dupiano, qui avait tendance à rendre les enregistrements “brouillons”. Untravail d’égalisation dans la zone fréquentielle située autour de 200 Hz(170 à 315 Hz selon les enregistrements) a permis de libérer un peu lemix.

    Avec les prises de proximité, nous avons été confrontés à une plus grandedynamique instantanée. Pour y remédier et se rapprocher des enregistrementsde référence, il aurait fallu faire appel à la compression, ce que nous n’avonspas fait, le matériel que nous avions à notre disposition ne nous permettantpas un travail aussi fin que ce que nous voulions, et l’impact sur le timbreétant trop important. La compression aurait également permis de gommerl’agressivité du son, en travaillant sur les attaques.

    Enfin, l’ajout d’une réverbération artificielle s’est avéré nécessairepour rendre les enregistrements plus proches d’enregistrements de référence,et permettre leur appréciation qualitative en regard de ces mêmes enregis-trements. Dans le même temps, cet ajout a créé une impression de présenceplus salle, peu habituelle pour un enregistrement de piano classique.

    3.6 Bilan des prises de son dissimulées

    Les prises de son dissimulées ont ouvert un certain nombre de portes,notamment en ce qui concerne l’utilisation de microphones en dehors de leurcadre usuel, ainsi il est tout à fait possible d’enregistrer un piano à queueavec des microphones que l’on rencontre le plus souvent sur des voix.

    Néanmoins, nous nous sommes confrontés très rapidement aux limitesde ces enregistrements. Les dispositifs internes au piano sont extrêmementsensibles à leur emplacement, du fait de leur grande proximité avec la sourcesonore, et il ne nous a pas été possible d’établir de règles comme nous en avonspour les couples de microphones. Par manque d’habitude de ce type de prisede son sur un piano à queue, chaque déplacement de microphone pouvait avoirdes conséquences assez éloignées de ce que nous escomptions. Ceci n’était pasproblématique en soi lors des enregistrements menés spécifiquement pour

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  • le mémoire, le pianiste ayant été prévenu du déroulement particulier de laséance, mais peut être plus compliqué lors de captations réelles, où le tempsde préparation et d’installation est compté.

    Enfin, la dernière limite rencontrée est celle du timbre du piano, quinous semble très éloigné du timbre auquel nous sommes habitués par lesenregistrements de référence. Nous obtenons en effet un piano très précis,et même ciselé, mais celà ne nous semble pas convenir à tous les courantsmusicaux, certains, comme le romantisme, requérant à notre sens plus derondeur.

    3.7 Analyses objectives des prises de son

    L’analyse objective des signaux vise, au-delà de l’acquisition de don-nées chiffrées propres à chaque prise, à déterminer les différences entre lesprises de son alternatives et de référence. Le second point est de savoir s’ilest possible de passer aisément de l’une à l’autre moyennant un recours autraitement du signal.

    3.7.1 Analyse de spectre sous Nuendo

    Remarque : Les illustrations présentées ici ne concernent que la voiegauche des signaux analysés. Le lecteur trouvera l’ensembles des analyses enannexe C.

    Le premier outil d’analyse que nous avons utilisé n’est pas spécifiqueà la recherche en acoustique puisqu’il s’agit de l’analyseur de spectre duséquenceur Nuendo 4, de l’éditeur Steinberg. Cet outil est conforme à ceque l’on attend dans un contexte de production où tout doit aller vite :ergonomique et facile d’accès, il a été notre première base pour comparerobjectivement les enregistrements alternatifs et de référence.

    Les extraits soumis à l’analyse sont Opéra de Tansman, et le PréludeOpus 28 n˚2 de Chopin. Ces deux pièces ont été enregistrées dans les mêmesconditions lors de la seconde séance d’enregistrement au CRR de Boulogne-Billancourt. Opéra est pour nous la pièce dont la prise alternative sonne le

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  • mieux, et le Prélude est à notre sens celle qui supporte le moins bien ce typede captation d’ultra-proximité.

    Cas d’Opéra de Tansman

    L’analyse menée sur Opéra de Tansman confirme en premier lieul’écoute critique, avec une prise de son alternative plus chargée en graves quela prise de référence, de l’ordre de 12 dB à 79 Hz (figures 3.8 et 3.9) maiselle sera moins chargée en extrêmes graves, ce que nous ne pouvions entendresur notre système d’écoute composé de deux Focal CMS50. Si l’on se référeà l’analyse modale (paragraphe 1.2.4), on remarque que cette zone fréquen-tielle correspond au premier mode de la table d’harmonie (79,95 Hz), dontl’amplitude maximale est située dans la zone de la table au-dessus de laquellenous avions placé nos microphones (prise de son alternative sur l’arrière ducadre). Pour ce point, la connaissance de l’acoustique de l’instrument permetd’anticiper et donc de prendre en compte la surreprésentation des graves àla prise et au mixage.

    Figure 3.8 – Analyse de spectre sous Nuendo 4 de la voie gauche de la prisealternative, Tansman, Opéra.

    Pour retrouver un spectre similaire à celui de la prise de référence,il est tentant de recourir à un filtre paramétrique pour creuser la prise al-

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  • Figure 3.9 – Analyse de spectre sous Nuendo 4 de la voie gauche de la prisede référence, Tansman, Opéra.

    ternative de 12 dB à 79 Hz (Q=3 par détermination empirique) et ainsis’approcher au mieux du spectre de la prise de référence. Le spectre obtenuaprès cette égalisation est présenté en figure 3.10.

    L’écoute comparative de la prise de référence [CD 1, Piste 7], de laprise alternative (travaillée selon les principes généraux de post-productionmentionnés au paragraphe 3.5) [CD 1, Piste 8] et de la prise alternative aprèscette nouvelle égalisation [CD 1, Piste 9] montre que cette seule modificationne suffit pas à rapprocher la prise alternative de la prise de référence, commeon pouvait s’y attendre. Cette première correction est en effet assez vaine,les égaliseurs disponibles ne permettant pas un travail sur de très fines zonesspectrales : au mieux il est possible de travailler en bandes de tiers d’oc-tave. . . Il serait ici intéressant de pouvoir travailler fréquence par fréquence,par exemple avec le logiciel AudioSculpt développé par l’IRCAM.

    Cas du Prélude Opus 28 n˚2 de Chopin

    Dans le cas du Prélude Opus 28 n˚2 de Chopin, l’analyse de spectresous Nuendo 4 montre une similitude avec celle d’Opéra de Tansman, dansle sens où la prise alternative (figure 3.12) est plus chargée en graves que

    49

  • Figure 3.10 – Analyse de spectre sous Nuendo 4 de la voie gauche de laprise alternative ré-égalisée, Tansman, Opéra.

    la prise de référence (figure 3.11), cette fois de l’ordre de 14 dB à 90 Hz.Contrairement à l’étude précédente, il n’est pas possible d’établir un lien entreles modes de vibration de la table d’harmonie au voisinage de l’emplacementdes microphones et la surreprésentation des graves dans la prise d’ultra-proximité.

    50

  • Figure 3.11 – Analyse de spectre sous Nuendo 4 de la voie gauche de laprise de référence, Chopin, Prélude Opus 28 n˚2.

    Figure 3.12 – Analyse de spectre sous Nuendo 4 de la voie gauche de laprise alternative, Chopin, Prélude Opus 28 n˚2.

    De la même manière que pour Opéra, on corrige à nouveau la prise

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  • alternative (filtre paramétrique : -14 dB à 90 Hz, Q=2.8 par déterminationempirique). Le spectre obtenu après ré-égalisation est présenté en figure 3.13.

    Figure 3.13 – Analyse de spectre sous Nuendo 4 de la voie gauche de laprise alternative corrigée, Chopin, Prélude Opus 28 n˚2.

    La comparaison des trois extraits du Prélude (la prise de référence [CD1, Piste 10] et les deux prises alternatives [CD 1, Pistes 11 et 12]) conduit auxmêmes conclusions que dans le cas d’Opéra, à savoir que cette seule correc-tion n’est pas suffisante, et qu’un travail fréquentiel plus fin est à envisager,notamment avec AudioSculpt.

    3.7.2 Analyse par Intégration de Densité Spectrale

    Nous avons par ailleurs mené grâce à Laurent Millot une seconde ana-lyse, relevant plus du domaine de la recherche acoustique que l’analyse despectre sous Nuendo 4. L’analyse par Intégration de Densité Spectrale (IDS,voir paragraphe 2.2.2) est un type d’analyse de signaux qui utilise un décou-page fréquentiel des signaux en sous-bandes, les limites de ces sous-bandesayant été obtenues par des tests d’écoute. Les filtres utilisés pour découper lesignal ne sont pas les filtres ordinaires que l’on trouve dans les séquenceurs

    52

  • audio, mais des filtres construits pour cette analyse par Laurent Millot, àpente raide et à déphasage nul. L’IDS vise à caractériser le poids relatif dechaque sous-bande dans le signal global. Ce type d’analyse pourrait nouspermettre de faire la jonction entre l’objectif de la recherche et le domainede la prise de son.

    Nous travaillons pour cette analyse sur Opéra, de Tansman. D’aprèsl’analyse IDS, cet enregistrement est assez bas médium - centre médium. Leportrait IDS confirme en définitive l’analyse de spectre obtenue sous Nuendo4, et surtout l’écoute. Les portaits IDS de la prise de son de référence et de laprise alternative sont présentés en figure 3.14 (référence) et 3.15 (alternative).

    Figure 3.14 – Analyse IDS de la prise de référence pour Opéra de Tansman.

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  • Figure 3.15 – Analyse IDS de la prise alternative pour Opéra de Tansman.

    En combinant les portraits IDS des deux prises de référence et alter-native, il est possible de déterminer de quelle quantité il faut modifier chaquesous-bande de chaque voie de la prise alternative pour retrouver un portraitIDS identique à celui obtenu pour la prise de référence. L’analyse IDS estici utilisée comme un outil de mixage pour passer de la prise alternative àla prise de référence. Les valeurs déterminées pour Opéra, de Tansman, sontprésentées en figures 3.16 (voie gauche) et 3.17 (voie droite).

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  • Sous-bande Poids PDS alt. Gain (dB) Poids PDS de réf.1 -33.3 -6.3 -39.62 -9.8 -7.6 -17.43 -7.3 +2 -5.34 -2 +0.3 -1.75 -13.9 -1.8 -15.76 -12.1 -3.1 -15.27 -15.9 -3.6 -19.58 -25.7 -1.2 -26.99 -37.0 -3.4 -40.410 -59.0 +8.1 -50.9

    Moyenne -29.6 +0.5 -29.1

    Figure 3.16 – Remixage IDS de la voie gauche d’Opéra de Tansman.

    Sous-bande Poids PDS alt. Gain (dB) Poids PDS de réf.1 -33.2 +0.1 -33.12 -9.2 -6.5 -15.73 -8.3 +3.1 -5.24 -2.6 -0.1 -2.75 -14.2 -0.7 -14.96 -11.7 -3.3 -15.07 -15.9 -3.6 -19.58 -25.0 -1.9 -26.99 -37.4 -4.1 -41.510 -48.3 -8.7 -57.0

    Moyenne -29.4 +0.5 -28.9

    Figure 3.17 – Remixage IDS de la voie droite d’Opéra de Tansman.

    À l’écoute, la prise de son alternative remixée avec les coefficients del’analyse IDS [CD 1, Piste 15] et la prise de référence [CD 1, Piste 13] sontextrêmement différentes, alors que leurs portraits IDS sont théoriquementidentiques.

    Les différences peuvent s’expliquer par la non prise en compte duphénomène temporel. En effet, les analyses moyennent le spectre du signal,et lors d’une modification, ce sont à la fois le son direct et la réverbéra-tion qui sont modifiés, dans les mêmes proportions. Ceci est d’autant pluscritique dans le cas qui nous intéresse puisque nous avons d’une part la ré-férence comportant la réverbération naturelle de la salle, et d’autre part laprise alternative comportant une réverbération artificielle, spectralement dif-

    55

  • férente de la réverbération naturelle. Reste à déterminer dans quelle mesureles différences s’amoindrissent lors de la convolution de la prise alternativepar une empreinte de la salle (au lieu de l’utilisation d’une réverbérationcomplètement différente).

    3.7.3 Bilan des analyses objectives

    Les analyses objectives que nous avons menées confirment en premierlieu les conclusions de l’écoute critique de nos enregistrements, et les com-plètent d’autre part en apportant des informations chiffrées. Toutefois, nosanalyses n’ont pu nous conduire à mettre au point une méthode permettantde passer d’un type de prise de son à l’autre de façon rapide et fiable. D’autresanalyses sont donc à envisager pour construire cette méthode.

    De plus, les informations obtenues ne peuvent porter que sur les pa-ramètres intrinsèques du signal (spectre, niveau, . . .) et ne peuvent prendreen compte les caractéristiques du récepteur, à savoir l’humain. Pour prendreen compte ledit récepteur, il nous a été nécessaire de procéder à des testsperceptifs.

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  • Chapitre 4

    Campagne de tests perceptifs

    L’objet de ce chapitre est l’évaluati